Processus vernaculaires : L'architecture imprimée en 3D au service du vernaculaire au XXIème siècle

Page 1

PROCESSUS VERNACULAIRES L’architecture imprimée en 3D au service du vernaculaire au XXIème siècle

Mémoire de Master

Séminaire Architecture, Environnement, Construction Rédigé sous la direction de Teiva Bodereau

Aurore Gros 2018



Tous mes remerciements à l’équipe enseignante et à mes proches pour m’avoir conseillée et accompagnée dans l’élaboration de ce mémoire.


SOMMAIRE 7 9

RÉSUMÉ INTRODUCTION

13 PARTIE I - L’ARCHITECTURE VERNACULAIRE ET L’IMPRESSION 3D :

UNE CONVERGENCE POSSIBLE ?

1 - L’architecture vernaculaire : les enjeux dans la société du XXIème siècle

14 L’architecture vernaculaire : définition et nuances Sens commun et étymologique Application du terme “vernaculaire“ à l’architecture Essais d’auteurs Un processus multiple 21 Les pertinences et les limites de l’architecture vernaculaire Les enseignements à en tirer Les freins à son évolution

2 - L’impression 3D à l’échelle du bâtiment : état des lieux et perspectives

24 La fabrication additive Principe de fonctionnement Techniques existantes Développement des fablabs 28 Application à l’architecture : une nouvelle réalité Les méthodes : moyens constructifs de l’impression 3D XL Des matériaux éco-responsables Les aspects pluriels de la construction par impression 3D

3 - Corrélations entre les principes vernaculaires et la fabrication additive de bâtiments

42 Évolution de l’architecture vernaculaire Version adaptée à la société du XXIe siècle La place de la technique et des spécialistes Inscription dans la 3ème révolution industrielle 45 Des similitudes conceptuelles: une architecture du spécifique issue d’une démarche collaborative L’optimisation des ressources propres au site pour une architecture spécifique Le consommateur intelligent Les échanges vertueux de la communauté 2.0


49 PARTIE II - PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION D’UNE ARCHITECTURE

VERNACULAIRE À TRAVERS LA CONSTRUCTION PAR IMPRESSION 3D

1 - Un fonctionnement local

Vers la décentralisation de la production 50 Les micro-centres de production Le renforcement des filières locales et l’économie circulaire Une architecture locale et responsable 52 La compréhension des ressources du site Une synergie entre héritage culturel et innovation constructive Une réponse à un besoin spécifique 55 Une architecture non-standard L’ultra-personnalisation L’aspect formel

2 - L’intelligence collective du XXIe siècle

La communauté Internet 58 Au delà de la proximité physique Un partage de connaissances horizontal La valorisation de l’expérimentation pour l’amélioration Vers une autogestion Bottom-Up 63 Un retournement sociétal Les Makers à l’échelle architecturale L’architecture participative et l’open-source

3 - Un nouvel écosystème de production

Une nouvelle manière de concevoir et de construire pour le vernaculaire 2.0 68 De nouvelles temporalités pour les acteurs du projet Le rapport au chantier Un système de normes à adapter Le rôle de l’architecte Nouveau paradigme : Une manière positive d’appréhender la technologie 74 Au service de l’environnement et du lien social Le Low High-tech Perspectives d’un vernaculaire urbain au XXIème siècle 78 Gouvernance et fabrique urbaine De nouveaux modèles urbains 83 85

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE / ICONOGRAPHIE


6


RÉSUMÉ

L’architecture vernaculaire est un processus en constante évolution. Porteuse des spécificités locales, à la fois matérielles et immatérielles, elle est en perpétuelle adaptation aux nouvelles conjonctures. Les démarches vernaculaires ont peu à peu été effacées des pratiques architecturales. Il est aujourd’hui pertinent de se questionner sur la manière dont le contexte actuel, monde de l’immédiateté, de la communication et des avancées technologiques, pourra les réactiver en s’appuyant sur les initiatives durables et collectives émergentes. L’impression 3D paraît être en mesure d’incarner un outil adapté à l’architecture vernaculaire du XXIème siècle. Produisant des architectures spécifiques et collaboratives, elle requalifie les procédés de conception, en corrélation avec les démarches et les objectifs vernaculaires. D’un point de vue technique, la forme des matériaux imprimables en 3D permet et encourage l’emploi de matériaux locaux et de rebuts disponibles, tels que la terre, les fibres végétales, le sel etc. Ces matériaux spontanés favorisent à nouveau l’expérimentation, le partage de connaissances et la compréhension fine des ressources propres au site. Au delà de ces aspects, elle génère à travers les communautés Internet un état d’esprit ouvert et participatif rayonnant sur les socialités du monde, offrant des capacités inédites de transmission et de collaboration. Capable d’occasionner de nouvelles synergies entre les ressources et les cultures, l’impression 3D a le potentiel de reconstituer les liens entre l’humain et son territoire, permettant ainsi de rééquilibrer les relations entre milieu naturel, milieu construit et milieu social. Au point de contact entre mise en valeur d’une localité et intégration dans un contexte global, une architecture vernaculaire imprimée en 3D laisse transparaître de nombreux potentiels.

7


ÉCOLOGIQUE

DURABLE SOCIAL

ÉCONOMIQUE

Les Trois Piliers du Développement Durable, Rapport Brundtland

8


INTRODUCTION

En ce début de XXIème siècle, les états d’esprit sont marqués par une prise de conscience globale, qui se rapporte notamment à l’épuisement des ressources de la planète et à l’emprise du système économique mondial. Déjà dans les années 1970, le Rapport Meadows effectue un premier état des lieux de la situation inquiétante de l’environnement. Il appelle à la durabilité et à une croissance raisonnée1. Quinze ans plus tard, le Rapport Brundtland fait apparaître la notion d’un Développement Durable qui y est défini comme “un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins”2. Cela engage un changement d’attitude vers une sobriété énergétique générale. Ces préoccupations remettent en cause la manière de produire l’architecture, qui est concernée par les trois grands enjeux évoqués - l’environnement, le social et l’économie. Ces constats font apparaître comme menaçante la société capitaliste et fonctionnaliste du XXème siècle, à travers l’exploitation sans limite des ressources, l’aménagement autoritaire de l’espace, la recherche ultime du profit et la tendance du monde vers une globalisation uniformisante. Les bâtiments standards qu’elle a déployés et le système qu’elle a développé autour ont empêché l’Homme d’agir librement sur son cadre de vie. Cela a causé un affranchissement progressif de l’ensemble des contraintes territoriales, soit le phénomène de la “déterritorialisation”. La conséquence est l’ignorance croissante du lien entre l’établissement humain et son environnement3, qui entraîne la perte d’identité et de pouvoir des habitants dans leur territoire. Cette amnésie territoriale génère alors de la dépendance et de la fragilité. De cette même manière, la délocalisation due au système productif globalisé a rompu le lien quotidien entre production et consommation. Ces interrogations sont devenues essentielles dans les conceptions architecturales. En ce sens, certaines initiatives remarquables amènent à porter un nouveau regard sur la technologie au XXIème siècle, au service de l’environnement, du durable, de l’économie, du social et de l’éthique. Les nouveaux champs de réflexions architecturales doivent aussi s’adapter aux nouvelles configurations sociales. Nous vivons dans une société de l’information et de la communication qui bouleverse les rapports sociaux entre les Hommes et le rapport des Hommes avec la temporalité du monde. La société du XXIème siècle vit en temps-réel dans le monde de l’immédiateté. Ce bouleversement sociologique et culturel est entraîné par la révolution numérique avec les nouvelles technologies, les NTIC (Nouvelles technologies de l’Information et de la Communication) et les espaces virtuels.

1 Meadows Donella, Meadows Denis, Randers J., Behrens III W.W. (Club de Rome), “Halte à la croissance ?“, Paris, Fayard, 1972. 2 Brundtland G.H., “Notre avenir à tous“, Rapport pour la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Editions du fleuve, Montréal, 1987. 3 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003.

9


Paradoxalement à ce que l’on pourrait penser au premier abord de ces pratiques mises ensemble, c’est cette conjoncture qui de nos jours fait renaître l’intérêt pour les valeurs vernaculaires. Elles apparaissent comme un modèle pouvant apporter une réponse adaptée à la situation de crise que le monde traverse. La définition du vernaculaire est subtile car le terme, longtemps méconnu, représente un procédé en perpétuelle évolution. Il est de ce fait complexe de capter ses caractéristiques primaires car le vernaculaire se formule et s’adapte de manière innée aux évolutions contextuelles. La chose certaine est que cette architecture repose sur une adéquation entre des valeurs et un contexte, elle est fondamentalement un processus. L’architecture vernaculaire prend en compte les facteurs physiques et immatériels des lieux dans lesquels elle s’implante, d’après des critères techniques, sociaux et environnementaux. Elle englobe les notions locales et globales À travers des pratiques collectives singulières permettant de ne pas dissocier la conception, de la construction et de l’habitation, elle permet une appropriation collective, matérielle, formelle et symbolique du bâti par ses constructeurs et ses usagers. Le sujet de ce mémoire découle d’une série de questionnements concernant d’une part le détachement des individus par rapport leur environnement bâti, d’autre part les éventuelles manières d’aborder un projet selon les valeurs et les processus vernaculaires à des fins sociales et environnementales et par extension, la façon dont cela pourrait impacter la conception architecturale. La puissante relation entre l’habitant et le milieu physique est ancestralement la base de l’établissement humain. Les usagers de l’architecture sont en large partie, au XXIème siècle, privés par l’organisation de la société de leurs connexions avec leur territoire. Ils doivent re-tisser ces liens en vue de se tourner vers une architecture de nouveau locale et spécifique. De manière parallèle, l’accroissement de la technologie et des architectures alternatives ayant recours au réemploi ou à la participation de l’habitant se développent. Cela ouvre la réflexion sur les entités à combiner afin de parvenir à une démarche vernaculaire. Dans le monde du XXIe siècle, de quelles manières l’architecture vernaculaire peut-elle évoluer en vue de produire des constructions adaptées aux sociétés contemporaines ? Les projets comportant de nouvelles technologies sont souvent critiqués pour leur frivolité. Un courant émerge cependant d’une architecture qui s’approprie la nouvelle technologie pour le bien collectif. À l’évocation des nouvelles technologies dans le domaine de l’architecture, on peut penser à la domotique et ses technologies très élaborées et complexes. En contraste avec cela, l’impression 3D fait partie des technologies plus douces et elle possède des vertus bien au delà de l’aspect technique. La fabrication additive est un processus d’assemblage couche par couche de matériaux, fabriquant des éléments à partir d’un modèle 3D. Cette technique bouleverse nos façons de commercer, de créer, de construire. Elle a un impact pour les producteurs, les vendeurs, les consommateurs et sera amenée à influencer l’approche de l’architecture, du bâtiment et de nos rapports sociaux. Au premier abord, l’impression 3D semble être une nouvelle technologie parmi les autres mais en s’informant davantage il apparaît qu’elle incarne bien d’autres valeurs, dues à un nouvel état d’esprit qu’elle parvient à générer. Elle est synonyme de partage, d’échange, de relocalisation... Basée sur un principe simple d’ajout successif de matière, on peut facilement la comprendre et l’adapter. Elle va de pair avec d’importantes évolutions sociales et sociétales à travers les réseaux de nouvelles communautés philanthropiques via les NTIC.

10


Ce n’est pas la technologie qui la compose qui bouleverse profondément le système en place, mais tout l’état d’esprit collaboratif qu’elle engendre, couplée avec la communauté Internet. L’outil qu’est l’imprimante 3D paraît être en mesure de répondre aux problématiques de l’architecture vernaculaire du XXIème siècle. Des ressemblances entre les deux pratiques se dégagent. D’un point de vue social, le développement des projets au sein d’une communauté est essentiel. De nos jours, le virtuel transcende les barrières de la proximité physique et ouvre l’esprit de collaboration à une échelle nouvelle. Dans les deux cas, les réalisations se perfectionnent progressivement dans le temps, par l’expérimentation et la transmission de savoirs. Selon l’aspect technique, les caractéristiques des matériaux qu’elle met en oeuvre permettent d’envisager l’emploi de matériaux locaux en tous genres et ainsi de renouer avec la compréhension du territoire permettant l’architecture vernaculaire. Cela a également la vertu de pouvoir produire une architecture non-standard, au plus proche des besoins réels. Aller à l’encontre des avancées techniques et technologiques serait insensé. La position à adopter est alors de les employer à juste titre au service de l’humain et du durable. L’impression 3D, sans être envisagée comme solution unique, possède des potentiels intrigants, car elle met en place un système inédit mêlant les capacités de la technique, des connaissances issues d’une socialité proliférante et des échanges philanthropiques. L’hypothèse selon laquelle la construction par impression 3D de matériaux éco-responsables peut participer à l’architecture vernaculaire du XXIe siècle, sera développée en deux temps. Il s’agira premièrement d’interroger les similitudes en termes de démarches et d’objectifs, entre l’architecture vernaculaire et la construction par l’impression 3D. En second lieu, il sera question d’explorer les manières dont la construction par impression 3D serait capable de faire évoluer l’architecture vernaculaire.

11


12


PARTIE I L’ARCHITECTURE VERNACULAIRE ET L’IMPRESSION 3D, UNE CONVERGENCE POSSIBLE ?

13


1-

L’architecture vernaculaire : ses enjeux dans la société du XXIème siècle

L’architecture vernaculaire : définition et nuances / Sens commun et étymologique Le terme vernaculaire, dérivé du latin vernaculus, se rapporte au XIVème siècle à ce qui est “relatif aux esclaves nés dans la maison de leur maître”1, signifiant qu’ils n’ont pas été achetés. Cet aspect nonmarchand fut utilisé comme expression technique par les législateurs Romains. Au milieu du XVIIIème siècle, le vernaculaire exprime tout ce qui est particulier à un pays2. Cent ans plus tard, le mot est associé au langage pour signifier une “langue communément parlée dans les limites d’une communauté”3. Le caractère populaire du terme se transpose à la biologie dans les années 1970 désignant le “nom vulgaire d’animal ou de végétal, par opposition aux noms qui suivent les règles de la nomenclature scientifique”4. De nos jours, la définition courante du vernaculaire telle que “ce qui est propre à un pays, à ses habitants”5 intègre alors les notions d’origine et d’appartenance et implique un contexte géographique et social spécifique. / Application du terme à l’architecture La définition de l’architecture vernaculaire est ébauchée en 1979 lors du Colloque de Plovdiv en Bulgarie par le CIAV (Comité International d’Architecture Vernaculaire) présidé par Rachelle Anguelova, l’objectif étant de formuler les caractéristiques et enjeux de ce type de construction. La complexité de la chose tient au fait que cette unique appellation doit faire référence aux spécificités d’une population et d’un territoire, c’est à dire employer un terme universel pour décrire une architecture qui par essence ne l’est pas. Ces réflexions établissent que l’architecture vernaculaire fait référence à quelque chose qui est propre à un pays et établie depuis un temps immémorial6, mettant en avant sa dimension culturelle. Ces études sont poursuivies en 1980 par le CERAV (Centre d’Études et de Recherches sur l’Architecture Vernaculaire) pour instituer qu’est vernaculaire “un bâtiment appartenant à un ensemble de constructions surgies lors d’un même mouvement. Il affecte une ou plusieurs régions et s’inscrit dans une période temporelle. Ce type de bâtiment est donc non seulement le reflet d’une région et d’une époque, mais aussi de la classe sociale qui l’a faite construire et utilisée“. S’ajoute alors la dimension spatiotemporelle. C’est en 1999 que la 12ème assemblée générale de ICOMOS (Conseil International des Monuments et des Sites) rédige au Mexique la Charte du patrimoine bâti vernaculaire, afin d’identifier ses caractéristiques, ses menaces et ses principes de conservation. L’architecture vernaculaire y est présentée comme un mode de construction partagé par une communauté, possédant un caractère local ou régional et apportant une réponse efficace aux contraintes fonctionnelles, sociales et environnementales de son contexte. Elle est élaborée selon une cohérence de style et une expertise transmise de façon informelle pour constituer une application efficace de systèmes et du savoir-faire propre à la construction traditionnelle7. 1, 2, 3, 4, 5 CNRTL Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/portail/ 6 Anguelova Rachelle, “Rapport de réunion du CIAV“, (Comité International d’Architecture Vernaculaire), Plovdiv, ICOMOS, 1979. 7 ICOMOS (Conseil International des Monuments et des Sites),“Charte du patrimoine bâti vernaculaire“, 12ème Assemblée Générale, Mexique, 1999 14


/ Essais d’auteurs / Des termes qui gravitent autour de la notion de vernaculaire De nombreux auteurs ont questionné la définition de l’architecture vernaculaire au cours du temps. Cette formule complexe est associée à d’autres termes et concepts qui gênent l’assimilation de l’essence de sa signification. Afin d’en saisir la substance, il est utile de croiser les sources pour identifier les convergences et écarter ce qui n’est que périphérique à la signification propre. L’architecte Halûk Sezgin mène en 1979 une investigation sur les termes génériques qui gravitent autour du vernaculaire dans À propos de l’architecture vernaculaire8. Cette recherche ouvre à des nuances qui permettent de dessiner les contours de l’architecture vernaculaire. L’architecture populaire ou primitive est selon lui l’architecture du peuple et repose sur des processus de construction issus d’une collaboration. Elle naît d’un échange - tel un individu construisant sa maison en groupe - qui au fil des générations se transforme en savoir. Elle est représentante d’une identité culturelle et prend en compte les ressources en matériaux, le climat et les techniques de mise en oeuvre disponibles. L’architecture rurale exprime toutes les existences de la vie de campagne9. L’architecture vernaculaire, en revanche ne se trouve pas seulement à l’extérieur des agglomérations urbaines. Existante hors des villes, la ruralité se distingue de l’architecture vernaculaire qui n’est pas dépendante de la localité car elle s’adapte à son environnement.

Tataouine, Tunisie

L’architecture anonyme, sans architectes ou hors discipline est investiguée, documentée et célébrée par Bernard Rudofsky en 1964 avec l’exposition Non-Pedigreed Architecture au MoMA de New-York, puis le livre Architecture without architects10. Il regrette la pénurie de documents au sujet de cette architecture, privant d’une définition avec une vue d’ensemble, mais la décrit déjà comme une architecture du monde, sans concepteurs professionnels, résultant de l’exercice de l’intelligence humaine confrontée à la nécessité. Cette ”architecture sans maître”11, source d’inspiration, résulte d’une activité spontanée et continue des communautés. Ces architectures constituent un ensemble logique reliant les éléments naturels, les besoins de survie et les relations sociales et ne se matérialisent pas à partir d’un programme donné mais par agglutination des besoins d’usage et d’expression. Luc Baboulet, résume la pensée de Bernard Rudofsky sur l’architecture sans architecte par “une architecture localisée, procédant d’un savoir-faire et d’un savoir-vivre collectifs, dont les gestes mêmes de la vie quotidienne, transmis par l’histoire et polis par l’usage, constituent les traits d’expression”12. Bernard Rudofsky s’attache a démontrer que la construction d’édifices sans auteurs est un moyen viable de conception, qui a existé et existe depuis des milliers d’années dans toutes les cultures du globe. Selon lui, il existe une étroite relation entre ce type

8, 9 Sezgin Halûk, “À propos de l’architecture vernaculaire”, Plovdiv, ICOMOS, octobre 1979. 10, 11 Rudofsky Bernard, Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture, Garden City, Doubleday & Company, Museum of Fine Arts, , New York, 1964. 12 Baboulet Luc, “L’architecture est un jeu”, revue AMC n°178, janvier 2008. 15


d’architecture - non codifiée, relatant l’art de construire, n’étant pas sous l’influence de la pensée théorique des architectes - et l’architecture vernaculaire. Halûk Sezgin se questionne sur la relation entre ces deux notions. Il estime que les initiative solitaires, en se transformant en collaboration par l’entraide, sont amenées à évoluer au fil des générations, vers des activités plus fines et spécialisées1. Aux côtés des maîtres spécialistes, l’usager participe alors dans une large mesure à la conception et à la construction du bâtiment. Il ne perçoit pas l’architecture vernaculaire comme nécessairement sans architecte, mais procédant d’une collaboration entre habitant et artisan pour la construction. En continuité de cette réflexion, on pourrait établir que toute pratique vernaculaire relayée dans le temps est vouée à créer une certaine forme d’expertise. L’architecture spontanée, architecture du bon sens et instinctive, fait appel aux moyens à disposition. Comme le décrit Jean-Marc Huygen dans La poubelle et l’architecte2, les créateurs hors discipline utilisent des matériaux à leur disposition, dans leur environnement immédiat. Ces matériaux disparates et glanés localement sont mis en forme par des récupérateurs et auto-constructeurs pour créer un lieu de vie qui trouve une syntonie d’ensemble et convoque des références culturelles. Halûk Sezgin précise que ces architectures peuvent aussi bien se réaliser avec des produits industriels s’ils lui sont accessibles alors que pour l’architecture vernaculaire, la structure et la technologie peuvent être différentes, mais les matériaux de construction sont naturels3. L’architecture marginale est en marge de la société, indépendante du système sociétal et marchand. Née d’un désir de sortir de l’emprise de la société industrielle et de consommation, elle représente un esprit contestataire et utopique. La nuance réside dans le fait que l’architecture vernaculaire est le reflet de la société à laquelle elle appartient. Elle n’est pas marginale car elle se situe dans la permanence et non dans l’évènement4. L’architecture du régionalisme critique est développée par Kenneth Frampton dans Towards a Critical Regionalism : Six points of an architecture of resistance6 en 1983, en opposition au régionalisme, courant architectural du début du XXème siècle prenant exemple sur l’architecture populaire du lieu et se servant de cette identité pour donner une dimension culturelle à l’architecture, parfois au détriment du rapport avec l’environnement et donnant lieu à des copies stéréotypées focalisées sur la forme. Le régionalisme critique, lui, puise son inspiration dans le lieu pour réinterpréter l’architecture populaire. Selon Kenneth Frampton, la tradition perpétue la nouveauté. Il ne considère pas les traditions comme des bien inaltérables mais comme “des biens à faire soigneusement fructifier”7. Ce courant promeut une culture qui se veut à la fois contemporaine et ancrée dans le local, sans tomber dans l’hermétisme. Le Régionalisme Critique produit alors une architecture “mesurée” qui privilégie le territoire généré par la construction d’un édifice sur un terrain donné, plutôt que le bâtiment perçu comme objet isolé et insiste systématiquement sur les facteurs propres au site. Afin de pouvoir être conçue, “un minimum de prospérité et un consensus d’opposition au centralisme - l’aspiration du moins à une indépendance culturelle, économique et politique - doivent exister”8. 0 Termes choisis pour le développement des comparaisons sémantiques inspirés du mémoire de Trauchessec Pierrick, L’interprétation de l’architecture vernaculaire par les architectes , Mémoire de master, ENSAT, Toulouse, 2014. 1, 3 Sezgin Halûk, “À propos de l’architecture vernaculaire”, Plovdiv, ICOMOS, octobre 1979. 2 Huygen Jean-Marc, La poubelle et l’architecte : vers le réemploi des matériaux, Actes Sud Beaux Arts L’Impensé, 2008. 4 Baboulet Luc, “L’architecture est un jeu”, revue AMC n°178, janvier 2008. 6, 8, 9 Frampton Kenneth, Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of Resistance, Port Townsend, Bay Press, 1983. 7 Frampton Kenneth, L’architecture moderne : une histoire critique, Londres, Thames & Hudson, 1980. 16

Cappadocia, Turquie


Kenneth Frampton explicite que le régionalisme critique ne désigne pas l’architecture vernaculaire, il s’agit d’“écoles régionales qui s’attachent avant tout à représenter et à servir les territoires limités dans lesquels elles sont ancrées”9. On pourrait considérer ce mouvement comme une théorisation de l’architecture vernaculaire. Ceci s’éloigne de la définition complète car elle est centrée sur les ressources physiques du site et n’inclut pas les usagers.

/ Des concepts qui gravitent autour de la notion de vernaculaire La notion de temporalité est délicate car le vernaculaire est “existentiel”10, pour reprendre les termes de John Brinckerhoff Jackson. C’est parce qu’il s’adapte à toutes les circonstances, en fonction des besoins de l’Homme, qu’il ne peut ni mourir, ni s’enfermer dans la tradition et n’accomplit son identité qu’au fur et à mesure de son existence. Ainsi c’est uniquement lorsqu’il cesse d’évoluer que nous pouvons dire ce qu’il est11. Les formes vernaculaires ne peuvent être qualifiées ni de primaires, ni d’archétypales, ni d’originelles, mais sont “sociales et temporelles“12 car elles résultent de l’expérience d’innombrables générations. Dans les strates culturelles du temps, elles permettent alors d’entrevoir, le sens de la collectivité13. La qualification de vernaculaire, en parallèle de sa permanence, est relative à un contexte spatiotemporel qui peut évoluer. De cette manière, “un genre d’édifice peut être vernaculaire dans une région et, au même temps, non-vernaculaire dans une autre” et peut changer avec le temps de non-vernaculaire à vernaculaire14. Eric Mercer, représentant de l’Angleterre au CIAV de 1979, considère d’ailleurs que l’architecture vernaculaire est une catégorie purement sociologique et qu’en cela elle ne peut pas être identifiée selon des critères d’architecture. Cela explicite le fait que l’architecture vernaculaire ne relève pas principalement de critères physiques mais surtout de données impalpables. Sa forme est subsidiaire, elle transparaît des faits sociaux. La construction vernaculaire résulte d’une combinaison spécifique des ressources physiques et immatérielles à disposition. Ivan Illich détermine que “dans le monde global du XXIe siècle, sont vernaculaires toutes les démarches qui tendent à agencer de manière optimale les ressources et les matériaux disponibles en abondance, gratuitement ou a très bas prix, y compris la plus importante d’entre elles : la force de travail“15. Le vernaculaire est avant tout une pratique sociale mettant une priorité au respect des critères humains, individuels et sociaux. Ces procédés mobilisent la capacité de coopérer au sein de ces sociétés qui se construisent en bâtissant. Le champ d’action de l’architecture vernaculaire s’applique à différentes échelles et peut prendre de multiples formes selon la communauté et le contexte historique desquels elle émerge. Elle est purement liée à ceux qui la conçoivent et constitue une expression culturelle des besoins des hommes non pas juste pour un abri mais aussi pour un statut, une identité, une joie16. L’architecture vernaculaire est issue d’une transmission culturelle, la plupart du temps informelle et nécessairement au sein d’une communauté. Selon Ivan Illich, “chacun devient un maître bâtisseur vernaculaire en grandissant d’une initiation à l’autre, en devenant une habitante, un habitant.”17 Il considère l’architecture vernaculaire comme un art qui ne peut être que volé, appris sur le tas. 10, 11 Brinckerhoff Jackson John et Carrere Xavier, À la découverte du paysage vernaculaire, Actes Sud Nature Paysage, 2003. 12 Baboulet Luc, “L’architecture est un jeu”, revue AMC n°178, janvier 2008. 13 Rudofsky Bernard, Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture, Garden City, Doubleday & Company, Museum of Fine Arts, , New York, 1964. 14 Mercer Éric, “Architecture vernaculaire en Angleterre”, Plovdiv, ICOMOS, octobre 1979. 15 Illich Ivan, Le Genre Vernaculaire, Éditions Seuil, Paris, 1983. 16 Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. 17 Illich Ivan, In the mirror of the past : Lectures and Addresses 1978-1990, Londres et New York, Marion Boyars Publishers Ltd, 1992. 17


Son caractère contextuel est immanent. Depuis la nuit des temps, l’Homme agit sur la nature et la modifie selon une action consciente. Il organise son espace en fonction du système économique, de la structure sociale et des techniques dont il dispose1. Grâce à une ”relation intime entre l’Homme et son milieu”2, le bâti vernaculaire résulte d’une appropriation lente et progressive des ressources du territoire et de ses contraintes. Les valeurs des cultures populaires ont mené à cette architecture lentement élaborée au cours des siècles. Exécutée avec des techniques et des moyens locaux pour exprimer des fonctions précises, satisfaisant des besoins sociaux, culturels et économiques, elle façonne l’environnement et s’y intègre naturellement3. Cette architecture, s’adapte à son environnement par expérimentations. Son apparence dépend du matériau et de son utilisation, la qualité esthétique n’étant pas travaillée pour chaque édifice. L’architecture vernaculaire peut s’incarner dans des édifices du quotidien tels que les habitations ou bien dans des édifices monumentaux, souvent religieux. L’architecture vernaculaire ordinaire est en général dépourvue d’artifices car elle a pour priorité de répondre aux besoins primaires de manière frugale. La conception d’un bâtiment vernaculaire repose sur l’idée qu’une tâche commune doit être effectuée de la manière la plus simple, la plus naturelle et la plus directe possible4, ce qui est réalisable grâce au savoir issu de la transmission au cours du temps. L’architecture vernaculaire est par nature évolutive, à la fois durable et versatile5. John Brinckerhoff Jackson considère les espaces vernaculaires comme sujets au changement rapide dans l’usage, dans la propriété et dans les dimensions6. Que cela s’applique aux habitations ou même aux villages, les milieux s’étendent, se réduisent changent de formes et d’emplacement, grâce à des édifices ayant des possibilités d’agrandissement en forme additive ou agglutinante. L’architecture vernaculaire repose sur des principes non-monétaires, hors du marché. Dans le droit romain, est vernaculaire “tout ce qui, dans la maison, est produit pour l’autoconsommation et n’est pas destiné à être mis sur le marché”7. Cette notion persiste encore aujourd’hui, correspondant à “tout ce qui demeure périphérique ou extérieur aux flux mondiaux du capital ou tout ce qui, de gré ou de force, se dérobe à son contrôle”8. À une époque où le capitalisme implique un mode de vie entièrement soumis à la marchandise industrielle, le genre vernaculaire correspond à une organisation des rapports sociaux, hors du règne déterminé par la marchandise et ses processus d’échange9. Elle prend part à une économie faite d’activités, de relations et d’échanges non-marchands. 1, 3 Silvio Guindani et Ulrich Doeper, Architecture vernaculaire. Territoire, habitat et activités productives, presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 1990. 2 Nomadéis (Dutreix Nicolas et Baecher Cédric), “Bâti vernaculaire et développement urbain durable“, Arene Ile-de-France, mai 2012. 4 Sezgin Halûk, “À propos de l’architecture vernaculaire”, Plovdiv, ICOMOS, octobre 1979. 5 Rudofsky Bernard, Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture, Garden City, Doubleday & Company, Museum of Fine Arts, , New York, 1964. 6 Brinckerhoff Jackson John et Carrere Xavier, À la découverte du paysage vernaculaire, Actes Sud Nature Paysage / Coédition ENSPVM, 2003. 7, 9 Illich Ivan, Le Genre Vernaculaire, Éditions Seuil, Paris, 1983. 8 Frey, Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010.

18

Timche-ye, Kashan


/ Un processus multiple

Lac Titicaca, Pérou

De cette combinaison de données, se dégage l’idée que l’architecture vernaculaire n’est pas nécessairement marginale, auto-construite, en milieu rural, ancestrale, ni ordinaire. Réciproquement, elle est pourvue de facteurs qui lui sont inhérents : sa dépendance aux facteurs physiques - utilisation ou adaptation des ressources, matérialité, climat, orientation, site, topographie, hydrographie, géologie - et aux facteurs immatériels - contexte socio-culturels, idéologies, typologies, mises en oeuvre, savoir-faire, modes de vie de la communauté, vocabulaire technique… L’architecture vernaculaire est vectrice d’identité par la synergie de l’exploitation des ressources naturelles et du savoir culturel. Issue d’un partage transdisciplinaire évolutif, elle est indissociable de son contexte social, économique, territorial et des ressources locales, et propose une cohérence entre le site, la construction et le programme. Sa définition dialogue avec la temporalité à plusieurs niveaux. Elle existe en tant qu’architecture intemporelle, mais n’est absolument pas une architecture du passé car elle évolue en fonction de son époque. De fait, elle est contemporaine, elle appartient au temps actuel. Par nature en constante évolution par adaptation, elle n’est pas soumise à l’obsolescence. Elle dépend d’une logique longue et progressive tout en étant systématiquement associée à un contexte spatiotemporel, ce qui la rend localisable dans l’espace et dans le temps. Les procédés vernaculaires se préoccupent des cycles de vie des bâtiments, des conditions de leur construction jusqu’à leur utilisation voire jusqu’à leur déconstruction. Les matériaux sont naturels et quelle que soit la technique, ils imposent la forme. L’architecture vernaculaire, indépendante du système marchand, s’appuie sur les échanges humains pour se développer. Elle est ainsi relative à des gouvernances participatives, des pratiques collectives et démocratiques singulières. Ces pratiques, liant la conception, la construction et l’habitation, permettent une appropriation collective, matérielle, formelle et symbolique du bâti par ses constructeurs et ses usagers. Tous ces concepts constitutifs de la notion de vernaculaire sont interdépendants et englobent à la fois des notions universelles et des notions locales. Selon la théorie de Ivan Illich,“la “culture” est une forme de comportement non inscrite dans le programme génétique, qui n’est pas entièrement soumise à l’instinct. La culture traduit un étage de la vie qui ne peut s’exprimer en termes biologiques”10. On pourrait transposer par analogie, que le vernaculaire est à l’architecture ce que la culture est à la génétique. Il se transmet de générations en générations et détermine l’architecture mais implique des éléments qui ne sont pas restés gravés physiquement. Comme le relève Lucie Sauve, le genre est une nature doublée d’une culture12. De ce fait, la nature du lieu et la culture de l’habiter de la population permettent de générer un savoir-faire, une logique d’action adaptée et adaptable à son environnement par expérimentation au fil du temps.

10 Illich Ivan, Le Genre Vernaculaire, Éditions Seuil, Paris, 1983. 12 Sauve Lucie, Identités vernaculaires, mémoire de master, ENSABX, Bordeaux, 2017.

19


Le concept global de vernaculaire se rapproche de l’écosophie, principe énoncé par Felix Guattari en 1989, mettant en relation l’écologie, le social, la politique, le mental et le développement humain pour produire des mutations et “recomposer une terre humainement habitable”1 car il déplore les déséquilibres dûs à l’accroissement des ressources technico-scientifiques aux dépends des progrès sociaux. Les trois écologies sont celles de l’environnement, des rapports sociaux et de la subjectivité humaine. L’écosophie permettrait d’éclairer les questions liées à l’articulation des trois registres écologiques. Félix Guattari prône la “subjectivisation”2, ou la singularisation, laissant place à la sensibilité et à l’intelligence créative vers un développement humain préférable et une autodétermination. De la même manière que le vernaculaire, l’écosophie n’est “non pas une révolution mais un processus révolutionnaire multiple, impliquant des mutations locales, relatives, nécessairement collectives et incessantes”3. Les productions de subjectivité et de socialité relèvent donc de systèmes de valeur qui se situent à la racine des nouveaux processus productifs4. Pour le vernaculaire comme pour l’écosophie, la donnée centrale du système est l’Humain. L’architecture vernaculaire est une démarche, un procédé, un acte, une manière, une discipline. C’est parce qu’il relève d’une pratique que le vernaculaire échappe à une possible définition typologique. Il n’est pas physique, il est immatériel. Le concept du vernaculaire est théorisable mais sa pratique reste insaisissable.

Loyang, Chine

1, 2, 3, 4 Guattari Félix, Qu’est-ce que l’écosophie?, textes agencée et présentés par Stéphane Nadaud, Éditions Lignes / Imec, 2014.

20


Les pertinences et les limites de l’architecture vernaculaire

/ Les enseignements à tirer de l’architecture vernaculaire Le territoire naît de “la fécondation de la nature par la culture”1. Ainsi, les nouveaux actes fécondateurs doivent faire apparaître une nouvelle alliance entre nature et culture, vers un développement local auto-soutenable. Alors que la conscience du lieu a été perdue suite à la déterritorialisation, causée par les effets sociaux et spatiaux de la ville usine2, il faut reconsidérer le fait que l’espace n’est pas une page blanche mais plutôt un palimpseste3. Il n’est pas constitué d’une simple surface offerte à l’action, mais est composé d’un ensemble de traces, d’empreintes, de pliures, de résistances auxquelles l’action doit se confronter. Le paysage vernaculaire est un espace avec un certain degré de permanence, avec un caractère qui lui est propre, qu’il concerne sa topographie ou sa culture, mais il est surtout un espace commun à un groupe humain4. Chaque lieu est sujet à une propriété émotionnelle dont il faut systématiquement tenir compte. John Brinckerhoff Jackson décrit le paysage comme une oeuvre d’art humaine où les matériaux - terre, pierre, nature - sont utilisés par les hommes, selon leur culture propre qui évolue dans l’espace-temps. En effet, l’être humain s’établit sur un sol avec lequel il est en perpétuel échange et à travers lequel il s’exprime par son habitat, au même titre que par le langage ou par la pensée5. L’architecture vernaculaire est en ce sens un moyen d’expression culturel qui renseigne sur les ressources spécifiques d’un site, qu’il s’agisse d’une matérialité ou d’un savoir-faire. Le bâti vernaculaire a la capacité de catalyser le développement urbain durable, entre tradition et innovation continue6. Les sociétés traditionnelles produisaient par elles-mêmes des solutions très pertinentes grâce à une expérience longue, une relative harmonie sociale et une connaissance quasi intime de leur environnement7. L’environnement naturel en question dépend des coordonnées géographiques du lieu, de sa morphologie, de la nature du sol et du sous-sol, de la course solaire, des cycles journaliers et saisonniers8. C’est sur l’ensemble de ces éléments que s’appuie la conception de l’architecture vernaculaire. La conception vernaculaire profite des concours de circonstances, selon la particularité des lieux mais aussi de situations données. L’architecte doit alors savoir tirer partie des ressources matérielles et immatérielles spécifiques. L’architecture vernaculaire vise à concevoir l’architecture en intégrant largement les usagers. Par définition, elle est issue d’une collaboration sociale. La démarche et le partage de valeurs communes prévalent sur l’aboutissement de la réalisation. À ce titre, l’architecte peut n’être intéressé que par le processus et non par le résultat que l’on pourra finalement constater. L’architecture vernaculaire, intrinsèquement sociale, est une architecture quotidienne, une architecture de contraintes dont les erreurs se corrigent dans le temps et par la pratique. La transmission du savoir-faire est centrale. 1 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 2 Magnaghi Alberto, “La conscience du lieu“ (Eterotopia France / Rhizome), Conférence et débat, ENSAPB, Paris, octobre 2017. 3 Besse Jean-Marc, Le paysage, entre le politique et le vernaculaire, Réflexions à partir de John Brinckerhoff Jackson, ARCHES, Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines, Paris, juin 2003. 4 Brinckerhoff Jackson John et Carrere Xavier, À la découverte du paysage vernaculaire, Actes Sud Nature Paysage, 2003. 5 Bizet Marine, L’architecture vernaculaire et la modernité architecturale : la relation au paysage, Mémoire de master, ENSAPVS, Paris, 2013. 6 Nomadéis (Dutreix Nicolas et Baecher Cédric), “Bâti vernaculaire et développement urbain durable“, ARENE, mai 2012. 7 Forson Viviane, Interview de Sénamé Kof Agbodjinou “Diaspora : Sénamé Kof Agbodjinou, un pionnier du numérique” [en ligne], Le Point Afrique, juillet 2015. 8 Plemenka Supic, “L’aspect bioclimatique de l’habitat vernaculaire” revue Architecture et Comportement, Vol 10, n°1, 1994. 21


/ Les freins à l’évolution de l’architecture vernaculaire Le patrimoine bâti vernaculaire est important car il est, d’une part, l’expression fondamentale de la culture d’une collectivité et de ses relations avec son territoire et il constitue aussi, d’autre part, l’expression de la diversité culturelle du monde1. De nos jours, l’uniformisation de la culture et des établissements socio-économiques ont rendu extrêmement vulnérables les structures vernaculaires car elles sont confrontées à de graves problèmes d’obsolescence, d’équilibre interne et d’intégration2. Les effets de la mondialisation ont ainsi en partie causé l’effacement de ces pratiques de l’architecture. Pierre Frey nuance ce constat en affirmant qu’aux entournures et aux marges du marché global, il existe un vaste domaine pour le développement d’une “Nouvelle Architecture Vernaculaire”3. Il faut se demander pourquoi, malgré le fourmillement des curiosités contemporaines, l’intérêt pour l’ingéniosité vernaculaire peine à émerger et à se diffuser. Cela est probablement dû aux circonstances actuelles, où la toile tissée par l’industrie mondiale de la construction est dominée par quelques puissants acteurs4, qui cherchent la standardisation pour un meilleur rendement. Les impacts de la standardisation, relatifs à la production de masse et à la normalisation, ont conduit à un monde de productions architecturales régies par un système de normes, qu’elles soient thermiques, acoustiques, constructives, accessibilité handicapé, sécurité incendie… Ces normes sont en de nombreux points bénéfiques, mais ont le désavantage de limiter une certaine diversité des manières de construire. L’industrie a rationalisé et a optimisé les processus de construction. Cela à eu pour incidence d’uniformiser et de déplacer les centres de la décision. En conséquence, le chantier n’est plus alors que formellement le lieu de production du bâti5. L’ouvrier du bâtiment est “dépossédé de l’espace dans lequel il pouvait faire la preuve de son talent et de sa créativité”6. Les chantiers ne représentent plus des espaces d’affect ou d’émotion. Patrick Bouchain estime toutefois que le chantier vernaculaire aurait la vertu de faire renaître l’ouvrier constructeur, à l’opposé du chantier global asservissant7. Bernard Rudofsky observe que dès lors que des méthodes et des matériaux étrangers sont introduits, les traditions locales s’effacent, les coutumes sont remplacées par des courants et le vernaculaire périt.8 La civilisation du XXème siècle encourage l’originalité, la recherchant souvent au profit de l’artiste, dans ce cas, l’architecte9. Par sa chute, le vernaculaire entraîne la perte d’un système de valeurs et d’une conception du monde qui soient communs à un groupe. La disparition de l’esprit de coopération en résulte. La solidarité perdue malgré l’extrême proximité de l’établissement urbain actuel, peut être à l’origine d’un individualisme renforcé10. De nombreux modes de construction traditionnels requièrent une main d’oeuvre abondante, tant pour leur construction que pour leur entretien. L’abandon de ces multiples techniques découle en partie de ce fait11.

1, 2 ICOMOS (Conseil International des Monuments et des Sites),“Charte du patrimoine bâti vernaculaire“, 12ème Assemblée Générale, Mexique, 1999 3, 4, 5, 6, 11 Frey Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. 7 Bouchain Patrick, préface de Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. 8 Rudofsky Bernard, The Prodigious Builders / L’architecture insolite, Paris, Tailandier, 1977. 9 Sezgin Halûk, “À propos de l’architecture vernaculaire”, Plovdiv, ICOMOS, octobre 1979. 10 Nomadéis (Dutreix Nicolas et Baecher Cédric), “Bâti vernaculaire et développement urbain durable“, Arene Ile-de-France, mai 2012.

22


Un bilan inquiétant est celui de la diversité, qui a toujours enrichi les productions humaines, mais se trouve aujourd’hui menacée par ce que Pierre Frey décrit comme une architecture consanguine : “les écoles d’architecture, les écoles d’ingénieurs, les sociétés professionnelles, les revues et les éditeurs, les entreprises du bâtiment et des travaux publics, les fournisseurs de matériaux et les établissements financiers spécialisés entrecroisent les prises d’intérêt et les échanges de points de vue qui finissent par établir un tissu de consanguinité vaste et cohérent”12. La diffusion monopolisante des architectures qui présentent des origines identiques engendre la dépersonnalisation et la perte de l’individu. Comme Marine Bizet en fait la remarque, nous recevons trop d’exemples solutionnés sans en comprendre l’idée première et la problématique13. Le développement du bâti vernaculaire se heurte aux rythmes urbains du XXIème siècle, bien loin de la logique longue et progressive d’enracinement du bâti vernaculaire14. On observe un basculement progressif général de l’humanité vers l’univers de la ville. Or il y a une dissonance entre la densité urbaine et la mise en oeuvre des techniques vernaculaires qui est aujourd’hui contrainte par l’indisponibilité de matières premières dans les centres urbains, qui sont coupés des gisements de matières premières. Ainsi, nous remarquons diverses raisons de disparition de l’architecture vernaculaire, telles que la mondialisation, les organismes internationaux, les impacts de la standardisation, la consanguinité de la production architecturale, l’esprit du chacun pour soi, le manque de main d’oeuvre qualifiée ou encore les rythmes urbains du XXIème siècle. Malgré ces freins, l’architecture vernaculaire a la possibilité de poindre de nouveau, notamment en absorbant les contraintes de la société comme elle l’a toujours fait.

11, 12 Frey Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. 13 Bizet Marine, L’architecture vernaculaire et la modernité architecturale : la relation au paysage, Mémoire de master, ENSAPVS, Paris, 2013. 14 Nomadéis (Dutreix Nicolas et Baecher Cédric), “Bâti vernaculaire et développement urbain durable“, Arene Ile-de-France, mai 2012.

23


2

L’impression 3D à l’échelle du bâtiment : état des lieux et perspectives

La fabrication additive

/ Principe de fonctionnement La “fabrication additive” et l’“impression 3D” sont deux expressions synonymes qui qualifient l’ensemble des techniques de fabrication couche par couche. La dénomination “fabrication additive” (additive manufacturing ou AM) est aujourd’hui principalement associée au monde industriel, donc associée à son usage professionnel. Elle regroupe sept techniques : l’extrusion de matière, la projection de matière, la projection de liant, la lamination de papier, la photopolymérisation, la fusion de lit de poudre et le dépôt d’énergie dirigée. Plus récente, la formulation “impression 3D” a été popularisée dans les médias. Elle est plutôt attribuée aux applications grand public et concorde avec les prémices de la démocratisation de cette technique. Cet intitulé est employé par analogie avec l’impression 2D traditionnelle d’encre sur du papier. Imprimer en 3D consiste à créer un objet en trois dimensions à l’aide d’une machine, d’un fichier numérique et d’un matériau adapté. Le modèle réalisé grâce à un logiciel CAO (Conception Assistée par Ordinateur) adéquat passe alors immédiatement du virtuel au réel. La plupart des matériaux peuvent être imprimés, des métaux aux plastiques ou aux céramiques, jusqu’aux cellules organiques… D’après ce procédé, un objet est mis en forme par l’ajout de couches successives de matière, contrairement à la fabrication soustractive qui consiste à mettre en forme un objet par enlèvement de matière - comme par exemple le fraisage, la sculpture, ou le moulage. Contrairement aux méthodes soustractives qui génèrent des pertes de matière, l’impression 3D n’emploie que la quantité de matériau nécessaire à la fabrication de l’élément désiré. Elle n’exige que 10%1 des matières premières consommées dans le procédé habituel.

1 Rifkin Jeremy, La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2012. 24

Impression 3D


/ Techniques existantes / Bref historique technique et pratique de l’impression 3D La fabrication additive naît dans le domaine de l’industrie dans les années 1980 pour ce qu’elle permet en termes de réduction de poids et de fonctionnalité et d’économie de matière. Elle connaît son premier brevet en juillet 1984, déposé par trois français, Jean-Claude André, Olivier de Witte et Alain le Méhauté pour l’entreprise Cilas Alcatel. Ils abandonnent finalement leurs recherches par manque d’opportunités commerciales. Deux semaines plus tard, aux États-Unis, l’américain Chuck Hull, à qui on attribue la paternité de l’imprimante 3D, dépose un brevet sur la technique d’impression 3D par stéréolithographie (SLA pour StéréoLithographie Apparatus) selon un principe de polymérisation de résine par double rayon lumineux en un point précis, permettant la création par couches successives d’un objet utilisant un matériau sensible aux rayons ultraviolets. Ce dernier brevet fera naître l’entreprise 3D Systems qui mettra au point la première imprimante 3D, la SLA-250. En 1987 l’entreprise DTM Corp de Carl Deckard met au point le procédé de frittage laser sélectif (SLS pour Sintering Laser System) qui consiste à une fabrication couche par couche de poudres polymères par frittage laser, ou en d’autres termes la fusion locale de grains de poudre ensemble à l’aide d’un laser. Les premières commercialisations de machines de fabrication additive apparaissent pour les industriels. Elles sont utilisées initialement pour réaliser des prototypes rapides d’objets afin de tester leur design avant de lancer une production en série. L’entreprise américaine Stratasys de Scott et Lisa Crump lance sur le marché le procédé FDM (Fused Deposition Modeling ou modélisation par dépôt en fusion) en1988. Cette technique reposant elle aussi sur le dépôt couche par couche donnera naissance aux imprimantes domestiques telles que nous les connaissons aujourd’hui. Le matériau liquéfié est déposé couche par couche grâce à une tête d’extrusion qui se déplace. Le procédé 3DP (Three Dimensional Printing) est créé en 1993 au MIT (Massachussets Institute of Technology). Il se rapproche de la technique de l’impression 2D à jet d’encre : une colle spéciale est projetée grâce à une tête d’injection sur de la poudre pour former l’objet peu à peu. Ce procédé se destinera surtout à l’usage industriel et sera repris en 1995 par l’entreprise Z Corporation qui obtient le droit d’utilisation exclusif du MIT. En 1995 apparaît la technologie d’impression 3D métallique ou DMLS (Direct Metal Laser Sintering ou frittage laser direct de métal) similaire au frittage laser sélectif. Un an plus tard, le terme “impression 3D” voit le jour pour définir la stéréolithographie ou la fabrication additive à l’occasion de la sortie commerciale de trois imprimantes majeures : la Genisys de Stratasys, l’Actua 2100 de 3D Systems et la Z402 de Z Corporation. L’expression entre dans le langage courant pour parler de ce type de machines de prototypage rapide. Dans les années 1990 les imprimantes 3D servent à la réalisation de prototypes ou de moules mais à partir des années 2000, on les utilise pour la réalisation de pièces fonctionnelles dans différents domaines. Elles peuvent être employées pour des mécaniques complexes comme dans le domaine de l’aéronautique, le domaine médical avec des prothèses et des organes fonctionnels, ou encore pour la joaillerie où un moule n’est plus indispensable pour une production en petite série, le bijou est ainsi unique et à prix réduit. Les imprimantes 3D restent à cette période cantonnées au domaine industriel mais l’idée de rendre accessible cette technologie aux particuliers grandit progressivement.

25


De cette vision émergeront plusieurs entreprises en Europe, comme Shapeways aux Pays-Bas, un service en ligne d’impression 3D ouvert à tous, ou encore Sculpteo en France qui développe des outils web qui rendent accessible l’impression 3D pour l’utilisateur amateur. En concordance, les outils de CAO pour l’impression 3D deviennent de plus en plus disponibles et développés. En 2006, un projet d’imprimante 3D open-source apparaît. Le programme RepRap est créé par le Dr. Adria Browyer, professeur en génie mécanique à l’Université de Bath. Cela ouvrira la voie aux futures imprimantes 3D domestiques avec l’idée de pouvoir construire soi-même une imprimante 3D en modélisation par dépôt en fusion (FDM). Cette imprimante 3D autoréplicante - car elle peut imprimer ses propres pièces - marque le début du mouvement que l’on a appelé par la suite “Makers“. Cet influx est déclenché par la simplification de l’impression 3D, encourageant sa démocratisation. À la suite de l’expiration du brevet FDM en 2009, permettant une reprise de l’invention à bas coût, MakerBot Industries propose à la vente un kit DIY 2 à l’attention des particuliers à prix abordable. Quelques années plus tard, on voit apparaitre des créations imprimées en 3D dans le domaine alimentaire, utilisant par exemple le sucre ou le chocolat. À l’occasion du Discours sur l’état de l’Union de 2013, Barack Obama fait part de son enthousiasme au sujet de l’impression 3D qui “a le potentiel de révolutionner la manière dont nous fabriquons pratiquement tout”. En 2015, la Société Carbon3D met au point une nouvelle technologie révolutionnaire permettant de multiplier par 7 la rapidité de l’impression 3D. La technologie nommée CLIP repose sur l’utilisation de résine, de lumière et d’oxygène pour polymériser l’objet. L’année suivante, le fabriquant français Pollen AM lance son imprimante 3D multimatériaux PAM (Pellets Additive Manufacturing) procédé breveté, pourvue d’une structure Delta et de type FDM, capable de mélanger simultanément plusieurs matériaux grâce à un système de canaux et de chauffage par induction, permettant la fusion et l’homogénéité du mélange1. Tous types de matériaux sous la forme de granulés peuvent être utilisés : polyuréthane, PLA, élastomère, résines chargées de métaux, de fibres végétales ou de carbone… une quinzaine de matériaux peuvent être chargés en même temps. Ce procédé permet d’imprimer des objets mélant différentes propriétés : souple, transparent, opaque, rigide, coloré, adapté au contact alimentaire… Pour récapituler, il y a deux grandes catégories d’impression 3D: le dépôt sélectif et la solidification sélective. Dans le domaine de l’architecture, même si il existe des exceptions, nous tendons à employer principalement des techniques de dépôt sélectif, certes moins précis que la solidification sélective, mais laissant plus de liberté compte tenu de la nature des matériaux employables ainsi que des possibilités dimensionnelles de la réalisation. Pour la solidification sélective, qui se réalise par chauffe ou par ajout d’un liant - comme par exemple le frittage de poudre ou la stéréolithographie - il est nécessaire d’utiliser des matériaux répondant à des caractéristiques particulières (comme la réactivité aux ultraviolets) et dans des dimensions devant être contenues dans le cadre de l’imprimante. De plus cette technique requiert une grande quantité de matière à déplacer afin d’englober l’objet. Le dépôt sélectif est plus approprié pour une réalisation à une grande échelle car l’imprimante 3D peut être d’une plus petite dimension que la réalisation.

1 Moussion Alexandre, “Le français Pollen AM lance les précommandes de son imprimante 3D multimatériaux” [en ligne], primante3D, juillet 2016. 26


/ Développement des fablabs La technologie de l’impression 3D s’inscrit dans l’espace à travers des lieux dédiés. Les fablabs, makerspaces ou hackerspaces sont des espaces de travail partagés, des lieux de fabrication collaboratif qui permettent de passer rapidement de l’idée au prototype et où l’on peut apprendre de nouvelles compétences et partager ses idées et façons de faire. Ce sont des endroits où l’on peut se familiariser avec l’imprimante 3D et les outils numériques. Ce concept est né d’un laboratoire informel au sous-sol du MIT, à la fin des années 1990. Utilisé par étudiants, professeurs et chercheurs, ce lieu n’était pas officiel et nommé par ses utilisateurs “the basement”, lieu dédié à la création où se trouvaient entre autre une découpeuse laser et une imprimante 3D. Peu à peu se crée, autour de ce lieu, une communauté de fabricateurs innovants. Un élan de mobilisation des usagers pour faire évoluer ce laboratoire permet la création d’un programme au MIT le “Laboratoire de Fabrication Digitale”, plus connu sous le nom de “FabLab”, conduit par le professeur Neil Gershenfeld qui explore la relation entre l’information digitale et la manifestation physique. Ce dernier conçoit l’éducation selon l’idée d’apprendre une nouvelle connaissance par la construction active, plutôt que par assimilation passive d’une information. Il crée par la suite un second cours, “How to make (almost) anything” apprenant à s’approprier les machines industrielles pour produire toutes sortes de choses à des fins personnelles. Les Laboratoires de Fabrication, ateliers ouverts d’échanges et d’auto-production, sont des lieux fonctionnant à l’intérieur d’un réseau mondial de laboratoires locaux. Connectés avec les autres fabLabs du monde à travers les communautés numériques et mélangeant une multitude de profils d’utilisateurs, les fablabs sont des lieux où foisonnent les informations et le partage des connaissances et des savoirs-faire. De ce fait, ils sont la manifestation en lieux physiques de l’échange de connaissance d’Internet. Ces espaces organisent la conception partagée tel le point de contact entre la communauté et la technologie. Pour Sénamé Koffi Agbodjinou, les fablabs ont, en contexte urbain, “une fonction similaire au “couvent d’initiation” dans les structures organiques traditionnelles des villages”2, lieux communautaires dédiés à l’échange de savoirs intergénérationnel. Il crée dans cette perspective WoeLab, à Lomé, premier modèle d’incubateur de proximité inspiré de l’organisation sociale des villages. Ce fablab se veut un enclos d’initiation 2.0 pour permettre aux jeunes de découvrir leurs potentiels et partager leurs connaissances. On définit le fablab comme un lieu mais il est également un réseau. En France, une quinzaine de fablabs ont été créés en 2013. En 2018, plus de 200 sont recencés3. Tomas Diez, directeur du laboratoire de recherche FabCity, programme à la rencontre de la fabrication numérique, de la ville durable et intelligente et de l’économie circulaire, souhaite développer une ville capable de remplacer la production centralisée par une production distribuée telle une nouvelle manière de concevoir la ville industrielle. La ville serait réorganisée autour de fablabs, capables de produire en réponse aux besoins propres de la ville et de ses citoyens.

2 Koffi Agbodjinou Sénamé, “#LowHighTech, Concept Intro” [en ligne], Medium, septembre 2016. 3 Réseau Français des Fablabs, http://www.fablab.fr/les-fablabs/carte-des-fablabs/

27


Le consommateur intelligent - à la fois consommateur et producteur - est central dans ce modèle urbain capable d’organiser un nouveau modèle industriel. Le réseau de micro-industries indépendantes et communicantes, envisage le fablab comme “le socle d’une vision ambitieuse qui consiste à numériser et relocaliser la production dans son ensemble”1 en tant que réseau-infrastructure d’une production distribuée. Ainsi les fablabs permettent aux gens de modifier ou de “hacker” le monde qui les entoure, plutôt que ”passivement absorber l’information ou les produits”2. On voit se dessiner autour des fablabs les fondements de l’état d’esprit qui permettra le fonctionnement de l’impression 3D de bâtiments. Ces lieux matérialisés et appropriables rendent possible un retournement sociétal vers une auto-gestion bottom-up, une valorisation de l’apprentissage par le faire et une volonté de démocratiser la production de son environnement physique, ici à l’échelle du bien de consommation et non de l’architecture, mais cela en est la première étape.

Application à l’architecture : une nouvelle réalité

/ Les méthodes : moyens constructifs de l’impression 3D XL En 2017, l’architecture et le bâtiment représentaient 3.2% du marché mondial de l’impression 3D3. Dans un scénario prospectif, ce segment présente un fort potentiel selon le PIPAME. À court et moyen terme, de 2 à 8 ans, de nombreux éléments imprimés seront préfabriqués en usine et dans un plus long terme, de 8 à 12 ans, la construction d’habitat se fera directement sur site. 2 Les points à travailler pour améliorer le système sont selon cette étude, les propriétés des matériaux et les aléas du chantier en fonction des conditions climatiques. On trouve plusieurs types d’imprimantes 3D à grande échelle - les imprimantes englobantes, les imprimantes mobiles, les imprimantes classiques - et plusieurs types d’impressions - coulage sur site, impression d’éléments architecturaux, impression de morceaux à assembler.

Impression 3D à grande échelle

1 Tinq Benjamin, interview de Tomas Diez, “La FabCity : “Une ville connectée, résiliente et circulaire””, [en ligne], Circulate News, décembre 2016 2Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. 3 PIPAME (Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques), “Futur de la fabrication additive“, Document synthèse, Étude prospective du ministère de l’économie et des nances, France, janvier 2017. 28


Le changement d’échelle des réalisations imprimées en 3D a tout d’abord donné lieu à des imprimantes de plus en plus grandes, qui ont le désavantage de limiter le résultat final car il doit être contenu dans un certain cadre. Antoine Motte, créateur de Constructions-3D, assure que la 3ème révolution industrielle verra la fabrication additive appliquée au bâtiment. Il perçoit l’impression 3D comme outil pour aider l’Homme socialement et a pour projet d’imprimer des maisons localement, avec des matériaux de proximité, dans le respect des géométries de la nature4. Internet est une ressource de savoirs grâce au partage de connaissances et l’imprimante 3D est le moyen constructif. Depuis les années 2000, Behrokh Khoshnevis développe le Contour Crafting, qui consiste à créer un objet par son contour avec des couches successives de matière. Cette technique se formalise par une imprimante géante avec un bec attaché à un grand portique qui déverse du ciment selon un schéma programmé par ordinateur. Peu après, une alternative au pont roulant est à l’étude pour se diriger vers une tête d’impression orientée dans l’espace par les mouvements des câbles et vérins auxquels elle est suspendue. Le principe est inspiré et dérivé du Robot Delta de Reymond Clavel qui possède un système de coordonnées polaire et non cartésien. Dès 2008, la Loughbourough University en Angleterre commence à explorer les possibilités de l’impression 3D de béton. Ils développent un système de production utilisant un bras robotique pour déposer la matière selon la forme désirée, en jouant sur les lignes, les courbes et les formes qui seraient difficilement réalisable par un procédé conventionnel. Ces imprimantes 3D sont destinées à produire des éléments de bâtiments. Comme le fait remarquer le chercheur à la Loughbourough University Richard Buswell, “ce procédé est capable de produire des bâtiments avec un degré de personnalisation qui n’a encore jamais été vu. Cela peut créer une nouvelle aire de l’architecture adaptée à l’environnement et pleinement intégrée avec les fonctions d’ingénierie”5. Quelques années plus tard, l’évolution technologique s’attaque à la contrainte de la taille par l’assemblage. Win Sun, société chinoise, annonce la fabrication de maisons en impression 3D à bas prix en béton et déchets de chantier recyclés. Leurs réalisations consistent surtout à la préfabrication d’éléments assemblés sur site. DUS Architects imprime en 2015 la micro-maison Urban Cabin de 8 m2 à Amsterdam avec l’imprimante KamerMaker6, qui peut créer des pièces de 2 x 3 mètres. Lancée en 2012, elle est la première imprimante 3D XL déplaçable. Les concepteurs peuvent voyager avec pour concevoir et construire sur le site. La Urban Cabin est faite de bio-plastique durable à base de graine de lin et démontre les possibilités d’une architecture temporaire ou d’urgence qu’offre l’impression 3D, tous les matériaux pouvant être réutilisés après destruction. Le cabinet mène des études sur le projet “3D Print Canal House”, un bâtiment manifeste des possibilités de l’impression 3D. Ce projet est aujourd’hui en attente mais la micro-maison se présente comme une avant-première de la réalisation à venir. Dans les expérimentations qui ont déjà été menées, toutes les couches de la façade sont imprimées en même temps comme un seul et même élément. Le mur imprimé est apparent à l’intérieur et à l’extérieur. Entre les deux façades, les nombreux puits creux diagonaux selon le principe de nid d’abeille, sont par endroits remplis d’un éco-béton moussant léger7 pour soutenir la structure. Ce remplissage relie les différents éléments ensemble, prodigue force et stabilité à la structure et cette composition de béton contenant beaucoup d’air, il joue aussi le rôle d’isolant. Les découpes angulaires de la façade créent une surface tridimensionnelle qui accroît également la stabilité structurelle. Afin de maximiser la force, le poids et la stabilité de l’édifice et dans un souci

4 Motte Antoine ,“3ème révolution industrielle et bâtiment, un habitat pour tous” [en ligne], TED Talks Valenciennes, novembre 2015 5 IMCRC (Innovative Manufacturing and Construction Research Centre) interview de Richard Buswell, “Future of Construction Process : 3D Concrete Printing“ [en ligne], 2010. 6 développée en collaboration avec Ultimaker Ltd, Fablab Protospace et Open Coop 7 développé conjointement avec l’entreprise Henkel 29


d’utilisation minimale de béton, seules certaines cavités stratégiques sont comblées. Une fois montées ensemble, ces colonnes diagonales créent de grandes croix structurelles qui soutiennent toute la structure. Des systèmes de coffrage sont également développés par XtreeE, entreprise française leader dans l’impression de béton. Ils réalisent des ouvrages imprimés complexes, respectant les normes françaises de construction. Le principe est d’imprimer un coffrage perdu dans lequel est coulé du béton, ainsi l’enveloppe est imprimée et le remplissage est structurel. Ils développent ce principe avec l’impression de béton mais également avec des coffrages imprimés en argile qui sont dissouts une fois le béton durci. D’après une méthode semblable, TICA architectes imprime en 2017 à Nantes un habitat social de 95 m2. La maison Yhnova, première maison imprimée en 3D respectant les normes de construction française, est produite en partenariat avec Benoit Furet de l’Université de Nantes. Elle est construite à l’aide de l’imprimante polyarticulée BatiPrint3D1 qui, équipée d’un système de déplacement AGV (Automatic Guided Vehicles), imprime depuis l’intérieur puis ressort par une ouverture une fois l’impression terminée. Le bâtiment est dessiné en courbes pour ne pas altérer les arbres environnants et accroitre ses performances énergétiques. Une double paroi de 4 mètres de haut en mousse polyuréthane est imprimée comme coffrage perdu et a une fonction d’isolation. Un béton structurel de 15 cm d’épaisseur est ensuite coulé à l’intérieur. L’enduit extérieur, le revêtement intérieur, la dalle et la toiture ont quant à eux été réalisés de manière traditionnelle. Une autre manière de concevoir la fabrication additive de bâtiments est envisagée par l’impression 3D non pas à l’échelle de l’élément architectural, mais à l’échelle du composant, à l’image de la brique, en utilisant une imprimante classique à objets. La réalisation de Emerging Objects, Star Lounge, est par exemple composée d’éléments imprimés et assemblés entre eux pour former une structure. Ils utilisent l’imprimante domestique MakerBot Replicator 2 pour créer un dôme autoportant composé de 2073 blocs hexagonaux. Virginia San-Fratello, cofondatrice de Emerging Objects, estime que la possibilité de créer des structures légères avec des imprimantes de bureau abordables change les règles du jeu de l’architecture et de l’aménagement. D’une autre manière, des dispositifs sont développées dans la perspective de s’affranchir du cadre de l’imprimante. En 2014, les MiniBuilders de IAAC (Institute for Advanced Architecture of Catalonia), sont mis au point pour aller au delà des limites d’échelle de l’impression 3D. L’objectif a été de développer une “famille” de petits robots imprimeurs, tous mobiles et capables de construire bien plus grand que ce qu’ils sont. Chaque robot est conçu pour effectuer une tâche bien particulière en fonction des phases de la construction : les fondations, les murs, les renforts verticaux. Le robot est indépendant de la taille de l’objet créé. À la place d’une grande machine, compliquée à transporter, plusieurs petits robots indépendants mais coordonnés travaillent ensemble, tous reliés à un robot principal qui les alimente en matériau d’impression. Pour les fondations, les 20 premières couches sont imprimées par un robot mobile qui suit une trajectoire tracée au sol par un trait continu. Une fois la base imprimée, le robot “pince” vient se positionner en haut de la partie imprimée et au fur et à mesure, repose sur les couches qu’il a lui même imprimées précédemment. Afin de créer des murs courbés, la buse peut s’incliner. Un autre robot imprime les plafonds et les linteaux de portes et fenêtres avec un matériau à prise assez rapide pour imprimer horizontalement. Enfin, un dernier robot entre en scène afin d’appliquer à la structure un renforcement vertical. Selon le même principe d’imprimante mobile, MX3D créée en 2015 est une imprimante 3D multi-axes de métal qui se déplace sur les parties qu’elle vient d’imprimer. L’équipe de chercheurs hollandaise de l’Institut Alan Turing, travaille sur une passerelle métallique imprimé en 3D sur le canal d’Amsterdam d’une portée de 12 mètres. Des capteurs intégrés renseigneront sur des données structurelles et environnementales comme le déplacement, la déformation, les vibrations, la température, la qualité de l’air, pour permettre d’apprendre de ses performances et d’affiner les futures conceptions. 1 développée par des chercheurs de l’Université de Nantes, du CNRS, de l’École Centrale, de l’Inria et de l’IMT Atlantique. 30


Systèmes de coffrages

TICA

DUS

XtreeE

XtreeE À l’échelle du composant

IAAC «Terraperforma»

Emerging Objects

Imprimante au cadre XL

IAAC, «On Site Robotics» Au delà du cadre de l’imprimante

IAAC, «Minibuilders» 31


En 2017, l’IAAC réalise le projet “On Site Robotics” en collaboration avec Tecnalia. Ils utilisent un matériau céramique et le robot extrudeur Pylos. Ce projet vise à démontrer le potentiel de la technologie de fabrication additive et de la robotique dans la production de bâtiments durables à faible coût pouvant être construits sur site avec des matériaux 100% naturels. Grâce à l’utilisation de câbles actionnés par des treuils à servocommande, l’impression peut avoir lieu directement sur le chantier avec une très large zone de travail. L’utilisation de robots à câbles pour l’impression 3D présente de nombreux avantages : elle peut se déplacer selon six degrés de liberté, elle est facile à installer, nécessite peu de maintenance et rend le coût indépendant de la taille de l’installation. Des outils de contrôle supplémentaires permettent d’assurer en temps réel, la communication directe entre les machines, les personnes et les produits construits, pendant l’impression1. Un nouveau modèle d’imprimante, la Hangprinter, voit le jour en 2017. Cette imprimante 3D open source est imaginée par Torbjorn Ludvigsen, un jeune maker Suédois, qui commence ce projet en tant qu’étudiant à l’Umea Arts Campus. L’imprimante suspendue se déplace à l’aide d’un système de poulies commandées par ordinateur. Elle utilise les murs et le plafond comme “cadre”, ce qui lui confère la possibilité de créer des pièces de très grandes dimensions, sans avoir besoin d’un énorme portique métallique. Cette solution apporte une réponse à un des freins de l’impression 3D à grande échelle. Il suffit de configurer le microprogramme associé selon l’emplacement des crochets de suspension et des supports au sol, qui peuvent s’adapter à n’importe quel type d’endroit. Une fois installée et calibrée, l’imprimante peut se déplacer selon trois axes. L’imprimante fait partie du projet RepRap pour encourager son évolution, on peut donc imprimer ses pièces en open-source et elle peut être assemblée pour seulement 250$. La résolution n’est pas fine mais suffisante pour créer de grosses pièces sans entacher leur intégrité structurelle. La différence entre les imprimantes 3D à câbles qui existent déjà et la Hangprinter, est qu’elle utilise des structures existantes arbitraires comme cadres d’impression et que toutes les parties de l’imprimante sont montées sur une seule unité mobile. Elle est la seule machine qui utilise son environnement comme cadre d’impression, l’imprimante n’est ainsi limitée que par la hauteur à laquelle elle est suspendue. On note une volonté croissante, au fur et à mesure de l’avancée des techniques, de s’affranchir du cadre physique de l’imprimante et de s’étendre “au delà de la boite”. Les essais concluants d’impression 3D dans le domaine de la construction sont récents et s’accompagnent du développement de machines adaptées à l’impression de grandes structures à l’échelle architecturale. Il y a aujourd’hui un intérêt grandissant dans le domaine. Aujourd’hui la plupart des réalisations architecturales en sont encore au stade des tests et de l’expérimentation.

1 IAAC, https://iaac.net/research-projects/large-scale-3d-printing/on-site-robotics/

32

HangPrinter


“Imprimer en 3D était déjà une révolution, imprimer en 3D avec des

matériaux biosourcés en est une autre” Marine Protais1

/ Des matériaux éco-responsables Le matériau d’impression, qui peut être liquide, filaire ou en poudre, constitue son propre mortier. Il doit être formulé de manière à être “suffisamment liquide pour être pompé, mais être suffisamment ferme à la sortie du système pour soutenir son propre poids. Le début de prise doit aussi être assez rapide afin de soutenir l’accumulation des couches au cours de l’impression”2, explique XtreeE à propos du béton développé avec LafargeHolcim. Ce constat peut être appliqué à d’autres matériaux. En effet, la matière doit avoir une consistance lui permettant de se tenir d’elle même et par la suite, de supporter le poids des autres couches3. On peut finalement tout imprimer en 3D, à condition que la matière puisse passer de l’état liquide à l’état solide ou soit capable de fusionner. La préparation attendue du matériau avant impression est de consistance pâteuse ou granuleuse selon la technique employée. Cela induit que l’on peut employer des rebuts de production, des chutes, voire des déchets et par cela redonner un potentiel à des matériaux jusqu’à aujourd’hui dévalorisés ou rejetés. Certains matériaux imprimables existent déjà dans le monde de la construction, tels que le béton ou la terre. D’autres matériaux innovants apparaissent, relativement aux avancées de la fabrication additive dans le monde de la construction. Dans le cadre de l’architecture imprimée en 3D, les matériaux sont étroitement liés au processus de conception. / Le sable et la pierre Enrico Dini adapte en 2005 une machine de la fabrique de chaussures dans laquelle il travaillait pour créer une imprimante 3D. Il dépose l’année suivante le brevet de son imprimante 3D de très grande dimension, la D-Shape. Elle est capable d’imprimer du sable sur 6 m3 grâce à la technologie du binder-jetting, permettant de lier le sable avec de l’eau de mer et du liant à base de magnésium. Le magnésium réagit avec le sable pour créer une structure microcristallline semblable à de la pierre. Le cadre de l’imprimante se déplace d’avant en arrière et dépose, grâce aux 300 buses, le liant adhésif liquide sur la surface de sable de 5 à 10 mm d’épaisseur. Il faut environ 24heures pour que le matériau se solidifie complètement. L’excédent de sable agit alors comme un support pour la solidification de la structure créée et peut être réutilisé pour de nouvelles impressions. Une fois l’impression terminée, il faut retirer manuellement le sable non solidifié à l’aide de pelles pour voir apparaître la réalisation. La structure obtenue possède une haute résistante et ne nécessite pas de renforts, y compris en traction. Sa première production s’intitule Radiolaria, une sculpture en nid d’abeille de deux mètres de haut. D-Shape 1 Protais Marine, “Pourquoi les laments biosourcés intéressent l’impression 3D” [en ligne], Usine Nouvelle, février 2016. 2 Concept Yrys (auteur non précisé), “L’impressionnante impression 3D” [en ligne], MFC, juin 2017. 3 Gosselin Clément, Matériaux gradués à grande échelle obtenus par fabrication additive, article étudiant, ENSAPM, Paris, 2014.

33


Solar Sinter, imprimante inventée en 2011 par Markus Kayser, étudiant du Royal College of Art, s’appuie sur deux éléments abondants et disponibles à volonté dans le désert : le soleil et le sable. Le soleil permet de faire fonctionner l’imprimante grâce à des panneaux photovoltaïques alimentant le système et sert également à chauffer la matière première à solidifier, le sable. Cette imprimante utilise le logiciel open source ReplicatorG qui permet de créer le modèle 3D. La machine est composée d’un châssis équipé d’un bac à sable et d’une lentille de Fresnel qui récupère l’énergie produite par le soleil et la dirige vers un point précis de la surface du sable pour le faire entrer en fusion. Ce procédé SLS (frittage sélectif), fonctionne ainsi sans alimentation électrique. Cela laisse imaginer les possibilités d’un tel dispositif dans les pays en voie de développement. L’état actuel du prototype limite toutefois à la créations d’objets de petite taille. Stone Spray, projet de recherche de 2012 à l’IIAC (Institute for Advanced Architecture of Catalonia)1 , propose un système d’impression 3D d’architecture “eco-friendly”, fonctionnel et innovant. Le dispositif collecte le sable sur site puis le projette par une double buse combinée à un liant liquide. Lorsque cette mixture entre en contact avec une surface, elle se solidifie. Contrairement aux autres imprimantes 3D, le Stone Spray peut imprimer de manière multi-directionnelle, même sur des surfaces verticales.

Stone Spray

/ La terre et ses dérivés (argile, céramique…) La terre est un matériau commun à plusieurs cultures constructives. Ce matériau ancestral, utilisé partout dans le monde est respectueux de l’environnement, économique et résistant. Il offre une isolation naturelle, une bonne protection au feu et des qualité hygrorégulatrices grâce à ses excellentes propriétés d’inertie thermique. Traditionnellement sa mise en oeuvre ne requiert pas d’outil mais seulement la main de l’homme. Le corps et sa mesure sont investis dans la construction. Aujourd’hui ce matériau souffre de la stigmatisation d’être associé uniquement à l’architecture traditionnelle des pays sous-développés. Cependant, en l’associant avec la technologie contemporaine, ce matériau pourrait redevenir un matériau de construction opérationnel pour tout type d’architecture et notamment pertinent pour le développement d’un nouveau champ architectural. Les défis pour le matériau terre est de s’adapter et de se mettre à l’échelle des techniques de construction du XXIème siècle.

1 par Anna Kulik, Inder Shergill et Petr Novikov, sous la supervision de Marta Malé-Alemany, Jordi Portell ey Miquel Lloveras

34


Le projet TerraPerforma de l’IAAC, date de 2015. La volonté principale de ce programme est d’aller au delà de la conception d’un robot innovant capable d’imprimer en 3D pour se concentrer sur une recherche de conception basée quasi-exclusivement sur les propriétés et le comportement du matériau employé. Ces matériaux se veulent locaux, biodégradables, recyclables et 100% naturels. Pour ces études, il a été question d’optimiser le mélange de matériaux, en utilisant uniquement des additifs naturels et d’optimiser les temps de fabrication. Le projet se concentre donc sur les propriétés naturelles du matériau utilisé dans la construction depuis le Néolithique, permettant de répondre à ces critères. La première phase de recherches a permis d’élaborer un matériau composé à 96% de terre. Ce matériau possède une résistance à la traction 3 fois supérieure à une argile dure industrielle. Le projet s’appuie également sur une des propriétés majeures de la terre crue : elle est réutilisable à l’infini. Avec un prix de 0.50€ par kg, ce matériau peut proposer des constructions abordables aux population qui en ont besoin. Ces recherches sont associées à un second projet de l’IAAC, Terraperforma en 2016, qui a pour objectif de coupler ce matériau à un design performant climatiquement. Celui-ci est travaillé avec une structure alvéolaire et un système d’auto-ombrage.

Mur basique

Analyse thermique

Mur avec système de diffuseur

Le projet combine trois postures de l’impression 3D : la fabrication robotique, l’impression sur site et l’impression avec de la terre. Il consiste en l’érection d’un mur par assemblage de briques, imprimées d’un mélange de terre crue, de sable, d’argile et d’eau par couches de 3 mm. Les expérimentations menées au cours des recherches ont amené à optimiser le dessin en fonction de différents paramètres de performance tels que les propriétés climatiques et le comportement structurel du matériau. Une série d’expérimentations physiques et de simulations informatiques ont été réalisées pour tester le rayonnement solaire, la lumière du jour, l’impact des vents, la conductivité thermique et le comportement structurel grâce aux logiciels Rhino CFD, Ladybug et Karamba. Les modules sont conçus de manière paramétrique afin qu’ils aient des performances optimales en fonction de ces critères. Le prototype final du projet a été pensé de manière modulaire, pour éviter la contrainte du transport de l’imprimante 3D dans un espace extérieur contraint aux aléas climatiques2. 2 IAAC, https://iaac.net/research-projects/large-scale-3d-printing/terraperforma/

35


WASP (World Advanced Saving Project), est une entreprise italienne créée en 2012, dirigée par Massimo Moretti. Il élabore une imprimante 3D, la BigDelta, haute de 12 mètres, qui utilise des matériaux sourcés localement, avec pour ambition de réaliser un village complet à partir de terre imprimée. L’imprimante portable consomme peu d’énergie et peut être assemblée en 1 heure par 3 personnes. Ce chantier a débuté en Italie en 2016, dans la ville de Massa Lombarda (Ravenne). Les recherches conduites par WASP visent à la construction de maisons avec des matériaux trouvés sur site et avec un coût tendant vers zéro. Ce projet est tourné autour de la volonté de trouver une alternative au béton, plus respectueuse de l’environnement, en utilisant des matériaux naturels, que l’on peut facilement trouver sur place : la paille, la terre, l’eau. “Combinée avec d’autres matériaux locaux, l’argile peut créer des bâtiments imprimés qui durent dans le temps, qui s’adaptent au territoire et qui ne laisse pas de ruines une fois qu’elles ne sont plus utilisées”1. La terre, choisie pour son inertie thermique, son isolation acoustique, sa résistance au feu et ses qualités de purification de l’air, est associée à la paille. Ce matériau reconnu pour son isolation thermique et acoustique, est comme la terre, perméable à l’air et s’y associe donc pour empêcher la persistance de l’humidité dans les murs. Son emploi rend la structure plus légère, ce qui améliore sa résistance aux séismes en absorbant les vibrations. L’ajout de chaux et de sable rend le mélange plus homogène et donne sa stabilité dimensionnelle à la terre en réduisant sa rétractation. Massimo Moretti explique que “l’argile et la paille sans additifs peuvent être facilement imprimées en 3D. La période de transformation du liquide en solide permet d’imprimer environ 60 centimètres par jour, voire plus en été (peut-être même un mètre par jour)”2. Dans le camp expérimental du Shamballa Technological Village, 40 tonnes de ce mélange ont été imprimés pour former un mur circulaire de 5 mètres de diamètre et de 2,70 mètres de hauteur. Ils envisagent par la suite de lever le mur jusqu’à 4 mètres puis de créer la porte et de construire le toit. Cette expérimentation visait à ébaucher le projet Eremo, un modèle d’architecture passive résultant d’une investigation pluridisciplinaire basée sur l’auto-production, la reproductibilité et l’extensibilité. Ce type d’habitation peut être réalisé en seulement une semaine par 2 personnes. Coûtant 32€ pour l’énergie servant à faire fonctionner l’imprimante, 3€ pour l’eau, 10€ pour la paille, 3€ pour l’essence de la bêche à moteur, soit un total de 48€, ce système peut être une solution à la pénurie de logements. L’équipe travaille actuellement sur un système de panneaux solaires pour alimenter l’imprimante et encore réduire la facture.

WASP, Shamballa village

36


Emerging Objects, entreprise indépendante de créations en impression 3D en matériaux variés et écodurables réalise Gcode Clay, une expérimentation autour de diverses argiles imprimées (porcelaine, bmix, terre cuite et argile recyclée) avec le langage G-code. Ce procédé permet une nouvelle plasticité de l’argile et rend possible des détails impossibles à réaliser à la main. Malgré la conception assistée par l’imprimante 3D, on sent la main du concepteur dans chacun des artefacts. Ils développent dans ce projet le thème de la répétition, du danger de la modernité. Ici l’imprévisibilité est fondamentale dans le projet. Ils utilisent ensuite ce dispositif pour créer des tuiles de revêtements de façade en céramique, les Seed Stitch (Point de graines). Ce prototype de revêtement mural céramique autorise l’influence de la gravité, de la température et autres aléas pour provoquer des différences, des aspérités, un caractère unique. En continuité des expériences précédentes du Gcode Emerging Objects donne un aspect de textile de tricot aux surfaces d’argile. En tricot, le point de graine est composé de brins alternés horizontaux et verticaux. Chaque tuile est courbée de manière à s’accrocher à la surface d’un bâtiment et l’assemblage peut être réalisé en quelques minutes.

Emerging Objects, Tuiles «Seed Stitch» et Gcode-Clay

1, 2

WASP, http://www.wasproject.it/ 37


/ Les matériaux issus de végétaux Flotsam & Jetsam est un projet réalisé par SHoP Architects et l’entreprise d’impression 3D Branch Technology. Il s’agit d’un double pavillon pour l’édition 2016 de l’exposition Design/Miami en Floride. Une des contraintes fût la question du démontage aisé de la structure pour la déplacer à la Jungle Plaza du Miami Design District, pour qu’elle fasse partie pendant 2 ans d’une installation extérieure culturelle de l’Institut d’Art Contemporain de Miami. Le pavillon combine deux technologies d’impression 3D. L’une par l’entreprise Branch Technology, qui imprime une matière plastique ABS renforcée de fibres de carbone, et l’autre par l’ORNL (Oak Ridge National Laboratory) avec l’impression 3D d’un composite de bambou biodégradable. Le bambou pousse rapidement dans une large gamme de climats, il ne nécessite aucun engrais ou pesticide. Le challenge consistait pour les chercheurs à élaborer un matériau biodégradable mais résistant à la chaleur, l’humidité et l’air salé de Miami. Le composite employé est issu d’un mélange de 20% de bambou et de 80% de PLA (acide polylactique, un polyester thermoplastique biodégradable communément appelé bioplastique). Le résultat de l’impression est semblable à du bois quant à l’odeur, le toucher, le bruit et les caractéristiques recyclables. Jerry Tuskan, chercheur associé et leader du groupe de biologie des systèmes végétaux de la division ORNL Biosciences relève l’idée que l’utilisation de composites de bambou “représente un potentiel croissant de biomatériaux dans de nouvelles applications de construction”. Le scientifique Soydan Ozcan de la division Science et technologie des matériaux d’ORNL précise “notre objectif global est de développer de nouvelles pratiques de fabrication durables avec des matériaux bio-dérivés”1 afin de réduire l’empreinte carbone et le coût global de production des biens. Une multitude de matériaux d’impression peuvent être imaginés en tirant profit des propriétés naturelles des végétaux. Par exemple la pomme de terre est employée pour constituer le bioplastique Biome3D. À base de fécule de pomme de terre, autrement dit d’amidon, le filament résultant est plus proche de l’ABS que du PLA, il se brise moins facilement que le PLA et peut être poncé ou poli sans risque de déformation. DUS Architects, en partenariat avec l’entreprise Henkel, a également développé un matériau d’impression 3D renouvelable et solide, basé sur un thermofusible biosourcé à 80% à base de colza avec lequel ils réalisent leurs constructions expérimentales. Le granulat nommé Macromelt, est un type de colle composé à 80% d’huile végétale et fond à 170 degrés Celsius. / Les matériaux issus d’un gisement ou d’un recyclage Le travail du marbre génère beaucoup de pertes de matière, de l’extraction à l’usinage puis au polissage. Ces transformations rejettent des poussières de carbonate de calcium. MarbleEcoDesign entreprend de collecter ces résidus de marbre pour les assembler grâce à un polymère photo-réactif et ensuite les imprimer en 3D (technologie FFF). L’entreprise WinSun, qui propose des maisons imprimées préfabriquées utilise un béton recyclé composé de déchets industriels, de ciment à prise rapide, et d’un agent solidifiant.

1 ORNL, https://www.ornl.gov/

38

Floatsam&Jetsam


Emerging Objects élabore le projet Saltygloo en 2013, à base de sel récolté localement dans la baie de San Francisco où sont produits chaque année 500 000 tonnes de sel marin dans les étangs de cristallisation centenaires de Redwood City. Le projet s’inspire de l’igloo Inuit pour produire des structures manufacturées légères et additives. L’entreprise parvient à élaborer un matériau innovant avec un des minéraux essentiel de l’humanité. Le matériau imprimé, composé de sel et d’une “colle salée”, est résistant, léger, translucide et peu coûteux. 336 panneaux sont assemblés pour former une coque rigide soutenue par des tiges en aluminium fléchies. Gisement salain

Recyclage de pneus

Les pneus constituent une grande problématique en tant que déchets non biodégradables. De leurs caractéristiques qui en font un problème, émergent des arguments pour leur recyclage : leur disponibilité, leur volume et leur résilience. Emerging Objects a mis au point une formule pour l’utilisation de caoutchouc recyclé avec des pneus cryogéniquement réduits en poudre. Ils l’utilisent pour la réalisation de mobiliers extérieurs ou panneaux muraux insonorisants pour l’isolation acoustique dans le cadre de leur projet Rubber Pouff en 2016. La Cabine des Curiosités imprimée en 3D en 2018 d’Emerging Objects rassemble, tel un bâtiment manifeste, plusieurs de leurs expériences dans un logement d’une micro-échelle à Oakland, où il y a un manque de logements. Les tuiles Seed Stitch en céramique sont utilisées en continu, de la toiture aux murs latéraux. Tous les carreaux proviennent du même fichier informatique mais sont intentionnellement uniques. Des “planter tiles”, tuiles plantées de succulentes adaptées au climat de la Caroline du Sud, sont réalisées à partir d’un mélange de ciment et de déchets trouvés aux alentours, dont du marc de raisin, de la sciure de bois et du marc de café.

Recyclage de marc de raisin

Saltygloo

Rubber Pouff

Planter Tiles

39


/ Les aspects pluriels de la construction par impression 3D

Au cours de la table-ronde des professionnels du bâtiment organisée par la FFB (Fédération Française du Bâtiment) en 20171, permettant aux artisans et entrepreneurs du bâtiment d’échanger autour de sujets contemporains et innovants, la question du bâtiment connecté et intelligent et la manière dont la transition numérique va modifier en profondeur la façon de concevoir et de construire ont été abordés. On se demande comment se préparent les entreprises et quels seront les nouveaux métiers à apparaître. De manière générale, les participants ont laissé entrevoir une appréhension optimiste et saine à propos de l’impact sur l’emploi et de l’avenir de la profession dans le bâtiment. La principale préoccupation étant les problèmes de certifications des bureaux de contrôle. Le bâtiment imprimé sur site ne peut pas être viable immédiatement selon les normes de confort occidentaux car il faut intervenir en aval pour l’isolation et l’installation des fluides. On peut toutefois imaginer des améliorations de la technique qui permettront aux éléments fonctionnels tels que les câbles ou les gaines d’être inclus dans le bâtiment telle une seule unité. En tous cas, cette méthode constructive présente des avantages au niveau de la sécurité et de la pénibilité au travail dans le milieu du BTP. Malgré les mutations que cette nouvelle méthode de construction pourra entraîner dans le secteur, beaucoup s’entendent à dire que “toute perte initiale d’emplois due aux progrès technologiques sera vite compensée par de nouvelles embauches”2. De plus, par le développement de l’imprimante 3D, les connaissances techniques traditionnelles ne sont pas vouées à devenir obsolètes, bien au contraire, elles seront valorisées car chaque chantier retrouvant sa singularité, il sera nécessaire d’utiliser la perspicacité des constructeurs pour utiliser et optimiser les ressources. Plus rapide et nécessitant moins de transformation, l’impression 3D est plus économique qu’une construction traditionnelle. Engageant moins de transport et générant moins de déchets et de pertes, elle a des vertus écologiques certaines. Avec l’emploi de matériaux locaux, l’empreinte écologique et le coût de la construction peuvent-être réduits à des valeurs quasi nulles. La construction par impression 3D confère la possibilité de construire dans les endroits les plus reculés car il n’est pas nécessaire de transporter beaucoup d’outillage. Cette qualité est envisageable sous réserve d’accessibilité de l’imprimante sur le lieu en question. L’un des enjeux à développer est donc la mobilité des imprimantes 3D XL pour qu’elles puissent concrètement être utilisées quelles que soient les conditions du site. La fabrication additive permet d’accroître l’adaptabilité au milieu et la complexité formelle sans surcoût et de construire de manière plus flexible précisément selon la demande et à une échelle locale avec de petites unités de production. Appréhender la construction comme une “création à la demande”3 peut aider à revoir le schéma selon lequel des promoteurs immobiliers investissent en pariant sur l’attractivité à venir de territoires pour engranger des bénéfices, ce qui exclut les plus précaires qui ne peuvent pas accéder à la propriété. L’impression 3D pourrait éviter de reproduire les dérives de ce fonctionnement qui ont mené à la création de villes inhabitées à cause de la crise économique de 2008.

1 FFB (Fédération Française du bâtiment), “Le bâtiment au coeur du XXIème siècle”[en ligne], Les 24 heures du bâtiment, octobre 2017. 2 Rifkin Jeremy, La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2012. 3 Bastin Côme, “Home made home : bientôt tous architectes ?” [en ligne], We Demain, août 2013. 40


L’impression 3D permet une optimisation de la forme de façon à n’utiliser que la matière optimale par rapport à la structure souhaitée. De manière générale la technique de la fabrication additive n’utilise que la quantité de matériau nécessaire à la réalisation de l’élément. La question du matériau imprimable est centrale. Ce qui le compose est chaque fois différent selon le site, la saison, les conditions climatiques, les éventuels excédents, pénuries ou autres évènements imprévisibles. En contrepartie, ce sont toutes ces incertitudes qui ont le potentiel de conférer les opportunités d’un emploi intelligent de la matière. Ronald Rael et Virginia San Fratello de Emerging Objects, livrent Printing Architecture, Innovative Recipes for 3D printing4 en 2018. Dans cet ouvrage , ils exposent différentes études de cas de leur travail et offrent des conseils pour l’approvisionnement en matériaux alternatifs. Cela est accompagné des recettes spécifiques pour les mélanges et des instructions pour effectuer des tests de laboratoire et définir les paramètres de tests pour les matériaux. Au cours de leurs expérimentations ils ont développé une grande variété de techniques pour imprimer différents types de matériaux, ouvrant un champ gigantesque de possibilités aux concepteurs. Ils prouvent qu’il est possible d’adapter le matériau de construction imprimable en 3D localement dans toutes les situations. On peut se questionner sur la place que la technologie doit assurer dans la production architecturale du XXIème siècle. Jonathan C. Molloy envisage la chose de manière optimiste en conseillant de considérer les robots comme des instruments pour les objectifs architecturaux et humains, et non pas en tant que générateurs5. Les architectes ne doivent pas envisager la technologie en tant qu’intention de projet, mais comme un moyen pour améliorer le processus de création.

4 Rael Ronald et San Fratello Virginia (Emerging Objects), Printing Architecture, Innovative Recipes for 3D printing, Princeton Architectural Press, New York, 2018. 5 Molloy Jonathan C., ”Architecture by robots for Humanity” [en ligne], ArchDaily, mars 2013.

41


3

Corrélations entre les principes vernaculaires et la fabrication additive de bâtiments

Évolution de l’architecture vernaculaire

/ Une version en accord avec la société du XXIe siècle L’architecture vernaculaire est par essence une architecture qui s’adapte à son utilisation et à son environnement. Elle n’existe qu’en adéquation avec la civilisation dans laquelle elle évolue. Pierre Frey défend un retour à l’architecture vernaculaire adaptée à notre société. De Nouvelles Architectures Vernaculaires peuvent apprendre des pratiques traditionnelles ”par osmose, par analogie, par interprétation ou par interpolation, mais certainement pas par imitation”1. Elles s’appuient sur des savoirs et des savoir-faire ancestraux tout en les recontextualisant à travers de nouvelles philosophies urbaines2. En perpétuel renouvellement, le vernaculaire accompagne les changements et s’adapte constamment, en réponse aux contraintes sociales et environnementales auxquelles se confrontent les sociétés. Elle doit aujourd’hui correspondre à son environnement, à son utilisation et aux nouveaux savoir-faire. On imagine ainsi que par principe, elle s’adaptera progressivement aux nouveaux matériaux et aux nouvelles techniques de construction. Il faut se questionner sur ce que sont les nouveaux disponibles du monde urbanisé. Alors que les centres urbains sont coupés des matières-premières, de nouvelles formes de ressources apparaissent. Les matériaux disponibles en abondance et à faible coût sont alors les déchets et les rebuts. Les citadins en produisent une grande quantité. L’architecture vernaculaire, par sa spontanéité, est réactive aux contraintes et s’adapte à ces nouvelles conditions avec la création de nouveaux matériaux instantanés selon ce qui est accessible. Le vernaculaire du XXIème siècle recoure alors à des matériaux de réemploi et de recyclage, cela avec ou sans transformation de l’élément. Afin que l’architecture vernaculaire puisse devenir pleinement opérationnelle en milieu urbain, il faut qu’une main d’œuvre qualifiée soit disponible, que la volonté politique soutienne ces projets et que soient mis en réseau les ressources et les différents acteurs3. Ces critères confirment que les échanges humains sont le moteur essentiel de l’architecture vernaculaire. Le vernaculaire urbain s’appuie sur la pratique collaborative qu’est la gouvernance urbaine. L’architecte peut y avoir un rôle médiateur entre la société civile, le gouvernement local et le secteur privé4. La société du XXIème siècle est urbaine et reliée en tous points à tous les instants grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Le vernaculaire doit s’adapter à ces facteurs, qui sont à l’origine de mutations anthropologiques de grande ampleur. Comme se le demande Lucie Sauve, le genre vernaculaire peut-il être connecté ?

1 Frey, Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. 2 Nomadéis (Dutreix Nicolas et Baecher Cédric), “Bâti vernaculaire et développement urbain durable“, Arene Ile-de-France, mai 2012. 3, 4 Sauve Lucie, Identités vernaculaires, mémoire de master, ENSABX, Bordeaux, 2017. 42


Les processus vernaculaires sont perfectionnés grâce à la compréhension fine des territoires, de leurs ressources et des besoins vitaux des usagers. Ce qu’il faut aujourd’hui retrouver, c’est l’esprit et le cheminement de pensée qui ont permis la mise au point et le transfert de ces savoir-faire, ce ne sont évidemment pas les techniques elles-mêmes5. L’objectif principal des sociétés est de retisser des relations vertueuses avec leur milieu d’établissement d’après les valeurs territoriales séculaires et leur évolution, ce qu’elles représentent aujourd’hui6. Il faut rechercher les solutions là où se trouvent les énergies inhérentes à la société locale. Cette manière s’oppose aux modèles de colonisation exogène du territoire. Les réponses les plus fructueuses sont issues des traditions propres et intègrent les sédiments matériels et cognitifs des culture autochtones dans un processus d’innovation et de développement7. / La place de la technique et des spécialistes Bernard Rudofsky aborde l’architecture vernaculaire comme le fruit d’une activité spontanée et continue d’une communauté et en cela l’oppose avec l’architecture des experts tels les architectes et les ingénieurs. Nous avons cependant vu que la non-intervention des spécialistes n’est pas une notion inhérente à l’architecture vernaculaire. Pierre Frey confirme cette déduction. Il est d’avis que la nouvelle architecture vernaculaire “démode l’idée romantique d’architecture sans architecte”8 et cela exige du professionnel beaucoup plus d’ ingéniosité et de créativité dans ses projets. L’architecture vernaculaire est une entité insaisissable qui évolue par elle même, portée et influencée par l’intelligence collective d’un groupe d’humains. L’architecte a un rôle certain à jouer dans sa conception et cela de manière indissociable de la collaboration avec les usagers. L’architecte n’a ainsi pas vocation à interpréter l’architecture vernaculaire, en revanche il contribue à la faire apparaître. Il s’agit pour l’architecte de concevoir à travers une collaboration, une architecture ayant le potentiel, par son procédé de conception, par ses préoccupations et par la manière dont elle est matérialisée, d’appartenir au processus vertueux de l’architecture vernaculaire. La technologie et la technique dans l’architecture vernaculaire du XXIe siècle trouveront alors naturellement leur place si elles sont employées en association avec le processus de conception et les valeurs vernaculaires. C’est d’ailleurs à travers leur intégration que cette architecture pourra envisager de s’adapter aux proportions des chantiers contemporains et ainsi de s’adapter au mode de vie urbain des populations du XXIème siècle. Pour Pierre Frey, les compétences des architectes vernaculaires du XXIème siècle évoluent en conséquence. Ils doivent se montrer capables d’émettre des propositions répondant à l’état connu et formulé des besoins, tout en stimulant l’émergence de besoins invisibles et les muer en éléments de projet9.L’analyse entreprise par l’architecte pour définir les besoins aura pour résultat une compréhension qui lui sera propre. À travers cette compréhension, il exprimera ses aspirations et pourra entreprendre de définir les moyens.

5 Nomadéis (Dutreix Nicolas et Baecher Cédric), “Bâti vernaculaire et développement urbain durable“, Arene Ile-de-France, mai 2012. 6, 7 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 8, 9 Frey, Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. 43


/ Inscription de l’architecture vernaculaire dans la 3ème révolution industrielle L’économiste et prospectiviste Jérémy Rifkin, affirme qu’en ce début du XXIème siècle nous nous trouvons aux portes de la Troisième Révolution Industrielle. Chaque grande révolution industrielle est marquée par la convergence d’un nouveau régime énergétique et d’un nouveau moyen de communication. Il constate que ces conditions sont réunies, les nouvelle technologies de communication convergent avec un système d’énergies renouvelables1. Il défend l’idée que cette union peut permettre une production locale et partagée d’énergie verte, une relocalisation de la production et un partage grâce aux technologies modernes. L’impression 3D est l’un des composants incontestables de cette révolution, car elle a la capacité d’articuler la diffusion des connaissances et leur matérialisation2. Comme la première, au XIXème siècle et la seconde, au XXème siècle, la troisième révolution industrielle, au XXIème siècle, va radicalement changer tous les aspects de notre façon de travailler et de vivre. Son outil principal est Internet, qui a d’incroyables capacités d’adaptation car l’intelligence n’est pas placée au coeur du réseau mais à sa périphérie. Ce fonctionnement end-to-end, une communication à deux bouts, assure un développement continu d’innovations et d’expérimentations3. Ces nouveaux modèles modifient les rapports spatio-temporels et organisationnels de la société. Les relations humaines en reçoivent l’influence et l’organisation verticale traditionnelle est en train de céder sa place à des liens distribués et collaboratifs4. On voit éclore une multitude de micro-initiatives citoyennes, composées d’équipes transdisciplinaires, qui proposent des solutions architecturales et urbaines évolutives, économiques, affranchies des limites normatives et faisant avancer le droit par l’expérience. L’apparition de ces nombreuses initiatives innovantes, malgré le fait qu’elles soient isolées, témoignent lorsqu’elles sont appréhendées ensemble, de l’existence d’un véritable mouvement à l’échelle européenne et au delà5. Elles montrent que dans un avenir soutenable, l’architecture peut être un réel facteur d’inclusion grâce à ce nouveau cadre de production. Dans l’optique de rétablir une production locale et des dispositifs en circuit-court, le cas par cas paraît être la pratique la plus appropriée. Elle permet de réconcilier la production bâtie avec le lieu, de mobiliser les habitants et les praticiens6. Thierry Paquot propose de tourner le dos à la société de consommation pour entrer dans la société d’”a-consommation”, où grâce au cas-par-cas il n’est plus nécessaire de se conformer à un modèle érigé en norme. La conjugaison de la société du XXIème siècle et de l’impression 3D amènera, selon Enrico Dini, à la “Première Dévolution Industrielle”7. Il place d’ailleurs ce concept en opposition à la troisième révolution industrielle. La technique de la fabrication additive recoure à l’utilisation de matériaux naturels, d’une manière respectueuse de l’environnement, bon marché et non polluante8. Elle aurait alors le potentiel de mettre en marche la passation du modèle industriel au juste profit d’un système distribué et responsable. L’intégration de l’architecture vernaculaire dans la troisième révolution industrielle grâce à l’impression 3D est-elle la première étape de la première dévolution industrielle ? 1, 4 Frey, Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. 2 3Dnatives (auteur non précisé), interview de Massimo Moretti (WASP), “WASP mise sur l’impression 3D pour bâtir un monde durable”, [en ligne], 3Dnatives, novembre 2016. 3 Musiani Francesca, Schafer Valérie, “Le modèle Internet en question (années 1970-2010)”, revue Flux, n°85-86, mars 2011. 5, 6 Paquot Thierry, Stathopoulos Marco et Masson-Zanussi Yvette, Alter architectures Manifesto, Eterotopia / InFolio, Paris, Milan et Gollion, 2012. 7, 8 Twigg Melissa, interview de Enrico Dini, “Story of world’s first industrial-scale 3D printer is a story of sacrifice” [en ligne], SCMP, décembre 2016. 44


Des similitudes conceptuelles : une architecture du spécifique issue d’une démarche collaborative

/ L’optimisation des ressources propres au site pour une architecture spécifique Nous avons vu précédemment que l’architecture vernaculaire emploie des matériaux qui sont disponibles, dans un temps et dans un espace donné, et que dans le contexte urbain du XXIème siècle, les matériaux de réemploi sont les premiers matériaux à disponibilité localement. Ils ne sont pas biosourcés mais éco-responsable dans le cadre de leur réemploi (entendons par réemploi toutes les pratiques qui lui sont associées dont la réutilisation et le recyclage). En concordance, la forme que prennent les matériaux imprimables en 3D - poudres, liquide, granulés permettent l’emploi de matériaux issus de chutes, de rebuts, de recyclage. La construction par impression 3D permet, de manière plus large, l’élaboration d’une infinité de matériaux en fonction du contexte local. À travers cette caractéristique, elle renoue avec la construction primaire des architectures vernaculaires, s’emparant des matériaux locaux pour développer des savoir-faire aboutis dans le temps. Les processus d’expérimentation vernaculaires qui ont permis de perfectionner les réalisations à mesure des essais sont de nouveau de mise dans l’utilisation de la fabrication additive. Tout comme les concepteurs vernaculaires qui ne s’attachent pas à ce que soient réalisées exactement les formes auxquelles ils ont pensé, l’architecture par impression 3D s’adapte constamment aux opportunités de l’instant. Ces deux pratiques laissent une porte ouverte aux circonstances du chantier et aux occasions qui se présentent. Que cela s’applique au vernaculaire ou à la fabrication additive, l’architecture non-standard ne constitue pas un phénomène de mode éphémère. Régie par la notion d’instantanéité, elle relève d’une prise en compte maximale des paramètres auxquels elle doit répondre9. Le non-standard résulte de la manipulation d’incréments dans un système. Il peut permettre l’association des savoir-faire oubliés et de la technologie car il abolit la distinction entre les disciplines10. Le cas-par-cas est intrinsèquement lié au processus vernaculaire, en opposition à une vision unilatérale de l’architecture. Les infinies possibilités de personnalisation facilitées par la souplesse des maquettes numériques promulgue à la conception par l’impression 3D le potentiel de relayer ces pratiques. Grâce à cette faculté, le particulier revient au centre de l’attention. 9, 10 Girardet Thibaut, Architecture non standard, mémoire de master, Camondo, Paris, 2012.

45


/ Le consommateur intelligent Quiconque, grâce aux technologies, réacquiert la capacité d’être concepteur et producteur de son environnement physique. La passivité à laquelle était contraint le consommateur du XXème siècle peut être contournée par la réouverture ou l’élargissement d’espaces de créativité1. La Troisième Révolution Industrielle définie par Jérémy Rifkin2 annonce la transcription du système autogéré d’Internet dans l’économie réelle : l’Homme (re)devient producteur et consommateur. Le terme transposé en français “Prosommateur”3, est un néologisme issu de l’anglais “prosumer”, la contraction de “producer” et de “consumer”. Cette formulation est utilisée pour décrire un individu qui n’est pas passif face à sa consommation. Consommateur intelligent et raisonné, il acquiert notamment ses connaissances grâce à l’accès à l’information permis par Internet. C’est alors Internet qui permet de faire resurgir le lien dynamique et productif de l’habitant envers ce qui l’entoure. L’individu retrouve l’envie et a la possibilité de prendre place dans le processus de conception, de construction et d’utilisation de l’architecture. Ce lien se rapporte à des valeurs vernaculaires. Les prosommateurs sont alors capables de réaliser des “personnalisations complètes”4 en fabriquant des choses uniques. Cela vise à se rapprocher de la “praxis citoyenne”, qui est l’action directe d’un citoyen praticien, issue du partage d’un savoir local avec un groupe de collaboration comportant des professionnels et permettant l’échange des expériences personnelles5. Il est intéressant de noter que cette capacité est rendue possible par la communication directe entre les citoyens ordinaires et leurs représentants. La participation active des individus à la production des édifices dont ils seront amenés à être les usagers permet de recréer un lien émotionnel entre l’Humain et l’architecture, entre l’Humain et son territoire spécifique.

.

Communauté Internet

1 Illich Ivan, La convivialité, Éditions Seuil, Paris, 1973. 2 Rifkin Jeremy, La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2012. 3, 4 Toffler Alvin, The Third Wave : the Classic Study of Tomorrow, Bantam Books, New York, 1980. 5 Shaban-Maurer Basil, The roles of the citizen practitioner in citizen engagement for architecture, urban design, and planning policy : A Phronesis-based approach, Thèse, School of Architecture McGill University, Montréal, 2013.

46


/ Les échanges vertueux de la communauté 2.0 L’architecture vernaculaire ancestrale est issue du partage de savoirs et de la transmission entre membres d’une communauté. Les communautés qui animent la construction par impression 3D s’affranchissent des limites géographiques et se servent des réseaux virtuels pour lier leurs membres. Les savoir-faire, en plus de la transmission orale et manuelle traditionnelle, circule aujourd’hui par le biais d’Internet. Le fonctionnement et les objectifs de ces communautés Internet sont similaires à ceux des communautés insulaires, le savoir étant partagé au sein d’une communauté qui corrige les erreurs dans le temps par la pratique. Les communautés Internet constituent-elles les communautés vernaculaires du XXIème siècle ? Le terme “communauté” a revêtu dans le langage courant, une connotation négative dans le sens où il est devenu synonyme de sectarisme. La communauté Internet prône des valeurs d’ouverture à tous. Loin de correspondre à l’intolérance, elle est proche de sa définition originelle, “un groupe de personnes qui partage quelque chose, un bien, une ressource ou une obligation”. En contraste avec les communautés traditionnelles, les communautés numériques ne sont pas forcément conscientes ni formalisées au départ. Elles émergent spontanément autour de valeurs, de projets à construire, à défendre, à partager1. Mouvantes, elles se diluent les unes dans les autres, se déplacent. Elles sont des communautés d’intérêts et de ce fait, c’est l’intérêt commun qui les fait exister et les font subsister2. “Open-Source” signifie “code source ouvert”. Le terme est apparu pour qualifier des logiciels modifiables en accès libre et étend aujourd’hui son application aux “oeuvres de l’esprit”. Les données open-source permettent de partager et de comparer une somme si conséquente d’informations, qu’elle mène à une accumulation de connaissances partagées sans précédents historiquement, qui repose sur le génie produit par cet effet de masse. Les innovations technologiques s’accompagnent, grâce à Internet, d’innovations sociales3. Les communautés ouvertes résultant d’une simultaneité mondiale en font partie. Un nombre croissant d’inventeurs choisissent de partager ouvertement leurs travaux sur Internet. On peut alors questionner l’exposition au plagiat et la défense de la propriété intellectuelle, mais les acteurs de cette mise en partage comptent retirer plus de ces échanges avec la communauté que de ce qu’elle abandonne4. Au fil de cette démarche, un écosystème se crée et solidifie le système. Les productions sont mieux conçues car elles intègrent les contributions des utilisateurs dans le processus de conception5. Ces innovations collectives, érigeant l’échange et le capital social comme leitmotiv à la place du profit économique, correspond à des préoccupations apparentées au vernaculaire.

1,2 Roudaut Sandrine, L’utopie mode d’emploi : Modifer les comportements pour un monde soutenable et désirable, Editions La Mer salée, 2014. 3, 4, 5 Degroof Jean-Jacques, ”Livre. Makers. La nouvelle révolution industrielle, Chris Anderson Pearson, 2012”, revue Entreprendre & Innover, n°18, février 2013.

47


48


PARTIE II PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION D’UNE ARCHITECTURE VERNACULAIRE À TRAVERS LA CONSTRUCTION PAR IMPRESSION 3D

49


1

Un fonctionnement local

Vers la décentralisation de la production

/ Des micro-centres de production À la suite de la 2ème révolution industrielle, l’économie de marché mondialisée organise l’offre et la demande à une nouvelle échelle dans l’histoire de l’Humanité. La production se délocalise des lieux de consommation pour réaliser le plus de profits, ce qui a induit la désindustrialisation des pays riches1. L’impression 3D peut réduire la dépendance des individus face au système industriel. En effet, “si chacun peut fabriquer une grande partie des objets dont il a besoin, plutôt que de les acheter, les nouveaux outils peuvent faire sortir d’un modèle industriel massifié et dépendant de grosses unités productives”2. Chaque imprimante 3D constitue en elle même un micro-centre de production. Dans ces circonstances, l’impression 3D peut-elle être envisagée comme une machine à relocaliser ? La re-localisation aurait la faculté de re-valoriser les activités productives locales, notamment issues d’un processus d’auto-reproduction. ”Ces activités de proximité favorisent des échanges non-mercantiles, des relations de réciprocité et de confiance : en d’autres termes, elles permettent la création d’un espace public fondé sur la reconnaissance et la valorisation d’un patrimoine commun et l’émergence de nouvelles relations, évitant la clôture sur soi-même”3. Les termes d’Alberto Magnaghi mènent à la perception d’une société possédant des valeurs vernaculaires. La démocratisation de la production locale d’objets est un pas vers l’acceptation et le fonctionnement d’un environnement architectural bâti selon les mêmes principes. L’entreprise WASP promeut une économie auto-productive qui peut être mise en place partout grâce à son “Maker Economy Starter kit“. Avec ceci, Massimo Moretti a pour objectif de créer des communautés micro indépendantes, nées et développées grâce à des systèmes d’auto-production avancés, accessibles à tous. Dans le kit, on trouve plusieurs modèles DeltaWasp : de la BigDelta, l’imprimante 3D de 12 mètres de haut qui construit des maisons en terre, à la Delta Wasp 3MT, imprimante multi-outils pour la réalisation de meubles-composants, jardins verticaux… D’autres éléments sont inclus, tels qu’un système pour modifier un matériau pour pouvoir l’extruder ou encore un système pour recycler des déchets ou du plastique. Toutes les informations nécessaires à leur mise en place sont fournies gratuitement en ligne grâce à une série de tutoriels. Le Starter kit permet de construire des maisons en utilisant des matériaux provenant du lieu de construction, naturels ou recyclés ainsi que des matériaux standards. C’est un système qui s’auto-nourrit et ainsi qui ne cause pas de problèmes logistiques. Il peut même être implanté là où il n’existe pas de tissu productif ni d’infrastructures performantes. En équilibre entre l’utopie et le pragmatisme scientifique, l’impression 3D est alors mise à disposition pour satisfaire les besoins primaires de manière durable grâce à un modèle d’édifices basés sur l’autoproduction, la reproductibilité et l’extensibilité. 1 Hamard Romain, Impression 3D moteur d’une nouvelle architecture vernaculaire, Mémoire de master, ULB, Bruxelles, 2014. 2 Rumpala Yannick, “L’impression tridimensionnelle comme vecteur de recon guration politique” [en ligne], blog de Yannick Rumpala, février 2012. 3 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003.

50


Alberto Magnaghi envisage la décentralisation comme primordiale pour le renforcement des nouvelles pratiques de coopération et de participation. Le développement de nouvelles formes de communautés engage de nouveaux processus d’accumulation du capital social4. La décentralisation a ainsi un impact qui ne se limite pas au monde de la production mais aurait des retentissements vertueux socialement. / Le renforcement des filières locales et l’économie circulaire La décentralisation de la production en micro-centres peut développer des réseaux locaux et renforcer les filières locales existantes. Ils stimulent une circulation d’argent dans l’économie locale, qui se trouve soutenue par la demande créée. Cette lutte contre la dépendance économique par le développement de filières de proximité peut, grâce à la main d’oeuvre et aux matières premières locales aider à la redécouverte ou au développement de savoir-faire5. Certains projets architecturaux, selon leur ampleur, peuvent réellement développer l’économie locale et les entreprises ancrées. L’enjeu est de pérenniser ces activités à posteriori du projet en question.6 Il faut porter une attention particulière au temps long pour anticiper la persistance des demandes. Il y a une infinité de potentiels locaux en attente d’être activés. Un exemple inspirant est celui de l’entreprise Nanovia, basée dans les Côtes-d’Armor, qui depuis 2015 fabrique et commercialise des filaments Istroflex à base d’huître et de lin. Ils travaillent en association avec l’Usine de Kervellerin, dont les 10 salariés récupèrent les déchets des ostréiculteurs du Morbihan. Cela participe à l’économie circulaire locale et surtout, offre de nouveaux débouchés à la filière ostréicole. La poudre d’huître est constituée à 99% de carbonate de calcium, substance permettant de rigidifier la matière7. Ainsi, au delà de leur impact positif sur l’environnement, sur l’économie et sur les filières locales, ces filaments biosourcés présentent des avantages techniques spécifiques. Une question architecturale, intrinsèquement locale, ne peut induire une réponse autre que locale. Ce bien-fondé n’exclut pas une interaction largement ouverte en terme d’étendue spatiale pour trouver la solution la plus adéquate. Selon Neil Gershenfeld “la vraie opportunité est d’exploiter le pouvoir inventif du monde, pour concevoir et produire localement des solutions à des problèmes locaux”8. Un réseau fondé autour de micro-centres de production liés à l’impression 3D et à une connaissance en partage, réduirait la quantité de matière et les importations. Il serait alors possible de recalibrer les échanges induits par la mondialisation. Cette approche, très liée à une économie circulaire, permet de créer des boucles de matière plus courtes et plus locales9. Ce fonctionnement permettrait, en faisant appel à des pratiques et matériaux locaux, en privilégiant le recours à des filières locales pour développer une économie circulaire, d’engager une participation consciente à l’échelle territoriale. Un premier pas pour de nouveau tisser des liens entre l’Homme et son environnement. 4 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 5 Goudenhooft Chloé, Interview de Cedric Beacher et Nicolas Dutreix (Nomadéis), “L’architecture vernaculaire pour un développement urbain durable” [en ligne], Le Moniteur, août 2012. 6 Nomadéis (Dutreix Nicolas et Baecher Cédric), “Bâti vernaculaire et développement urbain durable“, Arene Ile-de-France, mai 2012. 7 explique Yves-Marie Corre, responsable technique de ComposiTIC (Protais Marine, “Pourquoi les laments biosourcés intéressent l’impression 3D” [en ligne], Usine Nouvelle, février 2016.) 8 Gershenfeld Neil, “Unleash Your creativity in a Fablab”, TED Talks, 2006. 9 Tinq Benjamin, interview de Tomas Diez, “La FabCity : “Une ville connectée, résiliente et circulaire””, [en ligne], Circulate News, décembre 2016. 51


Une architecture locale et responsable / La compréhension des ressources du site

le monde est rempli de savoir, mais il est vide de compréhension, car laissemoi te le dire, le savoir vient de l’esprit et la compréhension vient du coeur” Louis Sullivan

Dans les sociétés vernaculaires, le savoir est transmis de générations en générations. Les sociétés modernes ont perdu ce lien avec leur territoire, l’absence d’un maillon dans la chaîne ayant fait disparaître ces cognitions. “Le speed de la communication a désitué l’architecture”1, mais l’architecte vernaculaire du XXIème siècle peut aider les groupes sociaux à regagner cette relation intime avec le territoire. Par essence, l’architecture vernaculaire naît d’un site. Elle est le résultat spécifique de facteurs déterminants et d’opportunités spontanées et parfois non-reproductibles. L’architecte peut intervenir en tant que spécialiste pour analyser et tirer le meilleur parti des ressources d’un site à un moment donné dans le temps. Effectivement, il y a des facteurs fixes, séculaires - géographie, hydrographie, tradition locale de culture agricole - et des facteurs variables, instantanés - gisement de matériaux, catastrophe naturelle - avec lesquels il faut composer pour proposer un projet architectural. Telle la Grande Muraille de Chine réalisée successivement dans sa linéarité, de pierre, de terre crue ou même de sable renforcé avec des lits de roseaux, en fonction des disponibilités locales de matériaux et de savoir-faire dans les territoires qu’elle traverse, le lien entre l’architecture et la géologie d’un lieu doit être replacée au premier plan. Une nouvelle forme de primitivisme existe certainement dans ce procédé, consistant à employer comme matériau de construction imprimable des éléments se trouvant à portée de main ou sous nos pieds. Romain Anger, impliqué dans le laboratoire CraTerre et Amàco, énonce une série de transformations selon un cycle spatial qui constitue l’architecture au sens large. Le territoire fournit de la matière, qui se transforme en matériau, puis en élément, puis en structure, puis en édifice, puis en agglomération, qui s’intègre elle même dans un territoire2. Le rôle de l’architecte n’est pas uniquement de concevoir l’édifice mais de concevoir toute cette chaîne de production. Il faut trouver de nouveaux moyens pour former des professionnels capables de construire avec des matériaux glanés localement. Internet, comme ressource en terme de connaissances peut y participer. Une des ressources primordiale des architectes, des concepteurs et des constructeurs vernaculaires du XXIe siècle est la perspicacité. Les matériaux disponibles sur le site peuvent provenir de la filière du réemploi, permettant par là “une économie et une mise en perspective historique et sociale, donc un supplément de sens et une relation entre les générations”3. Jean-Marc Huygen définit le réemploi tel que l’“acte par lequel on donne un nouvel usage à un objet existant tombé en désuétude, qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu et fabriqué”4. La notion

1 Kushner Marc, “Pourquoi les bâtiments du futur seront façonnés par...vous”, TED Talks, 2014. 2 Anger Romain, “La Terre et les bres végétales : matériaux de construction du futur”[en ligne], conférence, Le 308 Bordeaux, décembre 2015. 3, 4 Huygen Jean-Marc, La poubelle et l’architecte : vers le réemploi des matériaux, Actes Sud Beaux Arts L’Impensé, 2008 52


de réemploi contient à la fois les notions de réutilisation, de récupération et de recyclage, qui diffèrent entre elles selon la quantité de transformation à leur appliquer pour les réemployer. Il insiste sur la valeur patrimoniale des matériaux de réemploi représentant un gage de cohésion sociale, donc une richesse territoriale, glocale et planétaire. La ville, modèle dominant de l’établissement humain au XXIème siècle, dépend quasi-entièrement de l’extérieur pour son approvisionnement en ressources (tout genre de matières premières ou transformées) et pour l’absorption de ses déchets5. La matière première la plus abondante dans les centres urbains sont, de ce fait, les rebuts. Or la technique de l’impression 3D est adaptée à l’utilisation de ces matériaux car elle imprime à base d’une préparation pâteuse ou granuleuse. L’architecte doit approfondir sa phase d’introspection sur les besoins, les richesses du “déjà là” et l’imaginaire qui y gravite. Cela est essentiel pour comprendre et interpréter le sens du programme lié aux opportunités du site. Une analyse pluri-racinaire, à la fois historique, morphologique, typologique et en relation avec les usagers du territoire, doit être menée, pour “apprendre à partir de l’existant, de sa mémoire collective, de ses symboles et de ses analogies, de ses qualités sensorielles, de ses espoirs et de ses peurs, de son potentiel et de ses risques”6. Afin de concrétiser cette volonté, l’analyse du territoire doit se baser sur la description identitaire des lieux, des milieux et des systèmes environnementaux. Selon Alberto Magnaghi, les règles que l’on peut qualifier de vertueuses sont loin de se satisfaire d’une utilisation technique des ressources locales comme selon l’approche fonctionnaliste. Elles résultent d’une “relation interprétative et co-évolutive entre culture et milieu“7. Il établit que tout processus de reterritorialisation doit être amorcé par une définition de l’identité territoriale. Constituée des invariances, des permanences, des sédimentations physiques et mentales, d’une “sagesse environnementale” propre, elle doit être établie à l’échelle de la région géographique et à celle du lieu. L’analyse historique du processus de formation du territoire a pour finalité de “permettre la poursuite de la territorialisation, en fonction de nouveaux critères”8. Il ne s’agit pas de copier ces paramètres mais de reconquérir les règles de sagesse environnementale dans la perspective d’un projet de transformation. Il faut préciser que le développement local ne se confond pas avec le localisme car, fondé sur la valorisation du patrimoine, il n’a ni frontière, ni acteurs préétablis9. Si l’on considère que le résultat final est à définir en fonction des ressources disponibles et de leur activation, c’est la qualité du processus et de son enrichissement qui priment sur le résultat. “Le temps n’est plus alors un coût mais une ressource aux qualités nombreuses : illimitée, disponible partout, bon marché, plastique”10. Notre société a pour adage “le temps c’est de l’argent”, menant à privilégier la vitesse d’exécution. La réintégration du temps comme ressource rend possible une architecture produite lors d’un moment collectif de co-programmation, de co-conception et de coconstruction qui ne s’impose pas comme un objet fini, pour constituer un projet qui s’inscrit dans la durée. Le temps est bénéfique à la collaboration car il est le meilleur véhicule des décisions collectives11. En concordance, les groupes sociaux participant au projet sont des ressources primordiales.

5 Philippe Madec dans Revedin Jana, ouvrage collectif, La ville rebelle : démocratiser le projet urbain, Gallimard Collection Manifestô-Alternatives, 2015. 6, 10, 11 Revedin Jana, “La conception radicante : temps, besoins, expérimentation” revue Stream, n°4, 2017. 7, 8, 9 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003.

53


/ Une synergie entre héritage culturel et innovation constructive Comme le souligne Peter Sloterdijk, “l’actuel way of life et le long terme sont deux choses qui s’excluent totalement l’une l’autre”1. Il est un enjeu décisif de faire coopérer ces deux entités. Le monde de la simultanéité côtoyant celui des processus séculaires peut, en mêlant la réactivité et la communication avec la connaissance approfondie et la sagesse environnementale, mettre à l’oeuvre une nouvelle approche de la discipline architecturale. L’approche territorialiste d’Alberto Magnaghi et les processus vernaculaires sont semblables par leur constante adaptation aux communautés et aux milieux. Selon lui “la véritable conservation patrimoniale est toujours le fait d’une transformation active”2. Afin de créer des relations vertueuses entre communauté établie et milieu, il ne serait pas pertinent de rétablir des équilibres naturels du passé, mais il serait nécessaire “d’amorcer des actions qui, en créant de la socialité, permettent à la société locale (aussi multi-éthnique, mobile, changeante soit-elle) de s’approprier son territoire et de la valoriser”3. En reliant “les habitudes, le savoirs, et les techniques d’aujourd’hui à une sagesse environnementale ancestrale”, il est envisageable de faire surgir une nouvelle relation co-évolutive entre les habitantsproducteurs et le territoire4. Grâce à l’état d’esprit qu’elle génère et aux possibilités matérielles qu’elle permet, la construction par impression 3D aurait le potentiel d’occasionner une relation vertueuse entre les trois composantes du territoire que sont le milieu naturel, le milieu construit et le milieu proprement humain5. Conjointement à une compréhension des ressources du site, l’impression 3D permet de replacer la conscience du matériau au centre du processus de conception de l’architecture. La matérialité et le concept architectural sont alors synchrones dans la constitution du projet. La matérialité étant “une expérience phénoménologique entre ressources des milieux et expression de la culture”6, sa restauration au coeur du projet architectural permet d’ouvrir de nouveau “la perspective d’une architecture qui est une expression manifeste et singulière des ressources du milieu au sein duquel elle se matérialise”7. La complexité de cette application réside dans l’équilibre à trouver entre une identité locale et un positionnement mondial pour à la fois correspondre au territoire et à ses spécificités tout en étant capable de projeter dans un monde globalisé8. La technique de l’architecture par impression 3D peut s’appuyer sur les savoir-faire traditionnels, qui servent l’emploi de ressources locales, pour développer de nouvelles compétences et créer de nouveaux débouchés à des exploitations existantes. La méthode de construction par impression 3D n’est pas fondamentalement différente des méthodes de construction ancestrales ou répandues à ce jour selon le fait qu’elle consiste à positionner de la matière horizontalement afin d’obtenir par progression un ouvrage vertical. Ce procédé est coutumier dans l’exercice de la maçonnerie ou du travail de la terre par exemple. La différence majeure est un passage requis par la modélisation numérique pour matérialiser le projet grâce à l’imprimante. Il se trouve que dans la pratique de l’architecture au XXIème siècle, cette étape est systématique pour tous types d’édifices. Le savoir-faire étant déjà existant dans la profession, le développement de la construction par impression 3D sera facilité sur ce facteur. Comme dans les procédés constructifs traditionnels, il est prévisible de voir se développer des couples

1 Sloterdijk Peter, Dans le même bateau, Payot & Rivages, Paris 1993 2, 3, 5 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 4, 6, 7, 8 Joly Serge et Loiret Paul-Emmanuel, “La voie des milieux” [en ligne], Joly&Loiret Architectes, Paris, septembre 2015.

54


de matériaux pour en combiner les propriétés. Ces derniers pourront être issus d’une impression multimatériaux ou d’une hybridation entre impression et mise en oeuvre classique. On les associerait comme on associe conventionnellement le béton avec l’acier - car ils sont compatibles d’après leur coefficient de dilatation et qu’ils se complètent dans leur comportement structurel - ou comme on apparie la terre avec une ossature en bois. Une association d’impression 3D et de techniques traditionnelles de construction - tel que coffrage perdu, le remplissage isolant et l’assemblage d’éléments à l’échelle de la brique - est déjà d’actualité. Le nouvel ”art de construire” consistera donc à mixer les techniques millénaires de construction avec des dispositifs sophistiqués et ainsi faire se côtoyer l’artisanat local et le high-tech9 afin de développer une architecture hybride entre héritage culturel et innovation constructive.

Une réponse à un besoin spécifique / Une architecture non-standard La notion de non-standard provient du monde des mathématiques. Abraham Robinson, mathématicien américain, développe en 1961 la “non standard analysis” qui marque un tournant dans la compréhension des nombres, contribuant à la “théorie des modèles” (notion mathématique démontrant la valeur d’une vérité mathématique). Cette analyse aboutira à un algorithme reposant sur l’idée que les choses sont constituées de petits éléments. La loi de constance imposée par le standard de l’ère industrielle, selon une production par les masses pour les masses, est aujourd’hui en mouvement. Le non-standard est une notion qui renvoie au moment où ”la fluctuation de la norme remplace la permanence d’une loi, quand l’objet prend place dans un continuum par variation, quand la productique ou la machine à commande numérique se substitue à l’emboutissage”10. Conformément à la progression de nos sociétés, qui tendent vers des logiques de production visant l’objet unique, le “non-standard” s’oppose au “standard”, qui est défini selon les logiques de la norme. Le non-standard, appliqué à l’architecture, soulève une approche expérimentale. Dans son application concrète, il s’incarne dans la“recherche d’une économie de temps de travail, de logistique et l’instauration d’un dialogue entre les différentes étapes, reliant une plus grande diversité de connaissances. Ce n’est donc pas la création de nouvelles possibilités, mais l’emploi d’outils existants”11. Les machines de fabrication automatisée dont l’imprimante 3D remettent en cause “l’idée que si vous voulez quelque chose à un prix abordable, ça doit être du prêt-à-porter”12. La fabrication additive a la faculté de répondre à un besoin spécifique et ce, sans avoir recours à la standardisation d’éléments. Par ce procédé, la logique de la production de masse se retire pour laisser le particulier revenir au centre de l’attention. Il sera bientôt possible pour chacun de définir son environnement en fonction de ses besoins et de ne plus rester passif face à ce qui lui est proposé conformément à la norme. D’après Patrick Bouchain, il faut sans cesse se mettre dans des situations de projet empêchant tout comportement habituel ou conventionnel de la société, pour trouver une solution particulière à chaque contexte donné. Il mise notamment sur une architecture issue d’une collaboration avec les habitants, qui est non-standard par essence car issue d’un travail de groupe inimitable13. 9 Guedj Jean-Luc, “Horizons pour l’architecture” [en ligne], Les Universités d’Été de l’Architecture, août 2014. 10 Deleuze Gilles, Le Pli, Éditions de Minuit Collection Critique, 1988. 11 Morel Philippe, interview de Girardet Thibaut, Architecture non standard, mémoire de master, Camondo, Paris, 2012. 12 Parvin Alastair, “L’architecture pour les gens par les gens”, Ted Talks, 2013. 13 Bouchain Patrick, Construire autrement, comment faire ?, Actes Sud Beaux Arts l’Impensé / Coédition NAC, 2006. 55


Comme le fait remarquer Jacques Ferrier dans l’ouvrage Stratégies du disponible, “aujourd’hui, même au fin fond du Midi de la France, en fonction d’un besoin donné et de technologies données, les gens ont la même réponse qu’à Buenos Aires dans le quartier du port, mais pour d’autres raisons”1. Les principes de projets uniques ne sont ainsi pas intangibles. Ils ne signifient pas invariablement qu’une solution ne peut pas être transposée à un autre contexte. Il faut conserver une certaine mesure dans la recherche de singularité d’une production, les solutions les plus probantes étant souvent à tirer de références existantes. Neri Oxman compare la production industrielle et le monde organique pour prôner “la différence plutôt que la répétition”2. Elle remarque que, contrairement aux pièces de l’industrie duplicables et aux propriétés identiques, la répétition n’existe dans la nature qu’à travers la variation et la différence. Comprendre la différence nous permet de concevoir des systèmes répétitifs qui peuvent varier leurs propriétés en fonction des contraintes environnementales. “En conséquence de cette nouvelle approche, nous serons en mesure de concevoir le comportement plutôt que la forme”3. Cela rejoint la pensée de Jacques Ferrier qui considère que l’échec de l’architecture internationale tient au fait qu’elle se soit basée sur le point de vue formel : “On peut, je crois, avoir une pensée universelle si cette pensée porte sur la méthode de projet”4. / L’ultra-personnalisation “La fabrication 3D inverse les contraintes économiques de la fabrication traditionnelle.”5 Ce qui auparavant était cher - la variété, la complexité, la flexibilité - devient quasiment gratuit. Désormais, la production de masse et la production sur mesure sont toutes deux viables techniquement et économiquement. Dans son ouvrage Makers : La nouvelle révolution industrielle , Chris Anderson émet l’idée que, chacun de nous ayant ses propres besoins, ses propres compétences et ses propres idées, “si nous avions tous la possibilité d’utiliser des outils pour couvrir ces besoins, ou de les modifier en fonction de nos idées, nous découvririons collectivement toute l’étendue de ce qu’un outil peut faire”6. Ces paroles destinées aux biens de consommation sont applicables à l’architecture. On observe aujourd’hui une grande complexité de besoins - par exemple la diversité des schémas familiaux - dont le système architectural standard n’a pas encore absorbé les mutations. La production distribuée fait entrer en jeu la variabilité et la personnalisation, permettant une adéquation fine aux besoins de l’usager. Une architecture personnalisée peut constituer une réponse à ce manque de compatibilité entre normalité et réalité. Christopher Alexander, précise que pour concevoir un projet collaboratif, les participants doivent avoir des principes communs. Il ne serait pas souhaitable d’obtenir un environnement dont chaque mètre carré serait conçu d’après des principes totalement différents et relèverait alors du Chaos7. L’ultrapersonnalisation doit se réaliser à partir de systèmes communs comme base de projet.

1, 4 Tzonis Alexander, Lefaivre Liane et Fol Jac, Jacques Ferrier architecte, Stratégies du disponible, Éditions Passage Piétons, 2004. 2, 3 Oxman Neri, interview par CNN, “Printing 3D Buildings: Five tenets of a new kind of architecture”, [en ligne], CNN, décembre 2012. 5 Degroof Jean-Jacques, ”Livre. Makers. La nouvelle révolution industrielle, Chris Anderson Pearson, 2012”, revue Entreprendre & Innover, n°18, février 2013. 6 Anderson Chris, Makers : La nouvelle révolution industrielle, Pearson, France, 2012. 7 Alexander Christopher, The Oregon Experiment, Center for Environmental Structure, Oxford University Press, 1978. 56


/ L’aspect formel La construction par fabrication additive laisse la possibilité de réaliser des formes abandonnées par l’avènement de l’architecture standard. Le catalogue industriel n’est plus un frein à la conception du projet, le seul cadre étant désormais l’optimisation des formes. L’architecte et anthropologue togolais Sénamé Koffi Agbodjinou observe que l’architecture imprimée autorise à nouveau l’exploration de formes libres qu’il considère comme constitutives de la richesse des constructions anciennes de terre, dont l’architecture standardisée et rationnaliste nous a déliée8. Il poursuit en avançant que la construction par impression 3D a le potentiel de “nous sortir de l’impasse et de l’angoisse du style international” pour opérer en quelque sorte, par la technologie, un retour au vernaculaire9. Depuis de nombreuses années, le travail de l’architecte aborde souvent de manière distincte la conception du projet de sa construction. En conséquence, les bâtiments sont généralement dessinés avant de penser à la manière dont il seront construits. Au delà du vocabulaire formel, la fabrication additive propose une manière de concevoir en adéquation avec les valeurs vernaculaires. L’aspect constructif est replacé comme déterminant dans le dessin du projet. L’aspect esthétique d’une impression FDM, sans modifications postérieures, est très reconnaissable. La buse d’extrusion laisse apparaître des cannelures correspondant aux couches de matière superposées successivement. Le caractère formel de la fabrication additive, avec le développement de sa mise en oeuvre, se confrontera à un processus d’acceptation de la part des populations. Les médias et les TIC du XXIème siècle sont d’une grande influence et ainsi jouent un rôle crucial dans l’assimilation de l’opinion générale. L’architecte oscille perpétuellement entre les innovations et les symboles. L’adéquation des deux peut être permise par les médias qui ancrent les images d’architecture dans la mémoire collective et en font de nouveaux symboles10.

Emerging Objects Gcode-Clay

Les procédés constructifs, selon leurs caractéristiques, donnent lieu à des formes et à des esthétiques spécifiques. Ainsi, l’aspect qui résulte du matériau et de l’impression 3D peut être soit recouvert soit pleinement assumé, jusqu’à même aboutir à des dispositifs ornementaux. Le vernaculaire du XXIème siècle sera inévitablement confronté aux phénomènes d’uniformisation impactant la transcription physique des architectures. Le défi de l’architecte est alors de maintenir une production architecturale qui donne la priorité non pas à la forme mais à la valeur d’usage.

8, 9 Moussion Alexandre, Interview de Sénamé Koffi Agbogjinou “Rencontre avec Sénamé Kof Agbogjinou : 8 mois plus tard WoeLab inaugurait la première imprimante 3D africaine” [en ligne], Primante3D, juillet 2017 10 Kushner Marc, “Pourquoi les bâtiments du futur seront façonnés par...vous”, TED Talks, 2014.

57


2

L’intelligence collective du XXIe siècle

La communauté Internet

/ Au delà de la proximité physique Le monde globalisé a progressivement radié les sociétés vernaculaires traditionnelles. La recherche de satisfaction rapide a remplacé le désir de transmission rapportée au temps long. On voit toutefois apparaître de nouvelles formes de partage qui s’apparentent aux échanges des communautés vernaculaires. La connaissance partagée vernaculaire s’incarne aujourd’hui à travers l’incroyable outil qu’est le web. Nezzar Alsayyad établit un phasage par stades de l’Histoire - la période insulaire, la période coloniale, l’ère de l’indépendance, l’ère de la globalisation1 - pour examiner la notion d’identité nationale et l’influence des changements de traditions sur la forme architecturale. Aujourd’hui, la tendance est au retour à un partage de connaissances. Un nouveau paradigme prône le regain des valeurs vernaculaires, que l’on voit émerger dans les communautés numériques d’Internet. Au cours de la période insulaire, les membres des communautés partagent entre eux les connaissances, les savoir-faire, les ressources de manière intense, sans trop se soucier des autres communautés existantes. Au XXIème siècle, tout évènement local peut avoir une répercussion à l’autre bout du monde de manière instantanée. Par conséquent, de quelles manières la transmission vernaculaire est-elle amenée à évoluer dans un système mondial omniscient et interconnecté en tous points? De nos jours, “l’Humanité est devenue connectée a-spatialement et de manière omniprésente”2. L’Homme est désormais capable de réaliser des tâches en des points multiples, ce qui le dissocie d’un espace physique déterminé. Les NTIC et les pratiques du XXIème siècle mènent à un style de vie a-spatial et a-temporel. Cela a eu des conséquences dramatiques sur la compréhension et l’appropriation du territoire par ses usagers, mais comporte néanmoins des avantages indéniables. Ce système permet un brassage inédit de connaissances, de savoir-faire et de ressources - une transmission qui dans le contexte de partage des communautés Internet, est la plupart du temps non-marchande. En outre, Internet ne prodigue pas une information unilatérale mais ouvre la dimension de l’échange. Les effets combinés de l’inversion de paradigme et de l’émergence d’initiatives dans les communautés Internet proposent un retournement de situation pour utiliser le système monde au service de la reterritorialisation, afin de parvenir à une“conception locale propulsée par une communauté globale”3. Le partage de connaissances s’effectue ancestralement au sein d’une communauté car “par sa nature même, le savoir est le fruit d’une entreprise collective”4. Il apparaît que “la construction d’une nouvelle communauté est la clef du développement auto-soutenable : toute action conservatrice, qui ne résulte pas d’une confiance interne et d’une vraie autonomie, ne peut aboutir qu’à l’échec”5. Ainsi la confiance et la solidarité sont intrinsèques au possible (re-)développement de l’architecture vernaculaire. 1 Alsayyad Nezzar, ”From Vernacularism to Globalism : the temporal reality of traditional settlements”, revue TDSR, volume VII, n°1, Automne 1995. 2, 3 Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. 4 Shiva Vandama, La vie n’est pas une marchandise : les dérives des droits de propriété intellectuelle, Éditions Écosiciété, Montréal, 2001. 5 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 58


Ce qui, à l’époque insulaire, permettait de constituer les communautés, était la proximité physique et le partage de valeurs communes. Aujourd’hui des communautés internet se mettent en réseau car elles partagent les mêmes besoins, envies, passions… sans être freinées par la distance géographique. Internet est un espace décloisonné qui permet d’accueillir des communautés collaboratives multidisciplinaires, travaillant sur des projets communs avec des personnes éloignées dans l’espace et dans le temps. Dans notre monde mis en réseau, le partage de connaissance et de matériel est libre. Les gens se lient sans limites sociales, culturelles ou technico-administratives. Les communautés se forment différemment de l’époque insulaire mais leurs productions pourraient être tout aussi vernaculaires car elles sont issues d’un partage de connaissances horizontal et sans intervention commerciale, contrairement à la société administrative6. Le monde virtuel d’Internet s’incarne comme un monde parallèle, au sein duquel les communautés, affranchies des contraintes de la distance dans le monde physique, peuvent croître. De ce fait, “les idées l’emportent sur la géographie”7. Il faut souligner que “une communauté virtuelle ignore la relation consubstantielle qui lie politique et territoire. En revanche, le cyberespace peut être intégré dans des espaces et des places réels et concrets et ainsi enrichir notre culture des lieux par un savoir technique et communicationnel, au service du nouvel espace public”8.Cela implique que la communauté virtuelle, afin de promulguer des solutions adaptées aux localités, doit être en interaction constante avec le monde physique. Le changement des modes de vie - de l’époque insulaire au monde global - impliquent des différences quant à la forme que prennent les communautés de nos jours, car l’accélération du processus identitaire a modifié l’interaction entre l’établissement humain et le milieu9. En 2003, Alberto Magnaghi estimait déjà que “nous appartenons à une communauté virtuelle, qui se déploie à l’échelle planétaire, nous disposons d’une place publique télématique”10. Les collectifs d’Internet, qui échangent à travers les infrastructures invisibles des unités de relations sociales, influencent le monde physique en développant, en argumentant et en contextualisant les idées, jusqu’à leur matérialisation. À une autre échelle, “l’information et la communication sont aujourd’hui devenues des flux urbains comme les autres”11 de la même manière que le trafic ou les fluides - énergie, déchets, eau - les TIC font partie de l’écosystème de la ville. Les interactions illimitées émancipées de l’espace et du temps font émerger une sociabilité nouvelle. Si la société actuelle a tourné le dos à une certaine forme de solidarité avec l’esprit du “chacun pour soi”, les échanges virtuels, eux, ont créé une nouvelle manière de sociabiliser. Il existe de manière croissante, une “recherche de l’inclusion sociale avec des millions d’autres dans les communautés mondiales de l’espace virtuel”12. Les communautés internet, lieu exploratoire d’un nouveau type de conception participative établi sur une économie non-marchande, sont majoritairement autogérées. 6 Hamard Romain, Impression 3D moteur d’une nouvelle architecture vernaculaire, Mémoire de master, ULB, Bruxelles, 2014. 7 Anderson Chris, Makers : La nouvelle révolution industrielle, Pearson, France, 2012. 8, 9, 10 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 11 Sauve Lucie, Identités vernaculaires, mémoire de master, ENSABX, Bordeaux, 2017. 12 Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015.

59


/ Un partage de connaissances horizontal Les NTIC, à travers les communautés internet, permettent un partage de connaissances horizontal. L’architecture vernaculaire a pour particularité d’être accessible par tous, à la compréhension comme à la participation. Le “Web 2.0”, expression venant des interfaces simplifiées du World Wide Web originel, permettent à tous les internautes, même sans connaissances techniques, d’interagir de contribuer à l’échange d’information. Ces systèmes s’appuient tous deux sur l’intelligence collective. Ces échanges marquent l’émergence de plateformes participatives de mises en relations concernant les biens - voiture, logement, outil, nourriture… ; les services - covoiturage, déménagement… ; les connaissances - cours, tutoriels (cuisine, informatique), communautés d’apprentissage, wikipedia…; avec ou sans échange monétaire - vente, location, troc, dons. Selon cette philosophie, on n’achète plus de maison mais du temps dans une maison, ce qui change fondamentalement les rapports de propriété1, mais également notre manière de répondre à nos besoins et à ceux des autres. Certaines de ces plateformes immatérielles, qui ont été adoptées d’emblée par la société, ont littéralement métamorphosé nos habitudes. Par exemple dans notre manière de nous déplacer (Blablacar) ou dans notre manière de séjourner (Airbnb). Pourrait-on imaginer une plateforme participative dédiée à la conception vernaculaire de l’architecture et en métamorphoser la pratique ? Celle-ci pourrait par exemple consister à la mise en relation architectes-habitants. De nouveaux procédés économiques se développent dans cette lignée - micro-donations incrémentales, stratégies de financement participatif - qui, à l’instar des usages vernaculaires, se réalisent en dehors du système marchand, l’économie du partage. Cette vision anti-économique pourrait plutôt être définie comme une approche anthropo-biocentrique2. “Les économistes classiques jugeraient ces dispositifs contraires à la nature humaine et voués à l’échec pour la bonne raison que les humains se caractérisent fondamentalement par l’égoïsme, le goût de la compétition et le comportement prédateur. (…) Ces craintes semblent avoir eu peu d’impact”3. Les acteurs de la communauté Internet peuvent prêts à donner de leur temps et de leur savoir pour les autres, généralement gratuitement. Ils sont sûrs que contribuer au bien-être de tous ne leur enlève rien, mais bien au contraire accroît leur propre bien-être. D’après Jérémy Rifkin, “La 3ème révolution industrielle change la façon dont nous ressentons nos relations avec les autres humains, nos semblables et nos responsabilités envers eux”4. Une enquête de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) datant de 2014, rapporte que l’économie collaborative fonctionne car elle correspond au “désir de réduire ses dépenses dans un contexte de crise, la volonté de se recentrer sur des produits et des services vraiment utiles, le besoin croissant de contact humain et enfin, la démultiplication des possibilités liées aux nouvelles technologies”5. Ces systèmes privilégient les gains sociaux plutôt qu’économiques, en accord avec les aspirations de la génération contemporaine qui les rend possibles et les fait oeuvrer. Pour Carlo Ratti, le non-mercantile fonctionne car “l’action humaine repose sur des récompenses, à la fois financières et interpersonnelles, et le consumerisme collectif émergent répond aux deux”6. La position d’un individu à l’intérieur d’un collectif est une puissante récompense non-monétaire. Wikipedia, site Internet ouvert en 2001, est une gigantesque Encyclopédie digitale, évolutive et multilingue, faisant appel à la production participative. Elle fonctionne selon un système d’édition par 1, 3, 4 Rifkin Jeremy, La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2012. 2 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 5 Ademe (enquête) et Ipsos (étude), “L’émergence des pratiques « co » en France : vers un nouveau modèle social ?” France, 2014. 6, 7 Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. 60


les particuliers, le contenu est généré instantanément par des volontaires. “L’ironie est que Wikipedia ne fonctionne qu’en pratique… en théorie cela est impossible”7. Par l’intermédiaire des communautés de la toile, cette économie collaborative repose sur un échange P2P (Peer-to-Peer), c’est à dire entre particuliers. En informatique, le terme P2P désigne un réseau formé d’une série de noeuds se comportant comme égaux, permettant un échange direct d’informations. En urbanisme, ce terme conduit à un mouvement qui s’appuie sur les principes de l’OpenSource8. Parmi les points le caractérisant, un appel au pouvoir de choisir son environnement bâti, de promulguer un accès à l’information pour tous afin de permettre l’engagement citoyen dans la prise de décision et dans la co-conception de la ville. C’est un “mouvement théorique issu des implantations informelles et de l’architecture auto-construite, considérant ces processus comme bénéfiques pour l’évolution de l’environnement urbain et rendant à l’utilisateur la participation et le pouvoir de décision qui ont été perdus”9. Gonzalo Jose Lopez nuance le fond de ces pratiques dans l’univers de l’architecture, car selon lui, “créer un réseau est le moyen, mais le peerto-peer n’est pas la meilleure façon de le définir”. Il faut “redéfinir le rôle de chaque partie dans un processus urbain”10. Les échanges horizontaux déstabilisent la hiérarchie client / architecte / occupant pour engager de nouveaux modèles les liant tel un tout. Les pratiques collaboratives gravitent autour du “Bien Commun”. Michel Bauwens, fondateur de Peer-to-Peer Foundation, le définit comme “ce qui concerne “tous”, sans la création d’entités qui en sont séparées”11, le commun n’ayant pas vocation à devenir la totalité. Pour une production, une gouvernance et une propriété entre pairs, il faut lier les Communs traditionnels avec les nouveaux Communs digitaux12.

/ La valorisation de l’expérimentation pour l’amélioration Les pratiques vernaculaires valorisent l’échange des savoirs et la circulation des compétences ainsi que les pratiques d’auto-production et d’expérimentation. Selon Bernard Rudofsky, le lent processus d’adaptation “trial-and-error”, processus empirique par approximations successives, offre un riche potentiel pour mener à bien une architecture optimisée localement et culturellement. Cela précède l’humanité elle-même. Les architectures vernaculaires se corrigent par la pratique d’après le principe de l’échec fécond. Ces expériences hasardeuses s’inscrivent dans un processus social continu consistant à partager l’expérience, encourager les initiatives diverses ou encore constituer un panel inspirationnel pour les prochains constructeurs. Jana Revedin perçoit l’expérimentation en tant que ressource. Elle notifie qu’atteindre une haute qualité de conception et de réalisation par l’expérimentation continue et par une méthode itérative, n’est pas une nouvelle approche et qu’“il s’agit même de l’approche originelle de notre profession”13. Pour Carlo Ratti, le processus collaboratif traditionnel vernaculaire fonctionne par bonds distincts, de telle sorte que les mutations et les améliorations se produisent d’une exécution à une autre. Il considère qu’aujourd’hui cela est en train d’évoluer. En effet, le bâtiment “existe” virtuellement grâce au digital avant d’être construit, ce qui entraîne une nouvelle ouverture dans le processus de conception.

8, 9, 10 Jose Lopez Gonzalo, “Peer-to-peer Urbanism ?” [en ligne], Open Source Urbanism, août 2012. 11, 12 Bauwens Michel, interview, Remix the Commons, Entrevues International Commons Conference “Penser les Communs”[en ligne], Berlin, janvier 2010. 13 Revedin Jana, “La conception radicante : temps, besoins, expérimentation” revue Stream, n°4, 2017.

61


Pour autant, la construction par impression 3D est loin de remettre en cause l’expérimentation, car la version virtuelle permet justement une infinité de tests, re-tests, d’ajustements. D’un point de vue matériel, vers la transposition dans le monde physique, les matériaux inédits issus d’une collecte locale requièrent des formulations alternatives aux matériaux classiques, résultant d’expérimentations. L’aspect social des procédés expérimentaux est encouragé par les liens virtuels du XXIème siècle. Les méthodes qui lui sont associées et l’état d’esprit qui l’accompagne, dont les processus d’expérimentation sont inhérents, promulguent à l’impression 3D le potentiel de réactiver les pratiques vernaculaires de l’architecture. Comme le formule adroitement Hanna Ahrendt, “Les choses que nous devons apprendre avant que nous puissions les faire, s’apprennent en les faisant”1. Le paradoxe entre ce qui ne peut pas être fait et ce qui doit l’être pour permettre de faire, s’applique à la pratique de l’architecture imprimée en 3D. Les pratiques d’expérimentales de la fabrication additive sont freinées en ce début du XXIème siècle par les réglementations du domaine de la construction, qui n’y sont pas encore adaptées. Cette méthode de construction commence à se développer mais n’est pas encore courante et la rupture technologique impliquée bouscule les standards actuels. D’après Antoine Motte, il s’agit du premier verrou à lever et ainsi les architectes devront établir leurs propres normes et rassurer par l’expérimentation2. La Praxis est l’“ensemble des pratiques par lesquelles l’homme transforme la nature et le monde, ce qui l’engage dans la structure sociale que déterminent les rapports de production à un stade donné de l’histoire”3. Le terme est employé en tant que théorie globale d’une ”dialectique de l’action et de la théorie”4. Un rapport s’établit, selon lequel la pratique influe sur la théorie et inversement. Au fil des expérimentations, l’Homme a conclu sur l’opérationnalisation des systèmes bâtis et leur optimisation. Aujourd’hui, il est dépendant du système et ne peut ni ne sait plus bâtir pour lui-même. En contraste, une volonté croissante de reprendre possession de la production de son environnement bâti et physique, se manifeste.

1 Arendt Hanna, The Human Condition, University of Chicago Press, Chicago, 1958. 2 Clubimpression3D (auteur non précisé), interview de Antoine Motte, “Imprimer sa maison en 3D, le dé n mené par Constructions 3D (BTP)” [en ligne], Clubimbression 3D, (sans date). 3, 4 Encyclopédie Universalis

62


Vers une autogestion Bottom-Up / Un retournement sociétal La société du début du XXIème siècle prône un retour à l’autogestion et à l’autonomie, en opposition aux dépendances actuelles au système. L’engouement pour la relocalisation de la production témoigne d’une volonté de se libérer du système globalisé, qui génère un phénomène de retournement sociétal anti-experts. Cela entraîne la création de nouveaux modèles où tout peut être produit par soi-même, où la possibilité de ne pas dépendre d’une entité insurmontable qui détient le monopole productif existe. Les valeurs partagées de ces initiatives sont, à l’image du vernaculaire, le bien-être commun et le partage de connaissances. L’innovation “top-down” des grandes entreprises est aujourd’hui concurrencée par une innovation de terrain, poussée par une multitude d’individus, parmi lesquels des entrepreneurs, des professionnels, mais aussi des amateurs1. Cette nouvelle manière, pour les concepteurs, de travailler ensemble donne “l’opportunité - pas la responsabilité mais l’opportunité - de réellement s’impliquer pour le changement”2. Sénamé Koffi Agbodjinou parle d’un “Humanisme en réseau”3, s’opposant aux modèles centralisés pyramidaux et aux logiques concentrationnaires du pouvoir pour se tourner vers la possibilité d’un réseau distribué, prenant acte de la conjonction au coeur de laquelle nous place la révolution digitale. Les entreprises qui furent les moteurs de l’innovation au XXème siècle étaient de grandes dimensions, contrairement aux initiatives entrepreneuriales effervescentes qui sont des structures légères et n’emploie pas en grand nombre4. La solidité de ce modèle réside dans la pluralité et dans la croissance à venir. Comme le fait remarquer Jean-Jacques Degroof, les grands inventeurs et hommes d’affaires de la première révolution industrielle venaient quasi tous de la classe sociale dominante, mais “aujourd’hui n’importe quel jeune avec un ordinateur portable peut créer une entreprise qui va changer le monde”5. En cela, c’est aussi une révolution sociale. Les communautés bottom-up se réunissent à travers les technologies. L’alternative au système hiérarchisé est rendu possible grâce à la multiplication des connexions des individus entre eux. Ces aspects ne sont pas seulement valables sur la plateforme virtuelle, mais aussi dans le monde réel. L’état d’esprit collaboratif qui se dégage, se distingue de la coopération courante. Il y a une différence significative entre coopération et collaboration. En coopérant, un groupe est constitué de membres spécialisés ayant des responsabilités spécifiques. Le but commun est réalisé seulement lorsque tous les membres ont terminé leur part de travail. En collaborant, les membres travaillent pour un but commun au groupe et en retour, le groupe collabore aux objectifs des membres.6 Les “Collaborative Commons” définies par Jérémy Rifkin7 sont des communautés solidaires qui souhaitent s’affranchir de l’économie de marché et lui substituer une économie de partage. Ces communautés sont contre le consommateur passif et considèrent la connaissance et le savoir comme patrimoine commun libre de droits. En 2015 eut lieu la PoC21 (Proof of Concept 21) manifestation alternative à la COP21. Elle vise à “remplacer des paroles par des actes”6 et démontrer le potentiel créatif des Collaborative Commons en associant la culture du recyclage avec celle de la fabrication numérique. 1, 4, 5 Degroof Jean-Jacques, ”Livre. Makers. La nouvelle révolution industrielle, Chris Anderson Pearson, 2012”, revue Entreprendre & Innover, n°18, février 2013. 2 Sinclair Cameron, “My wish: A call for open-source architecture” [en ligne], TED Talks, 2006. 3 Koffi Agbodjinou Sénamé, “Vers la cité vernaculaire” [en ligne], transcription de la conférence i4Policy, GIG Community, Medium, 2017. 6 Henri France, Lundgren-Cayrol Karin, Apprentissage collaboratif à distance : pour comprendre et concevoir les environnements d’apprentissage virtuels, Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, 2001. 7 Rifkin Jeremy, La nouvelle société du coût marginal zéro : L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Actes Sud, France, 2016. 63


La force de proposition potentielle des usagers de l’architecture pourrait se révéler une incroyable ressource s’ils se trouvaient portés à conscience et arrivaient à exprimer leur créativité1. Beaucoup souhaitent aujourd’hui participer à la construction de leur habitat et de leur environnement physique. On peut le voir avec l’intérêt croissant pour les maisons en kit, les chantiers participatifs en terre-paille ou les actions humanitaires. Le processus de reterritorialisation “qui ne saurait être promu par des instances technocratiques”2, nécessite de nouvelles formes de démocratie qui favorisent l’auto-gouvernement pour que les communautés puissent établir une société locale. À l’encontre de la forme producteur-consommateur, il faut que les usagers soient en mesure d’auto-organiser leur territoire de manière active, vers une “soutenabilité politique”3 qui est la capacité d’auto-gouvernement d’une communauté locale en relation avec des systèmes décisionnels globaux. En prenant du recul, Carlo Ratti constate que l’idée du “bottom-up”, pour une production adaptée localement, d’après des typologies copiées et produites par des citoyens en utilisant leur capital social et financier, est loin d’être une situation nouvelle4. L’attitude est ancestrale, c’est le moyen qui diffère. / Les Makers à l’échelle architecturale Le désir de fabriquer manuellement ce qui nous entoure est profondément enraciné dans le comportement humain. À l’ère de la production de masse, cela a plutôt été retranché au stade de passe-temps solitaire5. Le développement de l’esprit “Do It Yourself” (DIY) s’est effectué à travers les technologies grâce auxquelles l’utilisateur peut redevenir le concepteur et le producteur de son environnement physique. Cette dynamique, est basée sur l’idée de pouvoir créer par soi même, généralement pour soi même, à peu près n’importe quoi. Plus particulièrement, les makers, qui sont la nouvelle classe d’innovateurs nés de la “combinaison des nouvelles technologies et des innovations sociales”6, sont des fabricants, des faiseurs, utilisant non seulement la fabrication ouverte mais aussi les outils de production numériques. Pas forcément professionnels, ils sont surtout passionnés. Chris Anderson estime que le mouvement “makers” en est au stade où en était la révolution du Personal Computer en 1984. Le terme “Makers Movement”, lancé par le journaliste Dale Dougherty en 2005, désigne les Hommes de la génération web qui utilisent les outils numériques non pas pour créer des pixels mais pour créer des objets tangibles7. Le mouvement résulte de l’appropriation de la production par une communauté de personnes partageant la philosophie de l’Open-Source. Il s’appuie sur le partage libre, dans une perspective d’égalité des chances et de connaissances égales, pour libérer la créativité et stimuler l’économie à partir du bas. Cette nouvelle génération de citoyens, qui fabriquent par eux-même les objets qui répondent spécifiquement à leurs besoin s’apparente au concept d’artisanat car la réalisation s’effectue en marge du contexte industriel et regroupe toutes les étapes de la production. De la même manière à l’échelle architecturale, pour qu’un individu puisse participer à la production du milieu urbain, il doit posséder la maîtrise de certains savoirs et des moyens de production8 et cela peut être entrepris par les communautés Internet et les outils de production numérique.

1 Koffi Agbodjinou Sénamé, “Vers la cité vernaculaire” [en ligne], transcription de la conférence i4Policy, GIG Community, Medium, 2017. 2, 3, 8 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 4 Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. 5, 7 Anderson Chris,“The Maker Movement : tangible goods emerge from ones and zeros”, magazine Wired, mai 2014. 6 Berthier Stéphane, “WikiHouse, la troisième révolution industrielle à l’épreuve du réel”, Criticat, n°18, octobre 2016. 64


Dans l’évolution traditionnelle de l’architecture vernaculaire, une personne élabore sa maison elle-même, de manière à ce qu’elle soit similaire à celle de ses voisins, mais en ajoutant des modifications et des améliorations9. Cela se prolonge à travers la construction par impression 3D, chaque réseau éditorial unique crée un projet dérivant d’un groupe particulier et d’un contexte fonctionnant avec celui-ci. À travers l’architecture vernaculaire qu’il décrit, Bernard Rudofsky “ne prétend pas que nous soyons tous architectes, mais il demande que l’architecture sache recueillir nos gestes à tous.”10 L’auto-construction, pratique par laquelle un groupe construit un bâtiment dédié à son propre usage, a toujours existé. Elle était d’ailleurs encore la norme il y a peu de temps dans les milieux ruraux. Le terme la désignant est apparu lorsqu’une autre manière de construire a existé : la professionnalisation de la construction au XXe siècle11.

Ventilation naturelle, Pakistan

Adrien Chauvin se pose la question de l’accompagnement des auto-constructeurs par les architectes et appuie que leur assistance permettrait d’assurer sur ces chantiers la présence d’un savoir-faire et d’un partage de connaissances. Cette configuration relève d’une “architecture totale”, désignant les projets où la conception et la construction du bâtiment sont assurées par la même personne12, renouant avec l’origine de la profession en tant que maître-bâtisseur. “Un homme aura des difficultés à construire une maison mais 10 hommes pourront construire bien plus que 10 maisons”13. Le mouvement des makers rapporté à l’échelle architecturale serait en passe de faire muter le Do It Yourself vers le Do It With Others. De quelles manières l’architecte est-il amené à se positionner au sein de cette conjoncture ? / L’architecture participative et l’Open-Source Pour concevoir une architecture de manière collaborative, l’implication de l’usager se concrétise selon différents degrés de participation. Il faut alors organiser et accompagner ces initiatives, de manière à ce que le groupe se transforme en une entité cohésive, motivée et productive. Les conflits d’idées sont inhérents à toute communauté, mais un conflit résolu dans la reconnaissance de l’intérêt commun, aboutit à la production d’une valeur ajoutée territoriale14. La collaboration consensuelle se distingue de l’approche plurielle et permissive du partage open-source, basée sur un protocole partagé. Au sein de celui-ci, les individus sont plus ou moins autonomes mais opèrent selon des règles communes, en copiant les uns sur les autres15. L’architecture open-source incarne alors le degré absolu du processus participatif. Linus Torvalds, pionnier de l’open-source avec le logiciel en code ouvert Linux, avise la communauté Internet, “soyez paresseux comme un loir, ne réinventez pas la roue à chaque fois, prenez ce qui fonctionne déjà et adaptez-le à vos besoins. Contrairement à presque tout ce que vous aurez appris en école d’architecture, copier, c’est bien !”16. Cette approche n’est d’ailleurs pas nouvelle. Remettre systématiquement les compteurs à zéro signifierait devoir affronter tous les problèmes de base, comme si il nous fallait construire la toute première maison de l’histoire17. 9 Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. 10 Baboulet Luc, “L’architecture est un jeu”, revue AMC n°178, janvier 2008. 11, 12 Chauvin Adrien, Quelle place pour l’architecte dans l’accompagnement à l’autoconstruction ? Autoconstruire ensemble, Mémoire de master, ENSAN, Nantes, 2016. 13 Sinclair Cameron, “My wish: A call for open-source architecture” [en ligne], TED Talks, 2006. 14 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 15, 16 Parvin Alastair, “L’architecture pour les gens par les gens”, Ted Talks, 2013. 17 Bruno Zevi, Le langage moderne de l’architecture : pour une approche anticlassique, Éditions Parenthèses, 2015. 65


Le conception partagée est un processus en évolution qui, mené par les actions et interactions humaines, agit sur la toile comme forme de sélection naturelle des projets proposés1. Avec des modèles “souples” - paramétriques, partageables, incrémentales - la conception partagée avec la communauté Internet a, au fur et à mesure des exécutions à l’échelle 1:1, donné lieu à l’amélioration et l’optimisation des techniques. La culture open-source est entretenue par des professionnels et des utilisateurs ordinaires, ce mouvement étant centré sur le citoyen et les collaborations interdisciplinaires. Internet incarne la base de données d’une architecture en libre accès répondant aux besoins des individus par le partage, la modification, l’amélioration. Les auto-constructeurs des 99% de la population mondiale qui ne bénéficient pas de l’expertise des architectes, y sont considérés comme la plus grande équipe de design au monde2. Sur la plate-forme collaborative Wikipédia, la formulation “Open-Source Architecture” est définie comme un “paradigme émergeant qui préconise de nouvelles procédures dans l’imagination et la formation d’espaces virtuels et réels au sein d’une infrastructure universelle”. Avec le développement de cette manière de concevoir l’architecture, il serait possible pour n’importe qui d’accéder en ligne à une bibliothèque gratuite de modèles 3D qui peuvent être téléchargés et appropriés. Cela est-il réellement désirable ? Cameron Sinclair a co-lancé en 1999 Architecture for Humanity, un site de mise en partage de solutions architecturales professionnelles en organisant des concours de conception open-source. Cela a conduit à une grande quantité de réflexions et de réalisations par des milliers d’architectes, de concepteurs et d’inventeurs autour du monde. Grâce à cette plateforme, n’importe qui peut ouvrir un nouveau concours local, le site étant le lien entre le concepteur et la communauté dans le besoin. Les idées qui se sont développées en prototypes construits sont notamment des cliniques au Nigéria et au Kenya, les communautés locales ayant fait partie du processus de conception3. Cette plateforme a la vertu de proposer des projets répondant à un site donné, par des personnes du monde entier se focalisant sur un projet local. Il existe également l’exemple de la WikiHouse, imaginée par Alastair Parvin et Nick Leradiaconou, une maison dont on peut découper les parties en contre-plaqué en utilisant une machine CNC. On obtient alors comme un énorme kit Ikéa. Deux ou trois personnes suffisent à la construire en une journée et n’ont pas besoin de compétence particulière ni d’une panoplie d’outils. On obtient un châssis sur lequel il faut ajouter les fenêtres, le revêtement extérieur, l’isolation et les services4. Il faut penser aux systèmes d’infrastructure tels que la ventilation ou les installations sanitaires, qui pourraient également être en open-source, accessibles à tous et faciles à fabriquer. Tout le monde peut modifier la WikiHouse et jouer avec son concept. Ce cas préfigure de ce que pourrait devenir une plateforme d’échange open-source. Ce qui a du mal a fonctionner dans l’exemple de la WikiHouse est la complexité technique qui s’accroît de prototype en prototype, alors que la sophistication technique n’est pas cohérente avec la démarche d’origine5. D’après son système constructif, on peut se demander l’avantage qu’elle représente face à une construction en bois traditionnelle, car sa réalisation engage beaucoup de pertes de matière. Contrairement à la construction par impression 3D qui utilise les matériaux à disposition, la WikiHouse a été conçue pour être construite en panneaux de bois. Elle n’est d’ailleurs pas compétitive économiquement si on compare la rémunération d’une équipe de 4 charpentiers pour une ossature bois traditionnelle par rapport à la découpe en Fablab à tarif horaire, d’onéreux panneaux de contreplaqué.

1 Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. 2, 4 Parvin Alastair, “L’architecture pour les gens par les gens”, Ted Talks, 2013. 3 Sinclair Cameron, “My wish: A call for open-source architecture” [en ligne], TED Talks, 2006. 5 Berthier Stéphane, “WikiHouse, la troisième révolution industrielle à l’épreuve du réel”, Criticat, n°18, octobre 2016.

66


En revanche, cette expérience nous montre que “les réseaux collaboratifs présentent une force de développement et une agilité formidables comparées aux organisations séquentielles que nous connaissons”6. L’intérêt du dispositif dépasse de loin le concept même de construire la-dite WikiHouse. Cette organisation, ce réseau qu’elle coordonne sur le web et la démocratisation des outils de CFAO (Conception et Fabrication Assistées par Ordinateur), peut assimiler dans son nouveau paradigme constructif à peu près tous les modes constructifs7. Cela constitue le cadre d’une conception et d’une fabrication adaptée aux Collaborative Commons. Le fonctionnement de la licence Creative Commons permet de faire de la conception une boucle de partage continue. Cette licence promulgue un cadre juridique à la propriété intellectuelle des communautés open-source et évite qu’une personne mal intentionnée ne s’en attribue le concept. L’utilisateur, lui, peut dupliquer et s’approprier le modèle et s’en servir à des fins commerciales ou personnelles. Il est possible de l’éditer à condition que la nouvelle version soit partagée à nouveau sous les mêmes conditions de licence. Ce réseau constitué d’échanges non-marchands pourrait s’apparenter à une philanthropie 2.0. On peut également se questionner sur la manière dont ce mode constructif pourra répondre aux exigences de sécurité des personnes, telles qu’elles s’imposent à toute construction. Justyna Swat relate dans un entretien fin 20158 que la plateforme de partage de fichiers de la WikiHouse a mis en évidence une série de difficultés dont l’organisation, la vérification, la validation des contenus des apports, la question de la responsabilité en cas d’effondrement. Pour ces raisons, le partage de fichiers très ouvert entre 2012 et 2014 fut restreint ensuite, ne laissant plus à disposition du public que quelques fichiers sources de base mais pas d’ensembles complets. Un projet de Constitution impose aux utilisateurs la connaissance de l’ensemble des lois, règles et codes de construction en vigueur dans leur pays. Désormais, la remise en ligne d’un modèle modifié n’est possible que si cette nouvelle version a fait l’objet d’un prototype vérifié et contrôlé. La WikiHouse illustre les incroyables capacités du concept mais également les difficultés de sa mise en place. Des constats semblables pourraient être observés avec des constructions par impression 3D partagées d’après ce modèle. Alastair Parvin affirme que “la seule différence entre l’architecture vernaculaire et l’architecture opensource, pourrait bien être une simple connexion Internet”9.Cela est une différence de taille et ouvre des possibilités inédites. Le concept de partage au sein d’une communauté pour améliorer l’architecture par l’expérimentation est poussé à l’extrême, de même que l’est le principe de l’auto-construction. Pour aboutir à une application viable, il faut certainement nuancer cette pratique. L’architecte ne doit pas se contenter de mettre à disposition des modèles à modifier selon les besoins des usagers, mais doit accompagner la conception et la construction de ces projets afin de les adapter à une localité grâce à une compréhension éclairée des ressources du site.

6, 7, 8 Berthier Stéphane, “WikiHouse, la troisième révolution industrielle à l’épreuve du réel”, Criticat, n°18, octobre 2016. 9 Parvin Alastair, “L’architecture pour les gens par les gens”, Ted Talks, 2013.

67


3

Un nouvel écosystème de production

Une nouvelle manière de concevoir et construire pour le vernaculaire 2.0

/ De nouvelles temporalités pour les acteurs du projet L’architecture vernaculaire imprimée en 3D conjugue une culture séculaire locale avec la culture instantanée mondiale. Elle tient compte de la localité tout en assimilant les principes d’un contexte global. L’unification des étapes de conception, de réalisation et de fabrication bouscule et renouvelle les logiques de production de l’architecture. Cela constitue un renversement organisationnel pour les acteurs de la construction. Un état des lieux et un diagnostic de la fabrication additive, ayant pour objectif de déterminer ses enjeux stratégiques et de formuler des recommandations, a été réalisé en 2014 par la CCI de Paris Île de France (Chambre de Commerce et d’Industrie) afin de faciliter l’appropriation du potentiel d’innovation inhérent. Cette technologie transversale entraine la mise en place d’un écosystème nouveau à plusieurs niveaux. Au niveau industriel, car il implique des procédés de fabrication, des matériaux et des logiciels nouveaux. Au niveau économique, car il bouleverse les chaînes de production et rend obsolète de nombreux modes de production et de services actuels. Au niveau scientifique, car il demande des recherches au sujet des machines, des matériaux et des logiciels. Au niveau social, car il demande à des acteurs économiques et des consommateurs de revoir leur position sur la valeur des savoir-faire acquis et l’urgence d’en acquérir d’autres. Au niveau sociétal, car il permet au grand public d’avoir un accès direct à la production d’objets1. En croisant tous ces champs, la réorganisation des marchés, la définition et la mise en place de nouvelles politiques ne doivent pas seulement encourager l’écosystème nouveau mais “voir comment permettre à l’ensemble de l’économie, la croissance, la compétitivité, l’emploi de capter les bénéfices de cette rupture technologique”2. L’évolution des métiers vers des savoirs liés au domaine numérique est déjà engagée. Les entreprises d’architecture embauchent aujourd’hui à des postes qui n’existaient pas il y a trois ans3. On peut citer par exemple le poste de directeur des nouvelles technologies, de concepteur de rendus 3D ou d’analystes Data Scientists. De nouvelles temporalités sont induites par le réseau Internet et les TIC qui sont de réels outils de projet dans le processus de conception vernaculaire du XXIème siècle. De la même manière, les logiciels employés permettent à plusieurs utilisateurs d’interagir simultanément sur une création virtuelle Grasshopper, GenerativeComponents, Revit, DigitalProject -ce qui facilite le dialogue entre les acteurs du projet. Ces révolutions communicationnelles servent à l’architecte de la conception à la réalisation, jusqu’au suivi de la vie de l’édifice.

1, 2 CCI Paris Île-de-France (Chambre de commerce et d’industrie), “L’impression 3D : porte d’entrée dans l’industrie du XXIe siècle“, CGARM, Paris 2014. 3 Espinal Hilda, “5 emerging careers in architecture to look out for in 2018 and beyond” [en ligne], ArchDaily, janvier 2018.

68


La construction par impression 3D modifie les phases communes du projet d’architecture. Une nouvelle relation client-fournisseur s’immisce dans le système, la différence entre les deux étant ambiguë dans certains cas. De plus, l’ordre des étapes de conception est modifié car les procédés vernaculaires se basent d’abord sur le matériau, le replaçant comme le premier élément du processus dont le projet découle dans un second temps. Les matériaux composés des ressources disponibles sur le site, doivent être testés pour être définis aptes à constituer la structure d’une architecture. Cela engage des temps supplémentaires dans les délais de construction. Ces derniers ne peuvent pas être anticipés car les ressources du site fluctuent et diffèrent dans le temps. D’après ce critère, une complexité émerge du fait que les matériaux ne sont pas duplicables à l’identique une fois qu’ils sont approuvés. On se demande alors qui seront les acteurs chargés d’effectuer ces contrôles en vue d’une certification. Cela pourrait revenir à la charge d’organismes nationaux reconnus par l’État tels que le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) ou bien incomber aux constructeurs au cas par cas, selon des méthodes de tests agréées. Ronald Rael et Virginia San Fratello de Emerging Objects, qui sont coutumiers de l’invention de nouveaux matériaux de construction, partagent leur méthode de tests pour inventer des matériaux stables4. Elle consiste à examiner dans un premier temps la solidité de la formulation du matériau par un échantillonnage plan, puis son comportement lorsqu’il est imprimé à l’aide de barres de tests. Il est tout de même encore incertain de pouvoir s’affranchir d’un Avis Technique sur un matériau de construction pour garantir sa fiabilité.

Emerging Objects «DIY Recipes»

Lors de la construction, la matière brute aboutit directement au produit final. De la même manière, cette technique traduit un fichier numérique virtuel en un produit physique réel en un clic. Malgré les possibilités en termes de rapidité de construction qu’offre l’imprimante 3D, il n’est pas souhaitable de construire aussi vite qu’on envoie un mail. La conception de l’architecture doit également profiter des vertus du temps long. La vision de l’architecture liée au temps et à l’expérimentation, place la construction “non comme un facteur à sous-traiter mais plutôt comme un savoir-faire citoyen, créatif et performant que l’architecte doit développer au fil du temps”5. Fumikiko Maki établit, à propos de l’architecture métaboliste qui a pour caractéristique la croissance, que la préoccupation ne doit pas être placée sur “un “master plan” (plan directeur), mais sur un “master program” (programme directeur)6. Le programme directeur, lui, inclut la dimension temporelle en vue de créer une matrice socialement dynamique. Cette reconsidération des processus longs de la formation de l’architecture, permet de se décharger de la pression du temps court pour être à l’écoute des usages et des usagers selon une approche itérative d’expérimentation7. C’est finalement la qualité du processus défini par les ressources disponibles et leur activation, qui priment sur le résultat final.

4 Rael Ronald et San Fratello Virginia (Emerging Objects), Printing Architecture, Innovative Recipes for 3D printing, Princeton Architectural Press, New York, 2018. 5, 7 Revedin Jana, “La conception radicante : temps, besoins, expérimentation” revue Stream, n°4, 2017. 6 Maki Fumihiko, Investigations in Collective Form, Washington University St Louis, School of Architecture, 1964.

69


/ Le rapport au chantier L’importance du chantier est mise en valeur par Patrick Bouchain qui considère que l’architecture n’existe qu’à partir de sa matérialisation, lors de sa construction1. Selon lui, il ne faut d’ailleurs pas élaborer un projet fini pour permettre à ceux qui construisent de laisser la trace de leurs sentiments. C’est cette charge émotionnelle qui donnera de l’enchantement à l’architecture, alors chargée de “la substance de ceux qui l’ont réalisée”2. La place laissée libre à l’apport personnel du constructeur était, dans le vernaculaire ancestral, coïncidant avec l’édification. Dans la construction par fabrication additive, cet apport singulier existe mais l’emploi d’un modèle numérique pour produire l’architecture le place en amont du chantier. Cela peut-il avoir une incidence sur les qualités émotionnelles de l’architecture ? Ainsi, comment conserver de l’inattendu au cours du chantier malgré une CAO (Conception Assistée par Ordinateur) ? L’industrialisation et la normalisation ont opéré une déviation de la discipline architecturale vers une totale maîtrise du chantier dès la conception. Jacques Ferrier estime que l’industrialisation de la construction a bien eu lieu mais qu’elle s’est cependant arrêtée aux portes de l’architecture3. En effet, les composants ont beau être fabriqués en série, le chantier reste lié aux aléas des conditions locales et constitue une réalisation unique en un lieu donné. De la même manière pour l’architecture imprimée en 3D, l’inattendu est apporté par le contexte du chantier qui influe sur la réalisation, c’est à dire les circonstances, le groupe, le site, les matériaux, le climat… Cela reste inchangé quelle que soit la technique de construction, impliquant la technologie ou non. La variété de matériaux fait de chaque projet un prototype. L’architecte redevient alors cet inventeur vernaculaire qui doit questionner chaque nouveau matériau lui arrivant dans les mains. La souplesse demandée au cours du chantier engage les artisans à regagner en savoir-faire, ce qui insinue une identité territoriale retrouvée. Le chantier reste un lieu d’improvisation et accessible à tous. Le chantier est une action qui crée du lien, qui rapproche les gens, car un risque existe que cela ne fonctionne pas4. C’est cette fragilité qui créé le groupe. Après la construction, l’ouvrage doit rester ouvert et non-fini, laisser un vide pour que l’usager ait la place de l’enrichir sans jamais le terminer pour qu’il poursuive sa transformation dans le temps5. Le Héritage Skills Hub (HSH) développé au Royaume-Uni encourage les compétences traditionnelles de construction qui ont été omises pendant de nombreuses années. Cathie Clarke, à sa direction, discute des obstacles de l’organisation vouée à la conservation et à l’enseignement des compétences telles que la maçonnerie, le toit de chaume, la fabrication du verre et la construction traditionnelle en briques. Elle regrette la perte du statut élevé dont jouissaient auparavant les artisans pour leurs compétences et leur expertise6. Aujourd’hui les carrières professionnelles dans le domaine de la construction sont perçues comme modestes et subies. Elle tente de rectifier ce problème depuis 2002 en réalisant des recherches sur l’étendue du manque de qualification des artisans et créer de nouveaux systèmes de qualification grâce à un groupe de formation de patrimoine national. Cela serait d’un grand intérêt d’étendre les champs opérationnels d’une telle formation pour combiner les savoirs-faire locaux avec les techniques de construction relatives au XXIème siècle et ainsi créer de nouveaux savoir-faire relatifs à ces localités.

1, 2, 4, 5 Bouchain Patrick, Construire autrement, comment faire ?, Actes Sud Beaux Arts l’Impensé / Coédition NAC, 2006. 3 Tzonis Alexander, Lefaivre Liane et Fol Jac, Jacques Ferrier architecte, Stratégies du disponible, Éditions Passage Piétons, 2004. 6 Taylor-Foster James, interview de Cathie Clarke, “How can we hold on to heritage skills” [en ligne], ArchDaily, juin 2014.

70


/ Un système de normes à adapter L’adoption de normes et de pratiques communes permet de faciliter et d’harmoniser les échanges internationaux. Elles donnent des renseignements sur les produits utilisés et rendent les consommateurs plus confiants en contribuant à protéger leur sécurité et leur santé. Elles sont aussi utiles aux administrations publiques et à l’amélioration de la productivité7. Malgré cela, elles instaurent un encadrement parfois rigide compte tenu de la multitude de manières de construire. Les normes régularisatrices de la production architecturales ont ainsi freiné l’évolution du vernaculaire au XXème siècle. Le système normatif devrait aujourd’hui évoluer, sans entacher ses vertus, afin de laisser de l’espace à l’expérimentation. Notamment, par rapport à l’architecture imprimée en 3D, la diversité de matériaux employés est incompatible avec le système réglementaire en place. Pour y être adaptées, les normes doivent être créées de sorte à pouvoir être assez flexibles pour refléter ces conditions de production fortuites. Il reste impératif que les matériaux soient conformes à des normes de construction et que les pièces produites soient certifiées afin que l’architecture par impression 3D puisse croître et que le recours à cette technique se développe. Dans le domaine de l’impression, on voit déjà apparaître des normes valables à différentes échelles, par l’AFNOR (Association Française de normalisation) en France ou l’ASTM (American Society of the International Association for Testing and Materials) aux États-Unis, entre autres. Celles-ci ne prennent pour le moment en compte que les matériaux plastiques et métalliques.Dans le domaine de la fabrication additive, à la différence d’autres secteurs, ces organismes de normalisation travaillent en coordination pour adopter un ensemble de normes communes pouvant être appliquées à l’échelle mondiale8. Les normes sont établies selon 3 catégories par une structure commune. Les normes énonçant les concepts généraux spécifiques et les exigences communes, les normes relatives aux exigences spécifiques à traiter ou aux catégories de matériaux et les normes spécialisées précisant les exigences spécifiques à un matériau, un processus ou une application spécifique. Le Comité Européen (CE) a déjà listé des normes à élaborer en fonction des catégories comme la conception, les besoins industriels, la qualité des pièces fabriquées, la sécurité et l’éducation9. De manière générale, la propriété intellectuelle joue un rôle majeur dans le développement économique et les systèmes de productions modernes10. Cette question est particulière dans le cas de l’impression 3D car ambigüe entre open-source et plagiat, elle est sujette à controverse. Le CopyRight qui a initialement été créé en réponse à la presse écrite, est aujourd’hui une protection standard pour à peu près tout - littérature, musique, image, propriété intellectuelle, art, architecture, produits de consommation…- on peut se demander s’il est pertinent de conserver ce modèle unique.

7 SCC (Standards Council of Canada), “Les normes. Pourquoi sont-elles importantes ?” [en ligne], Introduction aux normes et au CCN. 8 Concept Yrys (auteur non précisé), “L’impressionnante impression 3D” [en ligne], MFC, juin 2017. 9, 10 Lefevre Gaëtan, “Réglementation de la fabrication additive et de l’impression 3D” [en ligne], a3dm magazine, juin 2016.

71


Pauline Berdah effectue un examen éthique de la technique de l’impression 3D. Dans le domaine de la propriété intellectuelle, on peut observer une réelle remise en question des principes actuels de logistique “physique”. Des termes juridiques vont apparaître ainsi qu’un vocabulaire inhérent.1 Il faut anticiper les réclamations de droits d’auteur, les contrefaçons et les risques juridiques, le fonctionnement de la fabrication par l’impression 3D étant un vecteur potentiel du non respect des normes de sécurité2. L’état d’esprit intelligent de l’open-source peut de fait conduire à des dérives difficilement contrôlables du fait de la non traçabilité des productions. Ce cas de propriété intellectuelle est analogue avec celui de la musique ou des images, mais avec des objets réels. La responsabilité des différents acteurs soulève également de nombreux questionnements. Qui est responsable en cas de défaillance ou de problème et serait incriminé en cas de litige ? Cela peut être le titulaire, le concepteur, les fabricants du système, l’utilisateur final de ce système, les fournisseurs de matériaux ou encore les distributeurs du produit final3. / Le rôle de l’architecte La démocratisation de l’impression 3D pose la question de l’évolution du rôle de l’architecte. L’architecture ouverte amène à se questionner sur la place du professionnel dans ce type de réalisation et sur la manière dont il peut apporter une pierre à l’édifice. De la même manière qu’au cours d’une architecture participative et collaborative son rôle diffère un peu. À la place de développer un projet fini, il développe un processus de fabrication et enseigne aux individus une manière de se l’approprier4. Le dialogue entre l’outil informatique et l’architecture fait en effet évoluer le rôle de l’architecte5, mais “l’ensemble des logiciels demeure un simple substitut des anciens outils qu’étaient la règle et le crayon”6. S’ils aident à la représentation d’une idée, ils constituent toujours des outils servant à exprimer le projet. De la même manière, l’impression 3D est un nouvel outil de construction qui ne remet pas en cause l’importance des compétences de l’architecte et de l’artisan. Au contraire, cette pratique revalorise le savoir-faire et l’ingéniosité, en stimulant le processus de création par l’expérimentation. Les expérimentations, à travers les améliorations et les transmissions, se muent naturellement en savoirs et se transforment avec le temps en expertise. L’architecture vernaculaire est “un art communautaire produit, non pas par quelques intellectuels ou quelques spécialistes, mais par l’activité spontanée et continue d’un peuple tout entier, dépositaire d’un héritage commun et obéissant aux leçons d’une commune expérience”7. L’architecte ne s’impose pas comme dirigeant du projet mais il appartient au groupe de production et apporte son expertise en étant l’initiateur et le catalyseur d’une conception basée sur les richesses locales8. L’architecte vernaculaire doit être présent à toutes les phases du projet. À la manière d’un chef-d’orchestre9, il est l’activateur du groupe et il ne doit pas se contenter de diriger la représentation finale. Sa présence est nécessaire tout au long du processus car il a un rôle majeur à jouer à chacune des répétitions. 1, 2 Berdah Pauline, L’impact de l’imprimante 3D sur la propriété intellectuelle, mémoire de master en Droit de la Propriété Intellectuelle, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2014. 3 Lefevre Gaëtan, “Réglementation de la fabrication additive et de l’impression 3D” [en ligne], a3dm magazine, juin 2016. 4 Preud’Homme Remi, Architectures 2.0, mémoire de master, ENSAVT, Marne-la-Vallée, 2015. 5 Philippe Morel, interview de Girardet Thibaut, Architecture non standard, mémoire de master, Camondo, Paris, 2012. 6 Girardet Thibaut, Architecture non standard, mémoire de master, Camondo, Paris, 2012. 7 Pietro Bellushi dans Rudofsky Bernard, Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture, Garden City, Doubleday & Company, Museum of Fine Arts, , New York, 1964. 8 Frey, Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. 9 Bouchain Patrick, Construire autrement, comment faire ?, Actes Sud Beaux Arts l’Impensé / Coédition NAC, 2006. 72


Le métier d’architecte est par essence multidisciplinaire, rendant sa pratique naturellement adaptée à être au centre d’une équipe transdisciplinaire. Comme Lucie Sauve le formule, “la compréhension est l’antithèse de la spécialisation et la spécialisation intellectuelle doit être à l’opposé du concept d’architecte”10. Odile Decq estime que c’est depuis le milieu du XXème siècle que les architectes se sont préoccupés exclusivement d’être des architectes, mais qu’à l’encontre de ce phénomène, il faut cesser d’enfermer les gens dans des cases11. D’après cette vision, la spécificité du métier de l’architecte résiderait en fait dans son anti-spécialisation. L’architecte vernaculaire véhicule les valeurs d’une conception basée sur les ressources locales matérielles et immatérielles dans une démarche philanthropique. La profession tend à revenir vers “un architecte citoyen pour des citoyens architectes”12 qui cherche à comprendre la culture et les ressources d’un quartier ou d’un lieu et transmettre ce savoir, en identifier les dynamiques pour requalifier ses besoins. Cédric Price estime que de la même manière que la médecine, l’architecture devrait passer de “curative à préventive”13. En d’autres termes, la contribution de l’architecte serait de créer un système capable, pouvant anticiper un besoin n’ayant pas encore été formulé, vers l’autonomisation de l’usager. Les architectes seraient alors amenés à concevoir les questions et pas forcément les réponses14. L’architecture concerne tout individu, aussi l’architecture auto-conçue a toujours cohabité avec celle des architectes. L’évolution des techniques de construction n’interfère pas dans cette coexistence, elle en assouplit la distinction. La figure de l’architecte dans l’opinion publique est de nos jours plutôt dépréciée car souvent incomprise et peu médiatisée. Employer les NTIC pour rendre l’architecture plus accessible de compréhension et de participation aux populations serait un moyen d’en re-développer l’intérêt. Les communications proliférantes qu’elle permet sont bénéfiques pour recréer un lien entre les architectes et les populations civiles. On note une volonté croissante des architectes de la génération open-source d’ouvrir la profession, comme l’atteste Marc Kushner lorsqu’il déclare : “Architects are waiting for You”15. L’imprimante 3D est le plus médiatique des outils créés et partagés par les communautés Internet. Ce partage a pour objectif de faire avec la production d’éléments tangibles, la même chose que ce qui a été fait avec l’information et la connaissance grâce à la création d’Internet il y a vingt ans : la rendre accessible à tous16. Afin que les édifices imprimés en auto-construction ne dérivent pas en maisons désituées et répliquées de manière injustifiée, l’architecte doit accompagner ses projets. L’architecte chef-d’orchestre doit parvenir à intégrer ses propres idées pour contribuer à l’expertise et à la personnalité du projet spécifique. Dans l’avenir de l’architecture vernaculaire, “l’architecte ne sera pas anonyme, mais pluriel et composé”17. La question de l’Auteur ne sera pas effacée mais contextualisée selon le tissu relationnel.

10, 12 Sauve Lucie, Identités vernaculaires, mémoire de master, ENSABX, Bordeaux, 2017. 11 Decq Odile, Pourquoi le monde a besoin d’”Architecture Thinking” [en ligne], Autodesk, France, 2014. 13 Banham Reyner, Cedric Price : Works II, Architectural Association Publications, Londres, 1984. 14, 17 Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. 15 Kushner Marc, “Pourquoi les bâtiments du futur seront façonnés par...vous”, TED Talks, 2014. 16 Hamard Romain, Impression 3D moteur d’une nouvelle architecture vernaculaire, Mémoire de master, ULB, Bruxelles, 2014. 73


Nouveau paradigme : Une manière positive d’appréhender la technologie / Au service de l’environnement et du lien social Dans un contexte de prise de conscience de la crise écologique, on peut voir se développer une nouvelle manière d’appréhender le recours à la technologie accompagnant le nouvel écosystème industriel, économique, scientifique, social et sociétal. Le nouveau paradigme énonce la prospective d’une société collaborative, favorisée par l’essor des nouvelles technologies. Il serait contreproductif, de la même manière que de copier l’architecture vernaculaire ancestrale, de nier l’évolution des technologies. Au lieu de les ignorer, mieux vaut composer avec, en les entraînant dans des démarches philanthropiques pour les voir évoluer de manière positive et non destructrice. Yannick Rumpala analyse la situation et relève le fait que les potentialités de ce type de technologies sont à relier aux bases sur lesquelles elles se développent1. Or, l’impression 3D doit son développement à des collaborations en réseaux qui permettent, grâce à Internet, d’échanger et de partager des idées ainsi que de comparer les expériences réalisées. Il émet hypothèse selon laquelle un développement technologique peut avoir des effets systémiques : “les machines peuvent avoir des résultats autres et plus indirects que ceux pour lesquels elles ont été conçues ou envisagées. Le changement technique contribuerait alors au changement social, par des évolutions conjointes et convergentes”2. Ainsi, ce n’est pas seulement l’outil ou la machine qu’il faut considérer, mais le système auquel elle participe, à la fois par les éléments dont elle hérite et ceux qu’elle contribue à modifier. Dans la même optique, Tomas Diez considère que, dans la fabrication numérique, le plus important n’est pas tant la technologie en tant que telle, mais le changement culturel qu’elle induit3. Sénamé Koffi Agbodjinou, lui estime que ce qu’elle permet, c’est un “humanisme en réseau”4. En effet, la présence de l’innovation technique peut être décelée comme le moyen de promouvoir l’innovation sociale et culturelle. Le recours à la technique doit être envisagé globalement, exploré et compris dans le but d’être “recruté au service du projet architectural”5 de manière bienveillante. Au delà de ce que la construction par impression 3D induit comme possibilités techniques, elle contribue à des bienfaits aux impacts bien plus larges. Le gain de temps qu’elle permet au cours du chantier engendre la production d’édifices accessibles en coût et de réduire certaines tâches pénibles de la mise en oeuvre. En réduisant le transport de matières premières, en minimisant la production de déchets et en permettant l’emploi de matériaux locaux recyclés, elle participe aux économies circulaires locales et à la faible empreinte écologique du chantier. En se développant à travers le numérique , elle crée une communauté collaborative transdisciplinaire liée par une socialité nouvelle aux capacités inédites. Jérémy Rifkin propose le scénario utopiste mais déjà enclenché selon lequel le profit, “sève du capitalisme”6 se tarit avec le coût marginal zéro, menant à une société où le capitalisme sera éclipsé par les mouvements collaboratifs et la production à petite échelle. Il imagine que la production des 1, 2 Rumpala Yannick, “L’impression tridimensionnelle comme vecteur de recon guration politique” [en ligne], blog de Yannick Rumpala, février 2012. 3 Tinq Benjamin, interview de Tomas Diez, “La FabCity : “Une ville connectée, résiliente et circulaire””, [en ligne], Circulate News, décembre 2016 4 Koffi Agbodjinou Sénamé, “Vers la cité vernaculaire” [en ligne], transcription de la conférence i4Policy, GIG Community, Medium, 2017. 5 Tzonis Alexander, Lefaivre Liane et Fol Jac, Jacques Ferrier architecte, Stratégies du disponible, Éditions Passage Piétons, 2004. 6 Rifkin Jeremy, La nouvelle société du coût marginal zéro : L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Actes Sud, France, 2016. 74


objets à coût marginal quasi-nul sera partiellement assurée à l’échelle locale grâce aux progrès de l’impression 3D et ira peut être jusqu’à “vaincre les géants industriels”7 qui ont été au centre des économies pendant les deux premières révolutions industrielles. Le grand projet du XXème siècle était la démocratisation de la consommation, le grand projet du XXIème siècle est la démocratisation de la production et cela augure de grands changements8. La 1ère et la 2ème révolution industrielle étaient fondées sur les énergies fossiles. La 3ème révolution industrielle, s’organise autour des énergies durables qui sont pour l’essentiel gratuites et que l’on trouve partout9 telles que le soleil, le vent, l’hydro-énergie, la chaleur géothermique, la biomasse, les vagues et les marées des océans. Notre civilisation actuelle est à un carrefour. L’énergie coopérative enclenchée par la combinaison de la technologie d’Internet et des énergies renouvelables restructure fondamentalement les relations humaines. À notre époque, où la technologie est une commodité, Internet et les NTIC modifient les rapports spatio-temporels de la société en projetant un espace social mondial dans une configuration inédite de simultanéité10. Il s’agira de “créer du capital social dans une société civile à but non-lucratif qui deviendra le secteur dominant dans la seconde moitié du siècle”11. Le mécanisme capitaliste du marché actuel entraîne la recherche de l’intérêt personnel. Dans une société où il n’est plus question de profit, un retour à la bienveillance et au partage paraît probable12. La consécration des évolutions technologiques a entraîné la destruction progressive de notre écologie et un changement de mentalité vers un repli sur soi-même. Aujourd’hui, à l’aube de la Troisième Révolution Industrielle, ces mêmes progrès technologiques peuvent être employés dans une démarche réparatrice des dérives qu’elle a générées. Sénamé Koffi Agbodjinou souligne la proximité conceptuelle entre les valeurs de la collaboration numérique et les valeurs des sociétés traditionnelles. Il remarque que certains types originaux d’organisation, apparaissent dans le sillage des TIC et forment la “niche collaborative“13. Via cette niche collaborative, la technologie opère-t-elle un retour à la société de tradition ? C’est le potentiel que cette frontière devenue floue nous offre14. C’est, de fait, paradoxalement les nouvelles technologies qui ont aujourd’hui le potentiel de nous permettre d’atteindre un niveau d’efficience architecturale s’apparentant à celle de l’architecture vernaculaire. Cette réflexion initie sa théorie du “Low High Tech”.

WASP, lancement de l’imprimante 3D BigDelta

7 Rifkin Jeremy, La nouvelle société du coût marginal zéro : L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Actes Sud, France, 2016. 8 Parvin Alastair, “L’architecture pour les gens par les gens”, Ted Talks, 2013. 9, 10, 11, 12 Rifkin Jeremy, La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2012. 13 Forson Viviane, Interview de Sénamé Kof Agbodjinou “Diaspora : Sénamé Kof Agbodjinou, un pionnier du numérique” [en ligne], Le Point Afrique, juillet 2015. 14 Kof Agbodjinou Sénamé, “#LowHighTech, Concept Intro” [en ligne], Medium, septembre 2016. 75


/ Le Low High-tech

High-tech rime avec has been” Jacques Ferrier

L’expression de Jacques Ferrier “High-tech rime avec has been”1, rend compte de la direction que prône le XXIème siècle. Nous nous trouvons plutôt aux portes d’un retour à la conscience et aux valeurs vernaculaires qu’à l’avènement de l’exacerbation technologique aveugle. L’architecte a la responsabilité de promouvoir des solutions “right-tech”2, se trouvant au juste milieu entre la folie du numérique et la nostalgie du passé. Nous assistons actuellement à l’émergence d’un nouveau paradigme dans lequel l’utilisation accrue des nouvelles technologies nous permet d’augmenter la précision et la personnalisation des composants d’architecture mais aussi d’adopter un nouveau sens de la matérialité, à la fois analogique et numérique, conceptuel et physique, technique et poétique. “À une époque de demande croissante de solutions durables en matière de technologie et de conception, beaucoup d’arguments ont été avancés en faveur de la réintroduction de procédures low-tech dans les contextes high-tech”3. Reconsidérer les systèmes vernaculaires est une étape importante vers la réduction des consommations abusives du XXème siècle4. Le “Low-Tech”, en opposition au High-Tech, emploie des techniques simples, pratiques, économiques, populaires et plus proches de l’artisanat que de la production industrielle5. C’est donc une technologie ingénieuse mais non sophistiquée qui prône l’autonomie, le partage, l’entraide, l’économie de moyens… En cela, ce concept se rapproche des valeurs de l’architecture vernaculaire. Le low-tech est une technologie responsable qui répond à des fonctions d’usage et remplit à la fois un contrat social et un contrat environnemental6. Philippe Bihouix explicite le terme, en précisant qu’il n’implique pas une absence de technologie, de progrès, de savoir, de science ou de techniques. En revanche, cela qualifie des dispositifs réparables, récupérés et récupérables7, afin de tendre vers des systèmes plus maîtrisables. Cela est le cas de l’imprimante 3D. L’impression 3D est low-tech car elle peut être construite puis utilisée et réparée en n’ayant que quelques connaissances en la matière. Son utilisation ne requiert pas forcément de matières complexes, mais peut se réaliser avec des matériaux du quotidien. Tout à la fois son invention résulte d’une complexité technologique certaine et elle fait appel à des ordinateurs de haute technologie. C’est finalement grâce au système social collaboratif qui la rend accessible en open-source qu’elle est compréhensible par tous. La fabrication additive se situe à un point de rencontre entre le Low et le High Tech. Sénamé Koffi Agbodjinou instaure le terme “Low High-Tech”. L’architecte et anthropologue togolais, préconise une architecture vernaculaire et démocratique en pariant sur les initiatives locales et sur la fabrication à partir de ce qui est disponible. Il fonde en 2012 le premier FabLab d’Afrique de l’ouest, le WoeLab mais surtout l’imprimante 3D Wafate qui en est l’emblème. Dans cette région, on trouve d’immenses dépotoirs de rebuts informatiques, qui constituent alors une ressource locale. La Wafate est ainsi conçue à partir de déchets informatiques et initie le principe du “Low High-Tech”, qualifiant un dispositif constitué de technologies complexes, avec des moyens soutenables qui étendent leur influx positif à l’échelle du quartier. 1 Tzonis Alexander, Lefaivre Liane et Fol Jac, Jacques Ferrier architecte, Stratégies du disponible, Éditions Passage Piétons, 2004. 2 Revedin Jana, “La conception radicante : temps, besoins, expérimentation” revue Stream, n°4, 2017. 3, 4 Ruiz Javier, “Hi-tech+Low-tech”,[en ligne], architecture foundation, 2016. 5 Low-tech Wikipédia, https://www.wikipedia.org/ 6 Fernandez Sauveur, “Low-tech : la deuxième voie technologique”[en ligne], Econovateur, décembre 2002. 7 Chapelle Sophie, interview de Philippe Bihouix, “Low tech : comment entrer dans l’ère de la sobriété énergétique pour vivre sans polluer” [en ligne], Bastamag, octobre 2015. 76


On pourrait entreprendre d’utiliser la technologie pour la construction, afin de créer des systèmes qui, après leur mise-en-oeuvre, soient capables de s’auto-gérer grâce à une conception intelligente et bioclimatique. Cela peut se formaliser d’une infinité de manières selon les besoins. La Quake Column, réalisée par Emerging objects, en est un exemple. Il s’agit d’un système anti-séisme passif, inspiré des murs incas traditionnels, maçonnés en pierres que l’on trouve dans des zones très sismiques, où la construction en pierres sèches s’est révélée plus résistante aux séismes qu’avec l’utilisation de mortier. Les pierres, uniquement imbriquées, peuvent se déplacer légèrement pendant le séisme puis se réinstaller sans que le mur ne s’effondre. Cette technique de contrôle structurel passif emploie le principe de dissipation d’énergie et celui de la suppression des amplifications résonnantes. les blocs imprimés en 3D possèdent des bouts arrondis et leur surface ondulée permet d’augmenter la résilience aux tremblements. Imprimés de sable, ils sont creux donc légers et dotés d’une poignée de levage pour faciliter leur mise en place. Ils sont conçus pour se combiner en formant une colonne qui est inclinée de 3 à 5 degrés d’après l’exemple des constructions péruviennes. Ce projet résulte d’une démarche analytique suivie d’une expérimentation. Fenêtre Muscatese et Cool Brick

Le collectif réalise également Cool Brick en 2015. Ces briques sont inspirées de la fenêtre de refroidissement Muscatese qui combine un écran de bois et un récipient en céramique rempli d’eau. Le système de refroidissement passif à implanter dans un climat chaud et sec, est permis par une argile poreuse qui absorbe l’eau comme une éponge dans sa structure treillis tridimensionnelle. Au fur et à mesure que l’air circule à travers la brique, l’eau contenue dans les micropores de la céramique s’évapore, amenant l’air frais à l’intérieur. La silhouette de la brique permet un système d’auto-ombrage du mur afin de garder le plus grand pourcentage du mur ombragé et améliorer les performances du système. L’imprimante 3D permet de réaliser des formes complexes capables de générer ce système à moindre coût.

Ces systèmes s’inscrivent dans la continuité des techniques ancestrales, en utilisant les possibilités que la technologie offre pour les améliorer. Cela laisse entrevoir les possibilités de l’élaboration de tels dispositifs passifs, qui ne soient pas dépendants de la technologie. Ils combinent la complexité et l’ingéniosité de conception, avec la prise en compte de l’expérience ancestrale. Ces démarches s’intègrent dans le cadre du low high-tech, différents degrés de recours à la technologie sont possibles.

77


Perspectives d’un vernaculaire urbain au XXIème siècle / Gouvernance et fabrique urbaine En 2014, l’ONU recense une population urbaine correspondant à 54% de la population mondiale et en prévoit la croissance jusqu’à 66% vers 2050. L’urbanité que nous connaissons est restée coincée dans le complexe ville-banlieue hérité de la 1ère et de la 2nde révolution industrielle1, dans lequel l’espace public a été laissé de côté pour privilégier les espaces industriels fonctionnels et les espaces privés2. Au XXIème siècle, la capacité de collaboration impacte la totalité du modèle urbain et ouvre des perspectives quant à de nouvelles typologies d’établissement humain. Nous nous trouvons dans l’ère nouvelle du “monde de la production industrielle distribuée”3 qui fait de la ville un nouveau territoire de production, dans lequel les prises de décisions communautaires sont encouragées par les TIC. Afin d’accueillir de nouveau la conception vernaculaire dans nos pratiques, il est nécessaire de mettre en place une organisation décisionnelle relative adaptée. La gouvernance de la ville qui repose sur des partenariats public-privé encouragés par les autorités étatiques peut porter un égard insuffisant aux instances de décision urbaine et aux citoyens4. La gouvernance désigne de manière générale les relations entre les dirigeants et les administrés ainsi que l’ensemble des processus et des institutions qui participent à la gestion politique d’une société.5 La gouvernance urbaine, quant à elle, désigne particulièrement les modalités de prise de décision dans une localité définie mais cela ne signifie pas qu’elle est dépourvue de liens avec la gouvernance internationale.6 Elle est l’ensemble des approches par lesquelles les individus et les institutions publiques et privées planifient et gèrent les affaires communes de la cité7. La gouvernance urbaine est multiple selon les interprétations, les appropriations, les logiques des acteurs et le cadre institutionnel, elle est spécifique à chaque situation urbaine8. Au service d’une stratégie de développement économique, de solidarité sociale et de participation politique, elle soutient la concertation avec les habitants et les méthodes collaboratives. Elle traduit par là une mutation des faits publics, entre logique globalisante et empowerment de la société civile. De cette manière elle engage une nouvelle organisation de la gestion politique, au profit des mouvements sociaux urbains et des autorités locales.9 L’utilisation des TIC et de l’intelligence humaine pourraient aboutir à une “gouvernance intelligente”10 reposant sur une démocratie locale. Pour y aboutir, il faut imaginer de nouvelles formes de collaboration humaine, notamment basées sur les technologies de l’information et de la communication. La technologie en elle même ne va pas rendre la ville plus intelligente, mais la construction d’une ville intelligente passe par la compréhension politique de la technologie11. L’approche à mener pour gérer ce modèle de ville se présente sous la forme d’un processus. Ce processus continu comprend des institutions formelles et des arrangements informels. Il est traversé par des intérêts conflictuels qui se résolvent dans des actions de coopération qui contribuent au capital social des citoyens12. 1, 3 Rifkin Jeremy, La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2012. 2 Revedin Jana, “Radicant - a method for collective empowerment”, TEDxKlagenfurt, novembre 2013. 4, 5, 6 gouvernance urbaine Géoconfuences, http://www.géoconfuences.ens-lyon.fr/glossaire/ 7, 12 https://unhabitat.org/books/global-report-on-human-settlements-2009-planning-sustainable-cities/ 8, 9 Sauve Lucie, Identités vernaculaires, mémoire de master, ENSABX, Bordeaux, 2017. 10, 11 Meijer Albert et Rodriguez Bolivar Manuel Pedro, “La gouvernance des villes intelligentes. Analyse de la littérature sur la gouvernance urbaine intelligente”, Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol. 82, février 2016.

78


En objectivation de la gouvernance urbaine, la Fabrique Urbaine désigne le processus social par lequel le tissu urbain se transforme. C’est un “processus par lequel l’interaction entre société urbaine et ville, dans sa réalité matérielle, espaces et territoires, produit un urbain spécifique en perpétuelle transformation”13.Cela engage à percevoir la ville comme lieu d’expérimentation collaboratif. Ses trois caractéristiques sont l’évolution morphologique - à toutes échelles -, l’épaisseur temporelle importante pour fixer des formes urbaines émergentes - et le rôle des acteurs - particulièrement celui des pouvoirs politiques et économiques dans la transformation du foncier14. L’étudier contribue à montrer que les changements empiriques des villes - de morphologie, de silhouette, de paysages, et par combinaison, de modes de vie des habitants - ne sont pas le fruit du hasard mais résultent de l’accumulation d’innombrables décisions de la part des acteurs et des usagers de l’urbain15. La gouvernance urbaine, qui paraît constituer une échelle de gouvernance adaptée à l’application de principes vernaculaires, permet aux citoyens de (re)prendre conscience du rôle qu’ils peuvent jouer dans les prises de décisions politiques et dans la fabrique urbaine. / De nouveaux modèles urbains

Shibam, Yémen

Dans la continuité de la prise de conscience globale, nous voyons aujourd’hui émerger plusieurs modèles de villes s’appuyant sur l’association de la technologie et des nouvelles mentalités humaines, ceci selon différentes pondérations. Les Smart Cities sont des espaces urbains hyperconnectés, dotés des nouvelles technologies, qui cherchent des solutions aux problèmes contemporains dans la maîtrise de l’information.16 Équipées de capteurs, elles recueillent des données ensuite exploitées par les autorités urbaines et par les entreprises du secteur privé, pour viser à mieux consommer les ressources - en particulier l’énergie - et répondre plus efficacement aux besoins des habitants - en renforçant la sécurité et en gérant mieux le territoire à court terme17. Ce modèle de ville est sujet à de nombreuses critiques de la part de ceux qui la voient comme une nouvelle représentation de la ville capitaliste, utilisant les technologies à outrance. Sénamé Koffi Agbodjinou considère par exemple que la smart city reste fidèle aux réflexes top-down, dominés par l’intérêt des grands groupes. Cela implique que cette forme de ville “qui entend s’appuyer sur la technologie, passe à côté de ce qui aujourd’hui est le principal acquis du boom technologique”18 c’est à dire le potentiel des échanges humains en réseau. Il émet l’hypothèse qu’une nouvelle typologie de ville s’esquisse. Si la “ville durable” résulte de la technicité de l’architecte et que la smart city découle de la technologie de l’ingénieur, alors la figure de l’entrepreneur peut donner naissance à la SharingCity dont l’économie du partage sera le moteur19. Cela s’apparente au concept de Co-City développé par Michel Bauwens autour des P2P, pour lequel le Commun est la priorité. Ces approches considèrent que l’urbanité sera amenée à s’exprimer d’une nouvelle manière avec la digitalisation et qu’elle fonctionnera en réseau.

13 Noizet Hélène, “Fabrique urbaine”, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Jacques Lévy et Michel Lussault, 2003 et 2013. 14, 15 Fabrique urbaine Géoconfuences, http://www.géoconfuences.ens-lyon.fr/glossaire/ 16, 17 Bril Manon, “Un jour nous vivrons dans des villes intelligentes” [en ligne], Mondes sociaux, décembre 2016. 18, 19 Koffi Agbodjinou Sénamé, “Vers la cité vernaculaire” [en ligne], transcription de la conférence i4Policy, GIG Community, Medium, 2017.

79


Leurs objectifs sont semblables aux vertus des villages vernaculaires. Ce lien est exploré par Sénamé Koffi Agbodjinou qui identifie les trois éléments d’efficience d’un village. Il s’agit premièrement de moments dédiés à l’échange, rituels au cours desquels la cohésion se construit. Deuxièmement d’endroits dédiés au partage, lieux ponctuels ou pérennes, profitants à toute la communauté. Et enfin troisièmement le temps long, permettant de créer une symbiose entre les habitants et le village. Afin de générer un vernaculaire urbain, il faudrait faire émerger ces trois caractéristiques dans la ville, chose qui peut se réaliser grâce à l’usage des outils technologiques1. Il s’agit alors de repenser les rituels, les lieux d’initiation et leur usage dans le temps long, en vue de recréer les conditions de la symbiose, mais cette fois à l’échelle de la ville2. Il tente d’ailleurs d’appliquer sa théorie à Lomé, avec un lieu, le fablab WoeLab conçu comme une maison de quartier 2.0 et des rituels, avec des cours et des hackatons, dans le but de retrouver les initiatives d’actions collectives et la synergie des acteurs dans le respect d’un bien commun3. À l’image du WoeLab, les Tiers Lieux, environnements sociaux différenciés des bâtiments ayant des usages précis comme l’habitation ou le travail, s’incarnent aujourd’hui dans les Fablabs, espaces d’échange et de créativité. La FabCity, instiguée par Tomas Diez, est la ville du consommateur intelligent. Autosuffisante, localement productives et globalement connectées4, elle fonctionne et se développe grâce à des lieux de partage locaux en réseau : les Fablabs. Ses fondements reposent sur la jonction des progrès technologiques et d’une prise de conscience environnementale, ouvrant les possibles d’une fabrication plus locale et circulaire grâce au digital. Ce modèle propose alors de coordonner ce métabolisme naissant et les nouveaux standards de collaboration entre acteurs de la ville5. Elle vise à réaliser cela en déplaçant le mode d’approvisionnement et d’utilisation des matériaux de “Products In Trash Out” (PITO) à “Data In Data Out” (DIDO). Cette évolution signifie une plus grande part de la production réalisée à l’intérieur de la ville, en lien avec le recyclage des déchets. Le réemploi de matériaux pour la production locale est favorisé afin d’offrir des réponses plus adaptées aux besoins des citoyens. Un réseau international se met en place et accompagne le retour des villes productives, apportant des réponses aux besoins locaux tout en étant connectées au monde6. Cela vise à représenter une approche socio-environnementale de la société du coût marginal zéro avec une généralisation de l’économie circulaire. Le réseau de FabCity est composé actuellement de 12 villes, 2 régions et 2 petits pays (Paris, Toulouse, Amsterdam, Santiago, Détroit… ) et selon une Charte commune, ils s’engagent à construire de manière collaborative des villes durables, résiliantes et productives, où les technologies numériques sont accessibles au citoyen7. Les membres partagent leurs données avec le réseau, apportent un soutien aux équipes locales travaillant sur le sujet et participent aux activités qui rassemblent chaque année les villes et communautés locales participantes. Ce modèle représente-t-il la ville en tant qu’expression de l’intelligence collective ? Il se situe en tous cas à la rencontre de la fabrication numérique, de la ville durable intelligente, de l’économie circulaire et encourage les initiatives citoyennes pour faire évoluer leurs environnements.

1, 2 Kof Abogdjinou Sénamé “L’Africaine d’Architecture et le style néo-vernaculaire” [en ligne], Interview podcast par Yvan Tina, Creative Disturbance, août 2015. 3 Forson Viviane, Interview de Sénamé Koffi Agbodjinou “Diaspora : Sénamé Koffi Agbodjinou, un pionnier du numérique” [en ligne], Le Point Afrique, juillet 2015. 4, 5, 6 Fabcity.paris 7 Tinq Benjamin, interview de Tomas Diez, “La FabCity : “Une ville connectée, résiliente et circulaire””, [en ligne], Circulate News, décembre 2016.

80


Pour Lucie Sauve, l’architecture vernaculaire urbaine repose sur un processus collaboratif au sein de la société civile. Ainsi, la gouvernance apte à la réguler et la rendre efficiente ne peut pas être nationale8. Elle instaure le terme “VUC”, Vernaculaire Urbain Connecté, qu’elle décrit comme une démocratie urbaine intelligente, utilisant les nouvelles technologies de l’information du quotidien. Processus mid-tech, ce modèle utilise les TIC et l’oeuvre ouverte pour promouvoir un développement urbain vernaculaire porté par la société civile, appuyé par les gouvernements locaux, les professionnels de la construction ainsi que les acteurs privés de la ville9. La “Ville de l’Habiter” d’Alberto Magnaghi, de son côté, donne de la valeur aux matériaux, aux techniques de construction et aux ressources locales. Elle digère ses propres déchets, développe des formes d’échange et de travail non marchands, et entretien des relations non hiérarchisées avec d’autres villes10. Un autre modèle, celui de la Ville Radicante théorisée par Jana Revedin, est analogue aux plantes radicantes (tel que le lierre). Celles-ci ont une morphologie laissant voir leur croissance, elles ont des racines multiples terriennes ou aériennes et s’adaptent intelligemment aux changements de milieu. Leur régime de croissance est complexe et non-linéaire. Ces caractéristiques rapprochent métaphoriquement la conception architecturale et la botanique, mais l’on peut également y déceler une grande adéquation avec les valeurs vernaculaires dans leur évolution au XXIème siècle. Afin de concevoir une ville radicante, il faut répondre aux sollicitations d’une communauté, réaliser une analyse urbaine interdisciplinaire pour filtrer les besoins, installer des laboratoires de conception participatifs et favoriser une économie circulaire.11 Jana Revedin estime que les processus radicants pourraient, en partant du sol naturel et des gens, revenir sur les schémas directeurs imposés d’en haut pour revenir à un état auto-suffisant et auto-responsable de la ville, grâce au fait que tout développement interviendrait à l’intérieur d’un lieu donné et par lui même, créant une économie circulaire par son propre potentiel12. Aldo Rossi voit la ville comme sédimentaire, construite par couches successives dans le temps. La ville n’est pour lui pas un projet mais est un fait, un artefact résultant d’un accomplissement collectif et cumulatif13, une réalité permanente qui échappe à l’action du temps. Peut-être ne devrait-on pas “dessiner” la ville du futur, cela invoquant l’aspect formel, alors que ce n’est pas une question de forme mais plutôt une question de communication et d’interaction entre les gens et les choses14. En ce sens, la ville durable “n’est pas une problématique à résoudre, c’est un potentiel infini de créativité humaine”15 auquel les valeurs vernaculaires peuvent permettre de recréer un écosystème spatial et humain synergique.

8, 9, 11 Sauve Lucie, Identités vernaculaires, mémoire de master, ENSABX, Bordeaux, 2017. 10 Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. 12 Revedin Jana, ouvrage collectif, La ville rebelle : démocratiser le projet urbain, Gallimard Collection Manifestô-Alternatives, 2015. 13 Rossi Aldo, L’architecture de la ville, InFolio, Paris, 1966. 14 Decq Odile, Pourquoi le monde a besoin d’”Architecture Thinking” [en ligne], Autodesk, France, 2014. 15 Revedin Jana, “Radicant - a method for collective empowerment”, TEDxKlagenfurt, novembre 2013.

81


82


CONCLUSION “Aussitôt qu’on nous montre quelque chose d’ancien dans une innovation, nous sommes apaisés” Nietzsche

L’appel du monde à la fin des excès peut être perçu comme la nouvelle étape de la croissance. Après avoir engendré une crise due à son utilisation abusive, la technologie abordée sous un angle optimiste et responsable, peut constituer elle-même la solution à ce problème. L’impression 3D vernaculaire permet de créer une architecture qui naît du sol et des ressources propres à une localité, prenant en compte l’ensemble des contraintes locales et globales. Par cela, elle opère un renforcement du rapport identitaire entre habitant et territoire, elle encourage le retour à des architectures différenciées. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la machine qu’est l’imprimante 3D n’écarte pas l’Homme de sa relation à la matière et au travail de ses mains. Au contraire c’est une technique de construction qui renoue ce lien car elle fait appel à la perspicacité du constructeur, sa connaissance des spécificités du territoire dans lequel il évolue, des savoir-faire à transmettre et à perfectionner avec le temps. L’imprimante 3D est un outil pertinent dans le cadre de la démarche architecturale vernaculaire. Elle ne vise pas à s’imposer en tant que pratique hégémonique par rapport aux autres méthodes de construction, mais en coexistence voire en complémentarité avec celles-ci. On voit d’ailleurs le vernaculaire se réinventer sous d’autres formes, comme à travers l’architecture du réemploi ou les chantiers participatifs. Ce n’est pas forcément l’imprimante 3D, en tant qu’outil constructif, qui permet de concevoir une architecture vernaculaire du XXIème siècle, mais c’est l’état d’esprit ouvert et participatif qu’elle génère. Il se trouve que dans l’état actuel des choses, elle est à la fois spirituellement et techniquement appropriée aux sociétés contemporaines et capable de s’adapter à leurs problématiques plurielles. C’est en cela qu’elle est judicieuse aujourd’hui. Les manières vernaculaires de produire se trouvent en accord avec l’évolution des mentalités qui tendent à ne plus être uniquement à la recherche du profit financier mais à chercher avant tout à générer de la valeur sociale. Elles sont porteuses d’une nouvelle culture philanthropique, véhiculées par les communautés Internet libérées de l’espace physique et constituent de nouvelles clés vers l’autonomie citoyenne dans l’univers de la construction par la démocratisation des moyens de sa production. Si le vernaculaire est le reflet d’une culture, on peut se demander quelle est la culture que cette architecture représente au XXIème siècle. Cela pourrait-il être la culture de la rédemption écologique? Celle de la communication ? De l’action citoyenne ? La perpétuelle évolution de l’architecture vernaculaire est indéniable et son activation persiste à échapper à la prédétermination. Le vernaculaire, dans son évolution au cours des siècles, a prouvé qu’il était un processus mais certainement pas une recette.

83


84


BIBLIOGRAPHIE Ouvrages Anderson Chris, Makers : La nouvelle révolution industrielle, Pearson, France, 2012. Alexander Christopher, The Oregon Experiment, Center for Environmental Structure, Oxford University Press, 1978. Arendt Hanna, The Human Condition, University of Chicago Press, Chicago, 1958. Bouchain Patrick, Construire autrement, comment faire ?, Actes Sud Beaux Arts l’Impensé / Coédition NAC, 2006. Brinckerhoff Jackson John et Carrere Xavier, À la découverte du paysage vernaculaire, Actes Sud Nature Paysage / Coédition ENSPVM, 2003. Contal Marie-Hélène, ouvrage collectif, Ré-enchanter le monde : l’architecture et la ville face aux grandes transitions, Galimard, collections Alternatives, 2014. Deleuze Gilles, Le Pli, Éditions de Minuit Collection Critique, 1988. Guattari Félix, Qu’est-ce que l’écosophie?, textes agencée et présentés par Stéphane Nadaud, Éditions Lignes / Imec, 2014. Tzonis Alexander, Lefaivre Liane et Fol Jac, Jacques Ferrier architecte, Stratégies du disponible, Éditions Passage Piétons, 2004. Frampton Kenneth, Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of Resistance, Port Townsend, Bay Press, 1983. Frampton Kenneth, L’architecture moderne : une histoire critique, Londres, Thames & Hudson, 1980. Frey, Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. Habraken N. John, communication personnelle, [Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015] 2013. Henri France, Lundgren-Cayrol Karin, Apprentissage collaboratif à distance : pour comprendre et concevoir les environnements d’apprentissage virtuels, Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, 2001. Huygen Jean-Marc, La poubelle et l’architecte : vers le réemploi des matériaux, Actes Sud Beaux Arts L’Impensé, 2008. Illich Ivan, La convivialité, Éditions Seuil, Paris, 1973. 85


Illich Ivan, Le Genre Vernaculaire, Éditions Seuil, Paris, 1983. Illich Ivan, In the mirror of the past : Lectures and Addresses 1978-1990, Londres et New York, Marion Boyars Publishers Ltd, 1992. Magnaghi Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Liège, 2003. Maki Fumihiko, Investigations in Collective Form, Washington University St Louis, School of Architecture, 1964. Noizet Hélène, “Fabrique urbaine”, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Jacques Lévy et Michel Lussault, 2003 et 2013. Olivier Paul, Dwellings: The Vernacular House World Wide, Londres et New York, Phaidon Press, 2003 Paquot Thierry, Stathopoulos Marco et Masson-Zanussi Yvette, Alter architectures Manifesto, Eterotopia / InFolio, Paris, Milan et Gollion, 2012. Banham Reyner, Cedric Price : Works II, Architectural Association Publications, Londres, 1984. Toffler Alvin, The Third Wave : the Classic Study of Tomorrow, Bantam Books, New York, 1980. Rael Ronald et San Fratello Virginia (Emerging Objects), Printing Architecture, Innovative Recipes for 3D printing, Princeton Architectural Press, New York, 2018. Ratti Carlo, Claudel Matthew, OpenSource Architecture, Londres, Thames & Hudson, 2015. Revedin Jana, ouvrage collectif, La ville rebelle : démocratiser le projet urbain, Gallimard Collection Manifestô-Alternatives, 2015. Rifkin Jeremy, La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2012. Rifkin Jeremy, La nouvelle société du coût marginal zéro : L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Actes Sud, France, 2016. Rossi Aldo, L’architecture de la ville, InFolio, Paris, 1966. Roudaut Sandrine, L’utopie mode d’emploi : Modifier les comportements pour un monde soutenable et désirable, Editions La Mer salée, 2014. Rudofsky Bernard, Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture, Garden City, Doubleday & Company, Museum of Fine Arts, , New York, 1964. Rudofsky Bernard, The Prodigious Builders / L’architecture insolite, Paris, Tailandier, 1977. Shiva Vandama, La vie n’est pas une marchandise : les dérives des droits de propriété intellectuelle, Éditions Écosiciété, Montréal, 2001. Sloterdijk Peter, Dans le même bateau, Payot & Rivages, Paris 1993 Bruno Zevi, Le langage moderne de l’architecture : pour une approche anticlassique, Éditions Parenthèses, 2015. 86


Chartes et Rapports Ademe (enquête) et Ipsos (étude), “L’émergence des pratiques « co » en France : vers un nouveau modèle social ?” France, 2014. Anguelova Rachelle, “Rapport de réunion du CIAV“, (Comité International d’Architecture Vernaculaire), Plovdiv, ICOMOS, 1979. Brundtland G.H., “Notre avenir à tous“, Rapport pour la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Editions du fleuve, Montréal, 1987. CCI Paris Île-de-France (Chambre de commerce et d’industrie), “L’impression 3D : porte d’entrée dans l’industrie du XXIe siècle“, CGARM, Paris 2014. ICOMOS (Conseil International des Monuments et des Sites), “Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites“, 2ème Congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques, Venise, 1964. ICOMOS (Conseil International des Monuments et des Sites),“Charte du patrimoine bâti vernaculaire“, 12ème Assemblée Générale, Mexique, 1999 Meadows Donella, Meadows Denis, Randers J., Behrens III W.W. (Club de Rome), “Halte à la croissance ?“, Paris, Fayard, 1972. Nomadéis (Dutreix Nicolas et Baecher Cédric), “Bâti vernaculaire et développement urbain durable“, Arene Ile-de-France, mai 2012. PIPAME (Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques), “Futur de la fabrication additive“, Document synthèse, Étude prospective du ministère de l’économie et des finances, France, janvier 2017.

Articles de revues et Articles web 3Dnatives (auteur non précisé), interview de Massimo Moretti (WASP), “WASP mise sur l’impression 3D pour bâtir un monde durable”, [en ligne], 3Dnatives, novembre 2016. https://www.3dnatives.com/interview-wasp-impression-3d-22112016/ Alsayyad Nezzar, ”From Vernacularism to Globalism : the temporal reality of traditional settlements”, revue TDSR, volume VII, n°1, Automne 1995. Anderson Chris,“The Maker Movement : tangible goods emerge from ones and zeros”, magazine Wired, mai 2014. https://www.wired.com/2013/04/makermovement/ Berthier Stéphane, “WikiHouse, la troisième révolution industrielle à l’épreuve du réel”, Criticat, n°18, octobre 2016. Baboulet Luc, “L’architecture est un jeu”, revue AMC n°178, janvier 2008.

87


Bastin Côme, “Home made home : bientôt tous architectes ?” [en ligne], We Demain, août 2013. https://www.wedemain.fr/Home-made-home-bientot-tous-architectes_a295.html Bensoussan Hannah, Interview avec XtreeE, “Imprimer du Béton en 3D pour pousser les limites de l’Architecture“, [en ligne], Sculpteo, décembre 2016. https://www.sculpteo.com/blog/fr/2016/12/07/interview-avec-xtreee-imprimer-du-beton-en-3d-pourpousser-les-limites-de-larchitecture/ Bril Manon, “Un jour nous vivrons dans des villes intelligentes” [en ligne], Mondes sociaux, décembre 2016. https://sms.hypotheses.org/8615 Cazier Jean-Philippe, “Félix Guattari : Qu’est ce que l’écosophie ?” [en ligne], BookClub, www.blogs. mediapart.fr, février 2014. https://blogs.mediapart.fr/edition/bookclub/article/210214/felix-guattari-quest-ce-que-lecosophie Chapelle Sophie, interview de Philippe Bihouix, “Low tech : comment entrer dans l’ère de la sobriété énergétique pour vivre sans polluer” [en ligne], Bastamag, octobre 2015. https://www.bastamag.net/ Low-tech-comment-vivre-sans-polluer-Entrons-dans-l-ere-des-low-tech-ou-les Clubimpression3D (auteur non précisé), interview de Antoine Motte, “Imprimer sa maison en 3D, le défin mené par Constructions 3D(BTP)” [en ligne], Clubimbression 3D, (sans date). http://www. clubimpression3d.fr/constructions-3d-veut-imprimer-en-3d-les-habitations-demain-btp/ Concept Yrys (auteur non précisé), “L’impressionnante impression 3D” [en ligne], MFC, juin 2017. http://www.concept-yrys.com/2017-06-02-impression-3d-concept-yrys-by-maisons-france-confort/ Decq Odile, Pourquoi le monde a besoin d’”Architecture Thinking” [en ligne], Autodesk, France, 2014. http://autodeskfrance.tumblr.com/post/99306882492/pourquoi-le-monde-a-besoin-d-architecture Degroof Jean-Jacques, « Livre. Makers. La nouvelle révolution industrielle, Chris Anderson Pearson, 2012 », revue Entreprendre & Innover, n°18, février 2013. Espinal Hilda, “5 emerging careers in architecture to look out for in 2018 and beyond” [en ligne], ArchDaily, janvier 2018. https://www.archdaily.com/886584/5-emerging-careers-in-architecturetechnology-to-look-out-for-in-2018-and-beyond Fernandez Sauveur, “Low-tech : la deuxième voie technologique”[en ligne], Econovateur, décembre 2002. http://www.econovateur.com/rubriques/anticiper/voir011202.shtml Forson Viviane, Interview de Sénamé Koffi Agbodjinou “Diaspora : Sénamé Koffi Agbodjinou, un pionnier du numérique” [en ligne], Le Point Afrique, juillet 2015. http://afrique.lepoint.fr/economie/ diaspora-sename-koffi-agbodjinou-un-pionnier-du-numerique-21-07-2015-1950376_2258.php Goudenhooft Chloé, Interview de Cedric Beacher et Nicolas Dutreix (Nomadéis), “L’architecture vernaculaire pour un développement urbain durable” [en ligne], Le Moniteur, août 2012. https://www.lemoniteur.fr/article/l-architecture-vernaculaire-pour-un-developpement-urbaindurable.1387989 Guedj Jean-Luc, “Horizons pour l’architecture” [en ligne], Les Universités d’Été de l’Architecture, août 2014. http://2014.universites-architecture.org/horizons-larchitecture/ Silvio Guindani, Ulrich Doeper “Architecture vernaculaire. Territoire, habitat et activités productives“, presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 1990. 88


Joly Serge et Loiret Paul-Emmanuel, “La voie des milieux” [en ligne], Joly&Loiret Architectes, Paris, septembre 2015. http://jolyloiret.com/wp-content/uploads/2016/10/EXP2_VOIE_DES_MILIEUX.pdf Jose Lopez Gonzalo, “Peer-to-peer Urbanism ?” [en ligne], Open Source Urbanism, août 2012. https://opensourceurbanism.wordpress.com/2012/08/08/peer-to-peer-urbanism/ Jouve Bernard, “La gouvernance urbaine : vers l’émergence d’un nouvel instrument des politiques ?”, Revue Internationale des sciences sociales, N°193-194, 2007. Koffi Agbodjinou Sénamé, “#LowHighTech, Concept Intro” [en ligne], Medium, septembre 2016. https://medium.com/@sename/perspectives-dun-vernaculaire-num%C3%A9rique-africain5638fe6cbf9b Koffi Agbodjinou Sénamé, “Vers la cité vernaculaire” [en ligne], transcription de la conférence i4Policy, GIG Community, Medium, 2017. https://medium.com/@sename/vers-la-cit%C3%A9-vernaculaire-2c3a6c22f6b9 Lefevre Gaëtan, “Réglementation de la fabrication additive et de l’impression 3D” [en ligne], a3dm magazine, juin 2016. https://www.a3dm-magazine.fr/magazine/reglementation-de-fabrication-additive-de-limpression-3d Meijer Albert et Rodriguez Bolivar Manuel Pedro, “La gouvernance des villes intelligentes. Analyse de la littérature sur la gouvernance urbaine intelligente”, Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol. 82, février 2016. Mercer Éric, “Architecture vernaculaire en Angleterre”, Plovdiv, ICOMOS, octobre 1979. Molloy Jonathan C., ”Architecture by robots for Humanity” [en ligne], ArchDaily, mars 2013. https:// www.archdaily.com/347905/architecture-by-robots-for-humanity Moussion Alexandre, “Le français Pollen AM lance les précommandes de son imprimante 3D multimatériaux” [en ligne], primante3D, juillet 2016. http://www.primante3d.com/imprimante-3d-pam-01072016/ Moussion Alexandre, Interview de Sénamé Koffi Agbogjinou “Rencontre avec Sénamé Koffi Agbogjinou : 8 mois plus tard WoeLab inaugurait la première imprimante 3D africaine” [en ligne], Primante3D, juillet 2017. http://www.primante3d.com/wafate-28072017/ MonUnivers3D (auteur non précisé), “Impression 3D : Un matériau bio à base de pomme de terre” [en ligne], Mon Univers 3D, mai 2015. http://www.monunivers3d.com/4533/ Musiani Francesca, Schafer Valérie, “Le modèle Internet en question (années 1970-2010)”, revue Flux, n°85-86, mars 2011. Oxman Neri, interview par CNN, “Printing 3D Buildings: Five tenets of a new kind of architecture”, [en ligne], CNN, décembre 2012. Plemenka Supic, “L’aspect bioclimatique de l’habitat vernaculaire” revue Architecture et Comportement, Vol 10, n°1, 1994. Protais Marine, “Pourquoi les filaments biosourcés intéressent l’impression 3D” [en ligne], Usine Nouvelle, février 2016. https://www.usinenouvelle.com/editorial/pourquoi-les-filaments-biosourcesinteressent-l-impression-3d.N381710 89


Revedin Jana, “La conception radicante : temps, besoins, expérimentation” revue Stream, n°4, 2017. Ruiz Javier, “Hi-tech+Low-tech”,[en ligne], architecture foundation, 2016. http://www.architecturefoundation.org.uk/schools/design/hi-tech-low-tech/ Rumpala Yannick, “L’impression tridimensionnelle comme vecteur de reconfiguration politique” [en ligne], blog de Yannick Rumpala, février 2012. https://yannickrumpala.wordpress. com/2012/02/02/impression-tridimensionnelle-et-reconfiguration-politique/ SCC (Standards Council of Canada), “Les normes. Pourquoi sont-elles importantes ?” [en ligne], Introduction aux normes et au CCN. https://www.scc.ca/fr/participation-des-intervenants/modulesdinitiation/introduction-aux-normes-et-au-conseil-canadien-des-normes/chapitre-3-les-normespourquoi-sont-elles-importantes Seay Stephanie, “Exploring Bioderived Composite Materials: ORNL 3D Prints DesignMiami Pavilions” [en ligne], ORNL (Oak Ridge National Laboratory), février 2017. https://www.ornl.gov/content/exploringbioderived-composite-materials-ornl-3d-prints-designmiami-pavilions Sezgin Halûk, “À propos de l’architecture vernaculaire”, Plovdiv, ICOMOS, octobre 1979. Taylor-Foster James, interview de Cathie Clarke, “How can we hold on to heritage skills” [en ligne], ArchDaily, juin 2014. https://www.archdaily.com/522020/how-can-we-hold-on-to-heritage-skills Tinq Benjamin, interview de Tomas Diez, “La FabCity : “Une ville connectée, résiliente et circulaire””, [en ligne], Circulate News, décembre 2016. http://circulatenews.org/2016/12/la-fab-city-cest-bien-plusquune-ville-remplie-de-fab-lab/ Twigg Melissa, interview de Enrico Dini, “Story of world’s first industrial-scale 3D printer is a story of sacrifice” [en ligne], SCMP, décembre 2016. http://www.scmp.com/magazines/post-magazine/long-reads/article/2050702/story-worlds-firstindustrial-scale-3d-printer

Sites CNRTL Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/portail/ Emerging Objects, http://www.emergingobjects.com/ Géoconfluences, http://www.géoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/ IAAC (Institute for advanced architecture of Catalonia), http://iaac.net/, https://iaac.net/research-projects/ large-scale-3d-printing/on-site-robotics/, http://robots.iaac.net/, https://iaac.net/research-projects/largescale-3d-printing/terraperforma/ Réseau Français des Fablabs, http://www.fablab.fr/les-fablabs/carte-des-fablabs/, http://fabcity-nancy.fr/ Encyclopédie Universalis, https://www.universalis.fr/ WASP, http://www.wasproject.it/, http://www.wasproject.it/w/en/il-muro-di-terra-e-paglia-alle-soglie-dei3-metri/ Wikipédia, https://www.wikipedia.org/ XtreeE, https://www.xtreee.eu/ 90


Références Visuelles et Audios Anger Romain, “La Terre et les fibres végétales : matériaux de construction du futur”[en ligne], conférence, Le 308 Bordeaux, décembre 2015. https://www.youtube.com/watch?v=WJIJb625_O4 Bauwens Michel, interview, Remix the Commons, Entrevues International Commons Conference “Penser les Communs”[en ligne], Berlin, janvier 2010. https://wiki.remixthecommons.org/index.php/ Penser_les_Communs:_Michel_Bauwens_%C3%A0_Berlin Concrete Printing, “Future of Construction Process” [en ligne], mai 2010. https://www.youtube.com/ watch?time_continue=178&v=EfbhdZKPHro) FFB (Fédération Française du bâtiment), “Le bâtiment au coeur du XXIème siècle”[en ligne], Les 24 heures du bâtiment, octobre 2017. https://www.youtube.com/watch?v=GinUEwDFfw8 Gershenfeld Neil, “Unleash Your creativity in a Fablab”, TED Talks, 2006. https://www.ted.com/talks/ neil_gershenfeld_on_fab_labs/up-next?language=fr IMCRC (Innovative Manufacturing and Construction Research Centre), “Future of Construction Process : 3D Concrete Printing“ [en ligne], 2010. https://www.youtube.com/watch?time_continue=178&v=EfbhdZKPHro Jeremy Hoke, “Stone Spray”, projet IAAC, [en ligne], 2012. https://www.youtube.com/watch?v=2dgyj1-DvjY Koffi Abogdjinou Sénamé “L’Africaine d’Architecture et le style néo-vernaculaire” [en ligne], Interview podcast par Yvan Tina, Creative Disturbance, août 2015. https://creativedisturbance.org/podcast/lafricaine-darchitecture-et-le-style-neo-vernaculaire-fr/ Kushner Marc, “Pourquoi les bâtiments du futur seront façonnés par…vous”, TED Talks, 2014. https://www.ted.com/talks/marc_kushner_why_the_buildings_of_the_future_will_be_shaped_ by_you/up-next?language=fr Magnaghi Alberto, “La conscience du lieu“ (Eterotopia France / Rhizome), Conférence et débat, ENSAPB, Paris, octobre 2017. Motte Antoine ,“3ème révolution industrielle et bâtiment, un habitat pour tous” [en ligne], TED Talks Valenciennes, novembre 2015. https://www.youtube.com/watch?v=jT8jbaRSNcA Parvin Alastair, “L’architecture pour les gens par les gens”, Ted Talks, 2013. http://www.alastair_parvin_architecture_for_the_people_by_the_people/up-next?language=fr Revedin Jana, “Radicant - a method for collective empowerment”, TEDxKlagenfurt, novembre 2013. Sinclair Cameron, “My wish: A call for open-source architecture” [en ligne], TED Talks, 2006. https:// www.ted.com/talks/cameron_sinclair_on_open_source_architecture/up-next XtreeE, “The large-scale 3D“ [en ligne], youtube, septembre 2015. https://www.youtube.com/watch?time_continue=79&v=PXImY6z1cKY

91


Mémoires et Recherche Berdah Pauline, L’impact de l’imprimante 3D sur la propriété intellectuelle, mémoire de master en Droit de la Propriété Intellectuelle, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2014. Besse Jean-Marc, Le paysage, entre le politique et le vernaculaire, Réflexions à partir de John Brinckerhoff Jackson, ARCHES, Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines, Paris, juin 2003. Bizet Marine, L’architecture vernaculaire et la modernité architecturale : la relation au paysage, Mémoire de master, ENSAPVS, Paris, 2013. Chauvin Adrien, Quelle place pour l’architecte dans l’accompagnement à l’autoconstruction ? Autoconstruire ensemble, Mémoire de master, ENSAN, Nantes, 2016. Girardet Thibaut, Architecture non standard, mémoire de master, Camondo, Paris, 2012. Gosselin Clément, Matériaux gradués à grande échelle obtenus par fabrication additive, article étudiant, ENSAPM, Paris, 2014. Hamard Romain, Impression 3D moteur d’une nouvelle architecture vernaculaire, Mémoire de master, ULB, Bruxelles, 2014. Preud’Homme Remi, Architectures 2.0, mémoire de master, ENSAVT, Marne-la-Vallée, 2015. Sauve Lucie, Identités vernaculaires, mémoire de master, ENSABX, Bordeaux, 2017. Shaban-Maurer Basil, The roles of the citizen practitioner in citizen engagement for architecture, urban design, and planning policy : A Phronesis-based approach, Thèse, School of Architecture McGill University, Montréal, 2013. Trauchessec Pierrick, L’interprétation de l’architecture vernaculaire par les architectes , Mémoire de master, ENSAT, Toulouse, 2014.

Iconographie Couverture, Alvin Lustig pour “The Wanderer”, https://collection.cooperhewitt.org/objects/18734067/ p.15 Tataouine, Tunisie, https://www.flickr.com/photos/56218767@N07/5476921578/?utm_ content=buffereb999&utm_medium=social&utm_source=pinterest.com&utm_campaign=buffer p.17 Cappadocia, Turquie https://www.adavegastravel.es/tour-category/estambul/page/3/ p.18 Timche-ye, Kashan, https://www.flickr.com/photos/morelcreamsauce/1528801610/ p.19 Lac Titicaca, Pérou, https://dornob.com/living-islands-the-worlds-longest-floating-mobile-homes/ p.20 Loyang, Chine, Rudofsky Bernard, Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture, Garden City (N.Y.), Doubleday & Company, New York, Museum of Fine Arts, 1964. p.24 Impression 3D http://environment.yale.edu/news/article/additive-manufacturing-and-sustainability-the-environmental-implications-of-3d-printing

92

p.28 impression 3D à grande échelle https://www.scoop.it/t/ambiances/?&tag=impression+num%C3%A9rique


p.31 - TICA https://www.build-green.fr/imprimer-une-maison-en-3-d-revolution-pas-si-sur/ - DUS http://houseofdus.com/ - XtreeE https://www.construction-products.eu/application/fil es/8115/2481/4009/20170322102909-2017_03_21_high-tech_3dprinting.pdf et https://www.youtube.com/watch?time_continue=79&v=PXImY6z1cKY - IAAC Terraperforma https://iaac.net/research-projects/large-scale-3d-printing/terraperforma/ - IAAC “On Site Robotics” https://www.youtube.com/watch?v=a8YOzYTYst4 - IAAC “Minibuilders” https://iaac.net/research-projects/large-scale-3d-printing/minibuilders/ Emerging Objects, http://www.emergingobjects.com/project/star-lounge/ p.32 HangPrinter https://www.3dnatives.com/hangprinter-imprimante-3d-suspendue-09032017/ p.33 D-Shape https://www.3ders.org/articles/20130412-dshape-wins-top-prize-in-nyc-waterfrontconstruction-competition.html et https://www.3dprinter.net/man-who-prints-houses p.34 https://www.dezeen.com/2012/08/22/stone-spray-robot-by-anna-kulik-inder-shergill-andpetr-novikov/, https://inhabitat.com/solar-powered-stone-spray-3d-printer-robot-creates-entirebuildings-from-sand/sandsprayarchitectureiaac3dprinteronbeach/ et https://www.youtube.com/ watch?v=2dgyj1-DvjY p.35 Analyse thermique Terraperforma https://iaac.net/research-projects/large-scale-3d-printing/ terraperforma/ p.36 WASP, Shamballa Village https://loves.domusweb.it/wasp-3d-earth-house/, http://www.wasproject.it/w/en/3d-printed-houses-for-a-renewed-balance-between-environment-and-technology/, http:// www.wasproject.it/w/en/a-shamballa-la-casa-continua-a-crescere/ p.37 Emerging Objects, Tuiles “Seed Stitch” et Gcode-Clay https://inhabitat.com/tactile-cabin-of-curiosities-was-built-with-4500-3d-printed-ceramic-tiles/ et http://www.emergingobjects.com/project/ gcode-clay/ p.38 Floatsam&Jetsam https://www.branch.technology/projects-1/2017/6/9/shop p.39 Divers projets de Emerging Objects http://emergingobjects.com/ p.46 Communauté Internet http://entreprise-digital.com/category/business-internet/lemergence-des-communautes-dutilisateurs p.57 Emerging Objects, Gcode-Clay http://www.emergingobjects.com/project/seed-stitch/ p.65 Ventilation naturelle, Pakistan, Rudofsky Bernard, Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture, Garden City (N.Y.), Doubleday & Company, New York, Museum of Fine Arts, 1964. p.69 Emerging Objects, “DIY Recipes”, Rael Ronald et San Fratello Virginia (Emerging Objects), Printing Architecture, Innovative Recipes for 3D printing, Princeton Architectural Press, New York, 2018. p.75 WASP, lancement de l’imprimante 3D BigDelta http://www.wasproject.it/w/en/category/shamballa-technological-village/ p.77 Fenêtre Muscatese et Cool Brick http://www.emergingobjects.com/project/cool-brick/ p.79 Shibam, Yémen https://generationvoyage.fr/shibam-manhattan-du-desert-yemen/ 93


94


95


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.