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3 HABITER LE BIDONVILLE
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HABITER LE BIDONVILLE
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3.1. DES LIENS, UNE COMMUNAUTÉ ?
A partir des relevés effectués sur place, il peut sembler que le groupe d’habitant.e.s du bidonville Zénith 2 soit composée de 224 habitant.e.s, 126 hommes (56%) et 98 femmes (44%), répartis en environ 70 unités familiales. Pour autant, tous et toutes ne vivent pas ou plus sur place (voir ci-après, “Récits de vie”). Pour certains les aller-retours pendulaires restent présents, ne serait-ce que pour des enjeux d’état civil, entrainant des temps d’absences longs. Ainsi, un nombre important de personnes se sont inscrites dans une logique de mouvements pendulaires, avec des séjours de plusieurs mois en Roumanie ou dans d’autres villes françaises (emplois saisonniers, autres réseaux d’entraide). Parfois, pendant cette période, les habitations sont habitées par d’autres personnes, souvent elles restent dans l’attente du retour de leurs occupants usuels. D’autres «présents-absents» peuvent
être mentionnés, notamment du fait des entrées fragiles dans divers dispositifs d’hébergements permettent des temps de répits courts hors du site. Ainsi, les chiffres d’occupation fluctuent tout en montrant une progressive décroissance (voir AREA, Rapports annuels de L’Observatoire des bidonvilles de l’Hérault). Par ailleurs, il est à noter que la pyramide des âges montre une majorité de personnes de plus de 18 ans (60%), 20% de mineurs entre 11 et 17 ans et 20% de mineurs entre 0 et 10 ans. Ainsi, sur cette base dont les données restent à complêter, la moyenne d’âge apparait relativement jeune car elle se situe aux alentours de 26 ans. Les familles implantées au Zénith 2 sont principalement originaires de Roumanie, notamment de villes de Transylvanie (Alba Iulia, capitale du département, et deux autres petites communes : Blaj et Ocna Mures) mais aussi de Barbulesti située dans l’agglomération de Bucarest. Elles ne se connaissaient pas nécessairement
avant leur installation sur ce terrain. Pour autant, depuis 2006, la vie sur le bidonville et pour certain·e·s dans des lieux de vie similaires auparavent, de nombreux mariages entre les habitant·e·s ont multiplié les liens familiaux. Les enfants grandissant décohabitent en s’installant à proximité de leurs familles et belles familles. Comme pour tout milieu social, la rencontre se fait au plus proche. Néanmoins, ici, les familles sont beaucoup plus éloignées de l’emploi que dans la moyenne des bidonvilles de Montpellier, avec 7 % de personnes actives qui le sont de plus essentiellement sur des emplois saisonnier ou en intérim. La plupart des familles vivent de la mendicité et de la ferraille. Dans l’espace, ces observations se traduisent par une présence journalière de nombreuses familles qui, selon les liens interfamiliaux et les affinités, partagent des espaces pour des activités telles que la cuisine, les repas mais aussi le travail de ferraille ou de mécanique. Ces mêmes affinités conditionnent aussi le plus souvent la relation avec les ressources partagées, comme l’eau, l’électricité, mais aussi la gestion des ordures, le stockage de ressources ou encore les toilettes. Tous ces éléments, conjugués à la multiplicité des liens affectifs, familiaux et économiques, génèrent tout autant un climat de collaboration que de conflit qui peut être renforcé par la promiscuité.
3.2. RELEVÉ HABITÉ ET TYPOLOGIES DES ESPACES
Le relevé habité est un registre que nous empruntons à la sociologie des espaces habités. Pour le faire, avec l’accord des familles, nous dessinons les espaces de vie à la main, à l’échelle 1/100ème, ce qui nous permet d’aborder le détail des traces d’usage de chaque zone du bidonville et de chaque pièce intérieure. Le processus de dessin prend du temps et nécessite une certaine confiance, car l’objectif de l’exercice est d’obtenir une représentation maximale, ce qui peut être intrusif. En ce sens, l’outil est double, d’une part il crée un moment d’introduction, dans lequel l’équipe de travail rencontre progressivement les habitants et gagne la posibilité legitime d’acceder aux différents espaces, et d’autre part il sert de prétexte pour dessiner un moment éphémère du bidonville, tenant conversations sur la situation actuelle, les intérêts individuels et collectifs, ou les préoccupations des multiples interlocuteurs qui apparaissent tout au long des deux semaines de dessin. Pendant ce temps, alors que l’équipe de Quatorze visitait et représentait l’espace du projet, l’équipe AREA menait des entretiens pour mettre en lumière les ressources des personnes et de la communauté, les connaissances, les passions, les compétences, les groupes d’intérêt, les histoires et les liens qui sont présents dans le groupe humain qui habite le bidonville Zénith 2.
Le résultat de la représentation est une carte de 2,5 mètres de long et 1 mètre de large, avec un registre facile à comprendre pour des personnes peu habituées à interpréter des documents techniques. Il servira également de transition pour les conversations sur d’autres plans, avec d’autres registres, et à d’autres échelles.
CE QUE LE RELEVÉ MONTRE
Pour interpréter le relevé habité dans son ensemble, nous avons identifié différents types d’espaces. D’une part, en tant qu’espaces de vie, nous avons défini les zones de séjour, de dortoir et de cuisine. De l’autre côté, les espaces moins nobles, zones de stockage, espace de rassemblement des déchets ou espaces pour les toilettes.
On peut observer à différentes échelles un effet de centralité et de périphérie, qui peut être interprété comme des espaces servis et servants. Dans les petites compositions familiales, on constate une répartition équitable des espaces entre la cuisine, l’espace nuit et l’espace séjour, généralement accompagnée d’espaces de rangement extérieurs. Cependant, dans les grandes compositions, nous voyons que les espaces de séjour et de cuisine sont partagés dans la centralité, dans des endroits plus ou moins fermés et abrités, générant des organisations un peu plus complexes qui maintiennent le dortoir à la périphérie.
On peut observer la même situation dans les zones d’entrepôts, des vide-ordures ou des accès aux sanitaires, qui apparaissent en périphérie des ensembles familiaux ou du bidonville, laissant les parkings et les zones de circulation ou de loisirs au centre de l’ensemble habité.
La mise en place des grilles nous donne aussi des pistes sur la relation entre la proximité physique et sociale. D’un côté, les familles qui arrivent à mettre en commun des espaces, marquent les délimitations de “son territoire”de façon très claire, et montrent aussi une protection
et une séparation plus évidente avec les voisins proches qui ne font pas partie du groupe. De l’autre côté, ces codes en forme de grille montrent aussi un rapport de force, car les familles qui ont le moins besoin de se protéger, sont celles qui détiennent le plus de pouvoir.
Néanmoins, les groupes finissent tous par se côtoyer à travers des usages extérieurs comme le stock, l’étendoir, l’élevage des animaux ou la grillade.
3.3. UN BIDONVILLE, DES HABITATS DIFFÉRENCIÉS
Le logement ou l’habitat insalubre est un déterminant social de la santé des personnes qui l’habitent, qui affecte transversalement de multiples dimensions de la vie et la croissance des locataires, conditionnant la santé, le bienêtre au quotidien et l’évolution individuelle et familiale à moyen et long terme. Les conditions que l’on observe dans les différents habitats présents dans le bidonville, bien qu’elles ne soient pas homogènes et présentent une grande diversité de pathologies, ont de nombreux points communs. Les infiltrations d’eau dues au manque de couvertures adéquates ou des remontées capillaires (eau qui s’infiltre de bas en haut depuis le sol), combinées à une mauvaise aération et à des matériaux de mauvaise qualité, génèrent des conditions humides qui affectent la pollution de l’air intérieur et l’apparition ou l’exacerbation de l’asthme, des infections respiratoires ou des malaises quotidiens tels que maux de tête, de gorge, diarrhée ou fièvre.
D’autre part, le manque d’installations de chauffage génère des situations de risque
d’incendie et de brûlures dues à l’utilisation de poêles à bois qui surchauffent les pièces mal isolées dans les espaces surpeuplés. Le manque d’eau et d’installations sanitaires entrave une bonne hygiène et une bonne évacuation des eaux usées, vecteur de maladies infectieuses et attracteur pour les insectes et la vermine. Les installations électriques aussi sont un danger important, car les dispositifs de sécurité type disjoncteur ne sont pas habituels, et les connexions sont faites au besoin, sans prendre en compte les risques potentiels. Les effets du surpeuplement sont particulièrement nocifs pour le développement des enfants, car le bruit et la promiscuité rendent difficile le sommeil correct, affectant la sécrétion des hormones de croissance nécessaires au bon développement du corps humain, ce qui entraîne des conséquences désastreuses sur la croissance physique, la maturation du système nerveux et le développement de la mémoire. L’absence de toilettes dans les lieux de vie génère des situations de rétention, notamment chez les femmes, qui peuvent provoquer des infections urinaires systématiques, entraînant des problèmes chroniques à long terme. La défécation à l’air libre comporte également un risque de violence sexuelle, ce qui crée un sentiment d’insécurité, surtout la nuit. Enfin, il faut comprendre que la vie dans un habitat précaire comporte une multitude de tâches qui n’existent pas dans l’habitat normatif, comme trouver du bois pour se réchauffer en hiver, gérer l’approvisionnement d’eau, l’insécurité contre le vol ou le nettoyage continu d’un espace de vie entouré par les ordures, la saleté et la poussière. (Voir Domergue M, Taoussi L. Le mal logement, déterminant sous estimé de la santé. 2016).
FAMILLE I.
Exemple représentatif des constructions en meilleur état au sein du bidonville. Ensemble composé d’une caravane en bon état, dotée d’un réseau électrique fonctionnel, entourée d’une baraque auto-construite avec une structure en bois, qui couvre l’ensemble d’un toit à deux versants terminé par un revêtement en tôle métallique. La toiture déborde de 50 cm, évitant le contact de l’eau de pluie avec la façade. Le faîtage et la sortie de cheminée ont des pièces adaptées, minimisant les risques d’entrée d’eau. La construction est réalisée sur une dalle de béton, surélevée de 10 cm du sol et terminée par un carrelage. La maison a des fenêtres fixes sur la façade, assurant l’entrée de la lumière naturelle, et avec des fenêtres à battants sur les côtés, permettant la ventilation. Les fermetures périmétriques sont faites de planches de bois et n’ont pas d’isolant. L’intérieur est divisé en deux pièces, délimitées par la présence de la caravane, dont l’accès se fait par à travers deux marches installées à cet effet.Un poêle à bois est installé en bon état, entouré de protections métalliques au sol et à proximité des murs. L’espace de la baraque dispose d’un espace dédié à la cuisine avec une cuisinière à gaz, un raccordement à l’eau courante mais pas de raccordement à l’évacuation, qui est géré avec des bassines en plastique. Le réseau électrique est visible et ne comporte pas d’éléments de sécurité tels que fusible ou disjoncteur. La famille partage, avec d’autres familles voisines, une toilette sèche auto-construite, située en périphérie de l’espace habité. Cette construction n’est pas verrouillée et ne comporte aucun élément pour protéger les matières fécales (sciure, cendres ou autres), l’exposant au contact avec des insectes ou des vermines.
FAMILLE L.
Exemple représentatif d’habitat en mauvais état au sein du bidonville. Ensemble composé de deux caravanes en mauvais état disposées en L, et d’une construction fermée en bois, alternant tasseaux et planches, auquel s’ajoute un espace couvert mais ouvert par les côtés en forme d’auvent. La couverture atteint l’étanchéité grâce à la superposition de toiles et de plastiques, qui sont lestés, pour empêcher le vent de les emporter, à travers des objets de natures diverses (pneus, outils à main, matériaux de construction, etc.), générant de multiples zones de risque d’infiltration. La maison est directement en contact avec le sol, sans aucun type de fondation, ce qui génère de l’humidité due à la remontée d’eau par capillarité. Le revêtement de sol est en
linoléum, sur lequel sont superposés des tapis. A part le revêtement intérieur à base de tissus et moquettes, il n’y a aucune présence d’isolant dans les murs et les plafonds, et la plupart des fenêtres sont fixes. La ventilation des pièces est possible grâce aux fenêtres des caravanes et de la porte d’entrée. Les espaces intérieurs sont marqués par les deux caravanes, auxquelles on accède en franchissant deux marches installées à cet effet. Le réseau électrique est apparent, réalisé avec des câbles souples. La construction ne compte pas avec une arrivée d’eau, la famille fonctionne donc sur la base de seaux et des bidons, qui sont amenés des points d’eau communs. La chambre auto-construite et l’auvent servent d’espace de vie et de cuisine, avec une cuisinière à gaz installée dans un meuble de type cabinet. Le poêle à bois intérieur est auto-construit et est entouré de plaques métalliques au sol et aux murs. Une grande table d’extérieur couvre la fonction d’espace de travail, de salle à manger et de cuisine, selon le besoin. Les membres de la famille élargie partagent une toilette sèche auto-construite, exposée aux insectes et aux vermines. Ils n’ont pas d’accès direct aux toilettes, ils utilisent donc également les champs situés en périphérie du bidonville. Comme ils n’ont pas de point d’eau à proximité, ils doivent parcourir 100 mètres pour remplir des bidons d’eau.
FAMILLE R.
Cette construction est représentative des pires habitats au sein du bidonville. La baraque autoconstruite est isolée des constructions environnantes, constituée d’un ensemble disparate de planches de bois et de planches de différentes compositions. La toiture monopente est dirigée vers la façade et contient des éléments d’étanchéité tels que des bâches en plastique et des tôles qui n’empêchent pas complètement l’entrée de l’eau. Ces éléments sont lestés par des roues ou des objets lourds pour éviter d’être déplacés par le vent, cependant la présence d’autant d’éléments sur le pont favorise l’accumulation de saleté et d’eau, qui finit par pénétrer à l’intérieur de la baraque dès qu’il y a des rafales des vents forts. La construction n’a pas de fondation et le contact avec le sol est évité grâce à des couches de linoléum, de tapis et d’autres tissus. Cette solution est également adoptée sur les murs intérieurs, dans le but de faciliter le nettoyage et l’isolation thermique et contre l’humidité. La façade est le seul parement qui permet l’entrée de la lumière naturelle, bien que la seule ouverture permettant l’aération de l’habitat est la porte principale. Un petit auvent fait office de sas d’entrée, et sert à abriter quelque mobilier, à accumuler des palettes en bois ou des objets récupérés. Pour chauffer la pièce, la famille dispose d’un poêle à bois, créé à partir d’un fût métallique et avec un tuyau métallique qui sort par un trou de la toiture. Il est situé sur deux parpaings qui le séparent du sol, mais il ne comporte pas d’éléments qui protègent les murs proches. Des ustensiles de cuisine sont visibles autour de cet espace, et la famille n’a pas d’éléments électroménagers autres qu’un réfrigérateur installé à l’extérieur. Les seuls meubles de la chambre sont quatre matelas, qui s’empilent le jour et se déplient la nuit, et une armoire basse qui sert de table pour cuisiner et manger. Les membres de la famille n’ont pas d’accès aux toilettes, ils utilisent donc les champs situés en périphérie du bidonville. Comme ils n’ont pas de point d’eau à proximité, ils doivent parcourir 100 mètres pour remplir des bidons d’eau.