L’ESPACE ET L’OMBRE Le modelage de l’ombre à travers la lumière naturelle /////////////////////////////////////////////////////////////// Anne-Astrid Martin
Année académique 2011-2012 Promoteur : Jean-Luc Capron, Dr. Eng. Architect Mémoire présenté en vue de l'obtention du Diplôme de Master en Architecture UCL - Faculté d'Architecture, d'Ingénierie architecturale, d'Urbanisme Architecture Saint Luc Bruxelles
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Œuvre d’Adalberto Mecarelli, Volume, Pyramide d'ombre, Atelier rue Monsieur le Prince. Paris, 1974 1
CHAPITRE I – CONSEQUENCES DE L’OMBRE
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L’OMBRE ET L’ESPACE Le modelage de l’ombre à travers la lumière naturelle
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L’ombre et l’espace (le modelage de l’ombre à travers la lumière naturelle)
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REMERCIEMENTS……………………………………………….7 INTRODUCTION……………………………………………......9
LE ROLE DE L’OMBRE……………………………………...13 NAISSANCE ET « EVOLUTION » DE L’OMBRE
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CONSEQUENCE DE L’OMBRE
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NUISANCE OU AIDE A LA PERCEPTION ?
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L’ESPACE DE L’OMBRE……………………………………27 LIMITE ENTRE OMBRE ET LUMIERE
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ESPACE ET TEMPS SEMBLENT ILLIMITES
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L’ESPACE, UN PARCOURS D’OMBRE ET DE LUMIERE
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L’OMBRE, UNE ARCHITECTURE EMOTIONNELLE……....51 IMPORTANCE DE L’OMBRE
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L’OMBRE COMME FORME ET MATERIAU
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OMBRES COLOREES
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CONCLUSION……………………………………………...…69 ANNEXE………………………………………………………71 PLANCHES…………………………………………….………85 BIBLIOGRAPHIE……………………………………….………93
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L’ombre et l’espace (le modelage de l’ombre à travers la lumière naturelle)
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REMERCIEMENTS////////////////////////////////// Ma gratitude va tout d’abord à Monsieur Jean-Luc Capron pour sa disponibilité, son dévouement et ses conseils judicieux en tant que promoteur de ce mémoire. Je le remercie également pour la patience qu’il a eu envers moi. Je tiens aussi à remercier ma famille et mes proches dont le soutien et l’aide au début, au court ou au terme de cette entreprise m’ont permis de réaliser ce mémoire.
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L’ombre et l’espace (le modelage de l’ombre à travers la lumière naturelle)
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INTRODUCTION//////////////////////////////////// Tout au long de notre apprentissage, nous avons pris conscience de l’importance de la lumière naturelle dans l’architecture. Non seulement parce qu’elle est l’outil nécessaire à la construction d’un espace mais surtout par le caractère vivant et symbolique qu’elle nous transmet. Nous parlons sans cesse de cette lumière, mais j’aimerais envisager seulement l’élément considéré généralement comme lui étant inséparable et contradictoire : l’ombre. Hegel, en considérant séparément chacun de ces deux éléments d’un point de vue de la philosophie scientifique leur avait attribué une valeur absolue : le néant. Cette vision étant corrigée par le déterminisme que chaque élément peut apporter à l’autre. « (…) on se représente souvent l’être sous l’aspect de la lumière pure, comme la transparence d’une vision sans ombre (die Klarheit ungetrubten Sehens) et le néant comme nuit pure, et l’on rattache leur différence à cette diversité sensible communément acceptée. Mais en réalité, si l’on se représente cette vision d’une façon plus précise, on peut aisément remarquer que l’on voit dans la lumière absolue ( in der absolut Klarheit) ni plus ni moins que dans l’obscurité absolue. On réalise donc que ces visions –l’une aussi bien que l’autre-, étant visions pures, sont visions du néant. Lumière pure et obscurité pure sont deux vides qui sont la même chose. C’est seulement dans la lumière déterminée, laquelle (la lumière étant déterminée par l’obscurité) peut être désignée comme lumière assombrie, et de même seulement dans l’obscurité déterminée, laquelle (l’obscurité étant déterminée par la lumière) peut être désignée comme obscurité éclairée, qu’on peut distinguer (unterscheiden) quelque chose, parce que seules la lumière assombrie (getrubtes Licht) et l’obscurité éclairée ont la différence en elles-mêmes et par-la sont être déterminé (Dasein). » 2
Pline l’Ancien, L’Histoire naturelle, tr. fr. Ajasson de Grandsagne (paris, 1833), t. XX, pp.61-63 (traduction retouchee) dans Stoichita, Victor-I , Brève histoire de l'ombre, Librairie Droz S.A., 2000, p.8 2
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C’est en partant de ce point de vue que nous avons réalisé ce mémoire. L’étude de l’ombre en architecture n’est toutefois pas une étude sur le néant. L’opposition classique du clair et de l’obscur et l’ombre comme conséquence de la lumière ne sont pas l’objet de notre étude. Celle-ci vise à développer l’ombre en tant que telle. Nous n’envisageons pas non plus ici, une étude expérimentale de l’ombre mais simplement une étude sur l’importance de l’ombre dans notre perception du monde, sur ses conséquences dans la perception visuelle et sensorielle dans un espace. Nous considérons l’éclairage naturel comme un existant et nous parlerons donc uniquement de l’ombre dans ce contexte. Beaucoup d’ouvrages se sont intéressés au comportement de l’ombre dans des réalisations artistiques, mais peu commentent la « vraie » ombre, celle que nous parcourons, celle que nous subissons, celle qui n’est pas accentuée ou atténuée par la main du peintre ou du dessinateur qui tente d’approcher une fausse réalité. Modeler l’ombre dans un espace, par la position des sources lumineuses, par les variations de lumière naturelle, la position du spectateur, c’est apporter du confort physique au lieu, donc créer du bien-être. Il nous faut donc étudier la diversité des ombres. À cette diversité va correspondre une diversité d’ambiances dans les espaces confortables. Mais nous demandons plus à l'architecture qu'un simple confort physique. La perception sensorielle du jeu des ombres va nous permettre d’investir l’espace de manière émotionnelle. Un rapide aperçu des diverses utilisations de l'ombre dans l'architecture révèle des différences radicales dans leurs traitements qui visent à représenter le plus souvent des valeurs impossibles à exprimer sous une forme matérielle. Il y a là un défi extraordinaire pour les architectes, car comment pourraient-ils utiliser de façon créative un amas de lumière, alors que ce rayonnement ne peut être saisi ou travaillé avec les mains? La lumière ne peut même pas être vue, à moins qu'elle ne soit dirigée vers l'oeil humain, ou renvoyée par un objet, ou filtrée par la fumée ou la brume. Pour surmonter cette difficulté, les constructeurs ont eu recours à la modulation, inventant un répertoire d'éléments permettant de maîtriser, sculpter l’ombre d'une manière qui va au-delà de ses propriétés physiques sans y porter atteinte. Toits et murs,
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ouvertures et finitions, écrans et membranes ont pris la forme d'instruments d'optique capables d'arrêter ou de laisser entrer, de focaliser ou de disperser, d'absorber ou de réfléchir la lumière, mais aussi d’apporter l’ombre là où les architectes le souhaitent et quand ils le souhaitent, avec l'intensité ou la fréquence qu'ils désirent. Il s'agit d'un jeu, d'un dialogue, d’un parcours d’ambiance crée par l’architecte.
C’est pourquoi compte tenu de ce qui précède, nous parlerons successivement des aspects physiques de l’ombre, de l’espace qui lui est dévolue dans ces relations avec la lumière. Nous développerons enfin, en y attachant une importance particulière, l’aspect psychologique, le ressenti, sous le titre : l’ombre une architecture émotionnelle.
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Gregory R (1970) “The intelligent eye” Photo: RC James
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CHAPITRE I – LE ROLE DE L’OMBRE – naissance et évolution de l’ombre
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LE ROLE DE L’OMBRE /////////////////////////////
« Tu ne vois que ton ombre lorsque tu tournes le dos au soleil ». !
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Khalil Gibran4
Citation de Khalil Gibran, Le sable et l’écume, 1926.
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NAISSANCE ET « EVOLUTION » DE L’OMBRE/////////////////////// L’ombre5 trouve son origine dans une défaillance de la lumière visible. L’ombre est perçue comme un vide dans le corps de lumière mais sans l’ombre, la lumière et les couleurs ne seraient qu’une masse uniforme qui nous éblouirait à défaut de nous éclairer. L’ombre est une dégradation ou plutôt une diminution de la lumière et des couleurs, elle les divise et les modifie et le dernier degré, le noir, est une privation totale ou partielle de lumière. Plus techniquement, « la lumière est le flux d unités d’énergie massiques (photons) émis par une source de rayonnement »6 qui forme un spectre et la lumière que l’on voit se réduit à la partie intermédiaire du spectre (Visible car nos cellules rétiniennes se sont adaptées).7 On remarque alors que lorsque les photons rencontrent des surfaces opaques, quand ils passent à travers des surfaces transparentes (verres et eau), des trous, ou franchissent des arrêtes tranchantes, ils ont un comportement étrange qui engendre des ombres. Les photons prennent la route la plus économique (ligne droite) mais génèrent des complications lorsqu’ils rencontrent des milieux complexes. « …, dans la réalité du monde, parsemé de choses et d’autres, il est des inégalités, des interruptions du flux , presque des « des trous dans le corps de la lumière ». Ce sont les ombres. » L’ombre est donc dans un premier cas la conséquence de la quantité de lumière que rencontre une surface, c’est une déficience comme l’appelle Michael Baxandall. Dans un second cas c’est une variation dans la quantité de lumière réfléchie d’une surface vers l’œil. Selon Leonard de Vinci, il existe trois formes de déficiences ou d’ombres (Éclairement du visage) :
Ombre :1. Zone sombre créée par un corps qui intercepte les rayons lumineux. 2. Reproduction sombre et plus ou moins déformée d’un corps éclairé. 3. Apparence d’une chose Petit Larousse 1998 5
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Baxandall, Michael, Ombres et lumières, Ed. Gallimard, 1999, p.11
Je ne développerai pas plus ici la notion de lumière, ce qui nous entraînerai à sortir du contexte.
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-La surface cachée par une autre surface ou solide qui est ainsi maintenue dans l’ombre, (l’ombre du nez qui est projetée sur le dessus de la lèvre) -la surface qui se dérobe à la lumière, (le dessous du nez ou du menton) -la surface qui est directement exposée engendre des zones plus ou moins ombrées , selon son angle d’orientation par rapport à la source « Une surface directement exposée de plein fouet à la source de la lumière recevra, manifestement, une lumière plus intense qu’une surface à angle aigu par rapport à ladite lumière » 8
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Baxandall, Michael, Ombres et lumières, Ed. Gallimard, 1999, p.11-12 D’après Leonard de Vinci, Lumière tombant sur un visage, Bibliothèque du Vatican, Rome, Codex Urinas Latinus, f 219, recto. Yale University Press 8 9
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Le terme courant que l’on utilise, l’ombre, porte souvent à confusion car elle est en effet beaucoup plus subtile que cela. Les trois sortes d’ombres que l’on vient de distinguer sont communément nommées : ombre portée, ombre attachée ou propre et ombrage (dégradé). Autrement dit, une ombre existe par la relation entre: La source de lumière positionnée, un solide positionné et formé, et un support positionné et façonné (une surface réceptrice). Nous verrons par la suite que certains facteurs modifieront la forme d’ombre : l’extension ou la concentration de la source, le medium que traverse la lumière en direction du solide, la position et la forme des surfaces de réflexion, la texture et la teinte de celle-ci et du solide, et surtout la position du récepteur. Toujours selon Baxandall, qui examine l’ombre selon les théoriciens du XVIIIeme siècle, il faut distinguer également « …les différentes formes de sources de lumières, les différentes qualités d’éclairement et les différentes qualités de surface frappée par la lumière. » 10 pour pouvoir déterminer quelle sorte d’ombre il s’agit.
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Baxandall, Michael, Ombres et lumières, Ed. Gallimard, 1999, p.15
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Schéma explicatif de l’ombre issu de http://e.guimberteau.free.fr photographie de Nyima Marin, «Séville, août 2008.», issue de http://photos.blogs.liberation.fr
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CONSEQUENCES DE L’OMBRE//////////////////////////////////// La première réponse à cette interrogation est le vide, une absence de lumière, un trou noir…le néant d’Hegel. L’ombre est un endroit dans lequel on ne voit rien. Mais l'ombre peut être un endroit par lequel la lumière est dévoilée. L’ombre, c’est le creux de la lumière. Alors, est-ce une présence ou une absence ? Certains voient en elle une trace au sol, une délimitation, un lieu où ce n’est pas éclairé. Ils voient la ligne entre la lumière et l’ombre comme une absence de lumière. L’ombre est pour eux une absence, pas un plein. C’est un creux, un creux de lumière. Pour d’autres, c’est une substance impalpable qui existe, puisqu’elle est la réponse (et pas la conséquence) de quelque chose de tout aussi impalpable: la lumière. Et nous l’avons dit, c’est un lieu, elle est là, autour de nous, c’est une partie à part entière du monde dans lequel nous vivons, donc présente. Celle-ci n'est jamais absente. En effet l’étonnant de l’ombre c’est qu’elle n’existe pas, et pourtant sans sa présence, la lumière n’accéderait pas à la profondeur ni à l’éclat qu’on lui connaît. C’est ce qui est tout en n’étant pas. C’est le nécessaire contrepoids du plein, de cette présence qui finit pas occuper tout l’espace si rien ne vient à creuser autour. L’ombre, c’est la respiration de la lumière. Elle révèle quelque chose: une présence, un mouvement, ou un bruit de notre imagination, ce qu’elle révèle nous échappe et est si impalpable, tout en étant si présent. Et puis elle peut avoir un caractère paisible. En architecture, l’ombre permet par exemple de nous protéger du soleil. Selon les régions et les pays, les architectes, depuis l'Antiquité, cherchent à diminuer ou augmenter les parties de la maison ou de la cité qui seront à l'ombre. De plus l’ombre n’est pas un non-être, n’est pas rien car sinon comment alors pourrions-nous parfois en avoir peur ? Dans l’obscurité, nous perdons nos repères, nous sommes perdus et
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c’est cette inconnue qui fait naître en nous la peur. En même temps l’ombre sublime la lumière. L’ombre ne fait pas que donner naissance à une suite de pleins et de vides, elle fait naître en nous des sentiments, en même temps qu’elle donne à voir la lumière.
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illustration issue de http://legroupement.com Photographie intitulée Présence-Absence, issue de http://talent.paperblog.fr
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NUISANCE OU AIDE A LA PERCEPTION ?////////////////////////// Le mot Ombre signifie pour les anciens, écriture avec de la lumière. Les ombres sont un jeu de couleurs, d'éclairage qui aide à la perception des structures, et de la position d'un objet par rapport à la source de lumière. En est-ce vraiment ainsi ? L’ombre nous aide-t-elle à percevoir la profondeur d’un objet ou au contraire nous trompe-t-elle sur la forme ? D’après Christian Boltanski (plasticien), « l’ombre est une duperie : ce n’est qu’une minuscule figurine de carton, mais elle apparaît grande comme un lion. L’ombre est la représentation en soi d’un deus ex machina. C’est dans ce sens que l’ombre m’intéresse, puisqu’elle est le théâtre luimême, dans le sens de son artifice (…) ce que j’aime encore dans les ombres c’est leur caractère éphémère. D’un moment à l’autre elle peuvent disparaître… » 15 Comme Baxandall le souligne dans sa réflexion, n’est-il alors pas envisageable que l’ombre soit en premier lieu un obstacle illusoire et dans un second seulement une source d’information utile complémentaire ? Prenons un exemple tiré du livre Perception de Irvin Rock pour illustrer ses propos. Nous observons le Mont Rushmore ; les têtes des présidents apparaissent en 3 dimensions, même lorsque nous nous éloignons au point où tous les autres détails deviennent imperceptibles. C’est l’ombre attachée, résultante de la profondeur, qui nous permet de reconnaître les figures. L’ombre attachée est la plus importante pour percevoir la forme d’un volume. Pourtant les ombres projetées ne sont pas complètement inutiles. En effet lorsque nous étudions une perspective, l’ombre projetée d’un objet nous aide à donner sa position exacte dans le plan et ainsi nous aide à reconstruire la profondeur de celui-ci (Position de l’ombre connue donc position de l’objet connue).
Boltanski, C., Inventar (hambourg, 1991), pp.73-75 dans Stoichita, Victor-I , Brève histoire de l'ombre, Librairie Droz S.A., 2000, p.220. Cette citation ne parle que de l’ombre portée, mais nous la tenons pour compte de toute les autres. 15
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Illustration issue de Rock, I., La perception, Ed. De Boeck, 2000, p.77 Lorsque le contraste de l’ombre est diminuée sur la photo du bas, les visages semblent plats et indifférenciés 16
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Sans l’ombre, l’objet peut se situer n’importe ou dans l’espace. L’ombre projetée ne nous renseigne donc pas directement sur la forme, mais contribue à la perception dans l’espace. Il y a autre chose encore, la présence de l’ombre se trouve partout où nous déposons notre regard, c’est un fait. Les objets que nous observons sont composés de creux et de reliefs et sont tous ombrés d’un coté selon la provenance de la lumière. Mais comment arrivons nous à faire la différence, comment arrivons nous à dire s’il s’agit de l’un ou de l’autre ? Si nous connaissons la direction de l’éclairement, c’est simple, nous différencions creux et bosses sans peine. Mais si nous n’avons pas conscience de la provenance de la lumière, notre œil reconnaît tout de même les formes. Cela vient, d’après les nombreuses études faites à ce sujet par Baxandall et bien d’autres, du fait que de manière innée notre œil est guidé par la lumière qui vient du haut. « Ainsi, nous percevons des régions en relief lorsque l’ombre est en bas, et des régions en creux lorsque la lumière est en haut. » 17 C’est une vision des choses qui devient naturelle dans notre système de perception visuelle parce que c’est comme cela que se comporte la lumière dans laquelle nous nous développons. En réalité ce que nous voyons, nous le lisons car il est ancré dans notre mémoire mais ce n’est pas réellement grâce aux ombres. Dans tout ce que nous construisons en tant qu’architectes, nous avons également enregistré dans notre esprit la place à donner aux ombres pour obtenir les volumes souhaités. Mais nuançons ce que nous venons d’exposer : l’ombre attachée renseigne sur la profondeur des formes (le relief total des surfaces) et l’ombre projetée renseigne sur la profondeur de l’espace ou encore sur les contours individuels de la forme. Sur la photo du chien, il s’agit de toutes les formes d’ombres accentuées et sans nuances. Nous aurions besoin de faire la différence entre elles pour comprendre la forme et les volumes
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Rock, I., La perception, Ed. De Boeck, 2000
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Illustration issue de Rock, I., La perception, Ed. De Boeck, 2000, p.79 Perspective dans laquelle l’ombre projetée détermine la position de l’objet dans la profondeur du plan. 19 photographie issue de l’article Les rivières de Mars ont bien coulé... mais se sont asséchées très vite, par Jean Etienne, Futura-Sciences « La position de l’ombre détermine si les régions qui la produisent sont perçues en relief ou en creux ». La photo de la région dénommée Xanthe Terra, qui montre les traces d'un confluent de deux rivières asséchées. Deux images (positif/négatif), pour que notre cerveau interprète le relief en creux. 18
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de l’image. Nous en déduisons qu’une ombre trop exagérée ne nous renseigne en rien. En réalité quand nous voyons une ombre nous en lisons les contours, la progression et les discontinuités de luminances. Une ombre aidant à la perception n’est pas un vide, c ‘est une variance de teintes obscures. Ce que l’on peut dire pour conclure c’est que s’il n’y a pas de nuances, cela nuira à notre perception du réel.
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Illustration retouchée, issue de www.energieplus-lesite.be Photographie de Gregory R (1970) “The intelligent eye”, Photo: RC James dans Baxandall, Michael, Ombres et lumières, Ed. Gallimard, 1999, p.53 20 21
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Extrait de la video Clair obscur planant, « Un couloir, un contre-jour, une silhouette qui se démultiplie sur une musique de Radiohead... », Artiste inconnu. 22
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L’ESPACE DE L’OMBRE////////////////////////////
« Le blanc, qui ne voit ni lumière incidente, ni lumière reflétée, est celui qui perd d’abord dans son ombre sa propre couleur naturelle, si l’on peut parler de couleur pour le blanc. Mais le noir augmente sa couleur dans les ombres, et la perd dans les parties éclairées, et il la perd d’autant plus quand la partie éclairée est vue sous une lumière de plus grande puissance. » - Léonard de Vinci23
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Citation de Leonard de Vinci, Lemaire, G.G, Le Noir, Paris, Ed. Hazan, 2006, p.81
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LIMITE ENTRE OMBRE ET LUMIERE ?//////////////////////////////// Imaginons que nous sommes dans un endroit complètement baigné de lumière, dans un éblouissement le plus total. Nous serions perdu et sans repères, exactement comme si nous étions plongés dans le noir complet. Lorsque l’obscurité apparaît dans cet endroit, nous commençons à percevoir l’espace, nous sommes capables d’évaluer les formes et le relief qui le caractérise. Dans de nombreux ouvrages concernant les techniques de rendu de l’ombre et de la lumière, il est en général expliqué que l’ombre est le produit de la lumière. C’est une erreur souvent commise, elle provient du fait qu’un objet éclairé paraît projeter son ombre sur une surface, comme nous l’avons expliqué ci avant. En réalité, ces deux composantes ont même force. « L’obscurité est toujours présente, la lumière ne fait que la faire reculer. Sur chaque partie d’un objet éclairé par une source lumineuse, l’ombre cède la place à la lumière, pour un temps. » 24. C’est un combat constant entre ombre et lumière. L’ombre prend naissance là où la lumière s’arrête, mais cette frontière, comment la déterminer précisément ? Une intense lumière divise l’espace en deux zones opposées mais complémentaires, la première se situe dans l’ombre, la deuxième en pleine lumière. La coupure est nette ainsi que le contour des objets. En réalité, ce n’est pas exactement selon cette théorie que cela fonctionne. Entre ces deux contraires se crée un panel d’états, un dégradé d’ombres. Lorsque nous nous tenons en plein soleil, une partie des rayons lumineux produits par celui-ci est stoppée par notre corps, les autres rayons poursuivent leur trajectoire rectiligne. Une ombre apparaît là ou les rayons ne parviennent pas. Le contour plus ou moins flou de l'ombre recevant en partie des rayons est appelée pénombre.25 texte provenant du site www.123atelier.com, pour maitriser le rendu des ombres. « Pénombre : (du latin paene presque et ombre), lumière faible, demi jour. Etat d’une surface incomplètement éclairée par un corps lumineux dont un corps opaque intercepte en partie les rayons », Petit Larousse, 1998. 24 25
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De façon plus précise, si la source lumineuse est étendue (exemple : le soleil ou toutes sources de lumière naturelle) tout les points qui composent la source, produisent chacun un cône d'ombre et une ombre portée sur un écran. Si la source n'est pas largement étendue, et si l'objet est assez proche de l'écran, on observe sur la surface une zone où aucun rayon n’aboutit (l'ombre), une zone où une ombre, provoquée par des points de la source, est également éclairé par d'autres point (la pénombre) et le reste de l'écran éclairé par tous les points de la source. Ainsi, l'ombre d’un corps éclairé par le soleil, « est entourée d'une pénombre d'autant plus grande que l'objet est éloigné du mur; l'angle maximal entre les rayons issus des bords opposés du Soleil est de ! degré. ».26
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Extrait issu d’un cours explicatif sur les ombres, issu de http://physique.paris.iufm.fr Schéma explicatif de la pénombre, issu de http://physique.paris.iufm.fr
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Nous distinguons ici l’ombre pure de la pénombre et c’est cette dernière, qui pour nous est le véritable caractère de l’ombre, un entre deux incertain qui nous dévoile le monde. L’architecte s’aventurant dans cette esthétique a commencé à vouloir créer de nouveaux scénarios d’ambiances fondés sur de subtiles nuances de graduations lumineuses mais cela était difficile sans pouvoir maîtriser le nom de ces nuances. En anglais, par exemple, il n’a jamais été facile de nommer avec précision les valeurs de clair-obscur. C’était d’autant plus difficile qu’avec le même terme, on cherche à différencier la semi obscurité, le demi jour, la pénombre... En termes physiques, la pénombre est en effet décrite comme une zone partiellement éclairée, comprise entre celle complètement éclairée et celle qui est dans l’ombre, qui se forme lorsque la source lumineuse n’est pas ponctuelle. On peut donc avancer dans un cas ou dans l’autre, qu’il y a beaucoup de lumière ou beaucoup d’obscurité, mais on ne peut assurément pas soutenir qu’il y a “beaucoup de pénombre”. La notion de pénombre n’appartient donc pas à la dimension quantitative de la lumière, comme ce “presque” (paene) de la racine latine semble confirmer. “Presque” exprime par contre une dimension qualitative. En effet, la pénombre n’est pas l’intermédiaire entre lumière et obscurité. La pénombre existe comme condition de frontière, comme niveau de seuil. Elle n’existe pas s’il n’y a pas de lumière pleine. L’existence toujours plus usuelle de la pénombre dans le domaine de l’architecture contemporaine n’est donc pas la conséquence d’une déficience, due à l’absence de quelque chose, mais elle est le choix significatif d’un projet assuré, capable d’englober et de domestiquer le plus grand nombre d’états. Il existe en architecture moderne, des oeuvres qui ont utilisé la pénombre comme un volume de lumière. Durant cette période, une des premières formes de pénombre utilisée par les architectes voulant attenter à l’esprit de transparence à tout prix, fut la lumière diffuse. L’emploi de verre éliminant la vue
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Maison de Verre (Paris), par Pierre Chareau et Bernard Bijvoet (1928-31), issue de http://mocabsaadi.blogspot.com 29 Chiesa Mater Misericordiae, Baranzate (Milan), par Bruno Morassutti (1957), issue de http://www.ymag.it 28
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mais pas la lumière, pour tamiser la « pénombre ». Un exemple est celui de la Maison de Verre par Pierre Chareau et Bernard Bijvoet (1928-31) à Paris, dans laquelle le verre armé est capable de protéger l’intimité des propriétaires comme une peau et de garantir une lumière laiteuse. D’autres architectes utilisent des matériaux hétérogènes avec différents degrés de transparence à la lumière, tels des écrans ou des verres translucides. L’église de Mater Misericordiae par Angelo Mangiarotti à Baranzate (1957) constitue un exemple extraordinaire. Ce bloc à caractère industriel à l’intérieur duquel l’ombre se dessine. Mais dans cette esthétique, tant bien même elle varie de gradients chauds à des tonalités glaciales, la pénombre aplatit la profondeur, ne dessine pas la texture et semble ne pas avoir de direction. Elle procure un degré de luminosité homogène, une pénombre visible sans reflet ni éblouissement et parfois transforme le bâtiment luimême en bloc laiteux. (Autres exemples : galeries d’art : la Kunsthaus de Peter Zumthor à Bregenz (1997) et le Pavillon Rodin de Kevin Kennon à Seoul (1997).) Pourtant d’autres esthétiques permettent d’utiliser différents degrés de pénombre dans un même espace et ainsi de jouer sur l’épaisseur de la pénombre. Le jeu de la pénombre peut être vu comme une peau dans laquelle existe plusieurs niveaux. La couche plus extérieure est fine et laisse pénétrer la lumière jusqu’aux couches les plus profondes, plus épaisses et plus denses. Pour ceux qui font de la plongée sous-marine, la perception que nous avons sous l’eau est proche de cette définition (l’eau permettant d’accentuer cet effet). Nous ne pouvons savoir ce qu’il advient entre les couches puisque nous avons à faire à une matière impalpable et que l’on ne peut nommer, mais en architecture ce moyen est utilisé car il est capable d’éveiller la sensibilité, et non seulement celle du regard. Il s’agit en effet d’une dimension sensorielle de la pénombre, qui pénètre dans un bâtiment, « un “in-between” inclus entre deux couches : l’une translucide et l’autre complètement absorbante. » 30. La pénombre est un « un paysage lumineux », un « sfumato ». Extrait de l’article dans Barbara, Anna, The culture of penumbra/2, The architecture of diaphanous shadows. In Somfy Effects Dossier Thematique 3, January, 2005 30
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Le sfumato signifie évanescent, avec une notion d'enfumé : ce mot dérive de l'italien fumo, la fumée. C'est une technique de peinture que Léonard de Vinci mit au point, et décrivit comme « sans lignes ni contours, à la façon de la fumée ou au-delà du plan focal ». C'est un effet vaporeux, obtenu par la superposition de plusieurs couches de peinture extrêmement délicates, qui donne au sujet des contours imprécis1. Petit Larousse, 1998. 32 Puit de lumière du baptistère de l’église Santa Maria, (Portugal), par Alvaro Siza, dans Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p.212 33 Photographie représentant le « sfumato » en tant que paysage lumineux, issue de http://espritdelaterre.blogspirit.com 31
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ESPACE ET TEMPS SEMBLENT ILLIMITES///////////////////////////// Toute oeuvre architecturale est pensée puis construite en fonction des effets de lumière solaire. Ce sont les pensées ou les sensations produites par l’observation de ces effets (ombres) qui orientent l’architecte dans son choix. Le respect des positions solaires et les différences d’intensité lumineuses et de contraste harmonisent un lieu et l’action qui s’y déroule. Ainsi nous constatons qu’en hiver, le soleil, a un angle allant de 0 degré (à l’aube) à 17 degré ( 21 décembre, midi) ; les ombres projetées ont alors une très faible importance étant donné qu’elles engendreront une projection de l’objet seulement égale à quatre fois sa véritable hauteur. Lors d’un éclairage estival ; l’angle du flux lumineux naturel avec la Terre varie de 0 degré à 64 degrés, au zénith. Les ombres projetées seront, dans ce cas à moitié plus petites que l’objet qui les crée. 34 Entre l’aube, le zénith et le crépuscule, l’intensité de ces ombres varie donc constamment. Le jeu des ombres projetées s’intensifie puis se déforce au fur et à mesure de l’évolution du soleil. 35 Le jeu des ombres varie en directivité, en surface et en densité, selon les flux de la lumière naturelle, créant une alternance de clair-obscur indissociable du milieu environnant qui joue un rôle très important selon les matériaux qui le composent. Ce facteur «temps » (saison, heure) implique par la suite un choix plus important : une prise de position esthétique. En effet une lumière diffuse n’engendrera pas le même effet qu’une lumière directe. D’après ce qui vient d’être exposé, on pourrait croire que tout éclairage solaire n’offre que deux aspects opposés, le directionnel et le diffus. L’éclairage solaire offre en réalité dans sa course journalière comme saisonnière des effets divers mêlant diffus et directionnel selon les mutations de l’atmosphère. En conclusion l’éclairage solaire crée un flux lumineux qui, de la position horizontale à la position verticale, engendre des jeux d’ombres horizontaux, diagonaux et verticaux marquant Alekan, Henry, Des lumières et des ombres, Ed. du collectionneur, p.31 Capron, Jean-Luc, « Pour une nouvelle approche de l’éclairage architectural », Architecture UCLouvain-St-Luc Architecture- Site de Bruxelles 2010-3, p.68 34 35
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l’écoulement du temps. La nature offre aux architectes dans cette relation continue, des éclairements exclusifs brefs (aube et crépuscule) et d’autres plus long au cours de la journée engendrant une ribambelle d’ombres et de pénombres. Il y a ainsi deux manières de décrire les ombres, d’une part nous parlons de l’ombre projetée déterminée par le flux solaire, d’autre part de l’ombre projetée définie par son environnement, par son espace. La première est une ombre modifiée en directivité, en densité, en surface. L’ombre n’existe que momentanément par l’objet qui l’a fait naître et en est la reproduction impalpable mais visible et changeant de forme et de texture, se métamorphosant selon les variations de la lumière solaire ; L’ombre est le rappel constant de la présence solaire, elle fixe l’objet ou le bâtiment et tourne autour de lui dans un déplacement permanent, pointant l’inéluctable passage du temps. La deuxième manière décrit l’ombre projetée en relation étroite avec le lieu dans lequel elle évolue. Ce rapport de force varie constamment selon la position du soleil dans l’espace. Plus l’ombre prend de l’importance, plus l’espace se trouve minimisé et inversement. Les ombres, dont le caractère est évanescent37, fugitif et progressif, apparaissent comme une présence impalpable. Trajectoire du soleil dans l’hémisphère nord, issue de http://www.lauvray-gilles.eu Évanescent : caractère de ce qui est évanescent, qui disparaît par degrés, qui s’efface peu à peu, qui ne dure pas, Petit Larousse, 1998. 36 37
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Sous l'influence de la lumière, les lieux s'éclairent ou s'assombrissent, semblant s'endormir et se réveiller au fil du temps. Ces perturbations permettent à l'architecture de dépasser ces limitations physiques et de refléter les rythmes de notre vie. Cette façon qu’on les ombres de sculpter des espaces plus grands est étonnante, « l'univers vient nous habiter ». Si autrefois les architectes utilisaient dans les lieux sacrés la lumière à des fins purement spirituels et uniquement guidée par le rythme naturel, aujourd’hui ils tentent de contrôler ce rythme. Autrement dit, ils se servent du rythme naturel pour en créer un nouveau et ainsi animer un espace. Grâce au travail d’une étudiante38, s’appliquant à interpréter et classifier les ambiances lumineuses en interaction dynamique dans l’espace, nous avons pu prendre connaissance des philosophies de certains architectes. Parmi les architectes contemporains, Tatao Ando réussit parfaitement à inonder de soleil ses bâtiments à des moments prédéterminés de la journée, et utilise ces flots de lumière aussi bien dans une maison , un bureau et une chapelle (maison Kochino, Jun portisland building, temple de l'eau). Par l’utilisation de ces phénomènes Ando recherche un sentiment du passage du temps éphémère. Steven Holl , un autre architecte utilisant la notion de durée dans le maniement de la lumière, se sert de maquettes pour tester le passage du soleil provenant de plusieurs interstices et dont les rayons s'enroulent autour des angles des murs ou du sol. La conception du Musée de la ville de Cassino, par Steven Holl , a nécessité l’utilisation de modèles physiques et de lumière , afin de bien suivre la séquence et les transitions spatiales organisées comme des emboîtements des sections lumineuses. La lumière naturelle projetée est modelée sous forme de dessins géométriques à l’intérieur de l’ombre. L’architecte se sert des percées et des fissures dans le mur pour introduire la lumière et pour décomposer celui-ci. Certaines projections lumineuses renforcent formellement les ombres et ainsi les formes. D’autres agissent
Biron, Karole, dynamique forme/lumière, mémoire présenté à la faculté des études supérieures de l’université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences de l’architecture pour l’obtention du grade de maître en sciences (m.sc.); 2008 38
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indépendamment de celles-ci créant parfois une confusion. Holl décompose volontairement les formes, par des orientations lumineuses bien ciblées, et des notions de clair-obscur franche, appuyant le concept de rythme et de partition. Ces tentatives d’architectes pour concrétiser le temps grâce aux modifications des ombres par la lumière s'appuient sur un ensemble d'idées développées par la philosophie (Henri Bergson, concept de la durée réelle)42. La durée réelle, telle que la vit notre conscience, possède son rythme propre et est très différente du temps du physicien qui est identique pour Illustration des différentes phases de la lune dévoilant des zones d’ombres selon le cycle naturel du soleil. 40 Séquence lumineuse dans la salle de séjour de la maison Koshino par Tadao Ando, dans Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p.21 41 Partition Lumineuse pour le musée municipal de Cassino par Steven Holl, dans Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p.23 42 Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p.20 39
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tous. Un grand nombre des ces idées ont trouvé leur plus belle expression dans l'architecture scandinave, notamment en Finlande où l'art de la construction s'est développé autour des rythmes extrêmes de la lumière du nord. Les architectes finlandais, Eric Briggmann et Alvar Aalto ont cherché à magnifier et faire entrer leur ciel changeant à l'intérieur de leur bâtiment. Alvar Aalto a inventé différentes techniques pour suivrent les modulations de l’ombre: des ailes en éventails du santorium de Painio (1933), aux briques de l'hôtel de ville de Säynätsalo (1952) déposées légèrement en biais pour attraper le soleil dans sa course. Chez l'architecte Leiviskä, les espaces entre les murs sont prolongés pour intercepter le soleil à des moments particuliers, ces interstices sont regroupés en sections rythmiques. « La « durée » finlandaise atteint son apogée artistique avec les églises contemporaines de Juha Leiviskä ( …). S’y déploie une maîtrise des phénomènes mouvants (…) : on pourrait appliquer à la lumière de Leiviskä l’expression d’Andrei Tarkosvski décrivant le travail du cinéaste : « sculpter le temps ». Les effets les plus lents de Leiviskä naissent de la projection sur les murs blancs des couleurs changeantes du ciel, dont les tons sont si subtils et si progressifs qu’on ne peut les saisir que sur la durée d’une journée. » 43 D'autres architectes mêlent lumière et temps comme en Espagne. Alberto Campo Baeza avec ces maisons prêt de Cadice où il ne jouent pas seulement avec les matériaux mais aussi avec l'ombre et la lumière sous l'intense soleil méditerranéen. Il utilise une série de trouées pour ouvrir les volumes à de multiples points de la course du soleil: fenêtres de toit (lumière zénithale), claires voies pour capter les rayons diagonaux, fenêtres basses pour recueillir la lumière horizontale. Shoei Yoh a lui, dans la Light-lattice House (qui signifie « treillis de lumière ») procédé différemment. Il n’ouvre pas en certains points du passage du soleil, mais fait pénétrer la course entière du soleil au sein d’un volume. Tout au long de la journée, la maison voit défiler ses ombres selon un quadrillage lumineux projeté par le soleil. Les ombres glissent lentement autour de 43
Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p. 21
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Centre paroissial de Kirkkonummi de Juha Leiviskä, Finlande, issues de Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p. 20 45 Séquence lumineuse de la maison Guerrero de Alberto Campo Baeza,, Espagne photographies issues de Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p. 42 44
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chaque pièce et suivent la progression du soleil. Les ombres sont tranchées, nettes jusqu’au moment où les distinctions s’effacent. La marche imperceptible du temps est révélée par ces coordonnées inscrites dans le volume. Au Japon , en général, le rythme de la lumière naturelle prend une place très importante par l’introduction de l’espace temps au sein d’un parcours à l’intérieur d’une maison ( ceci est développé dans le chapitre suivant.) 46. En conclusion, le mouvement des ombres, ce balancement entre des zones de fort contraste et des zones de faible contraste suivant les aléas de l’atmosphère créent une architecture souple et mobile. L’ombre comme la lumière n’existent que par leur rencontre avec la matière qui provoque des sentiments dont la puissance et la persistance sont liées au solaire.
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Capron, J.L, Huysmans, M.H, « architecture du Thé -Espace du Thé », le pavillon de Thé : Architecture et céramique, Musée Royal de Mariemont, Morlanwlz, 2001, p.56, « En fonction des caractéristiques de lumière saisonnière, l’ambiance lumineuse désirée est atteinte par ajustement de la taille des percements dans les parois verticales ou par l’ouverture du panneau protecteur… » 46
Photographie de la Light-lattice House de Shoei Yoh, Japon issue de Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p. 21 47
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L’ESPACE, UN PARCOURS D’OMBRE ET DE LUMIERE//////////////////////////////////////////////////////////
Pour expliquer cette mise en scène de l’architecture par l’ombre et la lumière, nous allons prendre comme exemple trois parcours spatiaux racontés dans des architectures différentes. Le premier dévoile les idéaux de l’architecture mexicaine par certains projets de Barragan, le second ceux de Louis Kahn et le troisième, ceux de l’architecture japonaise. « La conception architecturale de Barragan se caractérise par plusieurs constantes. Ces constantes se manifestent ainsi dans la recherche d’un dépouillement essentiel, obtenu par la géométrisation des plans et des volumes, dans la traduction d’une intériorité, liée au traitement de l’ombre et de la lumière, dans l’expression d’une dualité créée par la dynamique spatiale » 48 Sa conception spatiale se distingue par le fait qu’il fait coexister confinement et ouverture, fragmentation et fluidité. Les espaces sont divisés de manière séquentielle, rythmés par l’ombre et la lumière. À travers un parcours minutieusement orchestre, au centre duquel le visiteur se tient ( murs, Lumière, couleurs…), il donne un caractère scénographique à l’espace. Bien que la couleur ait une grande importance dans son travail , nous nous intéressons ici seulement à l’importance qu’il donne à l’ombre dans la construction. Barragan travaille l’ombre par la lumière comme un outil de transformation de l’espace et lui attribue une valeur émotionnelle. « Elle initie et oriente le déplacement » explique Danièle Pauly dans son livre sur Barragan. Dans certaines de ses maisons, le regard se porte en premier lieu vers un halo de clarté dans le hall d’entrée provenant d’un escalier ou d’un caisson lumineux.
Pauly, Danièle, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture, p.153 48
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Pauly, Danièle, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture, maison Pietro Lopez à Mexico, p. 165 49
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Chaque maison a sa propre organisation spatiale, mais toutes développent un parcours qui s’étend du petit au grand, « d’une partie enfermée en une autre, ouverte, du sombre au plus éclairé. ». Chacune des séquences est étudiée par rapport à la dimension des volumes et par les variations de lumière naturelle. L’architecte choisit de jouer avec l’intensité de plusieurs sources d’éclairage naturel, il va de l’éblouissement, ponctuel et maîtrisé à l’ombre la plus dense. L’espace devient dynamique, le visiteur suit ces tonalités différentes de pénombre au fur et à mesure qu’il pénètre dans la maison. Au cours de son déplacement, l’homme se heurte à des détours, des changements de direction, des passages plus étroits, des sas, il change également de niveaux et il est lié à un jeu d’alternance, de prise de pouvoir tantôt par l’ombre, tantôt par la transparence. Certains espaces se relient de façon fluide avec une continuité progressive dans la luminosité, d’autres introvertis se dévoilent après le passage d’une porte et dans un autre degré de pénombre. Le but de Barragan est de théâtraliser véritablement l’espace à partir d’un scénario. Danièle Pauly reprend dans son livre un exemple qui matérialise très bien cette notion. La maison Pietro Lopez à Mexico. « le scénario spatial est imaginé selon une suite de halos lumineux et de zones ombrées ». Dans chacune de ses séquences, l’ombre est travaillée grâce aux ouvertures comme une matière indispensable. « Ainsi, à la luminosité intense de la cour d’entrée s’oppose la pénombre du couloir d’accès, de plain-pied avec l’extérieur ; le seul éclairage ponctuel provient des rayons diffusés de manière zénithale au travers de lamelles de bois dans l’angle du vestibule. Ce passage restreint et bas, débouche sur un grand hall en double hauteur, anime à son extrémité par une zone lumineuse, dont la source n’est visible que depuis l’entrée. La profondeur de ce volume est accentuée par le dégradé de lumière qui module la pénombre. Le halo émane d’une fenêtre latérale haute (…). Dans le hall, le parcours, qui trouve trois directions possibles, est ainsi attiré par cette partie éclairée.(…), la silhouette filiforme d’un ange, dû à Mathias Goeritz, se découpe dans la pénombre et constitue un centre visuel. (…) En gravissant cet escalier majestueux, l’espace du séjour puis celui des pièces
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successives se dévoilent progressivement, et la pénombre est transpercée de larges plages lumineuses (…). De même les grandes baies, qui éclairent le séjour sur trois cotés et alternent avec des plans d’ombres, cadrent le paysage (…). » Barragan arrive ainsi à sculpter l’entièreté de sa composition au cœur de ses maisons, par des percées lumineuses dans l’épaisseur de la pénombre. Grâce à la maison atelier, un autre de ses projets, on peut répertorier la plupart des modes d’éclairage que Barragan a déjà imaginé dans ses autres réalisations pour atteindre à une maîtrise parfaite du modelage de l’ombre :
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Pauly, Danièle, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture, maison Pietro Lopez à Mexico, p.169 51 Pauly, Danièle, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture, maison Pietro Lopez à Mexico, p.167 50
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Arrivée directe et indirecte par une source latérale, captation ponctuelle par une ouverture zénithale, diffusion calculée et variable par un système de volets intérieurs, diffusion tamisée par des voilages, ou des verres peints, diffusion réfléchie sur les murs par des ouvertures à l’angle et enfin diffusion modulée par des paravents. Aussitôt rentré dans la maison, une ambiance de pénombre nous isole de la luminosité extérieure. À partir de là, nous entrons dans un nouveau scénario dans lequel sfumato, obscurité et lumière intense se succède. Dans cette composition Barragan a concentré sa recherche sur la pénombre qui « accentue la profondeur de l’espace et donne une sorte d’épaisseur au silence » 52.Il crée un univers d’ombre et de sérénité dans lequel baignent les meubles et les objets. Le travail de Louis Kahn peut sembler proche de celui de Barragan. Ses bâtiments sont élégants, mais construits avec des matériaux bruts. Ses constructions modernes s’inspirent de formes anciennes. Ses bâtiments aux fonctions laïques comportent des espaces sacrés. C’est une architecture de silence, dont les formes géométriques de base et les murs massifs dénudés rendent les bâtiments à leur plus simple expression, et provoque par la même occasion la contemplation. Ses volumes rythmés d’imposantes masses se définissent par les ombres et lumières. On reconnaît dans son travail un bel exemple de contraste, « Chaque pièce est définie, selon lui, par sa structure, sa lumière spécifique et sa forme, marquant la force de son identité. L’espace n’est pas ici un vide, mais une alternance de matière-lumière « matière de l’espace » et de matière solide « non-lumière ». Ainsi, lumière et non-lumière décrivent l’espace comme un continuum.». A travers la stabilité des volumes et l’uniformité des surfaces on assiste à la création d’un parcours lumineux. Cette impression est accentuée par l’infiltration de la lumière par de nombreux interstices qui séparent les structures et les formes. Les volumes monolithiques, les masses simples, les formes géométriques constituent des éléments visuellement forts et bien affirmés par les contrastes. En effet, la lumière du jour et les ombres fortes, Pauly, Daniele, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture, p. 52
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Illustration issue de Pauly, Daniele, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture, maison atelier, p.180 54 Illustration issue de Pauly, Daniele, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture, maison atelier, p.181 53
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orientées par la structure du bâtiment, définissent bien les masses, apportant contraste à l’ensemble. L’architecture japonaise est une bonne conclusion à ce chapitre. Le parcours (Kotei) dans une maison traditionnelle se fait par une succession d’événements dans la profondeur de l’espace, il se divise en sous-espaces organisés selon une progression dans le temps, définissant des espaces plus ou moins intimes.55 La salle de thé (chashitsu) en est le terme final. « Aux franchissements correspondent des paires sémantiques telles que le public/privé, extérieur/intérieur et sale/pur. Tandis que la relation clair obscur ponctue le parcours et atteint son paroxysme perceptif dans le chashitsu, aboutissement du cheminement. » 56 C’est le ma (espace-temps ou intervalle entre eux chose) qui guide le parcours. La pénombre pénètre dans le volume pour y créer une profondeur imaginaire ressemblant à la luminosité de leurs îles et le contraste rythmé entre le noir et le blanc se fait par les jeux d’espaces entre l’intérieur et l’extérieur. Le noir de la maison révèle cette profondeur qu’ils aiment tant et la lumière du jour arrive par l’intermédiaire des jardins et pénètre de manière indirecte dans la maison à travers les Shoji.57 58/ 59 (photgraphies ci-contre) La dynamique espace/lumière/ombre forme un tissage serré, toujours actif sous l’influence du rythme cosmique. Parfois c'est la lumière qui retient l'attention ou encore c’est la présence de l’ombre qui façonne le caractère particulier de l’espace. Ombre et lumière constituent l’ambiance lumineuse, sans être nécessairement des éléments d’attention. Mais en résumé c’est selon une architecture d’ombre rythmée dans le temps et dans l’espace que l’émotion apparaît.
Berthet-Bondet, Isabelle, 20 maisons nippones, un art d'habiter les petits espaces, Ed. Parenthèses, p. 56 Capron, J.L, Huysmans, M.H, « architecture du Thé -Espace du Thé », le pavillon de Thé : Architecture et céramique, Musée Royal de Mariemont, Morlanwlz, 2001, p.53 57 un sh!ji est une paroi ou une porte constituée de papier translucide monté sur une trame en bois. Les sh!ji sont généralement désignés comme des portes coulissantes et conservent un espace qui serait nécessaire pour une porte à charnière. 58 Illustration issue de Biron, Karole, dynamique forme/lumière, mémoire présenté à la faculté des études supérieures de l’université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences de l’architecture pour l’obtention du grade de maître en sciences (m.sc.); 2008 59 Photo de l’article Thé au Taizo-in ... l'éloge de l'ombre ..., issue de http://www.japonasiemute.com 55
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Église de la lumière, Ibaraki, Osaka, 1987-1989, par l’architecte Tadao And!
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L’OMBRE, UNE ARCHITECTURE EMOTIONNELLE//////////////
« La maison contient le corps qui à son tour, contient l'esprit. » -Tadao Ando61
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Ando, T., Du béton et autres secrets de l'architecture, Paris, L'Arche Éditeur, 2000
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IMPORTANCE DE L’OMBRE//////////////////////////////////////// L’ombre va moduler notre perception du réel. Elle est révélatrice de sentiments, selon sa répartition, ses nuances, ses modulations, ses vibrations et ses rythmes. C’est ce jeu du clairobscur, cet échange rythmique, entre la disposition des surfaces destinées aux lumières et celles destinées aux ombres, cet échange entre les intensités des lumières en fonctions des densités des ombres qui est porteur d’une émotion visuelle. Et nous l’avons remarqué, cette alternance gagne en émotion lorsqu'il est observé dans une portion de l’espace, plutôt que dans toute l’étendue (scénario). Ce jeu de contraste se retrouve particulièrement dans les oeuvres de Le Corbusier, Kahn et de Ando. On parle ainsi d’ambiances lumineuses différentes au long du parcours, que l’on peut nommer aussi atmosphère. L’atmosphère est souvent décrite comme une présence simultanée du clair et du mystérieux, et l’atmosphère, qu’est ce sinon que le ressenti d’un lieu. « « l’Esprit Saint viendra sur vous et la vertu du Très Haut vous couvrira de son ombre » (Luc, I, 35). Et pour bien comprendre en quoi consiste cette production d’ombre de Dieu, cette obombration, ces splendeurs, car ces expressions sont synonymes, il faut se représenter que chaque chose produit et projette une ombre selon sa forme et sa propriété. S’il s’agit d’un objet opaque et obscur, l’ombre sera obscure. Si au contraire l’objet est transparent et subtil, l’ombre sera subtile. De façon que l’ombre d’une chose ténébreuse sera noirceur, et celle d’une chose claire sera une autre clarté de même nature. Or lorsqu’il se fait que les vertus et attributs de Dieu, comme lampes allumées et resplendissantes, se trouvent très proches de l’âme ainsi que nous l’avons dit, ils ne peuvent manquer de la toucher par leurs ombres ; ces ombres, elles aussi, seront lumineuses et resplendissantes en proportion des lampes qui les produisent, et de la vient que ces ombres seront des splendeurs ».62 Par cet extrait du livre de Pierre Kauffmann, qui explique les principes de l’ombre, nous comprenons bien qu’il existe une 62
Kaufmann, Pierre, L'expérience émotionnelle de l'espace
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dimension mystique qui se rattache à celle-ci. L’ombre n’est pas qu’un phénomène physique qui donne à voir mais elle est aussi l’idée d’une protection divine ou de ténèbres. Sa dimension immatérielle, son caractère changeant, son invisibilité et son rapport avec le temps -cycle de la vieexpliquent sa fascination sur l’homme. L’architecture de Barragan nous l’a très bien fait ressentir, il fait appel à des valeurs émotionnelles ( illustration n.50) qui viennent renforcer son parcours de l’espace. « Je crois en une architecture émotionnelle » soutient-il d’ailleurs. L’émotion que nous développons face à l’ombre dépendra alors de son type. Selon que la lumière soit diffuse ou directionnelle, les ombres et les effets créés ne sont pas les mêmes. Par exemple, dans le monde occidental, des émotions telles que l’angoisse apparaissent sous une lumière blême. Il y a donc les ombres franches avec des sentiments précis et les ombres incertaines, sorte de « sfumato » qui englobe les volumes et les choses, suscitant une atmosphère paisible. Par exemple, l’éclairage lunaire est rassurant et « mystérieux et poétisant dans la mesure où il unifie et stylise les formes en les enrobant d’un voile monochromatique. » 63 Mais le développement dans le monde occidental du fait de vouloir tout éclairée et de faire de l’ombre un égal de la peur et de la saleté a corrompu l’esthétique de l’émotion dans le monde japonais. Heureusement existent encore des architectes comme Tadao Ando qui perpétue les principes énoncés par Tanizaki. Dans L’éloge de l’ombre, Tanizaki expose également l’importance de l’ombre mais dans la culture et l’esthétique japonaise. Il nous montre comment l’ombre rend si harmonieuse une maison, un pavillon de thé, une salle de bain ou même la nourriture japonaise. Il nous parle de shoji , et de toko no ma , des éléments qui permettent à l’ombre d’avoir une grande importance dans la culture japonaise. Il nous raconte comment l’ombre joue un rôle important dans les spectacles japonais , sur les vêtements et même pour les femmes
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Alekan, Henry, Des lumières et des ombres, Ed. du collectionneur, p.87
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Sorte de « sfumato » qui englobe les volumes et les choses, suscitant une atmosphère paisible. Par exemple, l’éclairage lunaire est rassurant et « mystérieux et poétisant dans la mesure où il unifie et stylise les formes en les enrobant d’un voile monochromatique. » 65 Photo de l’article Thé au Taizo-in ... l'éloge de l'ombre ..., issue de http://www.japonasiemute.com 64
CHAPITRE III – OMBRE EMOTIONNELLE – Importance de l’ombre
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japonaises. Cette esthétique de l’ombre n’est pas qu’une esthétique visuelle mais aussi sensuelle et émotionnelle. Il explique que l’esthétique japonaise c’est avant tout l’absence de lumière mais pas totale, c’est-à-dire la pénombre qui permet de transmettre une ambiance intimiste et mystérieuse. À un moment, Tanizaki nous parle du monastère de Kyoto et de sa volonté de construire un lieu semblable en émotions, destiné à accueillir des clients. Une ambiance paisible que l’on peut également retrouver dans leurs lieux d’aisance. L’auteur consacre une grande partie à ces lieux qui sont emplis de sérénité grâce au jeu de pénombre dans les galeries qui y mènent ou au bain de lumière douce des shoji. D’après lui, un lieu trouve sa grâce pour autant qu’il y ait « une certaine qualité de pénombre, une absolue propreté et un silence tel que le chant d’un moustique offusquerait l’oreille. »66 Il y va même à porter ces lieux au sommet de l’esthétique japonaise qui devraient être des lieux d’inspiration pour toute architecture. L’ombre qui auparavant n’était qu’on moyen physique pour se protéger de la lumière devient un moyen d’approcher des volontés esthétiques et de procurer ainsi de l’émotion. «Mais ce que l’on appelle le beau n’est d’ordinaire qu’une sublimation des réalités de la vie, et c’est ainsi que nos ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l’ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l’ombre en vue d’obtenir des effets esthétiques.»67 . Autrement dit, le peu de luminosité que l’on laisse pénétrer dans les lieux japonais prend une dimension totalement différente ; l’ombre acquiert une dimension mystique et mystérieuse68, elle n’est plus une « clarté » insignifiante mais une qualité rare, une pesanteur singulière. L’ombre et la lumière jouent avec le spectateur, comme si celui-ci perdait la notion du temps, comme dans un rêve.
Tanizaki, Junichirô, L’éloge de l’ombre, Paris, POF, 1977 Tanizaki, Junichirô, L’éloge de l’ombre, Paris, POF, 1977, p.51 Capron, J.L, Huysmans, M.H, « architecture du Thé -Espace du Thé », le pavillon de Thé : Architecture et céramique, Musée Royal de Mariemont, Morlanwlz, 2001, p.56, « qualité du jeu d’ombre et de lumière génère lors du Chaji (cérémonie du thé]. » 66 67 68
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Photographie représentant l’atmosphère calme et paisible d’un intérieur japonais dans Berthet-Bondet, Isabelle, 20 maisons nippones, un art d'habiter les petits espaces, Ed. Parenthèses, p.26 70 un sh!ji est une paroi ou une porte constituée de papier translucide monté sur une trame en bois. Les sh!ji sont généralement désignés comme des portes coulissantes et conservent un espace qui serait nécessaire pour une porte à charnière, issue de http://olivier.thereaux.net 69
CHAPITRE III – OMBRE EMOTIONNELLE – Importance de l’ombre
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Dans ce livre, nous avons l’impression que l’ombre n’est plus l’ombre mais une suite de poèmes sur le papier, l’architecture, la cuisine, les femmes mises en beauté par la pénombre.
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L’OMBRE COMME MATERIAU ET FORME ////////////////////////// Pour façonner le monde, pour en déterminer le comportement, pour comprendre comment il fonctionne, comment il est bâti, pour savoir dans quelles directions il faut le lire, pour retrouver des repères, enfin pour en comprendre tout simplement la forme, nous nous servons continuellement de l’ombre. Inconsciemment ce phénomène d’une grande complexité joue un grand rôle dans la perception visuelle et donc dans notre approche du monde. Le monde contemporain a eu tendance à oublier l’importance de l’ombre. « Tadao Ando nous fait remarquer que depuis l’introduction massive de l’éclairage artificiel de l’ère industrielle, les grandes zones d’ombres ont généralement disparu de l’architecture, perdant leur pouvoir d’attraction au profit d’un certain statisme »71. De plus l’usage des matériaux translucides et des formes libres ont éliminé la production d’ombre au profit d’une architecture très éclairée telle qu’on la retrouve à la Glass House de Philip Johnson. Pourtant si l’on veut donner aux espaces et aux volumes un pouvoir d’attraction, nous avons toujours besoin de la dialectique entre ombre et lumière. Utilisée en excès, la transparence amoindrit et fait perdre leur pouvoir d’attraction aux larges zones d’ombres, elle nous donne le ressenti d’une certaine rigidité. « D’une manière générale, la vue d’un objet étincelant nous procure un certain malaise. » 72 L’espace serait considéré comme très lumineux seulement si il est renforcé par des zones d’ombre intense ; autrement dit, l’ombre ne s’offrant à la vue qu’en présence de la lumière, les conceptions les plus remarquables sont celles qui savent orienter la lumière dans le bâtiment, l’impact de ces interventions étant davantage lié à une volonté de considérer la lumière autrement qu’un simple ajout fonctionnel. Travaillant l’espace à partir de multiples points de vue, ces architectes transforment leur bâtiment en laboratoire d'ambiance. Il faut réellement attacher de l’importance à l’ombre si on veut
Biron Karole, dynamique forme/lumière, mémoire présenté à la faculté des études supérieures de l’université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences de l’architecture pour l’obtention du grade de maître en sciences (m.sc.); 2008 72 Tanizaki, Junichirô, L’éloge de l’ombre, Paris, POF, 1977 71
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Glass House de Philip Johnson, issue de http://architecture.myninjaplease.com
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donner de la force, de la sensibilité et du dynamisme aux concepts architecturaux. Sans l’ombre, on le redit, il ne peut y avoir de perception, de forme, de repère, de profondeur. La nature serait informe. Il y va de même en architecture, l’ombre permet de sculpter les espaces et d’acquérir une silhouette. Il y la lumière comme matière pour façonner les espaces, c’est le concept que défendait Le Corbusier en 1923 dans son ouvrage Vers une architecture (nous, nous parlons d’ombre comme matière pour façonner les espaces) mais il y a l’ombre comme matière pour façonner une émotion. Si on parle de l’ombre selon sa forme alors elle dépend de la forme de l’objet qui intercepte la lumière et de la position de la source lumineuse. L’architecture, comme obstacle au flux lumineux, acquiert ainsi sa forme. Il est intéressant d’étudier les ombrages propres, produit par une structure mais nous nous intéressons aussi à l’étude de la forme de l’ombre portée sur le sol en fonction de la lumière changeante traversant cette structure. L’ombre propre et projetée ne nous renseignent donc ainsi que sur les contours individuels de la forme tandis que la forme par ombrage nous renseigne sur le relief total des surfaces. L’architecte utilise donc l’ombre aussi en tant que représentation d’une absence, en tant que motif. Il joue entre source, éclairement, surface et atmosphère dans laquelle on se trouve. Selon Baxandall, les sources lumineuses se permettent de modifier ce motif. Elles sont fonction de leur direction et de leur rayonnement. Il existe des sources ponctuelles, des sources élargies, des sources non-directionnelles (supposant des réflexions infinies de la lumière par les surfaces ambiantes, ce qu’on appelle lumière ambiante.). Les sources ponctuelles produisent de l ‘ombre au contour net, les sources élargies produisent des ombres au contour plus doux. La source varie également par son intensité (le flux, la radiance (luminance), l’irradiance) et par sa teinte (atténuation en fonction du degré de directionnalité ( diffuse ou localisée) et de la distance) Il explique aussi que l’illumination d’un objet (éclairement) est déterminée par la source mais par aussi trois autres facteurs :
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Le médium (atmosphère), le medium de transmission des surfaces réfléchissantes vers l’œil et l’illumination globale (interaction entre la lumière et les surfaces) Mais la forme de l’ombre dépend aussi de la surface sur laquelle elle vient se déposer. La surface réfléchit la lumière vers l’œil ou d’autres objets (plans avec multiples facettes) et produit la texture visuelle. Certaines ont des structures qui réfléchissent plus de lumière que d’autres (surface de Lambert et spéculaire) On parle du degré de distribution de la lumière. Les surfaces isotropes ou anisotropes, elles, sont liées à la direction de la réflexion. Une ombre existe donc par la relation entre: La source de lumière positionnée , un solide positionné et formé et un support positionné et façonné ou une surface réceptrice. D’autres facteurs modifieront la forme d’ombre : l’extension ou la concentration de la source, le médium que traverse la lumière en direction du solide, la position et la forme des surfaces de réflexion, la texture et la teinte de celle-ci et du solide et surtout la position du récepteur. Tout cela pour expliquer que les architectes se servent des ombres comme motifs décoratifs en se retrouvant dans un système bidimensionnel. L'ombre de pare-soleil, de ferronneries et divers objets architecturaux est utilisée par les architectes comme élément de décor, mouvant dans l'espace et le temps. Dans l’église Mater Misericordia de Bruno Morassutti, dans laquelle l’architecte a disposé entre deux vitres, des plaques de polystyrène qui produisent une lumière tamisée et mystique, l’ombre d’arbres qui l’entourent , se dessine discrètement sur le contenant et devient une décoration murale à voir de l’intérieur. Avec un telle approche, une poésie s’installe comme dans un théâtre d’ombres chinoises. Elles bougent, s’animent et racontent une histoire. La surface sur laquelle elles viennent se promener devient leur scène de spectacle et de danse et le spectateur subjugué par ces effets, conçoit l’espace comme un terrain de jeux dans lequel il laisse aller son imagination.
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Chiesa Mater Misericordiae, Baranzate (Milan). par Bruno Morassutti (1957), dans Barbara, Anna, The culture of penumbra/2, The architecture of diaphanous shadows. In Somfy Effects Dossier Thematique 3, January, 2005 75
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Écran solaire a palma de Majorque de Martinez Lapena-Torres Arquitectos, dans Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009, p. 23 77 Lieux d’aisance qui sont emplis de sérénité grâce au jeu de pénombre dans les galeries qui y mènent 76
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OMBRES COLOREES////////////////////////////////////////////// Jusque-là, nous avons abordé l’ombre strictement dans le milieu naturel, mais il est intéressant de l’étudier lorsqu’elle porte un lien avec un élément artificiel. L'ombre propre et l'ombre portée sont noires quelque soit la couleur de la source. Toutefois l’architecte peut jouer sur la coloration de l’ombrage ou multiplier le nombre de sources pour accentuer ou matérialiser la spiritualité d’un lieu. Certains architectes utilisent la couleur pour sublimer une pénombre et renforcer l’aspect théâtral d’un espace. La couleur permet de créer une densité plastique et de donner une atmosphère plus évocatrice (coucher de soleil, crépuscule…). En jouant sur plusieurs sources de couleurs différentes, nous pouvons provoquer un dégradé qui multiplie les zones et les émotions dans un même lieu et grâce aux parois conçues comme réflecteur de lumière, l’intensité de la pénombre colorée varie. La force expressive et suggestive de la couleur, alliée à l’ombre provoque ainsi des qualités spatiales et émotionnelles encore plus intenses. Bien sûr, cela Barragan l’a bien compris, il en est d’ailleurs l’inventeur. Décidément, il reprend tous les éléments qui font de l’espace une dynamique : ombre, murs et couleurs. La chapelle de Tlalpan au Mexique est un des exemples les plus exceptionnel. L’architecte a créé ici un espace contemplatif qui se trouve être un « espace à émouvoir ». Barragan exploite les murs comme des écrans lumineux qui jouent avec la « substance physique » de l’ombre et qui sont liés aux sensations profondes, mystérieuses et enchantées qui vont au-delà des apparences concrètes. La Chapelle de Notre Dame du Haut à Ronchamp par Le Corbusier est une œuvre tout aussi impressionnante. Sa forme sculpturale, convexe et concave présente des surfaces texturées accrochant la pénombre en de multiples tonalités. Les petites ouvertures sont à la fois des formes qui ponctuent l’espace, puisque l’ombre est interrompue par la lumière qui s’y concentre, et sont aussi des percées pour suivre l’évolution du temps. Les ouvertures constituent des cavités. Les formes de lumière deviennent des dessins sur l’ombre. On peut ainsi contempler à l'intérieur de la chapelle de nombreuses phases
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Illustration issue de Pauly, Daniele, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture, , chapelle de Tlalpan au Mexique, p.219 79 Chapelle de Tlalpan au Mexique, Illustration issue http://rossoboundary.blog15.fc2.com 78
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différentes de l’ombre, saisies chacune à un moment différent du flux et du reflux de l'énergie et de la couleur. 80/ 81(Photographies
ci-contre)
Ce procédé utilisé par ces deux architectes est le vitrail. Par le verre, les ombres prennent ainsi une texture et deviennent plus perceptibles. « L’interaction de la lumière naturelle avec les matériaux qu’elle traverse ou sur lesquels elle se réfléchit, la fait littéralement vibrer. Dans le verre à vitre ancien, les bulle d’air et déformations surfaciques, formées lors du soufflage et façonnage du verre, réfractent et diffractent les rayons de lumière naturelle qui pénètrent à l’intérieur de la pièce. Ce qui avec les variations temporelles, peut générer des effets similaires à ceux crées par la réfection spéculaire de la lumière sur une surface d’eau en mouvement. … » 82 En architecture, il est souvent difficile d’obtenir des ombres colorées autrement que par ce système ; les ombres colorées, engendrées par une réflexion de la lumière sur une surface colorée, étant beaucoup plus difficiles à obtenir. Artistes et architectes ont donc appris à utiliser également des éclairages artificiels pour renforcer les ombres colorées : James Turell, Olafur Eliasson, Carlos Cruz-Diez...
Chapelle de Notre Dame du Haut à Ronchamp par Le Corbusier, issues de http://global.designdb.com 80 80
Capron, Jean-Luc, « Pour une nouvelle approche de l’éclairage architectural », Architecture UCLouvain-St-Luc Architecture- Site de Bruxelles 2010-3, p.66-67 82
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CONCLUSION///////////////////////////////////// Parfois nous oublions la beauté des choses qui nous entoure. L’Ombre est de prime abord, moins séduisante que la lumière. On lui rattache des notions souvent négatives ou péjoratives. Nous espérons, au cours de toutes ces pages, vous avoir convaincu au contraire, de l’importance de l’ombre mystérieuse et riche de ce mystère. Grâce à l’exploration de l’Ombre, grâce à l’étude de son influence sur l’espace qui la contient ou qui la crée, nous avons fait la connaissance des différents facteurs qui influent sur sa perception : le type de source, le type de surface, le medium, la qualité de l’Ombre, sa concentration, sa mobilité dans le temps. Ensuite nous avons pu observé au long de parcours architecturaux, les différents effets que ces facteurs produisent, cette fois ci en compagnie de la lumière naturelle : un rythme spatial, un rythme temporel, un lieu focal, une atténuation, une directionnalité. Cela nous a fait prendre conscience de l’importance du langage ombre/lumière à l’échelle de la pièce et du parcours, car c’est par ce dernier, que nous percevons le plus souvent un espace. En effet, les ombres appuient la troisième dimension de l’architecture : la profondeur. Elles permettent de contraster ou d’adoucir selon leur caractère. « La pénombre (…) favorise l’introversion. Elle adoucit les traits de la pièce, les harmonise. » 83 Donner de l’Ombre ne permet pas seulement de comprendre un lieu, cela suscite également une réflexion et un sentiment, aidé par la lumière. Une grande partie de l’ambiance que l’ombre dégage, dépend de la qualité de son expression et du contexte. Le clair-obscur est une matière qui peut donner vie, chaleur, et intimité à un lieu ou au contraire le rendre morne, froid, anonyme, il nous semblait donc important de définir, dans la mesure du possible (infinité de la pénombre), ces ombres afin d’être attentif à l’effet final produit. Ce mémoire nous a permis, d’abord, de découvrir la part du langage riche (émotionnel et physique) de l’Ombre et de Capron, J.L, Huysmans, M.H, « architecture du Thé -Espace du Thé », le pavillon de Thé : Architecture et céramique, Musée Royal de Mariemont, Morlanwlz, 2001, p.50-57 83
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comprendre que l’atmosphère dans laquelle nous vivons est en réalité une de ses composantes constantes. Il tente ensuite de nous proposer des solutions pour maîtriser ce langage afin de donner vie à un parcours, Toutefois l’étude reste ouverte, car la liste de ces effets ne se limite pas à celle proposée. En effet, notre sensibilité varie dans l’espace et dans le temps, en fonction de nos connaissances et de notre culture. L’ombre est un outil qui demande une sensibilité toute particulière ; depuis des siècles les hommes vivent sous le rythme de l’ombre et de la lumière naturelle, et les architectes ont bien compris l’utilisation qu’ils pouvaient en faire (composition spatiale, création d’ambiances) Nous nous sommes attachés à l’observation des phénomènes naturels. Aujourd’hui, mais ce n’était pas l’objet de notre étude, nous disposons de moyens techniques importants pour recréer des ambiances artificielles. Il serait intéressant, pour prolonger la réflexion, d’observer les effets d’ombre sous une lumière artificielle et ainsi de les comparer à ceux qui ont été vu dans cet ouvrage, de montrer comment l’éclairage artificiel s’y module ou s’y oppose afin d’engendrer des émotions que l’on ne peut pas concevoir sans l’électricité. Mais peut-on atteindre à la spontanéité des ambiances naturelles ? En tout cas une chose est certaine, malgré toutes nos volontés pour les désunir, « il n’y a pas de lumière sans ombre »84.
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Citation de Louis Aragon
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ANNEXE//////////////////////////////////////////// Lors d’un précédent travail sur la lumière, nous avons effectué un très sommaire et incomplet inventaire des différents modes de luminosité en fonction de différents types d’ouverture. Ces tableaux sortent du seul cadre de l’ombre, mais peuvent toute fois être utiles à la compréhension des effets de pénombre et de clair-obscur obtenus, c’est pourquoi je les joins en annexe. Notre étude se base sous forme de tableaux dans lesquels sont répertoriés tous les effets de perceptions produits selon différentes lumières décrites précédemment et uniquement avec une ouverture zénithale. Elle sert à définir les effets lumineux prédominants avec tels ou tels types d’ouvertures. Ainsi en se basant sur la luminosité d’un espace, c’est-à-dire, sur son ou ses ouvertures, et le rapport entre la lumière et l’ombre, nous allons pouvoir distinguer les ambiances puis les effets lumineux produits. Mon travail expérimental s'appuie sur base de différentes boites avec différentes formes d'ouverture zénithale, positionnée par rapport à plusieurs orientation. Cette analyse évalue la morphologie, le contraste, la distribution et l'intensité de la lumière sur des surfaces, en rapport aux différentes ouvertures. Ainsi ceci nous permettra de mieux visualiser chaque effet que l’ombre engendrée par la lumière provoque sur nous. L’expérience est illustrée par des exemples concrets.
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Dans ce premier tableau, nous reprenons simplement les ouvertures zénithales « types » pour en montrer la différence d’atmosphère. De plus, nous avons expérimenté la lumière en éclairage diffus et en éclairage direct. Selon que la lumière soit indirecte ou directe, le contraste est plus ou moins élevé. Nous avons travaillé avec des boîtes sous un ciel artificiel.
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Nous reprenons ici les effets de la lumière naturelle à travers trois principales ouvertures étudiées dans le tableau précédent et nous les combinons avec les facteurs espace-temps et l’orientation de l’ouverture. Il s’agit des effets de lumière projetée selon la position de l’ouverture et suivant la course du soleil.
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Ce tableau reprend en fonction de la superficie de l’ouverture, les effets de contraste lumineux. La superficie des ouvertures agit directement sur le contraste. Nous constatons que le contraste est plus élevé dans le cas des petites ouvertures et dans celui d’une lumière directe.
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À partir d’exemples concrets, nous tentons ici de définir suivant tel ou tel type d’ouverture les effets lumineux prédominants. Nous ne tenons pas encore en compte le fait qu’il s’agisse d’un éclairage direct ou indirect, cette étude est alors tout à fait préliminaire. Chaque type d’ouvertures produit donc un ou plusieurs effets spatio-lumineux dont nous allons donner les définitions. • Unification de l’espace : elle provient en général du fait que la lumière est renvoyée dans la pièce de façon très homogène par l’ouverture et/ou par les parois réfléchissantes ; c’est une lumière indirecte. • Partition de l’espace : la lumière rend la perception de l’espace séquentielle par un jeu de variations d’intensité. • Agrandissement de l’espace : les surfaces très légèrement éclairées, voir pas du tout, rendent les limites de l’espace difficilement perceptible. • Rétrécissement de l’espace : une surface trop éclairée paraîtra plus grande et nous fait ainsi croire qu’elle est plus proche de nous. L’espace se voit rétrécir. • Création d’un lieu focale : ce phénomène provient lorsqu’on vient trouer un mur dans une pièce sombre. Il provoque un éblouissement. • Accentuation d’une direction : la lumière vient souligner des lignes directrices de l’espace. • Création d’une dynamique : alternance de lumière et d’ombre qui suggère un rythme. • Création d’une hiérarchie : chaque partie d’une construction est éclairée différemment et se distingue par rapport à l’ensemble. • Accentuation de la forme : les formes de l’espace sont accentuées soit parce qu’elles sont positionnées directement dans un faisceau lumineux, soit par des motifs lumineux, soit lorsque la lumière vient marquer leur silhouette. • Dissolution de la forme : aucune distinction entre les formes et la lumière. • Création d’une ambiance de pénombre : jeu entre l’ombre et la lumière qui vient la transpercer. • Création d’une ambiance de lumière : la lumière est partout donc nulle part • Création d’une ambiance de trop plein de lumière : lumière envahissante, voir écrasante
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PLANCHES///////////////////////////////////////////// Pour raconter les effets de l’ombre en architecture nous nous sommes cantonnés à des exemples précis, mais nous aurions pu encore parler du travail de Peter Zumthor ou de bien d’autres. C’est pourquoi nous joignons quelques photographies à la suite de ces conclusions pour illustrer davantage l’espace et l’ombre ou plutôt l’espace de l’ombre. Par ordre d’apparition 85 : -Peter Zumthor, KOLUMBA MUSEUM, à Cologne, Allemagne -Peter Zumthor, KOLUMBA MUSEUM, à Cologne, Allemagne -Peter Zumthor, BRUDER KLAUS KAPELLE, à MechernichWachendorf Allemagne -Peter Zumthor, Etude sur l’atmosphère dans DOMINO DE PINGUS WINERY, à La Horra, Espagne -Peter Zumthor, LES THERMES DE VALS, à Vals, Suisse -Peter Zumthor, LES THERMES DE VALS, à Vals, Suisse -Tadao Ando, 21-21 DESIGN SIGHT, à Tokyo, Japon -Fernando Menis, HOLY REDEEMER CHURCH, à Tenerife, Espagne -Le Corbusier, CHAPELLE DE NOTRE DAME DU HAUT, à Ronchamp, France -Heinrich Tessenow, NEUE WACHE, à Berlin, Allemagne
Sources : http://www.arcspace.com http://www.lecourrierdelarchitecte.com http://europaconcorsi.com http://www.plataformaarquitectura.cl http://www.hgb-leipzig.de 85
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BIBLIOGRAPHIE//////////////////////////////////// LIVRES Alekan, Henry, collectionneur
Des
lumières
et
des
ombres,
Ed.
du
Baxandall, Michael, Ombres et lumières, Ed. Gallimard, 1999 Berthet-Bondet, Isabelle, 20 maisons nippones, un art d'habiter les petits espaces, Ed. Parenthèses Binet, Hélène, Brandi, Ulrike, et Al., The secret of the shadow, light and shadow in architecture, Berlin, Deutches Architektur Museum, 2002 Botton de, Alain, L’architecture du bonheur, ed. Mercure de France, 2007 Cheng, Francois, Vide et plein ; le langage pictural chinois, Ed. du Seuil, 1991 De Herde, A. , Reiter, S., L ’éclairage naturel des bâtiments, architecture et climat, faculté des Sciences appliquées, Université Catholique de Louvain Jungmann, J.P, Ombres et lumières ; un manuel de trace et de rendu qui considère l’architecture comme une machine optique, Paris, Ed. de la Villette Lemaire, G.G, Le Noir, Paris, Ed. Hazan, 2006 Mannoni, Laurent, Le grand art de la lumière et de l’ombre, Paris, Ed. Nathan, 1995 Milner, Max, L’envers du visible ; Essai sur l’ombre, Paris, Ed. du Seuil, 2005
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Pauly, Daniele, Barragan ; L’espace et l’ombre, le mur et la couleur, Birkhauser -Ed. d’architecture Plummer, Henry, Les architectes de la lumière, Paris, Ed. Hazan, 2009 Rock, I., La perception, Ed. De Boeck, 2000 Stoichita, Victor-I , Brève histoire de l'ombre, Librairie Droz S.A., 2000 Tanizaki, Junichirô, L’éloge de l’ombre, Paris, POF, 1977 Dictionnaire du Petit Larousse, 1998.
MEMOIRES Biron Karole, dynamique forme/lumière, mémoire présenté à la faculté des études supérieures de l université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences de l architecture pour l obtention du grade de maître en sciences (m.sc.); 2008 Hooreman Dimitri – Lumière en façade [entre l'effet spatial et l’effet lumineux], ISA SAINT LUC, Bruxelles – 2008 Meert Géraldine, la matérialité de la lumière, Institut Supérieur d’Architecture Saint Luc, 2008-2009
SYLLABUS CAPRON, Jean-Luc, construit, 2007
facteurs
humains
et
environnement
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ARTICLES Barbara, Anna, The culture of penumbra/2, The architecture of diaphanous shadows. In Somfy Effects Dossier Thematique 3, January, 2005 Capron, Jean-Luc; Huysmans, Marie-Hélène (2001). Synergies d'ordre évènementiel générées par les activités muséales au Japon. In :J.-P. Foulon, Architecture et musée, Tournai : La Renaissance du Livre, p. 129-153. Capron, J.L, Huysmans, M.H, « architecture du Thé -Espace du Thé », le pavillon de Thé : Architecture et céramique, Musée Royal de Mariemont, Morlanwlz, 2001, p.50-57 Capron, Jean-Luc, Pluralité japonaise, Oku, ou la profondeur insondable. In A+ (09/1994), Bruxelles : CIAUD-ICASD, p60-65.
INTERNET Capron, Jean-Luc, « Pour une nouvelle approche de l’éclairage architectural », Architecture UCLouvain-St-Luc Architecture- Site de Bruxelles 2010-3, p.66-67 Castelli, Clino Trini, The culture of penumbra /1, Lights and shadows, quantity and quality. In Somfy Effects Dossier Thematique 2, 10/2004
INTERNET http://www.energieplus-lesite.be http://adalberto-mecarelli.net http://www.wat.tv http://www.projetsdepaysage.fr http://archimede.bibl.ulaval.ca http://e.guimberteau.free.fr http://physique.paris.iufm.fr http://www.somfy.com http://ressourcesphilosophiques.blogspot.com http://www.123atelier.com
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Bruxelles, le 20 janvier 2012 © Anne-Astrid Martin
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