Figaro Magazine - Viagens

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Avec ses petites rivières, ses cascades et jardins, l’hôtel Six Senses, rouvert il y a tout juste un an, est un coin de nature unique au pied de la montagne Qing Cheng, l’un des lieux de naissance du taoïsme.

SICHUAN LE PAYS DES BEAUX PROVERBES Traversé par le Yangzi Jiang, bordé par le Tibet à l’ouest et le Yunnan au sud, le Sichuan protège ses secrets au cœur de montagnes plus anciennes que l’Himalaya. Séjour au pays des pandas, de la gastronomie et des brumes bleues. PAR VALÉRIE LEJEUNE (TEXTE) ET ÉRIC MARTIN POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

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Le docteur Jake Owens compte parmi les chercheurs américains de la Vallée des pandas, près de Chengdu. Par le jeu, il parvient à installer une complicité incroyable avec ces animaux menacés. Mieux les comprendre permettra de les sauver puis de les réintroduire dans la nature.

DES PANDAS DESCENDUS DE LA MONTAGNE APRÈS UN SÉISME EN 2008

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n Chine où, selon Hans Christian Andersen, « tout est chinois, même l’empereur », les proverbes sont rois. L’un d’eux rappelle que « Le chemin qui mène au Sichuan est plus difficile que de monter au ciel » et l’autre qu’« Au pays de Shu, le chien aboie [de peur] quand paraît le soleil ». Cette précision météorologique peu engageante est heureusement battue en brèche par la réflexion amusée que l’on prête à Hemingway, venu, en tant que journaliste, couvrir le conflit sino-japonais et qui séjourna à Chengdu : « L’idée de voir la Chine envahit la femme d’une étrange pâleur », insinuant qu’en dépit d’un temps ombrageux, l’intérêt pour l’endroit était vif. L’écrivain américain ne se trompait pas : les raisons d’oublier qu’on a passé de longues heures au consulat de Chine pour y obtenir un visa et d’autres, à survoler les continents pour arriver en une contrée ennuagée, sont nombreuses. L’une d’elles est en noir et blanc, comme les films de Charlot, et au moins aussi drôle. Le panda géant, emblème de la Chine et fierté du Sichuan n’usurpe pas sa réputation de clown et d’animal rare. Il y a plusieurs façons d’être présenté à celui que découvrirent les Chinois au XVIIIe siècle. Au pied de la montagne Qing Cheng, dans l’hôtel Six Senses où nous descendons, Olaf Kotzke, responsable des loisirs, connaît les pandas mieux que personne. Chantre incontesté de ce chat-ours, il sait tout sur l’Ailuropoda melanoleuca que l’on appela aussi « la bête qui mange du fer », parce qu’on le surprit parfois à lécher quelques boîtes de conserve, ou « l’animal de paix » parce qu’on le croit strictement végétarien alors que dès qu’il peut mettre les cinq doigts de sa patte (plus un pouce surnuméraire aux membres supérieurs) sur une souris ou les restes d’un rongeur quelconque, il ne s’en prive pas. Entré dans l’univers du panda depuis trois ans, Olaf le Berlinois est probablement le meilleur sésame pour approcher le personnage. Comme il est aussi un gourmand patenté, notre premier dîner au Zhang San Feng, un restaurant de Dujiangyan où vous n’auriez pas l’idée d’entrer, oscille entre gastronomie et zoologie. La patronne de cet estaminet qui ressemble à une auberge médiévale porte des Crocs roses, un invraisemblable minishort bordé de dentelle et un pull très moulant dont la couleur citron vous fait instantanément remonter les gencives jusqu’aux sinus. Elles finissent par redescendre lorsqu’elles sont confrontées au délectable vin cuit que l’on vous sert sur des prunes sèches. Le patron en personne confectionne cet apéritif et offre, à qui en achète un litre, le marteau qui brisera la cire dont il a cacheté la bouteille.

Tout en dînant, Olaf nous annonce qu’il s’est procuré des autorisations pour aller le lendemain partager quelques heures de la

vie des soigneurs à la base de Dujiangyan, faveur que l’on obtient généralement sur présentation d’un don à l’ordre de l’association et de son certificat de santé car les bestioles sont fragiles. En reprenant un peu de Snow, la bière la plus légère et la plus vendue au monde, notre cicérone raconte comment, 78 LE FIGARO MAGAZINE - 17 JUIN 2016

Au sommet du mont Emei (3 099 m), les toits des temples, dentus comme des dragons, semblent garder la statue d’or géante d’un bouddha aux dix visages.

UNE RIVIÈRE À LA COULEUR DE

PEPPERMINT après le tremblement de terre de mai 2008, on a vu arriver les premiers pandas qui descendaient de la montagne, l’épicentre du séisme étant situé à 30 kilomètres d’ici. Et comment fut fondé le centre de recherche et de conservation chinois pour le panda géant où nous irons demain. Il raconte aussi comment le père Armand David, missionnaire lazariste et basque, envoyé par le muséum, découvrit en 1869 l’animal noir et blanc, en même temps que le macaque au nez retroussé dont la destinée se révéla bien moins glorieuse. Est-ce sa livrée pop art ou son caractère absolument bon enfant qui le fit préférer au singe qui éternue quand il pleut ? Nul ne sait, mais il fut un temps où, en dépit d’une chair trop amère pour justifier de passer à la casserole, on partait pourtant avec joie à la chasse au panda. Les Américains, à présent ardents défenseurs de la faune et de la flore n’étaient pas les derniers à faire parler l’escopette. Les deux premiers chasseurs du Nouveau Monde à partir en safari furent Theodore et Kermit, les propres fils du président Roosevelt qui en deux coups de fusil se bricolèrent un fameux trophée. Et les malheurs du placide animal, dont la fourrure était prisée, ne devaient pas s’arrêter là puisque, en 1936, Ruth Harkness, une créatrice de mode se mit en tête de rapporter à New York un de ces spécimens « so graphic, indeed ! » en versant un royal pot-de-vin de 2 dollars contre lequel on voulut bien imaginer que ce qu’elle serrait maternellement dans ­

Le South Bridge de Dujiangyan surplombe la vénérable rivière Min Jiang. Domptée depuis plus de 2 200 ans, elle fit, en irriguant la plaine, la richesse de Chengdu. A la croisée des rivières, le grand bouddha de Leshan est le plus haut du monde. Un moine fit don de ses yeux il y a 1 300 ans, pour que soit taillée dans la falaise cette divinité haute comme un immeuble de 22 étages et qui, depuis, protège efficacement des inondations les habitants de la ville.


La montagne Qing Cheng abrite plusieurs temples rupestres : en haut, l’entrée de celui du Soleil levant (Chaoyang Dong), en bas, les toits de Tianshi Dong, la grotte du Maître céleste. Ci-contre, un jeune panda géant surpris en pleine orgie de bambous.

UN JOUISSEUR À LA CHARMANTE INDOLENCE ­ ses bras en embarquant sur le paquebot McKinley President

était un chiot pékinois. Elle le baptisa Su Lin et, très vite lassée, le confia au Brookfield Zoo de Chicago où il mourut moins de deux ans plus tard. Depuis 1963, on a définitivement rangé les fusils et installé dans tout le pays des bases de protection comme celle, à 30 kilomètres au nord-est de Chengdu où nous nous retrouvons le lendemain, revêtus d’une cotte bleue et armés de courage. Car avant de voir leurs pattes noires, les candidats à l’admiration des pandas doivent montrer patte blanche, c’est-à-dire retrousser leurs manches pour devenir, quelques heures durant des « volontaires » au service de l’animal. Un volontariat qui consiste à nettoyer les cages au jet après les avoir vidées puis à approvisionner chaque cellule d’immenses bouquets de bambou frais dont on fend les tiges en les frappant contre le sol. Un individu adulte peut dévorer jusqu’à 17 kilos de tiges de bambou chaque jour, ou bien 10 à 14 kilos de feuilles, ou bien encore 40 kilos de tendres pousses. Comme disait Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Ces agapes finissent par produire une bonne centaine de crottes de 100 grammes chacune, ce qui donne chaque jour 15 à 20 kilos de colombins dont la couleur varie, selon l’individu, du vert épinard au mordoré.

Derrière leurs grilles, les pandas considèrent ce grand ménage

avec un attendrissement mesuré. Il est possible de leur tendre un morceau de gâteau ou une carotte pour les voir s’en régaler, mais pas question de les caresser : depuis qu’une certaine mystérieuse fièvre a fait passer des pandas de vie à trépas, on évite tout contact entre les animaux et les visiteurs. Il y a bien évidemment des arrangements avec le ciel. Contre 290 euros et sans dépasser les 20 câlins par jour, on peut avoir l’honneur et l’avantage d’un hug, entendez une courte accolade que l’on s’empressera de filmer et de balancer sur le web pour que le monde entier envie notre bonheur. Laissant à cette félicité sans égale deux Américaines, nous complétons notre « formation » par un film sur l’animal puis une séance de pâtisserie où nous apprendrons à mouler des panda breads, sorte de gros gâteaux à base de riz, d’œufs, de maïs et de soja. Le jour suivant, la Vallée des pandas nous tend les bras et les pandas, leur charmante indolence. Nous y venons tôt pour 80 LE FIGARO MAGAZINE - 17 JUIN 2016

voir les pensionnaires se livrer à leur activité favorite : la mastication. Derrière les petits murs de pierre qui cernent, comme un jardin de rocaille les différents terrains de jeu, voici les mythiques créatures, assises sur l’herbe grasse, le dos calé contre un tronc d’arbre, et pelant d’un coup de dent expert les cannes de bambou pour en dégager le cœur succulent. A les voir piocher dans le tas de branchages comme des ados dans un paquet de chips, à les regarder nous regarder, on se prend à se demander de quel côté peut bien être la télécommande. Le feuilleton se poursuit avec les metteurs en scène que sont les chercheurs du centre. Certains de leurs pensionnaires ne quitteront jamais la vallée, mais pour rendre les autres à la vie sauvage et les étudier, le jeu et la stimulation sont primordiaux. Car on a rarement vu plus paresseux, plus jouisseur et moins enclin à l’effort que ces bêtes-là. Voici donc ces doctes jeunes gens, jetant sur leurs épaules un bébé de 15 mois et 30 kilos comme jadis leurs arrière-grands-mères, une paire de renards argentés. Plus tard, c’est à leurs grands frères que s’intéresseront les scientifiques, passant de longues matinées à les pousser, les faire rouler, marcher, aller et venir, bref, prendre de l’exercice. Il s’est établi entre eux et les jeunes gens un lien que le visage expressif des pandas et leurs attitudes quasi humaines a contribué à établir. C’est sûrement ce qui explique leur renommée mondiale et la fascination du visiteur qui peut, comme au spectacle, se caler des heures durant devant le cinéma des chats-ours. Grimper aux arbres et ne pas savoir en redescendre étant une seconde nature chez eux, le show peut durer des heures dans un tango périlleux, la figure finale étant souvent un plongeon involontaire et un mol atterrissage qui ne vexe ni ne blesse l’intéressé. Et le festin de feuilles vertes reprend, ce qui donne faim au spectateur qui fait route vers Dujiangyan, cité propre à combler son esprit et son estomac.

Il y a 2 200 ans, le système d’irrigation construit à cet endroit

pour réguler les eaux de la rivière Min Jiang, a fait de la région le grenier de la Chine. Aujourd’hui encore, les installations hydrauliques continuent de rythmer la vie de la ville posée de part et d’autre d’un fleuve dont le débit furieux donne le vertige. A la tombée de la nuit et contre une cigarette, on rentre dans une des hautes maisons sur les quais et l’on monte au troisième étage pour embrasser du regard le jour qui fuit sur le torrent couleur de peppermint. Sur le quai, dans une sorte de couloir couvert qui longe le fleuve, les restaurants attendent le chaland. On passe sous un pont-galerie très moderne (il n’a que 230 ans) et l’on se fraie un chemin entre les terrasses et la mer de bassines blanches, ou roses, où la nature entière semble être découpée façon puzzle. Cous, crêtes, pattes, gésiers, langues de poulet ; groins, oreilles, couenne, foies, vessies de porc ; têtes de lapins et de canards, corps de grenouilles. On vous châtre une livre d’écrevisses le temps d’un accord de guitare électrique et l’on vous les accommode au grand bonheur d’une sauce au poivre du Sichuan qui n’est, comme chacun sait, pas vraiment un poivre mais le fruit du clavalier, de la famille des rutacées dont font partie les agrumes. Car la gastronomie est la grande affaire en ce pays où manger seul est la chose la plus triste au monde. Le Sichuan, explique notre guide, c’est un peu l’Italie. Tout est plus lent au sud ­

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1 051 CHIGNONS EN PIERRE TELLES DES W 5

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­ du Yangzi Jiang. Plus lent et plus goûteux. Il y a, entre les

SICHUAN SIC HUAN

habitants du Sichuan et ceux des régions du Nord, la même différence qu’entre les mangeurs de nouilles et les mangeurs de riz. Pour les nouilles, un peu de farine suffit. Le riz, lui, il faut le planter. Et pour le planter, il faut une équipe. C.Q.F.D. La nôtre se forme un matin pour escalader le mont Qing Cheng où le philosophe Zhang Ling développa la doctrine du taoïsme en 42 après J.-C. Au milieu d’une végétation faite de gingkos, de palmiers et de bambous, de petits chemins de bois et d’interminables escaliers font, entre les temples qui émaillent la montagne, des colliers de ferveur où les marcheurs portent les vieillards sur des brancards en bambou.

Puis nous faisons route vers Leshan, pour voir, au confluent de

UTILE

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Le visa est obligatoire, son obtention est aussi longue que fastidieuse et son coût (relativement élevé, plus de 100 €) dépend de la rapidité de sa délivrance. Tout se fait à l’ambassade de Chine, 117, avenue des Champs-Elysées, Paris VIIIe. Pièces à fournir et rendez-vous de dépôt de dossier sur www.visaforchina.org

SICHUAN Vallée des pandas

Six Senses Qing Cheng 1 260 m

Dujiangyan

Jiezi

BON À SAVOIR

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Pour se sentir chinois sans perdre son latin, il est important de savoir parler d’argent. Or l’argent là-bas, s’il n’a pas plus d’odeur que chez nous, porte trois noms différents. On parle de yuans, de renminbis, de CNY. Quelle que soit l’appellation, 100 unités de cette monnaie valent environ 13,40 de nos euros.

Y ALLER

Air China (01.42.66.16.58 ; www.airchina.fr) a mis en place très récemment une ligne directe Paris CDG-Chengdu à partir de 500 € le billet. Les rotations ont lieu 4 fois par semaine.

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ORGANISER SON VOYAGE

Tselana Travel (01.55.35.00.30 ; www.tselana.com). Impénétrable et mystérieuse, la Chine n’est pas un pays facile à qui n’en parle pas la langue. Ce spécialiste du voyages sur mesure qui a déjà apprivoisé la contrée propose un voyage de 8 jours/6 nuits (1 au Temple House Hotel à Chengdu, 1 au Hongzhushan Hotel à Emeishan, 4 en suite au Six Senses Qing Cheng Mountain) au

Chengdu

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V O Y A G E

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■ VALÉRIE LEJEUNE

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trois rivières, trôner le plus grand bouddha du monde. Parler de grandeur est un euphémisme pour cette colossale figure assise. Du haut de ses 71 mètres (imaginez un immeuble de 22 étages !), la divinité sculptée à flanc de falaise confond son gigantisme avec celui d’une végétation si volubile qu’elle ourle d’une fourrure verte des oreilles de 7 mètres de long, ombre un nez et des sourcils de 5,6 mètres d’envergure, farde des paupières de 3,3 mètres et souligne des doigts de 8,3 mètres. Sur sa tête, 1 051 petits chignons en pierre semblables à des paludines cachent autant de drains qui préservent le monument fétiche de la ville, des crimes de l’humidité. Kun, notre nouveau guide raconte comme le senhor Oliveira da Figueira le ferait, les aventures du bâtisseur de cette merveille reconnue héritage du monde par l’Unesco en 1996. C’était il y a 1 303 ans et le moine bouddhiste Haitong, voulant ériger un bouddha qui mettrait à l’abri les populations des terribles inondations, lança une collecte dans toute la région. Lorsque le bas de laine commença à ressembler à un coffre-fort, des bureaucrates voulurent faire main basse sur le magot. « Ah, leur répondit le saint homme, je préférerais encore m’arracher les yeux ! » Et pour prouver sa détermination, il le fit. Quatrevingt-dix ans plus tard, le monument était fini et protège depuis les habitants de la ville. Le lendemain, nous grimperons les 3 099 mètres du mont Emei, nous mêlant à une foule où aucun touriste européen ne semble avoir jamais mis le bout d’une Nike, ce qui surprend dans cet univers mondialisé. Il y aura estampes et nuages à tous les étages, un téléphérique lorsque nous serons fatigués, un festival de cascades, et la brume qui jouera au bonneteau avec notre curiosité. Nous apercevrons des macaques tibétains, voleurs de goûter, et, tout en haut, sur la terrasse du Jinding qui signifie littéralement « sommet d’or », le bouddha aux dix visages, statue géante de Samantabhadra au-dessus d’un tertre formé par les urnes funéraires des prêtres bouddhistes. Nous redescendrons, sanctifiés mais aussi un peu pressés : la route est longue et l’avion n’attend pas. Or même à de bons croyants, il est difficile de venir de Chine à pied.

C A R N E T

Pékin

C HIN HI N E Chengdu

Leshan OLIVIER CAILLEAU

PALUDINES

SICHUAN

Sichuan à partir de 4 924 €, incluant les formalités de visa, les vols au départ de Paris en classe Eco, les déplacements en véhicules privés et toutes sortes de réjouissances alliant à des excursions sur les lieux de vie des pandas, des cours de cuisine sichuanaise, une soirée à l’opéra, une croisière au pied du bouddha géant, l’ascension de montagnes sacrées, la visite de villes anciennes, une initiation au taichi-chuan, etc.

NOTRE SÉLECTION D’HÔTELS

Six Senses Qing Cheng Mountain §

%&(00.86.28.8728.9871 ;

www.sixsenses.com). C’est à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Chengdu, au pied de la montagne Qing Cheng où naquit le taoïsme, que le groupe Six Senses Hotels Resorts Spas a ouvert en juin 2015 sa première

adresse en Chine. L’hôtel est tel un village de bois posé sur un immense jardin au milieu duquel coule une rivière. De charmants petits ponts mènent à 7 restaurants où découvrir la cuisine traditionnelle du Sichuan, l’une des plus fines de Chine, mais aussi une infinité d’autres spécialités d’Asie. Cascades et bambous jalonnent le domaine qui est une promenade à lui tout seul. Les chambres, toutes lambrissées de bois offrent au voyageur leur calme élégance qui répond au luxe voluptueux d’un spa de 1 710 m2 regroupant une dizaine de salles de soins à l’architecture étonnante. A partir de 287 € la nuit en suite, petit déjeuner inclus. The Temple House @ (00.86.28.6636.9999 ; www.thetemplehousehotel.com). Au cœur de Chengdu, capitale du Sichuan, cet hôtel, imaginé par

Make Architects, un bureau de créateurs londoniens, fait un étonnant trait d’union entre une ville millénaire et notre époque si moderne. Une centaine de suites ultradesign sont réparties dans de hauts buildings de verre semblant veiller sur de vénérables bâtisses qui jadis abritaient les dépendances du temple Daci, construit sous la dynastie Jin. Résolument ouvert sur la ville (il n’y a ni hauts murs ni barrières entre le domaine de l’hôtel et les rues), le Temple House offre à ses hôtes une infinité de lieux, spas, restaurants et boutiques dans un cadre extrêmement raffiné où se marient toutes les teintes de beige, de blanc et de gris. A partir de 230 € la nuit en Studio 60.

BONNES TABLES

A Jiezi !$. Dans cette ancienne ville, il fait bon flâner et s’asseoir, lorsque la faim se fait sentir, dans l’un de ses innombrables restaurants. Pas de vitrines, tout est ouvert, on entre et on commande une cuisine de légumes bio, des fruits de mer et du porc fumé. 13 € environ. A Dujiangyan. The Yellow Wine Place, appelé en chinois le Zhang San Feng, du nom d’un prêtre taoïste que l’on crédite parfois de l’invention du tai-chichuan. On vous y sert, sur des prunes sèches, un vin corsé que fait le patron lui-même et qui arrose la bonne cuisine de terroir. 28 €, vin compris. Sur l’un des côtés du South Bridge, le long de la rivière, une allée surplombant le flot propose au promeneur une infinité de petits restaurants. Ce Beer Corridor n’a pas usurpé son

nom : on y boit de la délicieuse Snow dont la légèreté blonde accompagne à merveille les écrevisses, le poulpe ou les viandes séchées. 13 € pour un en-cas moyen.

À VOIR

A Chengdu, près de l’hôtel Temple House, le centre commercial Taikoo Li vaut le détour avec ses boutiques et surtout la librairie Fang Suo /construite par le Taïwanais Zhu Zhikang qui a inventé pour ce lieu gigantesque, des arches de béton qui ont la fantaisie et la légèreté de l’origami.

QUE RAPPORTER ?

Du poivre du Sichuan qui n’est d’ailleurs pas vraiment du poivre (la plante sur laquelle il pousse fait partie de la famille des agrumes), mais sait installer sur le bord de la langue une chatouille exquise. On en trouve absolument partout. Du thé au jasmin : on aura un faible pour la boutique située sur l’autoroute près de Leshan, la Jiajiang Tianfu Service Area, où après vous avoir fait visiter les champs de thé à proximité, on vous servira le breuvage sous toutes ses formes, de la feuille finement broyée aux petites boules qui, plongées dans l’eau chaude font naître un jardin au fond de la tasse. Un toit de vélo ! Au Sichuan, la pluie fait partie du décor. Les habitants l’ont si bien compris qu’ils installent sur leurs vélos et leurs motos de petits auvents, sorte de parapluies rectangulaires fixés sur la fourche avant. 4 € environ. V. L.

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V UN I EHÉRITAGE NNE IMPÉRIAL VIVANT

Vienne fête le centième anniversaire de la mort de FrançoisJoseph. La capitale autrichienne, aujourd’hui, bénéficie d’une qualité de vie qui tient aussi au cadre majestueux légué par les grands travaux d’urbanisme de cet empereur. P PA AR R JJEEA AN N SSÉÉV VIILLLLIIA A ((TTEEXXTTEE)) EETT A AR RN NA AU UD D R RO OB BIIN N ((P PH HO OTTO OSS)) 70 LE FIGARO MAGAZINE - 24 JUIN 2016

Bâti entre 1873 et 1883 pour l’empire d’Autriche, le parlement de Vienne est aujourd’hui le siège des deux assemblées de la République d’Autriche. François-Joseph est représenté au centre du fronton de ce monument de style hellénisant. 24 JUIN 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 71


L’hôtel de ville de Vienne a été construit de 1872 à 1883 dans le style néogothique des communes flamandes. Haute de 100 m, la tour est surmontée d’un chevalier en cuivre.

UNE VILLE MODERNE OÙ LE PASSÉ AFFLEURE À CHAQUE COIN DE RUE

La statue de François-Joseph dans le Burggarten, qui était autrefois le jardin privé de l’empereur. C’est aujourd’hui un lieu d’agrément très prisé.

La cathédrale Saint-Etienne est le centre spirituel de Vienne. C’est ici que les obsèques de François-Joseph furent célébrées en 1916.

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Au centre de Vienne, la Hofburg, ancienne résidence des Habsbourg, se compose de plusieurs ailes dont la construction s’étale du XIIIe siècle au début du XXe siècle. Après la chute de la monarchie, les appartements impériaux sont restés intacts, avec leur mobilier, leur décoration et les objets dont se servaient les souverains. Ici, le bureau de l’impératrice Elisabeth, dite Sissi, l’épouse de François-Joseph, assassinée en 1898.

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Vienne, dans les magasins pour touristes, François-Joseph et l’impératrice Elisabeth tournent ensemble sur les présentoirs de cartes postales, pendant que leur effigie figure sur des boîtes de chocolats, des puzzles, des porte-clés, des tee-shirts et des statuettes, sans oublier les boules de verre avec de la fausse neige. Si le kitsch Habsbourg fait marcher le commerce, il y a, Dieu merci, plus sérieux pour célébrer le centième anniversaire de la mort de François-Joseph, disparu en 1916, au mitan de la Première Guerre mondiale. Dans la capitale autrichienne, les librairies proposent des piles de biographies, d’albums et de magazines historiques qui lui sont consacrés, tandis que se tiennent quatre expositions, une cinquième étant proposée dans le château de Niederweiden, à 50 kilomètres à l’est de la

Un fiacre traversant la Hofburg, immense palais qui est une ville dans la ville. Vienne possède près de 150 fiacres, dont les conducteurs portent une tenue traditionnelle. Ces voitures et leurs chevaux font partie du paysage viennois.

ville (lire notre carnet de voyage, p. 79). Impossible, en ce moment, de se rendre à Vienne et d’ignorer que 2016 est une année François-Joseph. Mais, à part ses favoris immaculés et le surnom de son épouse (Sissi), qu’est-ce que le visiteur connaît de lui ? Et mesure-t-on bien tout ce que le visage actuel de Vienne doit à cet empereur ? Né en 1830, François-Joseph est le petit-fils de François Ier, l’adversaire malheureux de Napoléon. C’est en 1848 qu’il accède au trône, à la faveur de l’abdication de son oncle Ferdinand Ier, chassé par la révolution. Par la force des armes, le jeune souverain rétablit la puissance autrichienne en Lombardie et en Hongrie, où l’insurrection est matée avec l’appui des Russes. Cette première partie du règne impose un régime autoritaire, opposé aux aspirations libérales ou nationales. A Solferino, en 1859, François-Joseph perd la guerre contre Napoléon III, et doit céder la Lombardie au royaume de Piémont. Une déroute qui le contraint, à l’intérieur, à l’ouverture vers le fédéralisme. En Allemagne, l’empereur doit composer avec la prépondérance de Berlin, rivalité qui débouche sur un conflit

L’AUTRICHE DE FRANÇOIS-JOSEPH FORME 74 LE FIGARO MAGAZINE - 24 JUIN 2016

clos par la défaite autrichienne devant les troupes prussiennes, à Sadowa, en 1866. Un nouveau revers qui pousse FrançoisJoseph à un nouveau changement manifesté par des concessions aux Magyars. Entichée de la Hongrie, l’impératrice Elisabeth contribue à cette politique. En 1867, le compromis austro-hongrois place l’empire d’Autriche et le royaume de Hongrie sur un pied d’égalité, l’ empereur et roi gouvernant la double monarchie avec trois ministres communs. Suivront quarante années de paix : l’apogée du règne. Un temps néanmoins traversé de tensions intérieures et de drames familiaux : l’exécution du frère de François-Joseph, Maximilien, au Mexique (1867) ; le suicide de son fils unique Rodolphe à Mayerling (1889) ; l’assassinat de l’impératrice Elisabeth par un anarchiste italien à Genève (1898). Et, pour finir, l’assassinat de son neveu François-Ferdinand par un révolutionnaire serbe, à Sarajevo, en 1914. Cet attentat obligera l’Autriche à réclamer réparation à la Serbie, déclenchant, par le jeu des alliances, la Première Guerre mondiale. Lorsqu’il meurt, en 1916 – laissant la couronne à son petit-neveu, Charles Ier, qui régnera jusqu’en 1918 – François-Joseph est âgé de 86 ans. Il a été empereur pendant soixante-huit ans et a vu 150 autres souverains régner en Europe, puis disparaître.

François-Joseph incarne un pan de l’histoire de l’Europe, de l’histoire de l’Autriche et de l’histoire de Vienne. Son nom est un mythe, un mythe historique, culturel, littéraire et cinématographique. Ce mythe existait du vivant du souverain dont le portrait ornait chaque bâtiment officiel, chaque maison, chaque auberge. Après l’effondrement de l’empire, l’Autriche, paradoxalement, était un pays neuf. Non seulement en raison de la forme républicaine de l’Etat, mais parce que le territoire délimité par les frontières de 1919 n’avait jamais existé comme un pays indépendant, l’Autriche étant jusqu’alors le berceau de l’empire d’Autriche auquel elle avait donné son nom. Aussi ceux des Autrichiens qui doutaient de la solidité de leur nou-

veau pays et de sa capacité à résister au voisin allemand, surtout après 1933, se raccrochaient-ils au mythe François-Joseph. Sans être lié nécessairement à une nostalgie monarchique, le souvenir du vieux souverain ramenait l’image rassurante d’une Autriche forte, prospère et sûre, contrastant avec les menaces du moment. Chez Franz Werfel, Robert Musil, Joseph Roth ou Stefan Zweig, la littérature autrichienne d’alors abonde en livres ressuscitant « le monde d’hier ». Après la Seconde Guerre mondiale, le mythe est réactivé car il permet d’évacuer l’épisode trouble vécu par l’Autriche sous la botte nazie. Au cinéma, la célébrissime trilogie du réalisateur autrichien Ernst Marischka – Sissi (1955), Sissi impératrice (1956) et Sissi face à son destin (1957) – met en scène l’impératrice sous les traits de la jeune Romy Schneider, François-Joseph étant joué par le séduisant Karlheinz Böhm. Ces films ont fixé dans le public, jusqu’à nos jours, une image historiquement fausse du couple impérial. Ils ont cependant contribué à la popularité mondiale du mythe François-Joseph et Sissi, et auront suscité, dans les années 1950 et 1960, l’envie d’aller découvrir les palais viennois et les lacs alpins, avantage non négligeable pour un pays qui, ayant recouvré sa souveraineté en 1955, ne demandait qu’à s’ouvrir au tourisme. Il ne faut pas croire, pour autant, que François-Joseph a toujours été l’objet de panégyriques. Dès 1919, Ernest von Koerber, qui avait été chef du gouvernement autrichien sous la monarchie, considérait que cet empereur avait nui deux fois au pays, au début par sa jeunesse, à la fin par son trop grand âge. De nos jours, l’absolutisme des débuts du règne ou l’évaluation de la responsabilité de l’empereur dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale suscite des débats. Karl Vocelka, auteur d’une biographie de François-Joseph parue l’an dernier et commissaire de l’exposition qui se tient actuellement à Schönbrunn, déplore ainsi longuement la répression de la révolution hongroise de 1848 ou le fait que de nombreux problèmes nationaux et sociaux soient restés sans réponse avant ­

UN PAN DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 24 JUIN 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 75


Edifié à partir de 1695 et réaménagé entre 1743 et 1749, le château de Schönbrunn, chef-d’œuvre de style baroque et rococo, était la résidence d’été des Habsbourg. Comme ses prédécesseurs, l’empereur FrançoisJoseph y passait une partie de l’année, mais il préférait sa propre résidence d’été à Bad Ischl, près de Salzbourg.

Les cafés, à Vienne, sont une institution. On peut y prendre un repas ou une consommation, et lire les journaux qui sont à la disposition des clients. Des portraits de François-Joseph et de l’impératrice Elisabeth ornent la grande salle du Café central.

VIENNE ATTIRE DES VISITEURS VENUS DU MONDE ENTIER ­ 1914. L’historien reconnaît toutefois les acquis économi-

ques et culturels de cette époque, tout en hésitant à les attribuer à l’action personnelle du souverain. L’historien tchèque Palacky, dès 1848, disait que si l’Autriche n’existait pas, il faudrait l’inventer. On peut trouver mille défauts à François-Joseph, mais sa vertu principale, le service qu’il a rendu aux peuples danubiens et par-là à l’Europe entière, c’est d’avoir su durer - or durer, en politique, est un art - et d’avoir su réunir sous ses deux couronnes une douzaine de peuples qui parlaient autant de langues et pratiquaient toutes les religions. Au siècle des nationalités, la mosaïque ethnique et culturelle du bassin danubien aurait pu être le théâtre d’atroces guerres intestines. Cette catastrophe a été évitée à l’Europe centrale grâce à l’Autriche-Hongrie, foyer de civilisation.

La cour de François-Joseph, avec son étiquette, ses uniformes et ses titulatures, pouvait laisser l’impression d’un univers figé. Ce n’était que la surface des choses. En réalité, à cette époque, l’Autriche s’était transformée en une puissance moderne, un Etat de droit où la Constitution de 1867 garantissait les droits du citoyen, où le suffrage universel attendrait 1907, mais où la législation sociale, dès la seconde moitié du XIXe siècle, était sur de nombreux points (assurance-maladie, congés payés) plus avancée qu’en France ou 76 LE FIGARO MAGAZINE - 24 JUIN 2016

en Angleterre. L’Autriche-Hongrie, dans ces années-là, était devenue une force industrielle, la quatrième d’Europe après l’Angleterre, l’Allemagne et la France. Et c’est sous le long règne de François-Joseph que la capitale autrichienne avait revêtu ce visage qui lui vaut de nos jours d’attirer les visiteurs du monde entier. En 1857, une ordonnance impériale commande la destruction de la vieille enceinte qui, en 1529 et en 1683, avait repoussé les Ottomans mais qui, désormais inutile, étouffe la ville comme un corset. François-Joseph impose cette décision aux militaires, qui craignent que cette mesure ne profite aux révolutionnaires. Dans son esprit, il s’agit de faire de Vienne la capitale d’un vaste empire dynamique, ce qui suppose un plan de rénovation urbaine à l’instar de celui lancé par le baron Haussmann à Paris. Les meilleurs architectes sont mobilisés – l’Autrichien Heinrich von Ferstel, l’Allemand Gottfried Semper, le Danois Theophil Hansen – et chargés d’organiser l’espace situé à l’emplacement des anciennes murailles. Le choix a été fait d’entourer la vieille ville par un boulevard circulaire de 5,3 kilomètres de longueur. Sur cette artère de prestige, la Ringstrasse, en abrégé le Ring, s’édifieront des bâtiments publics, des institutions culturelles, des hôtels de luxe, des immeubles de bureaux et d’habitation. Inauguré en 1865, le Ring restera en chantier pendant plus de vingt ans.

Entre 1860 et 1890 sont ainsi bâtis la Votivkirche (l’église du Vœu, commencée avant la démolition des remparts et construite en action de grâce pour la tentative d’assassinat à laquelle François-Joseph a échappé en 1853), l’Opéra, la chambre de commerce, la Maison des artistes, le musée des Arts appliqués, la salle de concert du Musikverein, la Bourse, le musée d’Histoire naturelle, le musée d’Histoire de l’art (Kunsthistorisches Museum), l’Académie des beaux-arts, le nouvel hôtel de ville, le Parlement, le Burgtheater, l’aile nouvelle du palais de la Hofburg et l’université. Le goût étant à l’historicisme, le Parlement a été conçu dans le style grec, l’hôtel de ville dans le style néogothique et l’Université dans le style néo-Renaissance. Ces monuments, en 2016, conservent à Vienne son air de capi-

tale impériale. Si plusieurs d’entre eux, bombardés en 1944-1945, ont été reconstruits à l’identique, ils remplissent la même fonction depuis l’origine. Sur le Ring s’étaient également édifiés des immeubles habités par des aristocrates, mais plus souvent par des familles bourgeoises dont l’ascension accompagnait les progrès économiques de l’Autriche. Les Juifs étaient nombreux dans ce milieu, encouragés par l’abolition, en 1867, des ultimes interdits qui les frappaient. Rothschild, Epstein, Ephrussi ou Todesco se faisaient bâtir des palais dont l’architecture, la décoration des façades et la richesse des intérieurs proclamaient la réussite. Forte de cet essor, Vienne organisait en 1873 une Exposition universelle ambitieuse qui venait après celles de ­


DES FLEURS SUR LA TOMBE DE L’EMPEREUR

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­ Londres et Paris. De 430 000 habitants en 1857, la po-

■ JEAN SÉVILLIA

78 LE FIGARO MAGAZINE - 24 JUIN 2016

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UTILE

Office national autrichien de tourisme (www.austria.info/fr). Office de tourisme de Vienne (www.wien.info/fr).

Votivkirche

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NOTRE SÉLECTION D’HÔTELS

Grand Ferdinand ( (00.43.1.91.880 ; www.grandferdinand.com). Sur le Ring, le boulevard circulaire autour duquel s’organise la ville historique, un hôtel ouvert en octobre 2015 dans un immeuble qui abritait jadis le siège d’une société industrielle. Chambres modernes et confortables, avec un concept original de salle de bains dans la chambre. Trois restaurants, dont le Grand Etage, sur le toit, qui est aussi un bar réservé aux clients de l’hôtel et à leurs invités. Pour prendre son petit déjeuner ou boire un verre tard en regardant Vienne d’en haut. La double à partir de 180 €. 25hours Hotel &/ (00.43.1.521.51.0 ; www.25hours-hotels.com). A côté du MuseumsQuartier, cet ensemble de musées d’art

Hôtel de ville Burgtheater Musée des Arts appliqués Parlement

Palais de la Hofburg Musée d’Histoire naturelle

Cathédrale Saint-Etienne Opéra

Musée d’Histoire de l’art

RING Musikverein

Académie des beaux-arts ANDRÉ DE CHASTENET

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Air France (36.54 : www.airfrance.fr), au départ de Paris Charles-de-Gaulle, propose six vols quotidiens pour Vienne en coopération avec Austrian Airlines. A partir de 250 € l’aller-retour. Air Berlin (08.26.96.73.78 ; www.airberlin.com) assure deux liaisons quotidiennes entre Paris Charles-de-Gaulle et Vienne. A partir de 200 € l’aller-retour.

Vienne

Bourse

Y ALLER

V O Y A G E e

palais impérial de la Hofburg abrite la présidence de la République. Alexander Van der Bellen, l’écologiste élu chef de l’Etat le 22 mai dernier, à l’issue d’un scrutin qui a fait parler dans le monde entier, travaille non loin du bureau de François-Joseph. Les services de la présidence ont attendu 1999 pour commander à la manufacture de porcelaine d’Augarten, à Vienne, un service de 200 pièces aux armes de la République : jusqu’alors, les dîners officiels étaient servis dans la vaisselle portant la couronne des Habsbourg, vaisselle restée sur place en 1918… Dans la crypte des Capucins, la nécropole des Habsbourg, la tombe de François-Joseph est toujours fleurie. Dans les rues du centre-ville, nombre de magasins, du bottier Rudolf Scheer au café-pâtisserie Demel, conservent sur leur devanture l’inscription k.u.k. Hoflieferant : « fournisseur de la cour impériale ». Dans le Burggarten, aux beaux jours, des étudiants révisent leurs cours assis dans l’herbe au pied de la statue de François-Joseph. Dans la grande salle du Café central, les consommateurs lisent leur journal en buvant leur expresso sous le portrait de François-Joseph et de Sissi. A l’Opéra, les mélomanes se pressent pour assister à des représentations ultracontemporaines dans un temple de la musique inauguré par François-Joseph. Au Parlement, les députés siègent dans un bâtiment dont le sommet de la façade présente un relief sculpté : « François-Joseph accordant la Constitution ». Chaque année, le cabinet américain Mercer publie une liste internationale de 230 villes classées selon la qualité de vie. En 2016, pour la septième année consécutive, c’est Vienne qui a été jugée comme la ville offrant la meilleure qualité de vie au monde. Voilà cent ans que François-Joseph est mort, mais les Autrichiens bénéficient toujours de son héritage.

C A R N E T

ub Dan

Aujourd’hui, dans la capitale autrichienne, une aile du vieux

VIENNE

ube Dan l du na Ca

pulation passait à 820 000 personnes en 1890, et atteindra les 2 millions en 1910. Autrichiens, Italiens, Polonais, Hongrois, Tchèques, Slovaques, Slovènes, Juifs de l’Est, tous les peuples de l’empire étaient représentés à Vienne. La ville était la cinquième métropole occidentale, derrière Londres, New York, Paris et Berlin. Vienne fin de siècle ? Rien de plus trompeur que cette formule. Contrairement à une idée reçue, nul sentiment de décadence, ou de fin du monde, n’étreignait cette société où personne ne pressentait la fin de la monarchie. C’est encore sous le règne de François-Joseph que s’épanouirait, laboratoire de la modernité, la Vienne du Jugendstil et de la Sécession, avec des architectes comme Otto Wagner et Adolf Loos, des peintres comme Gustav Klimt, Egon Schiele et Oscar Kokoschka, des musiciens comme Gustav Mahler, Arnold Schönberg et Alban Berg, et des médecins lauréats du prix Nobel ou pionniers de la psychanalyse, tel un certain docteur Sigmund Freud, loyal sujet de l’empereur.

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Université de technologie 500 m

moderne installé dans les anciennes écuries de la Cour, un hôtel ouvert en 2013. Moderne, branché, hyper-original : un décor évoquant le monde du cirque et recourant aux couleurs vives. Chambres de toutes superficies (de M à XXL), remarquables suites panoramiques avec une paroi de verre donnant sur la ville, spa et bar-terrasse dominant les toits de Vienne. Accueil jeune, décontracté et très sympathique. Prix relativement doux : à partir de 180 € la suite panoramique. Park Hyatt Vienna @§ (00.43.1.22740.1234 : www.vienna.park.hyatt.com). L’emplacement : Am Hof, une des plus belles places de Vienne, dans un quartier historique. Le cadre : un immeuble construit en 1913 (sous le règne de

François-Joseph !) et qui abritait, il y a quelques années encore, le siège d’une grande banque. Au terme de travaux colossaux, cet immeuble est devenu un hôtel de luxe qui s’est ouvert en 2014. Les chambres, leur taille, leur décoration, le souci de la qualité dans le moindre détail, les marbres du hall, les fauteuils des salons, les boiseries du fumoir, le volume du restaurant (l’ancienne salle des caisses), l’espace spa, le bar : tout l’établissement semble fait pour accumuler les superlatifs. Une superbe adresse qui a rejoint le club des palaces viennois. La double à partir de 380 €.

BONNES TABLES

Kussmaul % (Spittelberggasse 12 ; 587.762.85 ; www.kussmaul.at).

Dans le quartier Biedermeier de Spittelberg, un restaurant ouvert en 2014 qui s’est vite imposé comme une des meilleures tables de Vienne. Créations culinaires ou classiques de la cuisine viennoise réinterprétées par le chef Mario Bernatovic, c’est un extraordinaire festival de saveurs. Le décor – murs lambrissés, tables en chêne huilé, chaises en bois de noyer et vue sur la cuisine ouverte sur la salle – complète ce moment de bonheur. Entre 50 et 100 € à la carte. Attention, fermeture annuelle en juillet. Das Loft Sofitel Vienna ! Stephansdom (Praterstrasse 1 ; 906.16.200 ; www.dasloftwien.at). Conçu par Jean Nouvel et ouvert en 2010, le Sofitel Stephansdom abrite à son sommet (le 18e étage) un restaurant où le chef, Fabian Günzel, propose une cuisine inventive et cosmopolite. L’aménagement de la salle – et du bar attenant – est d’une élégance minimaliste, mais la vue est époustouflante : les baies vitrées offrent un panorama à 360° sur Vienne. Entre 50 et 100 € à la carte. Do & Co Restaurant (Stephansplatz 12 ; 535.3969 ; www.doco.com). Le clou de cet établissement ultramoderne, planté au cœur de la vieille ville, est la vue extraordinaire qu’offre sa terrasse du 7e étage sur les toits de la cathédrale Saint-Etienne qui lui fait face. Pour prendre un plat ou un verre avec le frappant contraste entre un sanctuaire médiéval et un immeuble contemporain. Entre 40 et 60 € à la carte.

L’ANNÉE FRANÇOIS-JOSEPH

Vienne célèbre le centième anniversaire de la mort de l’empereur François-Joseph (1830-1916) à travers cinq expositions ouvertes jusqu’au 27 novembre 2016 $. Au château de Schönbrunn, la première met en scène « L’Homme et le souverain ». La deuxième, située au musée des Carrosses impériaux, dans une dépendance de Schönbrunn, présente notamment des vêtements portés par le souverain, faisant contraster les uniformes chamarrés liés à ses fonctions de représentation et des tenues ordinaires témoignant de la simplicité de ses goûts. La troisième exposition se tient au musée qui conserve le mobilier impérial (Hofmobiliendepot, Andreasgasse 7) et propose des objets ayant appartenu à François-Joseph, jouant là aussi sur le contraste entre son image d’empereur et sa vie quotidienne. La quatrième exposition, consacrée à François-Joseph et la chasse, est ouverte au château de Niederweiden, à 50 km à l’est de Vienne, non loin de la frontière slovaque. Ces quatre expositions sont liées et peuvent être visitées avec un ticket unique ou des formules combinées. La Bibliothèque nationale autrichienne, qui se trouve dans la Hofburg, au cœur de la ville, propose par ailleurs, sous le titre « L’Empereur éternel », une exposition de photos et de dessins de François-Joseph (www.franzjoseph2016.at ; www.onb.ac.at). J. S.

24 JUIN 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 79


AVEC LA BÉNÉDICTION DE

SAN SEBASTIÁN ! Le Pays basque espagnol connaît un second souffle depuis que l’Europe a fait de San Sebastián sa capitale culturelle pour 2016. Itinéraire côtier entre monts et merveilles. PAR PHILIPPE VIGUIÉ-DESPLACES (TEXTE) ET ARNAUD ROBIN POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

La baie de San Sebastián, depuis la plage de la Concha : une vue unique prisée par la haute société espagnole. Cette dernière a fait grimper le prix du mètre carré, si bien qu’il est le plus élevé du royaume. 74 LE FIGARO MAGAZINE - 10 JUIN 2016

10 JUIN 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 75


La nuit tombe sur l’embouchure du fleuve Urumea. Chefd’œuvre Art déco, le pont de Zurriola tranche avec le bâtiment futuriste qui annonce la capitale culturelle de l’Europe en 2016.

Installé dans ce qui fut une manufacture de tabac, le nouveau centre d’exposition Tabakalera reflète l’audace de la « patrie » de Chillida.

LE PARADOXE GÉNIAL D’UN COIN D’ESPAGNE QUI N’A JAMAIS VRAIMENT ÉTÉ À LA MODE A Elciego, l’hôtel Marques de Riscal a été posé comme un ovni au milieu du vignoble par Frank O. Gehry.

76 LE FIGARO MAGAZINE - 10 JUIN 2016

Guetaria, ville natale de Cristóbal Balenciaga, a rendu hommage au grand couturier en lui consacrant un superbe musée.


Les pintxos sont la version basque des bars à tapas espagnols. Ici, le Karrika Taberna à San Sebastián.

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tendues blondes de sable fin, montagnes vert émeraude enfoncées dans les flots blanchis par l’écume, chemins étroits que les pas des contrebandiers ont inventés, villages de pêcheurs balayés par les embruns, élégantes cités caressées d’une bise nostalgique… le Pays basque espagnol est habité d’une force et d’une puissance qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Ses côtes vierges déchiquetées par la mer et dénudées par les éléments furieux, dont les vagues immenses inondent de joie les véliplanchistes venus du monde entier, offrent un spectacle naturel étonnant. Un monde en Technicolor qu’une réputation de météo chagrine et une chance inouïe ont protégé de l’urbanisme dévastateur des années 1970. Tandis qu’à quelques kilomètres plus au nord on détruisait la façade maritime de Biarritz et couvrait nos côtes de constructions, les Basques espagnols épargnaient les leurs. Pour autant, ce coin 78 LE FIGARO MAGAZINE - 10 JUIN 2016

A Zumaia, un sentier mène à la chapelle San Telmo. Surplombant la plage d’Itzurun, le panorama sur les falaises y est saisissant.

de l’Espagne n’a jamais été vraiment à la mode, mais il n’est pas possible de l’être sans lui. Tel est le paradoxe génial de cette terre rude marquée par une histoire souvent violente… Le mètre carré le plus cher d’Espagne n’est pas à Marbella ou dans l’un des quartiers chics de Madrid, mais à San Sebastián (Donostia, en basque), majestueuse porte d’entrée du Pays basque espagnol. Tout commence donc ici, dans cette baie immense et protectrice où la mer moutonne avec légèreté. Bordée d’un balustre XIXe rythmé par d’énormes torchères Belle Epoque, la plage de la Concha s’étend sur 3 kilomètres en plein cœur de ville. Posé à même le sable, le pavillon de bain de la reine Marie-Christine, épouse du roi Alphonse XII, rappelle de son imposante présence celle qui porta sur les fonts baptismaux du succès, la villégiature encore aujourd’hui préférée de la gentry espagnole. Le monumental blason sculpté de la souveraine ajoute à la curiosité de cette construction d’un autre âge, reconvertie en club nautique. San Sebastián doit à la reine l’élévation de l’hôtel Maria Cristina qu’elle inaugura en 1912 et dont le cristal des lustres royaux dispute aux dorures des salons la splendeur. Dans le sillage des souverains espagnols, au début du XXe siècle, tout ce que Madrid comptait en grands d’Espagne fit le voyage à San Sebastián où ils élevèrent de grosses villas joufflues. Certaines dominent encore de leurs très élégantes silhouettes la plage de la Concha. La plus célèbre d’entre elles est le palais de Miramar, un gros chalet marin, chef-d’œuvre de l’architecture balnéaire tout en colombages et clochetons qui fut, jusque dans les années 1970, propriété de

la famille royale. Juan Carlos, enfant, y résida lorsqu’il fut autorisé par le général Franco à vivre en Espagne. Le futur roi étudiait dans un collège créé spécialement pour sa petite personne au rez-de-chaussée de l’aile d’Alphonse XIII, dite « Pavillon du prince ». Mais, loin d’y avoir été heureux, privé de la présence de ses parents exilés au Portugal, l’ancien souverain, revenu à San Sebastián encore récemment, a toujours évité soigneusement de s’y rendre. La villa, propriété de la mairie, abrite un conservatoire de musique et ne se visite pas vraiment, mais il n’est pas interdit de s’y perdre pour admirer des salons vides qui ont gardé le décor de ses hôtes royaux. Des étudiants bohèmes roucoulent, alanguis sur les pelouses du parc anglais qui l’entoure. Ouvert au public, ce coin de verdure domine la mer et constitue une bien jolie promenade.

Une autre villa attire des regards plus discrets, et pour cause !

Juché sur une colline en aplomb de la ville, le palais d’Aiete fut mis à la disposition du général Franco de 1940 à 1973. Il venait chaque été, avec une régularité toute militaire, passer deux semaines de vacances à San Sebastián. « Sa présence n’était jamais annoncée, mais on la devinait, car les

deux cygnes du jardin public en centre-ville disparaissaient quelques jours avant sa venue. On les emmenait chez Franco pour garnir la pièce d’eau qui se trouvait devant la villa », se souvient, encore amusée, une voisine. La maison, sorte de gros manoir néoclassique dont une large marquise couvre un perron d’opérette, rebaptisée Maison de la paix et des droits de l’homme, est un lieu qui abrite des expositions temporaires et s’ouvre sur un parc public de 7 hectares. La résidence du généralissime a été quasiment vidée de son mobilier et ce qui fut sa chambre à coucher est aujourd’hui une sorte de débarras ! « On ne parle jamais de Franco ici, explique le gardien, même si, reconnaît-il, nombre d’Espagnols font encore le déplacement de tout le pays pour venir voir où le Caudillo passait ses vacances. » A l’instar de l’ancien chef de l’Etat, San Sebastián fut le repaire estival de toute une société qui fuyait les grosses chaleurs madrilènes, attirée par les embruns rafraîchissants de la Côte basque. Pour distraire cette grande bourgeoisie, on créa autour du casino et du théâtre une ville neuve, le barrio romántico, envahie aujourd’hui par les boutiques de luxe et de créateurs. Son plan rigoureusement géométrique ­

UNE FORCE ET UNE PUISSANCE QU’ON NE TROUVE NULLE PART AILLEURS… 10 JUIN 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 79


UNE CAPITALE CULTURELLE QUI MISE TOUT SUR LES HOMMES réussissant cet exploit de ne jamais évoquer la figure du roi d’Espagne, qu’il s’agisse de Juan Carlos ou de son successeur, Felipe VI. Malgré tout, l’actuel souverain a été invité à inaugurer « Tratado de paz »… Si San Sebastián concentre l’essentiel d’un riche programme, la Côte basque espagnole n’est pas en reste. A commencer par le petit village de pêcheurs de Guetaria (Gétaria, en basque), à une quarantaine de minutes de la capitale culturelle. Une route côtière à flanc de corniche y conduit les visiteurs, accueillis par une armada de bateaux de pêche. Le village fortifié a vu naître, en 1895, Cristóbal Balenciaga. L’impressionnant musée qui lui est consacré prolonge, dans une architecture de verre futuriste, la villa de la marquise de Casa Torres. La mère de Balanciaga était sa couturière. « A 11 ans, il fut ébloui par une robe de la marquise et lui demanda du tissu pour la reproduire », raconte Igor Uria, le directeur des collections, 2 500 pièces qui, pour l’essentiel, proviennent de la garde-robe d’anciennes clientes ­

­ tranche avec la ville ancienne, le casco viejo, lovée autour

de ses églises baroques, San Vicente et Santa Maria. C’est dans ce dernier quartier qu’on trouve les pintxos, ces fameux bars à tapas malcommodes où il est quasiment impossible de s’asseoir, disposés à touche-touche dans les ruelles, tout autour de la calle Mayor. Les comptoirs encombrés de portions d’anchois frais et de poivrons farcis, entre autres spécialités, sont pris d’assaut par une foule bruyante de quadras branchés et d’ados cosmopolites. Ici, la population est jeune, attirée par la prospérité économique de la province, la plus riche d’Espagne avec Madrid et la Catalogne. Un dyna-

L’hémicycle de la Casa de Juntas, à Guernica, est orné des portraits des rois de Navarre. 80 LE FIGARO MAGAZINE - 10 JUIN 2016

L’ancien casino créé par la reine Marie-Christine, épouse du roi Alphonse XII. Elle lança la station de San Sebastián dans l’aristocratie européenne vers 1912.

misme qui a conduit la ville à créer de nouveaux lieux comme ce récent concept store Tabakalera installé dans une ancienne manufacture de tabac. Pour gagner ce spot branché (boutiques vintage, espace muséal, résidence d’artistes…) installé sur la rive droite du rio Urumea, il faut enjamber le pont María Cristina, réplique minuscule de notre pont Alexandre III à Paris.

Foyer d’animation permanente, la ville a été choisie comme capitale culturelle de l’Europe pour l’année 2016. « Nous

avons été retenus l’année où l’ETA a déposé les armes, en 2011, explique Xabier Paya, qui a porté le projet, aussi avons-nous décidé de faire du vivre-ensemble le cœur de notre programmation pour réconcilier le Pays basque espagnol avec lui-même. Nous sommes sans doute la première capitale culturelle en Europe à n’avoir construit aucune infrastructure nouvelle et tout misé sur les hommes. » Dans cet esprit, l’été s’ouvrira avec la plus grande exposition sur la paix jamais organisée en Europe, à travers les grands maîtres de la peinture de 1516 à 2016. « Tratado de paz » (« Traité de paix ») accueillera notamment des œuvres de Goya, du Titien, de Vélasquez et de Picasso. L’exposition est présentée au musée San Telmo, sur la très jolie place Zuloaga. C’est un ancien couvent de Dominicains, dont la chapelle a été décorée par 12 panneaux de l’artiste José Maria Sert. Le musée raconte par le menu l’histoire du Pays basque espagnol non sans un certain parti pris indépendantiste, le parcours muséographique

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PAYS BASQUE ESPAGN ESPAGNOL OL

­ comme Mona Bismarck ou Rita Hayworth. L’expo

C A R N E T

« Balenciaga à travers la dentelle » montre une soixantaine de modèles qui ont fait du Basque l’un des deux ou trois plus importants couturiers de la planète. Fuyant mondanités et honneurs, Cristóbal Balenciaga revint à la fin de sa vie à San Sebastián, dans une villa qu’il occupa jusqu’à sa mort, survenue à Alicante en 1972. Il repose dans le petit cimetière de Guetaria.

UTILE

Mais le Pays basque espagnol ne peut se résumer à l’oisiveté de San Sebastián ou à la légèreté d’une robe de Balenciaga…

Avec pas moins de 16 macarons Michelin, le territoire attire les gastronomes tandis que les amateurs d’histoire y découvrent, non loin de la côte, deux hauts lieux de mémoire : Loyola (Loiola), qui a vu naître et se convertir le fondateur des Jésuites, et Guernica (Gernika), dont le nom évoque un épisode tragique de la guerre d’Espagne. Le bombardement du 26 avril 1937 détruisit en partie seulement la petite cité. Peu de choses en évoquent le souvenir, si ce n’est un musée un peu vieillissant et quelques reproductions du célèbre Guernica de Picasso disséminées dans la ville. Le quartier du marché, épicentre de l’attaque, offre un visage neuf et animé fondu dans une vieille ville aux accents jeunes et festifs. Dans des temps très anciens, c’est à Guernica que se réunissaient, sous un chêne dont il ne reste que le tronc, les délégués des provinces qui écrivaient la loi. Ils le font toujours, mais dans la salle d’un parlement du XIXe siècle, ornée des portraits des rois de Navarre : la Casa de Juntas qu’il faut visiter. Non loin de là, enserré dans une vallée profonde dominée par d’austères et splendides montagnes, le sanctuaire de Loyola célèbre la figure, très priée au Pays basque espagnol, de saint Ignace. Le fondateur de la Compagnie de Jésus est né dans le château familial, aujourd’hui curieusement enfermé à l’intérieur d’une enceinte qui jouxte la basilique. Au dernier étage de la demeure se trouve la chapelle de la Conversion, aménagée dans l’ancienne chambre d’Ignace, là même où il fut converti après avoir été blessé à mort à la bataille de Pampelune. Les pères jésuites, en charge de la spiritualité des lieux, y célèbrent chaque matin une messe (à 8 h 30, ouverte à tous). L’endroit est émouvant. Tout comme l’oratoire voisin orné de la miniature flamande de l’Annonciation offerte par Isabelle la Catholique à la belle-sœur d’Ignace, devant laquelle il pria à de nombreuses reprises. Loyola est un trésor caché, mélange de nature et de spiritualité comme il en existe de nombreux autres au Pays basque espagnol dont la côte est semée de chapelles et de croix, exposées au souffle de l’esprit et du vent. Une terre de feu et de paix, à l’image d’un ciel que peuvent se disputer dans une même heure, le soleil et la pluie, filtrant d’une lumière divine les paysages… ultime récompense pour nos yeux émerveillés. ■ PHILIPPE VIGUIÉ-DESPLACES

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Office de tourisme espagnol (01.45.03.82.50 ; www.spain.info/fr). Office de tourisme de San Sebastian (00.34.943.48.11.66 ; www.sansebastianturismo.com). Un guide : le Routard Pays basque (Hachette, 13,20 €). Il mélange les deux côtés (français et espagnol), ce qui complique un peu son utilisation. Très utile pour l’essentiel, il fait néanmoins l’impasse sur de belles adresses côté hébergement.

OCÉAN ATLANTIQUE Bilbao

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NOTRE SÉLECTION D’HÔTELS

A San Sebastián, l’Hotel Maria Cristina %(00.34.943.43.76.00 ; www.hotel-mariacristina.com). Ce 5 étoiles classé Luxury Collection est le plus bel hôtel de la ville. Il a rouvert l’année dernière après avoir subi une cure de jouvence plutôt luxueuse. La plupart des chambres ont vue sur mer et certaines bénéficient d’une grande terrasse. On tombe vite amoureux de ce décor Grand Siècle. A noter : le célèbre chef français Hélène Darroze y prendra ses quartiers de juin à octobre 2016, à la tête d’un restaurant éphémère, Hélène Darroze at Hotel Maria Cristina,

Guetaria Guernica

V O Y A G E Bayonne

Le site internet détaille un programme culturel très varié, décliné sous le sigle DSS2016 (Donastia San Sebastián 2016). A Guetaria, « Balenciaga à travers la dentelle » § (943.00.47.77 ; www.cristobalbalenciagamuseoa.com). 60 pièces exceptionnelles, dont certaines issues de la période « baby doll », racontent la collaboration du grand couturier avec la dentelle dans les années 50-60. Une mise en scène superbe et des robes à couper le souffle (jusqu’au 18 septembre).

FRANCE

San Sebastián Hendaye

Loyola

PAYS BASQUE

ESPAGNE

San Sebastián ESPAGNE MADRID

Y ALLER

En train avec la SNCF (www.voyagessncf.com). Il faut viser Hendaye en TGV (ligne Paris-Poitiers-Bordeaux. De 19 à 76 € en iDTGV) puis, d’Hendaye rejoindre San Sebastián en 35 min par la navette ferroviaire Eusko Tren. Départ toutes les 30 min de 7 h à 22 h 30 (5,60 €, l’aller-retour).

D E

25 km

OLIVIER CAILLEAU

UN TERRITOIRE POUR GOURMETS ET AMATEURS D’HISTOIRE

Elciego

qui revisitera la cuisine du Pays basque. A partir de 200 € la nuit. A Guetaria, l’hôtel Saiaz / (00.34.943.14.01.43 ; www.saiaz-getaria.com). Dans une ruelle étroite, cet hôtel de charme affilié à la chaîne Relais du Silence offre des chambres confortables dont la vue côté mer est époustouflante. Compter 50 €. A Guernica, le château d’Arteaga &(00.34.946.270.440 ; www.castillodearteaga.com). Un superbe hôtel est né dans cette demeure néogothique spectaculaire restaurée par l’impératrice Eugénie et dont le dernier propriétaire fut, il y a quelques années, la célèbre duchesse d’Albe, récemment disparue. A partir de 160 €. A Elciego, l’hôtel Marqués de Riscal (00.34.945.18.08.80 ; www.hotel-marquesderiscal.com/ fr). Au cœur du vignoble, cet établissement de luxe doté d’un

restaurant étoilé Michelin fait figure d’apparition. Et pour cause, il vaut le détour pour son architecture futuriste signée Frank O. Gehry, auteur du musée Guggenheim de Bilbao. Il dispose au rez-de chaussée, côté vignes, d’un très beau spa. A partir de 180 €.

BONNES TABLES

A San Sebastián, Arzak ! (943.311.209). Trois restaurants sont classés 3 macarons Michelin à San Sebastián (une rareté) dont Arzak, qui conserve les siennes depuis 27 ans… Son chef, le très charismatique Juan Mari Arzak, qui a régalé le palais de l’ex-roi Juan Carlos plus d’une fois, excelle dans la cuisine du poisson. Menu à 150 €. Bernardo Etxea (943.422.055). Bar à pintxos dans la première salle et restaurant dans la salle du fond. Attention ! les plateaux

de fruits de mer sont servis chauds et non pas sur un lit de glace comme en France, ce qui change le goût. Environ 30 €. Karrika Taberna @(943.424.135). Un pintxos ultra-sympathique, très jeune, avec une grande variété de produits. Environ 20 €. A Guetaria, Kaia-Kaipe (943.14.05.00) est une excellente table de poissons qui domine le petit port, à deux pas des chaluts qui déversent chaque jour le produit de la pêche, ce qui en garantit la fraîcheur. On peut visiter la cave (40 000 bouteilles, 1 000 références). Compter pas moins de 50 €.

EXPOSITIONS

A San Sebastián, « Traité de paix » (www.dss2016.eu). Cette exposition, qui promet de faire date en Espagne (du 17 juin au 2 octobre), découpée en 9 sections, rassemble 400 œuvres.

LE COUP DE CŒUR

A San Sebastián, Navegavela $ (648.183.037 ; www.navegavela.com). Voir la côte basque espagnole depuis le large est un petit bonheur rendu possible par cette société de location de voiliers (de 10 à 12 m) qui propose des sorties en mer pour les néophytes accompagnés d’un skipper. Les tarifs sont raisonnables (entre 300 et 450 € la journée). On peut embarquer jusqu’à 8 passagers depuis les ports de plaisance d’Hendaye ou de San Sebastián. A titre d’exemple, il faut environ 4 h de mer pour relier la capitale culturelle à Guetaria.

LE BÉMOL

La Côte basque espagnole n’a pas la réputation d’être bon marché à la différence du reste de l’Espagne. La bonne santé économique de la province et une clientèle plutôt huppée tirent les prix vers le haut. Il faut être vigilant, surtout dans les restaurants. P. V.-D.

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GLOIRE ET RENAI SSANCE DU RITZ Le plus célèbre des palaces rouvre ses portes après presque quatre ans de fermeture et 400 millions d’euros de travaux, le prix à payer pour demeurer l’un des hôtels les plus fascinants de Paris. Nous avons été les premiers à le visiter. PAR PHILIPPE VIGUIÉ-DESPLACES (TEXTE) ET ÉRIC MARTIN POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

Les fauteuils à la reine du lobby, dans un velours bleu roi unique, ont retrouvé l’éclat de leur jeunesse, alignés dans une perspective majestueuse. Une restauration exemplaire pour restituer le décor des débuts du Ritz tel que l’a connu Marcel Proust. 82 LE FIGARO MAGAZINE - 3 JUIN 2016

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Chef de la conciergerie, Michel Buttino veille sur le nouvel espace qui lui est dédié.

Brillant, dilettante, insolent, impécunieux et intrigant, Beaumarchais est, à l'image de Figaro, « ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux... avec délices! Orateur selon le danger; poète par délassement; musicien par occasion... » et ce qui reste de son œuvre, dramatique ou

JE ME PRESSE DE RIRE DE TOUT, DE PEUR D’ÊTRE OBLIGÉ D’EN PLEURER

L’alchimie particulière du Ritz, un mélange de tissus rares réédités spécialement, de mobilier de style et de boiseries classées… Ici, la suite Vendôme ou règne le chic absolu du grand goût français.

L’ESPRIT GRAND SIÈCLE AU NOUVEAU MILLÉNAIRE Quelques heures avant sa mort, Diana, princesse de Galles, a pu s’émerveiller sur cette vue de la colonne Vendôme, sans doute la plus belle de Paris.

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LE RITZ

Durant les Années folles, le Ritz était l’ambassade de cet art de vivre à la française qu’affectionnaient les grandes familles américaines. Les Vanderbilt ou les Rockefeller ont ainsi fait la fortune et la réputation de ce grand hôtel.

P

UN NOM DEVENU SYMBOLE DU LUXE ABSOLU

aradoxe ? C’est au moment où la grande hôtellerie parisienne de luxe traverse une crise majeure (entre 10 et 40 % de chute du chiffre d’affaires depuis les attentats islamistes de novembre 2015) que le nouveau Ritz ouvre ses portes. L’établissement de la place Vendôme échappera-t-il au phénomène, amplifié par le désordre social des dernières semaines ? Frank Klein, le président du Ritz, n’est ni sourd ni aveugle, mais il en faudrait plus pour entamer son optimisme et sa fierté. Pour l’heure, ce sont les mots que l’on emploie pour parler de son hôtel qui le préoccupent. « Pourquoi «nouveau Ritz» ?, s’étonne-t-il. Les travaux entrepris depuis quatre ans n’ont pas donné naissance à un nouvel établissement dans le sens où il serait différent de ce qu’il a toujours été. Non, le Ritz que vous allez découvrir est éternel et le temps n’a pas de prise sur lui. Nous nous sommes juste donnés les moyens de poursuivre une histoire »… Et quelle saga ! Elle commence au début du XXe siècle avec Marcel Proust, dont la silhouette éthérée se glisse dans la nuit et semble avalée par la porte à tambour qu’actionne un valet 86 LE FIGARO MAGAZINE - 3 JUIN 2016

courbé. L’écrivain fait irruption dans la suite qu’occupe, à l’année, la princesse Hélène Soutzo. Un peu plus tôt, un coup de téléphone donné par Céleste Albaret, la bonne de Proust, avait tiré de son sommeil l’aristocrate roumaine. L’argutie était toujours la même : « Monsieur Proust, qui pense qu’il va mourir cette nuit, voudrait voir au plus vite madame la princesse pour savoir quelle robe elle portait à la réception de madame de… » A l’arrivée de l’écrivain, attifé comme l’as de pique, on étalait la robe qu’il avait tout le loisir d’observer pour en reporter, une fois rentré chez lui, la description dans La Recherche, où figurerait le personnage de mademoiselle de Saint-Loup, inspiré par la princesse Soutzo. L’un des plus grands romanciers français venant voir nuitamment la toilette d’une des femmes les plus élégantes de Paris pour l’immortaliser dans le plus grand roman français de tous les temps… Voilà quels souvenirs extraordinaires cet hôtel nous raconterait si ses murs pouvaient parler. Mais ici, les murs, comme les hommes, se taisent. Muets sur des secrets qu’une légendaire discrétion interdit de révéler. Et pourtant ! L’hôtel de la place Vendôme a collectionné les aventures avec le XXe siècle. Monument élevé à l’oisiveté, le Ritz est le linceul sublime dans lequel sont venues se lover les gloires du grand monde, de Coco Chanel, pour qui il était sa « maison », à la princesse Diana dont il fut, en quelque sorte, la dernière demeure… Symbole d’un art de vivre à la française où se ­

Successeur du grand Escoffier, premier chef du Ritz, Nicolas Sale règne désormais sur les cuisines de l’hôtel le plus célèbre du monde. Ici, il est avec Estelle Touzet le chef sommelier. 3 JUIN 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 87


Le bar Hemingway et la machine à écrire de l’écrivain américain. Il adorait l’endroit dont il parlait comme d’un « paradis », ici présenté par le chef barman Colin Peter Field.

HEMINGWAY

Y DÉBARQUA AVEC LES LIBÉRATEURS

­ mêlent dorures, livrées et argenterie, il a irrigué des

De la place Vendôme, on franchit le seuil du Ritz par la mythique porte à tambour

refaite à l’identique. Celle qui était jadis actionnée d’un geste gracieux par un

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SCHALL/LE RITZ

décennies durant les veines universelles de l’élégance. Devenu un nom commun désignant le luxe absolu, ce palace symbolise avant tout l’excellence aux yeux de la planète. C’est la raison pour laquelle la transformation entreprise il y a quatre ans par son propriétaire, Mohamed al-Fayed, était attendue comme celle d’un chef-d’œuvre dont on espère que la patine aura résisté aux coups de pinceaux du restaurateur. Autant dire que c’est le cœur battant qu’un après-midi de mai, quelques jours avant son ouverture, nous avons poussé la porte de cette Joconde de l’hôtellerie de luxe livrée à notre regard dans ses habits du troisième millénaire.

personnel en uniforme est désormais automatisée. Les grincheux regretteront l’élan balbutiant du mécanisme d’antan et cette teinte de chêne fatigué, mais la magie opère toujours et l’émotion nous étreint face au spectacle que découvre cette entrée. Devant nous se déploie le lobby en galerie, tel qu’il nous semble avoir existé au premier matin de l’hôtel, en juin 1898. Les fauteuils à la reine, rangés par paires, ont retrouvé leur place et leur éclat, adossés aux lourds rideaux dans un sublime damas de velours bleu nuit. Un somptueux tapis de galerie rehausse avec brio l’assise bleu roi des sièges et réchauffe le sol de marbre blanc. Des appliques en bronze balisent cette allée des plaisirs qui conduit à droite dans un nouveau lieu : le salon Marcel Proust. Dominée par le portrait de l’écrivain, copie de l’œuvre de JacquesEmile Blanche, la pièce ouverte sur le lobby est une grande bibliothèque ornée de boiseries dont les rayons servent de refuge à des dizaines de mètres de reliures. Posés sur un tapis à la manière de la Savonnerie, canapés, fauteuils et consoles en bois doré semblent interroger le passé. On y servira le thé, « à la française » nous précise-t-on, c’est-à-dire sans scones ou autres pâtisseries d’outre-Manche auxquelles le chef pâtissier, François Perret, a substitué des madeleines beaucoup ­ Coco Chanel vécut plus de trente ans au Ritz qui abrita aussi... ses amours interdites sous l’Occupation.


Tilleuls taillés en marquise, parterre de pelouse… Bienvenue dans le jardin à la française du Ritz, un des endroits les plus secrets de Paris.

ceux de l’orangerie du château de Versailles. L’effet produit par ce jardin à la française (1 650 mètres carrés), un décor d’opérette dans lequel – et par on ne sait quel mystère, au cœur même d’un des quartiers les plus animés de Paris – on n’entend rien d’autre que le chant des oiseaux, est bluffant ! Tout à côté, on retrouve le bar Hemingway où opère le très médiatique Colin Peter Field, élu plusieurs fois par ses pairs meilleur barman du monde. Là encore, rien n’a changé, même si tout a été refait. Le rond de cuir des hauts tabourets désœuvrés semble attendre de prendre la forme de nouveaux fessiers comme autrefois ceux de Scott Fitzgerald ou Robert Capa.

UN HAVRE

DE VERDURE AU CŒUR DE PARIS ­ plus proustiennes. S’ensuivent deux grandes serres nou-

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La visite se poursuit en empruntant le grand escalier d’honneur du Ritz. Une lanterne monumentale en occupe le centre. Sa

KEYSTONE-FRANCE

vellement construites, séparées par une cour au milieu de laquelle coule l’eau d’une fontaine. C’est la terrasse Vendôme, point de rencontre du bar du même nom et de L’Espadon, restaurant gastronomique, éclairé d’appliques en cristal de Venise, sur lequel règne le chef Nicolas Sale. Les fauteuils Louis XV qui entourent chaque table ont gardé sous l’accoudoir l’ingénieux crochet pour suspendre les sacs à main, une invention de César Ritz. Le lobby se termine ici. Commence, dans son prolongement, la galerie qui relie la partie Vendôme de l’hôtel à son côté Cambon, du nom de la rue sur laquelle on éleva un second bâtiment dans les années 1910. La nouvelle version a été pensée dans l’esprit des passages parisiens. Des vitrines enchâssées dans des boiseries montent la garde et cinq boutiques ont été créées, dont un concept store dédié à l’univers du voyage. Jadis assez sombre, elle est désormais éclairée par de grandes portes-fenêtres qui s’ouvrent sur le jardin du Ritz, jusqu’ici ignoré. Ce havre de verdure est traversé d’une allée centrale de 26 tilleuls taillés en marquise et plantés dans des caissons en bois identiques à

rampe en fer forgé noir, couverte d’une main courante en cuivre, son tapis de marche que retiennent délicatement des barres en laiton, ses murs dont l’enduit crème imite en trompe-l’œil des pierres de taille, invitent à la grandeur. Il conduit aux chambres dont le chic parfait doit beaucoup au foisonnement de tissus empruntés aux plus grands éditeurs comme Pierre Frey ou la maison Veraseta. C’est au premier étage que se trouve, ouverte sur la place Vendôme, la suite Impériale – la plus belle de l’hôtel : 6 mètres de hauteur sous plafond, des bas-reliefs classés monument historique, une débauche d’étoffes fleuries brodées en soie sauvage, un lit monumental coiffé d’un ciel dont un impressionnant balustre clôt ­ Après avoir dirigé de luxueuses maisons à Lucerne, Monaco et Londres, César Ritz inaugure, en juin 1898, l’hôtel qui porte son nom au 15, place Vendôme.


Dans le salon Marcel Proust, dominé par la copie d’un portrait de l’écrivain signé Jacques-Emile Blanche, le chef pâtissier François Perret sert un thé à la française... Madeleines de rigueur !

DES OBJETS D’ART DISSÉMINÉS AU GRÉ DES PIÈCES ­ l’accès… comme à Versailles dans l’appartement de la

reine. Sublime ! Au deuxième étage, les suites s’enchaînent, dont celle baptisée Coco Chanel. Si « Mademoiselle » vécut plus de trente ans au Ritz, elle changea plusieurs fois de chambre, de sorte qu’on ne sait plus très bien où elle habitait : mobilier épuré des années 50, ton crème et noir, paravent en laque… Partout dans l’hôtel, des objets d’art ont été disséminés au gré des pièces : un baromètre en bois doré, des torchères en bronze, des cache-pots anciens et parfois des pièces de mobilier intéressantes à l’exemple de ce bureau en poirier noirci qui trône dans la suite Vendôme. Si le Ritz a modernisé son équipement en sacrifiant à la mode digitale – on commande sur écran lumières, rideaux, climatisation... –, il a conservé l’usage du boîtier créé par César Ritz, petit 92 LE FIGARO MAGAZINE - 3 JUIN 2016

objet désuet très Donwton Abbey par lequel, en pressant un gros bouton, on appelle, depuis 1898, femmes de chambre ou valets. Les suites du troisième étage sont décevantes. Aménagées sous les toits, elles sont éclairées par des fenêtres et des œils-de-bœuf placés trop hauts pour qu’on bénéficie d’une vue. Exception faite de la suite Mansart, qui bénéficie d’une incroyable terrasse découpée dans la toiture et dont on imagine sans mal la vue qu’elle offre… Notre visite du Ritz, qui compte désormais 142 chambres dont 71 suites, soit 17 de moins qu’avant les travaux, se termine par le spa au soussol, entièrement revisité dans un esprit Chanel. La maison de la rue Cambon assure les soins. L’espace de fitness et la piscine que fréquentent les abonnés du Ritz Club (ils sont plus de 500) ont retrouvé une seconde jeunesse avec la réfection des mosaïques du bassin et l’ajout de buses thermoludiques. Ce qui en a longtemps fait le bassin le plus recherché de Paris existe toujours : la diffusion de musique classique sous l’eau, comble du raffinement. La mue du Ritz a tout de même un coût : « 400 millions d’euros investis par Mohamed alFayed », révèle Frank Klein président du Ritz. Le milliardaire amoureux de Paris, a puisé 1,5 million d’euros supplémentaires dans sa cassette personnelle pour financer, « à titre privé », la restauration de la colonne Vendôme. Celui qui a préféré vendre le prestigieux magasin Harrods de Londres et garder le Ritz avait fixé comme objectif à l’architecte Didier Beautemps et au décorateur Thierry W. Despont de « rénover sans nuire à l’âme des lieux », explique encore Frank Klein. Et, comme à son ouverture le 1er juin 1898, l’hôtel risque bien de surprendre sa clientèle par ce savant mélange entre Grand Siècle et troisième millénaire.

En son temps déjà, César Ritz avait trouvé le ton juste pour séduire une clientèle d’outre-Atlantique par le confort et l’élé-

gance d’un hôtel « où se conjuguent l’hygiène américaine et le style louis XVI », écrit Ghislain de Diesbach dans son importante biographie de Proust (Perrin). Le Ritz atteignit vite des sommets d’excellence durant les Années folles tandis que les paquebots transatlantiques déversaient leurs riches passagers du Nouveau Monde comme les Vanderbilt, les Singer ou les Rockefeller. Imperméable aux horreurs de la planète, le Ritz aborda la Seconde Guerre mondiale avec l’insouciance d’un enfant gâté. Loin des bruits assourdissants des bombes, l’hôtel ne connut que le tintement du cristal de ses coupes de champagne… Aucun danger ne semblait pouvoir affecter le palace comme le racontera plus tard l’archiduc Otto de Habsbourg, présent au Ritz un soir de juin 1940, tandis que Paris est occupé par les Allemands : « Le dîner nous a été servi dans les règles par du personnel en frac, comme si de rien n’était. Le souper était somptueux. » Et, quand l’épouse d’un diplomate américain demanda au directeur : « Comment avez-vous su que les Allemands arrivaient ? », celui-ci répondit : « Parce qu’ils ont réservé… » Même si la nationalité suisse de la famille Ritz protège l’hôtel d’une réquisition totale, Hermann Göring s’installe ­


de boîte aux lettres dans l’opération Walkyrie. Des Juifs auraient été cachés dans des chambres de bonne et même des placards. Quoi qu’il en soit, au soir de la victoire alliée, le Ritz renouvelle opportunément sa clientèle et le voyage au pays de l’excellence se poursuit. Ernest Hemingway, débarqué avec les libérateurs, devient le pilier d’un bar qui portera un jour son nom et d’un hôtel à qui il enverra cette déclaration d’amour « Quand je rêve de l’au-delà, cela se passe toujours au Ritz de Paris. »

Dans une suite du Ritz s’activent les femmes de chambre que des clients fidèles retrouvent d’un séjour à l’autre depuis des années.

­ durant l’Occupation dans la suite Impériale tandis que

le Tout-Paris de la collaboration fera du palace un îlot de douceur de vivre au milieu de l’enfer. Arletty ou Coco Chanel y abritent leurs amours interdites avec des officiers allemands. On raconte même que, lors des bombardements, « mademoiselle Chanel descendait à l’abri souterrain du Ritz précédée d’un valet qui portait son masque à gaz sur un coussin de soie ». Mais si l’hôtel déroule un tapis rouge – de honte – à l’occupant, une part du personnel sauve l’honneur, à l’instar du célèbre barman Frank Meier qui servira

La saga des Ritz prend fin en 1979 quand la veuve de Charles Ritz – fils de César – vend l’hôtel à Mohamed al-Fayed. Une page se tourne, mais l’histoire de l’hôtel continue d’être écrite par une clientèle aux exigences parfois extravagantes comme le raconte Manfred Mautsch, chargé depuis trentecinq ans de l’accueil : « Liz Taylor me fit un jour appeler pour qu’on retire un bureau de la suite qu’elle occupait parce que cela risquait de fatiguer Sugar, son chien, obligé de le contourner. » Et de se souvenir aussi de ce Russe qui commanda 1 000 roses blanches et 1 000 roses rouges pour les offrir à une femme « parce qu’il ignorait des deux couleurs celle qu’elle préférerait ». Autre histoire édifiante, celle de cette Américaine qui, jusqu’en 1983, habitait à l’année au Ritz, d’abord avec sa mère puis seule. Elle occupait trois pièces et descendait chaque soir dîner dans des tenues très habillées qu’elle achetait l’après-midi, sa seule occupation… Pour combattre le désœuvrement qui la minait, elle acquit une boutique de détaxe sur l’avenue voisine des Champs-Elysées et, pour tromper son ennui, s’y improvisait caissière ! « Eh bien, voyez-vous, cette clientèle-là n’existe plus » conclut, nostalgi■ PHILIPPE VIGUIÉ-DESPLACES que, Manfred Mautsch…

CARNET PRATIQUE RITZ PARIS

15, place Vendôme (01.43.16.30.30 ; www.ritzparis.com). Pour dormir dans l’une des 142 chambres dont 71 suites, il faudra débourser au moins 1 000 € pour une nuit avec petit déjeuner. C’est le tarif minimum. La suite Impériale, la plus belle de l’hôtel, est affichée à 28 000 € la nuit.

SES TABLES ET BARS

L’Espadon est la table gastronomique de l’hôtel dont le chef, Nicolas Sale, débarque du Kilimandjaro (2 étoiles) et du Kintessence (2 étoiles) à Courchevel. Il est passé auparavant, à Paris, par l’école de Pierre Gagnaire, rue Balzac celles d’Alain Senderens au Lucas Carton, de Philippe Legendre au George V et de Marc

Marchand au Meurice. Il sera le dixième cuisinier du Ritz depuis son ouverture en 1898, successeur en ligne directe du grand Auguste Escoffier, surnommé « le roi des cuisiniers et cuisinier des rois. Prix moyen pour un menu le soir sans les vins : environ 300 €. Le bar Vendôme, dans une déco intimiste, pourvoit aux petites faims (salade caesar, club sandwich, etc.) tandis que le salon Proust, ambiance bibliothèque, propose une récréation sucrée baptisée « thé à la française » chaque aprèsmidi jusqu’à 18 h (55 €). Au bar Hemingway, tout en boiseries, on déguste le cocktail signature Serendipity, savant mélange de calvados, menthe fraîche, jus de pomme et champagne (30 €). Au Ritz Bar, le traditionnel bar d’hôtel très animé, la carte ouvre

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les portes de l’exceptionnelle cave de l’hôtel, qui ne compte pas moins de 38 000 bouteilles.

LE SPA CHANEL

Avec 1 400 m2 répartis sur deux étages, il se classe désormais parmi les plus beaux de la capitale en offrant huit élégantes alcôves aux lignes épurées, chacune étant dotée d’une salle de bains privée où sont prodigués massages et soins, dont L’Impérial, le rituel signature du spa (1 h 30, 290 €). Liftée et agrémentée de buses thermoludiques, la célèbre piscine du Ritz (18 m x 9 m, couverte et chauffée) est plus agréable que jamais. Complètent l’inventaire de ces bonheurs hammams, saunas et jacuzzis ainsi que trois salles de fitness (dont une privée pour un coaching personnalisé) et le salon de coiffure.

LE COUP DE CŒUR Pour les comptoirs du lobby et du concierge (notre photo, p. 85 en haut), discrètement en retrait dans une sorte d’alvéole éclairée par une nouvelle fenêtre avec vue sur la place Vendôme.

LIRE

Il n’existe pas d’ouvrage qui traite de l’histoire du Ritz, à l’exception de 15, place Vendôme. Le Ritz sous l’Occupation, par Tilar J. Mazzeo (Editions La Librairie Vuibert), qui traite uniquement du quotidien du palace durant la Seconde Guerre mondiale (20,90 €). Citons encore Proust, par Ghislain de Diesbach (Editions Perrin), une monumentale biographie qui consacre un chapitre entier au Ritz de Marcel Proust (29,90 €).

P. V.-D.


SPÉCIAL HORLOGERIE

UNE NOUVELLE ÉL ÉGANCE URBAINE Il y a deux choses que les hommes de goût ont toujours soignées : leurs montres et leurs souliers. Cuirs exotiques et précieux pour garde-temps contemporains, bracelets taillés dans des matériaux inattendus, portrait d’un dandy de la haute horlogerie, dans ce dossier spécial de 22 pages, « Le Figaro Magazine » réunit deux univers ultramasculins. DOSSIER RÉALISÉ PAR FABIENNE REYBAUD SOUS LA DIRECTION D’ANNE-SOPHIE VON CLAER. PHOTOGRAPHE : QUENTIN DUCROS POUR LE FIGARO MAGAZINE. STYLISME : AURÉLIA GRANDEL DE KEATING. ASSISTANTE : STÉPHANIE DE LAMOTTE

De gauche à droite, montre Elégance Sartoriale, mouvement mécanique à remontage manuel, cadran motif rayures tennis, indication heures et minutes, boîtier en or rose, bracelet en alligator, Vacheron Constantin, 57 600 €. Montre L.U.C XPS 1860, indication de la date, mouvement automatique, boîtier en or rose, bracelet en alligator, Chopard, 19 950 €. Montre Royal Oak, indication de la date, mouvement automatique, boîtier en or rose, bracelet en alligator, Audemars Piguet, 28 200 €. Chronographe CT60, mouvement automatique, boîtier en or rose, bracelet en alligator, Tiffany & Co, 15 700 €. Montre New Retro, mouvement automatique, boîtier en or rose, bracelet en alligator, De Grisogono, 27 800 €. (Paire de derbys, Alden Expressly for FrenchTrotters, forme en bois et pièces de cuir, l’ensemble George & Georges.)

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13 MAI 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 111


De gauche à droite, montre Globemaster, affichage de la date, boîtier en acier, mouvement automatique Master Chronometer, bracelet en alligator, Omega, 6 300 €. Montre Classima, indication d’un double fuseau horaire, mouvement automatique, boîtier en acier, bracelet en alligator, Baume & Mercier, 2 550 €. Montre Mark XVIII, indication de la date, mouvement automatique, boîtier en acier, bracelet en veau Santoni, IWC, 4 500 €. Montre Cellini, indication de la date, mouvement automatique certifié chronomètre par le Cosc, boîtier en or gris, bracelet en alligator, Rolex, 16 350 €. Montre 1966 Dual Time, indication d’un second fuseau horaire et de la date, mouvement automatique, boîtier en acier, bracelet en alligator, Girard-Perregaux, 10 100 €. Chronographe Tonda Métrographe, mouvement automatique, boîtier en acier, bracelet en veau, Parmigiani Fleurier, 10 500 €. (Paire de richelieu Belgrave, Crockett & Jones, outils de façonnage, règle et lacets de cuir, George & Georges.)


De gauche à droite, montre Classic Fusion Berluti Scritto, mouvement automatique, boîtier en or, bracelet en cuir et caoutchouc, Hublot, 27 900 €. Montre Radiomir 1940 3 Days GMT, indication d’un second fuseau horaire, mouvement automatique, boîtier en acier, bracelet en veau, Panerai, 11 400 €. Chronographe Transocean 1915, mouvement mécanique à remontage manuel, boîtier en acier, bracelet en cuir brun surpiqué, Breitling, 7 830 €. Montre BR 123 Aéronavale, indication de la date, mouvement automatique, boîtier en acier, bracelet en veau, Bell & Ross, 2 700 €. Montre Slimline Auto Heart Beat, mouvement automatique, boîtier en acier plaqué or rose, bracelet en cuir, Frédérique Constant, 1 995 €. (Souliers Victor Tobacco bis et pochette de cuir à lustrer, Berluti, outils de façonnage et pochette en cuir piqué, George & Georges.)

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De haut en bas, Chronographe Altiplano, fonction « flyback », mouvement mécanique extraplat à remontage manuel, boîtier en or blanc, bracelet en alligator, Piaget, 30 900 €. Montre Classique Hora Mundi, indication d’un fuseau horaire instantané, date, mouvement automatique, boîtier en or blanc, bracelet en alligator, Breguet, 67 400 €. Montre Monsieur à heures sautantes, mouvement mécanique à remontage manuel, boîtier en or blanc, bracelet en alligator, Chanel Horlogerie, 33 000 €. (Peau et formes, George & Georges.)

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De haut en bas, Montre Drive, indication de la petite seconde et de la date, mouvement automatique, boîtier en or rose, bracelet en alligator, Cartier, 18 900 €. Montre Elite 6150, mouvement automatique, boîtier en or rose, bracelet en alligator, Zenith, 12 900 €. Montre Reverso Tribute Duoface, indication d’un second fuseau horaire et des 24 h, calibre mécanique à remontage manuel, boîtier en acier, bracelet en alligator, Jaeger-LeCoultre, 11 400 €. (Brosse à lustrer pour chaussures, Berluti, pièces de cuir et cirage, George & Georges.)


De haut en bas, montre Villeret, quantième complet, indication des phases de lune, mouvement automatique, boîtier en or blanc, bracelet en alligator, Blancpain, 23 950 €. Calendrier perpétuel, mouvement mécanique à remontage manuel, boîtier en or rose, bracelet en alligator, Patek Philippe, 79 220 €. Montre Héritage Chronométrie Dual Time Vasco de Gama, indication d’un second fuseau horaire et affichage jour/nuit, mouvement automatique, boîtier en acier, bracelet en alligator, Montblanc, 4 500 €. (Soulier Burwood Sandalwood, Church’s, chiffon, brosse à lustrer, brosse tampon et lacets de cuir, l’ensemble George & Georges.)


De haut en bas, montre RM 67-01 extraplate, mouvement automatique, boîtier en titane, bracelet en crocodile, Richard Mille, 89 000 €. Montre Octo Finissimo à répétition minutes, mouvement mécanique à remontage manuel, boîtier en titane, bracelet en alligator, Bulgari, 160 000 €. (Derby triple semelle 590, J.M. Weston, tablier de bottier et pièces de cuir, George & Georges.)

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DES BRACELETS EN PLEINE ÉVOLUTION

PHOTOS DR

A gauche, les cuirs réalisés par Santoni pour l’horloger IWC. A droite, les bracelets de type vintage de Tissot.

Cuirs luxueux, caoutchoucs de pointe, matières hybrides : les horlogers rivalisent d’ingéniosité pour habiller leurs boîtiers. PAR PAULINE CASTELLANI

C

’ est une petite révolution dans le

monde de l’horlogerie. Pour habiller son Oyster Perpetual Yacht-Master, Rolex a, pour la première fois, délaissé son bracelet en acier iconique au profit d’une attache en caoutchouc. En fait, ce sont des lames métalliques en titane et nickel surmoulées d’un élastomère noir profond et ultrarésistant. Pas n’importe quel caoutchouc donc, mais une combinaison inédite dans la lignée de toutes ces nouvelles matières mises au point par les horlogers. « L’acier ou le cuir alligator ne font plus forcément rêver, remarque Sylvain Dolla, président de Hamilton. A Bâle cette année, l’une de nos meilleures ventes a été la Khaki Navy Frogman : une montre de plongée étanche à 1 000 mètres avec un bracelet en caoutchouc naturel dont l’effet velours évoque, une fois mouillé, le néoprène des combinaisons de plongée. » Audelà du simple rappel visuel, ces bracelets d’un genre nouveau viennent surtout appuyer le caractère de la montre et prolonger le côté high-tech des modèles les plus pointus. Le caoutchouc de la ProDiver Pointer Moon d’Oris est ainsi

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agrémenté d’une boucle déployante facile à ajuster par les plongeurs professionnels lorsque le poignet gonfle sous l’eau. Tandis que la montre créée par Richard Mille pour Rafael Nadal privilégie le Kevlar, autant pour sa légèreté que pour son confort : « Toutes les autres matières testées écorchaient la peau du champion à chacun de ses revers à deux mains », se souvient l’horloger. N’en déplaise donc aux mordus de rouages, de réserves de marche, de tourbillons, les bracelets profitent désormais de développements aussi pointus que les têtes de montres. « Pour nos prochains modèles, nous sommes allés chercher des textiles du côté des industries aéronautique, militaire ou automobile avec, par exemple, le Nomex, une matière ininflammable qui équipe d’habitude les pilotes de Formule 1, raconte Jean-Paul Suchel, directeur technique et production de Bell & Ross. Puis nous leur avons associé notre FKM, un polymère fluoré peu utilisé dans l’horlogerie, que nous combinons déjà au cuir, par exemple, sur notre récent BR-X1 Hyperstellar. » Ces matières hybrides et particulièrement robustes, on les a également repérées sur la Seamaster Planet Ocean d’Omega et son cuir doublé, comme moulé, d’un caoutchouc antibactérien, mais aussi sur la TimeWalker Urban Speed Chronograph de Montblanc au cuir « extrême » fait d’un veau noir tissé d’une fine couche de carbone pour encore plus de résistance à l’usure. Ou encore sur l’Aquanaut Travel Time de Patek Philippe au bracelet Tropical en matière composite à la fois confortable au poignet et pratiquement inaltérable même dans l’eau salée. Loin d’être anecdotiques, ­

Peaux ultrasouples, matières hybrides, les marques conçoivent leurs bracelets afin qu’ils résistent à tout.

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­ ces innovations restent souvent difficiles à mettre au

point. « Pour notre caoutchouc façon maille milanaise présenté à Bâle sur la Superocean Héritage Chronoworks, nous avons dû développer des moules à tiroirs très complexes qui permettent d’obtenir un effet 3D visible dessus dessous, mais aussi sur les côtés de la montre », précise Jean-Paul Girardin, vice-président de Breitling.

Ci-dessus, Rolex a développé un bracelet en caoutchouc high-tech. A droite, Oris, Breitling, Tudor et Omega multiplient les propositions pour valoriser leurs mécanismes horlogers.

bracelets bouscule avec brio l’univers de l’horlogerie. Comme les fameux Nato le firent dès les années 1970. Décriés, voire méprisés par les puristes, ces bracelets en nylon – démocratisés à l’époque par le ministère de la Défense britannique et l’Otan (Nato) – ont finalement réussi à imposer leur allure sportive, moderne et facile. A tel point que Tudor propose depuis 2010 dans sa ligne Heritage des tissages multicolores fabriqués sur des métiers Jacquard dans l’est de la France. TAG Heuer a lancé, il y a quelques mois, une Formula 1 au bracelet bleu rayé de lignes verticales orange et grises, et Tissot propose une sangle en cuir façon Nato sur son Heritage 1936. Côté attaches en cuir justement, le choix s’élargit lui aussi de plus en plus. Jusqu’à faire oublier le trop classique croco. Cette saison, Seiko a même fait imprimer sur le strap de sa Grand Seiko Avant-Garde les photos des artistes japonais Nobuyoshi Araki et Daido Moriyama. Plus sages, les maroquiniers comme Gucci ou Louis Vuitton destinent, eux, à leurs collections horlogères leurs plus belles peaux maison. « Nous mettons notre savoir-faire de maroquinier au service de notre horlogerie pour obtenir une grande souplesse de nos bracelets », souligne Hamdi Chatti, directeur montres et joaillerie de Louis Vuitton dont le dernier modèle LV Fifty Five s’affiche dans un sublime cuir taurillon. Chez Panerai, on retiendra surtout le veau Assolutamente quasiment non traité et au toucher si velouté, comme sur cette Radiomir 1940 présentée lors du dernier SIHH. D’autres préfèrent collaborer avec des chausseurs de renom. Ainsi IWC décline depuis plusieurs années la fameuse patine anticatura de l’italien Santoni sur ses Portugaise, Portofino ou Pilot. Tandis que Roger Dubuis a demandé au grand bottier Massaro d’imaginer pour sa montre femme Velvet un bracelet insensé en cuir doré et scarifié d’un croisillon en relief. Enfin, Hublot - qui avait déjà habillé ses gardetemps de dentelles, de lin et même de jean - s’essaie, cette fois-ci, au fameux cuir Venezia de Berluti sur sa Classic Fusion. Et pour en prendre soin, l’horloger propose les mêmes accessoires d’entretien que le bottier (cires et brosses). Faisant ainsi du bracelet le centre de toutes les atten■ P. C. tions.

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A gauche, le célèbre bracelet créé par Martin Margiela pour Hermès apparaît désormais sur l’Apple Watch. A droite, Gucci réserve ses plus beaux cuirs à ses collections de montres.

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Extrêmement créative donc, cette nouvelle génération de


DR

RICHARD MILLE : QUINZE A NS DE SUCCÈS En un temps record, cet homme de défis a su imposer ses montres profilées et très te chniq ue s s ur le marché de la haute horlogerie contemporaine. PAR PAULINE CASTELLANI

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L

’aéronautique me fascine tant que j’ai acheté aux enchères l’ensemble des manuels d’entretien du Concorde et je peux passer des heures à en éplucher les schémas et les caractéristiques techniques », révèle Richard Mille. Pour développer sa dernière création présentée lors du Salon international de la haute horlogerie (SIHH) de janvier 2016, l’horloger a fait appel aux designers et ingénieurs d’Airbus Corporate Jets (ACJ), l’entreprise spécialisée dans les jets d’affaires. « Richard Mille était enthousiasmé par nos avions, affirme Benoît Defforge, à la tête d’ACJ, et nous par ses montres exceptionnelles. Nous partageons la même clientèle, qui recherche exclusivement de l’ultraluxe. » Sur cette RM 50-02 ACJ (1 116 000 euros), un chronographe à rattrapante avec un tourbillon, on re-

trouve le vert, le rouge et le jaune luminescents qui saturent d’habitude les tableaux de bord des cockpits, mais aussi tout un tas de matériaux innovants issus de l’industrie aéronautique. Comme les nanofibres de carbone ou l’alliage titane-aluminium (TiAl), un revêtement ultrarésistant utilisé sur les pales des turbines qui doivent fonctionner sous très hautes températures et fortes pressions. La résistance aux chocs et aux environnements inhospitaliers, voilà l’un des perpétuels défis du Français dont l’usine abrite aussi un véritable petit « laboratoire de torture » mécanique. Celui qui a fondé sa marque au début des années 2000 et qui emploie aujourd’hui 130 personnes a ainsi mis au point de nombreux boîtiers complexes et ultrarobustes pour des sportifs de renom. A chacun de ses coups droits, Rafael Nadal fera vibrer dans quelques ­


A gauche, le champion de tennis Rafael Nadal et sa Richard Mille préférée. Ci-dessus, l’intérieur d’un jet privé conçu par Airbus Corporate Jets qui a inspiré la dernière création de Richard Mille.

UN “LABORATOIRE DE TORTURE” MÉCANIQUE ­ jours et comme souvent sur la terre battue de Roland-

Garros sa RM 27-02 au prix - 759 000 euros - inversement proportionnel à son poids plume de moins de 20 grammes. « A la ville, Nadal était amateur de nos modèles mais il refusait de les porter pendant un match de tennis, raconte Richard Mille. Pour le séduire, nous avons dû développer une montre seconde peau et cela n’a pas été simple. Lors des entraînements, notre champion en a cassé une demi-douzaine. Il nous a fallu deux ans pour y arriver, chaque gramme gagné a été une bataille ! Maintenant il ne joue plus un match sans porter notre montre. » Quant à l’Argentin Pablo Mac Donough, il expose régulièrement à la brutalité des matchs de polo sa RM 053 en carbure de titane extrêmement dur. « J’adore apprivoiser ces conditions extrêmes, poursuit l’horloger. Bien sûr, ces sportifs n’ont pas besoin de lire l’heure sur le terrain, mais leur montre doit affronter la rudesse des compétitions de haut niveau. J’aime développer ces moutons à cinq pattes, parfois pendant six ou sept ans et pour finir avec une mise en fabrication très restreinte de 10, 20 ou 30 exemplaires seulement. » L’an dernier, il a ainsi livré 3 264 pièces et atteindra probablement les 4 000 unités en 2016 pour un chiffre d’affaires qui devrait dépasser les 200 millions de francs suisses. Avec une quarantaine de 130 LE FIGARO MAGAZINE - 13 MAI 2016

boutiques dans le monde (en propre ou en joint-venture) et un prix moyen de 170 000 euros, l’entreprise de haute horlogerie se porte décidément très bien. « Le luxe doit comporter beaucoup de technicité pour enrichir nos vies. Si nous continuons de progresser dans un marché en baisse, c’est parce que nous nous sommes positionnés, dès le départ, il y a quinze ans, comme le généraliste de la haute horlogerie contemporaine », analyse ce natif de Draguignan. Quant à son best-seller d’aujourd’hui, Richard Mille n’hésite pas une seule seconde. Il s’agit de la RM 011, profilée à l’origine pour le pilote brésilien Felipe Massa et aussi bien carrossée qu’un bolide de Formule 1. « Le chronographe est devenu un basique que beaucoup d’hommes aiment porter. Pas pour chronométrer à tout va, mais pour l’amour de la mécanique et du défi technique. C’est comme conduire une McLaren ou une Ferrari en roulant à 120 km/ h. Au XXIe siècle, une montre a pour unique fonction de faire rêver celui ou celle qui la porte. C’est un objet d’une complexité extrême, bourré de composants infinitésimaux, qui conduit parfois l’horloger qui le conçoit au bord de la crise de nerfs, mais toujours jusqu’au bout de sa passion. » Loin de se contenter de ces pièces à l’allure franchement sportive, ce trublion des rouages mécaniques de la haute horlogerie a tenu aussi à présenter, lors du dernier SIHH, un modèle extraplat. Avec son calibre de 3,6 mm d’épaisseur seulement et sa forme tonneau, cette RM 67-01 a un look beaucoup plus « civilisé » selon Richard Mille. « L’idée d’une haute horlogerie facile à vivre au quotidien et à ne surtout pas mettre au coffre me plaît. » Comptez 89 000 euros ■ P. C. pour l’arborer en ville…


ESCAPADES

SPÉCIAL

DOSSIER RÉALISÉ PAR BÉNÉDICTE MENU

LA CRÈTE BUISSONNIÈRE Tel un long peigne, la Crète s’étire sur 260 kilomètres entre mer Egée et Méditerranée. D’est en ouest, découvrez le vrai visage de l’île, de plages envoûtantes en paysages escarpés, adresses de charme et hospitalité. PAR MAUD VIDAL-NAQUET (TEXTE) ET LAURENT FAVRE POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

A la pointe nord-est de l’île, la péninsule de Gramvoussa se termine par un lagon aux couleurs éblouissantes. Sable fin, mer où l’on ne perd jamais pied, îlots rocheux : le lagon de Balos se rejoint en bateau ou à pied.

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Côté sud, face à la mer de Libye, la Crète se fait parfois abrupte et sauvage. Non loin du village de Chora Skafion, un sentier aérien sculpté dans la falaise mène à la plage de Glyka Nera, (« les eaux douces ») en grec.

Toutes en terre et pierre, les petites maisons d’Aspros Potamos s’emboîtent les unes dans les autres comme des maisons de poupées. Ici, on oublie smartphones et tablettes pour renouer avec les plaisirs d’une vie simple, proche de la nature.

SUR LES CHEMINS DE TRAVERSE, ENTRE MER ET MONTAGNE

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La magnifique ville de La Canée déroule boutiques et ateliers de créateurs. Chez Carmela, on trouvera une belle collection de bijoux et de céramiques (voir carnet). Salade ensoleillée et vin frais servis à la taverne Piperia, dans le village de Pefki.


Depuis 9 000 ans, l’olivier est cultivé en Crète. L’arbre aux fruits d’or couvre le quart du territoire de l’île et fait vivre toute la population agricole.

T

UNE PETITE TOSCANE AU PAYS DU ROI MINOS

rois mille ans d’histoire à donner ses fruits, écouter le chant des cigales et regarder la mer. Au bord du chemin, l’arbre se dresse plein de majesté, le tronc noueux et boursouflé par l’âge, la tête couronnée d’argent. L’olivier de Kavousi serait le plus vieil arbre de Crète. Il aura suffi de faire un pas sur le côté de l’axe qui mène d’Héraklion à l’est de l’île – 3 kilomètres de piste à suivre les pancartes « big olive tree » – pour être happé par le visage puissant et intemporel de la Crète. Une demi-heure auparavant, nous goûtions encore à l’exceptionnel confort de l’Elounda Gulf Villas, un hôtel familial offrant les services d’un 5 étoiles. Intimité, discrétion, exclusivité : depuis quarante ans, la famille Kadianakis y cultive l’hospitalité crétoise version haut de gamme. Le plus difficile ? Quitter le carré turquoise posé à l’orée de sa chambre : un miroir d’eau tendu au ciel et qui se marie au bleu divin de la mer. L’hôtel n’est pourtant que la première étape d’un road trip à travers toute la Crète. Une échappée belle entre mer et montagne sur la plus grande des îles grecques. Objectif : emprunter les chemins de traverse pour découvrir le vrai visage de l’île. Au pied de l’olivier de Kavousi, la route s’enroule autour de la baie de Mirabello et surplombe des criques à l’eau vert émeraude, avant de descendre sur le petit port de Mochlos à l’irrésistible simplicité. Face à un îlot autrefois rattaché à la terre, le village étire ses cafés et ses tavernes tranquilles. Chanté par Homère, le port de Mochlos était florissant sous les Minoens, cette brillante civilisation qui s’est épanouie en Crète aux IIIe

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et IIe millénaires avant notre ère. Une barque attachée au ponton invite à s’évader vers l’îlot couvert de vestiges archéologiques. Une étape de charme se perche 5 kilomètres au-dessus du port, dans le village de Sfaka. Un petit hôtel atypique, le Cressa Ghitonia, occupe tout un ancien quartier en lisière d’une superbe oliveraie. Sa quinzaine de chambres, son spa aux arches voûtées, ses terrasses en cascade et sa petite piscine s’emboîtent les uns dans les autres comme des maisons de poupée.

Reposés par cette étape pleine de poésie, nous mettons le cap sur l’est. Au-delà de la petite ville de Sitia, les paysages évoquent le Proche-Orient : la route file à travers une terre ocre sillonnée de canyons et couvertes de buissons secs jusqu’à rencontrer, à l’extrémité de l’île, la palmeraie de Vai, ourlée par une plage de sable blond aux allures de paradis. Plus au sud, la station balnéaire de Kato Zakros fait figure d’oasis dans un océan de rocaille. Des oliviers, des vignes et des cyprès bordés par une longue plage de galets, tandis que les ruines d’un palais minoen se dressent à l’entrée des mystérieuses gorges de la mort. Des confins orientaux de l’île, nous plongeons vers le sud. Du côté de l’Egypte et de la Libye, un vent chaud et sec nous caresse le visage. A Makrygialos, nous quittons subitement cet environnement subdésertique pour rejoindre des gorges remplies de pins : à un kilomètre du rivage, le hameau d’Aspros Potamos sera une étape hors du temps. Enchevêtrées les unes dans les autres, ses petites maisons ocre se fondent dans le paysage. L’habitat traditionnel a été respecté tel qu’il existe depuis trois cents ans. A l’intérieur, les murs irréguliers sont simplement blanchis à la chaux, le ­


Un cordon de sable, quelques parasols et un camaïeu aux couleurs irréelles : le lagon de Balos a des allures de paradis.

LE SENTIER FLIRTE AVEC LE VIDE ET LA MER ­ sol dallé de grandes pierres, le plafond soutenu par des

roseaux et des poutres en bois. Myrto, la jeune propriétaire, poursuit l’œuvre de sa mère, une pionnière. Il y a trente ans, elle s’est retirée dans cet ancien hameau agricole pour lui redonner vie. Ici, on oublie smartphones et tablettes (on ne peut les recharger qu’à la réception) pour savourer le calme à la lueur de la bougie. Seule l’électricité solaire apporte désormais quelque confort : un frigo dans chaque chambre, de l’eau chaude et des lampes à leds au-dessus du lit pour lire. Myrto nous raconte la longue histoire de son hameau tout en pierre et en terre. Aspros Potamos était une dépendance de Pefki, village qui s’est épanoui dans la montagne, à l’abri des pirates. Ses habitants dégringolaient la gorge pour assurer certains travaux des champs : cueillette des olives, fauchage du blé, hivernage des bêtes sous des cieux plus cléments. Sur les conseils de Myrto, nous remontons le sentier des paysans. Deux heures de balade pour rejoindre Pefki et sa taverne enchantée Piperia, qui doit son nom au superbe poivrier qui ombrage sa terrasse en balcon sur le paysage. Le patron invite tous les clients à tendre la main pour cueillir quelques grappes de baies rouges et épicées. L’arbre exotique a été ramené d’Egypte par un pêcheur dans sa barque, au début des années 1930. L’apéritif est offert avant que les plats ne défilent sur la table : petites feuilles de vigne farcies, salade ensoleillée, lapin au vin rouge, agneau fondant… On nous recommande de visiter l’ancienne école du village, transformé en musée. Nous y rencontrerons Ourania, « la beauté du village ». Les yeux dorés et pétillants, les cheveux relevés, la peau parcheminée par le temps : à 75 ans, Ourania court d’une occupation à l’autre. Elle tient le musée folklorique, entretient le jardin de l’église, s’active pour l’association culturelle du village. Elle est intarissable sur les festivités qui égaient Pevki : le carnaval, Pâques, les nombreuses fêtes des saints… Tout autour, le paysage est grandiose, un chaos de roches, une garrigue parfumée, la gorge remplie de pins 68 LE FIGARO MAGAZINE - 22 AVRIL 2016

et, juste au-dessus, l’église de Stavromenos qui, perchée sur son rocher, joue les sentinelles en regardant la mer. Nous grimpons au fameux plateau de Lassithi en empruntant le chemin des écoliers. Du bourg agricole de Kritsa au plateau méconnu de Katharo, la route traverse un paysage grandiose. Montagne rocailleuse, chênes verts aux formes fantasmagoriques, rapaces tournoyant dans le ciel. Les arbres noueux, sculptés par les chèvres et le vent, s’élèvent comme une armée de soldats. A tout moment, on s’attend à voir surgir un centaure. Ce sont en fait des chèvres rousses et noires qui nous surprennent sur la route, lointaines descendantes de la chèvre Amalthée qui, selon la légende, a nourri Zeus enfant dans une grotte crétoise. Au village de Katharo, là où l’asphalte et l’électricité s’arrêtent, nous nous attablons au café du village et surprenons cette délicieuse conversation. Une femme d’un certain âge s’assied en lançant dans un soupir au patron : « Ah, nous vieillissons ! » Et le fringant septuagénaire aux yeux bleus de répondre, plein de malice et de philosophie : « Toi peut-être, moi j’ai seulement grandi. » Nous repartons le 4 x 4 chargé de fruits offerts, direction le plateau de Lassithi.

Haut perché, ce plateau fertile se cache au creux d’une cou-

ronne de montagnes. Si les gracieuses éoliennes qui puisaient l’eau de son sous-sol ont disparu, le plateau conserve son authenticité. Une douzaine de villages agricoles veillent sur les champs de légumineuses et les nombreux arbres fruitiers. Une étape gourmande s’impose au village d’Agios Konstantinos : l’auberge Vilaeti fait honneur aux produits du terroir entre ses viandes rôties lentement à la broche et ses salades aux jeunes pousses du jardin. Un paysage riant nous surprend du côté d’Héraklion. Si la côte autour de la capitale crétoise a été défigurée par d’immenses stations balnéaires, son arrière-pays n’est que vignes qui ondulent à perte de vue et petites bourgades colorées. Une petite Toscane au pays du roi Minos, dont l’entrée est gardée par le spectaculaire palais de Cnossos. Entre ses fresques éblouissantes et son dédale de rues qui évoque le labyrinthe du Minotaure, le palais reconstitué donne une image de la brillante civilisation minoenne. A quelques kilomètres, Vivi Papaspirou nous attend à l’entrée du chai ultramoderne de vinification du domaine Boutari. Avant de nous conter en français les vertus de son terroir, la jeune œnologue nous installe dans le vieux mas caché dans un bosquet d’arbres fruitiers. Trois chambres seulement où les vieilles pierres et le mobilier contemporain se marient avec élégance. On se sent privilégié lorsque, à l’ombre du ­


Comme Thésée dans le labyrinthe, il faut faire preuve de courage pour honorer saint Jean l’Ermite au fond de sa grotte.

cienne du XVe siècle transformée en délicieuse maison d’hôtes par un couple charmant, Yannis et Eleni Delyanakis. Autant de bases pour explorer les trésors de cette partie de l’île. Plein sud, au bout d’une route qui plonge en lacets vers la mer de Libye, se love le village de Chora Sfakion. De ce bout du monde, on rejoint la plage de Glyka Nera (« les eaux douces » en grec), en bateau ou à pied. Aérien, le sentier flirte avec le vide et la mer avant de rejoindre la plage qui s’étire au pied d’une falaise vertigineuse. Au centre, tel un miracle, un puits d’eau douce creusé dans le sable rafraîchit baigneurs et randonneurs.

Tout au nord, sur la péninsule d’Akrotiri, le

NOUS VOILÀ TEL THÉSÉE DANS LE LABYRINTHE... ­ grand pin, on nous sert de délicats mets crétois pour

accompagner un verre de vin du domaine, un heureux mélange de kotsifali, le cépage local, léger et fruité, avec de la syrah. La puissante silhouette du mont Ida barre tout le centre de l’île. Si la vigne s’épanouit du côté d’Héraklion, c’est l’olivier qui domine du côté de Réthymnon. Là, au détour d’une petite route de campagne sur les contreforts luxuriants de la montagne, se cache une adresse merveilleuse : le Kapsaliana village. Autrefois dépendance du célèbre monastère d’Arkadi, le hameau a vu le jour au XVIIIe siècle autour d’un grand moulin à huile. Sa renaissance est l’histoire romantique d’une passion pour les grandes ruines. « Plus qu’un hôtel, c’est un village que j’ai fait revivre », souligne son élégant propriétaire, l’architecte Myron Toupoyannis qui vit et travaille sur place. Pour restaurer le hameau, Myron a quitté Paris et Athènes, et a renoué avec ses racines crétoises. Le résultat ? Dix-sept chambres aux murs patinés, un restaurant raffiné, un pressoir transformé en musée et une immense piscine qui regarde la mer au-dessus d’une forêt d’oliviers. Après avoir savouré du poulpe au vieux vinaigre ou un risotto à l’encre de seiche, le chef invite à une dégustation d’huile d’olive. A l’ombre d’un citronnier, on apprend à reconnaître et apprécier l’odeur fruitée, le goût amer et les saveurs épicées de cet élixir. Dans cette région riche de ses oliviers, bien d’autres adresses ont redonné vie aux vieilles pierres. Dans le pittoresque village de Gavalochori, une décoratrice d’intérieur de La Canée a transformé en petit éden un ancien moulin à huile du village : jasmin, bougainvillier et arbres fruitiers embaument ainsi le jardin de la villa Athermigo et sa piscine. Ou encore cette adresse à Argyroupolis, village célèbre pour ses sources rafraîchissantes. Le chemin de ronde du vieux village égrène bien des surprises comme une mosaïque romaine, une chapelle ornée d’un fût de colonne antique ou cette maison patri70 LE FIGARO MAGAZINE - 22 AVRIL 2016

monastère de Governeto protège des dizaines d’hectares. Humble forteresse, le monastère se dresse à l’entrée de ses terres. Au-delà, le sentier court sur la colline, croise une chapelle troglodytique dédiée à la Vierge, dégringole en zigzaguant vers les gorges. Tout au fond, entre les vestiges d’un ancien monastère catholique, des pèlerins se rassemblent à l’entrée de la grotte de saint Jean l’Ermite. On s’enfonce dans le tunnel sombre un cierge à la main et une ficelle dans l’autre. Nous voilà, tel Thésée dans le labyrinthe, à suivre le fil d’Ariane qui conduit jusqu’à la demeure où le saint aurait vécu au IXe siècle. Entre les stalagmites et les stalactites ruisselant d’humidité, on tâtonne, on glisse, plongeant parfois les pieds dans une flaque d’eau. Au bout d’une demi-heure, on atteint le fond où un groupe de jeunes gens embrasse pieusement une icône. A la sortie, un gaillard aux yeux sombres nous félicite de notre courage en nous offrant un verre de raki, l’eau-de-vie crétoise. Comment ne pas être séduit par Khania, l’ancienne capitale appelée La Canée en français ? Son phare vénitien, ses arsenaux, sa mosquée turque, ses maisons à encorbellement et ses petits palais donnent une couleur bigarrée à la ville. On flâne avec délice sur ses quais et dans ses ruelles piétonnes animées. Restaurants recherchés, magasins de produits du terroir ou petites boutiques de créateurs se sont multipliés ces dernières années, preuve que la ville attire à elle de jeunes Grecs créatifs et plein d’idées. Cette cité vibrante a ainsi retenu Aliki Panagakou, jeune Athénienne à la tête du groupe Aria Hotels. Sa mission est de dénicher des bâtiments de caractère pour les transformer en hébergements de charme comme la Villa Athermigo ou le mas dans les vignes de Scalani Hills. Sur le vieux port de La Canée, l’ancien bureau d’Eleftherios Venizelos est ainsi devenu un boutique-hôtel de huit chambres seulement, l’Alcanea. Dominé par les impénétrables montagnes Blanches, l’ouest de la Crète est un continent magnétique à explorer. Une plage aux couleurs irréelles se cache sur la dernière dent du long peigne crétois, la péninsule de Gramvoussa. Au bout d’une piste en terre en balcon sur la mer et d’un sentier qui traverse une garrigue parfumée, on ne peut qu’avoir le souffle coupé par le lagon de Balos qui se découvre soudain à nos pieds : un paysage exotique fait de falaises grises et ocre, de sable blond comme les blés et d’un camaïeu de bleu où l’on ne perd ■ MAUD VIDAL-NAQUET jamais pied.


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CRÈTE www.ilesdumonde.com) propose des séjours sur mesure avec une belle sélection d’hôtels. Pour un séjour raffiné d’une semaine, le voyagiste recommande par exemple de combiner 3 nuits à l’intérieur des terres au Kapsaliana Village ! et 4 nuits en bord de mer à l’hôtel Elounda Mare, à partir de 1 950 € par personne en chambre double au départ de Paris, location de voiture comprise. Il propose aussi des balades crétoises à prix doux, passant par Héraklion, La Canée, Matala et Elounda à partir de 460 € pour un circuit de 7 nuits, location de voiture comprise. Vols en supplément.

UTILE

Un site : www.discovergreece.com Une application mobile : www.mycreteguide.com Cartes et randonnées : indispensables pour explorer la Crète § (en photo, le monastère Aghia Triada) au volant ou à pied, les excellentes cartes Anavasi (www.anavasi.gr) Topo 100 et Topo 25.

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Avec Transavia (0.892.058.888 ; www.transavia.com/fr), vol direct de Paris, Nantes et Lyon pour Héraklion et de Paris pour La Canée (Khania). A partir de 161 € l’A/R. En voiture et bateau : prendre le bateau à Ancône (Italie) pour la Grèce, puis du Pirée pour Héraklion ou La Canée. La compagnie Anek Lines assure quotidiennement ces liaisons maritimes en collaboration avec Super Fast (00.30.21.04.19.74.00) et Blue Star Ferries (00.30.21.04.19.74.00).

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OLIVIER CAILLEAU

LA CANÉE

Elounda Gulf Villas & Suites $ (00.30.28.10.22.77.21 ; www.eloundavillas.com). Très exclusif, cet hôtel familial incarne le summum du luxe en Grèce. Service d’un 5 étoiles, restaurant raffiné, personnel souriant. En balcon sur la mer, 18 villas avec piscine privée et 15 suites. Plage privée près de Spinalonga. A partir de 338 € la nuit pour 2. Kapsaliana Village, (00.30.28.31.08.34.00 ; www.kapsalianavillage.gr) Dans un écrin de nature près du village de Réthymnon, un architecte a redonné vie à un ancien hameau construit autour de son moulin à huile. Restaurant réputé estampillé slow food. Agréable piscine, dégustation d’huile d’olive &, VTT… A partir de 135 € avec petit déjeuner. A Makrygialos, l’Aspros Potamos % (00.30.28.43.05.16.94 ;

D E www.asprospotamos.gr). Pour les amateurs d’authenticité et de retour à une vie simple et déconnectée. Dix petites maisons traditionnelles enchevêtrées les unes dans les autres. Calme absolu, cadre naturel enchanteur. A partir de 55 €. Petit déjeuner copieux (7 € par personne). A Argyroupolis, du côté de Réthymnon, Arcus Suites (00.30.28.31.20.02.01 ; www.arcusvillas.gr). Dans un ravissant village, 5 suites dans une maison patricienne. Piscine et jardin luxuriant. Accueil attentionné. A partir de 80 €. Aria Hotels (www.ariahotels.com) propose une sélection pointue de boutiques-hôtels et de villas de caractère en Crète. A Sitia, l’hôtel Cressa Ghitonia (00.30.28.43.02.90.40). Une adresse atypique qui occupe tout un ancien quartier du village. C’est alambiqué et plein de charme. Petite piscine, spa, bar et restaurant. A partir de 80 € avec petit déjeuner. Près d’Héraklion, le Scalani Hills ( (00.30.28.10.73.17.55). Une immersion au cœur du domaine viticole Boutari. Les 3 chambres au style épuré occupent l’ancien mas du domaine. A partir de 190 € en chambre double et de 530 € pour la maison entière (8 personnes). Petit déjeuner, visite du chai et dégustation de vin inclus. Cours de cuisine crétoise sur demande. Dans le village de Gavalochori vers La Canée, la Villa Athermigo @/ (00.30.28.25.02.34.00). La métamorphose d’un ancien moulin à huile en une somptueuse villa avec jardin et immense piscine. On peut louer la propriété entière (à partir de 530 € pour 10 personnes) ou bien l’une des 3 chambres

V O Y A G E indépendantes (à partir de 190 €). Le pressoir lui-même a été transformé en spectaculaire salonsalle à manger. A deux pas se loue aussi une maison de village plus modeste : Critamo (même téléphone). A La Canée, l’hôtel Alcanea (00.30.28.21.07.53.70). Au bout de l’ancien port vénitien et à côté du musée maritime, une maison historique transformée en boutiquehôtel. Ses 8 chambres sont rafraîchies par la brise marine. A partir de 90 €, petit déjeuner compris.

BONNES TABLES

A l’est, à Pefki, Piperia (69.36.77.60.69). Une délicieuse taverne ombragée par un grand poivrier rose, dans un village hors des sentiers battus. A Agios Konstantinos, sur le plateau de Lassithi, Vilaeti (28.44.03.19.83 ; www.vilaeti.gr). Agneau à la sauge, côte de porc aux figues, grillades à la broche… Une excellente taverne dans une auberge traditionnelle. A La Canée (Khania), près des

arsenaux, Salis (28.21.04.37.00 ; www.salischania.com). Sur le vieux port, ce nouveau restaurant propose une cuisine crétoise moderne et raffinée à base d’excellents produits du terroir.

(xamamclothes.gr) située dans un ancien hammam, au 35, rue Chalidon. Céramiques et bijoux de créateurs grecs chez Carmela, au 7 rue Angelou, près du musée naval au bout du vieux port.

SHOPPING

LIRE

De l’huile d’olive, du miel, des herbes sauvages comme l’origan à acheter dans les villages ou sur les marchés. A La Canée, on trouve de très belles boutiques. Vêtements aux lignes fluides et modernes à la boutique Xamam

Alexis Zorba, de Nikos Kazantzakis (Editions Cambourakis). L’Ile des oubliés, de Victoria Hislop (Livre de Poche). La Vie d’Ismaïl Férik Pacha, de Réa Galanaki (Actes Sud). M. V.-N.

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ESCAPADES SPÉCIAL

De Cannes à Cascais, de la campagne anglaise aux trésors du Luberon, nos idées pour s’évader avant (ou après) le grand chassé-croisé de l’été. PAR BÉNÉDICTE MENU AVEC GUILLAUME DE DIEULEVEULT ET LAURENCE HALOCHE

MONTÉNÉGRO, LA MER À LA MONTAGNE

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ncienne possession vénitienne, la baie de Boka connut un âge d’or lors duquel artisans et commerçants de tous horizons se croisaient dans ses ports. L’exceptionnel patrimoine de cette région vaut aux villes de Kotor et de Perast d’être classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Situé au cœur de la baie, l’hôtel Regent Porto Monténégro est le lieu idéal pour découvrir ses côtes, arpenter ses montagnes et se perdre dans les ruelles de ses villages. L’hôtel, qui compte 87 chambres et tous les services d’un établissement haut de gamme, propose en outre un service de baby-sitting. G. D. MytravelChic (0892.230.901 ; www.mytravelchic.com). Jusqu’en juin, séjour de 4 jours/3 nuits en chambre « deluxe room mountains » : à partir de 498 € au départ de Paris en classe éco, accès au spa inclus.

EN ANDALOUSIE, L’ART DU TEMPS RETROUVÉ

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e loin on dirait un palais mauresque… de près aussi. Construit quelque part entre Grenade et la Costa del Sol, dans les collines d’Andalousie, au milieu des oliviers, la Bobadilla est une oasis de quiétude. Le groupe majorquain Barceló, propriétaire de cet hôtel membre des Luxury Hotels of the World, a dédié les lieux à la détente. On se rend donc là pour oublier, le temps de quelques jours, sa montre, les e-mails qui tombent en cascade sur son téléphone portable et autres joies de la vie moderne. Un spa, une piscine (1 000 m2) et de nombreuses activités en plein air combleront très agréablement le vide ainsi créé. G. D. Hôtel Barceló La Bobadilla (00.34.958.321.861 ; www.barcelolabobadilla.com). A partir de 217 € la nuit en chambre double avec petit-déjeuner.

LE LUBERON CHIC ET CHARME, À LA BASTIDE DE GORDES

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76 LE FIGARO MAGAZINE - 22 AVRIL 2016

le Pèir. A moins que vous ne vous laissiez séduire par une exploration bucolique en 2 CV, guidé par le personnel de l’hôtel vers les pépites de la région : Oppède-le-Vieux, le château du marquis de Sade à Lacoste ou encore le domaine viticole de la Citadelle à Ménerbes, où Alexis Rousset-Rouard veille avec passion sur 39 ha de parcelles en conversion biologique et un petit musée fort distrayant qui présente une collection de plus de 1 200 tire-bouchons du XVIIe à nos jours. B. M.

La Bastide de Gordes (04.90.72.12.12 ; www.bastide-de-gordes.com). Forfait « Escapade en Deudeuche » : 3 nuits en chambre double (catégorie au choix) avec petit déjeuner, location d’une 2 CV pour 2 jours avec paniers pique-nique et accès au Spa Sisley : à partir de 1 358 € pour deux.

PHOTOS : DR

enouer avec l’élégance aristocratique des châteaux des Comtes de Provence tout en préservant l’âme du lieu, tel était le challenge du groupe Lov Hotel Collection qui veille aujourd’hui sur La Bastide de Gordes. Sous sa houlette, l’adresse la plus select du Vaucluse s’est donc offert un lifting complet mené avec brio par Christophe Tollemer, l’architecte d’intérieur des Airelles et du Chalet de Pierre à Courchevel. Il lui aura fallu plus d’un an pour chiner chez les plus grands antiquaires les divers meubles, sculptures, tableaux, tentures, parquets et autres décorations d’époque (pièce rare parmi ces trésors, une lettre du secrétaire de Louis XIV et de Louis XV) qui peuplent désormais les lieux et s’inscrivent dans la continuité de sa légende. D’autres travaux relèvent de la prouesse technique sur ce flanc de roche face aux Alpilles où s’étagent les cinq bâtiments de la bastide, tel ce tunnel creusé pour permettre aux hôtes de rejoindre discrètement le spa en peignoir ou encore ce long bassin de nage (photo) qui vient compléter l’offre « baignade ». S’il fallait un argument de plus pour vous inciter à découvrir les nouveaux atours de la Bastide de Gordes, ce serait celui du goût avec Pierre Gagnaire en guest star qui signe la carte de sa nouvelle table saisonnière,


ESCAPADE

FLORENCE EN TRIBU

Wiknd (01.70.36.35.44 ; www.wiknd.com). Week-end à Florence en famille : 4 jours/3 nuits en appartement à partir de 400 € au départ de Paris en classe éco, transferts, linge de maison et nettoyage final de l’appartement inclus.

LUCIANO MORTULA

GUILLAUME DE LAUBIER

SPÉCIAL

PRÈS DE BORDEAUX, LA POSSIBILITÉ D’UNE ÎLE Maison Martin Margiela et Maxime Simoëns, c’est à la créatrice de robes de mariées Delphine Manivet que les propriétaires Alice et Jérôme Tourbier ont confié l’intérieur de cette luxueuse « cabane » sur l’eau baptisée à juste titre L’île aux oiseaux. Exercice de style réussi. Passée la tentation de s’attarder sur la terrasse avec vue sur le lac, on découvre une vaste chambre-salon drapée et capitonnée de blanc, pastellisée de roses poudrés ou irisés. Matières nobles,

élégant mobilier, lumières délicates et détails précieux révèlent un art de vivre où le raffinement l’emporte. On se sent dans ce cocon comme une jeune fiancée parée pour vivre un moment d’exception. L. H.

Les Sources de Caudalie (05.57.83.83.83 ; www.sources-caudalie.com). L’île aux oiseaux : 920 € la nuit. Forfait pour deux personnes : 1 130 €, comprenant une nuit, le petit déjeuner et un repas en 7 étapes au restaurant gastronomique 2 étoiles La Grand’Vigne.

GLASGOW, LE CITY BREAK INSPIRANT

P. TOMKINS/VISITSCOTLAND

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78 LE FIGARO MAGAZINE - 22 AVRIL 2016

out au long de l’année, l’Ecosse célèbre l’innovation, l’architecture et le design à travers de nombreuses animations et expositions. A Glasgow notamment, où Alainn Tours a élaboré pour l’occasion un carnet de voyage autour de la création, moteur de ce grand port industriel de la côte ouest. Depuis la Glasgow School of Art, imaginée en 1896 par Charles Rennie Mackintosh, un des pères de l’Art nouveau, à la surprenante façade en zigzag du Riverside Museum dédié aux transports (l’une des ultimes créations de Zaha Hadid), les voyageurs sillonneront ainsi la ville à la découverte de ses trésors architecturaux et d’une scène artistique, musicale et gastronomique en plein éveil. G. D.

Alainn Tours (0820.20.20.30 ; www.vacances-ecosse.fr). Forfait « Promenade au milieu des génies de Glasgow » : 4 jours/3 nuits avec petits déjeuners, à partir de 456 €, carnet de voyage personnalisé inclus. Vols et transferts en supplément.

À GLYNDEBOURNE, SUR UN AIR D’OPÉRA

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moking, robes longues et bel canto dans la campagne anglaise : Glyndebourne, le plus chic des festivals de musique classique de Grande-Bretagne est aussi le plus prisé ! D’où le caractère exceptionnel de cette escapade musicale signée La Fugue qui propose de jouer au dandy anglais en passant une journée mémorable sur les terres du festival. Au programme, La Petite Renarde rusée, de Leos Janacek, interprétée par l’Orchestre philharmonique de Londres. A l’entracte, faisant fi des aléas climatiques du Sussex, on s’égaille dans le jardin pour pique-niquer sur le gazon, une vieille tradition de ce festival créé en 1934. Cette soirée « so british » sera précédée d’une escale à Londres, au Covent Garden, pour assister à une représentation du Werther de Massenet avec la mezzo-soprano américaine Joyce DiDonato. G. D.

La Fugue (01.43.59.10.14 ; www.lafugue.com). Séjour du 24 au 26 juin à partir de 3 750 € inclus l’aller-retour en Eurostar, 2 nuits au Covent Garden Hotel, les places de spectacle en première catégorie. Extension possible.

CASCAIS, UNE FUGUE SUR LA RIVIERA LISBOÈTE

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e Portugal a le vent en poupe et l’on comprend pourquoi ceux qui en ont déjà fait leur villégiature favorite aimeraient qu’on n’ébruite pas plus ses trésors… Au sud de Sintra, à l’ouest de Lisbonne, Cascais est l’un d’eux. Un petit port traditionnel, une plage de sable blond, des ruelles piétonnes bordées de maisons blanches, de restaurants et boutiques en font une station balnéaire aussi élégante que décontractée. A l’image du dernier-né des hôtels Martinhal. Entre deux parcours de golf réputés (Quinta da Marinha et Oitavos), ce groupe hôtelier Family friendly en plein essor y a investi l’ancien Onyria Edition Hotel pour y camper sa nouvelle base. Comme en Algarve, à Sagres, où Martinhal a fait ses classes avec un premier resort familial vite classé parmi les meilleurs d’Europe, l’adresse propose à ses hôtes de grandes chambres, suites et villas superbement aménagées, un spa qui combine les bienfaits du yoga aux apports naturels régionaux, 2 restaurants, 3 piscines et un clubhouse pour enfants de plus de 700 m2 auquel s’ajoutent 2 300 m2 d’espaces de jeux extérieurs. B. M.

Martinhal Cascais (00.351.218.50.77.88 ; www.martinhal.com). Jusqu’au 8 juillet, forfait 2 nuits avec petit déjeuner, et un repas par jour (déjeuner ou dîner) : 496 € pour 2 en chambre Deluxe, accès aux aménagements du Finisterra Spa, aux activités extérieures pour enfants et Wi-Fi inclus.

NUNO VALADAS

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enser au Bordelais suffit à convoquer les images de vignobles réputés, de grands crus classés, de somptueux châteaux et chartreuses. Un chromo que Les Sources de Caudalie restituent avec fidélité tout en innovant en permanence. Au cœur des vignes du Château Smith Haut Laffite, cet établissement 5 étoiles abrite notamment une suite dont la décoration change régulièrement au fil de l’inspiration d’artistes aux univers affirmés et très différents. Après

SAM STEPHENSON

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’ancienne capitale des Médicis regorge de trésors de la Renaissance italienne. Mais ce musée à ciel ouvert n’est pas une ville morte. On peut très bien découvrir Florence en famille, en profitant d’un des jolis appartements sélectionnés par Wiknd qui, en option, propose également un programme de visites privées adaptées : une promenade du Duomo au Ponte Vecchio, une excursion dans la partie médiévale de Florence, la découverte d’ateliers d’artisans et une introduction aux secrets du « Calcio fiorentino », sport haut en couleur pratiqué depuis des siècles. G. D.

22 AVRIL 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 79


Aux fondus de la petite balle, il offre un green-fee avec voiturette GPS, tees, service « caddie-master » pour la prise en charge du sac de golf, ainsi que l’accès à l’Albatros Golf Performance Center, le premier à avoir obtenu la certification European Tour Performance Institute. Idéal pour se perfectionner sans se soucier des contingences pratiques. Pendant ce temps, Madame profitera des aménagements somptueux du spa sis dans une lumineuse bastide de 3 200 m2 dotée de 14 salles de soins et de tout ce dont on rêve pour se relaxer tout en réveillant son corps : sauna, hammam, laconium, fontaine à glace, douche tropicale et deux piscines dont une extérieure, chauffée à 35 °C et équipée de lits de bulles et de jets tonifiants. Un soin du visage d’une heure complète B. M. le programme de ce séjour à vivre en suite ou villa. PHOTOS : DR

TERRE BLANCHE, AU BONHEUR DES COUPLES

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n ne présente plus ce luxueux refuge niché à Tourrettes dans le Var sur un domaine vallonné et boisé de 300 hectares, ses deux golfs 18 trous et son spa d’exception. A 45 min de Cannes et un peu moins de Nice, Terre Blanche propose une escapade bien dosée qui ravira les épouses de golfeurs.

Terre Blanche Hôtel Spa Golf Resort (04.94.39.90.00 ; www.terre-blanche.com). Forfait Golf & Spa à partir de 515 € par nuit en suite avec petit déjeuner. En plus des prestations énoncées plus haut : Wi-Fi offert ainsi que l’hébergement de 2 enfants de moins de 12 ans avec accès au club qui leur est dédié.

LA CAMARGUE DANS L’OBJECTIF

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réée par trois professionnels de l’image, l’agence Aguila est l’une des premières à avoir conceptualisé le voyage photographique. Pour ses 10 ans, elle rend hommage à l’une de ses destinations favorites : la Camargue. Plusieurs escapades thématiques émaillent le calendrier de saison sur ce territoire à l’identité forte où, entre terre et mer, les amateurs de photographies n’ont que l’embarras du choix en matière de sujets. Chevaux, taureaux, nuées d’oiseaux et fêtes traditionnelles sont au programme pour 3 ou 4 jours guidés par des pros qui maîtrisent autant l’objectif que la région, offrant des accès privilégiés aux coulisses des fêtes camarguaises d’Aigues-Vives (du 24 au 27 juin), de Sommières (du 4 au 8 août) et d’Aigues-Mortes (du 7 au 10 octobre). B. M.

Aguila Voyages (04.67.13.22.32 ; www.aguila-voyages.com). De 495 € pour les séjours de 3 jours/2 nuits (en mai et juin) à 550 € pour les séjours de 4 jours/3 nuits (fêtes camarguaises). En pension complète, encadrement par un photographe inclus.

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1603022 - Photographie : Studio Phil Factory. Stylisme : Les Poppees, Catimini et Week-end La Baule.

ESCAPADE SPÉCIAL

DOMAINE ROCHEVILAINE FIGARO MAGAZINE L82xH235 5mm 010416 V1.pdf

CANNES, LE FIVE SEAS FAIT SON CINÉMA

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andis que les stars du septième art fouleront le tapis rouge du Palais des festivals tout proche, les hôtes du Five Seas Hotel – son toit-terrasse est l’un des spots favoris des festivaliers – pourront s’offrir in situ un de ces élégants portraits dont le célèbre Studio Harcourt a le secret. Une exposition de photos présentera en parallèle quelques-uns des portraits les plus emblématiques de la prestigieuse maison, d’Edith Piaf à Sophie Marceau en passant par Ewan McGregor ou Jean Dujardin. What else, au Five Seas ? La détente au bord de la piscine, elle aussi en terrasse, les envolées culinaires du chef Arnaud Tabarec au restaurant Sea Sens et les attentions délicates d’un personnel aux petits soins. B. M.

Five Seas Hotel (04.63.36.05.05 ; five-seas-hotel-cannes.com). Le Studio Harcourt installera son plateau au sein du 5 étoiles du 11 au 22 mai, durant toute la durée du festival. A partir de 249 € la nuit en chambre double avec petit déjeuner.

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LES FANTÔMES DE TCHERNOBYL Trente ans après la pire catastrophe nucléaire du XXe siècle, le 26 avril 1986, les survivants n’ont jamais oublié ce jour où leur vie a basculé. Pompiers, opérateurs, pilote d’hélicoptère, habitants de la ville de Pripiat et employés de la centrale de Tchernobyl se souviennent. DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX EN UKRAINE, CYRIL HOFSTEIN (TEXTE) ET GUILLAUME HERBAUT (PHOTOS) POUR LE FIGARO MAGAZINE

Irina et Sergueï Lobanov se sont mariés à Pripiat le 26 avril 1986. Un jour qui devait être le plus beau de leur vie… Dans la salle des mariages dévastée et abandonnée, au milieu de la poussière et des gravats contaminés par les radiations, ils se tiennent exactement là où ils se sont dit oui. 42 LE FIGARO MAGAZINE - 22 AVRIL 2016

22 AVRIL 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 43


CE JOUR-LÀ, ILS ONT VU S’OUVRIR LES PORTES DE L’ENFER

Aleksey Breus, opérateur de la salle de commande du bloc 4, est le dernier à avoir appuyé sur le bouton d’activation des pompes à 15 h 45, le 26 avril. Devant le pupitre de contrôle du bloc 3, encore intact. Il se souvient, submergé par l’émotion.

A bord de son hélicoptère Mi-6 n° 8, abandonné sur place dans la zone interdite , Igor Pysmenskiy (en haut) a effectué 29 missions de largage de produits retardants au-dessus de la centrale de Tchernobyl.

Aujourd’hui presque effacée, cette fresque de propagande décorait un pan de mur de la ville militaire secrète de Tchernobyl-2.

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Vladimir Ivanovich Tutunnyk, militaire des services spéciaux de la sécurité de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en poste le soir de l’accident, a d’abord cru à un acte de sabotage.

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Valentina Chevtchenko, alors présidente du Parlement de la République socialiste soviétique d’Ukraine, a tout fait pour organiser l’évacuation des enfants de la ville de Pripiat dans les jours qui ont suivi l’explosion du réacteur 4.

À 1 H 23 EXACTEMENT, LE SOL DE LA CENTRALE S’EST MIS À VACILLER

ans l’air étouffant de la ville nouvelle de Pripiat flotte le parfum entêtant des derniers abricotiers en fleur. Malgré la nuit, la chaleur est presque insupportable. Il est 23 h 30. Nous sommes le 25 avril 1986. Vladimir Ivanovich Tutunnyk, un des 150 militaires des services spéciaux chargés de la sécurité de la centrale nucléaire de Tchernobyl, ferme tout doucement la porte de sa chambre pour ne pas réveiller sa femme et son fils de 4 ans. Comme chaque fois qu’il quitte son appartement situé au 4 rue des Hérosde-Stalingrad, il savoure sa chance d’habiter dans l’une de ces grandes barres de béton construites pour héberger les employés de la centrale et de son immense chantier. De la Centrale nucléaire V.I. Lénine, il a tout appris par 46 LE FIGARO MAGAZINE - 22 AVRIL 2016

Piotr Chavrey, 27 ans à l’époque, était inspecteur de la sécurité incendie du bloc 5. Il fait partie des premiers employés de la centrale rappelés en urgence par la direction pour éteindre l’incendie. Il a été gravement irradié.

cœur : date de construction : 1971. Mise en service du premier réacteur en 1977 et du second, l’année suivante. Début du chantier des blocs 3 et 4 en 1975, opérationnels en 1981 et 1983. Type et nombre de réacteurs : six RBMK d’une puissance électrique de 1 000 mégawatts chacun, mais dont seulement quatre sont terminés pour l’instant. Nombre de personnes travaillant sur le site : 5 500, dont 500 environ en permanence… Une vraie fourmilière. Les premières semaines, il trouvait le bâtiment un peu étrange avec ses deux hautes cheminées et son allure de grand paquebot amarré à quai le long de la rivière Pripiat, un affluent du Dniepr. Puis il s’y est habitué, comme aux travaux sur les blocs 5 et 6 qui semblent durer depuis des siècles. Aujourd’hui, son service de nuit doit se terminer à 7 h 30 du matin. En ville, sur les quelque 49 000 habitants, beaucoup comme lui vivent au rythme répétitif de la centrale. Construite à partir de 1970 dans ce qui est alors la République socialiste soviétique d’Ukraine, Pripiat est une « ville privilégiée » où il fait bon vivre. Bien approvisionnée en produits de consommation courante, contrairement au

reste du pays, elle dispose de nombreux services : crèches, écoles, cliniques, bibliothèques, cinémas, restaurants et même un parc d’attractions équipé d’une grande roue dont l’ouverture est prévue pour la fête du Travail, le 1er mai prochain. Aux alentours s’étendent de splendides forêts. L’été, les berges de la rivière sont bondées et ses eaux, poissonneuses. « A cette époque, la vie y est douce, assure Galia Ackerman, l’une des meilleures spécialistes de l’histoire de Tchernobyl *, mais les habitants sont placés sous la surveillance du KGB, comme tout ce qui touche l’industrie nucléaire. De plus, à quelques kilomètres de Pripiat s’étend Tchernobyl-2, une cité militaire et son immense radar de détection de missiles intercontinentaux. Bref, Pripiat est une ville à part en Ukraine. Un paradis sous l’œil vigilant des autorités. »

Mais ce soir, Vladimir ne pense pas à tout cela. Il est bientôt

minuit. Dans quelques minutes, on sera le 26 avril. Le jour de ses 27 ans. Dès qu’il rentrera, sa femme lui a promis de faire la fête : elle lui aura préparé son gâteau préféré. Après avoir passé les contrôles et enfilé sa tenue réglementaire, il rejoint le bâtiment de deux étages qui abrite le poste des gardiens.

Devant le grand tableau électrique de surveillance, une tasse de thé noir bien fort à la main, « Vadim » vérifie la bonne marche des circuits, comme il le fait tous les jours. Ses collègues le saluent. Tout est calme. C’est la routine habituelle de la nuit. Puis, subitement, pendant quelques secondes, à 1 h 23 exactement, la salle est plongée dans l’obscurité. Quand l’électricité revient, tous les voyants du pupitre de contrôle se mettent à clignoter en même temps. Pensant qu’il s’agit d’une simple anomalie liée à la panne de courant, le chef de l’équipe d’alerte part faire le tour des installations pour essayer de comprendre ce qui vient de se passer. Les autres gardiens sont à leur poste quand deux explosions secouent le réacteur 4 et la salle des machines, une immense pièce où sont installés les turbines et les générateurs de courant alternatif. Sous ses pieds, Vladimir sent la terre trembler. Puis plus rien. Quand l’alarme incendie se déclenche, le jeune homme est aux premières loges. Il ne le sait pas encore, mais la pire catastrophe nucléaire du XXe siècle vient de commencer. Vladimir Tutunnyk voit rapidement ses premiers camarades revenir du bloc 4 en vomissant et au bord de ­ 22 AVRIL 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 47


Pripiat aujourd’hui : un enfer de béton abandonné et hautement radioactif où la nature reprend ses droits. Au fond, la centrale et son sarcophage.

Vladimir Pristchepa, un des premiers pompiers de Tchernobyl, est devenu prêtre de l’Eglise orthodoxe. Avec sa femme, Olga, ils viennent régulièrement dans la zone interdite, dans le village dont ils sont originaires, pour prier et célébrer la liturgie.

Sergueï Parachin (en haut) était secrétaire du Parti communiste de la centrale. Et Vladimir Babitchev (ci-dessus), un des chefs d’équipe des opérateurs des blocs 3 et 4.

AVANT L’ÉVACUATION, PRIPIAT ÉTAIT UNE ­ l’évanouissement. Il n’en croit pas ses yeux, mais il se

précipite pour aller les remplacer autour de l’installation pulvérisée. Une rumeur de sabotage court et les patrouilles s’enchaînent. Il est 1 h 45. Cela fait déjà 22 minutes que l’opérateur en chef Alexandre Akimov, sous les ordres d’Anatoly Diatlov, l’ingénieur en chef adjoint, a déclenché sans le savoir « l’accident de Tchernobyl ». « Eberlué » par l’emballement soudain du réacteur 4, il essaye frénétiquement de provoquer l’arrêt d’urgence du système. Mais ses opérateurs ne parviennent pas à enfoncer jusqu’au bout les barres mobiles dans le graphite. Ce n’est pas vraiment de leur faute. Rien n’a pu stopper la réaction en chaîne. En quelques secondes, la puissance du réacteur a été multipliée et les 1 200 tonnes de la dalle de béton qui recouvre le bloc sont projetées en l’air. La violence de l’explosion est terrifiante. Le cœur du réacteur est fracturé et un incendie se déclare, tandis qu’une lumière aux reflets bleus scintille au-dessus du cratère. Près de 50 tonnes de combustible nucléaire ont été projetées dans l’atmosphère, soit l’équivalent radioactif de 400 fois la bombe d’Hiroshima. Que s’est-il passé ? « A l’origine, raconte Galia Ackerman, la veille de l’accident, le personnel de la centrale de Tchernobyl s’apprêtait à stopper le réacteur pour effectuer des travaux de maintenance périodique. Mais, avant de procéder à l’arrêt, les équipes étaient censées réaliser une expérience pour étudier comment utiliser l’électricité résiduelle produite par la rotation des pales des turbines en cas d’une coupure électrique

48 LE FIGARO MAGAZINE - 22 AVRIL 2016

générale. Il s’agissait aussi d’envisager une situation “extrême” où la panne d’alimentation se produirait simultanément avec une rupture du conduit d’eau dans le contour du réacteur. Mais, en raison d’une conjonction exceptionnelle d’erreurs humaines et de défauts majeurs dans la conception même de la centrale de Tchernobyl, rien ne s’est déroulé comme prévu. »

Réveillés en sursaut, les techniciens présents ne saisissent pas immédiatement l’ampleur de la catastrophe. Pensant avoir à faire à un simple feu, le directeur Brioukhanov contacte la caserne des pompiers de Pripiat, puis celle de la ville voisine de Tchernobyl, à une quinzaine de kilomètres de la centrale. Parmi eux, Vladimir Pristchepa, 30 ans, pompier du groupe syndical n° 17 fait partie des premiers arrivants. De garde pour 24 heures, il n’hésite pas un instant. Au téléphone, on lui a expliqué qu’un incendie s’est déclaré à la centrale et que sa mission consiste à assurer l’approvisionnement en eau des pompes. A 2 h du matin, son équipe de six hommes répartie en deux camions est déployée autour du bloc 4. « Autour de nous, l’atmosphère était étrangement calme, se souvient-il. On parlait de la fête du 1er mai et de la Pâques orthodoxe. On plaisantait sur les vacances que l’on allait prendre. C’était surréaliste. Nous étions seuls, installés autour de nos camions, sans aucune protection ni surveillance particulière. On contrôlait le débit de l’eau dans les tuyaux, c’est tout, sans savoir que les radiations qui s’échappaient des débris

VILLE MODÈLE DE L’UNION SOVIÉTIQUE étaient en train de nous empoisonner irrémédiablement. Pour nous réchauffer les mains, avec mes camarades Grigori et Nicolaï, on ramassait même des morceaux de graphite encore brûlants provenant du réacteur. Cela faisait du bien. Personne ne nous avait dit que c’était dangereux. » Dans les décombres contaminés du bloc 4, Piotr Chavrey, 27 ans, inspecteur de la sécurité incendie du bloc 5, est,sur place. Il fait partie des premiers employés de la centrale rappelés en urgence par la direction. Dans la fournaise, paradoxalement, il se sent rassuré. Quand on est venu le réveiller dans son appartement de Pripiat, il a cru que l’incendie s’était déclaré dans la zone dont il était responsable et que c’était de sa faute. Dans la voiture de service qui les conduit sur le site, Piotr, son chef et un autre inspecteur restent silencieux. Quand ils approchent de la centrale et qu’ils passent le pont, le spectacle est extraordinaire. Le bloc du réacteur 4 est éventré et une longue colonne illuminée, comme un gigantesque arc-en-ciel, scintille au-dessus de ce qui reste du bâtiment. « C’était magnifique, raconte Piotr. Je n’avais jamais vu un tel spectacle. En plus c’était le bloc 4 qui brûlait et pas le 5. Je n’y étais donc pour rien. J’étais soulagé. » Envoyé sur le toit de l’atelier des machines, il rejoint les autres pompiers de la centrale qui tentent de faire passer les lances au plus près du feu. Les consignes du directeur sont claires : il faut à tout prix éteindre l’incendie et refroidir le réacteur. C’est là qu’il retrouve son frère Leonid, 30 ans, pompier comme lui. Effaré, il lui explique qu’il n’y a plus

d’eau. Que tout s’évapore trop vite et que les réserves sont vides. Les sauveteurs de Tchernobyl font tout ce qu’ils peuvent, mais cela ne suffit pas. Piotr porte un masque respiratoire de plus de 16 kilos. En plus, il traîne deux tuyaux d’incendie auxiliaire qui pèsent 8 kilos chacun. C’est trop lourd. Pour aller plus vite, il enlève son masque et le laisse là. Avec ses hommes, il parvient à mettre en place une pompe sur le canal de refroidissement à l’aide de conduites souples de 250 millimètres de diamètre. L’eau revient dans les circuits « J’ai vu l’enfer, se souvient Chavrey. Il n’y avait plus d’électricité et le seul éclairage disponible était celui des phares des voitures de service et des engins de secours immobilisés, car leurs pneus étaient déjà déchirés par les éclats de béton et de graphite… Certains d’entre nous, assoiffés, buvaient de l’eau contaminée à même les tuyaux. C’était fou. »

A 2 h 30, Sergueï Parachin, secrétaire du Parti communiste de la centrale de Tchernobyl fait les cent pas. Il n’a rien fait de

particulier, mais il se sent coupable de l’accident. Ingénieur, il a la conviction qu’il faut tout essayer pour sauver le réacteur. Mais, à cet instant, ni lui ni personne ne sait qu’il n’existe déjà plus. Chez les pompiers, la situation est de plus en plus difficile. Beaucoup saignent du nez et sont victimes de malaises. La plupart souffrent déjà du syndrome d’irradiation aiguë. A 4 h, le directeur Brioukhanov appelle le ministère de l’Energie à Moscou. Au téléphone, il assure que « le cœur du réacteur n’est probablement pas ­ 22 AVRIL 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 49


Voici, au milieu de la végétation, ce qui reste aujourd’hui du théâtre, au centre de la ville de Poliske. Cette cité autrefois florissante de 11 000 habitants a été évacuée six ans après la catastrophe. Trop tard, sans doute. Certains quartiers sont contaminés par des taux de radioactivité considérés comme hautement cancérigènes.

“NOUS AVONS RÉALISÉ SOUDAIN QUE LE ­ endommagé. » On lui répond alors de maintenir coûte

que coûte le refroidissement par eau. Mais il ne se doute pas que cette manœuvre libère encore plus de radioéléments dans l’atmosphère et noie les installations souterraines communes aux réacteurs 3 et 4, menaçant gravement le fonctionnement et l’intégrité du bloc 3. A 4 h 50 Vladimir Babitchev, l’un des chefs d’équipe des opérateurs des blocs 3 et 4 est appelé chez lui pour remplacer Alexandre Akimov, gravement irradié. Il a 47 ans. Ingénieur, marié et père de deux enfants, il est très expérimenté. Parvenu dans l’atelier de turbine du bloc 4, il ajuste son dosimètre sur sa blouse et constate, anéanti, l’ampleur des dégâts. Dans la salle des machines, l’eau dégouline au milieu de jets de vapeurs et de bruits électriques. Il note tout dans son rapport. Puis il rejoint Akimov dans la salle de commande et prend officiellement le relais. « La seule chose que je pouvais faire, c’était scruter le tableau de commande pour essayer de voir comment la turbine et le réacteur fonctionnaient. En regardant mon dosimètre complètement saturé, j’ai vite compris que le pire était arrivé. Mais que pouvions-nous faire ? »

A l’extérieur, le jour commence à se lever. L’incendie est éteint. Du moins en apparence. Il est 6 h 30. Plusieurs pompiers et employés de la centrale sont évacués vers l’hôpital de Pripiat. Parmi eux Vladimir Pristchepa, Piotr Chavrey et son 50 LE FIGARO MAGAZINE - 22 AVRIL 2016

frère. Tous sont épuisés. Ils vomissent et peinent à tenir sur leurs jambes. Leurs mains sont brûlées. Leurs visages ont la couleur du bronze. Plusieurs de leurs amis vont mourir à l’hôpital n° 6 de Moscou. On leur donne des sachets d’iode. Pour eux l’enfer n’est pas terminé. Une longue et douloureuse convalescence commence. Sur les quelque mille personnes qui sont intervenues sur le site les premiers jours, 134 ont été victimes d’irradiation aiguë et 28 en sont mortes dans les jours et les semaines suivants. A 7 h, les véhicules d’évacuation des pompiers font toujours la noria quand Aleksey Breus, un des opérateurs de la salle de commande du bloc 4 arrive à la centrale pour prendre son service comme d’habitude. Le feu est éteint. Mais les techniciens commencent tout juste à prendre conscience de l’étendue des destructions provoquées par la retombée du toit sur le réacteur fissuré. Le graphite toujours en combustion, mélangé au magma de combustible, continue de réagir et dégage un nuage de fumée saturé de particules radioactives. « Quand je suis arrivé dans le bloc 4 avec un groupe d’une dizaine d’employés, mes cheveux se sont littéralement dressés sur ma tête, explique-t-il. On nous a donné un comprimé d’iode et un masque filtrant en tissu “Peltranov”. Mais je les ai pris sans réfléchir. Tout ce que je voyais c’était le chaos et l’eau qui ruisselait de la partie supérieure du réacteur. » Toute la journée, il va faire la navette entre les blocs 3 et 4 pour essayer de rétablir l’approvisionnement en eau d’un réacteur qui

Des assiettes sales et quelques couverts abandonnés dans une datcha oubliée, quelque part dans la zone.

Cette vieille dame est une de ces babouchkas qui, contre vents et marées, vivent encore dans la zone interdite de Tchernobyl. A Poliske, une poignée de personnes se partagent encore les rues de la ville. Dans d’autres villages, de petites communautés subsistent encore.

PIRE ÉTAIT ARRIVÉ” n’existe plus. « C’était absurde, mais c’étaient les ordres. J’ai été le dernier opérateur à quitter le bloc 4 et à appuyer sur le bouton d’activation des pompes du tableau de commande. »

Il est alors 15 h 45. Depuis exactement 1 heure et 45 minutes, Sergueï, employé à l’atelier des turbines sur le chantier du bloc 5, et Irina Lobanov, 19 ans, étudiante, fille de deux physiciens nucléaires, sont officiellement mari et femme. Comme eux, six autres couples se sont dit oui, le 26 avril 1986, dans la grande salle des mariages de Pripiat. Le thermomètre affiche 22 °C. Le temps est splendide. Tôt ce matin, Sergueï a vu de la vapeur s’échapper de la centrale, mais il était au courant de la tenue, la veille, d’un exercice d’arrêt. Pendant la nuit, dans son appartement de Pripiat, il avait aussi ressenti comme des vibrations, mais cela ne l’avait pas inquiété plus que cela. Dans la rue, il a vu des miliciens avec des masques à gaz passer en camion, puis il a croisé des employés de la centrale qui lui ont parlé de l’accident. Mais, avec Irina, ils ont fait comme si tout allait bien. « C’était quand même le jour de notre mariage », lance-t-elle avec un sourire triste. En fin d’après-midi à Tchernigov, à une centaine de kilomètres de la centrale, le navigateur Igor Pysmenskiy, 25 ans, vétéran de la guerre d’Afghanistan, va être placé en alerte dans quelques heures. Dans la nuit, il sera prêt à décoller à bord de son hélicoptère Mi-6 n°8. Il ne sait pas encore très

bien ce qui l’attend. Tout ce qu’on lui a dit, c’est que son escadrille allait faire partie du dispositif de lutte contre un incendie qui a eu lieu à la centrale de Tchernobyl. Jusqu’au 3 mai, avec d’autres équipages, il enchaînera 29 missions de largage de plusieurs tonnes de sable, d’argile, de plomb, de bore, de borax et de dolomite, un mélange destiné à stopper la réaction nucléaire et à étouffer l’incendie du graphite. Des vols à haut risque au-dessus d’émanations hautement radioactives.

Dans son bureau à Kiev, Valentina Chevtchenko, présidente du

parlement de la République socialiste soviétique d’Ukraine, membre du bureau politique du pays, a été mise au courant de l’incendie survenu dans la centrale. Elle ne pense qu’à une chose : aller sur place pour évaluer la situation et tout faire pour protéger la population. Le 27 avril, 30 heures après l’accident, Pripiat est évacuée sur ordre des autorités. Les habitants ont pour consigne de ne rien emporter. Officiellement, tout le monde sera de retour dans trois jours. Mais la ville sera totalement abandonnée. Le 14 mai 1986, Mikhaïl Gorbatchev, secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, prononce une allocution télévisée dans laquelle il reconnaît enfin l’ampleur de la catastrophe. Plus rien ne sera comme avant. ■ CYRIL HOFSTEIN

* Galia Ackerman, Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 226 p., 18 €.

22 AVRIL 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 51


SUMATRA

LES MYSTÈRES D’UNE ÎLE SAUVAGE Dans la cité retrouvée de Muaro Jambi, autour du lac Toba, au pays des Bataks et des volcans, ou au cœur des forêts primaires avec les orangs-outans de Bohorok, découvrir Sumatra révèle toujours une Indonésie sauvage mais au passé plus riche qu’on ne l’imagine. PAR CHRISTOPHE DORÉ (TEXTE) ET STANISLAS FAUTRÉ POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

76 LE FIGARO MAGAZINE - 8 AVRIL 2016

Sur les eaux paisibles du lac Toba, les pêcheurs tendent leurs filets au petit matin, avant d’aller vendre leur pêche aux resorts de l’île de Samosir. Aujourd’hui si calme, le lieu a pourtant subi une des plus grandes explosions volcaniques de l’histoire de la Terre. Mais c’était il y a 75 000 ans.

8 AVRIL 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 77


Les Bataks, constitués de plusieurs groupes ethniques, sont les habitants ancestraux du nord de Sumatra. Leurs maisons traditionnelles, construites sur des piliers, abritent encore des familles attachées à ce mode de vie.

Sumatra préserve des forêts primaires qui abritent des réserves comme celle de Bohorok où sont réintroduits des orangs-outans. Des gardes patrouillent chaque jour à dos d’éléphant pour éviter le braconnage.

UNE NATURE SAUVAGE INTACTE QUI RAPPELLE “LE LIVRE DE LA JUNGLE”

8 AVRIL 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 79


Au cœur du pays batak, les Tobas, souvent protestants, suivent toujours les prédictions de leur « datu », magicien capable de parler aux ancêtres et gardien de leurs origines sur le mont Pusuk Buhit, juste au-dessus du lac aux eaux pures et profondes qui porte leur nom.

U

ne pluie fine chante doucement sur le toit de la pirogue, répondant aux soubresauts du moteur à deux temps. Il nous pousse vers le nord, descendant le Batang Hari, le plus long cours d’eau de l’île de Sumatra, au nord de l’Indonésie. Depuis une demi-heure, l’embarcation croise d’énormes barges transportant le charbon, le pétrole ou le latex et le caoutchouc. Sur les rives, d’autres bateaux attendent de charger leurs cargaisons d’huile de palme qui s’alignent dans des bidons vétustes au bord des plantations. De temps en temps, une parcelle de végétation intacte rappelle qu’il y a moins de cinquante ans, la forêt vierge, celle de Mowgli et du Livre de la jungle, régnait en maître sur toute la contrée. Iman a à peine 26 ans. Il explique comment il a vu, lentement, la civilisation et l’industrie grignoter les campagnes, presque jusqu’à son village de Muaro Jambi. Depuis plusieurs années, avec une poignée de ses amis, il se bat pour la préservation des zones sauvages et des cultures traditionnelles de la région. Pas toujours facile quand les élus et les fonctionnaires ont l’oreille des industriels et l’envie de portefeuilles bien garnis. La corruption reste un fléau de l’Indonésie contemporaine. Iman, lui, est persuadé que le tourisme sauvera la magnificence des lieux qui ont bercé son enfance.

C’est en effet un site magique, hors du temps et encore riche de trésors cachés, que son association fait découvrir aux quelques touristes curieux de lever le voile sur l’un des mystères les mieux gardés de Sumatra. A peine débarqué, commence une marche dans les plantations de cacao, entre les poivriers aux baies rouges et les champs de papayes que surplombent des plates-formes en bois où les paysans s’installent pour empêcher que les singes fassent de l’endroit leur cantine. Le paysage est figé dans la luxuriance d’une nature gorgée d’eau. L’air tiède enveloppe chaque forme d’un halo féerique. Puis se dessinent, dans une brume légère, les murs rectilignes d’un temple de briques ocre. « Il a fallu travailler dur pour déterrer ce morceau d’histoire, commente Iman. Des milliers de moines venaient apprendre ici, ça devait être extraordinaire ! » Ce périple sur les terres d’Iman et de ses amis se transforme en ­

UN LAC À LA BEAUTÉ

PAISIBLE

NÉ DE LA COLÈRE D’UN VOLCAN

80 LE FIGARO MAGAZINE - 8 AVRIL 2016

8 AVRIL 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 81


subitement de l’Histoire ? Iman est intarissable sur le sujet : « Historiquement, nous ne savons pas ce qui s’est passé ici. Les archéologues ont constaté que les temples étaient recouverts de sédiments. Peut-être s’agissait-il d’une crue un peu plus forte que les autres et qu’elle a obligé les moines à fuir. Une autre hypothèse a été évoquée, celle d’un tsunami. C’est possible. Il y a deux ans, en faisant des fouilles, des archéologues ont découvert des sédiments qui ne correspondaient pas à ceux laissés par les inondations habituelles du fleuve. La mer, qui est aujourd’hui à 72 kilomètres, était sans doute plus proche. La mangrove s’est formée au fur et mesure en grignotant sur l’océan. Peut-être qu’une vague a remonté le fleuve et englouti la cité. Une autre hypothèse est aussi évoquée : une invasion venant d’Inde. Mais il n’y en a aucune trace dans les écrits historiques. Donc, rien n’est sûr. Il faut continuer à chercher pour comprendre. » Mais, jalouses de leur patrimoine, les autorités indonésiennes autorisent rarement des équipes d’archéologues étrangers à entreprendre des fouilles sur les lieux. Pourtant, des techniques nouvelles permettraient d’obtenir quelques réponses sur le passé de ce formidable lieu de culture qui a subitement disparu. En attendant, la balade entre les temples exhumés, majestueusement protégés par les makaras – ces montures mythologiques mélangeant serpent, éléphant et crocodile – reste une expérience unique. Iman et ses amis, eux, continuent d’empêcher les trafiquants chinois de piller les lieux et d’emporter des pièces anciennes ou des céramiques, voire des manuscrits de mantras à la valeur historique inestimable. Une bataille sans fin que soutient aujourd’hui tout le village. « Et AP_GrandRefugeSPA_210x136.pdf 17:04:34 », conclut Iman. que la venue de touristes1ne29/03/2016 peut qu’aider

Au-dessus de la ville de Berastagi, la silhouette imposante du volcan Sinabung rappelle que la nature domine toujours Sumatra. Après 400 ans de silence, le volcan s’est réveillé en 2010. En février, deux nouvelles éruptions ont imposé le déplacement de 10 000 villageois.

FACE AU

DRAGON

CRACHEUR DE FEU DU MONDE BATAK... ­ voyage dans le temps. En 671, Yi-Tsing, célèbre pèlerin chinois, raconte qu’il emprunte la route maritime reliant la Chine à l’Inde. Après vingt jours de mer, il s’arrête sur une île dans un royaume inconnu, raconte-t-il. Ce dernier abrite une sorte d’université bouddhiste que Yi-Tsing appelle FoChe. Plus de mille moines habitent là et partagent leur savoir et l’enseignement des maîtres. Yi-Tsing part ensuite pour Nalanda, en Inde, et repasse à Fo-Che en 685. Il y reste plusieurs années et en profite pour traduire de nombreux ouvrages. Quand il rentre dans son pays, en 695, il est accueilli par l’impératrice Wu Zetian en personne et ramène plus de 400 manuscrits et 300 reliques ! Yi-Tsing n’est pas le seul à décrire cette gigantesque université bouddhiste dans cet étrange royaume riche des cultures de la cardamome, du santal et du camphre. Au Xe siècle, le géographe arabe al-Masudi évoque lui aussi ce nid de culture religieuse dans le 82 LE FIGARO MAGAZINE - 8 AVRIL 2016

récit d’un de ses voyages. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que George Cœdès, de l’Ecole française d’Extrême-Orient, apporte des preuves que ce mystérieux royaume était situé au sud de Sumatra avec une capitale militaire historiquement installée sur la côte en lieu et place de la ville de Palembang. Selon George Cœdès, le centre religieux évoqué par Yi-Tsing a aussi accueilli le maître bouddhiste indien Atisha autour de l’an 1000. Ce dernier serait resté douze ans dans la région. Il relate dans ses écrits le nombre considérable de moines présents et la qualité des textes enseignés. Mais, au XIIe siècle, plus rien. Plus de traces, plus d’écrits.

Aucune découverte ne permet de localiser précisément ce grand centre d’études bouddhiste dont ces sages ont fait la description. Jusqu’en 1970. Des archéologues indonésiens écoutent alors les villageois de Muaro Jambi qui parlent d’étranges monticules dont la physionomie n’a rien de naturel et que relie un dédale de canaux artificiels. Des fouilles commencent, et les archéologues recensent pas moins de 84 complexes. Des temples, des monastères, des centres d’études, sont répartis sur 2 000 hectares en tout. Plus vaste que la cité d’Angkor au Cambodge ! Le site est immense, développé sur les deux rives du fleuve… Est-ce la fameuse cité perdue de FoChe ? Beaucoup d’archéologues et d’historiens en sont aujourd’hui persuadés et le site a été classé par l’Unesco. Mais un mystère perdure : pourquoi, autour du XIIe siècle, ce centre d’études majeur s’efface-t-il

Cette étonnante histoire du site de Muaro Jambi est à l’image du nord de Sumatra qui, comme les arbres géants qui façonnent ses forêts primaires, plonge dans la profondeur de ses racines pour défendre avec une force tranquille son authenticité. Pour le comprendre, il faut embarquer sur le vol en direction de Medan, puis s’engager sur la route qui mène au pays batak. En chemin, la station climatique de Berastagi rappelle que les Indonésiens ont dorénavant droit aux loisirs. Le week-end, les citadins grimpent par milliers dans les montagnes, fuyant la touffeur des villes et profitant des paysages grandioses que dessinent les volcans Sibayak et Sinabung. Ce dernier a encore craché ses cendres sur la vallée cet été, obligeant 10 000 personnes à fuir les villages alentour. Le pays batak vit avec ces menaces depuis toujours, que ce soit dans les tribus du nord ou plus au sud, vers le lac Toba. Son existence fut longtemps contestée tant il était difficile de rallier ses rives. Aucun Occidental n’a pu s’en approcher avant le milieu du XIXe siècle. Et c’est seulement en 1949 que le géologue néerlandais Rein Van Bemmelen expliqua l’origine de ce plan d’eau de 100 kilomètres de long, un phénomène unique dans l’histoire de la planète. Le lac Toba, qui porte le nom de la tribu batak qui vit autour, est l’une des plus grandes configurations géologiques de l’hémisphère Sud. Elle est visible depuis le ciel. Avant d’être un lac, ce fut un supervolcan. Sa puissance a été découverte dans les années 1980 par des scientifiques travaillant… au Groenland. En lisant l’histoire de l’atmosphère emprisonnée dans la calotte glaciaire, ils ont découvert une fluctuation de sulfate extraordinaire datant d’il y a 75 000 ans. Son origine ? ­

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Du côté de Bohorok et Tangkahan, que l’on rejoint en parcourant les pistes des gigantesques plantations de palmiers à huile et d’hévéas, c’est un autre type de population qui nous attend. Pour la rencontrer, il faut se lever tôt et s’enfoncer dans la forêt avec un guide. La chaleur humide ne paralyse pas encore le monde sauvage dans sa gangue moite. Les pieds glissent sur le sol humide jonché de feuilles en décomposition. C’est la jungle avec ses sons étranges, ses chants de gibbons et ses craquements de branches mortes qui s’effondrent sans qu’on puisse savoir exactement où. Ensuite, il faut attendre, accroupi et discret, en scrutant dans les arbres ceux qui s’y cachent. Avec de la chance et un peu de patience, Sandra et son bébé Sekarrayu viendront, attirées par les fruits que vous avez posés sur le sol. Instant magique où l’orang-outan, ici dans son jardin, s’approche de l’homme sans le craindre… mais en restant toujours méfiant. Plus de 200 orangs-outans ont ainsi été réintroduits dans cette réserve de Bohorok. Sandra, comme beaucoup d’entre eux, a d’abord été dans une famille comme animal de compagnie, avant que la loi indonésienne ne l’interdise. Dans le gigantesque parc Gunung Leuser, ces singes sauvages continuent à vivre loin de l’homme. Ceux-ci ne s’approcheront pas. La forêt est encore un sanctuaire qui les protège. Mais pour combien de temps ? A Tangkahan, un peu plus au nord, des villageois ont organisé des patrouilles à dos d’éléphant, auxquelles on peut participer, pour lutter contre le braconnage et la déforestation illégale. Le week-end, les habitants de Medan en profitent pour faire des balades et descendre la rivière dans des canoës. En semaine, c’est plus calme. Un tigre rôde, dit-on, et trois groupes d’éléphants sauvages viennent parfois se laver dans la rivière. Mais, comme tous les mystères de Sumatra, ils ne se dévoilent pas facilement.

C A R N E T

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Sumatra n’a pas encore développé les mêmes Jakarta infrastructures touristiques que Java et surtout Bali. Mais on peut dénicher quelques jolies adresses, dans l’esprit lodge. A Jambi, le Wiltop (www.wiltophotel.com). Hôtel sans charme particulier mais donnant sur la rivière avec une jolie terrasse. Personnel agréable. Proche de l’embarcadère d’où l’on rejoint en pirogue à moteur le site de Muaro Jambi : une balade de 1 h 30. 35 € la nuit en chambre Deluxe. A Berastagi, le Grand Mutaria &(www.grandmutariahotel.com). Dans cette station climatique où les habitants de Medan viennent chercher la fraîcheur, cet hôtel dispose de tout le confort apprécié par les Occidentaux. Le plaisir du lieu : prendre son petit déjeuner près de la piscine face au volcan Sinabung. 50 €. A Samosir, le Tabo Cottages $ (tabocottages.com). Au milieu du lac Toba, c’est un petit paradis de maisons en bois à toits de palme OLIVIER CAILLEAU

sous les cendres et saturé l’atmosphère de la planète d’acide sulfurique. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui que ce lac à la beauté apaisante, et autour duquel s’amusent les macaques, noie une caldeira hors norme, profonde de plus de 550 mètres. Au centre, l’île de Samosir, où se cachent d’élégants resorts, est le résultat final de ce gigantesque cataclysme qui a fait baisser les températures de la Terre de 6 °C et aurait, selon certains scientifiques, réduit la population mondiale par deux. L’histoire incroyable de la formation du lac Toba résonne étrangement quand on s’intéresse à la culture des Bataks, environ 2 millions d’Indonésiens installés autour du lac, aujourd’hui protestants dans une grande majorité. Dans leur mythologie, le monde des hommes serait supporté par un dragon géant cracheur de feu alors que les esprits des anciens vivraient audessus, à l’abri des soubresauts de cette monture intrépide…

84 LE FIGARO MAGAZINE - 8 AVRIL 2016

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soucieux de son environnement. Chambres spacieuses, restaurant agréable ouvert sur le jardin. Le QG idéal pour explorer la terre des Bataks. Environ 40 €. A Bohorok, le Bukit Lawang Ecologe §(ecolodges.id). Dans le parc naturel Tanjung Leuser. Une bonne infrastructure, un rien rustique. Compter 28 €. De l’autre côté de la rivière, plus en amont, de petites guesthouses avec terrasses donnant sur la rivière sont plus agréables (Eriono’s Art Cafe, autour de 20 € la nuit ou Eco Travel Cottages, petits appartements autour de 40 €). A Tangkahan, le Beach Jungle Lodge ((www.junglelodge.net). Accroché à la montagne au cœur de la forêt, ce lodge familial avec terrasse est un fabuleux site d’observation de la nature. Côté chambres, on est loin du charme balinais, mais la table est excellente. Service à la carte et produits frais transportés à dos d’homme par le pont suspendu. Dépaysement assuré. 26 € en petit appartement. A Medan, le Grand Swiss Belhotel (www.swiss-belhotel.com). Cet hôtel 5 étoiles international avec piscine, restaurant et bar sur le toit, en plein cœur de la ville, est le bon endroit pour poser ses valises et profiter d’un confort, certes sans le moindre exotisme, mais à la qualité de service indéniable. Environ 60 €.

BONNES TABLES

La cuisine de Padang est une des plus réputées d’Indonésie. Plus épicée que les autres cuisines de l’Etat, elle utilise largement le curry et le lait de coco,

la coriandre ou le gingembre. Autour du lac Toba, la cuisine batak est reine. Le travers de porc grillé est une spécialité de cette ethnie. A Medan le Ondo Grill %(45, rue JI Pabrik Tenun) c’est fait une spécialité de cette cuisine batak. Pour une cuisine plus world food, le Bel Mondo Café (www.belmondocafe.com) propose quelques jolies explorations comme son sate beef à la sauce d’arachides. Plus rustique, mais on est au cœur de la jungle, l’Eriono Art Shop /de Bohorok mérite qu’on s’assoie à sa terrasse pour déguster de bons nasi goreng ou mie goreng, pâtes ou riz frits, aux crevettes au bœuf ou au porc.

LIRE

Les Kalasan Batak, de Jean-Paul Barbier-Mueller (Hazan), Les Batak. Un peuple de l’île de Sumatra, d’Achim Sibeth (Olizane). Pour se plonger dans l’histoire, le récit de l’aventurière Ida Pfeiffer, en 1851. Mary Somers Heidhues, professeur d’histoire et de sciences politiques de l’Asie du Sud-Est, a écrit à ce sujet Voyage en pays malais. Une femme à Sumatra et Bornéo (Cosmopole).

NOTEZ-LE !

Dans son guide Indonésie (Bibliothèque du Voyageur), Gallimard invite ses lecteurs de passage sur l’île de Samosir à écouter le dimanche lors des offices les hymnes luthériens du livre des Cantiques qu’ils ont adopté avec ferveur lors de l’introduction du christianisme sur l’île en 1848. C. D.

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OUT OF AFRICA

Le 26 mars 1986 sortait sur les écrans français le film aux sept oscars de Sydney Pollack. Trente ans plus tard, nous sommes retournés au Kenya sur les traces de Karen Blixen et de son amant, le guide de chasse Denys Finch Hatton (ré)incarnés par Meryl Streep et Robert Redford. Nous en avons rapporté ces souvenirs d’Afrique… PAR BÉNÉDICTE MENU (TEXTE) ET ÉRIC MARTIN POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

Notre reporter s’apprête à entrer dans la légende d’« Out of Africa » en survolant la réserve privée de Lewa Downs à bord du biplan (un Waco) de Will Craig. Située au nord du mont Kenya, la réserve est désormais inscrite au patrimoine mondial de l’humanité.

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A gauche, de haut en bas : depuis 2006, la Sky Ship Company est l’un des deux opérateurs qui proposent le survol du Masai Mara en ballon. Départ à l’aube pour une heure de féerie au-dessus des plaines nimbées de brume. Un petit déjeuner au champagne ponctue cette grisante expérience. trois portraits d’animaux réalisés dans la réserve privée de Lewa Downs. En deux décennies (70-80), la population de rhinocéros noirs a diminué de 95 % au Kenya. De ce constat dramatique est née la réserve qui abrite également les très graphiques zèbres de Grévy, une espèce elle aussi menacée, et de nombreux éléphants.

LE CADEAU DE DENYS À KAREN : “UN APERÇU DU MONDE À TRAVERS L’ŒIL DE DIEU”

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Un lion dans les plaines du Masai Mara. Ci-contre, une des femmes masais de l’atelier de bijoux et objets en perles de l’Angama Mara, un lodge résolument contemporain qui a ouvert l’été dernier à l’orée de la réserve nationale, sur l’escarpement d’Oloololo.

Une harde d’éléphants trottine sur une piste de Lewa Downs, une des plus belles réserves privées du Kenya.

C

“IL EMPOR TAIT MÊME LE GRAMOPHONE EN SAFARI” ouchée sur le papier dans La Ferme africaine, il y a toute la finesse d’une femme qui voulait être peintre et qui, parce qu’elle aimait la littérature, avait le sens de la rhétorique et plus rien à perdre, deviendra écrivain… Il y a cette puissance évocatrice, jusqu’à savoir mieux que personne mettre des mots sur le plus subtil des ressentis, la prégnance de l’air sous d’autres latitudes, les silences de la nature, la beauté âpre de l’Afrique, la saveur de ses coutumes et les énigmes de ses peuples. Il y a aussi les batailles de la vie : contre une maladie transmise par un époux volage qu’elle finira par congédier, contre les nuées de sauterelles, les attaques de lions, l’arrogance coloniale qui l’accuse de sympathie pour les « natifs ». Sur grand écran, Hollywood aura surtout retenu la romance… Sydney Pollack savourait encore la gloire de Tootsie lorsqu’il se pencha sur le scénario d’Out of Africa. Il lui fallait du grand spectacle. Les paysages de l’Afrique seraient ceux d’une carte postale, une toile de fond pour l’amour impossible de Karen Blixen, fragile et forte, et de Denys Finch Hatton, épris d’elle et de liberté. Mais qu’importe si le film manque de nuances et de profondeur : servi par une photographie et un casting remarquables, Out of Africa sera un monument. Onze nominations aux Oscars, sept statuettes remportées et des 68 LE FIGARO MAGAZINE - 25 MARS 2016

millions de spectateurs à jamais imprégnés par la magie de l’Afrique. Aussi lorsque, à l’invitation de Myriam Guyon, fondatrice de l’agence Voyages Confidentiels, nous nous sommes lancés sur les traces de « Karen Streep » et « Robert Finch Hatton » (ou « Meryl Blixen » et « Denys Redford », au choix), l’excitation se mêlait à l’appréhension d’une déception. Un peu plus d’un siècle après l’arrivée de Karen Blixen au Kenya, allions-nous y retrouver cette Afrique de légende ? La réponse sera oui, cent fois oui.

retour définitif au Danemark. Il était venu à Tsavo repérer depuis le ciel les troupeaux d’éléphants en vue d’un de ces luxueux safaris qu’il allait organiser pour de riches clients britanniques ou américains. En 1925, lorsqu’il se lance dans cette entreprise, Finch Hatton, comme aime l’appeler la baronne, est un pionnier en la matière. « Il emportait même le gramophone en safari, trois fusils, des provisions pour un mois… et Mozart », se souvient-elle en voix off au début du film dans un émouvant flash-back… En bon aristocrate éduqué dans les meilleures institutions britanniques (Eton, Oxford), Finch Il faut pour cela quitter rapidement Nairobi, devenue grande, et Hatton promet à ses hôtes le raffinement au cœur de la ses exceptionnelles précautions contre un monde devenu fou brousse. Dans la partie ouest du parc, entre les collines de (les mesures de sécurité à l’entrée des grands hôtels rappellent Chyulu, creusées de sillons volcaniques, et la silhouette loinqu’ici aussi des attentats ont bouleversé la vie) pour qu’à noutaine du géant tanzanien aux neiges pas si éternelles, nous veau l’inoubliable mélopée composée par John Barry pour le posons nos paquetages dans un lodge conçu dans le même film se fasse entendre. La magie des grands espaces aidant, et esprit. Aménagé autour d’une oasis, le Finch Hattons Camp Tsavo n’en manque pas : les violons s’épanchèrent. L’imreçoit les voyageurs comme l’aurait fait Denys lui-même. « Il mense parc national occupe un peu moins de avait le goût du détail », rappelle Jonathan Muti21 000 kilomètres carrés de terres au sud du sya, le manager. Les tentes étaient grandes, pays, à quatre heures des plages de l’océan Indien. 8 pieds de haut (environ 2,40 mètres), le linge Difficile d’y apercevoir les animaux en raison de était changé chaque jour, on faisait bouillir l’eau ses dimensions et de l’interdiction de s’aventupour le bain et, le soir, on dînait dans de la vaisrer hors des pistes. Mais il faut croire en sa bonne selle délicate et on trinquait dans des verres de étoile et, le cas échéant, la beauté saisissante des cristal en écoutant les rumeurs de la savane. « Si paysages dominés par le Kilimandjaro comFinch Hatton était un excellent chasseur, poursuit pense amplement la déconvenue. Tsavo, notre Robert Redford et Meryl Streep Jonathan, il n’en était pas moins amoureux de la première étape, fut la dernière pour Denys Finch à bord d’une International de nature africaine. Quand la chasse est devenue un Hatton, qui s’y écrasa à bord de son De Havilland 1928 sur le tournage d’« Out sport chic trop en vogue, il n’a pas hésité pas à Gipsy Moth en 1931, tandis qu’il s’apprêtait à re- of Africa ». La voiture, propriété écrire à la reine d’Angleterre pour l’alerter des danjoindre une Karen ruinée et contrainte d’aban- du collectionneur John Wroe, gers de cette frénésie. » Denys Finch Hatton finit donner sa ferme, pour un ultime adieu avant son peut toujours être louée. d’ailleurs par se muer en guide de ­ 25 MARS 2016 - LE FIGARO MAGAZINE 69


Au crépuscule, le Finch Hattons Camp brille de mille feux à la mémoire de l’amant de Karen Blixen qui périt en avion non loin de là, à Tsavo.

SUR LES LIEUX DU FAMEUX PIQUE-NIQUE ­ chasse… à l’image. En 1928 et 1930, il accompagne ainsi

le prince de Galles, futur roi Edouard VIII, dans les prémices du safari-photo. Comme Denys et Karen, d’autres pionniers prendront rapidement conscience de l’impact de l’activité humaine sur la nature. Ils ont connu le Kenya avant même qu’il ne fût déclaré colonie britannique en 1920 à l’issue de la Grande Guerre. Alors, Nairobi n’en finit pas de s’agrandir, s’approchant de plus en plus des terres où Karen s’évertue à faire pousser du café, à une vingtaine de kilomètres de là. A l’époque, la Couronne met en place le Soldier Settlement Scheme, une sorte de loterie qui permet aux anciens combattants de tenter leur chance en Afrique. Une nouvelle vague de fermiers blancs débarque ainsi au Kenya. Parmi eux, Elizabeth Cross, médaillée militaire pour son rôle sur le front des Flandres où elle évacuait les blessés à bord de son ambulance. A la faveur du hasard, tandis qu’elle traque des lions qui viennent de tuer plusieurs de ses bêtes de trait, elle rencontre Alec Douglas, propriétaire d’une ferme d’élevage du nom de Lewa Downs dans la région de Laikipia, à une trentaine de kilomètres au nord du mont Kenya. Ensemble, ils ont une fille, Delia, qui, avec son mari David Craig prend la succession de son père en 1952. A leur tour, ils ont trois enfants – une fille, Susan, et deux fils, Ian et Will – à qui ils transmettent un profond attachement à la vie sauvage. Dans les décennies qui suivent, celle-ci décroît dramatiquement. Durant les années 1970 et 1980, 95 % de la population de rhinocéros noirs du Kenya est décimée. Aussi, lorsque les Craig rencontrent le Dr Anna Merz, spécialiste de cet ongulé rare, Ian et Will n’hésitent pas un instant. Au début des années 1980, ils réduisent leur cheptel pour créer un sanctuaire dédié à l’animal tandis qu’ils ouvrent une partie de leur ranch aux touristes pour financer le projet tout en les sensibilant à la cause. En 1995, ils vont encore plus loin 70 LE FIGARO MAGAZINE - 25 MARS 2016

en consacrant l’ensemble de leurs terres (24 000 hectares) à la préservation de la faune. Ainsi naissent la Lewa Wildlife Conservancy et l’une des plus belles réserves privées du Kenya. Maintes fois primée pour l’intelligence de sa gestion, qui associe étroitement les communautés locales masais et samburus, Lewa Downs abrite 140 rhinocéros noirs et blancs, plus d’une quinzaine de lions et tout ce que l’on rêve d’observer en Afrique de l’Est : hardes d’éléphants, nuées d’oiseaux, cigognes en villégiature hivernale, léopards et aussi la très rare sitatunga, l’antilope des marais. Le tout protégé des braconniers par 150 rangers et policiers. Outre d’exceptionnelles traques sous la houlette de Simon, un Masai de 27 ans à l’avenir prometteur, notre séjour à Lewa sera l’occasion de réaliser un autre rêve. Passionné d’aviation, Will possède un biplan à bord duquel il embarque ses hôtes pour des croisières aériennes mémorables. Nous ne survolerons pas le lac Natron dans une majestueuse envolée de flamants roses comme les deux héros d’Out of Africa, mais Lewa emplira assez nos yeux de ses merveilles pour donner foi aux paroles de Karen qui, au début du film, évoque sa rencontre avec Denys et ce qu’il lui apporta de plus précieux : « Il inaugura notre amitié par un cadeau et plus tard, peu de temps avant Tsavo, il m’en offrit un autre, un incroyable cadeau. Un aperçu du monde à travers l’œil de Dieu... » Et l’étincelle complice que nous verrons briller dans les yeux de Will derrière ses lunettes d’aviateur vintage tandis que, saisis par la griserie d’un vol à l’air libre, nous planerons au-dessus des plaines ondulantes où galopent zèbres de Grévy et girafes, nous fera adhérer à ce constat de la baronne : « Oui, je vois, c’est bien ainsi que cela fut conçu… »

Les voyageurs épris de romantisme revivront avec bonheur la scène du déjeuner sur l’herbe sur son lieu de tournage, dans le Masai Mara.

Sans doute aurait-elle apprécié ce survol du Masai Mara que

nous effectuons quelques jours plus tard en montgolfière. Pour ses vastes étendues herbeuses piquetées d’acacias parasols, sa rivière qui ondule tel un python royal et pour la richesse de son bestiaire, surtout durant la grande migration des gnous entre juillet et octobre, le Masai Mara demeure un mythe pour les amateurs de safaris. Au nord-ouest de la réserve nationale, l’escarpement d’Oloololo prolonge le Rift et culmine à 2 000 mètres d’altitude. C’est ici que nous vivons la troisième étape de notre épopée sur les traces d’Out of Africa. Un nouveau lodge y a ouvert l’été dernier. Accroché à la falaise, d’où son nom, Angama, qui signifie « suspendu dans le ciel », il offre un panorama somptueux sur le Masai Mara qui s’étale à ses pieds et, par temps clair, jusqu’au Serengeti qui le prolonge de l’autre côté de la frontière tanzanienne. Il est la propriété de Steve et Nicky Fitzgerald, deux icônes du tourisme en Afrique où, durant trente ans, ils ont géré certains des plus beaux lodges, contribuant au succès d’&Beyond, l’une des plus fameuses compagnies de safaris. En 2013, le couple vient de prendre sa retraite lorsqu’un fait inattendu se produit : alors qu’ils ont cherché quinze ans durant à obtenir une concession sur ce spectaculaire balcon naturel, les communautés masais décident enfin de la leur accorder. Las, le repos attendra. « Nous ne pouvions pas laisser passer cette occasion », nous avouera Steve, la mine penaude d’un enfant pris en flagrant délit de gourmandise. Pour com- ­

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­ prendre, il faut avoir vécu l’orage à Angama. Il faut avoir

vu l’horizon se rétrécir sous la pression de nuages colossaux et la plaine courber l’échine sous les assauts des éclairs… Pour la conception du lodge, ils font appel au talentueux duo sud-africain Silvio Rech et Lesley Carstens, à qui l’on doit notamment l’île-hôtel de North Island, une pépite des Seychelles. Ils se sont inspirés de l’habitat traditionnel masai, d’où ces structures coniques en briques apparentes qui abritent le bar, la cave à vins, le spa ou encore la boutiqueatelier, et ont imaginé pour les intérieurs un design en rupture totale avec l’atmosphère old-style qui prévalait jusqu’ici dans l’univers du safari. Pour couronner le tout, Angama s’offre le luxe d’être à proximité immédiate du lieu où fut tournée la scène du pique-nique dans Out of Africa. Revivre ce parangon du romantisme est bien évidemment au programme pour les amoureux… Nous ne partirons pas d’Angama sans remarquer dans la bibliothèque la présence d’une rose rouge dans son soliflore, hommage à la galanterie de Denys, qui s’arrangeait pour qu’une rose attende Karen où qu’elle fût.

De retour à Nairobi, une autre surprise nous attend. La veille de notre départ, devant l’entrée de notre élégant refuge, l’hôtel Hemingways, comme flambant neuve, l’International de 1928 que conduisait Redford dans le film nous embarque pour une ultime et nécessaire promenade jusqu’à la maison où Karen Blixen vécut de 1914 à 1931, puis jusqu’aux collines sacrées des Masais où elle fit enterrer son amant, sur un promontoire où ensemble ils aimaient embrasser un panorama aujourd’hui disparu. Tandis que nous quittons l’endroit, une scène du film nous revient en mémoire. L’on y voit la silhouette fragile de Karen-Meryl s’éloigner de sa maison où Farah, son fidèle majordome, s’active aux préparatifs du départ. Elle arpente une dernière fois son domaine pour un ultime regard sur ces collines du Ngong au pied desquelles elle avait eu une ferme en Afrique. « Si moi je connais les chansons de l’Afrique […], l’Afrique, elle, connaît-elle une de mes chansons ? […] Les enfants inventeront-ils un jour un jeu qui rappellera mon nom ? » Kamante, ce jeune Kikuyu qu’elle soigna et qui devint son cuisinier prodige, eut sûrement jusqu’à son dernier souffle une pensée pour Karen qui, la gloire venue, auteur vénéré des Danois, n’omettra pas de demander au photographe Peter Beard, son ami, de veiller sur lui… Mais c’est Sydney Pollack et son film qui rafraîchiront la mémoire kényane. Dans la foulée de sa sortie sur les écrans de l’Oncle Sam en 1985, pas moins de 5 000 Américains se rueront sur le safari thématique concocté opportunément par l’agence Abercrombie & Kent. Et même si la presse kényane fustigea le film lors de l’avant-première donnée à Nairobi, la manne Out of Africa édulcorera bien vite l’amertume du passé… Depuis, Karen est partout au Kenya. Sa maison est devenue musée et c’est tout un quartier des faubourgs de Nairobi qui porte aujourd’hui son nom. ■ BÉNÉDICTE MENU

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KENYA

C A R N E T UTILE

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Formalité : visa obligatoire (compter 50 $), délivré à l’arrivée dans le pays ou en ligne (http:// evisa.go.ke/evisa.html). Monnaie : le shilling kényan (1 € = 114 KES environ). Quand y aller : éviter avril et mai, au plus fort de la mousson. De décembre à fin mars, les couleurs dorées prédominent avant la saison des pluies. De juin à novembre, c’est une Afrique de l’Est verdoyante que vous découvrirez. De juillet à octobre, grande migration des gnous dans le Masai Mara. Traitement antipaludéen recommandé.

Y ALLER

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Avec Etihad (01.57.32.43.43 ; www.etihad.com), la compagnie des Emirats arabes unis. A bord de ses appareils, depuis 2013, des « nounous des airs » formées au Norland College s’occupent des enfants. Restauration 5 étoiles (belle carte des vins) et système de divertissement individuel pour tous. Outre l’Economy Smart Seat qui change la vie des passagers de cette classe, les nouveaux Business Studios offrent un niveau de confort comparable à celui d’une First. Les clients de la Business en transit à Abu Dhabi bénéficient des services haut de gamme du salon d’arrivée (10 cabines de douche, service pressing gratuit en 10 minutes, etc.). Paris-Nairobi via

D E Mont Kenya 5 199 m

Réserve nationale Masai Mara

Réserve privée Lewa Downs

KENYA

KENYA

NAIROBI

TANZANIE

50 km

V O Y A G E

Kilimandjaro 5 895 m

Abu Dhabi, une liaison quotidienne : à partir de 500 € l’A/R en Economy et de 2 470 € en Business.

ORGANISER SON VOYAGE

Voyages Confidentiels (09.70.17.00.04 ; www.voyagesconfidentiels.fr). Ce créateur d’itinéraires sur mesure a conçu ce bel hommage au Kenya d’Out of Africa. 10 jours/9 nuits, à partir de 12 290 € par personne en pension complète (sauf à Nairobi) au départ de Paris sur Etihad. Les étapes : 2 nuits au Hemingways Nairobi, 2 nuits au Finch Hattons Camp à Tsavo, 2 autres au Lewa Wilderness et enfin 3 nuits à l’Angama, dans le Masai Mara. Les expériences : à Nairobi, visite du musée Karen Blixen, du Giraffe Centre et de la tombe de Denys Finch Hatton en voiture de collection %. Au Lewa Wilderness, survol en biplan d’une heure et activités safari. A l’Angama Mara, déjeuner piquenique « Out of Africa » sur le lieu du tournage et survol en

Collines de Chyulu 2 160 m Parc national de Tsavo

Océan Indien

ballon du Masai Mara. Les vols intérieurs en avion-taxi, les transferts domicile-aéroport avec chauffeur (dans un rayon de 50 km des aéroports parisiens) et l’assistance VIP à l’aéroport Charles-de-Gaulle sont inclus.

NOTRE SÉLECTION D’HÔTELS

A Nairobi, l’hôtel Hemingways (00.254.711.032.000 ; www.hemingways-nairobi.com). Membre des Small Luxury Hotels of the World, une adresse raffinée à la belle atmosphère coloniale. 45 suites de 80 m2, toutes avec balcon (on aime la télé pop-up cachée dans une malle de voyage !) donnant sur les jardins paysagers et baptisées du nom d’une star d’Hollywood. Pour aller jusqu’au bout de l’expérience Out of Africa, optez pour la Meryl Streep ou la Robert Redford ! Spa, restaurants, bars (le mixologue est un des meilleurs du pays). A partir de 530 € la nuit avec petit déjeuner. Au sud du Parc national de Tsavo, le Finch Hattons Camp § (00.254.203.577.500 ;

OLIVIER CAILLEAU

IL FAUT AVOIR VÉCU L’ORAGE À ANGAMA...

www.finchhattons.com). 17 luxueuses tentes sur pilotis aménagées autour d’un lac peuplé de crocodiles et d’hippopotames. Les familles apprécient l’espace piscine et sa grande terrasse ombragée. Salle de jeux pour enfants (dès 6 ans), élégant spa avec pavillon de yoga et piscine extérieure. Au-dessus du salon-bibliothèque, une terrasse et son télescope pour s’offrir un aperçu de l’univers… A partir de 522 € la nuit en pension complète, safaris inclus. Dans la réserve de Lewa Downs, classée au patrimoine mondial par l’Unesco depuis 2013, le Lewa Wilderness (00.254.723.273.668 ; www.lewawilderness.com). Installée au Kenya depuis les années 1920, la famille Craig fut la première à ouvrir son ranch aux voyageurs dans les années 1980. Situé à 32 km au nord du mont Kenya, il propose 9 cottages !au charme rustique (salon avec cheminée, lits à baldaquin, terrasse), 3 côté jardin, les 6 autres dominant la vallée de Marania. Safaris en 4 x 4, à cheval, à pied et en méharée de plusieurs jours en compagnie des Masais. Survol en biplan (si Will Craig, le pilote, est disponible). Table d’hôtes conviviale. Piscine et tennis. A consulter, le site de la Lewa Wildlife Conservancy (www.lewa.org). A partir de 710 € la nuit en pension complète, blanchisserie, activités et safaris inclus. A l’orée du Masai Mara, l’Angama Mara /(00.254.206.606.001 ; www.angama.com). Ouvert l’été dernier, ce lodge au design remarquable est composé de deux

parties, chacune occupant une colline sur l’escarpement d’Oloololo, en surplomb du « triangle du Mara ». Au total : 30 vastes tentessuites avec salle de bains ouverte, minibar, coin salon, terrasse et larges baies vitrées. Piscine avec solarium, spa, salle de sport dernier cri, boutique avec atelier de perles masais $. Bar en self-service, salon avec cheminée, restaurant avec terrasse panoramique équipée d’une longue-vue. A partir de 733 € la nuit en pension complète, safaris en 4 x 4 et à pied, blanchisserie et open bar (sauf champagne) inclus.

CHEZ KAREN…

En banlieue de Nairobi, dans un quartier résidentiel qui porte aujourd’hui son nom, la maison de Karen Blixen &est devenue musée en 1985, année de la sortie aux Etats-Unis du film de Sydney Pollack. Le décor a été reproduit quasi à l’identique de ce qu’il fut quand elle y vécut de 1914 à 1931. On peut y voir, entre autres souvenirs touchants, le portrait d’un jeune Somalien qu’elle éduqua et qui devint un juge renommé dans son pays, des photos d’époque et celle que Peter Beard prit de Kamante dans les années 1960.

À FAIRE

A Nairobi, les enfants adoreront nourrir les girafes de Rothschild dans leur sanctuaire, le Giraffe Centre @(Giraffecenter.org), fondé en 1979 par le duc anglais Leslie Melville.

À (RE)VOIR

Out of Africa sera diffusé ce lundi 28 mars à 20 h 50 sur France Ô. B. M.

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