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ÉDITO PAR MALEK CHEIKH « Le m o n de d' a p rè s aura lieu sur le terrain »

Le 2 juin, des milliers de personnes se sont réunies face au TGI de Paris pour protester contre les violences policières et dire que les vies noires comptent. C’est un terrain capable de mobiliser plusieurs franges de la population, rendant possible l’instauration d’un rapport de force sans noyer la dimension raciste de la répression policière au niveau national, ni occulter le caractère négrophobe de la nécropolitique à l’échelle mondiale. La lutte se poursuit et comme l’affirme Assa Traoré, « le monde d’après aura lieu sur le terrain».

L’idée de consacrer un numéro aux utopies a été décidée bien avant que la pandémie ne nous confine, et la promesse présidentielle d’un « monde d’après ». Nous n’étions pas tous et toutes égaux/égales face à la tâche d’imaginer quel serait ce monde, dans un contexte qui interpelle de façon différenciée les individus selon leur race, leur classe et leur genre. Sans prétendre épuiser les différentes manières dont on pourrait aborder les utopies, nous avons donné carte blanche aux contributrices et contributeurs afin d’approcher cette notion dans les articles À la Une.

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Dans ce numéro, il s’agira d’explorer les utopies Noires avec Marie-Julie Chalu ainsi que les utopies portées par les groupes marginalisés sous la plume deLaurence Meyer. Onira à la rencontre demilitantes en Martinique investies dans lalutte anti-chloredécone qui partage avec nous leurs utopies (Jade Almeida); mais aussi avec des féministes basées au Maroc dans une interview où la rencontre et sa dimension transformatrice est au centre (Kenza T. et Malek Cheikh). Ces rencontres seront l’occasion de souligner un cadrage médiatique qui réduit la lutte des militantes martiniquaises à un enjeu singulier, mais aussi de rappeler que les luttes ne sont jamais que «sexuelles» au Maroc. Onabordera l’utopie d’une société post-raciale d’un point de vue critique dans le contexte de Kanaky-Nouvelle-Calédonie (Agnès Delrieu et Anaïs Duong-Pedica). Puis onnousintroduira à l’écoféminisme comme utopie, en soutenant que sa dimension décoloniale constitue« les racines du mouvement » (Myriam Bahaffou).

La photographe Oumaima Dermoumi partage avec nous les photos des luttes sur les enjeux de racisme, migration, sexualité, qui se font l’écho entre ParisBeyrouth-Berlin. On continuera de Traverser la frontière avec trois articles qui abordent différentes formes d’alliances et généalogies politiques. Dans quelle(s) mesure(s) le féminisme haïtien peut-il constituer une des généalogies pour l’afroféminisme là où l’expérience noire est minoritaire (Fania Noël) ? Dans quelle(s) mesure(s) une alliance entre les Noir·e·s des différents continents devient-elle une nécessité politique (Dawud Bumaye) ? Nous publions également une tribune de soutien des féministes algériennes aux féministes palestiniennes du mouvement Tali’at qui se révoltent contre les féminicides et l’impérialisme israélien. Nous publions cette tribune car elle n’a pu être publiée dans les journaux algériens, pour garder les traces des négociations de solidarités féministes qui traversent les frontières Sud-Sud.

En plein confinement, nous avons conduit un entretien avec deux militantes féministes basées au Maroc, qui ont partagé avec nous la dimension trans/formatrice des rencontres. L’occasion de rappeler que lesluttes desqueers dans lesSuds ne sont jamais que sexuelles, bien que souvent réduites à cette dimension.

Dans la rubrique Entre nous autres, on interrogera les effets potentiellement destructeurs d’une démarche de valorisation avec Hajer, qui revient sur sa pratique dans le cadre deson podcast Vintage Arab pour partager une réflexion sur les paradoxes de la « valorisation » du patrimoine musical arabe, y compris lorsqu’elle est endossée par les zmigri (les immigré·e·s). Khadija nous livre quant à elle un texte émouvant sur un fleuve disparu, à quelques minutes des piscines pleines de touristes au Maroc, à Oued Dadès. Dagem, Tam et Anticorpsmembranaire évoquent leurs perspectives d’étudiant·e·s racisé·e·s suite aux mouvements étudiants et universitaires contre la précarité étudiante et laLPPR. Cesluttes ont fait émerger lavoix des« rabatsjoie » de l’université qui se sont manifesté·e·s pour mettre en avant la structuration raciste de l’université. Nous clorons la revue avec une BD de Thiziri qui nous présente sa « bluetopie » : une mer traversée qui cesse d’être le tombeau des espoirs en exil. À l’occasion du cinquième anniversaire de la revue, Fania Noël partagera avec nous son mot de lafin.

Dans la revue AssiégéEs, nous faisons l’effort de traduire « nos propres peurs » comme l’espérait Donna Kate Rushin dans « The Bridge Poem 1 », car nos corps, et nos dos n’ont pas vocation à servir de ponts pour connecter les expériences des un·e·s aux autres, etinversement. Pouremprunter les mots d’Umar dans son poème « Rupture » : « Nous avons d’autres perspectives que celle de mourir ».

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