DONNONS DE L’AIR À L’ART ! Regard d’aujourd’hui sur la culture, ses pratiques et ses lieux
« Je voudrais un lieu, comme une bulle, un espace, à la fois au cœur et en dehors du monde, qui donne la possibilité, sans grandiloquence et sans lever de rideau, de côtoyer l’infime et l’extraordinaire. Un lieu où glisser sa vie et l’agrémenter. Un lieu où l’art se donnerait à vivre : sur le plateau, dans les rideaux, sur les murs et entre les lignes, dans sa fragilité et sa fonctionnalité, parce qu’aujourd’hui les modes d’expression lui permettent d’être partout.
Un lieu où l’art prendrait d’autant plus de place qu’il serait vu, lu, entendu, mangé, usé par nous tous. Un lieu où l’art s’agrandirait en quelque sorte. Parce que ce qui fait art, c’est cette capacité à extraire une image, un moment, une parole, pour lui donner une place à part, en dedans ou ailleurs, parce que grâce à lui on a touché à notre humanité. Un lieu où, comme par un effet d’escalier, la présentation d’une œuvre d’art ou le souci de son avènement permettrait à chacun de se sentir concerné, de prendre part, en parole, pensée ou action, à ce cheminement créatif et collectif qui aboutit au beau. Un lieu de bricolage, d’essai, un lieu pour se tromper et s’approcher cahin-caha de l’une de nos réponses. Un lieu qui permettrait de se poser la question : « Quel est mon art à vivre ? Qu’est-ce qui fait ma virtuosité personnelle ? ». CC BY-ND-NC Artistik Bazaar Mise en page : Mélanie Duroux Illustration : Aline Rollin www.artistikbazaar.com marine.b@artistikbazaar.com marine.u@artistikbazaar.com Imprimé en 1000 exemplaires, mai 2015
Un lieu pour mettre en lien, pour agréger tous nos petits et grands élans, les recueillir, leur laisser un espace et favoriser leur croissance.
Un lieu qui autorise l’idéalisme, et qui ne saurait pas faire sans. »
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DONNONS DE L’AIR-E À L’ART !
DONNONS DE L’AIR-E À L’ART !
Ce qui nous meut Notre génération est née dans une fin de siècle. Elle a fêté ses 20 ans quand les journaux titraient en une la crise de l’économie mondiale. Elle a fait ses premiers pas dans le monde du travail au moment où ont émergé de nouveaux modèles économiques et sociétaux rendant inopérants les systèmes traditionnels centralisés, segmentés et hiérarchisés. Notre génération est à l’image de ce nouveau monde qui s’invente : elle va vite, elle s’exprime de multiples manières à l’aide de multiples outils, elle veut prendre sa part et faire par elle-même. Elle cherche du sens. Notre génération a inventé de nouvelles façons de partager, de se parler, d’être ensemble. Elle a généré sa propre esthétique à l’intersection des flux, des bits et des atomes. Elle a fait émerger de nouvelles communautés, quand d’autres avaient annoncé le triomphe de l’individualisme. Elle tweet, like, share, post… elle demande avec d’autres mots de nouvelles formes de licence. Elle s’autorise en se faisant elle-même auteur, éditeur, producteur, contributeur. Elle tourne à vide parfois, en recyclant les rushs des industries culturelles, faute de contenus plus riches à partager, transformer, remixer. La révolution des usages a façonné notre génération. Elle a aussi changé notre rapport à l’art qui se révèle dans le rapport intime d’une expérience toute personnelle, qui s’affranchit volontiers des lieux, se nourrit d’évènements, d’images, et se partage. Nous, natives de cette génération, sommes convaincues que nous avons aujourd’hui plus de possibilités qu’hier, pour créer, diffuser l’art et pour le faire découvrir au plus grand nombre. Nous sommes convaincues que le numérique est davantage qu’un outil de plus pour faire mieux ce que nous faisons déjà. Le nouveau rapport au monde qu’il induit peut demain révolutionner en profondeur l’ensemble de l’écosystème artistique et culturel, depuis les politiques publiques jusqu’aux lieux de diffusion et de création, en passant par les filières de formation, le statut des artistes, le droit d’auteur et l’ensemble du modèle économique au sens large.
Sans fascination démesurée ni optimisme béat, nous pensons qu’il y a là un champ de possibles encore impensé. C’est le défi à relever par le monde artistique et l’institution qui le représente. Ainsi se lèveront des générations d’artistes et de créateurs, pour diffuser largement une culture plus ouverte et plus partagée. Ainsi, nous inventerons de nouveaux lieux de vie qui feront la part belle à l’art, lui permettant d’aller partout. Il nous aura fallu du temps pour déterminer si ce texte devait être une étude, un manifeste, un état des lieux ou autre chose encore. En réalité, c’est surtout une invite, portée par notre propre désir de voir s’ouvrir les lieux d’art et de culture aux quatre vents de ce XXIè siècle, pour trouver dans cette mise en mouvement un peu de vie, de fraîcheur et de liberté. Nous confessons bien volontiers au lecteur notre tropisme naturel pour le spectacle vivant en tant qu’écosystème. Notre attachement au théâtre comme forme a motivé notre désir d’écrire et nous conduira spontanément à y puiser des exemples pour illustrer notre propos ou des pistes à expérimenter. Nous avouons les éventuels raccourcis ou inévitables imprécisions qu’implique nécessairement la constellation que nous tenterons de dessiner. Puisque nous traiterons ici principalement de la question du lieu, nous choisissons, par convention, de ne pas lui adjoindre les qualificatifs de « culturel » ou « artistique », qui risqueraient de le réduire à sa seule fonctionnalité. Ici, ailleurs, nombreux sont ceux qui cherchent et expérimentent de nouvelles manières de vivre la culture au temps présent. Nous avons rencontré certains d’entre eux. Tous nourrissent notre démarche. Sans chercher l’exhaustivité, ni décliner de plan d’action, nous nous risquons à cette prise de parole libre, pour contribuer à la réflexion et prendre part à l’action.
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Manifeste
MANIFESTE
Habiter les lieux dans un monde qui change L’histoire des idéologies qui ont traversé les siècles se lit en creux dans l’histoire des lieux de spectacle. Ces lieux « d’où l’on voit » inscrivent dans la pierre, le verre ou l’acier, la singularité d’un rapport au monde. C’est ainsi que chaque idéologie a généré sa propre utopie théâtrale et inventé un lieu singulier pour la dire. La Révolution a imaginé de nouvelles formes monumentales consacrées aux festivités de la République. Le XIXè siècle industrieux introduit le rapprochement de l’architecture du théâtre et des idéaux naissants « d’œuvre d’art totale ». Au XXè siècle, l’avant-garde expressionniste fait du théâtre le lieu de la fusion de l’homme, de l’art et de la nature, tandis que les constructivistes composent des théâtres du futur comme des machines. Après la seconde guerre mondiale et jusqu’aux années 1980, standardisation, itinérance, et mobilité sont les injonctions dominantes.
Qu’en est-il aujourd’hui ? A l’heure du dématérialisable, du tout virtuel et de l’archi-circulant, la notion de lieu – l’endroit précis où l’on se rend pour observer, assister, prendre part à quelque chose qui se passe – se trouve profondément réinterrogée. La culture accessible partout et tout le temps a bouleversé notre rapport au lieu culturel comme le lieu d’une culture « entre quatre murs » et « sur rendez-vous ». Le développement des industries culturelles ainsi que le bond de l’équipement domestique permettent à chacun d’écouter, de voir ou de lire sans contrainte, à des coûts maîtrisés, voire nuls. Chacun choisit le lieu, la durée, et les modalités de sa consommation culturelle, développant ainsi un rapport à la carte et « sur convocation » des œuvres qui l’intéressent. Les technologies permettent également d’abolir la linéarité et la mono-occupation des temps culturels, de même que la dépendance à l’égard des grilles des institutions de diffusions privées et publiques. Elles favorisent une individuation, une démultiplication et une déprogrammation des temps culturels. Pourtant, nous faisons le constat que la représentation collective que l’on se fait du lieu théâtral conserve le plus souvent les caractéristiques du théâtre à la cour de Louis XIV.
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MANIFESTE
CONVOQUER DANS UN LIEU AUJOURD’HUI, UNE UTOPIE ? Si l’on s’en tient à son acceptation la plus commune, le théâtre convoque un public à une heure donnée, dans un lieu défini, moyennant un droit d’entrée souvent conséquent, réservé plusieurs semaines à l’avance, pour découvrir un contenu et vivre une expérience dont rien ne peut lui garantir qu’elle lui plaira. Assis dans le noir au milieu d’inconnus, ne maîtrisant ni la durée, ni le contenu de ce qui advient sur scène, le spectateur est soumis à une forme de contrainte dont il n’a plus l’habitude. Impossible d’appuyer sur « pause » pour fumer une cigarette, répondre à un tweet ou poser une question. Cette situation est d’autant plus difficile à accepter que quelque part, dans une poche, un sac, se dissimule l’objet qui permettrait de s’évader de cette traversée obscure et parfois (osons le dire) ennuyeuse… A portée de main, d’autres histoires et d’autres contenus disponibles, convocables, en un seul geste.
Les outils dont nous disposons aujourd’hui ont modifié notre manière d’être présents, d’habiter le temps et de s’inscrire dans l’espace. Il est possible d’être ici et ailleurs : une présence en pointillés, clignotante, par laquelle on habite plusieurs endroits à partir d’un même lieu. La présence physique en un lieu dédié au spectacle paraît d’autant plus dérisoire que l’art est partout. Intégrés par la société marchande et restitués par le marketing, la publicité ou la politique sous forme d’évènements ou de performances, les codes de la représentation excèdent les murs du théâtre dans une « société du spectacle » que Guy Debord décrivait déjà en 1967. La société assimile ces codes pour mettre en scène ses propres histoires. Nul besoin du lieu–théâtre, nous sommes les « spectateurs en continu, d’un continuum de spectacles, sans aucune pause » (Roméo Castelluci).
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MANIFESTE
Si tout porte à croire que les lieux ont perdu le monopole de la diffusion des œuvres, qu’ils ont cessé d’être le seul écrin de l’esthétique et du spectaculaire, leur nécessité même doit être réinterrogée. Si ce qui distingue les lieux d’art des autres lieux publics, marchands ou non marchands, n’est plus la présence d’œuvres, ils doivent aujourd’hui être le lieu d’autre chose. Si nous nous ne voulons pas qu’ils soient seulement des éléments du patrimoine, symboles d’une culture passée, drapée d’or et de velours, il nous faut trouver de nouvelles manières de les habiter et de les faire vivre. Il nous faut renouveler la façon d’y accueillir des individus lorsque le statut de spectateur n’est plus une raison suffisante pour en pousser la porte. Il nous faut chercher non pas le supplément d’âme qui permettra aux lieux de se maintenir, mais leur raison d’être. A cette condition seulement, il sera possible de dire que, non nécessaires, les lieux sont indispensables.
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Pour des lieux de culture à vivre La raison d’être des lieux ne sera trouvée sans changement de posture et sans l’engagement d’une mutation profonde de l’institution. Le modèle français inventé par Malraux a fait son temps. Observons d’une part la longue liste de lieux fermés en 2014 et les difficultés rencontrées par les artistes pour faire vivre leurs projets. Observons d’autre part le nombre croissant d’initiatives qui s’inventent en marge de l’institution. Le constat s’impose. Qu’on le veuille ou non, le système s’essouffle. Défiant les Cassandre, nous y voyons l’opportunité de faire autrement. Nous y voyons une chance pour penser la culture « hors de la culture ». Attachées au fait de mettre la culture en partage, nous saisissons ici l’occasion de prendre part à ces transformations, et proposons quelques pistes de réflexion.
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FAIRE UN SORT AUX JACOBINS C’est un changement de paradigme qui s’impose. Une image permet d’en comprendre la nature et d’en illustrer la nécessité : observons l’architecture d’Internet, sa forme. Subversive, voire anarchique dans sa construction, cette architecture est faite de nœuds plutôt que de centres. Elle est par essence distribuée, réticulaire, déconcentrée. Elle se construit en permanence dans la relation du point à point, rendant caduques les formes traditionnelles de hiérarchisation ou de contrôle. Sa fonctionnalité représente une opportunité pour transformer nos usages, sans pour autant garantir la neutralité et empêcher son instrumentalisation à des fins idéologiques ou commerciales. A l’heure où l’information et la connaissance sont distribuées par de multiples canaux, pour de multiples usages, à un public sans limite, l’institution, elle, peine à sortir d’une dif fusion artistique verticale et centralisée. Ses lieux sont labellisés, estampillés, hiérarchisés dans des réseaux structurés qui, du théâtre national au théâtre privé, qualifient les contenus des plus officiels aux moins légitimes. Le cadre institutionnel dans lequel la culture se diffuse en France repose sur une circulation administrée des productions culturelles. Force est de constater que ce cadre est devenu inopérant, au sens où il n’est plus en mesure d’intégrer dans son organisation et dans sa structure les caractéristiques induites par le numérique : le partage, le pair à pair, la réciprocité récepteur-contributeur, la fluidité des échanges, l’expressivité, etc. L’essor de ces pratiques, qui s’inventent souvent en marge des réseaux institutionnels, interpelle l’institution, dans ses acquis et ses statuts, dans ses processus complexes de labellisation et de conventionnement. Il questionne jusqu’à son ambition de toujours : la démocratisation culturelle. Pourquoi ne pas s’inspirer de ces pratiques qui privilégient l’horizontalité à la verticalité ? Pourquoi ne pas préférer le partage à la démocratisation ? Nous pensons que les évolutions en cours constituent l’opportunité tant attendue d’un changement de posture de l’institution culturelle pour s’ouvrir à de nouveaux publics, pour s’aventurer dans de nouveaux espaces, pour ouvrir le sens à ses multiples réinterprétations, pour risquer, oser, se tromper peut être. Pour rester vivant.
RÉINVENTER LA PRESCRIPTION Les échelles de légitimité se sont transformées. Le rôle prescripteur des institutions, agents privilégiés de la démocratisation de la culture dite légitime, est remis en question, ainsi que sa capacité à définir la valeur de leurs choix. Les mutations profondes accélérées par l’essor du digital questionnent la pertinence de la médiation institutionnelle actuelle vers un public qui crée, produit, dif fuse ses propres contenus, et se tourne vers ses semblables pour se repérer dans la création contemporaine et y faire son propre parcours. Nous souhaitons que l’écosystème artistique et culturel se laisse réinterroger en profondeur par les nouveaux usages, sans peur, sans état d’âme et sans victimisation, résistant à la tentation de renvoyer dos à dos les outils, leurs usages et leurs utilisateurs.
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LAISSER LA PLACE ET FAIRE CONFIANCE : PARTAGER LA CRÉATION ICI ET AILLEURS. INVENTER DES LIEUX D’INTERSECTION
AUTORISER L’APPROPRIATION, LIBÉRER LE SENS En 1936, dans son article « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », Walter Benjamin dépeint l’opposition structurelle de deux cultures. Face à l’ancienne culture bourgeoise, fondée sur la rareté et l’unicité de l’œuvre d’art, les nouveaux médias que sont le cinéma et la photographie reposent sur la reproductibilité. Un demisiècle plus tard, la révolution des outils numériques nous confronte à une autre mutation radicale. La dématérialisation des contenus, permise par l’informatique, et leur dif fusion massive par internet confèrent aux œuvres de l’esprit une fluidité qui excède tous les canaux existants. Hier, la circulation institutionnalisée des productions culturelles permettait d’en préserver le contrôle. Aujourd’hui, cette faculté nouvelle favorise l’appropriation et le remix des contenus et des œuvres en s’affranchissant parfois de tout cadre juridique ou commercial. Le numérique établit l’appropriabilité comme critère et caractère des biens culturels. Ces derniers s’apprécient par leur capacité à être partagés. La culture numérique est une culture de l’appropriation à travers la pratique du remix, de la copie, du partage, de la recontextualisation. Nous croyons qu’il n’y a pas d’appropriation sans rapport libre à l’œuvre d’art. Nous croyons en une médiation culturelle qui ne repose par uniquement sur la transmission d’un contenu ou d’un savoir, mais qui s’enrichit par l’autorisation donnée à tous d’inventer son propre rapport à l’œuvre en la réécrivant, en la réinterprétant, en la réinventant.
La question du lieu est en même temps essentielle et dérisoire. Parce que l’art est utopique, parce qu’il n’est d’aucun lieu, il a sa place partout. Le lieu comme écrin entre quatre murs ne peut être qu’une réponse partielle si elle est appréhendée comme un point fixe. Le lieu est aussi intersection, croisement entre des réalités nécessairement distinctes. En créant du jeu, au sens mécanique, entre le présent et le différé, l’ici et l’ailleurs, le dedans et le dehors, le lieu génère une nouvelle dimension. C’est par cette dimension-là qu’il se rend indispensable. A ce jeu tient la capacité d’un lieu à recueillir l’émergent. C’est ce point de déséquilibre permanent qui lui permet de résister à la tentation de ré-institutionnaliser ce qui af fleure, comme c’est parfois le cas des friches, laboratoires ou autres tiers-lieux. Le lieu doit être le fer de lance d’une remise en question permanente. Il doit assumer son propre paradoxe : celui d’organiser le laisser-faire. C’est en ménageant des espaces vides qu’il est la main bienveillante permettant à l’infime de prendre forme. Nous rêvons de lieux ouverts, dans lesquels on puisse venir dissimuler sa vie et l’exposer. Nous rêvons de lieux pour accueillir les œuvres et les personnes sans distinction. Nous rêvons de lieux pour aller voir ailleurs. Nous rêvons de lieux qui conjuguent le flexible et l’immobile, des espaces modulaires permettant de générer en permanence de nouveaux volumes. Des espaces qui permettent de se tromper, de réaménager. Des espaces aménagés qui laissent une place pour le réaménagement. Nous rêvons de lieux qui permettraient à l’immobile, non pas de capter des flux, mais plutôt de se laisser traverser par eux. Des lieux pour allier le lourd et le léger. Des lieux organismes vivants. Des lieux terrains de jeu.
JOUER DES CORRESPONDANCES Avec la sérendipité, on fait de la prose comme en faisait Monsieur Jourdain. La définition est simple, ce mot désigne la faculté de découvrir, par hasard, des choses que l’on ne cherchait pas. Dans le processus artistique comme dans toute pratique, la sérendipité est la part qui revient à ce qui n’est pas prévu, la part due à la naïveté, à la spontanéité, à l’aléatoire. Accident, trouvaille heureuse, fécondité du détour, interconnexions inédites font le quotidien de nos errances sur la toile. L’image du « butinage », comme activité d’exploration et de recherche en diagonale, illustre nos nomadismes. Les lieux vont à rebours de ces pratiques lorsqu’ils proposent des contenus segmentés par discipline. Ils ne sont en mesure d’accueillir que le public pour lequel leur établissement est destiné. Un théâtre accueille des spectateurs, une bibliothèque des lecteurs, et un musée des amateurs. Chacun de ces lieux induit un certain type de visiteurs et d’œuvres. Nous souhaitons des lieux qui laissent une place à la surprise et à l’étonnement. Des lieux pour errer, « zoner », pour être dans les marges et dans l’incertitude. Pour promouvoir un dialogue entre les différents univers qui nous habitent et que nous habitons. Pour laisser venir à nous les images de ce que nous ne voyons pas. De la carte du restaurant jusqu’à la scène, de la scénographie du hall jusqu’au billet, sous les rideaux, entre les lignes et dans les creux, c’est par associations que naît le désir d’aller voir un peu plus loin. Passer du lieu « programmé » au lieu créateur de circonstances hasardeuses et de rencontres artistiques fortuites. La perspective est réjouissante.
Le système institutionnel tel qu’il existe aujourd’hui repose sur un principe de légitimation de l’artiste passant notamment par sa distinction d’avec l’amateur. Il ne sera pas question ici de reposer les termes de ce débat qui ne cesse d’opposer l’un et l’autre, d’instrumentaliser l’un au profit de l’autre, défendant le monopole de l’art des artistes ou proclamant la prétendue revanche de l’amateur à l’heure du numérique. Nous préférons dire que cette distinction est inopérante. Elle est en soi caduque. Nous croyons que dépasser l’opposition binaire entre amateur et professionnel constitue une condition sine qua non à la libération de la créativité, à la démocratisation du goût de faire, de créer et d’entreprendre. Nous croyons que nous avons bien plus à gagner collectivement à partager la possibilité d’être créateurs qu’à cultiver le souci des étiquettes et des statuts. Sur les plateaux, on observe ici ou là des tentatives pour donner uneplace,ouvrirlascène,inviterdesparticipantsàprendrepart à une histoire. Figures scéniques éphémères, ils se distinguent des figurants traditionnels dans la mesure où ils ne restent pas dans l’ombre : leur présence est affichée comme un des traits importants du spectacle. Mis au devant de la scène, ils accréditent parfois une rhétorique du « naturel » et du « vrai ». Une sorte d’esthétique « non-professionnelle » émerge, accompagnée bien souvent d’un discours militant à prétention démocratique, se réclamant du théâtre populaire lorsque ceux que l’on sollicite sont issus de zones urbaines défavorisées ou de groupes sociaux stigmatisés. Ce type de démarche, tout en poursuivant l’ambition généreuse d’ouvrir ou de bousculer le cadre traditionnel de la création, renforce bien souvent la posture de l’artiste tout en singeant celle de l’amateur. Pourquoi en rester là ? L’amateur n’est pas la figure renversée du professionnel. L’un et l’autre partagent une envie de faire. L’accueillir sans jugement de valeur, lui donner une place sans induire une quelconque posture, c’est faire bien plus que démocratiser la culture : c’est la partager. Nous pensons qu’il n’y a pas de culture partagée sans partage de la création. Nous croyons qu’il n’y a pas de création possible sans cultiver l’envie de faire, d’essayer, même si c’est juste pour voir. Essayer, se tromper, réessayer, y prendre goût. Nous croyons que les lieux doivent se transformer pour être en capacité d’accueillir ces tentatives, ces erreurs et ces recommencements.
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Et si demain...
ET SI DEMAIN...
Demain ne se fera pas sans désirs, sans élans et sans idées. Demain ne se fera pas non plus sans propositions d’actions et pistes à explorer. Fantaisistes, réalistes, provocants, ces « Et si demain… » ont pour vertu de lancer la boîte à idées et d’inviter d’autres à contribuer.
Et si demain... un lieu rendait à la ville, dans son espace urbain et
à la manière qui lui est propre, ce que la ville et tous ses habitants lui donnent en subventions. Rendre à la ville, c’est avoir le souci du plus grand nombre sans se satisfaire des visiteurs potentiels qu’un lieu peut accueillir. C’est s’adresser à tous les habitants dans les espaces qu’ils traversent chaque jour. Et si demain une partie des budgets artistiques d’un équipement public était naturellement destinée à créer et/ou diffuser des œuvres « hors les murs ».
Et si demain... l’expression « hors les murs » n’était plus utilisée pour qualifier les
projets présentés « dans d’autres murs », c'est-à-dire dans la salle du spectacle du voisin, mais pour qualifier les œuvres et les artistes qui s’exposent « sans les murs » ou sur tous les murs. Si l’on osait bousculer la création elle-même en lui proposant d’épouser les formes de la ville, de fouler ses trottoirs, de se frotter à ses murs, de se faufiler dans les couloirs des gares ou de s’exposer sur ses parvis. Si l’on essayait de faire de l’espace public un espace accueillant, une immense page blanche propice aux expressions artistiques. Dans ces conditions, les lieux seraient des incubateurs préparant mieux œuvres et artistes à s’emparer d’un espace plus vaste. Une rampe de lancement, en quelque sorte.
Et si demain... dans nos lieux, la présentation d’une œuvre ou le
souci de son avènement était l’affaire de tous. Si la direction artistique n’était pas le fait d’un seul, si le souci des relations avec le public ne relevait pas de la seule responsabilité d’une équipe dédiée. Et si demain, on se donnait les moyens de rompre avec les automatismes en constituant des équipes agiles, aux objectifs partagés, constituées pour les besoins d’un projet ou d’une saison. Ainsi, la créativité de chacun au service du projet artistique permettrait de décupler les contenus et les propositions. Ainsi, mieux partagées donc mieux comprises, les compétences de chacun seraient valorisées, au sein de l’équipe comme à l’extérieur.
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ET SI DEMAIN...
Et si demain... l’équipe d’un lieu se mettait au service de la réali-
sation d’un projet porté par une ou plusieurs personnes, sur le seul critère de l’envie de faire et d’essayer, en sachant valoriser la démarche et accompagner le résultat. Aujourd’hui, ce qu’un lieu a de mieux à proposer à un projet qualifié d’amateur, c’est la mise à disposition d’un espace. Demain, les lieux pourraient mobiliser du temps et ouvrir une partie de leur budget artistique à des projets portés par des personnes volontaires pour accompagner la prise d’initiative et l’émergence. Laisser une place.
Et si demain... s’inspirant de l’économie collaborative, un lieu
pouvait associer à sa mission première d’accueil des œuvres et des artistes une dimension contributive et ouverte sous forme de coopérative. Comédiens, artistes plasticiens, scénographes, techniciens, couturiers, décorateurs, graphistes, web masters, community managers, un lieu sur un territoire, c’est un vivier de compétences, c’est un foyer créatif. Imaginez que ces divers savoir-faire puissent être sollicités par la société civile (particuliers, entreprises, collectivités, etc.). Demain, ces lieux s’ouvriraient à leurs écosystèmes locaux en leur proposant de nouvelles ressources créatives à combiner dans le cadre d’associations éphémères entre des individus autour de la réalisation de projets communs.
Et si demain... « pour voir », on s’autorisait un retour au XIXè
siècle. On allumerait la lumière dans les salles, on donnerait le droit de parler, d’interpeller les comédiens, ou de faire salon. Transposer ces pratiques aujourd’hui reviendrait à twitter sans vergogne ou encore à prendre et poster une photo. Les conditions de représentation que nous connaissons aujourd’hui (obscurité et silence dans la salle) représentent une part infime de l’histoire de théâtre, elles constituent pourtant le mode de réception le plus commun aujourd’hui. Jouer avec ces codes, tout en respectant le travail des comédiens, viendrait nourrir et interroger notre rapport à l’œuvre.
Et si demain... nos administrations publiques invitaient des
individus volontaires à siéger dans les jurys, comités de sélection et autres instances régaliennes chargées de distribuer les sacro-saintes subventions. Il ne s’agit pas ici de solliciter « l’avis du public », si tant est que ce dernier s’exprime unanimement, mais plutôt d’associer des personnes extérieures, non rompues aux arcanes de l’administration centrale, au processus de sélection des projets. Nul doute que la fraîcheur et le bon sens de personnes motivées par la seule envie de contribuer saurait faire bouger les lignes.
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ET SI DEMAIN...
Et si demain... on accueillait les artistes en formation hors des lieux
qui leur sont traditionnellement dédiés (le musée, le plateau, l’atelier, etc.). Et si on inscrivait dans leur parcours du temps passé dans des espaces « autres » (l’administration, l’entreprise, l’école, la rue, la gare, etc.) pour mettre leur regard au service d’un projet porté par la société civile. Nous pensons que la place d’un artiste ne se limite pas au musée, à la galerie, au plateau ou à quelconque autre lieu estampillé « lieu culturel », aussi renommé soit-il. Nous pensons que la société a davantage à proposer à l’artiste que le lieu culturel, à l’employé que l’entreprise et à l’enseignant que l’école. Nous croyons que l’art peut décloisonner, à condition qu’il ne s’enferme pas lui-même entre les quatre murs de ses filières spécialisées et de ses lieux dédiés.
Et si demain... chaque école accueillait un artiste résidant, non
pas pour tenir autrement la place du professeur, mais pour s’y installer, pour y travailler au sein d’un espace autre conçu et aménagé par lui. Vivre avec un artiste, c’est découvrir que le processus créatif est un travail comme un autre, c’est aussi l’inviter à prendre part à la vie de l’école, c’est permettre une relation de personne à personne, qui se tisse au quotidien dans une réciprocité riche pour tous. C’est aussi valoriser des compétences souvent peu visibles, ouvrir le champ des possibles pour des enfants en apprentissage.
Et si demain... on tirait parti de la contrainte financière pour
en faire un levier pour vitaliser la création et conforter les lieux existants. Si on osait fermer 30% des lieux pour faire sortir les œuvres, les exposer, pour les inviter à investir tous les recoins, tous les non-lieux de la ville, les espaces privés, les creux… Soutenir davantage les artistes et un peu moins les lieux, c’est favoriser le mouvement à l’ancrage, c’est donner de l’air à l’art et faire confiance à la capacité des artistes à recréer leurs propres conditions d’exposition, de création, de diffusion.
Et si demain... il n’y avait plus de théâtres privés privés de subven-
tions et de théâtres publics privés de tout public. Si on savait reconnaître plutôt des personnes qui font le même métier au service de la qualité artistique. Si on mettait en commun les savoir-faire pour être plus créatifs dans les modes de production. Et si on tordait enfin le cou à un clivage de corporation pour se mettre au service des publics dans leur diversité.
Et si demain... pour lancer le mouvement, on commençait par un
grand événement à l’échelle nationale. On proposerait aux lieux de se laisser investir, de manière éphémère, par d’autres usages et d’autres publics. Le Théâtre des Champs Elysées accueillerait pour un soir un bal populaire. La Monnaie de Paris serait colonisée par les Beaux Arts. L’Odéon deviendrait non pas théâtre mais bibliothèque de l’Europe et un centre commercial abriterait dans ses espaces un atelier de construction de décors de théâtre. Détourner les lieux dans un hacking géant, c’est habiter différemment nos lieux aux usages bien ancrés. De cet événement spontané et éphémère pourrait naître de belles erreurs de casting…
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Ils sont à l'œuvre !
Pour réaliser ce document et nourrir notre réflexion, nous sommes allées à la rencontre de ceux qui, mûs par l’envie de faire et la soif d’entreprendre, ont tenté le pas de côté. Toutes ces initiatives sont l’expression d’un questionnement personnel dont nous voulons nous faire l’écho en rassemblant quelques traces de ces belles rencontres. Les projets présentés ici prennent des formes diverses et en sont à différents stades de développement : une intuition, une envie, une version béta ou un projet rôdé.
ILS SONT À L'ŒUVRE !
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UNE SCÈNE OUVERTE DANS UNE LAVERIE Elie Guillou, 30 ans, chanteur public
« Le Lavomatic Tour est une scène ouverte dans les
laveries. Une fois par mois, j'invite ceux qui le souhaitent à se rassembler autour d'une machine collective. Chacun amène un peu de linge et le temps d'une machine et d'un séchage, la parole est libre : théâtre, poésie, chant, danse, pétition, lecture de journaux, exposé, improvisations... Amateurs ou professionnels, tout le monde est accepté et il n'y a pas d'ordre de passage. Entre les clients qui font tomber leurs pièces dans la centrale de paiement, l'agent d'entretien qui déplace une guitare pour laver un hublot et les éboueurs qui envahissent la rue, on pourrait croire que c'est le pire endroit pour prendre la parole. C'est l'inverse. Le lieu empêche toute posture. Il n'y a pas de scène. Il n'y a pas de centre. L'artiste, c'est tout le monde et n'importe qui. La variété des propositions empêche la comparaison, la compétition qui règne parfois. De ces différences assumées naît un climat de bienveillance que j'ai retrouvé dans toutes les villes qui organisent un Lavomatic Tour. En fait, le Lavomatic Tour est une tentative de réponse à cette question qui m'habite depuis longtemps : comment être tous ensemble et tous différents ? Après 7 années de lavages et plus de 200 machines collectives, je risque cette phrase : c'est par la dif férence que l'on rejoint l'unité. »
DONNONS DE L’AIR-E À L’ART !
PLONGER LES SPECTATEURS AU CŒUR DU PROCESSUS DE DÉCISION ARTISTIQUE Olivier Peyronnaud, Directeur de la Maison de la Culture de Nevers (MCNN)
« En 2003, avec l'équipe du théâtre, nous imaginons le
concept des «Ambassadeurs de la MCNN ». Ce sont des personnes fréquentant le théâtre, choisies pour avoir un panel le plus proche possible du public de notre lieu. Trois à quatre fois par an, nous réunissons cette trentaine de personnes pour évoquer avec eux les différents aspects de la MCNN. Il s’agit de les impliquer sur des problématiques existantes (horaires d’ouverture, billetterie, site internet, animations) mais aussi, fait nouveau, sur le projet artistique de la structure. Notre envie est qu’ils découvrent le processus du projet et y participent, qu'ils accompagnent les choix de programmation. Le but est d’aiguiser leur sens critique, de les plonger au cœur d’un processus de décision artistique afin qu’ils en comprennent les tenants et les aboutissants. Ils ne viennent pas en décisionnaires avec leurs propres choix d’artistes, de compagnies ou de spectacles, mais ils vont voir, accompagnés d’une personne de la structure, des projets sélectionnés par le directeur artistique dans toutes les disciplines. Nous avons emmené plusieurs d’entre eux au Festival d’Avignon et ils ont ainsi pu voir des dizaines de spectacles en quelques jours. Pour nous, c'est aussi l'opportunité d’avoir un regard neuf, de public averti ou non. Enfin, une fois les choix finaux opérés, ils sont aussi « Ambassadeurs » de la saison pour générer une chaîne passionnante de communication et de parole autour d’un spectacle. Bref, nous avons fait de ce théâtre un lieu qui leur ressemble. »
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AVEC 300 SALLES, LA CAPITALE FRANÇAISE A BIEN DES ATOUTS À FAIRE VALOIR ! Carl de Poncin, 34 ans, Theatre in Paris
« Aller au théâtre à l’étranger, à moins d’être polyglotte, n’est pas donné au premier touriste venu. En partant de ce constat, je me suis associé avec un journaliste spécialiste du tourisme et un ami artiste pour créer un nouveau concept. Nous voulions défier la morosité ambiante et contribuer, à notre manière, à faire de Paris une destination touristique exceptionnelle.
L’idée est simple : peu de villes ont la vivacité de la scène théâtrale parisienne et pourtant les étrangers ne connaissent que le Lido ou le Moulin Rouge. Avec Theatre in Paris, grâce au surtitrage des spectacles, c’est une nouvelle facette de la ville que nous leur dévoilons. Nous chouchoutons nos clients : accueil par un hôte dédié, bonnes places négociées avec les théâtres, introduction au spectacle en amont, possibilité de rencontrer les artistes, etc. Nous travaillons main dans la main avec les salles que nous équipons et les artistes eux-mêmes, qui sont au cœur de notre démarche. Je me suis lancé dans l’aventure il y a 18 mois. Aujourd’hui, nous recevons des visiteurs d’un jour, des expatriés devenus spectateurs réguliers, ou encore des groupes scolaires ou des séminaires d’entreprise. Les spectateurs sont enchantés et nous permettons aux théâtres d’accueillir un nouveau public. L’objectif est maintenant de faire d’une sortie au théâtre un incontournable des voyages à Paris ! »
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DONNONS DE L’AIR-E À L’ART !
ILS SONT À L'ŒUVRE !
DONNONS DE L’AIR-E À L’ART !
RASSEMBLER LES INITIATIVES INDIVIDUELLES POUR MUTUALISER NOS FORCES Anne Le Gall, Présidente du TMNLab et directrice du développement à l’Avant Seine / Théâtre de Colombes
« Depuis 10 ans, je constate que le sujet «numérique » intéresse de nombreux professionnels des théâtres mais que les initiatives sont souvent le fruit de bonnes volontés plutôt que de décisions stratégiques. A bien des égards, le secteur du spectacle vivant apparaît comme une niche à l'ère numérique : manque de culture numérique, numérisation et circulation quasi inexistante des données culturelles, expérience de spectateur qui va à l'encontre des usages de consommation «à la demande », etc. Faire de ces singularités des opportunités me semble assez réjouissant. En initiant le TMNlab, nous voulons rassembler les initiatives individuelles et isolées pour mutualiser nos forces afin de penser la mutation numérique de nos institutions de l'intérieur. Bien sûr dans mon quotidien de directrice du développement à l'Avant Seine, je suis trop débordée pour enclencher une révolution numérique du jour au lendemain. Mais le TMNlab me permet de faire évoluer les modes relationnels au sein de mon équipe, avec les spectateurs, les partenaires. Et de rêver une institution théâtrale collaborative : un lieu connecté avec son territoire dont la politique envers les publics serait co-construite avec ses usagers, espace de circulation d'une intelligence culturelle collective et citoyenne. »
ILS SONT À L'ŒUVRE !
DÉPASSER LE SIMPLE DON POUR CRÉER DE VÉRITABLES COMMUNAUTÉS Marie Tretiakow, 28 ans, proarti
LA CULTURE DANS VOTRE BOÎTE AUX LETTRES Hermine Mauzé, 28 ans et Gabriel Ecalle, 27 ans, La Box Culturelle
« Issus du journalisme et de l’immobilier, c’est pour
« J’ai rejoint Grégoire Harel, le fondateur de proarti, en UNE COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE POUR INVENTER L’AVENIR DES MUSÉES
donner plus de sens à nos journées qu’on a décidé de créer la Box Culturelle. L'idée est simple : accompagner les Parisiens dans leurs sorties culturelles en envoyant chaque mois dans leurs boîtes aux lettres des propositions pour agrémenter leurs soirées et week-ends. De la musique, de la lecture, des places de théâtre ou de concert, des soirées insolites : en tout trois sorties et deux objets pour les faire voyager pendant un mois.
Diane Drubay, 30 ans et Claire Solery, 31 ans, We Are Museums
Le temps est loin où le Pariscope permettait de faire le tri dans l’offre parisienne pléthorique. La Box Culturelle propose une sélection originale tout en promouvant des artistes qui n’ont pas encore la visibilité qu’ils méritent. Notre projet est construit sur une relation de confiance avec nos abonnés. C’est ce qui les incitera à sortir pour découvrir des choses vers lesquelles ils ne seraient pas allés spontanément.
A l'intersection entre le secteur des musées et de l'innovation, We Are Museums est donc depuis 2013 une plateforme interrogeant l'avenir des institutions culturelles dans un contexte toujours plus ouvert et globalisé. L’idée n’est pas seulement d’aider les participants dans leurs pratiques quotidiennes ou de créer des outils ou des contenus transculturels, mais surtout de penser et de façonner un nouveau leadership culturel, international, connecté, innovant.
La Box Culturelle est notre manière de bousculer le quotidien avec un petit colis. Chaque jour on mesure les défis de la création d’entreprise mais on compte bien s’appuyer sur nos premiers abonnés pour contaminer vos boîtes aux lettres. »
« Nous nous sommes rencontrées en 2009 en travaillant
à la transition numérique de musées français et internationaux. Nous observions l’engouement généré par les musées hors de leurs murs et, en parallèle, la solitude des équipes de communication face à ces nouveaux enjeux.
Après Vilnius et Varsovie, la troisième édition aura lieu du 30 mai au 2 juin à Berlin et accueillera des intervenants du Metropolitan Museum of Art, du British Museum, du Van Gogh Museum, etc. »
2012, au moment du lancement du projet. L’idée était de proposer une alternative aux entreprises de crowdfunding existantes en créant une plateforme dédiée aux projets artistiques et culturels, et de l'adosser à un fonds de dotation, une structure juridique d'intérêt général inédite qui nous permet de prendre en charge la défiscalisation des dons et d’accompagner les porteurs de projets culturels dans leurs spécificités. La plateforme a vu le jour en 2013, et depuis 70 projets ont été financés par 4 000 mécènes et 300 000 euros collectés. Notre envie, c’est de dépasser le simple don pour créer de véritables communautés : pour les porteurs de projets c’est l’occasion de booster la communication et de créer une dynamique collective autour de leurs projets, pour les entreprises c’est un outil de mécénat innovant, et surtout pour les mécènes individuels (et entreprises) c’est l’occasion d’être véritablement impliqués aux côtés des artistes. Pour structurer ce réseau, nous avons dès le début souhaité nous associer avec des acteurs culturels : lieux de théâtre ou d’art, ils sont ainsi impliqués dans l’émergence des projets et y portent un regard attentif. Ils utilisent eux aussi la plateforme pour diversifier leurs sources de financement et mobiliser différemment leurs publics. De manière générale, proarti est comme un outil de médiation qui travaille à partager le processus de création avec un public qui le connaît souvent mal et qui aimerait participer davantage. Cela représente une certaine prise de pouvoir de la société civile qui est en mesure de choisir quels projets elle veut voir aboutir. Mais le lien qui se crée n’est pas seulement financier et nous avons l’ambition de le densifier en proposant des recommandations de sorties ou de souscriptions en fonction des centres d’intérêts, des affinités et des projets financés. Nous tenons à ne pas oublier les projets après leurs campagnes et à garder leurs communautés actives tout au long de leur vie ! Le crowdfunding est un dispositif jeune et il nous appartient de continuer à innover, avec les porteurs de projets et les mécènes, dans une confiance réciproque. »
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ILS SONT À L'ŒUVRE !
RENCONTRER LA COMMUNAUTÉ IRL LE TEMPS D’UNE SOIRÉE DANS UN THÉÂTRE « Grande passionnée de théâtre, je peux aller voir
Alors un jour, j’ai lancé une invitation et on s’est retrouvé dans un bar. Je pensais qu’on serait huit et on était trente-sept. C’était la première GladParty ! Forte de ce petit succès, j’ai ensuite sollicité des théâtres pour nous accueillir. Au fil des éditions, c’est devenu une vraie organisation pour plus de cent participants : on lance une cagnotte en ligne pour participer aux frais, une petite bande de fidèles amis bloggeurs m’aide, on fait gagner des places ou visiter le théâtre. Une manière de faire découvrir les théâtres autrement. La prochaine est prévue en juin. Vous venez ? »
ILS SONT À L'ŒUVRE !
UN ATELIER MOBILE POUR FABRIQUER LES OBJETS GRAPHIQUES LÀ OÙ ILS S’INVENTENT
Gladys, 29 ans, bloggeuse
5 spectacles en une semaine. A force d’y aller, mes amis me demandaient sans cesse des conseils. En 2008, j’ai décidé de créer www.gladoscope.fr, un blog pour partager mes recommandations en ligne. Avec le développement des réseaux sociaux, nous avons commencé à être nombreux à échanger critiques et avis sur les spectacles. Finalement, de vraies relations se tissaient avec d’autres bloggeurs, des journalistes, des artistes, des passionnés. Parfois on se croise les uns les autres dans les salles mais la communauté ne s’était jamais vraiment retrouvée.
DONNONS DE L’AIR-E À L’ART !
UN THÉÂTRE-ÉCOLE OÙ SE CÔTOIERAIENT ARTISTES, CHERCHEURS ET ÉLÈVES Marie Payen, 41 ans, auteur, comédienne Kevin Keiss, 32 ans, dramaturge, chercheur en Lettres Anciennes à Paris VII Leila Adham, 36 ans, Maître de Conférence, Etudes Théâtrales
« On a tous les trois des parcours pluridisciplinaires qui gravitent autour de la scène, c’est là que nos chemins se sont croisés.
Ensemble, nous appelons un lieu dédié à la mise en commun de la pratique du théâtre et de la recherche scientifique. Un lieu pour répéter, pour présenter des travaux, pour jouer, pour mettre face à face (côte à côte?) les Arts et les Sciences, mais aussi un lieu pour transmettre. Un théâtre-école où se côtoieraient artistes, chercheurs et élèves. Une usine, mais dont les portes seraient toujours ouvertes. Une usine qui appartiendrait à ses ouvriers, plutôt qu’à des programmateurs. Une sorte de Factory, de maison d’artistes, où travailler et montrer son travail, en dehors d’une production déterminée devient possible. Où dilater le temps, en refusant les cadences habituelles des productions spectaculaires (6 semaines de répétition, 2 semaines d’exploitation) devient faisable. Un lieu pour tenter une ré-articulation de la pratique théâtrale et de sa théorisation enfin, puisque par contamination tout le monde y devient praticien et chercheur. Pour le moment on construit le projet, on échange, on discute, mais surtout on cherche un ou des lieux pour amorcer le travail. A bon entendeur ! »
Florent Vicente, 31 ans et Gwendoline Dulat, 27 ans, Les Trames Ordinaires
« Notre projet est né de l'envie d'intégrer à notre
pratique du design graphique une dimension participative incitant une interaction avec divers publics. Nous avons créé Les trames ordinaires, un studio graphique mobile qui voyage au gré des projets et des rencontres. Notre structure est surtout un lieu d'expérimentation autour de l'objet imprimé, sous forme d'interventions ouvertes au public. Nous avons installé notre atelier dans un camping-car et travaillons à partir de diverses techniques d’impression – dont notamment un duplicopieur Riso – et de matériel de façonnage. Cette autonomie des moyens nous permet de concevoir, accompagner et fabriquer des objets graphiques là où ils s'inventent. Notre démarche rassemble des amateurs et des professionnels autour d'une réflexion par la pratique sur le texte et l'image. »
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DONNONS DE L’AIR-E À L’ART !
UN REPÈRE DE BRICOLO POUR FABRIQUER DU LIEN L’atelier de René, la Recyclerie, Paris
« Je suis René. Mon atelier a ouvert à la Recylerie, dans
l'ancienne Gare Ornano, Porte de Clignancourt à Paris. Il vit au gré des événements du lieu avec pour leitmotiv de prolonger la vie des objets. Chaque jour, j’accueille les curieux et les adhérents qui souhaitent se servir des outils à disposition, emprunter une machine, avoir un avis sur un objet cassé, etc. Tous les quinze jours, j'organise des ateliers. J’imagine un thème en fonction de ce que j'ai sous la main : réaliser une lampe, un tabouret, une boîte. La Recyclerie est un lieu en aménagement perpétuel, nous bénéficions des chutes de bois et autres matériaux qui restent des travaux. Il suffit aussi d'être attentif et de récupérer certains meubles laissés sur le trottoir pour avoir une belle planche à réutiliser. Bien sûr on ne peut pas tout faire, l'atelier n'est pas très grand et pour savoir tout réparer, des vélos aux téléphones en passant par les aspirateurs, il faudrait être très nombreux. Mais on donne un avis et on accueille ponctuellement des experts en leur domaine. Mon but, c'est de faire profiter de mon savoir-faire, de le transmettre, et de vivre plus intelligemment la société de consommation. »
ILS SONT À L'ŒUVRE !
DONNONS DE L’AIR-E À L’ART !
ILS SONT À L'ŒUVRE !
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MERCI À... CHRISTINE et NICOLAS BARD, fondateurs d’Ici Montreuil CÔME DE BELLECIZE, auteur et metteur en scène JEAN BLAISE, directeur, Le Voyage à Nantes ARNAUD BRUYÈRE, Théâtre le Hublot STÉPHANIE DUFOUR, directrice des publics, T2G GWENDOLINE DULAT et FLORENT VINCENTE, Les Trames Ordinaires GLADYS, blogueuse ELIE GUILLOU, chanteur public BERNARD LATARJET, président, Théâtre Sylvia Montfort ANNE LE GALL, Présidente du TMNLab et directrice du développement à l’Avant Seine / Théâtre de Colombes OLIVIER LEGUAY, responsable éditorial, Forum d'Avignon PIERRE-YVES LENOIR, administrateur, Odéon – Théâtre de l’Europe HERMINE MAUZÉ et GABRIEL ECALLE, directeurs de La Box Culturelle BLAISE MAO, rédacteur en chef adjoint, Usbeck & Rica CARL DE PONÇINS, directeur, Theatre in Paris RENÉ, La Recyclerie MARIE PAYEN, comédienne OLIVIER PEYRONNAUD, directeur, MCNN PAULINE ROUER, responsable mécénat et développement, Odéon – Théâtre de l’Europe SERGE SAADA, universitaire CHRISTINE SILBERMANN, BERTRAND MOINEAU et toute l'équipe de Louvre Alliance CLAIRE SOLERY et DIANE DRUBRAY, fondatrices de We are museums MARIE TRETIAKOW, proarti.fr CENTRE NATIONAL DU THÉÂTRE AUX BIENVEILLANTS. Cette publication est financée grâce à une campagne de financement participatif sur www.proarti.fr Nous remercions chaleureusement tous les contributeurs.
Après, vous pouvez refermer d'un geste distrait ce document, en songeant que ça pourrait faire un précieux cale-porte, Après, vous pouvez vous rendre sur le site www.artistikbazaar.com pour nous faire part de vos suggestions, commentaires et autres remarques, Et après, vous pouvez saisir un crayon, vous prendre à rêver et à dessiner votre lieu imaginaire à vous, Et après, on peut se rencontrer pour transformer l'un ou l'autre des « Et si demain » en action pour aujourd'hui, Après, vous pouvez offrir le poster à votre fils de 7 ans, qui saura certainement quoi en faire, Et après, vous pensez aux personnes de votre entourage que ce Manifeste interpellera et vous leur adressez un exemplaire, Ou alors vous n'êtes pas d'accord et vous prenez la ferme résolution d'écrire votre propre proposition. Après, ça commence aujourd'hui.
Retrouvez-nous : /artistikbazaar @artistikbazaar @artistik_bazaar #etsidemain #théâtreimaginaire
L'HISTOIRE DES MARINE A COMMENCÉ SUR LES BANCS DE SCIENCES PO EN 2007. Elle s'est poursuivie par des trajectoires parallèles et entrecroisées, pour l'une en production et direction artistique, pour l'autre dans l'accompagnement de projets et de politiques culturelles dans les territoires. MARINE BIROT et MARINE ULRICH partagent la conviction que l’expérience de l'art est une force pour continuer à rassembler, réjouir, construire et inspirer. Elles croient que le spectacle vivant, en particulier, regorge d'expériences à vivre, virtuelles, réelles, au présent ou en différé. En 2014, les Marine créent ARTISTIK BAZAAR, cabinet de curiosités où s'inventent et s'expérimentent de nouvelles pratiques artistiques et culturelles. C’est une nouvelle page de leur collaboration qui s’ouvre, pour associer au travail de terrain un espace de liberté, un endroit pour cultiver leur regard, résolument optimiste, sur la création, ses pratiques et ses lieux. En 2015, elles prennent la parole avec l'enthousiasme de la jeunesse chevillé au corps. Elles rassemblent dans ce texte des idées et des propositions pour ouvrir les lieux culturels aux quatre vents de notre XXIè siècle. ALINE ROLLIN est une jeune illustratrice. Elle partage principalement son temps entre le dessin en direct, l'illustration documentaire, et le graphisme d'information. Elle a croqué les scènes de vie de notre théâtre imaginaire, en se focalisant sur sa dimension humaine. FANNY PÈNE est une jeune architecte d'intérieur. Elle a accompagné le projet en travaillant sur la mise en espace d'un lieu imaginaire. La question de l'occupation éphémère des espaces et de leur transformation au gré des usages est au coeur de ses travaux.
Appropriation, partage, remix, contribution, expressivité... Notre génération est façonnée par la révolution des usages. Elle vit son rapport à l’art comme une expérience personnelle qui s’affranchit volontiers des lieux, se nourrit d'événements, d’images, et se partage. A l’heure où la culture est disponible partout, tout le temps et bien souvent gratuitement, les lieux culturels doivent engager leur propre mutation. Aujourd’hui, ils ont perdu le monopole de la diffusion des œuvres. Demain, ils peuvent être des espaces rares au cœur de nos villes : des espaces libres non définis par leur seule fonctionnalité, des lieux d’intersection, des lieux d’essai. Des lieux à habiter.
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#théâtreimaginaire
Ni exemplaire, ni idéale, utopique par nature, voilà une proposition toute personnelle mise en image par Aline Rollin.
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Nous nous sommes prêtées au jeu, pour aller au bout de l'exercice, de dessiner les contours de notre lieu imaginaire. Un théâtre.