En quoi 2015 est-elle une année charnière dans le secteur de l’énergie ? Marie-Claire Cailletaud, animatrice du pôle Politique industrielle et énergétique de la FNME : L’analyse de la CGT est claire en la matière : nous sommes à l’aube de bouleversements très importants, comme en témoignent les derniers événements qui se déroulent de manière concomitante…Et il ne faut pas oublier ce qui se passe à une échelle supérieure, au niveau européen, où tout est fait pour que toujours plus de concurrence puisse s’exercer… Bruno Blanchon, animateur de la branche Énergie atomique : Un bouleversement d’ordre organisationnel tout d’abord. Que ce soit à EDF, GDF-Suez ou Areva, il y a convergence vers un modèle standard d’organisation d’entreprise en « business units » [BU, appelées aussi centres de profits] et en lignes de produits. Pour les représentants du personnel, les BU sont souvent un système très opaque, en matière comptable notamment. Comment savoir qu’un élément est vital lorsque le seul critère de choix est le moins-disant ? Cette culture de l’instabilité et de l’immédiateté gangrène les processus de travail dans nos entreprises… La stratégie des entreprises s’inscrit-elle dans ces bouleversements organisationnels et idéologiques ? B. B. : A Areva, la lettre-cadre de Baroin (2) qui réclamait du groupe une rentabilité à deux chiffres, n’a toujours pas été mise au placard… Tant qu’on restera dans des objectifs à court terme, tant qu’on déconnectera le modèle économique de nos entreprises de la réalité technique, on continuera à avoir des stratégies perdantes et à vider le pays de ses outils industriels et surtout des compétences qui s’y sont développées.Le problème d’Areva n’est pas qu’un problème financier : l’avenir de l’entreprise s’inscrit dans l’organisation globale du secteur et sa future stratégie. … Philippe Page, représentant syndical CGT au CCE (Comité central d’entreprise) EDF : Dans la stratégie d’EDF figure une composante qui vise à diluer voire faire disparaître les valeurs de service public - valeurs qui existent dans les entreprises depuis leur création en
1946 - pour faire la part belle aux valeurs du marché. On assiste aujourd’hui à des tentatives de dilution des droits sociaux et des garanties collectives des salariés, notamment le statut national des IEG. Dans le cadre de réorganisations, des filialisations d’activités sont effectuées hors champ statutaire : nous avons les exemples autour des activités tertiaires (comptabilité, informatique, télécoms…) dont certaines passent dorénavant sous la convention collective Syntec, déjà largement utilisée par le patronat notamment dans la sous-traitance nucléaire…. Et alors que nous parlons d’entreprises, les patrons ne parlent que de groupe, ce qui permet de diluer les droits sociaux, de sous-traiter davantage d’activités, d’effectuer des tours de passepasse entre entités statutaires et les différentes filiales. …
Frank Traversari, animateur de la branche IEG : Le fait est que personne ne tire le bilan de dix ans d’échec de l’ouverture du marché telle que l’Europe la réclame…Nous ne sommes plus sur les questions de service public ou d’intérêt général, des notions visiblement absentes dans la tête de nos dirigeants…. Aujourd’hui on compte 140 000 agents actifs statutaires : il devrait y en avoir le double, compte tenu de la sous-traitance ! C’est bien un combat qu’il faudrait relancer… Soyons vigilants. Lorsque les entreprises s’attaquent aux fonctions supports, ce n’est pas anodin : il faut que les salariés prennent conscience que ce qui arrive aux uns arrivera, inéluctablement, aux autres… B. B. : Le capital a fait peu à peu entrer dans les têtes que la finalité était de créer de la valeur pour l’actionnaire : certes, on crée plus de valeur qu’auparavant mais ce n’est pas pour ça qu’il y a moins de pauvres ! Et pour créer de la valeur, le capital n’hésite pas à diminuer les coûts de production, à commencer par les coûts salariaux, et à multiplier les flux (d’échanges, de capitaux) complètement déconnectés de toute activité et de toute réalité physique. Cette multiplication des flux pèse de plus en plus sur l’environnement, sur le réchauffement climatique, sur l’épuisement des ressources, sur la concurrence des salariés entre eux… C’est à ce problème politique de fond auquel il faut s’attaquer, pas seulement aux questions organisationnelles... Quelles convergences et quelles batailles syndicales peut-on d’ores et déjà élaborer ? M.-C. C. : Lorsqu’on parle de dumping social, n’oublions pas qu’il s’agit aussi du marché européen... Que ce soit pour les sous-traitants ou pour tous ceux qui travaillent dans l’éolien, le photovoltaïque ou n’importe quelle EnR, notre combat doit porter sur des niveaux de garanties collectives identiques… Et ce à l’échelle européenne pour éviter le dumping, qu’il soit social ou environnemental. Yves Ledoux, coordinateur CGT du groupe Engie, ex GDF-Suez : Tout ce qui précède montre que le coût du travail et le coût du capital sont liés. On retrouve la même constante
quelle que soit la réforme : la masse salariale est clairement la variable d’ajustement. Il faut convaincre nos collègues que l’argent existe mais qu’il faut le partager autrement. Alors que le coût du travail baisse et que celui du capital augmente, ils sont en droit d’aller réclamer leur part en salaire ! D’autre part, que ce soit pour les travailleurs détachés comme pour ceux qui œuvrent dans la sous-traitance, il s’agit là de batailles primordiales pour la CGT. P. P. : Il faut redonner du sens aux métiers de l’énergie. Et dire et redire que l’énergie n’est pas une marchandise comme les autres mais un produit de première nécessité. Ce qui implique, d’une part, que le secteur soit encadré par le service public et d’autre part que les salariés qui exercent ces métiers disposent de garanties collectives fortes. C’est de cette manière que le combat que mène la CGT pour le maintien et l’amélioration du statut des IEG rejoint celui qu’elle livre pour que les salariés de la sous-traitance, dans mais aussi hors nucléaire, soient traités sur un même pied d’égalité. Ce message-là, il est à mon sens indispensable que les jeunes embauchés l’entendent et se l’approprient… Enfin il n’est pas inutile de rappeler que la défense des droits des salariés passe par une organisation CGT forte : n’hésitons pas à dire aux salariés qu’adhérer à la CGT est une excellente manière de lutter contre la dégradation sociale ! M.-C. C. : Autour de la sous-traitance par exemple, qui est une bagarre tout à fait essentielle, il faut rappeler qu’elle est au cœur du processus d’exploitation capitaliste... Nous sommes un pays riche, la 5e puissance mondiale, mais avec un gros problème d’avenir industriel et de coût du capital : il est urgent de relever la tête et de réclamer d’autres politiques. Enfin je crois qu’il est possible de gagner, tous les jours, ne serait-ce qu’un peu. Une embauche au statut, un site qui ne ferme pas, une activité qui n’est pas filialisée : le combat syndical est là aussi et se gagne tous les jours. A condition de le mener avec les salariés. Source : http://www.fnme-cgt.fr/index.php/journal/energie-les-grandes-manoeuvres/energie-lesgrandes-manoeuvres