Ma dernière sÊquence
Collection Mots-Passants
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Ma dernière séquence
© Copyright, Janvier 2014
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Jean Erian SAMSON
Ma dernière séquence Poèmes Présentés par Arnaud Delcorte
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ISBN: 978-99970-4-128-9 Dépôt légal : 14-01-008 Bibliothèque Nationale D’Haïti
© Copyright, Les Editions des Vagues Illustration de couverture, Dessin de Jean Erian Samson Graphique : Jean Erian Samson Les Editions des Vagues 22, Mon Repos 48, Carrefour, Haïti BP: HTI6134 facebook: éditions des vagues leseditionsdesvagues@yahoo.fr Phone: (509) 4795-2936 / (509) 3687-8951
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Du même auteur Echo du Verso, USA, Trouvailles Editions, Collection Mots en berne, Mars 2013.
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Je remercie principalement Rita Samson Entre elle et moi il y a ce pont Je le traverse à petits pas Amour infini
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Présentation
Le silence en interrogatoire Le nouveau livre du poète Jean Erian Samson se décline en quatre actes, quatre axes en recherche d’une vie qui semble s’échapper par tous les pores. Amère séquence « Je suis aussi malade que mes doigts qui ont supporté pendant plusieurs années déjà le poids des mots. » L’incipit d’Amère Séquence pose la scène d’un théâtre sombre et noyé de brumes malsaines, celui d’un poète en proie au trouble, à l’inquiétude. L’auteur nous emmène pour une plongée en apnée aux tréfonds de l’âme. Une saison noire et de longue amertume marquée par l’absence, l’ennui et les appels du ventre, arythmique (« O mon pays si triste est la saison »[i]).De cette arythmie des vagues
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qui se brisent inlassablement sur un rivage de chair abandonnée, comme le suggèrent le glissement et le roulement de certains vers. Le poète a l’ « œil fissuré » d’avoir trop regardé le monde se déliter devant lui, abîmé« Comme un corps suturé / Jusqu’au cou », il se fait ermite en terre inhospitalière : « Je suis l’unique témoin / Le dernier de l’apocalypse ».Il interroge le monde et nous prend à témoin de ce mal tombé sans raison d’on ne sait où, on ne sait pourquoi. Cette incompréhension fondamentale qui nous ravale au rang des chiens. Et l’interrogation du poète reste en suspens. Séquence martyre « Ainsi ma mission / Ainsi va ma vie / Comme un éternel pèlerin » L’homme erre avec les chiens qui le suivent dans les rues d’une ville où il n’y a plus rien à perdre. Il se réveille d’un cauchemar pour verser dans un autre, sa « peau à l’envers ».Par des images télescopées, brutes ou morbides, l’auteur peint des tableaux souvent désespérés d’où sourdent rarement les éclats de bonheur.
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Homme-martyr il se sent aimant attirant la bassesse et la cruauté des hommes, peutêtre celui qui espère ainsi rédimer le monde et les âmes des frères et des sœurs disparus : « Je partage ma chair pour nourrir les cadavres ». Dans le registre du désespoir l’auteur livre aussi de belles images-massues : « Les mots n’ont plus d’os » ; « Je trimbale mon ombre / Comme un vieux paquet » ; « Ma vie massacrée / De rêves et de cauchemars sur le même lit » Ma dernière séquence La lumière revient dans la troisième partie du recueil ou l’on découvre un poète capable de dire avec sobriété les mots de la romance. La femme aimée comme pansement sur la détresse existentielle : « Et te voilà / Toi / Comme Genèse » ; « J’irai recueillir (…) des vers qui tombent de ton corsage mi-fermé » ; « Je m’abuse de tes caresses / Pour ne plus mourir ».Mais là encore le bonheur éphémère doit composer avec le doute et le pressentiment de la tragédie, de la perte inéluctable : « Le
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vent pourchasse / La poussière de nos baisers ». Jean Erian Samson erre sur la crête étroite d’une faille prête à l’engloutir et en rapporte des poèmes d’une fragilité étonnante, des poèmes parfois cassés voire piétinés, une fragilité de l’homme dont les orbites vides laissent directement filtrer jusqu’au cerveau la dureté de la réalité nue, parfois difficile à soutenir. Et nous montre aussi crûment la vanité des tentatives humaines. Le poète tente d’écrire l’histoire d’une vie qui s’effrite sous les doigts et s’envole aux vents, « L’histoire d’un poète de nuit / Narrée pour faire taire la vie ».Il tente sans y parvenir vraiment d’embrasser tous les fragments de son histoire, de l’Histoire, pour espérer y voir germer le sens « Je suis le dernier des Noirs / Dans le tourbillon des mots du monde » ; « Je suis la dernière lettre caduque tombant d’étoiles ». Mais il ose s’affirmer poète, comme futile rempart face à l’incontrôlable et l’arbitraire, et il le fait avec détermination. Et dans les fractures, par les interstices ici et là on voit irradier des rayons de Lune, des éclats d’espoir.
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L’Afrique dans mon testament Ici Samson ouvre la porte pour laisser s’engouffrer le vent chargé de sel et de poussière, celui qui vient à travers l’Atlantique des lointaines contrées de l’Afrique sœur et mère. La mémoire de cette Afrique qui traverse l’homme d’Haïti de part en part et cette nostalgie particulière : « Comme on est noir / Quand on est scellé d’Enfer dans nos visions / Comme on est noir d’Afrique / Quand on s’ennuie de lire les versets qui nous consument ». Les vers sont marqués par la mer omniprésente, la traversée de cette espace océanique comme d’un utérus préparant à la nouvelle naissance d’un peuple. Mais une traversée au goût de fouet, de brimade et de mort. Le poète souhaite se « relier à la terre natale », renouer « le cordon ombilical de chaque instinct » ; ce lien renoué avec l’Afrique en mémoire comme moyen de faire sens d’une histoire humaine chaotique. Il conjure le mythe ancien, cette pureté de « l’Afrique elle-même dans nos veines ». Il envoie une bouteille à la mer, une missive
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à travers l’océan, suivant le chemin inverse de la traite, pour dire à la Mère Afrique « que l’enfer depuis la coupure de nos veines siamoises / (n’est) qu’une nuit sans amour ». Il s’accroche d’abord à l’espoir d’une réponse venue de la « souche qui donne vie » dans des vers très émouvants. Puis un jour décide pour luimême de prendre la mer et l’esprit, tour à tour brimé et bandé, se relâche enfin : « Je viens de prendre le cap J’ai levé l’ancre pour l’Afrique Du Saint-Marc au Congo De Jacmel à Tripoli C’est ainsi qu’on écrit l’Afrique dans nos veines La mer pour encre » L’Afrique, continent originel qui même à longue distance transfuse la force à l’exilé séculaire, en écho à l’expérience d’autres grands ancêtres : « Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au-dessus de nous (…) » [ii].
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Et c’est bien alors d’une libération, d’un envol et d’un éveil qu’il s’agit.
[1] Anthony Phelps, Mon pays que voici, Montréal, 1966. [1] Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine, 1983.
Arnaud Delcorte, Bruxelles, le 27-04-2013
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à ma petite fille qui n’est pas encore à Nelta Jean, ma mère à ma famille, mes sœurs et frères à Denise Bernhardt à Arnaud Delcorte et tous mes amis poètes d’Haïti et ailleurs à toutes les filles il ne me reste que la poésie et la poésie encore pour le changement du monde
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Je suis aussi malade que mes doigts. Ils ont supporté pendant plusieurs années déjà le poids des mots. Ma chair maltraitée d’esclave des jours qui vont et viennent de temps à autre, qui montent au chevet de ma passion, mes doigts crevés à coups sûrs salis d’encre pour redire une fois de plus l’avenir du monde. Je suis aussi malade qu’un chien aveugle sur la grande route qui trottine contre les aboiements de ses instincts. Je tacle l’amour aux pieds des cauchemars incertains en cette ville maquillée de blessures profondes. Je la traverse à pas ouverts jours et nuits.
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Je replie deux fois de suite la petite feuille quadrillée où les fracas à grands coups de mes souvenirs vont annoncer les blessures incestes de ma mémoire qui se divise en plusieurs années alternées. Je dérobe du grenier les vieilles maisons qui ont peuplé le long du quartier où j’ai grandi mais l’odeur de mes doigts garde toujours le reflet des mûrs maigres qui décomptent à temps pleins mes rêves en graffiti, des portraits de souvenirs Ma petite famille derrière mon départ et je gagne le monde dans ma foie, l’avenir professe ma caprice de vivre. L’intrépide mémoire.
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Je suis venu vous dire Qu’un cadavre naissait encore derrière la porte Sous le clin d’œil de paupières fragmentées Le noir lui tenait la main et l’arrachait de son soupire Son esprit n’a plus d’âge Des fissures entrelacées de paumes De segments d’os brisés A la cheville du cœur D’une image errée A l’instar d’un virage sous chaque coup de minuit Le fragment de la pénombre s’est brisé Le reste essuie le visage Aboutissant à la déambulation des battements inlassables De la lumière en continuité parfaite Il manquait à l’homme de dire Qu’à chaque pas on laisse une tombe miouverte Où l’air des ténèbres s’échappe sous la porte entr’ouverte Qu’à chaque frère le ciel pleure sa culpabilité Le goût par nervosité Il s’empressait de dire
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Qu’avant la tombée du jour Qu’il serait la momie des siècles à pourrir sous les ongles Pour nous dire qu’il rêvait de vie à contretemps Son instinct trottine entre flaques de larmes En voyant sa vie partir en fumée
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A la mémoire de Georges Corvington
Je suis triste tout au corps Jusqu'à me conjuguer à l’infini dans ce verbe Mon corps civil en apesanteur Réveille mon mal de terre Un projet d’aventure Un spectre irrémédiable à la fissure de l’œil Des sutures de silence atténué Je trébuche Je tombe dans un soir éternel
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Si ce soir la ville est en manuscrit Et les images perdent leur confidence Dans les bras des corridors N’hésitez pas de me prendre pour guide intime Prenez-moi la main Je vous la traverse aux heures indignes Vous me narrez au parcours L’histoire de nos fils au sourire précoce Ils meurent encore Mais si la ville a perdu son intimité aujourd’hui C’est par notre faute J’inventerai pour vous des mots la décrire jadis Faisons corps Prenez-moi la main Ce soir La ville nous accueil ambulants Port-au-Prince somnambule
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Je me réveille avili de paresse Ma peau froissée d’odeur d’espoir Je presse toute une journée l’arbre du poème Qui me vomit enfin la sève de la solitude
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Entre nos paupières Il y a le poids des nuits qui pèse lourd La ville en chaos Au dehors de nos corps Nos ombres s’envolent à mains âpres Et me voilà L’unique témoin de la condamnation De la torture de l’innocence Je suis le dernier de l’apocalypse
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Je frotte l’aube entre mes doigts Pour me nourrir des grains de poussières Qui s’en échappant à chaque seconde Me réveillant perplexe Contre un rêve seul dans mes nuits Cet éternel refrain de cauchemar J’ai vu la guerre Et j’ai partagé l’amour Dans un morceau de souvenir Chaque tâche d’un rêve Augmente mon espérance Une magie de bonheur qui se partage
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Le temps s’agenouille Murmure à mes pieds Les dernières prières Comme aveux du monde Je me regarde A l’œil fissuré
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à ma mémoire Je me fais mort Au point d’ensevelir le cahot De mon travers injuste Et si on change la couleur de l’image Chaque événement me traversant Perdra sûrement les contraintes du regard Je me fais mort Au point de vivre mes rêves en étincelles
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La nuit engendre des fables Des séquences de brouillard Comme un corps suturé Un corpuscule éblouissant l’aurore Jusqu’au cou Mes mots sont de chairs mouillées Qui nourrissent la poussière Les mots n’ont plus d’os Mais le poème est fait d’ossements indécis De couleurs vagabondes De marais qui débordent la mer L’une de mes dernières séquences Pour que le silence En interrogatoire Bouleverse l’ombre des nuits Derrière chaque tombeau Une parole nu corps
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