RAPPORT D’OBSERVATION Audience n°5 - AFFAIRE NABIL BARAKETI CHAMBRE CRIMINELLE SPÉCIALISÉE DU KEF 15.03.2019 Le 15 mars 2019 s’est tenue la cinquième audience du dossier de la victime Nabil Baraketi devant la chambre criminelle spécialisée en Justice Transitionnelle du Kef. Le dossier a été transmis à la chambre spécialisée du Kef par l’Instance Vérité Dignité (IVD) le 18 avril 2018. Un représentant d’Avocats Sans Frontières (ASF) était présent en qualité d’observateur. Il a pu accéder à la salle d’audience. Lieu : Tribunal de Première Instance du Kef Date : 15 mars 201 ; 10h55 – 16h17 Accusés et qualité au moment des faits :
Fatteh Ben Ammar AMMAR (décédé), chef du poste de police de Gaafour. Farhat Ben Aziz ALBOUCHI, agent de sécurité au poste de police de Gaafour. Arbi Ben Béchir HAMDI, agent de sécurité au poste de police de Gaafour. Abderrahmane OUERGHUI. Abdessatar SALHI. Noureddine NAFTI. Mohamed Salah MEJRI. Hamadi SELMI. Ali Ben DOUA. Zine El Abidine BEN ALI, Ministre de l’intérieur. Habib BOURGUIBA (décédé), Chef d’Etat.
Parties civiles:
Les ayants droits de la victime N. BARAKATI. L’organisation mondiale contre la torture (OMCT). Ligue tunisienne pour la protection des droits de l’homme (LTDH). Le parti ouvrier tunisien. Le forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES). L’organisation contre la torture en Tunisie (OCTT).
Résumé des faits : A la suite de distribution de tracts intitulés «le conflit entre les destouriens et les frères musulmans n’intéresse pas le peuple» par le Parti ouvrier communiste tunisien (POCT), le régime en place à l’époque a procédé à une grande campagne d’arrestations ciblant en particulier les militants de ce parti. Le 28 avril 1987, les forces de l’ordre ont arrêté Chadli JOUINI qui, sous la torture, aurait avoué déclarer Nabil BARAKATI comme celui lui ayant donné l’ordre de distribuer les tracts. Nabil BARAKATI, dirigeant au sein du POCT, a été arrêté le 28 avril 1987 par les forces de l’ordre opérationnelles au poste de police de Gaafour. Il semble qu’il n’y avait aucune autorisation légale pour l’arrestation de Nabil BARAKATI, que le procureur de la République n’était pas informé de son arrestation et que les registres de garde à vue n’indiquaient pas sa mise en garde à vue entre le 28 avril et le 8 mai 1987. Durant toute cette période d’arrestation, Nabil BARAKATI aurait subi de multiples actes de torture. Nabil BARAKATI a été retrouvé mort le 9 mai: entièrement nu, une balle dans la tête et gisant sur le sol à côté d’une conduite d’eau à 300 mètres du poste de police de
GAÂFOUR. Un révolver appartenant à l’agent Nejib OUESLATI a été retrouvé à côté du cadavre de Nabil BARAKATI. Vraisemblablement, il y aurait des suspicions sur une mise en scène pour simuler une fuite puis un suicide de Nabil BARAKATI. Charges :
Homicide volontaire (art. 204 C.P.). Torture accompagnée de mort (art. 101 bis, 101- 2° C.P.). Disparition forcée (art. 1, 3 et 6 de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées). Arrestation, détention et séquestration sans autorisation légale d’une personne, accompagnés de menaces, violences et de mort (art. 250, 251 C.P.).
Atmosphère générale -
En dehors du tribunal:
Contrairement aux audiences passées, le passage devant le palais de justice n’a pas était interdit aux automobilistes et il n’y avait pas de barrages à l’entrée. L’accès au tribunal était donc libre. Certains activistes et représentants de partis de gauche étaient présents devant le tribunal avec des banderoles fixées à l’entrée sur la clôture du tribunal. -
A l’intérieur du palais de justice:
Un journaliste, certains représentants des organisations de la société civile ainsi que des membres de partis politiques de gauche étaient présents. Ils étaient une dizaine au total. Des agents de police étaient là pour assurer la sécurité au sein du tribunal. -
Dans la salle d’audience:
Sur le plan logistique, la salle d’audience n’a pas été équipée d’un matériel de sonorisation contrairement aux audiences précédentes. Aucune projection directe du déroulement du procès à l’extérieur n’a été assurée contrairement aux audiences précédentes. Un paravent était placé dans la salle d’audience pour la protection des témoins. De manière générale les conditions du déroulement du procès sont qualifiées de normales, bien qu’elles sont en deçà de ce qui a était garanti pendant les deux premières audiences. L’accès à la salle d’audience était libre. Une dizaine de personnes présentes dans la salle d’audience. Huit avocats ont assisté à l’audience. Une avocate de l’un des accusés et les sept autres, avocats des parties civiles. Déroulé de l’audience La présidente a commencé par appeler les ayants droit de la victime, les parties civiles et leurs avocats. Elle a appelé ensuite les accusés dont aucun n’a répondu présent. Par la suite, la présidente a noté les demandes préparatoires des avocats des parties civiles. Me MAROUANI a donné le nom d’un nouveau témoin Salah Ben Mohamed JENDOUBI afin de procéder à son audition. Un autre avocat d’une des parties civiles, Me TOUKEBRI a retiré sa demande d’auditionner un témoin vu son impossibilité à comparaître.
Par la suite, les avocats des parties civiles ont demandé avec insistance, à la présidente, que leur soit permis d’avoir une copie de toutes les pièces du dossier tout en notifiant qu’ils ont rencontré des difficultés à avoir une copie du dossier auprès du greffier. La présidente a rétorqué qu’ils étaient en droit de le faire auprès du greffe de la chambre à n’importe quel moment. Ceci étant, le tribunal a auditionné les témoins suivants: -
Mr Salah Ben MESSAOUD: Président du tribunal cantonal de GAÂFOUR au moment des faits.
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Mr Mostafa SELLITI: Procureur de la république au Tribunal de Première Instance de SILIANA au moment des faits.
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Mr Moncef HAMDOUN: Médecin légiste ayant rendu le rapport médicolégal de la victime au moment des faits.
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Mr Salah JENDOUBI: Voisin de la victime, au moment des faits et parmi les premiers à avoir vu le cadavre.
Audition de Salah Ben MESSAOUD:
Le témoin a rapporté avoir entendu, le 09/05/1987, quelqu’un frapper à la porte du tribunal cantonal de GAÂFOUR. Il trouva deux agents de police à l’extérieur l’informant que le chef du poste de police de GAÂFOUR l’a appelé plusieurs fois par téléphone pour l’informer qu’un détenu s’est enfui de la geôle du poste et s’est suicidé à l’aide d’un révolver appartenant à l’un des policiers. Ils lui ont demandé de se déplacer sur le lieu où se trouve le cadavre pour faire un constat et donner un ordre d’enterrement. Le témoin a ajouté qu’il a refusé la demande du chef du poste de police parce que la victime a été arrêtée et détenue hors la loi à son insu (absence de mandat d’arrêt délivrée par lui) tout en demandant au chef de police de ne rien faire jusqu’à ce qu’il en informe le procureur de la république au Tribunal de Première Instance de SILIANA. Il aurait donc appelé le procureur de la république auprès du Tribunal de Première Instance de SILIANA pour l’informer de la situation telle que récitée par la police, sans se déplacer sur les lieux. Le procureur de la république lui aurait dit qu’il allait se déplacer sur le lieu pour dresser un constat.
Audition de Mostafa SELLITI:
Le témoin raconte qu’il a pris connaissance de l’affaire suite à deux appels téléphoniques, l’un provenant du président du tribunal cantonal de GAÂFOUR, l’autre provenant du chef du poste de police de GAÂFOUR. Par la suite, il s’est déplacé sur les lieux où il a trouvé le cadavre de la victime avec un révolver au niveau de l’extrémité de sa main droite, sous sa jambe droite. Il a aussi trouvé beaucoup de personnes autour du cadavre.
Audition de Moncef HAMDOUN:
Le témoin a répondu aux questions du tribunal et des avocats, d’ordre technique sur son rapport médicolégal
La chose la plus importante sur laquelle le témoin a insisté c’est qu’au moment où la victime a reçu une balle dans la tête, elle était vivante. Donc, la cause de la mort était bel et bien la balle qu’a reçue la victime au crâne.
Audition de Salah JENDOUBI:
Au moment des faits, le témoin était un ouvrier aux chemins de fer. Il était le premier à avoir vu le cadavre de la victime en raison de la proximité de sa maison. Il a raconté qu’il a couvert le cadavre d’un drap parce qu’il était vêtu d’une culotte seulement. Observations Générales De façon générale, l’audience s’est déroulée dans de bonnes conditions. La présidente a bien organisé l’audience. Le jury était attentif et la présidente a enregistré toutes les demandes des avocats des parties civiles. Elle demande aux avocats, à chaque fois qu’un témoignage est requis, si l’un d’entre eux a des questions à poser au témoin. Des questions précises ont été posées aux témoins par les avocats à travers le tribunal. Mais aussi le tribunal ainsi que le parquet ont posé à leur tour des questions aux témoins. La prochaine audience est fixée pour le 31 mai 2019 et le tribunal a décidé ce qui suit comme jugements préparatoires: -
Assignation de nouveau, des parties qui n’ont pas pu ou voulu comparaître.
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Revenir sur le jugement préparatoire précédemment pris, qui consistait à demander au ministère de l’intérieur les dossiers disciplinaires des accusés.
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Ajout du dossier de l’affaire en cassation N° 40141.
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Autoriser aux avocats d’avoir copie de toutes les pièces du dossier.