RAPPORT D’OBSERVATION Audience n°1 - AFFAIRE BARRAKET ESSAHEL CHAMBRE CRIMINELLE SPÉCIALISÉE À TUNIS 25.10.2018 Le 25 octobre s’est tenue la 1ère audience du dossier de l’affaire Barraket Essahel devant la chambre criminelle spécialisée en Justice Transitionnelle de Tunis. Le dossier a été transmis à la chambre spécialisée de Tunis par l’Instance Vérité Dignité (IVD) le 29 Mai 2018. Un représentant d’Avocats Sans Frontières (ASF) était présent en qualité d’observateur. Il a pu accéder à la salle d’audience. Lieu : Tribunal de Première Instance de Tunis Date : 25 octobre 2018; 10h00 – 22h00 Accusés et qualité au moment des faits :
Zine El Abidine Ben ali, Président de la république Abdallah El Kallel, Ministre de l’intérieur Mohamed Farza, Chef direction de la Sûreté militaire Mohamed Guezguez, Procureur général de la Cour militaire permanente de Tunis Faouzi Aloui, sécurité militaire Moussa Khalfi Mustapha Ben Moussa, sécurité militaire Mohamed Ali Ganzaoui, Directeur des services spéciaux en 1991 Abderrahmen Guesmi, Agent de la sécurité Ezzeddine Jnayeh, Directeur de la sureté présidentielle en 1991 Mohamed Naceur Alibi, Agent de la sécurité Zouhaier Rdissi, Agent de la sécurité Houcine Jalleli, Agent de la sécurtié
Parties civiles : Kamel Allouche ; Ali Smida ; Achouri Cheffai ; Noureddine Jomni ; Abdelwaheb Zagdoudi ; Tayaa Ennayli ; Bechir Ben Mansour ; Mohamed Ben Sidhom ; Mohamed Mekki Omri ; Mehdi Ben Amor ; Ali Ben Ahmed ; Mohamed Hedi Dridi ; Abdelwaheb Selmi ; Abdessattar Abidi ; Taoufik Aouadi ; Aabcha Cheybi ; Mehdi Aadouni ; Habib Amara ; Rached Ghribi ; Abdelfateh El Haj ; Mohamed Ben Amor ; Mohamed Yahyaoui ; Terzi Ben Amor ; Abou Medyen Hafdhi ; Fadhel Wergui ; Abderrazek Jalleli ; Mohamed Nakoussi ; Brahim Afi ; Imed Eddine Bardi ; Slimène Matoussi ; Bechir Ben Mansour ; Abdessalem Ben Smid ; Saïd Frifta ; Mohamed Ridha Kallel ; Belgacem Ncira ; Mohamed Hazmi ; Mohamed Tahri ; Fethi Chtioui ; Mohamed Naceur Laabidi ; Jamel Dridi ; Abdallah Ben Hssine ; Mohamed Wakil ; Salem Bouzema ; Jamel Hachem ; Hedi Ferjeni ; Hammadi Ghazouani ; Abdallah Sghaier ; Ali Ben Salem ; Hédi Tijani ; Jamel Mihoub ; Hédi Arfaoui ; Sami Kourda ; Abdelwaheb Jdidi ; Fethi Hafssi ; Habib Ben Amor ; Mustapha Zomita ; Abdelwaheb Abouda ; Hssen Werghui ; Nasser Ben Mansour ; Wahid Fakhfakh ; Mohamed Khalfallah ; Kamel Slim ; Mohsen Manai ; Radhouen Ezzine ; Salah Arfaoui ; Hédi Kolsi ; Ahmed Ghiloufi ; Salem Kardoun ; Habib Khadimallah Résumé des faits : En 1991, 244 militaires tunisiens ont été arrêtés par la police et torturés par des officiers de la Sûreté de l’Etat en raison de leur participation à une réunion supposée tenue le 06/01/1991 à Barreket Essahel (situé à Hammamet) durant laquelle il aurait été décidé qu’ils mèneraient un coup d’Etat militaire contre le régime en place. Certains parmi eux ont été libérés après un mois de torture, d’autres ont été condamnés par la justice militaire.
Cette affaire représente le premier procès postrévolutionnaire contre les crimes de torture commis par l'ancien régime, traité par le tribunal militaire de première instance de Tunis. La chambre correctionnelle militaire a rendu son verdict le 29 novembre 2011 et a condamné Zine El Abidine Ben Ali à cinq ans de prison par contumace, Abdallah Kallel et Mohamed Ali Ganzaoui et Abderrahmen Kas à quatre ans et Ezzeddine Jnayeh, Zouhaier Redissi, Houcine Jallali et Bechir Redissi à cinq ans de prison. Le 7 avril 2012 la chambre correctionnelle de la cour d'appel militaire a réduit à deux ans de prison la peine des accusés Mohamed Ali Ganzoui, Abderrahmen Guesmi, Mohamed Ennacer Alibi et Abdallah Kallel. Charges :
Torture Licenciement abusif Retraite forcée Procès non équitable
Atmosphère générale La société civile et les journalistes étaient présents à l’audience. A l’extérieur de la salle, un écran et des chaises permettaient au public qui était dans l’incapacité d’assister à l’audience de suivre le procès. La prise de photos et de vidéos était autorisée. L’association des anciens militaires « INSAF » était présente et a distribué des prospectus d’information sur l’affaire. Déroulé de l’audience L’audience a commencé par une demande de l’avocat de l’accusé M. Farza, qui a invoqué un vice de procédure. Il a considéré que l’IVD n’avait pas la qualité le 29 mai 2018 de transmettre le dossier de cette affaire aux chambres spécialisées vu qu’elle a été dissoute. L’avocat a également relevé que la loi de 2013 relative à la justice transitionnelle était selon lui contraire à l’article 110 de la constitution, qui interdit la promulgation de toute loi qui ne respecte pas le procès juste et équitable. Enfin, il a mis en cause la légalité des travaux d’investigation réalisés au sein de l’IVD, qui ont été effectués par de simples administrateurs et non par des juges d’instruction professionnels. Pour ces raisons, il a demandé de transmettre le dossier de l’IVD à l’archive nationale. L’un des avocats des victimes a relevé que la lettre d’accusation n°15 avait été transmise dans les délais (le 29/05/2018). Il a rajouté que parmi les accusés ne figure pas le nom de M.Hajji car le ministère de l’Intérieur avait indiqué une fausse identité à son propos. Le juge a constaté que M. Hajji ne figurait effectivement pas dans la liste des accusés. D’autres avocats des parties civiles ont également pris la parole, certains pour insister sur la conformité de ce procès avec la Constitution tunisienne, et d’autres pour demander au tribunal de convoquer les accusés par huissier de justice et prendre les mandats nécessaires contre les accusés qui avaient refusé de se rendre à l’audience. Après suspension d’audience, celle-ci a repris avec l’audition de certaines victimes ayant toutes été arrêtées et/ou torturées au sein du Ministère de l’Intérieur. Audition de la victime S. Kardoun Il a été arrêté le 6 mai 1991 et torturé, avant d’être transféré à l’Hôpital Militaire sous un faux nom. Il a ensuite été jugé devant la Cour Militaire et condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement, en raison de son appartenance au « Mouvement islamiste », non autorisé. Audition de la victime H. Khdimallah Il a été arrêté le 18 mai 1991, et également torturé. Selon cette victime, la torture et le licenciement massif des militaires avaient des raisons politiques dont l’objectif est de priver
l’armée tunisienne de ses hauts officiers afin qu’elle soit toujours sous l’autorité du Gouvernement. La victime a indiqué qu’elle avait été convoquée à une réunion avec le Ministre de l’Intérieur qui lui a alors présenté ses excuses en lui demandant de ne pas parler devant les médias et de ne pas accuser des individus innocents. Audition de la victime H. Kolsi Il a été arrêté le 22 mai 1991, torturé puis transféré à l’Hôpital Militaire sous un autre nom. Une fois les soins reçus, il a été transféré au centre de détention de Bouchoucha puis à la prison de Mornag. Par la suite il a été convoqué pour rencontrer A. Seryati, alors Directeur de la sureté nationale, qui lui a présenté ses excuses en priant la victime de dire que ses dommages physiques avaient été provoqués par un accident de la route. Audition de la victime A. Ghiloufi Il a été arrêté le 21 mai 1991 et torturé pendant 49 jours par les accusés A. Guesmi et Z. Rdissi et d’autres personnes. Il a par la suite été jugé par la justice militaire et condamné à 18 mois de prison. Selon les parties civiles, le Ministère de la Défense Nationale, le Général Lekhlifi ainsi que le Général Farza sont les accusés qui assument une grande part de responsabilité des violations commises parce qu’ils n’ont pas protégé les Officiers de l’Armée Tunisienne victimes dans cette affaire. L’audience a s’est terminée vers 22 heures. La Cour a alors décidé de reporter l’affaire à la date du 26/12/2018. Elle a en outre décidé d’assurer la convocation des accusés par huissier de justice et la prise de mandats contre ceux qui avaient refusé de comparaître.