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NOIRES UTOPIES PAR MARIE-JULIE CHALU

S’il y a dans lesang noir un message pour lemonde, c’est d’abord celui de cette humanité invaincue. Léonora Miano

uel est le temps d’une utopie ? Il est essentiel

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Qpour un peuple dominé de s’approprier son Temps selon ses prérogatives. Ces réappropriations du temps par les minoritaires remettent en cause l’idée même de « Progrès » ou de« retard à rattraper » dictés par l’épistémè occidentale. Ce Progrès occidental est à étudier en corrélation avec ladomination etl’exploitation raciale. La race en tant que technologie s’est construite dans les concepts proto-capitalistes du Bateau négrier etde laPlantation. Étymologiquement, « utopie » veut dire «qui n’est en aucun lieu». La déportation transatlantique, lacolonisation et lenéocolonialisme actuel font du lieu une question politique dans l’histoire desNoir·e·s. Peu de lieux nous appartiennent vraiment. La question du lieu traverse les utopies Noires, preuve en est l’afrofuturisme de Sun Ra avec Space is the Place (L’espace est l’endroit, 1974) ou laquête du retour de Marcus Garvey. Quels sont ces mondes que nous souhaitons ? Quels seront ces mondes d’après qui n’ont pas encore lieu ? Depuis leur création en tant que Noir·e·s, penser le monde autrement pour ces dernières/derniers a été essentiel. Les Noir·e·s existent par rapport à unesituation politique qui leur a toujours été défavorable, les a mis·e·s hors humanité. Elles/ils doivent continuellement payer un prix pour être humanisé·e·s à force deluttes, dedéfaites, dedésillusions, deréussites. Laviolence etlaterreur avec lesquelles elles/ils ont été créé·e·s forcent à prendre appui sur Illustration : Zas Ieluhee un futur qui serait plus clément ; cela se manifeste notamment dans les religions ou les spiritualités (théologie de libération). Le racisme systémique les contraint pour la plupart à survivre dans le présent.

L’utopie est alors une arme politique.

Dans l’entendement commun, uneutopie est quelque chose d’irréalisable. Une illusion, une chimère. L’utopie cependant se construit dans le présent. Se nourrit de nos imaginaires actuels, de nos passés. S’approprier l’utopie, c’est la rendre concrète par ses actions au sein d’une communauté. L’utopie est la promesse radicale d’un idéal. Dans l’histoire Noire, issue de la dystopie, l’utopie a été un idéal concret de libération, elle s’est parfois réalisée. La racialisation noire est la plus infériorisée, laseule mise hors humanité. Cetteradicalité dans l’infériorisation donne à l’histoire intellectuelle,

artistique et politique Noire les outils d’une radicalité pour penser la libération, penser ses utopies, penser l’humanité. Les seuls espaces noirs encore « libres » de la domination sont ceux de l’imaginaire. Dans cesimaginaires, se trouve lefruit deladignité retrouvée.

dans l’embryon de la cale, dans le fond crasseux d’une cellule crie le souffle rauque de la nègrerie ça pousse du fin fond de son être meurtri son être c’est bien de ça que l’on débat mais qui est si évident à la fois, c’est bien cela que l’on abat dans les abattoirs à la chaîne qui remplissent de sucre de canne le rhum vieux

Qu’est-ce que l’Afrique ? C’est une question qui traverse l’histoire intellectuelle noire. Notamment parce qu’être Noir·e, c’est être renvoyé·e à l’Afrique qu’on le veuille ou non. C’est à la fois un espace géographique, mental, symbolique ou mythique. C’est à la fois leberceau del’humanité etl’espace marqué par lesceau de l’inhumanité, la sauvagerie durant l’ère moderne. Mon rapport à l’Afrique se maintient notamment par la couleur de ma peau mais aussi par ses résurgences, qui se trouvent dans la culture afro-caribéenne léguée par ma mère et ma famille. C’est un espace vers lequel/ dans lequel je ne suis pas encore allée mais qui m’habite ne serait-ce que symboliquement. Il en est de même pour beaucoup de Noir·e·s de la diaspora qui rêvent du retour sur laterre des ancêtres. Beaucoup d’utopies noires se sont construites sur le mythe du retour en Afrique. Lepanafricanisme est notamment né de la volonté de Noir·e·s de la diaspora de se rattacher au Continent.

De quoi l’Afrique est-elle le nom ? Celui d’unregard extérieur d’abord. « Afrique » désignait au début une partie pour le tout. Durant l’Antiquité, le nom Afrique faisait référence aux provinces romaines audelà de la Méditerranée. Les Européens l’ont ensuite appliqué à tout le reste du continent en dessinant leur carte du monde. Le mot « Afrique » viendrait de l’arabe Ifriqiya et du latin Afer qui tous deux veulent dire « le pays sombre ». Les noms de pays comme Éthiopie (du latin aethiopus, « visage brûlé »), Soudan (de l’arabe Bilad al-Sudan, « pays des Noirs »), ouencore Guinée (duberbère gnawa, «hommes noirs») soulignent aussi comme la racialisation a circonscrit cet espace. Avec l’esclavage raciste négrier, « noir » va devenir synonyme d’esclave. En effet, des événements géopolitiques majeurs au cours du xv e siècle vont sceller le destin des Africain·e·s Noir·e·s. Avec la chute de Constantinople en 1453 aux mains des Turcs, l’Europe chrétienne ne peut plus se fournir en esclaves dans les Balkans, où unrideau de fer s’abat entre larive chrétienne de la Méditerranée et les Indes. Il était plus qu’urgent de développer des routes commerciales par l’océan Atlantique. L’Afrique va alors devenir l’endroit propice où se pourvoir en esclaves et en or. La bulle Romanus pontifex (1455) du pape Nicolas V donne un cadre légal à l’asservissement de l’Afrique par le Portugal en déclarant que tout païen, sarrasin ou ennemi du Christ capturé sera voué à l’« esclavage perpétuel » au nom de Dieu. Toute une économie de prédation menée par les Européens va s’établir sur la déshumanisation des Africain·e·s Noir·e·s spécifiquement. Le caractère inédit de cet esclavage colonial est l’invention de la race moderne qui sera l’outil de légitimation Entre le xvi e et le xix e siècle vont être déporté·e·s des millions d’Africain·e·s Noir·e·s sur leprincipe d’invention delarace pour desvisées deprofit. Cette traite va ouvrir la période coloniale européenne etconstitue les prémisses du système capitaliste actuel.

Le retour en Afrique constitue une utopie Noire majeure. Elle est récurrente dans les imaginaires de la diaspora Noire issue de l’arrachement, du rapt, deladéportation. Ceretour semanifeste pourretrouver une dignité, ses racines, une fierté raciale, réparer l’affront que les sociétés occidentales ne reconnaîtront pas. Le retour est spirituel, politique. Il a la force de l’introspection pour repenser les relations de soi à soi, à son corps, ses cheveux. Il permet de sortir de l’occidentalité. Chez les Rastas notamment, le retour en Afrique signifie un éloignement des valeurs occidentales (Babylon), l’affirmation des racines africaines etunvoyage vers laterre promise. Lereggae est larésistance créatrice qui puise dans cemythe duretour. Beaucoup d’artistes, d’intellectuel·le·s, d’activistes Noir·e·s de la diaspora conscient·e·s de leur histoire n’hésitent pas à exprimer leurattachement au Continent ou à y vivre. Ces voyages, ces échanges constituent de manière informelle des récits panafricains. Le retour en Afrique, c’est aussi une action politique, la plus significative étant leprojet deretour duJamaïcain Marcus Garvey. Il est une importante figure d’utopie Noire. Pour lui, le retour en Afrique signifie une reconquête de la souveraineté marquée par l’éthiopianisme. « L’Afrique aux Africain·e·s », clame-t-il pour une autodétermination et une indépendance face aux puissances impérialistes européennes. En 1914, il crée l’UNIA (Universal Negro Improvement Association) en Jamaïque. Par la suite, il la fonde à nouveau aux ÉtatsUnis, arrivant à brasser jusqu’à 6 millions de membres à travers le monde au sein de la diaspora noire. C’est que la force de son panafricanisme prend racine dans les classes populaires où se trouvent la majorité

des Noir·e·s. Il produit aussi une véritable révolution mentale en disant aux Noir·e·s de prier un Dieu Noir qui leur ressemble. Avec la Black Star Line, une ligne maritime qui effectuerait le retour, il exorcise le trajet du Bateau négrier. Malheureusement, ce projet n’aboutira pas: il sera accusé defraudes fiscales. Encore aujourd’hui, il n’est pas possible de voyager au sein de l’Atlantique Noir sans faire escale par une capitale occidentale, montrant là que les flux du monde sont pensés depuis l’Occident. On est interpellé par la foi, la conviction de Marcus Garvey qui, sans avoir jamais été en Afrique, a développé à partir du Continent tout un projet politique d’empuissancement.

Cependant, le mythe du retour peut être le fruit de fantasmes. Saidiya Hartman, dans son livre Lose Your Mother: A Journey along the Atlantic Slave Route (2006), raconte un retour difficile voire impossible. Ce qu’il reste de ce rapport à l’Afrique, ce sont des traces qui se laissent voir malgré les disparités profondes. Avec les cas de la Sierra Leone et du Liberia, le retour en Afrique a eu des conséquences négatives. Marqué·e·s par laculture occidentale de ladomination, les Noir·e·s états-unien·ne·s rapatrié·e·s ont eu une attitude colonialiste envers les autochtones. Il faut donc, dans le retour, penser les raisons de ce dernier, penser sa position et clarifier d’où l’on parle et agit. Même si les Noir·e·s du Nord global sont à la marge, elles/ ils sont « à la marge du centre », précise la militante afroféministe etpanafricaine Fania Noël.

Ainsi une utopie noire n’est pas noire seulement parce qu’elle serait portée par des personnes Noires, mais parce qu’elle agirait pour la libération Noire, pour l’affirmation qu’être Noir·e est une forme d’humanité etunappel à lamobilisation. L’utopie Noire travaille donc de fait à la destruction de la suprématie blanche, du capitalisme racial, du colonialisme qui ont été les pierres angulaires de la création du Nègre/ de la Négresse. La pensée féministe Noire y a ajouté la destruction de l’hétéropatriarcat et l’inégalité de genre, soulignant saradicalité nécessaire.

La révolution haïtienne est un exemple fort, ayant été à l’origine delapremière République noire à lasuite derévoltes d’esclaves. C’est uneutopie Noire qui a défié la loi blanche. La révolution haïtienne s’inscrit dans une longue tradition de résistance radicale Noire. Elle réussit à déconstruire l’épistémè occidentale en prenant à bras le corps la condition Noire pour développer un projet politique qui a eu des conséquences globales. Ces esclaves Noir·e·s considéré·e·s comme la propriété demaîtres blancs ont arraché leurliberté et ont ainsi mis à mal toute unelogorrhée deladomination occidentale.

Le retour en Afrique constitue une utopie Noire majeure. […] Ce retour se manifeste pour retrouver une dignité, ses racines, une fierté raciale, réparer l’affront que les sociétés occidentales ne reconnaîtront pas.

La Révolution haïtienne est aussi panafricaine. C’est une des sources concrètes pour développer un panafricanisme afro-révolutionnaire qui permet depenser à l’échelle deladiaspora tout en reconnaissant les diversités. Le panafricanisme répare la dispersion orchestrée par l’impérialisme raciste occidental. Il met en perspective que lalibération des Noir·e·s ne sera pas sans celle de l’Afrique. Fania Noël écrit dans son livre Afro-communautaire (Syllepse, 2019) : « L’horizon afrorévolutionnaire est le panafricanisme, de l’Afrique subsaharienne à Haïti en passant par la Guadeloupe et la Martinique. Une utopie afro-révolutionnaire qui tout en partant de nous, va plus loin que nous. Une utopie qui n’a pas de vocation hégémonique mais est transformatrice de notre rapport à nous-mêmes, aux autres et aux territoires. »

2.

On s’écriait cent fois pour que son crâne se fracasse, que son corps se flétrisse d’un coup comme une boule de papier qu’on mâchouillerait de nos vieilles dents limées par la terreur

«Le terme “noir” est certes leproduit d’uneexpérience historique de la violence raciale subie par des groupes humains, mais il désigne également la production utopique d’un commun où les logiques de solidarité naissent de la reconnaissance active des diversités », écrit la philosophe Yala Kisukidi dans sa préface à L’Atlantique noir de Paul Gilroy (Amsterdam, 2017). Devenir Noir·e est souvent unprocessus de racialisation traumatique. Je le suis devenue vers mes 3-4 ans, quand une enfant m’a dit qu’elle ne voulait pas jouer avec moi parce que j’étais Noire. Plus tard, je découvris toute l’Histoire, les cultures que charriait ce mot « Noir·e » et les liens qui m’unissaient aux autres personnes issues de lamême histoire de violence mais aussi de luttes que moi. Être Noir·e est une expérience commune au sein de laquelle on peut retrouver une utopie de solidarité qui ne nie pas nosdifférences. Yala Kisukidi continue en écrivant que « l’idée césairienne de la négritude oscille entre des considérations épidermiques, culturelles, mémorielles et politiques où, in fine, le signifiant “noir” se déracialise. Il fait apparaître des politiques de la solidarité qui ne se laissent pas pétrifier par

Ainsi une utopie noire n’est pas noire seulement parce qu’elle serait portée par des personnes Noires, mais parce qu’elle agirait pour la libération Noire, pour l’affirmation qu’être Noir·e est une forme d’humanité et un appel à la mobilisation.

les rhétoriques de l’un-identique. » Unité n’est pas homogénéité. Pour reprendre les mots de l’universitaire Maboula Soumahoro : « Être Noir·e, ça peut être aussi vaste que le monde ». Être Noir·e, c’est être humain·e et cela est éminemment complexe etdivers. On devient Noir·e par une forme violente de racialisation, mais on peut choisir d’être Noir·e dans une visée afrodiasporique, politique, dans une manière particulière d’être au monde et de le penser, à partir de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation notamment. C’est là que s’opère la déracialisation. Ce point est intéressant à faire discuter avec l’afropessimisme théorisé par l’universitaire Noir états-unien Frank B. Wilderson III mais aussi dans les travaux de Jared Sexton ou deSaidiya Hartman. L’afropessimisme donne unegrille d’analyse exigeante et sombre de la condition Noire en tant que mort sociale et montre comme la constitution des sociétés modernes en dépend. Dans son livre Histoire des Blancs, l’historienne Nell Irvin Painter étudie la conception évolutive de la blanchité (whiteness) selon les époques mais le socle commun reste l’antagonisme avec les Noir·e·s. On se voit comme un·e Blanc·he contre les Noir·e·s ; c’est ainsi que s’est construite la blanchité mais aussi l’arabness ou l’asianness.

Les critiques formulées à l’afropessimisme le voient comme une compétition de la souffrance qui empêcherait une solidarité entre les personnes racisées (people of color en anglais). Cependant le racisme systémique négrophobe qui gangrène les populations racisées non noires (avec de nombreux cas en Algérie, Maroc, Chine, Inde par exemple) est à résoudre pour une véritable solidarité. L’afropessimisme prend une position radicale en soulignant que le régime de violence anti-noir est irréconciliable avec les autres régimes de violence parce qu’un lien intrinsèque entre blackness et slaveness et un antagonisme structurel entre humanness et blackness existent. Avec Slavery and Social Death (1982), Orlando Patterson étudie l’esclavage comme une relation entre la mort sociale (l’esclave) et la vie sociale (l’humain). En s’appuyant sur cepoint, lapensée afropessimiste montre comme le concept de blackness est synonyme de mort sociale. La blackness est ce par quoi se construit un ordre/désordre racial issu de la culture raciste de la domination. C’est un effet de la violence structurelle.

Le concept européen (puis occidental) d’humanité, d’humanisme selon lesLumières exclut de fait lesesclaves Noir·e·s. À ce titre, lesafropessimistes parlent deblackness comme une condition anti-humaine. Cela se manifeste notamment dans lafaçon dont on aborde lesréparations concernant l’esclavage colonial et la traite négrière. Selon l’avocate martiniquaise Maryse Duhamel, il s’agit d’une problématique civilisationnelle et non juridique. Dans lamanière dont l’Occident a construit son rapport à l’« Autre » et à lui-même. Maryse Duhamel précise que les Occidentaux blancs se sont mis hors humanité en instituant une hiérarchie raciale entre les humains. Ce processus ne permet pas de se reconnaître en l’humain qu’on a mis hors humanité. Et c’est ce qui soustend la problématique des réparations. En droit, il ne peut y avoir prescription pour crime contre l’humanité et toute personne a droit à la réparation. Cependant, il en est autre pour latraite négrière parce que lesNoir·e·s ne sont pas reconnu·es comme des humaine·e·s. De même pour les abolitions de l’esclavage, qui n’ont été qu’un réagencement et même un renforcement du pouvoir colonial. « A system cannot fail those it was never designed to protect ». En effet, Saidiya Hartman parle d’after-life of slavery pour souligner le continuum des dynamiques relationnelles de l’esclavage racial malgré l’Emancipation Act qui abolit l’esclavage aux ÉtatsUnis. Dans le cas français (seul pays à avoir eu besoin dedeux abolitions), lepenseur etmilitant guadeloupéen Joao Gabriell souligne qu’il faudrait parler des révoltes de nos ancêtres en dehors du cadre de l’abolition motivée pour des raisons économiques et qui n’a été qu’une réforme de l’oppression colonialiste française. Ces abolitions ont renforcé par lasuite le projet colonial enAfrique etenAsie. Les révoltes etsoulèvements Noirs n’ont eu decesse de démanteler radicalement cesystème etnon de l’améliorer.

Fred Moten déclare : « Un penseur brillant de l’Université de Californie, Frank Wilderson, auteur de Red, White and Black, souligne à la fin de son livre l’importance de l’influence de Saidiya [Hartman] et de deux ou trois autres dont les travaux l’ont “incité à rester dans la cale” malgré ses fantasmes d’envol. S’il est si important de rester dans la cale, c’est que le navire est justement en proie aux fantasmes d’envol. “Fantasmer” vient de l’allemand et désigne une certaine forme d’imagination. Une sorte d’envol imaginaire, qui, selon Kant, a des effets radicaux et déstabilisants. C’est ce qui se passe dans la cale du navire. ». La vie dans la mort sociale. C’est ce qui est terrifiant etbeau à lafois, c’est le terreau des utopies Noires. L’imagination

est l’extension de la résilience. L’afrofuturisme est le fer de lance d’un mouvement imaginaire Noir. Il repense lefutur, les réalités alternatives mais aussi lesévènements historiques dupassé à travers latechnologie, lescultures noires, le mysticisme, les cosmologies non occidentales, la science-fiction. Il est donc non linéaire, fluide etsedéfait desconcepts occidentaux dutemps. « Time is really fluid thing. Now is now but the past is now and the future too », nous dit Niama Safia Sandy. Le temps de l’utopie est alors approprié parce que réinventé. Cela permet par leprisme del’imaginaire noir deconsidérer lalibération, lamétaphysique et les identités.

La race comme une technologie de l’impérialisme est une donnée à pirater. Le déploiement de cette technologie a créé le racisme. Les esclaves Noir·e·s étaient les machines de production delarichesse occidentale. Lesoulèvement desmachines qu’on peut lire dans certains romans de science-fiction peut être une allégorie du soulèvement des esclaves comme la Révolution haïtienne. De plus cette dernière est un exemple significatif du marronnage dans lequel s’illustre l’antagonisme entre l’utopie Noire et la loi blanche. L’esclave Noir·e, dont la chair est la propriété du maître blanc, enfreint la loi si elle/il s’enfuit et est puni·e pour ceci. Lemarronnage prend plusieurs formes, recouvre des expériences diverses etcontinue d’irriguer des cultures afro-diwwasporiques contemporaines. « Le “marronnage” peut être occasionnel ou définitif, individuel ou collectif, discret ou violent ; il peut alimenter un banditisme (cow boys noirs du Far West, congaceiros du Brésil, pirates noirs des Caraïbes, etc.) ou accélérer une Révolution (Haïti, Cuba) ; il peut recourir à l’anonymat des villes ou à l’ombre des forêts », écrit l’auteur Dénètem Touam Bona (à lire: Fugitif, où cours-tu?, PUF, 2016). Il parle notamment de « cosmo-poétique du refuge » pour parler du marronnage. Il est comme une allégorie de l’existence Noire qui doit évoluer dans des espaces blancs tout en créant ses espaces de vie etde résilience face à lachasse constante.

Dans le marronnage, il y a la subversion, leretournement, lasousveillance noire (Simone Browne). Le dribble par exemple est l’art d’esquiver etde se jouer de son adversaire. En 1888, l’abolition de l’esclavage décrété au Brésil ne met pas fin àlaségrégation raciale. Quand lefootball s’implante auBrésil au xx e siècle, c’est unsport blanc etbourgeois, lesjoueurs Noirs ne pouvaient pas intégrer les premiers clubs de football. Des joueurs métis vont cependant intégrer cesclubs en s’assimilant à la blanchité pour éviter les insultes et les coups. Ils vont se défriser les cheveux ou s’induire le visage de poudre de riz (Carlos Alberto) ; c’est dans ce contexte que naît le dribble. Ces joueurs inventent le dribble pour éviter les attaques des joueurs blancs rarement sanctionnés etles insultes des supporters, ils dribblent pour survivre. Dans le culte vaudou également, les esclaves faisaient croire à leurs maîtres qu’elles/ils priaient des saints catholiques pour ne pas être réprimé·e·s. Mais derrière chaque saint, lesesclaves priaient en fait unlwa. Le culte vaudou est intéressant aussi pour sasubversion dugenre et de la race. Des utopies de refuge éphémères mais autonomes qui disent la politique marronne et piratent les technologies de ladomination.

Lemarronnage souligne laculture del’outsider, donne la voix et l’action aux dominé·e·s tout en subvertissant l’ordre dominant. C’est toute la définition de la culture punk. Des artistes Noir·e·s punk revendiquent unehistoire Noire dupunk parce qu’elles/ils l’incarnent dans leur condition. Les artistes Noir.e.s ont été relégué·e·s aux marges etont dû créer dans ses marges, c’est ce qui fait la culture punk. L’ontologie Noire est outsider. Comme dit Audre Lorde, un système a besoin d’outsider pour se sustenter et légitimer son processus de domination. L’existence noire se manifeste dans l’underground tout en activant à travers l’imaginaire, les créativités, l’exigence révolutionnaire dont elle a besoin pour qu’elle soit libre.

3.

Quel sens à trouver dans cet air vicié ? Où le souffle de la mort dispense ses secrets au coin d’ungenou appuyant trop fort sur une nuque dépourvue Où le souffle rauque de la nègrerie est un spectacle suffocant

Fred Moten dit que lacondition Noire n’est pas le fruit de la terreur mais a survécu à la terreur, à l’horreur et cela doit fournir la source d’un amour pour cette dernière. La condition Noire est une critique fondamentale de la civilisation occidentale et de la blanchité. Cela pousse sans cesse à laréflexion, à l’imagination. On y développe une autre écologie du savoir qui passe par lamémoire delatrace, par cequ’il nous reste. C’est avoir une certaine foi, c’est une quête spirituelle vers ce en quoi on croit en contournant l’épistémè dominante, en prenant lerisque deréinventer etde se tromper. C’est faire confiance à ses émotions dans lesquelles on puise laconviction que tout cela peut etdoit changer.

Blackness as utopia.

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