Décennie des Nations Unies pour l'Éducation au service du Développement Durable (2005-2014)
Kit pédagogique pour l’éducation pour le développement durable
Éducation pour le développement durable en action
Outils d’apprentissage et de formation N°1 - 2006
UNESCO Secteur de l’Éducation
Kit pédagogique sur l’éducation pour le développement durable
U N E S C O
L’éducation pour le développement durable en action Outils d’apprentissage et de formation n° 1
Octobre 2006
Préparé par Rosalyn McKeown (Université du Tennessee), avec le concours de Charles A. Hopkins, Regina Rizzi et Marianne Chrystalbridge.
Le financement initial de ce kit pédagogique pour l’EDD a été assuré par la Waste Management Research and Education Institution des États-Unis. L’actuelle version n° 3 d’octobre 2005 a été adaptée en vue d’être publiée par l’intermédiaire de l’UNESCO dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour l’éducation au service du développement durable.
Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faits contenus dans cette publication ainsi que des opinions exprimées, qui ne sont pas nécessairement celles de l’UNESCO et n’engagent nullement l’Organisation.
Section de l’éducation pour le développement durable (ED/PER/ESD)
UNESCO
7 Place de Fontenoy
75352 Paris 07 SP, France
fax : 33 1 45 68 56 35
e-mail : esddecade@unesco.org
web : www.unesco.org/education/desd
Page de couverture : Helmut Langer Éditions de l’UNESCO
Avant-propos
Le Kit pédagogique pour l’éducation en vue du développement durable part du principe que les collectivités et leurs systèmes éducatifs doivent harmoniser leur action face à l’impératif de durabilité. À mesure que les collectivités fixent des objectifs dans ce domaine, les systèmes éducatifs et programmes locaux peuvent modifier les curricula existants ou créer de nouveaux programmes à l’appui de ces objectifs.
Le kit pédagogique pour l’EDD s’est révélée efficace pour un grand nombre de ses destinataires tels que les ministères nationaux et pr ovinciaux, les organisations sans but lucratif, les facultés et universités, les professeurs d’école normale, les directeurs d’école, les enseignants, les municipalités et les agents de l’État. Bien qu’il ait été conçue pour un public nord-américain, il s’est révélée utile dans des pays et des collectivités du monde entier.
I. INTRODUCTION
L’éducation constitue u n instrument essentiel pour atteindre l’objectif de durabilité. Il est universellement reconnu que les tendances actuelles du développement économique ne sont pas durables et que la sensibilisation du public, l’éducation et la formation sont déterminantes pour faire progresser la société dans le sens de cet objectif. Il n’y a guère de points d’entente en dehors de cela. On débat de la signification du développement durable, ainsi que de la question de savoir s’il s’agit d’un objectif réalisable. Il existe différentes façons d’imaginer à quoi ressembleront des « sociétés durables » et leur mode de fonctionnement. On se demande également pourquoi les éducateurs ont tant tardé à mettre au point des programmes d’éducation à la durabilité (ED). Les désaccords et l’absence de définition ont freiné les efforts visant à faire avancer l’éducation au service du développement durable (EDD).
Curieusement, nous avons des difficultés à envisager un monde durable, mais pas à identifier ce qui ne peut pas durer dans nos sociétés. Nous pouvons sans peine faire la liste de nos problèmes - utilisation inefficace de l’énergie, absence de mesures de conservation des ressources en eau, aggravation de la pollution, violations des droits de l’homme, recours excessif aux moyens de transport individuels, consumér isme, etc. Nous ne devons cependant pas nous reprocher de ne pas savoir définir clairement la durabilité car parmi les concepts dont peut véritablement s’honorer l’humanité (parmi lesquels figurent la démocratie et la justice), beaucoup sont difficiles à définir et prennent des formes multiples dans les diverses cultures du monde.
Dans le Kit pédagogique pour l’EDD, nous utilisons indifféremment trois formulations synonymes, à savoir l’éducation au service du développement durable (EDD), l’éducation pour la durabilité (EPD) et l’éducation en vue de la durabilité (EVD). Nous nous référons le plus souvent à l’EDD car c’est la terminologie fréquemment utilisée au niveau international et dans les documents des Nations Unies. À l’échelon local ou national, l’action d’EDD peut être qualifiée ou décrite de nombreuses façons du fait des différences linguistiques et culturelles.
Comme il est de règle en matière de développement durable, les appellations et les contenus doivent être adaptés aux conditions et à la culture locales.
Il est important de faire une distinction entre l’éducation sur le développement durable et l’éducation en vue du développement durable. Il s’agit dans le premier cas d’une action de sensibilisation ou d’une discussion théorique, et dans le second, de l’utilisation de l’éducation comme moyen d’atteindre l’objectif de durabilité. En ces temps critiques, il ne saurait être question, selon nous, de se contenter d’une discussion théorique. Pour certains, la formulation « éducation EN VUE du développement » indique un effort d’endoctrinement, mais nous y voyons quant à nous une action qui est fondée sur un dessein. Toute éducation a un dessein, sans quoi la société ne la financerait pas. Les leçons de conduite, par exemple, ont pour but de rendre les routes plus sûres. En enseignant les mesures de sécurité appropriées, on s’efforce de prévenir les incendies et les pertes humaines et matérielles tragiques qui en résultent. L’EDD entend rendre le monde plus vivable pour les générations actuelles et futures. Naturellement, certains en abuseront ou la détourneront à des fins d’endoctrinement, mais cela serait parfaitement contraire à la nature de l’EDD, qui a en fait pour but de donner aux gens des connaissances et des compétences dans le cadre d’un apprentissage continu qui les rende mieux à même d’apporter des solutions nouvelles à leurs problèmes environnementaux, économiques et sociaux.
Développement durable
Le concept de développement durable est d’autant plus difficile à définir qu’il ne cesse d’évoluer. L’une des premières descriptions du développement durable est attribuable à la Commission Brundtland : « Le développement durable répondrait aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Commission mondiale de l’environnement et du développement, 1987, p. 43). On estime généralement que les trois composantes du développement durable sont l’environnement, la société et l’économie. Les
progrès dans ces trois domaines sont liés, et non séparés. C’est ainsi qu’une société saine et prospère a besoin d’un environnement sain pour lui fournir des produits alimentaires et des ressources, de l’eau potable et une atmosphère non polluée. Le modèle de durabilité rejette la thèse selon laquelle des dommages causés dans les domaines environnemental et social seraient une conséquence inévitable et acceptable du développement économique. Les auteurs voient ainsi dans la durabilité un modèle de réflexion sur l’avenir dans lequel les considérations environnementales, sociétales et économiques seront prises en compte de manière équilibrée en vue d’assurer le développement et une meilleure qualité de vie.
Principes de développement durable
Les gouvernements et les particuliers se sont souvent demandé ce que l’on entend exactement par développement durable. La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement en propose une définition plus complète reposant sur les 18 principes suivants :
• Les êtres humains ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature.
• Le développement d’aujourd’hui ne doit pas compromettre la satisfaction des besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures.
• Les États ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources, mais sans causer de dommages environnementaux au-delà de leurs frontières.
• Les États doivent développer une législation internationale concernant l’indemnisation en cas de dommages causés dans des zones situées en dehors de leur juridiction par des activités menées sous leur autorité.
• Les États doivent appliquer le principe de précaution pour protéger l’environnement. En cas de risques graves ou irréversibles, l’incertitude scientifique ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.
• Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément. L’élimination de la pauvreté et la réduction des différences de niveau de vie dans les différentes parties du monde sont des conditions essentielles du développement durable et de la satisfaction des besoins de la majorité de la population.
• Les États doivent coopérer en vue de conserver, de protéger et rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en vue du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent.
• Les États devraient réduire et éliminer les modes de production et de consommation non viables et promouvoir des politiques démographiques appropriées.
• La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés. Les États do ivent encourager la sensibilisation et la participation du public en diffusant largement à son intention des informations sur l’environnement.
• Les États doivent promulguer des mesures législatives efficaces en matière d’environnement et adopter une législation nationale concernant les droits et recours des victimes de la pollution et autres dommages causés à l’environnement. Lorsqu’ils en ont
le pouvoir, les États doivent évaluer les graves conséquences que risquent d’avoir pour l’environnement les activités proposées.
• Les États devraient coopérer pour prom ouvoir un système économique international ouvert propre à favoriser la croissance économique et un développement durable dans tous les pays. Les politiques environnementales ne devraient pas servir de prétexte pour faire obstacle au commerce international.
• Le pollueur doit, en principe, supporter le coût de la pollution.
• Les États doivent se notifier mutuellement toute catastrophe naturelle ou toute activité susceptible d’avoir des effets transfrontières nocifs.
• Le développement durable exige une meilleure compréhension scientifique des problèmes. Les États devraient partager leurs connaissances et les technologies novatrices pour réaliser l’objectif de durabilité.
• La pleine participation des femmes est essentielle au développement durable. La créativité, les idéaux et le courage de la jeunesse ainsi que les connaissances des populations autochtones sont également précieux. Les États devraient reconnaître l’identité, la culture et les intérêts de ces peuples.
• La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement durable. Les États doivent donc respecter le droit international relatif à la protection de l’environnement en temps de conflit armé, et participer à son développement.
• La paix, le développement et la protection de l’environnement sont interdépendants et indissociables.
Les « principes de Rio » nous donnent des paramètres pour envisager un développement durable approprié à la culture et au contexte local de nos pays, régions et communautés. Ils nous aident à comprendre le concept abstrait de développement durable et à commencer à le mettre en oeuvre.
Durabilité
Voici, à l’intention de différents publics, quelques explications utiles sur le développement durable.
Le développement durable comporte trois dimensi ons, qui sont l’environnement, la société et l’économie. Si on les considère comme trois cercles de même taille qui se recoupent, le domaine central où ce recoupement s’opère est celui du bien-être humain. Plus les cercles correspondant à l’environnement, à la société et à l’économie sont alignés, plus le domaine de recoupement, et partant, le bien-être humain, augmentent.
Lors de la Réunion publique nationale sur la durabilité organisée en mai 1999 à Detroit (Michigan), il a été reconnu que malgré son utilisation fréquente, l’expression « développement durable » était mal comprise. Nous pensons qu’elle implique de nouvelles technologies et de nouveaux modes opératoires qui nous permettent d’améliorer dès aujourd’hui la qualité de la vie dans tous les domaines économiques, environnementaux et sociaux sans compromettre la capacité des générations futures à jouir d’une qualité de vie et d’opportunités au moins égales aux nôtres.
Selon les défenseurs des droits de l’homme, l’objectif de durabilité n’est réalisable que par et avec la paix, la justice et la démocratie.
Selon la Grande loi de Hau de no sau nee (Confédération des six nations iroquoises), chaque fois que nous délibérons, nous devons réfléchir aux conséquences de nos actes jusqu’à la septième génération.
Pour les professeurs d’économie, la durabilité signifie vivre des intérêts de son capital, et non du principal.
Historique de l’éducation en vue du développement durable
Depuis que le prin cipe du développement durable a été approuvé pour la première fois à l’Assemblée générale des Nations Unies de 1987, le concept parallèle d’éducation au service du développement durable a également fait l’objet d’une réflexion approfondie. De 1987 à 1992, le concept de développement durable a pris forme à mesure que des comités ont discuté, négocié et rédigé les 40 chapitres d’ Action 21. Le Chapitre 36 d’Action 21, intitulé « Promotion de l’éducation, de la sensibilisation du public et de la formation » présente les premières réflexions au sujet de l’EDD.
À la différence de la plupart des initiatives concernant l’éducation, l’EDD a été conçue à l’extérieur du monde de l’éducation. En fait, l’impul sion est surtout venue d’instances politiques et économiques internationales comme l’ONU, l’Organisation de coopération et de développement économiques et l’Organisation des États américains. Lors de la discussion et de la formulation du concept de développement durable, il est apparu que l’éducation jouait un rôle clé. Dans beaucoup de pays, l’EDD est encore définie par des personnes extérieures au monde de l’éducation. En pareil cas, ses concepts et son contenu sont élaborés par des ministères tels que les ministères de l’environnement et de la santé, et les éducateurs sont ensuite censés prendre le relais. Le fait que les concepts soient élaborés sans l’intervention d’éducateurs constitue un problème reconnu tant par ces derniers que par les organismes internationaux.
Promesse et paradoxe de l’éducation
Deux des principaux thè mes du dialogue international sur la durabilité sont la démographie et l’utilisation des ressources. On estime que si l’une et l’autre augmentent, la réalisation de l’objectif de durabilité est compromise, et l’éducation est liée à la fois aux taux de fécondité et à l’utilisation des ressources. L’éducation des femmes permet de réduire les taux de fécondité et par conséquent l’accroissement de la population. En réduisant son taux de fécondité et le risque de surpopulation, un pays accroît également ses chances de progrès dans le sens de la durabilité. Le rapport entre l’éducation et l’utilisation des ressources a un effet inverse. En général, plus la population est instruite et plus son revenu est élevé, plus elle consomme de ressources, davantage que les personnes au faible niveau d’éducat ion qui ont généralement des revenus plus bas. Un niveau d’instruction élevé implique dans ce cas une menace accrue pour la durabilité.
Ce sont malheureusement les pays où les niveaux d’instruction sont les plus élevés qui causent le plus de dommages à l’environnement car ce sont aussi ceux dont les taux de consommation par habitant sont les plus élevés. Cette consommation stimule l’exploitation des ressources et la production manufacturière dans le monde entier. Les chiffres figurant dans l’Annuaire statistique et le Rapport mondial sur l’éducation de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), par exemple, montrent qu’aux États-Unis, plus de 80 % de la population ont fait un minimum d’études supérieures et qu’environ 25 % sont titulaires d’un diplôme universitaire sanctionnant au moins quatre ans d’études. Les statistiques montrent également que, dans ce pays, la consommation d’énergie et la production de déchets par habitant sont parmi les plus fortes du monde. Dans le cas des États-Unis, la durabilité ne va pas de pair avec un niveau d’instruction élevé, qui ne suffit manifestement pas à créer des sociétés viables. Le problème consiste à élever les niveaux d’instruction sans créer une demande toujours croissante de ressources et de biens de consommation et la pollution de plus en plus grave qui en résulte. Face à ce défi, il faudra réorienter les programmes de manière à mettre en place des modes de production et de consommation plus durables.
Chaque pays devra réexaminer ses programmes d’enseignement à tous les niveaux (de l’éducation préscolaire à l’enseignement professionnel). Il est certes difficile d’inculquer des notions d’écologie, d’économie ou d’éducation civique à des gens qui ne savent ni lire ni écrire, mais par ailleurs, on ne peut manifestement pas se contenter, comme c’est le cas actuellement dans le plupart des pays, d’intensifier l’effort d’alphabétisation pour assurer la durabilité de la société.
Seuils d’éducation et durabilité
Il apparaît par exemple que lorsque les niveaux d’instruction sont bas, l’économie se réduit souvent aux industries extractives et à l’agriculture. Dans de nombreux pays, le niveau d’éducation de base actuel est si bas que cela affecte sérieusement les options de développement et les plans relatifs à un avenir viable. Un niveau d’instruction plus élevé est nécessaire pour créer des emplois et des industries « plus vertes » (c’est-à-dire plus respectueuses de l’environnement) et plus durables.
Le rapport entre éducation et développement durable est complexe. Les recherches montrent généralement que l’éducation de base détermine dans une large mesure la capacité d’un pays à fixer et réaliser des objectifs de durabilité. Elles montrent en outre que l’éducation peut accroître la productivité agricole, améliorer la condition féminine, réduire les taux de croissance démographique, renforcer la protection de l’environnement et élever le niveau de vie d’une façon générale, mais ce rapport n’est pas linéaire. Quatre à six ans d’éducation constituent le seuil minimum pour assurer une progression de la productivité agricole. Les agriculteurs qui savent lire, écrire et compter peuvent s’adapter aux nouvelles méthodes culturales, faire face aux risques et répondre aux signaux du marché. Ils sont également mieux à même de mélanger et d’utiliser des produits chimiques (par exemple des engrais et des pesticides) suivant les instructions du fabricant, ce qui réduit les risques pour l’environnement et la santé humaine. Une éducation de base aide également les agriculteurs à obtenir un titre de propriété sur leur terre et à emprunter à des banques et à d’autres organismes de crédit. C'est lorsque la proportion de femmes et d’hommes atteignant un certain seuil d’instruction est la même que les effets de l’éducation sur l’agriculture sont les plus sensibles.
L’éducation apporte un certain nombre de changements positifs dans la vie d’une femme. Une femme instruite jouit d’un meilleur statut et a davantage le sentiment d’être ef f cace. D’une façon générale, elle se marie plus tard et a une meilleure position de négociation et plus de chances de succès sur le « marché du mariage ». Elle a également une position de négociation plus forte au sein du ménage une fois mariée. Une femme instruite aspire généralement à une famille moins nombreuse et fait appel pour cela aux services de santé appropriés. Elle a moins d’enfants, et ceux-ci sont en meilleure santé. Elle a davantage d’ambitions au sujet de l’éducation et de la carrière de ses enfants, filles ou garçons. L’éducation modifie profondément sa vie, son interaction avec la société et son statut économique. Les femmes instruites peuvent jouir d’une plus grande équité dans leur vie et celle de leur famille, et elles sont mieux à même de participer à la prise de décisions collectives et de contribuer à la réalisation des objectifs de durabilité au niveau local.
L’enseignement primaire pour les filles constitue un autre seuil minimum d’éducation. Il est indispensable que celles-ci fassent tout au moins des études primaires pour que le taux de natalité baisse et que la santé et le niveau d’instruction des enfants s’améliorent. Neuf à douze ans d’éducation sont nécessaires pour accroître la pr oductivité industrielle. Ce niveau d’instruction augmente également les chances de trouver un emploi dans une économie en pleine évolution. La façon dont l’éducation influe sur la gestion de l’environnement n’a fait l’objet que d’un petit nombre d’études, mais l’une d’elle indique que terminer le premier cycle de l’enseignement secondaire (soit environ neuf ans de scolarité) est nécessaire pour permettre une utilisation plus intense des terres existantes et offrir des emplois non agricol es et des possibilités de migration aux ruraux. Enfin, une combinaison subtile d’enseignement supérieur, de recherche et de formation permanente est nécessaire pour qu’un pays puisse passer à une économie fondée sur
l’information ou le savoir, et qui repose moins sur des technologies importées que sur l’innovation et la créativité locales (UNESCO-ACEID, 1997).
L’éducation influe directement sur les pl ans de développement durable dans les trois domaines suivants :
Exécution
Une population instruite joue un rôle vital pour assurer un développement durable fondé sur le savoir. En fait, un plan national de développement durable peut être facilité ou entravé par le niveau d’instruction de la population. Les pays où les taux d’analphabétisme et de main-d’œuvre non qualifiée sont élevés ont des possibilités de développement limitées. Dans la plupart des cas, ils sont contraints de payer en devises fortes l’énergie et les produits manufacturés qu’ils achètent sur le marché international. Pour se procurer ces devises, ils ont besoin du commerce international, ce qui les amène généralement à expl oiter leurs ressources naturelles ou à pratiquer des cultures de rapport sur des terres où étaient auparavant pratiquées des cultures de subsistance dans le cadre d’exploitations familial es. Il est indispensable de disposer d’une maind’œuvre instruite pour passer à une économie qui ne soit plus fondée essentiellement sur les industries extractives et l’agriculture.
Prise de décisions
Des décisions avisées prises au niveau communautaire - et appelées à influer sur le bienêtre social et la bonne santé de l’économie et de l’environnement - dépendent également du bon niveau d’instruction des citoyens. Les optio ns de développement, en particulier les options « vertes », augmentent parallèlement au niveau d’instruction. C’est ainsi qu’une communauté dotée d’une main-d’œuvre qualifiée nombreuse et ayant souvent reçu une formation technique peut persuader une entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies de l’information et le développement de logiciels de s’installer à prox imité. Les citoyens peuvent également agir pour protéger leur communauté en analysant des rapports et des données portant sur les problèmes de la collectivité et aider celle-ci à définir la réponse à y apporter. Par exemple, les citoyens préoccupés par la pollution des eaux signalée dans un bassin versant voisin ont commencé à contrôler la qualité de l’eau des cours d’eau locaux. Grâce aux renseignements dont ils disposaient et à ceux qu’ils ont trouvés sur l’Internet, ils se sont opposés à l’aménagement d’un nouveau terrain de golf dont l’entretien aurait nécessité l’utilisation de grandes quantités d’engrais et d’herbicides.
Qualité de la vie
L’éducation est également capitale pour améliorer la qualité de la vie. Elle élève la situation économique des familles, améliore les conditions de vie, réduit la mortalité infantile et permet à la génération suivante de parvenir à un niveau d’instruction plus élevé et d’avoir ainsi de meilleures chances de prospérité économique et sociale. Une meilleure éducation a des incidences au niveau aussi bien individuel que national.
II. QU’EST-CE QUE L’EDD ?
L’éducation est jugée vitale pour la durabilité. En fait, l’éducation et la durabilité sont absolument indissociables, mais beaucoup de gens ne voient pas clairement en quoi l’éducation au sens classique du terme se distingue de l’éducation en vue de la durabilité. On trouvera dans la section suivante une description des éléments de l’éducation pour un développement durable.
L’EDD implique l’exécution de programmes adaptés aux conditions et à la culture locales. Tous les programmes de développement durable, y compris l’EDD, doivent prendre en compte le contexte environnemental, économique et sociét al local. L’EDD prendra en conséquence les formes les plus diverses dans le monde.
L’EDD a été décrite pour la première fois au Chapitre 36 d’Action 21. Ce chapitre a indiqué quatre grands axes pour l’action préparatoire à la mise en place de l’EDD : (1) améliorer l’éducation de base, (2) réorienter l’éducation dans le sens du développement durable, (3) promouvoir la compréhension et la sensibilisation du public, (4) la formation. Examinons chacun de ces quatre éléments.
Améliorer l’éducation de base - La priorité absolue
La priorité d es priorités en matière d’EDD, comme indiqué au Chapitre 36, est la promotion de l’éducation de base, dont le contenu et la durée sont très variables d’un pays à l’autre. C’est ainsi que certains pays considèrent que l’enseignement primaire relève de l’éducation de base tandis que d’autres ont institué un enseignement obligatoire d’une durée de huit ou douze ans. Dans beaucoup de pays, l’éducation de base est axée sur la lecture, l’écriture et le calcul. Les élèves apprennent à lire le journal, à écrire des lettres, à tenir des comptes et à acquérir les compétences nécessaires pour assumer les rôles qui leur reviennent au sein du ménage et de la collectivité. Les filles peuvent par exemple acquérir des notions de nutrition et de puériculture. Les élèves apprennent également comment fonctionne leur gouvernement et ce qui se passe dans le monde au-delà de leur communauté.
Une simple intensification de l’effort d’alphabétisation, comme c’est actuellement le cas dans la plupart des pays, ne permettra pas à ceux-ci d’ avancer sur la voie du développement durable. En fait, si les communautés et les nations espèrent identifier des objectifs de durabilité et agir pour les réaliser, elles doivent se concentrer sur des compétences, des valeurs et des perspectives qui encouragent et soutiennent la participation publique et la prise de décision communautaire. Pour y parvenir, l’éducation de base doit être réorientée dans le sens de la durabilité et élargie pour inclure l’aptitude à la réflexion critique, les compétences nécessaires à l’organisation et à l’interprétation des données et des informations ainsi qu’à la formulation de questions, et l’aptitude à analyser les problèmes auxquels sont confrontées les communautés.
Dans beaucoup de pays, le niveau actuel de l’éducation de base est trop bas, ce qui entrave sérieusement les plans nationaux visant à assurer un avenir plus viable. En Amérique latine et aux Caraïbes, l’enseignement obligatoire de six à huit ans est en vigueur dans un grand nombre de pays, et environ 5 à 15 % des élèves redoublent au moins une fois. Dans certains pays d’Asie et en particulier au Bangladesh, au Pakistan et en Inde, de nombreux enfants ne sont scolarisés que cinq ans en moyenne, mais il ne s’agit que d’une moyenne et dans cette région, la durée de la scolarisation des filles est souvent plus courte. Dans certaines parties de l’Afrique en proie à la sécheresse ou à la guerre, la durée moyenne de la scolarité se mesure en mois et non en années. C’est malheureusement dans les régions et au sein des communautés les plus pauvres que la qualité de l’enseignement laisse le plus à désirer. L’insuffisance et/ou le bas niveau de l’éducation limitent sérieusement les options dont dispose un pays pour établir des plans à court et long terme en vue de l’objectif de durabilité.
En accordant leur attention à l’éducation dans les années 90 et depuis l’an 2000, les pays ont réalisé des progrès considérables dans le domaine de l’éducation de base. En fait, les taux de scolarisation au niveau primaire sont en augmentation dans la plupart des régions du monde. De plus, la scolarisation des filles progresse plus rapidement que celle des garçons, ce qui aide à combler l’écart entre les sexes si manifeste dans tant de pays. Au niveau mondial, cet écart diminue aussi bien dans le primaire que dans le secondaire. Malgré tous ces progrès, trop de fillettes ne sont toujours pas scolarisées, et l’écart entre les sexes n’aura pu être comblé avant 2005, date fixée comme objectif par le projet d’« Éducation pour tous ».
La nécessité reconnue d’une éducation de base de qualité distingue l’EDD des autres actions d’éducation, notamment en matière d’environnement ou de population.
Réorientation de l’éducation sous sa forme actuelle - La deuxième priorité
L’expression « réorientation de l’éducation » est devenue un puissant indicateur qui aide les administrateurs et les éducateurs à tous les niveaux (depuis l’école maternelle jusqu’à l’université) à comprendre les changements que nécessite l’EDD. Une éducation de base réorientée de façon appropriée comprend davantage de principes, de compétences, de perspectives et de valeurs en rapport avec la durabilité que la plupart des sy stèmes éducatifs actuels. Il s’agit donc non seulement de l’éducation envisagée d’un point de vue quantitatif, mais aussi de son adéquation aux besoins et de sa pertinence. L’EDD reflète une vision intégrant l’environnement, l’économie et la société. La réorientation de l’éducation implique également, en matière d’enseignement et d’apprentissage, des connaissances, des compétences, des perspectives et des valeurs propres à motiver les gens et à les inciter à trouver des moyens de subsistance durables, à être les membres actifs d’une société démocratique et à adopter des modes de vie durables.
La nécessité de réorienter l’éducation de base et l’enseignement secondaire en fonction de l’impératif de durabilité a suscité une grande attention au niveau international, mais cette nécessité est tout aussi grande au niveau des universités, car ce sont elles qui forment les dirigeants et les décideurs de demain. Si ces jeunes sont appelés à diriger tous les secteurs de la société (par exemple l’administration, la médecine, l’agriculture, la foresterie, le droit, les entreprises, l’industrie, l’ingénierie, l’éducation, les communications, l’architecture et les arts) dans un monde aspirant à la durabilité, l’administration et le corps enseignant actuels doivent réorienter les programmes universitaires de manière à prendre en compte les aspects nombreux et complexes de la problématique de la durabilité.
En réorientant l’éducation dans le sens de la durabilité, ceux qui élaborent les programmes doivent se tourner tout à la fois vers l’avenir en tendant vers une société plus viable, et vers le passé en tirant parti des connaissances écologiques traditionnelles. Les traditions des populations autochtones sont souvent porteuses de valeurs et de pratiques synonymes d’une utilisation durable des ressources. Bien qu’il ne soit nullement question de faire revenir des millions de citadins aux modes de vie traditionnels, les valeurs et les principes de base des traditions autochtones peuvent être adaptés à la vie au XXIe siècle.
La réorientation de l’éducation en fonction de l’impératif de durabilité doit s’opérer dans l’ensemble du système d’éducation formelle, qui inclut les universités, les établissements d’enseignement professionnel (par exemple les facultés de droit et de médecine) et les écoles techniques, en plus de l’enseignement primaire et secondaire.
Compréhension et sensibilisation du public - La troisième priorité
L’impératif de durabilité exige que la population soit consciente des objectifs d’une société viable et qu’elle ait les connaissances et les compétences voulues pour contribuer à leur réalisation. Il est d’autant plus nécessaire que les électeurs soient bien informés que le nombre de gouvernements démocratiques est en augmentation. Des électeurs informés apportant leur soutien à des politiques et à des initiatives gouvernementales avisées peuvent aider les pouvoirs publics à adopter des mesures viables. Les citoyens doivent également être des consommateurs éclairés qui ne soient pas dupes d’arguments écologiques spécieux (plus précisément d’opérations de relations publiques qui attirent l’attention sur les activités des entreprises plutôt respectueuses de l’environnement tout en négligeant ou en dissimulant les activités importantes qui nuisent à l’environnement). Dans le monde d’aujourd’hui, les médias (télévision, radio, journaux et revues) et la publicité (affiches, bandeaux de sites Web, logos sur les vêtements) sont partout. Les gens doivent ainsi apprendre à connaître les médias et à analyser les messages des annonceurs.
Des années d’expérience ont montré qu’un public conscient et informé des décisions et des programmes concernant la gestion des ressources peut contribuer à la réalisation des objectifs des programmes. En revanche, un public mal informé peut jouer un rôle inverse. L’éducation est
également cruciale dans le cadre de beaucoup d’autres types de programmes, tels que les actions de santé publique visant à stopper la propagation de certaines maladies.
La formation - La quatrième priorité
Le Chapitre 36 insiste é galement sur la formatio n. Le monde a besoin de citoyens et d’une main-d’œuvre qui soient soucieux d’écologie pour aider les pays à mettre en œuvre leurs plans de durabilité. Tous les secteurs - notamment les entreprises, l’industrie, l’enseignement supérieur, les gouvernements, les organisations non gouvernem entales (ONG) et les organisations communautaires - sont encouragés à donner à leurs responsables une formation à la gestion de l’environnement et à assurer une formation à leur personnel.
La formation se distingue de l’éducation en ce sens qu’elle est souvent spécifique à un emploi ou type d’emploi particulier. Elle consiste à apprendre aux travailleurs à utiliser le matériel en toute sécurité, à être plus efficaces et à respecter les règlements (par exemple en matière d’environnement, de santé ou de sécurité). C’est ainsi qu’un programme de formation peut apprendre aux ouvriers à éviter de modifier le flux de déchets sans en aviser leur supérieur. De plus, si un salarié participe à une activité inhabituelle comme le nettoyage d’un nouveau matériel, il n’est pas censé rejeter le solvant de dégraissage dans un déversoir d’où les eaux usées s’écoulent dans la rivière. Certains types de formation, consistant par exemple à apprendre aux femmes à utiliser des réchauds solaires au lieu de fourneaux à bois ouverts, impliquent un changement profond de la dynamique et des pratiques sociales. En l’occurrence, les femmes doivent non seulement apprendre à utiliser des réchauds solaires, mais aussi modifier leurs habitudes en préparant les repas lorsque le soleil est haut dans le ciel plutôt que dans la soirée.
La formation fait connaître aux gens des pratiques et procédures acceptées et leur donnent les compétences nécessaires à l’exécution de certaines tâches. En revanche, l’éducation est un processus de transformation sociale qui leur donne des connaissances, des compétences, des perspectives et des valeurs grâce auxquelles ils peuvent participer et contribuer à leur propre bienêtre et à celui de leur communauté et de leur nation.
Éducation formelle, non formelle et informelle
Pour une communauté ou une nation, la mise en oeuvre de l’EDD représente une tâche énorme. Cette responsabilité ne relève heureusement pas de la seule éducation formelle. Les secteurs de l’éducation non formelle (par exemple, les centres d’observation de la nature, les organisations non gouvernementales, les moniteurs de santé publique et les vulgarisateurs agricoles) et informelle (par exemple, les stations de radio et de télévision et la presse locales) doivent collaborer activement avec le secteur de l’éducation formelle à l’éducation des populations de toute condition et à toutes les générations.
L’EDD étant un processus permanent, les secteurs de l’éducation formelle, non formelle et informelle devraient œuvrer de concert à la réalisation des objectifs de durabilité. Dans un monde idéal, ces trois secteurs se diviseraient la tâche énorme consistant à dispenser l’EDD à l’ensemble de la population en définissant des groupes cibles au sein du public, ainsi que des thèmes de durabilité. Ils collaboreraient ensuite dans leurs domaines de responsabilité définis d’un commun accord. Cette division du travail permettrait d’atteindre un public plus large et d’éviter les doubles emplois.
III. RÉORIENTATION DE L’ÉDUCATION
L’EDD n’est pas seulement une base de connaissances concernant l’environnement, l’économie et la société. Elle porte également sur les capacités d’apprentissage, les perspectives et les valeurs qui inspirent les gens et qui les incitent à rechercher des modes de subsistance durables, à participer à la vie d’une société démocratique et à vivre conformément aux principes de durabilité. L’EDD implique également l’étude des problèmes locaux, et éventuellement,
globaux. Ces cinq éléments (à savoir, les connaissances, les compétences, les perspectives, les valeurs et les problèmes) doivent donc être tous inclus dans un programme formel réorienté en fonction de l’impératif de durabilité. Dans la plupart des établissements scolaires, il ne sera pas possible d’étoffer simplement le programme car celui-ci est déjà chargé. Décider ce qu’il convient d’éliminer - c’est-à-dire ce qui est obsolète ou ne contribue pas à la durabilité - fait partie intégrante du processus de réorientation. Examinons de plus près ces cinq éléments d’une éducation réorientée dans le sens de la durabilité.
Connaissances
Le développement dura ble englobe l’environnemen t, l’économie et la s ociété. Les gens ont donc besoin de connaissances fondamentales en sciences exactes et naturelles, sciences sociales et lettres pour comprendre les princi pes du développement durable, la façon dont ceux-ci peuvent être mis en œuvre, les valeurs en jeu et les implications diverses de leur application. Les connaissances fondées sur les disciplines traditionnelles contribuent à l’EDD.
Dans le processus de création des programmes d’EDD, il s’agira pour les communautés de sélectionner des connaissances qui contribueront à la réalisation de leurs objectifs de durabilité. Il s’agira également d’abandonner des disciplines enseignées avec succès depuis des années, mais qui ne sont plus adaptées aux besoins. Si votre communauté n’a pas fixé d’objectifs de durabilité, vous pouvez y substituer des principes et des lignes directrices. (Voir encadré suivant.) La Section XII de la Boîte à outils intitulée « Exercices en vue de fixer des objectifs de durabilité avec une participation publique » comprend des exercices qui aideront les communautés à identifier ce type d’objectifs.
Lignes directrices relatives au développement durable
Pour identifier la base de connaissances susceptibles de contribuer à la réalisation des objectifs de durabilité, les citoyens doivent tout d’abord sélectionner des objectifs. Pour faciliter ce processus, voici une liste de déclarations, conditions et principes directeurs de durabilité qui a été établie par d’éminents auteurs.
Pour Herman Daly, auteur de For the Common Good: Redirecting the Economy toward Community, the Environment, and a Sustainable Future, les trois conditions de la viabilité d’une société sont les suivantes :
(1) Les ressources renouvelables ne doivent pas être exploitées à un rythme supérieur à celui de leur renouvellement.
(2) Les ressources non renouvelables ne doivent pas être exploitées à un rythme supérieur à celui auquel des produits de substitution renouvelables et durables sont mis au point.
(3) Les taux d’émission de polluants ne doivent pas être supérieurs à la capacité d’absorption de l’environnement.
D’autres auteurs estiment que la paix, l’équité et la justice sont nécessaires à une société viable.
Donnella Meadows, auteur de Halte à la croissance ? a défini les lignes directrices suivantes pour restructurer les systèmes mondiaux dans le sens de la durabilité :
(1) Réduire l’utilisation des ressources non renouvelables.
(2) Prévenir une diminution des ressources renouvelables.
(3) Utiliser toutes les ressources avec un maximum d’eff cacité.
(4) Ralentir - et ultérieurement stopper - la croissance exponentielle de la population et du capital physique.
(5) Contrôler l’état des ressources, de l’environnement, ainsi que le bien-être des populations.
(6) Raccourcir le délai de réaction à une atteinte à l’environnement.
Selon Julian Agyeman, professeur assistant à l’Université Tufts, « la [durabilité] implique sans aucun doute la nécessité d’assurer une meilleure qualité de vie à tous, d’une manière juste et équitable, sans dépasser les limites des écosystèmes nécessaires à la vie ».
Les collectivités doivent naturellement choisir des objectifs de durabilité culturellement appropriés et localement pertinents en rapport avec leurs conditions de vie et leurs besoins actuels et futurs. À la longue, les principaux principes directeurs retenus pour le programme s’intégreront aux visions du monde locales.
Problèmes
L’EDD porte pour une large part sur les grands problè mes sociaux, économiques et environnementaux qui hypothèquent l’avenir de la planète. Beaucoup de ces problèmes clés ont été identifiés lors du Sommet Planète Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro et sont évoqués dans Action 21. L’EDD a pour objectif fondamental de les comprendre et de s’y attaquer, et ceux qui ont des incidences au niveau local devraient être pris en compte dans tout programme lié à l’éducation en vue de la durabilité.
Action 21 : Chapitres, déclaration et conventions
Section 1 - Dimensions sociales et économiques
Coopération internationale, lutte contre la pauvreté, modification des modes de consommation, dynamique démographique et durabilité, protection et promotion de la santé, modèle viable d’établissements humains, prise de décisions en faveur du développement durable.
Section 2 - Conservation et gestion des ressources
Protection de l’atmosphère, gestion durable des terres, lutte contre le déboisement, lutte contre la désertification et la sécheresse, mise en val eur durable des régions montagneuses, développement agricole et rural durable, préservation de la diversité biologique, gestion des biotechnologies, protection et gestion des océans, protection et gestion des ressources en eau douce, gestion écologiquement rationnelle des produits chimiques toxiques, gestion des déchets dangereux, gestion des déchets solides et des eaux usées, gestion des déchets radioactifs.
Section 3 - Renforcement du rôle des principaux groupes
Participation des femmes au développement durable, rôle des enfants et des jeunes, populations autochtones, partenariats avec les ONG, collectivités loca les, travailleurs et syndicats, commerce et industrie, communauté scientifique et technique, renforcement du rôle des agriculteurs.
Section 4 - Moyens d’exécution
Financement du développement durable ; Transfert de technologies ; Science au service du développement durable ; Éducation, sensibilisation et formation ; Création des capacités nécessaires au développement durable ; Organisation en vue du dév eloppement durable, droit international ; Information en vue de la prise de décisions.
Les 40 chapitres d’Action 21 sont complétés par la Déclaration de Rio et les conventions et déclarations de principes suivantes : Principes de gestion des forêts, Convention-cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques, Convention sur la diversité biologique, Convention sur la lutte contre la désertification.
Bien qu’Action 21 définisse clairement un grand nombre des problèmes auxquels les gouvernements du monde entier ont décidé de s’attaquer, d’autres ont également été abordés sans pouvoir faire l’objet d’un accord ou plan d’action international formel. De plus, des questions importantes pour mieux faire comprendre le concept de durabilité (par exemple, la mondialisation) continuent de se poser après la Conférence de Rio de Janeiro. Ces questions additionnelles, absentes d’Action 21, sont abordées dans les cadre des débats internationaux sur la durabilité, et concernent notamment la guerre et le militarisme, la gouvernance, la discrimination et le nationalisme, les sources d’énergie renouvelables, les multinationales, les réfugiés, le désarmement nucléaire, les droits de l’homme, et l’influence des médias sur l’évolution rapide des conceptions du monde. Ces questions ont un rapport avec la réorientation de l’éducation en vue de la durabilité et devraient être retenues le cas échéant. La prise en compte des problèmes locaux aidera à trouver des solutions novatrices et renforcera la volonté politique nécessaire à cette fin.
Le dernier cadre important pour l’éducation en vue de la durabilité est celui des grandes conférences des Nations Unies qui se sont tenues dans les années 90 et depuis le début du nouveau millénaire, et qui nous ont aidés à mieux comprendre le développement durable. Les principales réunions auxquelles ces questions ont été examinées sont la Conférence sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro, 1992), la Conférence mondiale des Nations Unies sur le développement durable des petits États insulaires en développement (Barbade, 1993), la Conférence internationale sur la population et le développement (Le Caire, 1994), le Sommet mondial pour le développement social (Copenhague, 1995), la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (Beijing, 1996), la deuxième Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Istanbul, 1996) et le Sommet mondial de l’alimentation (Rome, 1996). Chacune de ces conférences a permis de mieux comprendre les problèmes qui causent tant de souffrances et menacent la viabilité de la planète. Elle a également formulé une série de demandes relatives à la sensibilisation et à la compréhension du public, et identifié les responsabilités de chacun et les changements de comportements qui contribueraient à la solution de chaque problème.
Les communautés créant des programmes d’EDD ne peuvent pas enseigner toutes les questions liées à Action 21, aux déclarations de principes et aux conventions, ainsi qu’à ces grandes conférences des Nations Unies car cela exigerait un effort tout à fait démesuré. Elles devraient cependant sélectionner un petit nombre de questions dans chacun des trois domaines, à savoir l’environnement, l’économie et la société. Les questions retenues devraient être en rapport avec la situation locale. Un pays enclavé pourrait par exemple étudier le développement durable des zones montagneuses sans s’intéresser à la protection et à la gestion des océans, ou en n’y accordant que peu d’attention. Certaines questions, comme le rôle des femmes dans le développement durable ou la lutte contre la pauvreté, sont d’actualité dans tous les pays.
Cadre d’enseignement ou d’analyse des problèmes environnementaux*
Les enseignants devraient disposer des moyens voulus pour aider les élèves à identifier les aspects complexes de problèmes et y réfléchi r dans l’optique de nombreuses parties prenantes. Les élèves des grandes classes et les étudiants des universités doivent acquérir les compétences voulues pour analyser les problèmes ainsi que les solutions proposées pour les résoudre, comprendre les valeurs sous-jacentes aux positions opposées qu’elles suscitent, et analyser les différends découlant de ces problèmes et les solutions proposées. La série suivante de 13 questions a pour but d’analyser un problème environnemental qui se pose aussi bien à une communauté locale qu’à un pays situé à l’autre bout du monde.
1. Quelles sont les principales causes historiques et actuelles (c’est-à-dire physiques/biotiques, sociales/culturelles ou économiques) du problème ?
2. Quelles sont l’échelle et la réparti tion géographiques du problème, et à quand celui-ci remonte-t-il ?
3. Quels en sont les principaux risques et conséquences pour l’environnement ?
4. Quels en sont les principaux risques et conséquences pour les systèmes humains ?
5. Quelles en sont les incidences économiques ?
6. Quelles sont les principales solutions actuellement mises en oeuvre ou proposées ?
7. Quels sont les obstacles à ces solutions ?
8. Quelles sont les principales valeurs so ciales (par exemple économiques, écologiques, politiques ou esthétiques) mises en jeu ou en danger par ces solutions ?
9. Quel(s) groupe(s) de gens serai(en)t affecté(s) par ces solutions ou en supporterai(en)t les coûts ?
10. Quel est le statut politique du problème et des solutions envisageables ?
11. Quel est le rapport entre ce problème et les autres problèmes environnementaux ?
Les deux questions suivantes aident les gens à intégrer les connaissances dans la vie quotidienne.
12. En quoi pouvez-vous changer votre vie quotidienne pour atténuer le problème ?
13. En dehors de changements dans votre vie quotidienne, que pouvez-vous faire d’autre face à ce problème ?
* Ce cadre d’enseignement, d’étude et d’analyse des problèmes environnementaux a été établi à l’intention des étudiants des univers ités nord-américaines à la suite de recherches effectuées par Rosalyn McKeown et Roger Dendinger.
Compétences
Pour être efficace, l’EDD ne doit pas être un simple enseignement concernant ces problèmes mondiaux. Elle doit donner aux gens des compétences pratiques qui leur permettent de continuer à apprendre après avoir quitté l’école, à avoir des sources de subsistance viables et à mener leur vie en respectant le principe de durabilité. Ces compétences varieront d’une communauté à l’autre. La liste suivante indique les types de compétences dont auront besoin les élèves à l’âge adulte. Il est à noter que ces compétences se répartissent entre les trois aspects - environnemental, économique et social - du développement durable.
• L’aptitude à communiquer efficacement (aussi bien oralement que par écrit).
• L’aptitude à réfléchir à des systèmes (en sciences naturelles comme en sciences sociales).
• L’aptitude à s’inscrire dans la durée - prévoir, anticiper et planifier.
• L’aptitude à une réflexion critique sur les questions de valeurs.
• L’aptitude à faire la distinction entre les notions de nombre, de quantité, de qualité et de valeur.
• La capacité de passer de la sensibilisation au savoir et à l’action.
• L’aptitude à collaborer avec les autres.
• La capacité d’utiliser les processus suivants : connaître, se renseigner, agir, juger, imaginer, établir un rapport, apprécier et choisir.
• La capacité d’envisager l’environnement sous l’angle esthétique (McClaren, 1989).
Les élèves devront acquérir des compétences qui les aideront à gérer l’environnement et à interagir avec lui. Ces compétences adaptées au contexte local pourront consister notamment à apprendre à :
• préparer des matériels à des fins de recyclage ;
• récolter des plantes sauvages sans compromettre leur régénération naturelle et leur production à l’avenir ;
• cultiver des variétés de coton nécessitant peu d’eau ;
• utiliser des sources d’eau non polluées.
Perspectives
L’EDD offre des persp ectives importantes pour comprendre les problèmes aussi bien globaux que locaux dans un contexte mondial. Chaque problème a un passé et un futur. En examiner les causes et prévoir différents scénarios possibles pour l’avenir fait partie de l’EDD, de même que comprendre que beaucoup de problèmes mondiaux sont liés entre eux. Par exemple, la surconsommation de produits comme le papier entraîne un déboisement qui semble avoir un rapport avec le changement climatique mondial.
L’aptitude à considérer une question du point de vue de différentes parties prenantes est un élément essentiel de l’EDD. Envisager un problème d’un autre point de vue que le sien contribue à une meilleure compréhension aux niveaux national et international, ce qui est essentiel pour créer le climat psychologique propice à la coopération sur laquelle reposera un développement durable.
Les perspectives associées à l’EDD sont notamment les suivantes. Les élèves comprennent que :
• les problèmes sociaux et environnementaux évoluent avec le temps et ont une histoire et un avenir ;
• les problèmes environnementaux mondiaux d’aujourd’hui sont liés entre eux ;
• les êtres humains ont des traits universels (par exemple, ils aiment leurs enfants) ;
• il est nécessaire de considérer sa communauté mais aussi de porter son regard au-delà des frontières locales et nationales pour comprendre les problèmes locaux dans un contexte mondial ;
• il est nécessaire de considérer des points de vue divergents pour parvenir à une décision ou à un jugement ;
• les valeurs économiques, religieuses et sociétales rivalisent d’importance à mesure que des gens aux intérêts et aux antécédents différents interagissent ;
• la technologie et la science ne peuvent résoudre à elles seules tous nos problèmes ;
• les individus sont des citoyens du monde et pas seulement les membres d’une communauté locale ;
• les décisions et autres actions des consommateurs individuels ont des effets sur l’extraction des ressources et la production manufacturière dans des lieux éloignés ;
• pour le bien-être à long terme de la communauté et de la planète, il faut appliquer le principe de précaution en prenant des mesures pour éviter le risque d’effets graves ou irréversibles sur l’environnement ou la société, même lorsque les connaissances scientifiques sont incomplètes ou incertaines.
Enseignées à une génération d’élèves, ces perspectives s’intégreront à la vision du monde des communautés locales.
Valeurs
Les valeurs font également partie intégrante d e l’EDD. Da ns certaines cultures, elles sont enseignées ouvertement à l’école mais si ce n’est pas le cas dans d’autres cultures, elles sont présentées comme modèles, expliquées, analysées ou discutées. Dans les deux cas, la compréhension des valeurs constitue un aspect essentiel de la compréhension de notre vision du monde et des points de vue des autres. La compréhension de ses propres valeurs, de celles de la société dans laquelle on vit et des autres peuples du monde constitue un élément capital de l’éducation en vue d’un avenir viable. Deux techniques courantes - la clarification et l’analyse des valeurs - sont utiles pour cet aspect de l’EDD.
En matière d’EDD, les valeurs ont des rôles différents dans le programme d’enseignement. Dans le cas de certaines actions d’EDD, les élèves adoptent certaines valeurs parce qu’elles leur ont été directement enseignées ou présentées comme des valeurs acceptées. Dans d’autres cultures, en étudiant le rapport entre la société et l’environnement, les élèves finissent par adopter des valeurs découlant de leurs études. Dans les cultures qui encouragent l’esprit d’investigation, les élèves sont incités à faire preuve de curiosité et à pratiquer la mise en question. Dans les sociétés démocratiques, ils adhèrent à des valeurs communes axées sur les concepts de processus démocratique, de participation collective à la prise de décision, de bénévolat et de justice sociale. Chacune de ces approches contribue à la réalisation de l’objectif global de durabilité.
La justice sociale est un autre domaine d’étude où les valeurs entrent en jeu. Considérée comme un élément central de l’EDD dans la plupart des pays, elle inclut la satisfaction des besoins humains fondamentaux et le souci des droits, de la dignité et du bien-être de tous, et également le respect des traditions et des religions des autres sociétés et des autres cultures, et elle encourage l’empathie à l’égard des conditions de vie des autres peuples. La durabilité écologique et la conservation des ressources sont considérées comme faisant partie de la justice sociale. La préservation et la conservation de la base de ressources empêchent d’autres personnes de vivre dans le dénuement. Les préoccupations de justice sociale liées à la préservation des ressources (telles que les combustibles fossiles et les forêts naturelles, sans oublier la diversité des espèces) s’étendent aux générations futures, ce qui s’appelle l’équité entre les générations.
Les valeurs enseignées à l’école doivent refléter celles, de plus grande portée, de la société dont fait partie l’école. Le cas échéant, on peut demander leur avis aux membres de la collectivité. Tout un ensemble de valeurs influencées par les traditions locales, les populations autochtones et les groupes ethniques, les immigrants, les religions, les médias et la culture populaire sera ainsi révélé, inventorié et envisagé par rapport à l’EDD et dans le cadre de celle-ci. De plus, les responsables des programmes décideront si de nouvelles valeurs propres à aider les communautés à réaliser leurs objectifs de durabilité devront être incluses dans le programme.
La Charte de la Terre
La Charte de la Terre représente une synthèse de valeurs, principes et aspirations universellement reconnus et partagés par un nombre croissant de femmes, d’hommes et d’organisations à travers le monde. Elle a été établie dans le cadre de la mission inachevée du Sommet Planète Terre, et est l’aboutissement de consultations internationales menées depuis de nombreuses années. La Charte de la Terre est actuellement diffusée auprès de particuliers et d’organisations dans tous les secteurs de la société à travers le monde, et elle dit notamment ceci :
« Nous reconnaissons la nécessité urgente d’une vision commune des valeurs fondamentales qui fournira la base de prin cipes éthiques pour la communauté mondiale émergente. Par conséquent, dans un esprit de solidarité, nous affirmons les principes interdépendants suivants, qui visent un mode de vie durable comme norme universelle et selon lesquels seront guidés et évalués les comportements des personnes, des organisations, des entreprises commerciales, des gouvernements et des institutions transnationales. »
I. Respect et protection de la communauté de la vie
1. Respecter la Terre et toute forme de vie.
2. Prendre soin de la communauté de la vie avec compréhension, compassion et amour.
3. Bâtir des sociétés justes, participatives, durables et pacifiques.
4. Préserver la richesse et la beauté de la Terre pour les générations présentes et futures.
II. Intégrité écologique
5. Protéger et rétablir l’intégrit é des systèmes écologiques de la Terre, en particulier la diversité biologique et les processus naturels qui assurent le maintien de la vie.
6. Empêcher tout dommage causé à l’environnement comme meilleure méthode pour le préserver et appliquer le principe de précaution là où les connaissances sont insuffisantes.
7. Adopter des modes de production, de consommation et de reproduction qui préservent les capacités régénératrices de la Terre, les droits de l’homme et le bien-être commun.
8. Faire progresser l’étude de l’écologie durable et promouvoir le libre échangement et l’application élargie des connaissances acquises.
III. Justice sociale et économique
9. Éradiquer la pauvreté en tant qu’impératif éthique, social et environnemental.
10. S’assurer que les activités économiques et le s institutions à tous les niveaux favorisent le développement humain de manière juste et durable.
11. Affirmer l’égalité et l’équité des genres comme condition préalable au développement durable et assurer l’accès universel à l’éducation, aux soins de santé et aux possibilités économiques.
12. Défendre le droit de tous les êtres humains, sans discrimination, à un environnement naturel et social favorisant la dignité humaine, la santé physique et le bien-être spirituel, en portant une attention particulière aux peuples autochtones et aux minorités.
IV. Démocratie, non-violence et paix
13. Renforcer les institutions démocratiques à tous les niveaux et promouvoir une gouvernance qui obéisse aux principes de transparence et de justiciabilité, ainsi que la participation de tous à la prise de décision, et l’accès à la justice.
14. Intégrer au système d’éducation et à la formation continue les connaissances, les valeurs et les compétences nécessaires à un mode de vie durable.
15. Traiter tous les êtres vivants avec respect et considération.
16. Promouvoir une culture de tolérance, de non-violence et de paix.
IV. PROCESSUS D’ADAPTATION DE L’INITIATIVE GLOBALE AU NIVEAU LOCAL
Bien qu’à la session de 1998, de nombreux délégués à la Commission du développement durable des Nations Unies (CDD) aient reconnu unanimement que l’EDD était indispensable au développement durable, ils ont été incapables de définir les moyens à mettre en œuvre à cette fin. Il est difficile de passer des concepts généraux de l’EDD à des programmes adaptés au contexte local. Un grand nombre de décisions et d’hypothèses relatives à l’avenir et d’études sur les cultures locales s’imposent. Pour élaborer des programmes d’EDD, il faudra connaître le présent et prévoir l’avenir. Les programmes d’EDD qui en résulteront seront sans doute plus ou moins bien ciblés, mais le coût de l’inaction serait prohibitif. Il est donc impératif de créer un programme d’EDD, même imparfaitement ciblé.
Pour créer un programme d’EDD, les responsables de l’éducation devront identifier les connaissances, les questions, les perspectives, les compétences et les valeurs qui jouent un rôle crucial dans le développement durable dans chacun de ses trois éléments constitutifs, à savoir l’environnement, l’économie et la société. La Figure 1 donne un exemple des choix que peut faire une communauté, mais les programmes d’EDD peuvent combiner de bien des façons des connaissances, des problèmes, des compétences, des perspectives et des valeurs. Le programme devrait être conçu en fonction de la situation et des besoins d’une communauté donnée.
Environnement Économie Société
Connaissances* Cycle hydrologique Offre et demande Différend
Problèmes Protection et gestion des ressources en eau douce ; gestion des déchets dangereux
Compétences Aptitude à acquérir, gérer et analyser des données
Perspectives Liens/relations mutuelles entre les problèmes environnementaux mondiaux d’aujourd’hui
Lutte contre la pauvreté Modification des modes de consommation
Aptitude à identifier des éléments comptabilités par la méthode du prix de revient complet
Vision non limitée aux frontières locales et nationales
Valeurs Valeur écologique des terres vierges Valeur d’un moyen de subsistance durable
Capacité de réflexion critique sur les questions de valeurs
Traits universels de l’être humain
Concurrence entre les valeurs religieuses et sociétales
* L’intégration des connaissances dans les trois domaines est importante pour montrer les interactions et les impacts humains et environnementaux.
Modèle fondé sur des points forts
Le coût de l a réorientation de l’éducation en fonction de l’impératif de durabilité est tel que les pays ne peuvent se permettre de faire appel à un modèle de rattrapage pour assurer le recyclage des 59 millions d’enseignants que compte la planète. Au lieu de se concentrer essentiellement sur le recyclage des enseignants en cours d’emploi pour qu’ils enseignent les principes de la durabilité, il faut envisager de nouvelles modalités de formation des enseignants avant et en cours d’emploi face à l’impératif de durabilité. Le « modèle fondé sur les points forts » constitue l’une de ces approches novatrices, et permet à chaque discipline et à chaque enseignant de contribuer à l’éducation en vue de la durabilité.
De nombreuses questions inhérentes à l’EDD font déjà partie du programme d’éducation formelle, mais ces questions ne sont pas identifiées, ni considérées comme contribuant au concept plus vaste de durabilité. Il est indispensable d’identifier et de reconnaître les éléments constitutifs de l’EDD pour pouvoir aller de l’avant, ce qui est heureusement facile et peu coûteux.
Pour appliquer le modèle fondé sur les points forts, il faut tout d’abord s’assurer que les éducateurs et les administrateurs comprennent le concept de durabilité et en connaissent les principes. Les enseignants dans chaque discipline peuvent alors examiner le curriculum et les activités des écoles pour en identifier les éléments qui contribuent à l’EDD. Ils peuvent ensuite recenser les éventuels domaines du curriculum en vigueur dans lesquels il convient d’inclure des exemples de durabilité, ou bien des connaissances, problèmes, points de vue, compétences ou valeurs supplémentaires en rapport avec celle-ci.
Après avoir recensé les contributions actuelles et potentielles, les responsables peuvent sensibiliser la communauté des enseignants à l’intérêt que celles-ci peuvent présenter dans le contexte plus vaste de l’EDD. Ces contributions peuvent ensuite être harmonisées pour créer des programmes d’EDD destinés spécifiquement aux él èves et aux étudiants. Suivant cette approche, l’effet de synergie de l’enseignement simultané d’un ensemble de disciplines permet de transmettre les connaissances, les thèmes, les compétences, les perceptions et les valeurs liées à l’EDD.
Aucune discipline ne peut ni ne doit prétendre avoir le monopole de l’EDD. Celle-ci soulève en fait des problèmes si vastes et d’une telle portée qu’elle nécessite l’apport de nombreuses disciplines. Examinons par exemple la contribution des disciplines suivantes à l’EDD :
• Les mathématiques aident les élèves à se familiariser avec de très petits nombres (de l’ordre du centième, du millième ou du millionième d’unité), ce qui leur permet d’interpréter les données relatives à la pollution.
• La maîtrise du langage, en particulier dans le domaine des médias, permet de former des consommateurs éclairés capables d’analyser les messages des publicitaires et de ne pas être dupes d’arguments écologiques spécieux.
• L’histoire enseigne le concept de changement planétaire tout en aidant les élèves à prendre conscience du fait que ce changement est en cours depuis des siècles.
• La lecture permet de mieux distinguer les faits des opinions et aide les élèves à porter un regard critique sur la littérature liée à une campagne politique.
• Les études sociales aident les élèves à comprendre l’ethnocentrisme, le racisme et l’inégalité entre les sexes, de même qu’à reconnaître les formes que prennent ces fléaux dans la communauté au sein de laquelle ils vivent, ainsi que dans les différents pays du monde.
Chaque discipline a également ses techniques pédagogiques qui, alliées aux stratégies qui lui sont propres, aident à envisager dans une optique plus large les moyens à mettre en œuvre pour dispenser un enseignement encourageant la créativité, la réflexion critique et le désir d’apprendre tout au long de sa vie, qui sont autant d’attitudes mentales essentielles à des sociétés viables.
Les contributions des responsables de l’enseignement des questions d’environnement et des disciplines scientifiques à la dimension env ironnementale de l’EDD sont bien documentées, mais ses dimensions économique et sociale n’ont pas fait l’objet d’une attention comparable. Les efforts déployés au niveau de l’école pour créer des sociétés plus justes, plus pacifiques et plus équitables laissent à penser que la dimension sociale de l’EDD est très présente dans un grand nombre de pays. En fait, les écoles qui ont des programmes d’éducation multiculturelle, antiraciste, préconisant l’égalité des sexes, la paix et la lutte contre les brimades apportent une contribution sensible à cette dimension.
L’utilisation de ce modèle fondé sur des points forts exige qu’une équipe d’éducateurs et d’administrateurs suffisamment au fait des concepts transdisciplinaires inhérents à l’EDD rassemblent les divers éléments disciplinaires et pédagogiques pour former un programme EDD complet. Le processus d’intégration empêchera les om issions et les doubles emplois. Pour former une génération d’éducateurs et d’administrateurs qui l’ait bien assimilé, le modèle fondé sur les points forts doit être utilisé par les instituts de formation des maîtres et enseigné officiellement aux professionnels avant emploi.
L’EDD, concept évolutif
Pour réorienter l’éduca tion dans le sens de la durabilité, il est important que les éducateurs n’enferment pas la définition, le contenu, la portée et la méthodologie de l’EDD dans un cadre temporel statique. Il est tentant d’utiliser Action 21 pour définir les programmes d’EDD, mais le débat global sur la durabilité et la compréhension de ce concept ont fortement progressé depuis le Sommet Planète Terre de 1992. Les efforts déployés en matière d’éducation doivent refléter cet état de choses, de même que son caractère évolutif.
Bien qu’Action 21 identifie clairement les problèm es critiques auxquels les gouvernements du monde entier doivent s’attaquer, le concept de durabilité continue à évoluer avec les sociétés elles-mêmes, de même que notre conscience et notre perception de la Terre, de l’humanité et des interactions entre l’homme et l’environnement. Des changements subtils tels qu’un changement d’orientation ou de priorité auront naturellement un caractère régional et refléteront la situation des cultures et écosystèmes locaux. Du fait de l’évolution des questions de durabilité, les responsables de l’éducation en vue de la durabilité devraient en adapt er continuellement le contenu, la portée et la méthodologie aux différents contextes géographiques et temporels. Cette adaptation constante exigera que les éducateurs fassent preuve de flexibilité lorsqu’ils collaborent à des projets locaux et internationaux. Des définitions et des pratiques d’une efficacité remarquable à un endroit donné peuvent se révéler inefficaces ou inadaptées ailleurs.
V. PROBLÈMES ET OBSTACLES À L’EDD
Bien que de nombreux pays du mo nde entier aient reconnu la nécessité de l’éducation en vue de la durabilité, les progrès réalisés à quelque niveau que ce soit sont limités. Cet état de choses a de nombreuses raisons. Les progrès sont freinés tantôt par l’absence de vision ou d’action de sensibilisation, tantôt par l’absence de politique ou le manque de fonds. Selon Charles Hopkins, qui s’est entretenu avec de nombreux responsables de l’éducation (ministres de l’éducation, professeurs d’université, enseignants et élèves de tous niveaux), douze problèmes majeurs ont freiné les progrès de l’EDD durant les années 90 et depuis le début du nouveau millénaire. En s’efforçant de lever ces graves obstacles au stade de la planification, les gouvernements peuvent empêcher ou réduire les reta rds ou le dévoiement des efforts d’EDD et
contribuer en dernière analyse à la réalisation de l’objectif de durabilité. Les autorités à tous les niveaux doivent s’attaquer, en plus de ces problèmes d’ordre général, à des problèmes liés au contexte local (et concernant par exemple la qualité des rapports entre les administrateurs d’école et les syndicats d’enseignants).
Problème 1 - Nécessité d’un effort accru de sensibilisation à l’EDD
Au moment de lancer u n programme d’EDD, il faut tout d’abord faire prendre conscience à tous les responsables de l’éducation et au public de l’importance capitale d’une réorientation de l’éducation dans le sens de la durabilité. Si les officiels ou les administrateurs des secteurs scolaires ne sont pas conscients du rapport de l’éducation avec le développement durable, cette réorientation ne pourra pas être opérée. Lorsque les gens se rendent compte que l’éducation peut faciliter la mise en oeuvre des politiques nationales, des programmes régionaux de gestion des terres et des ressources et des programmes locaux, cette réorientation est possible. Cet effort de sensibilisation constitue la première phase essentielle du processus.
Au niveau international, l’EDD est heureusement reconnue comme importante et comme une condition essentielle du succès du développement durable dans le monde. À la sixième réunion de la Commission du développement durable des Nations Unies, des délégations de pays du monde entier ont insisté à maintes reprises sur son importance pour atteindre les objectifs de durabilité. Elles étaient manifestement prêtes à passer aux étapes suivantes, mais l’importance de l’EDD doit être reconnue non seulement par les délégations, mais aussi par les responsables de l’éducation et par le grand public.
L’intensification de l’action de la sensibilisation doit s’accompagner d’efforts pour faire ressortir les liens existant entre l’éducation et des sociétés plus viables (par exemple, les taux de natalité baissent et la qualité de vie de la famille s’améliore lorsque le taux d’alphabétisme des femmes augmente).
Dans une large mesure, la perception d’un besoin suscite un changement dans les systèmes éducatifs. Malheureusement, la nécessité d’assurer le développement durable n’est pas considérée aujourd’hui comme suffisamment impérieuse pour susciter une réponse à grande échelle de la part de tous ceux qui s’occupent d’éducation. Si les responsables de la gouvernance à tous les niveaux souhaitent que des progrès soient réalisés, une prise de conscience et une participation active du secteur de l’éducation sont impératives.
Réponse à une crise de l’éducation
La « course à l’espace » est à l’origine de la profonde réforme de l’enseignement des sciences et des mathématiques qui a eu lieu à la fin des années 50 et 60 aux États-Unis. Le gouvernement fédéral était déterminé à former les scientifiques et les ingénieurs nécessaires au lancement d’un programme d’exploration spatiale efficace. La National Science Foundation, les organisations professionnelles et les éditeurs de manuels ont investi des millions de dollars pour remanier les manuels existants et en élaborer et publier de nouveaux, former les enseignants et équiper les laboratoires scolaires. La réforme a atteint son objectif, qui était d’améliorer l’enseignement des sciences et des mathématiques et de former les scientifiques et les ingénieurs nécessaires au programme spatial et à une société technique.
Problème 2 - Structuration et mise en place de l’EDD dans le curriculum
Chaque pays est conf ronté à une décision fondamentale lorsqu’il s’agit de définir une stratégie d’EDD. Il doit choisir un modus operandi : soit créer une discipline additionnelle (par exemple le développement durable, l’éducation en matière d’environnement ou de population), soit réorienter l’ensemble des programmes et des pratiques d’éducation dans le sens du développement durable. Les pays doivent également décider clairement si leurs éducateurs sont censés dispenser un enseignement sur le développem ent durable ou bien modifier les objectifs et
les méthodes d’éducation en vue du développement durable. La réponse à cette question influera profondément sur la ligne de conduite adoptée par chaque pays.
En réalité, l’éducation relative au développement durable sera dispensée à la fois à grande échelle et en profondeur. Ici, l’EDD restera lettre morte et là, elle sera à peine présente. Dans certaines communautés, un cours entièrement nouveau sera consacré à l’EDD et dans d’autres, c’est l’ensemble du programme qui sera réorienté dans le sens de la durabilité. Les communautés doivent être conscientes des limites de l’EDD. Dispenser un enseignement sur le développement durable, c’est comme enseigner la théorie sur laquelle repose un concept abstrait, ou bien faire apprendre par cœur les principes de la durabilité. Sous ses formes concrètes et efficaces, l’EDD offre aux élèves les compétences, les perspectives, les valeurs et les connaissances que nécessite un mode de vie durable au sein de leur communauté. En même temps, une véritable éducation n’est ni un endoctrinement, ni un lavage de cerveau.
C’est avec l’expérience que l’on saura quel niveau approprié d’EDD permettra aux communautés d’atteindre leurs objectifs de durabilité. Une communauté peut par exemple inscrire au programme quelques thèmes relatifs à la durabilité, pour découvrir ensuite que cela ne lui permet pas de réaliser son objectif de durabilité. Lorsque la responsabilité de l’EDD incombe entièrement à l’école, il faudra probablement procéder à une réorientation complète du curriculum à tous les niveaux. Dans les communautés où l’on fait appel à la fois à l’éducation informelle, à l’éducation non formelle et à l’éducation formelle pour créer un programme intégré d’EDD à l’intention de personnes de tous âges, une approche plus souple dans le cadre du système d’éducation formelle pourrait être efficace. Des problèmes se poseront au fur et à mesure de l’élaboration et de la mise en œuvre des programmes. Les défauts et les pratiques discutables devront être corrigés au cours du processus d’élaboration et de maturation de l’EDD.
Problème 3 - Liens avec les problèmes existants : Réforme de l’éducation et viabilité économique
L’efficacité des systèmes éducatif s du monde fait déjà l’objet d’un débat animé dans le contexte de l’évolution des besoins de la société. Le fait qu’à l’heure actuelle la nécessité d’une réforme de l’éducation soit largement reconnue peut aider à faire progresser l’EDD. Si elle peut être liée à une ou plusieurs des priorités de la réforme de l’éducation, l’EDD peut avoir de bonnes chance de succès, mais si ses promoteurs tentent de surajouter un autre problème à un système déjà saturé, ces chances sont minces
La sécurité économique constitue actuellement une préoccupation globale qui pourrait faire avancer la réforme de l’éducation dans un grand nombre de pays. Les ministères de l’éducation et du commerce du monde entier posent la question suivante : quels changements permettront à mon pays de disposer d’une main-d’œuvre propre à assurer sa viabilité économique dans le cadre de l’économie en pleine évolution du nouveau millénaire ?
Une action susceptible de renforcer le potentiel économique de pays entiers consiste à éduquer les filles et les femmes. Au cours de la dernière décennie, les dirigeants de certains pays ont reconnu qu’il était important de former l’ensemble de la main-d’œuvre, tant féminine que masculine, pour assurer la viabilité de l’économie nationale. De plus, selon Lawrence Summer, de la Banque mondiale,”Une fois que tous les bénéfices ont été identifiés, il est parfaitement concevable de constater qu’investir dans l’« éducation » apparaît comme étant la formule d’investissement la plus rentable dans les pays en développement » (King et Hill, 1993, p. vii). En conséquence, certains pays lèvent les obstacles à la scolarisation des filles et lancent des campagnes dynamiques en ce sens.
De plus, il est difficile d’organiser l’éducation en fonction de la situation économique de demain car la prospective en matière économique et technologique n’a rien d’une science exacte et elle ne propose que des réponses aléatoires.
Pour être couronnée de succès, l’EDD devra s’inscrire dans la dynamique de la réforme de l’éducation. Les champions de l’EDD doivent identifier et illustrer par des exemples les liens existant entre les principes de durabilité et la prospérité économique à long terme de chaque pays. Si l’on parvient à la rattacher au mouvement de réforme de l’éducation actuellement en cours dans le monde entier, l’éducation en vue de la durabilité sera portée par cette dynamique. En revanche, s’ils ne saisissent pas cette opportunité, les champions de l’EDD devront tenter de l’introduire dans le curriculum et de convaincre les enseignants de faire une place aux principes, aux connaissances, aux problèmes, aux compétences, aux valeurs et aux perspectives liés à l’EDD. En agissant en liaison avec le mouvement de réforme, on peut faire bénéficier chaque écolier de l’EDD tandis qu’en introduisant celle-ci dans le curriculum, on dépendra du bon vouloir de chaque enseignant, auquel cas d’énormes lacunes et d’éventuels doubles emplois sont à craindre.
La Commission internationale sur l’éducation pour le XXIe siècle, présidée par Jacques Delors, a remis à l’UNESCO son rapport intitulé L’éducation : un trésor est caché dedans. Ce rapport recommande vivement que toute réforme soit conduite dans l’esprit du développement durable et conformément à ses principes fondamentaux, et demande que l’on procède à une véritable réorientation de l’éducation en vue d’atteindre l’objectif de durabilité. En conséquence, l’EDD et les objectifs de durabilité ont une place légitime dans tous les changements susceptibles de découler des réformes de l’éducation entreprises au niveau régional.
Problème 4 - Faire face à la complexité du concept de développement durable
Le développement durable est u n concept complexe et évolutif. Un grand nombre d’universitaires et de praticiens on passé des années à tenter de le définir et à réfléchir aux moyens de le mettre en œuvre aux niveaux national et lo cal. Du fait qu’il est difficile à définir et à mettre en pratique, le développement durable est également diff cile à enseigner, et réorienter un système éducatif tout entier par rapport à l’objectif de durabilité constitue une tâche encore plus ardue.
En examinant les campagnes nationales d’éducation efficaces, nous constatons souvent qu’elles transmettent des messages simples, nous encourageant par exemple à vacciner nos enfants et à faire bouillir l’eau, ou tentant de nous dissuader de conduire en état d’ivresse et de nous droguer. Ce sont là des concepts simples, en comparaison de l’ensemble complexe de problèmes environnementaux, économiques et sociaux que met en jeu le développement durable. L’EDD mettra beaucoup plus de temps à porter ses fruits que des campagnes d’éducation du public axées sur un seul message, et elle sera plus coûteuse.
Campagnes nationales d’éducation
En examinant les campagnes nationales d’éducation efficaces, nous constatons souvent que leurs messages sont simples. Par exemple, l’éducation en matière de SIDA se concentre sur la prévention. Le message est que, « l’on peut empêcher la propagation du VIH en prenant certaines précautions ». Pour transmettre ce message, les gouvernements, les organisations sans but lucratif et les écoles dépensent des millions de dollars. Le message sur la prévention du SIDA est on ne peut plus simple. Le SIDA se propage néanmoins dans beaucoup de pays, non pas parce que les programmes d’éducation sont inefficaces, mais parce qu’il s’agit d’un problème complexe.
Loin d’être claire, simple et univoque, l’EDD met en jeu des concepts complexes, ce qui tient aux interactions subtiles et compliquées entre les systèmes naturels et humains. Le problème consiste, pour les éducateurs, à élaborer des messages qui reflètent cette complexité sans déboussoler les élèves ni leur donner le sentiment que ces questions les dépassent.
Problème 5 - Élaborer un programme d’EDD avec la participation de la communauté
L’absence d’objectifs clairs constitue peut-être le principal obstacle à la réorientation des systèmes éducatifs du monde. En bref, ceux qui sont appelés à dispenser un enseignement
différent (par exemple, les 59 millions d’enseignants, d’instructeurs agricoles ou de spécialistes de la formation au traitement des eaux) finiront par se demander, « En quoi dois-je agir différemment ? » « Que devrais-je faire ou dire maintenant que je n’aie pas déjà fait ou dit ? ». Ces simples questions laissent la plupart des « experts » désemparés, et celui qui les a posées sans réponse satisfaisante.
L’éducation en vue du développement durable reste une énigme pour un grand nombre de gouvernements et d’établissements scolaires. Les gouvernements, les ministères de l’éducation, les secteurs scolaires et les éducateurs se sont déclarés prêts à adopter des programmes d’EDD, mais il n’existe pas actuellement de modèles fonctionnels efficaces. Sans modèles à adapter et adopter, les gouvernements et les écoles doivent s’employer à définir en quoi consiste l’éducation en vue de la durabilité par rapport au contexte local. C’est là une tâche exigeante. Elle suppose un processus de participation publique dans lequel tous les membres d’une communauté réfléchissent de façon approfondie aux connaissances, aux capacités et aux valeurs qu’ils souhaitent voir leurs enfants acquérir à l’issue d’une scolarité de type traditionnel. Il faut pour cela que la collectivité s’efforce de prévoir quelle sera la situation environnementale, économique et sociale à court et long terme.
Les processus de participation publique suivant lesquels les parties prenantes examinent les besoins et les aspirations d’une communauté et identifient les éléments essentiels de l’éducation de base et de l’enseignement secondaire peuvent être adaptés et mis en œuvre au sein de communautés très diverses. Demander l’avis des parents et des professionnels pour déterminer l’éducation de leurs enfants sera une idée totalement nouvelle dans certaines cultures. Bien que la consultation de la communauté et d’autres formes de participation publique puissent être des instruments efficaces, ils devront être adoptés progressivement et dans le respect des traditions et cultures locales lorsqu’ils n’ont pas été utilisés dans le passé. Si précieux soit-il, le processus de consultation de la communauté n’est pas sans défauts. Il peut par exemple être dominé par une minorité organisée, instruite et déterminée, auquel cas ceux qui n’ont qu’un faible niveau d’instruction formelle risquent de ne pas être capables de participer ou de contribuer au processus, et la vision du monde et le vécu de certaines personnes risquent de les empêcher de percevoir les changements qui intéresseront toutes les régions du monde au cours des décennies à venir, et de s’y adapter. En pareils cas, la façon dont les résultats du processus sont utilisés prend de l’importance. Il existe toutes sortes d’attitudes vis-à-vis des résultats, consistant aussi bien à s’empresser d’appliquer les résultats d’un processus biaisé qu’à les ignorer totalement. La capacité d’interprétation et les compétences politiques et interpersonnelles de l’équipe chargée de l’exécution jouent un rôle clé à cet égard.
L’EDD implique par définition la mise en oeuvre de programmes adaptés aux conditions et à la culture locales. Au même titre que tout programme de développement durable, les programmes d’EDD doivent prendre en compte le contexte environnemental, économique et sociétal local. Chaque région doit donc élaborer son propre programme d’EDD. Il est impossible de créer un programme international, voire même national dans bien des cas, qui soit adapté à toutes les communautés.
Les ministères de l’éducation et les secteurs scolaires devraient se rendre compte que l’élaboration de programmes d’EDD adaptés au contexte local sera facilitée par la mise en place de processus de participation publique permettant aux communautés de définir les principaux principes sous-tendant leurs propres programmes. Plutôt que de passer du temps à rechercher des modèles de curriculum à adapter, il vaudrait mieux consacrer son énergie et ses ressources à l’élaboration de processus qui permettent à des communautés différant par la taille et les traditions de définir leurs propres programmes d’EDD.
Problème 6 - Inscrire les disciplines traditionnelles dans un cadre transdisciplinaire
L’EDD est par nature globale et int erdisciplinaire, et elle dépend des concepts et des outils analytiques des diverses disciplines. L’EDD est de ce fait difficile à mettre en œuvre dans un cadre
scolaire traditionnel, dans lequel l’enseignement est compartimenté et dispensé dans le cadre de différentes disciplines. Dans les pays où des programmes nationaux décrivent en détail le contenu et l’ordonnancement de l’enseignement de chaque di scipline, l’EDD sera difficile à mettre en œuvre, mais là où le contenu est décrit en termes généraux, le processus sera plus facile, bien qu’il exige des enseignants créatifs qu’ils soient prêts et aptes à dispenser un enseignement interdisciplinaire.
Problème 7 - Partager les responsabilités
Selon un m ythe tenace, l’information de la société relève du seul ministère de l’éducation mais en réalité, les ministères de l’environnement, du commerce, de l’intérieur et de la santé sont eux aussi concernés par l’EDD, de même que par le développement durable. En faisant appel simultanément à l’expertise, aux ressources et aux crédits de plusieurs ministères, on a davantage de chances de parvenir à mettre en place un programme d’éducation efficace et de haute qualité.
Chaque secteur de l’administration concerné par le développement durable (à savoir chaque ministère et département) peut jouer un rôle dans l’EDD et le processus de réorientation de l’éducation. À la réunion de la Commission du développement durable des Nations Unies, les ministères de l’environnement ont montré la voie en déclarant que l’éducation, la sensibilisation et la formation constituaient des instruments essentiels pour assurer un développement durable. Les ministères de l’environnement doivent collaborer avec les secteurs de l’éducation, tant formelle que non formelle, pour mettre l’EDD en oeuvre. De plus, il est absolument indispensable que les enseignants soient associés au processus de recherche d’un consensus au sujet de l’EDD.
Problème 8 - Renforcer les capacités humaines
La réussite du processus de réo rientation de l’éducation nécessitera des responsables intègres et comptables de leurs actes, ainsi que des compétences aussi bien dans le domaine d’un changement systémique de l’éducation que dans celui du développement durable. Nous devons élaborer des stratégies réalistes pour former des responsables compétents et capables. Les pays ne peuvent raisonnablement pas assurer le recyclage de 59 millions d’enseignants et de milliers d’administrateurs dans le domaine de l’EDD ou celui de la réforme de l’éducation, ou dans ces deux domaines à la fois. Nous devons trouver des moyens de faire appel aux compétences existantes, par exemple en utilisant le modèle fondé sur les points forts.
Il existe actuellement deux modèles de mise en valeur des ressources humaines, à savoir la formation sur le tas et la formation avant em ploi. Dans le premier cas, des professionnels chevronnés reçoivent une formation complément aire. Ils remanient ensuite les programmes existants en faisant appel à leurs connaissances nouvelles, à leur expertise antérieure, à leur compréhension des systèmes nationaux et locaux et à leur réseau de contacts. Dans le cas de la formation avant emploi, des concepts, des princi pes et des méthodologies sont transmis au stade de la formation initiale. Les nouveaux professionnels prennent alors leurs fonctions en ayant déjà des compétences en matière d’EDD. Le rapport coût-efficacité de la formation avant emploi est supérieur à celui du recyclage des éducateurs et des administrateurs en cours de carrière. Le succès initial de l’EDD exige une formation à la fois en cours d’emploi et avant emploi.
Il existe un réservoir de main-d’œuvre considérable dans les secteurs de l’éducation et de l’administration. Des éducateurs compétents, en particulier dans les domaines de l’environnement, de la population et du développement, dispensent déjà certains aspects de l’EDD et pourraient facilement inclure dans leur domaine de compétence d’autres concepts de développement durable. Heureusement, chaque éducateur dans chaque discipline a déjà quelque point fort susceptible de contribuer à l’EDD suivant le modèle fondé sur les points forts. Selon cette approche, les effets de synergie dus à l’enseignement simultané de plusieurs disciplines peuvent permettre la transmission des connaissances, des questions, des compétences, des perceptions et des valeurs liées à l’EDD. L’utilisation de ce modèle fondé sur les points forts exige toutefois qu’une personne suffisamment au fait de l’EDD fasse la synthèse qui s’impose et donne un
tableau complet des rôles que doivent jouer respectivement les individus, les communautés et les nations dans un monde viable.
La citation suivante de Gro Harlem Brundtland souligne l’importance des enseignants dans le processus de réorientation de l’EDD.
« Toutefois, notre message [le développement durable] s’adresse avant tout aux personnes dont le bien-être est l’objectif ultime de toutes les politiques d’environnement et de développement, et en particulier aux jeunes. Les enseignants du monde entier auront un rôle crucial, celui de leur transmettre le présent rapport. »
Avant-propos, Notre avenir à tous, 1987.
Bien que l’effort initial puisse être centré sur les enseignants déjà en exercice dans le monde entier, il est clair que les écoles normales doivent réorienter leurs programmes de formation d’enseignants avant emploi pour y inclure l’EDD. Ces programmes doivent former des professionnels chargés non seulement d’enseigner les thèmes de la durabilité, mais aussi de faire simultanément appel aux diverses disciplines qui donneront à leurs élèves une compréhension et une vue d’ensemble d’un avenir viable et du rôle que doivent jouer les individus, les communautés et les nations dans un monde viable. Le développement de ce réservoir de personnel qualifié déterminera dans une large mesure le rythme auquel les pays commenceront à évoluer dans le sens de la durabilité.
Les établissements de formation des maîtres sont idéalement placés pour jouer un rôle clé dans la réforme de l’éducation, et les formateurs des enseignants sont les principaux agents du changement. Ils forment de nouveaux enseignants, assurent le perfectionnement de ceux qui enseignent déjà, consultent les écoles locales et donnent des conseils spécialisés aux ministères de l’éducation régionaux et nationaux. Non seulement les formateurs des enseignants établissent le programme de formation des enseignants avant emploi, mais en outre, ils participent aux travaux des commissions qui fixent des normes dans ce domaine et le programme officiel obligatoire d’enseignement primaire et secondaire. Du fait de l’influence considérable qu’ils exercent ainsi sur la conception et la mise en œuvre des programmes et politiques, ces formateurs peuvent susciter dans le monde une réforme de l’éducation de grande envergure, allant même audelà de la formation des enseignants. Il s’agit de savoir qui collaborera avec les formateurs des enseignants pour les perfectionner.
Pour contribuer à la mise en oeuvre de l’EDD au plan mondial, nous avons besoin de programmes de coopération internationale destinés aux administrateurs, aux auteurs de programmes, aux formateurs d’enseignants et aux professeurs principaux. Ces programmes devraient permettre de maximiser la base de connaissances et les points forts qui sont déjà ceux de la réserve de main-d’œuvre, et d’en tirer le meilleur parti possible.
Modèle de programme de formation en cours d’emploi
Il existe heu reusement d’excellents modèles de coopération internationale pour la formation de spécialistes dans de nouveaux domaines d’expertise. Il existe en Asie du Sud-Est un excellent projet qui a pour but de former des formateurs d’enseignants à l’EDD. Il s’agit du projet d’Apprentissage en vue d’un environnement durable : Innovations dans la formation des enseignants (LSE :ITE). Des formateurs d’enseignants de 29 pays collaborent avec le Centre AsiePacif que d’innovation éducative en vue du développement, organisme de l’UNESCO installé à Bangkok (Thaïlande), et l’Université Griff th de Brisbane (Australie). Le projet LSE :ITE poursuit deux objectifs, tout d’abord fournir un modèle pour assurer un perfectionnement professionnel efficace aux formateurs d’enseignants de l’ensemble de la région Asie-Paci f que et les aider à acquérir les connaissances, les compétences et les valeurs que nécessite l’éducation concernant l’environnement et le développement durable. Il vise ensuite à fournir des éléments soigneusement testés et culturellement sensibles, susceptibles d’être utilisés pour des activités de
perfectionnement professionnel et l’élaboration de programmes par des formateurs d’enseignants, en Asie du Sud-Est et dans d’autres parties du monde.
Dans le cadre du projet LSE :ITE, on a créé et appuyé un réseau international de formateurs d’enseignants dans toute la région. Les participants ont ainsi mis au point 10 modules pour ateliers destinés à la formation des enseignants. Les participants bénévoles ont engagé un processus international de création de matériels à l’aide de méthodes novatrices, faisant des échanges avec leurs collègues, adaptant ces matériels à différents contextes culturels et procédant à leur évaluation, à leur mise à l’essai et à leur perfectionnement. C’est ainsi qu’une formatrice d’enseignants qui a rédigé un module dans son domaine de compétence a pu le faire examiner par les membres d’un réseau de 70 collègues dans 20 pays. Ces collègues ont, à partir de leurs propres perspectives sociétales, examiné le module et formulé des commentaires à son sujet en suggérant les ajustements à y apporter. Le module a ensuite été perfectionné et transmis à un public plus large dans neuf pays supplémentaires, où il a été examiné, adapté à d’autres contextes culturels, et mis à l’essai sur le terrain dans ce contexte international plus large. Les commentaires formulés et les résultats des essais sur le terrain ont servi à perfectionner encore davantage le module et à le rendre utile dans un grand nombr e de pays. Les modules et les études de cas d’accompagnement ont été publiés et diffusés par l’intermédiaire d’un centre d’information et seront prochainement disponibles sur l’Internet. Les modules sont actuellement utilisés dans le cadre des programmes de formation d’enseignants aussi bien avant emploi qu’en cours d’emploi dans toute la région Asie-Paci f que et ont servi de cadre à des ateliers nationaux de formation des formateurs d’enseignants dans plusieurs pays.
Problème 9 - Mobiliser des ressources matérielles et financières
L’un des aspects le plu s coûteux de la mise en oeuvre de l’EDD consistera peut-être à assurer une éducation de base appropriée. Les objectifs fondamentaux, qui ont été fixés à Jomtiem et réaffirmés à Dakar, consistent notamment à éduquer davantage d’enfants et à porter à six ans la durée moyenne minimum de la scolarisation universelle. Pour atteindre ces objectifs, il faudra recruter beaucoup plus d’enseignants. Il faudra les former et assurer un recyclage à ceux qui sont en activité, afin de réorienter leur enseignement dans le sens de la durabilité.
Il est réconfortant de constater que beaucoup de pays consacrent un pourcentage accru de leur produit national brut (PNB) à l’éducation. Les deux tiers des 123 pays cités dans le Rapport mondial 2000 de l’UNESCO sur l’éducation qui ont fait connaître leurs dépenses publiques d’éducation en pourcentage de leur PNB en 1990 et en 1996 ont déclaré que ces dépenses avaient augmenté en 1996 par rapport à 1990. Bien que les gouvernements aient considéré que le financement de l’éducation était prioritaire, dans quelle proportion ce financement sert-il à réorienter l’éducation en fonction de l’impératif de durabilité ? Comme nous l’avons signalé dans la section intitulée : « Promesse et paradoxe de l’éducation », un effort accru d’éducation ne suffit pas à réduire la menace que la forte consommation de ressources fait peser sur l’avenir de la planète.
L’une des raisons pour lesquelles de nombreux experts ont le sentiment que l’EDD n’a guère progressé depuis le Sommet « Planète Terre » de 1992 est que l’on n’a consacré que des ressources financières limitées à la réorientation de l’éducation dans le sens de l’objectif de durabilité. En fait, en dehors de l’amélioration de l’éducation de base, les gouvernements nationaux et locaux ont peu dépensé pour l’EDD, qui nécessite cependant des financements au niveau tant national que local pour être efficace. Au niveau national, les fonds doivent financer les programmes, l’administration et la formation des enseignants et au niveau local, le développement des programmes et des matériels connexes ainsi que la formation des enseignants.
La réorientation de l’éducation en fonction de l’impératif de durabilité nécessitera de nouvelles ressources financières. L’un des principaux problèmes que pose l’EDD tient au fait que le modèle actuel d’éducation doit être maintenu le temps que le nouveau cursus soit conçu et mis en place. En réalité, les éducateurs ont déjà tant à faire - préparer leur cours, enseigner chaque
jour, évaluer les progrès réalisés et remplir des bulletins scolaires - qu’ils ont peu de temps et d’énergie à consacrer à l’étude et à la création d’un nouveau curriculum. On ne peut pas charger les enseignants de deux tâches différentes - concevoir le programme et enseigner - durant la phase de transition. Les enseignants actuellement en activité devraient naturellement jouer un rôle consultatif, mais on ne devrait pas leur confier à eux seuls les principales tâches de conception car leur emploi du temps est déjà surchargé. Il convient de fournir des fonds et des moyens accrus durant la phase de démarrage, car les gouvernements ne peuvent attendre des administrations et des éducateurs locaux qu’ils fournissent bénévolement des services en nature pour exécuter cette tâche importante.
Les programmes appropriés aux conditions et à la culture locales et les autres matériels pédagogiques varient souvent dans un même pays. Par exemple, le Chili s’étend sur plusieurs milliers de kilomètres du nord au sud. Dans le désert d’Atacama, au nord du pays, les préoccupations environnementales portent sur l’océan et la faune et la flore marines alors que dans les régions du sud au climat humide et tempéré, elles portent sur les forêts. Du fait de la longueur des distances et de la diversité géographique, une série de programmes régionaux fondés sur un modèle commun serait mieux appropriée qu’un programme national unique. Une telle diversité (écologique, économique et sociétale) dans un même pays est fréquente, et des programmes régionaux et locaux pourraient être utiles à de nombreux pays qui connaissent une diversité comparable.
De plus, de nombreux pays procèdent à l’éval uation de nouvelles technologies éducatives (par exemple l’enseignement à distance, l’informatique, l’Internet et la télévision) et de stratégies relatives à leur mise en place. L’EDD fait déjà appel à un grand nombre de ces technologies. Par exemple, de nombreuses sources gratuites de données environnementales sont disponibles sur le Web, de même que d’autres ressources pédagogiques comme des plans de leçon. Les gouvernements et les secteurs scolaires investissant dans ces technologies amortiront leurs dépenses en ayant accès à des informations et autres éléments gratuits sur l’EDD.
Financement de nouveaux programmes éducatifs
L’EDD constitue une action transdisciplina ire. Ce type d’action est connu pour être coûteux (ce qui est le cas par exemple des techniques modernes d’enseignement). Pour équiper les salles de classe en ordinateurs avec accès à l’Internet, les autorités nationales, provinciales et locales ont dû effectuer des investissements considérables. C’est ainsi que dans les années 80, le Gouverneur du Tennessee a décidé que chaque salle de classe de son État serait équipée d’un ordinateur. Il savait que dans de nombreuses zones rurales, la collectivité s’opposerait à ce que l’on consacre des dépenses importantes aux te chniques éducatives et dans certaines zones pauvres, les écoles n’avaient les moyens d’acheter ni le matériel, ni le logiciel. Plutôt que d’attendre que les divers secteurs scolaires accordent le rang de priorité et le financement voulus à la technologie, les autorités du Tennessee ont pris en charge le coût d’un ordinateur par classe. Dans les années 90, elles ont également financé le raccordement de chaque école à l’Internet, car elles ont compris combien il était important que tous les élèves puissent consulter, gérer et utiliser des informations fournies par le Web.
Problème 10 - Élaborer une politique
Pour être efficace et co ntribuer à l’élaboration d’une politique, l’EDD doit être résolument soutenue par les autorités nationales ou régionales. C’est l’absence d’une telle impulsion qui est à l’origine de l’échec, dans les années 70, des efforts déployés au niveau mondial pour inscrire l’éducation en matière d’environnement aux programme s d’enseignement primaire et secondaire. L’initiative en faveur de l’EDD pourrait connaître le même sort. En vérité, le succès d’une réforme de l’éducation quelle qu’elle soit dépend d’efforts émanant du sommet aussi bien que de la base. Les hauts fonctionnaires des ministères sont en mesure d’élaborer les politiques qui permettront d’engager la réforme. Ensemble, les administrateurs, les enseignants et les notables doivent interpréter la politique pour l’adapter au contexte local.
Problème 11 - Créer un climat propice à la création, à l’innovation et à la prise de risque
Pour susciter les gran ds changements qu’exige l’EDD, nous devons créer un climat de sécurité. Les décideurs, les administrateurs et les enseignants devront apporter des changements, faire des expériences et prendre des risques pour atteindre les nouveaux objectifs fixés en matière d’éducation et de durabilité. Ils devront avoir l’aval et le soutien des responsables de l’éducation pour mettre fin au statu quo. Les enseignants devront avoir le sentiment d’être soutenus par l’administration si des parents ou des groupes d’intérêt contestent ou critiquent leurs initiatives. Nous devons élaborer et mettre en œuvre une politique pour faire en sorte que les administrateurs et les éducateurs de tous niveaux aient le droit d’introduire des méthodes pédagogiques et des sujets nouveaux ou prêtant à controverse. Certains risquent naturellement de faire du zèle et il conviendrait donc de mettre en place un système de freins et de contre-mesures dans le cadre des règles déontologiques et conformément au contexte culturel.
Problème 12 - Populariser la notion de durabilité
Le problème le plus dé licat que po se la mise en œuvre de l’EDD est peut-être celui de sa popularité. Bien que de nombreux pays en aient reconnu l’importance, les thèmes relatifs à la durabilité ont peu d’échos dans la culture populaire et les politiques gouvernementales. Par exemple, l’un des principes du développement dur able est que les ressources renouvelables ne devraient pas être exploitées à un rythme supérieur à celui auquel elles se renouvellent. De nombreuses sociétés ont cependant adopté - ou sont en train de le faire - une « culture du jetable ». Nous utilisons constamment, dans la vie quotidienne, des bouteilles ou des canettes de boisson, des emballages alimentaires, des assiettes et des couverts que nous jetons après une seule utilisation et qui sont ensuite enfouis dans le sol, incinérés ou rejetés dans l’eau. Dans cette culture du gaspillage, on utilise des ressources comme les arbres et les combustibles fossiles à un rythme supérieur à celui de leur renouvellement.
Du fait que les principes du développement durable ne sont pas intégrés actuellement à la vie et à la politique gouvernementale, l’émergence de l’EDD pourrait devenir le puissant moteur d’un développement durable impulsé par la base et fondé sur la communauté. L’EDD pourrait façonner et encourager des comportements et une éthique propres à former des citoyens informés et compétents ayant la volonté politique d’œuvrer pour un avenir meilleur.
Brève remarque sur les 12 problèmes
En résumé, pour mettre en œuvre l’EDD avec succè s, les gouvernements et les secteurs scolaires doivent prévoir et mettre au point des stratégies pour résoudre les 12 problèmes cités plus haut. Ces problèmes devraient être abordés à chaque niveau, en particulier au niveau national, pour assurer une mise en oeuvre cohérente de l’EDD dans les divers pays. Une délibération et une planification sérieuses sur ces problèmes ainsi que sur ceux qui sont propres à chaque région augmenteront les chances d’exécuter pleinement les programmes d’EDD et de réorienter le curriculum de manière à atteindre l’objectif de durabilité.
VI. ADAPTATION DE L’EDD AUX OBJECTIFS DE DURABILITÉ DE LA COMMUNAUTÉ
Le Kit pédagogique pour l’EDD part du principe que les communautés et leurs systèmes éducatifs doivent harmoniser leurs efforts dans le sens de la durabilité. En créant le Kit pédagogique pour l’EDD, nous savions que pour que cet objectif puisse être atteint, les responsables de l’éducation devraient apporter leur concours. À mesure que les communautés fixent des objectifs de durabilité, les système éducatifs peuvent créer des programmes ou modifier les curricula existants pour affirmer ces objectifs.
L’histoire de la gestion et de la conservation des ressources naturelles nous montre l’efficacité de programmes éducatifs. Par exemple, lorsque des barrages ont été construits dans la
vallée du Tennessee, les pratiques agricoles en vigueur allaient provoquer une érosion et par conséquent une sédimentation dans les cours d’eau qui risquait de bloquer les réservoirs situés derrière les barrages et d’en réduire ainsi la durée de vie et l’utilité. Une action éducative énergique par le biais du service de vulgarisation agricole et des efforts de reboisement ont réduit considérablement l’érosion et allongé la durée de vie des barrages. On a enregistré des succès comparables dans le domaine de la santé publique avec des programmes de vaccination et des mesures préventives qui ont permis d’empêcher la propagation de maladies. Ces succès prouvent l’utilité de l’éducation pour atteindre des objectifs de durabilité.
En mettant au point des exercices pour réorienter le curriculum en fonction de l’impératif de durabilité, nous nous sommes fait à maintes reprises la réflexion que nous devions disposer, pour la conduite de nos activités, d’une liste des objectifs de la communauté en matière de durabilité. À l’issue de nos recherches, il nous est apparu que beaucoup de communautés n’avaient pas d’objectifs de ce genre, ni de plans d’action sur lesquels fonder la réforme de l’éducation. Sans la liste évoquée plus haut, le programme nouvellement réorienté ne défendrait que des principes généraux de durabilité et il ne serait donc pas satisfaisant comme programme censé soutenir les efforts de la communauté locale dans le sens de la durabilité. Pour concevoir, réorienter ou mettre en œuvre un programme d’EDD, les communautés doivent fixer des objectifs de durabilité.
VII. ÉTUDE DE CAS : RÉVISION ET RÉORIENTATION DU PROGRAMME DU CONSEIL DE L’ÉDUCATION DE TORONTO
par Charles A. HopkinsEn 1993, la province canadienne de l’Ontario a chargé les commissions scolaires locales de créer un curriculum axé sur l’obtention de résultats concrets. La première phase consistait à mettre au point un nouveau programme à l’intention des élèves de maternelle (âgés de 4 ans) jusqu’à ceux de neuvième classe (âgés de 15 ans). Les autorités provinciales ont donné des lignes directrices, mais chaque communauté était censée mettre au point un curriculum adapté au contexte local pour atteindre les objectifs fixés au niveau de la province. Il s’agissait de consulter la communauté, de définir une nouvelle vision d’une éducation appropriée au XXIe siècle, d’examiner le programme en vigueur, puis de rejeter, réorienter ou reconstruire en fonction des besoins. Des changements de grande envergure étaient à l’ordre du jour.
Sachant que le curriculum devait être profondément remanié, l’administration du Conseil de l’éducation de Toronto a procédé à une consultation à grande échelle de la communauté. L’Administration a formé pour cela 200 personnes appelées à diriger des groupes de discussion. Tout enseignant pouvait se porter volontaire pour être animateur d’un groupe de discussion. Les candidats ont collaboré avec le personnel à la mise au point des techniques et procédés d’animation à utiliser dans le cadre de la consultation. Des avis ont été envoyés aux trois principaux quotidiens ainsi qu’aux journaux de Toronto à caractère ethnique, au nombre de plus de 70. On s’est efforcé de contacter le secteur des entreprises, et des intervenants du monde des affaires ont été invités à s’adresser à des groupes communautaires dans le cadre des consultations. Toutes les écoles ont mis les parents au courant du processus de consultation et la plupart d’entre elles ont organisé leurs propres réunions publiques.
De plus, trois séances de consultation ont eu lieu dans différents quartiers de la ville. Les intervenants ont été invités à y consacrer la journée entière plutôt que de faire une déclaration et de s’en aller tout de suite après. Le thème de cette réflexion d’une journée a été une simple question :
« Quelles connaissances, quel savoir-faire et quelles valeurs les élèves doivent-ils avoir acquis à l’issue de leur scolarité ? »
Cette question simple et directe a été posée dans toutes les couches de la société de Toronto, depuis les chefs d’entreprise jusqu’aux élèves eux-mêmes.
Au début des trois séances d’une journée, quatre orateurs principaux représentant des grandes entreprises, la communauté artistique, les petites entreprises et les travailleurs indépendants de Toronto ainsi que le monde du travail ont donné leur réponse à la question et justifié la perspective qui était la leur. On a fait appel à un groupe différent de quatre orateurs pour chacune des trois séances à l’échelle de la ville, et les 12 exposés ont fait l’objet d’un enregistrement vidéo qui a été envoyé à chaque école pour être utilisé dans le cadre des discussions au niveau communautaire. Les commentaires formulés ont été instructifs pour les parents parce qu’il est apparu que dans bien des cas, les idées reçues sur les besoins de ces secteurs ne correspondaient plus à aucune réalité. Par exemple, le représentant du secteur des grandes entreprises a soutenu qu’il ne fallait pas mettre uniquement l’accent sur les mathématiques, les sciences et la technologie pour répondre aux besoins de l’industrie canadienne. Il a signalé qu’en raison du manque de capitaux d’investissement au Canada, toute entreprise dynamique finissait par être rachetée par une entreprise étrangère et par quitter le pays. Il a déclaré que pour préserver la prospérité du Canada, il fallait enseigner les matières littéraires et artistiques parallèlement aux mathématiques, aux sciences et à la technologie afin de stimuler la créativité qui serait nécessaire pour permettre au pays de se relever de la perte de son industrie. Le représentant du monde du trava il a émis l’hypothèse qu’au XXIe siècle, beaucoup de gens seraient appelés à travailler à temps partiel, à effectuer des tâches prosaïques dans le secteur des services. Il a évoqué la nécessité d’un apprentissage continu et multiforme, incluant notamment les arts, l’éducation des enfants et des compétences sociales extraprofessionnelles.
Après près de six mois de consultation, plus de 7 000 parents, élèves, membres du personnel et simples particuliers avaient participé aux travaux des groupes de discussion, aux réunions d’école et aux séances d’information publiques visant à déterminer comment l’éducation devrait faire face aux exigences d’un monde en pleine évolution. De plus, beaucoup d’autres personnes ont communiqué leurs réflexions par écrit. Les innombrables commentaires suscités par la consultation ont été enregistrés, informatisés et analysés par le Département de la recherche du Conseil de l’éducation de Toronto.
Pour répondre à la question : quelles connaissances, quel savoir-faire et quelles valeurs les élèves doivent-ils avoir acquis au sortir de l’école ?, le Conseil avait fait un retour sur le passé pour réexaminer les questions fondamentales que les gens ne cessent de se poser sur l’éducation en général, et telle ou telle discipline en particulier. Il a examiné les défis et les opportunités du monde dans lequel les enfants sont appelés à grandir et à vivre, un monde qui offre non seulement de grandes possibilités de progrès en ce qui concerne la qualité de la vie, la connaissance, le respect mutuel et une coopération pacifique, mais aussi un monde mis à rude épreuve par le changement technologique et social, en proie aux conflits, à l’injustice et aux inégalités, et confronté à la diminution des ressources naturelles et aux menaces qui pèsent sur celles-ci.
L’analyse des commentaires des participants a révélé que six acquis majeurs étaient attendus de l’éducation, et le programme a ensuite été établi en conséquence. Malgré les graves problèmes à affronter, l’éducation que les parents et la communauté voulaient pour leurs enfants n’avait, à bien des égards, rien de révolutionnaire ni même de surprenant. Les six acquis voulus à l’issue de l’apprentissage étaient les suivants : alphabétisme, sens esthétique et créativité, capacité de communication et de collaboration, gestion de l’information, sens civique, compétences, valeurs et aptitude à l’action dans la vie personnelle. Ils diffèrent de la plupart des objectifs classiques assignés aux programmes scolaires par leur caractère plus général et le fait qu’ils se rapportent plus étroitement aux nécessités de la vie et à son organisation qu’aux impératifs et aux structures de la scolarité. Ils correspondent véritablement à la vision de la communauté (la population de Toronto est reconnue par les Nations Unies comme la plus diverse du monde du point de vue culturel).
Bien que la notion de « durabilité » n’ait pas été mise en avant, elle s’est dégagée d’ellemême comme un impératif essentiel au cours de la consultation. Lorsque l’on considère les descriptions en une ou deux phrases des six acquis scolaires, on constate que l’essence de la durabilité coïncide avec les vœux exprimés par l’ensemble de la communauté ainsi que par les parents, les élèves et les éducateurs.
Alphabétisme
Nos élèves acquerront des connaissances et des compétences dans toutes les disciplines du programme, notamment en matière de questionnement, d’investigation, de réflexion critique, de règlement des problèmes et de prise de décisions. Ils seront ultérieurement en mesure d’appliquer ce qu’ils auront appris à leurs études, au travail, à leurs loisirs, dans leur vie quotidienne et à leur formation continue.
Sens esthétique et créativité
Nos élèves seront sensibles à l’aspect esthétique du monde naturel et humain, inventeront des modes de réflexion flexibles et novateurs et participeront à l’activité et l’expression créatrices.
Capacité de communication et de collaboration
Nos élèves s’exprimeront clairement, écouteront les autres attentivement et communiqueront efficacement en utilisant diverses technologies. Ils collaboreront avec les autres pour parvenir à une compréhension mutuelle d’objectifs communs.
Gestion de l’information
Nos élèves seront capables de donner un sens à leur vie en puisant dans les innombrables informations disponibles dans le monde.
Ils identifieront des besoins, mèneront des recherches et chercheront des solutions en recourant à diverses sources, stratégies et technologies. Ils évalueront et appliqueront leurs constatations de façon à prendre des décisions avisées et à agir de façon responsable.
Sens civique
Nos élèves apprécieront la diversité des peuples, des cultures et des écosystèmes de la planète.
Ils comprendront les principes d’équité, de justice, de paix et de processus démocratique et s’emploieront activement à les promouvoir, de même que la protection de l’environnement dans leur propre communauté, au Canada et dans le monde.
Compétences, valeurs et aptitudes à l’action dans la vie personnelle
Nos élèves prendront soin de leur santé physique, affective et spirituelle et de celle des autres. Ils mèneront une vie saine, porteuse d’espoir et de sens et entretiendront des relations positives avec les autres. Ils posséderont des compétences de base et de bonnes habitudes de travail, géreront bien le stress et le changement et prendront des décisions avisées contribuant à assurer un avenir viable (au plan aussi bien personnel que collectif).
Ces six acquis attendus de l’éducation englobent les connaissances, les compétences, les valeurs et les perspectives relatives aux aspects environnementaux, sociaux et économiques de la problématique de la durabilité. C’est la collectivité qui a manifesté le désir d’introduire dans le programme l’essence du développement durable.
L’identification des acquis s’est faite entre septembre et mars, et c’est en fonction des nouveaux acquis ainsi définis que l’on est passé au stade suivant, à savoir le réexamen du programme en vigueur. Chaque coordinateur pour une matière a organisé un processus de réflexion auquel ont participé des consultants, des chefs de service et tous les enseignants intéressés. Ceux-ci ont examiné l’apport effectif et potentiel de leur discipline. Le processus d’examen, de révision et de réorientation a commencé aussitôt. Dès juin, le travail de révision était bien avancé et durant les vacances d’été de juillet et août, des équipes constituées des meilleurs enseignants de Toronto ont établi le premier projet de programme devant être expérimenté dans les écoles en septembre.
L’essence de la réforme de Toronto est que le programme n’est plus axé exclusivement sur les grandes matières traditionnelles - langues, mathématiques, histoire, etc. Compte tenu de ce que la communauté juge désormais nécessaire que les élèves sachent et sachent faire, ces disciplines ont fait l’objet d’une révision majeure. Les mathématiques, par exemple, comprennent maintenant l’aptitude à appréhender les nombres extrêmement grands et extrêmement petits (de l’ordre du millionième ou du milliardième d’unité), qui est indispensable pour être bien informé des choses de l’environnement et capable de comprendre les facteurs de risque relatif dans la vie personnelle ou professionnelle. L’enseignement en matière sanitaire comprend maintenant des questions comme le cancer, les allergies et les additifs des denrées alimentaires, mais aussi le « consumérisme ».
UNESCO, 1997, p. 30.
Chaque aspect du programme en place au début du processus de consultation a été réaffirmé, réorienté ou modifié. Les principes de la durabilité ont été progressivement assimilés à mesure que les acquis étaient examinés matière par matière et classe par classe.
Il est également apparu que le programme portait non seulement sur le contenu de l’enseignement, mais aussi sur la façon dont ce dernier était dispensé. Les pratiques du Conseil ont été réexaminées. Celui-ci a par exemple examiné ses propres politiques d’achat pour s’assurer que les lignes directrices et les pratiques coïncidaient avec ces acquis. Les pratiques de gestion de l’énergie, de l’eau et des déchets ont été modifiées, et les problèmes sociaux concernant l’équité et le racisme ont été abordés. La vision du monde des parents immigrés a ainsi été reconnue et respectée.
Il ne suffit pas de concevoir un nouveau programme pour être assuré qu’il sera exécuté. Plusieurs actions ont été coordonnées. Les enseignants auteurs des nouveaux éléments du curriculum ont été chargés de la formation en cours d’emploi. Des équipes de hauts fonctionnaires ont rencontré le personnel des écoles pour tenter de définir des perfectionnements supplémentaires envisageables et solliciter des suggestions. Enfin, le Conseil de l’éducation de Toronto a révisé les livrets scolaires pour tenir compte des changements apportés. Là encore, les parents ont participé activement à la mise au point d’un nouveau livret scolaire. Celui-ci était très détaillé, et l’enseignement des nouveaux éléments a été essentiel pour établir les notes à attribuer dans les nouvelles matières.
Le succès de la réforme de Toronto est en grande partie imputable au fait qu’elle ne répondait pas à une volonté de modifier l’éducation en vue de buts fixés par une élite ou sous l’influence de pressions externes indues et, partant, n’a pas été perçue comme telle. L’impulsion du changement est venue de l’intérieur. Le nouveau programme n’avait rien à envier à l’ancien sur le plan de la rigueur académique, mais sa pertinence était bien plus grande par rapport à la vie hors les murs de l’école. Il apporte la preuve que l’éducation pour le développement durable est tout simplement une bonne éducation, et qu’une bonne éducation se doit d’amener les enfants à prendre conscience de l’interdépendance de la vie sur la terre (interdépendance des peuples et interdépendance des systèmes naturels) pour mieux les préparer à l’avenir.
Cette expérience a montré que la réorientation de l’éducation dans le sens de la durabilité pouvait être fondée sur les aspirations et les points forts d’une communauté. La méthode traditionnelle consistait à charger des experts de mettre au point de nouveaux outils et de considérer ensuite que les enseignants « avaient besoin » de recevoir une formation pour les utiliser. L’expérience de la Commission de Toronto a consisté à définir une vision élaborée en commun au niveau de la communauté, puis à tirer parti des points forts du personnel en poste pour atteindre les objectifs communs ainsi fixés. Il s’agit d’un exemple précoce de la méthode consistant actuellement à travailler à partir d’un « modèle fondé sur les points forts », par opposition à celle qui s’efforce de procéder à une réorientation à partir d’un « modèle fondé sur les besoins » suivant lequel on estime nécessaire de faire appel à des compétences extérieures pour pouvoir progresser au niveau local. Une certaine ai de extérieure est sûrement nécessaire, mais une fois que la communauté se met d’accord sur une vision commune, qui implique le respect de ce que le passé et le présent ont de meilleur à offrir, elle peut réaliser des progrès très spectaculaires en tirant parti de façon démocratique des points forts actuels du système éducatif.
VIII. LA RÉORIENTATION DE L’ÉDUCATION IMPLIQUE UNE GESTION DU CHANGEMENT
Le Chapitre 36 d’ Action 21 appelle à une réorientation de l’éducation en vue du développement durable. On peut y voir une tâche insurmontable exigeant une réforme à chaque niveau d’éducation, une réforme qui nécessiterait des ressources financières plus importantes que ne peuvent en fournir actuellement les budgets nationaux, mais si le modèle fondé sur les points forts est appliqué, au-delà des programme, à l’administration, les efforts des ministères, services et universités existants, etc. peuvent contribuer considérablement à la réorientation de l’éducation en fonction de l’impératif de durabilité.
Dans son ouvrage intitulé The Global Citizen, Donella Meadows parle de faire bouger les choses.
Le mode d’intervention le plus efficace dans un système consiste à en modifier les objectifs. Nul besoin de mettre tout le monde à la porte, de remplacer tout l’appareil, de dépenser davantage ou même de légiférer : il suffit de modifier les objectifs des boucles de rétro-action. C’est l’ensemble des personnes âgées, de l’appareil, des ressources financières et des lois qui commencera alors à assurer de nouvelles fonctions, à se recon f gurer, à se comporter de façon différente et à donner de nouveaux résultats.
Meadows, 1991, p. 250.
Ceux qui s’occupent d’EDD seraient bien avisés de méditer les réflexions de Meadows. Nous pourrions accomplir beaucoup plus en nous employant à modifier les objectifs institutionnels dans le sens de la durabilité.
Modifier des objectifs de façon isolée ne suffit généralement pas à assurer un changement systémique durable. Les études des systèmes de gestion montrent qu’il faut prendre simultanément un certain nombre de mesures pour passer d’une vision à une réalité durable. Bien que chaque institution ait sa manière propre de procéder à un changement, toutes partent d’un programme, d’une politique et d’une pratique. Pour que l’EDD ou toute autre innovation fasse partie intégrante d’une institution, il faut agir dans ces trois domaines de façon simultanée ou très rapprochée dans le temps.
Programmes, pratiques et politiques
Toute institution a tendance à résister au cha ngement, et l’éducation formelle ne fait pas exception à la règle. Dans les sections suivantes sur les programmes, les politiques et les pratiques, le thème de la diversité culturelle illu stre des activités possibles d’EDD. Des exemples
concrets fournis par des établissements de formation des maîtres illustrent les activités récentes d’EDD en matière de programmes, de politiques et de pratiques.
Programme
Les modifications de pr ogramme résultent de réponses locales à des problèmes ou besoins spécifiques. Les novateurs utilisent leurs compétences pour concevoir un changement programmatique au sein de leurs propres institutions face à ce besoin. D’autres entendent parler de l’innovation et l’adaptent ou en élaborent leurs propres versions en fonction des nécessités de leur contexte institutionnel. Un grand secteur scolaire urbain d’Amérique du Nord souhaitait par exemple avoir un personnel plus diversifié d’un point de vue culturel pour que les élèves voient leurs groupes ethniques représentés parmi leurs enseignants. Le secteur scolaire a pour cela collaboré avec une université pour modifier les conditions d’admission, ce qui a permis de diversifier l’origine ethnique des candidats au programme de formation d’enseignants-stagiaires. Les élèves admis dans le cadre de ce programme ont reçu des conseils et une aide supplémentaires pour avoir davantage de chances de succès dans leurs études. Ce programme en faveur de la diversité culturelle du personnel enseignant a été mis en oeuvre dans une université et les professeurs ont signalé qu’il avait été couronné de succès lors de conférences et dans les médias. La nouvelle de l’efficacité du programme face à ce problème majeur s’est répandue. D’autres établissements ont mis au point des programmes poursuivant un objectif similaire, tout en comportant des éléments différents adaptés à leurs besoins ou à ceux des secteurs scolaires locaux. En l’espace de quelques années, la composition ethnique du personnel enseignant des écoles locales a commencé à changer.
Exemple de programme novateur
Intégrer l’EDD dans l’enseignement de la littérature caraïbe, École normale de Mico, Jamaïque Lorna Down, Chef du Département des langues
Malgré les difficultés rencontrées, l’intégration de l’éducation en vue du dév eloppement durable dans l’enseignement de la littérature caraïbe a été une expérience stimulante et enrichissante aussi bien pour les élèves que pour les enseignants,.
Le sujet
Cours de deux semestres (90 heures) sur la littérature caraïbe. Les textes étudiés étaient Wide Sargasso Sea de Jean Rhys, et An Echo in the Bone de Dennis Scott.
Les élèves
Il s’agissait d’élèves de pre mière année de l’Institut de formation des maîtres de Mico, spécialisés en anglais.
Le programme
J’ai commencé par donner aux élèves une idée générale de l’éducation en vue du développement durable en faisant appel à la documentation de l’UNESCO. J’ai mis l’accent sur la qualité de la vie humaine dans le cadre des relations les plus diverses, en abordant plus spécifiquement avec les élèves les thèmes de la violence, des rapports de force, des droits de la femme, du racisme et de la violence.
J’ai abordé pour la premières fois ces thèmes en faisant participer les élèves à un projet intitulé Panorama des relations humaines. Des groupes d’élèves étaient invités à faire, sur un des thèmes, un collage d’images, de titres et d’articles qu’ils présentaient, avec quelques commentaires, au reste de la classe.
J’ai demandé aux élèves non seulement d’étudier les textes sous l’angle littéraire, mais aussi de réfléchir au degré de violence élevé à la Jamaïque. Cela a commencé par la présentation d’un extrait d’une revue, suivie d’une discussion sur la violence. L’opération s’est révélée extrêmement utile et a provoqué une sorte de catharsis en montrant comment nous étions tous affectés par la violence sous une forme ou sous
une autre. Les élèves ont parlé ouvertement de leurs craintes, de leurs ob sessions et de leurs plans face à la violence.
Pour aider les élèves à faire face à ces craintes, préoccupations, etc., je leur ai demandé d’examiner des réponses à la violence qui ne soient pas violentes, plus précisément les Initiatives pour la paix, après quoi une conférence sur le règlement des différends a été organisée. L’orateur invité était un praticien de ce domaine et il a indiqué aux élèves des moyens concrets de faire face à un différend.
Politique
La politique constitue un plan global comprenant les objectifs généraux et les procédures acceptables d’un organisme gouvernemental ou d’un groupe doté d’autorité. C’est le stade auquel on passe une fois qu’il a été établi que des pratiques novatrices justifiaient le temps, l’énergie et les divers moyens engagés. Lorsqu’il est de plus en plus reconnu qu’un programme novateur permet de réaliser des objectifs éducatifs ou politiques, les responsables commencent à envisager de le développer, ce qui implique l’élaboration d’une politique. Celle-ci est la « bénédiction » de la haute administration, qui s’accompagne de la mise en place d’une infrastructure institutionnelle. Une fois que l’innovation se concrétise en une politique, les initiateurs du changement s’estiment justifiés dans leur action et ceux qui sont restés en dehors doivent s’y associer ou bien être prêts à expliquer les raisons de leur inaction. Tous les enseignants et les administrateurs étant appelés à avoir affaire à une politique de l’éducation au cours de leur carrière, il est important qu’à l’issue de leur formation ils aient une assez bonne idée de la façon dont cette politique est élaborée et de ses raisons. Les éducateurs seront ainsi éventuelle ment en mesure d’apporter à leurs systèmes scolaires un changement compatible avec l’EDD.
La politique n’est pas en elle-même synonyme de changement. Témoin depuis des années du changement de politique découlant des élections et du changement qui en résulte au niveau de l’administration, le public sait que, souvent, elle ne modifie ni les programmes ni les pratiques, en particulier sans le financement ou l’accord de ceux qui sont censés la mettre en œuvre.
Dans le cas du programme de diversité culturelle décrit plus haut, le secteur scolaire a fait du principe de la diversité culturelle du corps enseignant une politique consignée dans les documents officiels du Conseil (par exemple dans les manuel s relatifs aux procédures de recrutement et d’embauche).
Exemple de politique novatrice
Le cas de l’Université Florida Gulf Coast (FGCU), États-Unis
But : Assurer la viabilité de l’environnement sur le campus universitaire et au-delà.
Énoncé du but poursuivi : L’Université Florida Gulf Coast s’est donné pour but de devenir un centre d’excellence de premier plan au service d’un environnement durable, et elle est consciente des opportunités qui s’offrent à elle pour jouer un rôle de modèle à cet égard, aussi bien en tant qu’établissement universitaire qu’au niveau fonctionnel. Située au cœur de la région en pleine expansion du sud-ouest de la Floride, la FGCU est idéalement placée pour concilier ce double objectif axé avant tout sur la durabilité. Nous exploiterons et gérerons les installations et le campus de l’Université pour en faire un modèle de pérennité écologique.
Objectifs :
1. L’Université s’efforcera d’élaborer des programmes environnementaux connus dans tout le pays.
2. Les concepts et préoccupations d’ordre environnemental seront intégrés à tous les éléments du curriculum de la FGCU.
3. La FGCU construira, aménagera et gérera des locaux et un campus attrayants, conformément à des principes et des pratiques respectant l’environnement, chaque fois que cela sera possible d’un point
de vue économique. Le projet de Systèmes de gestion environnementale aura pour but d’encourager des pratiques institutionnelles respectueuses de l’environnement.
4. L’Université créera un Cons eil d’intendance de l’environnement qui établira un plan détaillé pour intégrer la perspective et la responsabilité écologiques dans le curriculum et les programmes de recherche, ainsi que dans la culture du campus.
Source : Florida Gulf Coast University College of Business Handbook, Strategic Plan. Site consulté le 14 janvier 2001. http ://www.fgcu.edu/cob/COBHandbook/documents/plan.pdf
Pratique
Pour pérenniser un changement de politique, il faut l’appuyer sur les pratiques courantes du système. Dans le précédent exemple relatif à la diversité culturelle, le programme a pris corps grâce aux changements apportés aux pratiques en vigueur. L’université a par exemple modifié les procédures de recrutement des nouveaux membres du corps enseignant, et elle a envoyé des communiqués de presse aux petits journaux des minorités ethniques de la ville pour faire connaître les changements opérés. Elle a continué à en envoyer pour que les groupes ethniques puissent être constamment tenus au courant de ses activités. Les fonds destinés aux programmes de diversité culturelle ont été inscrits dans des rubriques budgétaires qui ont été automatiquement renouvelées chaque année, ce qui a évité aux responsables du programme d’avoir à batailler pour obtenir un financement et de craindre une éventuelle suppression du programme. Les procédures d’évaluation au sein de l’université ont donné un caractère automatique aux activités relatives à la diversité culturelle en en faisant des éléments obligatoires des notes de fin d’année. Les procédures de promotion ont été modifiées et il doit maintenant être établi que les intéressés jouent un rôle actif dans le domaine de la diversité culturelle ou qu’ils en approuvent le principe.
Il conviendrait de faire connaître les pratiques relatives à l’EDD sur les campus aux futurs enseignants. Idéalement, ceux-ci auraient la possibilité d’observer un bâtiment dans lequel des pratiques respectueuses de l’environnement sont la norme. L’observation des consignes de recyclage, l’achat et l’utilisation de produits de nettoyage ménageant l’environnement, la réutilisation du papier, la conservation de l’énergie et de l’eau aideront ceux qui aspirent à enseigner à réfléchir aux pratiques qui contribuent à la durabilité des salles de classe et des bâtiments scolaires.
Exemple de pratique novatrice
L’ÉcoCentre de l’Université Griffith de Brisbane, Australie
John Fien, DirecteurL’ÉcoCentre constitue un élément clé du programme de relations citoyennes et de partenariat de l’Université Griffith. Situé sur un campus boisé de 640 hectares dans la ville de Brisbane (Australie) au climat tropical, il occupe un bâtiment de 600 mètres carrés conçu comme un modèle d’éco-design et de respect des normes environnementales.
Il comprend le Centre d’écologie forestière de T oohey, dont le personnel est fourni et l’exploitation assurée par les services d’éducation du Queensland ; un centre de conférence et de formation (pouvant accueillir 90 personnes) ; une galerie d’exposition de 200 mètres carrés ; un ensemble d’ordinateurs iMac liés à l’Internet pour faciliter les recherches sur l’environnement par le biais de la Griffith EcoHOTline (portail spécialisé destiné au public et aux élèves de l’école), et un bureau pour les étudiants effectuant des recherches de haut niveau.
Ouvert en 2001, l’ÉcoCentre offre des programmes de formation et d’étude de l’environnement aux étudiants, au grand public, à l’industrie, aux entreprises et à l’administration. Il propose pour ces raisons un grand nombre de programmes. Celui de formation des enseignants est l’un des principaux et répond aux besoins des stagiaires avant emploi et des enseignants chevronnés qui visitent l’ÉcoCentre avec leur classe, et il est utilisé également pour un atelier de perfectionnement ainsi que par les nombreux étudiants qui
préparent une maîtrise ou un doctorat d’éducation environnementale. L’ÉcoCentre répond essentiellement de deux façons aux besoins de ces groupes de formation pédagogique.
Il y a tout d’abord la valeur d’exemple du bâtiment lui-même. L’ÉcoCentre a été conçu et construit selon des principes d’« éco-design » rigoureux, et il se caract érise par l’utilisation de matériaux de construction recyclés et recyclables, de l’énergie solaire, de la ventilation et de la lumière naturelles, et de murs de pisé pour la régulation thermique, la récupération de l’eau de pluie utilisée comme « eau grise », et de toilettes à compost humide. Ces caractéristiques correspondent à des technologies environnementales à l’échelle domestique qui peuvent être utilisées non seulement dans l’habitation familiale, mais aussi dans la conception des écoles. L’ÉcoCentre gère également une serre-laboratoire installée dans une caravane de cinq mètres de long qui peut être empruntée jusqu’à une semaine par les écoles. Elle est équipée pour des activités manuelles, et offre des présentations, des livres et des brochures ainsi qu’une documentation audiovisuelle sur l’effet de serre et les énergies renouvelables. Les élèves formateurs ont accès au bâtiment et peuvent bénéficier des possibilités d’expérience professionnelle qui leurs sont offertes à l’ÉcoCentre et dans les écoles avec la serre-laboratoire.
Le travail des enseignants du Centre d’écologie forestière de Toohey constitue la seconde contribution de l’ÉcoCentre à la formation des enseignants. Créée dans le cadre d’un partenariat entre les services locaux du Ministère de l’éducation et l’univers ité, l’école compte deux enseignants et accueille les classes des écoles maternelles, primaires et secondaires qui viennent sur place dans le cadre de leurs programmes quotidiens. Ceux-ci proposent notamment des études de l’histoire locale sur le terrain, des études sur les autochtones ainsi que sur l’écologie des forêts et des cours d’eau. Ils offrent également des travaux dans les laboratoires d’enseignement et de recherche du personnel de l’université et dans les départements de planification écologique de l’université. Les stagiaires, les enseignants qui accompagnent leur classe et les étudiants diplômés participent à la planification et à l’animation de ces activités avec les élèves des écoles.
L’étude de cas suivante constitue un exemple des trois éléments (programme, pratique et politique) intervenant conjointement pour apporter une modification permanente à la nature du programme de formation des enseignants. Chacun d’eux a joué un rôle clé dans ce processus de changement permanent.
Étude de cas sur la réorientation de la formation des enseignants en fonction de l’impératif
de durabilité
Réflexions de Don Dippo, recteur adjoint de l’Université de York (Canada)
Observations formulées lors de la Conférence internationale sur la réorientation de la formation des enseignants face à l’impératif de durabilité, Hockley Highlands, Ontario, Canada, octobre 2000
Avec quelque 40 000 étudiants, l’Université de York est la troisième du Canada par les effectifs. Il sort de la Faculté de pédagogie de York un peu plus de 1 000 diplômés par an, dont 800 sont habilités à enseigner dans l’enseignement primaire, et 200 dans le secondaire. Depuis dix ans, la Faculté procède à une « réorientation » de l’enseignement qu’elle dispense. En 1988, un groupe d’enseignants s’est réuni spontanément pour demander comment, en tant que membres du corps enseignant, on pourrait envisager de s’attaquer aux problèmes de racisme dans nos écoles et parmi le personnel enseignant proprement dit. En 1998, une commission extérieure d’examen des accréditations a reconnu que les problèmes d’équité et de justice sociale étaient au cœur de nos programmes de formation pédagogique. En ce qui concerne la durabilité, nous en sommes probablement plus ou moins là où nous étions il y a dix ans en matière d’équité et de justice sociale. Cette brève étude de cas (qui exprime en fait un point de vue personnel) concerne ce que nous pourrions apprendre de cette expérience de la « réorientation » et la façon dont nous pourrions poursuivre notre action dans cette voie.
Depuis sa création en 1972, la Faculté de pédagogie de York pourrait être décrite comme « progressiste » au sens où Dewey emploie ce terme, c’est-à-dire attachée à la fois à l’épanouissement individuel et au développement social. Elle a pris ses distances par rapport aux approches behavioristes pour se rallier à une conception plus progressiste/humaniste de l’enseignement et de l’apprentissage. Le « développementalisme » était au cœur du curriculum. Les élèves étudiaient Piaget, Kohlberg et Vygotsky. Nous mettions l’accent sur l’enfant, sur l’activité et l’investigation, et recommandions la méthode globale. Nous avions une approche holistique axée sur le dévelop pement physique, intellectuel, affectif, social et
spirituel de l’enfant. C’est là la position, la conception de nous-mêmes que nous avons adoptée et proclamée, et à laquelle nous avons œuvré sans ménager nos forces.
Au milieu des années 80, certains enseignants n’ont pas manqué de noter que l’école désavantageait systématiquement les femmes, le s pauvres, les minorités raciales et linguistiques et les peuples autochtones. À titre individuel, des enseignants s’attaquaient à la discrimination systémique dans leurs cours, mais cet engagement face à ces problèmes n’avait pas un caractère programmatique. Il n’était pas au cœur de notre programme de formation des maîtres. C’est alors qu’en 1987-1988, lorsque les recherches et les médias dénonçaient de plus en plus le racisme à l’école (et en fait, dans les facultés de pédagogie), un groupe d’enseignants s’est formé et a procédé à une réflexion stratégique sur les changements à apporter à notre programme de formation des enseignants. Il s’agissait de se rencontrer régulièrement, de participer aux travaux des commissions universitaires et de fo rmuler à l’intention de notre Conseil pédagogique des propositions relatives à la modification des programmes. La Commission des admissions a commencé à examiner les obstacles systémiques et la Commission des programmes s’est penchée sur les problèmes de représentation. La Commission des admissions a réfléchi aux moyens de diversifier les effectifs. Le travail de ces commissions a suscité un intérêt croissant. On a nommé un nouveau recteur très favorable à ces initiatives. Le champ du projet a été élargi pour inclure la discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique, la langue, la classe sociale, le genre, la sexualité et l’invalidité. Il y a eu des discussions animées au sein des commissions et aussi de l’ensemble du personnel. Fallait-il adopter la position multiculturaliste préconisée par des théoriciens américains, ou bien la position antiraciste qui était celle des universitaires britanniques ? Devait-on organiser un seul cours obligatoire traitant de la discrimination sous toutes ses formes, ou bien insister pour que la discrimination systémique et le handicap soient abordés dans tous les cours que nous dispensions ? Au milieu de ces débats, il y eut un moment décisif où le personnel a conclu qu’il n’était pas nécessaire de résoudre tous ces problèmes avant de pouvoir déclarer par écrit (c’est-à-dire dans le programme de l’Université, dans le manuel de l’enseignant ou sur le site Internet du corps enseignant) qu’en tant qu’enseignants, nous étions résolus à aborder les problèmes d’équité dans le cadre de nos programmes. Après tout, à la longue et à la suite de t ous les débats et discussions, nous avions modifié nos politiques et procédures d’admission. Nous avi ons donné un caractère beaucoup plus ouvert à notre programme, et nos effectifs s’étaient diversifiés.
Il n’a cependant pas fallu longtemps pour que les limitations de cette conception particulière fassent l’objet d’un débat. Bien qu’il ait été largement reconnu que nous devions tous nous attaquer aux problèmes d’équité par des moyens appropriés aux différents cours que nous donnions, nous nous sommes demandé si nous pouvions être aussi authentiquement novateurs que nous le souhaitions tout en passant pratiquement sous silence les pr oblèmes concernant la pauvreté, la violence, le militarisme, la mondialisation, l’écoracisme, et la dégradation de l’environnement. Le corps enseignant se considère maintenant résolu à aborder les problèmes d’équité et de justice sociale dans tous ses programmes. Il faut reconnaître qu’au stade actuel, le corps enseignant reste davantage axé sur le problème de l’équité que sur celui de la justice sociale mais il s’est engagé à trouver des moyens de s’attaquer de façon plus satisfaisante à l’un comme à l’autre.
Plusieurs enseignants estiment, ce qui est aussi mon point de vue, que l’objectif de durabilité offre maintenant au corps professoral l’occasion de tenir ses engagements concernant la lutte pour l’équité et la justice sociale. La difficulté qui nous attend n’est pas sans rappeler le problème auquel ceux d’entre nous qui étaient partisans de l’équité étaient confrontés il y a 10 ans. Il s’agit de trouver des moyens de susciter la compréhension et de renforcer l’engagement et l’enthou siasme en faveur du cadre conceptuel et des impératifs pédagogiques qu’implique l’éducation à la durabilité. Le contexte social de l’Ontario est à bien des égards moins favorable que celui dans lequel des initiatives d’éducation multiculturelle/anti-raciste ont été soutenues par le passé. Le champ du programme s’est nettement rétréci pour se limiter essentiellement aux compétences de base recherchées par les employeurs. Des tests normalisés et aux enjeux élevés ont marginalisé encore davantage des aspects du programme très importants mais sous-estimés. Les besoins augmentent cependant de jour en jour à mesure que les conséquences de la négligence dont on a fait preuve dans les domaines social et environnemental se font de plus en plus sentir.
Une conférence comme celle-ci sur la réorientation de la formation des enseignants en fonction de l’impératif de durabilité nous conforte dans notre espoir que quelque chose peut être fait, et ne fait que renforcer notre volonté d’agir.
Gestion du changement
Tous les or ganismes en transition passent par trois stades qui doivent être gérés de façon différente - l’état actuel, l’état de transition et l’état futur. La réorientation de l’éducation dans une optique de durabilité suivra le même processus et nécessitera des techniques de gestion différentes à chaque stade. Ceux qui conduisent le changement sur une grande échelle sont appelés à être confrontés à de sérieux problèmes d’ordre administratif. Certains des hauts responsables de l’action de réorientation ont des années d’expérience administrative et d’autres ignorent tout de la réforme de l’enseignement ou sont étrangers au monde de l’éducation. Même ceux qui ont des années d’expérience de l’administration de l’éducation découvriront pour la première fois l’EDD, car il s’agit d’un domaine nouveau.
Charles Hopkins, qui a participé au programme d’« écoles vertes » de Toronto et à l’effort déployé par le Conseil de l’éducation de Toronto pour créer un curriculum fondé sur les résultats, recommande le processus suivant en sept temps pour réformer un système scolaire :
(1) Prendre la décision d’agir
L’éducation est sensible aux modes ; il y a toujours des idées nouvelles qui circulent dans le monde des enseignants, et les gestionnaires comme les professeurs doivent décider à chaque fois s’il convient adopter celle-ci ou de rejeter celle-là. Si les administrateurs décident d’adopter une idée nouvelle, ils doivent être prêts à engager des fonds et des ressources (par exemple, fournir du matériel pédagogique, donner aux enseignants le temps nécessaire pour aider à planifier et mettre en œuvre la nouvelle initiative, et assurer une formation en cours d’emploi aux enseignants). Les administrateurs savent que pour pouvoir être adoptée par les enseignants, une idée ou une méthode nouvelle doit répondre à au moins une - et de préférence, à plusieurs - des quatre critères suivants : (a) les intéresser, (b) leur simplifier la tâche, (c) faire une différence dans leur programme (par exemple, modifier de façon positive les résultats, l’attitude ou le comportement de leurs élèves), (d) engager leur responsabilité et faire l’objet d’une évaluation. Malheureusement, il ne sera pas si facile d’adopter l’EDD car la durabilité n’intéresse ni le grand public, ni les enseignants.
(2) Justifier la décision
Lorsqu’une école décide de se rallier à une tendance nouvelle, l’administration doit l’annoncer au niveau interne et externe, en fournissant par ailleurs des explications faciles à communiquer et à comprendre. Celles-ci doivent convaincre les enseignants, les parents et les administrateurs que le changement mérite l’investissement en temps et en énergie qu’il a nécessité. Une explication convaincante pourrait être que « le nouveau programme de mathématiques améliore les résultats des élèves et qu’il a un bon rapport coût-efficacité » ou que « le programme (consistant à remplacer des détergents corrosifs et des produits chimiques utilisés dans les cours d’école par des produits non toxiques) fait faire des économies aux écoles et protège les enfants des produits toxiques ».
Il conviendrait d’expliquer notamment l’intérêt que présente la réforme pour les élèves et pour la collectivité. Il s’agit de donner des rais ons crédibles, transposables et compréhensibles. Fournir une justification pour l’EDD est particulièrement difficile car on ne peut guère traiter de la question de la durabilité en une ou deux phrases.
(3) Préparer une stratégie de communication pour faire connaître notre vision aux parties prenantes et à la communauté
Après avoir défini les a rguments en faveur de l’EDD, une école doit mettre au point une stratégie de communication pour annoncer le nouveau programme. Cette stratégie doit consister à la fois à prendre la parole et à écouter. Le plan devrait s’adresser à des publics variés et prévoir les moyens à mettre en œuvre pour cela, de même que pour prendre connaissance des réactions
des divers publics (par exemple, un mémo randum expliquant le changement à tous les enseignants, suivi de réunions du personnel avec le responsable du programme, ou d’un communiqué aux médias, puis d’une réunion publique).
La possibilité de dialoguer après l’annonce d’un changement limite le risque de rumeurs infondées. Par exemple, dans le cas du programme d’écoles vertes, une école a décidé de remplacer des ampoules incandescentes par des tubes f uorescents. Un enseignant mécontent a fait observer qu’il y avait de l’argent pour acheter des ampoules, mais pas pour acheter de nouveaux manuels, sans se rendre compte que les économies d’énergie réalisées grâce à ces ampoules permettraient en quelques années de financer des installations et l’achat de nouveaux manuels. En dehors de la difficulté à formuler une justification facile à communiquer, établir une stratégie de communication pour l’EDD ne sera pas chose facile. Selon leurs intérêts et leurs besoins, certains groupes sont plus réceptifs que d’autres à certaines explications concernant la durabilité. Il faut prendre en compte la diversité des parties prenantes, le meilleur message à adresser à chacune d’elles, et les meilleures méthodes à utiliser pour les contacter.
(4) Fixer des objectifs et des repères
Après la divulgation du nouveau plan et l’annonce de sa justificat ion, la collaboration entre l’administration et les enseignants devrait commencer. Les enseignants et les administrateurs doivent déterminer ensemble par quels moyens réaliser l’objectif global dans le contexte des différentes écoles. Ils doivent décider ensemble quelles mesures prendre et dans quel ordre. Il est extrêmement utile d’utiliser le modèle fondé su r les points forts pour commencer à fixer des objectifs et des priorités pour les programmes d’EDD.
L’administration et les enseignants fixeront également des repères ou des objectifs pour évaluer les progrès réalisés. L’idée de repère est simple : il s’agit de vérifier si, à une certaine date, une tâche donnée aura été exécutée ou approuvée par un certain pourcentage des intéressés. Par exemple, « d’ici à janvier prochain, 90 % des salles de classe devront être équipées de boîtes pour jeter les objets à recycler » ou « à la fin de l’année scolaire, tous les enseignants de classe de septième auront reçu en cours d’emploi une formation à la prévention de l’intimidation ».
La responsabilité de chaque tâche dans le cadre d’un nouveau programme devrait être attribuée au moment où l’on fixe des objectifs et des repères, et il conviendrait de mettre au point une méthode d’évaluation à l’intention des responsables. Les tâches les plus importantes devraient être confiées à ceux qui détiennent le pouvoir politique et qui manifestent un véritable intérêt pour le programme, car le succès de celui-ci dépend d’eux.
Des initiatives de grande envergure et multiformes comme la réorientation de l’éducation dans le sens de la durabilité rendent possibles de nombreux projets. Les champions de chaque projet veulent tous monopoliser l’attention et sont impatients de mettre leurs idées en application. Il peut être tentant de commencer tous les projets auxquels le personnel porte un intérêt, mais l’expérience montre qu’il est sage de commencer à petite échelle en remportant quelques succès limités plutôt que de disperser les efforts et l’énergie de nos enseignants. Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières.
(5) Instituer la transparence et des méthodes d’évaluation programmatique
Pour que le nouveau pr ogramme finisse par faire partie intégrante du système scolaire, les méthodes d’évaluation doivent être modifiées en conséquence, sinon les progrès seront limités. Par exemple, si un directeur d’école demande à un enseignant d’utiliser une méthode nouvelle, tout en évaluant ses performances et en décidant de le maintenir à son grade ou de le promouvoir selon des critères du passé, l’intéressé risque d’éprouver un sentiment de confusion et d’irritation, ou de refuser le changement proposé. Les notes de fin d’année établies par chaque école devraient rendre compte des changements opérés. L’EDD englobant des préoccupations sociales,
économiques et environnementales, le principe de durabilité sera pris en compte sous bien des aspects dans cette notation.
(6) Réexaminer les objectifs et les repères
À mesure que de nouvelles orienta tions éducatives sont mises en oeuvre, les ense ignants et les administrateurs jugent généralement nécessaire d’apporter des corrections au programme à mi-parcours. L’éventualité d’une révision devrait être prévue d’emblée dans les nouveaux programmes. La conception d’un nouveau programme est fondée à la fois sur l’expérience professionnelle et l’imagination, ce qui rend le processus d’autant plus imprécis et incertain. Il arrive parfois que les programmes n’évoluent pas comme prévu. Des dates précises devraient être fixées pour les réviser (par exemple, information en retour après trois mois, révisions mineures au bout de six mois et révision importante après un cycle d’instruction pour préparer le cycle suivant). Non seulement le processus de réexamen et de révision permettra d’améliorer le programme mais en outre, les enseignants qui mettent le programme en œuvre se sentiront plus à l’aise en sachant que si les choses tournent mal, des modifications pourront être apportées au programme. Cette possibilité de collaboration et de changement est particulièrement importante lorsque l’on exécute de nouveaux projets pilotes pour lesquels on ne dispose d’aucune expérience antérieure, comme c’est le cas avec l’EDD.
(7) Récompenses et célébrations
Il ne faut pa s sous-estimer l’importance de dire merci, de récompenser l’effort et de célébrer les succès durant l’année scolaire, si chargée par ailleurs. Dans les écoles d’Amérique du Nord, les départements chargés du sport ont l’art et la manière d’accorder des récompenses et de célébrer des performances. À la fin de chaque saison, les entraîneurs et les joueurs sont récompensés par des certificats, des trophées ou des décorations pour leur participation et leurs performances. Il est malheureusement peu fréquent que les enseignants et les élèves responsables d’un programme de production de compost à l’école ou du programme de bénévolat de la communauté reçoivent les mêmes hommages. Les départements universitaires et les clubs d’activités extrascolaires devraient s’inspirer des départements chargés du sport pour accorder des récompenses et célébrer les succès remportés.
Hopkins recommande que les programmes de labellisation (par exemple, les Ecoles Earth Flag ou les Ecoles vertes) récompensent tous les établissements qui répondent, parfois largement, à des critères préétablis, comme dans le système d’insignes des scouts et des guides - plutôt que de sélectionner quelques lauréats. Il suggère d’accorder des récompenses tangibles, et qui durent au-delà d’un moment de gloire éphémère.
Mise en oeuvre réussie d’un changement de curriculum
Selon Charles Hopkins, ancien responsable des programmes et de l’instruction à Toronto, tout changement de programme doit susciter l’intérêt actif des enseignants. C’est pourquoi la mise en œuvre d’un changement tel que la réorientation de l’édu cation dans le sens de la durabilité a un coût, qui ne peut être couvert exclusivement par les contributions en nature des enseignants. Selon Hopkins, « Pour exécuter un nouveau programme quel qu’il soit, je devrais prélever des ressources sur d’autres programmes. Ces ressources sont des fonds, du temps et la bonne volonté des enseignants, et aucune d’elle n’est illimitée ». Pour évaluer la situation, Hopkins a posé 10 questions, venant de lui-mê me ou d’autres administrateurs. Les enseignants :
(1) souhaitent-ils ce changement ? (par exemple, facilitera-t-il leur travail ?)
(2) sont-ils tenus de changer ? (par exemple, seront-ils soumis à un suivi, une supervision et un contrôle ?)
(3) comprennent-ils le changement ?
(4) ont-ils le temps d’apprendre et de pratiquer le changement dans de bonnes conditions de sécurité ? (par exemple, est-il prévu de les accompagner dans cette démarche ?)
(5) disposent-ils des matériels voulus ? (par exemple, doivent-ils chercher et lire de la documentation durant leurs heures de loisir ?)
(6) reçoivent-ils le soutien des parents ou subissent-ils des pressions de leur part ?
(7) ont-ils le soutien de leurs collègues ou font-ils l’objet de pressions de leur part ?
(8) apprécient-ils intuitivement le changement ? (par exemple, celui-ci est-il justifié et aidera-t-il les élèves ou la société ? Est-ce que je fais ce qu’il faut ?)
(9) veillent-ils à ce que chacun accepte lui aussi le changement ?
(10) sont-ils vraiment remerciés de leur action ?
Selon Hopkins, si les réponses aux 10 questions sont toutes positives, la réforme a une bonne chance de succès.
Autres considérations relatives à la gestion du changement
Les sections qui suivent sur la gestion du c hangement s’adressent à ceux qui n’ont aucune expérience de l’administration et de la réforme de l’éducation. Elles portent sur certains aspects importants à considérer. Pour des descriptions et stratégies plus détaillées, il convient de se reporter aux ouvrages relatifs à l’administration de l’éducation et à la gestion des entreprises.
Mission et vision
Beaucoup de stratégies de gestion commencent par un examen, et souvent, par une reformulation de la mission d’une organisation. La mission du secteur de l’éducation formelle est cependant bien définie et, dans bien des cas, tout effort de redéfinition de la mission de l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur est appelé à susciter une vive résistance. Une stratégie beaucoup plus efficace pour réorienter l’éducation consiste à faire de l’EDD un instrument majeur pour réaliser la mission et les buts de l’éducation formelle tout en contribuant à atteindre les objectifs communautaires et nationaux en matière de durabilité.
État de préparation et aptitude au changement
Comme dans le cas d e nombreuses initiatives de réforme de l’éducation, le succès des efforts pour réorienter l’éducation dans le sens de la durabilité dépendra en partie des capacités des responsables de la réforme et de l’état de préparation de ceux qui doivent aider à la mettre en oeuvre. Il faut bien voir que la participation des dirigeants nationaux au Sommet « Planète Terre » et le fait qu’ils aient signé Action 21 n’a pas amené des nations entières à participer à des plans nationaux de durabilité, qui devraient consister en partie à réorienter l’éducation en ce sens. L’une des raisons pour lesquelles cette réorientation n’a pas encore eu lieu est que la nécessité du changement n’est guère évidente. Il s’agit alors de savoir si un changement s’impose plutôt que comment y procéder. Dans la section sur les problèmes et les obstacles à l’EDD, nous indiquons que la première étape du lancement d’un programme d’EDD consiste à faire comprendre au corps enseignant et au public qu’il est indispensable de réorienter l’éducation en fonction de l’impératif de durabilité. Sans une action de sensibilisation, ceux qui mènent l’effort de réorientation devront préalablement y préparer tous ceux qui s’occupent d’éducation.
Pour associer avec succès les autres à toute réforme ou à tout changement, on peut notamment donner une description suffisamment détaillée de l’objectif final à atteindre de façon à s’assurer de leur participation. Lorsque les gens peuvent envisager un avenir agréable, ils peuvent s’assigner un rôle à jouer, tant durant la période de transition que par la suite. En revanche, l’incertitude quant à l’avenir peut être cause d’anxiété et se traduire par des comportements allant
à l’encontre du but recherché. Une réaction naturelle face à ce sentiment d’incertitude consiste à parler avec un petit cercle d’autres collègues anxieux et mal informés. Malheureusement, les spéculations et les rumeurs peuvent aller bon train en pareil cas, et les hypothèses et informations erronées risquent de freiner ou de contrarier le processus de réforme. Pour progresser, il est vital de mettre au point un scénario qui permette aux intéressés d’avoir le sentiment d’avoir un rôle à jouer, tout en conservant une flexibilité suffisante pour assurer la participation de nouvelles recrues.
Analyse de la nature du changement que nécessite la réorientation de l’éducation
Réorienter l’éducation d ans le sen s de la durabilité est une entreprise de grande envergure, qui nécessitera une action au niveau du pays, des régions, des Etats/provinces ainsi qu’au niveau local. Il faudra probablement faire intervenir une longue liste d’officiels, de législateurs, d’administrateurs, d’enseignants, de syndicats et d’organisations sans but lucratif. Avant d’entreprendre la tâche complexe que constitue la réorientation de l’éducation dans le sens de la durabilité, il faut analyser la nature du changement nécessaire. Cette analyse devrait naturellement s’effectuer au niveau auquel vous travaillez. Si vous travaillez dans un lycée local, votre analyse sera très différente de celle du ministre de l’éducation nationale. Il faut tout d’abord commencer par se poser les questions suivantes : Que faut-il changer ? Des mesures législatives seront-elles nécessaires ? Le programme national prescrit devra-t-il être modifié ? Nécessitera-t-il la bonne volonté des enseignants de votre école ? Prévoir un changement de législation et établir des plans pour s’assurer les bonnes grâces des enseignants sont deux choses très différentes. Il convient d’analyser le type de changement nécessaire à votre niveau car cela permettra d’y voir plus clair sur les choix et les solutions de rechange à envisager. Le Kit pédagogique pour l’EDD comporte plusieurs exercices sur la gestion du changement (voir Section XIV : Exercices relatifs à la gestion du changement) et d’autres encore sur les types de changement qu’implique l’effort de réorientation (voir Section XIII : Exercices en vue de réorienter l’éducation dans le sens de la durabilité).
Pour réorienter l’éducation dans le sens de la durabilité, il faudra repérer les obstacles et y faire face. Certains pourront être contournés, mais d’autres devront être affrontés ou nécessiteront des changements. Les personnes qui résistent au changement ont tendance soit à inventer des obstacles aux idées nouvelles, soit à en voir qui sont fondés sur des hypothèses plutôt que sur des faits. Des déclarations du genre « le Rectorat n’approuvera jamais cette idée », ou « les fonds manquent » sont des déclarations négatives typiques qui peuvent ou non être fondées. Au lieu de partir du principe que le Rectorat n’approuvera pas une idée, on peut s’interroger sur le raisonnement qu’implique un tel propos, ou bien rencontrer personnellement le Recteur. En outre, le financement pose toujours un problème et peut être considéré comme un obstacle justifié. Les réponses aux deux questions suivantes révèlent la nature des préoccupations d’ordre financier : « Ce projet nécessite-t-il des fonds ou peut-il être réalisé sans une nouvelle répartition du temps de travail du personnel et sans autres contributions en nature ? Ce projet a-t-il un rang de priorité plus élevé qu’un autre projet bénéficiant d’un financement effectif ? ».
Analyse et planification de l’engagement qui s’impose
Les responsables des efforts de réorientation de l’éducation dans le sens de la durabilité doivent déterminer qui, dans le système éducatif, doit prendre un engagement et mettre en œuvre le changement nécessaire pour que le processus de réorientation puisse être effectivement engagé. Bien que beaucoup d’entre nous sachent instinctivement à qui il faut faire appel, il est essentiel de passer systématiquement en revue les parti culiers, les groupes et les institutions dont le concours (par exemple, en argent, en temps et en ressources humaines) est essentiel pour pouvoir aller de l’avant et persévérer. Il devrait être possible de se faire une idée précise des agents du changement indispensables grâce à une analyse systématique effectuée par plusieurs personnes, plutôt que de se fier à l’intuition d’une seule personne.
Après avoir analysé l’engagement nécessaire pour réussir (voir Section XIV : Définition de l’engagement), les responsables doivent planifier et envisager au niveau stratégique les moyens à mettre en oeuvre pour obtenir un minimum d’engagement de la part de ceux dont le rôle a été jugé capital pour le succès du programme.
Établissement, mise en oeuvre et suivi des plans
Comme c’est souvent le cas avec les projets multiformes, il e st nécessaire de disposer d’une feuille de route claire, mais modifiable, pour savoir comment passer de la situation actuelle à celle considérée comme souhaitable à l’avenir. Bien que certains administrateurs puissent décrire de mémoire les multiples mesures à prendre dans le cadre des tâches simultanées qu’implique l’exécution d’un grand projet, ces brillants gestionnaires doivent être capables de partager les arcanes du projet avec leurs collègues et leurs administrés. Il est donc souhaitable d’établir un plan de projet. Des tableaux simples indiquant des tâches et des repères peuvent expliquer rapidement des projets complexes à divers pub lics (voir Section XIV : Processus type de préparation d’un plan d’action).
Au stade de la planification, il faut également se souvenir qu’il est difficile à des organisations stables de changer. L’éducation formelle repose sur des organisations stables. L’expérience des entreprises et de l’industrie nous enseigne qu’au lieu de continuer à utiliser la structure normale de l’organisation durant la période de transition, il est souvent nécessaire de mettre en place des systèmes et des structures de gestion temporaires pour opérer le changement voulu. Il faut éventuellement charger temporairement un expert de la durabilité de conseiller un système scolaire durant la transition. En collaboration avec l'administration, cet expert établira divers projets potentiels axés sur la durabilité et envisagera des alternatives.
Résumé des observations concernant la gestion du changement
Pour être p érennisés, les changements liés à la réorientation de l’éducation en fonction de l’impératif de durabilité doivent s’inscrire dans le cadre des programmes, des pratiques et des politiques d’un système scolaire. Le succès de cet effort de réorientation dépendra pour une bonne part de l’aptitude des responsables à communiquer. En fait, la formulation et la diffusion de messages clairs expliquant l’EDD, et ensuite l’écoute des réactions et des réflexions de ceux qui sont intéressés au premier chef par le système éducatif, sont des éléments tout aussi importants de la communication liée à la gestion du changement.
La préparation du changement est une condition essentielle de succès. Les chances de succès seront d’autant plus grandes que les dirigeants auront établi à l’avance des plans pour recenser les obstacles potentiels, obtenir l’engagement nécessaire, faire participer le public, classer les projets par ordre de priorité et exécuter les tâches selon le calendrier prévu. Cet effort de planification permet aux responsables d’avoir une attitude proactive face à chaque nouvelle évolution plutôt que de subir l’événement.
IX. PARTICIPATION PUBLIQUE
par Marianne ChrystalbridgeLes hommes ont collab oré de tout temps pour tenter de relever les défis auxquels sont confrontées leurs communautés. Les chefs tribaux se réunissaient pour discuter de leurs problèmes et demandaient aux autres membres de la collectivité de les faire profiter de leurs points de vue, de leurs connaissances et de leur sagesse. À mesure que les sociétés sont devenues plus complexes, la prise de décisions a été confiée essentiellement à des instances publiques. Des décisions étaient souvent imposées à la collectivité par quelques personnalités détenant le pouvoir et vivant dans des endroits éloignés où les conditions environnementales, économiques ou sociétales étaient différentes. Les gouvernements et les organisations sont
récemment revenus à des processus de prise de décision plus participatifs. Ces processus sont inhérents à la durabilité et ont pour but d’assurer la participation de la collectivité ou de ses représentants à la prise des décisions administratives.
Les processus de participation publique prennent les formes les plus diverses : échanges de vues en tête à tête, recherche de solutions, concertation, audiences publiques traditionnelles et débats publics. Ils constituent un précieux inst rument pour tirer des enseignements de nombreux secteurs de la société. Depuis le Sommet « Planète Terre » de 1992, les communautés d’un grand nombre de pays ont utilisé les processus de participation publique pour établir des priorités collectives et des objectifs de durabilité.
La participation publique sert la communauté de plusieurs façons. Elle est essentielle pour que les décisions relatives aux problèmes importants de la collectivité reflètent les valeurs communes. Elle peut non seulement améliorer la qualité de ces décisions, mais aussi permettre de régler efficacement les différends entre des groupes d’intérêts, renforcer la confiance dans les institutions, et enfin, éduquer et informer le public.
Une communauté doit être familiarisée avec la notion de « durabilité » et les principes fondamentaux qu’elle recouvre avant de tenter de fixer des objectifs en la matière. Même un petit groupe de gens ayant une vision commune de la durabilité peut susciter une participation publique dans ce domaine. Une fois qu’un groupe de base rassemblant des personnes aux conceptions similaires a été constitué, l’une des premières mesures débouchant sur un processus de participation publique consiste à trouver des moyens de contacter les responsables locaux et de leur exposer les principes fondamentaux de la durabilité, en expliquant pourquoi ils sont conformes à l’intérêt public. Une fois que les dirigeants ont compris ce que signifie la durabilité, la population est associée au processus de participation publique. (La Section XI : Mesures à prendre pour introduire le concept de développement durable, et la Section XII : Exercices en vue de fixer des objectifs de durabilité avec une participation publique, peuvent faciliter ces processus de communication et de participation publiques.)
Un autre facteur clé de succès en ce qui concerne la création et la mise en oeuvre de politiques, de programmes et de pratiques communautaires aux fins de l’objectif de durabilité est l’adhésion, à un stade très précoce du processus de planification, de toutes les personnes concernées et affectées, également appelées « parties prenantes ». Dans les sociétés démocratiques, on obtient rarement de bons résultats en adoptant et transmettant des plans ou des décisions qui sont le fait d’un groupe, pour les imposer ensuite à d’autres groupes. Il est plus efficace que chaque groupe de parties prenantes formule, puis classe par ordre de priorité des idées qui sont ensuite partagées avec le reste du groupe, ce qui donne à tous les intéressés le sentiment de participer au processus et d’être pris en considération.
Une participation publique efficace implique que les parties prenantes apportent durablement leur concours. Certaines communautés parviennent à ce résultat en chargeant une ou plusieurs personnes de cette tâche tout au long du projet. En accordant une attention constante au projet, celles-ci assurent la circulation continue de l’information ou le maintien du processus de communication dans les deux sens. On peut obtenir l’attention soutenue des parties prenantes en leur demandant de travailler comme bénévoles à différents aspects du projet dans le cadre de groupes de travail, de comités, etc. Les bénévoles intensifient l’effort déployé en incitant les personnes intéressées à continuer à y participer et en maintenant la communication entre les parties prenantes (par exemple, en diffusant des calendriers d’activité et des rapports de commissions). Un autre moyen efficace de préserver la participation des parties prenantes consiste à établir régulièrement des rapports d’avancement qui, parce qu’ils contiennent les contributions et opinions des parties prenantes, assurent que celles-ci ont été entendues. Leur temps, leur énergie et leurs avis acquièrent encore plus de valeur si ces rapports font l’objet d’une large diffusion par les journaux, les publications locales destinées au grand public, ou l’Internet.
Les coordinateurs d’un projet devraient également associer les parties prenantes aux différents stades du projet, pour reconnaître que des étapes ont été franchies et récompenser les intéressés. Une communication permanente empêche que l’intérêt pour le projet ne se relâche et encourage les participants à poursuivre leurs efforts. Il est également important d’établir un calendrier du projet car cela permet de déterminer plus clairement à quel moment des objectifs partiels sont réalisés et le projet achevé.
Chaque situation dans laquelle on fait appel à la participation du public est unique. Le processus de participation doit être adapté aux besoins locaux. Il n’existe pas de processus type efficace à n’importe quelle échelle et en toutes circonstances. Par exemple, les responsables d’une école secondaire envisageant de modifier le curriculum de leur établissement n’adopteront pas la même démarche qu’un groupe communautaire réfléchissant aux moyens de réaliser des objectifs de durabilité au plan local. En outre, de bonnes idées et la participation initiale de toutes les parties prenantes ne peuvent donner de bons résultats si la méthode retenue est inappropriée. Par exemple, il serait vain de passer directement à l’exécution d’un projet sans avoir préalablement procédé à l’établissement des faits.
La Figure 2, Planification de la participation publique, peut aider à déterminer les besoins de participation publique au sein d’une communauté. Le graphique indique les cinq étapes au cours desquelles les planificateurs du projet déterminent sa nature et la raison de la participation publique, fixent les objectifs du processus, répondent à des questions à son sujet, retiennent un processus et procèdent ensuite à son évaluation. La Figure 2 indique les trois principaux types de projet (établissement des faits, fixation d’objectifs et exécution), et décrit les types de participation publique qui donnent de bons résultats à chacune des cinq étapes.
Les processus de participation publique sont efficaces au sein des grandes communautés comme à l’échelon de petits groupes. Section VII : Étude de cas : Révision et réorientation du programme du Conseil de l’éducation de Toronto décrit un processus de participation publique utilisé pour remanier l’ensemble du curriculum dans une ville de plus de deux millions d’habitants. Des processus similaires sont également utilisés depuis des années avec des petits groupes. Par exemple, un directeur d’école et les enseignants de son établissement y recourent lorsqu’ils collaborent à un projet. Le groupe met en commun les informations et les idées pertinentes, et chaque individu participe au débat. Le groupe classe les tâches par rang de priorité, fixe des repères et réfléchit aux modalités d’exécution de l’ensemble du projet.
Type de projet Première étape : raison de la participation publique