RAPPORT D’OBSERVATION Audience n°4 - AFFAIRE NABIL BARRAKETI CHAMBRE CRIMINELLE SPÉCIALISÉE DU KEF 06/02/2019 Le 06/02/2019 s’est tenue la quatrième audience du dossier de la victime Nabil BARAKATI devant la chambre criminelle spécialisée en Justice Transitionnelle du Kef. Le dossier a été transmis à la chambre spécialisée du Kef par l’Instance Vérité Dignité (IVD) le 18 avril 2018. Un représentant d’Avocats Sans Frontières (ASF) était présent en qualité d’observateur. Il a pu accéder à la salle d’audience facilement. Lieu : Tribunal de Première Instance du Kef Date : 06 février 2019 ; 10h25 à 12h30 Accusés et qualité au moment des faits : •
Fatteh Ben Ammar AMMAR (décédé), chef du poste de police de Gaafour
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Farhat Ben Aziz ALBOUCHI, agent de sécurité au poste de police de Gaafour
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Arbi Ben Béchir HAMDI, agent de sécurité au poste de police de Gaafour
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Abderrahmane OUERGHUI.
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Abdessatar SALHI.
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Noureddine NAFTI.
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Mohamed Salah MEJRI.
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Hamadi SELMI.
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Ali Ben DOUA.
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Zine El Abidine BEN ALI en sa qualité de ministre de l’intérieur.
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Habib BOURGUIBA (décédé) en sa qualité de chef d’Etat.
Parties civiles: •
Les ayants droits de la victime N. BARAKATI.
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L’organisation mondiale contre la torture (OMCT).
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Ligue tunisienne pour la protection des droits de l’homme (LTDH).
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Le parti ouvrier tunisien.
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Le forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).
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L’organisation contre la torture en Tunisie (OCTT).
Résumé des faits : A la suite de distribution de tracts intitulés «le conflit entre les destouriens et les frères musulmans n’intéresse pas le peuple» par le Parti ouvrier communiste tunisien (POCT), le régime en place à l’époque a procédé à une grande campagne d’arrestations ciblant en particulier les militants de ce parti. Le 28 avril 1987, les forces de l’ordre ont arrêté Chadli JOUINI qui, sous la torture, aurait avoué déclarer Nabil BARAKATI comme celui lui ayant donné l’ordre de distribuer les tracts. Nabil BARAKATI, dirigeant au sein du POCT, a été arrêté le 28 avril 1987 par les forces de l’ordre opérationnelles au poste de police de Gaafour. Il semble qu’il n’y avait aucune autorisation légale pour l’arrestation de Nabil BARAKATI, que le procureur de la République n’était pas informé de son arrestation et que les registres de garde à vue n’indiquaient pas sa mise en garde à vue entre le 28 avril et le 8 mai 1987. Durant toute cette période
d’arrestation, Nabil BARAKATI aurait subi de multiples actes de torture. Nabil BARAKATI a été retrouvé mort le 9 mai: entièrement nu, une balle dans la tête et gisant sur le sol à côté d’une conduite d’eau à 300 mètres du poste de police de Gaafour. Un révolver appartenant à l’agent Nejib OUESLATI a été retrouvé à côté du cadavre de Nabil BARAKATI. Il s’agissait d’une mise en scène pour simuler la fuite puis le suicide de Nabil BARAKATI. Charges : Violations graves des droits de l’homme, crimes contre l’humanité et notamment les crimes suivants: •
Homicide volontaire (art. 204 C.P.).
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Torture accompagnée de mort (art. 101 bis, 101- 2° C.P.).
• Disparition forcée (art. 1, 3 et 6 de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées). • Arrestation, détention et séquestre sans autorisation légale d’une personne, accompagnés de menaces, violences et de mort (art. 250, 251 C.P.). Atmosphère générale -
En dehors du tribunal:
Contrairement aux audiences passées, le passage devant le palais de justice n’a pas était interdit aux automobilistes. Il n’y a plus de barrages. L’accès au tribunal était libre, il n’y a que quelques policiers devant le tribunal. La date de l’audience a coïncidé avec la date du meurtre du martyr Chokri BELAID c’est ce qui explique que certains activistes étaient présents devant le tribunal avec des banderoles à fixer à l’entrée du tribunal en mémoire au martyr. -
A l’intérieur du palais de justice:
Un journaliste et certaines organisations de la société civile ainsi que certains membres de partis politiques de gauche étaient aussi présents. -
Dans la salle d’audience:
Sur le plan logistique, la salle d’audience n’a pas été équipée d’un matériel de sonorisation contrairement aux audiences précédentes. Aucune projection directe du déroulement du procès dans la salle d’à côté n’a était assurée contrairement aux audiences précédentes. Un paravent était placé dans la salle d’audience pour la protection des témoins. De manière générale les conditions du déroulement du procès peuvent être assimilées à celle du déroulement de n’importe quel procès de droit commun. Elles sont en deçà de ce qui a était garantie pendant les audiences passées. L’accès à la salle d’audience était libre. Les personnes présentes cette fois ci étaient moins nombreuses que ceux qui étaient présentes lors de la première audience.
Seuls trois avocats ont été présents. Une avocate de l’un des accusés et deux avocats des parties civiles. Déroulé de l’audience La présidente a commencé, en premier lieu, par réciter les articles définissant la justice transitionnelle au sens de la loi n° 2013-53. Par la suite, elle a remarqué que toutes les demandes écrites présentées antérieurement à la date de l’audience en vue de faire des enregistrements vidéos et la prise de photos dans la salle d’audience conformément à l’article 62 du décret loi n° 2011-115 du 02/11/2011 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition ont été acceptées. La présidente a par la suite appelé les parties civiles et leurs avocats et les témoins. Elle a appelé ensuite les accusés dont personne n’a était présente. Elle a appelé aussi les avocats de ces derniers. Par la suite, la présidente a noté les demandes préparatoires des avocats des parties civiles dont seulement deux ont été présentes. L’un d’eux a donné les noms de nouveaux témoins qu’il désire qu’ils soient auditionnés. Les deux avocats des parties civiles ont aussi remarqué qu’ils n’ont pas pu avoir une copie du dossier de l’affaire auprès du greffe, demandant ainsi à la présidente de leur faciliter l’accès aux éléments du dossier. L’un des témoins était présent à la salle d’audience, il s’appelait Ammar OUESLATI et il a été auditionné par le jury tout au long de l’audience. Le témoin A. OUESLATI a été interrogé via le tribunal par un avocat des ayants droit de la victime, par l’avocate de l’un des accusés et par le ministère public. Toute l’audience a été consacrée au témoignage de A. OUESLATI. La présidente a demandé vers la fin de l’audience aux avocats de présenter le plus tôt possible leurs demandes écrites parce qu’elle veut juger le dossier vu le nombre importants qu’elle a en charge, et des dossiers criminels de droits communs, et des dossiers de justice transitionnelle. Observations Générales De façon générale, l’audience s’est déroulée dans des conditions plus ou moins normales. Le jury était attentif, la présidente a enregistré les demandes des avocats des parties civiles. Néanmoins, nous avons remarqué cette fois ci que le procès a été banalisé dans le sens où la salle n’a pas été aménagée comme aux audiences précédentes; il n’y a plus d’enregistrement sonore ni de projection du déroulé de l’audience. Le public présent parmi les ayants droit de la victime et les activistes politiques et civils était très peu nombreux. Nous avons aussi remarqué que la présidente veut juger l’affaire le plutôt possible au motif qu’elle est débordée par le nombre de dossiers que ce soit en matière criminelle de droit commun, ou en matière de justice transitionnelle. La prochaine audience est fixée pour le 15 mars 2019 pour auditionner un témoin à la demande d’un avocat de l’une des parties civiles, et un mandat d’amener a été décerné par le tribunal à l’encontre de l’ex chef d’Etat Z. A. BEN ALI.