Analyse de la chute du Générateur de Vapeur N°2 EDF-Paluel

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Analyse de la chute du Générateur de Vapeur Usé n°2 EDF - CNPE de Paluel Expertise demandée par les CHSCT TeM & AT de EDF CNPE de Paluel selon les dispositions de l’article L. 4614-12 du Code du travail

• Rapport remis le 17 mai 2017 • Expertise réalisée par : Vincent LEMAITRE Nicolas SPIRE Avec l’appui technique de : François FLEURETTE Aptéis est un organisme agréé par le Ministère du Travail pour les expertises auprès des CHSCT Adresse : 56, rue du Faubourg Poissonnière 75010 Paris • Tél. 01 82 09 89 64 • Fax. 01 82 09 89 65 expertise@apteis.fr • www.apteis.fr

CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 1


Avant-propos

Ce rapport d’expertise a été transmis le 17 mai 2017 aux présidents et aux secrétaires des CHSCT TeM et AT du CNPE de Paluel.

Il sera présenté ultérieurement en séance à l’ensemble des membres des CHSCT TeM et AT du CNPE de Paluel.

Il concerne l’expertise portant sur la chute du Générateur de Vapeur Usé n°2 du CNPE de Paluel pour la réalisation de laquelle le cabinet Aptéis a été désigné.

Les intervenants d’Aptéis remercient l’ensemble des personnels, les présidents, les secrétaires et les membres des CHSCT TeM et AT du CNPE de Paluel, ainsi que les agents de la DIPDE pour leur contribution à la bonne réalisation de cette expertise.

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Sommaire SOMMAIRE ............................................................................................................................................ 3 1-

DEMANDE ET CONTEXTE ......................................................................................................... 4 1.1. 1.2. 1.3. 1.4. 1.5. 1.6.

2-

PRESENTATION DES OPERATIONS RGV ............................................................................. 17 2.1. 2.2. 2.3.

3-

UNE ORGANISATION COMPLEXE, DIFFICILE A MAITRISER ........................................................................................ 69 L’ENJEU DE LA SURVEILLANCE ..................................................................................................................................... 79 LA PHASE REALISATION : UNE SURVEILLANCE MAL MAITRISEE ................................................................................ 89 LES SUITES DE L’ACCIDENT : UNE IMPREVISION PREOCCUPANTE ......................................................................... 103

SYNTHESE & RECOMMANDATIONS .................................................................................... 106 6.1. 6.2.

7-

PRESTATION GLOBALE ET EXTERNALISATION DES ETUDES ..................................................................................... 56 LE GRAND CARENAGE : UN CONTEXTE INDUSTRIEL SANS PRECEDENT................................................................ 57 UNE ORGANISATION PROJET DE TYPE MATRICIEL.................................................................................................... 59 L’ORGANISATION DE LA SURVEILLANCE DES ETUDES RGV .................................................................................... 60 UNE SURVEILLANCE DES ETUDES MISE A MAL ............................................................................................................ 64

ANALYSE DE LA PHASE REALISATION ................................................................................. 69 5.1. 5.2. 5.3. 5.4.

6-

CONTEXTE ET CAHIER DES CHARGES DE L’OPERATION DE MANUTENTION DES « GV 1300 » ........................ 37 ETUDES ET REALISATION DES MOYENS DE MANUTENTION .................................................................................... 39 DISCUSSION SUR LA CONCEPTION DU SYSTEME DE MANUTENTION .................................................................... 49 CONSEQUENCES DES CHOIX DE CONCEPTION RETENUS....................................................................................... 53

ANALYSE DE LA PHASE D’ETUDE ......................................................................................... 55 4.1. 4.2. 4.3. 4.4. 4.5.

5-

LE PROJET RGV ............................................................................................................................................................ 17 LA CHRONOLOGIE DU PROJET RGV PALUEL 2........................................................................................................ 20 L’ORGANISATION DU PROJET RGV ........................................................................................................................... 25

ANALYSE DES CAUSES TECHNIQUES DE L’ALEA ............................................................. 37 3.1. 3.2. 3.3. 3.4.

4-

LA DEMANDE DU CHSCT .............................................................................................................................................4 PROBLEMATIQUES SOULEVEES........................................................................................................................................5 LA METHODOLOGIE MISE EN ŒUVRE ............................................................................................................................6 PRESENTATION DU PARC NUCLEAIRE FRANÇAIS .................................................................................................... 11 PRESENTATION DES ENTITES CONCERNEES PAR LE PROJET RGV .......................................................................... 14 PRESENTATION DU RAPPORT ..................................................................................................................................... 15

SYNTHESE DU RAPPORT ............................................................................................................................................ 106 RECOMMANDATIONS ET PRECONISATIONS ........................................................................................................... 110

ANNEXES .................................................................................................................................. 120 7.1.

RESOLUTION DES CHSCT ....................................................................................................................................... 120

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1 - Demande et contexte 1.1. La demande du CHSCT Dans le cadre du programme de rénovation du parc nucléaire français dénommé « Grand Carénage », EDF a mis en œuvre des opérations de maintenance et de transformation industrielle de grande ampleur. Ces opérations visent à assurer la fiabilité des centrales, à prendre en compte le retour d’expérience issu de Fukushima et à prolonger la durée de vie des réacteurs jusqu’à 60 ans. Dans le cadre de cette opération, EDF a programmé deux séries de travaux : - D’une part, une centaine de modifications nationales pour chaque Palier de tranches (900 et 1300 MW), loties en projets : par exemple, un projet de remplacement des générateurs de vapeurs, un projet de maintenance exceptionnelle des alternateurs, réchauffeurs, transformateurs et condenseurs ; ou encore, des projets comme l’amélioration de l’étanchéité des enceintes, la maîtrise du risque incendie, l’évolution des systèmes et des installations. - D’autre part, des modifications décidées à la suite des évaluations complémentaires de sûreté, menées à la demande de l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) après l’accident de Fukushima : par exemple, l’installation de diesels d’ultime secours, la diversification des sources froides reliées au circuit secondaire ou l’installation de centres de crise locaux. Les opérations de RGV (Remplacement des Générateurs de Vapeur) ont démarré au CNPE de Paluel en mai 2015 dans la Tranche n°2, parallèlement à la troisième visite décennale (VD 3). La centrale nucléaire de Paluel a ainsi servi de site pilote (Tête de série) pour les 20 réacteurs de 1300 MW (palier P4 et P’41) du parc. Les opérations de remplacement des générateurs de vapeur usés (GVU) sont pilotées par la Direction d’Ingénierie du Parc de la Déconstruction et de l’Environnement (DIPDE) d’EDF et réalisées par un groupement momentané d’entreprises solidaires (GMES) comprenant Areva Nuclear Power, Eiffage Construction Métallique, Kaefer Wanner et Orys. Au cours des opérations de levage et de basculement des GVU, programmées en mars 2016, le générateur de vapeur usé n°2 a chuté de toute sa hauteur sur la dalle de niveau 27 mètres. Il s’est retrouvé en position horizontale, en partie sur le plancher béton de la dalle 27 mètres, et en partie sur les plateaux de protection de la piscine du bâtiment du réacteur. Le palonnier de manutention et le mat de soutènement du pont polaire ont également chuté. Un salarié sous-traitant d’Areva, présent dans le BR au moment de la chute a reçu un choc à la poitrine par un projectile non identifié ; il a été conduit à l’hôpital de Dieppe et en est sorti le lendemain. La chute du générateur de vapeur (pesant 465 tonnes) a entraîné des dégâts matériels sur le platelage en acier de la piscine du réacteur dont certains éléments sont tombés au fond de la piscine. 1

Les paliers P4 et P’4 correspondent à une puissance de 1300 MW. Il s’agit des CNPE de Flamanville, Paluel et Saint-Alban (P4) et des CNPE de Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent-sur-Seine et Penly (P’4). CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 4


A la suite de cet événement, les représentants du personnel au CHSCT Arrêt de Tranche (AT) ont été convoqués à plusieurs reprises en séances extraordinaires de CHSCT. Au cours de la séance du 29 avril, réunis conjointement avec leurs collègues du CHSCT TeM (Tranche en Marche), ils ont estimé qu’au vu de la gravité de l’accident et des premiers éléments d’information qui leur avaient été communiqués, l’accident du 31 mars 2016 révélait des facteurs de risques professionnels « peu ou mal pris en compte par l’organisation mise en place pour ces opérations »1. Ils ont décidé, conformément à l’article L.4614-12 du code du travail, de recourir à un expert agréé « afin de les aider à appréhender, identifier et évaluer les différents risques et facteurs de risques professionnels révélés à l’occasion de l’accident »2. Dans leur résolution, désignant le cabinet Aptéis, les représentants du personnel confiaient explicitement à l’expert un quadruple objectif : • « Analyser l’accident, son déroulement et ses différentes causes ; • Analyser les risques ou les facteurs de risques révélés par cet accident, notamment autour des différentes questions posées ci-dessus par les membres élus représentants du personnel des deux CHSCT TeM et AT. • Analyser les conditions de travail des différents acteurs participant aux opérations d’extraction des GV ; • Aider les CHSCT à avancer des propositions de prévention de ces risques professionnels et des pistes d’amélioration des conditions de travail »3.

1.2. Problématiques soulevées L’événement survenu le 31 mars 2016 soulève plusieurs types de problématiques s’inscrivant dans des champs différents. Des problématiques relatives au choix et à la conception des appareils de manutention L’analyse des causes de la chute du GV n°2 nous a conduit à comprendre de quelle manière la solution technique de levage des générateurs de vapeur a été conçue et validée durant la phase de préparation du projet RGV entre 2009 et 2015. Il s’agissait d’expliciter les choix techniques et financiers ayant déterminés ce dispositif, d’analyser la phase de conception ainsi que d’appréhender les modalités d’assemblage et de contrôle technique utilisées. Des questions quant aux procédures et à l’organisation du travail de manutention La compréhension de l’évènement du 31 mars nous a également poussé à analyser l’organisation entre le donneur d’ordre, la DIPDE, et les entreprises du GMES afin de comprendre la manière dont les modes opératoires ont été établis pour les différentes phases de sortie des GV usés et la façon dont les tâches ont été organisées au cours du chantier. Nous nous sommes également intéressés aux compétences et aux qualifications des différents intervenants pour procéder à ces opérations de levage. Des interrogations concernant la planification du travail Afin de comprendre le déroulement précis de l’opération de remplacement des générateurs de vapeur (GV), nous nous sommes également penchés sur la planification des activités depuis 1

CHSCT Tem & AT, résolution du 29 avril 2016. Ibid, page 2. 3 Ibid, page 3. 2

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la préparation du chantier jusqu’aux opérations de sortie des GV. Nous avons cherché à établir les différentes phases du projet et à évaluer les aléas rencontrés dans la planification prévisionnelle des activités. Nous nous sommes également interrogés quant aux modalités de fonctionnement entre les équipes notamment aux horaires et au processus de traitement des informations. Des problématiques relatives à l’organisation de la surveillance des activités La compréhension de l’aléa du basculement du GV n°2 nous a également conduits à interroger les modalités de surveillance du chantier de remplacement du RGV ainsi que les dispositifs de prévention des risques professionnels mis en œuvre pour mettre en sécurité les intervenants au cours des différentes phases du chantier. Des questions sur la sûreté des installations et la radioprotection Nous nous sommes enfin penchés sur les conséquences de l’aléa du GV sur les installations du bâtiment réacteur en matière de sureté des installations et d’exposition à la radioprotection. Il s’agissait de comprendre les dommages matériels entraînés par la chute du GV et d’évaluer les risques en matière d’exposition aux rayonnements ionisant.

1.3. La méthodologie mise en œuvre La méthodologie mise en œuvre au cours de cette expertise est de la seule responsabilité de l’expert. Elle est fondée sur les démarches de recherche validées en Sociologie du travail et des organisations, en Psychologie du travail et en Ergonomie. En outre, elle repose sur les principes d’intervention défendus par Aptéis lors de l’instruction de son agrément. Aptéis adapte sa méthodologie à la nature et au contexte de chaque demande d’expertise qui lui est faite. Compte tenu de la nature de la demande, de la complexité de l’organisation du chantier RGV et de la multiplicité des acteurs concernés, Aptéis a mis en œuvre une démarche d’intervention dynamique permettant de faire évoluer le périmètre d’investigation au fur et à mesure des informations récoltées. Une phase d’analyse documentaire, d’entretiens, d’observations et de visites de terrain a permis de recueillir les principaux éléments d'informations relatifs à la préparation et à la réalisation du chantier RGV. Au fur et à mesure de ces premiers travaux, nous avons pu identifier et préciser des interlocuteurs complémentaires qui ont été intégrés à la démarche. Aptéis a mis en œuvre trois modes de recueil de données : une étude documentaire, une série d’entretiens individuels et des observations des situations de travail.

1.3.1. ENTRETIENS Nous avons effectué plusieurs séries d’entretiens au sein des différentes entités concernées par l’opération RGV. • CNPE de Paluel : - Un ingénieur sécurité Service Prévention des Risques ; - Le directeur Délégué AT ; CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 6


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Le correspondant CNPE au sein de l’équipe RGV ; Le pilote de tranche présent au moment de l’accident ; Un opérateur de Conduite (OPCC) présent au moment de l’accident ; Un technicien d’intervention SPR présent au moment de l’accident ; Le chef de section Levage. Le président du CHSCT AT ; Le responsable sous projet.

• Equipe commune RGV Paluel : - Le pilote du projet ; - L’adjoint au pilote du projet ; - Un adjoint opérationnel ; - 2 ingénieurs BR ; - 2 chargés d’affaires BR ; - 2 coordinateurs sécurité ; - Une attachée qualité. • DIPDE Marseille : - Le directeur de la DIPDE ; - Le chef de projet ; - Le chef de service étude ; - Le responsable du service Maintenance Levage ; - Le responsable conception RGV. • Entreprise AREVA : - Le chef de chantier RGV. • Entreprise OMS : - La sasseuse du Sas BR. • Entreprise NUVIA : - La responsable de la cellule Plan de Prévention. • Service de santé au travail : - Le médecin du travail. Nous n’avons pu conduire les entretiens prévus avec les salariés des entreprises Areva, Orys et Bouygues Construction Nucléaire Service, les directions de ces entreprises n’ayant pas répondu du tout à nos sollicitations. Onze entretiens prévus avec les agents présents dans le bâtiment réacteur en amont et au moment de l’accident n’ont ainsi pas pu avoir lieu, pas plus qu’avec leurs encadrants ou les dirigeants opérationnels de ces entreprises. Cette situation a, d’une part, considérablement réduit notre accès à l’information mais elle nous a, d’autre part (et surtout) privés d’une véritable analyse des situations de travail et de coopération au moment de l’accident. Nous avons, par contre, pu rencontrer deux membres de la DIPDE non planifiés initialement, ce qui nous a permis d’avoir une vision plus précise des missions et de l’organisation de la DIPDE.

1.3.2. VISITES Nous avons réalisé deux visites des installations au CNPE de Paluel : • Une demi-journée dans le bâtiment réacteur tranche 2 (plancher 27m, chemin de ronde, plancher 5m) ; CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 7


• Une demi-journée dans l’atelier froid et dans les locaux d’entreposage des générateurs de vapeur. Pour la visite du bâtiment réacteur, nous avons été escortés par un agent du Service de Radio Protection et un membre du CHSCT. Au cours de ces deux visites, nous avons pu réaliser des prises de vue (en utilisant l’appareil photo du CHSCT). Une partie des photos a été utilisée dans ce rapport à des fins d’illustration ou d’explication. Nous tenons à la disposition du CHSCT et de la direction l’ensemble des prises de vue effectuées.

1.3.3. ETUDES DOCUMENTAIRES Nous avons consulté et analysé plusieurs types de documents. • Des documents relatifs à l’organisation et à la gestion des ressources humaines : - Les organigrammes des services du CNPE ; - Les organigrammes du GMES et des entreprises sous-traitantes ; - L’organigramme de l’équipe RGV de la DIPDE (site de Paluel) ; - L’organigramme de la DIPDE (site de Marseille) ; - Les fiches de poste des personnels concernés par l’expertise : o DIPDE : Ingénieur BR, Chargé d’affaires BR ; Coordinateur sécurité, Attaché qualité. o CNPE Paluel : Correspondant CNPE/DIPDE ; Responsable sous-projet ; Chef de section levage. - Les plannings nominatifs des équipes de levage Bouygues et Orys pour les semaines 12 et 13 ; - Les plannings nominatifs des équipes RGV de la DIPDE pour les semaines 12 et 13. • Des documents relatifs à la phase d’étude de l’opération de remplacement des générateurs de vapeur sur palier 1300 MW : - Documents relatifs à la pré-étude et à l’étude des moyens de levage ; - Documents relatifs à la consultation des entreprises pour les opérations de remplacement des GVU 1300MW : cahier des charges, spécifications techniques, offres remises ; - Documents relatifs à la conception des outils et dispositifs techniques utilisés pour la manutention des GVU : PV fournisseur et autres documents réglementaires prévus par la transposition en droit français de la directive « Machines » et le code du travail (notamment le palonnier intérieur BR, le vérin à câbles, les systèmes de manutention) ; - Plan directeur de projet RGV. • Des documents relatifs à la préparation, à l’organisation et à la réalisation des interventions de manutention des générateurs de vapeurs usés : - Note d’organisation pour la manutention des générateurs de vapeurs ; - IBRP DC 1431 : Note d’organisation de chantier RGV 1300 MW en GMES ; - RGV GME PA2 SITE 15.062 : Analyse de risques pour la manutention des charges lors du RGV PA2 ; CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 8


- RGV GME PA2 SITE 16.051 : Mode opératoire pour les travaux sous une charge. Sortie des GV Usés en RGV 1300 MW ; - RGV GME PA2 SITE 16.046 : Note site de manutention des générateurs de vapeur ; - IBM DC 3227 : Manutention des générateurs de vapeur RGV1300 MW – MAN ; - IBM DC 3228 : Aménagement du plancher piscine et sortie GV usés RGV 1300MW MAN DS 01 ; - IBM DC 3229 : Aménagement du plancher piscine et sortie des GV usés 1300MW MAN GA 01 ; - DSI AREVA Montage Palonnier : DSI 1 MAN 01 / GA 1 MAN 01 ; - 6A 1301 DSI 0085 - Assemblage MAT sur platelage piscine et PV associés ; - 6A 1301 DSI 0085 bis - Assemblage MAT sur platelage piscine et PV associés ; - 6A 1301 DSI 0086 - Mise en place du MAT ; - PPA07C10130240MMMD - Scénario général du RGV PA2 ; - PPA07C110200240MMMB - Note de synthèse de l’intervention ; - PX07C119200240MMMD - Préparation des poutres MLV au LCM ; - 6A 1301 DSI 0092 et annexes - Préparation de la plateforme centrale au LCM ; - PX07C119210240MMMD - Préparation de la plateforme centrale au LCM ; - 6A 1301 DSI 0093 et annexes - Mise en place des Poutres MLV sur les poutres du Pont polaire ; - PX07C119220240MMMM - Mise en place des Poutres MLV sur les poutres du Pont polaire ; - 6A 1301 DSI 0096 et annexes : Mise en place de la plateforme sur poutres de ripage ; - EDF – Projet RGV Organisation de l’équipe RGV – EMPRRGV140600. • Des documents relatifs à la surveillance des interventions de manutention des générateurs de vapeurs usés : - Organisation de la surveillance pour les opérations lourdes RGV-NCGV-NPGVEMPRCP120435 ; - Plan de contrôle pour les opérations lourdes RGV-NCGV-NPGV – EMPRCP120450 ; - RGV PA2 – Organisation des équipes BR – EMPRRGV010607 ; - Liste Fiches de Surveillance par sondage ; - EDF CIPN - Fiches de surveillance par sondage, relatives à la manutention des GVU (MLV, MAN) ; - Tableaux des points d’arrêts – Equipe BR RGV Paluel 2 (MLV - MLA, MAN) ; - Liste sous-traitants GMES PA2 ; - Note d’étude EDF CIPN_E ML RGV Paluel 2 – Prescriptions de surveillance PNPP2283 Tome A ; - Note d’étude EDF DIPN_E ML RGV PA2 PNPP2283A - Recommandations de surveillance ; - EDF – Projet RGV - Programme de surveillance EMPRRGV140606, indice E ; - Fiches de constat d’écart liées aux opérations de remplacement des GVU 1300 MW ; • Des documents relatifs aux interventions de manutention des GVU 2, 3 et 4 de la tranche 2 : - Plannings des interventions de levage sur GVU 2, 3 et 4 ; CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 9


- Documents de suivi d’intervention GVU 2, 3 et 4 ; - Fiches d’écart GVU 2, 3 et 4 (et/ou notes de réunions et/ou cahier de quart, etc.). • Des documents relatifs à la chute du GVU 2 le 31 mars 2016 : - Relevé des faits ; - Plan situation de la dalle 27m du BR ; - Liste nominative des personnels présents dans le BR au moment du basculement du GVU ; - Photos prises dans le BR depuis le basculement du GVU ; - Vidéo réalisée dans le BR depuis le basculement du GVU ; - Relevé des balises RP ; - CNPE Paluel SPR – Fiche d’avis n°A16S001 RGV Conditions d’accès BR suite à l’aléa GV42 ; - Documents relatifs à l’expertise judiciaire (Notes aux parties). • Des documents liés à la certification technique des outils de levage utilisés pour la manutention des GVU : - Documents de vérification de DEKRA relatifs au palonnier et aux élingues ; • Des documents relatifs à la prévention des risques professionnels • Plan de prévention Orys & Phases d’activités dangereuses ; • Plan de prévention Areva & Phases d’activités dangereuses. • Des documents relatifs à l’hygiène et à la sécurité : - DUERP du CNPE de Paluel ; - Bilan HSCT 2015 ; - Rapport médecine du travail 2015. Certains documents demandés dans la convention n’ont pas été remis et n’ont donc pu être consultés par l’expert. La liste figure ci-après. • Liste des documents non remis à l’expert - 6A1301 NTC 00185 : Notice d’instructions de la machine de levage et de basculement des GV intérieur BR ; - 6A1301 NTC 0181 : Notice d’instructions de la machine de levage intérieur BR ; - 6A1301 NTC 0143 : Notice d’instructions de la machine de levage PEX ; - IBMD DB 1269 : Cinématique de sortie GV usé ; - IBM DC 10146 : Instruction de travail Générateur de vapeur Serrage tourillons pour générateur vapeur ; - 6A1301 NTC 00185 : Notice d’informations de la machine de levage et basculement des GV intérieur BR ; - IBM DC 10156 : Manuel d'utilisation vérins pré tenseurs tous paliers ; - IBM DC 11853 : Notice d’instruction relative à la machine de ripage ; - IBM DC 11880 : Notice d’utilisation du groupe hydraulique de ripage RGV 1300 ; - 6A 1301 PRP 0085 - Procédures ; - 6A 1301 PRP 0086 - Procédures ; CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 10


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6A 1301 DSI 0091 et annexes - Préparation des poutres MLV au LCM ; Document « Suivi des interfaces pour l’activité MAN » et son partage ; PX07C119250240MMMM : Mise en place de la plateforme sur poutres de ripage ; Mission du correspond sécurité RP D305514073147 ; Retours d’expérience des opérations précédentes : documents H-44200973-2015 000295 à 000298 ; Retour d’expérience des opérations de remplacement des GVU sur les sites 900 MW ; Analyse des notices d’instruction : ULM/C/PDS/2015-240 ; Rapports de surveillance des opérations de remplacement des GVU 1300 MW ; Note IBX DC 147 indice B BPE : Analyse des risques liés à la sécurité. Retours d’expérience GVU 2, 3 et 4 ; Rapport de l’organisme accrédité mandaté pour constater le résultat des essais définis pour répondre aux objectifs fixés par l’article 25 de l’arrêté du 1er mars 2004 / Rapport de vérification réglementaire (article 25) ; Documents VERITAS ; Documents de vérification de l’APAVE relatifs au MLV et au pont polaire.

1.4. Présentation du Parc Nucléaire Français L’électricité d’origine nucléaire représente en moyenne 75% du mix énergétique français. La France est le deuxième pays producteur d’électricité au monde derrière les Etats-Unis.

Source : RTE, production d’électricité en temps réel le 12 octobre 20161

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http://www.rte-france.com/fr/eco2mix/eco2mix-mix-energetique. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 11


Le parc nucléaire français comprend actuellement 58 réacteurs à eau pressurisée 1 (REP) répartis dans 19 centrales construites entre 1971 (Fessenheim) et 2002 (Civaux). Un 59ème réacteur à eau pressurisée légère (EPR2) est en cours de construction sur le site de Flamanville. Les techniques de production de l’électricité d’origine nucléaire ont évolué et plusieurs types de réacteurs ont été conçus afin d’accroître la puissance produite. Le parc nucléaire français est ainsi composé de 34 réacteurs de 900 MW (paliers CP0, CP1 et CP2), de 20 réacteurs de 1300 MW (paliers P4 et P4’) et de 4 réacteurs de 1450 MW (palier N4). Avec 31 années depuis leur mise en exploitation, les centrales nucléaires françaises ont un âge moyen élevé. La majorité des réacteurs de 900 MW ont plus de 30 ans d’exploitation. Parmi les réacteurs de deuxième génération (P4 et P’4), l’âge moyen est de 28 ans (voir le graphique page suivante). L’âge vieillissant du parc et la durée de vie de 40 ans prévue rendent les travaux du grand carénage particulièrement stratégiques. En absence de prolongement de leur durée de vie, 38 réacteurs âgés de 30 ans et plus auraient pu être arrêtés / fermés au cours des 10 prochaines années, soit 66% du parc.

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Les REP utilisent de l'oxyde d'uranium enrichi comme combustible, et sont modérés et refroidis par de l'eau ordinaire sous pression. EPR : European Pressurized Reactor. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 12


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1.5. Présentation des entités concernées par le projet RGV 1.5.1. LE CNPE DE PALUEL Le Centre National de Production d’Electricité de Paluel comprend quatre tranches construites de 1977 à 1986. Chaque tranche est équipée d’un réacteur, de type réacteur à eau pressurisée (REP) de palier P4 développant une puissance de 1300 MW. La centrale nucléaire de Paluel est le premier site du palier P4 avoir été construit. Il sert ainsi de site pilote pour les 20 réacteurs de palier P4 et P’4 du parc nucléaire français situé à Flamanville, Paluel et Saint-Alban (P4) et à Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent-sur-Seine et Penly (P’4). Le CNPE de Paluel emploie environ 1 500 agents pour son fonctionnement courant et jusqu’à 1200 prestataires au cours des arrêts de tranche.

1.5.2. LA DIPDE La Direction d’Ingénierie du Parc de la Déconstruction et de l’Environnement, DIPDE, est située à Marseille et regroupe environ 1 200 collaborateurs. Cette direction, ex-CIPN, appartient à la Division de l’Ingénierie du Nucléaire. Elle est en charge de l’ingénierie de la partie nucléaire des centrales (bâtiment réacteur, bâtiment combustible et bâtiment des auxiliaires de sauvegarde et des locaux électriques). La DIPDE prend en charge les travaux de conception, de modifications ainsi que la préparation et la réalisation des travaux de maintenance lourde sur les gros composants nucléaires : générateurs de vapeur, circuits primaires, etc. La DIPDE est composée d’un centre d’ingénierie, situé à Marseille, qui assure un appui au parc nucléaire et d’équipes dédiées, affectées sur les sites pour prendre en charge des opérations importantes. Dans le cadre du projet Grand Carénage, c’est la DIPDE qui assure la maîtrise d’ouvrage des opérations de renouvellement des générateurs de vapeur sur l’ensemble des CNPE en intervenant dans les opérations de préparation, de suivi et de repli des chantiers RGV.

1.5.3. LE GMES Pour l’opération de renouvellement des générateurs de vapeur, la maîtrise d’œuvre a été confiée en 2013, par la DIPDE, à un Groupement Momentané d’Entreprises Solidaires1 mené par 1

Un GMES est un accord momentané entre des entreprises pour élaborer une offre commune en réponse à un marché. Cet accord privé, qui s’organise dans le cadre de la liberté contractuelle n’obéit à aucune réglementation spécifique quant à sa constitution et son fonctionnement. Il permet aux entreprises de s’organiser pour répondre à un marché auquel elles ne pourraient soumissionner seules et n’existe donc que pour une durée déterminée. Le GMES n’a pas la personnalité morale et chaque entreprise membre dispose de la qualité de cotraitant. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 14


l’entreprise AREVA Nuclear Power. Ce groupement regroupe quatre entreprises principales : Areva Nuclear Power, Eiffage Construction Métallique, Kaefer Wanner et Orys. Chacune de ces entreprises intervient sur les différents domaines techniques nécessaires à l’opération de renouvellement des générateurs de vapeur. Le GMES fait également appel à plusieurs dizaines de prestataires qui interviennent pour la réalisation de chantiers ou d’activités spécifiques.

1.6. Présentation du rapport Le présent rapport comprend sept chapitres dans lesquels nous avons tenté autant que faire se peut de répondre aux problématiques soulevées par l’accident du 31 mars 2016. Dans ce premier chapitre, nous venons de rappeler les éléments de contexte qui ont conduit à la demande d’expertise et la méthodologie mise en œuvre par l’expert pour répondre à cette demande. Le deuxième chapitre du rapport est consacré à une présentation globale du projet RGV qui vise à rappeler au CHSCT les motivations qui ont poussé l’exploitant EDF à programmer le renouvellement de quatre générateurs de vapeur dans la tranche 2 du CNPE de Paluel, et à présenter l’organisation mise en place par la DPNT, la DIPDE et le CNPE de Paluel pour préparer et réaliser le chantier RGV. Dans le troisième chapitre, nous présentons l’analyse des causes matérielles de l’accident du 31 mars 2016 et émettons un certain nombre de remarques sur les plans réglementaire et technique. Dans le quatrième chapitre, nous nous intéressons spécifiquement à identifier les facteurs de risque qui ont pu être révélés durant la phase d’études des opérations RGV et nous revenons sur l’organisation mise en place pour définir et réaliser la surveillance des études RGV 1300 MW. Dans le cinquième chapitre, nous abordons les facteurs de risque révélés pendant la phase de réalisation et nous intéressons au détail des modalités de surveillance des opérations mises en place par la DIPDE sur le site du CNPE de Paluel. Dans le sixième chapitre, nous présentons la synthèse du rapport ainsi que les préconisations et les recommandations que nous émettons à l’issu de l’analyse. Le septième chapitre regroupe les documents annexés au rapport. *** Remarque liminaire relative à la problématique de contamination et d’intégrité structurelle du bâtiment réacteur de la tranche 2 : à la suite de la chute du générateur de vapeur le 31 mars 2016, les représentants du personnel aux CHSCT AT et TEM du CNPE de Paluel se sont inquiétés des conséquences matérielles potentielles de la chute du GV sur la piscine du bâtiment réacteur et plus largement sur l’intégrité du béton de la dalle 27mètres. Ils ont également soulevé des inquiétudes quant au maintien du confinement du générateur de vapeur et sur les éventuelles fuites d’eau contenant des éléments radioactifs.

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Ces problématiques ont été levées par l’exploitant à la suite de l’accident : • en procédant à un relevé de l’ensemble des balises KRT présentes dans le bâtiment réacteur pour contrôler le niveau de radioactivité, • en faisant réaliser des études de génie civil visant à vérifier la résistance des matériaux du BR (bétons armés et structure) ; • en réalisant une inspection vidéo de la piscine du BR à l’aide d’un drone. Ces premières analyses ont montré que le générateur de vapeur n’a pas été abimé par sa chute et qu’il n’émettait aucune radiation supérieure à celles normalement relevées lors de son utilisation. Le générateur usé constitue donc une source de radioactivité dite « scellée », ne présentant pas de risque de contamination supplémentaire. Des études, pilotées par la DIPDE, visant à contrôler l’intégrité du bâtiment, ont également montré que le béton armé et les structures du bâtiment réacteur n’ont pas subi de dommage particulier : le spectre de fréquences produit par la chute du GV était compris dans l’enveloppe de résistance prévue pour les séismes. D’autres études, sur des longueurs d’onde à haute fréquence sont actuellement en cours afin de vérifier qu’il n’y ait pas eu de dommage spécifique sur les appareils électriques. Les vidéos de la piscine tournées à l’aide du drone ont montré que le liner en inox de la piscine avait été détérioré et qu’il y avait également de l’enduit qui avait été arraché entre le liner et le béton. Des inspections supplémentaires ont également été réalisées une fois le GV sorti en envoyant des cordistes. Fin février, les travaux sur la piscine ont commencé par le déblaiement, le nettoyage et la décontamination du fond de la piscine. Au mois de mars et d’avril, une expertise complète du liner a été réalisée en vue de sa réparation. Une inspection du plan de cuve a également été réalisée au mois de mars et montré qu’il n’y avait pas de dommage au niveau du faux couvercle de la cuve. Une tige de guidage endommagée a été démontée et va être remplacée. Une inspection des internes de la cuve pourra être réalisée au mois de septembre une fois la cuve mise en eau et le confinement assuré. Les documents d’analyse correspondants ayant été remis aux CHSCT et à l’ASN, nous avons fait le choix de ne pas approfondir ces éléments et de nous consacrer au traitement des autres points soulevés par les CHSCT.

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2 - Présentation des opérations RGV Dans ce premier chapitre, nous présentons une synthèse de l’organisation du chantier de remplacement des GV ainsi que le périmètre d’intervention des différents acteurs impliqués dans le projet. Ces informations, générales et non exhaustives, au vu de la dimension organisationnelle et de la pluri-annualité du projet, visent à donner au lecteur une vision générale du chantier RGV et ce, avant que nous fassions, dans le chapitre suivant, l’analyse spécifique des opérations de levage ayant conduits à la chute du GV n°2.

2.1. Le projet RGV Le projet de remplacement des GV s’inscrit dans la démarche de prolongement de la durée de vie de centres nucléaires de production d’électricité de l’exploitant EDF. Le projet de RGV sur les centrales de palier P4 et P’4 (1300 MW) fait suite aux remplacements des GV opérés dans les centrales de 900 MW (palier CP0) dans lesquelles 29 générateurs de vapeur ont déjà été renouvelés.

2.1.1. LA FONCTION DES GENERATEURS DE VAPEUR Les générateurs de vapeur font partie du circuit primaire des centrales nucléaires fonctionnant avec de l’eau pressurisée (REP). Dans ce circuit, ils servent d’échangeur de chaleur entre l’eau du circuit primaire, chauffée dans la cuve par les barres de combustible et l’eau du circuit secondaire. L’échange thermique qui se produit dans les générateurs permet que l’eau du circuit secondaire atteigne une température (environ 290°) et une pression telles que l’eau se vaporise en vapeur. Cette vapeur pressurisée permet ensuite de faire tourner les pales de la turbine et d’entraîner les turbo-alternateurs qui produisent l’électricité. Il s’agit donc d’un équipement crucial et central dans le fonctionnement de la tranche nucléaire.

Principe de fonctionnement d’un réacteur REP CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 17


Les générateurs de vapeur permettent également de limiter le taux d’humidité de la vapeur produite, de façon à optimiser les performances de la turbine1. En outre, ils ont également une fonction de sureté puisqu’ils assurent le confinement des matières radioactives provenant du combustible et permettent d’évacuer la puissance thermique produite par le cœur. Les réacteurs des CNPE produisant 1300 MW sont équipés de quatre générateurs de vapeur (de type « économiseur axial ») contre trois seulement pour les centrales de puissance 900 MW. Une opération de remplacement des GV sur les sites du palier 1300 MW implique donc de déposer quatre générateurs usés (GVU) et d’en installer quatre neufs.

Schéma du circuit primaire d’un réacteur REP 1300MW (source : ASN)

2.1.2. LES

PROBLEMATIQUES D’USURE GENERATEURS DE VAPEUR

ET

DE

VIEILLISSEMENT

DES

La nécessité de remplacer les générateurs de vapeur des centrales 900 MW et 1300 MW vient du fait qu’il a été constaté des problématiques d’usure et de vieillissement au niveau des tubes du circuit primaire et des plaques entretoises situés à l’intérieur des GV. • Chaque générateur comporte plusieurs milliers de tubes, ou faisceaux tubulaires, en forme de U. Ces tuyaux, qui supportent une pression de 155 bars, une chaleur très élevée et un haut niveau de vibrations, sont maintenus par des barres antivibratoires et des plaques entretoises. La partie cintrée des tubes et les barres antivibratoires entrent en contact, ce qui dans certains cas, peut provoquer de l’usure et à terme l’endommagement des tubes. En outre, la fatigue des métaux peut également engendrer des fissures sur les tubes. Il y a donc un risque de fuite d’eau radioactive entre le circuit primaire et le circuit secondaire.

1

Moins la vapeur est chargée en eau et plus le procédé est efficace. L’idéal serait d’utiliser de la vapeur sèche mais le processus de production est plus complexe à mettre en œuvre. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 18


• Les plaques entretoises qui maintiennent les tubes sont également susceptibles d’être partiellement colmatées par des particules métalliques, ce qui est appelé le « colmatage ». Ce phénomène accroît la contrainte sur les tubes ainsi que le risque d’instabilité vibratoire1.

Vue de coupe d’un générateur de vapeur (Source : ASN)

Deux centrales américaines et deux centrales françaises ont été concernées par un accident au niveau des tubes de générateurs : la centrale du Blayais en 1990, la Centrale d’Indian Point en 2000, la centrale de Cruas-Meysse en 2006 et la Centrale de San Onofre en 2012. Si les tubes peuvent être obturés, cela entraîne néanmoins une baisse de la surface d’échange thermique dans le générateur, une diminution de la vapeur générée et donc une diminution de la production d’électricité. En outre, les générateurs obturés font également l’objet d’une restriction : au-delà de 5% d’obstruction, les spécifications techniques d’exploitation imposent une diminution de la puissance du réacteur. C’est la raison pour laquelle, il a donc été décidé par l’exploitant de renouveler l’ensemble des GV sur tous les sites français. *** Les générateurs de vapeurs occupent une place majeure dans le processus de production d’électricité des centrales à réacteurs à eau pressurisée. Au-delà de la nécessité de prolonger la durée de vie des CNPE, leur remplacement relève donc également d’un impératif de sûreté des installations et, par là-même, de sécurité du personnel. 1

EDF, SEPTEN, Rapport de stage sur le colmatage des plaques entretoises et l’usure des GV sous barres antivibratoires, résumé, page 1. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 19


Au cours des 15 dernières années, la grande majorité des générateurs des centrales de 900 MW a été remplacée. A l’avenir, au sein des huit sites de puissance 1300 MW 1 , 20 réacteurs doivent être traités, soit 80 générateurs de vapeur à remplacer. Le site de Paluel est le premier des sites 1300 MW où le projet de RGV a été décliné. Il s’agit donc d’une opération industrielle « pilote » ou « tête de série » qui sera ensuite massifiée pour être déclinée sur l’ensemble des sites dans les délais impartis par la durée de vie des installations. Il est en effet nécessaire de réaliser ces opérations avant la quatrième visite décennale sans quoi l’Exploitant ne pourrait justifier, auprès de l’autorité de sûreté, des mesures prises pour permettre le prolongement de l’exploitation au-delà des 40 années prévues.

2.2. La chronologie du projet RGV Paluel 2 Sur le site de Paluel, l’organisation des opérations de remplacement des GV de la tranche 2 est d’emblée particulière, dans la mesure où elle s’inscrit dans la chronologie de la visite décennale de la tranche programmée en 2015 (VD 3). La DIPDE et la direction nationale d’EDF ont fait le choix stratégique de programmer le remplacement des GV de la tranche 2 en parallèle de la visite décennale annuelle programmée en 2015, ce qui a constitué une complexité particulière dans la mesure où les opérations concernant le GV ont dû être intégrées dans le programme, déjà relativement lourd, de la visite d’arrêt décennale. Dans cette organisation densifiée des travaux d’arrêt et de RGV, se sont ajoutées également les opérations de remplacement des boucles en U, situées entre le circuit primaire et le circuit secondaire. Du fait de problématiques de résistances des métaux et d’épaisseur, il a été décidé de changer les boucles en U pendant ce même arrêt, en amont du remplacement des GV, de manière à ne pas avoir à reprogrammer un arrêt de tranche spécifique pour cette opération lourde dans quelques années. Conçus de façon séparée, les plannings des différentes interventions du programme d’arrêt de tranche et de remplacement des GV ont dû être revus de façon à pouvoir s’imbriquer et à limiter, autant que faire se peut, la durée globale de l’arrêt. Ce croisement entre les deux séries de travaux a d’emblée produit des difficultés et conduit à rallonger la durée initialement impartie pour l’arrêt. Nous allons voir qu’à ces difficultés organisationnelles initiales dans la planification, se sont, par la suite, succédés plusieurs aléas significatifs qui ont, à chaque fois, engendrés des décalages et des reprogrammations d’activités. Le calendrier des opérations a été déroulé en deux phases : une phase de pré-études / études et une phase de préparation / réalisation.

2.2.1. PHASE DE PRE-ETUDES ET D’ETUDES Le projet RGV a été initié en 2009 avec une phase d’études de faisabilité et de conception visant à identifier le mode opératoire principal de manutention des GV. Il s’agissait notamment d’analyser la cinématique permettant de sortir les GV en un seul bloc et ne pas avoir à les 1

Paluel, Penly, Flamanville, Belleville-sur-Loire, Golfech, Cattenom, St-Alban et Nogent-sur-Seine. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 20


couper en deux morceaux 1 . Une pré-étude a ainsi été confiée aux entreprises Rigging et Mammoet. Des études de conception relatives au pont polaire ont également été réalisées afin d’envisager de pouvoir l’utiliser pour la manutention de GV pesant 465 tonnes. Parallèlement, des études dites « d’avant-projet sommaire » (APS) ont été lancées afin de confier la réalisation des opérations à un GMES. Deux groupements d’entreprises ont alors proposé des solutions techniques différentes pour la manutention des GV. Après plusieurs modifications de la proposition commerciale, les opérations ont été confiées au groupement porté par Areva2. Ce choix était lié au fait que ce groupement avait déjà réalisé les opérations de RGV sur les sites EDF de 900 MW et qu’Areva disposait, pour les avoir conçus par le passé, des plans d’interface fonctionnelle entre le circuit primaire et le circuit secondaire. En outre, Areva détenait également les connaissances et compétences nécessaires pour les opérations de soudage ainsi que pour les opérations de requalification des installations post-travaux. D’après plusieurs interlocuteurs, malgré cette décision, la négociation et la signature du contrat avec le GMES ont néanmoins pris plus d’un an avant d’être validées par la DPN, ce qui a d’emblée réduit le temps que le GMES pouvait consacrer aux études (celui-ci passant de quatre à trois années) et généré des retards dans la production des documents d’études destiné à la DIPDE. Les premières contractualisations et travaux techniques d’identification des solutions, à proprement parler, ont démarré en 2011. A ce moment, un pilote d’affaire RGV et un responsable de conception furent nommés au sein de la DIPDE. Entre 2011 et 2013, ont lieu les phases d’études et de conception de l’ensemble des activités de RGV. En 2013, une revue de conception et d’analyse des risques a été réalisée afin de définir le programme de « qualification des outils de maintenance » (QOM). Ce programme visait à déterminer quels outils et machines devaient faire l’objet d’une étude approfondie par la DIPDE et à définir, par la suite, au regard de cette criticité, le programme de surveillance des études à mettre en place. Les documents d’études techniques ont été produits par le GMES progressivement et remis au service Etudes de la DIPDE au fur et à mesure, pour qu’ils puissent être commentés et validés. Nous verrons plus avant dans le présent rapport que certains documents ont été remis avec beaucoup de retard à la DIPDE, ce qui a contribué à limiter le temps consacré à la surveillance des études. En 2014, la DIPDE a constitué une équipe de réalisation du chantier RGV 3 qui a été installée sur le site de Paluel dans des locaux dédiés. Cette équipe devait effectuer la préparation, le suivi, la surveillance et le repli du chantier RGV. Un responsable opérationnel, un adjoint opérationnel et le responsable de conception des GV ont été affectés à l’équipe RGV dès le commencement afin d’apporter leur expertise. Afin d’assurer la coordination entre l’équipe RGV et celles du CNPE, notamment l’équipe du programme d’arrêt tranche 2, le CNPE a détaché plusieurs personnels au sein de l’équipe RGV. Un chef de projet appartenant à l’Entité 1

2

3

D’après nos interlocuteurs à la DIPDE, la manutention des GV en deux blocs aurait nécessité de découper les GV usés dans le bâtiment réacteur, ce qui aurait induit une contamination radioactive importante. En outre, il aurait également fallu souder les nouveaux GV dans le BR avec des conditions d’accès plus complexes. La cinématique de sortie en monobloc permettait de réaliser les opérations plus rapidement et d’ainsi réaliser des économies considérables en réduisant la durée des arrêts de fonctionnement des tranches. D’après plusieurs interlocuteurs, il y aurait eu à l’époque une préférence des agents de la DIPDE et d’Areva pour travailler avec Mammoet ; cependant le choix d’Orys aurait été imposé par la direction nationale d’EDF (voir ci-dessous notre Chapitre 5). Nous détaillons l’organisation mise en place dans le point suivant. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 21


de Coordination et d’Appui au Projet (ECAP) et deux appuis sûreté radioprotection, issus du Service Prévention des Risques (SPR), ont été affectés à l’équipe RGV pour toute la durée de l’arrêt. En outre, le directeur délégué arrêt de tranche du CNPE assurait un suivi spécifique des opérations RGV en coordination avec les différents acteurs. Par ailleurs, l’équipe RGV et les entreprises du GMES ont été installées dans les mêmes locaux afin de faciliter la communication et la coordination. En mai-juin 2014, les premiers groupes de travail et de planification (GTP) ont été institués entre le CNPE, la DIPDE et le GMES. Ces groupes avaient, entre autres objectifs, d’intégrer le planning RGV dans le planning d’arrêt de tranche. C’est en réalisant cet exercice de planification commune que les équipes du CNPE et l’équipe RGV ont constaté que le chemin critique, caractérisé notamment par la disponibilité du pont polaire, ne permettrait pas de tenir les délais fixés pour l’arrêt et qu’il était nécessaire d’envisager une durée d’arrêt plus longue pour les différents chantiers. Conséquemment à ce constat, la DPN a mis en place un groupe de travail, dit « task force », constitué de plusieurs chefs de programme d’arrêt de tranche, pour tenter d’optimiser la durée de l’arrêt. Quelques améliorations de planning ont ainsi pu être identifiées ; néanmoins la durée prévue pour l’arrêt a dû être rallongée avant même que les opérations RGV ne commencent.

2.2.2. PHASE DE PREPARATION / REALISATION a) Les différentes étapes du chantier RGV La réalisation du remplacement des quatre générateurs de vapeur de la Tranche 2 constitue un chantier de grande ampleur qui implique de nombreuses étapes de préparation dans le bâtiment réacteur mais également à l’extérieur du bâtiment et au niveau des locaux dédiés au RGV. Nous présentons ci-après, de façon non exhaustive, les principales étapes de l’opération afin que le lecteur puisse avoir une idée des différents chantiers programmés en amont et en aval des opérations de levage des GV à proprement parler. Nous avons essayé de présenter ces éléments de manière chronologique afin de montrer la logique du projet néanmoins, compte tenu des aléas rencontrés dans la programmation (voir point suivant) l’ordre des activités a pu être modifié. Opérations préalables à la manutention des GV • Construction des bâtiments GVU et des ateliers GV chaud et froid dans la zone Est du site. • Installation du portique de manutention à l’extérieur du bâtiment réacteur. • Réception et installation des GV neufs dans l’atelier froid. • Préparation des GV neufs dans l’atelier froid (décapage peinture de protection, etc.). • Décalorifugeage des tubes des circuits secondaires et primaires dans le BR. • Installation des échafaudages dans le BR. • Installation des protections biologiques dans le BR (plombage). • Mise à l’arrêt du réacteur et transfert du combustible dans la piscine du bâtiment combustible. • Installation du platelage (plancher lourd) au-dessus de la piscine BR.

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• • •

Installation et qualification des moyens de manutention des GV dans le BR (plateformes, poutres de ripage sur pont polaire, vérin à câble, torons, palonnier, mât et vérins de soutènement du pont polaire, voie de ripage, berceau d’accueil, etc.). Installation et qualification des potences destinées à la pose / dépose des charpentes et à la manutention dans les casemates GV. Préparation des GV usés : découpe des tubes du circuit primaire et du circuit secondaire, obturation des THP, TP et TO, soudure des tapes de confinement, pose des tourillons pour la manutention, etc.

Opérations de manutention des GV usés et des GV neufs1 • Manutention des GV usés dans le BR : maillage, hissage au-dessus des casemates, alignement sur la voie de ripage, pose sur le berceau, mise à l’horizontale, dépose du SHS, évacuation par le TAM. • Manutention des GV usés hors BR : maillage, descente au niveau 0 mètre, dépose sur remorque, balisage de la route, acheminement dans les bâtiments d’entreposage des GV et entreposage. • Manutention des GV neufs hors BR : acheminement depuis l’atelier froid, maillage, montée au niveau 27 mètres avec le portique extérieur, installation sur le berceau, introduction dans le BR par la voie de ripage. • Manutention des GV neufs dans le BR : maillage, pose du SHS, mise en position verticale, installation dans les casemates. Opérations postérieures à la manutention des GV • Raccordement des GV aux circuits : soudure des tubes du circuit primaire et du circuit secondaire. • Démontage et dépose des moyens de levage du BR. • Démontage et dépose des moyens de levage extérieur BR (portique, vérins, palonnier, etc.). • Dépose du platelage de la piscine réacteur. • Mise en eau et épreuve hydraulique des circuits. • Chargement du combustible et reprise de l’exploitation de la tranche 2. b) Un calendrier de réalisation perturbé par une série d’aléas Si la durée de réalisation des opérations RGV a dû être revue du fait de l’incompatibilité avec le programme d’arrêt de tranche, plusieurs aléas ont également contribué à perturber la planification et l’organisation du projet. La phase de réalisation du RGV était prévue pour démarrer en mai 2015 et devait s’étaler initialement sur 213 jours durant lesquels l’ensemble des interventions de maintenance de la visite décennale et des opérations de modifications lourdes des installations dont celles du RGV devaient être effectuées2. Le planning des opérations prévoyait que le remplacement des GV soit effectué au début de l’arrêt et que les interventions traditionnelles de maintenance soient réalisées dans un second temps. Néanmoins, ce planning a connu de nombreuses modifications du fait d’une série d’aléas d’ordre logistique, technique et accidentel. 1

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Nous revenons de manière détaillée sur les moyens techniques de manutention des GV dans le chapitre suivant. Par comparaison, une visite décennale classique est programmée sur 113 jours. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 23


Dès le début de l’année 2015, le CNPE a été informé d’un retard dans l’approvisionnement des branches en U destinées à remplacer les tubes du circuit primaire reliant la pompe du circuit primaire au GV. En conséquence, la planification des opérations de RGV, opérations considérées jusqu’alors comme critiques, a été inversée : les activités traditionnelles de l’arrêt ont été planifiées au début de celui-ci et celles relatives au RGV ont été repoussées en décembre 2015. Les activités de préparation du chantier RGV ont néanmoins pu être réalisées (décalorifugeage, bridage de tuyauteries, pose des protections biologiques, relevés de topométrie, installation des moyens de levage, etc.). Cette inversion du calendrier n’a pas en elle-même engendré du retard dans les opérations RGV mais elle a, par contre, bouleversé de manière très significative les opérations du programme d’arrêt de tranche. Le réacteur a néanmoins été mis à l’arrêt comme prévu le 16 mai 2015. En 2015, un retard est survenu sur le réglage des potences destinées, entre autres, à démonter les charpentes et les platelages : des difficultés particulières sont apparues au niveau du scellement des potences dans le béton des casemates des GV. De ce fait, l’installation et la qualification des potences a pris douze jours au lieu des quelques jours prévus dans le planning, ce qui a engendré un décalage dans l’organisation des activités RGV. Le 2 juillet 2015, un deuxième évènement a perturbé l’organisation du programme d’arrêt et le fonctionnement du site : au cours d’une intervention sur le condenseur situé en salle des machines de la tranche 2, un feu de métal, en l’occurrence du titane, s’est déclaré à la suite d’activités de découpe à haute température des structures internes du condenseur. Cet aléa a modifié une grande partie de la programmation des opérations de maintenance sur le circuit secondaire. Le 3 décembre 2015, au moment où les opérations de RGV devaient débuter effectivement, un troisième aléa s’est produit au niveau du portique extérieur (PEX) destiné à évacuer les GV usés du bâtiment réacteur de la tranche 2. Lors de la mise en position haute des palonniers (qui avaient été descendus pour positionner les estropes) par les équipes d’Orys, un des deux palonniers a chuté sur le sol depuis une quinzaine de mètres. A la suite de ce premier accident de levage, plusieurs réunions ont dû être organisées avec les acteurs concernés pour gérer l’aléa. Le matériel de levage (vérins, câbles, etc.) a dû être remis en état après avoir été exposé pendant plusieurs mois aux intempéries et à la corrosion, sans protection. Le CNPE a également, sur demande de l’inspection du travail, fait réaliser par l’entreprise SOCOTEC une vérification de conformité sur le portique extérieur (Arrêté du 22 octobre 2009). Toutes ces opérations ont, à nouveau, engendré une désorganisation importante du planning des opérations RGV puisque les outils de levage nécessaires à la manutention des GV venaient de subir une sérieuse avarie et ne pouvaient donc être utilisés. Le 17 décembre 2015, un quatrième aléa s’est produit lors de la mise en place de chemins de câbles sur la partie mobile du MLV. Au cours d’une intervention effectuée par les équipes d’Orys avec l’appui de l’entreprise REEL, il y a eu une collision entre le châssis de mise en place des béquilles de vérinage du pont polaire et la tuyauterie EAS1 qui a été enfoncée. La réparation du tuyau n’a pu être soldée qu’en février 20162. Le 13 janvier 2016, un cinquième aléa est survenu au niveau des vérins 150 tonnes nouvellement installés pour soutenir le pont polaire lors de la manutention des générateurs 1 2

EAS : circuit d’aspersion de secours dans l’enceinte du bâtiment réacteur. EDF, Fiche de relevé des faits du 6 janvier 2016 « Collision entre le pont polaire Tranche 2 et la tuyauterie EAS ». CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 24


de vapeur. Au cours d’une opération de mesures topométriques et de mesures de position pour le Mât de soutènement du pont polaire réalisée par les équipes d’Orys, un des vérins est sorti de son logement. Il a été nécessaire de sécuriser ce vérin et de procéder à une nouvelle installation en repensant le dispositif. Cet accident de vérinage a également contribué à désorganiser le planning des opérations de RGV. *** En conséquence des différents aléas subis, les opérations de sortie des GV usés et d’introduction des nouveaux GV n’ont pu démarrer qu’en mars 2016, soit 10 mois de décalage avec le calendrier initialement fixé. Les opérations de manutention des GV à proprement parler (maillage, hissage, confinement, sortie casemate, translation, alignement sur le TAM, mise à l’horizontalité, sortie, descente, évacuation vers bâtiments dédiés, etc.) se sont déroulées sur 11 jours, à compter du 20 mars 2016. Le premier GV (le n°3) a été évacué entre le 21 et le 25 mars puis le deuxième GV (le n°4) a été sorti entre le 26 et le 29 mars. Les opérations sur le troisième GV (le n°2) ont démarré le 31 mars et la chute du GV s’est produite vers 13h, au cours de la phase de mise à l’horizontalité du GV.

2.3. L’organisation du projet RGV Afin de définir, de planifier et de réaliser les opérations de la visite décennale, mais également celles du RGV et celles des autres projets du Grand Carénage, une organisation projet complexe, a été mise en place entre les différents acteurs concernés. Le projet RGV a fait l’objet de multiples notes d’organisation et documents techniques afin de préciser les rôles et les limites de responsabilités des différentes entreprises et entités intervenants sur le chantier. Dans les points suivants, nous nous sommes appuyés sur les informations collectées en entretiens et sur ces notes techniques pour préciser l’organisation mise en place.

CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 25


2.3.1. ORGANISATION GENERALE DES OPERATIONS RGV Direction Production Nucléaire et Thermique

Détermination des objectifs

Directoire Maintenance GV

Contractualisation

Suivi Arbitrages

Centre Nucléaire de Production d’Electricité de Paluel

Direction d’Ingénierie du Parc de la Déconstruction et de l’Environnement Coordination PAT

Coordination

Coordination Arbitrages

Equipe Remplacement Générateurs de Vapeur

Organisation Surveillance

Groupement Momentané d’Entreprises Solidaires

Organisation Surveillance

Surveillance

Sous-traitants

2.3.2. ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA DIPDE La Direction d’Ingénierie du Parc de la Déconstruction et de l’Environnement (ex-CIPN, Centre d’Ingénierie du Parc Nucléaire) est située à Marseille, à Lyon et elle est présente sur 11 CNPE. Elle regroupe environ 1900 agents. Dans le projet RGV, la DIPDE est intervenue comme le maître d’ouvrage de la Direction de la Production Nucléaire et Thermique (DPNT) de laquelle dépendent les CNPE, mais également comme maître d’œuvre pour la conception et la réalisation de la surveillance des opérations du GMES sur site.

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a) Organisation La DIPDE est le centre d’ingénierie d’EDF spécialisé sur la partie nucléaire et les modifications lourdes des gros composants nucléaires (générateurs, pompes, circuit primaire, etc.). Elle est le pendant du Centre National d’Equipement et de Production d’Electricité (CNEPE) situé à Tours, spécialisé sur la partie conventionnelle des CNPE. Organisation de la Direction du Parc Nucléaire et Thermique DPNT Direction du Parc Nucléaire et Thermique

DPN Direction de la Production Nucléaire

DIPDE Direction d’Ingénierie du Parc de la Déconstruction et de l’Environnement Marseille

DCN Division Combustible Nucléaire

DPIT Division production & Ingénierie Thermique

DP2D Direction des projets Déconstruction et Déchets

DAIP Division Appui Industriel au producteur

DPGC Direction du Programme grand carénage

La DIPDE effectue l’ingénierie et la surveillance des grands projets et, à travers ses 11 équipes communes sur sites (38 tranches, 600 agents déployés), elle apporte également un appui à l’Exploitation. La DIPDE est principalement composée d’ingénieurs spécialisés (69% de l’effectif) et est constituée de sept pôles dont deux départements Etudes, l’un situé à Marseille, l’autre, spécialisé dans les études environnement, basé à Lyon. La DIPDE a quatre missions principales : • Elle conçoit les études et réalise les travaux de modifications des matériels, systèmes et bâtiments du parc nucléaire en exploitation et adapte les règles de conduite. • Elle assure la maintenance des ouvrages de Génie Civil. • Elle réalise les études techniques en support aux projets de déconstruction. • Elle garantit l’intégrité de la conception des centrales nucléaires durant toute la période d’exploitation (Design Authority).

CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 27


Organisation de la DIPDE DIPDE Direction d’Ingénierie du Parc de la Déconstruction et de l’Environnement

Grand Carénage

Pôle appui et compétences

Département Performance des Projets

Départements Etudes, Environement & Déconstruction

Design Authority

Département Réalisation

Département Etudes ilots nucléaire

Département Finance et Contract Management

11 équipes communes

Le champ d’action de la DIPDE est vaste puisqu’elle peut être sollicitée par deux Directions Projets (la Direction du Programme Grand Carénage et la Direction des Projets Déconstruction et Déchets1) ainsi que par la Direction de la Production Nucléaire et Thermique. Le département Etudes Ilot Nucléaire situé à Marseille regroupe environ 750 ingénieurs et techniciens d’études répartis au sein de 9 services.

Organisation du Département Etudes Ilot Nucléaire

Département Etudes

Service Maintenance et Levage

Service Sûreté Nucléaire

Service Electricité

Service Installation Mécanique

Service CyberSécurité

Délégués études aux Projets

Service Essais et Intégration des modifications

Service Fonctionnement Conduite

Service Systèmes et Procédés

Service Contrôle Commande

Chaque service Etudes comprend 60 à 100 agents et est composé de Groupes de 10 à 20 ingénieurs (selon l’activité) animés par un chef de Groupe. Les services comprennent également un responsable de conception, des délégués études, des délégués techniques et des techniciens de bureau d’étude. Pour exemple, nous avons reproduit ci-après l’organigramme du service Maintenance Levage.

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Ex-CIDEN. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 28


Organisation du service Maintenance Levage* Service Maintenance Levage (65 agents) Groupe Levage sous eau (10 agents)

Groupe Levage en air (10 agents)

Pôle Réglementation (6 agents)

Groupe Nettoyage chimique (7 agents)

Groupe Fabrication GV (10 agents)

Groupe Intervention Exceptionnelle (14 agents)

*Cet organigramme a été réalisé à partir des informations collectées en entretien.

b) Fonctionnement de l’entité Projet RGV Chaque entité projet de la DIPDE, dont l’entité Projets RGV, est constituée d’un chef de projet, de chefs de lot(s), d’un pilote d’affaire, d’un contrôleur de gestion, d’un assistant(e) de gestion ainsi que d’un manager de contrat. Le chef de projet RGV a pour mission de suivre et de vérifier la qualité, le coût et le délai du projet. Il anime le comité de pilotage et gère les jalons du projet au regard du calendrier déterminé en amont par la DIPDE. L’entité Projets RGV de la DIPDE a en charge l’ensemble des chantiers de modifications et de remplacement des GV sur les centrales de 900 MW et 1300 MW. Elle prend également en charge les opérations de nettoyage chimique des GV sur l’ensemble du parc, ainsi que des études sur les composants destinés au circuit primaire et des études sur la dégradation des GV. Pour le Projet RGV de Paluel 2, un Responsable de conception a été désigné au sein du Département Etudes. Ce responsable a fait appel aux différents services d’études pour s’entourer des connaissances et compétences nécessaires (chargés d’études, techniciens d’études, etc.). En 2013, le GMES (via son mandataire Areva) a transmis à la DIPDE la liste prévisionnelle des moyens techniques utilisés pour le chantier RGV. A partir de cette liste, le Responsable conception a, dans le cadre de ses activités, effectué une revue de conception et d’analyse de risque permettant notamment d’établir le programme de qualification des outils de maintenance. Partant de cette analyse, il a ensuite défini le programme de surveillance des études (types de livrables, niveaux de surveillance, etc.). Pour la constitution de l’équipe RGV, le chef de projet a effectué le dimensionnement des ressources nécessaires (ingénieurs, chargés d’affaires, appuis opérationnel, pilote, etc.). L’affectation des personnels a été effectuée par le Département Réalisation (DEIN), en fonction du volontariat des collaborateurs, des besoins liés aux autres projets gérés parallèlement par la DIPDE et de la planification réelle des opérations. Les Prescriptions et Recommandations de surveillance, élaborées par le Responsable de conception et les services Etudes ont ensuite été transmises à l’équipe RGV du site de Paluel afin qu’elle puisse établir le Programme de surveillance de la réalisation du projet sur site1.

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Nous reviendrons sur le détail de cette organisation de la surveillance dans notre Chapitre 5. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 29


Pour le projet RGV de Paluel 2, la DIPDE a assuré des fonctions d’élaboration, de mise en œuvre et de surveillance du projet : • Les études d’avant-projet sommaires (APS) et les études d’avant-projet détaillées (APD), le lancement de la consultation des entreprises et la négociation technique avec le GMES ; • La contractualisation avec la Groupement Momentané d’Entreprises Solidaires ; • Le suivi mensuel des intervenants et fournisseurs ; • Le pilotage de projet ; • L’organisation et la réalisation de la surveillance des études de conception par les agents des services Etudes concernés (qualification des opérations de maintenance, analyse de risques, validation des documents techniques) ; • L’organisation et la réalisation de la surveillance du chantier RGV sur site par les agents détachés au sein de l’équipe RGV ; • La coordination, avec le GMES et le CNPE, de l’ensemble des opérations techniques et des besoins logistiques.

2.3.3. ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE L’EQUIPE RGV L’équipe RGV a été mise en place par la DIPDE et le CNPE en 2014 sur le site de Paluel. Elle a été installée dans la zone Est du site, sur le plateau, où sont également installées les entreprises du GMES et certaines entreprises prestataires. L’équipe RGV a été conçue comme une entité ad hoc instituée temporairement pour la durée du projet RGV tranche 2. Elle a été adossée à l’équipe commune déjà présente sur le site. L’équipe RGV a assuré une maîtrise d’œuvre de réalisation en assurant la surveillance des opérations et la coordination des activités. La mise en place de l’équipe RGV à Paluel a fait l’objet d’une note d’organisation produite par l’entité projet RGV de la DIPDE « RGV PAL2 – Organisation de l’équipe RGV ». Cette note décrit les moyens, l’organisation, le fonctionnement et les attributions de l’équipe. Par ailleurs, une autre note d’organisation a précisé les modalités de formation et d’habilitation des membres de l’équipe RGV : « Formations et habilitations des intervenants sur les opérations type RGV ». Une troisième note d’organisation déterminait les modalités de contrôle interne des acteurs RGV : « Plan de contrôle interne des équipes dédiées du CIPN pour ces opérations lourdes type NCGV NPGV et RGV ». Deux autres notes d’organisation précisaient les modalités d’organisation de l’équipe RGV : « Organisation de la surveillance pour les opérations lourdes type NCGV, NPGV et RGV » et « RGV PA2 – Organisation des équipes BR ». L’équipe RGV a été principalement composée d’ingénieurs et de chargés d’affaire détachés par la DIPDE, d’inspecteurs spécialisés mis à disposition par le Centre d'Expertise et d'Inspection dans les Domaines de la Réalisation et de l'Exploitation (CEIDRE). Afin que les spécificités et les intérêts propres au site de Paluel soient relayés à l’équipe RGV et au GMES, le CNPE avait également détaché un correspondant et deux appuis pour la radioprotection dans l’équipe RGV. Un membre du projet d’arrêt avait également pour mission de faire le lien avec l’équipe RGV pour faciliter le phasage entre les opérations RGV et celles de la visite décennale. L’équipe RGV comprend trois niveaux : un niveau de pilotage du projet, un niveau d’état-major et un niveau de pilotage des activités. Elle regroupe un peu moins de 50 personnes : deux pilotes opérationnels, un service administratif, une responsable de la qualité, une unité dédiée aux opérations hors du bâtiment réacteur dirigée par un responsable, une unité spécialisée pour les opérations à l’intérieur du bâtiment réacteur encadrée par trois adjoints CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 30


opérationnels, un groupe en charge des essais, un groupe issu du CEIDRE ainsi qu’un groupe d’assistance RGV et deux groupes d’appui. Pendant la phase de préparation, le groupe BR fonctionnait en 2x8 puis, pendant la phase de réalisation, les ingénieurs et les chargés d’affaire BR sont passés en 3x8 afin d’être présent 24h/24 dans le BR. Organigramme de l’équipe RGV Pilotage du projet

Groupe Administratif

1 responsable opérationnel 1 adjoint opérationnel

1 responsable administratif 1 assistante administrative

Groupe HBR

Groupe BR

1 responsable 4 chargés d’affaire

3 adjoints opérationnels 5 ingénieurs 5 chargés d’affaire

Groupe Essais 1 responsable 2 correspondants

Attaché qualité

Relation CNPE / équipe RGV

Sécurité Radioprotection

1 correspondant 2 appuis

2 coordonnateurs 2 appuis

Groupe CEIDRE

Assistance RGV

Groupe CEIDRE

Groupe Appuis

1 coordonnateur 1 adjoint coordo 5 inspecteurs

3 responsables 1 chef de chantier 1 appui

1 coordonnateur 1 adjoint coordo 5 inspecteurs

1 appui DIPDE 1 appui ASN 1 coordonnateur

Compte tenu des décalages dans la programmation des activités RGV, une partie du personnel affecté à l’équipe RGV a été renouvelé au cours du chantier, de sorte que le turn-over a été important, notamment pour les ingénieurs et les chargés d’affaire BR. Nous verrons dans le chapitre consacré à la surveillance du chantier que ces changements de personnes ont pu avoir une incidence sur la maîtrise globale des activités et la survenue de l’accident. L’équipe RGV a eu la responsabilité de préparer le chantier, de coordonner les activités, de surveiller les entreprises du GMES et ses prestataires, de suivre les écarts, de réaliser les retours d’expérience pour la capitalisation des opérations RGV sur les sites 1300 MW et également d’assurer le repli du chantier. L’équipe RGV avait pour mission de faire l’interface entre les entreprises du groupement et l’exploitant. Elle a permis également de rendre compte de l’avancée du projet et des difficultés rencontrées au CNPE et à l’entité Projet RGV de la DIPDE qui elle-même faisait le lien avec le Directoire Maintenance GV de l’état-major d’EDF. Afin d’effectuer sa mission principale de surveillance des entreprises intervenantes, les ingénieurs et les chargés d’affaire BR ont, pendant la phase de préparation du projet, pris connaissance de l’ensemble des Documents de Surveillance des Interventions (DSI) (ainsi que, lorsque cela s’est avéré nécessaire, des modes opératoires) remis par le GMES et ses

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prestataires ; ils y ont apposé, à partir des recommandations et prescriptions de surveillance1, les points de notification (points d’arrêt ou points de convocation) permettant de finaliser le programme de surveillance. Cette organisation avait pour objectif d’effectuer une surveillance continue des entreprises intervenantes pendant la phase de réalisation, en établissant des points de contrôle déterminés à l’avance (les points d’arrêt), mais également des moments de surveillance aléatoires (surveillance par sondage) et de la surveillance inopinée. Nous reviendrons sur l’organisation de la surveillance et ses enjeux dans le cinquième chapitre que nous avons consacré à ce sujet.

2.3.4. ORGANISATION DU CNPE POUR LE PROJET RGV Pour la durée du projet RGV et de la visite décennale, le CNPE avait un statut de maître d’ouvrage délégué. Pour l’organisation du chantier, l’équipe commune du CNPE, qui assure de manière pérenne les modifications sur les installations et le suivi des opérations durant les arrêts, a été renforcée par des ingénieurs et des chargés d’affaire venus d’autre sites afin de capitaliser cette expérience pour les visites décennales à venir sur l’ensemble des sites 1300 MW. L’équipe commune, qui comprend quatre pôles (un bureau technique, une section essais, une section mécanique et une section génie civil) a été gréée de trois équipes supplémentaires : une équipe RGV, une équipe Contrôle Commandes et une équipe dédiée au remplacement pôles des transformateurs. Par ailleurs, le CNPE a mis en place une organisation permettant de coordonner les opérations RGV et les opérations de la visite décennale en affectant deux ingénieurs de l’Entité Coordination et Appui aux Projets (ECAP), l’un à l’équipe RGV, l’autre dans l’équipe du projet d’arrêt. Cette organisation a permis à l’équipe RGV et au GMES d’avoir un référent sur le site, qui soit à la fois un facilitateur (notamment sur le plan logistique) et un coordinateur. Cela a également permis au CNPE d’être informé des opérations réalisées sur son site, des éventuelles difficultés survenues et des besoins de reprogrammation des activités. Afin d’assurer un suivi du projet RGV au niveau de la direction du site, un directeur délégué du CNPE a également été dédié au suivi de l’ensemble des opérations et des intervenants, en lien avec le correspondant RGV. Une réunion hebdomadaire de suivi a été institué entre le CNPE, l’équipe RGV et le GMES afin de suivre l’avancée du projet et de faciliter la résolution des difficultés. Pendant la préparation du projet, des groupes de travail spécifiques, pilotés par la DIPDE, ont été mis en place entre les différents services métiers du CNPE et le projet d’arrêt, pour traiter des problématiques de planification, de radioprotection et des essais. Pendant la durée du projet RGV, le service de Prévention des Risques du CNPE, a assuré un rôle opérationnel pour l’équipe RGV en apportant un appui en matière de sécurité et de radioprotection. Deux chargés d’affaire sécurité et un responsable de zone sont ainsi intervenus pour effectuer la cartographie de la radioactivité dans le BR, le contrôle des balises

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Il s’agit notamment des documents rédigés par l’entité projet RGV de la DIPDE : « Prescriptions de surveillance PNPP2283, tome A » et « Projet RGV, Programme de surveillance PAL2 ». CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 32


aérosols dans le BR, rédiger les gammes de balisage, déterminer le prévisionnel de dosimétrie, effectuer la pose des balisages à la demande du GMES et réaliser des frottis sur les GV.

2.3.5. ORGANISATION DU GMES Le Groupement Momentané d’Entreprises Solidaires sélectionné par EDF pour les opérations RGV était composé de quatre entreprises – Areva Nuclear Power, Orys, Eiffage Construction Métallique et Kaefer Wanner – coordonnées par Areva NP qui agissait en qualité de chef de file, mandataire auprès du client. Le GMES a été sollicité par la DIPDE pour effectuer une prestation d’assistance globale incluant la conception des études, la fourniture des moyens techniques d’intervention ainsi que la réalisation du chantier. Les entreprises du groupement sont intervenues comme prestataires de rang 1, ce qui signifie que toutes les entreprises et leurs sous-traitants ont été qualifiés en amont par EDF pour les opérations dont elles avaient la responsabilité1. Le processus de remplacement des générateurs de vapeur a impliqué qu’en amont et en aval des opérations de levage, à proprement parler, soient effectuées de multiples interventions permettant de préparer l’extraction et de remettre en fonctionnement les installations après la mise en place des nouveaux GV. Les tâches à réaliser relevaient de différents domaines techniques. Elles ont été réparties en lots entre les quatre entreprises du GMES qui, ellesmêmes, ont fait appel à environ soixante-dix sous-traitants intervenant pour des activités spécifiques. Chaque entreprise du groupement a mis en place une cellule de direction spécifique (nommée Staff dans l’organigramme ci-après) ayant pour objectif de réaliser les activités dont elle avait la responsabilité. En dessous de ces cellules, des équipes chantier dédiées ont été gréées. Selon le volume des activités à effectuer, les différentes équipes ont été organisées pour fonctionner en 2x8 ou en 3x8. En outre, des responsables ont été désignés pour superviser les activités à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment réacteur. En tant que mandataire du GMES, Areva NP est intervenue également comme chef de chantier, appui opérationnel et comme coordinateur de l’ensemble des activités. Areva NP coordonnait également des cellules transverses travaillant de façon indépendante pour l’ensemble du GMES : une cellule pour la surveillance de la qualité, une cellule pour la consignation et les tirs radio, une cellule dédiée aux essais, une autre pour la gestion du planning et du colisage des GV et une cellule dédiée à la sécurité et la radioprotection. Une autre cellule transverse, dédiée à la logistique du projet RGV, a été coordonnée par Orys.

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Nous reviendrons sur les processus de qualification des entreprises intervenantes dans notre Chapitre 5. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 33


Organigramme Opérationnel du GMES Chef de chantier GMES et adjoint Areva NP journée 7j/7

Suveillance Qualité GMES Areva NP Journée 7j/7

Consignation/Tirs Radio Journée 7j/7 Essais GMES Areva NP

Logistique GMES Orys Planning Colisage GMES Areva NP Sécurité RadioProtection Areva NP

Représentant du Projet IBR-F sur site ANP

Responsable administratif GMES Areva NP Journée 5j/7 Responsable opérationnel GMES (Areva NP) Journée 7j/7

Secrétaire Journée 5j/7

Appui opérationnel Areva NP

Directeur de chantier Kaeffer Wanner Journée 7j/7

Conducteur de travaux Eiffage Journée 7j/7

Responsable opérationnel Site Orys Journée 7j/7

Organisation particulière Areva NP Staff

Organisation particulière Kaeffer Wanner Staff

Organisation particulière Eiffage Staff

Organisation particulière Orys Staff

Chef d'équipe désigné Kaeffer wanner 3X8 7j/7

Chef de poste Eiffage 3X8 7j/7

Chef de chantier intérieur BR Orys

Organisation particulière Kaeffer Wanner Travaux

Organisation particulière Eiffage Travaux

Organisation particulière Orys

Chef de poste GMES Areva NP 3X8 7j/7 Organisation particulière Areva NP Travaux

STAFF

TRAVAUX

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2.3.6. ORGANISATION DE LA SOUS-TRAITANCE D’après nos interlocuteurs, l’organisation de la sous-traitance par le GMES a été conçue « en râteau » afin de ne pas dépasser deux niveaux de sous-traitance, ce qui correspond au cadre réglementaire du décret du 28 juin 20161. Chaque entreprise du groupement avait la responsabilité de ses activités et de ses soustraitants. Néanmoins le suivi contractuel des prestations a été assuré par l’appui opérationnel d’Areva NP au nom du GMES. Pendant la phase de préparation du projet, les entreprises du GMES et les entreprises soustraitantes devaient rédiger toute la documentation technique propre à leurs activités et la transmettre à la DIPDE pour validation. De la même manière, les entreprises devaient transmettre leurs documents de travail à l’équipe RGV afin que les chargés d’affaire et les ingénieurs (BR et HBR) puissent établir les documents de surveillance des interventions (points d’arrêt, fiche de surveillance par sondage, surveillance inopinée…). Dans les tableaux ci-dessous, nous présentons la répartition des domaines d’activité de chaque entreprise du GMES ainsi que les activités prestées. Dans les notes d’organisation, chaque domaine d’activités a été désigné par un trigramme. Nous nous sommes basés sur la liste des sous-traitants établie au 21 mars 2016 et sur la note d’organisation du chantier RGV 1300 MW en GMES datée du 23 avril 2015. Activités de responsabilité AREVA NP : Activités

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Dénomination

SUP TUP MAN

Supportage CPP / CSP Tuyauteries Primaires Manutention des GV

TUS

Soudure secondaire

TUA Tub NGV VCI IEC IEG DEC TGV CAR ESS BBU RBU GMPP

Tuyauterie Auxiliaires Tubing Préparation des GV de Remplacement Contrôles initiaux et Point zéro Installations électriques de chantier Installations électriques générales Décontamination Transport GV / Brouettage Carottage Essai Remplacement des ½ Boucles en U Remplacement des boucles en U

Travaux sous-traités par AREVA NP

ADF ARLIN, FIVES GORDON, STECMI, SIGEDI, JSPM ENDEL SPIE Nucléaire CLEMESSY CLEMESSY STMI SARENS AMALIS

L’article 63-2-II du Décret 2016-846 du 28 juin 2016 énonce que « lorsque l’exploitant confie à un intervenant extérieur la réalisation, dans le périmètre de son installation au cours du fonctionnement ou du démantèlement de celle-ci, de prestations de service ou de travaux importants pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L593-1 du code de l’environnement, ceux-ci peuvent être réalisés par des sous-traitants de second rang au plus ». CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 35


Activités de responsabilité EIFFAGE Construction Métallique Activités CHA SAS

Dénomination

Travaux sous-traités par EIFFAGE CM

Charpente métallique plancher casemates Techman Industrie

Activités de responsabilité Kaefer Wanner Activités Dénomination CAL Calorifugeage ACC Accès spéciaux (Echafaudage) BIO Protections biologiques

Travaux sous-traités par KW Adecco, AVS Adecco, AVS HPS

Activités de responsabilité ORYS Activités IMG LOG POU PEX POT PLA OMI MLV GRU MAT TUN BEGV

Dénomination Interférences mécaniques générales Cellule logistique Plancher lourd Portique de levage Extérieur Potences casemates GV Platelage piscine

Travaux sous-traités par ORYS

SARENS

Moyen de levage des GV intérieur BR

BOUYGUES, REEL

Mât de soutènement

FAURE AUTOMATISME

Bâtiment GV

2.3.7. CONCLUSION DE CHAPITRE Le chantier de remplacement des générateurs de vapeur des centrales 1300 MW répond à des problématiques de sureté nucléaire et de prolongement de la durée de vie des installations. La complexité du projet et le caractère « tête de série » des opérations RGV 1300 MW a impliqué plusieurs années d’études préalables et la mobilisation de plusieurs dizaines d’ingénieurs, de techniciens et de fonctions support à toutes les étapes du projet. Le renouvellement des GV usés a impliqué que soient effectuées, en amont et en aval, de multiples opérations relevant de domaine technique varié. La réalisation des opérations a été confiée au GMES et à ses sous-traitants dans le cadre d’une prestation globale de services. La phase d’étude a été suivie par les services d’études de la DIPDE et la phase de réalisation a été surveillée par les agents de l’équipe RGV. La programmation et la durée des opérations RGV a été revue pendant la phase de préparation du fait de la complexité à mener parallèlement les opérations de la visite décennale. Pendant la phase de réalisation, des aléas successifs ont également perturbé le calendrier des opérations. Dans le chapitre suivant, nous présentons les opérations de manutention des GV jusqu’à la chute du GV n°2 et faisons l’analyse des causes techniques matérielles ayant vraisemblablement entraîné l’accident.

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3 - Analyse des causes techniques de l’aléa Dans ce chapitre, nous présentons les éléments d’analyse technique des causes de la chute du générateur de vapeur n°2. Nous revenons dans un premier temps sur le cahier des charges techniques des opérations RGV 1300 MW et sur la stratégie de levage choisie pour l’évacuation et l’introduction des GV. Nous présentons par la suite la conception et les différents moyens techniques de levage assemblés pour réaliser la manutention des GV, puis nous décrivons de manière détaillée la machine de levage, les torons, le fonctionnement du treuil à câbles ainsi que la tête d’ancrage et le palonnier. Dans un troisième temps, nous revenons sur la stratégie de levage et la conception du système de manutention avant d’en analyser les conséquences. Afin de faciliter la compréhension du propos, nous avons intégré des photos prises dans le bâtiment réacteur de la Tranche 2 au cours de l’expertise et plusieurs schémas issus des documents d’études transmis par le CNPE et la DIPDE.

3.1. Contexte et cahier des charges de l’opération de manutention des « GV 1300 » Chaque tranche de la génération 1300 MW comporte 4 générateurs de vapeur (GV). Ces GV sont implantés à l’intérieur du bâtiment réacteur (BR), verticalement dans des puits prolongés au-dessus du plancher 27m par 3 murs formant une protection ouvertes vers le centre du BR, appelée casemate.

Position du GVU dans sa casemate avant extraction1

1

Schéma extrait du document Areva « Mode opératoire pour les travaux sous une charge. Sortie du GV usé en RGV 1300MWe », page 11. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 37


Vue d’un GVU dans sa casemate

Seuil de la casemate Lors de la construction des tranches 1300 MW, les GV ont été introduits dans le BR en deux parties qui ont été assemblées sur place. La conception des moyens de manutention avait, à l’époque, pris en compte les caractéristiques (dimension et masse) des composants introduits dans le BR. Pour l’extraction des GVU puis l’introduction des GVR, il a été envisagé de reproduire la méthode mise en œuvre lors de la construction de la centrale : une première série d’études a permis d’estimer que le temps nécessaire à la découpe des GV usagés serait de l’ordre de 30 jours par tranche et qu’il subsistait des incertitudes techniques lors de l’assemblage des GV neufs dans le BR. Cette option appliquée aux 20 tranches de cette famille de réacteurs (P4 et P’4) conduisait à une durée supplémentaire d’arrêt, estimée à un minimum de 600 jours de perte de production, sans compter les aléas potentiels liés à la radioprotection ou à la contamination du BR. Des études préliminaires ont alors été réalisées afin de montrer la faisabilité d’une manutention des GV « entiers » : ces premières études de la cinématique des déplacements des GV n’ont pas mis en évidence d’interférences entre les GV et les structures fixes du BR, mais ont confirmé que la structure de certains des ponts polaires ne permettait pas de supporter la charge appliquée lors de la manutention d’un GV entier (environ 470 tonnes). A partir de ces premiers résultats, les sociétés Mammoet et Rigging International, toutes deux spécialisées dans les manutentions lourdes, se sont vues confier une étude technique d’avantprojet pour l’ensemble des opérations de manutention, dans le BR et à l’extérieur. Après analyse, les principes proposés par Rigging International ont été retenus, en particulier pour la manutention du GV à l’extérieur du BR (à l’intérieur du BR, les propositions techniques ont été jugées comparables).

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L’extraction d’un GVU hors de sa casemate impose de le lever verticalement à une altitude suffisante pour passer au-dessus du seuil de la casemate (côté centre du BR). Compte tenu des caractéristiques géométriques du GV (dues en particulier, à la présence des coudes du circuit primaire) et de la configuration des lieux (présence de plancher à différents niveaux), cette phase est constituée d’une succession d’opérations de levage associées à des déplacements horizontaux et complétées par des mouvements d’orientation du GV (mouvements autour de son axe vertical). Lorsque le GV a été extrait de sa casemate, il est alors positionné au-dessus de la zone où sont implantés la voie de ripage et les deux chariots (ou « berceaux ») conçus pour le recevoir en position horizontale. Ce déplacement s’effectue par des mouvements horizontaux. La phase suivante de la manutention consiste à « coucher » le GV afin pouvoir réaliser un certain nombre d’opérations annexes (démontage de composants, obturation définitive des orifices des coudes, …) et le transférer de l’intérieur vers l’extérieur du BR via le tampon d’accès matériel (TAM) par ripage des deux chariots sur des pistes de glissement. Lorsque le GVU est à l’extérieur du BR, il est descendu depuis le niveau 27m vers une remorque qui permettra de le conduire dans le bâtiment de stockage provisoire pour des opérations de contrôle et de conditionnement. La phase finale est l’installation du GVU, dans un bâtiment spécialement conçu, pour un stockage de longue durée.

3.2. Etudes et réalisation des moyens de manutention Sur la base des principes de manutention retenus, la DIPDE a engagé un processus de discussion-négociation avec le groupement d’entreprises précédemment titulaire du marché de remplacement des GV des centrales de la génération 900 MW : l’objectif était de confier une « prestation globale intégrée » de remplacement des GV à un fournisseur de rang 1 (GMES) regroupant différents cocontractants représentés par un mandataire. Le GMES retenu devrait réaliser les études, rédiger les méthodes et modes opératoires, fabriquer les outillages et mettre en œuvre l’ensemble des activités requises pour remplacer les GV d’une tranche d’un palier P4 ou P’4. Ce choix a été également motivé par la volonté de bénéficier de l’expérience acquise (REX) lors des RGV 900 MW. Après contractualisation avec le GMES qui s’était constitué (AREVA – ORYS – KAEFER WANNER – EIFFAGE), les différents membres du GMES ont engagé, chacun pour la partie qui le concerne, des études de conception sous la surveillance des équipes de DIPDE. Les moyens dédiés à la manutention des GV comprennent : • Une machine de levage (MLV) posée sur le pont polaire (pont tournant pivotant sur une voie circulaire implantée à la partie supérieure du BR). Cette machine de levage est équipée d’un treuil hydraulique linéaire. • Un palonnier attelé à une tête d’ancrage placée à l’extrémité inférieure de la suspente du treuil hydraulique linéaire. • Deux élingues en câbles d’acier (estropes) reliant le palonnier au GV. Chaque GV est équipé de deux « tourillons » constituants les points de suspension sur lesquels viennent se reprendre les estropes. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 39


• •

Des tourillons de préhension fixés sur les THS (trous d’homme secondaire) des générateurs de vapeur. Deux chariots (ou berceaux) pour le déplacement des GV en position horizontale : ces chariots sont en appui sur des pistes de glissement (ou voies de ripage) et entraînés par des vérins hydrauliques. Le premier chariot (côté partie inférieure du GV) est équipé de deux paliers d’appui dans lesquels viennent se placer les deux axes implantés sur le GV : la fonction de ce guidage est de permettre la rotation du GV autour d’un axe horizontal lors de la phase de basculement (GV axe vertical à GV à axe horizontal). Le second chariot (chariot dit « supérieur ») reçoit la partie haute du GV en fin d’opération de basculement. Un dispositif de soutènement du pont polaire comprenant une structure d’appui et un mât.

3.2.1. LES DIFFERENTS MOYENS DE LEVAGE a) La machine de levage Machine de levage, vue d’en dessous

Suspente (torons)

Charpente de la machine de levage

Tête d’ancrage

Poutres du pont polaire D’après les informations recueillies, les membres du GMES se sont répartis la conception et la réalisation des équipements de levage : • ORYS : la machine de levage (MLV) en appui sur les poutres du pont polaire (photo 1) ainsi que les moyens nécessaires à son hissage/assemblage sur le pont polaire, le mât et les éléments de liaison conçus pour constituer un appui central placé à l’aplomb des poutres du pont polaire (photos 4) et les vérins d’appui à placer sous les boggies. • AREVA : les points de préhension des GV (tourillons montés à l’emplacement des trous d’homme secondaires (photo 2) ainsi que le palonnier suspendu aux torons de

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la machine de levage d’une part et portant les estropes accrochées au GV d’autre part (schéma 3 page suivante). b) Palonnier1 et élingues (estropes) Le palonnier a été spécialement conçu pour assurer la liaison entre la tête d’ancrage fixée aux torons et les estropes métalliques (grelins en câbles d’acier). Il est constitué d’une poutre du type caisson mécanosoudé comportant à chacune de ses extrémités une pièce d’appui fixe (dénommée « tourillon »), possédant une gorge circulaire sur laquelle vient se positionner l’estrope. 55 torons de levage Structure Poutre caisson Pièce d’appui de l’estrope (tourillons)

Mécanisme de liaison tête d’ancrage / palonnier Estropes (élingues)

c) Tourillons de préhension Tourillons de préhension du GV

Tourillons montés sur THS 1

Plan extrait du document Areva IBMD DB 1248 ind. F « RGV 1300 – Manutention GV. Ensemble palonnier de relevage GV », plan d’ensemble, page 1. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 41


d) Dispositif de soutènement du pont polaire Ce dispositif permet au pont polaire de supporter une charge supérieure à celle pour laquelle il a été initialement conçu (il ne concernera que certains types de pont polaire du palier P4) : à Paluel, les caractéristiques du pont polaire auraient permis de se passer de ce dispositif. Cependant dans la mesure où ces conditions ne sont pas remplies sur tous les sites du palier 1300 MW, il a été décidé de le tester et de l’éprouver à Paluel, tête de série du palier. Mât d’appui des poutres du pont polaire

Structure d’appui sous les poutres du pont polaire

Poutres du pont polaire Mât support

e) Chariots de déplacement / berceaux Les deux chariots de déplacement ont une forme en berceau qui permet d’accueillir et de maintenir le GV. Ils sont constitués : d’une part, d’un châssis qui coulisse sur une voie de ripage constituée de deux rails à l’aide de vérins hydrauliques « push-pull » (ou « pousser-tirer ») ; CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 42


d’autre part, d’un berceau support du GV qui peut pivoter autour d’un axe vertical pour aligner l’ensemble constitué par le GV et ses deux berceaux par rapport à la voie de ripage.

Berceau partie inférieure1

Berceau partie supérieure1

Vue du GV accosté au berceau partie inférieure

Pivot sous collerette Générateur de vapeur

Berceau supérieur

Berceau inférieur

Voie de ripage

1

Schémas extraits du document Areva IBM DC 3227 « Manutention des générateurs de vapeur RGV 1300 MW », page 18. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 43


3.2.2. FONCTIONNEMENT DE LA MACHINE DE LEVAGE Schéma de la machine de levage (MLV)

(2) (1)

Enrouleur (stockage des torons)

Pont polaire

Poutre de ripage

Passerelle de travail

Treuil hydraulique linéaire (THL)

La structure de la machine de levage (MLV) est constituée d’une ossature mécanosoudée (deux « poutres de ripage » assemblées l’une à l’autre), en appui sur les poutres du pont polaire, et de passerelles de travail. Cette structure supporte en son centre une plateforme sur laquelle est implanté un treuil hydraulique linéaire « THL ». a) Modalités de mouvement de la MLV Cet ensemble peut se déplacer sur les poutres du pont polaire par un système de vérin hydrauliques (push-pull) : mouvement repère (1). La MLV possède également un second degré de liberté horizontale, perpendiculaire aux poutres du pont polaire (par vérins push-pull, également) : mouvement repère (2). Enfin un mouvement d’orientation autour d’un axe vertical permet un réglage angulaire de la charge. Cet ensemble de mouvements de la MLV permet de réaliser l’ensemble des déplacements définis pour les différentes phases de la cinématique théorique d’extraction du GV. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 44


b) Fonctionnement du treuil hydraulique de levage linéaire Le principe de fonctionnement du treuil « THL » repose sur le mouvement alternatif d’un vérin hydraulique équipé d’un système de clavettes qui immobilisent alternativement les torons en acier : le schéma ci-dessous présente l’enchainement des séquences successives de sortie et de rentrée de la tige du vérin hydraulique. Principe du treuil hydraulique de levage linéaire (THL)

Clavette supérieure Tige du vérin Corps du vérin Clavette inférieure

Charge suspendue à la tige du vérin

Charge suspendue au corps du vérin

Représentation schématique du treuil installé sur la MLV1

Guidage des torons (vers enrouleur) Plateau inférieur Tige du vérin Corps du vérin hydraulique

Plateau inférieur

1

Fiche technique VSL-plan N°HL 11516.1- daté 05/2014. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 45


Montée de la charge : Ce mouvement s’effectue par la sortie de la tige du vérin, la clavette supérieure immobilise le toron alors que la clavette inférieure qui n’est pas engagée dans son logement laisse passer le toron librement. La charge est alors mécaniquement liée à la tige du vérin. Lorsque la tige du vérin est entièrement sortie, le mouvement de levage s’interrompt et la séquence suivante va permettre de rentrer la tige après immobilisation de la charge : la clavette inférieure est alors engagée dans son logement et va verrouiller le toron et assurer sa liaison avec la structure du treuil. Il est alors possible de libérer la clavette supérieure et de rentrer la tige dans le corps du vérin. Lorsque la tige est entièrement rentrée, le cycle décrit ci-dessus peut reprendre (verrouillage du toron par la clavette supérieure, déverrouillage de la clavette inférieure et sortie de la tige du vérin). Le mouvement des clavettes est commandé par des vérins hydrauliques d’assistance et un circuit de commande qui gère l’ordre des séquences et les fonctions de sécurité. Descente de la charge : Selon le principe décrit précédemment, la tige du vérin étant entièrement sortie, la clavette supérieure immobilise le toron et la clavette inférieure n’est pas engagée dans son logement. La tige du vérin est alors rentrée ce qui provoque la descente de la charge. Lorsque la tige du vérin est entièrement rentrée, le mouvement de descente s’interrompt et la séquence suivante va permettre de sortir la tige après immobilisation de la charge : la clavette inférieure est alors engagée dans son logement et va immobiliser le toron. Il est alors possible de libérer la clavette supérieure et de sortir la tige du vérin. Et la séquence de descente peut alors se poursuivre par la rentrée de la tige. Par conception, le système de clavettes coniques est auto bloquant : Modèle de clavette conique

Lorsque la clavette immobilise le toron, le vérin d’assistance n’est pas capable de la manœuvrer et de libérer le toron : pour déverrouiller la clavette supérieure, il faut verrouiller la clavette inférieure puis commander une rentrée de tige pour transférer les efforts sur la clavette inférieure : c’est alors qu’il est possible de déverrouiller la clavette supérieure). Vue de la partie supérieure d’un plateau (avec les clavettes)

Dans le cas d’un treuil de levage multi torons, les clavettes sont positionnées sur 2 « plateaux à clavettes » (système de cônesclavettes) qui verrouillent les torons alternativement sur le plateau supérieur puis sur le plateau inférieur.

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Le treuil hydraulique de levage (THL) mis en œuvre pour cette opération est conçu et fabriqué par la société VSL (filiale suisse de la société Bouygues Construction) : il est équipé de 55 torons (1+6 fils d’acier). Sa capacité de levage est de 660 tonnes. Toron de 7 fils

Toron à fils cylindriques

Toron compacté ou « sur-tréfilé », utilisé avec les treuils THL

Ce type de treuil de levage est une évolution des outillages utilisés depuis de très nombreuses années pour la mise en tension de câbles de précontrainte d’ouvrages en béton armé. Il présente des avantages par rapport à un système de levage plus classique (treuil à tambour équipé d’une chaîne cinématique de « sécurité ») : encombrement réduit, système de freinage auto serrant (clavettes) évitant la mise en place de freins de secours et de sécurité, suspentes multiples travaillant en parallèle (redondance partielle en cas de rupture d’un nombre limité de toron), vitesse lente du mouvement montée-descente permettant un contrôle des déplacements de la charge et un accostage précis. Le principal inconvénient résulte du nombre important de suspentes travaillant en parallèle et la nécessité de respecter scrupuleusement un mode opératoire d’installation et de réglage pour que la charge suspendue soit répartie entre tous les torons. c) Le dispositif d’ancrage torons / palonnier Les extrémités des torons situées du côté de la charge (extrémité inférieure) sont positionnées dans une tête d’ancrage à laquelle est suspendu le palonnier. La tête d’ancrage a été conçue spécifiquement pour la liaison torons-palonnier. Tête d’ancrage du palonnier

Suspente de levage (55 torons métalliques) Tête d’ancrage

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Palonnier, vue de face1

Palonnier, vue de dessus1

Dispositif de liaison de la tête d’ancrage au palonnier1

1

Plans extraits du document Areva IBMD DB 1248 ind. F « RGV 1300 – Manutention GV. Ensemble palonnier de relevage GV », plan d’ensemble, page 1. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 48


La liaison entre la tête d’ancrage et la structure du palonnier est réalisée par un système de deux pièces d’appui mobiles (appelées « demi-coquilles »). Chaque pièce d’appui est manœuvrée dans le plan horizontal par un système vis-écrou : elles sont écartées l’une de l’autre afin de laisser passer la tête d’ancrage, puis sont rapprochées pour que la tête d’ancrage puisse venir en appui sur ces « demi-coquilles ». Détail de la liaison du palonnier à la tête d’ancrage

Corps du palonnier (hachures) Volant de manœuvre de la demi-coquille (entrainement par vis-écrou)

Suspente de levage (55 torons métalliques)

Demi-coquilles (hachures inversées)

3.3. Discussion sur la conception du système de manutention Le principe retenu pour la manutention est basé sur la mise en œuvre d’un seul treuil de levage et d’un palonnier conçu spécifiquement pour suspendre deux estropes. Ce concept, présenté comme semblable à celui mis en œuvre pour les RGV 900 MW, avait l’avantage de limiter les travaux de qualification d’un nouveau principe et de nouveaux outillages (QOM). Il y a lieu de noter que, par conception, cette solution génère une « hauteur perdue » significative, résultant de l’empilage des caractéristiques géométriques du palonnier (hauteur de la poutre caisson) et de celles des estropes. Cette exigence, rapprochée des caractéristiques du BR (altitude des poutres du pont polaire, seuil des casemates, …) et de celles des GV (hauteur et masse), a conduit les concepteurs du système de manutention à des choix techniques que l’expertise judiciaire en cours examinera en détail pour, dans le respect des règles du Code de procédure civile, détailler les causes de la défaillance de la liaison entre le palonnier et la tête d’ancrage. Mais, il importe de noter que l’intérêt de disposer du retour d’expérience des RGV 900 MW orientait ici vers une solution qui se heurte à des limites réglementaires et techniques.

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3.3.1. DES LIMITES REGLEMENTAIRES Depuis la mise en service des moyens de manutention conçus pour les RGV 900MW, les règles de conception ont évolué avec l’entrée en vigueur de la Directive n° 2006/42/CE. Cette directive européenne relative à la mise sur le marché dans l’Union Européenne de machines, appareils et accessoires de levage a remplacé la Directive préexistante n° 98/37/CE. Ces directives ont été transposées en droit français dans le Code du travail (4ème partie, livre III, titre I). En particulier, l’Article L.4311-3 de ce même Code spécifie ainsi qu’« il est interdit d’exposer, de mettre en vente, de vendre, d’importer, de louer, de mettre à disposition ou de céder à quelque titre que ce soit des équipements de travail et des moyens de protection qui ne répondent pas aux règles techniques du chapitre II et aux procédures de certification du chapitre III ». Les règles techniques dont il est question sont celles de l’Annexe I de la Directive qui sont transposées dans le Code du travail en Annexe I au titre I. Parmi les évolutions significatives de la Directive « Machines » introduites par la version 2006/42/CE, il convient de noter la formulation des principes généraux exprimés au début de l’Annexe I et notamment au point 1 : « Le fabricant d'une machine ou son mandataire doit veiller à ce qu'une évaluation des risques soit effectuée afin de déterminer les exigences de santé et de sécurité qui s'appliquent à la machine. La machine doit ensuite être conçue et construite en prenant en compte les résultats de l'évaluation des risques. Par le processus itératif d'évaluation et de réduction des risques visé ci-dessus, le fabricant ou son mandataire : • détermine les limites de la machine, comprenant son usage normal et tout mauvais usage raisonnablement prévisible, • recense les dangers pouvant découler de la machine et les situations dangereuses associées, • estime les risques, compte tenu de la gravité d'une éventuelle blessure ou atteinte à la santé et de leur probabilité, • évalue les risques, en vue de déterminer si une réduction des risques est nécessaire, conformément à l'objectif de la présente directive, • élimine les dangers ou réduit les risques associés à ces dangers en appliquant des mesures de protection, selon l'ordre de priorité établi au point 1.1.2 b). » Sur la base de ces exigences générales et dans le cas particulier de l’installation conçue spécifiquement pour cette opération complexe de manutention, il est permis de s’interroger sur la pertinence d’une démarche qui, du fait des interactions, n’intégrerait pas la « machine de levage - MLV » et les différents accessoires de levage (palonnier, estropes et tourillons), chacun de ces éléments étant également, à titre individuel, visé par la Directive 2006/42/CE. Ce raisonnement pourrait également s’appliquer à l’ensemble des équipements utilisés pour le basculement des GV. Ainsi, non seulement chaque élément visé par la Directive 2006/42/CE doit faire l’objet d’une certification CE, mais le Maître d’Œuvre ou l’ensemblier avait également à prendre en compte les interfaces et interactions entre ces différents éléments.

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Dans le cadre de la certification CE de la MLV et du palonnier, le ou les fabricants auraient donc dû procéder à des essais afin de vérifier « l’aptitude à l’emploi » de la machine, comme le prévoit le point 4.1.3 de l’Annexe I de la Directive : la spécificité de la liaison de la MLV au palonnier justifie, si besoin était, la nécessité d’associer au moins ces deux éléments pour réaliser les dits essais. Les éléments communiqués à l’occasion de la présente mission permettent de douter de la mise en œuvre de cette approche. Plus généralement : ▪

Le cadre réglementaire régissant la conception et la mise sur le marché d’équipements de travail entrant dans le champ d’application de la Directive « Machines » (n° 98/37/CE puis 2006/42/CE dans le cas présent) fixe les limites et prérogatives des différents acteurs concernés par les opérations sus visées ; L’utilisation des équipements de travail fait également l’objet de prescriptions européennes communes (Directive 2009/104/CE) transposées en droit français au Titre II du Livre III de la 4ème partie du Code du travail.

De cet ensemble de règles, il ressort que : ▪ le fabricant est entièrement responsable du respect des règles de conception et de la certification réglementaire ; ▪ l’utilisateur se doit d’utiliser les matériels livrés dans les conditions et limites définies par le fabricant tout en respectant les règles fixées par le Code du travail pour l’utilisation des équipements (par exemple vérifications réglementaires à la mise en service puis en cours d’exploitation, formation et qualification des conducteurs, …) Dans le cas d’une prestation intégrée telle que celle du RGV, il y a lieu de s’interroger sur les possibilités d’investigations et de surveillance par le client final (Maître d’Ouvrage) : compte tenu de ce qui est exposé ci-dessus, le prestataire, utilisateur des équipements qui est aussi le fabricant, n’a pas réglementairement l’obligation de fournir d’informations détaillées sur la conception au Maître d’Ouvrage (dont les données de la documentation technique prévue à l’Annexe VII de la Directive). Il convient également de noter que, dans le cas des directives européennes dites « directives économiques » telles que la Directive n° 2006/42/CE, seuls les pouvoirs publics chargés de la surveillance du marché ont autorité pour demander des extraits de la documentation technique, dans des conditions réglementairement encadrées. Pour la Directive « Machines » l’organisation de la surveillance du marché a fait l’objet de différentes publications « officielles » définissant les prérogatives des agents de contrôle et les actions à engager1. Et si le Maître d’Ouvrage prévoit contractuellement des dispositions exigeant la mise à disposition de tout ou partie de la documentation technique pour des opérations de surveillance, se posera inévitablement la question du « partage des responsabilités ».

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Note DGT/SAFSL 201 du 9 mars 2010 complétée par la note de service DGT/SAFSL du 24 janvier 2013. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 51


3.3.2. DES LIMITES TECHNIQUES La norme européenne harmonisée EN 13155 + A2 (2009) explicite au § 7.1.2.5 le concept de « hauteur de stabilité » (positive ou négative). Dans le cas d’espèce, la hauteur de stabilité du palonnier est négative tandis que celle de la charge est positive et supérieure à la hauteur de stabilité du palonnier : en conséquence, l’ensemble palonnier + charge est considéré comme stable (Norme EN 13155, page 30). Mais le respect de cette condition de stabilité de l’ensemble ne supprime pas les risques d’apparition de mouvements du palonnier lors de la manutention, en particulier pour atteindre la position d’équilibre stable résultant de l’application des lois de la mécanique (somme des forces extérieures au système égale à zéro et somme des moments des forces extérieures égale à zéro). C’est pour réduire au maximum les mouvements du palonnier qu’il est préconisé de prévoir une distance suffisante entre le point de liaison à la suspente de l’appareil de levage et les points d’accrochage des élingues. On peut ici se reporter utilement à la Brochure INRS ED 6178 (1ère édition 2014, pages 34 et 35) : « Un palonnier est d’autant plus stable que le point d’accrochage sur le crochet de l’appareil de levage est plus éloigné de la poutre (voir figure 24) ». Extrait de l’ED 6178 « Accessoires de levage – Mémento de l’élingueur »

Dans le cas du palonnier destiné à la manutention des GVU et GVR, la cote Y du schéma cidessus est même négative. Schéma du palonnier avec cotes1

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Schéma extrait de la note aux parties n°5 produite dans le cadre de l’expertise judiciaire confiée à Jean-Louis Barbier, 6 juillet 2016, page 28. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 52


L’axe des « tourillons » du palonnier est effectivement 150 mm en dessous de la face d’appui des demi-coquilles, mais le point d’application des efforts transmis par les estropes au palonnier n’est pas au niveau de cet axe : les efforts sont transmis au point de contact avec les tourillons, soit 250 mm plus haut (tourillons 500mm). Le point d’appui des demi-coquilles est en réalité 100 mm en-dessous du point d’application des efforts transmis par les estropes. Vue de coupe du dispositif d’ancrage du palonnier1

Le respect des « bonnes pratiques » décrites ci-dessus et en particulier de la Norme harmonisée EN 13 155 + A2 donne présomption de conformité aux règles de conception de la Directive 2006/42/CE. Mais il n’est pas interdit pas de choisir des solutions différentes sous réserve d’apporter la démonstration de la capacité du système, ainsi conçu, à résister aux sollicitations (renversement de la charge de la preuve).

3.4. Conséquences des choix de conception retenus L’examen de la conception générale du système de manutention montre qu’une attention particulière a, dans l’ensemble, été portée aux choix techniques et aux dessins des pièces afin de réduire les risques de défaillance : par exemple, technologie éprouvée du treuil de levage avec ses suspentes multiples travaillant en parallèle, soudures non portantes dans la zone d’attache du palonnier, … Mais le dimensionnement du système de « demi coquille » transmettant la charge appliquée au palonnier n’a, de toute évidence et sauf justification contraire, pas pris en compte toutes les hypothèses correspondant aux conditions réelles d’utilisation. En particulier, lors de la phase de basculement, le mouvement du GV génère un couple de rotation au niveau de ses tourillons et, par conséquent, une différence de tension dans les deux brins de chaque estrope. Chaque 1

Plan extrait du document Areva IBMD DB 1248 ind. F « RGV 1300 – Manutention GV. Ensemble palonnier de relevage GV », plan d’ensemble, page 1. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 53


estrope se comporte alors comme une courroie de transmission agissant sur les pièces d’appuis (« tourillons ») soudées aux extrémités de la poutre du palonnier. L’examen visuel de la surface de contact entre les pièces d’appui du palonnier et les estropes montrent des indentations et donc une absence de glissement entre les estropes en les pièces d’appui. Ce phénomène physique, inhérent à la cinématique et à la conception, provoque une rotation du palonnier autour de son axe longitudinal. C’est ce qui a été constaté lors de la manutention des deux premiers GVU (« gite du palonnier »). Ce phénomène peut se trouver amplifié par un déplacement horizontal de la MLV ou du chariot supportant la partie inférieure du GV. Le système de demi-coquilles a été conçu pour reprendre des efforts verticaux générés par les masses suspendues (GV, palonnier et estropes). Du fait de l’inclinaison du palonnier (« gite »), le bord supérieur du tube permettant le passage de la suspente au travers de la charpente du palonnier est entré en contact avec les torons qui, lorsqu’ils sont en tension sont très peu flexibles et se comportent comme des barres rigides. Le système de liaison de la pièce d’ancrage initialement conçu comme un « appui simple » a été soumis à des efforts transversaux qui ont provoqué le déplacement des demi-coquilles, la libération de la tête d’ancrage puis la chute du palonnier et du GV qui lui était attelé par l’intermédiaire des deux estropes.

CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 54


4 - Analyse de la phase d’étude Dans ce chapitre, nous faisons un focus sur l’organisation et le déroulement de la phase d’études effectuée en amont du projet par les services de la DIPDE afin d’identifier ce qui, au cours de cette phase, a pu participer à la survenue de l’aléa sur le GV n°2. Nous rappellerons en premier lieu que la stratégie industrielle d’externalisation menée par EDF au cours des 20 dernières années a conduit à ce que les opérations de RGV 1300 MW soient confiées dans leur intégralité à un groupement extérieur d’entreprises et qu’en conséquence, la DIPDE n’effectue aujourd’hui ni les études techniques nécessaires à la préparation des opérations RGV, ni la réalisation des opérations, mais uniquement la surveillance de ces deux activités. Nous verrons par la suite que le projet Grand Carénage a engendré une multiplicité de projets à surveiller de façon parallèle et que l’organisation projet mise en place par la DIPDE pour faire face à la multiplicité et à la volumétrie des projets d’étude a conduit à une sollicitation élevée des services études. Nous montrerons également que dans le cadre du projet RGV, la DIPDE a mis en place un dispositif de surveillance optimisé des études pour tenir compte de la nouveauté des GV 1300 MW, mais que cette organisation spécifique a d’emblée été sapée par la transmission d’informations erronées par le GMES, ce qui a engendré des lacunes dans le processus de surveillance. Nous verrons par ailleurs que cette défaillance initiale dans l’établissement du programme de surveillance a fait, par la suite, l’objet de discussions entre la DIPDE et le GMES, mais que ces échanges n’ont pas permis d’établir un diagnostic partagé entre les acteurs et encore moins de décider de la mise en place d’actions correctives. Enfin, nous conclurons sur le fait que ces éléments n’ont pas fait l’objet d’une attention particulière lors de la transmission des documents d’études à l’équipe RGV et que l’absence de communication de ces éléments à l’équipe RGV sur site a empêché cette dernière de préciser des modalités de surveillance qui auraient pu permettre d’éviter l’aléa. Remarque préalable : ce chapitre concerne presqu’exclusivement l’organisation et le fonctionnement de la DIPDE dont nous n’avons rencontré que quelques représentants au cours de l’expertise. Par ailleurs, nous n’avons pas obtenu certaines notes d’organisation et référentiels de la DIPDE qui auraient pu nous permettre d’effectuer une analyse approfondie1. Les éléments portés à connaissance dans ce chapitre sont donc issus principalement des entretiens effectués et de sources d’informations publiques.

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Les documents demandés par l’expert qui n’ont pu être consultés sont listés dans la partie méthodologie du présent rapport. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 55


4.1. Prestation globale et externalisation des études Au démarrage des premières opérations de remplacement de générateurs de vapeur 900°MW, au cours des années 90, le CIPN (Centre d’Ingénierie du Parc Nucléaire en exploitation) réalisait la majorité des études et effectuait également la conception des outillages et des dispositifs nécessaires à la réalisation des opérations. Pour la réalisation des opérations sur site, une dizaine d’entreprises extérieures dont Areva, intervenaient sur site aux côtés des agents EDF qui participaient directement à la réalisation de certaines opérations. Chaque entreprise extérieure avait un contrat séparé et EDF, via le CIPN, avait alors un rôle d’assembleur industriel. En 2004, après que plusieurs opérations de RGV avaient été menées sur le palier 900 MW, EDF a décidé d’externaliser la réalisation des activités RGV, de confier ces activités à un groupement d’entreprises mené par Areva et de ne garder en interne que les activités d’études, de conception et de surveillance des activités. D’après plusieurs de nos interlocuteurs, cette première étape d’externalisation a conduit à éloigner les personnels d’études de ceux qui assuraient les opérations ; ceci a progressivement entraîné une séparation entre les agents de terrain et les agents des bureaux d’études, les uns et les autres intervenant successivement au cours des deux phases de préparation et de réalisation, avec peu d’interpénétration entre les deux activités. Cette logique a mécaniquement conduit à ce que les chargés d’études s’éloignent du terrain et perdent les savoir-faire liés à l’activité de chantier et vice versa. Pour le remplacement des générateurs de vapeur 1300 MW, une seconde étape a été franchie en 2013 par EDF dans sa politique d’externalisation des activités industrielles de maintenance. EDF a en effet décidé de recourir à un GMES dans le cadre d’une prestation globale incluant la réalisation des études, la conception des moyens et la réalisation des opérations, EDF ne gardant en interne que les activités de surveillance des études et de surveillance du chantier sur site. D’après nos interlocuteurs, le choix de conclure une prestation globale pour 6 RGV (4 fermes et deux conditionnels) avec un seul contrat pour les 4 entreprises du groupement visait à responsabiliser les différents acteurs du groupement. Par ailleurs, la prestation globale visait également à réduire les coûts en réduisant les activités effectuées en propre par la DIPDE. Il s’agissait d’un choix stratégique s’inscrivant dans la politique d’externalisation des études décidée au niveau national et décliné dans les différents centres d’ingénierie du parc. Ce choix a d’ailleurs été réaffirmé par la direction du CIPN lors de la réunion du Comité d’Etablissement du 24 septembre 2015 : « Le Président rappelle qu’il est impossible de tout faire soi-même, sauf à compter 4000 collaborateurs ! En effet, la somme de tout ce qui est sous-traité est immense. En tant qu’architecte ensemblier, le CIPN gère les affaires en les divisant en lots, et en passant différents contrats. L’externalisation est donc inévitable1 ».

Au regard des organisations précédemment mises en place par le CIPN pour les RGV 900 MW, cette nouvelle organisation a donc constitué une innovation industrielle puisqu’auparavant le CIPN effectuait les études, la conception des moyens et ne prestait à un GMES que la réalisation des opérations. Cette politique industrielle a également été une innovation organisationnelle dans la mesure où cela a obligé la DIPDE à se doter d’une 1

EDF, CIPN, Procès-verbal du comité d’établissement du CIPN, séance du 24 septembre 2015, page 11. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 56


organisation de la surveillance des études, activité qu’elle ne réalisait pas ou de façon bien moindre avant l’externalisation complète de l’activité RGV. Nous verrons dans les points suivants que ce choix d’externalisation des études RGV, couplé à des ressources humaines réduites et une contrainte temporelle élevée a réduit significativement les possibilités des ingénieurs et techniciens d’études de contrôler et de surveiller l’activité d’études documentaires du projet RGV et que cela a participé indirectement à la survenue de l’aléa du 31 mars 2016.

4.2. Le grand carénage : un contexte industriel sans précédent Comme nous l’avons évoqué en introduction, l’Exploitant nucléaire de production d’électricité EDF est confronté à des enjeux spécifiques. Construit à partir des années soixante-dix, le parc nucléaire français est vieillissant. Certains équipements atteignent leur fin de vie technique entre 30 et 40 ans et, en conséquence, certaines centrales auraient normalement dû fermer au cours des décennies à venir. Néanmoins, il a été demandé à l’Exploitant de prolonger la durée de vie de ses installations à 60 ans au lieu des 40 ans prévus1. Ce choix implique que chaque tranche nucléaire concernée fasse l’objet d’un important programme de maintenance et de modifications d’ici à son quarantième anniversaire. Ce programme de modifications industrielles dénommé Grand Carénage est un agrégat de 26 projets programmés entre 2014 et 2025, dont 16 ont été confiés à la DIPDE, 1 à l’UTO2 et 6 au CNEPE3. Le projet Grand Carénage concerne à la fois les modifications de rénovation industrielles et les transformations liées à l’accident de Fukushima Daiichi. Il en résulte une centaine de modifications à intégrer pour chaque tranche des centrales de palier 1300 MW. Les deux tableaux ci-après, qui présentent les opérations du Grand Carénage, les visites décennales et les modifications post-Fukushima, donnent une idée de l’étendue des sujets techniques à traiter sur le parc en exploitation et, par conséquent, des volumes d’interventions à réaliser sur chaque tranche pour la réalisation du Grand Carénage.

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Aux Etats-Unis, 71 réacteurs sur 100 en exploitation ont déjà obtenu une prolongation de leur durée de vie à 60 ans moyennant des changements de gros composants et des rénovations. L’UTO, Unité Technique organisationnelle, est une entité en charge de la sélection, de la qualification et du suivi des entreprises extérieures. Le CNEPE est le Centre National d'Equipement de Production d'Electricité d’EDF situé à Tours. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 57


Les projets du Grand Carénage DIPDE Modifications Post Fukushima : • Diesels d’ultime Secours • Amélioration court terme Remplacement des GV, nettoyage chimique des GV Visite décennale en réalisation (900°MW) 3ème visite décennale (1300°MW) 2ème visite décennale (N4) 4ème visite décennale (900°MW) 3ème visite décennale (N4) Préparation des VD futures Génie Civil et renforcement Enceintes 1300°MW / N4 Maîtrise du Risque Incendie Prise en compte des aléas climatiques extrêmes Chimie Environnement Performance parc

UTO CNEPE Composants Ilot Nucléaire Groupe turbo Alternateur Evacuation Energie Source Froide Composants ilot conventionnel Centres de Crise Locaux Programme Sécuritaire

Source : EDF, DIPDE1

Les 100 modifications programmées sur chaque tranche 1300 MW à l’occasion de la VD3 Visite Gros composants (5) décennale (48) - Réexamen de - Remplacement des sûreté (27) générateurs de vapeur (2) - Modernisation - Remplacement des pôles du contrôle du transformateur Commande (16) principal (2) - Remplacement des - Evolutions de tuyauteries de Performance (5) refroidissement Sec (1)

Autres modifications (54) - Modifications génériques et spécifiques (25) - Maintenance, obsolescence et exploitation (13) - Améliorations sur l’alternateur, le condenseur et la source froide (4) - Evolutions Post-Fukushima (7) - Maîtrise du risque Incendie (3) - Mise en conformité vis-à-vis du risque atmosphère explosive (2)

Source : EDF, DIPDE

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EDF, « Le parc nucléaire français : le programme grand carénage », SFEN – ENSAM Aix-en-Provence, A.Vassallo, DIPDE, 9 février 2017. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 58


4.3. Une organisation projet de type matriciel Afin de pouvoir faire face au volume très important d’activités découlant du Grand Carénage, la DIPDE s’appuie sur une organisation projet matricielle1 : en plus des lignes hiérarchiques classiques de type vertical, reposant sur un découpage de l’organisation par activité ou par fonction, une organisation projet horizontale (ou transverse) a été superposée. Cette double structure visait à ce que les chefs de projets puissent solliciter l’ensemble des services de la DIPDE pour atteindre les objectifs déterminés par la direction du projet Grand Carénage qui fixe le calendrier de l’ensemble des projets. Pour chaque projet, le dimensionnement des équipes est effectué par le chef de projet néanmoins, l’affectation des personnels est effectuée par le Département Réalisation (DEIN) qui détermine le nombre de collaborateurs mobilisés sur le projet et la durée de leur mission. Cette organisation matricielle, qui trouve ses origines dans l’activité aéronautique, visait également à accroître la productivité et « l’utilisation » des collaborateurs des différents services : l’équipe dédiée à un projet est en effet susceptible d’être sollicitée par un autre projet qui aura besoin des compétences spécifiques détenues par seulement quelques personnes. Dans cette organisation, les ingénieurs et techniciens d’études peuvent ainsi être mobilisés en parallèle sur plusieurs activités tout en étant affectés à un projet déterminé. En outre, cette organisation permettait aussi de réaffecter facilement les ressources dédiées au projet sur un autre projet en cas de contre-temps et ainsi de réduire les pertes financières liées à l’inoccupation des agents. De notre compréhension, cette organisation du travail a conduit à densifier et à accroître la charge de travail des services d’études et a eu un impact sur le temps octroyé à la surveillance des études RGV. Depuis le début des organisations matricielles, dans les années 90, les sociologues des organisations ont en effet établi que si les organisations projet de type matriciel introduisent de la flexibilité, elles affectent systématiquement à la hausse le nombre de tâches confiées à chaque collaborateur et elles le font toujours dans un cadre temporel déterminé, de sorte qu’il résulte mécaniquement un accroissement de la charge de travail. De surcroit, dans le cas de la DIPDE, nous avons pu constater que certains chargés d’études et responsables de conception pouvaient contribuer à plusieurs projets simultanément tout en étant en plus sollicités en interne par d’autres départements. Dans cette organisation, il y a donc une multiplicité de prescripteurs d’activités et leurs sollicitations peuvent être parallèles. Il en résulte que la charge de travail des services Etudes est protéiforme et élevée. Pour exemple, dans le cadre du projet Grand Carénage, le service Etude Maintenance Levage de la DIPDE a dû travailler sur la manutention des générateurs de vapeur, mais également sur la manutention des coudes du circuit primaire principal ou encore sur l’amélioration du pont passerelle du bâtiment combustible. Si nous n’avons pas pu approfondir cette analyse en rencontrant les personnels de la DIPDE, nous faisons l’hypothèse que ce modèle d’organisation projet a contribué à produire et à entretenir une pression temporelle forte sur les agents et que cela a eu un impact sur le temps attribué à la surveillance des documents de l’étude des RGV 1300 MW et par conséquent, sur 1

Une organisation matricielle repose à la fois sur une structure verticale hiérarchique classique et une organisation transversale pilotée par des chefs de projet. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 59


la qualité de la surveillance qui pouvait réellement être exercée par les techniciens et ingénieurs d’études.

4.4. L’organisation de la surveillance des études RGV Afin de pouvoir surveiller les études documentaires effectuées par les entreprises du groupement et leurs sous-traitants, la DIPDE s’est appuyée sur un programme de surveillance visant à sélectionner les livrables à analyser (plans, notes de calcul, études de résistance des matériaux, etc.) et le niveau de surveillance à appliquer. Ce programme de surveillance a été défini par le Responsable de conception RGV Paluel 2 à partir de la liste prévisionnelle des documents d’études transmise par le GMES (comprenant entre 1500 et 2000 documents), de l’analyse de risques effectuée à partir de cette liste et en tenant compte des critères définis par la procédure de Qualification des Outils de Maintenance1 (QOM).

4.4.1. LA PROCEDURE DE QOM La procédure de Qualification des Opérations de Maintenance a été mise en place par le CIPN (devenu depuis DIPDE) pour respecter les Règles de Surveillance pour la Maintenance en Exploitation (RSEM) issues de l’Arrêté Exploitation du 10 novembre 1999, relatif à la surveillance de l’exploitation du circuit primaire principal et des circuits secondaires principaux des réacteurs nucléaires à eau sous pression. L’Arrêté prévoit, qu’en cas d’intervention sur les appareils pour remplacement de pièces, réparation ou modification, les appareils soient soumis à un contrôle après intervention : il y a une obligation de requalification des installations avant que l’exploitation puisse reprendre. Certaines dispositions de l’Arrêté ont été étendues par EDF à d’autres domaines de risques pour la sureté nucléaire. Face au risque de perte de maîtrise dans les chantiers sous-traités relatifs à de grosses modifications, il a été décidé de mettre en place une démarche de qualification des outillages utilisés par les entreprises extérieures en amont de leur utilisation. Il a donc été nécessaire d’établir la liste des outillages devant être qualifiés dans le document de consultation des entreprises afin que le GMES puisse chiffrer et facturer la qualification des outils. Une partie de la qualification des outils du GMES a été effectuée au CETIC 2 à partir de maquettes à l’échelle 1. La cinématique de levage, qui n’a pu être reproduite en grandeur réelle, a été qualifiée à partir d’une conception assistée par ordinateur. Pour la partie levage (MLV, mât de soutènement, portique extérieur et vérins à câbles), la qualification des outils a été réalisée à Gand en Belgique.

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Nous n’avons pu consulter ce document. Le CETIC, est un laboratoire appartenant à Areva et EDF qui recrée les conditions d'accès et de travail sur les principaux composants d'un réacteur nucléaire à eau sous pression (REP). Il dispose notamment de maquettes à l’échelle 1 de la cuve, des générateurs de vapeur, de dispositifs de chargement et de transfert du combustible, d’un pressuriseur, d’une pompe primaire et d’une piscine. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 60


On peut noter que le MLV a été testé avec une charge d’essai et non avec le palonnier conçu par Areva. On peut également noter que le palonnier en lui-même n’a pas non plus été testé en situation réelle, c’est-à-dire suspendu au MLV et avec un générateur de vapeur ou une charge d’essai permettant de reproduire les conditions de la manutention. Ses capacités techniques n’ont été vérifiées qu’en situation statique, en effectuant une mise sous-contrainte avec une presse et donc sans effectuer les mouvements qui auraient pu permettre d’identifier le défaut de conception. De ce fait, les essais de qualification de l’ensemble (MLV + palonnier) n’ont pu être réalisés qu’au démarrage des opérations RGV, en mars 2016 à Paluel, au cours de la sortie des deux premiers générateurs de vapeur de la Tranche 2, en présence de l’APAVE1.

4.4.2. ANALYSE DE RISQUES ET PROGRAMME DE SURVEILLANCE Pour l’analyse de risques, le Responsable de conception a intégré en premier lieu le risque sûreté, en considérant « les éléments et activités importants pour la protection des intérêts »2 comme le prévoit l’Arrêté INB. C’est cette liste qui a encadré l’élaboration du programme de surveillance. Cette analyse a également intégré le risque sécurité et le risque financier (tout ce qui peut avoir un impact sur la durée de l’arrêt3). L’analyse de risques avait pour objectif d’établir le niveau de criticité de l’étude, la fréquence des sondages à effectuer, la progressivité de la surveillance à appliquer ainsi que le calendrier de remise des documents à la DIPDE. La surveillance des études conduite par la DIPDE est structurée selon trois niveaux : • •

Niveau N1 : il s’agit d’une vérification de la forme du document uniquement. Seules les informations mentionnées sur la page de garde sont vérifiées ; Niveau N2 : il s’agit d’une surveillance de la forme du document et également du fond puisque les données d’entrée et de sortie de l’étude sont contrôlés (le niveau N 2 comprend un avis sur la conformité des résultats par rapport au cahier des charges en tenant compte des hypothèses) ; Niveau N3 : il s’agit d’une surveillance renforcée de la forme et du fond du document d’étude. Les données d’entrée et de sortie sont contrôlées en réalisant (ou en faisant faire) des calculs pour valider les résultats fournis.

La surveillance des documents en elle-même a ensuite été effectuée par les équipes des différents services d’études de la DIPDE en fonction de la nature des documents. Par exemple, les documents relatifs au levage des GV (plans des moyens de levage, notes de calcul, modes opératoires, cinématique, etc.) ont été surveillés par des chargés d’études et des techniciens d’études du Service Etudes Maintenance Levage. D’après nos interlocuteurs, le projet RGV a fait l’objet d’une « surveillance optimisée »4 afin de faire face à la nouveauté des opérations RGV à réaliser sur les générateurs de 1300°MW. Ainsi, en phase de préparation, la grande majorité des études RGV (environ 80%), et 1 2 3

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Nous n’avons pas obtenu les documents de l’APAVE relatifs à ces essais de qualification. Voir le chapitre V de l’arrêté INB du 7 février 2012, article 2.5.1 et suivants. Par exemple, un procédé de soudure peut être valide sur le plan technique mais induire un accroissement du temps de réalisation d’un chantier, comme par exemple, pour l’entrée en deux blocs des GV neufs. Nous n’avons pas pu obtenu le document relatif à la surveillance optimisée des études pour les opérations RGV 1300 MW. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 61


notamment celles concernant de nouveaux outillages, ont été classées de niveau 2. Plusieurs opérations ont également été classées de niveau 3 afin de garantir une qualité de surveillance adaptée (par exemple, l’étude du berceau d’accostage qui avait une nouvelle fonction de pivotement non présente sur le berceau des 900°MW ou l’étude concernant le portique extérieur dont les fondations risquaient d’être insuffisantes). Malgré ce dispositif optimisé, nous verrons dans les points suivants comment et pourquoi certains outils sont passés au travers des mailles de ce programme de surveillance.

4.4.3. PROCESSUS DE SURVEILLANCE ET DE VALIDATION DOCUMENTAIRE Les services Etudes de la DIPDE ont ensuite travaillé à partir des documents d’études sélectionnés dans le programme de surveillance. Le processus de surveillance en lui-même visait à garantir la qualité des documents d’études produits et à ce que la DIPDE puisse échanger avec les entreprises du groupement à partir des remarques qu’elle pouvait être amenée à faire sur les documents. Le processus de validation documentaire est défini dans la Note Technique 85 114 relative aux prescriptions d’assurance qualité applicable entre EDF et ses prestataires1. Les documents d’études ont été transmis au fur et à mesure à la DIPDE, à partir de l’année 2013, jusqu’au démarrage des opérations sur site en 2015. A noter que certains documents ont été transmis tardivement à la DIPDE, ce qui a eu un impact direct sur le processus de surveillance. Nous revenons sur cet aspect dans les points suivant. Le processus de surveillance peut être résumé par le schéma page suivante. Il s’agit d’un processus itératif : les chargés d’étude analysent les documents en fonction du niveau de surveillance à appliquer et émettent des remarques sur les documents jusqu’à ce qu’ils puissent les valider sans observation. Les entreprises du groupement et les sous-traitants doivent modifier le document, répondre aux remarques et apporter des précisions jusqu’à ce que le document soit définitivement validé (VSO). Les documents sont ainsi traités selon leur statut à un moment donné. Ils peuvent être : • Vu Avec Remarques ; • Vu Avec Observations (VAO) ; • Vu Sans Observation (VSO) ; • Vu Sans Observation Sous Réserve (VSOSR). Une fois le document passé Bon Pour Exécution (BPE) par le fournisseur, il est alors transmis à l’équipe RGV et le dossier d’intervention est constitué. Le document Bon Pour Exécution atteste que les documents sont applicables à l’intervention.

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EDF, Note technique « Prescriptions particulières à l’assurance qualité applicables aux relations entre EDF et ses fournisseurs de service dans les centrales nucléaires en exploitation », version du 4 août 2014, pages13 et 14. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 62


Schéma général du processus de surveillance des études Communication de la liste prévisionnelle de documents par le GMES

Définition de la Procédure de QOM par le Responsable Conception

Analyse de risque par le Responsable Conception

Réception des documents et des analyses de risque du GMES

Définition du programme de surveillance par le Responsable Conception

Vu sans Observation (VSO)

Ouverture d'une fiche de surveillance par un chargé d'études DIPDE

Etablissement du Dossier d’Intervention

Vu sans Observation (VSO)

Passage du document en Bon pour Exécution

Envoi du dossier à l’équipe RGV

Vu Sans Observation sous réserve (VSO SR) ou Vu Avec Observations (VAO)

Réponses / Modification du document par le GMES

CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 63


4.5. Une surveillance des études mise à mal Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, l’analyse de l’aléa survenu le 31 mars 2016 montre que l’accident est principalement lié à la conception et à l’utilisation des moyens de levage. Dans ce point, nous nous attachons à montrer de quelle manière et pour quelles raisons le processus de surveillance des études effectué par la DIPDE n’a pas permis de repérer en amont certains défauts de conception et de prévenir l’accident.

4.5.1. UN RETARD INITIAL DANS LA NOTIFICATION DU MARCHE AU GMES Un premier élément de contexte doit être souligné. Après les phases de pré-études, d’avantprojet sommaire et d’avant-projet détaillé lancées en 2009, le marché des RGV a été rédigé et soumis au GMES. Cependant, la notification du marché en lui-même, c’est-à-dire la signification au GMES que le marché lui était bien attribué par EDF n’est intervenue qu’en 2013. D’après plusieurs interlocuteurs, la signature du marché entre le GMES et l’état-major d’EDF aurait pris presque un an avant d’aboutir et de ce fait, le marché n’a pu être signifié qu’en 2013. Si la conclusion du contrat RGV 1300 MW a pris un certain temps, la date de démarrage prévue pour les opérations RGV à Paluel, elle-même déterminée par la date fixée pour la visite décennale de la Tranche 2, n’a pas pu être repoussée au-delà de mai 2015. De ce fait, le temps dédié à la préparation du projet et à la surveillance des études a d’emblée été réduit à trois ans au lieu des quatre années initialement prévues. Les équipes des services Etudes, sollicitées par ailleurs sur d’autres projets que le projet RGV1, ont donc eu moins de temps pour effectuer le contrôle et la validation des documents d’études des RGV 1300 MW. En plus de ce retard initial dans la conclusion du marché, plusieurs entreprises du groupement et entreprises sous-traitantes ont-elles-même pris du retard durant la phase d’étude. De ce fait, certains documents ont été envoyés très tardivement aux services études de la DIPDE. En conséquence, ces documents d’études n’ont été remis à l’équipe RGV que quelques mois voire quelques semaines avant le démarrage des opérations. Certains acteurs du GMES ont également rencontré des difficultés particulières et cela a engendré à nouveau du retard et du travail supplémentaire pour la DIPDE : c’est le cas de l’entreprise Orys pour laquelle la DIPDE a dû intervenir pour faire elle-même de la conception. Les retards multiples, pris depuis la signature du contrat jusqu’à la production des documents d’études ne peuvent être considérés comme une cause directe de l’accident du 31 mars 2016. Néanmoins, il nous semble important de souligner que les agents de la DIPDE ont dû effectuer la surveillance des études sous une contrainte temporelle significative et avec, par conséquent, des marges de manœuvre réduites. Nous verrons dans les points suivants que ces retards et la pression sur le calendrier qui en a résulté ont diminué la capacité des agents de la DIPDE à résoudre le problème lié au palonnier lorsqu’il est apparu. 1

Nous mentionnons ce point qui nous parait important de considérer pour comprendre l’organisation projet de la DIPDE et le niveau important de sollicitation des agents par les projets. Nous n’avons néanmoins pas pu approfondir la problématique de la gestion des ressources humaines affectées à la surveillance des études du fait du périmètre prévu pour l’expertise. Il pourrait néanmoins être intéressant de questionner le mode de constitution des équipes, le niveau de compétences et d’expérience requis, le séquencement des projets et le degré de sollicitation des agents afin d’évaluer finement les moyens mis à disposition de chaque projet pour la surveillance des études. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 64


4.5.2. UN PROGRAMME DE SURVEILLANCE ET OPERATIONS DE MAINTENANCE BIAISE

DE QUALIFICATION DES PAR DES INFORMATIONS

ERRONEES

Compte tenu de la nouveauté des opérations de RGV dans les centrales de 1300 MW, les services d’études de la DIPDE ont mis en place une surveillance « optimisée » des opérations fondée notamment sur les aspects nouveaux des dispositifs techniques utilisés, sur la criticité des opérations et sur les retours d’expérience issus des opérations de RGV 900 MW. L’identification des activités nouvelles a été effectuée en 2013 par le responsable de conception et les chargés d’études avec le GMES. Cette nouvelle orientation en matière de surveillance des études a conduit à ce que la majorité des 3000 documents d’études RGV 1300 MW (70 à 80%) fasse l’objet d’une surveillance de niveau 2 et qu’une partie des outils de maintenance subisse un processus spécifique de qualification. A l’issue de cette analyse, le processus de levage, comportant une cinématique nouvelle, a été identifié comme critique et inclus dans le processus de surveillance. Néanmoins, au cours de cette étape, une erreur significative s’est produite : le GMES a en effet indiqué à la DIPDE que le palonnier utilisé pour les opérations de levage serait d’une conception identique à celui utilisé pour les RGV 900 MW. Cette information erronée a conduit la DIPDE à considérer qu’il n’était pas nécessaire que les documents d’études relatifs au palonnier soient inclus dans les documents faisant l’objet d’une surveillance de niveau 2 ou 3. Areva n’a indiqué ni à la DIPDE, ni à l’équipe RGV que la conception du palonnier avait été revue pour tenir compte de la dimension des GV 1300 MW, de la hauteur des casemates et de la cinématique spécifique de levage des GV 1300 MW à l’intérieur du bâtiment réacteur. De ce fait, les plans du palonnier n’ont pas été vérifiés par les chargés d’études du service Maintenance Levage de la DIPDE. De la même manière, sa capacité à supporter les efforts verticaux et horizontaux au cours du levage des GV n’a pas non plus été validée, ni en vérifiant les données d’entrées, ni en analysant ou en refaisant les notes de calcul établies. L’analyse de risques faite par le GMES n’a pas non plus été vérifiée. Les agents de la DIPDE n’ont pu constater que le palonnier prévu pour les RGV 1300 MW différait de celui utilisé pour les 900 MW qu’en décembre 2014 sur un plan indicé. A cette date, le palonnier avait déjà été fabriqué par Areva, livré au CNPE de Paluel et les opérations de RGV étaient planifiées pour commencer 5 mois plus tard. Cette erreur initiale commise dans la transmission des informations est donc un élément crucial dans l’analyse des causes de la chute du GV n°2. Si le chef de file du GMES avait d’emblée indiqué à la DIPDE que les plans du palonnier avaient été revus pour intégrer les contraintes d’encombrement dans le bâtiment réacteur, le palonnier aurait été inclus dans le programme de surveillance et on peut faire l’hypothèse vraisemblable que les défauts de conception auraient alors pu être identifiés suffisamment en amont pour que la conception du palonnier soit corrigée à temps. Cet élément interroge fortement la dépendance informationnelle dans laquelle la DIPDE se trouve placée vis-à-vis du GMES pour l’établissement du programme de surveillance : si, comme ce fut le cas, le GMES commet d’emblée une erreur d’appréciation, la DIPDE n’est pas en mesure de s’en rendre compte. Le processus de surveillance dans son ensemble est donc fortement dépendant de la qualité et de la véracité des informations fournies par les CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 65


entreprises extérieures. Il y a donc une problématique structurelle de dépendance informationnelle liée à l’externalisation des études dans le cadre d’une prestation globale qui se concrétise par un défaut de maîtrise de l’activité de surveillance des études par la DIPDE.

4.5.3. UN PROCESSUS DE VALIDATION DOCUMENTAIRE ENTRAVE A l’issue du constat de changement de conception du palonnier réalisé en décembre 2014 par la DIPDE, une fiche de surveillance a été ouverte par un(e) chargé(e) d’études du service Maintenance Levage et une série de remarques sur le palonnier a été adressée à Areva 1 , notamment une question portant sur les capacités du palonnier à supporter des mouvements transversaux. En retour, le chef de file du groupement aurait indiqué dans sa réponse2 qu’il n’y avait pas de problème de conception du palonnier et que ce dernier n’aurait, de toute façon, pas à exercer de mouvements horizontaux donc pas à subir de forces transversales. Suite à cette réponse, le service d’Etudes Levage de la DIPDE n’a pas émis d’autres remarques à Areva sur le palonnier. Le document d’études sur le palonnier a ainsi été validé, probablement passé BPE, et envoyé à l’équipe RGV pour application. A l’erreur initiale de qualification du palonnier qui comme outillage existant ne devait pas faire l’objet d’une surveillance renforcée, s’est donc ajoutée une erreur manifeste de compréhension par Areva de la cinématique du levage qui incluait de manière très claire des mouvements de translation horizontale propres à exercer des forces transversales sur le palonnier. a) Une incompréhension de la cinématique d’évacuation des GV 1300 MW ? Pour notre démonstration, nous n’avons pas obtenu le document produit par le GMES « IBMD DB 1269. Cinématique de sortie de GV usé » néanmoins plusieurs autres documents d’études ou de radioprotection indiquent cette séquence de déplacement horizontale du GV : il s’agit de la séquence d’extraction du GV hors de la casemate qui suit la séquence de levage verticale et précède la séquence de basculement. Concernant ces déplacements horizontaux, on peut notamment citer le document « Mode opératoire de travail sous une charge3 » établi par Areva ou encore le document produit par le Service de Prévention des Risques du CNPE « Guide technique pour la sortie des GV usés du Bâtiment Réacteur de Paluel 2 » qui les mentionnent tout deux. Au cours de l’expertise, nous n’avons pas pu interroger la direction d’Areva afin d’approfondir les raisons qui ont conduit à cette erreur simple de compréhension de la cinématique. Nous ne pouvons donc formuler que des hypothèses pour comprendre ce qui a pu se passer côté constructeur. De notre analyse, le manque de compréhension de la cinématique pourrait être le résultat : • d’un manque de proximité et/ou d’un cloisonnement entre les personnes du GMES en charge de la conception du palonnier et les personnes en charge de la conception de

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Nous n’avons pas obtenu cette fiche de surveillance, nous nous basons sur les informations récoltées oralement sur le terrain. Nous n’avons obtenu le courrier relatif au palonnier adressé par Areva. Areva, Mode opératoire pour les travaux sous une charge. Sortie du GV Usé en RGV 1300 MW, page 11. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 66


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la cinématique qui aurait pu conduire à ce que les deux activités soient réalisées de façon séparée, sans lien entre-elles ; d’une qualification de la cinématique faite uniquement par CAO (conception assistée par ordinateur), qui n’aurait pas permis de constater le défaut de conception du palonnier et les incertitudes de chaînes de côtes lors du passage des casemates ; d’une certification réglementaire du palonnier basée uniquement sur un test sous charge statique et non sur une mise en situation réelle qui aurait permis de constater initialement le défaut de conception et la gîte ; d’une contrainte de temps qui aurait incité le GMES à faire l’impasse sur la qualification du palonnier (QOM).

b) Contrainte temporelle et relations de confiance Du côté du service Maintenance Levage de la DIPDE, se pose la question du déroulement du dispositif de surveillance et plus particulièrement du processus de validation documentaire : dans la situation présente, le service Maintenance Levage n’a, semble-t-il, pas insisté auprès d’Areva pour obtenir des explications complémentaires sur le palonnier alors même que les explications fournies par Areva n’étaient pas satisfaisantes. Lorsque nous nous sommes entretenus avec les représentants de la DIPDE, plusieurs explications ont été avancées pour expliquer que le contrôle documentaire de la DIPDE n’ait « pas été plus loin » et qu’Areva n’ait pas été relancée après sa première réponse. Nous rapportons ici ces éléments d’explication : • Au moment où le service Maintenance Levage a constaté que le palonnier avait été reconçu par Areva, il y avait une focalisation de la DIPDE sur les difficultés engendrées par des problèmes de conception rencontrés par Orys. Ce membre du GMES avait pris beaucoup de retard dans la production de ses documents d’études, au point que la DIPDE a dû intervenir auprès de leur bureau d’études pour aider à faire de la conception. Du fait de ce contexte, les activités concernant Orys ont été priorisées et subséquemment, le traitement du problème de conception du palonnier d’Areva est, en quelque sorte, devenu un sujet secondaire. • De plus, la DIPDE et les agents de l’équipe RGV travaillaient depuis plusieurs dizaines d’années avec Areva à la maintenance des sites nucléaires du parc. De ce fait, une relation de confiance mutuelle s’est établie entre les deux entreprises. Pour les agents d’EDF, Areva est perçu comme le « partenaire historique » dont le sérieux n’a pas besoin d’être interrogé. Un agent de l’équipe RGV l’a d’ailleurs illustré au cours d’un entretien : « Areva, c’est nos frères, c’est historique. Ils travaillent aussi bien que nous voire mieux que nous ». Ce partenariat de longue date et la confiance réciproque qui s’est instaurée entre les équipes des deux entreprises a donc également pu concourir à ce que les dires d’Areva soient en quelque sorte « pris pour argent comptant » par la DIPDE. • Par ailleurs, en décembre 2014, au moment où le constat a été réalisé par la DIPDE, le palonnier avait déjà été construit et il y avait une pression temporelle importante pour que les opérations démarrent en mai 2015. Les membres du service Maintenance Levage qui, en plus d’être sollicités sur d’autres projets, avaient intégré l’échéance fixée par la visite décennale et la pression temporelle qui en découlait, se sont, en quelque sorte, sans doute autocensurés dans leur mission de surveillance, afin de ne pas entraver la bonne marche du projet. La trop grande intégration de la contrainte temporelle par les agents a donc participé à réduire le questionnement et les demandes de justifications adressées à Areva.

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4.5.4. UN DEFAUT DE COMMUNICATION ENTRE SERVICE LEVAGE ET EQUIPE RGV A ce stade, aucune remarque particulière n’aurait, par ailleurs, été formulée par le service d’études levage à l’équipe RGV quant aux craintes portant sur le palonnier, notamment sa capacité à subir des mouvements transversaux. Il en a résulté que les équipes en charge de la surveillance des opérations au CNPE n’ont pas été averties du problème, ni aiguillées ou sollicitées pour effectuer une surveillance spécifique sur le palonnier. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre suivant consacré à la surveillance des opérations.

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5 - Analyse de la phase réalisation Au-delà du déroulé de l’accident proprement dit, l’analyse de la phase de réalisation du remplacement des générateurs de vapeur (RGV) doit avoir pour but de mettre en évidence les différents facteurs de risques qu’elle a révélés, qu’ils aient ou non contribué à la survenue de l’accident lui-même. Or cette phase se caractérise d’abord par la pluralité des acteurs qui y ont participé et par la complexité de son organisation : non seulement EDF y a recours à divers niveaux de prestataires, mais elle a surtout elle-même fait intervenir plusieurs entités à différents niveaux ou étapes du projet. Pourtant au sens strict, les agents EDF – ni ceux du CNPE ni ceux de la DIPDE, détachés sur le site, ne sont intervenus dans la phase de réalisation : leur rôle consistait seulement à surveiller les prestataires en charge des différentes phases de l’intervention. Comme le répètent souvent les encadrants ou les dirigeants rencontrés, « EDF ne fait pas, il fait faire » ; mais ce « faire faire » n’exonère pas pour autant de toute responsabilité, notamment en ce qui concerne la maîtrise technique et la sécurité. Il s’agira donc ici de comprendre les enjeux de cette surveillance, ses exigences, son rôle attendu en matière de prévention des risques et les éventuels manquements que l’on peut interroger en ce qui concerne les opérations de RGV.

5.1. Une organisation complexe, difficile à maîtriser L’organisation de la phase de réalisation du chantier RGV prend d’une certaine façon la suite de la phase d’études qui l’a précédé. Comme nous l’avons vu, la structuration de l’organisation a été finalisée au moins deux années avant le début réel des activités sur le site. La place et le rôle des différents acteurs de l’opération relèvent donc d’abord et avant tout d’une certaine stratégie industrielle qui, sans être propre au projet de Grand Carénage, présente ici certaines spécificités.

5.1.1. LA SOUS-TRAITANCE : UNE STRATEGIE INDUSTRIELLE DETERMINEE ET DETERMINANTE

Les activités liées au Grand Carénage et, plus spécifiquement encore, celles relatives au remplacement des générateurs de vapeur ont un caractère très exceptionnel et très spécifique. Comme nous l’avons vu1, elles ont donc imposé à EDF – et plus précisément à sa DPN (Direction du Parc Nucléaire) – de recourir, pour les réaliser, à des entreprises soustraitantes (ou prestataires). Il importe de préciser que cette logique de sous-traitance ou d’externalisation ne va cependant pas de soi : ni dans son principe ni même surtout dans son degré ou dans son extension. En effet, notamment lorsqu’il s’agit d’une opération stratégique, la sous-traitance place le donneur d’ordres ou le commanditaire (ici EDF) dans une situation de double contrainte : d’une part, au fil du temps, elle induit une situation de dépendance de l’entreprise à l’égard de ses prestataires (elle ne peut plus « faire » sans eux) ; d’autre part, elle lui impose de devoir (et donc de se mettre en capacité de) surveiller ou contrôler la qualité des opérations ou des activités prestées2. 1 2

Voir ci-dessus notre Chapitre 2. Notamment en application, nous le verrons, de l’Arrêté INB – anciennement Arrêté Qualité. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 69


En ce qui concerne les opérations de maintenance courante, la sous-traitance est très vite devenue un modèle d’organisation au sein des centrales nucléaires d’EDF : concentrées sur quelques semaines, au moment des arrêts de tranche, celles-ci exigent d’importants volumes de personnel pour des activités de plus en plus pointues techniquement1. Au fil des années, les volumes d’activités sous-traitées ont en outre beaucoup augmenté, passant de 20 % à l’origine à plus de 80 % aujourd’hui, si bien qu’à l’échelle du Parc le nombre d’intervenants prestataires est aujourd’hui deux fois plus importants que le nombre d’agents EDF. Cependant, les opérations de Grand Carénage revêtent un caractère doublement exceptionnel : d’une part par leur ampleur – à Paluel, le nombre d’intervenants prestataires présents sur site devrait passer de 700 à 2500 au plus fort des opérations – et d’autre part par leur caractère inédit – au sens où les plus grosses opérations (parmi lesquelles le remplacement des GV) n’ont jamais été réalisées auparavant (du moins lorsque les premières ont été réalisées). Etant donné leur enjeu stratégique majeur (la poursuite de l’exploitation des CNPE en dépend), rien n’imposait à l’entreprise de sous-traiter quasi-intégralement ces opérations : inédites et très exigeantes techniquement, ces opérations risquaient d’être difficiles à maîtriser pour EDF autant que pour ses éventuels prestataires – fussent-ils intervenants réguliers sur les opérations de maintenance usuelles. C’est que ce choix de la sous-traitance n’a pas – été opéré d’emblée ; il résulte plutôt d’une stratégie industrielle qui ne s’explique clairement qu’à partir de l’histoire de ces opérations sur le Parc.

5.1.2. UNE HISTOIRE ECLAIRANTE En effet, historiquement, lors des premiers remplacements de GV sur les sites de 900 MW, EDF (via le CIPN2, son centre d’ingénierie de l’époque), assurait elle-même la maîtrise d’œuvre de ces opérations : véritable « ensemblier industriel », elle assurait ainsi (au moins via ses différentes entités) les rôles de Maîtrise d’ouvrage (MOA) déléguée et de Maîtrise d’œuvre (MOE) aussi bien pour les phases d’études et de préparation que pour les phases de réalisation des chantiers. Commencée en 1990 (sur le site de Dampierre), la campagne de remplacement des GV usagés a ainsi concerné pas moins de 27 des 34 3 tranches que comptent les différents sites de 900 MW 4 . Framatome (devenue depuis Areva), comme plusieurs autres entreprises prestataires, encore présentes aujourd’hui sur le projet de RGV de Paluel, avaient alors été sollicitées, par le CIPN pour y intervenir en tant que sous-traitants sur l’une ou l’autre des opérations. Cependant, c’est le CIPN qui assurait la plus grande partie des études de conception ; c’est lui qui avait conçu les outils (et notamment les moyens de levage retenus), et c’est lui qui avait pris les décisions correspondantes, notamment en matière de modes opératoires (cinématique de sortie des GV, choix des modalités de levage, cinématique de la sortie des BR…) ; enfin, c’est lui qui assurait en tant que Maître d’œuvre la coordination des opérations (et avec elle les missions de surveillance) en phase de réalisation au sein des différents sites (via les équipes RGV dédiées). 1

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3 4

Cette sous-traitance permettait en outre à l’entreprise d’externaliser également une partie des risques professionnels (liés aux activités de maintenance les plus exposées) : voir Annie Thébaud-Mony, L’industrie nucléaire, sous-traitance et servitude, Editions Inserm, Paris, 2000. CIPN, Centre d’Ingénierie de la Production Nucléaire, devenu depuis 2016, la DIPDE – Direction de l’Ingénierie du Parc de la Déconstruction et de l’Environnement. Soit un rythme d’environ une campagne RGV par an à partir de 1993. Le « Palier 900 MW » comporte 9 sites : Fessenheim, Bugey, Blayais, Chinon, Cruas-Meysse, Dampierre-enBurly, Gravelines, Saint-Laurent-des-Eaux et Tricastin CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 70


Cependant, après quelques années, et avec la répétition de ces mêmes opérations sur différents sites du palier 900 MW, chacun des acteurs a pu y acquérir une certaine expérience et, avec elle, une certaine maîtrise des différentes opérations. Comme nous l’ont expliqué plusieurs de nos interlocuteurs, à partir des années 2004-2005, le niveau de sous-traitance s’est accru et il est ainsi devenu envisageable de modifier le montage initial pour adopter une organisation mobilisant « moins de moyens » au sein du CIPN : « Historiquement nous faisions les RGV nous-mêmes. Quand les RGV ont commencé sur le 900, on le faisait avec nos services d’ingénierie ; c’est nous qui faisions les études et qui prenions les décisions. Nous concevions les outils et nous avions des sous-traitants dans la phase de réalisation ; et ils utilisaient nos outils. Puis on a sous-traité à Areva certaines opérations de coordination : ils en avaient beaucoup et ils maîtrisaient et au sein du CIPN, ça nous allégeait. »

Principal prestataire pour ces activités, Areva se trouvait, de fait en position de pouvoir prendre la tête d’un groupement de prestataires : un GMES – groupement momentané d'entreprises solidaires – qui, couvrant les principales activités de ces opérations était dès lors en capacité de prendre en charge la maîtrise d’œuvre des projets suivants. C’est à partir de l’année 2006 que les modalités d’organisation des opérations de remplacement des générateurs de vapeur (RGV) se sont ainsi trouvées substantiellement remaniées : d’une opération maîtrisée et coordonnée par le CIPN, « on est passé à une prestation intégrée ». Comme aujourd’hui à Paluel, le GMES comprenait les mêmes acteurs : Areva en était le coordinateur et Orys y assurait déjà les missions de levageur. Outre l’allègement de charge pour le CIPN, à une période où le nombre de RGV augmentait, ce nouveau dispositif organisationnel avait également vocation à pallier les difficultés rencontrées en matière de gestion de planning : en déléguant, la coordination des chantiers, le CIPN perdait sans doute une partie de la maîtrise des chantiers, mais il externalisait également la responsabilité de la gestion des aléas liés à la coordination des très nombreuses opérations que comporte un RGV. Comme l’a expliqué l’un de nos interlocuteurs : « On a aussi fait le GMES pour éviter de payer les heures d’attente aux différents prestataires. Mais par-là, on a aussi perdu la maîtrise des chantiers. »

5.1.3. UNE ORGANISATION RAPIDEMENT RECONDUITE Nous l’avons vu, par rapport à cette histoire récente, le projet RGV de la tranche Paluel 2 constitue d’abord et avant tout une rupture en ceci qu’il constituait la première opération du palier des tranches de 1300 MW. Bien identifié comme tel, le projet était ainsi formellement requalifié en « tête de série » (TTS) : du point de vue de la stratégie industrielle, comme de l’organisation, il s’agissait de ne pas négliger le caractère inédit de l’opération. La plupart de nos interlocuteurs ont ainsi insisté pour rappeler que d’importants moyens avaient été consacrés à la prise en compte de cette position particulière du projet de RGV de Paluel : comme nous l’avons expliqué 1 , ceci a notoirement été pris en compte dans les modalités de suivi de la phase d’étude. Cependant le choix de confier la coordination et la maîtrise d’œuvre au même GMES ne semble pas avoir été interrogé. Pourtant, comme n’ont pas manqué de le rappeler plusieurs de nos interlocuteurs, les opérations de RGV à Paluel constituaient bel et bien un « nouveau projet » : il ne s’agissait pas 1

Voir ci-dessus notre Chapitre 4. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 71


seulement d’un nouveau site, sur lequel on aurait appliqué ou reproduit des méthodes déjà éprouvées, ou des outils déjà mis au point, mais bien d’opérations inédites. Rappelons ainsi qu’entre les Paliers 900 et 1300, on passe de 3 à 4 GV par réacteur, les dimensions du Bâtiment Réacteur (et notamment celles des casemates des GV changent) et enfin le type, le poids et la taille des GV eux-mêmes changent. Dès lors, loin de se borner à reproduire les précédentes opérations, la phase de conception et de préparation devait faire une large place à ces adaptations : la cinématique des opérations devait être entièrement repensée et, avec elle, les outils et moyens de levage. Or cette phase de conception n’avait, à proprement parler, jamais été prise en charge par le GMES : pour le palier 900, c’est la Division de l’Ingénierie Nucléaire d’EDF (la DIN, via son CIPN) qui avait assumé cette phase. Reproduire la même organisation revenait donc à confier au GMES, et à Areva en particulier, certaines missions qu’en fait il n’avait jamais réalisées. C’est à n’en pas douter ce caractère très inédit qui a été sous-estimé. Certes, comme nous l’avons vu, c’est le CIPN qui a, au moyen d’une pré-étude, tranché la question des modalités d’extraction des GV (en un seul ou en deux morceaux) ; mais c’est bien Areva qui a eu la charge de concevoir d’abord, puis de coordonner l’ensemble des opérations. Quoique « surveillé » par EDF, c’est pourtant bien à l’occasion de ces missions de conception et de coordination que sont apparus les manquements ou les défaillances qui sont à l’origine de l’accident : en faisant le choix de reconduire le modèle organisationnel d’une prestation intégrée, EDF a donc pris le risque de se tenir à distance d’une opération Tête de Série qui présentait, de fait, de nombreux caractères inédits.

5.1.4. LE « CHOIX » DES PRESTATAIRES : UN CHOIX CONTESTABLE ? Nous l’avons vu le GMES est composé de 4 entreprises qui, à raison de leurs spécialités ou de leurs compétences se sont réparties la plus grande part des activités des RGV. Devant la technicité des opérations, autant que devant leur caractère exceptionnel, on ne peut manquer de s’interroger sur les critères qui ont amené l’entreprise (EDF) à choisir tel ou tel partenaire. Et il conviendra en particulier de s’interroger sur le choix de celui d’entre eux qui avait la charge des opérations de levage, ORYS. a) Qualifier les prestataires Le choix des prestataires relève d’un dispositif géré nationalement, à l’échelle de la Direction du Parc Nucléaire (DPN) : précisément décrit par une directive interne, la DI 130 – Qualification des Intervenants Extérieurs –, le dispositif est donc très encadré. Le processus de qualification consiste à sélectionner, après examen de leurs capacités, les prestataires qui en font la demande : une fois « qualifiés » sur un domaine d’activités particulier, ceux-ci pourront proposer aux différentes entités du groupe EDF-SA de réaliser des prestations correspondantes : « Qualifier un prestataire pour un domaine d’activités donné consiste à reconnaître ses capacités à réaliser des prestations avec le niveau de sureté et de qualité requis dans le cadre du respect des exigences de l’Arrêté INB de 2012 (…) »1.

C’est l’Unité Technique Opérationnelle (UTO), entité interne à la DPN, qui en tant qu’« instance de qualification » a la charge de ce processus. Les différentes activités sont classées dans 1

DI 130, § 3.1, p 11/24. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 72


différents « Systèmes de qualification », par « domaines » et « sous-domaines » d’activités et la qualification est ainsi attribuée pour un ou plusieurs domaines ou sous-domaines d’activité et « pour une durée périodique » 1 . Le processus de qualification se déroule en trois temps – demande de qualification, examen d’aptitude et décision suite à l’examen ; enfin, la qualification est « réexaminée périodiquement » notamment à partir « l’analyse du retour d’expérience issu de la surveillance ». Précisons enfin que la DI 130 prévoit également les cas de groupement d’entreprise. Elle précise ainsi que « chaque entreprise composant le GME doit être qualifiée dans le sous-domaine sur lequel elle intervient ». En cas de prestation intégrée, le mandataire du GME titulaire du marché « doit avoir été jugé apte à piloter et coordonner ce type de prestation ». En revanche, la DI 130 ne mentionne pas directement les différents « systèmes de qualification », pas plus que les domaines ou sous-domaines d’activités auxquels les prestataires peuvent postuler. On peut cependant se reporter au Journal Officiel de L’Union Européenne (JOUE)2 qui, en raison des règles de la libre concurrence, publie officiellement les différents domaines et sous-domaines des trois principaux systèmes de qualification : machines tournantes, électricité et logistique industrielle. La consultation du JOUE permet ainsi de constater que les activités liées au levage relèvent du Domaine 5 (« Moyens de levage ») au sein du Système de qualification « Machines tournantes »3. Il faut cependant noter qu’aucun des 4 sous-domaines mentionnés dans les avis publiés au JOUE ne semble recouvrir exactement les qualifications nécessaires à la conception de moyens de levage ou à la réalisation d’opérations de levage mises en jeu lors des opérations de RGV : les 3 premiers concernent les ponts roulants et le 4ème concerne la chaîne PMC (Poste de manutention du combustible). Cependant, outre les trois principaux systèmes, il existe en fait 21 autres systèmes de qualification qui, eux, ne font pas l’objet d’une publication4. Parmi ces derniers, on trouve notamment celui consacré aux « Opérations Gros Composants » qui pourrait éventuellement concerner les opérations de levage du RGV. Il importerait sans doute d’interroger tout à la fois les conditions et les domaines ou sousdomaines dans lesquels les différents intervenants du GMES ont été qualifiés pour ces opérations : le cadre de notre intervention n’a cependant pas permis de creuser ou de préciser ces différents éléments. Suite à nos investigations, il apparaît néanmoins utile de formuler ici plusieurs interrogations. b) Des interrogations quant au choix du levageur Nous l’avons dit, nous n’avons pas eu accès aux dossiers correspondants aux différents prestataires du GMES ; nous n’avons pas non plus, malgré nos diverses sollicitations, été autorisés à réaliser des entretiens ni avec les salariés de ces entreprises ni avec leurs directions (celles-ci ne nous ont simplement jamais répondu). Nous n’avons donc pas pu instruire, faute de moyens, les conditions de leur qualification, notamment en ce qui concerne les opérations de levage. En effet, si la procédure déclinée par la DI 130 paraît formellement très rigoureuse, 1 2

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Ibid., § 5.1, p. 14/24. Il existe ainsi 3 systèmes de qualification publiés au JOUE (et 21 systèmes non publiés (dans la mesure où les marchés correspondant sont insuffisamment conséquents). Voir par exemple l’avis de mise en concurrence de 2015 publié au JOUE ; l’avis se contente d’indiquer publiquement qu’il existe un système de qualification et d’en préciser les différents domaines et sousdomaines : http://ted.europa.eu/udl?uri=TED:NOTICE:255440-2015:TEXT:FR:HTML. On les trouve néanmoins sur divers sites internet. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 73


il est donc ici impossible d’analyser concrètement les conditions dans lesquelles celles-ci ont pu être qualifiées pour les opérations de levage complexe en quoi consistent les activités de RGV. En outre, au-delà de la qualification proprement dite, il s’agirait également de s’interroger sur les critères et les conditions dans lesquelles les différents prestataires du GMES ont été choisis ou rattachés à telle ou telle activité. Suite à nos entretiens, plusieurs questions nous paraissent ainsi demeurer en suspens, en particulier en ce qui concerne les activités de levage ; certaines concernent les conditions de qualification ou les critères de choix des prestataires avant l’accident, d’autres concernent les éventuelles modifications survenues depuis, notamment en retour d’expérience des conditions de survenue de l’aléa : • En ce qui concerne l’entreprise AREVA : - L’entreprise Areva était-elle qualifiée pour concevoir des outils de levage (comme le palonnier) ? Etait-elle qualifiée pour coordonner les opérations de levage, notamment sous la forme d’une coordination complexe de différents acteurs ? - Comment les différents écarts constatés au long du projet ont-ils été traités (FEP) et dans quelle mesure ont-ils pu effectivement être remontés à l’UTO ? - A la lumière de la survenue de l’aléa de la chute du GV, Areva conserve-t-elle aujourd’hui ses différentes qualifications ? • En ce qui concerne la qualification de l’entreprise ORYS : - L’entreprise Orys était-elle qualifiée pour réaliser des opérations de levage ? - La consultation du site internet du groupe Ortec révèle que sa filiale Orys réalise « depuis plus de 15 ans » les missions d’évacuation des couvercles de cuve usés. Cette expérience suffisait à qualifier Orys pour la réalisation des opérations de levage des RGV ? Si Orys était qualifiée et donc en capacité de réaliser ces opérations, pourquoi la conduite opérationnelle du MLV a-t-elle été confiée à Bouygues ? - Enfin plusieurs de nos interlocuteurs nous ont indiqué que le choix d’Orys pour les opérations de levage avait été imposé par la DPN à la DIPDE (et sans doute du même coup à Areva) qui aurait préféré solliciter un levageur spécialisé. Dans ces conditions quelles ont été les raisons de ce choix stratégique au niveau de la DPN ? Au total, le risque de faire appel à une entreprise non spécialisée dans un domaine technique particulier pour des opérations complexes nous semble avoir été insuffisamment perçu. Les procédures prévoient certes que des entreprises prestataires puissent, à leur demande, réaliser des activités nouvelles, ce qui permet à EDF de diversifier dans le même temps ses prestataires. Néanmoins, on peut s’interroger sur la pertinence du choix d’un levageur non spécialisé, pour des opérations d’un haut niveau de complexité et sur une tête de série. Enfin, le fait que la DIPDE n’ait pas été à l’origine de la sélection pose clairement la question de la cohérence du processus de sélection. Certes, Orys avait déjà effectué plusieurs opérations RGV sur les RGV 900 MW ; elle disposait donc d’une certaine expérience. Néanmoins comment expliquer que les équipes chargées de réaliser les études d’avant-projet n’aient pas eu le dernier mot dans le processus de sélection ? c) Des alertes sous-estimées ? Au-delà du choix initial, le déroulement de l’ensemble du projet du RGV sur le site de Paluel s’est trouvé émaillé de quelques épisodes significatifs qui ont attiré l’attention sur la qualité ou la fiabilité des prestations réalisées par le GMES, et notamment par Orys. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 74


Sans retracer l’ensemble de ces aléas1, il nous paraît utile d’attirer ici l’attention sur deux de ces épisodes qui, chacun à leur manière, ont révélé certains manquements du GMES, mais qui surtout peuvent être l’occasion d’interroger l’efficacité du retour d’expérience des entités d’EDF : le premier d’entre eux est celui de l’alerte du syndicat CGT à l’occasion d’écarts constatés sur des activités de soudure réalisées par Orys. Le second est l’aléa du portique extérieur (PEX). • Un soudeur sans habilitation : Le premier aléa a été révélé par une enquête réalisée par certains membres du CHSCT suite à une alerte formulée par un agent EDF : un soudeur travaillant sur les cales du portique extérieur avait été convoqué par l’agent EDF, car il travaillait sous une charge de 300 tonnes en suspension ; les investigations révèleront également que ce salarié travaillait sans habilitation de soudeur. Au-delà de ces écarts, les membres du CHSCT avaient alors surtout alerté de façon plus générale sur « le manque de rigueur et de transparence de l’entreprise ORYS » : lors de la séance du 18 novembre 2015, ils précisent notamment que ce prestataire «tg n’a pas agi de sa propre initiative mais qu’il a agi sur ordre » ; plus grave, « on lui a donné les papiers d’un autre pour qu’il soude »2. L’information et l’alerte avaient été présentées au Directeur d’Unité et les membres avaient demandé « un retour » et que « cette société fasse l’objet d’une étude » : « nous vous demandons de différer l’utilisation de ce portique tant que vous n’aurez pas eu d’éclaircissements sur la garantie et la qualité de tous les travaux effectués par l’entreprise ORYS ». Il sera en fait décidé de reprendre l’ensemble des soudures ainsi réalisées (il s’agissait des cales soudées au pied des poteaux du portique extérieur). • L’aléa du portique extérieur : La chute du palonnier sous le portique extérieur survient peu de temps après (le 3 décembre 2015) ; il va amener l’organisation syndicale CGT à porter son alerte à un niveau national. Sollicitant ainsi une rencontre bilatérale avec la direction de la DPN, elle va, à cette occasion (le 10 février 2016), renouveler sa mise en garde. Elle y rappelle ainsi les différents incidents ou presqu’accidents (pas moins de « six affaires » parmi lesquelles celle des soudures, la chute du palonnier elle-même, l’accrochage de la tuyauterie EAS ou les défauts du vérin de soutènement du pont polaire) qui avaient concerné l’entreprise Orys sur le site de Paluel au cours du dernier semestre 2015. Le document remis à l’occasion de cette rencontre concluait cette alerte en qualifiant l’organisation du GMES comme « inquiétante » et en pointant « un management des équipes Orys peu transparent au cours des derniers mois ». La direction avait alors simplement répondu que l’entreprise concernée avait été placée en situation de « surveillance renforcée », ce qui en fait n’a guère modifié les conditions de la surveillance lors de la manutention des GV et n’a pas permis de prévenir l’accident survenu quelques semaines plus tard.

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Sur ces divers épisodes, voir ci-dessus notre Chapitre 2. PV du CHSCT Tem du 18/11/2015. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 75


5.1.5. LES

DIFFERENTES ENTITES CONFUSE, PEU CLAIRE,

EDF :

UNE REPARTITION DES ROLES

Nous l’avons dit, la grande complexité – qui est aussi une partie de ses difficultés – de l’organisation du chantier RGV tient tout à la fois du caractère inédit des interventions et du grand nombre d’acteurs qu’elle implique. Cependant, contre toute attente, cette pluralité d’acteurs ne touche pas seulement le GMES ou les prestataires du projet puisque d’une certaine façon elle concerne également le donneur d’ordre lui-même. En effet, lorsqu’un projet est mis en œuvre, il implique de fait, à minima, deux entités de l’entreprise EDF : d’une part, la direction du site où va se dérouler le projet qui en est en quelque sorte le commanditaire et, d’autre part, les services d’ingénierie de la DIPDE (anciennement CIPN) qui en est en quelque sorte le principal artisan ou du moins le coordonnateur. Dans le modèle initial d’organisation, cette répartition était relativement claire : le CNPE était maître d’ouvrage, et le CIPN, le maître d’œuvre intervenant sur le site en y coordonnant et en y surveillant des prestataires qui réalisaient le chantier avec lui :

Maîtrise d'ouvrage Direction du Parc Nucléaire

CNPE (site et exploitant)

Maîtrise d'œuvre Division de l'Ingénierie Nucléaire

CIPN (conception, études et coordination)

Prestataires Framatome (Areva) et autres sous-traitants

Réalisation (échafaudages, charpentes, calorifuges, manutention, électricité...)

Cependant en faisant du GMES le véritable maître d’œuvre, la nouvelle organisation (celle qui s’est imposée à partir de 2006 et qui a été reprise pour le RGV de Paluel) privait de fait le CIPN (ou aujourd’hui la DIPDE) d’un rôle clair : celui-ci ne pouvait être ni maître d’ouvrage (qui demeure l’apanage de l’exploitant), ni maître d’œuvre (le GMES) alors qu’il jouait de fait un rôle primordial au sein du projet – y compris d’ailleurs celui de la direction même du projet. Il est sans doute très significatif qu’en dehors de quelques cadres dirigeants habitués aux montages complexes, la plupart des interlocuteurs de terrain (CNPE ou DIPDE) n’aient pas été en mesure d’expliquer précisément le rôle de chacun des acteurs de l’entreprise (et par là sur les modalités de leurs éventuelles collaborations). Ces rôles sont pourtant clairement définis dans la Note d’organisation de l’équipe RGV (EMPRRGV1400626) :

CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 76


« Tout CNPE où se déroule une opération lourde reste l’exploitant nucléaire de l’INB concernée. A ce titre, et en tant que maître d’ouvrage, il est le responsable de toutes les activités d’exploitation réalisées sur son INB. LE CIPN (DIPDE) intervient en tant que maître d’ouvrage délégué. Les fournisseurs de différents types d’opérations lourdes (NCGV, NPGV ou RGV) interviennent en tant que maitre d’œuvre. Le Fournisseur et le CIPN sont liés par contrat. Pour chaque opération lourde un protocole est défini entre le CNPE et le CIPN (DIPDE) ».

Cependant si le texte est précis, il n’est dans les faits guère opérationnel dans la mesure où il n’indique pas comment se répartissent les rôles entre les deux entités : la responsabilité imputée au CNPE est ici toute théorique dans la mesure où ses équipes n’ont de fait aucune part effective dans le déroulé des opérations de RGV ; tandis qu’à l’inverse, le rôle de « Maître d’ouvrage délégué » ne rend absolument pas compte de l’implication des équipes de la DIPDE dans ce même déroulé. • En tant qu’exploitant, le CNPE assure la gestion des entrées et sorties et des accès ; il assure les consignations et fournit l’électricité, l’eau ou l’air si nécessaire ; enfin il a en charge la préparation des bâtiments en amont (ce qui inclut notamment l’évacuation du combustible, le conditionnement de la cuve, et la vidange la piscine) et l’intégration des opérations dans le programme d’arrêt de tranche. • Les équipes de la DIPDE, quant à elles assurent, les relations avec le GMES et prennent en charge l’ensemble des activités de surveillance depuis la préparation des chantiers jusqu’à la fin de leur réalisation. • Afin de faciliter les interfaces, la DIPDE s’appuie sur l’Equipe Commune du site (SEC pour Service Equipe commune) : comme son nom l’indique, il s’agit en effet d’un service du site gréé en permanence, d’une part, par des agents issus des services de maintenance du CNPE et connaissant bien tout à la fois leur métier (chaudronnerie, robinetterie, machines tournante, électricité, essais…) et le site et, d’autre part, par des agents de la DIPDE. Ensemble ils coordonnent et mettent en œuvre les dossiers de modifications matérielles conçus ou préparés à une échelle nationale par les divers services d’ingénierie : sur site ces prescriptions nationales sont ainsi instruites conjointement par des agents du site et par des agents issus des services d’ingénierie et détachés sur le site pour des périodes relativement significatives. A l’occasion du projet RGV, c’est l’équipe commune qui avait la charge d’appuyer et de faciliter l’accueil et l’intégration des agents des équipes RGV de la DIPDE (Ingénieurs BR et Chargés d’affaires BR) au fur et à mesure de leur arrivée sur le site. Cependant, contrairement à l’affichage de la répartition des tâches entre MOA et MOA déléguée, le Responsable d’Opération (RO) à la tête de l’équipe RGV ne dépendait hiérarchiquement ou fonctionnellement d’aucune équipe du site1

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Cette situation a cependant été modifiée depuis l’accident : le RO se trouve désormais hiérarchiquement sous la responsabilité du Chef de service du SEC. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 77


En matière d’organisation, le projet RGV de Paluel se caractérise donc par trois dimensions importantes, toutes trois sources d’éventuelles dérives ou dysfonctionnements : - Le parti-pris de la sous-traitance : celui-ci a amené la direction d’EDF à reconduire l’organisation adoptée pour les RGV 900 ; or, loin d’avoir été celle adoptée au début de cette campagne, cette organisation résultait, pour tous les acteurs, de plus de 20 ans d’opérations pour l’essentiel similaires. Cette reconduction, décidée de manière quasiautomatique se révèle donc comme un symptôme notable de la sous-estimation du CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 78


caractère singulier et inédit de la « tête de série » que constituait le lancement de ces opérations sur un premier site du Palier 1300. - Un choix du levageur pour le moins contestable : le choix d’Orys comme levageur ne semblait pas se justifier du point de vue de ses spécialités industrielles ; vraisemblablement imposé à la DIPDE ce choix n’a en outre jamais été remis en cause, malgré les différents aléas et alertes qui ont émaillé le projet RGV entre novembre 2015 et mars 2016. - Une pluralité d’entités EDF aux rôles mal délimités (ou mal compris par les acteurs), ce qui a sans nul doute, affaibli les moyens de pilotage et de maîtrise de l’ensemble du projet. L’accident de la chute du GV illustre en quelque sorte par lui-même chacune de ces trois dimensions, notamment en ce qui concerne directement les opérations de levage des GVU : celles-ci étaient réalisées grâce à du matériel ORYS (MLV) et AREVA (palonnier), installé par ORYS (qui demeurait responsable de cette partie des opérations) et piloté opérationnellement par des équipes BOUYGUES (prestataire de ORYS) ; l’accident est en outre survenu à un moment où aucun surveillant ou agent EDF n’était présent à l’intérieur du BR. Cette dernière dimension est loin d’être anodine et elle amène donc à nous interroger sur les conditions dans lesquelles était réalisée ou assurée cette surveillance.

5.2. L’enjeu de la surveillance Nous l’avons vu, la plupart des opérations relatives au remplacement des générateurs de vapeur de la Tranche 2 de Paluel n’ont pas été réalisées par EDF, ni par les équipes du CNPE, ni par celles de la DIPDE : lors de la phase de réalisation, l’ensemble des activités est réalisé par les prestataires du GMES et par leurs propres sous-traitants. Cependant comme pour les autres activités sous-traitées sur le Parc, celles-ci doivent être très strictement « surveillées » au sens des textes qui, depuis les années 80, encadrent l’organisation des Installations Nucléaires de Base (INB).

5.2.1. LES

DIFFERENTES VOCABULAIRE

« SURVEILLANCES » :

QUELQUES PRECISIONS DE

Dans le vocabulaire de l’exploitation d’un site nucléaire, le terme de « surveillance » désigne d’abord l’une des missions principales incombant à l’exploitant à l’égard de ses installations ; cette mission est d’ailleurs très précisément définie dans l’Arrêté dit « Exploitation » du 10 novembre 1999 : « Article 14 : (…) L’exploitant s’assure, par une surveillance durant le fonctionnement et par des vérifications et un entretien appropriés, que les appareils1 et leurs accessoires, notamment les dispositifs de régulation et de décharge, de protection contre les surpressions et d'isolement, demeurent constamment en bon état et aptes à remplir leurs fonctions en conditions normales et accidentelles »2.

Réalisées pour l’essentiel, par les services Chimie et Conduite au sein des CNPE, ces activités de surveillance des installations ne doivent donc pas être confondues avec celles qui portent sur 1

2

Les appareils désignent ici « le circuit primaire principal des réacteurs nucléaires à eau sous pression et les circuits secondaires principaux de ces réacteurs » (Art. 2). Arrêté du 10 novembre 1999 relatif à la surveillance de l'exploitation du circuit primaire principal et des circuits secondaires principaux des réacteurs nucléaires à eau sous pression. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 79


les activités que l’exploitant confie à des intervenants extérieurs : lorsque l’exploitant ne réalise pas lui-même certaines activités (de maintenance ou de modification des installations, de surveillance ou de contrôle de ces mêmes installations), il doit en effet « surveiller » les activités de ses prestataires. Les conditions de la surveillance des prestataires sont définies et encadrées par de très nombreux textes : très généraux, les premiers sont les textes administratifs réglementaires (Arrêtés) ; les seconds sont les directives générales internes à l’entreprise (Directives ou Référentiels Parc) ; les derniers sont enfin spécifiques à une activité donnée (sous la forme de Note d’organisation et de Programmes de surveillance). Les missions inhérentes à la surveillance des activités des prestataires extérieurs sont avant tout définies et encadrées par l’Arrêté dit INB du 7 février 20121 : « Art 2.2.2 : L’exploitant exerce sur les intervenants extérieurs une surveillance lui permettant de s’assurer : - qu’ils appliquent sa politique (…) ; - que les opérations qu’ils réalisent, ou que les biens ou services qu’ils fournissent, respectent les exigences définies ; (…). Cette surveillance est proportionnée à l'importance (…) des activités réalisées. Elle est documentée (…). Elle est exercée par des personnes ayant les compétences et qualifications nécessaires. »

Le texte est plutôt général ; les principes qu’il fixe sont néanmoins clairs, notamment en ce qui concerne la dernière des conditions ici formulées à savoir celles des « compétences et qualifications nécessaires ». Nous y reviendrons, mais en ce qui concerne les activités de levage et de manutention des GV usagés qui ont été l’occasion de l’accident, il conviendra de s’interroger sur les compétences et qualifications des personnels mobilisés pour leur surveillance ainsi que sur l’organisation de cette activité spécifique. La surveillance est en outre soumise à des conditions plus restrictives lorsqu’il s’agit d’activités identifiées comme « importantes pour la protection » (AIP). Cette dernière dénomination – qui recouvre en grande partie les anciennes activités dites « importantes pour la sûreté » (IPS) – est définie au début de l’Arrêté INB et renvoie au Code l’Environnement : elle désigne toutes les activités importantes « pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1 du code de l’environnement (sécurité, santé et salubrité publiques, protection de la nature et de l’environnement) »2. Quoique cette qualification ne soit pas mentionnée dans les nombreux documents que nous avons pu consulter3, les activités de RGV nous paraissent néanmoins relever d’activités de type AIP. En ce cas, elles sont donc également concernées par la seconde partie des règles relatives à la surveillance énoncées par l’Arrêté INB : « Art 2.2.3 : La surveillance de l’exécution des activités importantes pour la protection réalisées par un intervenant extérieur doit être exercée par l’exploitant, qui ne peut la confier à un prestataire. Toutefois, dans des cas particuliers, il peut se faire assister dans cette surveillance, à condition de conserver les compétences nécessaires pour en assurer la maîtrise. Il s'assure que les organismes qui 1

2 3

Celui-ci a, depuis 2013, remplacé l’Arrêté Qualité de 1984 (Arrêté relatif à la qualité de la conception, de la construction et de l'exploitation des installations nucléaires de base du 10 août 1984). Arrêté INB du 8 février 2012, Art. 1.2. Comme tous les documents, les documents concernant le RGV comportent un préalable relatif à leur classement ; à la condition « l’activité concerne directement une fonction ou un élément identifié comme EIP », ils indiquent tous « non ». CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 80


l’assistent disposent de la compétence, de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires pour fournir les services considérés.
 »

Pourtant comme nous l’avons vu, la surveillance des opérations de RGV n’était, au sens strict, pas assurée par l’exploitant (le CNPE), mais plutôt par une entité à qui, même si elle relève de la même entreprise, il avait confié cette tâche. Au-delà du caractère exceptionnel de l’organisation, il importe surtout de faire remarquer qu’ici encore le texte insiste essentiellement sur la nécessité pour les équipes en charge de la surveillance de disposer de « la compétence, de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires ». Ajoutons que dans la mesure où il s’agit bien d’activités AIP, l’Arrêté Exploitation précise également que les conditions de sous-traitance doivent y être limitées : - D’une part, l’exploitant doit, même s’il recourt à des intervenants extérieurs, « conserver la capacité d’assurer la maîtrise de ces activités et de l’exploitation de son installation » (Art. 63-11). - D’autre part, il doit « limiter autant que possible le nombre de niveaux de sous-traitance » et lorsqu’il s’agit d’activités AIP, celles-ci ne peuvent être réalisées que « par des soustraitants de second rang au plus » (Art. 63-2). - Enfin, il y est rappelé que « l’exploitant assure la surveillance » de ces activités AIP et qu’il met en place un système « de transmission des informations en provenance des intervenants extérieurs, notamment en vue d’un retour d’expérience ».

5.2.2. REGLES ET MODALITES DE LA SURVEILLANCE La surveillance des opérations de RGV a donc intégralement été réalisée par les équipes de la DIPDE. S’il ne s’agit pas d’une opération de maintenance usuelle, celle-ci relevait néanmoins de la même logique et des mêmes textes sources. a) Des interventions en « Cas 1 » : une surveillance à distance Nous l’avons dit, quoique les documents ne le mentionnent guère, il y a lieu de considérer que les activités de RGV relèvent d’activités importantes pour les intérêts (AIP) au sens de l’Arrêté INB (du 7 février 2012). De ce point de vue, et dans le cadre de la Note Technique NT0085114, elles relèvent de certaines obligations en matière de suivi des prestataires, notamment du point de vue de la maîtrise de la qualité. En effet, dans ce cadre, les prestataires (ceux du GMES comme leurs éventuels sous-traitants) sont tenus de mettre en place « un système qualité répondant aux exigences des normes ISO 9001 ». EDF (§ 4.1.1 de la Note NT0085114) définit cependant deux cas d’intervention qui, d’une certaine manière, déterminent le niveau de surveillance du prestataire à mettre en œuvre : - le Cas 1, où le prestataire impose sa propre organisation qualité et, par-là, conserve une forte autonomie, tout en se trouvant ainsi en situation de plus grande responsabilité ; - et le Cas 2, où le prestataire reste soumis à l’organisation qualité d’EDF qui assure alors la préparation des interventions.

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« L’exploitant d’une installation nucléaire de base assure effectivement l’exploitation de son installation. Il peut recourir à des intervenants extérieurs pour la réalisation d'activités importantes pour la protection des intérêts mentionnés à l’Article L. 593-1 du code de l’environnement, dans les conditions prévues par le présent chapitre et sous réserve de conserver la capacité d’assurer la maîtrise de ces activités et de l’exploitation de son installation ». CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 81


Comme le précise la Note d’organisation des chantiers RGV (IBRP DC 1431), dans le cadre d’un dispositif de type prestation intégrée, « les entreprises du groupement [GMES] interviennent en cas 1 » (p. 5/16). Or comme le précise la Note NT0085 114 : « Une intervention en cas 1 est soumise entièrement à l’organisation qualité du Fournisseur qui assure la maîtrise d’œuvre de réalisation d’une activité de maintenance à partir d’exigences définies par EDF. Dans ce cadre le Fournisseur : - est responsable de la préparation et de la réalisation de l’intervention, - établit l’analyse des risques, - intervient dans toutes les phases du contrôle technique et de vérification, - établit à son nom les procédures nécessaires pour la réalisation de l’intervention ainsi que les documents exigés (exemple : les documents techniques, les Documents de Suivi de l’Intervention), - assure le traitement des non-conformités, - en fin d’intervention remet les documents exigés (...) ». Ainsi, l’on comprend ici, que dans le cas des opérations de RGV, le GMES disposait en fait d’une très large autonomie : comme nous l’avons vu, c’est bien lui qui a réalisé (sous la surveillance de la DIPDE) la préparation de l’intervention et qui a élaboré les procédures d’intervention (au point, nous le verrons, de ne pas communiquer les méthodes détaillées aux équipes de surveillance de la DIPDE). Plus encore : en termes de surveillance et c’est bien le GMES qui a établi les analyses de risque ainsi que les Documents de Suivi de l’intervention (DSI) qui, nous le verrons, constituent la substance du Programme de surveillance. Cependant, dans une telle configuration, le risque est grand pour le donneur d’ordre, de perdre la maîtrise réelle des activités et de leur déroulement : la surveillance, devenue très distante, évolue vers de simples vérifications formelles ou documentaires. b) Les exigences de la DI 116 : une application des règles approximative Au-delà des principes généraux des Arrêtés, ce sont les documents de prescriptions internes qui font ici référence, au premier rang desquels la DI 116 intitulée : « Surveillance des prestataires – Mission des chargés de surveillance ». Celle-ci décrit et précise les « exigences attendues pour exercer une surveillance efficace et pertinente des activités confiées à des prestataires externes » et concerne l’ensemble des activités AIP (activités importantes pour la protection des intérêts) : - Elle précise tout d’abord que les missions de surveillance sont confiées à un « chargé de surveillance », celui pouvant néanmoins « s’appuyer autant que de besoin sur des compétences de différentes spécialités de niveau adapté » (p. 7/14). - Le chargé de surveillance doit « se donner les moyens notamment au travers de sa présence terrain de garantir le bon déroulement du programme de surveillance » : « sur la base d’une analyse de risque, il oriente sa présence terrain pour se focaliser sur les actions de surveillance les plus représentatives ». - Enfin il est précisé que la mission de surveillance doit être « vue comme dimension politique de contrôle » et « principalement centrée sur cette finalité » : pour cela les activités de coordination/facilitation seront limitées ou seront confiées à d’autres personnes ». En interrogeant les modalités de leur application à l’organisation et au déroulement du chantier de RGV, ces « règles » appellent ici plusieurs commentaires : CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 82


• Il faut d’abord remarquer que, cherchant ici à appliquer ou à mettre en application les exigences des Arrêtés que nous avons mentionnés plus haut, EDF ne s’impose ici aucune exigence en matière de compétences du Chargé de surveillance1 : la seule exigence qui semble s’imposer ici est sa « présence terrain » ; il n’est fait aucune mention de la nécessité d’une adéquation des compétences du chargé de surveillance avec le contenu des activités réalisées. • Comme le précise la Note d’organisation de la surveillance pour les opérations de RGV2, en ce qui concerne ces dernières, c’est le Responsable d’Opération (RO) qui joue le rôle de chargé de surveillance : « Le responsable d’opération, chargé de surveillance, délègue auprès des agents désignés et dûment habilités, le pilotage, la définition et la mise en œuvre des actions de cette surveillance » (p. 9/36).

Ce sont donc les Ingénieurs BR (IBR) et les Chargés d’affaires BR (CABR) qui, sous la délégation de leur RO, jouent le rôle de chargés de surveillance. Cette disposition était, d’une certaine façon, prévue par la DI 116 ; en revanche, comme nous l’avons vu, celle-ci indiquait que, dans ce cas, il s’agissait de s’appuyer « autant que de besoin sur des compétences de différentes spécialités de niveau adapté ». Or, comme nous le verrons, il semble bien que ce ne sont pas sur ces principes qu’ont été désignés les agents de l’équipe BR. • Le principe, édicté explicitement par la DI 116, de la séparation entre les missions de facilitation/coordination et celles de surveillance ne semble guère respecté par l’organisation retenue par l’équipe BR : certes, les équipes de surveillance sont bien composées de deux agents ; mais, outre leurs profils parfois différents, ceux-ci ne distinguaient en aucune façon leurs missions selon cette règle ; il s’agissait bien plutôt justement de se partager autant que faire se peut les différents chantiers, en y jouant toujours à la fois le rôle de facilitateur (il s’agissait aussi de veiller au respect du planning) et celui de surveillant. Cette confusion des rôles et des genres n’a sans doute pas aidé les IBR et les CABR à accomplir leur mission sereinement.

5.2.3. LES MODALITES SPECIFIQUES DE LA SURVEILLANCE DES OPERATIONS DE RGV a) Organisation et élaboration des programmes de surveillance Conformément à la DI 116, les modalités de la surveillance d’une activité donnée doivent être déclinées dans un Programme de surveillance (PdS). Comme nous l’avons vu, celui-ci résulte pour l’essentiel des Dossiers de Suivi d’Interventions (DSI) et du Programme des opérations fournis par les prestataires : les différentes opérations ou activités sont ainsi réparties dans divers groupes ou séries d’activité (correspondant à un même métier ou à une phase déterminée du RGV) et pour chaque série ou groupe d’activités un programme de surveillance spécifique est élaboré. Comme le rappelle la Note d’organisation, celui-ci doit être rédigé avant toute intervention : « Il liste toutes les actions particulières qui doivent être menées par l’équipe dédiée, avant, pendant et après l’intervention, qu’elles soient connues ou inconnues des Fournisseurs. »3

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2 3

Comme nous l’avons remarqué lors de précédentes expertises portant sur les services de maintenance, cet aspect se traduit souvent par de grandes difficultés pour les Chargés de surveillance (CSI) sur le terrain : en manque de compétences pour les activités qu’ils sont censés surveiller, ils ont l’impression de ne pas avoir les moyens de mener leur mission et ont du mal à trouver le positionnement juste vis-à-vis du prestataire. CIPN, Organisation de la surveillance pour les opérations lourdes type NCGV, NPGV et RGV (EMPRCP 120435). Ibid., p. 10/36. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 83


D’un point de vue plus concret, la mise en œuvre de la surveillance, sera donc scandée selon ces trois temps d’une activité : la surveillance se prépare avant l’intervention, elle s’exerce pendant et elle est tracée après l’intervention, le tout selon des modalités prédéfinies dans les divers documents de prescription. • Avant l’intervention : L’équipe RGV de la DIPDE « s’approprie le dossier et rédige ses programmes de surveillance »1 ; cette étape est cruciale, notamment du point de vue de l’élaboration effective des programmes de surveillance (PdS). C’est pour cette raison qu’une partie de l’équipe (et notamment le Responsable d’Opération (RO), les adjoints opérationnels (AO), l’Attaché Qualité et quelques IBR) sont présents sur le site bien en amont des phases de réalisation. C’est à cette étape d’élaboration des PdS que les agents de l’équipe RGV élaborent et choisissent – notamment sur la base des Recommandations et des Prescriptions de surveillance édictées par les Etudes de la DIPDE – les Points de notification (points d’arrêt, points de convocation ou points de remise de documents...) qui seront apposés dans les DSI ; complémentairement, ils établissent aussi à ce moment-là, les Fiches de Surveillance par Sondage (FSS), programmées ou inopinées. Toute la difficulté, nous y reviendrons, consistera à faire en sorte que l’équipe BR (IBR et CABR) – dont plusieurs membres n’arriveront, eux, que plus tard et qui ne prendront connaissance des Programmes de surveillance qu’une fois ceux-ci achevés – s’approprie véritablement ces mêmes Programmes (et leurs points de notifications). Une fois le programme achevé, l’équipe RGV (représentée par l’AO) organise également en amont de chaque chantier « une réunion d’enclenchement » 2, notamment afin de préciser aux prestataires les modalités de la surveillance. Au sein de l’équipe RGV, a alors lieu la phase d’« appropriation du périmètre technique du dossier d’intervention »3 : l’AO présente aux équipes de surveillance opérationnelle (IBR et CABR) nouvellement arrivées sur site l’ensemble de l’opération ; puis chaque équipe BR se voit attribuer la préparation spécifique des différents thèmes (ou parties identifiées du chantier) : chaque binôme (un IBR et un CABR) avait ainsi en charge 5 groupes d’activités sur lesquelles il avait pu se spécialiser. Enfin, « au plus près du début de travaux », pour chaque chantier ou activité, l’équipe BR concernée (IBR ou CABR responsable de l’activité) organise avec le prestataire la « levée des préalables ». C’est à cette occasion qu’elle appose formellement, au sein des DSI des différents prestataires, les points de notifications identifiés dans le Programme de surveillance. • Pendant l’intervention : Il s’agit pour les équipes BR d’appliquer le Programme de Surveillance. Plus concrètement, il existe trois types d’actions de surveillance que le programme doit décliner en fonction des analyses réalisées en amont : « - Les actions de surveillance programmées connues du Fournisseur : elles font l’objet d’un point de notification apposé dans les DSI. Attention, la position d’un point d’arrêt sur une opération est déterminante sur l’action que l’on veut surveiller, 
 - Les actions de surveillance programmées inconnues du Fournisseur : ce sont les actions de surveillance identifiées en amont de la réalisation de la prestation dans les programmes de surveillance (exemple : FSS), 
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Ibid., p. 12/36. Les documents de prescription restent assez flous quant au moment où doit se tenir cette réunion : « suffisamment tôt pour permettre la préparation de l’intervention dans les délais impartis » (ibid., p. 15/36). RGV PA2 - Organisation des équipes BR, p. 8/15. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 84


- Les actions non programmées : elles sont insérées dans les programmes de surveillance au cours de la prestation, et font l’objet, par exemple, de la rédaction d’une fiche de surveillance par sondage dite "inopinée" ou de tout autre mode de traçabilité adapté. » 
 Durant le déroulé des opérations de RGV – notamment au sein du BR –, les équipes BR se relaient en 3x8 afin d’assurer une présence opérationnelle en continu. Elles y assurent notamment la levée des points de notification (et notamment celle des points d’arrêt où la présence d’un agent EDF est obligatoire) et mettent en œuvre, « au regard du suivi des activités » la surveillance non programmée ou inopinée. Il est cependant à noter ici – mais nous y reviendrons – que la programmation des équipes BR en continu amène les surveillants à se trouver en situation d’avoir à lever des points de notification (et notamment des points d’arrêt) sur des activités qu’ils n’ont pas préparées et dont, par conséquent, ils ne maîtrisent pas nécessairement tous les enjeux. De même, comme le précise la Note d’Organisation, « lors de l’astreinte décision, de l’Equipe RGV, la personne représentant l’ERGV peut être amenée à lever un point d’Arrêt quel qu’il soit »1. Dans le cadre d’un processus qualité, l’ensemble de ces actions de surveillance est bien sûr tracé : en ce qui concerne la levée des points de notification via l’apposition d’un visa dans les DSI au fur et à mesure de l’exécution des opérations ; et en ce qui concerne la surveillance inopinée via les FSS ou les comptes-rendus de visite terrain. Les écarts sont tracés et les éventuelles observations sont notifiées aux prestataires ; les équipes BR s’assurent de leur prise en compte par les prestataires ; elles seront, le cas échéant, utilisées pour nourrir les Fiches d’Evaluation de la Prestation (FEP) en fin d’intervention. • Après l’intervention : En fin d’intervention, les équipes RGV vérifient les DSI renseignés et les rapports de fin d’intervention (établis par les prestataires) ; ils contrôlent les replis de chantier et établissent les FEP. Enfin ils collaborent à l’élaboration du Rapport de surveillance qui viendra nourrir le retour d’expérience avant les prochaines opérations2. b) Les spécificités du programme du RGV de Paluel 2 : un retour d’expérience insuffisant Comme l’indiquent les principes d’organisation décrits ci-dessus, au-delà des logiques nominales et communes à l’ensemble des opérations lourdes, chaque opération RGV doit, pour l’élaboration précise de son Programme de Surveillance s’appuyer sur deux sources spécifiques : les Prescriptions de surveillance qui synthétisent les différents REX issus des précédentes opérations, et les Recommandations de surveillance, issues de la phase de préparation du chantier et de sa surveillance réalisée par les Etudes de la DIPDE. Ce sont donc ces deux documents qui ont nourri, pour les opérations de RGV de Paluel 2, la conception et la finalisation du Programme de surveillance. • Les prescriptions de surveillance Leur principe consiste avant tout à favoriser la prise en compte de « l’instruction du REX des précédentes opérations de RGV » tout en les adaptant aux « spécificités techniques de l’opération RGV de Paluel Tranche 2 » 3. Pourtant, on ne peut manquer de s’étonner, à la lecture de ces différents « retours d’expérience », de ne point voir figurer une quelconque mise en garde devant le caractère inédit des opérations de RGV sur un nouveau palier : tout semble conçu

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Ibid., p. 19/36. Ces différents documents sont ensuite collectés et archivés par l’Attaché Qualité pour la traçabilité de la qualité (notamment dans le cadre des dispositifs liés aux normes qualité). Prescriptions de surveillance, p. 5-6/13. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 85


comme si l’opération n’était qu’une nouvelle déclinaison d’une opération bien connue et pour laquelle le retour d’expérience est solide et stabilisé. Les premières prescriptions sont très « générales » (« connaître, suivre et optimiser les objectifs sécurité » ou bien « tout écart détecté doit faire l’objet d’un point d’arrêt sur l’activité concernée°») et paraissent donc peu opérationnelles ; dès l’abord l’attention est néanmoins attirée sur certaines activités identifiées comme devant « faire l’objet d’une surveillance particulière. Parmi cette première vingtaine de « prescriptions générales » (pp. 6-8/13), l’une d’elles concerne pourtant directement, les opérations de levage du GV : « Effectuer une surveillance particulière sur les activités de manutentions lourdes par le biais de points de notification sur les DSI ainsi que par des FSS ciblées notamment sur la sécurité, la vérification des appareils, des arrimages, des élingues, de la propreté ainsi que sur la documentation relative aux manutentions ».

Pertinente, cette prescription reste néanmoins très générale et ne semble guère permettre une réelle adaptation du programme de surveillance à la technicité des opérations de levage à venir. Elle sera d’ailleurs suivie inégalement, dans la limite des compétences des surveillants qui, sur le terrain, auront la charge de ces activités. Une seconde prescription générale concerne elle aussi directement les opérations de levage : « Vérifier par sondage la sensibilisation des intervenants lors des pré-jobs briefings aux risques sûreté sécurité liés à leurs activités : • Chute matériel en piscine BR ; • Blocage des torons avec GV suspendu au-dessus de la piscine ; • Accident corporel lors de la dépose des DAB [Dispositifs auto-bloquants] ; • Presqu’accident lors de la dépose du SHS [Anneau de fixation autour du GV] ; • Risque de coup d’arc. »

Plus précise (issue explicitement de précédents aléas survenus sur les opérations de RGV du palier 900 MW), cette dernière prescription se limite quant à elle à la « sensibilisation » des intervenants. Elle démontre en tout cas que les analyses de risques avaient bien été réalisées ; mais une fois encore, elle ne suffit pas par elle-même à modifier utilement le programme de surveillance en anticipant effectivement les risques concrets liés à ces activités. Suite à ces « prescriptions générales », une douzaine de prescriptions spécifiques aux différents domaines d’activités sont déclinés ; la dernière porte sur le domaine MLV : « S’assurer de la sensibilisation par le chef de chantier Orys des équipes intervenantes (Préjob briefing à chaque changement de poste). S’assurer de la prise en compte des actions de correction suite au REX de GRA3 (surveillance humaine du bon déplacement des câbles, renforcement de la qualité d’éclairage du vérin), de DA4 (surveillance du montage des poutres de hissage) et de CHB2 (positionnement et soudage des taquets et butées). S’assurer de la maintenance des moyens de levage au travers du dossier réglementaire des appareils et accessoires de levage. Surveiller les essais réglementaires du moyen de levage GV intérieur BR ainsi que la validation par un organisme agréé et plus particulièrement la procédure de mise en œuvre de l’article 25 de l’arrêté du 1/03/2004 ».

En dehors de la première (qui répète simplement la nécessité du Préjob briefing), les prescriptions sont ici plus directes, plus précises et plus opérationnelles. Cependant aucune d’elles ne porte à proprement parler sur l’efficience de la machine de levage, ou sur l’ensemble MLV-palonnier. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 86


• Les Recommandations de surveillance Les « Recommandations de surveillance » complètent les prescriptions : comme elles, elles ont vocation à nourrir le programme de surveillance élaboré par l’équipe RGV ; mais elles sont, quant à elles, issues des travaux spécifiques réalisés par les équipes Etudes de la DIPDE, en amont de la phase de réalisation du projet1 : « Ce document précise les recommandations de surveillance issues des échanges lors de la surveillance des documents d’études produits par le GMES pour le RGV de Paluel 2. »

Pourtant, dès la page suivante, la liste des points d’attention est présentée comme une simple « mise à jour », comme si, une fois encore, le programme de surveillance n’avait vocation qu’à être une nouvelle déclinaison d’un programme déjà établi : (...) Le présent document liste les points particuliers ayant retenu l’attention des chargés d’études lors de la mise à jour du dossier d’intervention de l’opération de Paluel Tranche 2. »

En termes de contenu, après quelques recommandations générales (à nouveau issues de précédents REX), le document comprend pourtant plusieurs éléments relatifs aux conditions spécifiques des opérations de Paluel : « Compte tenu de la spécificité de ce RGV (TTS 1300 et remplacement des composants primaires), il sera porté une attention toute particulière aux activités nouvelles ou en forte évolution par rapport au référentiel 900, notamment : • le montage/démontage des moyens de levage ; • la qualification du mat central lors de la première levée de GVU ; • les opérations complexes de manutention GV extérieur et intérieur BR (MAN), BU et demi-BU (RBU, BBU), tronçons ARE & ASG (TUS), charpentes métalliques (CHA) ; (...) ».

A nouveau, quoiqu’elles portent sur certaines activités identifiées, les recommandations restent ici très génériques et peu opérationnelles en termes de surveillance effective ou de prévention des risques (« porter une attention particulière ») : quels seraient, par exemple, concrètement les points particuliers auxquels porter attention lors de la phase du montage des moyens de levage ? S’agit-il de monter à hauteur du pont polaire pour voir se monter la machine de levage ? Mais alors quelle partie de cette activité nécessiterait une attention particulière ? A quel moment précis, la fiabilité de cet équipement se joue-t-il ? On le constate : de telles recommandations ne sauraient tenir lieu de prescription opérationnelle en termes de surveillance. Et quoi qu’il en soit, rien de spécifique n’est indiqué quant au palonnier et à sa nouveauté. Comme pour les Prescriptions, le document décline ensuite des recommandations spécifiques aux différents domaines et sous-domaines de l’opération. - Le 14ème point est relatif aux activités de manutention des GVU (MAN) ; mais une fois encore, les prescriptions y demeurent très génériques (« s’assurer de la bonne mise en œuvre des parades issues de l’analyse du risque lié à l’absence de qualification de manutention GV au 1er chargement du berceau PI ») ou très formelles (« s’assurer de la mise en place du balisage "Zone contrôlée" au niveau 0m »). - Le 15ème point est relatif aux moyens de levage des GV (MLV) ; mais toutes les recommandations s’y limitent à des activités de contrôle ou de suivi documentaire : « Elaborer le PV de transfert des responsabilités du pont polaire entre EDF et GMES, et entre EDF et le GMES, à chaque fois que nécessaire. Elaborer le PV de saisie des paramètres de sécurité de l’automate du MLV spécifique à chaque tranche avant mise en marche. 1

Voir ci-dessus notre Chapitre 4. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 87


Vérifier le lot de pièces de rechange. Vérifier la réalisation de la maintenance préventive décrite dans la notice d’utilisation. »

Une fois encore, de telles recommandations semblent tout à la fois génériques ou de pure forme et surtout très éloignées des conditions réelles dans lesquelles vont se dérouler les opérations. Mais surtout, on ne peut ici manquer de s’étonner de ne rien trouver qui, dans ces recommandations issues des travaux des Etudes, ne concerne le palonnier : il n’est pas du tout fait mention des interrogations ou des échanges qui ont pourtant eu lieu au sujet de sa stabilité ; le palonnier lui-même n’est mentionné dans aucun des documents de surveillance.

CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 88


5.3. La phase Réalisation : une surveillance mal maîtrisée Lorsque les opérations de RGV commencent – et avec elles les activités de surveillance – l’équipe BR de la DIPDE est composée de 5 binômes, chacun formé d’un Ingénieur BR (IBR) et d’un Chargé d’Affaires BR (CABR). Les profils des agents de ces binômes sont censément complémentaires : les IBR sont généralistes et le CABR ont une spécialité et censément un peu plus d’expérience, notamment en ce qui concerne les opérations de RGV ; certains d’entre eux (des IBR le plus souvent) ont été présents sur site quelques semaines ou mois avant le début des opérations afin de contribuer à l’élaboration du programme de surveillance. A notre connaissance, aucun d’eux (en dehors du Responsable de conception) n’a participé aux activités de suivi et de surveillance de la phase Etudes. D’une certaine façon cette surveillance n’a pas rempli son rôle : comme nous l’avons vu, la gîte du palonnier a bel et bien été aperçue par certains ; l’information a été remontée ; des échanges avec les prestataires ont eu lieu sur cette question... pourtant tout s’est en quelque sorte passé comme si tout cela n’avait pas eu d’effets : la surveillance n’a pas permis de prévenir l’aléa. S’il ne s’agit en aucune façon de pointer ici de quelconques responsabilités, il demeure important, dans une perspective de meilleure prévention des risques, de comprendre et d’identifier les éléments et autres facteurs permettant d’expliquer cette défaillance.

5.3.1. UNE SURVEILLANCE AUX EFFECTIFS LIMITES Dès le début effectif des opérations, les équipes de binômes tournent en 3x8 et sont ainsi présentes en continu dans le BR : ils sont ainsi 5 binômes à se répartir l’ensemble des activités de surveillance, soit 10 agents. Il faut dès l’abord noter ici que ni les documents consultés ni les interlocuteurs rencontrés ne précisent les éléments ayant permis un tel dimensionnement ; les 5 binômes correspondent simplement aux exigences d’une activité postée de telle sorte qu’il y ait toujours un binôme dans le BR : un le matin, un l’après-midi et un la nuit (pendant que les 2 autres sont en repos). Il n’était pas prévu de remplaçant ; et en cas d’absence, c’est l’un des encadrants de l’équipe RGV (un Adjoint Opérationnel par exemple) qui assurait le remplacement. Comme nous l’ont fait remarquer certains d’entre eux, le gréement des surveillants (IBR et CABR) ne dépend donc pas du volume des tâches à réaliser et il pouvait s’avérer parfois insuffisant : « On était toujours à deux dans le BR : le gréement n’est pas fonction du nombre de réunions de levées des préalables ou de la surveillance à exercer dans le BR ; il arrivait donc souvent qu’on soit limite » (EBR).

En effet, en fonction du nombre de points d’arrêt à lever, du nombre de chantiers se déroulant en parallèle ou de leur localisation dans le BR, un unique binôme ne peut suffire à couvrir l’ensemble des activités. Ajoutons ici que, concrètement, les espaces à couvrir sont très importants : le Bâtiment Réacteur (BR) représente un volume conséquent difficile à maîtriser en termes d’orientation et se répartissant sur 7 niveaux, 2 entrées-sorties et plusieurs centaines de m2 ; du point de vue des installations et du process, les chantiers concernent potentiellement tous les systèmes du BR, eux composé de multiples sous-systèmes En termes d’activités, la surveillance est ici censée couvrir plusieurs dizaines de salariés prestataires répartis sur des chantiers extrêmement divers (« jusqu’à 50 chantiers en même temps » sur CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 89


certaines périodes). Les Points d’Arrêt exigeant nécessairement la présence d’un agent EDF pour être levés, il n’était donc pas rare que les équipes prestataires aient à attendre leur IBR ou leur CABR pour démarrer ou pour pouvoir poursuivre leurs activités. Nous y reviendrons, mais outre la contrainte de temps (« l’impression de toujours courir »), une telle situation n’est guère propice au compagnonnage (qui aurait pourtant été sans doute utile à ceux qui étaient arrivés depuis peu) ou même simplement à la montée en compétences.

5.3.2. UNE OPERATION SOUS CONTRAINTE DE TEMPS Nous l’avons vu1, les opérations de RGV sont nécessairement programmées et planifiées au cours d’un arrêt de tranche (AT) ; le plus souvent, elles doivent ainsi se « greffer » sur un planning d’arrêt qui, outre ses propres contraintes d’organisation 2 , s’efforce surtout de minimiser la durée globale de l’arrêt3. En ce qui concerne Paluel 2, la contrainte était d’autant plus prégnante qu’il s’agissait d’une Visite Décennale (ce qui impose de très nombreuses opérations réglementaires de maintenance). Sur les dernières opérations de RGV sur le palier 900 MW, la durée moyenne des opérations était la plupart du temps inférieure à 50 jours (un réacteur 900 MW ne comporte que trois GV). Sur le planning initial de Paluel (qui comportait également le remplacement des boucles en U), il avait été prévu 170 jours d’arrêt consacrés aux opérations de RGV ; après les premiers échanges entre Areva et la DIPDE, le volume avait été ramené à 140 jours avant d’être finalement établi (sous la pression de la DIPDE et de la DPNT) à 122 jours. Or dans les faits, le projet va très vite prendre beaucoup de retard : « après les 20 premiers jours de l’arrêt on avait déjà pris 15 jours de retard et cela sans le moindre aléa significatif ». De ce point de vue, il est d’ailleurs à noter que cette tension sur les calendriers ne semble pas s’être « détendue » depuis l’accident puisque, selon certains de nos interlocuteurs, les prochains RGV sont annoncés à 77 jours, « alors qu’on sait très bien qu’on va en mettre au moins 90 ». Cette contrainte de temps s’est d’ailleurs très directement manifestée lorsque ce planning contractuel a été décliné sur le terrain, notamment lorsqu’il s’est agi de l’articuler avec celui des activités de maintenance géré par le projet AT sur le site : une « Task force », mobilisée par la DIPDE a été mandatée sur place pour aider à « l’optimisation du calendrier ». Et c’est dans ce contexte, notamment en raison d’un retard de livraison des branches en U, qu’il a finalement été décidé de positionner les opérations RGV après celles relatives à la maintenance usuelle de l’Arrêt. « L’effet prototype a été largement sous-estimé, en termes de planning comme en termes d’ampleur des choses nouvelles » (DIPDE).

Cette contrainte de temps, omniprésente au niveau des décisions opérationnelles du projet, a sans doute d’abord eu des effets pour les directions, au niveau local comme au niveau de la DIPDE : ceci doit sans doute être considéré comme un des éléments permettant d’expliquer 1 2

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Voir ci-dessus notre Chapitre 2. L’arrêt de tranche même s’il n’est que pour un simple rechargement de combustible (ASR) est toujours l’occasion d’opérations de maintenance diverses, nécessitant une organisation aussi rigoureuse et optimale que possible. L’entreprise indique régulièrement que le coût d’une journée de non production d’électricité en phase d’Arrêt de Tranche est de plus d’un million d’euros (1,2 million d’euros selon le marché de gros, bourse de l’électricité Epex Spot 38,24 €/MWh au 12/05/2017). CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 90


la décision de poursuivre les opérations malgré la gîte constatée du palonnier, nous y reviendrons. Pourtant, plus que la contrainte de temps proprement dite, sur le terrain, c’est sans doute la désorganisation liée aux différents aléas du projet qui a eu le plus d’incidence. Certes, comme l’ont expliqué plusieurs de nos interlocuteurs, après 6 mois de retard, « tout le monde l’avait à l’esprit, y compris les prestataires ». Cependant les différents décalages et reports du projet ont surtout eu pour effet de générer un important turn-over au sein des équipes, chez les prestataires comme au sein des équipes de la DIPDE. Or dans de telles conditions, en particulier lorsque les activités sont tout à la fois complexes et inédites, il est surtout plus difficile de pérenniser des équipes compétentes et informées sur le terrain.

5.3.3. DES INFORMATIONS INCERTAINES, DES COMPETENCES PEU ETABLIES Le bon déroulement, mais aussi l’utilité ou même l’efficience des activités de surveillance dépendent intrinsèquement du niveau de compétences et d’informations de ceux qui ont à l’exercer. Depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, la stratégie industrielle d’EDF a été marquée par un accroissement continu des volumes d’activités sous-traitées. Cependant, dans ce passage du « faire au faire-faire », les exigences liées aux nécessités de la surveillance ont parfois été négligées1. a) Des informations lacunaires, une surveillance à distance Nous l’avons vu, la préparation de la surveillance et notamment l’élaboration de son Programme ne permettaient pas aux agents de l’équipe BR de s’approprier ou de prendre véritablement la mesure du déroulement des activités. De ce point de vue la meilleure source d’information résidait donc dans les DRT (Dossiers de Réalisation des Travaux) et les DSI (Documents de Suivi et d’Intervention) eux-mêmes, tels qu’ils étaient fournis par les différents prestataires (et sur lesquels, l’équipe GV avait apposé les points de notification). Comme l’ont fait remarquer plusieurs de nos interlocuteurs, cette situation plaçait de fait l’équipe BR dans une situation relativement inconfortable : sans expérience et sans compétence spécifique pour la plupart des activités réalisées, sans connaissance préalable des locaux, ils ne disposaient que d’une information dépendant des prestataires qu’ils devaient surveiller. Or une telle asymétrie d’information est de nature à biaiser la mission de surveillance : comme le montre beaucoup de FSS (Fiche de Surveillance par Sondage), dans bien des cas cette situation revient à limiter la surveillance à de simples vérifications ou à des inspections distantes de la réalité des opérations (Préjob briefing réalisés, port des EPI, possession des documents de travail ou des documents d’habilitation...). Cette situation est d’ailleurs devenue intenable du point de vue même de la direction de l’Equipe RGV. En effet, peu de temps avant le début des opérations, au moment de la finalisation du programme de surveillance, les agents de la DIPDE découvrent que les DSI

1

Lors de précédentes interventions, notamment sur les activités de maintenance dont l’essentiel est aujourd’hui externalisé, nous avions par exemple été amenés à constater que, faute de pouvoir disposer des compétences en interne, et devant la rareté des compétences requises, les CNPE étaient amenés à solliciter leurs propres prestataires pour former les agents (futurs CSI- chargés de surveillance et d’intervention) qui auraient la charge de surveiller leurs activités. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 91


communiqués par Areva sont très vagues et surtout très « surplombant » par rapport au futur déroulé des opérations : « C’était en quelque sorte un DSI chapeau et on s’est rendu compte que la surveillance risquait vraiment d’être très lointaine ».

Très concrètement, au moment d’apposer les différents points de notification (et notamment les points d’arrêt), les IBR se rendent compte qu’ils ne sont pas en mesure de le faire : ni les DRT ni les DSI ne permettent d’identifier des phases précises de travail, encore moins d’éventuels moments déterminants ou d’éventuelles situations de risques (permettant de définir des points d’arrêt). En effet, fort de l’autonomie que lui accorde les nouvelles dispositions contractuelles, Areva n’a pas fourni aux équipes de la DIPDE ses modes opératoires ; mais le niveau de description des différentes étapes des opérations adopté dans le DSI « chapeau » est insuffisant pour réaliser un réel programme de surveillance (on notera néanmoins que, paradoxalement, ce DSI-cadre avait été réalisé à la demande même de la DIPDE dans le cadre des attentes liées à la prestation intégrée). Saisie, la direction du projet demande à Areva de communiquer ses gammes : après discussion, cette dernière acceptera finalement de les mettre à disposition pour consultation, mais sans les communiquer. Quant à la DIPDE, elle décide d’adopter un suivi spécifique destiné à pallier ce relatif défaut d’information : les FSPN. Adopté peu de temps avant le début des opérations le système des Fiches de Suivi des Points de Notification (FSPN) est en effet mis en place pour enrichir le programme de surveillance : « Pour les thèmes de responsabilité AREVA, et dans le but d’assurer la surveillance de l’intervention conformément au programme de surveillance, il est nécessaire de compléter les DSI avec des FSPN (Fiches de Suivi des Points de Notification). Ces FSPN, rédigées par les IBR, reprennent le détail des gammes AREVA et permettent d’apposer les points de notification »1.

Le dispositif permettait ainsi d’associer des points d’arrêt à des gammes AREVA plutôt qu’au seul DSI et ainsi d’imposer une surveillance un peu plus en phase avec le déroulé effectif des opérations. Difficile pourtant à la lecture des exemples de FSPN que nous avons consulté de se convaincre de l’efficacité de ce dispositif : ainsi pour les phases relatives à la manutention des GV (MAN), les « surveillances » sont libellées ainsi : « vérifier la bonne réalisation du levage en phases successives » ou encore « assister à la descente du GV sur centreur pivot (TTS) » ; or aux dires des agents des équipes BR eux-mêmes, ces deux opérations étaient censées durer plusieurs heures. Ces fiches ne semblaient donc guère permettre la mise en œuvre d’une surveillance d’une nature plus consistante. Cependant, au-delà des règles et des dispositifs, l’essentiel de l’efficience de la surveillance semble surtout se jouer du côté des compétences et de la formation des agents qui en ont la charge. b) Des habilitations génériques, des compétences hétérogènes pour des agents généralistes Nous l’avons vu, l’équipe en charge de la surveillance opérationnelle et quotidienne était l’équipe BR (Bâtiment Réacteur). Elle était composée de 5 binômes, tous agents de la DIPDE, entre lesquels avaient été répartis les 25 différents sous-domaines d’activités.

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Organisation des Equipes BR, p. 8-9/15. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 92


En termes de profil, les agents des équipes BR peuvent être divisés en deux groupes1 : - Les premiers, les Ingénieurs BR (IBR), sont ingénieurs de formation et donc généralistes ; la plupart du temps jeunes et peu expérimentés ; ils ont en général travaillé quelques mois, parfois quelques années, dans les équipes des Etudes de la DIPDE. Plusieurs découvraient les opérations RGV avec celles de Paluel (mais certains avaient aussi pu passer quelques mois en immersion sur de précédentes opérations sur le palier 900 MW). Ils sont également arrivés plus tôt sur le site et dans la répartition des rôles, c’est donc eux qui avaient la charge de co-construire le programme de surveillance (avec les adjoints opérationnels) en apposant notamment les points de notification sur les DSI et de suivre le planning. - Les seconds, les Chargés d’Affaires BR (CABR), sont le plus souvent techniciens de formation ; plus anciens que leurs collègues, ils sont très souvent passés par des postes sur le terrain (dans un CNPE) au sein des équipes communes. Plusieurs avaient ainsi déjà travaillé au sein d’une équipe BR sur d’autres opérations RGV (ou sur des opérations NPGV) ; certains connaissaient déjà le site de Paluel et la plupart avaient également une spécialité technique, la mécanique ou l’électricité souvent. La logique des binômes visait, non sans raison, à profiter des différences et de la complémentarité de ces deux profils pour constituer des équipes en capacité de couvrir la grande variété des situations et des chantiers rencontrés sur le RGV. Cependant, cette situation théorique est sans doute à relativiser : sur le terrain, les deux agents du binôme sont en fait le plus souvent seuls ; en début de vacation, ils se répartissent les chantiers, les levées de préalables ou les points d’arrêt. Mais de la sorte, comme le relèvent les agents, au gré des aléas et des exigences du planning, les uns et les autres jouent finalement à peu près le même rôle : « On se répartit les activités au début : s’il y a plusieurs Prejob briefings, on en fait un chacun pour ne pas trop faire attendre les prestataires (ça dure environ 20 minutes) » (EBR). « Il n’y a pas de réelle différence entre les CABR et les IBR » (EBR). « Ce n’est pas forcément celui qui prépare le dossier qui fait la surveillance ensuite ; et tout dépend en fait de celui qui surveille » (EBR).

C’est que, dans le déroulement effectif des chantiers et des opérations, la nature de la surveillance varie beaucoup en fonction du profil et surtout des compétences de celui qui surveille : « On n’a pas tous la même façon de surveiller ; et on surveille d’abord ce qu’on connaît. Par exemple on ne place pas tous les mêmes points d’arrêt » (EBR).

Cependant au-delà de la variabilité ou de l’hétérogénéité de ces pratiques, c’est d’une certaine façon la question des compétences des agents en charge de la surveillance qui se trouve ici posée : qu’il s’agisse des IBR ou des CABR, dans quelle mesure peut-on considérer que les agents ainsi sollicités disposaient des compétences nécessaires à la surveillance des opérations de RGV ? La question pourrait ici être posée autrement : dans quelle mesure, en tant qu’exploitant, peut-on considérer qu’EDF s’acquitte des obligations que, dans un contexte de prestation, lui impose notamment l’Arrêté INB. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, en son Art. 2.2.2, celui-ci indique notamment que la surveillance doit être « exercée par des personnes ayant les compétences et qualifications nécessaires » ?

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Ces analyses se fondent tout à la fois sur les entretiens que nous avons menés avec les agents de l’équipe BR ainsi que sur les explications tenues par leurs encadrants (RO et AO). CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 93


• Les habilitations de l’équipe BR La réponse est d’abord formelle : dans le cadre de sa démarche qualité, l’entreprise dispose d’un système d’habilitations et de qualifications auquel sont soumis les agents des équipes BR : La Note qui y est consacrée définit ainsi les « formations et habilitations des intervenants sur les opérations type RGV ». Les habilitations sont délivrées sur le site, spécifiquement pour les opérations qui s’y dérouleront, et sur la base des formations déjà suivies par les agents : c’est le Responsable d’Opération qui les valide (sur proposition de l’Attaché Qualité) sous la forme d’un titre d’habilitation précisant pour chaque agent les domaines et le niveau de validation. Ces habilitations sont de trois types : - Habilitation Sureté Nucléaire (SN : SN1 à SN4) : elle porte sur la prévention des risques vis-à-vis de la sûreté (requise pour les activités AIP) ; - Habilitation Prévention des Risques (RP : RP 1 à RP 2) : domaines de la sécurité classique et de la radioprotection1 ; - Habilitations techniques2, c’est-à-dire soit électrique (H pour la haute tension HTA, B pour la basse tension BT, et M pour la mécanique)3. Pour les équipes BR, les exigences sont les suivantes ; les IBR doivent à minima détenir l’habilitation SN3, les CABR, l’habilitation SN2. En outre les agents étaient tous RP1 ou RP2 : « Sur les opérations RGV et NC-NPGV, la cible lors du gréement des équipes est que tous les intervenants en zone soient RP2. Cependant l’activité de surveillance ne requiert qu’une habilitation RP1. Pour les équipes RGV et plus particulièrement au sein des équipes BR, des agents peuvent être RP1 si et seulement leur binôme est RP2. »

Enfin, en ce qui concerne les habilitations spécifiques (H, B, M), tous les agents des équipes BR (IBR et CABR) doivent détenir le premier niveau : H0, B0 et M0. Notons simplement ici que ce premier niveau d’habilitation ne permet que de rentrer et de circuler dans les locaux à risques. Enfin, il nous a été précisé que certains agents avaient reçu une formation spécifique relative à la « surveillance en équipe commune » ; mais celle-ci ne donnait pas lieu à une habilitation. Ces différentes habilitations sont le plus souvent détenues par les agents avant leur arrivée sur le site, via les formations initiales reçues à l’entrée dans l’entreprise ou dans le service. En cas d’absence d’habilitation, l’Adjoint Opérationnel peut délivrer une Qualification (sur la base des compétences et de l’expérience de l’agent). Cependant, au total, ni les IBR ni les CABR n’étaient donc formés spécifiquement aux différents domaines des travaux qu’ils avaient à surveiller ; encore moins aux opérations spécifiques en quoi consistaient, par exemple, les manipulations d’une machine de levage installée sur le pont polaire d’un bâtiment réacteur. De façon significative, on peut ainsi relever que, sur le domaine du levage, aucune habilitation (même facultative) n’était répertoriée dans les documents qualité correspondant. En termes de prévention des risques, cet état de fait a cependant eu d’importantes conséquences : aucun de ces agents n’était en situation de prendre la mesure ou même simplement d’identifier la plupart des risques induits par ces opérations. 1

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La radioprotection occupe l’essentiel du contenu effectif des formations correspondantes : à titre d’illustration, notons que celles-ci n’abordent en aucune façon les problématiques liées à des activités réalisées sous une charge ou à la sécurité des opérations de levage. Certains CABR disposaient également d’une habilitation BEMAN qui autorise l’agent à manœuvrer un commutateur basse tension. Ces habilitations sont celles du Recueil de Prescription au personnel (RPP) : - domaine Electrique : habilitation BT/TBT (B0-BC-BR-BEMAN) ou HT (H0) ; - domaine Mécanique : ouvrages mécaniques et thermodynamiques (M0-MC-MR). CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 94


• IBR et CABR : des compétences généralistes, une surveillance formelle En termes de compétences, quoique cela ne soit guère thématisé dans un document, EDF semble clairement avoir fait le choix de missionner sur ces postes de Chargé de surveillance1, des agents au profil généraliste (même si certains peuvent, en raison de leur parcours personnel disposer de connaissances spécifiques). Au-delà des habilitations détenues, seuls certains des adjoints opérationnels (qui le plus souvent n’étaient pas sur le terrain dans le BR) avaient une expérience ancienne et établie des précédentes opérations de RGV sur le Palier 900 MW. Sur le terrain, cette situation s’est parfois traduite par des situations de malaise, parfois d’inquiétudes : sans compétences sur le domaine, « le chargé de surveillance en vient parfois à se demander ce qu’il doit surveiller ». En ce qui concerne notamment le domaine du levage, nos interlocuteurs nous ont ainsi précisé que la plupart des membres de l’équipe n’avaient en la matière aucune compétence spécifique, ni réglementaire, ni technique ; la surveillance se limite alors à une forme de vérification, un peu coupée de la réalité du chantier et de ses risques : « Le principe de la surveillance c’est aussi de pouvoir compter sur le professionnalisme des prestataires qui sont habitués à travailler dans le nucléaire : on n’a pas à faire un contrôle technique ; on fait un contrôle visuel, un contrôle sur les documents et un rappel vocal des règles ou une vérification des habilitations. Et quand par exemple, ils ont une opération de levage, ils doivent vérifier l’examen d’adéquation ; nous, on vérifie qu’ils ont le document, mais on ne vérifie pas le levage par lui-même. (...) On n’est pas là pour être spécialistes de toutes les activités, ça reste eux les intervenants. »

C’est en fait la conception même de la surveillance qui explique ce choix : du point de vue d’EDF, la surveillance s’assimile bien plus à une forme d’inspection à distance des travaux qu’à un quelconque contrôle technique. De ce point de vue, comme le déploraient parfois certains agents régulièrement placés dans des positions où ils se trouvaient mal à l’aise, « il n’y a pas besoin de savoir-faire pour surveiller, il suffit de savoir surveiller ». Et la surveillance se limite alors le plus souvent à une série de vérifications formelles qui consistent à valider le respect de procédures normées, mais sans avoir à comprendre ou à entrer dans la réalité des activités réalisées. Du point de vue de la prévention des risques, ce parti pris se traduit par une réelle perte de maîtrise des activités et une incapacité à redoubler ou à confirmer les analyses que le prestataire aura simplement réalisées pour lui – ce qui dans certains cas peut avoir de lourdes conséquences.

5.3.4. LA

GITE DU PALONNIER EVALUE ?

:

UN SIGNE PRECURSEUR, UN RISQUE MAL

Parfois assez généraux, les éléments qui précèdent avaient pour vocation de comprendre le contexte et les contraintes dans lesquels se trouvaient les agents de l’équipe RGV au moment du déroulement des opérations et plus particulièrement au moment où fut aperçue la gîte du palonnier. La cause immédiate de l’accident réside, nous l’avons vu2, dans la rupture de la liaison entre le palonnier et la tête d’ancrage des câbles de la machine de levage ; cependant, la gîte du palonnier, survenue et aperçue dès le début des opérations (dès la première utilisation du MLV, en montant le palonnier hors charge), en fut sans nul doute un signe précurseur. Audelà des éventuels manquements du GMES qui avait directement la charge de ces opérations, 1

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Comme nous l’avons vu, les agents des équipes BR sont en fait chargés de surveillance par délégation du Responsable Opérationnel, chef de l’équipe RGV sur site. Voir ci-dessus notre Chapitre 4. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 95


il paraît important d’interroger ici les raisons pour lesquelles les dispositifs de surveillance internes à EDF n’ont pas non plus permis de prévenir la chute du palonnier. a) Une anomalie observée très vite, des solutions inopérantes Quoique celle-ci n’ait pas été tracée (du moins pas dans les documents qui nous ont été communiqués1), la gîte du palonnier a été observée dès les premières opérations de levage : rappelons en effet que si l’accident a eu lieu à l’occasion de la sortie du 3ème GV, la gîte du palonnier avait été aperçue lors dès les premiers mouvements du MLV pour la sortie du premier GV, et notamment à vide. Cette anomalie a, le jour même, donné lieu à une « réunion » entre l’équipe RGV et Areva, tenue dans le BR, mais sans la participation d’Orys. Cependant, d’après nos interlocuteurs, cette réunion n’a pas fait l’objet d’un compte-rendu ni même d’un relevé de décision. En termes de surveillance, l’épisode ne donne pas non plus lieu à une observation écrite, ni à l’ouverture d’une fiche d’écart. La première analyse d’Areva attribue le problème à une dissymétrie dans la tension des torons : l’inclinaison serait ainsi aisément susceptible d’être corrigée grâce à des « micromouvements » du MLV. Le défaut semble donc résolu et il est rapidement décidé de poursuivre les opérations. Cependant lors des premiers essais en charge (avec le premier GV), l’inclinaison est à nouveau observée. Une nouvelle réunion a lieu (sans davantage de trace écrite), elle aussi tenue dans le BR au cours de laquelle l’événement est attribué à des difficultés de rotation des élingues : décision est donc prise de graisser la liaison entre les élingues et les « oreilles » du palonnier (ou tourillons). Cependant, cette solution se révèle à son tour inopérante 2 : la gîte du palonnier persiste. Il est à noter qu’aucune de ces opérations décidées, mises en œuvre et réalisées par Areva ne donne lieu à une quelconque traçabilité en termes de surveillance : ni le dispositif de FSS, ni celui de surveillance inopinée au fil de l’eau ne semble ici avoir été exploités. Interrogés par nous à ce sujet, les agents des équipes RGV expliquent que les actions de surveillance ont à ce moment-là du projet « beaucoup été focalisées sur les problèmes rencontrés avec Orys » : les problèmes liés à la gîte du palonnier « sont ainsi passés au second plan ».

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2

En l’absence de tout document de traçage autre que le Relevé des faits lié à l’accident proprement dit, les éléments qui suivent s’appuient essentiellement sur les éléments que nous avons pu recueillir lors de nos entretiens ; notre compréhension de l’enchaînement des faits a néanmoins été très utilement éclairée par les Notes aux Parties rédigées par l’expert judiciaire, dont nous avons été destinataires (pour les Notes 1 à 9) par l’intermédiaire de la direction du CNPE. L’examen du palonnier a sur ce point montré que, malgré ce graissage, les élingues ont laissé des marques au niveau des tourillons. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 96


La gîte du palonnier, constatée et vraisemblablement photographiée par les agents de l’équipe RGV, lors des premières opérations de levage. En même temps que la gîte elle-même, on constate ici le frottement du faisceau de câbles du MLV sur la paroi de l’orifice supérieur du palonnier (la « bordure d’alésage »). Les opérations de levage, puis de ripage et d’extraction du premier GV sont néanmoins menées conformément au programme des opérations. Lorsque commencent les opérations de levage du second GV, les équipes (Bouygues) en charge du MLV constatent que, même à vide, l’inclinaison perdure et qu’il n’est plus possible de la corriger au moyen de « micromouvements » de la machine de levage. Il est alors décidé d’élaborer et de construire un « fourreau de protection » qui serait positionné autour du trou d’alésage (sur la face supérieure du palonnier) afin de prévenir une usure et une dégradation intempestive des torons lors des mouvements de levage. Ici encore, la décision (supposément prise par Areva ou par le GMES) ne donne pas lieu à un document écrit. b) Une défaillance de la surveillance Aucun des documents de surveillance ou de traçabilité de la surveillance que nous avons pu consulter ne porte la mention de l’inclinaison du palonnier. Pourtant, tous nos interlocuteurs nous l’ont assuré, celle-ci a été repérée très tôt par les agents de l’équipe BR : plusieurs agents nous ont notamment indiqué puis confirmé que la mention de ce « défaut » avait été consigné dans le Cahier de quart, que les agents tenaient afin d’assurer et de tracer une passation d’informations aussi complète que possible d’un binôme à l’autre. Malgré nos demandes réitérées, nous n’avons pas pu consulter ces Cahiers et nous ne pouvons donc préciser le moment où cette observation a été tracée pour la première fois. Les agents IBR ou CABR expliquent d’abord que dans le contexte des divers aléas de la sortie des GV, leur attention était portée « ailleurs » : « On a parlé de cette inclinaison anormale, mais il y avait beaucoup d’activités dans les autres étages ; nous on était sur autre chose » (EBR). « Sur le GV2, ça passait très court au-dessus de la casemate. On s’est focalisé sur ce truc-là : on ne regardait pas le palonnier ». « Au début, il n’était que très légèrement incliné, c’était à peine visible à l’œil nu et on était pris par d’autres choses » (EBR).

Quoiqu’il en soit, ces diverses observations n’ont donné lieu à aucune alerte (en dehors des deux réunions sur site avec Areva). Mais il importe ici d’être précis : comme nous l’ont rapporté plusieurs agents de l’équipe BR, cette information a pourtant bel et bien été remontée à la hiérarchie de l’équipe RGV (Responsable opérationnel et Adjoints opérationnels) : « Mais on a tout de suite fait remonter l’information. Mais ils le savaient déjà ! » (EBR). CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 97


« La position du palonnier était connue : on a vraiment insisté sur le fait que le palonnier était tordu. On a contacté les AO qui ont dit qu’ils étaient déjà au courant et que le problème était déjà en cours de traitement. On a remonté l’information » (EBR). « C’est une info qui a très vite circulé : même au niveau du programme d’arrêt de tranche, ils savaient que le palonnier penchait » (EBR).

Plusieurs de nos interlocuteurs ont en outre laissé entendre que l’information n’était pas seulement remontée aux encadrants de l’équipe RGV, mais bien également à la direction du projet à Marseille ainsi qu’à celle de la DIPDE. D’un point de vue opérationnel, les conditions de la surveillance ont donc bien permis que le défaut soit aperçu et identifié par les équipes de terrain. Cependant, cette information n’a ni été tracée ni été traitée comme elle aurait dû l’être, non seulement par les équipes de terrain, mais également par l’ensemble de l’équipe Projet et de la DIPDE. Du point de vue des équipes d’EDF (et donc indépendamment des éventuels manquements des entreprises prestataires en charge de ces activités1), la survenue de l’accident semble donc plutôt relever d’un défaut d’analyse des risques liés aux activités de levage : l’inclinaison du palonnier n’a pas été identifiée comme le symptôme ou le signe avant-coureur d’un défaut du palonnier ; ni par les équipes de terrain, ni par leurs encadrants. A la lumière des analyses qui précèdent, plusieurs raisons permettent d’expliquer ce qui nous paraît donc relever d’une défaillance de la surveillance (plutôt que d’un défaut de surveillance) : • En ce qui concerne les équipes de terrain (IBR et CABR), ce défaut d’analyse de risques doit essentiellement être rapporté au profil des agents chargés de la surveillance sur le terrain : d’un profil généraliste, ceux-ci ne disposaient ni d’une qualification ni d’une formation ou d’une expérience pour analyser le dispositif de levage complexe qu’ils avaient sous les yeux. De ce point de vue, il était assurément légitime pour eux de s’en remettre aux analyses et aux arbitrages réalisés par leur hiérarchie (dans le contexte, il n’aurait absolument pas été envisageable pour un IBR ou CABR d’arrêter seul le chantier). • En ce qui concerne les encadrants et la direction du projet RGV, le défaut d’analyse est d’abord également dû à un défaut de mobilisation des compétences nécessaires ; cependant, plus largement, il nous paraît important d’interroger ici les conditions mêmes de l’organisation de la surveillance et des dispositifs qui l’accompagnaient. Plusieurs facteurs nous paraissent mériter d’être relevés : - La séparation au sein de DIPDE des équipes des services Etudes de celles des Projets qui, comme nous l’avons vu, a sans doute privé l’équipe RGV sur site des informations relatives au palonnier (équipement neuf et éventuels défauts de conception, notamment sous la forme de déséquilibres liés à des efforts transversaux non maîtrisés) : en termes d’organisation, suite à l’échange de mails entre les Etudes et Areva2, aucune des procédures en place, aucun des dispositifs qualité n’a permis la formulation d’une recommandation de surveillance à ce sujet (ou, plus concrètement, l’apposition d’un point d’arrêt dans l’un des DSI). - La contrainte de temps, ou la pression du calendrier qui, pesant au quotidien sur l’ensemble des équipes, semble avoir au moins en partie déterminé la décision de laisser l’opération être menée jusqu’à son terme. L’information de la gîte du palonnier 1

2

Ces éléments n’entraient pas directement dans le cadre de notre intervention ; mais surtout n’ayant pas pu disposer d’éléments relatifs à ces entreprises (ni en termes de documents ni en termes de salariés rencontrés), nous n’étions pas en mesure de les intégrer à nos analyses dans le cadre de la présente expertise Voir ci-dessus notre Chapitre 4. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 98


étant remontée relativement tôt, cette décision de poursuivre (et notamment celle de lancer la sortie du 3ème GVU alors que la cause de cet écart n’était pas déterminée), sans doute prise au plus haut niveau au sein de la DIPDE, n’a pu être tranchée que dans un contexte de forte pression tout à la fois calendaire et économique. Or une telle pression est directement liée au coût direct de l’arrêt de tranche ainsi qu’à la logique projet qui présidait à l’organisation des opérations. - Une place insuffisante accordée aux analyses de risques dans un contexte de sous-traitance : devant le constat d’un écart manifeste de l’état d’un des moyens de levage (le palonnier) par rapport à son état nominal, le risque de chute du GV ne semble jamais avoir été pris en considération par les différents acteurs de la surveillance. Pourtant, il est de ce point de vue significatif de constater, comme nous allons le voir, que les acteurs principaux du GMES l’avaient pourtant clairement fait figurer dans leurs analyses de risques. La sous-traitance de la prévention (et notamment de la gestion des plans de prévention) semble ici avoir joué un rôle notable.

5.3.5. UNE

GESTION DE LA PREVENTION SOUS-TRAITEE, UN RISQUE DE CHUTE NON PRIS EN COMPTE

a) Organisation de la sécurité et prévention des risques pendant les opérations de levage et de manutention mécanique des charges Pour assurer la sécurité de l’ensemble des intervenants au cours des différentes phases du chantier RGV, les entreprises du groupement ont élaboré avec EDF des plans de prévention et des modes opératoires spécifiques pour elles et leurs sous-traitants. Par ailleurs, un mode opératoire spécifique pour les opérations à effectuer sous une charge a été rédigé par Areva comme le prévoit l’Article R.4323-36 du Code du travail : « Il est interdit de transporter des charges au-dessus des personnes, sauf si cela est requis pour le bon déroulement des travaux. Dans ce cas, un mode opératoire est défini et appliqué ».

Comme pour l’ensemble des plans de prévention du site (en particulier ceux relatifs aux opérations d’arrêt de tranche), la gestion documentaire de ces plans a été confiée au prestataire Nuvia, qui a constitué une cellule « Plans de prévention », sous la « surveillance » du service SPR du site. Cette surveillance reste néanmoins relativement lointaine : jusqu’à très récemment, le dispositif ne comportait pas de Chargé de Surveillance et d’Intervention (CSI) dédié à cette tâche (et notamment du suivi des activités de Nuvia sur le terrain). En ce qui concerne les opérations RGV, comme le prévoit la réglementation pour les travaux effectués par une entreprise extérieure 1 , une fiche d’information préalable aux travaux comportant en annexe la liste des phases d’activité dangereuses a été jointe à chaque plan de prévention. Nous avons pu consulter les plans de prévention et les listes d’activités dangereuses établies par les trois entreprises qui ont réalisé les opérations de levage et identifier les dispositifs de prévention spécifiquement mis en place pour ces opérations2. Les risques professionnels y 1

2

Décret 92.158 du 20 février 1992 retranscrit dans le Code du travail, notamment à l’Art. R.4512-6 et suiv. L’Art. R.4512-8 stipule ainsi que le plan de prévention comprend au moins « la définition des phases d'activité dangereuses et des moyens de prévention spécifiques correspondants ». AT-2D22, PDP n°122 (Orys) ; AT-2D22, PDP n°155 (Areva NP) ; AT-2D22, PDP n°500 (Bouygues Construction). Les trois documents sont strictement identiques pour les risques communs ; ils se différencient très CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 99


sont d’abord listés de manière globale pour l’ensemble du site (« Risques communs site-AT ») avant de l’être pour chaque zone spécifique d’intervention (BAN, BK, BR, Salle des machines, Toiture, etc.). La première partie concerne ainsi l’ensemble des risques communs à toutes les activités de l’Arrêt de tranche ; on y trouve les principales grandes familles de risques professionnels : incendie, risques électriques, manutention manuelle de charges, exposition au bruit ou chutes de plain-pied. La seconde partie identifie pour chaque zone des risques ou des expositions particulières, notamment en ce qui concerne les expositions aux rayonnements ionisants (analysées par zonage) ; on y trouve par exemple, le risque irradiation en zone sud dans les bâtiments d’entreposage des GV usés. Dans les trois plans de prévention, les risques induits par les travaux dans le Bâtiment Réacteur font l’objet d’un point générique « Zone 05 BR tous niveaux » dans lequel ont été listés les risques suivants : exposition au neutron, zones orange, zones rouge, incendies liés aux travaux par point chaud, risques FME, coupure d’air SAT, anoxie, ambiance thermique chaude, risque de pression et risque formaldéhyde. Les risques particuliers liés aux opérations de levage des GV n’ont donc pas fait l’objet d’une analyse spécifique pour la zone BR. Les risques liés à la manutention mécanique des charges sont cependant mentionnés dans la partie « Risques communs site – AT » de la manière suivante (identiquement dans les trois plans de prévention) :

Extrait des plans de prévention n°122, 155 et 500 (Orys, Areva, Bouygues)

On remarquera que les « parades associées » restent très génériques et ne relèvent en aucune façon d’une analyse spécifique aux situations de travail concernées par les opérations de levage des GV. Des mentions identiques sont également présentes dans l’une ou l’autre des listes de risques présentées pour les différentes zones (ainsi par exemple, pour les opérations de levage des GV dans la phase d’entreposage dans les BEGV pour la « Zone 25 – Zone Sud – Bâtiments industriels »). Cependant, dans le plan de prévention d’Areva NP (page 22), les risques « Levage » mentionnés pour la « Zone 18 – SDM tous niveaux » [Salle Des Machines], mentionnent une autre recommandation dans la colonne « parade associée » : « s’assurer de la conformité des moyens de levage » ; en revanche, la parade « ne pas circuler ou stationner sous une charge » (mentionnée dans le cartouche reproduit ci-dessus) n’est plus indiquée :

Extrait (SDM) du plan de prévention n°155 (Areva NP et sous-traitants Areva NP)

ponctuellement selon les lieux concernés ou non par les activités de chacune des entreprises (mais pour chaque risque identifié, les analyses demeurent strictement identiques). CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 100


Ainsi, l’analyse de ces plans de prévention montre bien que les risques liés au levage (et à la manutention mécanique) y sont bien identifiés ; on peut néanmoins faire ici deux remarques : - Les analyses – qui demeurent sommaires et génériques – présentent une hétérogénéité qui ne semble pas se justifier : tantôt nommés risques liés au « levage », tantôt risque liés à la « manutention mécanique des charges », les risques ne sont pas articulés à des situations de travail ni à des outillages ou à des machines déterminées. - Les parades associées à ces risques présentent elles aussi une relative hétérogénéité que les dénominations ne suffisent pas à expliquer : la recommandation « Ne pas circuler ou stationner en-dessous de la charge » devrait également être indiquée pour les risques liés au levage. Cependant, au-delà de ce relatif manque de cohérence, il est étonnant que ces plans de prévention ne mentionnent pas les risques liés aux opérations de levage pour les activités de la zone du BR. Du point de vue de la surveillance, il est sans doute également étonnant que ces documents n’aient pas donné lieu à des remarques ou à des observations (ou des fiches d’écart). Cependant, dans la mesure où ces documents relèvent de la Cellule Prévention, il est à penser qu’ils n’avaient à être « surveillés » par les agents de l’équipe RGV, mais plutôt par les agents du Service Prévention des Risques (SPR) du CNPE de Paluel. Si cette configuration devait être confirmée (ce dont nous n’avons pu être assurés), cela rendrait cette surveillance très incertaine dans la mesure où les agents du SPR, principalement formés à la radioprotection et généralistes sur les risques professionnels conventionnels, n’auraient guère été en mesure d’évaluer les logiques d’analyse de risques spécifiques aux enjeux des activités de levage. On ne peut ici manquer de s’étonner que la Cellule Levage présente au sein du Service Mécanique Electricité (SME) du CNPE n’ait pas été sollicitée pour cette intervention. b) Le mode opératoire d’Areva : des risques bien identifiés Comme nous le précisions ci-dessus, en cas de travaux sous une charge, l’Art. R.4323-36 du Code du travail impose l’élaboration (et le strict respect) d’un Mode opératoire. Or au cours du déroulement de la manutention des GV, certaines activités, comme « la pose des tapes de confinement du GVU sur le platelage piscine » ou « l’accostage des pivots sur le GVU au niveau du berceau PI », ne pouvaient être effectuées sans la présence d’opérateurs à proximité, voire sous la charge. Le GMES (et ici plus précisément Areva) a donc réalisé un document de sécurité spécifique qui détaille ainsi l’essentiel du phasage des opérations de levage des GVU : il y précise, pour chacune des 9 phases identifiées pour la sortie des 4 GVU, les modalités d’organisation du travail dans le BR. Disons-le d’emblée, ce document nous paraît d’une importance particulière dans la mesure où le respect des procédures qu’il prévoyait semble bien avoir permis d’éviter qu’un accident grave de personne se produise au moment où le GV est tombé. Le document est en effet tout à la fois très précis et très clair. L’ensemble du déroulement de l’activité y est décrit de manière synthétique, puis pour chacune des 9 phases, (5 items sont déclinés : la justification du travail sous ou à proximité immédiate du GVU, l’organisation de l’intervention, les pré-requis, le déroulement de l’opération (systématiquement illustré par une représentation schématique éclairante) et la conduite à tenir en cas de situation d’urgence prévisible.

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En ce qui concerne la phase du basculement (celle durant laquelle s’est produit l’accident), il était nécessaire que des opérateurs soient positionnés au niveau du plancher 27 mètres afin de contrôler visuellement le fonctionnement des vérins push-pull permettant de riper le GV au niveau du sol. Il était également nécessaire que l’opérateur en charge du berceau PI soit placé à proximité de celui-ci, afin de pouvoir le contrôler et afin que le chef de manœuvre puisse coordonner l’arrivée du GV. En dehors de ces 4 personnes, aucun autre agent ne devait se trouver à proximité au niveau du plancher 27 mètres du fait des situations d’urgence identifiées ; en cas d’« urgence levage », des zones de repli avaient été définies pour les opérateurs. Nous reproduisons ci-dessous le schéma présenté et ses légendes explicatives.

Extrait du Mode opératoire AREVA pour les travaux sous une charge1

De notre point de vue, la limitation du nombre de personnes présentes dans le BR et l’anticipation du risque de chute du GV dans le mode opératoire ont donc permis qu’il n’y ait aucune personne gravement blessée au moment de la chute du GV. En outre, comme en atteste le document ci-dessus, le document envisageait bel et bien la chute du GV comme une conséquence possible d’une « situation d’urgence » ; l’expression renvoie ici explicitement aux « problèmes levage » parmi lesquels on trouve une possible « rupture palonnier ». Nous n’avons pas été en mesure de déterminer qui, outre les acteurs et opérateurs de ces activités (équipes Orys, Areva et Bouygues), parmi les équipes d’EDF, Etudes DIPDE, équipes RGV ou agents du CNPE avaient eu connaissance de ces documents ni quelle exploitation ils en avaient faite (et notamment dans quelle mesure ces prescriptions relatives à l’« urgence 1

Areva, Mode opératoire pour les travaux sous une charge lors de la sortie du GV usé en RGV 1300 MWE, RGV GME PA2 SITE 16.051, page G2/G2. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 102


levage » avaient été portées à la connaissance des agents des équipes BR et intégrées aux documents de prévention concernant leurs propres situations de travail). Cependant, quoi qu’il en soit, il nous semble clair que ceux-ci n’ont pas été pris en compte à leur juste mesure.

5.4. Les suites de l’accident : une imprévision préoccupante La chute du troisième GV (le GV n° 2) a beaucoup surpris – et c’est un euphémisme – tous les intervenants, prestataires ou agents EDF qui se trouvaient à proximité du BR, jusque dans la salle de commande occupée par les agents de conduite. A la suite des différents entretiens que nous avons pu mener sur le site, notamment auprès de certains témoins directs, il nous a paru important d’attirer ici l’attention sur le manque de prévision et d’anticipation qui nous semble caractériser la situation d’urgence dans laquelle se sont trouvés la plupart de ces témoins. Il faut néanmoins préciser que, comme nous l’avions indiqué au début du présent rapport, nous n’avons pas pu réaliser d’entretiens avec les salariés des entreprises du GMES qui étaient présents dans le BR au moment de la chute du BR. Les agents des binômes de l’équipe BR présents sur site à ce moment-là étaient en train d’être relevés : le binôme ayant achevé son quart était déjà sorti et le suivant n’était pas encore entré, si bien qu’il n’y avait aucun agent EDF dans le BR au moment de la chute du GV. a) Des gestionnaires de sas sans préparation / la panique des gestionnaires de sas Déjà situées en zone contrôlée, les entrées dans le Bâtiment Réacteur font l’objet d’une procédure particulière : l’entrée se fait via deux sas, l’un situé au plancher 5m, l’autre au plancher 27m. Les deux sas sont veillés et tenus afin de contrôler en continu les entrées et sorties du bâtiment : - A l’entrée : dans le but de pouvoir à tout instant identifier les personnes présentes dans le BR, toute personne entrant dans le BR échange son badge personnel contre un badge BR spécifique. - A la sortie, chacun doit contrôler les éventuelles contaminations de surface qu’il a pu subir dans le BR. Les sas de gardiennage sont tenus par des salariés prestataires de chez OMS (OMS-Synergie Groupe) ; la prestation est encadrée par le Service Prévention des Risques (SPR), indépendamment des opérations de RGV. A ce niveau, la seule procédure d’alarme connue et prévue est « l’alarme BR » qui correspond à un ordre d’évacuation : transmise à la conduite (salle de commande), cette alarme est gérée par les opérateurs qui, en fonction de la nature de l’incident, transmettent les injonctions aux personnes en charge du SAS (notamment en ce qui concerne le retour des badges aux salariés qui étaient dans le BR). A notre connaissance cependant, en dehors des essais concernant le dispositif sonore de l’alarme, aucun exercice concernant ce type d’alarme n’avait été organisé depuis le début de cet arrêt de tranche. Au moment de la chute du GV, deux personnes se trouvaient au SAS 27m. Elles ont entendu des cris, puis les premiers intervenants sont sortis en courant du BR en les prévenant : « courez vite le GV va tomber ! ». Puis très vite elles ont constaté le dégagement d’épaisses fumées et de CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 103


« beaucoup de poussière ». Comme nous l’ont fait remarquer ces personnes, aucune procédure particulière ne prévoyait ce type de situation : elles ne se souviennent pas avoir entendu l’alarme BR ; les badges ont très vite été rendus aux intervenants qui sortaient du BR ; malgré la panique, l’une d’elles est descendue prévenir leur collègue qui tenait le sas 5m (et qui ne s’était pas rendu compte de l’accident). Le sas lui-même n’a pas été fermé. Des collègues sont alors venus les aider ; « tout le monde toussait, car il y avait énormément de poussière » ; puis, comme les intervenants eux-mêmes, elles ont été emmenées à l’infirmerie où elles ont passé une anthropo-gammamétrie et ont été rassurées. Au-delà de la situation de panique, compréhensible dans ce contexte et à ce poste de travail, il nous paraît important de retenir ici que l’absence de procédure, et plus encore le fait de ne s’être jamais trouvé confronté (en phase d’exercice inopiné par exemple) à une telle situation ont constitué des facteurs de risques importants : le manque de prévision ou de prise en compte des risques singuliers et importants que comportaient ces opérations de levage nous paraissent donc ici devoir être interrogés. b) Les opérateurs en salle de conduite : aucune alarme, aucune procédure Depuis la salle de commande, l’intérieur du BR est visible via une caméra sur un petit écran de très faible définition. C’est sur cet écran, que les agents du Service Conduite (Opérateurs et Rondiers) présents en salle de commande tranche 2 au moment de l’accident ont « aperçu » la chute du GV. « On regardait toujours l’écran d’un œil, mais les mouvements du GV étaient très lents... et puis tout à coup on a entendu un énorme bruit et le GV avait disparu de l’écran ». « On a aussi ressenti une assez forte secousse : pour nous c’était impressionnant ».

Après un appel aux équipes de l’arrêt de tranche (« ils ont de meilleurs écrans que nous ») ils ont confirmation que le GV est tombé « en plein milieu du BR ». Cependant, ce qui a très vite surpris les opérateurs, c’est qu’aucune alarme ne s’est déclenchée. Plus préoccupant : s’efforçant de consulter les documents d’urgence à leur disposition, les agents s’aperçoivent qu’un tel événement n’est pas prévu, pas envisagé. « On a eu aucune alarme, on n’avait aucune prescription ; rien n’était prévu et nos chefs n’étaient pas là ». « On a juste regardé la fiche d’alarme il n’y avait rien on avait aucune procédure qui prévoyait ce type d’incident ».

S’imaginant néanmoins qu’il devait « sûrement y avoir des blessés », les opérateurs décident d’appliquer ce que prévoit leur DOIS (Document d’orientation d’incendie et secours) : l’Equipe Incendie et Secours (EIS) est sollicitée et deux rondiers sont immédiatement envoyés au BR pour une éventuelle première intervention (repérer les lieux, prendre la mesure d’éventuels dangers, porter les premiers secours aux éventuels blessés dans l’attente des pompiers). En dehors de l’énorme nuage de poussière, les premiers constats permettent d’établir que le BR a bien été intégralement évacué et que la chute ne semble pas avoir occasionné de contamination ou d’activité radiologique anormale (les chaînes KRT, chaînes de mesure de l’activité au sein du BR, n’indiquaient ni alerte ni variation significative). Les agents du service SPR ont néanmoins été sollicités pour des analyses complémentaires d’atmosphère. Du point de vue des victimes et des intervenants présents dans le BR, aucun appel n’a été passé (ni vers le 18, ni vers la salle de commande) : l’intervenant, légèrement blessé au moment de la chute du GV (en raison de la projection d’un objet métallique) est sorti seul ou accompagné de ses collègues. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 104


Comme en ce qui concerne les dispositifs d’accès dans le BR, ce qui frappe ici, c’est la relative imprévision et l’absence de procédure d’urgence adaptée, notamment pour aider les opérateurs en salle de commande à gérer ce type d’aléa ou d’accident.

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6 - Synthèse & Recommandations 6.1. Synthèse du rapport Les travaux d’expertise réalisés sur le site du CNPE de Paluel et au sein de la DIPDE ont permis de faire l’analyse des principales causes de l’accident survenu le 31 mars 2016 et, à cette occasion, d’identifier des facteurs de risques professionnels liés aux activités de renouvellement des générateurs de vapeur dans les centrales de production d’électricité du palier 1300 MW. Préalablement à l’exposé des recommandations et préconisations, nous rappelons ici les principaux éléments de notre analyse. L’analyse technique des causes de l’accident confirme que la chute du palonnier est conséquente à la désolidarisation entre la tête d’ancrage du palonnier et le palonnier lui-même. Cette désolidarisation est vraisemblablement liée à un défaut de conception du palonnier qui a entrainé un comportement intrinsèquement instable de ce dernier. Cette instabilité a accru les forces transversales exercées sur le palonnier au point que ces forces deviennent momentanément supérieures aux forces de frottement entre la tête d’ancrage et les demicoquilles du palonnier qui retenaient l’ensemble solidaire. Les demi-coquilles, uniquement bloquées par un système de vis-écrou, se sont alors écartées suffisamment pour que la tête d’ancrage se libère, ce qui a conduit à la chute. Notons que nous n’avons pas pu instruire l’utilisation de la MLV, faute d’avoir pu rencontrer les personnels d’Orys et de Bouygues et d’avoir pu consulter les gammes opératoires correspondant à la mise à l’horizontalité du GV. Nous ne pouvons donc écarter que des facteurs complémentaires puissent avoir également concourus à la chute du GV. L’analyse de la phase d’étude et de préparation des opérations RGV a montré que les services de la DIPDE ont, à un moment donné, perdu la maîtrise d’une partie des activités RGV de levage et de manutention. Cette situation est imputable à plusieurs facteurs sur lesquels nous revenons. • La préparation et l’organisation des opérations de RGV ont été soumises à une contrainte temporelle élevée, conséquence du retard initial pris dans la signature du contrat entre EDF et le GMES, des nombreux aléas survenus en amont du chantier et des replanifications d’activités qui en ont résulté. En outre, l’imbrication du planning de RGV avec le planning d’arrêt de la VD3, le planning des opérations post-Fukushima et le planning des modifications du Grand Carénage ont donné une dimension particulière à la programmation des activités et nécessité des choix stratégiques de planification. La contrainte temporelle a également été renforcée par le retard d’approvisionnement des boucles en U qui a impacté fortement la planification des opérations RGV et les moyens de levage extérieurs soumis aux influences climatiques de bord de mer, ce qui a eu, à nouveau, des conséquences sur la programmation des activités. • L’activité de RGV n’avait été effectuée que dans les tranches des sites du palier 900 MW. Le RGV 1300 MW de Paluel était une opération tête de série jamais réalisée auparavant. Aucun des acteurs n’avait donc l’expérience complète des modalités de réalisation de cette activité dans un site 1300 MW.

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• L’externalisation complète des activités d’études RGV au GMES était également une première dans l’organisation des chantiers RGV. Avant 2013, la DIPDE gardait notamment la conception des outils et ses équipes avaient accès à l’ensemble des documents notamment les modes opératoires. Le recours à une prestation globale a conduit à une sous-traitance globale des études et à la mise en place d’une organisation spécifique de la surveillance des études RGV 1300 MW. • Le processus de surveillance des études a néanmoins été mis à mal du fait de sa dépendance aux informations fournies par le GMES (liste prévisionnelle des documents et note d’étude du palonnier notamment) et également à cause du manque d’échange des analyses de risque entre le GMES et la DIPDE. De ce fait, la conception nouvelle du palonnier n’a pas été identifiée à temps par le service maintenance levage de la DIPDE et les documents d’étude du palonnier n’ont, en conséquence, pas été classés à un niveau de surveillance qui aurait pu permettre de repérer le défaut de conception. Par ailleurs, les services Etudes de la DIPDE étaient alors focalisés sur les problèmes de conception rencontrés avec Orys concernant le mât de soutènement et les vérins du pont polaire. • Le processus de surveillance des études n’a en outre pas été facilité par l’utilisation d’un outil spécifique adapté à cette activité : les acteurs DIPDE, CNPE et GMES ne disposaient pas d’un système de gestion documentaire commun des documents d’études qui aurait pu permettre de se rendre compte, en amont, du changement de conception. • Lorsque le changement de conception a été connu en décembre 2014, le processus de validation documentaire a également été mis à mal par le concepteur, également chef de file du GMES qui n’a vraisemblablement pas considéré l’ensemble de la cinématique de manutention des GV et notamment les mouvements de translation horizontale qui étaient programmés pour déplacer les GV entre les casemates et l’axe de sortie du tampon matériel. En faisant fi des forces transversales exercées sur le palonnier au cours de ces déplacements, Areva a vraisemblablement commis une erreur dans son analyse de la cinématique de manutention des GV et donné des indications erronées aux chargés d’études de la DIPDE. • Le processus de validation documentaire a également été entravé par les retards et les reports multiples de la réalisation du projet RGV. L’importance des délais occasionnés et de la contrainte temporelle a conduit les acteurs de la DIPDE qui les avaient intégrés à ne pas insister auprès d’Areva quant à la problématique des forces transversales exercées sur le palonnier, car ils ne voulaient vraisemblablement pas voir les opérations RGV Paluel 2 à nouveau ajournées après presque une année d’arrêt de la tranche 2. • En outre, durant la même période, les services Etudes de la DIPDE et l’équipe RGV étaient focalisés sur les problèmes rencontrés avec Orys (chute du palonnier extérieur le 3 décembre 2015, écrasement du tube EAS le 17 décembre 2015, incident sur les vérins du pont polaire le 13 janvier 2016). En conséquence de ces multiples aléas, les équipes de la DIPDE ont priorisé la résolution des difficultés rencontrées par Orys sur le traitement de celles rencontrées par Areva. Le chef de file du groupement bénéficiait par ailleurs d’une confiance élevée auprès des différents acteurs du projet, ce qui a contribué à limiter les remarques et les craintes des personnels d’EDF quant au défaut de conception du palonnier.

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• Enfin, ces informations sur la nouveauté du palonnier et sur l’instabilité intrinsèque résultant de son défaut de conception n’ont pas été communiquées à l’équipe RGV, ni dans les prescriptions de surveillance, ni dans les recommandations de surveillance ou les DSI. Cette dernière n’a donc pas été poussée à définir et exercer une surveillance particulière du palonnier et de la MLV dans son ensemble. L’analyse de la surveillance lors de la phase de réalisation des opérations de RGV a, quant à elle, montré qu’en raison d’un essentiel défaut d’anticipation – de la nouveauté comme de la complexité et de la technicité des activités de RGV –, le dispositif de surveillance, pourtant relativement bien encadré, n’a pas rempli son office et n’a pu prévenir la survenue d’un accident qui aurait pu être bien plus grave et bien plus dramatique dans ses conséquences. Nos analyses ont ainsi permis de mettre en lumière plusieurs facteurs sur lesquels nous revenons : • La stratégie industrielle qui a présidé au lancement des opérations de RGV sur le Palier 1300 MW nous paraît devoir être interrogée au moins à deux niveaux : - D’une part, en ce qui concerne le choix d’externaliser intégralement – pour la première fois dans ce type de projet – les études et la réalisation d’une opération à très haut niveau de technicité et de sécurité et à fort enjeu stratégique. Le parti-pris de la prestation intégrée (qui reproduisait à l’identique les dernières organisations ayant eu cours sur le palier 900 MW) s’est révélé peu adapté à ce type de projet, notamment pour une opération tête de série comportant beaucoup d’éléments nouveaux : l’organisation opérationnelle est complexe, le rôle des différentes entités EDF (DIPDE et CNPEExploitant) difficile à cerner pour les équipes de terrain et les seules exigences de la surveillance ne suffisent pas à garantir à l’entreprise une véritable maîtrise technique des opérations. Le maintien de la définition du projet (moyens techniques, études et réalisation) dans le giron d’EDF aurait pu permettre à l’exploitant d’acquérir la maîtrise concrète de cette activité nouvelle avant de recourir à une sous-traitance généralisée qui ne lui en n’a pas donné la possibilité. - D’autre part, en ce qui concerne le choix des prestataires et leurs modalités de suivi. Le dispositif de qualification (géré par l’UTO) et le suivi relativement lointain qu’il induit ne semble pas non plus adapté à la grande spécificité du projet. Si le choix d’Areva semblait bien s’imposer, il est significatif que celui d’Orys comme levageur ait été contesté par plusieurs de nos interlocuteurs. Le dispositif s’est ainsi traduit par l’absence d’un spécialiste du levage parmi les prestataires de premier rang. Les différentes alertes apparues à ce sujet sur le terrain durant le semestre qui a précédé l’accident ne semblent pas non plus avoir fait l’objet d’une attention suffisante. • L’élaboration du programme de surveillance et, de manière plus générale, l’organisation de la surveillance n’ont pas suffisamment pris en compte la dimension de nouveauté que revêtait cette opération pourtant identifiée comme « tête de série ». Les Prescriptions de surveillance qui ont servi de base au Programme de surveillance ne pouvaient s’appuyer que sur un REX issu des précédentes opérations réalisées sur des sites 900 MW. Ainsi en ce qui concerne les activités de levage, celles-ci n’attiraient pas l’attention sur des difficultés particulières. • La seconde partie du Programme de surveillance (les Recommandations de surveillance) reposait complémentairement sur la transmission des résultats des analyses des services Etudes de la DIPDE, produits à la suite à leur surveillance des études préalables à l’opération. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 108


Cependant, ces Recommandations se révèlent tout à la fois génériques et peu opérationnelles pour la plupart. Il est surtout étonnant ne pas y voir figurer ni de recommandation ni même d’information au sujet du palonnier sur lequel pourtant la DIPDE avait constaté un risque d’instabilité. En partie lié à la forte contrainte calendaire, ce défaut de transmission doit également être rapporté à la trop grande séparation existant au sein de la DIPDE entre les équipes des Etudes et celles des Projets. • Cependant les modalités et le niveau de la surveillance au cours de la phase de réalisation ont également beaucoup été déterminés par les moyens et le profil des équipes BR en charge de la surveillance. Sans spécialisation ni formation ou expérience spécifiques, les binômes IBR et CABR, qui se succédaient en 3x8 auprès des prestataires dans le BR, sont dans l’ensemble plutôt détenteurs de compétences généralistes et ils ne se trouvaient en fait guère en mesure d’exercer qu’une surveillance formelle ou relativement lointaine des activités réalisées : ne disposant souvent que d’une information lacunaire, souvent débordés en raison du nombre important des chantiers, leurs actions de surveillance semblent surtout s’être limitées à des vérifications ponctuelles ou ciblées de conformité documentaire. Conforme aux seules exigences formelles de Qualité, le dispositif ne les plaçait pas véritablement en position de maîtrise des activités, ni en capacité de prévenir des risques d’accidents. Ce défaut de compétences peut d’ailleurs se comprendre comme un réel écart par rapport aux exigences formulées notamment dans la DI 116 (« s’appuyer autant que de besoin sur des compétences de différentes spécialités de niveau adapté »). • Cette faiblesse structurelle de la surveillance s’est trouvée illustrée au moment de la survenue de la gîte du palonnier, dès le début des opérations de levage. Très vite observé, le défaut n’a cependant jamais été pris à sa juste mesure comme un signe précurseur d’un éventuel accident. Remontée très tôt à la direction de l’équipe RGV puis à celle du projet, l’information n’a pas donné lieu à une suspension des opérations : rassurées par les explications d’Areva, les équipes de la DIPDE (mais cette décision est sans doute remontée jusqu’à la direction de la DIPDE) ont, au moins à deux reprises (puisque l’accident est survenu sur la sortie du 3ème GVU), pris la décision de poursuivre les opérations malgré ce défaut constaté sur le palonnier. • Comme pour la phase des études, ces décisions, autant que l’ensemble de l’organisation du projet, semblent ici avoir été marquées par une pression temporelle d’autant plus forte que ces événements intervenaient dans un calendrier qui avait déjà subi de nombreux décalages et de nombreux retards. • Le risque de chute d’un GV était très explicitement envisagé par les modes opératoires du GMES (le respect des mesures de protection qui y figurent a sans doute permis d’éviter que l’accident ne fasse de victimes graves) ; il semble pourtant n’avoir pas vraiment été pris en compte par les équipes de la DIPDE et leur programme de surveillance. De manière plus générale, les dispositifs de surveillance paraissent donc également n’avoir pas accordé une place suffisante aux analyses de risques et aux logiques de prévention : celles-ci ne peuvent se limiter à la réalisation d’un Préjob briefing ou au port des EPI. • De ce point de vue, le fait que les plans de prévention de l’ensemble des opérations de RGV aient été intégrés au dispositif de gestion des plans de prévention de l’Arrêt de Tranche a sans doute contribué à cette absence d’anticipation : gérés pour le SPR du CNPE par un prestataire extérieur (faisant lui aussi l’objet d’un niveau de surveillance relativement CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 109


faible), ces plans de prévention n’intégraient aucune analyse spécifique pour les opérations de RGV à l’intérieur du BR. Ce manque n’a pas été identifié dans les programmes de surveillance, notamment parce que les équipes BR ne semblent pas avoir consulté ces plans de prévention (dont la gestion dépendait du CNPE). • De la même manière, sans doute également en raison d’un manque de coordination entre les équipes de la DIPDE et les équipes du site, la chute du GV n’avait pas du tout été anticipée du côté de l’exploitant : ayant eu à gérer l’événement depuis la salle de commande, les opérateurs ne disposaient d’aucune procédure dédiée. De la même manière, les prestataires qui géraient le sas d’entrée BR n’avaient pas du tout été préparés à la survenue d’un accident ou d’un aléa de ce type. Une telle situation aurait pu être à l’origine de difficultés aggravées, voire de sur-accidents, notamment si la chute du GV avait provoqué des dégâts plus importants ou des blessés graves.

6.2. Recommandations et préconisations Le présent rapport s’inscrit dans le cadre des engagements pris par Aptéis lors de la procédure d’agrément ministériel qui préside à ses interventions. Conformément aux principes de cet agrément, l’expert sollicité se doit de formuler à l’issue de son intervention des recommandations ; il n’a cependant pas vocation à se substituer à l’employeur. De ce fait, nos recommandations sont indicatives. Elles visent à aider le CHSCT dans son analyse des facteurs de risques et dans ses choix et actions en matière de prévention des risques. L’objectif de cette expertise est ainsi de contribuer à enrichir les débats et les échanges du CHSCT et plus particulièrement, conformément à la demande qui nous avait été faite, d’éclairer les membres du CHSCT sur les facteurs de risques professionnels révélés par l’accident du 31 mars 2016. Ajoutons cependant que les analyses réalisées dans le cadre d’une expertise ne peuvent prétendre à l’exhaustivité. Nous avons pris, le plus souvent, le parti d’insister sur les points qui nous paraissaient les plus cruciaux en termes de conditions de travail et de risques professionnels.

6.2.1. RECOMMANDATIONS RELATIVES A L’ORGANISATION DES ETUDES Comme nous venons de l’expliquer, la phase du projet RGV Paluel 2 consacrée à la définition des études et à la conception des moyens a fait l’objet de plusieurs difficultés qui, à différents degrés, ont contribué à la survenue de l’accident du 31 mars 2016. La conséquence principale de ces difficultés a été une perte de maîtrise par les services concernés des activités de manutention et de levage des GV qui étaient au centre des opérations de RGV. Il importe donc que les équipes de la DIPDE et du CNPE puissent retrouver la maîtrise complète de ces activités et pour cela, plusieurs approches pourraient être envisagées, depuis la réintégration des activités d’études jusqu’à l’amélioration des processus de surveillance. Nous explorons ci-après différentes pistes d’amélioration. a) Repenser la planification des projets et mieux anticiper les aléas Une première piste de réflexion pourrait concerner l’organisation macroscopique des différents plannings afin d’introduire plus de souplesse et de pouvoir gérer plus facilement les aléas des chantiers Têtes de série (par exemple, l’aléa sur le portique extérieur). Si l’organisation CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 110


parallèle des différents projets de modifications des installations de production d’électricité permet à l’exploitant EDF de ne pas multiplier les arrêts de tranche et, en conséquence, de réduire les coûts de maintenance des installations, elle induit également des difficultés supplémentaires pour imbriquer les différentes activités (nous rappelons que les plannings RGV et VD3 ont dû être refaits à six reprises et ont fini par être complètement inversés). Une réflexion sur la programmation des activités de maintenance et de transformation des sites pourrait mener à une autre planification, moins tendue et moins imbriquée, des opérations de RGV avec les opérations de maintenance de troisième visite décennale et les opérations de transformation du Grand Carénage ainsi que celles post-Fukushima. En outre, les problématiques d’approvisionnement matériel (qu’il s’agisse, par exemple, de celle des GV 900°MW au CNPE de Gravelines ou de celle des boucles en U à Paluel) devraient être intégrées plus en amont dans la planification de manière à limiter les difficultés fortuites et les reprogrammations successives des activités. De manière générale, il conviendrait de réceptionner l’ensemble du matériel en usine afin de pouvoir le contrôler avant de procéder à son montage et aux opérations de requalification. b) Envisager une réintégration des activités d’études concernant les manutentions les plus critiques Une deuxième piste de réflexion concerne l’équilibre entre les activités externalisées et les activités restées dans le giron de la DIPDE. Afin de recouvrir toute la maîtrise des activités de manutention des GV, la DIPDE pourrait repenser ses activités « cœur de métier » et faire le choix de reprendre à son compte tout ou partie des études sur les moyens de levage ainsi que le suivi de la conception de ces moyens. La DIPDE pourrait ainsi s’assurer que les moyens techniques utilisés par le GMES ont été conçus en tenant compte de l’ensemble des paramètres techniques requis (caractéristiques spatiales des BR 1300MW, taille des GV 1300 MW, hauteur des casemates, hauteur du pont polaire, ensemble de la chaîne de côtes, etc.). Cette réintégration pourrait également permettre que les modes opératoires soient établis par la DIPDE et notamment celui relatif à la cinématique d’évacuation et de rentrée des GV. Ainsi les modes opératoires pourraient être connus en amont par tous les acteurs du projet, notamment ceux exerçant la surveillance de réalisation RGV, sans qu’ils se heurtent à des refus contractuels liés au droit de propriété intellectuelle. c) Travailler sur la criticité des opérations de levage, renforcer les moyens techniques et humains Une troisième piste d’amélioration relative à la qualification des opérations de levage dans le programme de surveillance et au renforcement des moyens pourrait être explorée. En effet, dans l’analyse préalable des risques relatifs aux activités de RGV, qu’il s’agisse des risques de sureté pour les installations ou des risques professionnels liés au déplacement de charge lourde, il parait nécessaire qu’une attention particulière soit portée aux activités de levage et notamment à celles réalisées dans les bâtiments réacteur des CNPE. Cette attention pourrait concerner tant les compétences et les moyens affectés au service Etudes Maintenance Levage de la DIPDE et à l’équipe RGV qu’à l’analyse des activités de levage elles-mêmes. Sur le plan des moyens humains, cela pourrait par exemple se traduire par des recrutements de profils spécifiques d’ingénieur spécialisé sur le levage ou par la formation de personnels déjà présents aux spécificités de cette activité. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 111


Sur le plan de l’analyse des situations de travail, cela pourrait se traduire par un renforcement de la criticité des opérations impliquant du levage de charges lourdes et encombrantes et par la mise en place de dispositifs de contrôle et de surveillance spécifique de ces opérations. Il pourrait, par exemple, exister des inspecteurs du levage comme il existe des inspecteurs au CEIDRE détachés dans l’équipe RGV pour contrôler les soudures des circuits primaire et secondaire. Sur le plan des moyens techniques, cela pourrait se traduire par le développement ou l’acquisition d’outils spécifiques visant à favoriser la modélisation en trois dimensions des activités de levage et à permettre à l’ensemble des acteurs de travailler sur les cinématiques. Cet outil pourrait être partagé entre les différents acteurs de manière à ce que les informations numériques puissent être échangées et modifiées dans le même format électronique (par exemple, que tous les acteurs DIPDE, GMES, CNPE travaillent, par exemple, avec Catia ou Autocad1). d) Repenser les modalités d’évacuation des GVU et de rentrée des GVR Une quatrième piste de réflexion pourrait être envisagée sur le dispositif de levage retenu pour la cinématique de levage monobloc. Dans la situation actuelle, le dispositif de levage retenu donne très peu de marge aux opérateurs pour manutentionner les GV, car leur dimension, la hauteur des casemates et l’altitude d’implantation de la MLV installée sur le pont polaire induisent une chaîne de côtes très resserrée. De nouvelles études de conception pourraient peut-être aboutir à l’élaboration d’un dispositif de levage différent permettant d’avoir plus de souplesse marges de manœuvre et une cinématique permettant de contourner les difficultés liées aux caractéristiques du bâtiment. e) Améliorer la gestion documentaire et le processus de validation des documents Une cinquième piste d’amélioration relative à la gestion documentaire et à la validation des documents pourrait être envisagée afin de réduire les risques d’incompréhension et d’erreur. Dans la situation actuelle, les acteurs ne disposent pas d’un système de type workflow permettant le partage des documents sur une plateforme informatique unique et la gestion de la surveillance des études (dont le planning d’avancement des approbations). Rappelons que certains documents dont l’étude aurait pu permettre de prévenir l’accident (plan du palonnier, note d’étude du palonnier) n’ont pas été échangés entre les acteurs du projet notamment parce que leur transmission à la DIPDE n’était pas explicitement prévue contractuellement. Afin de faciliter la définition et le suivi des programmes de surveillance documentaire, un outil informatique de gestion documentaire partagé pourrait être mis en place afin que tous les acteurs DIPDE, GMES et CNPE puissent être directement informés de la liste exhaustive des documents d’études et des éventuelles modifications apportées à ces documents. Ce partage des documents permettrait en outre à la DIPDE de ne plus être dépendante des informations transmises par le GMES et de pouvoir les contrôler à tout moment. La transmission de l’ensemble des documents d’études devrait par ailleurs être prévue dès la rédaction du contrat passé entre la DIPDE et le GMES afin que les problématiques de droit d’auteur ne se posent plus.

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Il s’agit de logiciel de modélisation et de conception en 3 dimensions couramment utilisés dans le milieu industriel. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 112


Cet outil de gestion des documents pourrait également inclure le statut de chaque document (VAO, VSO, VSOSR) ainsi que les éventuelles remarques ou réserves formulées par les services études de la DIPDE et les réponses apportées en retour par les entreprises du GMES et leurs sous-traitants. Ce système pourrait en outre inclure un dispositif bloquant afin qu’un document ne puisse pas être validé et diffusé avant que toutes les remarques formulées n’aient été levées par les chargés d’études concernés (ou que des dérogations aient été instruites selon les procédures approuvées). Un dispositif d’« escalade » pourrait également être intégré dans cet outil afin que les responsables des services Etudes soient alertés directement en cas de difficulté survenant au cours du processus de validation. Cet outil pourrait également être utilisé pour le suivi de la réalisation du chantier afin de s’assurer que la DIPDE, le GMES et le CNPE disposent de l’ensemble des informations sur les différents aspects du chantier et puissent prendre les décisions les plus appropriées à chaque étape. f) Mener une analyse de l’adéquation entre la charge de travail générée par les projets et les moyens humains Une sixième piste d’amélioration nous semble devoir être questionnée relativement à la charge de travail engendrée par les différents projets placés sous la responsabilité de la DIPDE. Dans la situation présente, le nombre et la taille des projets liés au Grand Carénage, au retour d’expérience de Fukushima Daiichi et aux visites décennales est particulièrement élevé (16 projets Grand Carénage, plusieurs VD3, 1600 affaires à gérer). En conséquence, le volume de documents à surveiller dépasse plusieurs milliers (3000 documents uniquement pour le projet RGV). Nous n’avons pas pu instruire précisément cette problématique auprès de la DIPDE néanmoins aux dires des personnes rencontrées en entretien, la charge de travail des équipes de la DIPDE affectées à la surveillance documentaire des différents projets serait considérable et la répartition au sein des équipes rendue d’autant plus difficile que les projets sont programmés simultanément. En conséquence, de multiples projets doivent être gérés de concert par les différentes équipes de la DIPDE ; néanmoins les compétences détenues par les agents sont spécifiques et les projets connaissent de multiples aléas. Il en résulte des va-et-vient des personnels affectés pour quelques mois sur un site de production puis sur un autre avec parfois un retour sur le site de Marseille dans l’entre-temps, en fonction des contraintes de calendrier. Du fait de cette situation, les possibilités de spécialiser les équipes DIPDE sur les activités de RGV sont restreintes, ce qui pose des difficultés d’acquisition et de maintien des compétences propres aux opérations de RGV. Si des améliorations sont apportées sur le plan organisationnel et sur le plan technique, elles ne pourront suffire à résoudre les difficultés liées à la tension sur les ressources affectées au projet. Une analyse approfondie des moyens humains nécessaires aux projets devrait donc être effectuée avec la direction des projets et les différents services d’études afin de garantir que les agents qui effectuent la surveillance de niveau 2 et 3 aient réellement le temps suffisant pour effectuer une surveillance documentaire de qualité. Parallèlement, l’organisation matricielle des projets devrait également être questionnée afin d’accroître et de stabiliser la compétence des équipes et également, de rendre attractif ces postes dans les équipes communes.

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6.2.2. RECOMMANDATIONS

RELATIVES A L’ORGANISATION SURVEILLANCE DE LA PHASE DE REALISATION

ET

A

LA

Comme nous l’avons vu, l’analyse du déroulement de la phase de réalisation a révélé tout à la fois certaines faiblesses des choix stratégiques opérés par l’entreprise et une défaillance du dispositif de surveillance mis en place. Il n’est sans doute pas anodin de remarquer que sur ces deux dimensions, les constats auxquels aboutissent nos travaux peuvent, pour l’essentiel, être également déclinés sur les activités de maintenance plus courantes pour le CNPE. a) Recouvrer la maîtrise de la réalisation des activités RGV La phase de réalisation des travaux sur le site du CNPE de Paluel a été marquée par de nombreux aléas, parmi lesquels la chute du GVU le 31 mars 2016. Les diverses alertes ou procédures d’exception n’ont pas abouti à la décision de rendre aux équipes de la DIPDE la maîtrise d’un projet pourtant identifié comme stratégique. Afin de recouvrer, notamment pour les prochains RGV du palier, il nous paraît donc important de revoir certains des choix stratégiques qui, pour une large part, sont à l’origine de cette situation : • En termes d’organisation, il paraîtrait profitable de sortir du dispositif de prestation intégrée afin notamment de reprendre, en interne, via une direction et une organisation de projet plus opérationnelles, la maîtrise d’œuvre des futurs RGV 1300 MW (ce qui permettrait de réintégrer certaines activités identifiées comme critiques – ce que nous avons recommandé plus haut). • Outre une très nette simplification de l’organisation, cette position permettrait notamment de pouvoir, indépendamment de la procédure de qualification de l’UTO, choisir en fonction de la nature des activités des prestataires plus clairement identifiés. En ce qui concerne les opérations de RGV, il paraît notamment crucial de ne plus sous-estimer le caractère central – ainsi que la très grande spécificité – des activités de levage. Contesté ou à tout le moins interrogé par plusieurs de nos interlocuteurs, le choix d’Orys comme levageur sur ce type d’opérations devrait donc être revu. • A cette occasion, il conviendrait sans doute d’interroger les procédures et les conditions de qualification des prestataires via l’UTO : Areva était-il qualifié pour concevoir un moyen de levage comme un palonnier ? Orys était-il qualifié pour la réalisation et la coordination d’opérations de levage ? Dans l’affirmative, ces qualifications ont-elles aujourd’hui été suspendues ? Orys était-il suffisamment dimensionné pour faire face au volume d’activités imposé par le RGV ? Cependant au-delà de ces deux cas particuliers, il paraîtrait surtout important d’interroger le processus de qualification lui-même (un peu à la manière dont le processus de surveillance s’est trouvé interrogé dans le présent rapport) : comment s’est déroulé le processus de qualification de ces prestataires ? Selon quels critères les choix ont-ils été opérés et l’ont-ils été par l’UTO, par la DIPDE ou directement par la DPNT ? Le caractère inédit du dispositif et de la prise en charge de ces opérations pour ces prestataires a-t-il été suffisamment pris en compte ? Ceci ne méritait-il pas des modalités de suivi et de surveillance particulières ? Comment, enfin, les différentes alertes ont-elles éventuellement été remontées et traitées ? A la lumière du présent rapport, de ses méthodes et de ses conclusions, les CHSCT du site de Paluel – de même que ceux de la DIPDE et/ou celui de l’UTO – pourraient ainsi se saisir CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 114


de ces questions et s’efforcer de les instruire par l’intermédiaire d’une enquête pour laquelle ils mandateraient quelques-uns de leurs membres. b) Revoir la préparation, l’organisation et les modalités de la surveillance A la lumière des analyses qui précèdent, nous avons pu montrer que si les logiques d’organisation de la surveillance semblaient suivre un processus qualité, celles-ci n’ont pas pour autant permis aux équipes sur le terrain d’accomplir leurs missions avec précision et efficacité. Il paraît donc important de revoir ces modalités d’organisation, notamment afin de les orienter davantage vers les activités de terrain proprement dites. • Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le principe d’un programme de surveillance élaboré sur la base conjointe du retour d’expérience des précédentes opérations (Prescriptions de surveillance) et des résultats des analyses spécifiques de la phase d’étude (Recommandations de surveillance). Cependant, de notre point de vue, les spécificités de l’opération qui apparaissent dans les Recommandations devraient être privilégiées. Dans cette même perspective, il nous paraît crucial – notamment afin de prévenir tout risque de perte d’informations – que des ingénieurs DIPDE ayant participé à la phase des études soient intégrés à la phase de réalisation aux côtés du Responsable de conception en tant que référents techniques (par exemple, un par domaine d’activité concerné : levage, mécanique, électricité, radioprotection...) au sein de l’équipe RGV détachée sur les sites par DIPDE. Ceux-ci devront notamment valider, chacun sur son domaine d’activité, les points de notifications apposés par les équipes de surveillance terrain (IBR et CABR). • Outre le programme de surveillance proprement dit, il nous paraît important de joindre à ce dernier un planning de surveillance adapté à ce programme : il s’agirait, notamment à la lumière des différentes actions de surveillance programmée et du programme des opérations, de dimensionner les effectifs de surveillance en fonction des tâches à accomplir. Les équipes BR ne se limiteraient donc plus aux seuls binômes (IBR et CABR) présents en continu (en 3x8) : elles seraient utilement complétées soit en volume par la présence de binômes complémentaires, soit en compétences dédiées lors du déroulement d’activités spécifiques préalablement identifiées (on peut notamment songer ici aux équipes d’aide inter-sites). • A la phase de déroulement des opérations, et afin de remédier au risque de perte de maîtrise ou de défaut de coordination des activités de surveillance, il serait utile de mettre en place un poste de Chef de chantier EDF. Positionné comme adjoint au Responsable des opérations, le poste pourrait être tenu par des agents (en 2x8 ou en 3x8) qui, outre leurs compétences d’ingénieurs, auraient également l’expérience d’opérations RGV antérieures. • Enfin, en termes de moyens, il paraît important de mieux impliquer et mobiliser les équipes du CNPE au déroulement des activités : au-delà de la seule Equipe Commune, il paraîtrait pertinent de prévoir, dans chaque domaine d’activité concerné par les activités de RGV, un référent technique appartenant aux différents services du site. Celui-ci pourrait être notamment sollicité à l’occasion des activités de préparation des chantiers puis à la demande en fonction des éventuels besoins. Ceci serait particulièrement nécessaire en ce qui concerne la compétence levage pour laquelle le site de Paluel dispose d’une cellule dédiée qui n’a jamais été directement sollicitée au cours des opérations de RGV. En outre, il paraitrait utile que le poste de responsable de zone BR (appartenant au SPR) dont les fonctions étaient différentes pendant les opérations de RGV (pose des balisages RP) soit au contraire systématiquement associé aux équipes BR en charge de la surveillance CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 115


de ces opérations (ce qui permettrait également d’assurer une présence en continu du CNPE sur ses installations). c) Imposer de plus fortes exigences en matière de compétences des agents chargés de la surveillance (IBR et CABR) Nous l’avons vu, les textes réglementaires (l’Arrêté INB1 ou la DI 1162) sont relativement clairs quant aux exigences attendues en matière de compétences des chargés de surveillance : ceuxci sont supposés détenir « les compétences et qualifications nécessaires », ce qui permet de considérer notamment que ces « compétences et qualifications » soient en rapport avec les activités surveillées. Pourtant, sur le terrain (mais de ce point de vue les opérations de RGV ne font pas exceptions3), comme dans les notes d’organisation, la situation des équipes BR en la matière ne semble guère satisfaire à ces exigences. Ce défaut de compétences et d’expérience opérationnelle nous paraît avoir joué un rôle notable dans la défaillance de surveillance qu’a révélé notre analyse. Il nous parait donc important de remédier à cette situation par diverses mesures : • La première d’entre elles consisterait à revoir les exigences de formation des agents en charge de la surveillance au sein du BR (IBR et CABR) : il conviendrait, d’une part, de former systématiquement ces derniers aux activités de surveillance proprement dites (l’entreprise dispose d’ores et déjà de cursus de formation sur ce point). Mais il s’agirait, d’autre part, et surtout de former les CABR ou les IBR à des domaines d’activités précis, domaines correspondants aux activités qu’ils seront chargés de surveiller. Ces modules de formation pourraient ainsi se traduire par la délivrance d’une habilitation à surveiller dans le domaine considéré. Il conviendrait de ce point de vue que ces nouvelles exigences soient intégrées au programme de surveillance et aux notes d’organisation correspondantes : pour la surveillance d’une activité donnée, les habilitations nécessaires seraient identifiées et tracées dans ce même programme ; un agent qui ne détiendrait pas cette habilitation ne serait pas admis à surveiller l’activité considérée (et en particulier, il ne serait pas habilité à lever les points d’arrêt correspondants). • La seconde concerne la formation de ces mêmes agents aux spécificités des activités de RGV et aux activités concrètes qu’ils auront à surveiller sur le site concerné. Nous l’avons vu, la plupart des agents qui assurent les missions de surveillance n’ont pas participé aux précédentes étapes du projet : certains d’entre eux sont même arrivés sur site peu de temps avant que ne commencent effectivement les opérations de RGV et donc leur activité de surveillance ; cette situation a même été renforcée par un important turn-over parmi cette équipe lorsque le calendrier a glissé. La Note d’organisation des équipes BR ne prévoit ni condition, ni période de temps minimale avant de confier des activités de surveillance à un agent (ces agents sont basés à Marseille et, pour la plupart, ils ne connaissent pas le site). Elle indique pourtant que les agents devront « s’approprier le contenu technique du dossier d’intervention ». 1

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Arrêté du 7 février 2002, Art. 2.2.2 : « (...) Elle [la surveillance] est exercée par des personnes ayant les compétences et qualifications nécessaires ». Directive DI 116, § 3 (Missions du chargé de surveillance) : « Pour les missions lourdes et/ou complexes, il peut s’appuyer autant que de besoin sur des compétences de différentes spécialités de niveau adapté pour réaliser des actions de surveillance » (p. 7/14). Nous avions rencontré des situations très similaires (en matière de manque de compétences chez les chargés de surveillance) lors de précédentes interventions sur des activités de maintenance, notamment sur le site de Paluel. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 116


A la formation technique par domaine, il conviendrait donc d’adjoindre une formation spécifique, donnant lieu éventuellement elle aussi à une habilitation spécifique, qui encadre et accompagne les agents dans leur démarche de compréhension et d’appropriation des opérations, de leur contenu et de leur programme et qui les aide à acquérir l’ensemble des informations nécessaires (notamment en matière de connaissance du site et de ses spécificités) à l’exercice de leur future mission. • A terme il pourrait en outre être envisagé qu’au sein de la DIPDE, une équipe dédiée et donc composée d’agents (IBR et CABR) ayant une certaine expérience des RGV, soit systématiquement affectée aux opérations de RGV sur les CNPE du Parc. d) Envisager à terme une évaluation des activités ? Quel que soit le périmètre retenu in fine pour les prestations confiées à des entreprises extérieures, la maîtrise des risques d’aléas techniques exige une surveillance efficace lors des phases d’études et de réalisation. Cette surveillance repose d’abord sur des agents et des équipes adéquatement formées et utilement préparées. Afin notamment d’éviter qu’avec le temps ces exigences nouvelles ne s’émoussent, il pourrait être envisagé – notamment pour les opérations lourdes de type RGV – de formaliser les exigences inhérentes aux activités de qualification et de surveillance par le recours à un système de reconnaissance externe de l’organisation et du savoir-faire. • En ce qui concerne les actions de surveillance, celles-ci pourraient en effet pour la plupart être considérées comme des « inspections » au sens de la norme NF EN ISO/CEI 17020 (§ 3.1) : « Inspection : Examen d'un produit [résultat d’un processus], d'un processus [ensemble d’activités corrélées ou interactives qui transforme des éléments d’entrée en éléments de sortie], d'un service [résultat généralement immatériel, d’au moins une activité nécessairement réalisée à l’interface entre le fournisseur et le client] ou d'une installation, ou de leur conception, et détermination de leur conformité à des exigences spécifiques ou, sur la base d'un jugement professionnel, à des exigences générales. NOTE 1 : L'inspection des processus peut comprendre l'inspection du personnel, des installations, de la technologie ou de la méthodologie. NOTE 2 : Les procédures d'inspection ou les systèmes particuliers peuvent limiter l'inspection à un examen uniquement. »

Or cette même norme fixe également des exigences en matière de compétences (ainsi qu’en matière d'impartialité et de cohérence de leurs activités) des organismes ou des entités procédant à de telles inspections ; les organismes remplissant l’ensemble des conditions peuvent demander à être « accrédités », par le COFRAC :1 les inspections (ou surveillances) auxquelles ils procèdent bénéficient alors d’une présomption de maîtrise du processus et du contenu des inspections. Un tel dispositif pourrait donc constituer l’une des voies permettant d’apporter la démonstration que les critères fixés par ce référentiel normatif sont respectés. Il faut noter qu’une telle démarche a déjà été mise en œuvre pour certaines activités réalisées par le CEIDRE.

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Le cadre technique et réglementaire de l’accréditation est consultable à l’adresse : http://www.cofrac.fr/fr/accreditation/. Le but ultime d’une démarche d’accréditation est l’instauration de la confiance dans les prestations réalisées, l’accréditation devant représenter le dernier niveau de contrôle des activités d’évaluation de la conformité du point de vue de la compétence technique. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 117


• Cette perspective d’un passage par l’évaluation par un tiers de confiance pourrait également être envisagée en ce qui concerne la qualification des prestataires. En effet, comme nous l’avons vu, la DPNT sélectionne ses prestataires par un processus de qualification piloté par l’UTO. Or, dans le domaine industriel notamment, ce type de processus relève d’une norme qui en définit ainsi les règles communes : la qualification d’entreprises – qui y est une attestation de conformité par une tierce partie de l’aptitude d’une entreprise à démontrer sa capacité à réaliser des prestations (examen de dossiers par un jury) – relève du domaine d’application de la norme NF X 50 091 (octobre 1992). Comme indiqué précédemment, il n’a pas été possible d’approfondir les modalités de sélection des divers prestataires (GMES et les entreprises qui le composent) par l’UTO ; cependant, l’accréditation par le COFRAC de cette activité permettrait d’apporter des garanties dans la maîtrise de ce processus. Cette démarche volontaire présente l’intérêt de pouvoir affirmer que cette activité satisfait aux exigences du référentiel normatif et de le justifier par une évaluation conduite par un organisme indépendant (le COFRAC). e) Mieux intégrer la prévention des risques professionnels conventionnels aux activités de surveillance Nous l’avons vu, l’organisation de la surveillance des activités (notamment via le programme de surveillance) ne s’est guère appuyée sur les analyses de risques réalisées pour la phase de réalisation (pour la phase études, des analyses de risques ont été mentionnées, mais nous n’avons pu les consulter). Dans la situation du « fournisseur en Cas 1 », (NT 0085114), celuici « doit fournir au donneur d’ordre EDF une analyse des risques induits par son intervention ainsi que les parades prévues afin de les maîtriser » ; or intégrées aux plans de prévention au sein de la cellule qui en a la charge (via un prestataire du CNPE), ces analyses ne semblent pas avoir été prises en compte par les équipes RGV. Il paraîtrait d’abord utile que, suite à un retour d’expérience issu de l’accident, il soit demandé au GMES d’enrichir ses plans de prévention en y intégrant (pour la zone BR) les analyses de risques réalisées en lien avec les opérations de levage des GV (usagés et neufs). Ces plans de prévention (l’ensemble des plans concernant les opérations RGV) devraient, de notre point de vue, faire l’objet d’un traitement à part, spécifique (indépendant des autres plans de l’arrêt de tranche1) ; leur coordination et leur adaptation aux situations de travail réelles pourraient ainsi faire l’objet d’une surveillance spécifique de la part de l’équipe RGV. Mais plus encore, il paraîtrait pertinent d’intégrer ces analyses de risques au programme de surveillance lui-même, qu’il en devienne, au même titre que le programme d’intervention ou les recommandations et prescriptions, l’une des sources. En ce qui concerne les opérations RGV, il conviendrait notamment d’y intégrer la surveillance des outils, moyens et équipements de levage dans la perspective de l’éventualité d’une défaillance de ces derniers ; ceci comprendrait également la prise en compte des parades correspondantes, en anticipant notamment celles concernant les équipes BR et leur présence dans le BR au moment des opérations de levage. f) Anticiper et préparer l’éventualité d’un aléa comme la chute d’un GV Nous l’avons vu, notamment en ce qui concerne les équipes de la Conduite ou celles des agents en charge du Sas du bâtiment réacteur, le manque d’anticipation d’un événement comme celui survenu avec la chute du GV a rendu chaotiques et dangereuses les conditions d’évacuation 1

Mais tout en demeurant intégrés aux analyses de la cellule « Plans de prévention » en cas de situations de coactivité, notamment dans le BR. CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 118


du bâtiment : aucune procédure n’avait été préparée pour les opérateurs de la salle de commandes et aucun exercice d’alarme n’avaient préparé les agents du Sas ou les intervenants du GMES à une chute d’un GV. Il conviendrait donc de prévoir une alarme spécifique en cas d’« urgence levage »1 dans le BR ou plus généralement une alarme correspondant à un événement grave imprévu (autre que l’incendie ou la contamination). Celle-ci devrait alors se voir correspondre de nouvelles procédures spécifiques et adaptées en salle de commande ; enfin l’ensemble devrait être complété par l’organisation d’exercices d’alerte (inopinés et en situation réelle) permettant à l’ensemble des acteurs et intervenants d’anticiper et de se préparer en termes d’évacuation comme en termes d’arrivée des secours.

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Le terme est celui des documents d’analyse de risques du GMES (voir ci-dessus notre Chapitre 5) CHSCT EDF CNPE Paluel ● Analyse de la chute du GVU n°2 ●17 mai 2017 ● 119


7 - Annexes 7.1. Résolution des CHSCT

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