Rentabilité, résultats, public… les gros mots de la culture

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Rentabilité, résultats, public…Les gros mots de la culture

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Rentabilité, résultats, public…Les gros mots de la culture LE MONDE | 10.04.2015 à 11h38 • Mis à jour le 10.04.2015 à 11h43 | Par Michel Guerrin (/journaliste/michel-guerrin/)

Nous savons pourquoi nous aimons la matinale de France Inter. Pour écouter l’hommage de Rebecca Manzoni à Billie Holiday, mercredi 8 avril à 7 h 25, à l’occasion du centenaire de la naissance de la chanteuse. La station publique est en plein dans sa mission de service public. Dans sa vocation culturelle aussi. Ces mêmes notions sont brandies par les musiciens en grève de Radio France – ceux de l’orchestre national, du philharmonique et du chœur – qui dénoncent, dans une pétition mise en ligne le 7 avril, « le désengagement de l’Etat » ou encore « la menace qui pèse sur eux au nom d’une logique de rentabilité absurde ». Les deux orchestres et le chœur pourraient en effet voir leurs effectifs se réduire. Mais l’attaque des musiciens contre une culture rentable est typique des institutions culturelles sur la sellette qui entendent évacuer les questions fâcheuses. Lire aussi : Radio Clash (/idees/article/2015/04/10/radio-clash_4613425_3232.html) Le concept de rentabilité s’est invité dans le débat culturel depuis que l’argent public est en baisse. Mais comme c’est un gros mot, on en a choisi de plus présentables. Le premier à lever le tabou est le président Nicolas Sarkozy, en 2007, quand il exige des « obligations de résultat » aux théâtres subventionnés. Tollé général. Dans la revue Esprit, l’économiste de la culture Françoise Benhamou pointe alors un basculement, « celui d’une politique de l’offre vers une politique de la demande ». Entendez : on conditionne la subvention au nombre du public et à sa diversité – c’est plus noble que de dire Audimat.

LES MUSÉES, THÉÂTRES OU FESTIVALS N’ONT PAS ATTENDU CETTE INJONCTION POUR DÉVELOPPER LEURS RESSOURCES PROPRES, JUSQU’À 50 % DE LEUR BUDGET

Un autre verrou saute en 2012, cette fois dû à la gauche, quand le budget de la culture d’Aurélie Filippetti subit une baisse comme il n’y en avait jamais eu en trente ans. La conséquence est écrite noir sur blanc dans un texte officiel du 18 décembre 2013, demandant aux grandes institutions culturelles de développer « le mécénat, la billetterie, la location d’espaces… ».

Les musées, théâtres ou festivals n’ont pas attendu cette injonction pour développer leurs ressources propres, jusqu’à 50 % de leur budget. Les musées en tête sont fiers d’annoncer chaque début d’année une fréquentation record, mais disent moins qu’ils réduisent le nombre d’expositions, annulent des projets jugés peu rentables, louent des œuvres à l’étranger, augmentent le prix du ticket, font appel à des sponsors de plus en plus intrusifs. Personne ne semble avoir à redire par exemple que l’exposition de la collection d’art de Doris et Donald Fisher, à voir au Grand Palais jusqu’au 22 juin, soit sponsorisée par Gap, dont les fondateurs sont le couple Fisher – un mélange des genres impensable il y a vingt ans. Pour contrer la chute des subventions, qui risque d’être durable, et qui saigne d’abord les petits lieux culturels où les ressources propres sont limitées, un autre champ a été ouvert : dire que la culture, ça rapporte. Un premier rapport a fait grand bruit, en 2006, expliquant que les monuments du midi de la France, grâce au tourisme, rapportaient plus qu’ils ne coûtaient. D’autres études ont suivi, dans le même sens. Par exemple l’Opéra de Lyon, le deuxième en France après Paris, a fait jaser en publiant fin 2011 une étude marketing, qu’il avait commandée, sur les retombées économiques de son action. Aux journalistes surpris, le directeur de cet opéra, Serge Dorny, avait rétorqué : « Ça vous choque ? »

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Ça ne choque plus. Même Aurélie Filippetti est allée sur ce terrain, quand, il y a un peu plus d’un an, son ministère publiait, avec le ministère de l’économie, un rapport qui montre que la culture contribue sept fois plus au PIB que l’industrie automobile. Mais le terrain est périlleux. « En convoquant trop souvent l’économie, les acteurs de la culture la mettent en danger », écrit Françoise Benhamou, dans Le Monde du 12 octobre 2012, parce qu’on ne construit pas un hôpital ou un musée pour les emplois créés. Le metteur en scène Jean-Pierre Vincent est plus radical : l’essence de la culture est d’être « une dépense improductive » (Le Monde du 15 février 2014). Du reste, si elle était productive, nombre de lieux culturels ne seraient pas en plein marasme.

PERSONNE NE DEMANDE AUX ORCHESTRES DE RADIO FRANCE D’ÊTRE RENTABLES. JUSTE D’ÊTRE MOINS COÛTEUX

C’est là que deux philosophies s’affrontent. Certains pensent que la culture doit participer à l’effort de guerre visant à réduire nos dépenses publiques. Pour d’autres, le secteur créatif doit être sanctuarisé. Pour en revenir aux deux orchestres de Radio France, le problème est qu’ils n’ont rien à voir avec ce débat. Personne ne leur demande d’être rentables. Juste d’être moins coûteux et d’augmenter les ressources propres pour se rapprocher de l’économie standard des orchestres similaires dans le monde. Plutôt que de brandir l’étendard du service public – qui a bon dos –, les musiciens devraient répondre aux critiques de la Cour des comptes dans son rapport sur Radio France : des orchestres qui se marchent sur les pieds et manquent d’identité ; des ressources propres trop faibles ; un « sous-emploi chronique » des musiciens (700 heures travaillées par an en moyenne, contre 1 100 heures prévues), ce qui n’empêche pas le recours à des remplacements externes et le paiement d’heures supplémentaires. Relativisons : la liste des gaspillages d’argent pour l’ensemble du groupe Radio France, pointés par la Cour des comptes, est bien plus longue. (/journaliste/michel-guerrin/) Michel

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