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Enquête

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0123 Mercredi 19 mars 2008

Six jours pour mourir Ils avaient obtenu le droit de laisser mourir leur fils. Pendant six jours, ils ont assisté à sa terrible agonie. Depuis, Paul et Danièle Pierra s’insurgent contre l’hypocrisie de la loi sur la fin de vie Sandrine Blanchard

P

aul Pierra soutient sans réserve Chantal Sébire. « Je suis pour qu’on la libère », dit-il de cette mère de famille de 52 ans, atteinte d’une tumeur incurable au visage, qui réclame « le droit de mourir ». « Nous sommes en contact régulier, raconte-t-il. Comme elle, je me bats pour que l’exception d’euthanasie soit autorisée. » Ce combat pour faire reconnaître l’insuffisance de la loi sur la fin de vie, adoptée en 2005, Paul Pierra et son épouse Danièle le mènent en mémoire de leur fils. Ils lui ont fait une promesse sur son lit de mort. C’était le 12 novembre 2006. Ce jour-là, ils se sont engagés à « tout faire pour que plus jamais des personnes meurent dans les mêmes conditions que lui ». Hervé avait 28 ans. Il est décédé après huit ans de coma végétatif et six jours d’agonie. C’était une des premières fois que la loi Leonetti instituant un droit au « laisser mourir » était appliquée. « Cauchemardesques, inhumains. » Paul Pierra n’a pas d’autres mots pour décrire les six derniers jours de vie d’Hervé. « Ce devait être le temps du deuil, de la préparation au départ, nous avait dit un spécialiste en soins palliatifs, ce fut le temps de l’horreur, du traumatisme pour toute une famille », témoigne Danièle. Le 30 mai 1998, Hervé a voulu se sui- Pierre et Danièle Pierra à Saumur, le 14 mars 2008. FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE » cider. Il s’est pendu chez ses parents avec son ceinturon militaire à la barre trop longue. Le jeune homme est plongé secoué par de violentes expectorations fixe sur laquelle il faisait des exercices de dans un coma végétatif irréversible. qui projettent ses sécrétions jusqu’au musculation. Hervé était un jeune hom- D’abord hospitalisé à Clamart, dans les plafond et au mur de sa chambre. me mal dans sa peau. Il avait interrom- Hauts-de-Seine, il est ensuite transféré « L’idée de mettre fin à ses jours nous a pu ses études en terminale, ne savait pas dans un centre de soins de long séjour à bien sûr effleurés, admet Danièle. Nous trop ce qu’il voulait faire. Sa consomma- Saumur, dans le Maine-et-Loire, où ses n’avions pas peur de la prison, mais nous savions que nous n’aurions pas pu survition régulière de cannabis avait révélé parents ont un pavillon. Commencent alors de longues années vre à ce geste. » une schizophrénie pour laquelle il avait En septembre 2003 éclate l’affaire dû être hospitalisé pendant six mois. « Il de « temps suspendu » dans ce « mouroir où des personnes très âgées Vincent Humbert, du nom de ce jeune allait mieux. Il faisait son service militaire, avait repris le « Pourquoi ne lui errent dans les couloirs », homme tétraplégique qui réclamait le témoigne Danièle. Hervé droit de mourir. Cette histoire ébranle sport, était sorti major du ne quitte jamais son lit. Seu- les époux Pierra. Ils vont suivre dans les peloton d’élèves gradés et vou- a-t-on pas le une sonde d’alimenta- moindres détails les développements de lait devenir sergent », se sou- administré tion le maintient en vie. cette affaire, puis les travaux de la comvient son père. Mais « il y de sédatif ? Chaque après-midi, sa mission parlementaire sur la fin de vie et avait un gros hic : les médicaOn nous disait mère vient lui parler, le mas- les débats lors du vote de la loi Leonetti. ments qu’il prenait pour sa ser, mettre son front contre Ils adhèrent à l’Association pour le droit schizophrénie l’avaient rendu qu’Hervé le sien, décorer sa chambre, de mourir dans la dignité (ADMD) et à impuissant. Nous l’avons su ne sentait rien, lui faire écouter ses musi- l’association Faut qu’on s’active, qui soupeu après sa tentative de suici- j’espère qu’on ques préférées. Elle espère tient la cause de Marie Humbert, la de, par sa petite copine avec un signe, il n’y en aura mère du jeune homme. « Nous avions qui il sortait depuis quatre ne nous a pas menti » plein d’espoir pour la libération d’Herjamais. ans ». Deux fois par semaine, vé », se rappelle son père. C’est son père, alors capiFin juin 2005, après la parution des taine à la Brigade des sapeurs-pompiers son père lui raconte les résultats sporde Paris, qui l’a découvert pendu. « Je tifs. La tête du jeune homme est renver- décrets de la loi Leonetti autorisant le l’ai décroché, j’ai fait un massage cardia- sée en arrière. Son corps se recroqueville « laisser mourir », la famille Pierra que, un bouche-à-bouche, puis mes collè- au fil du temps. Ses pieds se tordent vers dépose une requête auprès du médegues ont pratiqué un électrochoc. Son cœur l’intérieur, ses doigts se crispent, ses cin- chef du centre de long séjour de est reparti, j’ai cru que je l’avais sauvé. » jambes se replient, son visage se méta- Saumur pour demander l’application Mais l’anoxie du cerveau d’Hervé a été morphose. Hervé est régulièrement de la loi pour leur fils. Débutent alors

médicale et précise qu’en cas de refus d’application de la loi, le mieux est de prendre un avocat. Par le biais de son député, la famille entre en contact avec le parlementaire UMP Jean Leonetti. Ce dernier leur conseille – comme le prévoit la loi – de prendre l’avis d’un médecin extérieur. Il les dirige vers Régis Aubry, président du Comité national du développement des soins palliatifs. « J’ai rencontré tout le monde », se souvient le docteur Aubry. « Hervé était dans une situation irréversible et ses parents dans une grande souffrance spirituelle et existentielle. Il n’était pas illégitime d’arrêter l’alimentation, à condition d’accompagner le jeune homme avec des soins palliatifs et de permettre à la famille un accompagnement final dans le calme. » Au terme de son rapport, Régis Aubry conclut que « l’application de la loi peut être une réponse à la situation d’Hervé ». L’équipe médicale finit par accepter. Le protocole ne prévoit pas de sédation, car elle serait susceptible de prolonger le maintien en vie. Le jour du retrait de la sonde d’alimentation est fixé au 6 novembre 2006. Mais rien ne se passe comme prévu. Au deuxième jour, Hervé se met à trembler. Ses tremblements ne vont cesser de croître. « On nous disait, ce n’est rien, c’est comme de l’épilepsie. » Au quatrième jour, « nous avions l’impression qu’il était branché sur du courant électrique », décrit M. Pierra. Les cinquième et sixième jours, « son corps était comme électrocuté, ses convulsions étaient si violentes qu’il se décollait du lit, c’était inhumain ». La médecine appelle cela des myoclonies. « Pourquoi ne lui a-t-on pas administré de sédatif ? On nous disait qu’Hervé ne sentait rien, j’espère qu’on ne nous a pas menti », s’interrogeront à jamais les parents et les deux sœurs d’Hervé « dévastées » par cette fin de vie. Le jeune homme est décédé le 12 novembre. « Je ne peux rien affirmer, glisse M. Pierra, mais je crois que ce jour-là quelqu’un à l’hôpital a fait preuve d’humanité. »

L quatorze mois de bataille avec les médecins. Mal informée sur le contenu de la loi, traumatisée par la mise en examen du docteur Frédéric Chaussoy, qui a aidé Vincent Humbert à mourir, l’équipe médicale rejette la requête. Les soignants considèrent que la sonde gastrique relève d’un soin de confort et non d’un traitement. Pour eux, cesser l’alimentation s’assimilerait à une euthanasie. Les époux Pierra vont alors contacter toutes les instances et les personnalités susceptibles d’attester de la légitimité de leur demande. Des membres du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin viennent à Saumur. Ils concluent que la demande des parents est « légitime et recevable ». Mais l’équipe médicale continue de refuser de « débrancher » Hervé. Le médecin-chef du centre de long séjour saisit même le procureur de la République. Il lui dit être confronté à un couple en détresse qui souhaite euthanasier son fils. « Seul le directeur de l’hôpital était de notre côté, raconte M. Pierra. Il nous a même suggéré d’aller en Suisse. » Les parents adressent alors un dossier complet au procureur. Celui-ci prétend ne pas être compétent en matière

e docteur Aubry déplore la méthode : « Arrêter les traitements ne signifie pas arrêter les soins. » « On ne peut pas laisser un patient dans un tel inconfort et une famille dans un tel désarroi, considère Bernard Devalois, chef du service des soins palliatifs de l’hôpital de Puteaux, dans les Hautsde-Seine, qui a déjà été confronté à des cas comme celui d’Hervé. Entre les tergiversations de l’équipe médicale et le mauvais accompagnement, l’affaire Pierra est l’exemple typique d’une mauvaise application de la loi Leonetti. » Les parents d’Hervé n’en démordent pas : « Affirmer qu’il existe une différence entre, d’un côté, retirer une sonde d’alimentation et attendre la mort et de l’autre faire une piqûre qui évite le traumatisme et la souffrance est d’une totale hypocrisie. » Ces six jours, ou plus, « lorsqu’ils se passent bien, ne sont pas de l’hypocrisie, répond le docteur Devalois, mais le temps de préparation à la séparation et au deuil ». Son confrère, le docteur Aubry dit « comprendre le militantisme des parents après ce qu’ils ont vécu ». Mais, d’expérience, il sait que « ceux qui ont vécu une euthanasie pour un proche passent d’un sentiment de soulagement à un questionnement qui entraîne des conséquences psychologiques majeures ». Régis Aubry a déposé un projet auprès du ministre de la santé, afin d’éviter les situations aussi dramatiques que celle d’Hervé Pierra. La grande majorité des médecins ignorent la loi Leonetti, aucun moyen n’a été donné pour son application et aucun outil d’évaluation n’a été mis en place malgré les demandes incessantes de création d’un Observatoire des pratiques de fin de vie. « La situation ne peut pas être pire qu’actuellement », lâche M. Aubry. Un livre, écrit par Gilles Antonowicz, l’avocat de Chantal Sébire, sortira le 2 mai sur l’histoire Pierra. Il s’intitulera, Moi, Hervé Pierra, six jours pour mourir. a


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20 Décryptages Portrait

0123 Jeudi 21 janvier 2010

A 35ans, Christophe Béchu est un jeune homme politique pressé. Président du conseil général de Maine-et-Loire, député européen, il va mener la liste de la majorité en Pays de la Loire. Sous l’œil attentif de l’Elysée

Le gendre idéal de l’UMP

L

orsqu’il était étudiant à Sciences Po, à Paris, Christophe Béchu travaillait déjà, en jeune homme décidé, à sa carrière. Le vendredi soir, alors que ses camarades allaient deviser dans les bistrots, rêvaient de filer étudier à l’étranger, en plein boom des cursus Erasmus, lui abandonnait la capitale et prenait studieusement le train pour sa ville natale d’Angers, puis rejoignait, quelques kilomètres plus loin, le petit bourg d’Avrillé, sa terre d’élection. Ses 20 ans à peine consommés, Christophe Béchu, fraîchement élu conseiller municipal, partait battre sa campagne avec la ferveur de celui qui croit en son destin. Le sien serait d’être un homme politique. C’était comme ça, une évidence. Même si ses copains de Sciences Po lui disaient qu’« entrer en politique, c’était comme vouloir faire carrière dans la sidérurgie ». « Il rêvait déjà d’être président de la République à 7 ans », assure l’un de ses opposants. Quinze ans ont passé, depuis ses débuts, et Christophe Béchu n’a pas traîné en route. A seulement 35 ans, il honore, à Angers, son deuxième mandat de président du conseil général de Maineet-Loire, en ayant été élu à ce poste à seule-

Culture

Jean-Paul Belmondo Le comédien français s’est vu remettre un prix pour l’ensemble de sa carrière par l’Association des critiques de cinéma de Los Angeles (Lafca), dans le cadre d’un hommage rendu à la Nouvelle Vague française, dont « Bébel », qui a aujourd’hui 76 ans, fut l’une des vedettes avec ses rôles dans A bout de souffle ou Pierrot le fou. D’autres Français ont également été récompensés cette année : Yolande Moreau Meilleure Actrice pour Séraphine, Olivier Assayas Prix du meilleur film étranger pour L’Heure d’été, Agnès Varda Prix du documentaire pour Les Plages d’Agnès. Jack Lang a été élu président de l’Association pour le développement du Centre Pompidou (ADCP), fondée en 1976 à l’initiative d’Edouard Balladur, avec le soutien de Claude Pompidou, la veuve du président français.

Sport William Servat, 32 ans, le talonneur du

Stade toulousain et du Quinze de France, s’est vu remettre, le 18 janvier, l’« oscar du rugby », décerné par le journal Midi olympique. « La Bûche » (son surnom à Toulouse) a fait un retour remarqué en 2007-2008, après une opération d’une hernie cervicale qui l’avait éloigné des terrains.

Immobilier Jean-François Vitoux, 47 ans, ENA, mem-

bre du directoire de la Société nationale immobilière (SNI), est nommé président du directoire du groupe DomusVi, société de gestion de résidences médicalisées.

Etats-Unis

Michelle Obama

«Lorsque leprésident vous le demande, vous dites oui…» ment 29 ans, un record de précocité. Il est également eurodéputé, après avoir mené la liste de la majorité dans l’Ouest lors des élections européennes. Et, cerise sur le gâteau, le voilà aussi tête de liste dans les Pays de la Loire, pour les prochaines élections régionales. Pour une fois, ce « boulimique de combats électoraux, qui se grise à l’adrénaline des campagnes », tel que le définit le maire socialiste d’Angers, Jean-Claude Antonini, n’avait guère envie de s’y coller. Mais Roselyne Bachelot, la ministre de la santé, longtemps pressentie pour être tête de liste, a renoncé, officiellement pour se consacrer à plein-temps à la gestion de la pandémie de grippe A. Xavier Bertrand, le secrétaire général de l’UMP, a appelé Christophe Béchu fin août pour lui dire de se tenir prêt. Puis, le 17 septembre, alors qu’il continuait à traîner les pieds, évoquant sa vie de famille, il a été convoqué à l’Elysée. Trois quarts d’heure d’entrevue plus tard avec Nicolas Sarkozy, la mission était acceptée. « C’est le moment de savoir ce que tu veux faire dans la vie », lui a expliqué le chef de l’Etat. « Lorsque le président vous le demande, vous dites oui… », constate Christophe Béchu, tout étonné d’avoir pu placer quelques mots. Pour la majorité, les Pays de la Loire seront, lors des élections de mars, un enjeu à part. La région est symbolique, car elle fut dirigée par François Fillon, le premier ministre. En sus, ce fief est l’un des rares considérés comme réellement reprenablesà l’opposition, dans un contexte national où la droite craint un fiasco. Pourquoi le nom de Christophe Béchu s’est-il imposé comme une évidence ? « Tu es le plus à même de rassembler », lui a dit Nicolas Sarkozy. Ancien de l’UDF, le candidat plaît aux centristes. Voilà qui est utile, pour ramener dans le giron de la majorité l’ancien ministre des finances, Jean Arthuis, qui menace de présenter sa propre liste. Il peut aussi séduire certains membres du MoDem, dont il est proche. « Catholique pratiquant », fils de diacre, il est également compatible avec Philippe de Villiers et Christine Boutin, influents dans cette région. Christophe Béchu joue volontiers de son côté vieille France. Fils de deux méde-

Elles&ils Pascal Galinier

L’épouse du président américain a fait

cins, issus d’une famille de notables angevins, marié à 23 ans, il a trois enfants. Il précise, bon garçon, qu’il a « épousé les opinions politiques de ses parents », se félicite de « n’avoir jamais fait de crise de l’adolescence ». Il dit son « respect » pour Marc Laffineur, le vice-président de l’Assemblée nationale et maire d’Avrillé, son mentor, qu’il continue d’avoir au téléphone deux fois par semaine. C’est le « gendre idéal », affirment en cœur ses partisans, séduits, et ses opposants, pour le railler. « J’assume », répond Christophe Béchu. Jusqu’à la caricature : lorsqu’il ne travaille pas, dit-il, il n’aime rien tant « que jouer aux Playmobil avec ses enfants » ou « regarder des séries télévisées avec sa femme ». Mais le sourire du Père Peinard et les bouclettes de l’angelot cachent des dents bien acérées. Le maire d’Angers a fait l’expérience de son talent manœuvrier, en 2008, lorsque le jeune homme a tenté de le renverser. « C’est passé très près, raconte Jean-Claude Antonini, dans un contexte qui n’était pas favorable du tout à l’UMP au niveau national. Il a rallié à sa cause mon prédécesseur [de 1977 à 1998], Jean Monnier, un ancien socialiste. Ça a failli faire basculer le scrutin. » Roselyne Bachelot livre cette analyse : « Christophe Béchu est terriblement angevin. On n’est pas dans un pays où l’on aime le combat politique violent, même si l’on se poignarde sous les tentures… » Et la ministre de la santé de se rappeler, encore épatée, la visite, en 2004, du jeune homme à son domicile : « Il

Parcours 1974 Naissance à Angers (Maine-et-Loire). 1995 Elu conseiller municipal à Avrillé (Maine-et-Loire). 2004 Devient président du conseil général de Maine-et-Loire. 2008 Echoue de peu dans sa tentative de devenir maire d’Angers. 2009 Conduit la liste de la majorité dans l’Ouest aux élections européennes ; il est élu eurodéputé. 2010 Tête de liste de la majorité en Pays de la Loire, pour les élections régionales de mars.

m’a expliqué point par point comment il allait prendre la présidence du conseil général, par un jeu d’alliances, alors qu’il y avait un autre candidat dans la majorité… » Ce tour de force fut sa rampe de lancement. Les régionales l’emmènerontelles plus haut ? « Ça fait vingt ans que je suis dans la politique et je peux vous dire que Béchu, c’est un type brillant, un orateur. C’est le TGV Atlantique, et il peut prendre la voie dans les deux sens, vers Nantes [où est installé le conseil régional] et vers Paris », s’enthousiasme

Franck Louvrier, fidèle conseiller de Nicolas Sarkozy, qui sera, sur la liste de l’Angevin, l’œil du maître. Est-ce la promesse d’un maroquin ministériel ? Solidement installé dans sa province, Christophe Béchu n’a pas de vrai réseau parisien. Il entretient des rapports courtois avec François Fillon, en voisin, mais n’est pas un proche. « Avec Nicolas Sarkozy, il vient de se trouver un mentor », balaie Franck Louvrier. En 2008, Christophe Béchu avait pourtant refusé la venue du président de la République lors de la campagne pour la prise d’Angers, de peur d’apparaître trop à droite, en terre centriste. Ce qui ne l’empêche pas, sur cette ligne de crête qu’empruntent les adeptes du consensus à large spectre, de dire le plus grand bien du chef de l’Etat. Jean-Claude Antonini raconte cette anecdote, pour souligner la capacité d’adaptation de Christophe Béchu. « Je me souviens d’une réunion avec des jeunes entrepreneurs : je leur ai raconté ce qu’Angers pouvait faire pour eux ; lui leur a simplement parlé d’eux, en leur expliquant qu’il comptait sur eux. Il a été bien plus applaudi… » La médaille de ce talent de séducteur, selon lui, a son revers : « Il change au gré du vent. » Roselyne Bachelot dénonce une critique facile. « C’est un homme de synthèse », préfère-t-elle dire. A l’hôtel du département de Maine-etLoire, une ancienne abbaye, Christophe Béchu occupe le bureau du Père abbé. On l’imagine volontiers un brin jésuite. p Pierre Jaxel-Truer Photo Franck Tomps pour « Le Monde »

son entrée au Musée Madame Tussauds de Londres, à l’occasion du premier anniversaire de l’investiture de Barack Obama. Une statue de cire de la first lady a pris place auprès de celle du 44e président des EtatsUnis, installée le 20 janvier 2009 dans une reconstitution du fameux bureau Ovale, le bureau présidentiel à la Maison Blanche. Barack Obama a également une statue de cire au Musée Grévin à Paris. Alain Mabanckou, écrivain haïtien qui réside en Californie, Prix Renaudot en 2006, dénonce sur son blog (blackbazar.blogspot.com) l’animateur de radio américain ultraconservateur Rush Limbaugh, qui demanda aux Américains de ne pas faire de dons pour Haïti, au prétexte que le président Obama se sert de la catastrophe pour redorer son image auprès des minorités du pays (Le Monde du 20 janvier).

Donation Juan Ignacio Balada Llabrés, un riche Espagnol, mort en novembre 2009, a créé la surprise en léguant sa fortune à la famille royale d’Espagne. La volonté du défunt, selon le testament révélé par son notaire, est que l’héritage, dont le montant n’a pas été dévoilé, soit consacré pour moitié par le prince Felipe, héritier du trône d’Espagne, à la création d’une « fondation abordant des sujets d’intérêt général ».

Institutions Véronique Malbec, 51 ans, est promue directrice des services judiciaires au ministère de la justice. Thibaud Vergé vient d’être nommé chef économiste de l’Autorité de la concurrence, composé d’une demi-douzaine d’économistes. Il remplace Philippe Choné, qui rejoint l’Ensae pour préparer l’installation de cette école sur le futur campus de Saclay. Joachim Soëtard, 39 ans, cadre d’Ipsos et enseignant à Sciences Po, a rejoint l’Agence nationale des services à la personne comme directeur de la communication.

Europe Michel Petite, du cabinet d’avocats Clifford Chance, a été nommé président du comité d’éthique de la Commission européenne, après en avoir dirigé le service juridique. Courriel : ellesetils@lemonde.fr


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8 France

0123 Vendredi 28 août 2009

En juillet, le chômage est reparti à la hausse Malgré un ralentissement par rapport au début de l’année, le gouvernement s’attend à des mois difficiles

A

près une baisse inattendue en juin (– 18 600), le nombre des chômeurs est reparti à la hausse en juillet, selon les statistiques publiées, mercredi 26 août, par Pôle emploi et la Dares. En un mois, les inscriptions à Pôle emploi dans la catégorie A – les sans emploi tenus à des actes positifs de recherche– ont augmenté de 0,4 % (+10700) pour s’établir à 2 535 200. Si l’on y ajoute les 1132 900 demandeursd’emploiexerçantune activité réduite, en hausse de 33 300, la France comptait, fin juillet, 3 668 100 chômeurs et plus de 3,8 millions avec les DOM. Quel que soit l’indicateur retenu, ici la seule catégorie A, un premierconstats’impose:l’augmentation du chômage ralentit. On est très loin des chiffres spectaculaires de hausse, 80 000 à 100 000 chômeurs de plus par mois, enregistrés à la fin de l’année 2008 et au premier semestre 2009. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le caractère, durable ou provisoire, de cette accalmie : « Malgré le ralentissement des pertes d’emplois depuis plusieurs mois, la tendance à la dégradation du marché du travail n’est pas terminée. Elle devrait se poursuivre pendant encore quelques trimestres », a prévenu la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Christine Lagarde dans un communiqué rendu public, mercredi, en fin d’après-midi. Dans sa note de conjoncture de juin,l’Insee a prévu un taux de chômage de 10,1 % en France métropolitaine à la fin de l’année (10,5 % avec les DOM). En juillet, ce sont d’abord les seniors(50 ansetplus)qui ontsouffert de la détérioration du marché du travail. Ils étaient 606 000 inscrits à Pôle emploi fin juillet (+ 1,7 %). Viennent ensuite les 25-49 ans : le nombre des demandeurs d’emploi dans cette tranche d’âges’estaccrude1,1% pourdépasser les 2,4 millions.

Le chômage des jeunes a augmenté de 28 % en un an

Cinq millions de jeunes chômeurs en Europe

POURCENTAGE DE HAUSSE DU NOMBRE DE DEMANDEURS D’EMPLOI DE MOINS DE 25 ANS SUR UN AN de juillet 2008 à juillet 2009, données brutes

BRETAGNE

NORD-PASDE-CALAIS

GUADELOUPE

20,9

38,4

25,2

31,9

PAYS DE LA LOIRE

MARTINIQUE

1,2

BOURGOGNE FRANCHECOMTÉ

CENTRE

41,4

de 38 à 42

8,6

HAUTEPICARDIE NORMANDIE 25,9 BASSE28,7 LORRAINE NORMANDIE ÎLE-DE38,5 29,5 FRANCE CHAMPAGNEALSACE ARDENNE 27,3

29,8

32,0

34,7

POITOUCHARENTES

26,9

GUYANE

26,0

AUVERGNE

RHÔNE-ALPES

10,2

39,0

28,9

de 26 à 30,9 AQUITAINE

23,3

PROVENCE-ALPESCÔTE D'AZUR

MIDI-PYRÉNÉES

Moins de 13,5

27,7

LA RÉUNION

25,6

LANGUEDOCROUSSILLON

13,5 CORSE

23,5

19,1

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE DEMANDEURS D’EMPLOI DEPUIS 2003, en milliers 800 4 000 Ensemble Moins de 25 ans 3 668,1

700

628,2

600

3 500

500 3 000

400 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

(31 juillet)

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

(31 juillet)

SOURCE : PÔLE EMPLOI, DARES

En revanche, chez les moins de 25 ans, le chômage, qui touchait 628 200 personnes, a reculé de 0,4 %. Il s’agit du deuxième mois consécutif de baisse du chômage

le pourcentage de jeunes sans travail a augmenté de 17,2 % sur la période, en Lettonie de 16,5 %, en Estonie de 14,1 % et en Lituanie de 14,1 %. Si l’Allemagne tire son épingle du jeu, avec une hausse limitée à 0,3 % qui amène le pays à 10,5 % de jeunes sans travail, ce sont les Pays-Bas qui connaissent la situation la moins défavorable, avec un total de 6 % de jeunes chômeurs. En revanche, l’Espagne doit faire face à un taux élevé, avec un tiers (33,6 %) de ses moins de 25 ans sans emploi.

est trop tôt pour crier victoire. D’abord parce qu’en un an, le chômage des jeunes est celui qui a le plus augmenté (+ 28 % en données brutes et + 28,9 % en données corrigées). Ensuite parce que les difficultés sont probablement encore devant eux : plusieurs centaines de milliers de jeunes sortis du système scolaire vont se présenter sur le marché du travail à l’automne. C’est à partir des statistiques de septembre, publiées fin octobre, que l’on commencera à avoir une idée précise des conséquences de la récession sur leur insertion professionnelle.

treindre pour les jeunes diplômés. L’évolution de l’emploi ces quarante dernières années enseigne que, dans ce cas, les jeunes peu ou pas qualifiés connaissent des difficultés d’insertion encore plus grandes. Le gouvernement ne l’ignore pas. Vendredi 28 août, Mme Lagarde et le secrétaire d’Etat à l’emploi, Laurent Wauquiez, réunissent au ministère l’ensemble des acteurs de l’emploi pour vérifier leur degré de mobilisation et la montée en chargedes différents outils de lutte contre le chômage. Dans un entretien aux Echos de jeudi, M. Wauquiez propose que l’on étudie « la prolongation de l’exonération totale de charges sur les embauches dans les entreprises de moins de dix salariés en 2010 ». « Nous devons continuer à donner ce signal aux employeurs tant que la sortie de crise n’est pas assurée », ajoute-t-il. Le secrétaire d’Etat précise aussi que le nombre des contrats aidés sera adapté à la conjoncture et que, pour le chômage partiel, le plafond annuel d’heures va passer en septembre à 1 000 pour toutes les entreprises. p Claire Guélaud

LIMOUSIN

de 31 à 37,9

de 19 à 25,9

En France, le chômage des jeunes de moins de 25 ans atteint 22,3 %, contre une moyenne de 8,3 % dans l’Europe des VingtSept, indiquaient, en juin, les dernières statistiques d’Eurostat. En un an, le chômage au sein de cette classe d’âge s’est accru de 3,7 % sur cette zone. Une augmentation qui affecte différemment les pays et en épargne un seul : la Bulgarie. Les Etats baltes sont ceux qui connaissent les courbes les plus vertigineuses, aggravant des taux de non-emploi moyens de plus de 20 %. Ainsi, en Lettonie,

des jeunes. Le gouvernement y voit « un signe encourageant » et, bien sûr, les effets de sa politique : recrutement de 320 000 apprentis et versement d’une prime de

1 000 euros pour chaque jeune de moins de 26 ans embauché en contrat de professionnalisation jusqu’en juin 2010. Dans ce domaine, toutefois, il

Contrats aidés Les premiers indices ne sont pas bons. Selon l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), qui publiera une enquête exhaustive sur le sujet début octobre, la situation des jeunes diplômés est devenue « fort délicate ». D’après une note trimestrielle datée du troisième trimestre, « 34 % des entreprises qui recrutent leur offrent des opportunités, contre 43 % un an plus tôt à la même période, et 48 % il y a deux ans ». Le choix des possibles est donc en train de se res-

En Pays de la Loire, des jeunes de plus en plus à la peine pour trouver du travail Reportage

que « la situation locale est très contrastée ». « En matière d’emploi, Nantes reste plus dynamique que le reste de la région », explique Stéphane Lepron, salarié du Medef. Ailleurs, « il y a beaucoup de sous-traitance avec une maind’œuvre peu qualifiée, donc fragile, poursuit-il. Les secteurs industriels que l’on trouve ici, aéronautique, chantiers navals, automobile, sont touchés par la crise. »

Nantes Envoyé spécial

Cela fait maintenant un an qu’Alexandre Lebreton, 20 ans, cherche du travail. Et le jeune Nantais ne cache pas que la crise économique « l’inquiète un peu ». Avec un « niveau première », une expérience en alternance qui s’est vite révélée « désastreuse, parce que le maître d’apprentissage m’a pris en grippe », Alexandre est un peu « juste » en termes de qualification. Il cherche un emploi en magasinage-logistique et, « à l’ANPE, beaucoup d’offres demandent un niveau IV [baccalauréat], alors que je n’ai qu’un niveau V [CAP]». Pour le moment, sa recherche est vaine. Mais Alexandre ne perd pas espoir. « Le domaine dans lequel je cherche n’est pas trop touché », veut-il croire. Dans les Pays de la Loire, les jeunes sont de plus en plus nombreux à vivre ces difficultés. La région détient un « titre » dont elle se serait bien passée : celui de la plus forte progression du chômage des jeunes en un an. De juillet 2008 à juillet 2009, ils sont 49,4 % de plus pour la seule catégorie A (actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi) et 41,4 % de plus si l’on ajoute les catégories B et C (actes positifs de recherche d’emploi et en activité réduite). C’est bien plus que la moyenne française : 31,5 % (A) et 28 % (A, B, C). A la mission locale Nantes Métropole, Thierry Colombert, le directeur, constate que ses services ont accueilli « 15 % de jeunes en plus sur un an », mais précise que

Paul Marcelin, électricien, et Amandine Lebrun, équipière en restauration, devant la mission locale de Nantes, mercredi 26 août. FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE » « c’est comparable aux autres missions locales en France ». Plus inquiétant, « on commence à voir arriver des jeunes qualifiés », ajoute-t-il. M. Colombert fait également état d’« une fréquence de la violence verbale qui augmente. Cela reste très minoritaire, mais cela montre une certaine forme de désespoir ».

De tout cela, Didier Brassart est évidemment bien conscient. Responsable de la direction régionale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, l’antenne ministérielle, il est le premier à voir les courbes s’inverser. Pour autant, il tient à relativiser la situation. «La région, attractive et dynamique, bénéficie d’une démogra-

phie tonique. Il y a beaucoup de jeunes dans les Pays de la Loire », relève-t-il. Et si les courbes augmentent si fortement, c’est parce que la région recourt beaucoup à l’intérim des jeunes, très exposé en cas de crise. M. Brassart souligne par ailleurs que, jusqu’à présent, la région bénéficiait d’un taux de

chômage global particulièrement bas, avec début 2008, 5,8 % de demandeurs d’emploi contre 7,2 % en France. Et cela est toujours vrai. En juillet, alors que le taux de chômage repartait à la hausse en France, les Pays de la Loire enregistraient un deuxième mois consécutif de baisse. Au Medef local, on souligne

« Génération sacrifiée » Face à la hausse du chômage, la direction régionale défend les mesures du plan jeunes décidées en avril par le gouvernement (développement de l’alternance, contrats aidés…). Le Medef s’apprête, quant à lui, à « solliciter les entreprises» sur l’idée qu’elles doivent « préparer la reprise ». La mission locale assiste les jeunes les plus exposés. Dans la région, chacun sait que la rentrée pourrait être redoutable. Sans trop oser le dire, parce qu’ils sont condamnés à l’optimisme. Les jeunes qui entreront sur le marché du travail en septembre seront à la peine. Et si l’amélioration n’intervenait qu’au printemps 2010, comme le pensent certains, ils risquent de constituer une « génération sacrifiée ». Malgré tout, certains jeunes Nantais trouvent du travail. C’est le cas de Stéphanie Moussu et d’Aurélia Berger, diplômées en juin de l’école de management de Nantes, Audencia. Mais elles ont dû faire des concessions. Stéphanie fera de l’audit plutôt que de la finance et Aurélia travaillera à Paris plutôt qu’à Nantes. En attendant des jours meilleurs. p Benoît Floc’h


Presse Quotidienne


16 Portraits d’été

0123 Samedi 22 août 2009

5/6 a Ils ont choisi la France Le basketteur américain Ron Anderson

a connu le plus haut niveau au sein de la prestigieuse NBA. A 50ans, il joue toujours, mais à… Saint-André-de-la-Marche, dans le Maine-et-Loire. Et, pour ne pas «traîner à la maison sans rien faire», il est vigile

Le basketteur des champs

U

n basketteur américain à Cholet, passe encore. Un basketteur américain à La Séguinière, petite commune de 3 600 habitants située à 5 km de la sous-préfecture du Maine-et-Loire, l’affaire est déjà moins banale. Elle tourne même à l’insolite quand on apprend que ledit basketteur a joué pendant dix saisons en NBA, la prestigieuse ligue américaine, soità des années-lumièredu championnat de Nationale 3 au sein duquel il évolue actuellement, en pur amateur bien sûr. Ron Anderson est une énigme à plusieurs inconnues. Il a 50 ans, un âge canonique sous les paniers. Il exerce également un métier plutôt commun, n’ayant rien à voir en tout cas avec le basket, alors qu’il a amassé suffisamment d’argent dans sa carrière pour ne plus avoir à travailler. Son job ? Vigile à l’Intermarché de Saint-André-de-la-Marche, 2 700 habitants, une autre commune de la région choletaise. Ron Anderson, 2,01 m, 100kg, 49 de pointure, ou l’histoire – véridique – d’une intégration impensable. Par où commencer ? Par l’année 2000 peut-être. Sa seizième saison professionnelle vient de s’achever à Angers. Ce sera la dernière. Avant, Ron Anderson a donc joué pendant dix ans en NBA (Cleveland, Philadelphie, New Jersey, Washington), avant de terminer sa carrière en

Parcours 1958 Naissance à Chicago (Etats-Unis). 1984 Recruté par les Cleveland Cavaliers (NBA). 1988 Transféré aux Philadelphia Sixers (NBA). 1994 Recruté par Montpellier-Basket (Pro A). 1995 Meilleur marqueur de Pro A (25,5 points de moyenne). 2000 Rejoint La Séguinière SaintLouis Basket (Maine-et-Loire). 2007 Devient vigile à l’Intermarché de Saint-André-de-la-Marche.

«Je rêve de basket la nuit, et j’ai mal nulle part. Pourquoi veux-tu que j’arrête?» Europe, principalement en France (Montpellier, Le Mans, Tours, Angers). Le jeune retraité part alors s’installer à Cholet où vit son amie Corinne, infirmière, rencontrée quand il jouait au Mans. Peu de temps après, on vient frapper à sa porte. La présidente du club de La Séguinière a eu vent de son arrivée dans la région. Quelques minutes suffiront pour conclure l’affaire, sur le principe du donnant-donnant : d’un côté, un club ayant quelques ambitions régionales ; de l’autre, un joueur ne pouvant,desonpropre aveu,«imaginer [sa] vie sans basket ». Evidemment, au début, le contraste est important. En NBA, Ron Anderson a croisé le chemin de vedettes planétaires ayant pour nom Michael Jordan, Magic Johnson, Larry Bird, Kareem Abdul-Jabbar ou encore Charles Barkley, qu’il côtoya aux Philadelphia Sixers et qui disait de lui qu’il était son «meilleur coéquipier ». En Nationale 3 (l’équivalent du 5e échelon national),leséquipesadverses s’appellent Montaigu, Saint-Laurentde-la-Plaine, Bressuire, Fougères… La salle de l’Arceau, à La Séguinière, n’a de gradins que d’un seul côté du terrain et contient 450 places. Aprèsles matches, ily a lerituel du coteaux-du-layon offert aux joueurs et aux adversaires. Il y a aussi les sandwiches de Mauricette, qui sont tellement savoureux

que l’équipe en emporte un carton entier à chaque match à l’extérieur. Il y a enfin – ou plutôt « il y avait » – Georges, le fidèle supporteur qui encourageait Ron en scandant son vrai prénom : « Allez Ronald ! Allez ! » Très affecté par son décès il y a quelques mois, Ron a demandé aux dirigeants du club qu’on laisse vide, à jamais, la chaise sur laquelle Georges s’asseyait dans la salle. La requête sera acceptée. Que refuserait-on à Ron Anderson, star et mascotte de tous les Zignérois (nom donné aux habitants de La Séguinière) ? Ses coéquipiers ont

beau avoir 25 ans de moyenne d’âge et courir comme des lapins, il lui arrive encore de terminer meilleurmarqueur dumatch,comme récemment lors du derby contre Jubaudière-Jallais où il a inscrit 39 points, à peu de chose près ce qu’il réalisa un jour de play off contre les Boston Celtics de Larry Bird. « Je l’ai trouvé plus fort cette saison que les saisons précédentes. C’est comme s’il avait retrouvé une deuxième jeunesse », constate Laurent Verron, l’actuel président du club. Lequel voit en lui un exemple. « A chaque fois qu’on a besoin de quelqu’un pour intervenir dans

une école ou remettre une médaille, il est le premier à se proposer, poursuit-il. Ron a toujours le sourire, même avec les arbitres pour leur expliquer qu’ils se trompent. Pour lui, “les problèmes n’existent pas”. C’est d’ailleurs sa devise. » Cetoptimisme inoxydable trouve son origine dans les replis d’une enfance à Chicago, au sein d’une famille de six enfants (mère au foyer, père salarié de la société de messagerie UPS), qu’il quittera par les hasards d’une rencontre. Ron a 17 ansquand il sefaitrepérer sur un terrain par un lycéen de Santa Barbara en vacances à Chicago. Quatre

jours plustard, il poseses valisesen Californiepourypoursuivre sascolarité, tout en jouant activement au basket. Il rejoint l’université de Fresno deux ans plus tard, avant d’être recruté par les Cleveland Cavaliers en 1984. Suivront 664 rencontres de NBA. Dix saisons de matches au couteau, de salles surchauffées, de déplacements incessants… Une époque dorée dont l’homme parle assez peu désormais, préférant décrire la motivation qui continue de l’habiter. « Même si je joue aujourd’hui uniquement pour le plaisir, faire le maximum à chaque

match est pour moi un devoir. Si tu donnes tout ce que tu as, la défaite sera plus facileà accepter », martèle celui qui, chaque veille de match, visionne scrupuleusement les cassettes vidéo que s’échangent les clubs afin d’observer les futurs adversaires. Le basket n’est toutefois pas tout chez lui. Sa vie est également largement occupée par sa fille Angie, née à Cholet il y a six ans. Il y a aussi ce fils de 19 ans, Ron Junior, issud’un premiermariage,apprenti basketteur à l’université de South Florida, et avec qui il a renoué en 2008, après cinq ans de silence. La pêche, pratiquée dans les rivières et étangs à brochets de la région, occupe également une grande place dans son quotidien. Il y a enfin ce métier inattendu, trouvé il y a deux ans, pour éviter de«traîner àlamaisonsans rienfaire », explique-t-il. A Intermarché, Ron Anderson n’a de vigile que le nom. « Il s’est adapté à la clientèle majoritairement rurale de notre magasin, raconte le directeur, Fabien Bouyer. Il aide les gens à charger leurs courses dans la voiture, range les caddies sur le parking, transporte les tables de jardin et les bouteilles de gaz… Et toujours avec la même gentillesse. » Le géant a fait de la relativité un art de vivre. Des Français, il dit aimer la convivialité et les bons vins, mais trouve qu’ils « stressent pour des petites choses » et qu’un rien les rend « jaloux ». Vivre dans un autre pays lui aurait tout aussi bien convenu. Changer de nationalité n’est pas une idée qui le travaille. Et se poser des questions sans fin encore moins. A propos de questions sans fin, celle consistant àsavoirquand ilraccrocheradéfinitivement des paniers est loin de l’angoisser. Il y a quelques mois, son président lui demandait s’il reprendrait une licence à la rentrée. « Laurent, je rêve de basket la nuit, et j’ai mal nulle part, répondait-il. Pourquoi veux-tu que j’arrête? »p Frédéric Potet Photo Franck Tomps pour « Le Monde » Prochain article Eduardo Manet


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10 Europe

0123 Samedi 30 mai 2009

Les élections européennes

Salles mal remplies, thèmes survolés : l’UMP est à la peine Le parti majoritaire a du mal à mobiliser. Jean-François Copé, patron des députés, estime qu’à moins de 25 %, « ce serait inquiétant » Lille Envoyée spéciale

E

st-ce le signe d’un reflux ou plus simplement du désintérêt des Français pour le scrutin du 7 juin ? L’UMP, qui tenait meeting à Lille jeudi 28 mai, n’a pas fait recette, malgré ses velléités de mobiliser. Dans la ville de Martine Aubry, l’ambiance n’y était pas et l’assistance paraissait clairsemée dans ce Zenith surdimensionné. Pour se rassurer, l’équipe de campagne s’est souvenue que Nicolas Sarkozy n’avait pas lui non plus réussi à réchauffer cette salle. Pourtant les organisateurs avaient fait venir des militants de tous les départements de cette région. « Ils ont parfois fait cinq heures de car », areconnu un membre de lacampagne. Xavier Bertrand, le secrétaire général de l’UMP, arrivé tôt dans la

journée pour rencontrer des restaurateurs et faire le service après vente de l’abaissement de la TVA à 5,5 %, avait indiqué qu’il voulait jusqu’au 7 juin « monter en régime ». « A Nice, j’avais prévu une jauge de 600 personnes, je l’ai porté à 2 000. Nous sommes dans une logique d’effet d’entraînement », s’était-il félicité. La campagne de l’UMP connaît quelques ratés. Peut-être en raison d’une direction tricéphale et d’une organisation pas suffisamment unifiée. Confié à Michel Barnier, l’animateur national, et à Franck Riester, son directeur de la campagne, elle doit aussi compter avec M. Bertrand, le patron de l’UMP qui dispose de ses propres équipes. Celles-ci ont repris l’ensemble de la communication, l’élaboration des tracts et des outils de campagne, jugés trop défaillants.

L’UMP s’est appuyé sur le communicant Christophe Lambert, membre de la cellule stratégique du parti. Il a ainsi conçu le clip de la campagne officielle : on y voit Xavier Bertrand vanter l’Europe sarkozienne, puis selon le principe du « lipdub », s’exprimer à travers des dizaines de visages. Les commentaires sur le net ne se sont pas fait attendre : « pensée unique », « totalitarisme »...

« Pas facile » Le trio a parfois du mal à se coordonner et à dépasser les difficultés liées au mode de scrutin qui,en instituant huit eurorégions, ne facilite pas la cohésion et la lisibilité. Censé rapprocher le député européen du citoyen, il dilue le débat, ajoute des intérférences locales à la campagne. Suivre les candidats n’est pas tâche facile. Le parti a

choisi dans les grandes villes de province des salles éloignées des centres-villes, obligeant les orateurs à jongler avec les horaires des TGV ou des avions. A Nancy, le 14 mai, pour attraper le dernier TGV situé à 50 kilomètres du meeting, l’équipe d’organisation de la campagne et la presse avaient dû quitter la salle avant même que le premier ministre ait commencé son discours ! Mais les aléas de la campagne tiennent aussi à la schizophrénie dans laquelle M. Sarkozy a enfermé son ministre de l’agriculture. En l’obligeant à rester jusqu’au scrutin du 7 juin au gouvernement pour éviter un remaniement, le chef de l’Etat a contraint le candidat. Michel Barnier ne peut, comme il le voudrait, se consacrer à la campagne, obligé qu’il est de gérer la crise laitière.

Cette situation est rude pour lui:il avait déjàdû accepter de quitter sa région Sud-Est pour l’Ile-deFrance. Devançant les critiques de parachutage, le parti avait habillé sa venue en lui confiant le rôle d’animateur national. Mais pour assumer pleinement sa tâche, M. Barnier avait demandé à être libéré de son ministère un mois avant le scrutin. En vain. Manque de coordination ? A Lille, une partie de l’équipe avait annoncé un meeting centré sur l’immigration. Une autre, une réunion axée sur l’emploi. Finalement,lesdeuxthèmesontété…survolés. Le format des meetings choisi par M. Bertrand ne porte pas aux sujets de fond. Rythmées par un jeu de questions-réponses téléguidées, les réunions font intervenir pléthore de candidats et ministres. Résultat : leur intervention est

limitée à quatre minutes ! Jeudi 28 mai, cinq membres du gouvernement : Bruno Le Maire, JeanLouis Borloo, Valérie Létard, Eric Woerth,Michel Barnierse sont succédé au micro, dans une ambiance glaciale, au côté de Dominique Riquet, tête de liste dans le NordOuest, Xavier Bertrand et son adjoint, Marc- Philippe Daubresse. « La campagne n’est pas facile. Elle ne l’est jamais », a expliqué aux militants Michel Barnier, qui avait encore une fois rencontré les agriculteurs de la région avant la réunion. Adversaire résolu de M. Bertrand, Jean-François Copé, le patron des députés UMP, en déplacement à Lyon, a fixé à son parti un objectif minimal de 25 % pour ces élections. « Si nous faisons moins, ce sera inquiétant », a-t-il averti. Une jolie peau de banane. p Sophie Landrin

Dans l’Ouest, « l’Europe, c’est comme une étoile, ça brille mais c’est loin… » Chez les pêcheurs, les producteurs de lait ou les viticulteurs, la critique est unanime : Bruxelles ignore les réalités du terrain Circonscription Ouest 9 députés

Bretagne

Pays de la Loire

PoitouCharentes

Reportage La Turballe, Le Croisic, Mouzillon (Loire-Atlantique) Envoyé spécial

B

ien sûr que j’irai voter aux européennes, annonce Xavier Timbo. Je suis pour l’Europe. Et puis la politique de la

Echec des négociations sur le prix du lait Alors que le conflit sur la baisse du prix du lait mobilise les producteurs depuis quinze jours, à coups d’occupations de laiteries et d’hypermarchés, leur négociation avec les industriels s’est soldée par un échec, jeudi 28 mai. Les deux camps, qui s’étaient réunis en présence des médiateurs nommés par le gouvernement, n’ont pas trouvé d’accord sur un prix annuel moyen pour 2009. Les producteurs réclamaient 305 euros la tonne ; les transformateurs en ont proposé 267. Puis les producteurs ont accepté de descendre à 290, mais les industriels n’ont pas suivi. Mardi 2 juin, ils se retrouveront pour une « réunion de la dernière chance », selon les termes des producteurs, qui appellent leur base à ne pas relâcher la pression d’ici là. Invité d’Europe 1, François Fillon s’est voulu rassurant, vendredi 29 mai, estimant les parties « assez proches » d’un accord. « Le gouvernement met une pression maximale sur cette négociation », et « n’acceptera jamais » la production à perte, a indiqué le premier ministre.

chaise vide, il n’y a rien de pire. » A 51 ans, ce patron pêcheur de La Turballe (Loire-Atlantique), ancien vice-président du comité local des pêches, a régulièrement croisé le feravecBruxelles.Il avéculafermeture de la pêche à l’anchois en 2005 pour cause de pénurie de ressources. Un vrai coup de massue pour « son »port, spécialisédans ce poisson. La Turballe, qui pointait à la sixième place au niveau national, « a dérouillé » : 15 000 tonnes de poisson par an, 6 000 aujourd’hui et17millionsd’eurosdechiffre d’affaires pour 80 bateaux. Sa vision de l’Europe ? « Bruxelles faitde la politique de gros, pasdu travail de dentellière. Un bateau, ce n’est pas que le folklore pour les gens qui viennent en été. C’est une entreprise, avec six ou sept marins à bord. Et une place en mer, c’est trois emplois à terre. Alors il faut arrêter

la casse pour pérenniser ce qui reste une vraie économie locale. » Dans le port voisin du Croisic, Hugues Autret, président du comité régional des pêches des Pays de la Loire, se « pose franchement la question » de savoir s’il se rendra dans l’isoloir le 7 juin. « Je ne trouve pas mon compte dans cette Europelà, fulmine-t-il. Pour moi, l’Europe, c’est l’Europe humaniste. Là, on ne voit que la question économique et le désastre qui va avec. » Pour M. Autret, les règles européennes sont « pipées ». « La réduction de l’effort de pêche est surtout portée par la France, soutient-il. La pêche est devenue quantité négligeable dans notre PIB. Contrairement à l’Espagne qui, du coup, réalise un important travail de lobbying à Bruxelles. » Dans cette région ouest, M. Autret a un point commun avec

Loïc Bauthamy, l’un des 4 000 chefs d’exploitations laitières recensées en Loire-Atlantique. Leur vision cauchemardesque de l’Europeest incarnée par Mariann Fischer Boel, commissaire européen chargédel’agriculture.« Enavril,j’aitouchéle mêmesalaire qu’à mesdébuts dans le métier en 1982 », rapporte, écœuré, M. Bauthamy. « Les quotas laitiers sont indispensables pour maintenir un prix correct. Mme FischerBoelparledecontinueràlesrelever, voire de les supprimer. Si ce programme est suivi, on va prendre le bouillon et on ne se relèvera pas. »

« C’est génial » La déprime et l’hostilité à l’Europe n’ont pas cours chez les producteurs de muscadet. Du moins pas de prime abord. Joël Fargeau, 43 ans, président du syndicat de défense des appellations d’origine

contrôlée du muscadet : « L’euro, franchement, c’est génial. Cela a apporté plus de clarté dans les échanges. La volonté de mettre en placedesappellationsd’origine protégée au sein de l’Union européenne, c’est aussi une très bonne chose. » Mais M. Fargeau, qui exploite 30 hectares à Mouzillon, ne verse pas non plus dans l’angélisme. Ce quipèse sur les viticulteurs, rappelle-t-il,c’est« lamenacedelibéralisation des droits de plantation de vignes à l’horizon 2012. Si ça passe, on risque de se retrouver avec d’innombrables pieds de vigne plantés par des industriels qui inonderont ensuite le marché avec des produits bon marché ». La polémique autourdu vin rosé coupé est une « autre aberration », observe M. Fargeau. « Face à de telles propositions, on ne devient pas eurosceptique, on est juste euro-

énervé, poursuit-il. Ce qui est rageant, c’est la dépense d’énergie qu’il faut déployer pour contrer ces projets. Ce débat nous concerne tous, même nous, producteurs de muscadet. Car si on accepte que le rosé soit obtenu en mélangeant un vin rouge avec du blanc, alors on autorisera inéluctablement l’adjonction d’aromates dans des vins pour les rendre plus fruités, ou même le rajout d’édulcorants. » Pour tous ces professionnels, les commissaires européens donnent l’impression« d’êtredansunmicrocosme.Ily aungrosproblèmed’éloignement et un manque de connaissancedelaréalité duterrain », poursuit M. Fargeau. « Pour nous, l’Europe, c’est une étoile, conclut Xavier Timbo, à La Turballe. Ça brille mais c’est loin. Et c’est parfois déconnecté de la planète Terre. » p Yan Gauchard

Ludovic Le Roux veut les « mêmes règles pour tous » La Turballe (Loire-Atlantique) Envoyé spécial

Il « aime passionnément » son métier et entend ne pas le lâcher. Ludovic Le Roux est armateur du Cintharth et du Marilude, deux chalutiers d’une vingtaine de mètres, à La Turballe (Loire-Atlantique). « Je suis la quatrième génération à prendre la mer dans la famille, indique le patron-pêcheur de 37 ans. Pour moi, c’était naturel. J’ai commencé à 15 ans à faire les saisons. A 20 ans, je me suis lancé comme marin. Pour la liberté, le rapport à la nature. » Malgré l’attachement au métier, la question de déposer les armes s’est déjà posée. Notamment quand Bruxelles a ordonné la fermeture de la pêche à l’anchois en 2005. « L’Europe, je suis pour, martèle Ludovic Le Roux. La gestion des quotas, on sait que c’est nécessaire pour préserver les ressources, et c’est à l’Europe de le faire. Seulement, il faut un minimum de

du Lweek-end ’ entretien

concertation avec les professionnels. A mon avis, on aurait pu éviter la fermeture complète de l’anchois. Ce qui est terrible, c’est qu’une décision-couperet comme celle-là est capable de laminer une économie en un rien de temps. » Malgré les crises à répétition, il se dit convaincu que sa profession a un avenir. « On peut gagner correctement sa vie en pêchant, assure t-il. Seulement, il faut les mêmes règles pour tous. En 2005, un rapport européen indiquait que les Espagnols dépassaient allégrement les quotas qui leur étaient alloués mais aucune pénalité ne leur a été infligée. » « Prenez aussi la question du traitement social. On voit des pêcheurs irlandais employer des étrangers pour 400 euros par mois. Tant que de telles pratiques auront cours, il ne faudra pas s’étonner que le poisson paraisse plus cher chez nous ! C’est sur ces sujets que l’Europe doit agir », ajoute-t-il. p Y. G.

Ludovic Le Roux, patron-pêcheur à La Turballe, en Loire-Atlantique. FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE »

Cette semaine

Hubert Védrine, son regard sur les élections européennes Samedi 30 mai daté dimanche 31 mai - lundi 1er juin dans 0123


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France 9

0123 Samedi 14 mars 2009

Universités : des signes de radicalisation Sur le campus de Nantes, parmi les plus mobilisés, partisans et adversaires du blocage s’affrontent

A gauche : des étudiants veulent faire cesser les cours de droit, en présence du doyen (devant la porte). A droite, un bâtiment occupé de la faculté de lettres . FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE »

Reportage Nantes Envoyé spécial

L

e graffiti s’étale sur la façade de la faculté de droit. « Aristote, on sait où t’habites ». Celui qui est ainsi ouvertement menacé n’est pas le philosophe grec, mais un étudiant en licence de droit à l’université de Nantes, Aristote Toussaint. Le jeune homme, qui ne niepas sonappartenance àl’UMP, a toujours clamé son opposition au blocage de l’université depuis six semaines. Visiblement, cela ne plaît pas à tout le monde. C’est en tout cas un signe spectaculaire de radicalisation sur le cam-

pus nantais. L’université, forte de 34 000 étudiants, est l’une des plus mobilisées contre les réformes de l’enseignement supérieur. Des cours ont été interrompus depuis le début du mouvement, comme en droit. Aujourd’hui,lessignes decrispationse multiplient. « Depuis quinze jours, constate le doyen, Gilles Dumont,lesrisquesdetroublesviennent des bloqueurs comme des antibloqueurs. » Lui qui, dès les premières journées de grève, avait décidé d’arrêter les cours car les étudiants mobilisés« menaçaientdetout saccager », a pris la décision inverse lundi 9 mars : « Il y avaient des battesde base-ballquitraînaient, et[les antibloqueurs] menaçaient d’aller

faire le ménage », explique-t-il. La reprise a été décidée dans la confusion générale. Le vote à bulletin secret a été empêché par les bloqueurs, emmenés par SUD-Etudiant, l’UNEF et d’autres organisationsdegauche. Brouhaha,bousculades, évacuation, le doyen finit par proposer un vote à main levée. « Sur les 1 500 étudiants présents, il y a eu 15 voix contre, raconte-t-il. La reprise des cours permet aussi de reprendrela mobilisation,car leblocus renvoie les gens chezeux, isole et divise. Le blocus est sarkozyste. » Un argument que les étudiants mobilisés n’entendent pas. Par « ce vote aberrant et antidémocratique » dit-on à SUD, la fac de droit affaiblit un mouvement jusque-là

« inter-UFR ». Jeudi 12 au matin, après un nouveau feu de cageots improvisé sur le campus, une centaine d’entre eux emmenés par SUD et l’UNEF ont donc débarqué chez le doyen de droit et exigé que les cours soient « suspendus » lundi 16, lors de la prochaine AG.

« Blocage et sabotage » Ils venaient de l’UFR Lettres et scienceshumaines, à deux pas de la fac de droit. Là aussi, la plupart des cours sont arrêtés. Mais le bâtiment n’est occupé, nuits comprises, que depuis trois jours, autre signe de radicalisation. Le hall est tapissé de banderoles qui réclament « Blocage et sabotage » ou proclament :« Enfantsdu capitalis-

me, c’est à nous de le détruire ». Un drapeaunoirflotteaumilieudel’escalier principal. « Depuis le début du mouvement, c’est le bâtiment d’en face qui était occupé pendant la journée », explique Joseph Pautet, étudiant en histoire, non syndiqué mais « impliqué sincèrement ». Dans les dernières heures, « il y a eu des tags et du matériel abîmé. Ce n’est pas acceptable. Et nous avons aidéà nettoyer ». « L’occupation » a dû déménager. Les dégradations, Yves Lecointe, lesredoute.« Ça auncoût »,rappelle le président de l’université. En 2007, lors du mouvement contre la loi sur l’autonomie des universités, elles ont représenté « l’équivalent de trois postes d’enseignant-cher-

cheur, soit 150 000 euros ». En termes d’image, c’est aussi l’université qui « paie l’addition, car cela décrédibilise notre travail », ajoute-t-il. Sans parler des étudiants « les plus fragiles » qui ne peuvent se permettre de perdre une année. « On trouvera un moyen de ne pas léser les étudiants. On a encore de la souplesse pour les examens », assure Hervé Lelourec, secrétaire localduSnesup(FSU),principalsyndicatdusupérieur.Selonlui,si radicalisation il y a, « elle est provoquée par une autre, celle d’un gouvernement qui propose de détruire tout ce à quoi l’on croit ». Il se dit prêt à bloquer l’université, « si cela a l’aval du plus grand nombre ».p Benoît Floc’h

« M. Sarkozy a donné aux réformes un éclairage inquiétant » Les blocages persistent Entretien JEAN-FRANÇOIS MÉLA, professeur émérite à l’université de Paris-XIII, est l’auteur du blog JFM’s blog, consacré à l’université et à la recherche. Le fossé est-il en train de se creuser entre le sarkozysme et le « monde du savoir » ?

C’est une évidence. Le fameux discours de Nicolas Sarkozy du 22 janvier, où la recherche publique a été mise en accusation, a été pour beaucoup dans l’explosion de la révolte, et surtout dans le fait que des scientifiques reconnus, jusque-là, modérés dans leurs critiques, s’y soient associés. Il s’est créé une situation extrêmement malsaine où les désaccords ont pris une tournure politique qui dépasse le contenu des réformes proprement dites, parce que le président leur a donné un éclairage inquiétant. Du coup, les réformes dont certaines avaient été

souhaitées dans le passé ont tendance à être rejetées en bloc. Le sarkozysme n’a pas de relais dans le « monde du savoir ». La droite universitaire est traditionnellement plus réactionnaire que moderniste, et elle ne soutient pas la réforme, n’hésitant pas, de façon assez étonnante, à faire cause commune avec les « gauchistes ». Cette colère vous semble-t-elle réellement dirigée contre un pouvoir précis, ou exprime-t-elle un désaccord plus vaste ?

La composante proprement politique de la révolte est incontestable, et contribue à son caractère exacerbé. Il ne faut pas minimiser la protestation contre les suppressions d’emplois. Mais le conflit actuel est aussi l’expression des contradictions présentes dans les transformations en cours. Il y a d’abord la volonté politique de piloter de façon trop directe la recherche vue comme

un moteur de l’économie. Il y a l’introduction de techniques managériales et d’indicateurs de performance, abusivement transposés du monde de l’entreprise à celui des laboratoires et des universités. Il y a une défiance vis-à-vis de l’autonomie des universités – pourtant essentielle – parce qu’elle met trop l’accent sur l’autorité managériale aux dépens de la communauté académique. Il est incontestable que le « contrat » entre l’université et la société est en train de changer et que ceci est source de tensions. Est-il légitime que la société demande des comptes à des universitaires ou des chercheurs ?

Posée de façon aussi générale, la réponse ne peut être que oui. Mais qu’entend-on par « demander des comptes » ? S’il s’agit de demander aux chercheurs des informations de plus en plus détaillées et de plus en plus quantifiées, il n’est pas sûr que cela

améliore leur productivité scientifique ; cela peut favoriser des stratégies de conformisme qui se manifestent tout particulièrement lorsqu’il s’agit de programmes de recherche finalisés. Il faut savoir ce qu’il est important d’évaluer et de contrôler. Dans un univers où la motivation intrinsèque est essentielle, et où l’autonomie dans le travail est une valeur positive, au-delà d’un certain niveau de contrôle on envoie à l’agent un message de défiance qui nuit à la performance. Le principal contrôle devrait porter sur le processus de sélection et de formation des chercheurs et des enseignantschercheurs. Le pouvoir politique peut légitimement fixer de grands objectifs, mais les dispositifs de contrôle doivent être mis en œuvre par la communauté scientifique, et les critères doivent être souples et évolutifs. p Propos recueillis par Catherine Rollot

APRÈS plus de cinq semaines de conflit, un tiers des sites universitaires étaient toujours plus ou moins perturbés, jeudi 12 mars. Selon le décompte du collectif Sauvons l’université, 48 établissements sur les 85 du pays sont bloqués totalement, partiellement ou impliqués dans « Le printemps des chaises », opération consistant à déplacer les sièges pour empêcher la tenue des cours. Le ministère de l’enseignement supérieur faisait quant à lui état de « 35 sites bloqués ou perturbés à des degrés divers », précisant que seules les universités Montpellier-III et Rennes-II étaient « totalement bloquées ». L’UNEF, principal syndicat étudiant, évoquait, lui, « 22 universités totalement ou partiellement bloquées, voire fermées administrativement ». Le mouvement se caractérise par une mobilisation diffuse et mouvante, et des signes de radicalisation. Jeudi, à Montpellier-II, les personnels

rejoints par les étudiants ont voté en assemblée générale le blocage de l’université à partir de lundi 16 mars. Ils ont demandé à la présidente de l’université de suspendre les activités de lundi à jeudi, date de la deuxième journée nationale inter-professionnelle de manifestations. Le même jour, à l’inverse, l’université de Toulouse-II Le Mirail, fermée depuis mardi 10 mars, à la suite d’incidents, a été rouverte jeudi matin. D’autres formes de protestation ont été adoptées, comme à Aix-Marseille-I. Une centaine d’enseignants-chercheurs ont en effet remis, jeudi 12 mars, des lettres de démission de leurs fonctions administratives au président. Cela devrait avoir « dans quelques semaines un impact sérieux sur le fonctionnement administratif des universités », a déclaré un porteparole des chercheurs. p B. F. et C. Ro

Le PS du Limousin bloque la liste d’Henri Weber pour les européennes La circonscription Centre est la seule à ne pas avoir ratifié le choix des candidats définis par le conseil national pour le scrutin du 7 juin

L

e vent de fronde contre les listes européennes établies par la direction du PS n’a véritablement soufflé que sur le Limousin. A un peu plus de 80 % des suffrages, l’ensemble des adhérents socialistes ont ratifié jeudi 12 mars les choix issus cu conseil national du 28 février. Concentrée pour l’essentiel sur trois départements, la contestation estnéanmoins parvenue à remettre en cause les candidatures établies pour la grande région Centre. Ce résultat imputable aux trois départements de la Haute-Vienne, la Corrèze et la Creuse. Ceux-ci se sont fortement mobilisés (plus de 60 % de participation soit vingt points de plus que la moyenne nationale) et ont massivement repoussé (plus de 80 % de votes contre) la proposition qui leur était

faite. La région administrative du Centre ainsi que l’Auvergne n’ont pucompenser le vote du Limousin. Cettevieille terresocialisteparticulièrement attachée à son autonomie, n’a pas apprécié le « parachutage » en tête de liste du député européen sortant Henri Weber. Ce proche de Laurent Fabius n’avait pu être reconduit dans le NordOuest en raison de la forte présence de proches de Martine Aubry en situation éligible dans cette région. Dans le Limousin, le refus de la direction d’avaliser, compte tenu des règles de non-cumul des mandats, la candidature de Jean-Paul Denanot, président de la région, a irrité le PS local. « L’aspect territorial de la constitution des listes a été sous-estimé, assure Marie-France Perol-Dumont, députée et présidente du conseil général de la Hau-

te-Vienne. Nous avions alerté la Rue de Solferino qu’il ne s’agissait pas d’une grogne des “barons” mais bien d’une révolte des militants ». Derrière la fronde limousine, certains voient aussi l’influence de François Hollande, président du conseil général de Corrèze, et dont les amis, très influents dans la région Limousin, estiment avoir été insuffisamment représentés au plan national.

Equilibre complexe Dès la semaine prochaine, Mme Aubry recevra les responsables des fédérations du Grand-Centre. La marge de négociation apparaît étroite dans cette circonscription qui s’étend de Dreux (Eure-etLoir) à Saint-Flour (Cantal) où le PS ne peut espérer que deux élus. Les représentants du Limousin reven-

diquentquelestrois premières places de la liste soient occupées par des représentantsdes trois régions. La direction n’a pas l’intention de retirer la candidature de M. Weber afin de ne pas remettre en cause l’équilibrecomplexenégociénationalement par les quatre courants issus du congrès de Reims. Seuls deux autres départements (l’Ille-et-Vilaine et la Côted’Or) ont voté contre les candidats qui leur étaient présentés sans parvenir à compromettre l’issue du scrutin dans les grandes régions Ouest et Est. Gérard Collomb, qui avaitprislancé une pétitionhostile àladirectionduPS, n’apasconvaincu les adhérents lyonnais de s’opposer à la liste qui leur était soumise. Conséquence de ces querelles, la direction mise en place par Martine Aubry a enregistré jeu-

di la démission de Mireille Le Corre, secrétaire nationale à la santé. Elue de l’Yonne, cette proche de Benoit Hamon conteste les conditions d’élaboration de la liste dans la région Grand-Est. André Vallini,

avait quitté le 12 janvier ses fonctions de responsable des questions de justice au PS en raison d’un conflit avec la première secrétaire. p Jean-Michel Normand

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Presse Quotidienne


Enquête

16

0123 Dimanche 25 - Lundi 26 janvier 2009

40 % des Français appartiennent à la classe moyenne. Leur principale interrogation : comment maintenir leur niveau de vie, déjà menacé avant la crise économique ? Elise Vincent

A Nantes, Claire De West et sa famille courent les bons plans (son mari n’a pas souhaité montrer son visage) . FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE »

Familles E

ric-rac

I

ls n’osent pas vraiment se plaindre. Se reprennent dès qu’ils s’épanchent : « Il y a plus malheureux que nous ! » Ils ont « la chance » de ne pas être au chômage, le « luxe » de pouvoir partir en vacances. Eux, les « classes moyennes », pas « très riches », mais pas « pauvres » non plus, pas malheureux donc, a priori. Et pourtant, elles s’interrogent. Aujourd’hui, les « classes moyennes » s’inquiètent. De leur niveau de vie, en particulier, qu’elles sentent menacé. Notamment en cette période de crise. Parce que le chômage les guette comme les autres. Et parce qu’elles redoutent la pression fiscale qui pourrait résulter du coût du plan de relance. La journée d’action prévue, le 29 janvier, à l’appel de nombreux syndicats, est entre autres organisée sur ce thème. Depuis plusieurs années déjà, le niveau de vie des classes moyennes, comme les autres, est fragilisé par l’explosion des dépenses dites « normatives ». Le lieu de résidence souvent éloigné du lieu

de travail augmente les factures d’essence. Le travail implique de posséder deux voitures. En cas de séparation conjugale, les dépenses pour chaque conjoint augmentent d’environ 30 %. Mais plus récemment, se sont aussi ajoutés Internet, le câble, le téléphone portable… Tout ce qui compose au final ce que l’on appelle le niveau de vie. Et c’est la progression de ce dernier, beaucoup plus rapide que celle du pouvoir d’achat en fin de compte, qui engendre aujourd’hui le sentiment de précarisation. Parce qu’après avoir augmenté de 3 % à 5 % par an jusqu’en 1978, le pouvoir d’achat a depuis rarement atteint les 1 % par an. Comme l’analyse Denis Clerc, conseiller de la rédaction du magazine Alternatives économiques et spécialiste du sujet : « Jusque-là, en vingt-cinq ans de carrière, un salarié pouvait se retourner derrière lui et voir le chemin parcouru. » Un cadre moyen pouvait passer cadre supérieur. Aujourd’hui, il faut « trois générations » pour parcourir le même chemin. Historiquement, selon Denis Clerc, les

Comment calculer son niveau de vie LE NIVEAU de vie d’un ménage se calcule en fonction des rentrées d’argent mais aussi selon le nombre d’enfants à charge. Il faut diviser le revenu net mensuel – en incluant les prestations sociales, mais en retranchant l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation et les éventuelles pensions alimentaires – par un coefficient qui prend en compte ce qu’on appelle le nombre « d’unités de consommation ». Le premier adulte compte pour 1, le deuxième pour 0,5. Les enfants de plus de 14 ans comptent pour 0,5 cha-

cun et ceux de moins de 14 ans pour 0,3 chacun. Au terme de ce calcul, le niveau de vie des classes moyennes se situent entre environ 1 380 et 1 980 euros par mois. Une nuance toutefois : à cause de la cherté des loyers, les résidents de Paris intra-muros et de certaines grandes agglomérations comme Lyon ou Bordeaux (mais pas Marseille ou Lille) doivent disposer d’environ 10 % de revenus de plus que le reste des Français pour avoir droit au label « classes moyennes ».

classes moyennes – ou les « classes médianes », comme il préfère les appeler – n’ont jamais été « à l’aise ». Elles ont toujours eu ce complexe du « et nous et nous et nous ». Avant, « l’un de leurs principaux objectifs était de rattraper le niveau de vie de ceux juste au-dessus d’eux ». Mais le ralentissement de la hausse du pouvoir d’achat, associé à la stagnation des salaires, et, à partir des années 1990, la mise en place d’aides pour les plus modestes (allocation logement, prime pour l’emploi…) ou les plus aisés récemment (bouclier fiscal) ont rendu plus difficile cet objectif de vie. N’est pas classe moyenne qui veut, toutefois. Car il existe un syndrome, en France. Il n’est pas grave. Mais il est répandu. Les sociologues le connaissent bien : beaucoup de Français se croient classe moyenne. « Dans la moyenne », quoi. Le concept est vaste, regroupe des réalités hétérogènes, mais il n’en existe pas moins certains critères. Les classes moyennes, ce sont principalement les ouvriers et employés qualifiés, les professions intermédiaires – certains employés de commerce par exemple – les fonctionnaires, les instituteurs, les policiers, les postiers… Soit environ 40 % des Français. Mais les classes moyennes ce ne sont ni les artisans, ni les commerçants, ni les professions libérales. Même si ces derniers voient aussi leur pouvoir d’achat entamé, ils sont propriétaires de leur outil de production et appartiennent, au sens sociologique du terme, à la « petite bourgeoisie ». De même, les cadres de grandes entreprises, les professeurs d’université, les journalistes parisiens, sont considérés comme appartenant aux couches dites « supérieures ». Le Monde a donc recueilli des témoignages de familles appartenant aux classes moyennes. Aux vraies classes moyennes.

Famille De West

lle a un accent belge élégant. Des manières qui trahissent une éducation « comme il faut ». Mais dans sa maisonnette mitoyenne d’un lotissement de Nantes, à 33 ans, Claire De West (son nom de jeune fille), fine silhouette blonde, fait bien partie des classes moyennes. Elle est au sommet de la tranche, à la limite des classes aisées, mais « classe moyenne » malgré tout. Son mari, du même âge qu’elle, et qui tient à garder l’anonymat, est ingénieur à EDF. Elle a aussi des jumeaux, nés en 2006. A eux quatre, ils disposent d’environ 3 700 euros par mois. Un quotidien joyeux, avec des promenades le weekend sur les bords de l’Erdre, à cinq minutes de la maison, des vacances avec le comité d’entreprise ou chez les copains. Claire De West n’a pas de travail, elle en cherche. En 2003, elle a quitté son job d’assistante marketing en souhaitant se réorienter dans la conception de sites Internet. C’était à Lyon, là où elle a rencontré son mari. Depuis, malgré son bac + 5, elle a « enchaîné les boulots précaires » où elle était souvent surqualifiée. Sa grossesse n’a pas aidé. Et aujourd’hui, si elle réussissait à décrocher un emploi convenable, ils gagneraient en aisance. Mais la crise est là, et pour l’heure, ses démarches restent vaines. Elle ne se plaint pas. Sûrement pas. Elle peut toujours s’offrir les services d’une femme de ménage. Le couple s’autorise « deux restos par mois entre 15 et 20 euros le menu », en amoureux. Elle peut faire ses courses à l’Intermarché « sans trop regarder ». Et tous les trois mois, comme ils sont très famille, ils rendent visite à ses parents en Belgique ou à ses beaux-parents, à Lyon. Mais une fois déduites toutes les charges incontournables, le remboursement de la maison, de la voiture, les assurances, les courses, restent environ 600 euros par mois. Que ce soit pour payer le coiffeur, les cigarettes, les timbres, les frais bancaires. Plutôt maigre, en cas de coup dur : « Si une de nos deux voitures nous lâche par exemple, je sais qu’on ne la réparera pas, je ferai à pied », explique-t-elle. Quant à l’épargne, difficile d’en faire. Ils ont seulement quelques actions en Bourse. Alors, pour maintenir la marge, Claire De West court les bons plans. Elle revend sur e-Bay tout ce qu’elle peut : les chauffe-

biberons, les poussettes… Elle anime ellemême le cours de gym de ses garçons avec d’autres parents. Fait des échanges de garde d’enfants avec les voisines du lotissement. Son mari, lui, économise dès qu’il le peut ses forfaits déplacement. Pour la maison aussi, murs blancs et toit d’ardoises sur deux étages, avec jardinet et balançoires, ils ont fait à l’économie. Ce n’est pas la « maison de ses rêves », mais c’est seulement grâce à l’aide de ses parents qu’ils ont pu acheter. Pour l’améliorer, elle aurait aimé la décorer à sa guise. Mettre du parquet dans le salon à la place du carrelage froid qui résonne. Changer totalement la cuisine un peu rustique. Ils ont finalement bien mis du parquet, mais seulement dans une chambre. Ils ont changé les meubles de la cuisine, mais uniquement la moitié. Et ils vont « poser le papier peint ». Elle est fille de fonctionnaire, lui fils d’un ancien haut responsable de chez Hewlett-Packard, et ils n’ont pas de sentiment de « déclassement » social, assure-t-elle. Juste un peu d’agacement quand, il y a quelques semaines, des amis belges, plus aisés qu’elle, se sont permis de faire des remarques sur ses « fenêtres en plastique et l’absence de cache-radiateur ». A la rentrée prochaine, elle aimerait mettre ses jumeaux à l’école privée.

Chez les De West, Nantes (Loire-Atlantique) Revenu disponible 3 732 euros par mois. Deux enfants à charge de moins de 14 ans (coefficient 2,1) soit un niveau de vie de 1 777 euros par mois.

Rentrées d’argent Salaire sur 13 mois : 3 741 euros. Prestations sociales : 180 euros.

Dépenses mensuelles Logement : 1 442 euros (remboursements de prêts). Eau : 23 euros. EDF : 10 euros. Transports : 122 euros (tickets bus + remboursement voiture). Essence : 50 euros. Assurances : 104 euros (2 voitures, habitation). Impôts : 189 euros (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, taxe foncière). Téléphone, Internet, Canal+ : 78 euros. Education (crèche) : 284 euros. Activités enfants : 7 euros. Femme de ménage : 65 euros. Nourriture : 842 euros.


Presse Quotidienne


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0123 Mardi 21 octobre 2008

3

Depuis le 15 septembre, quatre habitants de l’agglomération nantaise tentent de relever le défi de la « Zenius Expérience » : utiliser, au lieu de leur véhicule, tous les transports en commun

Huit semaines sans voiture

Après un mois passé à utiliser les transports en commun, les services de vélo et d’autopartage, Cyrille, qui passait deux heures par jour au volant, s’est aperçu que son véhicule ne lui manquait plus du tout. FRANCK TOPMS POUR « LE MONDE » NANTES ENVOYÉE SPÉCIALE

Z

enius Expérience, saison III ? Ce n’est pas une énième émission de télé-réalité, encore moins une série télévisée. Juste une expérience tentée par quatre Nantais triés sur le volet. Leur mission ? Ne pas prendre leur voiture pendant près de huit semaines et utiliser tous les transports en commun, du tram au bus en passant par les services de vélo Bicloo et d’auto-partage Marguerite. A l’origine de cette opération, qui a débuté le 15 septembre, Jérôme Guienne, le patron de Loc Eco, un petit loueur de voitures qui propose des forfaits de location. « Aujourd’hui, dans le centre de Nantes, tous les moyens sont mis en œuvre pour se passer de la voiture, affirme M. Guienne. La location, c’est du pouvoir d’achat en plus. Ce qui manque, c’est le déclic, comme pour les fumeurs. » La saison II a été couronnée de succès. Selon lui, « les quatre candidats se sont tous séparés de la deuxième voiture de la famille ». Loc Eco, qui espère bien récu-

pérer des clients, prête au « cobaye » qui le souhaite un véhicule le week-end. Cyrille Guérin, sapeur-pompier : « Avant, je pensais “voiture” » Ce sapeur-pompier, marié et père de deux enfants – 3 ans et demi et 13 mois – utilisait sa Xsara Picasso pour un oui ou pour un non. Il faut dire que la famille Guérin habite à Sainte-Luce-sur-Loire, à environ dix kilomètres du centre de Nantes. Au fil des jours, Cyrille s’est aperçu qu’elle ne lui manquait pas du tout. Une révélation pour cet « accro » qui passait deux heures par jour dans sa voiture. « Au-delà d’un kilomètre, je la prenais », avoue-t-il. Depuis, si, parfois, il lui arrive de devoir pédaler pendant une demi-heure sous la pluie à 6 heures du matin pour rejoindre sa caserne, il dit avoir pris goût aux solutions alternatives de transport. Et il met un point d’honneur à se débrouiller tout seul : « C’est pas toujours facile ! Ce soir, j’ai une fête, loin de chez moi. Des copains m’ont proposé de venir me chercher, j’ai refusé. » Sa candidature à la Zenius Expérience a été motivée par des questions écologiques

mais aussi économiques. Le couple possède deux voitures mais l’une des deux reste le plus souvent en stationnement. Il réfléchit sérieusement à la vendre. Même s’il reconnaît qu’avec deux petits enfants, c’est parfois « un peu galère » de ne pas avoir de voiture. « Si j’avais une station “Marguerite” en bas de chez moi, je ne réfléchirai même plus », assure-t-il. Cécile Baudry, salariée dans une banque : « J’étais intoxiquée ! » Lorsqu’elle habitait à Paris, cette future maman de 30 ans, salariée dans une banque, se déplaçait en transports en commun. « J’en avais marre, reconnaîtelle. Alors quand je suis revenue à Nantes, en 2004, je me suis rachetée une voiture. » Depuis, il n’y a pas eu une seule journée où elle ne l’a pas prise alors qu’elle travaille à moins de quatre kilomètres de chez elle. « J’étais totalement intoxiquée ! Alors que franchement, habitant dans le centre, c’est vraiment facile de se passer de voiture », reconnaît Cécile. Aujourd’hui, elle pratique le covoiturage le matin. Et le soir, elle prend le bus. Au début de l’expé-

rience, elle a connu quelques ratés. « Un jour, j’ai oublié ma carte de bus. Je suis retournée chez moi. Résultat je l’ai raté et perdu 15 minutes. J’avais une course à faire, qui m’a pris un peu plus de temps et j’ai dû attendre 22 minutes le bus d’après. Je m’étais levée 40 minutes avant pour arriver plus tôt à mon travail et je suis arrivée à la même heure… » Son conjoint possède aussi une voiture. Avec l’arrivée d’un bébé dans quelques mois, le couple réfléchit sérieusement à se séparer d’une des deux. Edouard Goin, réalisateur de télévision : « Je vends mon véhicule ! » Ce jeune réalisateur de télévision travaille à un quart d’heure à pied de chez lui. Quant à la nourrice de sa fille, elle habite dans sa rue. Et pourtant. « Je prenais ma voiture tout le temps. Le moteur n’avait même pas le temps de chauffer ! », avoue Edouard, 30 ans. Le couple va avoir un deuxième enfant dans les jours qui viennent et pensait changer sa Seat Altea, achetée neuve il y a trois ans, pour une voiture plus spacieuse. Mais avec la Zenius Expérience, Edouard a eu le déclic. « Après dix

jours de sevrage, je n’éprouvais aucun symptôme de manque ! », lance-t-il. Pour faire ses courses, il va plus souvent au petit supermarché en bas de chez lui. « Et on a même investi dans une carafe filtrante pour ne plus acheter de packs d’eau ! » Edouard a fait marcher sa calculette et mis en vente son véhicule. « Je vais prendre un abonnement de 50 jours. Ma voiture me coûte 4 000 euros, décote comprise. Avec mon abonnement, je vais économiser 2 000 euros. En période de crise, ce n’est pas rien. » Eric Cabanas, journaliste et artiste peintre : « La liberté, ça a un prix » « En participant à cette expérience, je voulais optimiser ce que je fais déjà », raconte-t-il.A50 ans,cejournaliste etartistepeintre se définit comme un citadin « type ». Dans la semaine, il ne prend pas sa voiture. Il utilise le tram, le bus, Bicloo et parcourt des kilomètres à pied. Mais il a quand mêmerachetérécemmentune voiture d’occasion. « Même si elle dort pratiquement tout le temps au parking, la voiture, c’est la liberté. Et la liberté, ça a un prix ! » a

Record d’affluence au Mondial de l’auto

« Une révélation, tant il éclaire le malaise de l’Amérique »

mois. Ce qui, dans un contexte européen marqué par la chute des ventes (– 8,2 % en septembre après plus de 15 % en août), devrait remonter le moral des constructeurs. Moral au beau fixe Chez Renault, les contacts commerciaux se sont élevés à 1 400 par jour contre 800 en 2006. Le constructeur, qui espère relancer ses ventes après l’échec de la Laguna, présentait sa nouvelle Mégane, un véhicule qui a longtemps été la locomotive commerciale du groupe. « 30 % des contacts pris sont liés à la Mégane et au coupé, alors qu’elles ne sont pas encore disponibles dans le réseau. Les commandes fermes tous véhicules confondus ont augmenté de 10 % à 1 000 », se félicite Renault. Chez Citroën, le nombre de réservations est supérieur à 1 000, c’est deux fois plus qu’en 2006, et Peugeot revendique 2 000 propositions commerciales et la prise de 15 000 contacts. Le moral semble aussi au beau fixe chez Toyota. Après une année 2008 médiocre, le constructeur nippon s’attend déjà à une année 2009 « très positive » grâce au renouvellement d’un certain nombre de ses modèles et de la commercialisation de nouveaux. « Les 500 IQ [sa mini-voiture de quatre places] qui seront livrés pour Noël sont déjà préréservées », indique-t-on. a N. Bn

L’Expansion

Le Nobel antiBush « Un récit passionnant » Le Monde des livres © Dan Deitch 2007

LA MOROSITÉ ambiante semble s’être arrêtée aux portes du Mondial de l’automobile. En pleine crise financière et alors que la récession se profile, le salon de Paris, qui a fermé ses portes le 19 octobre, a attiré un nombre record de visiteurs (1,433 million). Côté modèle, ce sont les véhicules propres et les petites voitures qui ont suscité le plus de curiosité. Le président de cette manifestation, Louis Schweitzer, s’est félicité du nombre de contacts commerciaux généré, « beaucoup plus élevé qu’il y a deux ans ». Selon le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), les commandes fermes sont relativement rares – une centaine par jour sur un total compris entre 6 000 et 15 000 ventes. Le Mondial est plutôt un lieu de contacts commerciaux. Peugeot et BMW avaient d’ailleurs décidé de ne pas prendre de commandes cette année. « Il y a deux ans, on avait vendu seulement 150 véhicules et il y a quatre ans 120, explique Vincent Salimon, directeur des ventes. En revanche, nous avons terminé le salon avec 12 000 contacts, dont 5 000 devraient déboucher sur un achat à court terme. » Selon le CCFA, les grands constructeurs ont enregistré près de 1 000 contacts par jour. « C’est un tiers de plus qu’en 2006. C’est un bon indicateur du moral », indique son porte-parole. En règle générale, le Mondial dope les ventes des deux derniers

Nathalie Brafman

PA U L K R U G M A N

PRIX NOBEL D’ÉCONOMIE 2008

« Un précieux décryptage » Les Echos

Flammarion


Presse Quotidienne


0123 Mercredi 9 juillet 2008

Page trois Sans-papiers

3

Entré légalement en France comme étudiant, Oumar Diallo a été renvoyé au Mali quand il s’est mis à travailler pour faire vivre sa compagne et leur bébé. La webcam est devenue leur seul lien

Le père expulsé, la famille brisée Originaires du Mali, Oumar Diallo et Kadiatou Diakité se sont rencontrés, en 2002, dans le Maine-et-Loire.

CHOLET (Maine-et-Loire)

I

ENVOYÉE SPÉCIALE

l aperçoit parfois le visage de son père sur l’écran de la webcam installée dans le salon mais il lui faut chercher loin ses « vrais » souvenirs : Mamadou, 5 ans, a vu son père pour la dernière fois le 27 janvier 2006. « Ce jour-là, les policiers ont sonné à 7 heures du matin, raconte sa mère, Kadiatou Diakité. Oumar a ouvert la porte, j’étais en train de préparer Mamadou pour l’école. Nous avons tout de suite compris qu’ils venaient pour l’expulser. Oumar a mis un pull, il a été autorisé à prendre une brosse à dents et du dentifrice, et ils l’ont emmené. Mamadou avait 2 ans et demi, il pleurait, il s’accrochait à son père. » Depuis ce jour, Kadiatou Diakité et Mamadou, qui vivent à Cholet (Maine-etLoire), n’ont jamais revu Oumar. Le temps a passé, Mamadou a grandi, mais Kadiatou Diakité n’a pas oublié ce jour de janvier où elle a vu son compagnon pour la dernière fois. « J’ai à peine pu lui parler avant son départ, soupire-t-elle. Il est resté deux jours au centre du Mesnil-Amelot, où un étranger qui était retenu à ses côtés lui a prêté une carte téléphonique. On a pu échanger quelques mots mais il a été expulsé le lendemain vers Bamako, sans que je sois prévenue. Il a été chassé sans bagages, comme un malpropre, comme un bandit. » Désormais sans ressources Kadiatou Diakité et Oumar Diallo, qui sont tous deux originaires du Mali, se sont rencontrés en 2002, dans le Maineet-Loire. Elle suit alors un troisième cycle de droit public à l’université d’Angers, il est inscrit à la faculté de Cholet. En 2003, peu avant la naissance de Mamadou, ils s’installent dans le logement étudiant d’Oumar, à Cholet. Kadiatou Diakité et Oumar Diallo sont alors en situation régulière sur le territoire français : ils ont quitté Bamako avec un visa étudiant et ils sont titulaires d’un titre de séjour. Mais Oumar Diallo commence à travailler pour faire vivre sa famille et, le 21 février 2005, la préfecture du Maineet-Loire lui refuse le renouvellement de son titre de séjour étudiant. « Il a alors téléphoné pour savoir s’il pouvait changer de statut, raconte Michel Le Cler, le responsable du comité de soutien à Oumar Diallo. Une dame, à la préfecture, lui a répondu qu’il lui fallait trouver un

ABOUCAR TRAORE (PHOTO DU HAUT) ET FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE » (PHOTO DU BAS)

çon volontaire, qui s’accroche, qui a fait du chemin depuis cette époque, mais, aujourd’hui encore, on sent chez lui une inquiétude qui l’empêche de s’épanouir comme un autre enfant. » Mamadou a accroché des photos de son père dans sa chambre et il lui envoie régulièrement des dessins à Bamako, mais il n’accepte toujours pas son absence. « A l’école, il invente des histoires, poursuit Kadiatou Diakité. Il dit que son papa va l’amener au parc, qu’il l’accompagne souvent au cinéma. Il l’adorait, il ne l’avait jamais quitté pendant plus d’une journée. Après l’expulsion, c’était comme si quelque chose s’était cassé : il faisait de grosses colères, il refusait tout ce qu’on lui proposait, il était révolté. »

emploi, de préférence en contrat à durée indéterminée [CDI]. » Le 30 avril 2005, Oumar Diallo signe un CDI à l’usine d’Heuliez de Cerizay (Deux-Sèvres), mais la procédure suit son cours : le 17 novembre 2005, il fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière. Deux mois plus tard, il est expulsé. Depuis le départ de son compagnon, Kadiatou Diakité vit seule avec son fils dans une cité de Cholet. Elle a perdu son

Bamako, ou la fin du rêve d’Oumar Diallo BAMAKO ENVOYÉ SPÉCIAL

Pour rencontrer Oumar Diallo à Bamako, il faut s’engager dans une petite rue de terre, traverser une rivière asséchée, laisser à gauche la bâtisse rouge de Madame Sy – « Location chaises, tables, marmites et accessoires » – et longer deux terrains vagues. Le père de Mamadou vit ici, dans une maison grise, derrière un portail rose qu’il ouvre d’un air gêné. Avec sa cour carrée, la maison est plutôt agréable, mais Oumar y semble mal à l’aise. Son père habite au fond à droite, sa mère à gauche, les deux autres extrémités sont occupées par la deuxième et la troisième épouse de son père. « Ma mère était la première, c’est avec elle que mon père a vécu ses années de galère, raconte-t-il. Il aurait dû s’occuper de ses enfants, nous porter de l’affection, mais cela a été le contraire. » Depuis son retour à Bamako, Oumar Diallo est sans emploi : il donne des coups de main à un ami qui installe des systèmes informatiques dans des entreprises, mais, pour l’instant, ce travail n’est pas rémunéré. « En France, je gagnais ma vie, j’avais un poste à responsabilité, et l’entreprise me payait même des cours de perfectionnement, raconte-t-il. Ici, ces compétences sont inutiles. Au Mali, ce ne sont pas des diplômes qu’il faut, mais des relations haut placées. » Sans argent, Oumar Diallo n’a guère le choix : il lui faut vivre dans la maison de son père, au côté des coépouses de celuici et de ses autres enfants. Tant qu’il vit là, il ne peut imaginer faire venir sa femme et son fils. « Je ne veux pas que Kadiatou et Mamadou vivent dans une situation

intenable alors que je ne gagne pas ma vie, soupire-t-il. En France, c’était mon salaire qui payait tout. Ici, je suis impuissant. » Il lui est difficile de vivre au Mali mais il ne peut revenir en France : lorsque le comité de soutien est venu le voir à Bamako, en mai 2006, rendez-vous a été pris avec le consul de France afin de déposer une demande de visa, mais la procédure n’a jamais abouti. « Le consul nous a demandé de constituer un dossier complet, mais la réponse a été négative. J’ai appris plus tard qu’il ne l’avait même pas envoyé à Paris. Je n’ai jamais obtenu de second rendez-vous. » A Bamako, Oumar Diallo vit dans un cul-de-sac, comme suspendu dans l’espace et le temps. Il avait l’espoir de revenir un jour au Mali, fortune faite, pour s’installer avec sa femme, son fils et sa mère, qu’il rêvait d’arracher à un mari polygame, mais l’expulsion a mis fin à son rêve. Il n’a pas vu grandir son fils. « Je lui donnais toute l’affection que je n’ai pas eue, murmure-t-il. On était tellement liés. Il me réclame encore tout le temps. » Aujourd’hui, Oumar Diallo n’a plus de forces. « En France, j’avais un boulot stable, j’étais apprécié par tout le monde, je faisais le maximum pour le bonheur de ma famille. Je ne sais pas ce que j’ai fait de mal pour que tout s’acharne contre moi. Tout ce que j’ai évité ici, on me l’a fait là-bas. L’injustice que je fuyais ici, au Mali, m’a poursuivi là-bas. » Son dernier espoir est la régularisation en France de sa femme et de son fils. « Qu’on ne s’acharne pas sur eux ! Mon enfant a le droit d’être traité comme tous les autres enfants de France. » a Serge Michel

titre de séjour étudiant en arrêtant ses études et elle est désormais sans ressources. « Elle n’a pas le droit de travailler et elle ne veut pas tricher, poursuit Michel Le Cler. Elle a adressé une demande d’aide à la mairie de Cholet pour la cantine, mais elle a été refusée. » Son loyer – 350 euros par mois – et une partie de ses courses sont payées par le comité de soutien. « Je vais aussi aux Restos du cœur, soupire-t-elle. C’est dur, je ne sais pas tendre la main. »

Lors de l’expulsion de son père, Mamadou, qui a aujourd’hui 5 ans, a traversé une période difficile. « C’était un petit garçon très bien intégré qui prenait beaucoup de plaisir à venir à l’école, raconte MarieAline Boyer, l’ancienne directrice de l’école maternelle du quartier. Sa vie a basculé du jour au lendemain : il était stressé, il avait du mal à comprendre pourquoi son père avait disparu, il sentait beaucoup de désespoir autour de lui. C’est un petit gar-

« La peur au ventre » Malgré la circulaire Sarkozy sur les parents d’enfants scolarisés de juin 2005, Kadiatou Diakité, qui est devenue – bien malgré elle – l’un des symboles des sans- papiers de Cholet, n’a pas été régularisée. Elle vit aujourd’hui terrée dans sa cité : elle ne quitte pas la ville de peur de subir un contrôle. « Nous sommes enfermés ici depuis deux ans et demi, poursuit-elle. Le mercredi et le samedi, un membre du comité de soutien emmène Mamadou à la patinoire, mais nous sortons le moins possible – de toute façon, je n’ai pas d’argent pour nous payer le bus. Quand je vais au magasin, j’ai la peur au ventre. » Kadiatou Diakité n’envisage pas pour autant de retourner au Mali : elle a fait des études supérieures et quitté Bamako pour s’éloigner d’un père polygame qui s’apprêtait à la marier et elle ne souhaite pas renouer avec les traditions familiales maliennes. « Je suis venue ici contre l’avis de mon père, en me débrouillant toute seule, parce que j’avais envie d’avoir un peu de liberté », résume-t-elle. Malgré son abattement, Kadiatou Diakité attend toujours une régularisation. « Je ne veux pas rentrer au Mali et vivre comme ma mère a vécu, conclut-elle. J’aimerais tellement que Mamadou aille à l’école ici, en France, et qu’il ait une bonne éducation. » a Anne Chemin


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0123 Vendredi 8 février 2008

Page trois Sports

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La gymnaste Cloé Briand n’a pas été retenue pour les Jeux olympiques de Pékin. Ses parents accusent l’entraîneur national, Yves Kieffer, de « harcèlement ». Une enquête est en cours

Le revers de la course à la médaille

L

orsque Cloé Briand est 1996 et championne d’Europe au arrivée à l’Institut natio- sol en 2005) risquait de passer la nal du sport et de l’éduca- main. Et que la relève n’était pas tion physique (Insep), la suffisante. Six fillettes de 12 et pépinière où grandis- 13 ans ont donc été sélectionnées sent, dans le bois de Vincennes, à parmi les volontaires, après des Paris, les meilleurs espoirs sportifs tests dans les meilleurs clubs et français, elle ne doutait de rien. pôles d’entraînement nationaux et Alors âgée de 13 ans, elle avait régionaux. Peinant techniquement, de son consigné son ambition sur une fiche distribuée à cet effet : deux propre aveu, Cloé Briand n’a pas médailles d’or aux Jeux olympi- trouvé ses marques dans les granques de Pékin, en août 2008. Pas des bâtisses du bois de Vincennes. moins. Ce rêve d’enfant n’aura pas En décembre 2006, elle a quitté le résisté à l’adolescence. Elle a groupe. Direction le pôle espoir de aujourd’hui 16 ans et ne sera pas Toulon. Ses parents, Laurence et Raphaël, alors conscients de ses difdu voyage en Chine. Sa déception s’est transformée ficultés, disent avoir cherché « une en un combat familial. Elle ne approche psychologique différente ». concourra pas à Pékin, certes, mais Du sur-mesure pour leur fille, qu’ils l’homme qu’elle et ses parents tien- ont toujours suivie de très près. Le fil n’était pas encore totalenent pour responsable de cet échec risque lui aussi de rester à Paris. ment rompu : la jeune fille, grâce à Yves Kieffer, l’entraîneur national, une avalanche de blessures, a été accusé d’user de méthodes d’en- repêchée pour le stage préparatoitraînement abusives, a demandé, re final aux Mondiaux, disputés en pris dans la polémique, à être août 2007. Selon Yves Kieffer, c’est « momentanément » déchargé de sa non-sélection, finalement, pour ses fonctions, dans l’attente des cette compétition, qui serait à l’orirésultats, mi-février, d’une enquê- gine de la campagne de ses parents te diligentée par le ministère de la contre les méthodes d’entraînesanté, de la jeunesse et des sports, ment des cadres fédéraux. Cloé, de à la suite d’une plainte des parents surcroît, s’est vu refuser, en dépit de demandes familiales, de Cloé. Mercredi un retour à l’Insep, qu’el6 février, Yves Kieffer a « C’est le voyait, dit-elle, « comde nouveau été entendu son devoir me un passage obligé par les inspecteurs généd’entraîneur pour aller aux Jeux ». raux du ministère. que de rappeler Deux versions, désorEt voilà toute la gymles règles. mais, s’opposent : ce qui nastique féminine franIl ne s’agit pas çaise en crise, à six mois d’humiliations » relève pour Yves Kieffer – qui a participé à la quêde l’échéance olympite de huit des douze que. D’un côté, une athmédailles internationalète et sa famille qui par- Isabelle Severino, les glanées en gymnastilent d’« insultes et de har- gymnaste entraînée que par la France cèlement moral », et qui par Yves Kieffer depuis 1979 – de méthoont entamé une procédure judiciaire à Nantes pour des normales a été vécu par Cloé demander des dommages et inté- comme d’insupportables humiliarêts. De l’autre, un entraîneur, sou- tions. « Yves Kieffer me faisait peur. tenu par le président de la Fédéra- J’avais l’angoisse d’aller à l’entraînetion française de gymnastique ment, de ne pas y arriver du premier (FFG), Jacques Rey, qui estime coup. C’était trop militaire et trop simplement avoir fait son travail, froid », explique-t-elle aujourd’hui où l’exigence est le corollaire du dans la grande demeure familiale de La Baule. Son père, Raphaël, haut niveau. Comment en est-on arrivé là ? qui a dirigé une entreprise en FloriAu départ, l’histoire de Cloé de pendant sept ans avant de la Briand se fond dans celle d’un revendre pour prendre la tête groupe de jeunes filles, créé à la d’une société de courtage, et sa rentrée 2005 et intitulé sobrement mère, Laurence, directrice d’une « Collectif Pékin 2008 ». La FFG école de commerce, ont décidé de s’était rendu compte qu’une géné- mener le combat, en utilisant ration d’exception, avec, entre notamment Internet comme autres, Emilie Le Pennec (cham- média. La FFG, agacée par ces attapionne olympique aux barres asy- ques, a porté plainte. L’engrenage métriques en 2004), Marine était enclenché. La gymnastique offre un terreau Debauve (championne d’Europe au concours général en 2005) – particulièrement propice à ce genre qui tente actuellement un retour d’affaire. Le soupçon de malaprès un an et demi de retraite – et traitance n’est jamais loin. Les Isabelle Severino (médaillée de championnes, souvent à peine adobronze aux barres asymétriques lescentes, s’astreignent à des séanaux championnats du monde en ces d’entraînement si dures qu’el-

Cloé Briand. FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE » les peuvent choquer. L’objectif justifie-t-il que l’on se plie à pareille discipline ? Isabelle Severino, 27 ans, défend l’entraîneur national sous la houlette duquel elle s’entraîne depuis quinze ans. « Yves Kieffer est sanguin et très exigeant. Il a parfois des mots durs qu’il faut replacer dans leur contexte. Dans notre sport, une

seconde d’inattention, 2 kilos en trop, peuvent conduire à un accident grave, voire au fauteuil roulant. C’est son devoir d’entraîneur que de rappeler les règles. Il ne s’agit pas d’humiliations », explique-t-elle. Retraitée en 1999, elle est revenue à la compétition en 2003. De son côté, la famille Briand

s’estime porte-parole de beaucoup de jeunes filles qui auraient vécu des histoires semblables. « Les entraîneurs n’acceptent pas ce qui remet en cause leur pouvoir, affirme la mère. Les parents ne sont pas les bienvenus dans leur système où il est indispensable d’ériger des gardefous, comme dans la vraie vie. »

Cette curée est-elle un procès du sport de haut niveau, et de son impitoyable logique de sélection ? C’est ce que semble penser Yves Kieffer, qui souligne qu’il n’a travaillé que ponctuellement avec Cloé, qui s’entraînait avec son adjoint, Eric Besson. Pour les entraîneurs comme pour la direction technique nationale, le « Collectif Pékin 2008 » n’était pas un très bon cru. Selon Cloé Briand, Yves Kieffer ne se serait pas privé de s’en agacer ouvertement – et souvent. Dans les couloirs de l’Insep, les commentaires à l’égard de la jeune fille sont pourtant aussi impitoyables que la compétition : « Elle n’avait pas le niveau technique, ni le profil psychologique, d’une athlète de haut niveau », y entend-on. Cloé Briand reconnaît ses lacunes, qu’elle n’est « jamais parvenue à effacer », parce qu’elle a « commencé tard la gymnastique ». Mais elle impute son absence de progrès au climat terrorisant dans lequel elle a dû évoluer. La jeune gymnaste est retournée à La Baule en septembre, comme simple lycéenne. C’est alors que ses parents ont saisi le ministère des sports. Le dossier embarrasse d’autant plus la fédération qu’elle n’est pas épargnée par les querelles internes. Les relations distantes et les divergences de vues entre Yves Kieffer, entraîneur national depuis fin 2000, et son directeur technique national (DTN), JeanClaude Jacquetin, en place depuis vingt-deux ans, ne sont un secret pour personne. « On a fait un très mauvais casting en 2005 en prenant des filles qui n’avaient pas le niveau et qui n’étaient pas prêtes psychologiquement, reconnaît le DTN. Les gens viennent comme des consommateurs, car être pensionnaire à l’Insep ou dans un pôle n’est pas gratuit. En gym, on reste dans un système très directif, à contre-courant des tendances actuelles. Il faut qu’on s’ouvre. Si j’avais été tenu au courant de la situation en temps réel, l’affaire Cloé Briand n’aurait jamais existé. » Pour Yves Kieffer, le sport de haut niveau ne peut être une démarche de consommation. « On n’achète pas une médaille », résume-t-il. Lui-même risque de se retrouver au centre d’un marchandage : sa démission contre l’arrêt de la procédure ouverte par les Briand. Mercredi 23 janvier, la DTN a informé les gymnastes d’Yves Kieffer que leur entraîneur ne reviendrait pas. Cloé Briand continue la gym dans son club, « pour le plaisir ». Le haut niveau, elle « n’imaginait pas que c’était aussi dur ». a Patricia Jolly

CLAIRE CARRIER, ANCIEN MÉDECIN DU SPORT À L’INSEP

« Les parents ne peuvent exercer le contrôle » PSYCHIATRE et médecin du sport au département médical de l’Institut national du sport et de l’éducation physique (Insep) entre 1989 et 2000, Claire Carrier a aussi écrit un ouvrage intitulé Le Champion, sa vie, sa mort, psychanalyse de l’exploit. Quelle place existe-t-il pour la famille d’athlètes mineurs au sein d’institutions sportives dédiées au haut niveau, dans des sports où une maturité précoce est exigée ?

Il n’y a pas d’âge pour la performance sportive. En confiant à ces institutions leur enfant mineur, les parents doivent être conscients qu’ils le dirigent vers un projet qui change le cours de l’éducation naturelle qu’ils avaient prévu pour lui. L’échelle de la progression à très haut niveau est avant tout commandée et évaluée par le monde sportif. Par conséquent, les parents doivent accepter que la performance, le résultat sportif leur échappent. L’entraîneur va forcément désynchroniser ce

qu’ont fait les parents. Ce processus de déprogrammation, reprogrammation et évaluation est de la responsabilité et de l’expertise de l’entraîneur. Depuis leur place, les parents ne peuvent exercer de contrôle.

ces circonstances, les accidents les plus graves surviennent. Mieux vaut alors tout arrêter. La compétition est réservée au sportif. Parents et staff technique, sportif, médical sont entre eux dans un principe de coopération.

Comment les parents peuventils se positionner par rapport à l’entraîneur de leur enfant ?

Est-il possible d’entraîner à haut niveau sans être autoritaire ?

Ils doivent soutenir leur enfant pour que, dans cette déprogrammation du naturel, l’enfant ne se « casse » pas. Un entraîneur de très haut niveau a besoin d’un regard supportant et confortant des parents pour affûter à chaque instant un juste rapport risquesécurité. Ils ne doivent pas entrer en rivalité avec lui sur son travail, mais rassurer l’enfant afin qu’il ose son extrême. Celui-ci ira au maximum (voire à l’extrême) de ses compétences aidé par l’entraîneur et soutenu par ses parents. Il faut tout au long de la carrière une confiance et un respect réciproque absolus pour que l’enfant ne soit surtout pas un otage : dans

L’autorité chez un entraîneur de haut niveau est naturelle. Son expérience fait autorité. C’est sa force. C’est pour elle qu’on le choisit. Encore faut-il qu’il puisse l’exercer en plénitude sans la résoudre à une peau de chagrin : les décisions arbitraires. Sa mission est d’amener son sportif au sommet de son art. Et c’est une longue histoire. Si des mots durs sont prononcés pour stimuler ou réveiller, d’autres, bienveillants, sont dits aussi. On ne peut retirer les mots de leur contexte. Sinon, ils risquent de ne dire que ce qu’on veut leur faire dire… Et dans ce hors-sujet, l’enfant est négligé : c’est le pire. a Propos recueillis par P. Jo.

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Presse Quotidienne


0123 Samedi 23 février 2008

Reportage

21 Pour la première fois, Pascal et Cécile Gallard, éleveurs à Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire, ont une stabulation pleine. En 1984, lorsque Pascal s’est lancé, il avait fallu diminuer le cheptel. FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE »

Le bonheur

est presque D

dans le pré

ans le milieu agricole, Bruno Parmentier est peut-être le plus optimiste de tous. Ce soir-là, le directeur général de l’Ecole supérieu- vaches à traire matin et soir. Il a gardé, à re d’agriculture La Rielle, sa ferme, les bêtes les plus (ESA) d’Angers âgées, qu’il comptait envoyer à l’abattoir. explique à un parterre d’anciens élèves « L’augmentation des quotas, cela nous ingénieurs qu’il hésite à changer le nom donne confiance en l’avenir », confie-t-il. de l’établissement. Il voulait en retirer la « C’est une nouvelle liberté », estime sa référence à l’agriculture, comme l’ont femme Cécile. Quand son mari s’est lanfait ses concurrents. Mais l’idée ne lui cé, en 1984, en pleine mise en place des quotas, il avait fallu diminuer le cheptel. paraît plus d’actualité. Cet ingénieur des Mines, arrivé dans Le couple se réjouit à la perspective de la le Maine-et-Loire en 2003, raconte les prochaine paye : elle sera en hausse de assemblées générales de coopératives tel- 37 % par rapport à celle de janvier 2007. « Depuis dix ans, dans les réunions, les qu’il les a vécues ces dernières années : « Le contexte était désespérant. j’avais pris l’habitude d’annoncer des baisMoi, je disais aux agriculteurs, tenez bon, ses de prix, aujourd’hui on voit que le vous allez reprendre la main. » Il faudra mieux est possible », résume, tout nourrir 9 milliards d’humains en 2050, content, Jean-François Cesbron, le présila production de biocarburants explose, dent de la chambre d’agriculture du Maion aura plus que jamais besoin des pay- ne-et-Loire. Les revenus sont prévus à la hausse en 2007, de 12 % en général, et de sans, leur dit-il. 98 % pour les céréaliers. On y est. Depuis un an, les Mais une question taraucours du maïs, de l’orge, du de tout le monde : ce noulait, se sont envolés. Celui du « C’est plus veau contexte ne sera-t-il blé a doublé. Entre Cholet et valorisant que positif ? « J’ai l’impresAngers, dans les fermes des de ne pas vivre sion que les prix actuels sont Mauges, les signes d’amélioration alimentent les conver- de subventions » politiques, ils vont servir à supprimer les aides. Remarsations. Entre agriculteurs, quez, s’ils restent hauts, ça ne on parle des fournisseurs de Philippe Gallard me gêne pas, c’est plus valorimatériel agricole qui se frot- agriculteur sant de ne pas vivre de subventent les mains devant le retour des investissements, des fabri- tions », estime Philippe Gallard, un coucants de tanks à lait ou de robots de traite sin de Pascal associé à trois autres agriqui croulent sous les commandes… On culteurs dans un groupement agricole évoque la possibilité de cultiver la d’exploitation en commun (GAEC) où jachère cette saison, d’augmenter la pro- l’on pratique l’agriculture intensive. duction de lait en dépassant ses quotas. Dans le préfabriqué rudimentaire qui Tout un symbole : l’instauration de ces sert de bureau, la conversation tourne outils de maîtrise de la production avait autour de l’avenir de la politique agricole commune, la PAC, de l’éventuel démantèdésespéré l’agriculture française. C’est la première fois que Pascal Gal- lement des outils de régulation si les prix lard, éleveur à Saint-Florent-le-Vieil, agricoles restent élevés. Dans cette « petite Bretagne » où les jolie bourgade des bords de Loire, a une stabulation pleine. Une quarantaine de fermes sont restées nombreuses, on n’ar-

Les cours s’envolent, les quotas laitiers sont moins contraignants. Les agriculteurs finiront-ils par avoir le moral ? Reportage dans le Maine-et-Loire, à la veille du Salon de l’agriculture Laetitia Clavreul rive pas à se réjouir. Les interrogations dominent, interdisant l’euphorie. Alors qu’on ne frôle pas encore la pénurie, pourquoi une telle flambée ? « C’est révoltant que personne n’ait imaginé ce qui allait se passer, s’énerve Jacques Coraboeuf, tout jeune retraité. On demande de produire plus, mais les vaches, y en a plus, et on peut pas les inventer. » « Les bureaucrates devraient avoir un peu de bon sens paysan. Dans nos fermes, on fait des réserves de céréales et de fourrages l’été pour passer l’hiver. Il ne s’agit pas d’avoir des montagnes de beurre, mais ne serait-ce que de quoi tenir un an », estime Pascal Gallard. Ces agriculteurs sont amers. Ils voient avant tout que la hausse des prix des céréales a eu pour conséquence directe de « plomber les élevages », qui en sont

gros consommateurs. Pour Anne-Marie Poupard, 35 ans, éleveuse de lapins, le surcoût en grains s’est élevé en 2007 à 15 000 euros, pour Philippe Gallard et ses associés, qui produisent comme elle des lapins mais aussi des porcs, à 75 000 euros. Tout le monde ici imagine que les élevages porcins les plus fragiles vont disparaître. Dans ce secteur, les chutes des revenus sont estimées à 60 % pour 2007. Même si les experts prévoient que les prix devraient s’ancrer à des niveaux durablement élevés, ces producteurs constatent pour l’instant que ceux de la poudre de lait et du beurre redescendent. Alors spontanément, c’est plus de l’éventualité d’un « retournement de situation » que d’une nouvelle donne agricole dont on débat. A l’Ecole supérieure d’agriculture d’Angers, les quelques jeunes qui se destinent au métier d’agriculteur veulent pourtant y croire : la demande croissante des pays émergents, Chine au premier rang, pourrait bien donner un nouveau souffle au métier. Ils savent leurs aînés plus pessimistes. « Il faut comprendre nos parents, ils ont l’expérience des années 1980 où on leur a dit d’arrêter de produire, explique Vincent Bournaison, futur ingénieur. Si l’actuelle hausse des cours ne suffit pas à remonter un moral depuis longtemps en berne, c’est que le malaise des agriculteurs, largement décrit par les sociologues, n’est pas seulement économique, mais aussi social et identitaire. Les crises sanitaires, la prise de conscience environnementale, et la perte de poids dans la société ont marqué la profession. « Les étudiants n’entraient plus à l’ESA dans l’optique de nourrir les gens, mais de sauver la planète », explique Bruno Par-

mentier, qui attend un retour de balancier. « On se demandait, tout comme la population d’ailleurs, si les agriculteurs pouvaient encore être utiles », reconnaît Jean-François Cesbron, le président de la chambre d’agriculture. La jeune Mélanie voit aujourd’hui son père et sa mère, éleveurs laitiers, « enfin récompensés de leurs efforts ». A côté d’elle, Romain renchérit : « Ça met du baume au cœur, le secteur redevient porteur. » Ces étudiants du cursus « agricadre » de l’ESA ont tous les deux 20 ans, et leurs propos résument deux décennies de malêtre du monde agricole. « Au collège, je trichais sur mes fiches d’orientation. J’inscrivais “puéricultrice” », explique la jeune femme. De cette époque, elle n’a gardé aucune amie. Romain, lui, se souvient de ce jour, alors qu’il était en seconde, où une prof a lâché devant la classe qu’il partait en lycée agricole : « J’ai vu le mépris dans les yeux de tous. » « Mon père m’aidera à m’installer, mais il me verrait mieux banquier… au Crédit agricole », sourit Pierre Gavard, fils d’éleveurs de la Manche. « Le mien ne se fait pas à l’idée que je revienne à l’exploitation. L’an dernier, il avait décidé de tout vendre et de se reconvertir, je l’en ai dissuadé », raconte Fabien, dont le père est céréalier et viticulteur dans le Cher. Le jeune homme pense que les marchés lui donnent aujourd’hui raison. Le père de Florian Bourdeloup, lui, disait que cela ne serait pas rentable à temps complet. « Cela pourrait changer », estime son fils. C’est sûr, une image restaurée leur faciliterait la tâche. Et notamment pour trouver l’âme sœur. « Il faut tout miser pendant les études », plaisantent les étudiants. Le sujet est tabou. Pascal Gallard compte une dizaine d’agriculteurs célibataires dans son canton. Plutôt des quadragénaires. Cela n’empêchera pas Nicolas Cadiou, 28 ans, de s’installer en avril dans les Mauges, sans compagne, en tant qu’associé d’un GAEC. Aujourd’hui, Internet et les études longues estompent les fossés culturels, jugent les jeunes, étudiants ou déjà paysans. « C’est toujours un peu un frein pour les filles, surtout celles des villes », concède néanmoins Nicolas.

I

ls égrènent, dans la conversation, les qualificatifs peu amènes dont ils savent les agriculteurs affublés : « bouseux », « cul-terreux », « pollueurs », « profiteurs », etc. Les reportages, les émissions de télé-réalité et le cinéma ont véhiculé des clichés qui ont fait souffrir, quelle que soit la génération. « Le moral revient parce que l’on sent que le regard des autres pourrait changer. C’est lui qui a rendu triste », explique Cécile Gallard. L’éleveuse est persuadée que si les agriculteurs avaient davantage mis en avant le côté positif de leur métier, il y aurait moins de désintérêt. « C’est peut-être plus facile pour moi de dire cela, car je ne suis pas issue du milieu », s’excuse-t-elle. « C’est un milieu qui se plaint beaucoup et fournit une image négative de luimême. On le perçoit donc comme conservateur, alors qu’il s’est sans cesse adapté aux changements », affirme Roger Le Guen, sociologue à l’ESA. Sonne l’heure de la revanche, mais elle reste fragile. « On va peut-être pouvoir vivre de notre métier, résume Benoît Lavier, céréalier, l’un des anciens élèves du sociologue, mais le moral reste conditionné à notre réconciliation avec la société. » Et là, plane une menace : les consommateurs, touchés par les hausses de prix, risquent de désigner la profession comme responsable. a


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