MARKETING ET CULTURE Le marketing relationnel à l’Alliance Française de Buenos Aires
Aurélien DAYDE
septembre 2004
The Relationship Marketing Concept extended to Cultural Product.
IAE DE LILLE UNIVERSITE DES SCIENCES ET TECHNOLOGIES DE LILLE 1
SOMMAIRE Sommaire Remerciement Introduction Partie théorique Chapitre 1 La consommation culturelle, un modèle de consommation motivé par la recherche d’expérience 1.1 Les spécificités de la consommation culturelle 1.1.1 Les caractéristiques du bien culturel 1.1.2 Les motivations et les avantages recherchés 1.2 Le choix dans la consommation culturelle 1.2.1 Les sources d’information 1.2.2 La catégorisation Le choix d’un produit culturel L’incontournable 1.2.3 Le prix 1.3 L’expérience comme l’évaluation de la consommation culturelle Chapitre 2 Marketing et Culture, l’intérêt d’un recours accru aux techniques du marketing 2.1 Le management des arts, une nouvelle discipline 2.1.1 Une crise dans la définition de l’art 2.1.2 Les mutations de l’art et de la communication
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2.2 Le marketing au secours de la culture 2.2.1 Le marketing et la préférence pour les produits culturels 2.2.2 Le contexte marketing de développement de produits culturels
CHAPITRE 3 La pertinence du concept du marketing relationnel étendu au champ culturel 3.1 Le marketing relationnel 3.1.1 Une dimension spatio-temporelle 3.1.2 Une dimension relationnelle basée sur la confiance 3.2 Le marketing relationnel existe-t-il ? 3.3 Le paradigme du marketing relationnel est il pertinent dans le management d’un centre culturel ? 3.3.1 La multiplicité des partie prenantes 3.3.2 L’interactivité et l’interdépendance des partenaires 3.3.3 L’importance de la communication entre les parties en relation Synthèse Partie pratique Chapitre 1 L’Alliance Française, un rôle particulier dans la politique culturelle extérieure de la France 1.1 Le réseau culturel français à l’étranger 1.1.1 Les centres culturels et de coopération 1.1.2 Les établissements de « première génération » 1.1.3 Les établissements de « seconde génération »
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1.2 Caractéristiques de ce réseau 1.3. La spécificité des Alliances Françaises 1.3.1. Complémentarité 1.3.2. Efficacité 3.3.3. Promotion culturelle 1.4. Coordination de ce réseau 1.4.1. La réforme administrative de 1999. 1.4.2. La DGCID 1.4.3. Conseillers et attachés culturels 1.5 L’Alliance Française de Buenos Aires 1.5.1 Un centre de cours de langues 1.5.2 Un centre culturel
Chapitre 2 Les choix stratégique de l’Alliance Française de Buenos Aires : une identité claire, singularisée par trois axes de communication. 2.1 Les objectifs et les cibles 2.1.1 Les objectifs 2.1.2 Les cibles 2.1.3 Les objectifs par cibles
2.2 La stratégie de communication 2.2.1 Le choix de partenaires stratégiques Les débats d’idées Les musiques actuelles Le cinéma indépendant 2.2.2 Une communication interactive ciblé : le choix du marketing direct. 4
2.2.3 Les relations publiques Chapitre 3 Les conditions d’applicabilité du marketing relationnel de l’Alliance Française de Buenos Aires 3.1 Le projet Paris-BUE, l’exemple du marketing relationnel dans les activités de l’Alliance Française. 3.2 Les espaces référentiels du discours de l’Alliance Française 3.3.1 Le communicateur 3.3.2 Le stratège 3.3 Le marketing relationnel à l’Alliance Française, un choix intuitif mais adapté. Conclusion Bibliographie Table des annexes Annexes
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier Bertrand Tortellier, professeur à l’Institut d’Administration des Entreprises, qui a accepté de suivre et d’encadrer mon travail.
Mes remerciements s’adressent également à Monsieur Nicolas Peyre, directeur des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires et à tout le personnel pour m’avoir accueilli durant ces cinq mois de stage.
Un remerciement spécial pour Francisco Amendáriz en hommage aux heures de travail partagées, mais aussi pour Matthieu Calmels, soutient de toujours au-delà des frontières.
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INTRODUCTION
« Les relations entre le marketing et la culture ont longtemps souffert de la même opposition romantique qui tenait éloignés l’art et l’économie »1. La polémique sur l’art contemporain se base essentiellement sur le problème de définition même de l’art et de la culture. En outre, les mutations de la société au cours du siècle dernier ont modifié le comportement de consommation culturelle. Les responsables des organisations artistiques ont alors progressivement pris conscience de l’importance des dimensions économiques et de l’utilité des méthodes et des techniques de management pour développer leurs activités. Ils se sont rendus compte que le marketing, initialement identifié à l'aliénation de l’art au commerce, n’était finalement qu’un autre nom qui recouvre le domaine des rapports entre l’artiste, son œuvre et ses publics. Mais la transposition de la théorie marketing au champ culturel s’est heurtée à deux difficultés principales : la première relève du tabou que représente le terme marketing pour les acteurs du champ culturel, la seconde est liée aux spécificités des activités culturelles. Aujourd’hui, même si le mot marketing a donc largement pénétré le milieu culturel, son contenu reste le plus souvent flou ou ambigu, les connotations symboliques restent négatives. Les développements de la théorie marketing peuvent cependant conduire à une définition plus proche des préoccupations des acteurs de la culture. On peut en effet considérer le marketing comme un ensemble de moyens mis en œuvre par une organisation pour influencer des individus dans le sens de ses objectifs. Le marketing aurait alors un rôle distinct de son destin commercial auquel il connote largement. La deuxième difficulté est liée aux spécificités des activités culturelles. Dans certains domaines comme dans l’industrie du disque ou du cinéma, c’est un marketing
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Yves Evrard, rédacteur en chef invités de Recherche et Application en Marketing, vol X 7
transactionnel qui est appliqué. Il est alors possible de parler ‘d’industrie culturelle’ ou de vente de ‘produits culturels’. D’autres organisations traitant des arts et de la culture obéissent à d’autres logiques commerciales, ou sont simplement basées sur des intérêts de rentabilités. Confrontées à des budgets très limités, elles doivent amplifier leur relation et leur réseau. C’est ce qui permet de parler de marketing relationnel. Les centres culturels évoluent dans ce paradigme particulier. Les institutions de diffusion de la culture d’un pays, tels que l’Alliance Française pour la diffusion de la culture française, sont aussi des centres culturels. Ils n’ont pas les mêmes prérogatives que les entités plus traditionnelles, mais doivent néanmoins travailler dans la même problématique, multiplier leurs relations avec leurs clients et leurs partenaires pour atteindre leurs objectifs. Le marketing Par ailleurs, il pourrait être intéressant d’analyser les différences entres ces centres culturels particuliers, ou avec les centres culturels locaux. Mais il est préférable de les considérer comme des entreprises culturelles simplement distinctes. Ainsi, nous avons choisi de nous concentrer sur le contexte du marketing et de son application dans le fonctionnement d’un centre culturel. Dès lors, il semble intéressant de se demander si un centre culturel doit utiliser les techniques de marketing traditionnelles, ou si il peut déployer son propre modèle d’influence, en développant notamment le marketing relationnel ? C’est le thème que ce mémoire propose d’aborder. Nous pensons en effet que les problématiques auxqu’elles sont confrontés l’Alliance Française sont les mêmes que la plupart des centres culturels dans le monde. Cette question va nous amener à nous interroger sur plusieurs points. Tout d’abord, sur la consommation culturelle et le comportement des consommateurs, ensuite, sur les relations entre le produit culturel et le marketing, enfin, sur le marketing relationnel. Cela nous permettra de mieux comprendre quel marketing est alors le plus adapté aux produits culturels qu’offrent les centres culturels. Pour répondre aux différents points énoncés ci-dessus, nous allons nous pencher sur les recherches précédentes conduites sur le sujet. Nous allons faire appel à des théories pour aboutir à un état de la recherche qui va nous permettre de dégager des 8
hypothèses de réponses à la problématique. Ces hypothèses arriveront au cours de la première partie de ce mémoire. Elles permettront d’avancer dans la réflexion et de suivre un raisonnement logique. La deuxième partie de ce mémoire est consacrée à la mise à l’épreuve des hypothèses énoncées, par l’expérience sur le terrain. Cette expérience est un stage de 21 semaines au sein de la direction des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires. Cette partie pratique doit permettre de confirmer ou d’infirmer la validité des hypothèses émises. La partie théorique comporte trois chapitres. Dans un premier temps, nous chercherons à déterminer les spécificités du comportement des consommateurs culturels. Ensuite nous définirons le produit culturel pour savoir sil il se consomme comme les autres produits. Il conviendra également de vérifier quel marketing lui correspond le mieux avant de le confronter aux centres culturels. La partie pratique se propose de se focaliser sur le marketing culturel de l’Alliance Française de Buenos Aires. Le premier chapitre présente le centre culturel et explique pourquoi ses prérogatives et ses objectifs sont particuliers. Le second chapitre analyse son positionnement et sa stratégie de marketing. Enfin, le dernier chapitre se propose d’expliquer dans quelle mesure l’Alliance Française utilise le marketing relationnel.
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PARTIE THEORIQUE
L’art et la culture ont évolué en même temps que la société. Il fut un temps où les organisations relevant des industries culturelles étaient relativement à l’abri de la compétition internationale en raison des barrières linguistiques et réglementaires. Elles pouvaient alors se concentrer sur les intérêts artistiques et créatifs. Aujourd’hui, les intérêts et les ressources des entités culturelles ont du s’adapter à la concurrence et aux lois du marché pour continuer d’exister. Dès lors, il apparaît intéressant d’étudier la manière de consommer le produit culturel aujourd’hui. S’il existe une demande significative du marché, alors, la consommation culturelle peut être considérée comme la grande consommation, et la demande peut être encouragée grâce à des activités créatives de marketing. L’amélioration de la manière de vendre un produit ou un évènement organisé par une entité culturelle peut contribuer de façon importante à fournir aux consommateurs un environnement culturel plus riche. Un centre culturel pourrait ainsi augmenter sa fréquentation en acceptant d’assimiler ces principes. Cette première partie théorique se propose de vérifier ces hypothèses en s’appuyant sur la recherche effectuée sur le paradigme culturel et sa confrontation au marché. Ainsi le premier chapitre sera consacré à l’analyse de la consommation culturelle. Le second chapitre opposera le produit culturel au marketing. Enfin, dans un troisième chapitre, nous définirons le marketing relationnel et son implication dans le management des arts.
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CHAPITRE 1 La consommation culturelle, un modèle de consommation distinct
L’idée que la culture n’est pas un produit comme les autres et qu’elle relève d’une approche spéciale a toujours existé dans le contexte du management des arts. Cependant, il semble que la recherche, aborde le comportement de consommation culturelle comme une extension du concept marketing : si le consommateur culturel est un consommateur particulier, il reste un consommateur avant tout. Certains domaines ont alors été étudiés par la recherche sur les comportements de consommation : il s’agit de la peinture, les concerts et les activités de loisirs en général dans l’article de Hirschmann et Holbrook2, les arts du spectacle les expositions de musée, ou le cinéma. Selon Yves Evrard3 « l’accroissement des recherches dans ces domaines témoignent d’un glissement de l’attention des chercheurs vers l’étude de la recherche d’expériences. » Il convient d’expliquer dans un premier temps, quels sont les principes généraux qui régissent le comportement d’achat du consommateur dans le domaine culturel. Ensuite, il semble pertinent d’analyser les choix du consommateur avant d’aborder quelle est la formation du goût du consommateur : l’expérience de consommation.
1.1 Les spécificités de la consommation culturelle Le secteur de consommation des arts et de la culture est caractérisé par une très forte hétérogénéité des biens qui le constituent. Pour aller au- delà de cette diversité et
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Hirschmann E.C. et Holbrook M.B., 1982, The Experiential Aspects of Consumption: Consumer Fantasies, Feelings and Fun, Journal of Consumer Research, 9 September 1982. 3 Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr 2001, Le Comportement de consommation culturelle : un état de l’art Groupe HEC Publication 11
analyser la consommation culturelle, Busson et Evrard4 ont recensé divers éléments qui « fédèrent le champ culturel et fonde sa spécificité ».
1.1.1 Les caractéristiques du bien culturel Plusieurs caractéristiques des biens culturels ont été identifiées : - Le temps. La consommation de produits culturels nécessite l’allocation de temps (aller à un spectacle culturel ou lire un livre chez soi est un acte qui prend du temps. Selon Busson et Evrard, cet acte donne une place centrale à l’expérience de consommation. - Le risque. Un produit culturel n’est pas reproductible à l’identique (même si son support fait l’objet de reproduction de masse). Le produit culturel correspond donc à un prototype et représente un risque pour le producteur et pour le consommateur. - L’esthétique. La consommation culturelle est associée à la notion de plaisir esthétique. Certains auteurs parlent de motivations intrinsèques5: une œuvre d’art est appréciée pour elle-même et non pour ses seules fonctions utilitaires. - La singularité. L’objet culturel se caractérise par son incomparabilité et son incommensurabilité. Il fait l’objet d’un double système d’évaluation, en amont par les autres artistes ou les critiques, et en aval par le public. En conséquence, il implique une double subjectivité, celle de l’auteur et du récepteur. - La durabilité. Selon les auteurs, il s’agit sans doute d’une des caractéristiques les plus spécifiques de l’économie du champ culturel, l’œuvre d’art se caractérise par sa durabilité, sa valeur peut se modifier au cours du temps au rythme de l’évolution des goûts et des modes, ce qui fonde un concept distinct du cycle de vie d’un produit. D’autres auteurs ont apporté leur définition du produit culturel, selon des critères plus objectifs6. Pour d’autres, le produit culturel est un objet complexe7 multiforme et répondant à des besoins variables8, dont les dimensions symboliques, esthétiques et 4
Busson A et Evrard Y, 1987 Portraits Economiques de la culture, La Documentation Française 5 Busson A et Evrard Y, Op. Cit. 6 Moureau, 1993 in Busson A et Evrard Y, Op. Cit. 7 Holbrook et Zirlin, 1985 in Busson A et Evrard Y, Op. Cit. (page précédente) 8 Kelly, 1986 in Busson A et Evrard Y, Op. Cit. 12
hédonistes9 impliquent que l’expérience vécue repose sur la personnalité du consommateur Au-delà de la définition du produit culturel, il apparaît donc essentiel de chercher à identifier la façon dont ces objets et ces activités sont perçus et valorisés par le consommateur. Ensuite, nous pourrons nous intéresser au processus de sélection des produits culturels10.
1.1.2 Les motivations et les avantages recherchés « La dimension symbolique de l’objet culturel a été soulignée en premier lieu dans une approche sociologique. Cependant les dimensions symboliques de la consommation culturelle peuvent, en plus d’être orientées vers soi : recherche du plaisir, de l’émotion et dimension esthétique du produit (consommation hédoniste et perception esthétique), être orientées vers les autres. Les bénéfices attendus ont fait l’objet de plusieurs approches en marketing qui aboutissent à deux dimensions principales : Motivation intrinsèque / motivation extrinsèque Orientation vers soi / orientation vers les autres »11 Selon Yves Evrard12 Les activités culturelles appartiennent à la sphère des activités de loisir qui a trois fonctions principales, le développement, le délassement et le divertissement. L’objet culturel n’est pas seulement une source d’éducation. Il répond à une logique de divertissement ; incluant une dimension ‘spirituelle’. Dans le cas du théâtre, Bergadaà et Nyeck13 précisent ces fonctions en distinguant les quatre types de motivation de la consommation théâtrale : le divertissement, l’éducation, l’enrichissement, le développement personnel (l’hédonisme social). Ces motivations se déclinent en divers avantages recherchés. Dans le cas des arts des spectacles 9
Holbrook et Hirshmann, 1982, Op. Cit. Aurier P, Evrard Y, 1996, Identification and Validation of the Components of the Person-Object Relationship, Journal of Business Research 11 Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr Op. Cit. 12 Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr Op. Cit. 13 Bergadaà et Nyeck, 1995 in Yves Evrard, Dominique Bourgeons, Christine PETR Op. Cit. 10
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vivants, ces bénéfices attendus sont aussi bien l’enrichissement culturel, la relaxation intellectuelle, la stimulation émotionnelle, l’approbation par ses pairs, l’excitation, le divertissement, l’éducation, le prestige social,
ou encore le développement des
enfants. Concernant les bénéfices d’ordre extrinsèque, Evrard14 mentionne « la possibilité d’accroître et d’entretenir sa sociabilité qui est parfois la première motivation de la sortie culturelle, l’activité elle-même étant alors secondaire»
1.2 Le choix dans la consommation culturelle Dans le domaine culturel, le consommateur choisit et sélectionne le produit auquel il va affecter du temps et de l’argent. Deux orientations de recherche semblent avoir été étudiées : les sources d’information, la catégorisation et les critères de choix de l’objet culturel. Une troisième orientation moins symbolique semble être importante à l’élection d’un produit culturel : le prix.
1.2.1 Les sources d’information Selon Evrard15 l’information nécessaire au consommateur peut avoir deux origines principales : d’une part, la perception du produit ou du service à travers l’environnement (communication commerciale et influence interpersonnelle) et d’autre part, les éléments que le consommateur a stockés en mémoire et qui apparaissent lors de l’évaluation du produit ou service. La communication expérientielle ou la communication interpersonnelle Il existe plusieurs typologies des sources d’informations utilisables par le consommateur. Dans le domaine culturel, Cooper Martin16 distingue les sources 14
Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr Op.Cit. Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr Op.Cit. 16 Cooper Martin, 1992 in Yves Evrard, Dominique Bourgeons, Christine Petr Op. Cit. 15
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expérientielles d’information selon leur dimension. Une source d’information expérientielle permet de donner une idée de ce que sera la consommation du bien : elle peut provenir d’une expérience visuelle ou auditive. C’est le cas des bandes annonces au cinéma. La source d’information peut également provenir des expériences de consommation de ses proches (communication interpersonnelle). Il s’agit de l’effet de bouche à oreille. Ce genre de recommandation peut également provenir de source d’information publicitaire et détermine l’attitude favorable ou non créée pour le spectateur.
La critique Elle est une spécificité du champ culturel. On peut se demander si elle dispose réellement d’un pouvoir de prescription auprès des consommateurs, ou si elle est un outil de prévision des réactions du public. Selon Evrard17 il semble que la critique ait un rôle de prédiction relatif dans l’influence du consommateur. Les critiques sont trop subjectives et ont tendance à favoriser des produits que le public ne recherche pas. L’exemple le plus fort paraît être le cinéma. Enfin, il faut souligner que la recherche de surprise est selon Sedwick18, une spécificité fondamentale de la consommation des produits culturels. Cette donnée affaiblie le rôle des sources d’information dans le choix du consommateur.
1.2.2 La catégorisation
Le choix d’une activité culturelle Lorsque le consommateur souhaite s’engager dans une activité culturelle, il est amené à envisager plusieurs alternatives possibles selon une démarche de 17
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Yves Evrard, Dominique Bourgeons, Christine Petr Op. Cit. Sedwick, 1999 in Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr Op.Cit. 15
catégorisation par type19 : théâtre, concert, opéra, visite de musée, spectacle de danse, cinéma… Selon les auteurs, le consommateur, va caractériser chaque activité selon trois critères : l’intensité émotionnelle qu’il recherche, la notion d’accessibilité (art populaire / art élitiste) et la notion de risque (particulièrement liée à l’interprétation).
Le choix d’un produit culturel Concernant le choix d’un produit, il semble qu’il existe une catégorisation par genre. Celle-ci s’appuie sur les classements établis par les professionnels (média, critiques) et sur les expériences passées des consommateurs. Elle correspond à une catégorisation en fonction de la nature de l’émotion recherchée (interprétation, thème, histoire, style, …).
L’incontournable Enfin, on peut rajouter la nécessité pour un produit ou un lieu culturel d’être incontournable. Y Evrard20 parle de « la nécessité d’être proche du prototype idéal face à la multiplicité des références dans le domaine culturel, il est essentiel de s’imposer comme incontournable. » Pour un centre culturel, il s’agit par exemple d’individualiser le lieu, ou de lui faire acquérir une réputation, de lui donner une image auprès du public ciblé, de lui rester fidèle et de savoir évoluer avec lui et enfin acquérir une réputation de lieu « obligé ».
1.2.3 Le prix La notion de valeur perçue est un concept important pour représenter l’arbitrage auquel se livrent les consommateurs lorsqu’ils doivent payer un produit culturel. 19
Rosch et Mervis, 1975 in Yves Evrard, Dominique Bourgeons, Christine Petr Op. Cit. 20 Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr Op.Cit. 16
Aurier, Evrard et N’Goala21 parlent de la notion de coût. Selon eux, elle va au-delà de l’expression d’un prix. Elle fait référence au sacrifice consenti par un individu lors de l’achat d’un billet de spectacle (ressources monétaires, risques) ou lors de la consommation culturelle (ressource de temps consacré). Les mêmes auteurs démontrent que la qualité perçue est influencée par le prix. Une grande étude réalisée auprès du public de l’offre théâtrale de Montréal22, met en évidence certains éléments en relation avec le prix du billet et l’appartenance à un groupe social. Ainsi, il semble que le public appartenant à une classe sociale à revenu élevé ne soit pas sensible à l’élasticité du prix mais au temps qu’elle consacre à cette activité. En contrepartie, des classes sociales à revenus plus faibles, se rendant aux même institutions culturelles (étudiants, personnes retraitées) sont beaucoup plus sensibles au prix du billet, au système d’abonnement. La perception d’un gain possible, véhiculée par la politique tarifaire (par exemple la politique d’abonnement ou développement de la carte d’adhésion) peut conduire à un comportement favorable à l’achat. Le prix d’un produit peut aussi être utilisé de manière discriminante dans le cas où l’on veut sélectionner la cible. Le rôle de la politique tarifaire dans la fréquentation d’une institution culturelle, ou dans l’achat de produits culturels apparaît donc comme un élément majeur dans l’ensemble des critères participants à la décision de consommation du public, et principalement à celle du public non-initié. Dans le domaine de la grande consommation, la valeur résulte de la possession d’un produit ou d’un service, mais dans le domaine culturel, elle résulte surtout de l’expérience de consommation. 1.3 L’expérience comme l’évaluation de la consommation culturelle Throsby23 affirme que « la consommation relative des arts augmentera avec le temps non pas à cause d’une modification des goûts, mais parce que l’ombre des prix des 21
Evrard Y Colbert F., 2000, Arts Management : A New Discipline Entering the Millennium, International Journal of Arts Management. 22 Colbert, Beauregard et Vallée 1998 in Yves Evrard, Dominique Bourgeons, Christine Petr Op. Cit. 23 Throsby C.D., 1994, The Production and Consumption of the Arts, A View of Cultural Economics, Journal of Economic Literature 17
arts diminue alors que l’expérience, la compréhension et les autres attributs du capital humain associés à l’art s’acquièrent ». L’expérience accumulée de consommation culturelle amplifierait donc la demande culturelle. En effet, selon lui, le fait de vivre une première expérience de consommation d’une forme d’art, même si l’expérience est unique, donne lieu à des intentions futures de consommation. En revanche, si l’individu n’a pas encore expérimenté l’activité culturelle en question, les freins à la consommation semblent particulièrement forts. Une particularité essentielle de l’expérience dans le domaine culturel est l’addiction. En effet le fait d’expérimenter le produit ne conduit pas au dégoût, mais au contraire, plus l’individu consomme, plus il a le désir et le goût de consommer. Throsby rajoute que « l’influence des expériences de consommation passées est double : le développement d’un intérêt et d’une capacité à apprécier la pratique (l’expertise) et le processus de formation des goûts. Celle-ci peut s’expliquer également par le concept de familiarité ; en effet, dans la lignée des travaux des psychologues sur la simple exposition, il a été démontré que les individus éprouvent un attachement et une attirance plus forts pour les choses qu’ils connaissent (formes, images, sons…) » En fonction des individus et des situations de consommation, les valeurs investies dans la pratique culturelle peuvent varier. Une même activité culturelle n’est ni la même pour tous, ni la même tout le temps. Donc la perception de l’objet culturel est soumise aux émotions personnelles, et correspond à la sensibilité de chacun. On fait vivre au spectateur une expérience à laquelle il est contraint de donner un sens. Le sens ne se fait pas sans lui. Evrard24 explique que l’expérience est ainsi coproduite par le consommateur, qui cherche à préserver sa part d’autonomie ; il s’agit d’une expérience ouverte. » Enfin, dans le système d’analyse de Evrard25, après le vécu de l’expérience, vient le temps de l’évaluation. Il semble évident de devoir mesurer la satisfaction du consommateur. Selon lui, la transposition des modèles de satisfaction des consommateurs venant de la grande consommation, soulève deux types de questions. « D’une part, le modèle le plus diffusé, est fondé sur les écarts entre les attentes préalables à la consommation et les performances réalisées au cours de 24 25
Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr Op.Cit. Yves Evrard, Dominique Bourgeon, Christine Petr Op.Cit. 18
l’expérience de consommation. Dans le domaine culturel, les attentes préalables sont floues, voire inexistantes, ce qui rend difficile l’application des méthodes de la grande consommation. Seule la déception pourrait ici permettre une évaluation juste. »
L’objet culturel peut alors être assimilé à un ‘produit culturel’, un produit sophistiqué et complexe. Le consommateur culturel consomme ce produit singulier d’une manière distincte. Les choix de consommation culturelle et l’évaluation des expériences peuvent être cependant évalués au même titre que les produits de grande consommation. Il peut donc être pertinent de s’interroger quant aux possibilités d’utiliser les techniques de management traditionnel dans le champ culturel notamment les techniques de marketing.
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CHAPITRE 2 Management et Culture, l’intérêt d’un recours accru aux techniques du marketing
Depuis plus de trente ans, le nombre de publications sur la gestion des arts ne cesse d’augmenter26, il existe maintenant des revues spécialisées et une conférence scientifique majeure (International Conference on Arts and Cultural Management). Aujourd’hui l’activité de recherche dans ce secteur apparaît ainsi importante. Ceci permet à François Colbert27 de se demander si nous n’assistons pas à la naissance d’une nouvelle discipline, ou d’une sous discipline : Le management des arts. Une définition de Dubois et Jolibert28 décrit le marketing comme « l’ensemble des processus mis en œuvre par une organisation (ou autre entité sociale) pour comprendre et influencer dans le sens de ses objectifs les conditions de l’échange entre elle-même et d’autres entités, individus, groupes ou organisations. » Cette définition permet peut être de transposer déjà le marketing aux domaines des arts. Pour répondre à cette problématique, nous analyserons d’abord le management de l’art, avant de préciser dans quelle mesure le marketing est un outil indispensable à la culture. 2.1 Le management des arts, une nouvelle discipline 2.1.1 Une crise dans la définition de l’art Historiquement, trois sources de définition de l’art sont identifiées : Dans la tradition classique, l’art est identifié avec la beauté : la nature doit être imitée. La technique de représentation de l’artiste doit se calquer sur la fidélité de ce qu’on voit. 26
Evrard Y Colbert F., 2000 Op.Cit. Evrard Y Colbert F., 2000 Op.Cit. 28 Dubois PL et Jolibert A, 1998, Le Marketing : fondements et pratiques, Paris Economica collection gestion, 3ième édition 27
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Puis, après la Renaissance, l’émergence de la subjectivité permet de séparer l’artiste de la réalité. La période Romantique et l’âge de la modernité donnent toute son importance à l’interprétation de l’artiste. Ainsi, ce n’est plus l’œuvre qui doit être sublime, c’est la façon dont l’artiste voit la réalité dans son œuvre. Enfin, la troisième définition intervient au cœur de la polémique sur l’art contemporain. La rupture est accordée à Duchamp (exposant un urinoir dans ses expositions) ou à des artistes comme Warhol (qui expose des objets ordinaires de la grande consommation telles que des boîtes de conserves). Cette rupture est renforcée par des nouvelles tendances comme le fait que tout le monde puisse-t-être un artiste, ou tout le monde peut au moins avoir son quart d’heure de gloire (Warhol encore). En accord avec ces perspectives, la beauté ne réside plus dans l’œuvre elle-même, mais dans l’œil du consommateur. Ainsi l’art serait aujourd’hui défini par une relation spécifique qui unit l’objet et le consommateur. C’est donc le regard du consommateur qui fait de l’objet une œuvre d’art. Ces trois étapes apparaissent comme décisives pour le management de l’art. Les deux premières ne laissent pas de place au spectateur ou au consommateur de l’œuvre. Le rôle du management des arts se modifie aujourd’hui, le consommateur et le marketing font partie du processus de création lui-même. La manière dont le consommateur va percevoir l’objet lui donnera toute sa valeur. Le marketing influence cette vision personnelle. Dès lors, il convient de se poser la question de la place que l’art occupe dans la société au côté de la consommation et du marketing.
2.1.2 Les mutations de l’art et de la communication La place de l’art au sein de la société peut être également considéré selon trois perspectives, la religion, l’éducation et le divertissement Certains auteurs29 pensent que le rôle que joue l’art aujourd’hui dans notre société serait un substitut à la religion. Dans ce contexte, les musées seraient des cathédrales modernes, et l’art une base de cohésion sociale. Selon une seconde 29
Fumanoli M, L’état culturel, essai sur une religion moderne, Paris 1991 21
approche l’art serait semblable à l’éducation continue des citoyens, et son accès doit être encouragé pour favoriser l’apprentissage. Cette perspective est la base pour les politiques publiques animées par la démocratisation de l’art dans une perspective universelle. La perspective du divertissement situe l’art dans l’aire des activités de loisirs. Elle se trouve dans un contexte de grande consommation. Ces trois perspectives de l’importance de l’art dans la société sont décisives dans la manière dont est envisagé le management de la culture. Alors que les deux premiers points de vue, impliquent un management sans profit, l’art comme divertissement suppose un management traditionnel avec les contraintes de production et d’économie qu’impose la société de consommation comme dans n’importe quel autre domaine. Dans ce contexte de divertissement et de loisirs, certains secteurs de consommation se rapprochent désormais de l’art. On pense au tourisme et à la communication. Le tourisme est un secteur économique important. Le tourisme culturel nourri ce secteur de manière croissante. Selon Rojek et Urry30, les festivals, les musées et les expositions sont d’exceptionnelles attractions touristiques. Ces conclusions auraient d’énormes influences sur les politiques publiques dans la manière de gérer les arts et la culture au niveau local comme au niveau national ou international. Ainsi, les négociations et le marketing de séjours culturels, ne se font plus au rang individuel, mais s’organisent désormais par les tour-opérateurs dans un contexte Business to Business. Ceci aurait également un impact dans la production et la vente des produits dérivés, des souvenirs, destinés par exemple à la boutique du musée. Généralement, la relation entre le tourisme et l’art est complémentaire, certaines activités touristiques peuvent être considérées comme culturelles par nature, comme la découverte d’un autre pays ou d’une autre civilisation. Ainsi on peut croire que le secteur du tourisme culturel ne va pas cesser de croître dans le futur. La communication, et en particulier dans le secteur de l’industrie des médias, est sans aucun doute très proche des arts. Cette complicité unissant culture et communication paraît être faite d’autant de complémentarités que de contradictions. Les médias sont le meilleur relais de connaissance et de diffusion des travaux culturels. Ainsi, on peut dire sans se tromper que le développement des nouvelles technologies est en train de 30
Rojek C et Urry J, 1997, in Evrard Y Colbert F., 2000 Op.Cit. 22
provoquer un impact indélébile sur les activités artistiques. La visite virtuelle de musées, les collections d’œuvres jamais réunies dans la réalité peuvent être assemblées sur des supports tels que des CDrom, des DVD, ou même consultables en ligne. La diffusion de la musique sans support modifie la manière dont elle se vend, le marketing s’adapte à tous ces nouveaux aspects, se globalise, se digitalise, et s’unit à la culture pour mieux la distribuer.
2.2 Le marketing au secours de la culture Lorsque les organisations culturelles développaient de nouveaux produits, elles pouvaient se concentrer exclusivement sur leurs intérêts artistiques et créatifs car le succès créatif leur suffisait pour survivre et même prospérer affirme Adam Finn31. Mais, selon lui, « en raison de l’augmentation de la concurrence internationale, en particulier des producteurs américains, aucune organisation culturelle ne peut négliger les questions de marketing. Elles doivent conduire toutes leurs opérations comme une entreprise ou être laissées sur le bord de la route. » Ainsi il apparaît désormais clairement que le management de la culture ne peut se passer du marketing. Hirshman32 fait valoir que le concept de marketing n’est cependant pas applicable aux producteurs culturels en raison des valeurs personnelles et des normes sociales qui caractérisent leur processus de production. Selon lui, les artistes créent pour exprimer leur conception subjective de la beauté, l’émotion ou quelque autre idéal esthétique. Leur créativité s’exprime pour son propre compte et le processus créatif lui-même serait donc satisfaisant. Ils diffèrent des créateurs de produits utilitaires en ce que leur créativité est valorisée pour ses qualités d’expression et non strictement pour son utilité fonctionnelle ou sa compétence technique. Ainsi plusieurs participants aux activités relevant des industries culturelles préfèreraient demeurer des artistes purs. Il semble qu’il soit difficile à beaucoup d’accepter le concept de marketing de peur de devenir des vendeurs et de salir l’idéal esthétique ou créatif qu’ils recherchent. Mais là, l’offre culturelle, pour exister, doit se préoccuper de son public et convaincre son audience. 31
Adam Finn, Stuart McFadyen, Colon Hoskins, 2000, Le développement de nouveaux produits dans les industries culturelles. RAM, Vol X, n495 32 Holbrook et Hirshmann, 1982, Op. Cit. 23
2.2.1 Le marketing et la préférence pour les produits culturels Ryan33 fait valoir que « le marketing joue un rôle important dans les industries culturelles en réduisant l’incertitude inhérente à la réaction du public aux efforts créatifs. Les activités de marketing aident à stabiliser la demande en positionnant les efforts créatifs dans l’espace conceptuel des stars et des styles qui peut être reconnu par les consommateurs. » Il rajoute que dans le cas des produits culturels basés sur une star, tels que l’enregistrement musical, le marketing se focalise généralement sur l’artiste en tant qu’individu. On doit montrer et vendre à l’auditoire la valeur de l’artiste, en tant que personnage, à travers l’utilisation de signes compréhensibles par l’audience. Ce système fonctionne particulièrement lorsqu’un nouveau produit présenté sous le nom de l’artiste attire des ventes considérables sans aucune évaluation préalable et bénéficie de la présentation par des médias et du soutien de la distribution, sans que l’on tienne compte de ses propres caractéristiques créatives. Dans le cas de produits culturels basés sur un style de musique défini, le produit plaît à un segment de marché attiré d’abord par la forme du produit culturel. Un nouveau produit plaît en entretenant une cohérence entre le genre, la forme, le style, tout en introduisant une innovation juste suffisante pour fournir quelques stimulants.
2.2.2 Le contexte marketing de développement de produits culturels Les industries culturelles ont connu une évolution vers des structures de réseaux. A présent, un nombre restreint d’entreprises importantes établit des liens avec des créateurs d’entreprises spécialisées pour la production et la distribution des produits culturels. Selon Adam Finn34, les entreprises de l’édition, de la musique et du cinéma, 33
Ryan B, 1991, Marketing Capital from Culture, de Gruyter in Adam Finn, Stuart McFadyen, Colon Hoskins, 2000, Op.Cit. 34
Adam Finn, Stuart McFadyen, Colon Hoskins, 2000, Op.Cit 24
dépendent largement de la sous-traitance et du talent des indépendants pour développer de nouveaux produits. L’industrie du livre est basée, dans une mesure importante, sur les relations de réseaux de confiance. Les membres de l’industrie cinématographique, producteurs, metteurs en scène, cinéastes, acteurs et musiciens, sont trop instables pour établir avec les réseaux de production et de distribution des relations durables. Mais ainsi que le montrent Faulkner et Anderson35, dans leur analyse concertant 2430 films, couvrant une période de 15 ans (1965-1980), ce sont les réseaux de participants qui sont stables et solides et non les studios cinématographiques où les employés vont et viennent et dont les propriétaires changent fréquemment. Des acteurs-clés de l’industrie du cinéma font confiance à d’autres avec lesquels ils ont travaillé précédemment et qu’ils ont jugés dignes de confiance.
Ainsi, accompagnant l’évolution de la société, le domaine de la culture et des arts a opéré une mutation vers le divertissement. Comme dans n’importe quel secteur, l’entreprise culturelle se voit désormais dans l’obligation de générer des profits pour continuer
d’exister.
Le
marketing
apparaît
alors
comme
indispensable
au
management des arts. Mais le produit culturel reste néanmoins un produit de consommation sophistiqué et complexe. Ne nécessiterait-il pas un marketing particulier ?
35
Faulkner RR et Anderson A 1987 Short Term Projects and Emergent Careers: Evidence From Hollywood, American Journal Of Sociology in Adam Finn, Stuart McFadyen, Colon Hoskins, 2000, Op.Cit. 25
CHAPITRE 3 La pertinence du concept du marketing relationnel étendu au champ culturel
La recherche a accordé à la dernière décennie de nombreux travaux sur un nouvel aspect du marketing : un marketing distinct, basé sur la coopération et la confiance des acteurs du réseau, qu’ils soient collaborateurs ou clients. De nombreux articles sont consacrés au service client et aux relations qu’entretiennent les compagnies avec leurs partenaires afin de les fidéliser. Ce système de marketing correspond d’ailleurs avec le nouveau besoin que connaissent les entreprises dans l’économie en crise des années 80. Il est important à ce moment là de s’intéresser aux clients qui apportent le plus de valeur, et surtout de les conserver. En outre, les nouvelles technologies qui se développent à ce moment là, permettent la constitution rapide de bases de données. En croisant ces données informatiques on peut réaliser une communication personnalisée facilitant la transmission d’une information à une cible plus importante, et plus intéressée. Dans un même temps, les entreprises établissent de plus en plus de relations entre elles. C’est la croissance du business to business. Etendu désormais aux secteurs du service, on peut se demander si le concept du marketing relationnel est approprié au management de la culture. Au-delà de cette question, son application à la communication d’un centre culturel ne serait-elle pas justement la plus adaptée ? Pour répondre à ces questions, il convient de définir le marketing relationnel et d’en préciser les forces et les faiblesses. Enfin, il faudra étudier son application à un centre culturel.
26
3.1 Le marketing relationnel Selon Isabelle Collin-Lachaud36, « la décennie qui vient de s’écouler a été le témoin d’un changement de direction majeur à la fois dans la théorie et la pratique marketing, celui-ci devient « l'élément moteur d'un système d'échange sociétal où il ne s'agit plus d'opérer de simples transactions […] mais de parvenir à définir les modalités de relations durables » Morgan et Hunt37 définissent le marketing relationnel comme celui concernant « toutes les activités dirigées vers l’établissement, le développement et le maintien avec succès d’échanges relationnels » On peut dire que le marketing relationnel étudie donc les conditions d’interdépendances des acteurs d’un réseau d’échange. Pour préciser le concept, Isabelle Collin-Lachaud38choisit d’étudier deux dimensions qui constituent le marketing relationnel, tout en précisant comment il repose sur la notion de confiance : une dimension spatio-temporelle, et une dimension relationnelle basée sur la confiance.
3.1.1 Une dimension spatio-temporelle Le marketing relationnel apporte une double transformation au concept d’échange. Tout d’abord, il apporte une transformation temporelle : l’échange n’est plus considéré de façon ponctuelle mais dans sa durée. Il comprend l’engagement et la confiance des partenaires dans la relation. Ensuite, on peut parler de transformation spatiale qui substitue au contrat une relation pouvant intégrer plusieurs acteurs de l’échange.
36
Collin Lachaud I, CERMAT, IAE Tours, Congrès Association Française du Marketing Deauville 2001 source internet http://www.afmmarketing.org/detail_acte.php?id=18 37 Morgan RM et Hunt SD, 1994, The Commitment-Trust Theory of Relationship Marketing, Journal of Marketing,No 58 in Collin Lachaud I, Op.Cit. 38 Collin Lachaud I, Op.Cit 27
A cette dimension spatio-temporelle, s’ajoute une dimension relationnelle basée sur la confiance.
3.1.2 Une dimension relationnelle basée sur la confiance Celle-ci joue un rôle important dans l’institution de relations avec les différents partenaires. Il s’agit d’un concept-clé dans la conception du marketing relationnel. C’est principalement dans l’échange entre organisations que la confiance est apparue digne d’intérêts pour les chercheurs, car elle permet de rendre compte de l’existence d’accords « hybrides » différents du marché et de la hiérarchie39. Pour les auteurs en marketing, la confiance a deux statuts : celui d’attitude comprenant l’intention de comportement et celui de double croyance, à savoir croyance dans la bienveillance de l’autre et croyance dans la compétence. Guibert40 tente une définition générale : "état psychologique plus ou moins prégnant, assimilable à un sentiment de sécurité, soit individuel, soit perceptible globalement dans un climat organisationnel et ressenti, consciemment ou non, vis-à-vis d’un partenaire (individu, organisation ou marque) dans une situation d’échange (de savoirs, de savoir-faire, de biens ou de services) en dépit des risques actuels et potentiels susceptibles d’en découler. » Plus simplement, Bidault41 définit la confiance comme « la présomption que, en situation d’incertitude, l’autre partie va, y compris face à des circonstances imprévues, agir en fonction de règles de comportement que nous trouvons acceptables ». Ainsi bénéficier de la confiance de ses partenaires (clients et fournisseurs) est certainement « un avantage concurrentiel considérable pour n’importe quelle entreprise » S’opposant ainsi au champ transactionnel où le pouvoir est le concept central des réseaux, la confiance d’abord et l’engagement relationnel sont les idées essentielles pour le succès du marketing relationnel. Comme l’engagement entraîne parfois des faiblesses, les parties vont chercher des partenaires en qui ils peuvent avoir 39
Powell W.W, 1987, Hybrid Organizational Arrangements : New Form of Transitional Developement ? California Management Review in Collin Lachaud I, Op.Cit. 40 Guibert, N 1999, La confiance en marketing : fondements et applications, Recherches et Applications en Marketing, in Collin Lachaud I, Op.Cit. 41 Bidault, 1998, Cahier de l’Ismea, Série Sciences de Gestion, Confiance et Gestion in Collin Lachaud I, Op.Cit. 28
confiance. Selon ces auteurs, la confiance existe, quand une partie croit en l’intégrité et la fiabilité du partenaire de l’échange. Ce nouveau paradigme du marketing, semble offrir à des secteurs moins transactionnels, comme la culture, de nouvelles possibilités de connexions, de développement et d’évolution. Mais certains auteurs dénoncent le marketing relationnel que l’ensemble de la doctrine a adopté.
3.2 Le marketing relationnel existe-t-il ? La doctrine reste partagée quant aux vertus du marketing relationnel, et quant à son existence même. Nous verrons quelles sont les limites et quelles sont les forces du marketing relationnel.
3.2.1 Les limites du marketing relationnel « Les nouvelles technologies et les nouvelles manières de gérer les bases de données, associées à une nouvelle répartition des pouvoirs entre fabricants et distributeurs participent à la vaste remise en question de la nouvelle économie », affirme Gilles Marion42. Mais selon lui, il convient de se demander si l’apparition des nouvelles technologies suffit à conclure à un nouveau marketing, s’opposant au marketing transactionnel. Ainsi, l’offre se personnaliserait grâce à des bases de données plus relationnelles. Gille Marion dénonce ensuite l’opposition marketing transactionnel et marketing relationnel : « l’opposé de transaction n’est pas relation pour des raisons pratiques et théoriques. En pratique, parce que toute transaction est enchâssée au sein de relation : les transactions sont quelques-uns des épisodes d’un processus d’interaction (limité ou étendu) ; les relations en tant que phénomènes, font partie de tout échange d’influence. » Son argumentation lui permet de conclure qu’on ne peut trouver dans le monde du travail, qu’il soit marchand ou pas, des motifs conduisant les acteurs à développer des relations durables basées sur la confiance.
42
Gilles Marion, 2001, Le Marketing relationnel existe-t-il ? Décisions Marketing No 22 29
3.2.2 Les facteurs de réussite du marketing relationnel D’autres auteurs au contraires s’attachent à analyser et préciser le phénomène : Björn Ivens et Ulrike Mayrhofer43 expliquent comment l’entreprise peut améliorer l’efficacité d’une politique de marketing relationnel. Les auteurs mettent en relief huit facteurs qui permettent de réussir une stratégie de marketing relationnel.
Figure 1 : Les facteurs de réussite du marketing relationnel
usage modéré du pouvoir
orientation à long terme
résolution de conflit
réciprocité
solidarité
fiabilité flexibilité
échange d’information
Source : Ivens, Björn et Mayrhofer,2003, Les facteurs de réussite du marketing relationnel , Décisions Marketing, n31 (1) Orientation à long terme : dès les premières interactions et tout au long de la relation, l’entreprise doit exprimer envers le client sa motivation de maintenir l’échange. Une telle orientation permet d’établir une solide base de confiance et démontre l’engagement sincère de la part de l’entreprise. 43
Björn et Mayrhofer, 2003 Les facteurs de réussite du marketing relationnel, Décisions Marketing, n31
30
(2) Réciprocité : dans une relation à long terme, il n’est pas nécessaire que les partenaires maximisent leurs bénéfices dans chaque transaction, l’essentiel étant que le total du bilan
relationnel soit équilibré. L’entreprise doit montrer à sa clientèle
qu’elle vise à optimiser le profit mutuel selon une relation gagnant/gagnant. (3) Fiabilité : lors de chaque échange, le contrat (formel ou informel) établi entre les deux parties définit les rôles du vendeur et du client. Dans une relation à long terme, les tâches exercées par le vendeur ne sont pas toujours définies de manière explicite. Une entreprise soucieuse de démontrer son orientation relationnelle tentera de comprendre les attentes de sa clientèle par rapport aux tâches à accomplir. Elle s’efforcera de remplir ces rôles de façon constante pour démontrer sa fiabilité. (4) Echange d’informations : des informations cohérentes constituent une condition indispensable à toute prise de décision. L’échange d’informations pouvant être utiles au partenaire représente un avantage indéniable pour les deux parties et constitue une preuve de confiance. (5) Flexibilité : les transactions économiques sont généralement fondées sur des accords plus ou moins formels entre les parties concernées, avec pour objectif d’anticiper des situations futures. Dans certaines situations, il se peut que la réalité ne corresponde pas aux prévisions définies au moment de l’accord. La disposition d’un fournisseur à adapter un accord aux nouvelles conditions d’un échange, par exemple en modifiant les quantités ou les délais de livraison, exprime son intention de maintenir la relation avec le client en respectant les intérêts de chacun. (6) Solidarité : dans des situations difficiles, une forte orientation relationnelle peut inciter le fournisseur à proposer de l’aide au client (dans la mesure de ses possibilités mais sans contrepartie concrète immédiate). Cette aide peut être plus ou moins matérielle. (7) Résolution de conflits : en cas de conflit, les litiges devant les tribunaux s’avèrent particulièrement nuisibles à une relation d’affaires. Dans une perspective relationnelle, les parties impliquées cherchent à trouver un compromis en s’appuyant sur des 31
pratiques souples, privilégiant la conciliation des intérêts de chaque partie, afin de permettre la continuation de la relation concernée. (8) Usage modéré du pouvoir : dans les relations avec ses clients, l’entreprise peut se trouver dans des positions de pouvoir très variées. Elle pourrait de ce fait utiliser des moyens de pression pour atteindre ses objectifs. Or, ces moyens peuvent rendre le climat d’échange difficile. Pour maintenir la confiance des acteurs du réseau, une entité détenant une position de force renoncera à l’usage des moyens de pression pour imposer ses intérêts. Björn Ivens et Ulrike Mayrhofer montrent aussi que la performance d’une stratégie de marketing relationnel dépend non seulement des structures (par exemple, le management des comptes-clés) et instruments (banques de données, marketing direct) utilisés, mais aussi de la mise en place de l’idée relationnelle dans l’interaction courante avec les autres acteurs. Ainsi, tous les salariés engagés dans l’interaction avec la clientèle doivent adopter un comportement qui reflète l’objectif relationnel.
Tous ces éléments semblent concorder avec le management des arts et de la culture, l’interaction au sein d’un réseau d’acteurs culturels qui ne seraient pas en situation de concurrence, mais en situation de collaboration. Le management d’un centre culturel, le marketing des activités qu’il propose, paraissent avoir tout intérêt à utiliser ces méthodes.
3.3 Le paradigme du marketing relationnel est-il pertinent dans le management d’un centre culturel ? Isabelle Collin-Lachaud44 continue son argumentation sur l’application du marketing relationnel au champ culturel et notamment à propos des festivals. Mais la portée de son analyse va bien au-delà, et on peut se demander si le marketing relationnel est tout aussi applicable dans le management des centres culturels. 44
Collin Lachaud I, Op.Cit. 32
Dans le champ culturel du spectacle vivant, l’échange se concrétise entre « producteurs » et « consommateurs » sur la base d’une communauté de valeurs entre individus qui constitue en fait le produit réel45. C’est donc la relation développée entre « organisateurs-offreurs » et leur public qui importe. Des produits très implicants, tels que les spectacles vivants et les arts en général, « […] ne constituent pas des entités objectives mais plutôt des symboles subjectifs »46. Ainsi, l’échange ne relève pas de la simple transaction matérielle (achat de billets pour assister à des concerts) mais de la nature relationnelle de l’échange affectif et esthétique établi entre « offreurs » et « demandeurs » sur la base de valeurs (convivialité, tolérance, échanges) Plusieurs particularités du champ culturel possèdent un lien direct avec le paradigme du marketing relationnel ; les plus importantes concernent la multiplicité des parties prenantes, le rôle actif et l’interdépendance des partenaires, et l’importance de la communication réciproque.
3.3.1 La multiplicité des parties prenantes Lorsque les sources de financement des activités culturelles sont multiples, les cibles et l’action marketing ne peuvent être que plus complexes. Isabelle Collin Lachaud différencie ainsi trois niveaux : le marketing aval : la cible est le consommateur (marketing classique), le marketing amont correspond aux fournisseurs de biens et de services, et le marketing latéral correspond aux partenariats privés et publics. Ces trois cibles coexistent pour de nombreuses entreprises culturelles, avec des importances relatives variables selon les cas et l’origine de leur financement. Dès lors, 45
Bergadaà M., Stella-Bourdillon, B., et Nyeck, S., 1993 Le théâtre, de la création à la culture : quelle place pour le marketing ? , Actes de la 2ème conférence internationale sur le management des arts et de la culture (AIMAC), in Collin Lachaud I, Op.Cit. 46 Holbrook, M.B., et Hirschman, E.C, 1982 Op.Cit. 33
la problématique majeure est de permettre la cohérence entre les actions menées auprès de ces différentes catégories de partenaires. Le paradigme du marketing relationnel et son approche de la relation dans la durée pourraient permettre aux organismes culturels d’assurer cette cohérence tant en interne qu’en externe. Ces relations multilatérales seraient mises en oeuvre dans un même esprit de confiance et de coopération dont l’objectif serait la satisfaction mutuelle.
3.3.2 L’interactivité et l’interdépendance des partenaires Le marketing relationnel serait donc caractérisé par une interdépendance et une coopération mutuelle. Cette caractéristique apparaît adaptée avec le fonctionnement des institutions culturelles en général. En effet, les différentes parties prenantes d’un centre culturel sont interdépendantes : sans public, pas d’artiste, sans partenaire, pas d’évènement, sans évènement, pas de cible pour les partenaires. Les différentes parties sont alors actives dans la préparation et l’aboutissement d’un accord. C’est notamment le cas des partenaires privés pour la définition, la négociation et la mise en oeuvre des accords de parrainage.
3.3.3 L’importance de la communication entre les parties en relation Enfin, il nous semble important de citer une autre caractéristique énoncée par Isabelle Collin-Lachaud :
l’importance
que
tient
la
communication
réciproque.
La
communication entretient la confiance, qui elle-même développe la communication ; pour cela, cette communication doit être bilatérale et non à sens unique. En outre, si le marketing est un terme encore parfois tabou parmi les acteurs du champ culturel, celui de la communication ne l’est pas, qui plus est, il est largement utilisé et mis en pratique dans le champ culturel comme vont le montrer les entretiens menés dans le cadre de ce travail. 34
Ces différentes raisons confortent l’idée que le paradigme relationnel est plus en accord avec les caractéristiques d’un centre culturel que celui du marketing transactionnel.
Le marketing relationnel s’appuie sur les relations de confiances et de mutuels bénéfices. Le paradigme culturel oblige les entreprises culturelles à trouver de multiples partenaires ou sources de financements. Ces relations doivent s’appuyer sur la confiance et la flexibilité des associés et des acteurs de l’entité culturelle. Ainsi, il semble que le marketing relationnel soit non seulement adapté au management des arts, mais il paraît également être une technique exigée à la réussite des objectifs d’un centre culturel.
35
SYNTHESE
Les relations entre la culture et le marketing sont souvent dénoncées au nom de l’idéal de l’esthétique ou de la création contre l’industrie et l’économie. Mais la plupart des responsables des organisations culturelles comprennent qu’il est aujourd’hui évident d’adapter les méthodes de marketing à leurs activités. La doctrine l’a largement
démontré
et
la
pratique
majoritairement
adopté.
Cependant,
le
développement du marketing culturel n’est pas une extension du marketing traditionnel. En effet, le paradigme culturel paraît appartenir à une dimension distincte. Si les règles de l’offre et de la demande l’ont intégré depuis toujours, les paramètres sont différents et nécessitent d’autres études continuant aujourd’hui d’être traitées. Nous avons choisi d’intégrer les questions relatives à la consommation et aux produits culturels dans notre problématique pour comprendre quelles méthodes de marketing étaient véritablement utilisables dans un centre culturel. La première hypothèse émise dans le cadre de cette étude concernait le modèle de la consommation culturelle. Il s’agissait en effet de prouver que les consommateurs culturels sont des consommateurs de produits comme sur le marché de la grande consommation. Mais il fallait comprendre que la consommation culturelle se distingue par sa dimension symbolique. A travers l’étude de la spécificité de la consommation culturelle, nous avons identifié les caractéristiques du bien culturel ainsi que les motivations et les avantages recherchés par le consommateur culturel. La doctrine nous a ensuite permis d’identifier comment s’opère le choix du consommateur à travers les sources d’information, la catégorisation du produit culturel ou son prix. Enfin l’étude de la consommation culturelle prouve que le vécu de l’expérience du consommateur est un grand facteur explicatif du bénéfice que recherche le consommateur. Par tous ces aspects, l’hypothèse a été confirmée, le bien culturel est un produit complexe, mais reste un produit de consommation.
36
De cette première hypothèse découle notre deuxième interrogation. Si la culture est un produit, est-il possible d’utiliser les techniques de marketing pour influencer le choix du consommateur ? Nous avons ainsi déterminé puis étudié le management des arts par l’analyse des étapes de la définition de l’art et de ses mutations dans la société de consommation. Le développement des nouveaux produits culturels nous a ensuite permis de comprendre que le marketing permettait de convaincre les consommateurs et maintenir son audience pour continuer d’exister. La confirmation de cette hypothèse nous a permis de conclure que le marketing était applicable au champ culturel. La singularité du produit culturel nous a toutefois emmenés vers une dernière question. Si les consommateurs culturels peuvent être influencés dans leur choix par les techniques de marketing, le produit culturel n’en reste pas moins un produit différent et complexe. Il serait alors logique de ne pas appliquer le même marketing mais de l’adapter à ce produit distinct. L’étude du marketing relationnel dans sa définition et son application paraît correspondre à la problématique du management culturel. Il convenait donc de se demander dans quelle mesure le marketing relationnel peut s’étendre au champ culturel ? En explorant le concept du marketing relationnel, nous avons réalisé que son application se basait sur le concept d’échange de collaboration et de confiance. S’écartant du marketing transactionnel, les méthodes du marketing relationnel conviennent au management culturel et son étude valide la troisième hypothèse. Cette troisième partie nous a permis d’analyser pourquoi l’application du marketing relationnel se combine particulièrement bien avec le management d’un centre culturel. Les trois hypothèses émises au début de chacun des chapitres ont donc été vérifiées par la combinaison des textes et des articles de recherches appliquées à notre problématique. Elles proviennent de la lecture d’ouvrages et de revues sur le marketing et /ou sur la culture. Il conviendrait donc de confronter la validation de ces hypothèses avec une expérience concrète acquise sur le terrain. C’est ce que propose de faire la seconde partie de ce mémoire : il s’agit de l’application pratique des hypothèses théoriques émises précédemment. 21 semaines de stage au sein de l’Alliance Française de Buenos Aires vont permettre de répondre à la problématique de départ 37
38
Partie pratique
La première partie de ce mémoire a posé les jalons théoriques de la réflexion sur les applications des techniques de marketing au champ culturel, plus particulièrement concernant le management d’un centre culturel. Nous entrons dans la deuxième phase de ce mémoire, dont le but est de valider les hypothèses émises en première partie grâce à l’expérience sur le terrain. Notre stage à la direction des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires en Argentine va servir de base à cette deuxième partie. La confirmation des hypothèses par l’expérience de terrain ne va pas uniquement se fonder sur l’observation. Nous avons eu l’occasion de recourir à des enquêtes et des sondages dirigés antérieurement en interne, permettant une analyse méthodique et rigoureuse. Nous avons également mené des entretiens qui viendront appuyer notre réflexion. Les précisions méthodologiques et leurs limites seront fournies à chaque fois qu’il le sera nécessaire. A chaque fin de chapitre, nous veillerons à remettre en perspective les choix opérés par l’Alliance Française et si possible, nous pourrons formuler quelques préconisations. Il serait pertinent de comparer cette structure avec les organismes de diffusion culturelle des autres pays. Nous pensons au Goethe Institut, véritable réseau de transmission de la pensée allemande dans le monde, l’institut Cervantès, pour la culture espagnole ou le Dante Alighieri pour la culture italienne. Bien que tous distincts dans leur fonctionnement, ces organes ne sont que des exemples parmi d’autres et sont tous présents à Buenos Aires. Relativement influentes dans le monde culturel de la capitale Argentine, ces entités sont souvent des partenaires de l’Alliance Française. L’objet de cette étude se limite cependant à la stratégie de communication de l’Alliance Française et au marketing relationnel. Il convient dans un premier chapitre d’analyser le cadre d’action de l’Alliance Française et sa place dans la diplomatie culturelle française. En effet, l’Alliance reste une entité rattachée au Ministère des Affaires Etrangères. Ceci fait d’elle un centre
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culturel particulier, et cet aspect est indispensable à comprendre sa stratégie de communication. Il sera nécessaire par la suite de déterminer qu’elle est la stratégie de communication choisie par la direction des activités culturelles, avant d’illustrer l’application du marketing relationnel par les missions confiées au cours du stage ainsi que par les entretiens des principaux acteurs du projet ‘Paris- BUE’.
40
CHAPITRE 1 Présentation de l’Alliance Française
« De la Terre de feu aux confins du Canada, de la pointe du continent africain au nord de l’Europe, sur l’immense territoire asiatique comme en Océanie, les Alliances françaises vivent en harmonie avec leur environnement. Elles prennent toujours leurs sources à l’étranger et sont l’expression de la volonté locale de francophiles qui désirent partager leur amour de la langue et de la culture françaises avec leurs concitoyens. Grâce au label « Alliance Française », les comités bénéficient du cadre idéal pour mener à bien leur action sur ces deux terrains La mission pédagogique est prolongée par une politique culturelle ambitieuse qui prend des formes diverses selon les communautés : conférences, expositions ou encore créations artistiques et spectacles vivants. Les Alliances doivent également leur réussite à une insertion remarquable dans le tissu social. De par leurs statuts, ces associations de droit local disposent en effet d’une réelle autonomie et sont administrées par des responsables locaux. Ainsi, le réseau des Alliances porte l’image d’une France ouverte au dialogue avec toutes les cultures du monde Partout dans le monde, les Alliances sont pour leur public un trait d’union avec la France contemporaine » Le réseau de l’Alliance Française est ainsi présenté dans son dossier de presse et sur le site internet de sa délégation47. Au-delà des prérogatives qui lui sont propres, elle est surtout un organe institutionnalisé. Devenu un véritable outil de la politique culturelle que souhaite exercer le Ministère des Affaires Etrangères français, elle est donc une entité particulière. Ce chapitre analysera la politique culturelle française à l’étranger et étudiera les aspects du réseau de l’Alliance Française dans le monde. Il tentera d’expliquer en quoi l’Alliance Française de Buenos Aires est ainsi un centre culturel distinct dans la vie culturelle de la capitale Argentine.
47
http://www.alliancefr.org/html_fr/vocation.html 41
Pour un pays ayant participé massivement à la colonisation, la politique culturelle est l’un des piliers de ses relations internationales. L’Alliance Française occupe une place particulière dans les échanges culturels internationaux, elle a su tisser un réseau pionnier, bien avant que ce concept ne devienne clé dans tout bon raisonnement stratégique. Grâce à son implantation dans 138 pays sur 150 environ, ses comités à l'étranger forment un maillage territorial à échelle mondiale, et bien que le but de cette association ne soit pas politique, son intérêt géostratégique réel en matière de politique étrangère n'a pas échappé à l'Etat français, prompt à instrumentaliser une structure peu coûteuse à des fins diplomatiques. En effet, l'Alliance Française entre dans le champ la diplomatie culturelle : elle représente et promeut la culture française à l'étranger ainsi que les artistes résidant en France, mettant la diplomatie au service de la culture, mais l'ambivalence de cette notion réside dans ce qu'à l'inverse, la culture se met également au service de la diplomatie qui est l'instrument d'un Etat souverain. Cela est vrai notamment parce que la diplomatie, entendue au sens strictement politique, a parfois besoin d'un terrain qui ne le soit justement pas, au moins en apparence, comme la culture, et ce en cas d'échec avec les méthodes traditionnelles. Par exemple, il est certain que les directeurs des Alliances Françaises de Chine récemment ouvertes comme Pékin (1996), Wuhan (2000) ou Shanghai (réouverte en 1993) vont être amenés à déployer des trésors de diplomatie pour mener à bien leur mission, qui, simultanément, ne va pas se cantonner à la diffusion de la culture française. Ils vont aussi rencontrer les hommes politiques là où des diplomates en poste ne le pourraient pas et accomplir des missions diplomatiques politiques sous couvert d'échanges culturels. Par conséquent, l'Alliance Française est également une association institutionnalisée puisqu'elle fonctionne comme bras séculier du pouvoir politique français dans les domaines de la francophonie et de la diplomatie culturelle, c'est-à-dire des politiques publiques culturelles à l'étranger. Il est important de préciser le dispositif culturel français à l'étranger. Quelles structures existent dans le domaine de la politique culturelle française ? Quelles sont leurs caractéristiques ? Quel rôle spécifique joue l'Alliance dans ce dispositif de 42
communication culturelle ? Tous ces aspects font de chaque Alliance Française un centre culturel particulier avec des prérogatives particulières. 1.1 Le réseau culturel français à l’étranger « ...les Alliances Françaises (...) constituent un élément majeur de notre dispositif culturel à l'étranger... » Yves DAUGE48 C’est au 17ème siècle que la diplomatie française connaît un fort développement pour devenir la plus importante d'Europe, une supériorité qu'elle conservera jusqu'au 19ème siècle, acquérant ainsi un fort prestige en dehors de ses frontières. Les traités internationaux sont à cette époque rédigés en Français Conscient du déclin progressif de son influence politique et de son rayonnement culturel à la fin du 19ème siècle, l'Etat français comprend que la culture et la langue françaises peuvent constituer des enjeux d'influence politique. Né de cette prise de conscience, le réseau culturel français se compose aujourd'hui à la fois des établissements culturels, instituts ou centres, créés sur initiative étatique, et des Alliances Françaises, fondées sur l'initiative privée de personnalités françaises souhaitant regrouper les amis de la France à l'étranger. Les efforts du réseau sont orchestrés au niveau gouvernemental par la DGCID, organe du Ministère des Affaires Étrangères.
1.1.1 Les centres culturels et de coopération La création d'instituts et de centres culturels, actuellement les principaux vecteurs de diffusion de la francophonie avec les établissements d'enseignement du français (lycées, universités et alliances), a correspondu au souhait de l'Etat de fonder à l'étranger des lieux destinés à la formation de savants ou d'artistes français, sortes d'antennes ouvertes à l'étranger par des universités françaises afin de permettre à
48 Yves
DAUGE 2001, rapport d'information n°2924 sur les centres culturels français à l'étranger, document interne Alliance Française
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leurs étudiants et chercheurs spécialisés de continuer leurs travaux dans le pays de leurs études.
1.1.2 Les établissements de « première génération » Les établissements dits de « première génération » forment un ensemble de grands établissements d'enseignement supérieur qui relèvent du ministère de l'Éducation Nationale. Ils avaient pour mission initiale de mettre en place une action culturelle, surtout en organisant pour les étudiants étrangers des conférences et des cours, notamment de littérature et de civilisation française. Ces instituts, qui sont situés en Europe pour la plupart, sont les suivants : l'Académie de France à Rome (créée en 1666 et intégrée à ce réseau), l'Ecole française d'Athènes (1864), l'Ecole française de Rome (1874), l'Institut français d'archéologie orientale du Caire (1880), l'Institut français de Florence (1908), l'Institut français de Londres (1910), la Maison franco japonaise (1924), l'Institut français de Lisbonne (1928), l'Institut français d'archéologie d'Istanbul (1930), la Maison Descartes d'Amsterdam (1933) et l'Institut français de Stockholm (1937). 1.1.3 Les établissements de « seconde génération » Une seconde vague de création d'instituts eut lieu après la Libération, plus précisément entre 1946 et 1948, pour donner ce que l'on appelle les établissements de « seconde génération ». Placés sous la tutelle du Ministère des Affaires Étrangères cette fois, ils étaient chargés d'organiser des manifestations dans tous les domaines de la vie culturelle : conférences, colloques, séminaires, expositions artistiques ou documentaires, présentation de livres, spectacles de théâtre, de danse, concerts, projections de films... L'implantation de ces nouveaux établissements visait plus large, car outre l'Europe, ils étaient censés desservir davantage le Proche et le Moyen Orient ainsi que l'Amérique latine. On peut citer entre autres, l'Institut français d'études d'archéologie du Proche Orient (IFAPO) et le Centre d'études et de recherches sur le Moyen Orient contemporain
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(CERMOC) de Beyrouth, l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC) de Tunis et de Rabat…
1.2 Caractéristiques de ce réseau Contrairement à l'Alliance Française, l'ensemble de ces établissements « sont dans la plupart des cas de simples prolongements administratifs des ambassades », Contrairement à l'Alliance Française, ils ne jouissent pas de la personnalité morale. La diplomatie culturelle dispose actuellement d'un réseau de 151 établissements répartis dans 91 pays dotés de l'autonomie financière, qui se répartissent en 145 centres culturels à proprement parler et 6 établissements à vocation scientifique et universitaire, et qui accueillent habituellement 170000 étudiants dans leurs cours de langue. On peut ajouter à ce chiffre 68 annexes et 4 établissements franco étrangers (Guinée, Mozambique, Namibie et Niger), plus 27 centres de recherche qui dépendent directement du ministère des Affaires Étrangères. Au total, ce sont 250 espaces d'accueil promouvant la culture française à l'étranger sous le contrôle de l'Etat. Selon le récent rapport remis par Yves Dauge, il s'agit d'un réseau en difficulté à plusieurs titres. Bien qu'« à fort potentiel » et d'une « réelle richesse », il se trouverait « en péril » à cause de trois travers que l'auteur dénonce : le réseau est « sans crédits », « sans unité ni mémoire » et « sans vision d'avenir ». De plus la programmation du réseau donnerait de la France l'image d'un « pays de culture certes, mais d'une culture plus passée que présente, plus figée que vivante, plus traditionnelle que créative. » En bref, tout sauf le reflet de la modernité et de l'innovation : « L'image de la France à travers le monde, il faut en être conscient, tend à vieillir : tout se passe comme si, vue de New York ou de Tokyo, la peinture française s'était arrêtée aux impressionnistes, la musique à Debussy ou Ravel, la littérature à Camus ou Sartre, la science à Pasteur... »
1.3. La spécificité des Alliances Françaises 45
1.3.1. Complémentarité Le réseau des Alliances Françaises offre une «complémentarité » avec le réseau des établissements culturels dont la vocation était assez proche. Dans une cinquantaine de pays, surtout en Amérique latine et en Asie, il n'existe pas d'autres relais pour l'action culturelle française. L'Etat aurait tort de se priver de ce précieux relais, d'autant qu'il s'avère moins onéreux et plus simple de renforcer l'effort d'association des alliances à l'action des postes diplomatiques
1.3.2. Efficacité L'efficacité du réseau des Alliances Françaises, qui tient à son organisation de nature privée et à la coordination assurée par l'Alliance Française de Paris n'a pas échappé à l'Etat qui a établi un partenariat avec certaines d'entre elles. Basé depuis 1995 sur des conventions d'objectifs complétées par des avenants annuels précisant les engagements des deux parties, ce partenariat est complété par un recrutement et une formation des agents identiques à celui des directeurs de CCC (centres culturels et de coopération) et une formation des directeurs d'Alliances conventionnées.
1.3.3. Promotion culturelle L'Alliance Française, dont l'activité primordiale reste l'enseignement de la langue française, a néanmoins diversifié son offre et accordé une place grandissante à la culture, et pas seulement par le biais de la littérature comme c'était le cas par le passé. Cette évolution, qui tend à passer de la promotion de la langue à la culture avec par exemple la présentation de spectacles ou plus généralement des oeuvres et des artistes peu connus à l'étranger, que des distributeurs commerciaux refuseraient de diffuser, cherche à attiser la curiosité
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du public d'abord en lui faisant découvrir un aspect de la culture française qu'il n’aura pas l'occasion de voir ailleurs. Car l'Alliance a sa dynamique propre, elle se veut un espace ouvert sur le dialogue avec les autres plutôt qu'une simple vitrine de la culture autorisée et figée. C'est dans cette nouvelle stratégie de sensibilisation que s'inscrivent les activités culturelles de l’Alliance Française.
1.4. Coordination de ce réseau 1.4.1. La réforme administrative de 1999. En 1999 a eu lieu une réforme administrative au sein du Ministère des Affaires Étrangères : celui-ci a fusionné avec l'ancien ministère de la coopération, ce qui a eu pour effet de réorganiser leurs services respectifs. Ce que la réforme a notamment changé, c'est la gestion des centres culturels et de coopération (CCC), appellation désignant l'ensemble des établissements culturels à vocation pluridisciplinaire du réseau français à l'étranger, dont un arrêté du 20 avril 1999 a fixé la liste et précisé les compétences. Ils sont désormais chargés au cas par cas et sous l'autorité de l'ambassadeur :
1.4.2. La DGCID Issue de la réforme du Ministère des Affaires Étrangères, l'ancienne Direction Générale des Relations Culturelles, Scientifiques et Techniques (DGRCST) a fusionné avec la direction du développement du ministère délégué à la Coopération et à la Francophonie pour donner la nouvelle Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement (DGCID). Elle a pour mission de mettre en oeuvre au niveau mondial l'action culturelle de la France ; Le bureau des établissements culturels et des Alliances Françaises, créé au sein de cette direction, est aujourd'hui le principal interlocuteur des établissements du réseau.
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Organisation hiérarchique des services de l'Etat relatifs à la politique culturelle extérieure
1.4.3. Conseillers et attachés culturels Les conseillers et attachés culturels cumulent souvent leurs fonctions à l'Ambassade de France avec la direction d'un institut local ou un autre poste à responsabilité lorsqu'il existe dans la capitale d'accueil. A Singapour par exemple, l'attaché culturel
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de l’Ambassade de France était également attaché audiovisuel à l'Alliance Française de Singapour. Leur mission se décline en trois volets : diplomatie, communication, pédagogie et administration. Ils jouent également le rôle d'animateurs culturels : ils s'occupent de l'accueil des conférenciers, des expositions, des tournées théâtrales (en étroite collaboration avec l'Agence Française d'Action Artistique), de l'envoi de livres et de films.
1.5 L’Alliance Française de Buenos Aires L’Alliance Française de Buenos Aires a été fondée en 1893 par le docteur François Simon avec un groupe d’hommes d’affaires, de personnalités françaises et argentines. Le Dr. François Simon est investi par le comité central (Alliance Française de Paris) des fonctions de Délégué général de l’Alliance Française de Paris pour la République Argentine, au mois de mai 1893 le premier Comité de l’Alliance Française de Buenos Aires). Ce premier comité, composé de vingt membres, se réunissait pour la première fois le 12 juin 1893. C’est lors de cette réunion que fut élu le premier Président de l’Alliance Française de Buenos Aires en la personne de M. Alexis Peyret. La mission confiée à ce Comité est de recruter des adhérents et de mettre en œuvre le programme de l’Alliance Française. Les différents Comités qui se sont succédés ont relevé ce défi. Ils ont réussi à faire de l’Alliance Française de Buenos Aires une institution reconnue pour la qualité des cours qu’elle dispense et un centre culturel français unique à Buenos Aires.
1.5.1 L'Alliance Française: une école de langue. Dans les premières années de sa création, l'Alliance Française de Buenos Aires se limita à encourager l'enseignement du français dans les collèges de l'Etat et dans les écoles privées de la capitale, en attribuant, par exemple, des prix aux meilleurs élèves. A partir de 1896, elle commence à élaborer des examens validant les acquis 49
en français des élèves et permettant l'obtention de diplômes. Le succès de ces examens fut tel que le conseil d'administration décida de créer ses propres cours. L'Alliance Française élabora donc des programmes et s'installa dans des locaux généreusement mis à sa disposition par le ministère de l'Instruction Public Publique Argentine. L'Alliance Française était devenue une véritable école de langue. Les cours remportèrent un succès important. Afin de pouvoir accueillir le nombre sans cesse croissant d'élèves, elle fut dans l'obligation de louer de nouveaux locaux, puis de faire l’acquisition, en 1928, du bâtiment de la rue Córdoba qu'elle occupe toujours. L’Alliance Française de Buenos Aires n'a dès lors cessé de développer son activité. Elle a élargi son champ d'action en ouvrant des centres dans la capitale et dans le grand Buenos Aires, principalement dans les années 1960/1980. Dans les années 1990, face à la baisse de son public traditionnel, elle a développé de nouveaux services destinés à de nouveaux publics. Elle a ainsi crée son service de cours en entreprises, s'est ouverte au monde universitaire et a renforcé sa capacité à s'adapter aux demandes diverses de nouveaux publics. Elle a également recentré son activité en réduisant le nombre de ses centres. Aujourd'hui, l'offre de l'Alliance Française de Buenos Aires est diversifiée et s'adresse à des publics variés : des cours pour enfants jusqu'aux cours pour les entreprises et les universités, en passant par des cours de français professionnel, des cours (répétition) intensifs ou particuliers. Elle propose également un apprentissage individualisé et autonome du français grâce à son laboratoire multimédia, outil unique en Argentine. La formation régulière de ses professeurs par des formateurs français, garantit à ses étudiants un enseignement de qualité. De plus, l'Alliance Française offre la possibilité de préparer des diplômes reconnus au niveau international, comme par exemple le Diplôme d'Etudes en Langue Française et le Diplôme Approfondi en Langue Française, ou encore les Certificats professionnels de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris ou de la Chambre de Commerce franco-argentine de Buenos Aires.
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1.5.2 L'Alliance Française: un centre culturel Au cours des années, le bâtiment de l'avenue Córdoba a dû être agrandi, repensé et transformé afin de permettre à l'Alliance Française d'accueillir ses étudiants tout en proposant des activités culturelles destinées, en priorité, à offrir à son public des moments de culture française. L'Alliance est ainsi devenu un véritable centre culturel. Cette association entre des cours de français d'une très grande qualité et un espace culturel français unique à Buenos Aires, a permis à l'Alliance Française d'acquérir très vite le prestige d’un grand centre. Cette volonté d'ouvrir une fenêtre sur la culture et la pensée françaises n'a cependant pas attendu que des travaux soient effectués pour s'exprimer. En effet, dès 1905, dans le bulletin trimestriel de l'Alliance Française de Buenos Aires, culture et pensée françaises étaient déjà présentes. Cette diffusion culturelle au travers des publications de l'Alliance Française se retrouve tout au long de son histoire : dans les années 1950/1960, dans les colonnes du magazine " Confluences " (revue de l'Alliance Française de Buenos Aires née en mai 1956), dans les années 1980 avec la revue " Alliance Française " Mais la véritable portée culturelle de l'Alliance Française de Buenos Aires réside avant tout dans sa capacité à organiser des événements, qu'il s'agisse de concerts, de projection de cinéma, de conférences. A partir des années 1960, l'Alliance Française de Buenos Aires a son propre théâtre, le TAF (Théâtre de l'Alliance Française), et sa propre troupe qui, jusqu'en 1993, a mis en scène et joué les grandes œuvres du théâtre français. Dans les années 1970, elle a créé son chœur. Il interprétera des œuvres de compositeurs français jusqu'au début des années 1990. De nombreuses personnalités culturelles, politiques, scientifiques, sportives sont intervenues à l'occasion d'évènements. Les noms de Joséphine Baker (1929), de Jorge Luis Borges (1966 entre autre), de M. Jacques Chirac, Président de la république Française (1997), d'Edgar Morin (2000), démontrent le rôle de l'Alliance Française sur la scène des échanges franco-argentins. Enfin, pour renforcer son rôle de " diffuseur " de la pensée française et consolider sa présence au cœur de la ville, a entrepris une nouvelle restructuration de son siège 51
dans les années 1990. Au niveau architectural, l'objectif était d'ouvrir l'institution à tous les publics. C'est ainsi que fut décidée la transformation de sa structure. Dans le même état d'esprit, une galerie dédiée à l'art contemporain a été créée, l'auditorium a été réaménagé et en 1996 sa nouvelle médiathèque a été inaugurée.
En conclusion, l’Alliance Française de Buenos Aires est donc un organe mixte, à la fois institutionnel, de part ses relations avec le Ministère des Affaires Etrangères, et un organe privé argentin, avec une philosophie et un budget qui lui sont propres. Ceci lui permet de développer sa programmation et ses propres activités culturelles. Il s’agit donc bien d’un centre culturel particulier dont les enjeux sont le métissage de la politique culturelle française et la volonté de sa direction de préserver l’image d’un haut lieu culturel de Buenos Aires et de l’Argentine. Au-delà des prérogatives et des missions de l’Alliance Française de Buenos Aires, nous nous intéresserons donc à ses activités culturelles, véritable vitrine de sa philosophie. C’est dans ce contexte que les stratégies de communication donnent à cette institution toute sa notoriété.
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Chapitre 2 Les choix de l’Alliance Française de Buenos Aires : une identité claire, singularisée par trois axes de communication.
L’Alliance Française de Buenos Aires détermine ses activités culturelles selon les prérogatives du Ministère des Affaires Etrangère, et de l’Ambassade de France en Argentine, mais elle s’adapte également à la scène culturelle argentine. Dès lors, on peut parler d’une stratégie de standard adapté. La multiplicité de tous les ‘commanditaires’ apparaît comme un poids limitant la marge de manœuvre de la direction des activités culturelles. Mais son mode de fonctionnement multipliant les relations et les projets avec ses partenaires, et le savoir des ses acteurs, fait de l’Alliance Française de Buenos Aires un haut lieu culturel de la capitale et une force de diffusion unique.
Méthodologie Pour déterminer les choix de communication de la direction des activités culturelles, nous avons choisi d’analyser les documents internes, les bilans des années précédentes ainsi que les notes confidentielles adressées à la direction du service de collaboration et d’action culturelle de l’Ambassade de France en Argentine. La plupart de ces documents ont été gracieusement mis à ma disposition mais ne peuvent êtres révélés en annexes. L’analyse qui en a été faite nous a permis la compréhension des lignes principales de la stratégie actuelle de l’Alliance Française ainsi que ses objectifs et ses cibles. L’étude est surtout alimentée par un entretien avec le directeur des activités culturelles et par le travail quotidien à ses côtés. Par souci de clarté, la stratégie de communication est découpée en trois parties (choix des partenaires stratégiques, marketing direct et relations publiques).
Nicolas Peyre est le directeur des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires et de la délégation argentine. Dans son bilan d’activité de l’année
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200349 adressé à Monsieur Alain FOHR, Conseiller de Coopération et d´Action Culturelle de l´Ambassade de France en Argentine, Nicolas Peyre analyse les différents aspects de la programmation culturelle de l’Alliance à Buenos Aires, précisant ses objectifs, ses forces et ses faiblesses. Il précise les trois grands axes de développement qui ont été choisis pour donner au centre culturel sa propre identité : les débats d’idées, les musiques actuelles, et le cinéma indépendant. En accord avec toutes les prérogatives que doit respecter la direction des activités culturelles, la stratégie de communication de l’Alliance Française de Buenos Aires est également soumise au budget qui lui est accordé. Il est important de savoir que le budget de fonctionnement est excessivement réduit, du fait de la situation financière argentine, mais aussi de la politique culturelle française. L’Alliance Française de Buenos Aires n’a pas souhaité révéler le budget. La direction des activités culturelles a dû adapter ses méthodes de travail aux vues de toutes ces données. Ce chapitre analysera les choix de communication de l’Alliance Française au travers de ses trois axes d’activités culturelles. Tout d’abord, nous préciserons quels sont les cibles et les objectifs de l’Alliance Française. Ensuite, nous tenterons de distinguer ses techniques de promotion pour chacun de ses axes. Ceci nous permettra alors de comprendre quel marketing utilise l’Alliance Française de Buenos Aires.
2.1 Les objectifs et les cibles
2.1.1 Les objectifs Le grand objectif de l’Alliance Française de Buenos Aires est de diffuser la culture française en Argentine.
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Bilan des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires, saison 2003, document confidentiel 54
Dans son bilan de l’année 200250, la direction des activités culturelles souligne l’importance de transmettre de la France une image d’avant-garde. Elle a déjà choisi d’augmenter sa notoriété dans l’art contemporain, par exemple, mais désire se doter d’une connotation plus jeune et alternative. Un autre objectif de la direction des activités culturelles est d’augmenter la fréquentation des évènements qu’elle organise. Une part importante du bilan de l’année 2002 est consacrée à ce point. Les statistiques51 font état d’une augmentation de 40,5% de spectateurs après la redéfinition de la programmation culturelle en 2001. Selon ce même rapport, et malgré un budget inexistant, c’est d’abord une programmation clairement définie qui a permis ces résultats. Enfin, l’Alliance Française souhaite également fidéliser son public, et rester un haut lieu de la culture avant-gardiste de Buenos Aires. Les objectifs du service des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires semble être d’ordre conatif (donner une nouvelle image de la France), cognitif (augmenter la fréquentation des activités culturelles) et affectif (fidéliser le public).
2.1.2 Les cibles La direction des activités culturelles souhaite rajeunir son cœur de cible : « En accord avec la directrice [de l’Alliance Française de Buenos Aires]52, Mme Françoise COCHAUD, il a donc été décidé à la fin de l´année 2001 d´attirer un public plus jeune à l´occasion de nos activités culturelles. Une grande partie de la programmation 2002 a donc été pensée en partie en ce sens. »
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Rapport de la direction des activités culturelles, Alliance Française de Buenos Aires, Nicolas Peyre, document confidentiel. 51 « Soit 17540 spectateurs sont venus entre le 1er mars et le 20 décembre 2002 aux activités culturelles organisées par l´Alliance Française de Buenos Aires » Rapport de la direction des activités culturelles, Alliance Française de Buenos Aires, Nicolas Peyre, 2003, document confidentiel 52 NDLR 55
Nicolas Peyre décrit le nouveau public qu’il désire fidéliser : « Nous recevons désormais à l´occasion de tous nos concerts ou des vernissages de nos expositions consacrés à de jeunes talents, un public issu de la classe d´âge 20-35 ans qui a suivi, ou suit encore, des études supérieures. » Mais selon ce rapport, les cibles secondaires de l’Alliance Française de Buenos Aires sont aussi les intellectuels des sciences humaines, de la psychologie à l’écriture en passant par l’économie, la politique et l’histoire. Dans une note adressé au Conseiller de Coopération et d´Action Culturelle de l´Ambassade de France en Argentine53, Nicolas Peyre décrit la réussite des débats d’idées organisés au cours de la saison culturelle 2003. Il analyse aussi la volonté de continuer cette collaboration avec le milieu universitaire argentin et les échanges avec le milieu intellectuel français. Enfin, la direction des activités culturelles s’entoure d’une cible de prescripteurs. De part ses relations avec différents partenaires, journalistes et producteurs argentins, l’Alliance Française de Buenos Aires souhaite également amplifier ses relations avec une cible composée de leaders d’opinion. Il s’agit des directeurs des grandes institutions culturelles argentines, les principaux acteurs de la mode et du design, ainsi que les diplomates, les journalistes des grands médias et les artistes présents dans la vie publique argentine.
2.1.3 Les objectifs par cibles Il est nécessaire de préciser que la communication de l’Alliance Française de Buenos Aires doit fonctionner sans budget réel qui lui soit consacré. Les nouvelles technologies lui permettent de communiquer à moindre frais par internet. Mais seules les relations publiques et l’écho que ses activités culturelles rencontrent auprès des leaders d’opinion, est l’objet d’une réelle stratégie de communication.
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Compte-rendu de la collaboration en 2003 avec la chaire de “Sociologie de la culture II” du professeur Lucas Rubinich (Université de Buenos Aires), Nicolas Peyre, janvier 2004. document confidentiel 56
Pour satisfaire chacun de ses objectifs en relation avec chaque cible, la direction des activités culturelles a choisi d’orienter sa programmation sur trois axes visibles et clairement identifiés par son public : les musiques actuelles, le cinéma indépendant et les débats d’idées. Les évènements axés sur les musiques actuelles et le cinéma indépendant attirent le cœur de cible de l’Alliance. Les débats d’idées permettent les relations suivies avec les cibles secondaires de l’Alliance. Enfin, le savoir-faire et le savoir-être de son personnel, les relations publiques cautionnées par sa direction et la multiplicité des partenaires stratégiques aux activités culturelles attirent les principaux leaders d’opinion et entraînent l’amplification et la fidélisation de l’ensemble de ses cibles. Il paraît nécessaire de préciser que d’autres facteurs favorisent la réussite de communication de l’Alliance : sa situation spatiale, au centre ville de Buenos Aires, dans une de ses artères principales, ainsi que le confort de ses locaux.
2.2 La stratégie de communication Il semble opportun de décrire la communication engagée dans chacun des axes choisis par l’Alliance selon la méthode d’un marketing-mix. Il faut cependant souligner que ce sont les axes de la programmation eux-mêmes qui font office de stratégie de communication de l’institution. Un spectacle vivant ou une séance de cinéma sont autant de ‘symboles subjectifs’ impliquant le consommateur culturel. Il s’agit en outre d’une vitrine non seulement sur l’institution de l’Alliance Française de Buenos Aires, mais également sur la culture française. Un article paru dans la presse sur l’un des évènements organisé remplit le double objectif de l’Alliance cité dans l’introduction de cette partie. La stratégie de communication esquissée par la direction des activités culturelles a pris en compte un certain nombre de paramètres interculturels pour se situer dans 57
l’offre culturelle locale. Il faut se rendre compte en effet du caractère spatio-temporel particulier dans lequel évolue l’Alliance. Le paradigme culturel argentin et principalement de Buenos Aires est singulier. Il s’agit du milieu culturel d’une capitale d’Amérique Latine. L’Argentine est un pays distinct du reste du continent du fait de son histoire et de son immigration. Mais l’Alliance doit également prendre en compte les réalités de l’Argentine post crise. La crise financière de 2001 a bouleversé les repères traditionnels dans le secteur culturel. Dans le chaos permanent, il est nécessaire que chaque acteur transmette une image claire. La programmation de L’Alliance et les axes choisis semblent être perçus clairement par la demande culturelle. Ainsi, le service des activités culturelles a su dessiner le mapping de l’offre culturelle du Buenos Aires d’aujourd’hui pour mieux définir sa politique. Celle-ci s’appuie sur le choix de partenaires stratégiques (2.2.1), accompagnée d’une communication interactive très ciblée (2.2.2) et de relations publiques (2.2.3)
2.2.1 Le choix de partenaires stratégiques Le milieu artistique fonctionnant par réseau, le choix de partenaires clés paraît une donnée essentielle pour séduire les consommateurs culturels et les influencer dans leur choix, conformément aux études d’Evrard54
Les musiques actuelles En s’associant avec un producteur indépendant de la scène alternative argentine55, la direction des activités culturelles a choisi d’organiser des évènements électroniques d’avant-garde. Le bénéfice provient de la synergie que permet ce genre de partenaire : avec des magazines influant (Los Inrockuptibles, …) mais aussi avec des groupes argentins conformes à l’orientation de l’Alliance. 54
Evrard, 2001 Op.Cit. Première partie, Chapitre 1.2 Le choix dans la consommation culturelle 55 Leandro Frias Producciones 58
Ainsi, après la réussite d’un cycle de concerts électro-acoustiques en 2002 (Sentidos Compartidos) l’Alliance Française et Leandro Frias Producciones ont choisi d’organiser un nouveau cycle de concerts à plus grande échelle, dans une salle permettant d’accueillir plus de public, avec de nouveaux partenaires pour engager des sommes plus importantes, dans le cachet des artistes, ou la communication par affichage. Le cycle mensuel Traducciones est ainsi né de la collaboration mutuelle entre L’Alliance Française de Buenos Aires, Leandro Frias Producciones, le Service de Collaboration et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France en Argentine, le magazine Los Inrockuptibles, le bar La Cigale, et l’entreprise Sofrecom. Chaque mois, des artistes de la nouvelle scène pop électronique argentine interprètent leurs chansons françaises favorites devant 200 personnes au sein de l’Alliance Française. Ce concept de collaboration a permis d’augmenter la notoriété de chacun des partenaires. Le concept fonctionne et se décline aujourd’hui en projections mensuelles de DVD d’artistes français correspondant au même cœur de cible (Daft Punk, Manu Chao, Serge Gainsbourg, Air, Jane Birkin, Alain Bashung…). Le concept se décline également en présentation de disques français, de musiques actuelles et même de sa distribution en argentine avec les mêmes partenaires plus le Bureau Export de la musique française et Sony (juin 2004 lancement du disque Safety Copy des Clones ; août 2004, lancement du disque Home de Benjamin Bioley…). Ce partenariat permet aussi de s’associer à des salles de concerts et d’organiser des « lives » d’artistes français (juin 2004 Les Clones et Kid Loco, août 2004 DJ Joakim). Cette synergie fonctionne du fait de la superposition des réseaux que chaque partenaire apporte et de l’écho que permet de donner gratuitement ou à moindre frais de tels évènements. (Des articles dans les journaux partenaires, des chroniques dans les revues spécialisées par les artistes, des notes dans les newsletters de chaque partenaire, des cartes postales éditées par les partenaires présentes dans les endroits fréquentés par le cœur de cible…). Les orientations et le choix de consommation culturelle du cœur de cible est ainsi complet : Les sources d’information (communication interpersonnelle et la critique), et la catégorisation du produit culturel avec l’expérience du consommateur (se sentir dans le lieu ou le concert incontournable) 59
Les principaux acteurs de ces évènements ont créé une marque pour identifier tous ces évènements. Il s’agit du label -Paris BUE-. Cette collaboration symbolisant le paradigme de marketing relationnel exercé par l’Alliance Française de Buenos Aires fera l’objet d’une étude complète dans le prochain chapitre.
Le cinéma indépendant Pour attirer le cœur de cible, le service culturel de l’Alliance Française de Buenos Aires a choisi de s’associer avec la revue phare de cinéma en Argentine : HACIENDO CINE. La collaboration entre ces deux organismes a donné naissance au cycle –El Independiente- et offre gratuitement la projection en avant première d’un film indépendant argentin deux fois par mois dans les locaux de l’Alliance. Cette collaboration emmène de nouveaux partenaires dans le réseau de l’Alliance Française. La cave à vin (SUA) offre une dégustation après chaque film en échange d’une présence promotionnelle lors de l’évènement. La chaîne de télévision câblée ISat, spécialisée dans le cinéma, offre 60 passages publicitaires du cycle –El Independiante- par mois en échange d’un affichage visuel lors de la soirée et de la négociation des droits de diffusion du film. Ce partenariat influence également le spectateur dans le choix de sa consommation culturelle au sens de Evrard. Les articles dans la revue Haciendo Cine, la publicité sur une chaîne thématique, accompagnés du soutien de la presse et du réseau de chacun des partenaires permettent de faire un évènement incontournable pour l’expérience émotionnelle que recherche le cœur de cible.
Les débats d’idées Afin d’atteindre les cibles secondaires, la direction des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires choisit de collaborer en 2002 avec la chaire de
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“Sociologie de la culture II” du professeur Lucas RUBINICH (Université de Buenos Aires). Selon un compte rendu adressé au Conseiller de Coopération et d´Action Culturelle de l´Ambassade de France en Argentine56, « le projet avait pour but de rendre compte des transformations du monde intellectuel en Argentine (titre de la série de conférences) depuis les années 90. Cette collaboration s´inscrivait dans la continuité de notre première co-organisation avec cette université. Il s´agissait des projections de vidéos sur la mondialisation envoyées par le ministère des Affaires étrangères en 2002. » Trois
conférences
ont
ainsi
été
proposées
pendant
un
mois,
réunissant
l´anthropologue Pablo SEMAN (CONICET), Pablo BONALDI (sociologue, IDES) et Gaston BELTRAN (sociologue à la UBA). Leurs interventions s´intitulaient respectivement “Littérature spirituelle de masse: religion, littérature et société dans les années 90”, “Les luttes pour la mémoire. Le collectif HIJOS “ et “Le monde entrepreneurial et ses intellectuels”. Une soirée consacrée au film de Pierre CARLES sur le sociologue français Pierre BOURDIEU, “La sociologie est un sport de combat”, film envoyé par le Département à la demande de l´Alliance Française de Buenos Aires via le SCAC complétait cette série de conférences. Ce fut la première présentation de ce film en Argentine. En 2003, la collaboration avec les universités a continué pour chaque conférence. La venue des ‘missionnaires’ du Ministère des Affaires Etrangères tels que Elizabeth Roudinesco, Alain Badiou ou Jean Noël Jeanneney a fait l’objet de collaboration avec l’Université de Buenos Aires quant à l’accueil et à la communication des évènements.
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Compte-rendu de la collaboration en 2003 avec la chaire de “Sociologie de la culture II” du professeur Lucas Rubinich (Université de Buenos Aires). de la direction des activités culturelles, Alliance Française de Buenos Aires, Nicolas Peyre, janvier 2004, Document Confidentiel 61
2.2.2 Une communication interactive ciblé : le choix du marketing direct. Dans le cadre de notre stage à la direction des activités culturelles, l’un de nos premiers travaux fut de réaliser la base de donnée des cibles des évènements de l’Alliance Française de Buenos Aires. Le budget de communication étant très faible, l’utilisation des nouvelles technologies, permettent la transmission de l’information à une cible très réceptive à coûts réduits. Lors de chaque évènement, musiques actuelles, cinéma indépendant et débats d’idées, chaque spectateur est invité à laisser ses coordonnées et son adresse électronique. Chaque adresse électronique est enregistrée quotidiennement dans la base de donnée associée à la cible. Ensuite, la promotion de chaque nouvel évènement a été assurée par l’envoi d’un e-flyer57 précisément envoyé aux internautes. Les e-flyers sont équipés de liens hypertextes renvoyant les cibles sur le site de l’Alliance. Cette technique croisant les informations dans une base de données permet une communication personnalisée proche du marketing relationnel. De plus, le site Internet de l’Alliance Française est actualisé de manière hebdomadaire et annonce chaque évènement sur des bannières interactives. Ce service interactif est complété par une newsletter mensuelle58 envoyée à toutes les cibles de la base de données. Enfin, pour chaque évènement, le service des activités culturelles utilise la fréquentation des 2000 élèves de l’Alliance Française de Buenos Aires pour communiquer par voie d’affichage interne chacun des évènements. Quinze créations visuelles au format A3 sont affichées à la vue des 2000 étudiants hebdomadaires des cours de langue de l’Alliance. Cependant, il est nécessaire de noter qu’une étude interne précédente à notre mission a prouvé que le public du centre culturel était un public différent de celui des cours de langue.
57 58
cf annexes 1 cf annexes 2 62
Toutes ces démarches sont également appliquées par chacun des partenaires aux évènements. C’est donc en joignant chaque réseau que la communication fonctionne et s’amplifie. Pour compléter cette stratégie de communication, un effort particulier est réalisé sur les relations publiques.
2.2.3 Les Relations Publiques Il a fallut attendre plus d’un an et demi après la crise financière de 2001 pour que le Conseil d’Administration de l’Alliance Française accepte de consacrer une part du budget à une agence de relations publiques. Aujourd’hui la direction des activités culturelles travaille avec une chargée des relations publiques professionnelle permettant de toucher un maximum de médias. Mais c’est surtout avec le savoir-être de toute la direction que les relations publiques prennent toutes leurs dimensions. Nicolas Peyre, s’applique quotidiennement à traiter avec les partenaires latéraux, les partenaires en amont, et en aval59, de manière à offrir la meilleure image de ses activités. Ainsi, ce n’est pas seulement dans la presse que l’image de l’Alliance Française est représentée, c’est aussi avec chaque partenaire, et chaque client de l’Alliance qu’il est nécessaire de donner une image neuve et dynamique. Enfin, une attention particulière est offerte aux leaders d’opinion.
L’Alliance Française a choisi de se positionner dans l’offre culturelle de Buenos Aires en donnant à sa programmation une identité claire et perceptible par les consommateurs. En privilégiant les axes de communication sur les musiques actuelles, le cinéma indépendant et les débats d’idées, la direction de ses activités culturelles a adopté une lecture systémique du paradigme culturel de la capitale 59
Isabelle Collin Lachaud, 2001 Op.Cit. 63
Argentine. Elle a multiplié les partenariats et les interdépendances avec des acteurs clefs. Elle s’est adaptée aux réalités financières et a choisi une communication personnalisée grâce entre autres aux nouvelles technologies. Enfin, en liant les relations publiques d’une agence professionnelle et le savoir-être de son personnel, elle fidélise tous les acteurs gravitant autour d’elle, qu’ils soient partenaires ou consommateurs culturels.
64
CHAPITRE 3 Les conditions d’applicabilité du marketing relationnel au niveau de l’Alliance Française de Buenos Aires : L’exemple du projet Paris BUE.
L’Alliance
Française
de
Buenos
Aires
semble
diriger
ses
activités
vers
« l’établissement, le développement et le maintien avec succès d’échanges relationnels » ainsi que Morgan et Hunt
60
définissent le marketing relationnel. Il est
désormais pertinent de se demander dans quelles conditions la direction des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires utilise le marketing relationnel avec ses partenaires et comment ces derniers perçoivent cette méthode de management des arts. Le projet ‘Paris- BUE’ est né des échanges relationnels entre divers partenaires dont l’Alliance Française de Buenos Aires. Lors de notre stage, l’une des missions fut de coordonner les évènements culturels de Paris- BUE. L’objectif de cette recherche est d’identifier s’il existe une démarche marketing dans l’organisation des évènements Paris-BUE, et surtout de qualifier la nature de cette démarche. Il convient de se demander de quel mode elle relève : du marketing relationnel, transactionnel ou autre.
Méthodologie La nature de la problématique et les spécificités du champ culturel étudié plaident pour une approche qualitative d’étude de cas. En effet, de nombreuses procédures organisationnelles traditionnellement écrites sont seulement orales dans le champ de la culture. D’autres part, certains paramètres rendent peu pertinent la proposition exploratoire des questionnaires : le rejet du terme marketing par les acteurs du monde culturel, et surtout la nature transculturelle du travail effectué au sein des acteurs de Paris-BUE. En effet, les différentes nationalités des acteurs du projet Paris-BUE, argentins et français nécessitaient la rédaction de questionnaires en deux langues, pour retranscrire les résultats en français. Pour étudier ce terrain, nous avons choisi 60
Morgan RM et Hunt SD, 1994, The Commitment-Trust Theory of Relationship Marketing, Journal of Marketing,No 58 in Collin Lachaud I, Op.Cit. 65
trois méthodes de recueil de données (analyse documentaire, observation participante au sein de la structure et réalisation d’entretiens individuels). Le croisement de ces trois sources a permis de mettre en relation les données. Concernant les entretiens individuels, six personnes ont été interrogées dont deux en interne. Pour les quatre personnes externes, il s’agit de partenaires de l’Alliance Française. Le choix de ces acteurs a été à la fois fonction de leur rôle dans Paris- BUE et de leur disponibilité. Lorsque les entretiens ont été retranscrits, ils ont été validés par leurs auteurs. Puis nous avons effectué une analyse textuelle visant à découvrir les informations essentielles contenues dans les réponses.
3.1 Le projet Paris-BUE, l’exemple du marketing relationnel dans les activités de l’Alliance Française. Le projet ‘Paris- BUE’ est né d’un partenariat entre l’Alliance Française de Buenos Aires, l’Ambassade de France en Argentine, le Bureau Export de la Musique Française, et la revue Los Inrockuptibles. Paris-Bue a pour sous titre -Ida y vuelta para tus oidos- qui serait la traduction argentine de -aller retour pour tes oreilleset le producteur indépendant Leandro Frias Producciones. Une analyse des éléments relevés au cours de notre stage permet de classer l’environnement relationnel des partenaires de Paris-BUE. Au cours de la mission de coordination et de stratégie qui nous a été confiée, nous avons pu observer les comportements suivants :
L’orientation à long terme Paris-BUE est une synergie entre ces différents partenaires qui a pour objectif la diffusion de la musique française actuelle en Argentine. Paris-BUE se décline en plusieurs types d’évènements : Paris-BUE / Conciertos : Le cycle de concert –Traducciones- invite des artistes argentins à jouer chaque mois leurs musiques françaises favorites (Gainsbourg, 66
Bashung, Boris Vian… Ce cycle se déroule dans l’auditorium de l’Alliance Française et connaît un écho particulièrement important du fait de la sélection des artistes argentins. Ces évènements sont enregistrés par des techniciens de Sony Music Argentina et seront gravés sur une compilation Paris-BUE Traducciones qui sera vendue en 2005. Ce concerts sont sponsorisés par Sofrecom (France Telecom en Argentine) pour le cachet des artistes et un bar français de Buenos Aires : La Cigale pour les coûts de promotion. Paris-BUE / DVD Ce cycle de projection est également organisé chaque mois. Il s’agit de la diffusion d’un DVD de musiciens français correspondant aux cibles de l’Alliance Française (Manu Chao, Daft Punk, Air, Gainsbourg, Jane Birkin, les videos de Michel Gondry…). Paris-BUE / Noches est un cycle de -nuits- organisées dans l’une des plus grande discothèque de Buenos Aires, avec des artistes de la scène électronique française rencontrant des artistes de la scène argentine toute la nuit. Kid Loco, et les Clones étaient programmés au mois de juin 2004, DJ Joakim au mois d’août 2004. Paris-BUE / Discos a pour but de favoriser l’édition de disques français en Argentine. En juin 2004, une conférence de presse dans l’Alliance Française précédant un concert dans la discothèque Nizeto dans le cadre Paris Bue / Noches, accompagnait la sortie en Argentine du disque Safety Copy des Clones. En août 2004, la sortie de ‘Home = Benjamin Bioley + Carla Mastroianni’ est accompagnée d’un renfort de relations publiques sous l’égide Paris Bue (mailing, articles dans Los Inrockuptibles et passages radio) et d’une distribution massive aux prescripteurs d’opinion argentins. Un autocollant représentant le logo Paris- BUE est collé sur le boîtier de tous les CD distribués en Argentine.
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La solidarité, et la flexibilité Les évènements ont lieu pour la plupart d’entre eux dans les locaux de l’Alliance Française qui dispose des capacités de diffusion et d’accueil nécessaires. Les coûts de promotion (cartes postales de promotion, affiches ou encarts publicitaires dans la presse sont payés par les sponsors). Chacun des évènements donnent lieu à une promotion particulière effectuée par chacun des partenaires utilisant leurs bases de données personnelles et leur capacité de force de frappe très précise avec le marketing direct tel que l’envoi d’e-flyers aux cibles concernées. Les atouts de cette synergie sont multiples, chaque collaborateur se partage les tâches de communication, de marketing et d’organisation. Pour mieux comprendre les relations et les enjeux de cette synergie, nous allons analyser l’organisation d’un concert du cycle Paris-BUE / Conciertos / Traducciones. Le producteur Leandro Frias met en relation un artiste argentin avec Paris-BUE et passe un contrat avec lui. L’Alliance Française met à disposition son infrastructure, son équipe technique, son service de relations publiques, communique l’évènement à son mailing et l’annonce sur son site internet et dans sa newsletter. L’Ambassade de France participe financièrement à diverses formes de promotion du concert (coût de la bannière Paris-BUE, ou des dossiers de presse par exemple) et communique également l’évènement à son mailing. La revue Los Inrockuptibles consacre mensuellement un article sur l’artiste argentin dans son magazine, le met en valeur dans son agenda, communique l’évènement à son mailing et sur son site internet. En outre, les journalistes de Los Inrockuptibles disposent d’une émission hebdomadaire radio, véritable vitrine de leur revue, et profitent de l’opportunité pour annoncer cet évènement. Les sponsors, Sofrecom et La Cigale, se partagent respectivement les autres frais : Sofrecom, les coûts du cachet de l’artiste contre l’affichage de son logo pendant l’évènement, et La Cigale les coûts de création, d’édition et de distribution des flyers, contre la présence de son logo sur le flyer. Les coûts d’enregistrement des concerts et les coûts de fabrication de la compilation CD sont partagés entre Sofrecom et l’Ambassade de France.
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La réciprocité Chacun des partenaires supporte un bénéfice mutuel qui va au-delà de la notoriété qu’un évènement de cette ampleur peut offrir. Le producteur Leandro Frias est le seul à bénéficier d’un bénéfice pécuniaire, mais élargit surtout son champ d’action de producteur indépendant. L’Alliance Française répond à son objectif principal : elle diffuse la culture française en Argentine, mais accueille également des personnalités publiques argentines importantes et développe sa base de données pour ses prochains mailings. L’Ambassade de France donne une image jeune et dynamique de la France. Los Inrockuptibles et La Cigale sont associés à un évènement correspondant à leur image musicale alternative, Sofrecom est également associé à un évènement francoargentin et montre qu’elle est une entreprise investissant ses bénéfices réalisés en Argentine dans un évènement culturel.
La fiabilité et l’échange d’information et l’orientation à long terme La mécanique de cette synergie fonctionne aujourd’hui parfaitement parce qu’elle est née de partenariats antérieurs qui ont prouvé l’efficacité de chacun des acteurs, leur fiabilité dans l’organisation culturelle et la circulation continue d’informations entre eux. Une boîte aux lettres digitale commune au nom de Paris-BUE a été créée pour que les mailings soient tous envoyés de la même adresse, et surtout pour que chaque partenaire reçoive les mêmes informations en même temps.
La résolution de conflit et l’usage modéré du pouvoir L’organisation évènementielle est riche en concession de la part de chacun des acteurs. Certains imprévus (annulation d’un artiste, coûts de catering imprévus, incidents de coordination) peuvent rendre le climat d’échange difficile. Pour maintenir la confiance des acteurs du réseau, une entité détenant une position de force renoncera à l’usage des moyens de pression pour imposer ses intérêts.
69
Tous ces éléments, étendus au seul exemple de la coordination d’un évènement à l’Alliance Française, proviennent de l’analyse de Björn et Mayrhofer61 lorsqu’ils mettent en relief huit facteurs qui permettent de réussir une stratégie de marketing relationnel. En outre, cette analyse de relations des partenaires de l’Alliance permet de s’apercevoir que tous les éléments du marketing relationnel sont développés : la multiplicité des parties prenantes, le rôle actif et l’interdépendance des partenaires, et la communication réciproque. L’examen des éléments relevés au cours de cette observation participante tente de prouver dans quelle mesure le marketing relationnel est utilisé dans la stratégie de l’Alliance Française. Il est désormais important de réaliser une analyse de contenu recueillie lors des entretiens.
3.2 Les espaces référentiels du discours de l’Alliance Française L’analyse du corpus des six entretiens ont permis de définir des portraits types du visage de l’Alliance Française. Il s’agit d’entretiens semi directif effectués dans des lieux neutres, mais nous avons conscience que notre position de stagiaire au service de l’un des partenaires a eu une influence sur les réponses apportées par les autres partenaires. Deux entretiens internes sont intégralement retranscrits pour illustrer cette partie, les quatre autres entretiens permettent de nourrir cette analyse et figurent dans l’annexe 3. Le vocabulaire utilisé dans les réponses nous a servi de point de départ à la construction des portraits types. L’homogénéité de la sémiologie des réponses était un atout à la construction de ces portraits. Ainsi, les deux figures les plus représentatives du comportement retenues dans le discours de l’Alliance Française de Buenos Aires sont le communicateur, et le stratège.
61
Björn et Mayrhofer, Ulrike 2003 Op.Cit. 70
3.3.1 Le communicateur Le directeur des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires est le locuteur dont le discours se rapproche le plus d’un communicateur. Le thème principal apparaît être la question du public et de la notoriété du centre culturel.
Entretiens de Nicolas Peyre, Directeur des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires
Question 1 / Dans quelle mesure avez-vous été amené à travailler dans le cadre de Paris- BUE ? Lorsque j’ai été nommé directeur des activités culturelles de l’Alliance Française, il a été nécessaire d’examiner le monde culturel de Buenos Aires et de passer par cette étape d’observation. Il a fallu comprendre qui faisait quoi et dans quel domaine de la sphère culturelle. Il fallait déchiffrer très vite quelle structure, ou quelle personnalité avait quelle influence au sein de quelle organisation. L’Alliance est une entité particulière. Nous sommes amenés à travailler avec le service culturel de l’Ambassade Française. Ainsi, nous avons commencé à organiser des évènements ensemble avant que de nouveaux partenaires nous proposent des projets en commun. Il est apparu que certains partenariats étaient plus pertinents que d’autres, en terme d’image bien sûr, mais aussi en terme de méthodes de travail. Il ne faut pas oublier de prendre en compte le fait que nous travaillons en Argentine dans une culture distincte à un moment précis de son histoire. Ainsi nous avons été amenés à travailler ensemble bien avant Paris-BUE. Ce projet est le fruit d’une longue collaboration antérieure. Question 2 / Comment caractériser les relations entre l’Alliance Française de Buenos Aires et ses différents partenaires de Paris-BUE? Les partenaires de Paris-BUE ont tous des objectifs bien définis et les responsabilités de chacun de ces partenaires sont claires. Pour que ces évènements fonctionnent, il 71
faut que chacun s’y retrouve en terme d’image, et que chacun puisse apporter son public et son réseau. Nous sommes unis dans des relations d’objectifs et de responsabilités communes. Tout le monde s’y retrouve. Question 3 / Pouvez-vous citer des mots qui définissent ou illustrent les relations au sein de Paris BUE ? La collaboration, la mutualisation des moyens, les objectifs qui se croisent, la communication. Question 4 / Dans le cadre du travail de Paris-BUE, avez-vous l’impression de faire du marketing ? Dans le cadre culturel, le marketing paraît un peu péjoratif. Je ne suis pas le directeur de communication de l’Alliance et je n’ai pas l’impression de travailler dans le marketing. Je crois cependant qu’il existe un savoir faire marketing, peut être que je l’utilise, mais je ne travaille pas sur des produits, je travaille avec des gens. Question 5 / Quelles sont pour vous les perspectives d’avenir de votre travail dans le projet Paris-BUE ? Nous allons continuer d’essayer d’augmenter la notoriété de Paris-BUE dans l’offre culturelle de Buenos Aires, et travailler à la fréquentation de nos évènements.
Analyse L’image et la notoriété sont au centre de l’idée de cette interview. Il semble important que chacun des partenaires s’y retrouve’. L’exclusion du terme ‘marketing’ est révélatrice à la fois du respect de notre interlocuteur pour la culture, et surtout de la connotation mercantile qu’il contient et qui le rend ‘tabou’. Notre locuteur rejette 72
également l’idée d’être le ‘directeur de communication de l’Alliance’. Pourtant, le discours sur son travail appartient largement au champ lexical de la communication : ‘l’image, la notoriété, les objectifs, la fréquentation, le public…’ Enfin, la réponse à la question 4 prouve que les méthodes de marketing relationnel sont utilisées au sein du projet Paris-BUE.
3.3.2 Le stratège Le chargé du service technique place la stratégie au centre de ses réponses. Cet entretien a été réalisé en Espagnol. Notre traduction tente de rester le plus fidèle possible aux propos de notre interlocuteur.
Entretiens de Francisco Armendáriz Chargé du service technique et de la régie de l’Alliance Française de Buenos Aires.
Question 1 / Dans quelle mesure avez-vous été amené à travailler dans le cadre de Paris- BUE ? Il est utile que je précise un peu l’historique de l’Alliance Française de Buenos Aires pour comprendre comment nous en sommes arrivés à travailler avec le projet ParisBUE. Il y a trois grandes périodes de management culturel à l’Alliance Française de Buenos Aires depuis que j’y travaille. 1977 / 1983 : Pas de travail interrelationnel. 1984 / 2000 : Coproduction de théâtre avec des troupes et des professionnels en provenance de France, et des représentations dans les théâtres commerciaux de Buenos Aires. Dans un même temps, la crise que subit l’Argentine permet de faciliter la négociation de partage des moyens mis en oeuvre avec les artistes mettant tous les acteurs culturels dans la même situation : avec un budget très limité. Les centres culturels tels que Rojas, le ICI (Instituto Cultural Ibero-americano et le Goethe Institut modifient leur programmation et savent désormais capter un public plus jeune et plus alternatif. 73
2000 2005 Nicolas Peyre devient directeur des activités culturelles : je sens qu’il a su lire le développement culturel à Buenos Aires. Par association de mutuelle convenance, il met au point une stratégie visant à capter le jeune public alternatif argentin en choisissant de s’associer avec les bons partenaires. Paris-BUE n’est que le nom de la marque de cette union. Question 2 / Comment caractériser les relations entre l’Alliance Française de Buenos Aires et ses différents partenaires de Paris-BUE? Pour moi, les relations entre nous sont nettes : il s’agit d’un réseau et d’association d’intérêts mutuels. Un objectif clair pour chaque acteur - Los Inrockuptibles, une situation spatiale stratégique, un savoir faire technique, une confiance d’avoir un partenaire sur le long terme et l’ouverture de son réseau sur la France Pour Leandro Frias Producciones, il s’agit de la même chose avec en plus la possibilité de commencer sa carrière de producteur indépendant avec des partenaires professionnels - L’Alliance : Une visibilité plus importante, des partenaires qui font venir leur public jeune alternatif, un réseau de professionnels, et la confiance sur un partenariat de long terme. Question 3 / Pouvez-vous citer des mots qui définissent ou illustrent les relations au sein de Paris BUE ? Association d’intérêts mutuels, des objectifs clairs et similaires, des profils d’acteurs identiques : jeunes et dynamiques.
Question 4 / Dans le cadre du travail de Paris-BUE, avez-vous l’impression de faire du marketing ? Non, nous ne faisons pas vraiment du marketing à l’Alliance Française. Mais notre stratégie est peut-être inspirée des méthodes de marketing, je ne sais pas. 74
Question 5 / Quelles sont pour vous les perspectives d’avenir de votre travail dans le projet Paris-BUE ? Le projet Paris-BUE repose surtout sur les relations entre les divers partenaires. Le directeur des activités culturelles doit partir dans un an, le conseiller culturel auprès de l’ambassade de France changera bientôt. Les manières de voir et les objectifs stratégiques changeront sûrement Je ne sais pas si ce projet continuera de cette manière.
Analyse Les mots ‘stratégies, objectifs stratégiques, partenaires stratégiques’ connotent une image très forte de stratège dans l’esprit de notre locuteur. Le choix de ‘réseau et association d’intérêts mutuels’ pour définir les relations de travail de Paris BUE illustre particulièrement l’application du marketing relationnel dans le positionnement des partenaires de Paris-BUE.
Les autres entretiens permettent de comprendre le point de vue extérieur à l’Alliance Française. Le producteur Léandro Frias met en évidence l’image de marque de ParisBUE. En tant que producteur, il n’a pas peur de parler de ‘produits culturels’ et donc de marketing. Notre locuteur du service culturel de l’Ambassade de France en Argentine et le directeur de l’Alliance Française de Montevideo sont réticents à l’utilisation du mot marketing. Pourtant leur vocabulaire reste dans le champ lexical de la communication. Ils démontrent le point de vue institutionnel du discours culturel, et représente en quelque sorte la parole de partenaires publics. Cette étude exploratoire a permis de démontrer que l’Alliance Française utilisait le marketing relationnel avec ses partenaires. Paris-BUE n’est que l’illustration de ce travail, mais il est important de noter que notre travail avec les autres partenaires,
75
dans le cadre du cinéma indépendant ou des débats d’idées, relève des mêmes relations.
3.3 Le marketing relationnel à l’Alliance Française, un choix intuitif mais adapté. L’analyse des résultats de cette recherche montre que le marketing est mis en pratique par la direction des activités culturelles de l’Alliance Française, et que la nature de ce dernier s’apparente au paradigme relationnel. L’adéquation des objectifs et des cibles des partenaires de l’Alliance Française permet de parler de parler de liens unissant chacun de ces acteurs par des relations à long terme, basées sur la confiance, et le respect mutuel. Même si le marketing relationnel semble répondre aux problématiques de l’Alliance Française de Buenos Aires, le caractère délibéré de cette démarche doit être relativisé car les entretiens permettent de constater que la plupart des acteurs n’avaient pas conscience de pratiquer du marketing relationnel. Il s’agit d’abord d’une démarche empirique, liée à la nécessité, qui a amené chacun des acteurs de manière intuitive vers un marketing relationnel plutôt que transactionnel. Le cas de l’Alliance Française de Buenos Aires comporte des spécificités qui lui sont propres et qui ne sont pas généralisables à l’ensemble des centres culturels. Ces spécificités ont d’ailleurs facilité l’introduction du marketing relationnel dans ses méthodes de travail. Toutefois, malgré ces particularités, et compte tenu de la notoriété de ses activités culturelles en Argentine, l’Alliance Française de Buenos Aires pourrait être un exemple pour d’autres festivals. Cette recherche se proposait de voir dans quelle mesure le paradigme du marketing relationnel pouvait être adapté au contexte des festivals. Ces résultats montrent que la nature de la démarche marketing de la direction des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires s’apparente à celle étudiée dans le cadre de la première partie consacrée au marketing relationnel et au management des arts. En effet, elle s’appuie sur les notions de partenariat de (à ?) long terme, d’échanges personnalisés et accorde à la confiance une importance primordiale. Toutefois, il est apparu que le marketing est mis en œuvre plus souvent d’une manière intuitive que de façon délibérée.
76
CONCLUSION
Les 21 semaines de stage passées au sein de la direction des activités culturelles de l’Alliance Française de Buenos Aires nous ont permis d’appréhender la vie professionnelle sous un angle différent de ce que nous avions imaginé pour deux raisons principales. La première répond à une problématique transculturelle : travailler dans un pays comme l’Argentine requiert des capacités d’adaptation et d’acceptation vigoureuse. En effet, les méthodes de travail ne sont pas les mêmes, les relations entre les individus qu’elles soient professionnelles ou non, peuvent être très différentes des codes culturels dans lesquels nous avons appris à vivre, à étudier, ou à travailler. La deuxième raison provient du paradigme même dans lequel nous avons effectué ce stage. L’Alliance Française est une structure institutionnalisée répondant du Ministère des Affaires Etrangères Français. Elle fait partie de la diplomatie culturelle, et obéit de ce fait aux codes de conduite qui sont propres à la diplomatie. La qualité du travail et les aptitudes relationnelles de l’ensemble de la direction des activités culturelles ont facilité l’écriture de ce mémoire. Cependant, l’opacité de certains aspects encadrant notre mission, tels que le budget consacré à nos activités, n’ont pas encouragé notre travail de recherche à aller au-delà de notre problématique. Ce mémoire se proposait de démontrer que le management d’un centre culturel ne peut plus ignorer la démarche marketing pour trouver son public. Les centres culturels sont désormais de véritables entreprises de communication et doivent à ce titre faire l’objet d’un management adapté. Cependant elles sont des entreprises particulières et doivent élire un marketing distinct. Le marketing relationnel semble être une méthode adaptée à ce paradigme culturel.
Pour élaborer notre démonstration, nous nous sommes demandé si un centre culturel devait utiliser les techniques de marketing traditionnelles, ou si il
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pouvait déployer son propre modèle d’influence, en développant notamment le marketing relationnel. Dans une première partie théorique, nous nous sommes d’abord intéressés à la consommation culturelle. La manière de consommer la culture permet effectivement d’envisager différents modèles de marketing. Le management des arts ayant évolué avec la façon de consommer la culture, nous avons tenté de définir le marketing relationnel pour essayer de comprendre dans quelle mesure son application correspond à une problématique culturelle. Basés sur des principes se combinant parfaitement avec le management d’un centre culturel, nous avons conclu que ces derniers avaient tout intérêt à utiliser le marketing relationnel. La seconde partie de ce mémoire correspond à l’exploration pratique de la sphère culturelle pour répondre à notre problématique. Premièrement, nous avons expliqué pourquoi l’Alliance Française de Buenos Aires était un centre culturel particulier au sein du réseau de la diplomatie culturelle française. Ensuite, nous avons démontré par l’analyse de l’observation participante à la communication des activités culturelles, quels sont les axes de communication de l’Alliance Française et quelles sont ses techniques de marketing. Enfin, dans un dernier chapitre, par l’analyse textuelle d’entretiens avec ses différents acteurs et partenaires, nous avons confirmé l’utilisation intuitive du marketing relationnel dans son fonctionnement, et l’opportunité de ce choix
C’est pourquoi nous pouvons conclure à la pertinence de développer le marketing relationnel dans le management d’un centre culturel. En outre, nous pouvons nous demander s’il n’existe pas une démarche marketing alternative ou s’il ne convient pas d’apprendre à marier les deux démarches de marketing, transactionnelle et relationnelle, notamment vis-à-vis du public, pour allier intérêt artistique et rentabilité par exemple. Pour le manager du centre culturel, l’objectif serait alors d’identifier à quels types de publics et à quelles situations de consommation
conviendrait
d’avantage
une
conception
relationnelle
ou
transactionnelle du marketing.
78
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80
Table des matières Table des annexes
81
82
ANNEXES Annexes 1
les eflyers
Annexes 2
les newsletters
Annexes 3
les entretiens
83
Annexe 1
LES E FLYERS
84
ANNEXES 2
LES NEWSLETTERS
85
ANNEXES 3
LES ENTRETIENS
86