Aissa Kechida
LES ARCHITECTES DE LA RÉVOLUTION Témoignage
CHIHAB EDITIONS
LES ARCHITECTES DE LA RÉVOLUTION Témoignage
PREFACE
Des pans entiers de l'histoire de la révolution algérienne demeurent dans l'ombre. Plusieurs facteurs sont à l'origine de cet état de fait. Le premier réside, évidemment, dans l’exigence de la clandestinité la plus rigoureuse
imposée
au
mouvement
national
révolutionnaire
par
les
conditions du combat contre le régime colonial. D’autres éléments sont venus, avant et après l’indépendance, se greffer aux raisons originelles. La conjonction de ces facteurs a déterminé chez la génération du mouvement de libération nationale, une vision confinée de l’Histoire, mélange de méfiance et de distanciation. Cette vision a prévalu - et domine encore - chez beaucoup d’acteurs de cette période. L’accession de notre pays à l’indépendance, dans les circonstances difficiles et complexes que nous connaissons, n’a pas modifié cette vision de
l’Histoire.
révolutionnaire,
Plus est
gravement, venue
aux
s’ajouter
contingences
la
manipulation
de
la
guerre
politicienne,
par
l’exagération, la réduction schématique ou l’occultation pure et simple. Le manque d’informations, la pénurie de témoignages et la rareté de la documentation ont certainement favorisé ces pratiques. Le manque d’information est ressenti par tous ceux qui s’intéressent à cette période de notre histoire. Cette carence est plus ou moins aiguë selon les moments examinés. La phase qui s’étend de la découverte de l’OS au déclenchement du 1er novembre en est, à cet égard, une illustration exemplaire. Or, cette période est cruciale pour la connaissance du processus de mutation
du
mouvement
national
révolutionnaire,
couronné
par
le
déclenchement de la lutte armée le 1er novembre 1954. Elle est aussi l'une des plus riches en activités de certains anciens responsables de l'OS. Activités que l'on pouvait considérer, au regard du règlement du Parti,
comme
un
travail
fractionnel.
Mais,
l’Histoire
promoteurs ne s’inscrivaient nullement, dans cette optique. 7
l’a
montré,
ses
Les architectes de la Révolution Les
conditions
initiateurs
de
très
ces
particulières
entreprises
de
l’époque
s'entouraient
de
expliquent trois
que
les
cercles
de
clandestinité : à l’égard de l’administration française, évidemment ; vis-àvis de la direction du Parti ensuite et même à l’endroit de nombreux militants de l’OS qui n’étaient pas encore associés à l’entreprise, et qui le seront beaucoup plus tard. En 1971, le frère Mohamed Boudiaf avait levé le voile sur quelques épisodes de cette période dans ses écrits sur la préparation du 1er novembre, publiés à l’extérieur du pays par le journal d’opposition " El Jarida Ce témoignage est une contribution importante à l’histoire de cette
période
et
constitue
une
reférence
essentielle
pour
d’autres
recherches. Sans avoir pris connaissance de l’article de Boudiaf, j’ai rédigé moimême, en 1975, pour la revue " Al Assala " (numéro spécial à l’occasion de l’anniversaire du 1er novembre) un témoignage sur cette période. Cette contribution, malgré les non-dits volontaires, avait soulevé, d’après le regretté Mouloud Kassim, directeur de la revue, de vives réactions en haut lieu et a même été qualifiée de " tentative de résurrection des morts !" Tout récemment s’est tenu, sous l’égide de la Fondation Mohamed Boudiaf (Il et 12 mai 2001) un séminaire centré sur cette période. Le thème en était : "Tentatives de coordination des armées de libération au Maghreb ", et a réuni, pour la première fois à ma connaissance, des acteurs, des témoins et des historiens des trois pays maghrébins. Ses travaux
ont
enregistré des témoignages intéressants.
Leur publication
constituera une contribution importante à l’histoire des mouvements de libération nationale maghrébins. Le
témoignage
justement
centré
que
le
frère
sur
cette
Aissa
période
Kechida et
publie
prolonge
aujourd’hui
heureusement
est ces
contributions. Militant de première heure, le frère Aïssa a été mêlé, comme acteur et comme témoin, aux événements de cette période intense, mouvementée et dramatique. Son témoignage contient des éléments importants d’un puzzle complexe, difficile à reconstituer de mémoire. Dans cet exercice ardu,
l’auteur
a
appliqué
une
approche 8
rigoureuse,
honnête
et
Préface caractérisée par un souci méritoire du détail. Son récit fait revivre, pour ceux qui l’ont connu, le climat de l’époque et l'atmosphère qui régnait dans le cercle très fermé de ceux qui ont préparé le déclenchement du 1er novembre. Un éclairage chronologique aurait peut-être rendu ce témoignage plus lisible et surtout plus exploitable pour les chercheurs. Ce souhait n’enlève rien au mérite de Aïssa Kechida ni à l’importance de son témoignage qui constitue un outil précieux pour les chercheurs et les historiens. Sollicité par le frère Aïssa pour préfacer ce témoignage, je suis très sensible à cette marque d’amitié et de fidélité forgée dans le combat. Mais, en acceptant, j’ai été confronté aux questions que se posent les hommes et les femmes de ma génération, quand elles sont amenées à aborder l’histoire. Parmi ces interrogations, la première qui vient à l’esprit est
:
que
peuvent
représenter
des
témoignages,
les
détails
d’une
expérience personnelle, devant le déferlement torrentiel de l’histoire ? Quelle utilité cette contribution est-elle susceptible de présenter pour l’actualité et surtout pour l’avenir ? Et en l’espèce, comment préfacer un témoignage sans altérer son originalité ? J’ai opté pour une tentative de restitution
du
contexte
général
dans
lequel
s’insèrent
les
faits
et
événements rapportés par l’auteur. Cette approche peut fournir, dans certains cas, des grilles de lecture. La période qui va de 1952 à 1954 était dominée par les efforts d’un noyau restreint d’anciens responsables de l’OS, en vue du passage à l’action armée sans attendre l’aval de la Direction politique du Parti. Le projet de déclenchement de la guerre de libération n’est pas la résultante du
différent
entre
Messali
et
le
Comité
Central,
contrairement
à
l'affirmation de nombreux récits historiques. En fait, cette perspective commençait à prendre forme dès 1952. Ses promoteurs ont été surpris par la scission du Parti et ont tout fait pour s’y adapter et persévérer dans la mise en oeuvre de leur projet. Un concours de circonstances a fait que ces responsables de l’OS que je connaissais bien, m’ont toujours associé à leur entreprise au point de me considérer, malgré mes réserves, comme membre de leur groupe. Le point de départ avait été une coïncidence. La Direction du Parti, qui m’avait appelé, début 1952, à une mission au siège central, me logea dans un appartement, sis 13, rue Arbadji Abderrahmane ( ex rue Marengo.) 9
Les architectes de la Révolution C'etait l’appartement où Boudiaf venait travailler tous les jours. De ce fait mes rencontres avec Boudiaf étaient quotidiennes. Jusqu’à son départ pour la France, nous nous voyons parfois même les week-ends, au siège du Journal " El Manar " 16 rue, Debbih Chérif (ex rue de Rovigo). Ces rencontres et ces relations étroites me donnent aujourd’hui l’occasion de rapporter des faits vécus. Au début de 1952, plusieurs jours de discussions sur la situation interne du Parti, et la situation générale en Algérie et au Maghreb aboutirent à la création d’un comité restreint composé de Mohamed Boudiaf, Didouche Mourad, Mustapha Benboulaïd, Larbi Benmehidi. Ce dernier, par précaution, n’assistait pas aux réunions du Comité. Seul Mohamed Boudiaf assurait la liaison avec lui. Au fur et à mesure des réunions, ce Comité prit un certain nombre de décisions et arrêta des axes d’action politique. En voici les principaux : 1. Reconstitution de l’OS sans attendre l’aval de la Direction du Parti, qui risquait d’être dépassée par les événements. En application de cette décision, d’anciens militants de l’OS ont été contactés et des noyaux organisés et implantés à l’Est, à l’Ouest et au Centre du Pays. L’OS fut réactivée dans les Aurès, où elle n’avait jamais été dissoute. Plusieurs tentatives
pour
(notamment
entrer
Krim
et
en
contact
Ouamrane)
avec
les
n’aboutirent
maquisards pas.
de
Certains
Kabylie
éléments,
dans d’autres régions, refusèrent de s’associer à l’entreprise. D’autres, proposés notamment par Didouche Mourad, n’ont pas été retenus à cette étape et seront contactés après l’éclatement du différent entre Messali et le Comité Central. Certains seront associés à la réunion des 22. Le
Docteur
Lamine
Debbaghine
est
le
seul
responsable
politique
contacté dès le début. Mais les contacts avec ce dirigeant n’aboutirent pas 2. Préparation des éléments logistiques de l’action armée. Benboulaïd était
chargé
d’effectuer,
clandestinement,
un
voyage
en
Libye
pour
reconstituer d’anciennes filières d’approvisionnement en armes. Il avait été également chargé d’installer un atelier de fabrication de bombes dans les Aurès, pour fournir les groupes opérationnels dans l’ensemble du territoire national. Le voyage en Libye s’étant effectué dans de bonnes conditions, Benboulaid et Boudiaf en avaient été satisfaits. L’atelier, maigre 10
Préface d’énormes difficultés matérielles et financières, avait été installé à Douar El Hajaj et entrait en phase de production. Malheureusement le dépôt de distribution des bombes installé à Batna explosera, comme je l’évoquerai plus loin. r > 3. Assainir les relations entre la Direction du Parti et les militants de l’OS
en
mobilisant
ceux-ci
dans
un
travail
politique
constructif
susceptible de sortir le Parti de l’impasse dans laquelle il se trouvait après la découverte de l’OS et l’échec de la politique de participation aux élections. Engager l’ensemble des militants dans des campagnes pour amener
la
Direction
à
renoncer
à
la
politique
de
participation
aux
élections truquées organisées par l’administration coloniale, et décider la reconstitution de l’OS sur des bases nouvelles. Ce travail politique était considéré comme très important du fait qu’il fallait éviter l’affaiblissement politique du Parti tout en préparant l’action armée. C’est dans cette perspective que Boudiaf et Didouche ont toujours accepté les missions politiques dont ils avaient été chargés par la Direction ; notamment leur envoi en France. Certains anciens responsables de l’OS, ignorant les motivations
réelles
de
ce
comportement,
croyaient
que
Boudiaf
et
Didouche, avaient fait preuve, à ce moment-là de faiblesse à l’égard de la Direction du Parti. 4. Reposer le problème de l’union des partis politiques sur des bases saines et susceptibles de soutenir l’action armée une fois déclenchée. Boudiaf m’avait demandé d’encourager l’initiative de Cheikh Mahmoud Bouzouzou, directeur du journal " El Manar ", d’engager une compagne en faveur de l’union des partis politiques. En tant que collaborateur de cette publication, j’ai tout fait pour que cette campagne, lancée sous la forme de sondage, " Istiftaâ ", réussisse. L’intérêt pour cette campagne avait quelque peu agacé la Direction du Parti qui préparait à ce momentlà dans le secret, un appel pour un Congrès National Algérien. C’est Benboulaïd qui nous informa, après coup, du motif de cet agacement. Les opinions exprimées à l’occasion de ce sondage constituent un vaste panorama, qu’il serait intéressant de revoir, des courants de pensée et des tendances politiques à la veille du bouleversement du 1er novembre. En
effet,
conforter
l’action
armée
par
un large
front politique
a
toujours représenté un souci central dans l’élaboration de la stratégie du groupe.
Cette
préoccupation
s’est
II
exprimée,
au
moment
du
Les architectes de la Révolution déclenchement, sous forme d’un appel à l’adhésion individuelle au FLN, assurément pour dépasser les déchirements causés par le conflit MessaliComité Central. 5.Tirant les leçons de l’échec de toutes les démarches entreprises par le
Parti
auprès
coordonner
la
de
l’Istiqlal
préparation
et de
surtout l'action
auprès
du
armée,
il
Néo-destour a
été
pour
décidé
de
développer les relations avec les militants tunisiens et marocains engagés effectivement dans l’action armée ou susceptible de s'y engager. Cette orientation a connu une amorce de concrétisation lors des contacts établis, vers le mois d’août 1952, avec et par deux officiers marocains, émissaires de l’Emir Abdelkrim El Khattabi : El HachemiTod et Hammadi Aziz, Ces patriotes marocains m’avaient été envoyés par mon ami, le regretté Taher Guiga, grand patriote maghrébin, militant tout à la fois du PPA et du Néo-Destour. La mission des deux émissaires consistait à établir, à l’échelle des trois pays maghrébins, des liens de coordination entre les groupes d’action armée et d’essayer d’implanter des groupes dans les régions qui en étaient dépourvues. Ils me déclarèrent, en fin de compte, qu’ils étaient chargés de demandèrent n’était pas dispositions
cette mission auprès du regretté Ahmed Mezerna, et me de les mettre en contact avec lui. Comme Ahmed Mezerna connu, dans l’opinion des militants, pour présenter des particulières pour l’action directe, je posais à mes
interlocuteurs Mezerna
ou
la
question
voulez-vous
suivante: rencontrer
"
Souhaitez-vous
ceux
qui
peuvent
voir
Ahmed
assumer
la
coordination de l’action armée ? " Mes interlocuteurs semblèrent surpris. Ils échangèrent un regard et répondirent : " Bien sûr, nous voulons voir les responsables de l’action armée. " Dans ces conditions, dis-je, je vous mettrais en contact avec Ahmed Mezerna et d’autres responsables du Parti ; mais surtout avec ceux qui sont capables de préparer l’action armée. " Je les mis en contact avec Boudiaf, après l’avoir informé des détails de cette affaire. Nous devions revoir ces deux émissaires une seconde fois, à leur retour du Maroc où ils accomplirent la même mission. Ils nous déclarèrent que les militants marocains seraient prêts pour l'action armée en 1953.
Le départ de Boudiaf et Didouche en France La direction du Parti demanda, vers la fin de l’été de 1952, à Mohamed Boudiaf
et
Didouche
Mourad,
de
prendre
12
des
responsabilités
dans
Préface l’organisation de la Fédération du Parti en France. Cette proposition fit l’objet de consultations entre Boudiaf et les autres membres du groupe. L’ensemble de ceux qui avaient été consultés donnèrent un avis favorable. L’élément qui avait pesé dans la décision était la perspective de financer, à partir de France, les préparatifs de l’action armée ; tous gardaient en mémoire
les
difficultés
financières
rencontrées
par
Benboulaïd
pour
mettre sur pied l’atelier de fabrication d’explosifs. Avant de quitter l’Algérie, Mourad Didouche me mit en relation avec Zoubir Bouadjadj, responsable d’Alger, tandis que Boudiaf m’introduisait auprès de Ben Abdelmalek Ramdhan, responsable de la région Ouest. Il me donna en plus une adresse pour le joindre en France et la clef d'un code
rudimentaire
qui
servait
de
moyen
de
reconnaissance
entre
responsables du réseau. C’était " Le vent souffle. Cette clef a servi plus tard, en prison, à Zoubir Bouadjadj, qui me l’avait demandée, pour entrer en contact avec Rabah Bitat, mis au secret après son arrestation. En
l’absence
de
Mohamed
Boudiaf
et
Didouche
Mourad,
trois
événements importants sont intervenus : la tenue du congrès du Parti en avril
1953,
l’explosion
de
Batna
en
juillet
de
la
même
année,
et
l’éclatement public du conflit entre Messali et le Comité Central en février 1954. Je passe ces faits en revue, dans l’ordre chronologique, plus loin. Mais je tiens à signaler immédiatement les impacts importants de ces événements sur le projet du groupe. Si l’accident de Batna n'a imposé que la
mise
en
veilleuse
des
préparatifs
matériels
et
l'aménagement
du
planning, la scission du Parti, véritable tremblement de terre politique, a bouleversé les perspectives politiques et l’approche du passage à l’action armée. En effet, l’évolution vers la guerre paraissait inéluctable du fait de l’aggravation de l’affrontement avec le régime colonial et la très probable incapacité du Parti à y faire face. Le conflit entre Messali et le Comité Central rendit nécessaire et accéléra le passage à la lutte armée, bien sûr pour abattre le régime colonial, mais aussi pour transcender les luttes fratricides et éviter l’émiettement des force vives de la nation.
I. Le congrès du Parti - Avril 1953 En avril 1953 se tint à Alger, le congrès du Parti. Ce fut une occasion propice pour un travail politique en profondeur, qui mobilisa l’ensemble 13
Les architectes de la Révolution des militants organisés. Le travail était centré sur deux themes : l'abandon de
la
politique
de
participation
aux
élections
truquées
et
la
reconstitution de l’OS. C’est avec Boudiaf, revenu en Algérie, que cette campagne a été décidée et organisée. Lui-même se trouvant en France au moment de la tenue du congrès, Je coordonnais le travail, avant et pendant le congrès avec Benboulaïd et Ben Abdelmalek Ramdhan. Le résultat de cette campagne fut appréciable. Le congrès décida bien la reconstitution de l’OS, désignée comme " la baraka " dans les écrits confidentiels du Parti, mais laissa à l’appréciation de la direction le problème de la participation ou de la non-participation aux élections. Un mois environ après 'a fin du congrès, Benkhedda vint m’informer que j’étais désigné, par cooptation, en tant que membre du Comité Central. Je réservais ma réponse quelques jours. Je demandais l’avis de Boudiaf revenu entre temps à Alger. Il me conseilla vivement d’accepter et ajouta : " Tu peux coordonner avec Benboulaïd; il en est lui-même membre " J’appris de la sorte que Benboulaïd, avec qui j’entretenais pourtant des relations Central.
confiantes A
cette
et
très
époque,
étroites, pareille
était
déjà
situation
était
membre
du
Comité
considérée
comme
relevant de l’observation normale des règles de la clandestinité ! En
l’absence
événements, changements
de
l’un
Mohamed
d’ordre
importants
Boudiaf
matériel, dans
le
et
l’autre
Didouche politique,
programme
Mourad, imposèrent
d’action
du
deux des
Groupe
:
l’explosion de Batna, et la scission du Parti. Si le premier imposait la mise en veilleuse des préparatifs et l’aménagement du planning, le deuxième, par contre, bouleversait carrément les perspectives politiques
2. L’explosion de Batna Benboulaïd s'était acquitté efficacement de la mission dont il avait été chargé : la mise au point d’un atelier de fabrication d’engins explosifs installé au douar El Hajaj (Aurès). La production était devenue suffisante pour envisager national.
sa
distribution
sur
les
différents
points
du
territoire
Comme première étape, Benboulaïd entreposa une bonne partie du stock dans le magasin d’un militant (Monsieur Mechelek), situé 20, avenue 14
Préface de France à Batna. Le dimanche 19 juillet 1953, le dépôt explosa.Toute la ville
fut
en
accoururent
émoi.
sur
les
L’ensemble lieux
et
des furent
autorités
civiles
confrontées
à
et
militaires
la
découverte
inattendue d’un véritable arsenal. J’appris la nouvelle de cette explosion par Benboulaïd qui vint me voir à Alger. Il me tendit simplement, sans perdre son sourire habituel, une coupure de "La Dépêche de Constantine ", qui relatait cet accident. A sa lecture, je pouvais mesurer l’étendue de la catastrophe. Cela me fit penser tout de suite à l'incident de Tébessa, qui fut à l’origine de la découverte de l’OS. Mais l’explosion de Batna était un événement de plus grande ampleur et certainement plus spectaculaire. J'envoyais le jour même, sans commentaires, la coupure du journal à Mohamed Boudiaf, qui ne pu rejoindre Alger que plus tard. Que faire ? Benboulaïd me déclara qu’il allait essayer d’étouffer l’affaire moyennant finance, et qu’il allait demander à cette fin la somme de 250 000 francs à la Direction du Parti. A la question " Comment expliquer à la Direction l’origine de l'explosion ? " Il me dit qu’il allait prétendre qu’il s’agissait d’un dépôt ancien contenant du matériel de l’OS. J’étais sceptique quant à la viabilité de l’interprétation avancée par Benboulaïd. Mais tout fonctionna parfaitement. La Direction déboursa la somme demandée et accepta sans broncher les explications fournies par Benboulaïd. Il
est utile de signaler que l’explosion
connaissance,
mentionnée
accessibles.
Seul
Constantine
un
participant
pendant la
de Batna
n’est, à ma
nulle part dans les documents français à
une
réunion
sécuritaire,
guerre d’Algérie, a déclaré
tenue
à
dans son
intervention : " il me souvient qu’il y a eu une explosion à Batna " !
3. La scission du Parti L'histoire, de la scission du parti et le conflit entre le Président et le Comité
Central,
est
plutôt bien connue. Lors
de
cette crise,
j’avais
suggéré à Benkhedda et Lahouel de rappeler Boudiaf et Didouche à Alger. Les militants
de l’OS qui
n’étaient pas encore intégrés
au réseau,
pouvaient être dispersés et happés par la crise. Le retour de Boudiaf et Didouche à Alger a permis la reprise des activités du Comité et le regroupement progressif des anciens éléments de l’OS. 15
Les architectes de la Révolution La création du CRUA constitue l’épisode majeur de ce conflit, et un facteur
dynamisant
du
processus
de
maturation
du
mouvement
révolutionnaire. Intervenue en pleine exaspération du conflit, la création du Comité Révolutionnaire pour l’Unité et l’Action a été considérée, un peu
superficiellement,
tenant
à
égale
organisation
comme
distance
plus
l'expression
des
complexe,
deux non
d’un
parties.
seulement
noyau
En
neutraliste
réalité,
du
fait
c’était
des
cadres
se une la
composant, mais surtout de par leurs objectifs initialement divergents. En
dépit
de
la
place
qu’elle
occupe
dans
les
récits
historiques,
beaucoup d’aspects de la vie de cette organisation demeurent imprécis ou
complètement
ignorés.
Au
cours
de
son
existence,
dense
et
mouvementée, le CRUA a parcouru en quelques mois les trois cycles de la vie : naissance, développement et disparition. D’après Mohamed Boudiaf, c’est Mohamed Dakhli (dit Si El Bachir) qui lui fit la proposition d’une coalition entre les éléments de l’OS et les permanents du Parti, pour sauvegarder l’unité de la base militante et obliger les responsables à la résolution de la crise. Boudiaf m’ayant demandé mon avis sur cette proposition, j’exprimais un avis réservé. Je craignais que les difficultés qui marquaient encore les rapports entre permanents et éléments de l’OS ne limitent la viabilité de cette alliance. Boudiaf me répondit : " Dans la situation actuelle, cette formule est la seule qui nous permette de nous emparer de la base ! " La suite des événements lui donna raison sur ce point. Au fil des jours, l’aggravation du conflit entre Messali et le Comité Central, l’absence de perspective d’une issue acceptable à la crise, le travail en commun aidant, favorisèrent la cohésion au sein du CRUA et contribuèrent
à
créer
un
climat
de
confiance
entre
les
militants
le
composant. Boudiaf, enthousiaste, m’annonça un jour que cette cohésion était arrivée à un point où les responsables du CRUA, unanimes, avaient décidé d’abandonner les objectifs qu’ils avaient assigné initialement à leur action, pour se consacrer à la préparation du passage à lutte armée. Cette
solution
était
considérée
comme
la
seule
susceptible
de
transcender la crise du Parti et relancer le mouvement de libération national sur des bases nouvelles. Avec cette nouvelle orientation du CRUA, c’était l’ensemble des militants du Parti, et non pas seulement ceux
de
l’OS,
qui
étaient
maintenant 16
appelés
à
s’engager
dans
la
Préface préparation
de
la
guerre
révolutionnaire.
Cette
évolution
du
CRUA
réalise la jonction avec le projet initial des éléments de l’OS, en le légitimant en quelque sorte. Dès ce moment, le passage à la lutte armée devint l’unique solution de la crise que le CRUA devait proposer aux Messalistes et Centralistes. Des démarches en ce sens ont été décidées et effectuées, comme je l’indiquerai plus loin. C’est alors que certains problèmes, initialement occultés, ressurgirent subitement
et
provoquèrent
une
crise
fatale
au
sein
du
CRUA,qui
paraissait prendre sa vitesse de croisière Boudiaf, en colère, vint me voir vers la mi-mai pour m’annoncer la fin du CRUA. Il m’informa qu’une grave altercation était survenue entre luimême et Mohamed Dakhli. Celui-ci lui reprochait de mener un travail parallèle en activant en dehors du cadre arrêté par le CRUA,et estimait que cela témoignait d’un manque de confiance caractérisé. Mohamed Dakhli, homme d’organisation averti, venait de découvrir un fait que les éléments de l'OS avaient dissimulé à leurs partenaires : l’existence d’un réseau qui activait déjà plusieurs mois avant la crise du Parti. J’interrogeais Boudiaf sur les possibilités de dépasser cette crise au sein du CRUA. Sa réponse était catégorique : " Aucune, il faut trouver une autre formule. " A partir de ce moment là, Boudiaf revint a l’approche originelle : préparer l’action armée exclusivement avec un noyau de militants aguerris de l’OS. Ce fut la réunion des 22. La scission du CRUA, a eu pour conséquence la marginalisation, durant plusieurs mois, d'un nombre important de cadres de l’organisation acquis à l’idée de la lutte armée. Cette situation n’a été résorbée, à ma connaissance, qu’après la prise en main de l’organisation à Alger par Abbane Ramdane. Avec le recul, l’épisode du CRUA suscite aujourd’hui des questions importantes : —
Dans quelle mesure la création du CRUA a t-elle alimentée la
méfiance de Messali à l'égard des anciens éléments de l’OS ? Ceci expliquerait peut-être l’échec de la mission de Benboulaïd auprès de ce dernier. —
Dans quelle mesure les prises de position fluctuantes et hésitantes
de certains membres du CC (notamment Hocine Lahouel et Benyoucef 17
Les architectes de la Révolution Benkheda) sur la préparation de l’action armée sont-elles liées à la scission du CRUA ? Mais il est certain que le passage par le CRUA a permis au groupe initial de 1952 d’élargir son audience et d’étendre son autorité au-delà même des rangs de l’OS. Il a surtout permis à ce groupe de se poser en interlocuteur distinct dans le débat politique et la recherche d'une issue à la crise du mouvement national. Fort de cette large adhésion, Il pouvait maintenant affirmer que la lutte armée était la seule solution à la crise. La
crise
ayant
stimulé
les
contacts
et
les
discussions
entre
les
différents protagonistes, le groupe des anciens de l’OS s’était investi pleinement dans ces débats pour plaider l’alternative de la lutte armée. Certains de ces contacts ou discussions méritent d’être connus. J’en rapporte
ici
certains
épisodes
vécus
personnellement.
Cela
pourrait
faciliter la lecture de certaines positions ou nuancer certains jugements. Durant la période où l’entente régnait au sein du CRUA, Boudiaf m'informa qu’une délégation allait être envoyée à la fois auprès de Messali et du Comité Central pour connaître leurs positions respectives sur le passage à la guerre révolutionnaire. Il me montra les questions qui devaient leur être posées. Je pris sur moi d'aller voir les frères Lahouel et Benkhedda, pour les mettre au courant de la démarche à venir, leur disant ceci : " Les questions
auxquelles
vous
devrez
répondre
sont
essentielles
et
très
précises. Elles appellent, à mon avis, des réponses sans équivoque : un oui franc ou un non franc " Ils m’écoutèrent avec attention, ne se confièrent pas à moi et ne laissèrent rien paraître de leurs dispositions. Je
vis
par
la
suite
Benboulaïd,
immédiatement
après
qu’il
les
ai
rencontré. Il était détendu et souriant. Il me dit : " C’est une agréable surprise ! Non seulement les frères sont d'accord pour la lutte armée, mais ils nous ont débloqué un million de francs pour en hâter les préparatifs ! " En revanche, les contacts avec les représentants de Messali à Alger, ont abouti à une fin de non-recevoir. Moulay Merbah estimait que pareilles questions ne pouvaient être discutées qu’avec Messali lui-même. Et c’est finalement avec Messali en personne que le contact a été établi par Benboulaïd au nom du groupe. 18
Préface Messali avait demandé, dans le cadre de la préparation du congrès, de recevoir
un à
un les
membres du
Comité
Central. Benboulaid avait
répondu, comme d’autres membres du CC,à cette invitation. Mais il avait été chargé en même temps par le groupe d’une mission particulière: essayer de convaincre le Président de mettre fin au déchirement du Parti, en lui donnant toutes les assurances que le passage à l’action armée était sérieusement
pris
en
charge
par
le
groupe
des
anciens
de
l'OS.
Benboulaïd n’a pas réussi à convaincre Messali. Il est revenu à Alger déçu et amer. Il m’a dit : " J’ai passé une journée presque entière avec Messali, j’ai eu recours à tous les arguments possibles, sans résultat. Messali m’a écouté
longuement
et
patiemment.
Il
me
répondait
inlassablement,
invariablement, par une sorte de leitmotiv :‘'Tout ceci est très bien, mais il faut d’abord que je nettoie la maison”. Rendant compte au CC réuni de ses entretiens avec Messali, Benboulaïd ne pouvait évoquer la nature de la mission dont il avait été chargé auprès de celui-ci ni les dimensions spécifiques de ces entretiens :il fut à la fois très bref et très explicite. Après avoir exprimé sa grande déception, il s’adressa aux membres du CC en disant: " Mes frères je vous assure que Sid El Hadj mouch radjel (Messali n’est pas un homme)! . Connaissant le respect et l’admiration que Benboulaïd portait à Messali, beaucoup de membres du CC furent surpris. Certains savouraient le langage franc et abrupt du montagnard. Rares étaient ceux qui connaissaient le motif de cette profonde amertume. Les contacts entre le groupe des anciens de l’OS et le Comité Central se déplacèrent en Suisse, pour inclure des représentants de la Délégation Extérieure au Caire. Ils se sont poursuivis pratiquement jusqu’à la veille du 1er Novembre. Je ne peux apporter un témoignage direct sur ces contacts, suivis surtout par M’hamed Yazid et Hocine Lahouel. Mais leur contenu et leurs conclusions ont généré quelques graves malentendus et des divergences d’interprétation. Un exemple, très significatif, est celui relatif à l’éventuelle organisation d’un congrès par le Comité Central en réplique à celui organisé, en Belgique, par Messali L’accélération des préparatifs de l’action armée, décidée pourtant d’un commun accord en Suisse, impliquait-t-elle la non tenue de ce congrès, ou devait-t-elle intervenir après la tenue du congrès ? À la mi-octobre, un ultime contact pour aplanir ces difficultés a été décidé à l’issue d’une session du Comité Central consacrée à un débat 19
Les architectes de la Révolution de fond sur le passage à la lutte armée. C’est le seul débat sur ce sujet auquel
j’assistais.
Généralement
le
traitement
de
cette
question
était
réservé à la Direction, si ce n’est à certains membres de celle-ci. C’est sur la base de la résolution votée à l’issue de cette session que Yazid et Lahouel ont été envoyés au Caire pour poursuivre les contacts. Le débat était dense, franc et animé. Il permis de clarifier la position de chacun des membres du CC. Une minorité, tout en approuvant le principe du recours à l’action armée comme moyen de lutte, invoquait l’impréparation militants
de
matérielle ce
groupe.
pour Un
refuser de
ses
"
l’aventure
porte-parole
"
selon
avança
certains
même
cet
argument : " Ce n’est pas avec des boites de sardine qu’on va libérer l’Algérie ! " Un membre du CC répondit du tac au tac: " Le frère oublie simplement que les boites de sardine font du bruit ! ", exprimant ainsi la position correcte de la majorité qui intégrait dans son évaluation la dimension politique du recours à la violence révolutionnaire. Le premier projet de la résolution a été rejeté par Yazid et Lahouel, avant d’être soumis au vote. Il ne reflétait pas, à leurs yeux, la position du Comité Central. Ils refuseraient, disaient-ils, d’aller au Caire si la position du CC n’était pas clairement arrêtée. La résolution fut amendée dans le sens souhaité par Yazid et votée à l'unanimité. Je ne sais pas si ce texte est conservé quelque part. Ce document revêt une valeur historique indéniable : il exprime la position officiellement discutée et approuvée par le Comité Central sur le passage à la lutte armée. Après la session du Comité central et la réunion des 6 du 23 octobre 1954, j’ai rencontré Boudiaf. Il me paraissait fatigué et tendu. Je l’informais du
déroulement
de
la
réunion
du
Comité
Central
et
la
décision
d’envoyer Yazid et Lahouel au Caire. Il me répondit : " Ils resteront la-bas, où nous avons besoin d’eux. D’ailleurs, ils ne peuvent plus revenir en Algérie : ça sera pour la fin du mois ! " C’est dans ses termes que Boudiaf m'informa de la date du déclenchement de la lutte armée. Il enchaîna pour me demander de l’accompagner en Egypte, ajoutant que les frères de la Délégation du Caire avaient présenté la même demande à Lahouel et Yazid lors de leurs rencontres en Suisse. Je répondis au frère Mohamed Boudiaf que je n’envisageais pas de quitter le pays. Cette réponse, à laquelle Boudiaf ne s’attendait peut-être 20
Préface pas, le peina et l’éxaspéra. Avant de nous séparer, il me dit sèchement : " Je t’ai fait cette proposition parce que tu es un ami et que tu sais beaucoup de chose... Quand nous nous sommes revus au Caire, début 1956, la première chose qu’il me déclara après les retrouvailles fut : "Tu vois que tu as fini par sortir ! "
Voici donc un angle de vision personnel, un panorama forcément incomplet de cette période de notre lutte de libération nationale, dans lequel peuvent venir s’inscrire les faits et les événements collectés avec minutie et décrits avec précision par le frère Aissa Kechida. D’autres témoignages, je l’espère, viendront enrichir et compléter ce tableau. Je pense aux acteurs, encore de ce monde, cités dans cet ouvrage ou à d’autres militants valeureux éloignés de la scène par leur modestie et leur détachement. Je sais que certains d’entre eux, (je pense notamment au Docteur Lamine Debbaghine, à M'hamed Yazid, à Sidi Ali Abdelhamid, à Mohamed Dekhli etc.,) se posent les mêmes questions énumérées au début de cette contribution : que peuvent, en effet, représenter les témoignages, les détails d’une expérience personnelle, devant le déferlement torrentiel de l’histoire ? Quelle utilité cette contribution est-elle susceptible de revêtir pour le présent et surtout pour l’avenir ?Je me suis toujours posé ces questions. J’ai fini par m’en poser une autre : quel est l’intérêt ou l’utilité de taire ces expériences et faciliter la manipulation par notre silence ? Le 20 octobre 2001 Abdelhamid MEHRI
21
PRÉAMBULE
J'ai été servi par l’Histoire. J’ai fait de la prison à Alger, Oran et Berrouaghia. J’ai été interné au camp de rétention Paul Cazelles. J’ai fait le maquis. J'ai été battu, torturé, humilié. Ma santé n'est plus bonne. Je ne regrette rien. Ma récompense est celle d’avoir vu flotter le drapeau algérien et connu les six architectes de la révolution. Simple militant du PPA, mon chemin a croisé celui du charismatique Si Tayeb el-Watani. Celui-ci découvre que mon magasin de tailleur, situé au cœur de la Haute-Casbah, à Alger, présente tous les avantages pour planquer les éléments nationalistes recherchés par la police française. Boudiaf s’établira dans ce local qu’il érigera plus tard en premier siège de l’état-major de la Révolution. Ce qui me permettra de connaître nombre d’acteurs du mouvement national et notamment les cinq artisans de la lutte de libération nationale, rejoints par le géant du Djurdjura. J’ai côtoyé les cinq durant des années, partageant leurs joies et leurs peines. Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Bitat, Didouche, Krim ; six hommes du peuple, dont un mourra dans son lit, trois au combat et deux seront victimes d'une Algérie qu’ils ont libérée des chaînes de I 32 années de colonisation. J’ai connu ces six hommes, je les ai admirés ; aujourd’hui, je les aime. Dans cette modeste contribution, que beaucoup d’amis et de militants m'ont poussé à écrire, je donne, à travers mon itinéraire de militant, un éclairage,
ô
combien
incomplet,
de
quelques
épisodes
de
l’activité
tumultueuse de ces leaders, où j’ai été témoin, parfois complice et souvent acteur.
23
S/TAYEB EL-WATANI A la fin de l’année 1949, je milite dans les rangs du Mouvement pour le
triomphe
des
libertés
démocratiques
(MTLD)
et
active
dans
les
structures de l’Organisation Spéciale (OS) sous les ordres du chef de zone
Mahmoud
Boudiaf,
originaire
de
Batna.
Lors
d’une
rencontre
impromptue dans un café maure à La Casbah d’Alger, il me présente un militant du nom de S/Tayeb. Emmitouflé dans sa kachabia brun foncé, l’homme était grand de taille, mince, les yeux pétillants et parlait avec volubilité et un timbre clair. Il devait me dépasser d’une dizaine d’années. Il était affable et son langage, courtois. Nous discutions de choses banales ; je lui ai indiqué que j’exerçais le métier de tailleur et je venais de décrocher un diplôme décerné par la maison de coupe internationale Daroux. Je lui racontais les discriminations de la chambre de commerce vis-à-vis desAlgériens qui se sont présentés à ce même concours et le comportement raciste des autres candidats de souche française à leur égard. Il me dévisage et, tout en souriant, murmure : "Ils sont en pays conquis". Cette première rencontre avec Si Tayeb, de son vrai nom Boudiaf Mohamed, allait sceller une amitié qui durera plus d’une quarantaine d’années et qui sera sujette à beaucoup de complicité, d’angoisses, de séparations et d'espérance. Nous avons fait durant notre vie de militants un bon bout de chemin ensemble et, lorsque ce jour du 29 juin 1992 à I Ih 30, alors que nous étions en session au Conseil consultatif national (CCN), présidée par Rédha Malek, celui-ci fut mandé au téléphone et, revenant quelques instants plus tard, annonce à une assemblée médusée la funeste nouvelle : "Le président Boudiaf vient d’être assassiné à Annaba". Je perdais un ami, un frère. Etait-il si incommodé qu’il n’a pas eu la présence d’esprit de lever la séance ? Ce jour-là, Rédha Malek n’a pas fait preuve de discernement d’un responsable politique.Je quittais la salle, suivi de Mohamed Che Abbès, 25
Les architectes de ia Révolution deTrodi El-Hachemi et de quelques autres membres. J’étais dans un état second et, tel un somnambule, je rentrais chez moi à pied. Quand, à I 3h 13', devant mon écran de télévision, je vis le visage défait du journaliste annonçant la mort de S/Tayeb,je réalisais pleinement qu’on avait assassiné le chantre de la révolution. Je n’entendais plus rien. Mes larmes ont devancé ma volonté de pleurer, ma gorge se nouait, je pesais une tonne. Je ne savais s’il fallait écouter les informations ou annoncer la nouvelle de l’assassinat à ma femme et mes enfants. Je ne pourrai m’engager à commenter ce triste événement. Quand je fis la connaissance de Mohamed Boudiaf, celui-ci venait d’être muté de Constantine à Alger. Il quittait l’état-major régional de l’Est algérien qu'il avait dirigé, secondé par Larbi Ben M’hidi comme adjoint et trois autres éléments qui s’illustreront plus tard : Didouche Mourad, Guerras Abderrahmane et Lamoudi Abdelkader. Il intégrait l’état-major général de l’OS conformément à une décision de la direction du parti PPA/MTLD, et ce suite à deux événements importants : la crise berbériste et l’exclusion de Lamine Debaghine, membre
de
la
direction.
Concernant
ces
deux
événements,
certains
responsables de haut rang dans les instances du parti ont initié des regroupements pour un cercle restreint afin de justifier les mesures et les décisions arrêtées et annoncer les directives prises au sommet : l’exclusion de nombre de dirigeants de la Kabylie, à l’instar de Omar Oussedik, Ouali Bennaï, Amar Ould-Hammouda, Hadjeres Sadek, Rachid Ali-Yahia et d’autres militants aussi notables. Nous apprenons par la suite l’éloignement de Aït-Ahmed Hocine qui a été prié de céder sa charge de responsable
de
l’OS
au
profit
de
Ahmed
Ben
Bella.
Ces
mesures
constituaient à coup sûr un événement dans la vie du parti. Importante
aussi
était
également
l’exclusion
du
docteur
Lamine
Debaghine à la tête du parti et qui, rentré en conflit avec Messali Hadj, a vu la décision lui être notifiée. Mes relations avec S/Tayeb el-Watani (c’était l’un des pseudonymes de Mohamed Boudiaf) allaient devenir plus denses et plus suivies après mon arrestation
en
décembre
1949
par
la
brigade
de
la
police
de
renseignements généraux (PRG) d’Alger. J’ai été dénoncé par une taupe des
services
français
qui
a
pu
s'infiltrer 26
dans le parti
au
sein
de
Témoignage l’Organisation Politique (OP) et en était devenu un militant. J’en avais fait un ami... qui m’a balancé en m’accusant à tort d’être un responsable de la propagande et de l’information (RPI : une branche dans la structure du parti) assurant la liaison entre Alger et Batna. Je fus gardé quelques jours dans les sous-sols de la préfecture de police d’Alger, soumis à la torture et à des interrogatoires poussés par le commissaire Touron, assisté du sinistre tortionnaire Hamidi, surnommé Docteur Schmidt. Ce dernier était passé maître dans l’art de malmener tout individu nationaliste arrêté. Ce fut une période dure, très dure, mais ma foi était la plus forte. Je me jugeais et, en mon for intérieur, je me stimulais et m’encourageais. Je fus relâché au bout de quelques jours faute de preuves. Si je n’ai pas flanché, je le dois en premier à cette foi inébranlable du militant qui croit en Dieu et ne peut jeter ses compagnons dans les griffes des tortionnaires. "Que ce qui m’arrive ne se renouvelle pas pour des amis,
des compagnons de combat qui vivent dans la clandestinité ; n’ajoutons pas la peur à la peur, le malheur au malheur”. Si je n’ai soufflé mot, je le dois également - et là, je le souligne - à l’intérêt de la formation militante acquise au sein du parti grâce aux cours et leçons de morale et de guérilla puisés dans Le manuel du gradé, relevés dans
le
chapitre
"Attitude
du
militant
devant
la
police",
document
pédagogique qui était mis à notre disposition par le parti. Je ne regretterai jamais cette lecture et l’appréhension de ses préceptes. Grâce à ma foi en l’Eternel et à cette formation militante, j’ai réussi à garder mon sang-froid et à me dominer pour contrecarrer les desseins de la police française et m’en tirer honorablement. Au sortir de la préfecture de police, j’étais fier et content à la fois ; fier car je me suis jaugé et content de ne pas avoir flanché ni dénoncé des frères. A l’époque, un militant, quel que soit son rang dans la hiérarchie du parti, arrêté par la police puis relâché, voyait ses activités gelées. En revanche, il devait garder ses distances vis-à-vis des militants et se tenir à l’écart de l’Organisation pendant une certaine période. Telle était la consigne usuelle dans le parti. Quelque temps après ma libération, je reçois la visite de Boudiaf, venu s’enquérir de mon état. Je lui racontais le film des événements du début 27
Les architectes de ta Révolution à la fin. Je n’omettais rien, allant dans les détails les plus insignifiants. Je mettais
en
exergue
les
questions
posées
par
les
policiers
et
les
tortionnaires lors des séances d’interrogatoire, les actes de torture, les moments de répit, les lieux, les horaires (quoique, à un moment donné, et je l’ai précisé, je ne savais si c’était le jour ou la nuit, ayant totalement perdu la notion de temps et de surcroît interrogé dans une salle aux murs aveugles). Boudiaf m’a écouté attentivement, revenant parfois sur des aspects qui lui
semblaient
confus.
Il
hochait
la
tête
constamment
et
marquait
quelques scrupules et de la compassion lorsque je lui dépeignais les scènes de torture. Il me prodigua des encouragements, me rasséréna puis m’orienta vers le responsable de l’Organisation Politique, en la personne de Sid-Ali Abdelhamid, auquel je devais faire un rapport circonstancié. Après
cette
entrevue,
je
me
sentis
soulagé
car
j’avais
besoin
d’extérioriser ce que j’avais enduré. Cette confession auprès de Boudiaf, qui a été très avenant et fait montre d’une solidarité militante allant droit au cœur, effaçait du coup toutes les souffrances endurées dans les geôles policières.
Boudiaf,
ce
jour-là,
m’a
honoré
de
sa
confiance,
de
sa
sympathie, voire de son amitié. Amitié qui allait se consolider à chaque entrevue et après chaque discussion. Je l’écoutais religieusement et lui vouais du respect tant pour ses qualités humaines que pour ses talents de dirigeant politique. Je crois qu’il avait discerné en moi le militant, l’ami qui serait toujours à ses côtés et le soutiendrait fidèlement. Plus de cinquante années après, Dieu m’est témoin, je ne me suis jamais départi de ces axiomes. Nous
nous
rencontrâmes
embrassèrent tous
plus
les domaines.
souvent
Un soir,
nos
conversations
il vint me
et
chercher pour
l’accompagner à une veillée à laquelle participaient Ahmed Ben Bella, Belhadj-Djillali
(Kobus)
et
Mahmoud
Boudiaf
au
domicile
refuge
de
Reguimi Djillali, sis au 60, rue de La Casbah, proche de ma résidence et refuge au 45 de la même artère.Veillée qui s’est terminée aux aurores et au cours de laquelle j’avais apprécié les différentes interventions des locuteurs et mesuré le degré de leur culture politique. Les discussions, quoique amicales et hors du cérémonial des réunions 28
Témoignage du
parti,
algériens
concernaient
l'état
du
dans
leur
diversité,
toute
pays,
l’analyse
des
l’attente
des
partis
politiques
militants,
leurs
espérances, leurs griefs. Outre les aspects politiques, ces compagnons plaisantaient, racontaient des anecdotes et parlaient des choses simples de la vie courante. Nous prenions souvent le thé ensemble au café de la rue Marengo, géré par Rabah Ougana, que nous appelons affectueusement Ammi Rabah, lieu fréquenté également par certains hauts responsables de l’OS, à l’image
de
Maroc
Mohamed
dit
Boucebsi
et
Omar
Benmahdjoub
dit
Abdelkrim. Bien souvent, Ammi Rabah refusait de se faire payer quand il avait face à lui des militants de condition modeste. Cet établissement fut fermé par arrêté préfectoral pour des motifs fallacieux. Mais il n’échappait à personne que la sanction prise par l’administration française punissait Rabah Ougana pour ses sympathies pour les éléments du mouvement nationaliste PPA/MTLD.
Ammi Rabah change de registre de commerce et transforma ledit café en restaurant. Considéré par les dirigeants du parti comme victime de ses bons sentiments pour les militants et le parti, Ammi Rabah vit sa clientèle accroître grâce à la publicité faite par les responsables du PPA/MTLD.
DÉCOUVERTE DE L’ORGANISATION SPÉCIALE (OS) En mars 1950, la ville deTébessa allait être le théâtre d’un épisode qui ébranlera
le
mouvement
nationaliste
et
provoquera
un
séisme
dans
toutes les structures du parti. Abdelkader Khiari dit Rehaiem, militant responsable local de l’OS, avait failli à son serment et oublié qu'un militant d’alors, engagé dans la Spéciale, devait donner le meilleur de lui-même et ne pouvait nullement se retirer. Ayant constaté sa défaillance, le parti voulut lui infliger une punition pour indiscipline. Pour ce faire, Ben M’hidi désigna un commando sous la direction
de
Didouche
Mourad
et
comprenant
Benzaïm
Mohamed,
Benaouda Mostefa, Bellili Ahmed, Bekhouche Abdelbaki etAdjami Brahim, aux
fins
de
procéder
à
l’enlèvement
correction méritée. 29
de
Khiari
et
lui
infliger
une
Les architectes de la Révolution Cependant, le manque d’expérience en matière de rapt fit échouer la tentative.
En
effet,
l’élément
incriminé,
profitant
d’un
moment
d’inattention ou de manque de vigilance de la part de ses ravisseurs, réussit
à
s’échapper
et
rejoindre
le
commissariat
de
police
pour
dénoncer les opérateurs. Bien plus, il dévoila un des aspects les plus jalousement
gardés
et
que
les
autorités
françaises
ignoraient
:
le
PPA/MTLD, parti politique légal, avait une branche armée secrète appelée Organisation
Spéciale
Organisation
Spéciale,
(OS).
Le
tantôt
terme pour
OS
est
tantôt
Organisation
utilisé
Secrète.
pour
La
juste
dénomination est Organisation Spéciale. Toujours est-il, la police apprend avec stupéfaction l’existence d’une telle
organisation
structurée,
avec
des
ramifications
à
l’échelle
du
territoire national. Le commissaire Grimaldi met tout l’arsenal policier en branle pour arrêter les ravisseurs qui constituent pour lui un maillon de la chaîne de la branche paramilitaire. Ayant identifié le commando, il quadrille la région, sachant que les fugitifs venaient de Bône (Annaba). Le soir même, deux d’entre eux étaient arrêtés à Oued Zenati et les trois autres, le lendemain à Annaba. Seul Mourad Didouche, dont il ignorait l’identité, était sauf. Le mal était fait. C'était le branle-bas de combat dans les chancelleries et dans les chaumières. Les commissariats de police ressemblaient à des ruches, le gouvernement général s’agitait, les politiciens français se concertaient et les journaux se faisaient leur une. Le chef de la PRG, le commissaire Costes, à Alger, est le pivot central de la chasse aux fugitifs et de la répression des militants. Le colonel Schoen,
commandant
le
service
des
liaisons
nord-africaines
(SLNA,
équivalent au SDECE en France), devant l’ampleur de la situation, y va lui aussi de sa contribution. C’était le désarroi chez les militants, le sauve qui peut. Une déferlante d’arrestations
tombe
brusquement
sur
les
nationalistes
militants.
Les
rescapés cherchaient des points de chute, brûlés et recherchés qu’ils étaient. Une répression féroce s’abat sur le parti. Tous les services de la police française se mobilisent pour démanteler l’organisation et arrêter 30
Témoignage les cadres et militants dans les trois départements de l’Algérie. Dans cette vague d’arrestations, qui allait durer plus d’une année, la police a pu appréhender, parmi les nationalistes, les auteurs de l’attaque de la poste d’Oran. La direction du parti donne pour consigne aux militants : en cas d’arrestation, il faut absolument nier la collusion OS/MTLD. Le parti mènera une campagne vigoureuse pour essayer d’atténuer le choc et contrer les services de police, auxquels il reproche d’avoir monté de toutes pièces ce stratagème pour déstabiliser le parti. On parlera alors de
"complot
de
l’OS".
La
presse
de
gauche
française
et
le
PCA
soutiendront le MTLD. La direction nationale affirme que l’OS n'a jamais existé. Si aveux il y a, ils ont été extorqués aux militants par la force, sous la torture.
Une structure paramilitaire Ce début de printemps n’augurait rien de bon pour cette branche paramilitaire autonome et parallèle à l'organisation du PPA/MTLD et qui a été conçue par le parti lors du congrès de 1947. C’est en effet à cette époque que la gestation eut lieu. Après le retour de Messali Hadj de France, les cadres du Parti du peuple algérien (PPA), toujours
clandestin,
se
sont
réunis
en
conférence.
Une
partie
de
l'assistance propose la création d’un parti légal ;ce qui pouvait permettre de présenter des candidats aux élections futures, à l’image des autres partis reconnus. Un groupe de jeunes, plus radicaux, envisagent, outre ce parti avec une nouvelle étiquette, une organisation armée destinée à préparer le combat. La conférence décide la création du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et organise le premier congrès en février 1947 à Belcourt, à Alger. Aït-Ahmed propose le bis repetita de la conférence, c’est-à-dire une organisation paramilitaire. Il sera entendu et suivi. Le congrès donna alors naissance à une articulation de trois entités avec
un
cordon
(Organisation
ombilical
Spéciale)
avec
:
le
MTLD
respectivement
politique, à
leurs
le
PPA
têtes,
et
le
l’OS
docteur
Lamine Debaghine, Ahmed Bouda et Mohamed Belouizdad. Il fallait, selon le
point
de
vue
de
certains,
conserver 31
clandestinement
encore
la
Les architectes de la Révolution dénomination PPA quelque temps pour ne pas subir les récriminations des militants trop attachés à ce sigle. Le MTLD ayant reçu l’agrément de l’administration et étant reconnu parti légal, le PPA s’éteindra conformément à une décision prise par le comité central réuni à Zedine, dans une ferme d’un militant de l’OS.Ainsi, le PPA, fondé le I I mars 1937 et interdit le 26 juillet 1939, a activé deux ans dans la légalité et douze ans dans la clandestinité. Il aura donné naissance au MTLD et ses militants pouvaient activer à visage découvert. Le premier état-major de l’Organisation Spéciale se réunit dans la demeure de Mohamed Belouizdad.à Kouba, à Alger, le 13 novembre 1947, définit sa stratégie et met au point son programme d’action et ses structures. Elaborant son organigramme selon le type "grappe de raisin", il tient ainsi à sauvegarder ses adhérents. Chaque élément connaît un autre camarade et son chef de demi-groupe. Le chef de groupe ne connaît que deux chefs de demi-groupes et son chef de section. Pour mémoire, le groupe est composé de deux demi-groupes. Le demi-groupe comprend trois individus, dont le chef du demi-groupe. Donc le groupe compte six éléments. A propos de cette organisation, Boudiaf disait : "Les structures sont
rigoureusement cloisonnées entre elles ; chaque demi-groupe menant une activité séparée et n'ayant aucun lien avec les autres demi-groupes". La hiérarchie descendante s’établissait ainsi : état-major national département - zone - région - section - groupe. Cette structure avait pour mission de préparer et de concevoir une action de grande envergure qui devait couvrir l’ensemble du territoire national en vue de se préparer à des actions de combat armées. Elle devait en outre coordonner son action avec les combattants des pays limitrophes : la Tunisie et le Maroc. Des
militants
l’Organisation
sélectionnés
Politique
(OP)
quittaient relevant
alors du
les
MTLD
structures et
de
n’activaient
dorénavant que dans la . phère de l’OS. Un cloisonnement étanche séparait les deux structures OS et OP qui exerçaient
parallèlement,
avec
toutefois
une
liaison
puisqu’elles activaient toutes deux sous l’étendard du "’A/MTLD. 32
i
au
sommet
Témoignage Les responsables de l'OS se mirent à l’ouvrage et tissèrent un réseau a l’échelle nationale et l’encadrèrent avec un organigramme approprié. Bien du labeur a été réalisé et force est de constater qu’on ne peut que décerner un satisfecit à tous ses encadreurs et à tous ses militants. Certes, il y a eu des dissonances dans la gestion de cette ossature puisque des changements ont concerné les plus hauts responsables et parfois les subdivisions subalternes. Mais le mérite de l’OS est d’avoir pu activer dans la clandestinité à l’échelle nationale de 1947 à 1950 sans que l’autorité
française,
avec
tout
ce
qu’elle
compte
comme
services
de
gendarmerie, de police, de renseignements généraux et d’indicateurs, ne perce le secret jusqu’à ce jour mémorable de mars 1950 où un homme, militant, responsable de surcroît, flanche et déclenche le raz de marée qu’on connaît. Il y a eu certes des doutes conséquemment à l’arrestation de quelques militants et à la saisie de certains documents, mais les investigations ont mené les policiers à des impasses et les enquêtes n’ont jamais abouti. Il est vrai que les formateurs des éléments de l’OS insistaient sur les règles de
la
clandestinité
et
de
la
confidentialité
des
actes
et
de
la
documentation. Boudiaf était du nombre de ceux qui échappèrent de justesse à l’arrestation. De même que certains de ses subordonnés en poste dans le Constantinois, tels Ben M’hidi Larbi, Didouche Mourad, Bitat Rabah, Guerras Abderrahmane, Habachi Abdeslam, Mechati Mohamed, Souidani Boudjemaâ, Boussouf Abdelhafid, Benabdelmalek Ramdane, Bouali Saïd, Mellah Slimane ainsi que certains militants auxquels il fera appel bien plus tard et qui compteront parmi les "22". Boudiaf se présente chez moi dans un état déplorable : vêtements déchirés et blessures aux pieds. Sa condition d’alors m’a plongé dans l'affliction. Il était abattu moralement et éprouvé physiquement. Dans sa fuite, il avait perdu le contact avec certains de ses adjoints et il s’enquit auprès
de
moi
pour
connaître
le
sort
de
certains
d’entre
eux.
Je
l'informais de ce que je savais. Il demeura chez moi cloîtré plusieurs jours, l’oreille collée à la radio et dépouillant la presse écrite - L’écho d’Alger, Le
journal d’Alger, La dépêche quotidienne, Dernière heure, Alger républicain - en quête de nouvelles relatives au malheur qui frappait le mouvement des patriotes. 33
Les architectes de la Révolution Quelque temps plus tard, nous apprîmes l’ampleur des dégâts. Entre autres arrestations, nous notions celles des dirigeants de l'OS, Ahmed Ben Bella, Ali Mahsas, Belhadj-Djillali Abdelkader, M’hamed Yousfi, Omar Benmahdjoub, Djillali Reguimi et de Sid-Ali Abdelhamid, cadre national de l'Organisation Politique. Je connaissais la plupart d’entre eux pour les avoir soit rencontrés en compagnie de Boudiaf, soit hébergés chez moi au 45, rue de La Casbah, dans ma boutique de tailleur.
BOUDIAF ET LES «IRRÉGULIERS» Le séisme déclenché par Rehaiem amène la direction du parti à décider la dissolution pure et simple de l’Organisation Spéciale.Toute la composante
de
cette dernière
structure paramilitaire est versée dans
l’Organisation Politique (OP). Ses cadres rescapés sont désignés comme permanents assurant la fonction de chef de daïra et affectés dans toutes les circonscriptions du territoire. Boudiaf demeure à Alger, sans poste précis, pour quelque temps, gardant des relations continues avec la direction du parti, notamment avec Lahouel Hocine, secrétaire général, et Sid-Ali Abdelhamid, chef de l’organisation nationale, libéré depuis peu, permanents au siège du parti du MTLD, mouvement l’administration française.
encore
légal
et
reconnu
officiellement
par
Après une certaine accalmie, le parti décide de faire un état des lieux et de replâtrer les fissures. Dans cette optique, il est confié à Mohamed Boudiaf la responsabilité de regrouper tous les éléments recherchés afin de les mettre à l'abri dans des caches sûres auprès de militants aguerris, dévoués et surtout discrets.Telle était l’instruction. Boudiaf constitue un petit noyau de militants, auquel je pris part, composé
de
Boukchoura
Mourad,
Messaoudi
Abdelouahed,
Naït-
Merzoug Abderrahmane, Kassab Nadir, Gharbi Abdelkader et Mustapha Zergaoui et leur donne comme consignes : - la récupération des armes, munitions et documents en possession des militants ; - l’établissement de liaisons et constitution de boîtes aux lettres ; - le recensement des lieux d’hébergement.
34
Témoignage
Un refuge sûr Je quittais le local que je possédais au 45, rue de La Casbah et m’installais dans un espace plus grand au 6, rue Barberousse, à Sidi Ramdane.dans la Haute-Casbah.Je n’imaginais pas à l’époque que ce local allait être plus tard le lieu de rencontre de tout ce que le mouvement national comptera comme leaders et le théâtre de délibérations historiques qui décideront du sort développerons plus loin ce qu’il en fut.
de
tout
un
peuple.
Nous
Ce local avait deux issues donnant l’une sur la rue Katarougil et l’autre sur la rue Barberousse. Cette implantation convenait parfaitement pour abriter des fugitifs et pouvait permettre aux recherchés de s'éclipser sans danger en cas de descente de police (il est proche de l’actuel hôpital Aït-ldir). Notre réintégration dans l’Organisation Politique (OP), après la dissolution de la branche secrète OS en 1951, nous a permis de renouer avec nos anciens compagnons en activité dans les rouages du parti, puisqu’il y eut décloisonnement. Une directive de la direction du parti recommandait de nous confier des responsabilités, soit au sein du CSVR (Comité de soutien aux victimes de la répression), soit dans l’encadrement des associations ou organisations satellites ou sous tutelle clandestine du parti, entendant par là le mouvement des SMA (Scouts musulmans algériens), future pépinière de militants et qui a été pour nous la première école du nationalisme, l'Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN), les medersas libres, les organisations syndicales, ies corporations de boulangers, de maraîchers et même certaines sections de la CGT, notamment celle des dockers du port d’Alger dont un grand nombre sont des militants structurés, alors qu’il était notoire que la CGT avait des accointances avec le PCA (Parti communiste algérien). Boudiaf, dans sa nouvelle fonction, était très actif. Toujours sur la brèche, il s’appliquait à résorber tous les problèmes inhérents aux gîtes des militants qu’il fallait soustraire aux arrestations de la police. Certains de ces hommes étaient fichés, connus des services de sécurité et recherchés. Ils n’avaient plus de point de chute, d’où l’action fébrile de Boudiaf. Ce dernier s’évertuait à trouver chaussure à son pied à chaque élément désemparé ou quelquefois ayant noise avec ses responsables locaux. Ces recherchés étaient appelés par le parti "les irréguliers". 35
Les architectes de la Révolution Ce fut une période de tension et d’agitation. Il fallait loger tous les fugitifs. Dans les campagnes, bon nombre d’entre eux sont recueillis par des militants paysans qui exerçaient chez les colons. Ceux-là logeaient leurs amis dans les granges ou dans des mansardes que le patron ne visitait pas. La nourriture n’était pas fournie régulièrement. Point de vêtements de rechange. Ajouter à cela le fait de ne pas voir les membres de
leurs
familles
et
on
comprendra
aisément
l’état
d’esprit
de
ces
nationalistes. L’hébergement auprès des citadins n'était pas un luxe non plus. Les militants recherchés cohabitaient avec les familles accueillantes, mais ils n’avaient pas leurs aises. Quand ils sont logés dans des maisons collectives (haouch), le fait de se soulager était un problème car il y avait un seul cabinet d’aisance et une seule fontaine pour toutes les familles. Que faire alors quand on est étranger ? Situation peu enviable. Certains irréguliers désertaient leur refuge car, disaient-ils, "c’est invivable". Il y a eu malheureusement d’inquiétude
ou
des de
cas
où
nervosité
l’accueillant (serait-ce
la
montrait peur
?)
des et
signes
dictait
le
comportement à ceux dont il a la charge de protéger. Rares cas, certes, mais il y en a eu. Boudiaf enregistrait tout ça et parfois il était impuissant car ses moyens étaient limités. Il nous harcelait sans cesse, Mourad Boukchoura et moi, pour trouver davantage de gîtes et choisir des militants qui ne peuvent causer de problèmes. Boudiaf nous rapportait qu’un recherché était venu le voir, furieux, pour se plaindre de son hôte qui n’admettait pas que l’on tousse la nuit. Il y avait beaucoup de cas de figure. Mais d’une manière générale, tous ceux qui avaient hébergé se sont conduits en militants obéissant aux ordres du parti. Nombre parmi ceux qui cachaient les irréguliers, ne pouvaient assurer la nourriture du fait de leur indigence. Le pauvre accueillait le pauvre et les deux en souffraient. Le parti ne contribuait pas financièrement. En 1952, Khider Mohamed dit Sid-Ali, l’un des acteurs qui avaient fait partie du commando de l’attaque contre la poste d’Oran en assurant le rôle de chauffeur sous la direction de Belhadj Bouchaâieb dit Si Ahmed, avec Souidani Boudjemaâ et Haddad Omar dit Yeux bleus, s’échappe de la prison d’Oran où il était incarcéré. Son évasion fait un grand bruit et les policiers le recherchent activement. Ne pouvant demeurer à Oran, il décide de rejoindre Alger où il a plus de chance d’être en sécurité. Il résolut de rejoindré la capitale à pied car le train et les cars étaient sous surveillance policière. Arrivé à Alger, son cas pose problème à la direction 36
Témoignage du parti qui l’oriente vers Boudiaf. Ce dernier reçoit la consigne de mettre Khider en lieu sûr et pourvu de toutes les commodités afin qu’il ne puisse pas mettre le nez dehors. Boudiaf hésite à me confier cet illustre militant sachant qu’il habitait le même quartier que moi et qu’il était connu des voisins. Boudiaf me demande de réfléchir et me laisse le choix de la décision. En mon âme et conscience, je ne pouvais me soustraire à l’idée d’accueillir un aussi valeureux
patriote.
J’estimais
ne
pouvoir
refuser,
assumant
ainsi
pleinement mon devoir de militant soumis aux ordres du parti. Boudiaf ignore que je connaissais Khider, avec lequel j’avais des liens dans l’organisation de mon secteur par l’intermédiaire de Hamoud Adder. Ce dernier m’avait fait passer les épreuves de test pour mon admission à la branche paramilitaire, l’OS. J’accepte donc d’héberger Khider avec tous les inconvénients que sa présence pouvait engendrer. Inconvénients relatifs à la proximité d’un débit de boissons géré par un certain Petit-Moh, indicateur de la police et
qui
renseignait
commissariat
du
un
2e
brigadier
surnommé
arrondissement
à
La
Rouget
Casbah.
rattaché
au
Inconvénients
dus
également à la présence dans le même quartier d’un autre bar dont le tenancier était Omar El Biaâ, autre informateur de la police judiciaire et qui était tout le temps au seuil de son bar à épier tout le monde. Je logeais et vivais dans un quartier où évoluaient des chefs de bandes du milieu, à l’instar des frères Hamiche, des frères Bozambo, des frères Kerbali et bien d’autres malfrats. Mais ceux qui s’avérèrent plus tard nuisibles à la cause nationale étaient incontestablement Baâbouche qui, dans un premier temps, avait été embrigadé dans les groupes du fida, puis avait viré sa cuti et s’était mis au service des paras de Massu, dénonçant et torturant. Il se vengea de ses anciennes connaissances et fit des ravages. Avec Baâbouche, il convient d’ajouter Abdelkader Rafaï dit Bud Abott, proxénète de bas étage qui, lui aussi, s’était acharné contre le fida. Ces deux rapporteurs seront abattus par Ali La Pointe. Mes relations avec tout ce monde étaient bonnes. En tant que militant, j'étais obligé d’avoir une attitude digne et respectable. Je sus m’accommoder
et
me
comporter
avec
cette
fraction,
adoptant
une
conduite irréprochable. Ce qui amènera toute cette pègre à me traiter avec égards. Bien plus, je fus servi par ma profession de tailleur. C'est ainsi 37
Les architectes de la Révolution que je comptais parmi proxénètes de La Casbah.
mes
clients
Mustapha
Hamiche,
caïd
des
Mon local, situé dans un espace fréquenté en partie par une frange de la société assez peu recommandable, n’a pas été sujet à nuisance. Ni rixe ni descente de police car le commissariat est tout proche. Les gens du milieu évitaient tout incident à proximité du poste de police. Ce qui amène Boudiaf à cette réflexion non dénuée de logique : "Le meilleur
refuge est celui qui se trouve au nez et à la barbe de la police, puisque le commissariat du 2" arrondissement est tout près de chez Aïssa". Boudiaf, Ben M’hidi et Didouche trouvèrent leurs aises à l’intérieur de mon magasin. L’arrière-boutique comportait toutes les commodités et les trois clandestins ne s’ennuyaient guère. Ils disposaient d’un poste radio
et
recevaient
la
presse
quotidiennement.
Ils
ne
furent
point
dérangés ou inquiétés, travaillant en toute quiétude. Cette ambiance convint parfaitement à Boudiaf et l’incita à rédiger ses correspondances et établir ses rapports mensuels en direction du parti. Il avait donc toute la latitude pour méditer sur le devenir du parti et l'avenir de la nation. Il
me
réveillait
quelquefois
le
soir
et
me
conviait
à
faire
des
randonnées nocturnes. Il ne tarissait pas sur les sujets brûlants de l’actualité politique, du mouvement national et de la situation sociale interne notamment. Il déplorait l’état du peuple, décrivant la situation indigente des citoyens, et s’appesantissait sur le sort des ruraux. Pour ces derniers, qu’il semble avoir bien étudié, il vilipende le système colonial qui les a totalement marginalisés. "C’est le Moyen-Age pour eux ; il faut que ça change !” Quand il parle de la jeunesse, il passe d’un ton doucereux à un autre plus crispé. Il dépeint la situation des jeunes, leur désœuvrement et puis s’emporte : "Qu’allons-nous laisser à ces jeunes ?" On aurait dit que tous les enfants d’Algérie étaient les siens. "Il faut que ça change !", martèle-t-il. Il y croyait fermement et souhaitait la mobilisation de toutes les masses derrière un parti fort, discipliné, juste et condescendant. Il évoquait avec ferveur les valeurs morales du peuple, ses coutumes et ses traditions. Il était convaincu qu’avec un bon encadrement, le peuple algérien était capable de produire des miracles.Trop longtemps opprimé, il cassera les chaînes du colonialisme et est capable de choisir sa destinée. L’important est de lui ouvrir la brèche ; il finira par s’y engouffrer et accomplira sa révolution.
38
Témoignage
Mon engagement Tout en écoutant Boudiaf relater la situation politique et sociale des Algériens, je me vois dépeint objectivement par quelqu'un qui ne me connaissait guère auparavant. Il me rappelle ma scolarité à partir de 1934 dans une école indigène où une bonne partie des élèves venaient pieds nus. Il évoque pour moi les affres de la Seconde Guerre mondiale où les Algériens subissent les contrecoups de l’événement au prix de lourds sacrifices : à la misère vont s’ajouter le rationnement, la distribution des bons
et
tickets
de
ravitaillement
pour
les
produits
de
première
nécessité ; l’austérité la plus restrictive qui a entraîné la pratique du marché noir et sa conséquence désastreuse pour les foyers à faible revenu : la raréfaction du minimum vital. Si certaines familles aisées, au demeurant fort peu nombreuses, obtenaient quelques produits prohibés, la majorité de la population de Batna, où je résidais à l’époque, était dans le dénuement le plus complet. A Batna, durant la première moitié des années 40, une très grande proportion des Algériens étaient sans emploi et sans ressources. Devant la mairie, des chaînes interminables de gens qui s’inscrivent au bureau des indigents dans l’espoir de recevoir quelques subsides. C’était un spectacle de désolation. Ayant des familles à charge, des pères, touchés dans leur dignité, avaient quelque peu honte à redresser la tête. Ils étaient là, sans ressort, enfouissant les quelques scrupules qu’ils aient. Ces hommes, qui ont toujours jeté un voile pudique sur leur pauvreté, transgresseront les limites de leur amour-propre et les qu’on-dira-t-on pour essayer de ramener du bureau de bienfaisance quelque chose à leurs enfants (la
sadaka). Je fus marqué à jamais quand j’entendis mon père dire à ma mère : "Je ne peux que difficilement assurer la subsistance de mes enfants". Il ne m’avait pas vu et j’en ai été content pour lui. Le sort de ces Batnéens ne s’améliorera pas pour autant après la Seconde Guerre mondiale. Et comme un malheur ne vient jamais seul, l’épidémie de typhus fera des ravages au sein de la population. Des centaines de morts de tous âges. Les gens n’avaient même pas, à défaut de
médication,
de
produits
d’entretien
hygiénique.
Cette
cohorte
de'
malheurs amènera beaucoup d’Algériens à réfléchir et à désigner le système comme coupable. Rien d’étonnant alors à ce que Novembre 1954 ici sera béni et trouvera une adhésion massive qui constituera le
39
Les architectes de la Révolution foyer
national
le
plus
virulent
contre
le
pouvoir
français.
Le
1er
Novembre, ammi Cheniti, tambour public, fera la tournée des quartiers du Stand, du Camp, de la Verdure et du village nègre Z’mala, et après roulement de son tambour, lira le communiqué suivant : "Av/s à la
population ! Le maire de la ville de Batna informe la population que la circulation est interdite, à partir d’aujourd’hui, de 9 heures du soir jusqu’à 5 heures du matin". A quelqu'un qui lui demandait : "Qu’est<e qui se passe ?", ammi Saïd dira : "El guirra, Ethaoura". Batna connaîtra, ce jour, le couvrefeu qui ne sera levé qu’un 19 mars, sept ans plus tard. Oui, ammi Cheniti a annoncé la révolution, et à Batna, le 1er Novembre a été salué. Notre école sera occupée par l’armée et les élèves transférés dans un immeuble sans commodités ni équipement. Ce n’était plus l’école, mais une garderie. Dans le même immeuble siégeait le secours populaire ; c’est dire le va-et-vient incessant, avec son tintamarre et ses désagréments sans fin. Et pourtant, dans cette école, j’avais été studieux et j’ai peiné pour réussir dans mes études ; car pour accéder à l’EPS (Ecole primaire secondaire), il fallait, pour les écoliers algériens, réussir aux épreuves du certificat à titre indigène et à titre européen. Ma mère qui me choyait, tenait à me voir fréquenter l’EPS ; mon père, tout autant. Il m’inscrit à la médersa et se démena pour me prodiguer des cours
particuliers
par
des
instituteurs
rémunérés,
consentant
ainsi
d’énormes sacrifices. Mes loisirs, en tant qu’enfant, se résumaient à des parties de billes ou de football avec les gamins du quartier. Quelques fois, en été, il m’arrivait de les accompagner à l’oued, où nous nous baignions au lieu-dit «PontMourra». On y retrouvait d’autres jeunes des autres quartiers de la ville. Nous nous ébations dans une surface de près de trente mètres-carrés à tour de rôle, par groupes. Les plus téméraires se hasardaient à aller faire trempette plus loin, dans un endroit plus dangereux que nous appelions «L’intra» et qui comportait une excavation à laquelle nous donnions le nom de «El-Mahras» (le tourbillon). En fin de baignade, selon un rite bien établi, chacun faisait son incantation du «Prix de l’eau». Enfants, nous avions nos codes, nos rites, notre langage. Nous jouons au «Sou» : touffe d’herbe que nous projetons du cou-de-pied à hauteur d’une quizaine de centimètres et que nous essayons d’empêcher de tomber. C’était à celui 40
Témoignage qui totalisait le plus de touches (une jonglerie, en sorte). Nous jouons également, par équipes, au «kini» : deux bouts de bois de manche à balai, l'un de quarante à cinquante centimètres, et l’autre d’une dizaine de centimètres. Ces parties duraient des heures. Un enfance comme celle de tous les autres, avec, pour seuls décors pour nos loisirs : la maison et la rue ; c’est-à-dire presque rien. Je
me
suis
mis
à
la
quête
d’une
occupation
et
débute
dans
l’apprentissage du métier de tailleur. Mon grand frère me parraine pour une adhésion au mouvement des Scouts musulmans algériens (SMA), dans le groupe Erradja, en 1942, dirigé alors par Roudesli Mustapha qui cumulait les fonctions de commissaire local et de commissaire régional du Département de Constantine. Au sein du groupe, je suis affecté dans la patrouille des Aigles, dans la troupe dirigée par le jeune universitaire Mostefaï Mohamed Seghir qui résidait
à
Batna.
Il
sera
le
gouverneur
de
la
Banque
d’Algérie
à
l’indépendance. La
pratique
du
scoutisme
m’ouvrit
les
yeux
et
la
lecture
des
événements d’alors me fit comprendre le drame de mon père, des Batnéens et de tous les Algériens. Ce malheur et cette misère du peuple ne sont pas le fruit de la fatalité, mais celui d’un système établi. Dans le groupe scout, j’apprends que nos ancêtres ne sont pas les Gaulois, j’apprends aussi que mon pays, l’Algérie, est colonisé par des étrangers qui l’ont conquis en 1830, qui ont dépossédé les nationaux, qui ont exproprié la paysannerie autochtone, qui ont pillé les richesses du sol et du sous-sol. J’apprends également que la cause de tous nos malheurs à pour nom : la France. J’apprends enfin qu’il ne faut surtout se résigner. En 1944, MadouiTayeb, jeune militant du PPA employé dans un cabinet d’avocat, est chargé par le parti d’approcher les jeunes. Il le fait avec tact et talent. Il oriente les jeunes vers des activités de scoutisme, sportives, culturelles et politiques.Très actif, il regroupe autour de lui beaucoup de jeunes et réussit à constituer une équipe de juniors au sein du club sportif algérien, le Club athlétique de Batna (CAB) dont les dirigeants avaient un penchant nationaliste avéré. Le CAB ne comptait dans ses
Les architectes de la Révolution rangs que des Algériens et était en butte à l’autre club de la ville, I ASB, équipe des Français présidée par le maire de la ville. Le football a de tout temps été un facteur de cohésion sociale, mais, à Batna, chacun avait son camp ; les Arabes d’un côté avec le CAB et les Français de l’autre avec l’ASB. Les deux fractions se côtoyaient, se connaissaient, se parlaient. Ils s’effleuraient, mais ne se touchaient pas. Il n'y avait pas de haine, mais ils étaient à mille lieues les uns des autres. Dans le cloître des foyers, les femmes,
nos
mères,
chaque
dimanche,
attendaient
les
résultats
des
matches et posaient toujours la même question : "Est-ce que ce sont les
Arabes qui ont gagné ?" Le moment venu, le CAB cessera la pratique sportive et fournira légion de joueurs et dirigeants à l’ALN ; à l’image des Guellil, Bouabsa, Khelafna, Sefouhi, Chenouf, Bouabdallah, et la liste est longue. Nombre d’entre eux ne reviendront pas. Cette année de 1944 a été très fertile en actions à Batna où toute la ville avait ressoudé les liens de solidarité et de fraternité. Il y avait une cause à cet engouement frénétique : pour la première fois, des partis politiques
à
composante
algérienne,
qui
prêchaient
chacun
pour
sa
chapelle, ont réussi à se rencontrer, à se parler et à s’unir dans un vaste mouvement qu’on appellera les Amis du manifeste et de la liberté. Les AML, qui regroupent, outre Ferhat Abbés, le PPA, les élus du congrès et les oulémas, vont permettre à des citoyens apolitiques de rejoindre les courants qui composent cette mosaïque. Chacun, selon sa sensibilité, trouvait chaussure à son pied. De cette prise de conscience et de cet élan engagé et responsable, le PPA fera une bonne moisson de candidatures à l’adhésion grâce au dynamisme de ses militants qui ont été de bons sergents
recruteurs.
Des
militants
n’hésitent
pas
à
aller
faire
leur
harangue dans les cafés maures. On invite des amis à assister à une causerie chez les scouts où l’on ne parlera pas de scoutisme, mais de politique. Au souk, quelques éléments téméraires, juchés qui sur un cageot,
qui
sur
une
charrette,
interpellent
le
peuple
et
usent
d'un
discours rassembleur tout en justifiant la raison du rassemblement. Progressivement, Madoui fera admettre des jeunes au PPA, et c’est ainsi qu’à partir du début de 1945, je me retrouve enrôlé dans une cellule avec des amis du quartier, à l’image des Boudiaf Hamid dit Mimi, et Mahboubi, Bouchemal Rachid ainsi que d’autres, embrigadés par Gouara 42
Témoignage Mohamed. Ce chef de groupe venait d’être démobilisé et portait encore les traces apparentes des blessures au corps. Il avait perdu un œil lors d’une bataille en Allemagne. Le choix de Gouara comme chef de groupe n’était pas fortuit, il avait le don de subjuguer son auditoire et, en bon pédagogue, expliquait et sensibilisait le groupe de jeunes autour des idéaux de liberté, de justice et d’égalité dans le cadre d'une souveraineté nationale et... comment y arriver. Il nous fera côtoyer quelques vétérans du PPA, tels que Mahmoudi Ahmed, Nouaceur Mohamed, Djenane Mokhtar, Kechida Ali, Benghenissa Hocine,
Nezzari
Lahcène,
Madoui
Tayeb,
Lahzamia
"Kripou", Dahmane
Sadek et tant d’autres. Beaucoup parmi les vieux militants rejoindront l’UDMA dès sa constitution ; d’autres iront vers le Parti communiste algérien. Mais ayant tété à la même mamelle, ils garderont une amitié indéfectible. Ils seront réunis à nouveau un certain 1er Novembre. A la veille du 8 mai 1945, le parti nous demande de confectionner des banderoles dans le local scout et de nous préparer pour le défilé qui devait se dérouler à travers tout le territoire national pour fêter la victoire des alliés sur le fascisme. La récompense du peuple algérien pour sa participation à la libération de la France s’est traduite ce jour par le massacre de 45 000 morts dans les régions martyres de Sétif, Guelma et Kherrata. Dans une note du gouvernement général du 14 juin 1945, il est indiqué : "L’Administration reproche aux SMA de Batna : défilé des groupes de
Batna, Mac-Mahon, El-Kantara en chantant l’hymne nationaliste du PPA. Leur président Zaouia Abdelkader est arrêté". Zaouia Lakhdar en réalité. En 1946, en tant que militants structurés, les jeunes sont invités à assister à une réunion importante dans un local sis à la place Herbillon, appartenant à Abidi Mohamed dit El-Hadj Lakhdar (futur chef de la Wilaya I). Cette Messaoud
réunion qui
est
venait
présidée d’Alger
par et
qui
Mohamed était
Belouizdad
accompagné
alias de
Si
Amar
Boudjerida, l’un des responsables du Constantinois. Si Messaoud brossera un tableau de la situation politique à travers tout le pays, informe l’assistance des derniers développements et donne des consignes en conséquence. 43
Les architectes de la Révolution Cette rencontre m’a permis de savoir ce qui se passait un peu partout et je me rendais compte qu’en tous lieux, les Algériens étaient logés à la même enseigne. La misère d’Alger valait bien celle de Batna. Je pars m’installer en Tunisie pour me perfectionner dans le métier de maître
tailleur.
algérienne
Je
m’intégre
constituée
en
facilement
partie
auprès
d’étudiants
de
de
la
communauté
l’Université
islamique
Ezitouna. J’active avec des militants et rencontre dans un cadre organique Abdelhamid
Mehri
qui
représentait
le
parti
auprès
de
la
colonie
algérienne, assisté de Ahmed Merazka, Mouloud Kacem etTorki Chebata, de son vrai nom Mebarek Madhi, de Belcourt. A Tunis, je fus rejoint par Hamid Boudiaf, Abidi Mohamed et Belkadi Mohamed. Ce dernier ne désirait pas s’installer en Tunisie ; son but était de rejoindre les volontaires en partance pour la Palestine. Il s’intégrera à un groupe de Tunisiens et de Marocains et partit pour le Machrek. Abidi Mohamed s’établit en sous-louant un dortoir àTourbet el-Bey, à la casbah de Tunis, et s’associera à un Tunisien pour la gérance d’un café à Bab Emnara. Il renoncera rapidement à son expatriation et retournera dans les Aurès. En 1948, je quitte Tunis pour m’installer à Alger. Avec le concours de militants algérois, je prends en location une arrière-boutique à la rue Marengo, et après des débuts fructueux, je déménage au 45, rue de La Casbah. Mon
intégration
dans
les
cellules
algéroises
du
parti
se
fera
naturellement. Je suis contacté par Chergui Brahim,qui était l’un des responsables de i’OS dans le Sud-Constantinois englobant Batna, les Aurès et Biskra, selon le découpage d’alors. Brahim me demande de me mettre à la disposition du parti en me proposant la responsabilité au sein de l’Organisation Spéciale pour la région de Batna. Je n’ai pu accéder à sa demande pour des raisons personnelles ; j’avais beaucoup d'affaires en suspens à ce moment là. Mon embrigadement dans l’OS s’est effectué au cours du deuxième semestre
de
1948,
par
Boudiaf
Mahmoud,
structure.
44
responsable
dans
cette
Témoignage L’épreuve d’engagement dans la lutte armée, je l’ai passée sous la responsabilité de Hamoud Adder. Ce dernier me donne l’ordre d’abattre un gendarme français qui fréquentait le quartier de la Haute-Casbah, entre Bab Djedid et la rue Marengo. L’agent en question, surnommé Marché noir par les habitants du secteur, était foncièrement cupide. Fort du prestige de son uniforme, il n’hésitait pas à racketter les citoyens et les commerçants. Sa réputation de corrompu et de véreux était notoire. Adder me communique la décision du parti : il faut mettre fin aux méfaits
du
gendarme,
définitivement.
Je
m’y
apprêtais
quand
le
contrordre de surseoir au forfait est parvenu. Les responsables de l’OS ont conclu que le test est concluant, en ce que la tentative était effective et que j’étais déterminé à exécuter et les ordres et le gendarme indélicat. Mon examen de passage était positif. Je fus désigné à la tête d’un demi-groupe et mis en formation. La partie théorique comportait des cours d’initiation à la guérilla, puisés dans Le manuel du gradé. Pour ce qui est de l’enseignement pratique, il s’est fait en forêt et consistait au maniement des armes, avec montage et démontage, au jet de grenades, à la connaissance rudimentaire de la topographie et au savoir déchiffrer une carte d’état-major. Par ailleurs, on faisait des simulations d’embuscade. On s’entraînait à marcher dans des terrains nus, boisés ou escarpés et au relief accidenté. A ces cours axés sur la lutte armée, les militants de l'OS reçoivent un enseignement
relatif
à
la
connaissance
des
méthodes
policières
et
comment y faire face. L’accent sera mis sur la façon de résister à toutes les pressions physiques ou psychologiques. On insistera sur ce dernier point pour éviter le retournement éventuel des éléments non aguerris ou insuffisamment préparés.
Toubib, H a k i m ,
Khali...
Boudiaf était un passionné de la lecture, un bibliophile. "Ils nous ont
chassés des écoles mais ne peuvent nous empêcher d’accéder à la lecture !", martelera-t-il maintes fois, en plusieurs occasions. Il portait tout le temps un livre de poche sur lui. La littérature universelle ne lui était pas 45
Les architectes de la Révolution inconnue.
Quand
intéressé,
il
ne
il
avait
manquait
achevé pas
la
d'en
lecture faire
d’un
un
ouvrage
commentaire
qui
l’avait
et
invitait
quelques amis à sa lecture. Quand il était désargenté et ne pouvait acheter de livres, il empruntait auprès de la bibliothèque municipale grâce à une carte de lecteur d'un de ses amis, bibliothécaire. Il porte un jugement défavorable sur la bibliothèque qui, selon lui, détient un fonds orienté et vieillot. Les nouveautés sont rares. J’ai beaucoup appris en sa compagnie pendant nos fréquentes sorties nocturnes. Il rendait la narration tellement vivante que je ne me lassais point de l’écouter. Il avait une mémoire très fertile, lui permettant de citer les titres des ouvrages, leurs auteurs, les personnages du roman. Il se souvenait des péripéties et portait un jugement de valeur ; et si d’aventure il reprenait la même narration quelque temps plus tard, elle n’était ni tronquée, ni déformée et exempte de rajout. Dans mon arrière-boutique, les discussions vont sans fin. Il m’est souvenance de l'une d’elles relative à l’Organisation Spéciale. Boudiaf regrettait que la direction du parti n’ait pas ouvert un débat autour de la question. Ben M’hidi n’admettait pas le fait que le parti n’envisage pas sa reconstitution. Boudiaf lui rappela que sa constitution a été décidée lors du congrès. Une affaire de telle importance ne pouvait être débattue au sein des structures en temps normal, mais, compte tenu de cette situation de marasme, les dirigeants du parti se doivent de remettre l'OS en exercice. S'ils restent encore amorphes, ce sera au détriment de l’ensemble du mouvement national. Les militants qui se sont engagés sur la base d’un programme ont vu en partie des aspects positifs, des résultats tangents. Ils n’admettent point qu’on efface un cadre pour lequel ils se sont identifiés et battus. A travers les discussions et les débats avec Boudiaf, Ben M’hidi écoutait avec attention les analyses sur des problèmes épineux. Boudiaf arrivait toujours à convaincre Ben M’hidi qui a toujours été séduit par la faconde de S/Tayeb et l’appelait respectueusement "Toubib". Boudiaf le lui rendait bien en l’appelant Hakim. Par ailleurs. Ben M’hidi, s’adressant à Ben Boulaïd, lui disait Khali.
Ils
Ces sobriquets illustrent le degré d’intimité qui liait les trois hommes. aimaient bien le jeune et fougueux Didouche Mourad, toujours
volontaire, qui venait chaque fois leur rendre compte de ce qu’il venait d'accomplir. Didouche logeait rarement chez moi. Il était tout le temps 46
Témoignage en vadrouille, en relation avec les militants.il aimait bien les contacts, avait toujours son mot à dire et se voulait persuasif. Un jour, vers quatre heures du matin, il frappe à la porte ; mon neveu Abdallah ouvre mais ne le reconnaissait que difficilement car il portait des habits de fellah. Mourad, qu’on appelait alors Abdelkader, était mal en point. Après s'être restauré, il nous raconte la mésaventure qu'il venait de vivre à Médéa. Il a été arrêté par deux gendarmes et, alors qu'ils le conduisaient vers la brigade, Didouche se deleste de sa kachabia et arrive à faire culbuter les deux agents. Il prend ses jambes à son cou, se défait de son turban et prend la direction d’Alger qu’il rallie à pied. Il a eu une diarrhée qui ne l’a pas ménagé. Il relatera par la suite son odyssée à Boudiaf qui lui demandera de ne pas bouger pour les deux ou trois jours à venir. Abdallah lui ramènera des médicaments et Ben M’hidi l'accompagnera au bain maure. Il me dira plus tard qu’il n’avait pas eu peur pendant l’action, mais par la suite, si. Le même jour, Souidani Boudjemâa, plus connu sous le pseudonyme de
Si Djillali, passe me voir pour prendre des nouvelles et me demande où pourrait-il voir Si Tayeb. Boudiaf, qui avait reconnu sa voix, sort de l’arrière-boutique et, tout en souriant et en embrassant Souidani, lequel portait un turban et une kachabia, dit : "Aujourd’hui, c’est la paysannerie qui
débarque chez Aïssa". On le met au courant de ce qui vient d’arriver à Didouche et dans quel accoutrement il s’était présenté. Dans le cours de la discussion, nous apprenons que Souidani est venu avec une voiture Panhard sans papiers. Boudiaf lui fait remarquer amicalement son manque de vigilance. Il lui rappelle qu’il traîne une condamnation à mort par contumace et ne doit pas circuler sans les documents du véhicule. Boudiaf était pointilleux quand il s’agissait de vigilance. "Ils ne m’auront pas
;je suis scout et sais brouiller les pistes", rétorque Boudjemâa. Je les ai laissés seuls et suis allé vaquer à mes occupations. Le malaise qui a résulté du démantèlement de l’Organisation Spéciale pousse le parti à mener une activité politique intense. Il multiplie les meetings
volants
pour
sensibiliser
les
masses.
Il
entreprend
une
campagne de propagande dans les lieux clos : cafés, cercles et locaux d'associations, de corporations. Il accentue la distribution des tracts et la diffusion de ses organes de presse -.Algérie libre en langue française et £/-
Manar en langue arabe. Mais cela ne suffit pas à calmer l’inquiétude et l’impatience de certains militants. La rogne commence à se ressentir. 47
Les architectes de la Révolution Des malentendus et des divergences de points de vues entre certains courants du parti laissent apparaître les prémices d’une crise qui allait secouer les cadres du parti et irrémédiablement se répercuter sur la base militante. C’est dans ce climat délétère que Mohamed Boudiaf est muté en France, fin 1952. Nous avons interprété la décision de la direction du parti comme une mesure disciplinaire, une sanction qui ne disait pas son nom. Boudiaf n’était plus en odeur de sainteté avec les dirigeants au niveau du sommet. Son éloignement du pays n’avait d’autre but que de l’isoler, l’éloigner de ses compagnons avec lesquels il était en contact permanent. Des
semaines
Mourad,
puis
plus
tard,
il
par
Guerras
fut
rejoint
successivement
Abderrahmane
et
par
ensuite
Didouche
par
Habachi
Abdeslam qu’on avait fait revenir des Aurès où il était en planque au sein de la tribu des Chorfa. Le reste des recherchés sont mutés à travers les régions du pays, et plus spécialement dans l’Oranie.
LES DESPERADOS DES AURÈS Je
suppose
Mostefa
Ben
que Boulaïd
les
relations
étroites
paraissaient
qu’entretenait
suspectes
aux
Boudiaf
responsables
avec de
la
direction qui avaient décidé d’éloigner S/ Tayeb. Il est vrai que, durant ces derniers temps, Ben Boulaïd, accompagné de l’un de ses lieutenants, en l’occurrence Aurès
et
Si
Messaoud
notabilité
Belagoune,
reconnue,
responsable
rendaient
souvent
dans
la
visite
à
région
des
Boudiaf
et
également
le
débattaient longuement de la situation politique. La
discussion
de
ces
trois
compagnons
concernait
problème des structures de l’OS des Aurès qui, contrairement aux autres régions, n’ont pas été dissoutes. Elles ont été maintenues et préservées car la police n’a pu appréhender aucun militant en raison des difficultés de pénétration dans les denses forêts. Il n’y avait pratiquement pas d’infrastructure de communication, pas de route carrossable, très peu de sentiers. La topographie a toujours découragé police et gendarmerie. C’est ce qui explique pourquoi les maquisards aurésiens se mouvaient avec aisance, sans crainte aucune. Mais ils ne négligeaient jamais les règles élémentaires de la clandestinité. Par ailleurs, la fraternité qui les unissait a été tissée par le partage en commun et des joies et des peines de leur vie communautaire. Ils avaient le même centre d’intérêt : combattre pour
48
Témoignage se libérer. Ils partageaient la même nourriture, dormaient dans les mêmes gourbis et luttaient contre la même adversité ; chacun des éléments s'est identifié au groupe ; il était dès lors malvenu d'opérer une dissolution de ces liens de solidarité. C’est sans doute pourquoi Mostefa Ben Boulaïd n’avait pas envisagé la dissolution de l’OS dans les maquis des Aurès et à Batna. Il n’obtempérera pas à l’instruction de la direction nationale du parti et maintiendra le réseau en activité, en accord avec Boudiaf. Il faut rappeler à toutes fins utiles que Si Mostefa faisait des prouesses pour entretenir ces moudjahidine d’avant l’heure, et ce grâce à la générosité des populations aurésiennes. Bien plus, les structures de l’OS ont été renforcées par quelques maquisards du Djurdjura qui ne pouvaient plus demeurer en Kabylie tant la répression était féroce et les patriotes poursuivis. C’est à cet égard que Ben
Boulaïd,
en
accord
avec
le
parti
et
Krim
Belkacem,
accepte
d’accueillir les frères kabyles et les prendre en charge. Il peut le faire maintenant car la paix règne entre les tribus chaouies. L’un des grands mérites de Mostefa Ben Boulaïd est incontestablement l’instauration d’un climat serein au sein des populations aurésiennes car, auparavant, les diverses tribus des Aurès vivaient entre elles dans le style des vendettas corses et se livraient à de violents combats. Les escarmouches répétées les ont poussées à s’armer. Il y a eu beaucoup de dya. Ben Boulaïd a cristallisé les différents âarouch autour d’un point central : le colonialisme, source de tous les maux de la société chaouie particulièrement. "Si nos
tribus sont montées les unes contre les autres, à qui la faute ? Le paupérisme, la misère, le sous-développement ont un dénominateur commun : le colonialisme. Plutôt que nous entre-déchirer pour des futilités, libérons-nous de cette hydre et construisons, pour nos enfants et les générations futures, un avenir de liberté où nous ne nous battrons plus pour un point d’eau ou un petit arpent de terre". Si Mostefa n’eut de cesse à se déplacer d’un douar à l’autre, d’une dechra à une autre. Il se rend auprès des sages, des vieux, des plus virulents pour expliquer, tranquilliser et enfin convaincre. Son abnégation finit par payer. Toutes les tribus en sont venues à surmonter t'ancienne animosité dévastatrice et ont donné l'amen. Les armes qu’elles détenaient
pouvaient
servir
à
un
autre
usage
qu’à
la
vendetta.
Et
effectivement. Ben Boulaïd récupérera un arsenal conséquent le jour où il le demandera. 49
Les architectes de la Révolution Il est vrai que les fières tribus, pour une question de prestige et de vengeance, rendaient coup pour coup ; mais lorsqu'un danger exogène menaçait
l’une
d’entre
elles,
elles
faisaient
front
commun
contre
l’adversité en mettant de côté tous leurs différends. Ben Boulaïd a su mettre à profit cette sensibilité chaouie et polariser l'attention de toutes les tribus autour du combat contre le système colonial. Les Aurès allaient réceptionner également les évadés de la prison civile de Annaba ; parmi ces fugitifs figuraient Zighout Youcef, Benaouda Mostefa, Barkat Slimane etAbdelbaki Bekkouche. A ces militants, viendront encore s’ajouter Bitat Rabah, Bentobal Lakhdar et Habachi Abdeslam, accueillis par Bouchekioua Younès, chef de
kasma, Abidi dit El Hadj Lakhdar et Hamid Boudiaf, cadres dans les Aurès et lieutenants de Mostefa Ben Boulaïd. Bentobal se réfugiera au douar Zellatou, auprès de la tribu des BeniBouslimane, de 1950 à 1952, puis rejoindra Condé Smendou et y demeurera de 1952 à 1954. Bitat sera confié à la tribu des Touaba, à Tkout. Habachi sera hébergé dans la tribu des Chorfa et Benaouda se reposera auprès de la tribu des Serahna.
Bandits d’honneur et révolutionnaires A toute cette armada, progressivement constituée et organisée par Ben Boulaïd, qui avait transformé les Aurès en un vaste réservoir de guérilleros, les responsables de l’OS vont inclure dans leurs rangs un autre groupe d’éléments non politisés, des bandits d’honneur qui se sont rebellés et insurgés contre la puissance coloniale et que l’administration locale appelait "les coupeurs de routes" et la vox populi "les bandits
d’honneur". Le mot bandit ici ne doit pas être pris dans le sens de malfaiteur, brigand ou voleur ou tout autre terme péjoratif. Le terme n’est pas dépréciatif en l’espèce. Il serait plus approprié de lui donner, ici, un sens contraire. En effet, ces bandes (non organisées) de rebelles qui n’avaient rien de révolutionnaires, étaient recherchées par les autorités françaises mais bénéficiaient d’une certaine aura auprès des populations aurésiennes qui les accueillaient, leur offrant gîte et nourriture. Bien que hors-la-loi, ils bénéficient
néanmoins
de
la
protection
des
tribus
auxquelles
ils
appartiennent. On ne tarissait pas d’éloges sur ces hommes libres qui défient la France en rançonnant les béni-oui-oui et en donnant aux plus 50
Témoignage démunis des montagnards. On chantait même leurs louanges, et les refrains sont fort connus à ce jour dans tous les Aurès. Ben
Boulaïd,
avec
certains
de
ses
compagnons,
dont
Messaoud
Belagoune, Abidi dit El-Hadj Lakhdar, et en présence de Rabah Bitat, Bentobal et Habachi, réunit les chefs de tribus et émet le vœu de politiser et de recueillir "ces frères qui ont souffert des méfaits du colonialisme et qui,
recherchés par les services français, errent dans les djebels, détroussant colons, gabelous, béni-oui-oui, agents serviles et administrateurs". Durant
des
heures,
devant
les
notables,
Ben
Boulaïd
dépeint
la
situation de ces citoyens qui se sont marginalisés par la faute du système colonial. N’ayant aucune confiance en la justice française, ils ont préféré se soustraire à "l’ordre établi" et prendre les maquis. Cette vie d’errants ne peut leur convenir à la longue, d’autant que certains d’entre eux sont accompagnés de leurs conjoints. D’autre part, chaque groupe agit à sa manière et en ordre dispersé. Ce qui a posé parfois des problèmes aux familles qui les accueillaient et qui ne pouvaient, tout le temps, subvenir à leurs besoins. Il est vrai que les populations aurésiennes étaient dans le dénuement total mais ceci ne les empêchaient pas de partager avec les rebelles le minimum de subsistances qu’elles possédaient. C’est pourquoi Ben Boulaïd propose de canaliser cette énergie au profit d’une cause plus noble en rassemblant ces desperados et leur faire changer de statut, passant
de
"bandit
d’honneur"
et
"coupeur
de
routes"
à
celui
de
révolutionnaire. Ce faisant, le mouvement national gagnerait des hommes qui n’ont plus à démontrer leur courage et leurs familles connaîtront la stabilité. Leurs enfants sont les nôtres et cesseront d’être trimballés d’un maquis à l’autre dans les Aurès. L’entraide apportera un bienfait à toutes les parties concernées : aux rebelles et à leurs familles ainsi qu’à tous les douars qui les reçoivent.
Quatre guérilleros Après l’assentiment de la djemaâ, Ben Boulaïd contacte les chefs de ces "hors-la-loi" : - Zelmat Messaoud de la grande tribu des Beni-Bouslimane - Grine Belgacem de la tribu des Serahna (Serhani) - Berrehaïl Hocine des Beni-Bouslimane (déjà structuré) 51
Les architectes de la Révolution -
Chebchoub
Sadek
de
la
tribu
des
Beni-Bouslimane,
ancien
syndicaliste de la mine d’Ichemoul, nourri aux influences communistes, qui s’est rebellé contre l’autorité française en abattant un contremaître à la suite d’une grève et a pris le maquis avec sa femme qui se révélera une farouche guerrière. Ben Boulaïd organise la rencontre à laquelle il fait assister quelques responsables de l’OS et, autour d'un couscous, fera part à ces "bandits d’honneur" de l’initiative qu’il a prise et du bien-fondé de celle-ci. Il les informe qu’il a reçu l’aval de toutes les tribus. Il brossera un tableau sombre de la situation, fait de précarité et de paupérisation. Les voyant hocher la tête quand il dénigrait la France et ses suppôts, il s’attardera longuement sur le mouvement national et mettra en exergue les actions entreprises par un groupe de militants nationalistes qui entendent mettre le holà au joug colonialiste. Il leur dira qu’ils ont le même adversaire ; alors autant nous rejoindre pour entamer le combat. Si Mostefa leur rappelle que les Aurès s'étaient révoltés contre les Français en 1859, 1879 et 1916. Cette fois-ci, les Aurès ne seront pas seuls ; ce sont toutes les contrées du pays qui vont se soulever ; "alors, soyez des nôtres !" Le charismatique Si Mostefa arrivera à convaincre les quatre chefs de file de faire leur mue. Ces "Robin des bois" acceptèrent d’embrasser la cause nationale et rejoignirent les maquisards avec armes et bagages. Embrigadés par les éléments de l'OS, ces hors-la-loi sont récupérés par le courant du CRUA et intégrés dans les structures du parti pour renforcer le maquis des Aurès (leur conduite fut exemplaire par la suite et nombre d’entre eux tomberont au champ d’honneur. Des quatre chefs de bandes, Zelmat sera assassiné par un réfugié ; Grine, Berrehaïl et Chebchoub mourront les armes à la main dans des combats contre l’ennemi). Avec toute cette armada constituée de plusieurs pôles, Ben Boulaïd implante une ossature solide dans la région en vue de la constitution d’une place forte dans les montagnes de Chelia. L’OS, dans les monts des Aurès, affûtait ses armes et préparait ses hommes qui seront encadrés plus tard par Chihani Bachir,Adjel Adjoul, Bachir Hadjadj, Laghrour Abbés, Athmani ditTidjani, Labidi Mohamed dit El Hadj Lakhdar...
Si Mostefa se démenait pour rassembler et recruter le maximum d'éléments et, conséquemment, acquérir de l’armement. Il profitait du 52
Témoignage passage des caravanes qui venaient de Libye pour acheter et faire acheter par ses hommes, les fusils que les nomades ramenaient du Fezzan et de la Tripolitaine. Amar Maâche dit Amar marché noir excellait dans le négoce
et
se
débrouillait
pour
obtenir
les
meilleurs
prix.
Il
passait
commande aux caravaniers qu’il connaissait et en qui il avait confiance. Le recrutement
allait
bon
train,
les
effectifs
augmentaient,
mais
les
acquisitions d’armes ne suivaient pas.
DES BOMBES À BATNA Si Mostefa entrepose des bombes chez son ami Mechelak Saïd dit Farhi,
commerçant
en
bonneterie
et
articles
de
confection
dont
le
magasin se situait à l’avenue de France, l’une des plus grandes artères de la ville de Batna. Le magasin faisait face au mess des officiers et était distant d’une cinquantaine de mètres à peine de la mairie. Un incident survint
un
après-midi
du
dimanche
19
juillet
1953
et
une
série
d’explosions terribles, entendues à des kilomètres, secouèrent la ville. Il n’y eut pas de mort, mais les dégâts furent considérables. Le magasin de bonneterie fut soufflé et la librairie Salvayre, mitoyenne, est à moitié détruite et commence à prendre feu. Cet incident fit grand bruit. Le souspréfet Delplanque, le maire Malpel et tout ce que la ville comptait comme autorités sont sur les lieux. La foule, compacte, massée et canalisée par la police et la gendarmerie, s’interroge et n’avait pas de réponse. Les frères Mechelak Saïd et Messaoud sont arrêtés.
Si Mostefa se replie sur Alger. Il prend une chambre à l’hôtel Mogador, tenu par une femme qui le connaissait comme client et qui l’avait pris en sympathie. Il règle une semaine d’avance mais ne coucha pas à l’hôtel. Il sé réfugie dans mon magasin et se tenait sur ses gardes, craignant d’être recherché et arrêté. Il était très affecté, non pas par son sort, mais par celui de son ami Farhi et son jeune frère Messaoud. Il téléphonait de chez moi tous les soirs vers vingt heures à son frère Omar à Batna qui le tenait informé du déroulement des événements et lui faisait part des démarches qu’il avait entreprises auprès de certaines notabilités batnéennes. Il lui indiquera que l’armée a fait exploser au champ de tir, situé derrière le cimetière musulman, tout le stock saisi chez Mechelak. Ben Boulaïd se rend au siège du parti et demande aux responsables, dont Benyoucef Benkhedda et Sid-Ali Abdelhamid, la somme de 53
Les architectes de la Révolution 250 000 francs. Pour obtenir cet argent, il maquillera la vérité en indiquant à ses interlocuteurs que ce stock datait du temps de l'OS. Et comme les dirigeants du parti ignoraient que Ben Boulaïd avait maintenu l'organisation,
ils
déboursent
la
somme.
Il
mentira
également
par
omission car il n’a jamais avoué aux membres du Comité Central qu’il avait constitué un atelier de fabrication de bombes au douar Hadjadj, dans les montagnes des Aurès, fief de son ami Belagoune. Il était convaincu que Cadi Abdelkader dit Kaddour, député et délégué de
l’union
française,
et
le
bachagha
Taouti
pourront
et
sauront
manoeuvrer pour étouffer l’affaire et éviter des suites fâcheuses pour les frères Mechelak et le parti. Si Mostefa a fait également appel à un avocat à Batna, maître Ayache Mallem, pour trouver une solution rapide et heureuse à cet incident dont il se serait bien passé. Maître Mallem, qui avait fait ses études dans le même lycée que son ami Lahouel Hocine, avait été chargé auparavant par ce dernier d’assister les militants devant la justice avec le bâtonnier Laïd Lamrani dit Hocine. Effectivement, la tactique de Ben Boulaïd s’avérera payante et l’affaire ne connaîtra pas de suites néfastes. Plus tard, Ben Boulaïd, évoquant cet épisode inattendu, avouera qu’il a été très stressé. Un atelier de fabrication, un stock de bombes à gérer sous sa seule responsabilité, sans souffler mot au parti ni à quiconque dans les structures, et la déflagration à Batna l’ont tenu en haleine jusqu’au jour où on lui a dit "affaire classée". Il admet que les péripéties de l’OS àTébessa l’ont rendu plus vigilant et qu’il se méfiait à la fois de la police et, "malheureusement, de certaines gens du parti". Cet atelier, il y a songé longtemps. Il a déniché les artificiers, il a constitué la petite équipe, il a procédé à des tests. Satisfait du résultat, il l’a mis en production. Avec Belagoune, il a fait maints déplacements pour trouver les fournisseurs de tous les ingrédients pour la fabrication des bombes. Pourquoi cette initiative ? lui a-t-on demandé. "Compte tenu de ce qui se passait, je voyais
que le coup deTébessa avait freiné la seule force qui pouvait déboucher sur un combat libérateur. La reconstitution éventuelle de l’OS n’était pas à l’ordre du jour au parti, malgré certaines récriminations de militants. J’ai longuement réfléchi à la constitution d’un laboratoire pour fabriquer des explosifs. Comme j’avais quelques connaissances en la matière, j’ai discuté avec quelques amis 54
T émoignage
intimes qui ont approuvé". Ce qu’il ne dira pas, c’est que c’était lui qui a financé l’atelier sur ses propres deniers. Ben Boulaïd tenait constamment informé Boudiaf, à qui le liait une solide
amitié,
tissée
surtout
lorsque
Boudiaf
activait
dans
le
Constantinois. Partageant les mêmes points de vues sur la marche du parti et le devenir du pays, les deux hommes se sont toujours bien entendus
et
une
certaine
complicité
raffermissait
ces
liens.
Ils
préservaient le secret et voulaient à tout prix éviter le renouvellement du coup de Tébessa, d’autant que les Aurès étaient la seule force organisée, le noyau dur qui subsistait, avec en Kabylie un groupe de valeureux
maquisards
du
Djurdjura
qui
subissaient
les
aléas
de
la
répression.
LE MALAISE Le malaise né du démantèlement puis de la dissolution de l’OS, gagne nombre de militants. Et de proche en proche, le mécontentement fait tache d'huile et engendre des protestations. D’autant qu’à la tête du parti, les relations s’enveniment entre les membres du Comité Central. Certains, poussés par Messali, remettent en cause la marche du parti, et une autre fraction s’en tenait aux textes et résolutions des assises du congrès. La crise s’étend au plus bas de la hiérarchie, après avoir été mal contenue au sommet. Le parti se confine dans une passivité intolérable, une léthargie qui pousse au pourrissement. L’insatisfaction perceptible au niveau des cellules des militants prend de plus en plus d’ampleur, engendrant une démobilisation, une fissure, voire l’abandon pur et simple de l’activité politique par quelques militants chevronnés. C’est dans un climat morose que se sont tenues les assises du congrès d’avril 1953. Ce fut le congrès de l’enlisement car les dirigeants ne voulaient point aborder le problème de fond et ont occulté les causes du malaise. Au lieu de conclure par des résolutions de redressement qui vont dans le sens révolutionnaire, la direction persista dans la voie légaliste ; alors qu’à nos portes, les frères marocains et tunisiens ont sonné le glas et engagé la lutte armée. On retiendra que, lors de ces assises, les statuts du parti ont été modifiés, limitant les prérogatives de Messali qui était à ce moment en 55
Les architectes de la Révolution résidence surveillée à Niort et que l’un de ses fidèles lieutenants, Ahmed Mezghena, a été éjecté du Bureau Politique. Ces décisions mettront hors de lui Messali qui commencera alors sa croisade contre les membres du Comité Central.
La crise La crise déborde le cadre organique ; elle est dans la rue, étalée au grand jour par certains défaitistes qui, par leurs manœuvres, ouvrirent l’accès à des éléments messalistes exclus du parti, lesquels donnèrent libre cours à des rancœurs mal contenues. Cela entraîna la destruction de l’unité du parti et la défection presque totale de l’organisation. Le schisme mit fin à cette unité du parti, devenue unité de façade. Les
méfaits
de
cette
crise,
qui
sera
la
dernière
du
vieux
parti
nationaliste, auront des répercussions navrantes qui diviseront les rangs des militants. Des frères qui ont enduré des épreuves pénibles sous la bannière du PPA/MTLD, vont se retrouver dans des camps opposés et s’adonner à des actions peu honorables. Chacun y voyant le droit, la vérité de son côté, usant de la persuasion ou utilisant la violence. Cette crise a pris naissance dès la décision de la dissolution de l’OS. Cette structure, rappelons-le, a été conçue lors du congrès de 1947 du parti. Elle avait une définition claire : organisation paramilitaire ; et des buts précis : préparer des militants aguerris en vue d’une lutte armée. L’OS recrutait ses adhérents parmi les militants et faisait admettre ces derniers après un test qui déterminait l’engagement et la volonté du candidat à entreprendre la combat par tout moyen susceptible de mener à l’indépendance du pays. La décision qui fut prise par la direction du parti de gommer l’OS sans débat et sans autre forme de procès, ne sembla pas convenir à tous ceux qui s’étaient investis corps et âme dans la structure. La discipline du parti a naturellement obligé les militants de l’OS à réintégrer l’OP, mais dans leur for intérieur, ils se sont sentis spoliés de ce mouvement pour lequel ils ont tant trimé. Ces activistes reprochaient à la direction de faire comme si de rien n’était. Si certains OSistes acceptent de mauvaise grâce de rejoindre l’OP, ils furent par la suite ulcérés de constater l’apathie de la direction nationale. D'où leur ire. 56
Témoignage Cet immobilisme du sommet ne leur plut guère. Eux qui s’étaient mobilisés
pour
enclencher
un
processus
révolutionnaire
à
même
de
déstabiliser l’occupant, eux qui s’étaient initiés aux formes de combat de guérilla, n’admettaient point l’attentisme de la direction du parti. Ils étaient prêts pour l’action, alors qu’en face on tergiversait et on cherchait des faux-fuyants pour tempérer leur ardeur. Ils ne peuvent contenir leur impatience et font connaître leur point de vue, s’inscrivant ainsi en opposition avec la direction du parti auquel ils appartiennent. La goutte qui fera déborder le vase viendra d’une initiative de Messali Hadj qui, non seulement ne reconnaissait plus le Comité Central, mais voulait s'arroger tous les droits sur le parti. Et c’est ainsi qu’on passe d’une crise larvée à un antagonisme déclaré. Le parti se iissura, les militants étaient dans un premier temps aux abois et, petitement, quand tout fut étalé sur la table puis devint de notoriété publique, chacun choisit son camp. Cet état de fait créa un choc au niveau de
la
base
car
certains
militants
n’étaient
pas
au
courant
de
ces
manoeuvres. Cependant, chaque camp commençait à fourbir ses armes et préparer la riposte en vue de neutraliser l’autre. Cette scission du parti allait par la suite dévoiler les forces en présence qu'on peut regrouper ainsi : - le groupe des Messalistes, sous la houlette de Messali Hadj, Ahmed Mezghena, Moulay Merbah,Abdallah Filali,Aïssa Abdelli... -
le groupe des Centralistes, dirigé par Lahouel Hocine, Kiouane
Abderrahmane,
Sid-Ali
Abdelhamid,
Benyoucef
Benkhedda,
Ahmed
Bouda... - le groupe des Neutralistes, encadré par Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Didouche, Bitat...
Boudiaf rentre de France En mars 1954, Boudiaf rentre de France. Il est porteur d’un message, "Appel à la raison”, document rédigé par un groupe de responsables MTLD
de
France,
comprenant
le
respectable
Radjef
Belkacem,
vieux
compagnon de Messali Hadj, Benhabyles Abdelmalek alias "Soc^te" et Ahmed Mahsas. Ce document prêche le "neutralisme positif’. 57
Les architectes de la Révolution Boudiaf réunit à Alger quelques fidèles pour expliquer la teneur du texte et son objectif. Sa conception différait quelque peu de la substance de cet appel. Pour Boudiaf, nous ne devions point épouser les thèses des Messalistes, ni celles des Centralistes. Il y a lieu également de ne point verser dans la polémique
entretenue
par
les
deux
tendances,
et
éviter
tout
dénigrement. La calomnie a provoqué l’implosion du parti. Nous adoptons le "neutralisme actif', c’est-à-dire agissons pour le blocage des cotisations et le gel des activités politiques pour asphyxier et paralyser l’action destructive des deux antagonistes. Par cette position, nous voulions obliger les dirigeants à résorber la crise en allant vers un congrès extraordinaire, seul moyen de préserver l’unité du parti, le restructurer et le préparer pour le déclenchement d’une insurrection afin de rejoindre dans le combat libérateur nos frères du Maghreb. Il nous faut profiter de la conjoncture pour entamer le processus du combat libérateur. Les Tunisiens se sont révoltés, le peuple marocain s’est insurgé et les Vietnamiens venaient de remporter une victoire à Diên Biên Phu.
LE COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE L’ACTION (CRUA)
POUR
L’UNITÉ
ET
Boudiaf, en sa qualité de responsable, se met en relation avec les cadres du parti : chefs de wilayas (départements) et chefs de daïras (arrondissements). Il tente de les convaincre du bien-fondé de sa démarche et de ses idées pour les amener à rejoindre le groupe des activistes. Il finit, avec le concours de Mostefa Ben Boulaïd, en accord avec Didouche Mourad, Ben M’hidi et Rabah Bitat, par s’entendre avec deux des principaux responsables du Comité Central du parti, Bachir Dekhli, chef de l’organisation, et Ramdane Bouchebouba, contrôleur général du parti, et conclure un accord. Ainsi naquit le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA) le 23 mars 1954. Cette
structure,
composée
de
Boudiaf,
Ben
Boulaïd,
Dekhli
et
Bouchebouba, "avait pour but de lancer un mouvement d’opinion capable de
souder la base militante pour l’empêcher de se liguer derrière l’un ou l’autre 58
Témoignage des antagonistes, et par-là imposer un congrès unitaire qui sauverait le parti de
la scission". La dénomination CRUA a été comprise par beaucoup de militants et de cercles comme une aile fractionniste du parti et, bien longtemps après, ceux
qui
avaient
opté
pour
le
courant
neutraliste,
affirmaient
leur
appartenance à cette mouvance. Or ce comité, selon Boudiaf, n’est ni une organisation, ni un parti, mais une réunion de quatre individus qui cherchent à réparer la cassure du parti auquel ils appartiennent. Mais force est de constater qu’ils ont péché sur ce plan par manque de communication et de clarification, laissant persister dans l’esprit de la base
militante
l’idée
d’une
force
réelle
en
contradiction
avec
les
Centralistes et les Messalistes, formant par aversion une troisième voie sous la bannière du CRUA. A telle enseigne que Neutralistes et CRUA constituent une seule et même entité.Telle était la perception de la base. Si bien que, lorsque Dekhli et Bouchebouba, sur instruction du Comité Central,
se
retirent
du
comité,
entraînant
automatiquement
son
extinction, personne ne manifeste quelque récrimination. Il est vrai qu'alors, le CRUA n’avait plus de raison d’être. Les quatre hommes qui le composaient ne sont pas parvenus au but principal qu’ils s’étaient assignés, à savoir la sauvegarde de l’unité du parti. Malgré tous les efforts et les tentatives en vue de replâtrer les fissures, ils n’y sont pas parvenus. La dernière tentative faite par Ben Boulaïd, qui s’est déplacé en France pour convaincre Messali de tenir un congrès de l’unité, s’est soldée par un refus du zaïm qui a organisé, à Hornu, le congrès de la division. Dès lors l’objet pour lequel le CRUA a été fondé n’existant plus, les liens qui rattachaient les quatre amis sont devenus solubles. On dira donc qu’officiellement
cette
entité
clandestine
dénommée
CRUA
aura
vécu
jusqu’à la veille de la tenue du congrès des Messalistes. Mais dans la réalité de la vie militante, la majeure partie de la base activait sous la couleur du CRUA. Pour ses éléments, le CRUA aura été cette troisième force qui a forgé l’instrument du déclenchement de la lutte armée et sa dissolution n’est intervenue qu’un 23 octobre lorsqu’il passera le flambeau au Front de libération nationale. 59
Les architectes de la Révolution Au départ, les membres du comité engagèrent une campagne de sensibilisation pour clarifier leur position, en précisant qu’ils oeuvrent pour : a- l’unité du parti b- la tenue d’un congrès démocratique pour garantir la cohésion interne c- la dotation du parti d’une direction révolutionnaire. Le CRUA avait comme soutiens, outre les quatre responsables susdésignés, Didouche Mourad, Ben M’hidi Larbi et Bitat Rabah. La
première
publication
du
CRUA
sous
forme
de
bulletin
d’information clandestin paraît sous le titre Le Patriote, développe l’idée du neutralisme et lance un appel : "La position que vous devez adopter avec
nous consiste en la tenue d’un congrès souverain et à faire de notre parti un instrument révolutionnaire véritable qui, en accord avec les partis frères de Tunisie et du Maroc, hâtera la destruction du colonialisme français".
L’alliance Notre groupe de soutien, composé d’une dizaine de militants qui étaient très proches de Boudiaf et qui le côtoyaient fréquemment, a appris avec quelque étonnement cette alliance inattendue avec les deux responsables
représentant
la
direction
du
parti.
Alors
qu’auparavant
Boudiaf et ses compagnons se plaignaient du comportement de ces mêmes individus, les voilà de connivence ! Pour notre groupe, cette alliance était contre nature. Alors qu’ils se tiraient dans les pattes et nous les dénigraient, claironnant : "Pas d’alliance
avec les Centralistes !", voilà qu’ils forment un comité prônant l’unité et l’action ! Nous
avons
revirement
des
considéré positions
l’initiative, précédentes
déplacée de
Boudiaf
et et
synonyme de
ses
d’un quatre
compagnons, Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Didouche et Bitat. Notre engagement avec ses hommes, jusque-là, était total, sincère et sans réserve. Nous les avons toujours soutenus, et ce dans les pires moments. Nous avons souffert des quolibets proférés par les deux camps conséquemment à notre alignement. 60
Témoignage Nous leur avons demandé des explications. C’est Ben M’hidi qui fut chargé par le groupe de la mission de préciser les intentions de ses quatre compagnons et de lever toute équivoque. Il vint me voir et me demanda de contacter Boukchoura Mourad pour assister à l’entretien. Durant toute la soirée, dans mon arrière-boutique, Ben M’hidi relate toutes les péripéties depuis le coup deTébessa et tous les aléas qui en découlèrent. Tout en débitant, il nous rappela certains épisodes, nous prenant tantôt à témoin, tantôt jurant que c’était la réalité. Les justifications qu’il développait étaient logiques et convaincantes. Il nous fit le récit de toutes les démarches entreprises et de toutes les tractations avec l’ensemble des partenaires. Le bilan auquel il aboutit faisait le constat à l’actif des Neutralistes : faibles moyens, petit nombre de militants dévoués. "Cet acquis ne peut être fructifié en dehors des structures du parti. C’est la raison pour laquelle nous devons pénétrer les structures pour expliquer et développer notre position de Neutralistes. Nous
sommes dépourvus de moyens matériels et financiers. Nous ne disposons ni d’équipements ni de locaux. Il est nécessaire de pénétrer l’organisation pour un travail d’approfondissement de nos idées en direction de la base. Il y a également un travail de sensibilisation et de persuasion", disait-il. "Le parti est le nôtre, il nous faut le réparer. Certains des Centralistes ne partagent pas pleinement nos idées, ils les trouvent avant-gardistes, démunies de moyens. Mais ils ne sont pas pour autant nos adversaires. Il faut nous accommoder de nouvelles données et travailler en conséquence pour faire prévaloir nos points de vues et essayer de les faire partager avec le maximum des cadres du parti". Il termine son exposé en nous demandant d’être patients et de comprendre les soucis des cinq compagnons. Il nous prie d’être les intermédiaires du groupe pour affranchir nos camarades qui sont dans l’attente et les persuader de l’importance du choix conjoncturel. Ben M’hidi était très affecté de notre rebuffade. Il l’a comprise et la trouve légitime. Il regrette de ne pas avoir porté à notre connaissance plus tôt leurs intentions qui n’avaient d’ailleurs, selon lui, aucune confidentialité en ce qui nous concerne. "Mais c’est le temps qui ne nous a pas permis de réunir votre groupe et vous informer". C’est pourquoi, tout en exposant son argumentaire, il était parfois pathétique, nous rappelant sans cesse notre appartenance au noyau des éléments de la logistique qui ne s’est jamais départi de sa charge et qui a toujours apporté un soutien sans faille durant les quatre dernières années. 61
Les architectes de la Révolution Abordant le futur proche, Ben M’hidi nous trace les lignes directrices du programme arrêté par Boudiaf et Ben Boulaïd. Convaincus par toutes les explications fournies par Ben M’hidi, nous assurâmes, Boukchoura et moi, la liaison avec le reste de notre groupe et lui rapportâmes les propos de Boudiaf et de ses compagnons. Tous les éléments
furent
tranquillisés
et,
convaincus,
continuèrent
leur
activité
militante au sein du groupe de la logistique et des liaisons. Plus tard, les faits confirmèrent la justesse des initiatives de Boudiaf et de
ses
compagnons.
hiérarchique,
Dekhli
disposant
de
et
Bouchebouba,
moyens
et
de
de
pouvoir
par de
leur
position
décision,
ont
concrétisé certaines sollicitations émises par Boudiaf. Entre autres points positifs, l’édition du journal du CRUA, Le Patriote, qui était tiré sur les machines du parti et qui véhiculait l’idéologie des Neutralistes. Le bulletin tiré, Bouchebouba me ramenait des paquets en vue de leur diffusion. El-Hadi Badjarah venait quérir les exemplaires à distribuer aux militants de Kouba ;Athmane Belouizdad prenait ceux de Belcourt. On menait campagne pour faire connaître cette publication et on obligeait les militants à la lire et la commenter. Cette nouvelle donne crée une dynamique nouvelle.Avec le concours des deux responsables du Comité Central, Boudiaf et son groupe sont toujours sur la sellette. Ils ont besoin de se concerter, souvent entre eux. Ils ont besoin de se mouvoir à leur guise, de jour comme de nuit. Boudiaf
vint
me
voir,
et
après
m’avoir
affranchi
sur
toutes
les
démarches entreprises et le travail accompli, me demanda de lui céder mon local pour en faire un siège. Il m’expliqua les raisons qui ont motivé une telle sollicitation : endroit discret, accessibilité aisée des deux côtés, commodités sanitaires et hygiéniques. "Le parti te payera quand il sera
renfloué".Je ne pouvais refuser, d’autant que j’étais conscient de l’utilité de ce local qui a vu transiter bien des fugitifs et des recherchés. Il a été un havre de paix pour bien des dirigeants. Je lui fis part de mon accord et lui précisais par-là même que je le cédais gratuitement au parti. Ce local servira à Boudiaf qui l’érigea plus tard en siège de l’état-major de la révolution. Je quittais donc la rue Barberousse et m’installa au 5, passage Malakoff, rue Bab El-Oued, derrière le palais Bruce et proche de la place des Martyrs. 62
Témoignage Ce nouveau magasin de tailleur au centre de la ville devait faciliter les contacts avec les représentants des deux tendances qui arrivaient de l’intérieur du pays en essayant de trouver ensemble une solution à la crise. Boudiaf, le visitant, me dit que de par sa position géographique, ce magasin se prêtait mieux aux rencontres. Et de rencontres dans ce nouveau local, il y en eut...
L’analyse de Boudiaf Boudiaf réunit les membres qui lui sont fidèles, convaincu qu’il était de la disponibilité présentement d’une cellule qui peut se définir et entamer un travail de sensibilisation. Il rappelle que le processus révolutionnaire qui avait été conçu par le parti depuis 1947, devait agir sur deux fronts : - l’un politique, qui devait exercer des actions pacifiques par le canal du MTLD, à savoir sensibilisation, éducation et organisation des masses. Il fallait inculquer à ces masses une idée maîtresse : le compter sur soi. Il fallait amener cette société à se prendre en charge par la mise en place de structures sociales et autres, parallèlement à celles de l’administration coloniale. -
l'autre
militaire.
La
préparation
d’un
mouvement
insurrectionnel
armé, préparé par le parti et sous son autorité, mais dirigé par une direction émanant de la structure de l’OS, créée à cet effet lors du congrès. Toutes les théories échafaudées par le parti révolutionnaire étaient comprises et assimilées par l’ensemble des militants depuis de longues années. Le temps a fini par enraciner toutes ces théories, qui sont devenues des convictions bien ancrées dans l’esprit des militants qui n’attendent que le feu vert des décideurs pour passer à l’action. Les
propositions
extraordinaire, différentes
initié
étapes
de par
en
Boudiaf le
CRUA,
analysant
pour
la
tendent
à
objectivement
tenue faire les
le
d’un
congrès
point
sur les
raisons
qui
ont
contribué à cette crise et trouver dans la sérénité les solutions les mieux indiquées. 63
Les architectes de la Révolution Il fera le diagnostic, énumérant point par point toutes les déviations, les tares, les insuffisances et les équivoques. Il s’appesantira sur la passivité et l’incompréhension des dirigeants qui ont laissé pourrir la situation. Cet état de fait a eu des retentissements à tous les niveaux : - Fraction au sommet, d’où un désaccord entre ceux qui suivaient un groupe totalement acquis, voire inféodé à Messali et qui ne pouvaient prendre aucune décision sans en référer au zaïm (les Messalistes) ;et des membres du Comité Central qui, légalistes, tergiversaient encore et ne prenaient aucune initiative (les Centralistes). Boudiaf rappelle que Messali a créé la zizanie en lançant un pavé dans la mare en décembre 1953 lors de la conférence des cadres, où son message a été lu à l’assemblée dès le début de la session, message qui fait ressortir : - qu’il ne reconnaît pas la direction issue du congrès ; - qu’il récuse le Comité Central ; - qu’il demande les pleins pouvoirs. Pour les Centralistes, le passage à l’action armée est prématuré. Il faut auparavant : - opérer une refonte de l’unité politique du parti ; - s’équiper progressivement en armement ; - définir la situation avec les mouvements nationalistes tunisiens et marocains. Pour ces deux tendances, l’action armée est prématurée. "Nous ne
sommes pas prêts... Nous n’avons pas les moyens... Il faut d’abord nous organiser, nous réunir, étudier... " Un troisième groupe, partisan d’une ligne dure qui prêche le passage à l’action armée, à l’instar de nos voisins tunisiens et marocains, estimant que la conjoncture s’y prête. La France doit éparpiller ses forces sur trois fronts (les Neutralistes). - Fraction au niveau de la base ayant entraîné des actes inconsidérés. Les frères d’hier sont devenus adversaires aujourd’hui. La division ayant éclaté au grand jour, les citoyens observent avec dédain, lire avec mépris
Bureau du comitĂŠ de la medersa Essabah - La Casbah.
Les SM A reçus par Djamel Abdenasser. Au Ier rang, de droite à gauche : Aït Ahmed, Hamdane Abdelouaheb, Nasser, Omar Lagha.
L’auteur (2e à partir de la droite) avec des moussebiline et des mou djahidine à Ksar Zenina.
Témoignage les disputes entre les militants. Ils maudissent leurs leaders qui n’arrivent même pas à maîtriser leurs troupes qui se déchirent sur la place publique, à la grande joie de la police et des colons. Une partie des cadres et des militants se sont regroupés autour des Neutralistes qui constituent la troisième voie et celle qui répond le mieux à leurs aspirations. Cependant, il est une réalité qu’on ne peut nier : leur nombre n’est pas élevé, le gros de la troupe demeure sous l’influence de Messali. C’est pourquoi Boudiaf, pressé par les événements, préconise une inversion du processus révolutionnaire, c’est-à-dire passer à l’action et procéder au fur et à mesure à la canalisation et à l’organisation de toutes les
forces
vives.
Ce
faisant,
l’éclatement
décidera
les
indécis,
et
progressivement ceux-ci rejoindront les partisans du combat. Le groupe suit le raisonnement de Boudiaf et en fera sien. L’unanimité étant faite sur le programme d’action, chacun des militants présents
s’organise
en
conséquence
et
entame
à
son
niveau
les
préparatifs pour une campagne de sensibilisation. A ce propos, Boudiaf déclarera au journal Le Monde, le 2 novembre 1962
:
"Nous envisagions trois étapes. Une première, purement militaire,
permettrait la formation de petits groupes qui éviteraient les attaques de front et se limiteraient à des opérations de destruction et de harcèlement Cette étape serait mise à profit pour donner une instruction militaire au plus grand nombre possible de nos citoyens. La seconde étape serait celle de l’insécurité généralisée : attaque des ouvrages d’art et mise en place d’une administration clandestine - ce qu’on appela plus tard l’OP A, dont le rôle essentiel serait de faire participer les masses à la gestion de l’insurrection. La troisième étape verrait l’installation d’un embryon de gouvernement dans une zone franche. Vous savez que ce plan n’a pu être respecté. Dans l’immédiat, nous ne nous faisions pas d’ailleurs d’illusions. Nous avons prévu, pour donner l’illusion d’une organisation capable d’intervenir partout et à tout moment, une distribution de plusieurs tracts à répandre à plusieurs jours d’intervalle. L'un d’entre eux annonçait l'insurrection ; l’autre... la création du FLN. En fait, les deux furent distribués le I er novembre". 65
Les architectes de la Révolution
LA RÉUNION DES «22» Boudiaf projette de réunir des éléments sûrs et qui ont fait leurs preuves, en vue d’étudier ensemble la situation et arrêter communément ce qu’il convenait de faire, quoique lui-même et certains de ses proches aient envisagé les axes principaux d’une stratégie de mobilisation et de combat. C’est pourquoi Boudiaf tente de faire partager ce point de vue avec un groupe plus étoffé. Quoi de plus naturel alors de réunir les éléments les
plus
convaincus
et
partisans
d’une
ligne
dure
qui
sortiront
le
mouvement national de la torpeur et de l’immobilisme dont lesquels l’ont plongé les responsables de la direction du parti. Le choix de Boudiaf quant aux participants était limitatif. Beaucoup de compagnons étaient incarcérés, d’autres parmi les fidèles ont reçu une mission précise. Il convenait alors de faire appel à des membres qui ont activé sous ses ordres et qui avaient fait leurs preuves. C’est à ce titre qu’une grande partie de ceux qui étaient invités à la réunion pouvaient constituer un groupe homogène. La composante est ainsi détaillée : -
Didouche Mourad, un des fidèles adjoints, a choisi un groupe
d’Algérois
composé
de
Bouadjadj
Zoubir,
Merzougui
Mohamed,
Belouizdad Athmane et Derriche Lyes ; - Lamoudi Abdelkader, qui avait fait partie de son état-major dans le Sud-Constantinois ; - Souidani Boudjemaâ, qui avait abattu, à Boudouaou, l’inspecteur Culet de la PRG en 1952 et avait participé à l’attaque de la poste d’Oran en 1949 dans le commando de Belhadj Bouchaâeib dit Si Ahmed, autre participant à la réunion ; - Zighout Youcef et Benaouda Mostefa, qui, après leur évasion de la prison de Annaba en 1952 et auxquels se joint Bentobal Lakhdar pour un séjour dans les Aurès, sont revenus dans la région de Conde Smendou pour se réfugier jusqu’en 1954 ; - Bitat Rabah et Habachi Abdeslam ont séjourné aussi, de 1950 à 1952, dans les Aurès, puis le parti les permanisa comme chefs de daïras à l’Ouest du pays ; 66
Témoignage - Ben M’hidi Larbi, Benabdelmalek Ramdane et Boussouf Abdelhafid avaient exercé comme chefs de daïras dans l’Ouest ; - Mechati Mohamed, qui avait été actif dans le Constantinois puis a séjourné dans l’Algérois ; - Bouali Saïd et Mellah Slimane dit Rachid.qui n’étaient pas recherchés, ont activé et résidé à Constantine ; - Badji Mokhtar, après sa sortie de prison en 1952, est resté actif à Souk-Ahras ; Boudiaf
Mohamed
et
Ben
Boulaïd
Mostefa,
les
piliers
de
cette
ossature, ont constitué ce groupe des 22. Ce point relatif à la composition, Boudiaf l’abordera d’entrée lors de l’ouverture de la séance réunissant vingt deux militants au logis de Lyes Derriche, à Clos-Salembier (El-Madania). Il regrettera l’absence "de nos
frères
de
Kabylie,
encore
sous
obédience
messaliste,
et
certains
de
nos
camarades qui végètent dans les prisons". Toujours est-il, ces 22 militants, en majorité membres de l’OS, allaient débattre pendant des heures de la situation du parti et du devenir de la cause nationale sous la présidence de Mostefa Ben Boulaïd. Ils passent en revue tous les points qui donnèrent lieu à discussion : historique de l’OS, crise du parti, situation politique, opinion publique relative aux événements se déroulant à nos frontières, état d’esprit des populations, perspectives et déclenchement de la lutte de libération. Sur tous ces points, les 22 étaient en parfaite harmonie. Au cours de la même réunion, ils conviennent de se doter d’un commandement pour une meilleure coordination et une bonne circulation de l’information. Habitués à la clandestinité et désirant se prémunir contre tout aléa, ils décident de désigner un responsable, lequel choisira par la suite ses proches collaborateurs qui constitueront l’état-major, sans en référer aux autres. Ainsi, ils échafaudent une soupape de sécurité pour protéger ses adjoints. Ce faisant, les 22 ne connaîtront qu’un seul chef, les autres étant anonymes. Au cours de la discussion relative à ce sujet, une proposition fut retenue. Elle consiste à élire et non à désigner le responsable dans 67
Les architectes de la Révolution l’anonymat.
Toute
l’assistance
manifeste
sa
confiance
à
Mostefa
Ben
Boulaïd pour être le scrutateur et informer celui qui aura été retenu. Les événements vont se bousculer après cette historique réunion et les précautions envisagées ne connaîtront aucune suite. Les dirigeants travailleront
à
participants
visage
découvert.
appliquaient
On
encore
et
remarquera toujours
cependant les
que
les
consignes
et
recommandations en usage dans la structure de l’OS. L’assemblée vote deux fois et se retire. La réunion prend fin. Ben Boulaïd a dépouillé les vingt-deux bouts de papier et indiqué qu’il y avait un résultat à l’issue du deuxième tour.
Si Mostefa fait part à Boudiaf du scrutin. "C’est toi qui a été élu". Boudiaf prend acte et dira : "Avec nos trois compagnons Larbi, Mourad et Rabah qui
nous ont aidés à la préparation de cette rencontre, nous serons cinq, en attendant
une
décision
définitive
quant
au
nombre
d’éléments
devant
constituer l’état-major". Le groupe des Cinq est né. Lundi 28 juin 1954, le surlendemain de cette réunion historique, Boudiaf et Ben Boulaïd invitent leurs collaborateurs à une réunion au 6, rue Barberousse, pour faire le point en étudiant les conclusions de l’assemblée
des
22
et
envisager
la
mise
en
pratique
des
recommandations. Voulant fêter cet événement, j’ai été chargé, avec Mourad Boukchoura, de préparer la cérémonie. Nous nous sommes rendus chez un gargotier de la rue Marengo, le militant MohTouil,qui nous prépara sept repas que nous partageons ensemble dans mon atelier, autour de ma table de coupe, dans la bonne humeur. Ce soir-là, c’était la sérénité et la bonne entente. Nous nous retirâmes, Boukchoura et moi, sitôt le repas terminé, laissant les cinq architectes entamer leurs travaux. La grogne des Constantinois Quelques jours après cette séance historique, un malentendu apparaît. Des éléments de Constantine, à leur tête Guerras Abderrahmane, s’étaient concertés après la réunion et estimaient qu’il fallait débattre de certains sujets qui leur paraissaient importants et qui, de leur point de vue, n’ont pas été suffisamment abordés chez Derriche. 68
Témoignage Ce groupe sollicite, par le biais de Bitat, une réunion restreinte chez Boukchoura Mourad ou chez moi pour mettre sur pied une stratégie favorisant une meilleure appréhension pour la réussite du déclenchement. En somme, discuter de :
les
éléments
de
Constantine
s’attachaient
à
vouloir
a- la détection des têtes d’affiches, c’est-à-dire constituer une bonne représentation par des personnalités connues dans la sphère politique, capables de propager le programme de la révolution à l’intérieur et surtout à l’extérieur du pays ; b- la conception d’une couverture politique et la définition du rôle du militaire dans la structure de l’organisation, qu'il soit parallèle ou intégré ; c- du recensement de tous les moyens humains et matériels (fonds, armes, équipements). A cette problématique, Boudiaf charge Bitat pour leur faire des propositions et exclut de facto encore une réunion pour débattre de stratégie arrêtée, quand bien même certains détails auraient été omis. Il n'est plus question de revenir sur des décisions arrêtées en commun. Boudiaf leur propose d’adjoindre Guerras pour être le sixième à l’étatmajor, avant d’arrêter la décision finale et couper court à leur exigence. Il appartiendra alors à Abderrahmane de travailler dans le sens préconisé et de chercher avec les Cinq les meilleures formules pour assurer le succès de l’insurrection. Guerras décline l’offre et interpréta l’invite comme une tentative de le soudoyer et éviter ainsi la discussion sur une stratégie de fondement de la lutte armée. Il y a eu un certain raidissement de la part des Constantinois, mais tout rentra dans l’ordre par la suite car les préparatifs allaient bon train et les événements vont se bousculer. Bitat, qui devait prendre la responsabilité de la Zone 2 (le Constantinois) au début de la lutte armée, s’est vu amputer de tout ce groupe qui s’est effrité. Il permutera avec Didouche Mourad pour prendre la Zone 4 (l’Algérois). Après le déclenchement, le groupe des Constantinois connut des fortunes diverses : trois d’entre eux seront les premiers responsables de 69
Les architectes de la Révolution la Fédération de France : Guerras Abderrahmane, Mechati Mohamed et Haddad Youcef (ce dernier côtoiera le réseau Jeanson et les porteurs de valises). Habachi Abdeslam sera arrêté. Bouali Saïd et Slimane Mellah tomberont au champ d’honneur. Il demeure vrai que lorsque les Cinq deviennent Six, l’idée de mettre des hommes politiques renommés et estimés dans le staff de l’état-major, est discutée et adoptée. Il s’agissait de renforcer les membres de la délégation extérieure de militants qui avaient vécu les derniers temps les crises successives du mouvement national et seraient à même de donner une impulsion à la connaissance du combat libérateur. Comme tête d’affiche, ils ne pouvaient faire meilleur choix que celui de Lamine Debaghine ; l’homme était sur la touche, en dehors de toutes les querelles intestines, son capital prestige et intégrité n’a pas été altéré. D’autre part, il n’appréciait point Messali. Boudiaf, Ben Boulaïd et Krim font le déplacement à Saint-Arnaud (ElEulma) où réside et exerce le docteur Debaghine. Au cours de cette rencontre, il prend note de la proposition et demande un temps de réflexion. Au bout de quelques jours, il se rend à Alger et rencontre Ben Boulaïd et Krim, Boudiaf étant absent. Il commence par remercier ses deux interlocuteurs car, dit-il, "j’ai pleine confiance en vous, mais je ne peux en dire autant des autres" (faisait-il allusion à ceux qui l’ont exclu de la direction en 1949 ?). Il décline l’offre. Le docteur Lamine Debaghine rejoindra plus tard libération nationale sous le pseudonyme de "Docteur Moto".
le
Front
de
Des tentatives auprès de Mehri Abdelhamid et Mouloud Kacem ne donnent pas meilleur résultat. Ces désaffections mettront un terme à la recherche d’un autre groupe et détermineront les Six à opter pour une direction collégiale, travaillant harmonieusement et d’une manière pragmatique. Un coordonnateur aura, entre autres missions, celle d’assurer la communication entre tous. "Lorsque le baroud aura crépité, nous trouverons des militants pour la bonne représentation à l’étranger", conviennent-ils. A propos de la réunion des 22, certaines voix, bien plus tard, affirmeront qu’ils étaient 21 et n’incluaient pas Derriche, propriétaire de 70
Témoignage Ce groupe sollicite, par le biais de Bitat, une réunion restreinte chez Boukchoura Mourad ou chez moi pour mettre sur pied une stratégie favorisant une meilleure appréhension pour la réussite du déclenchement. En somme, discuter de :
les
éléments
de
Constantine
s’attachaient
à
vouloir
a- la détection des têtes d’affiches, c’est-à-dire constituer une bonne représentation par des personnalités connues dans la sphère politique, capables de propager le programme de la révolution à l’intérieur et surtout à l’extérieur du pays ; b- la conception d'une couverture politique et la définition du rôle du militaire dans la structure de l'organisation, qu'il soit parallèle ou intégré ; c- du recensement de tous les moyens humains et matériels (fonds, armes, équipements). A
cette
problématique,
Boudiaf
charge
Bitat
pour
leur
faire
des
propositions et exclut de facto encore une réunion pour débattre de stratégie arrêtée, quand bien même certains détails auraient été omis. Il n’est plus question de revenir sur des décisions arrêtées en commun. Boudiaf leur propose d’adjoindre Guerras pour être le sixième à l’étatmajor, avant d’arrêter la décision finale et couper court à leur exigence. Il appartiendra alors à Abderrahmane de travailler dans le sens préconisé et de chercher avec les Cinq les meilleures formules pour assurer le succès de l’insurrection. Guerras décline l’offre et interpréta l’invite comme une tentative de le soudoyer et éviter ainsi la discussion sur une stratégie de fondement de la lutte armée. Il y a eu un certain raidissement de la part des Constantinois, mais tout rentra dans l’ordre par la suite car les préparatifs allaient bon train et les événements vont se bousculer. Bitat, qui devait prendre la responsabilité de la Zone 2 (le Constantinois) au début de la lutte armée, s’est vu amputer de tout ce groupe qui s’est effrité. Il permutera avec Didouche Mourad pour prendre la Zone 4 (l’Algérois). Après le déclenchement, le groupe des Constantinois connut des fortunes diverses : trois d’entre eux seront les premiers responsables de 69
Les architectes de la Révolution la Fédération de France : Guerras Abderrahmane, Mechati Mohamed et Haddad Youcef (ce dernier côtoiera le réseau Jeanson et les porteurs de valises). Habachi Abdeslam sera arrêté. Bouali Saïd et Slimane Mellah tomberont au champ d’honneur. Il demeure vrai que lorsque les Cinq deviennent Six, l’idée de mettre des hommes politiques renommés et estimés dans le staff de l’état-major, est discutée et adoptée. Il s’agissait de renforcer les membres de la délégation extérieure de militants qui avaient vécu les derniers temps les crises successives du mouvement national et seraient à même de donner une impulsion à la connaissance du combat libérateur. Comme tête d’affiche, ils ne pouvaient faire meilleur choix que celui de Lamine Debaghine ; l’homme était sur la touche, en dehors de toutes les querelles intestines, son capital prestige et intégrité n’a pas été altéré. D’autre part, il n’appréciait point Messali. Boudiaf, Ben Boulaïd et Krim font le déplacement à Saint-Arnaud (ElEulma) où réside et exerce le docteur Debaghine. Au cours de cette rencontre, il prend note de la proposition et demande un temps de réflexion. Au bout de quelques jours, il se rend à Alger et rencontre Ben Boulaïd et Krim, Boudiaf étant absent. Il commence par remercier ses deux interlocuteurs car, dit-il, "j’ai pleine confiance en vous, mais je ne peux en dire autant des autres" (faisait-il allusion à ceux qui l’ont exclu de la direction en 1949 ?). Il décline l’offre. Le docteur Lamine Debaghine rejoindra plus tard libération nationale sous le pseudonyme de "Docteur Moto".
le
Front
de
Des tentatives auprès de Mehri Abdelhamid et Mouloud Kacem ne donnent pas meilleur résultat. Ces désaffections mettront un terme à la recherche d’un autre groupe et détermineront les Six à opter pour une direction collégiale, travaillant harmonieusement et d’une manière pragmatique. Un coordonnateur aura, entre autres missions, celle d’assurer la communication entre tous. "Lorsque le baroud aura crépité, nous trouverons des militants pour la bonne représentation à l’étranger", conviennent-ils. A
propos
de
la réunion des 22, certaines voix, bien plus tard,
affirmeront qu’ils étaient 21 et n’incluaient pas Derriche, propriétaire de 70
Témoignage la demeure où a eu lieu ia rencontre. Boudiaf rejette de tels propos et rétablit une vérité. "Comment ne pas admettre dans ce cas un élément qui
met sa maison à notre disposition et de plus participe au vote ?" D’ailleurs, dans la résolution adoptée, il est annoncé : "Les 22 chargent le responsable
national qui sortira du vote, de mettre sur pied une direction qui aura pour tâche d’appliquer les décisions de la présente motion". On trouvera cette mise au point dans la lettre que Boudiaf m’a adressée et que je publie en annexe.
LA COLÈRE DES MESSALISTES L’attitude
des
Messalistes
vis-à-vis
du
groupe
de
Boudiaf
change
progressivement, allant des tentatives de réconciliation à la bastonnade, après les insultes, les provocations et les intimidations. Au début de la crise, bien qu’ils se soient aperçus de l’action fébrile de Boudiaf,
les
Messalistes
tentaient
de
contrer
les
Centralistes
et
se
mobilisaient en conséquence. Mais ils ont compris par la suite que les démarches de Boudiaf pouvaient avoir un retentissement positif sur la base et faire tache d’huile. Plus le temps passait, plus les Messalistes se voyaient perdre du terrain. Les Centralistes s’organisaient de leur côté pour mettre un holà à l’agressivité des partisans de Messali. Ils n’étaient point ménagés car le zaïm voulait tout régenter. Se rendant compte qu’ils avaient affaire à des adversaires coriaces et déterminés, les Messalistes utilisèrent tous les moyens pour contrecarrer les initiatives des Neutralistes. Ils délèguent des militants proches de leur obédience, mais qui avaient gardé l’amitié de certains Neutralistes, pour essayer de convaincre le groupe de Boudiaf de rallier le camp de Messali. Réponse
négative.
Les
menaces
et
intimidations
colportées
par
ces
émissaires n’ont eu aucun effet.
La bastonnade de Ketchaoua Alors, les Messalistes, dédaignant les Centralistes qu'ils considéraient une proie facile, s’attaquèrent au groupe de Boudiaf par des voies de fait. C’est
ainsi
que,
revenant
d’une
veillée
de
Ramadhan
passée
en
compagnie de Abdelhamid Mehri, Boudiaf, accompagné de Rabah Bitat, Mourad Bojkchoura et moi,fumes agressés par un commando messaliste en plein centre-ville, à la rue du Divan, près de la mosquée Ketchaoua. 71
Les architectes de la Révolution Un groupe de choc messaliste, dirigé par Basta Arezki, à hauteur du café Belhafaf, nous bastonna mes quatre compagnons et moi. Ce passage à tabac occasionna des blessures légères à Boudiaf, qui évita le pire en se protégeant avec une chaise du cafetier. Son bracelet-montre vola en éclats. Bitat reçut une volée de coups sur sa poitrine, fragile à l’époque. Quant à moi, les Messalistes m’assenèrent des ramponneaux sur la nuque et la tête qui me firent chanceler pour tomber dans les escaliers de la mosquée. Je ne dus mon salut qu’à Boukchoura qui me protégea, alors que j’étais à demi évanoui. Dans une lettre datée du 10 mai 1954, Moulay Merbah écrit à Messali :
"Déjà hier, des militants de La Casbah ont fait spontanément une descente contre certains directionnistes soupçonnés aussi comme étant les auteurs du bulletin dont il est question. Ils ont, paraît-il, reçu une bonne raclée... Smail de Paris en a bien eu pour son compte (Smaïl était un autre pseudonyme de Boudiaf)... Mais la partie n’est pas encore terminée, d'après ce que j’ai appris. En tout cas, cela a fait sensation ici... ". Le prétexte avancé par les Messalistes à cette "expédition punitive", selon eux, est le fait que les Neutralistes aient volé une machine à écrire et du matériel d'impression du parti. A croire que tout le patrimoine du PPA/MTLD était la propriété de la seule fraction messaliste. Le même soir, l’alerte est donnée. L’émoi et la colère de certains militants qui se sont déplacés en pleine nuit, seront difficiles à contenir. Certains
voulaient
en
découdre
dans
l’heure
qui
suit et
régler
leur
compte à ces partisans de "Boulahia". Un petit groupe, très tard dans la nuit, s’attelle à rendre la monnaie. Le lendemain, il y eut une riposte qui se solda par des blessés de part et d’autre. Parmi les mutilés, il y avait l’instigateur de l’attaque de la veille, Aïssa Abdelli, ancien gendarme et donneur d’ordres. La
contre-attaque
menée
par
les
Neutralistes
était
dirigée
par
Bouchebouba Ramdane, contrôleur du parti, avec un groupe de choc de Kouba et avait visé le siège du parti à la place de Chartres qui abritait à ce moment-là les dirigeants messalistes. Le commando était composé de Sid-Ahmed Hassam, chef de Wilaya, Nadir
Kassab,
Abdeslami,
responsable
Badreddine
de
Redjimi,
l’OS
à
Kouba,
Mohamed
et Mohamed Dhab. 72
Tahar
Bedrani,
Kidioui,
Mahmoud
Rachid Boudjatit
Témoignage
ALERTE À LA FRONTIÈRE TUNISIENNE Au cours du mois d’août 1954, Badji Mokhtar informe Boudiaf de ce que des combattants tunisiens traversaient la frontière pour demander de l’aide, faire la collecte d’argent, ramasser des médicaments et acheter des armes. Badji
signale
également
un
certain
Hadj
Ali
qui
rançonnait
et
récupérait les armes auprès des populations de la région de Souk-Ahras. Les journaux commençaient à laisser filtrer des informations relatives à des pénétrations de "fellaghas" en territoire algérien. Des voyageurs déclaraient avoir aperçu, à la tombée de la nuit, un mouvement de troupes françaises aux frontières de l’Est. Cela contraria les plans établis par Badji et ses compagnons dans la mise en place des structures dans sa circonscription. Ces incursions inquiétaient Boudiaf. Non pas qu’il ne faille point aider les frères tunisiens, mais cela va mettre en éveil l’administration française. Ce faisant, nos militants seront surveillés, voire arrêtés ou gênés dans leurs préparatifs. Par ailleurs, les combattants tunisiens n’ont pas pris attache avec les nationalistes algériens, bien que certains se connaissent. Il y avait eu auparavant des contacts et prises de connaissance. Mais cela est resté en l’état. Aucune promesse, aucune stratégie n’avaient été arrêtées. Une simple connaissance de militants. Par ailleurs, Abbès Laghrour, l'un des lieutenants de Ben Boulaïd qui avait la responsabilité du secteur de Tébessa, signale à Si Mostefa des mouvements suspects des forces françaises à la frontière. Les autorités locales interdisent d’aller ramasser le bois en forêt depuis quelques jours. Des tirs de rafales de nuit sont perçus. Un jeune berger a été tué par les militaires français à l’orée de la forêt. Les rondes de patrouilles sont plus fréquentes, mais les populations montagnardes n’ont pas été inquiétées. Ces nouveaux faits sont préoccupants et n’augurent rien de bon pour Boudiaf. Lui qui n’est pas alarmiste, se fait soucieux ; le précédent concernant l’explosion de l’OS en 1950 est encore vivace dans tous les esprits. Il faut éviter un autre cauchemar. Il craint l’effondrement de tout ce qui a été édifié dans des conditions pénibles.Tous les plans échafaudés et arrêtés au prix de quels sacrifices, ne doivent pas être remis en cause. 73
Les architectes de la Révolution D’où la nécessité impérieuse d’accélérer le processus. Il faut faire vite et redoubler d’ardeur. Il faut bousculer les apathiques, convaincre les indécis et s’organiser en conséquence. Que ceux qui sont dans les gradins descendent sur le terrain. Le temps joue contre nous, et si d’aventure nous rations le coche encore une fois, il nous faudrait des décennies pour nous remettre d’aplomb. Et pis, nous serons honnis à jamais et par les militants et par le peuple. Boudiaf relate les faits auprès de certains de ses compagnons et engage une discussion qui a été très animée. Les commentaires des uns et des autres se rejoignaient sur le point capital : "Il faut redoubler d’ardeur
et précipiter les événements".
LA RENCONTRE AVEC KRIM Originaire de Bordj Ménaïel, Hachemi Hamoud, vieux militant et chef de Wilaya, était pétri de qualités morales et adulé. On l’appelait Lemrabet en hommage à ce qu’il représentait de vertu et de sagesse. Il lui a été confié la délicate mission de servir d’intermédiaire et de médiateur entre Krim Belkacem et Ouamrane, d’une part, et le groupe de Boudiaf, d’autre part. Il commence ses investigations au mois de mai 1954 et rencontre Boudiaf auquel le liait une solide amitié, vieille de plusieurs années. Sa dernière entrevue avec S/ Tayeb el-Watani remontait à 1952, quelques jours avant que ce dernier ne parte rejoindre sa nouvelle affectation en France. Hachemi Hamoud fait plusieurs navettes entre les refuges des uns et des autres. Bon messager et fin diplomate, son abnégation finit par porter ses fruits. Les deux groupes acceptent de se rencontrer. D’autant qu’il y avait eu déjà des tentatives, mais qui ne se sont point concrétisées. Cette réunion décisive de la rue du Chêne fut préparée par Naït-Merzoug Abderrahmane,
militant
très
apprécié
par
Ouamrane
tant
pour
son
volontarisme que pour les relations excellentes qu’il entretenait avec les maquisards du Djurdjura. Le lieu de la réunion, qui fut choisi par Abderrahmane, appartenait à un militant sûr, vieux routier de la politique : Ould-Mohamed El-Hadi (mort après son évasion du centre de détention de Ouessara durant la révolution). 74
Témoignage Avant de se rendre à la réunion en ce mois d’août, l’atmosphère était lourde. Une forte tension s’est emparée de tous. Ils étaient angoissés, nerveux. La pression était mal contenue. J’ai surpris dans mon arrièreboutique Boudiaf en train de nettoyer son revolver. Il ne me prête point attention ; c’est à peine s’il me jette un regard furtif et continue sa besogne. Ben Boulaïd, assis dans un coin, lisait le journal et ne se manifestait point. Il n’avait pas touché au verre de thé que je lui avais ramené et qui trônait là depuis une demi-heure. Puis vinrent Didouche, Bitat et enfin Ben M’hidi. J’étais perplexe ; leur silence m’étonnait, alors qu’ils avaient l’habitude d’être prolixes et peu avares en plaisanteries. Je pris Ben M’hidi dans un recoin et lui demanda ce qui se passait. Il m’apprit qu’ils allaient à une rencontre importante avec le groupe de Krim et Ouamrane pour essayer de sceller un accord. Lui demandant les raisons de leur attitude nerveuse et inhabituelle alors qu’ils étaient rodés à ce genre de rencontres, il me répondit que ce n’était point le fait de tenir langue avec Krim et son groupe qui les inquiétait. "Nous savons qu’ils sont Messalistes, nous allons les persuader de
la troisième voie. Nos interlocuteurs ont souffert plus que ceux qui les dirigent Ils nous comprendront car nous sommes embarqués sur la même galère. Ils sont recherchés comme nous. Les clandestins se comprennent mieux que ceux qui sont dans les bureaux ou à l’étranger. Nous avons arrêté notre stratégie. "Et alors ?", dis-je. Il m’apprit et je compris enfin leur état d’âme et le risque qu’ils encouraient. Les Messalistes ont reçu l’ordre de Moulay Merbah de liquider les "irréguliers" que nous étions. La prudence était de rigueur, mouvance
vu
que
leurs
messaliste.
interlocuteurs Ils
avaient
du
même
jour
avaient
délégué
opté
Zamoum
pour pour
la les
représenter au congrès de Hornu, en Belgique. Cette réunion historique eut lieu, se termina bien et scella à jamais le destin de ses initiateurs. Ben Boulaïd Mostefa intervenait le premier. C’était la stratégie arrêtée par le groupe des Cinq car il fallait d’emblée décrisper l’atmosphère, et le plus indiqué était Si Mostefa car il était admiré et respecté par les Kabyles. Son amitié pour Krim et Ouamrane était de longue date et, quand bien même le parti était fissuré, ils ont su transcender les divisions et s'estimaient réciproquement. 75
Les architectes de la Révolution Ben Boulaïd, le sage, avec beaucoup de talent, fit vibrer la fibre patriotique de tout un chacun. Il rappela les derniers événements qui ont secoué
le
mouvement
national
et
fini
par
diviser
des
frères
qui
épousaient la même cause. Il déplore le fait et indique que le groupe des Cinq est venu avec la proposition qui lui semble la mieux convenir pour sortir le pays de l’ornière. Boudiaf, dans un langage direct, dénué de toutes fioritures, fait le point de la situation, clairement et sans rien cacher. Il mit à nu toutes les carences des uns et des autres. Il alerte Krim et ses hommes sur les derniers développements et insiste surtout sur l’urgence de passer à l’action, seule solution qui permettra de ressouder ceux qui sont épris de se libérer du joug de la colonisation. Il était persuadé que les militants authentiques feront corps avec ceux qui se lanceront dans le combat car c’est ce qu’ils attendent et ce pourquoi ils ont milité dans la clandestinité, dans la ville ou dans le maquis. Si nous ratons le coche maintenant, le replâtrage demandera beaucoup de temps, le sort de ceux qui vivent mal maintenant, va empirer. Krim, qui avait fait assister avec lui les cadres de la région de Kabylie, voulut être éclairé sur tous les détails. Il posa beaucoup de questions, acculant
Boudiaf
réponse
à
dans
toutes
les
ses
derniers
interrogations
retranchements. de
ses
Ce
dernier
interlocuteurs.
Et
avait en
conclusion, Boudiaf dit : "Nous ne roulons pas carrosse, nous n’avons que
notre foi. Les militants engagés avec nous sont prêts pour le combat. Certains ont vendu leur charrue, d’autres tout ce qu’ils possédaient comme matériel et outillage. Nous vous avons tout dit. Nous n’avons pas de moyens et nous essayons de récupérer le peu d armes que nous détenions du temps de l’OS. Et c’est avec ce rien qu’il nous faut déclencher la lutte armée". Krim, aussi direct, a dit : "Voilà le langage que j’ai toujours voulu entendre.
Je pense que mes compagnons ici présents sont satisfaits et convaincus. Ils n’ont plus de questions. Vous tous avez été francs et directs, vous avez décrit la situation honnêtement Ce que nous voulons, c’est la fidélité dans l’engagement et le langage clair et sincère. Nous sommes avec vous". Ce jour, les Cinq sont devenus Six. En ce mois d’août, et avec l’intégration de Krim Belkacem, c’est une partie de la Kabylie qui adhère dans un premier temps à ce noyau qui rédigera l’acte de naissance de la révolution algérienne. 76
Témoignage Peu de temps après cette importante réunion, Mostefa Ben Boulaïd préleva 100 carabines italiennes Statti du contingent, qu’il avait fait acheter de Libye par l’un de ses hommes de confiance, Amar Maâche dit Amar marché noir, et, en accord avec Mohamed Boudiaf, les fait livrer à Krim Belkacem. Sitôt leur réunion achevée, les Cinq rejoignent mon magasin. Ils étaient soulagés et heureux. Chacun d’entre eux avait son mot à placer. L’apport des Kabyles va être déterminant, dira Didouche. Boudiaf réplique en disant : "Que Dieu aide Krim car il va rencontrer des difficultés avec certains
Messalistes kabyles". C’était
quand
même
la
bonne
humeur.
Les
cinq
compagnons firent le point de la réunion et conclurent que cette alliance tant recherchée allait stimuler les militants de leur bord. Didouche, dans un éclat de rire, rappelle à ses amis l’épisode de mai 54, "oùAïssa a eu peur
lorsque j’avais rencontré Ouamrane. Aujourd’hui, il va nous offrir un bon couscous". Le même soir, les Cinq étaient attablés dans mon domicile, 17, rue de la Carrière, à Saint-Eugène, pour déguster le couscous. C’est vrai que pour cette péripétie rappelée par Mourad, ce n’est pas la police que je craignais, mais le fait d’avoir été suspecté par mes propres amis. Cela s’est passé un début d’après-midi du mois de mai 1954. Didouche Mourad et Ouamrane Amar dit Boukarou avaient convenu d’un rendezvous au café Malakoff, dont le tenancier du débit était Hadj M’rizek, musicien chaâbi célèbre dans le pays. Arrivé le premier, Didouche Mourad pénétra à l’intérieur de mon magasin. Il s’installe derrière la porte vitrée, position qui lui permettait de bien scruter les alentours. En effet, de l’atelier, il était loisible de superviser trois issues. Au bout d’un moment, Didouche vit apparaître Ouamrane à l’entrée de la rue du Passage. Mourad sortit en contournant l’immeuble par le côté gauche et alla à la rencontre de Ouamrane. Une demi-heure après la rencontre des deux militants, qui étaient recherchés par la police, mon attention fut attirée par des mouvements suspects. Ce manège me mit sur mes gardes. Des ombres furtives se faufilaient à l’intérieur de la galerie. C’était bel et bien une descente de police. Je reconnus les inspecteurs de la PRG qui m’avaient arrêté en décembre 1949 avec le commissaire Forcioli. Il y avait les inspecteurs 77
Les architectes de la Révolution Larbaoui et Hamidi. La police avait bouclé le quartier. Derrière la porte vitrée, légèrement entrouverte, je surveillais le manège des inspecteurs et des policiers. Apparemment, ils connaissaient bien la topographie des lieux. Je vis un inspecteur se poster devant l’entrée de l’immeuble où résidait le militant Abderrahmane
Laghouati
(qui
sera
plus
tard
responsable
dans
les
transmissions), ceci à l’entrée du passage de la rue Bab El-Oued. Un deuxième policier, qui faisait face au premier, était chargé de la surveillance de la deuxième sortie qui donne sur la rue Djenina. Je suppose que des policiers étaient postés derrière la troisième sortiç du passage donnant sur la rue du vieux palais Bruce pour passer à une action. J’étais alarmé car il ne se passait rien. Je fis un tour rapide de mon atelier, vérifiant que rien ne traînait qui pouvait être compromettant, d’autant que le magasin ne désemplissait pas depuis des semaines. Les contacts
étaient
fréquents.
Il
y
avait
alors
une
activité
fébrile
des
responsables sous l’impulsion de Si Tayeb. Boudiaf, Ben Boulaïd, Bitat et Didouche multipliaient les liaisons avec les deux tendances messaliste et centraliste,
et
notamment
les
maquisards
du
Djurdjura
pour
les
convaincre de la nécessité de les rejoindre. J’épiais sans cesse le mouvement des policiers, et au bout d’une heure, je les vis quitter les lieux. Ouf ! Je
me
précipitais
au
28,
rue
Mulhouse
et
informais
Boukchoura
Mourad de ce qui venait de se passer. Nous nous mîmes d’accord pour que chacun d’entre nous contacte au plus vite Boudiaf, Bitat, Didouche et Ben M’hidi pour les mettre en garde et leur recommander de ne pas approcher le quartier pendant quelques jours. J'étais paniqué à l’idée d’une fuite quelque part qui pourrait être la cause de l’arrestation d’un des membres et mettrait en péril le processus du déclenchement de la lutte armée. Ce serait catastrophique et je n’aimerais pas que cela arrive chez moi. Après cette fausse alerte, Boudiaf était dubitatif et avait mal pris la chose. Il chargea Bitat de me sonder pour savoir si je n’avais pas flanché. Une franche discussion avec Bitat leva le doute. Bien plus, Didouche 78
Témoignage intervint pour convaincre Boudiaf qu’il était possible que Ouamrane ait été reconnu par un indicateur se trouvant dans les parages et le suivit lors de son rendez-vous. Boudiaf me présenta des excuses. "J’étais sous
tension", dit-il. Plus tard, autour d’une tasse de thé, il raconta l’anecdote avec des éclats de rire.
LES TENTATIVES DE REGROUPEMENT Boudiaf est déterminé à pousser davantage ses investigations pour détecter les éléments ayant une bonne formation pour leur proposer de rejoindre ses rangs. Il voulait ratisser large pour gagner à sa cause l’encadrement nécessaire pour la 3e force.
Contacts tous azimuts Il entreprend de démarcher quelques éléments susceptibles de servir de
locomotives.
C’est
ainsi
qu’il
me
charge
de
lui
faire
rencontrer
Benmokadem Mohamed avec qui j’avais gardé des relations depuis son passage dans mon refuge, l’ayant hébergé au début de 1951 après la découverte de l’OS. C’était un militant aguerri de longue date, impliqué en 1944 dans la rébellion de la caserne d’EI-Harrach et dans l’attaque de la poudrière de Cherchell. Arrêté, il avait été condamné à 20 ans de prison puis amnistié. Ayant pris position en faveur des Messalistes, Boudiaf, après une longue discussion, ne parvient pas à le convaincre de rallier le camp des Neutralistes. Benmokadem ne voulait pas rejoindre le CRUA. Pour lui, tout n’était que palabres. "Je suis pour l’action directe, dit-il, et le jour où vous
le prouverez, vous me trouverez à vos côtés". C’est ce qu’il fera effectivement dès le début de l’insurrection. Il travaillera avec Rabah Bitat puis avec Abane Ramdane. Après Benmokadem, je fais venir Mahfoudhi Mohamed, une célébrité dans le parti pour ses talents de tribun. Il était parmi les meilleurs orateurs du MTLD. Après une heure de discussion, il n’y a pas eu d’entente. Mahfoudhi restait fidèle à Messali. Au café Alexandrie, prolongement du front de mer vers Bologhine, Boudiaf convint d’un rendez-vous avec Salah Louanchi. Ce dernier se présenta en compagnie de Mohamed Drarini, le syndicaliste et chef scout, et demanda des clarifications à Boudiaf sur l’attitude de certains cadres 79
Les architectes de la Révolution de la Fédération de France et ne manqua pas de lui reprocher ses positions rigides vis-à-vis des Centralistes, dont Louanchi faisait partie. Boudiaf s’évertue pendant un long moment à persuader Salah de la justesse de son opinion vis-à-vis des Centralistes et des Messalistes. Maintenant que la scission est consommée, il ne pouvait plus avoir de réserves et, progressivement, il dévoile les incohérences des uns et des autres, groupes ou individus, les dérapages, les erreurs, les fautes. Il finit par convaincre Louanchi Salah de le rejoindre dans sa stratégie de sortie de crise, à défaut de s’engager dans le camp neutraliste. Lors de la fête du journal communiste Liberté, nous déambulons, Mostefa
Ben
Boulaïd,
Mourad
Didouche,
Mourad
Boukchoura
et
moi
près du stade Marcel Cerdan, où se disputait un match de boxe, lorsque Didouche
aperçut
Omar
Oussedik
au
sein
d’un
petit
groupe.
Il
va
approcher Oussedik et tenter de le récupérer. Omar bénéficiait de leur sympathie car il a été un compagnon à l’époque du PPA et par la suite a gravi les échelons pour occuper un poste au sommet de la pyramide du MTLD. Mourad discutera plus d’une demi-heure avec Oussedik et nous rejoigna près du ring où nous étions stationnés. "Alors ?", lui demanda Ben Boulaïd. "Il m’a dit :j’ai laissé mon cœur au PPA, mais je suis gagné par le Parti
communiste", répondra Didouche. S/Tayeb reçoit un émissaire de France. C’était Abdallah Filali dit Lekhfif, bras droit et porte-parole de Messali, qui venait essayer de rallier Boudiaf et ses compagnons à leur camp. Il l’informe que "son" groupe allait entamer des purges pour assainir le parti. Il promet à S/ Tayeb de mettre à sa disposition tous les moyens. Boudiaf lui répond : "Quand on perd la foi, l’âme est vouée à Satan. Le
train va partir, ne restez pas sur le quai ou ne gênez pas la manœuvre". Boudiaf me demande à voir El-Hadj El-Arabi el-Hachemi dit Slimane Ladjoudène (certains le nommeront Djoudène), surnommé ainsi à cause du grade qu’il avait dans l’armée française : adjudant. C’est un ancien chef de daïra qui, profitant de la crise interne du parti, s’est retiré de l’activité politique et a pris la responsabilité commerciale au sein de l’imprimerie du parti, située à la rue Mohamed Seghir Saâdaoui, ex-Borély La Sapie. Pour la représentation commerciale, il fallait avoir une tenue correcte et un aspect présentable. Il avait besoin de mes services en tant que 80
Témoignage tailleur pour être convenablement habillé. Il est devenu un client et a sollicité mon aide pour lui trouver une demeure. Etant d’un âge avancé, il s’est épris d’une jeune femme qui le pressait d’honorer sa promesse de mariage. Il aimait passionnément cette femme et ne parlait que d’elle. Il en était obsédé et me semblait prêt à tout pour réaliser son projet. Quand Boudiaf me demande mon appréciation sur Ladjoudène, je lui décrivis
sa
situation
sociale
et
morale.
Mon
jugement
était
négatif.
J’estimais qu’il était un passionné et qu’il ne pouvait se décharger pour se consacrer totalement à une activité politique qui exige, en ce temps notamment, l’abandon d’une vie paisible de famille. Boudiaf me dit qu’on ne pouvait pas trouver l’idéal partout. Ladjoudène, dans le cadre de ses activités partisanes, a démontré son aptitude à encadrer des militants et faire un travail constructif. Ces qualités, alliées à sa carrière militaire, lui ont valu une promotion au poste de chef de daïra. S/Tayeb me demande d’organiser une entrevue avec l’intéressé. La rencontre a eu lieu dans mon magasin et Boudiaf convainc Ladjoudène d’intégrer le mouvement de la 3e voie. Ce dernier sera mis à la disposition de Ben Boulaïd qui, en accord avec Boudiaf, l’affectera dans la région de Biskra en vue de préparer, avec d’autres militants, dont Berrehaïl et Abdelkader Lamoudi, les structures de l’éventuelle Wilaya VI. Le
MTLD,
en
tant
que
mouvement
légal
qui
mène
une
activité
politique au grand jour et toléré par l’administration, avait décidé de s’approprier
une
imprimerie
pour
ses
propres
besoins
de
travaux
d’impression et surtout la publication de son journal L’Algérie libre, organe d’information et de formation des militants. Il était recommandé à tous la lecture et la diffusion de ce média. En collaboration avec le RPI (responsable de la propagande et de l’information), branche du parti conçue pour alimenter l’organisation et sa presse en informations, aidée par des journalistes, la direction a recueilli des noms de militants, commerçants ou artisans pour les porter sur la liste des actionnaires. C’est à ce titre que je suis devenu membre dans l’entreprise de l’imprimerie du parti que je visitais de temps en temps. J’étais un prêtenom.
On
m’a
avisé
qu’il
n’était
pas
question
de
prétendre
à
des
dividendes. Nous avons fourni des copies du registre de commerce à cet effet.
81
Les architectes de la Révolution Cette imprimerie, située dans le quartier de Bab El-Oued, était dirigée par Hadj Cherchali et par le directeur technique Mohamed Madjid. Elle employait un bon nombre de militants ayant une instruction primaire ou secondaire.
Certains
ont
été
formés
comme
linotypistes
et/ou
typographes. Le 2 novembre 1954, elle est mise sous scellés par arrêté préfectoral.
Hammadi Errifi à Alger Toujours
dans
le
cadre
de
la
préparation
de
la
recherche
des
responsables de l’encadrement, Boudiaf décide d’envoyer en formation militaire en Egypte trois militants chevronnés. Le premier est un élément qui
avait
fait
ses
preuves
dans
les
Aurès
et
qui
avait
un
niveau
d’instruction appréciable. Cet élément, Boudiaf Hamid, était proposé par Ben Boulaïd qui l’a longuement côtoyé. Hamid était très entreprenant et dynamique. En plus de ses activités politiques avec les différentes cellules, il embrigadait avec Bouchekioua Younès, chef de kasma, Bouchit ElHachemi
et
Hocine
Djerrah,
le
groupe
scout
Erradja
de
Batna
qui
fournira plus tard une pépinière de militants de la cause nationale et de valeureux combattants, dont certains tomberont au champ d’honneur. Hamid était un as de la topographie et tous les scouts profiteront de son enseignement. Boudiaf
Hamid
était
accompagné
d’un
deuxième
militant,
Sebbagh
Abdelkader, ajusteur-tourneur de métier à Alger, proposé par Rabah Bitat au vu de ses qualités morales et de son sens du devoir. Les deux compagnons devaient rejoindre Le Caire et prendre contact avec Ben Bella, selon des directives très précises qu’ils reçoivent de Rabah Bitat. Celui-ci leur explique leur mission en détail et leur donne des instructions en conséquence. Il leur indique qu’ils étaient les premiers à effectuer un stage de formation paramilitaire et qu’ils seront suivis par soixante autres militants. Les Six se sont mis d’accord pour envoyer vingt éléments de chaque département. Leur itinéraire et les points d’escale ainsi que les personnes à contacter et les mots de passe leur sont communiqués par Bitat. Ils entreprennent le voyage... à pied. Le trajet se déroule sans encombre jusqu’à la la frontière algéro-tunisienne. Ils sont recueillis par un agent de liaison. Ayant été remarqués comme étant des étrangers, le même agent vient les prévenir de partir dans la soirée car il y a un risque. Il leur délègue un guide qui les fera sortir de la localité et
82
Témoignage les accompagnera un moment. Le guide indiquera les points de passage aux deux Algériens et les laissera en pleine nuit dans la nature. A la vue des gendarmes en terre tunisienne et de crainte d’être contrôlés, vu la situation d’alors en Tunisie, les deux amis détruiront le document fourni par Alger, contenant toutes les indications relatives à leur voyage. Ayant perdu leurs repères, les deux compagnons ont eu d’énormes difficultés par la suite. Démunis d’argent qu’ils étaient, ils dorment à la belle étoile et se nourrissent peu, souffrant particulièrement dans la région comprise entre Ben Gardane et Tataouine. Ils continuent leur voyage jusqu’à Tripoli, tantôt à pied, tantôt à dos de chameau. Ils arrivent avec peine et commencent leurs pérégrinations en quête des membres du bureau de Maghreb arabe. Un militant originaire de Mascara, Bedoui Madani, leur apprend que Kadi Bachir, qui était leur contact, a subi une opération chirurgicale au Fezzan et qu’il sera de retour dans quelques jours. En attendant, Madani leur trouve un gîte chez trois Tunisiens de Gabès qui occupent un appartement à Tripoli. Il les rencontrera trois jours plus tard et les informe de l’arrivée imminente de Ben Bella. Cela faisait plus d’un mois qu’ils avaient quitté Alger. Ils
patientent
encore
une
semaine
et
purent
enfin
rencontrer
Si
Ahmed. Ce dernier était très satisfait de les retrouver. Il cherchait à entrer en relation avec des Algériens engagés car il devait acheminer vers Alger une recrue de qualité qu’il avait ramenée du Caire. Il leur confie Hammadi Abdelaziz dit Errifi, sujet marocain. Errifi, sorti d’une école militaire de Bagdad avec le grade de lieutenant, a été embrigadé dans l’Armée de libération du Maghreb arabe, sous l’autorité de Abdelkrim Khatabi.
Cet
conséquente
élément de
-par
bien
formé
ses
pouvait
connaissances
apporter en
une
explosifs,
contribution transmissions,
déminage, sabotage... Ben Bella demande donc à Boudiaf Hamid et à Sebbagh Abdelkader de retourner en Algérie avec pour "mission" de convoyer cette nouvelle recrue. Contre
mauvaise
fortune
ils
firent
bon
cœur
et,
en
militants
disciplinés, ils obéirent. Ils auraient bien voulu suivre l’exemple de Errifi qui
avait
bénéficié
d’une
formation
manœuvres militaires et aguerri.
83
et
allait
combattre,
rompu
aux
Les architectes de la Révolution Les deux militants, accompagnés de leur précieux colis et nouveau camarade, firent le chemin inverse. Après un long voyage, un peu moins mouvementé car ils n’ont plus eu faim, ils apprirent en cours de route la nouvelle : ethaoura a commencé. Arrivés à Alger le I I novembre 1954, Hamid, en compagnie de Errifi, essayent de prendre contact avec moi ou Mourad Boukchoura, chargés des liaisons. Ils ont la désagréable surprise d’apprendre que nous sommes arrêtés et placés sous mandat de dépôt. En vieux briscard, accoutumé à la clandestinité, Hamid se met à la quête de militants connus. «Dans le cas contraire, dit-il, j’emmènerai Errifi
dans les Aurès». Il
arrive
toutefois
à
nouer
le
contact
avec
Kechida
Abdallah
dit
Mourad, mon neveu, qui les héberge dans la boulangerie de Yacef Saâdi. Le contact sera établi avec des maquisards de la Kabylie qui prendront en charge Abdelaziz Hammadi Errifi. Plus tard, celui-ci sera blessé dans un combat et fait prisonnier. Les autorités françaises claironneront sur tous les toits la présence d’un officier "irakien" dans les rangs des "hors-la-loi". Convaincu que son compagnon était entre de bonnes mains, Hamid Boudiaf, qui a pu, grâce à Abdallah, rencontrer Bitat, lui rend compte de son aventure avec Sebbagh. Bitat le charge à nouveau d’une mission au Caire. Pour Hamid, il ne pouvait être question de refaire le trajet à pied, trop fatigué qu’il était. Bitat lui propose de passer par la France et puis de se débrouiller. Yacef Saâdi payera le billet. Et Hamid repart vers d’autres aventures. On le retrouvera plus tard dans les maquis en qualité d’officier. Il finira sa carrière dans la Gendarmerie nationale comme lieutenantcolonel.
Un scout chez Nasser Le troisième militant qui devait également rejoindre Le Caire pour une formation militaire étaitTayeb Kherraz, militant à Biskra. Il est désigné par Ben M’hidi qui l’a connu d’abord comme chef scout, puis comme militant dans le même parti. Tayeb, qui activait encore dans le scoutisme, profite de ce qu’une caravane SMA devait transiter par Le Caire pour assister au jamboree des scouts arabes à Damas, en Syrie, au mois d'août 1954. Il fut inscrit sur la liste des participants par le responsable national des scouts, Omar Lagha, sur demande de Rabah Bitat.
84
Témoignage Arrivée à Tripoli, la délégation algérienne des Scouts musulmans algériens est reçue par Ben Bella qui était en mission dans la capitale libyenne. Il demande à Kherraz de prendre contact avec Khider et Aït-Ahmed dès son arrivée au Caire. La délégation scoute fut reçue également par les deux représentants algériens du bureau du Maghreb arabe et présentée par ces deux délégués au président Nasser et au général Mohamed Neguib. Par la suite, Ben Bella, qui verra Tayeb Kherraz au Caire, lui dira qu’il faut rentrer en Algérie car les préparatifs allaient bon train et qu’on avait besoin de militants de sa trempe. Kherraz réintègre le pays et Ben M’hidi le charge de rejoindre Biskra pour aider au recrutement et à l’organisation des structures du CRUA, avec le concours de Hocine Berrehaïel, responsable dans les Aurès, détaché par Ben Boulaïd pour organiser la région. Il y avait également à Biskra, El-Hadj El-Arabi el-Hachemi dit Slimane Ladjoudène qui participa dans la région à la mise en place des structures destinées à servir d’assises à la Zone 6 du Sud. Faute de cadres, elle est rattachée à la Zone I des Aurès.
Habachi en Kabylie Toujours dans le cadre du regroupement de toutes les forces susceptibles de faire alliance avec les Neutralistes, Boudiaf, en accord avec Krim Belkacem, confie à Habachi Abdeslam une mission. Il le charge de rejoindre la Kabylie en vue de mener une campagne d’explication et de clarification. Boudiaf accordait une importance particulière à la région de Kabylie. Il donne en conséquence carte blanche, quant aux moyens à employer et la durée de la mission, à Abdeslam. Il fallait lever toutes les équivoques entretenues concernant la tendance neutraliste et les auteurs qui ont opté pour la ligne révolutionnaire. Il fallait user de diplomatie et de persuasion et ne pas heurter les susceptibilités, afin de casser le tabou messaliste dont sont imprégnés la majeure partie des éléments de la Kabylie. La mentalité d’alors vouait un culte au zaim. Habachi rejoint la Kabylie et prend contact avec Zamoum Salah, qui a été invité par Krim à lui faciliter l’accès au sein des structures et l'aider dans ses déplacements dans toute la région.
85
Les architectes de la Révolution La mission de Abdeslam ne fut pas de longue durée et connaîtra une fin prématurée. Erreur tactique, malchance ou dénonciation ? Toujours est-il, Habachi est arrêté aux Issers par les gendarmes qui ont détecté en lui "l’étranger" au village. Il réussit néanmoins, avec l’aide d’un militant qui lui servait de guide mis à sa disposition par Zamoum, à prendre la fuite. Il rend compte de ses pérégrinations et de sa déconvenue à Boudiaf. Dans la conclusion de son rapport, Abdeslam était convaincu que les Kabyles ne sont pas insensibles et point aussi imperméables qu’il se dit et
qu’on
ne
le
croît
à
propos
de
leurs
sentiments
vis-à-vis
des
Neutralistes. Le bon sens l’emportera sur eux. Ils sont sous influence et fidèles au messalisme parce qu’ils n’ont pas entendu un autre son de cloche. Et comme ils sont révoltés et révolutionnaires, Habachi croit dur comme fer qu’ils marcheront avec la mouvance neutraliste pour peu qu’on les affranchisse. D’où la nécessité de dialoguer avec tout le monde, cadres et base militante. Boudiaf, satisfait et convaincu de ses conclusions, décide d’envoyer un autre émissaire en la personne de Abdallah Fadhel qu’il fait venir de Annaba. Le Bônois part en Kabylie pour accomplir sa mission. Il y demeurera jusqu’au début de l’insurrection et participera à des combats. Au cours de l’un d’eux, il est blessé et fait prisonnier en même temps que Hammadi
Errifi.
Les
Français
déclencheront
une
vaste
campagne
médiatique après l’arrestation de Hammadi Errifi mettant en relief sa nationalité "irakienne" et sa formation en "Egypte".
LA DÉLÉGATION ALGÉRIENNE MAGHREB ARABE AU CAIRE Boudiaf
nous
révèle
que
les
contacts
DU sont
bien
COMITÉ établis
DU avec
la
délégation algérienne du Comité du Maghreb arabe au Caire, représentée par Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider et Hocine Aït-Ahmed, et que ces trois militants se démènent pour apporter un concours conséquent à notre cause. Ben Bella, qui avait rencontré Boudiaf à Paris après son évasion de la prison de Blida avec Mahsas, avait alors souscrit totalement aux thèses de Boudiaf et à la création du CRUA. Il a démontré sa disponibilité de travailler avec le groupe des Neutralistes et se faisait fort de convaincre
86
Témoignage ses deux compagnons du Caire, d’autant que tous deux sont partisans d’un passage à l’acte. Ben
Bella,
qui
avait
des
contacts
avec
les
autorités
égyptiennes,
notamment avec Fethi Edhib, chef des services secrets égyptiens, a pu être introduit auprès du président Nasser et obtenu la promesse de celui-ci d’aider le mouvement national. Toutefois, cet appui sous forme d’aide concrète sera matérialisé dès lors
que
des
actions
armées
sur
le
territoire
national
auraient
été
perpétrées. Un accord de principe a été donné pour la formation en Egypte de combattants algériens dans les domaines de l’armement, la maintenance, les mines, le sabotage.
Rencontre avec des Maghrébins Ben Bella contacte Boudiaf et l’invite à le rejoindre à Berne, en Suisse, en vue de discuter avec Lahouel Hocine etYazid M’hamed, membres du Comité
Central.
également
Ben
Au
cours
Boulaïd,
de
cette
Didouche
et
réunion, Ben
à
M’hidi,
laquelle les
deux
assistaient membres
centralistes ont donné leur accord de principe pour une aide financière. Ceci ne se concrétisera pas, le CC ne suivra pas l’avis de ses deux représentants. A peine rentré à Alger, Boudiaf est informé à nouveau par Ben Bella de l’imminence d’une rencontre à Berne avec deux leaders maghrébins et se fait pressant quant à la présence de Si Tayeb. Si Ahmed insistait sur l’importance de cette opportunité. Boudiaf m’en fit part et me sollicita pour lui confectionner un costume. Il voulait être présentable. Ayant décidé de se faire accompagner par Didouche, ce dernier, à l’instar de Si Tayeb, émet le vœu d’être bien sapé. Je lui taillais à lui aussi un costume. En
Suisse,
Azzouz,
Boudiaf,
militant
Didouche
tunisien
établi
et en
Ben
Bella
Libye,
et
rencontrent
Azeddine
Abdelkebir
El-Fassi,
responsable marocain. Au cours de cette réunion, deux points sont à l’ordre du jour : mise au point d’une collaboration entre les trois mouvements et promesse de fourniture d’armes aux Algériens par les Marocains. Cette rencontre allait conforter, selon Boudiaf, les liens entre les mouvements de libération maghrébins, d’autant que Mehri Abdelhamid,
87
Les architectes de la Révolution de son côté, maintenait un contact depuis 1952 avec d’authentiques nationalistes, à l’image de Tod El-Hachemi et Hammadi Abdelaziz, sujets marocains, d’une part, et Tahar Guiga, Tunisien, d’autre part. Rappelons que Mehri était rédacteur en chef du périodique El-Manar et que sa charge de journaliste favorisait ses déplacements et ses contacts. Dès son retour en Algérie, Boudiaf rend compte à Ben M’hidi et Bitat, qu’il trouve dans mon magasin en compagnie de Mourad Boukchoura. Il était satisfait et éreinté. Il était très content à l’idée de recevoir des armes. "L’armement de l’Oranie est résolu en partie, Hakim ! Nous partons
demain vers l’Ouest". Bitat, Boukchoura et moi aurions aimé qu’il se repose au moins les deux jours de l’aïd el-Kebir que nous fêterions ensemble. Rien n’y fit, il était impatient de concrétiser. Et très fatigué, le lendemain, il part, accompagné de son ami Larbi, en Oranie, organiser la région de l’Ouest : réunion avec les militants, promesse de ravitaillement en armement par la frontière marocaine, contact avec les nationalistes marocains et reconnaissance des points de passage (Boudiaf déclarera le 2 novembre 1962 au journal Le Monde que les armes ont été payées au Marocain. Elles n’ont jamais été livrées). Par ailleurs, Ben Bella avait réussi à prendre attache avec un armateur pour affréter un caboteur grec avec une cargaison d’armes pour une valeur de 5 millions de francs. Nous nous sommes démenés pour ramasser cette somme sans y parvenir, malgré les efforts consentis par les uns et les autres. C’était une course contre la montre car l’armateur avait fixé une date limite. Boudiaf et Ben Boulaïd avaient sollicité l’aide du Comité Central ; ce dernier remit une somme modique. Mes économies, épargnées pour compléter le montant de l’acquisition de mon nouveau magasin à la rue Malakoff, sont remises à Bitat. Car c’est lui qui devait concrétiser la transaction en se rendant à l’hôtel Symplon, à Berne, en Suisse. Le courrier relatif à cette opération parvenait à la poste restante de la Bourse et c’était mon neveu Abdallah qui allait le quérir. Nous ne pûmes rassembler à temps les 5 millions et ratâmes cette aubaine. La première tentative d’achat d'armes pour la révolution se solda par un échec.
88
Témoignage
LES DERNIÈRES TOUCHES Encouragés par les suites de la réunion des 22 et de l’apport de Krim Belkacem, les Cinq, devenus Six, connurent une activité fébrile tant sur le terrain qu’autour d’une table, passant en revue et les effectifs et les moyens. Un stage de formation accélérée d’artificiers fut organisé sous la conduite de Ben Boulaïd dans la ferme du militant Kaddour El-Hadjim, à Khraïcia,dans la banlieue d’Alger, et regroupa 15 éléments venus des trois départements.
Deux cellules opérationnelles Les
préparatifs
concernant
la
capitale
échurent
à
Bitat.
Celui-ci
composa deux cellules. La première concerna les groupes de choc et la seconde celle de la logistique. Cette dernière était déjà en activité et ses éléments furent reconduits. Quant à la cellule Groupe de choc, Bouadjadj Zoubir fut investi de sa responsabilité. Elle avait pour but de provoquer un choc psychologique au sein de l’opinion publique. Le personnel est réparti en fonction des cibles, lesquelles étaient : 1 - Radio Alger : chef du Ier groupe, Merzougui Mohamed, aidé de Chaâl Abdelkader, Adim Mohamed etToudjin Abderrahmane. 2 - Radio Alger: chef du 2e groupe, Abassi Madani, aidé de Djefafla Abdallah, Boutoche Omar et Belimane Abderrahmane. 3
- Ets Morry : chef de groupe, Belouizdad Athmane, aidé de
Benguesmia
Mouloud,
Benslimane
Youcef,
Herti
Mohamed
et
Larab
M’hamed. 4 - EGA : chef du Ier groupe, Kaci-Abdallah Mokhtar. 5 - EGA : chef du 2e groupe, Kaci-Abdallah Abderrahmane, aidés de ElHadjim Kaddour, Sekkat Abdelkader, Sekkat Brahim, Guesmia Abdelkader et Djaâlal Omar. 6 - Transformateur du central téléphonique : chef de groupe, Bisker Ahmed, aidé de Braka Madjid, Guermat Cherif et Mesbah Mohamed. 7 - Entreprise du liège au Caroubier : chef de groupe, Nabti Sadek, aidé de Bouraba Aïssa, Semina Ahmed Aïbi et Djellouli Boualem.
89
Les architectes de la Révolution A ces sept groupes, il convient d’ajouter les militants Boucetta Abdelkader, Haddanou Mohamed dit Mouhis, Haies Saïd, Laïchaoui Mohamed et Derriche Lyes qui étaient engagés dans d’autres missions. Dans le cadre de la préparation des structures de combat, Boudiaf préconise la mise en place d'un comité chargé de la logistique dans la capitale. Il échoit à ce groupe de s'occuper principalement de certaines activités pour faciliter le bon fonctionnement du réseau : - accueillir les responsables venant de l’intérieur et de l’extérieur du pays ; - prévoir des gîtes pour hébergement des recherchés ; - assurer les liaisons, les relais, les boîtes aux lettres ; - s’occuper de la diffusion du bulletin d’information et des tracts. Pour assumer ces responsabilités, il est envisagé de sélectionner quelques vétérans aguerris, rompus à la clandestinité, discrets et engagés dans le courant neutraliste. Ce choix sélectif et restreint s’imposait au vu de l’importance et de la permanence du rôle que devait jouer le groupe. Dans cette nouvelle phase, prudence de tous les instants furent désignés Boukchoura Messaoudi Abdelouahed, Zergaoui
la vigilance est de rigueur ; d’où la pour éviter toute fuite. C’est ainsi que Mourad, Naït-Merzoug Abderrahmane, Mustapha et moi.
Ces mêmes éléments avaient travaillé ensemble auparavant et étaient rompus aux tâches indiquées ci-dessus. Ils sont donc confirmés et vont constituer la cellule logistique, sous la responsabilité de Rabah Bitat.
LES DERNIERS JOURS... Le vendredi 22 octobre 1954, Boukchoura et moi, en fin d’après-midi, ayant terminé le travail, nous nous rendions qui à Bologhine, qui à Raïs Hamidou. Bitat voulant se dégourdir les jambes, se joint à nous une partie du chemin avant d’aller rejoindre ses cinq compagnons. Chemin faisant et à hauteur du 6, Bd Boubella, à Bab El-Oued, j’indiquais à Rabah un photographe et lui vantais la qualité fie son produit dans le cas où l’envie le prendrait de se faire tirer le portrait. Par ailleurs, ce photographe était situé loin des endroits où nous étions connus des voisins et des habitués du café Malakoff qui nous avaient catalogués.
90
Témoignage Il faut dire qu’à l’époque, il était déconseillé aux militants actifs de se faire photographier par les ambulants que nous savions en relation avec les services de police. Par contre, dans les studios, la police ne pouvait situer les suspects et les recherchés, d’autant qu’on ne déclinait pas nos véritables identités aux photographes. Bitat prend bonne note de l’adresse et, le lendemain, 23 octobre, avant la
réunion
historique
et
dernière
du
groupe,
les
architectes
de
la
révolution se rendent chez le photographe en question et prirent la photo de la postérité. Plus tard, alors que nous étions ensemble en prison à Serkadji, Bitat me rappelle l’anecdote et me dit qu’il a été utile de lui avoir indiqué un endroit convenable. La police française n’a jamais mis la main sur cette photo.
L’ULTIME RÉUNION DES SIX J’accompagnais Boukchoura Mourad, comme à l’accoutumée, après la journée de travail, pour prendre un café et bavarder un moment. Arrivés à son domicile au 42, rue Comte Guillot, à Pointe Pescade (actuellement rue Bachir Bedidi, Raïs Hamidou), je suis invité à rentrer pour terminer un sujet de conversation intéressant. Je me trouve présent, par hasard, cet après-midi du 23 octobre 1954, à la dernière réunion historique où Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Bitat, Didouche et Krim allaient décider de la date fatidique et du sort de tout un peuple. Avant l’ouverture de la séance historique, les Six devisaient. Si Mostefa évoque le triste épisode de Aârab (voir ci-dessous), narrant les démêlés et les déboires qu’il avait eus à son sujet. Il disait qu’il ne voulait pas créer de précédent avec les frères kabyles, conscient du poids des coutumes des montagnards. Le règlement de compte qui consistait en vendetta se pratique aussi bien dans les Aurès qu’en Kabylie. Quand un étranger tue quelqu’un de la tribu, cette même tribu le venge en éliminant un élément de l’autre tribu. Le sang appelle le sang. Ben Boulaïd, dans ce cas, ne voulait point de vengeance. "Aârab nous a été confié pour le protéger ; nous
ne pouvions trahir la confiance de nos frères kabyles. Il a fauté ; il appartient alors à sa dechra de prendre la responsabilité qui en découle".
91
Les architectes de la Révolution Ben Boulaïd avait mis le ton et la manière dans son exposé. Boudiaf, Didouche, Ben M’hidi, Bitat, les deux frères Boukchoura et moi, étions silencieux. Krim était tellement ému. Il se lève, étreint chaleureusement Ben Boulaïd et l’embrasse fortement. Je garde un souvenir impérissable de ce moment où j’ai eu la chance d’assister à cette scène émouvante, où j’ai observé la bravoure de l’un et de l’autre, de deux hommes sages, de deux géants. Après les salutations et quelques moments de discussion, nous nous retirons, Mourad, son frère Madjid et moi, dans une chambre mitoyenne et laissons les Six entamer leurs travaux. Boudiaf nous demande de ne pas partir. Il voulait nous voir après la réunion.A l’issue de celle-ci, qui fut assez longue, il nous prend en aparté, Mourad et moi, pour nous donner ses dernières instructions. Il se fait insistant sur la manière d’opérer avec la logistique et recommanda toute la vigilance en cette période cruciale. Nous lui remettons, sur sa demande, nos coordonnées : c’est-à-dire adresse et numéro de téléphone. Ces mêmes coordonnées sont communiquées par lui à Si Mostefa. Les Six se sont quittés en s’embrassant et rendez-vous était pris pour fin janvier 1955 pour faire le bilan et tirer les conclusions. A la suite de l’arrestation de Ben Boulaïd à la frontière tuniso-libyenne, nos noms et coordonnées ont été relevés dans un calepin de Si Mostefa. Ce qui nous valut d’être extraits des cellules de la prison de Serkadji pour être interrogés par le doyen des juges Andarelli. La rencontre du 23 octobre 1954 a permis d’étudier et d’adopter, comme plate-forme, l’appel au peuple et la proclamation de Novembre 54, le choix de la dénomination FLN/ALN. Le découpage territorial est arrêté. Il se compose de six Zones (qui deviendront Wilayas par la suite) réparties comme suit, avec le partage des responsabilités : - Zone I : Mostefa Ben Boulaïd ; adjoints : Chihani Bachir.Adjoul Adjel ; - Zone 2 : Didouche Mourad ; adjoints : Zighout Youcef, Bentobal Lakhdar ; - Zone 3 : Krim Belkacem ; adjoints : Ouamrane Amar et Zamoum Mohamed dit Salah ; 92
Témoignage -
Zone 4 : Bitat Rabah ; adjoints : Souidani Boudjemaâ et Belhadj
Bouchaâeib dit Si Ahmed ; - Zone 5 : Ben M’hidi Larbi ; adjoints : Benabdelmalek Ramdane et Boussouf Abdelhafid ; - Zone 6 : en voie de formation, rattachée à la Zone I. Le soin est laissé à Ben Boulaïd de la constituer. Mohamed
Boudiaf
est
désigné
coordonnateur
national
en
relation
avec l’intérieur et l’extérieur. Ce 23 octobre, six hommes du peuple représentant une tendance qui avait ses racines profondément ancrées dans l’Organisation Spéciale et qui a constitué la troisième voie à cause d’un différend au sein de leur parti PPA/MTLD, six hommes sur lesquels bien des dirigeants d’alors ont jeté l’anathème, six hommes mus par le même sentiment, dans un même élan, dressent l’acte de naissance d’un mouvement de rénovation, dénommé Front de libération nationale, et son corollaire. Armée de libération nationale. Six hommes qui précisent dans leur message au peuple algérien qu’"’/7s sont indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir" et que l’action armée qu’ils déclenchent "est dirigée contre le colonialisme". Ce jour là, six hommes, sûrs de leurs convictions, avaient calculé leurs actes. Avec les faibles moyens dont ils disposaient et la foi qui les animait, ils étaient sûrs de l’adhésion du peuple à leurs idéaux, tout aussi sûrs qu’ils mèneraient l’Algérie à l’indépendance.
L’affaire Aârab Amar dit Antar Aârab Amar dit Antar était un maquisard de Kabylie. Sujet instable et perturbateur, il avait eu des démêlés avec ses compagnons et ne pouvait, selon ses responsables, demeurer dans la région. Le parti avait jugé utile de le transférer vers les Aurès en le confiant à Mostefa Ben Boulaïd. Avec deux de ses compagnons, Aârab avait transité par le local scout du groupe Echihab d’Alger. Le chef scout et militant BastaAli,qui était en relation avec les maquisards de Kabylie, l’amène chez moi. Alors qu’il était sur le point d’être acheminé vers Batna, Aârab, de tempérament soupçonneux et nerveux, a failli provoquer un incident dans mon magasin, en voulant faire usage de son arme sur quelqu’un, le confondant avec un policier de sa connaissance.
93
Les architectes de la Révolution Ben Boulaïd installe Antar auprès de Smaïhi, militant de l’OS à Batna exerçant le métier d’artisan en bijouterie traditionnelle, et lui fait établir une fausse carte d’identité au nom de Smaïhi. Turbulent,
Antar,
au
cours
d’une
altercation
avec
un
maquisard
aurésien de renommée, Zelmat Messaoud, tire sur ce dernier avec une arme à feu et le tue. Craignant la réaction des hommes de Zelmat, car celui-ci était chef d’un groupe d’anciens recherchés, Aârab Amar s’enfuit et se rend chez l’administrateur Fabet, auprès duquel il exhibe le petit doigt de sa victime, qu’il avait sectionné après sa mort. Ce crime provoque une émotion et un grand scandale au sein des tribus où Zelmat jouissait d’un prestige auprès des populations. Il était le "bandit d’honneur" qui, avec sa femme, avaient défié l’administration et tourné en dérision la brigade de gendarmerie, d’autant qu’il avait réussi à soustraire des armes à ces mêmes gendarmes. Il détroussait les colons et les agents serviles de l’administration, percepteurs, caïds et bachaghas, pour distribuer aux indigents. C’est dire qu’il personnalisait le héros pour les montagnards et les gens de la région de Batna, où il avait une solide réputation. Convaincu
par
Ben
Boulaïd,
Zelmat
a
pris
fait
et
cause
pour
le
mouvement nationaliste. Bouchekioua Younès, chef de kasma du parti, informe sa hiérarchie de l’incident.
Celle-ci
direction
nationale
dépêche et
d’Alger
homme
très
Si Ahmed respecté,
Bouda, en
vue
membre de
de
la
résoudre
le
problème. Aidé par les sages de la djemaâ de la région, composée des principales tribus (Chorfa, Serahna.Touaba, Beni-Bouslimane), Bouda arrive à calmer les esprits. Sa tâche était vouée à l’échec, n’eut été la présence de Si Mostefa. Car certains des hommes de Zelmat étaient très montés contre Aârab et ne pouvaient admettre qu’un réfugié, accueilli comme un frère, puisse commettre un tel forfait. Sans autre forme de procès, ils le voulaient mort. Ben Boulaïd ne voulait pas que Aârab Amar dit Antar soit jugé dans les Aurès et encore moins condamné, malgré les réticences de certains chefs de tribus. Ben Boulaïd préfère laisser le soin aux responsables de la 94
Témoignage Kabylie de juger et sanctionner le coupable. Il rappela à l’assistance les règles de l’hospitalité légendaire des montagnards, d’autant que Antar lui a été confié par des amis. Il adjure les compagnons de Zelmat de respecter l'amen. En fin de compte, Bouda rentre à Alger, sachant que les Aurésiens ne tueront point Antar. Il y a lieu de préciser que Si Mostefa était très mal à l’aise d’autant que la victime (Zelmat) appartenait à la tribu des Beni-Bouslimane et que lui, Ben Boulaïd, était un Toubi de la tribu des Touaba. Et quand on connaît l’état d’esprit des populations d’alors, on peut affirmer aujourd’hui que personne d’autre n’aurait réussi à sauver la tête de Aârab. Krim Belkacem,
mis au courant de ce qui s’était passé, chargea
Ouamrane de supprimer Aârab, avec l’aide de deux militants : Boucetta Abdelkader et Haddanou Mohamed dit Mouhis. Les
services
constituait
le
de
renseignements
criminel,
mirent
au
français, point
un
forts
de
la
stratagème
proie
que
tendant
à
neutraliser Ben Boulaïd, Krim et Ouamrane. Ils firent venir Aârab de Batna à Alger. Hasard ? Manœuvre ? Plan diabolique des flics deVaujour ? On ne le saura jamais.Toujours est-il, Aârab se trouva nez à nez avec Ben Boulaïd à la gare d’Alger. Le premier semblait vouloir dire des choses ; il était nerveux, pleurnichard. Ben Boulaïd l’a amadoué et, prétextant un rendezvous urgent chez le médecin, demanda à Antar de le retrouver à 14 heures dans un café proche de la place de Chartres. Ben Boulaïd se présenta chez moi et me confia la responsabilité de faire surveiller Antar. J’ai envoyé mon neveu Abdallah à l’heure indiquée sur les lieux avec les consignes d’usage. Abdallah avait aperçu Antar chez moi, avant son déplacement à Batna. L’absence de Ben Boulaïd sur les lieux du rendez-vous ayant déjoué leur
plan,
les
policiers
chargés
de
la
souricière
étaient
visiblement
contrariés par l’échec. Le même scénario était monté pour tendre un guet-apens à Krim et Ouamrane. Mais ce dernier, sentant visiblement le traquenard, tira sur Aârab, le laissant pour mort au Ravin de la femme sauvage, près d’EIMadania. 95
Les architectes de la Révolution
Dernière heure, le journal paraissant l’après-midi, relatait l’information comme un fait divers. Il s’agissait "d’un homme trouvé inanimé au Ravin de
la femme sauvage avec une balle de pistolet dans le dos. Il paraissait sûrement faire l’objet d’un règlement de compte”, concluait le journaliste.
À LA VEILLE DU DÉCLENCHEMENT Le samedi matin du 30 octobre 1954, Bouadjadj Zoubir, responsable des groupes de choc, se présente dans mon magasin. Voyant que j’étais affairé avec un client, il pénètre dans le salon d’essayage et y dépose un colis. Ayant défait le paquet, je découvris des liasses de tracts relatifs à l’appel au peuple et à la proclamation du Ier Novembre. Le contingent de ce tirage était destiné à la cellule logistique qui devait en assurer la diffusion la plus large avec pour consignes : - toucher le maximum de personnalités algériennes et européennes en ayant recours à l’envoi postal. Pour ce faire, il convenait de puiser les adresses dans le Bottin téléphonique ; - à partir de lundi, fête de la Toussaint, profiter de la journée fériée pour distribuer de main en main les documents aux militants et aux sympathisants ; - il y avait lieu également de commenter l’événement par le bouche à oreille, en l’amplifiant au besoin. Le but recherché était la sensibilisation à grande échelle auprès de la masse pour la gagner d’emblée à la cause. Je contactais les membres de la cellule logistique Boukchoura, NaïtMerzoug et Zergaoui. Messaoudi était malade, alité. Après avoir pris connaissance du contenu des documents, nous relevons dans l’annuaire téléphonique
les
noms
des
personnalités
algériennes,
européennes
et
israélites et les rendons destinataires des premiers documents du Front de libération nationale (FLN) / Armée de libération nationale (ALN). Nous nous partageons les secteurs pour la distribution du lundi matin et convenons d’un rendez-vous avec d’autres partenaires à contacter pour commenter l’événement et prendre les mesures en fonction de l’impact de l’étincelle et des réactions des uns et des autres. Nous avons déjà envisagé un plan pour renforcer les structures et la mise en place d’une organisation plus étoffée, conformément dernières instructions de Mohamed Boudiaf du 23 octc' '•e.
aux
96
I
Témoignage
La rédaction de la proclamation Les deux textes que nous avons répandus au travers des militants et des personnalités algéroises de différentes confessions ont été rédigés par un militant, Laïchaoui Mohamed, qui adhéra au PPA vers 1946. Il était journaliste, résidant à Paris et exerçant à la revue Monde arabe. Boudiaf a fait
sa
connaissance
lorsqu’il
était
responsable
en
France.
Laïchaoui,
rentré en Algérie, a eu un poste de permanent au siège du parti à la place de Chartres et collaborait avec Lahouel. Il était également rédacteur au journal L’Algérie libre. Boudiaf le sollicite et lui fait savoir qu’il aurait besoin de ses services pour rédiger des documents de propagande confidentiels, et à ce titre aucune personne quelle qu’elle soit ne devrait être au courant. Laïchaoui donnera son accord de principe.Voyant Boudiaf souvent déambuler dans les locaux du siège, il ne pensait pas que la direction s’opposerait à la rédaction
de
documents.
Il
rencontrera
plusieurs
fois
Boudiaf
et
Didouche chez moi au 5, passage Malakoff, rue Bab El-Oued. Si Tayeb emettait
les
idées
tout
en
s’inspirant,
quant
à
la
proclamation,
du
programme du MTLD élaboré lors du congrès de 1953, et Laïchaoui les mettaient en forme. Une fois les deux documents rédigés, Boudiaf réunit les Six à deux reprises et leur en fait la lecture. Satisfaits du contenu, les six compagnons les ont adoptés. Chacun a pris deux copies en vue de leur tirage dans leurs zones respectives. Laïchaoui est à nouveau contacté par Didouche Mourad qui lui remet de l’argent pour acheter 10 rames de papier, une boîte de stencils, deux bidons d'encre Ronéo Korès, une agrafeuse et un flacon de corrector. Didouche
mettra
en
contact
Laïchaoui
avec
Krim
Belkacem
qui
l’emmènera en Kabylie, au village d’Ighil Imoula, le 27 octobre. Sur place, le
rédacteur
trouvera
machine
à
écrire
et
appareil
de
reproduction
(tireuse de stencils). Il procède au tirage de 2 300 exemplaires de l’appel et I 100 exemplaires de la proclamation. Krim acheminera les documents vers Alger. Au lendemain de la flambée du Ier Novembre, Habachi Abdeslam passe me voir et m’informe qu’il est présentement hébergé chez Mourad, qu’il aimerait rencontrer Bitat pour se mettre à sa disposition et qu’il est volontaire pour perpétrer des actions armées urbaines. 97
Les architectes de la Révolution Habachi, qui avait reçu l’accord de Ben Boulaïd pour se rendre à Constantine voir rapidement son jeune fils et dire au revoir à sa famille, était de retour et cherchait à se rapprocher de Rabah. Le mardi, je reçois la visite de Zoubir Bouadjadj qui venait aux nouvelles car nous avions reçu pour consigne de garder un contact permanent. Je lui ai demandé s’il savait où pouvait se trouver Rabah. Il l'ignorait. Au cours de la discussion, je lui apprends que Abdeslam, présentement hébergé chez Mourad, proposait ses services à Bitat et consent à perpétrer des actions armées urbaines. Bouadjadj
manifeste
sa
satisfaction
à
l’idée
que
Habachi
soit
disponible. "C’est une aubaine", dit-il. Zoubir me charge de faire savoir à Abdeslam
qu’il
aurait
besoin
de
ses
services
et
lui
propose
de
le
seconder dans la capitale, convaincu par sa longue expérience dans la clandestinité et conscient de sa témérité. "I! me sera d’un grand secours", conclut-il. J’informe Boukchoura Mourad de mon entretien avec Zoubir et lui fais part de son souhait d’avoir Abdeslam avec lui pour encadrer Alger. Nous nous mettons d’accord pour nous revoir à quatre le jeudi à 10 heures. Ne voyant apparaître aucun des trois compagnons ce jeudi matin, j’ai conclu que Mourad, Abdeslam et Zoubir ont dû rencontrer Rabah et, avec l’activité de ces derniers jours, chacun devait être pris par des charges
de
dernière
minute.
Moi-même
j’ai
dû
faire
des
tâches
imprévues : orientation de quelques militants qui cherchaient à se rendre utiles en intégrant les structures. Ceci me faisait penser à ce que préconisait
Boudiaf
avec
son
"inversion
du
processus
révolutionnaire.
Commençons et puis au fur et à mesure organisons". Je présume que Rabah et les autres doivent être confrontés à des problèmes de mise en place de réseaux ; c’est ce qui expliquerait leur silence.
Les arrestations J’étais loin d’imaginer que les groupes de choc, sous la houlette de Zoubir, et qui devaient entreprendre d’autres actions après la flambée de laToussaint.allaient être stoppés dans leur élan et totalement neutralisés. Et encore loin de me douter que notre groupe chargé de la logistique, qui activait parallèlement à celui de Zoubir, allait lui aussi connaître le même sort.
98
Témoignage Les acteurs des deux cellules furent arrêtés les uns après les autres. Habachi et Boukchoura furent appréhendés avec Bouadjadj, ainsi que Naït-Merzoug Abderrahmane. Le
vendredi,
par
précaution,
toujours
dans
l’attente
des
trois
compagnons, je fais le nettoyage de tout ce qui pouvait paraître suspect et dans mon domicile et dans mon magasin. J’ai été bien inspiré car le samedi matin, 6 novembre, les policiers de la PRG de la brigade du commissaire Havard investissent mon magasin et, menottes aux poings, ils m’embarquent vers la villa Mahieddine, de triste renom pour les nationalistes et où la pratique de la torture était monnaie courante. Dans cette enceinte, je retrouve des éléments politiques, tels Moulay Merbah, bras droit de Messali, et Benteftifa, le dirigeant centraliste, ainsi que d’autres connus et inconnus. Le I I novembre, avec certains d’entre les pensionnaires de la villa Mahieddine, je fus placé sous mandat dépôt et transféré à la prison Barberousse. Messaoudi Abdelouahed, qui était en traitement à l'hôpital, nous avait rejoints par la suite dans les cellules de la prison Barberousse. Il avait été arrêté à l’hôpital où il était gardé sous surveillance par un agent en permanence. Notre groupe de logistique l’a déchargé en se rétractant devant le juge d’instruction. Il a été libéré quatre mois plus tard, en février 1955. Il reprendra ses activités avec, pour compagnons, Kechida Abdallah, Hamzaoui Amar et Berrahma Mohamed. Il s’est occupé avec ses amis de la
mise
en
place
des
premières
structures
pour
le
recrutement
de
militants et l’organisation des cellules politiques et des groupes de choc. Il sera l’un des artisans de la constitution des deux laboratoires de fabrication
de
bombes
de
Birkhadem
(résidence
du
militant
Azouz
Mohamed) et celui de la Scala à El-Biar qui avait explosé, entraînant la mort de Rachid Kouach, artificier. Abdelouahed s’est occupé également du réseau des artificiers chimistes, des militants d’origine européenne, tel le docteur Timsit. Il rejoindra le maquis après l’arrestation de Azouz et de quelques artificiers portant les pseudonymes de Hmidouche et Mansour. Abdelouahed Messaoudi, compagnon de longue date, tombera au champ 99
Les architectes de la Révolution d’honneur dans la zone de Ténès, en même temps que mon neveu Kechida Abdallah.
EN PRISON En ce jour du jeudi I I novembre 1954, je fais connaissance avec le monde
carcéral
de
Barberousse
(débaptisé
Serkadji)
sous
le
numéro
d’écrou 9483. Le groupe de prisonniers politiques auquel j’appartenais a été isolé des
autres
détenus.
Aucune
communication
n’était
possible.
Je
suis
enfermé seul dans une cellule durant quarante cinq jours, dans un isolement total. Je ne voyais même pas le gardien qui venait glisser la gamelle, après avoir entrouvert la lucarne de la porte. Les services de la police et de la justice formalisent les dossiers d’inculpation de chacun d’entre nous. Il ne nous était pas loisible encore de constituer et encore moins de nous mettre en relation avec des avocats. Point de visite familiale, non plus. Après ce pénible séjour, dont une partie s’est effectuée dans les geôles des tortionnaires, je rejoins la salle numéro 4 au Ier étage, où cohabitent et s’entassent des Algériens venant de différents horizons, privés de liberté. Durant les premiers jours, je ne faisais qu’observer la quotidienneté de la vie de prison, avec tout ce qu’elle comporte comme infrastructures et personnels : surveillants-chefs, surveillants, prévôts et une partie du peuple algérien qui a maille avec le pouvoir français. Le matin, de très bonne heure, c’est l’appel et le décompte des détenus
par
les
gardiens
de
service.
Nous
plions
et
rangeons
nos
paillasses en posant les couvertures au-dessus. Nous mettons également bien en vue le gobelet métallique pour le café. Les détenus s’alignent, chacun derrière sa paillasse, pour permettre au surveillant de compter les inculpés et communiquer le nombre à voix haute au surveillant-chef, placé devant la rampe au milieu de l’étage. Ensuite, deux prisonniers (convoyeurs) font la tournée des salles pour servir le café, accompagnés du surveillant affecté à cette tâche. Nous sortons en file indienne en direction de la cour où nous nous mêlons aux prisonniers des autres salles. Pendant deux heures, nous 100
Témoignage allons
déambuler
pour
nous
dégourdir
les
jambes.
C’est
l’occasion
d’échanger des propos avec des amis. Il nous était interdit d’élever la voix. Le repas du matin (le déjeuner) est consommé dans la cour. Pour se servir, nous nous rendions près des cuisines pour retirer nos gamelles en fer blanc. La nourriture était infecte ; de l’eau dans laquelle surnagent une carotte, un navet et parfois une pomme de terre non épluchée. Les premiers temps, les prisonniers ont un mouvement de répulsion à la vue et à l’odeur de ce qu’on vient de leur servir. Mais par la suite, ils finissent par s’y habituer. Pour ingurgiter cette pitance, au début, je me pinçais le nez. Les plus nantis parmi ceux qui reçoivent de l’argent de leurs proches, ont la possibilité de s’approvisionner auprès de la cantine, où il y a quelques denrées alimentaires mises en commerce. Vers treize heures, la cloche sonne. C’est l’heure du dîner. Nous prenons la soupe du soir tantôt dans la cour, tantôt dans les salles. Nous rejoignons les cellules, et les gardiens procèdent à uri deuxième appel de contrôle tandis qu’un gardien fait la tournée pour vérification de l’état du barreaudage des fenêtres, de crainte d’évasion possible. Celles-là étant assez hautes, le gardien a recours à une échelle, portée par un prisonnier. Les barreaux sont testés un à un. Après ce rituel, c’est la fermeture à clef des grilles de toutes les cellules. Nous sommes astreints au silence et à l’interdiction de circuler dans les salles. Le prévôt et le chef de corvée, tous deux détenus, sont chargés de ces missions de respect du silence et d’interdiction de se mouvoir. La nuit, pas d’extinction des feux ; les lampes restent allumées. Nous prenons une douche tous les quinze jours et, au sortir de celleci, on nous saupoudre de DDT pour endiguer les poux. . Nous avons droit une fois par semaine à une visite familiale au parloir. Le couffin et les victuailles sont passés au peigne fin par les surveillants. Bien évidemment, le contenu de ce panier est toujours partagé entre les compagnons de salle qui ne disposent pas de pécule ou ne reçoivent pas de visite. Et ils étaient légion. A telle enseigne qu’un grand nombre de détenus demandent à leurs familles d’augmenter sans cesse les rations. Dans les salles, nous nous groupions par affinités et formions ainsi des gourbis de cinq à six personnes.
101
Les architectes de la Révolution Les infrastructures étaient lugubres et les relations avec les geôliers, exécrables.
Des
grossièretés,
des
insultes
blasphématoires
et
des
menaces sont proférées par les gardes-chiourmes à chaque fois que nous les entrecroisons. L’absence totale d’inspection des lieux de détention par leur tutelle ou par des organismes de contrôle et encore moins humanitaires, a stimulé l’agressivité et le comportement indigne de ceux qui en ont la charge. Les détenus étant dans leur quasi-totalité Algériens, le staff dirigeant ne risquait point d’être sermonné ou rappelé à l’ordre et encore moins sanctionné par des inspecteurs, quand bien même ceux-là seraient conciliants et fermeraient les yeux sur une gestion tyrannique. Nous avons observé une parfaite osmose entre les responsables et les gardiens pour ce qui concerne le régime de répression mis en place. A croire que les critères de recrutement de ces hommes qui gèrent la prison n’étaient pas fondés sur des assises réglementaires de niveau d’instruction et de compétence, avec tout ce que cela suppose comme pédagogie et psychologie, mais sur des bases de condition physique et sur une moralité douteuse. Et ce en totale contradiction avec un statut général de la fonction publique d’un pays qui se dit civilisé. Nous avons eu affaire à des individus sans scrupules, immoraux et dénués
de
tout
sentiment
humain.
C’étaient
des
mercenaires
qui
agissaient au vu et au su de tout un chacun, sans qu’aucune voix de la hiérarchie ne s’élève pour mettre un holà à leurs dépassements. La mentalité et le comportement des dirigeants, comme le directeur, le sous-directeur et le surveillant général Atlan, étaient le reflet identique de leurs subalternes, à l’image des surveillants-chefs Canisio et Loubarech et des surveillants comme les frères Bartoli. Dans ce monde clos de Barberousse, le règne de l’arbitraire a trouvé des agents zélés pour faire régner la terreur en toute impunité. Bien plus, l’administration carcérale sera aidée et trouvera, en certains détenus, pauvres hères triés sur le volet, de précieux auxiliaires pour effectuer
les
basses
besognes
de
mouchardage,
de
dénonciation
et
d’infiltration au sein de la population carcérale. En ce début de novembre, beaucoup de militants du mouvement national sont arrêtés et mis en détention à Barberousse. Ce convoi 102
Témoignage nouveau, dont je fais partie, va quelque peu changer la physionomie de la prison et créer une certaine animation. Les détenus de droit
commun vont
prisonniers politiques
et les
faire connaissance avec
observent
avec
les
méfiance. Leur
comportement, au début, était arrogant et haineux. Nous avons compris qu'ils étaient poussés et montés contre nous par les prévôts qui sont dérangés dans leur quiétude, craignant de perdre tous les privilèges accordés par les gardiens jusque-là. Il est vrai que les surveillants leur octroyaient parcimonieusement
quelques avantages pour mieux
soumettre à leur diktat.
les
^
Quant aux gardiens, qui semblent avoir reçu des consignes précises et strictes, ils nous accueillent avec sarcasmes, intimidations et mises en garde. Ils cherchaient apparemment à nous conditionner dès les premiers jours et espéraient une soumission facile, totale et rapide. Ils ont usé de tous les subterfuges pour ce faire. Mais ils se sont vite rendu compte que la nouvelle pâte de pensionnaires différait totalement de celle qu’ils avaient l’habitude de garder et de dompter. Nous n’étions ni voleurs, ni assassins. Notre seul crime consistait en un soulèvement contre un régime
d'oppression
et
la
revendication
du
droit
de
recouvrer
une
souveraineté confisquée par une colonisation de plus d'un siècle. Nous le leur faisons savoir et nous avons senti alors que nous allions vers bien des affrontements avec ces agents du système et connaître pas mal de désagréments. On nous a affectés dans des cellules de 5 mètres-carrés qui allaient abriter un, trois ou quatre détenus et dans des salles qui devaient contenir 60 individus et que l’administration bourrera jusqu’à contenance du double.
Les détenus politiques s’organisent Une fois qu’on a fait le tour du propriétaire, qui se réduit à des cellules sinistres, des cachots humides, une rotonde sombre et des cours de promenade nues, le tout enjolivé de barreaux épais limitant l’espace carcéral, nous avons pu nous réunir et convenu qu’il faudrait réorganiser la vie de tous les séquestrés. Considérant que tout l’appareil de gestion de Barberousse, avec tout ce qu’il comporte comme moyens humains, allait se liguer pour nous mater et nous faire rentrer dans les rangs, nous
103
Les architectes de la Révolution tenions à marquer la différence et faire admettre à tous les gestionnaires notre statut de prisonniers politiques, régime qu'on ne nous accorde d’ailleurs
pas.
Pour
donner
beaucoup
plus
de
poids
à
notre
représentativité, il nous fallait nous-allier les autres détenus. Nous avons procédé au recensement de tous les pensionnaires de Barberousse, qu’ils soient inculpés politiques ou prisonniers de droit commun. Mus par le même idéal, les internés politiques visaient le même but : participer d’une manière ou d’une autre au combat libérateur et le faire admettre à tous les prisonniers. Pour ce qui est des détenus de droit commun, bon nombre d’entre eux étaient des ruraux et analphabètes dans leur grande majorité. Quant aux motifs qui les ont conduits en prison, les délits ou crimes sont de différentes natures. Nous apprendrons que certains végètent ici depuis longue date sans avoir été jugés. D’autres jureront de leur innocence. D’autres encore ne savaient point pourquoi ils étaient là. A les entendre, on comprend et on confirme que le régime colonial fait encore et toujours fi de toute la nomenclature juridique et piétine les règlements qu’il a lui-même édictés. Le fait du prince, l’arbitraire et l’impunité se conjuguent à tous les temps dans cette enceinte du silence et de l'oubli. Les détenus sont de tous âges et, dans leur grande majorité, des gens de condition modeste. Leur santé physique n’était pas excellente pour bon nombre ; la sous-alimentation et les brimades y étaient pour quelque chose. La solidarité entre gens de même condition et subissant les mêmes contraintes allégeait quelque peu le poids des peines.Tous se sont accommodés de leur condition de prisonnier reclus dans un univers carcéral injuste et arrivent à survivre. Certains débrouillards s’en sortent bien, alors que d’autres, timorés, subissent les corvées les plus pénibles et parfois dégradantes, mais ne se plaignent pas de leur sort. Ayant pris le pouls de Barberousse, nous avons décidé d’engager un processus en vue de changer le train de vie des prisonniers et veiller à l’améliorer progressivement. Après étude des voies et moyens à mettre en oeuvre, nous avons procédé à une évaluation de toutes les compétences et déterminé les tâches à entreprendre. Il a été constitué et mis en oeuvre des comités de salle catalyseurs ayant, entre autres, pour missions de : 104
Témoignage -
distribuer
des
vêtements,
des
cigarettes
et
quelques
denrées
alimentaires autorisées par l’administration à des détenus démunis qui ne reçoivent pas de pécule ; - dispenser des cours d’enseignement général ; - entamer des actions de formation politique ; - initier des activités culturelles, de loisirs et sportives ; - entrevoir toutes les possibilités pour mobiliser tous les internes, en cas de nécessité. J’avais
la
charge
de
m’occuper
de
la
salle
4
;
Kaci-Abdallah
Abderrahmane de la salle 6 ; Mourad Boukchoura de la salle 8 ; Merzougui
Mohamed
de
la
salle
J23
et
d’autres
militants
encore
encadraient les autres salles de détention. Notre camarade Abdeslam Habachi, après un court séjour avec nous à Barberousse, a été transféré à Tizi-Ouzou pour répondre de l’affaire des Issers d’où il s'est échappé lors de sa mission en Kabylie et faire l’objet d'une deuxième inculpation pour l’affaire de l’OS de 1950. Il était contumax. Comme
l’administration
nous
changeait
souvent
de
salle,
chacun
d’entre nous prenait la suite du travail accompli par les militants qui l’ont précédé. Dans la cour, nous nous informons réciproquement sur tous les problèmes rencontrés et du travail accompli. Cette rotation a permis à chacun d’entre nous d’étudier la mentalité des groupes de détenus et de faire ample connaissance. Elle nous a offert également la possibilité de confirmer et d’affiner le discours des camarades qui nous ont précédés. Les prisonniers, entendant le même langage de bouches différentes, ont admis que nous avons la même foi et que nous visons le même but : casser le cadre du système colonial. Notre engagement dans la prison et notre mobilisation étaient voués à leur faire comprendre et admettre que les choses peuvent changer et qu’il est de leur intérêt de faire leur examen de conscience, de prendre leurs responsabilités et de s’insurger contre l’occupant. Le
FLN
a
constitué,
pour
nous
défendre,
un
collectif
d’avocats
comprenant maîtres Bouzida, Hadj-Hamou et le jeune Mohamed Benyahia (futur ministre). Par leur biais, nous avons pu informer le FLN de ce qui se passait à l’intérieur de la prison et avons reçu des 105
Les architectes de la Révolution instructions en conséquence qu’on s’efforçait de mettre en application. Ces avocats nous donnaient des nouvelles de deux de nos camarades, Gueddifi Benali et Benzerga Benaoùm, membres de l’OS arrêtés en 1950 et qui sont là à Barberousse dans des cellules, isolés. Nous les apercevons de temps en temps quand ils passent, enchaînés, devant nos salles, criant des
slogans
en
encouragements.
faveur
de
Gueddisi
la
sera
révolution atteint
de
et
nous
prodiguant
tuberculose
à
des
cause
de
l’humidité de sa cellule, de la sous-alimentation et des sévices qu'il a endurés. Quant à Benzerga, il fera une dépression nerveuse. Consternés par ce qui est arrivé à nos deux camarades et sachant que nous avons affaire à une administration forte et brutale, dont les agents recrutés et formés par un système répressif vont s'opposer à nos initiatives, nous nous sommes engagés à ne pas nous laisser faire et à lutter par tous les moyens légaux pour faire admettre les changements que nous voulions opérer. On savait que l’administration tentera d’étouffer toutes nos initiatives et actions, et qu’elle usera de tous les moyens
ou
subterfuges
pour
contrecarrer
nos
desseins.
sommes toutefois engagés à résister d'emblée à d’intimidation et à crier haut et fort pour obtenir ces droits.
Nous
toute
nous
mesure
Il nous a été loisible de constituer dès le début un groupe solide, soudé et intransigeant. Cette solidarité de groupe a tempéré l'ardeur et les dépassements des gardiens, qui, de proche en proche, lâchaient du lest et semblaient admettre ces faits nouveaux en prison. Progressivement,
les
militants
désignés
se
mettent
à
l’œuvre
en
expliquant le bien-fondé de leurs intentions et en sensibilisant les détenus aux changements escomptés. Les cellules s’organisaient et chacun y mettait du sien. Exemple à souligner, celui de la prière en commun. Bien que
croyants,
certains
d’entre
nous,
les
initiateurs
du
changement,
n’étaient point pratiquants. Mais ayant considéré que la prière était un facteur de cohésion sociale, nous avons pris en charge cet aspect. Il faut préciser toutefois que beaucoup de prisonniers suivaient régulièrement le rite et priaient chacun de son côté. Nous avons eu le mérite de regrouper tout le monde par cellule et, dans Barberousse, on entendait le muezzin appeler à la prière. Evidemment, il y a eu un effet boule de neige et, au bout d’un certain temps, tout le monde faisait la priere. Autre exemple qui permettait une communion de groupe, le sport. Nous avons expliqué que ces exercices de décrassage nous permettaient 106
Témoignage à tous de maintenir une bonne condition physique. Certains détenus pratiquaient régulièrement. Ces
actions
religieuse
et
de
sport
en
commun
satisferont
les
prisonniers, étonneront les gardiens et intrigueront la direction. L'administration
de
Barberousse
a
eu
alors
recours
au
procédé
colonial éculé de "diviser pour régner". Ces manoeuvres de division entre prisonniers politiques et ceux de droit commun furent vite éventées grâce à la vigilance d’un réseau de cellules mises en place partout dans les salles de détention. L'administration a infiltré des agents sous la coloration de détenus de droit commun pour surveiller à l’intérieur des salles et rapporter les faits et gestes aux surveillants qui font leur office à
l’extérieur
des
cellules.
Ces
mêmes
détenus
étaient
utilisés
et
manipulés pour des actions de délation, de mouchardage ou de violence sur certains prisonniers récalcitrants dans l’espoir de les neutraliser afin de
recueillir
tactique
des
consistait
informations
auprès
à
les
encadrer
des
nouveaux
nouveaux
venus,
incarcérés.
La
notamment
les
paysans, et à leur soutirer des informations sur les maquis, après les avoir mis en confiance, se faisant passer pour des nationalistes. Ils répercutaient les informations recueillies vers les services de la répression. Nous avons pu situer les taupes et obtenu tous les renseignements sur les méthodes utilisées. Pour nous prémunir contre tous ces aléas, nous créons et mettons en place, en quadrillant toute la prison, des comités
de
vigilance
pour
veiller principalement
à la protection
des
nouveaux venus et enrayer ainsi les comportements nuisibles à la bonne marche de la lutte de libération.
La conversion des gens du milieu Les comités de vigilance mirent l’accent sur la sensibilisation des prisonniers
de
droit
commun
d’instruction politique ont
été
au
mouvement
national.
Des
cours
dispensés et finirent par porter leurs
fruits. Les enseignants se relayaient pour faire incruster dans l’esprit de ces marginaux, les méfaits du colonialisme, responsable de la déchéance de nos auditeurs. Certains de ces détenus étaient très assidus et faisaient montre d’une curiosité intellectuelle aiguë et d’un engagement sincère vis-à-vis de la cause nationale. Nous avons réussi à leur faire prendre conscience de l'utilité de s’engager avec nous dans le combat libérateur. 107
Les architectes de la Révolution "Vous
nous avez ouvert les yeux", nous
diront
quelques-uns.
Leur
comportement a connu un notable changement, tant dans leur discours que dans leurs relations avec les autres détenus, avec leurs enseignants ou même avec leurs geôliers. Leur mue a été totale et c’est avec fierté que nous avons compté parmi les convertis des gens comme Ali Amara dit Ali La Pointe, condamné à deux ans de prison pour "résistance à force de l’ordre", Louni Arezki, Saïd Bakel que j’ai connus à la salle 8 en 1955 et d’autres moins renommés mais qui se sont avérés par la suite des combattants de grande valeur. Un autre cas mérite d’être signalé, celui de Hacène El-Annabi, caïd du milieu à Zoudj Aïoun, à la Basse-Casbah, et incarcéré à Barberousse. Il était le seul prisonnier de droit commun mis en isolement. Il tenait tête aux
gardiens
nationalistes
qu’il avant
affrontait
ouvertement.
tous
autres
les
et
Il
bien
était avant
acquis
aux
d’être
idées
incarcéré,
contrairement à bien des caïds du milieu qui collaboraient avec les services de renseignements français. Un jour, nous le croisons à la sortie de la douche. Apercevant Ali La Pointe, qui était avec nous, Hacène lui dit en criant : "Ali ! Ali ! Tu as des hommes avec toi aujourd’hui, des vrais, des erguez". Hacène sera abattu plus tard par Omar Hamdi. Certains diront que le premier était liquidé parce que Messaliste. D'autres affirmeront qu’il y avait une rivalité, un problème de leadership entre Hacène et Ali La pointe. Ayant fait le bilan de ces actions de culture politique à l’endroit de cette frange de marginaux, nous avons été très agréablement surpris de l’engouement et de l’intérêt que portaient certains d’entre eux à ces cours de formation qui ont eu une incidence bénéfique sur leur manière d’apprécier leur condition sociale. Ils étaient une minorité, certes. En vérité,
il
convient
de
préciser
aussi
que
Barberousse
pullulait
de
maquereaux qui étaient des serviteurs zélés des services de police et qui ne nous appréciaient guère. Il nous a fallu les menacer sévèrement et organiser des groupes de choc qui les ont bastonnés maintes fois pour qu’ils se mettent définitivement sur la touche. Parmi mes compagnons de cellule, j’ai fait la connaissance de Allili Ahmed et l’ai intégré dans notre gourbi. Il était jovial et bon vivant. Nous l’avons appelé "Marius" tant il nous déridait, et pour peu nous faisait 108
Témoignage oublier notre calvaire. Allili, militant MTLD à Boufarik, a été arrêté fin 1954. Jugé pour atteinte à la sûreté de l’Etat et accusé d’avoir subtilisé de la cheddite pour la fabrication de bombes, il a été condamné à cinq années d’emprisonnement. Il a fait appel, il a tout nié. Sa peine sera ramenée à six mois. Au cours de l’une de nos discussions, le sujet nous amène à évoquer Kobus. Comme je l’avais connu, je résume, pour mon compagnon Ahmed, la trahison de Kobus, de son vrai nom Belhadj-Djillali Abdelkader. Ce dernier a activé dans les rangs de l’OS jusqu’en 1950 où il fut, à l’instar de beaucoup de militants, arrêté et emprisonné. Compte tenu de ses états de services dans l’armée française, où il a servi en qualité d’officier avec le grade d’aspirant, et fils d’officier en retraite - son père a été lieutenant - Kobus a bénéficié d’une remise de peine. En 1954, il réside près de la rue Mulhouse et, sur son passage, rencontre
souvent
Boudiaf
et
Didouche
près
du
magasin
de
maroquinerie de Boukchoura Mourad. Il a été sollicité par Ben M’hidi qu’il verra chez moi au passage Malakoff pour
lui
procurer
la
documentation
traitant
des
explosifs.
Kobus
collabora avec Boudiaf et Didouche, après avoir fourni les documents demandés par Larbi. On avait alors déduit que Kobus était acquis. Mais il ne sera pas informé des préparatifs. Le 2 novembre 1954, il se présente chez Boukchoura, mécontent, reprochant au groupe de Boudiaf de l’avoir dédaigné. Il n’admettait pas sa mise à l’écart. Il dira à Mourad : "Ils m’ont trahi, khedoûni". Kobus rejoint Miliana, recrute et organise des groupes armés qu’il retourne contre le FLN. Aidé par les Français, il constituera une armée importante et accomplira bien des méfaits. Par la suite, après l’avoir doté de tous les moyens et équipements nécessaires,
les
services
français
demanderont
à
Kobus
de
faire
la
jonction avec les troupes de Bellounis en vue d’isoler les maquis FLN. A l'époque, Bellounis rayonnait dans les régions de Laghouat, Djelfa, jusqu’à Sidi-Aïssa. Kobus s’occupait des secteurs compris entre Miliana, Aïn Defla et Chlef. Allili Ahmed rageait quand je lui avais narré l’épisode Kobus qu’il connaissait.A sa sortie de prison,Ahmed nous a promis de donner de ses 109
Les architectes de la Révolution nouvelles et de liquider le traître. "Je mettrais sa téte dans un sac”. Il prendra la maquis dans la région de Miliana et nous dépêchera plusieurs fois un agent de liaison. Effectivement, Kobus sera abattu et sa tête détachée du tronc. Allili dit Baghdadi, le jeune nourri aux idées nationalistes dans le mouvement scout, mourra les armes à la main au retour d'une mission périlleuse. Il avait le grade de commandant.
Bitat, chef de prison Un jour, le "lampiste" (prisonnier qui distribue le courrier et appelle les détenus à se diriger vers le parloir quand il s'agit de visite de famille ou au prétoire quand il s’agit d'entretien avec les avocats) nous informe qu’il y a un nouveau détenu qui a été mis en cellule et isolé. "Il s’appelle
Bitat Rabah". Cette nouvelle me bouleverse à double titre. Rabah était responsable
de
la
Zone
de
l’Algérois
et
mon
neveu
Abdallah
l’accompagnait presque souvent. Qu’en était-il de Abdallah ? Rabah était également un ami très cher que j’ai connu dans des circonstances difficiles, pour lui et pour le parti. Recherché et contumax, il se réfugie dans les Aurès, et Ben Boulaïd le confie à un militant du nom de Benchaïba Ali qui disposait d’une ferme. C’est d’ailleurs dans cette même ferme que fut opérée la distribution des armes pour les maquisards des Aurès, la veille du Ie' Novembre. Rabah y demeura des mois, mais sa santé donnait des inquiétudes. Au printemps de 1952, la direction du parti le rappelle à Alger, suivi quelques jours plus tard de Habachi Abdeslam. Mohamed Boudiaf, qui a été chargé de leur trouver des points de chute, me demande de prendre en charge les deux irréguliers quelques mois. J’ai emmené Rabah voir un médecin car il souffrait de la poitrine. Par la suite, Regam
Abderrahmane
dit
Zouaoui,
ingénieur
agronome et enseignant
responsable à l’école de formation des techniciens agricoles à Rovigo, recrute Bitat comme conducteur de tracteur saisonnier dans les champs, dans la région de Saint-Pierre-Saint-Paul. Après un certain temps, il revient à Alger et je l’héberge encore au refuge dans La Casbah. Sebbagh Abdelkader, militant, ajusteur tourneur de profession, l’embauche avec lui en qualité d’employé réparateur aux établissements Otis-Pif, spécialisés dans le montage et la réparation des ascenseurs. Le parti ayant décidé d’intégrer les irréguliers dans les structures du parti, Bitat est désigné comme chef de daïra àTémouchent. Là, il aura des
Témoignage déboires avec la police alors qu’il était en compagnie de Ben M’hidi. Il réussira à échapper aux policiers et rejoindra Alger, où il demeurera sans affectation. Pendant la période de préparation du déclenchement, il est très actif. Il anime des réunions de militants et suscite des adhésions. Je devais me rendre à Batna remettre un paquet de bulletins Le Patriote à Bouchekioua Younès, chef de kasma. Ben Boulaïd, qui était de passage à Alger, me propose de lui tenir compagnie et faire le trajet ensemble car lui-même rentrait vers les Aurès dans sa Juvaquatre. Bitat se joindra à nous pendant une partie du trajet. Il devait aller à Sétif contacter ses anciens compagnons Bentobal et Zighout Youcef qu’il n’avait pas vus depuis qu’ils étaient tous trois dans les Aurès. Bien que muni d’une fausse carte d’identité, il se met à l’arrière par précaution. De nous trois, Rabah était le seul recherché. Arrivés à Sétif, Si Mostefa nous demande de l’attendre une heure environ car il devait voir deux personnes. Attendant son retour, nous faisons les cent pas, Rabah et moi, quand, tout d'un coup, Rabah aperçoit un camarade de classe qui exerce la fonction de policier. Rabah passe doucement sa main sous son aisselle. Baissant les yeux, l’agent fait mine de rien et change de direction. Soupçonneux, Rabah décide de quitter Sétif et nous accompagne à Batna. "Je reviendrai plus tard voir Lakhdar et
Youcef', dit-il. En déposant le paquet de bulletins Le Patriote auprès de Bouchekioua Younès, chef de kasma du parti, ce dernier nous invite à assister le lendemain à une soirée organisée par les scouts à l’occasion d'une fête. Il
s’est fait insistant auprès de Ben Boulaïd qui acquiesce, après que
Younès lui eut indiqué le nom de quelques invités. Dans
le
local
scout,
serrés
comme
des
sardines
en
raison
de
l’étroitesse des lieux, Mostefa, Bitat et moi, au milieu d’un parterre de militants, dont Ali N’mer (futur officier de l'ALN), et en présence de l’imam Cheikh Tahar Messaoudène, les scouts nous gratifièrent d’une pièce de théâtre remarquable, écrite par Djerrah Hocine, morchid du groupe Erradja et militant du parti, qui, d’entrée, demanda à l’assistance de ne pas applaudir. Au fond de la scène, un seul décor, le drapeau algérien. Dans un coin, un tableau noir sur lequel était écrit : "Vous qui
fêtez ce jour, heureux, songez à ceux qui sont au fond des prisons".
Les architectes de la Révolution Fier de ses scouts, dont il assume la gestion du groupe avec ElHachemi Bouchit, Bouchekioua présente, en fin de spectacle, les jeunes louveteaux, éclaireurs et routiers à Mostefa, Rabah et moi-même. Il indique que, ce jour même, les scouts ont fait une quête publique dans la ville au profit du Comité de soutien aux victimes de la répression (CSVR). Ben Boulaïd lui dira : "Je ne regrette pas du tout d’être venu, j’ai
passé une bonne soirée avec des grands et des petits militants ; vous avez là une bonne école et je souhaite que tous nos enfants soient de la même trempe”. Le lendemain, nous reprenons la route, Rabah et moi. En cours de trajet, Bitat me dit qu’il a pu revoir celui qui l’avait hébergé ainsi que d’autres militants des Aurès. Il ne tarira pas d’éloges sur la pièce et souhaite la faire jouer à Alger pour les militants car ''elle est d’actualité et
ne laisse personne insensible". Je continue mon trajet vers Alger et laisse Rabah à Sétif. Dans la prison de Barberousse, Bitat est demeuré un long moment en isolement, puis autorisé à se dégourdir les jambes dans la cour des prisonniers français, qui était séparée de celle des algériens. Il y avait quelques détenus européens, entre autres le secrétaire général du Parti communiste algérien, Paul Caballero. Certains inculpés algériens, dont des responsables, à l’image de Lamine Debaghine, qui a fait un court séjour, ou Abdallah Fadhel ou encore Larbi Madhi, étudiant en France, côtoyaient les détenus français pendant leurs promenades dans la cour. Dans cette même aire déambulait Mazouzi Mohamed Saïd, incarcéré depuis 1945 et qui avait été arrêté en même temps que Zerouali et Haddadi, lesquels purgeaient encore leur peine. Mazouzi ne connaîtra la liberté qu’avec l’indépendance. Bitat, après la fin de son isolement, rejoindra une cellule et la partagera avec trois compagnons. A partir de ce moment et en fonction des rotations des prisonniers dans les cellules, nous avons pu rencontrer Rabah à tour de rôle. Boukchoura Mourad, Abdallah Fadhel, Merzougui Mohamed, Bouadjadj Zoubir, Athmane Belouizdad et moi avons, à un moment, partagé la même cellule que Rabah. J’ai pu, également, grâce à la bienveillance et la complicité de deux gardiens, passer de longs moments avec Rabah, alors que je n'étais pas affecté dans la même cellule que lui. En effet, les surveillants Freinât, de
I 12
Témoignage nationalité française, et Debbah Boualem me permettaient d’aller voir Bitat après le premier appel du matin et avant le deuxième appel de contrôle du soir. Rabah me relate les événements du Ier Novembre dans la région de Blida et ce qu’il avait fait avec les groupes de commandos. Au cours d’une action de l’attaque de la caserne Bizot, il a eu une entorse de la cheville du pied droit qui l’a immobilisé quelques jours à Soumaâ. Rentré à Alger, il a voulu prendre contact avec moi et Mourad Boukchoura. Informé de notre arrestation, il s’est réfugié chez un ami qu’il connaissait, résidant à Pointe Pescade. Là, il a demandé à son hôte Lezoul Amar de retrouver Kechida Abdallah. Bitat veut réorganiser le réseau et charge Abdallah d’établir les contacts. Mon neveu arrivera à le mettre en relation avec Mouloud Hamzaoui, Abdelouahed Messaoudi, Mahieddine Berrezouane, Mahmoud Boudiaf, Yacef Saâdi, El-Hadi Badjarah et Benmokadem Mohamed que Bitat prendra comme adjoint et qui travaillera par la suite avec Abane Ramdane. Le même Abane qui chargera également El-Hadi Badjarah de récupérer les archives du parti, avec l’aide de tous les responsables centralistes qui ont rejoint. Bitat me narra les circonstances qui ont présidé à son arrestation par la faute de l’élément trouble qu’était Slimane Ladjoudène. Ce dernier, qui était en poste dans la région de Biskra, avait participé aux premières actions de la lutte armée. Il déserta son poste de responsable et voulut rejoindre Alger. En passant par Bou Saada, il est arrêté et relâché sans que personne ne le sache à ce moment-là. Muni d’une carte de l’état-major, il réussit à berner Rabah Bitat en lui faisant croire que Ben Boulaïd l’avait chargé de constituer une structure au niveau national composée de groupes mobiles ayant pour mission l’acheminement des armes. Il invite Rabah à réunir les responsables de zones pour étudier en commun ce projet. Bitat n’a pu contacter Ben M’hidi à Oran. Il arrive à toucher Krim et Abane qui déclinent l’invitation. Bitat se rend seul au rendez-vous qui lui a été fatal. C’était un traquenard. Il est arrêté par la DST dans un café à Bab Djedid, à la Haute-Casbah, le 16 mars 1955. Rabah réussit à avaler une capsule de cyanure, et ce n’est que lorsqu’il arrive dans les locaux des services de sécurité qu’un policier s’aperçoit 113
Les architectes de la Révolution que Bitat est en train de tourner de l’oeil. Les agents de la DST lui font ingurgiter des breuvages
pour tout
vomir, procèdent
à un lavement
d’estomac et commencent leur interrogatoire. Slimane Ladjoudène persiste dans la trahison et sera enrôlé en tant qu’officier dans les rangs des goumiers des GMPR. Alors
que
j'étais
détenu
transitaire
dans
la
prison
d’Oran,
nos
éléments de l’Ouest me font savoir que Ladjoudène, qui avait sévi dans la région de Nedroma, aurait reçu le juste châtiment. Bitat m’informe également des arrestations de mon neveu Abdallah Kechida et Yacef Saïd (frère de Saâdi), comment ils se sont retrouvés ensemble dans les locaux de la DST.Alors qu'il était ligoté dans une salle, Abdallah a pu l’approcher et voulut le délier. Mais cela était impossible, les menottes étaient bien enserrées autour des pieds et des poignets. Il me décrit sa deuxième tentative de suicide, après celle manquée au cyanure. Il s’était tailladé les veines du poignet gauche avec la ferrure de ses chaussures. Là également, les policiers s'en aperçurent. Il me rapporte certaines discussions qu’il a eues avec Caballero et le point de vue de ce dernier sur l’insurrection. Selon Rabah, le secrétaire général
du
PCA
semblait
totalement
acquis
à
la
cause
nationale
et
maudissait la tiédeur du Parti communiste français. Il le fait savoir à la noria d’avocats qui lui rendaient visite, à l’exemple de maîtres Pierre et Renée Stibbe (mari et femme), Deschezelles, Braun et Douzon. Nous avons désigné Rabah, responsable des détenus de la prison, et à ce
titre,
il
pouvait
parlementer
avec
le
directeur.
Il
le
rencontrera
plusieurs fois. Rabah était respecté par l’administration qui l’a ménagé. Il a
pu
obtenir
quelques
concessions
et
nous
avons
ressenti
une
amélioration. Rabah sera transféré vers El-Harrach, puis en France. Plus tard, il rejoindra les kidnappés de l’avion.A Barberousse, il sera remplacé comme représentant des détenus par Benmokadem Mohamed, qui fera lui aussi de l'excellent travail. J’ai séjourné dix sept mois à Barberousse, partageant l'activité avec des frères de combat, tels que Sidi-Yakhlef de Blida, condamné à mort, et ElHadi Badjarah de Kouba, connaissant des bas et des hauts, oeuvrant à I 14
T émoignage consolider
la
solidarité
inter-détenus
et
contrant
les
autorités
de
la
prison. Avec des compagnons d'infortune, nous avons entrepris plusieurs actions contre l'administration qui n’avait cessé de vouloir nous grignoter le peu de liberté dont nous disposions. Nos actions diverses ont porté quelques fruits. Il est vrai que nous avons senti chez quelques gardiens, très peu au demeurant, un changement d'attitude. Renseignement pris, il appert que ces mêmes gardiens habitaient des endroits à forte densité de nationaux qui les ont approchés pour les solliciter ou les mettre en garde contre tout sévice à l’endroit des prisonniers. Ces mêmes gardiens, qui ont opté par nécessité pour la fonction de surveillant, ont par la suite apporté un précieux concours au Front de libération nationale. Par peur ou par conviction ? Je ne peux me prononcer, mais toujours est-il, ces gens ont pris des risques. Par contre, certains parmi les plus virulents ont pris peur après que le surveillant-chef Canisio eut été gravement blessé par un groupe de choc du FLN. Ses propos outrageants et sa brutalité étaient notoirement connus ; il s’en flattait tout en se pavanant devant les prisonniers et en faisant tournoyer son trousseau de grosses clefs sans cesse. L’attentat apporta du baume au cœur des détenus et donna à réfléchir aux gardiens qui mettront alors un bémol à leur agressivité. Notre action a gêné la direction de la prison en ce que les politiques ont pu faire prendre conscience à l’ensemble des détenus qui ont fini par faire corps avec eux pour certaines revendications, mettant mal à l’aise ladite direction. Bien sûr, l’administration a fini par connaître les meneurs. Et c’est à ce titre que nous avons été constamment harcelés : fouille au corps tous les jours et, parfois pour nous humilier, ils nous mettaient complètement nus pour procéder à leurs investigations. Nos paquetage et literie sens dessus dessous, changements fréquents de cellules, saisies de
nos
documents
pédagogiques
:
cours,
leçons
et
exercices,
les
manuscrits préparés pour l’enseignement et longtemps mis au point, confisqués. Voilà le catalogue de nos déboires. Ces procédés nous ont poussés à recourir à plusieurs grèves de la faim, à des actes de rébellion qui ont été sanctionnés par des punitions de 15, 30, voire 90 jours de cachot, parfois soumis au régime "jockey", c’est-à-dire une gamelle de soupe pour deux jours (où étaient les ONG ?). Ces sanctions n’altèrent point notre conviction et notre détermination à porter le combat dans la prison même. C’est vrai que nous en souffrions et que notre santé s’en est ressentie. Mais nous avons 115
Les architectes de la Résolution eu
beaucoup
de
satisfaction
lorsque
l’administration
consentait
à
autoriser enfin le lendemain, ce qu'elle avait interdit la veille. Satisfaits aussi lorsque nous voyons un léger sourire sur le visage d’un prisonnier analphabète et qui pourtant a compris que l’administration venait de plier grâce à une action concertée, et ce grâce aussi à sa solidarité et celle de tous ses camarades. Estimant qu’elles avaient face à elles des nationalistes irréductibles, têtus et réfractaires, les autorités pénitentiaires ont jugé que, de leur point de vue, la situation se détériore et que nous devenons de plus en plus revendicatifs et perturbateurs. Nous constituons un danger et, tôt ou tard, la situation risquait de devenir incontrôlable. Craignaient-elles une mutinerie ? Si la pression avait persisté et les brimades perduré, nous n’aurions, sans aucun doute, pas hésité à déclencher la mutinerie. Les prisonniers de droit commun n’étaient plus malléables comme par le passé, leur transformation est imputée aux éléments politisés. Le directeur rédigera un rapport à destination de sa tutelle dénonçant l’attitude des "brebis galeuses" et conclura en proposant de séparer les fauteurs de trouble et catalyseurs, en les dispersant dans divers centres de rétention du pays. Les détenus "politiques" actifs qui ont été signalés à l’administration comme perturbateurs, sont regroupés dans la salle C, isolés du reste des prisonniers, puis transférés vers d’autres lieux de détention à l’intérieur du territoire. Certains d’entre nous prendront la direction d’EI-Asnam, d’autres celle d’Oran.J’ai été transféré à la prison civile d’Oran le 22 mars 1956 où, m’a-t-on dit, "là-bas, on te dressera”. C’est
un
convoi
de
près
de
quatre-vingts
prisonniers
politiques
enchaînés quatre par quatre qui est embarqué à bord du train sous une surveillance vigilante des CRS et qui s’ébranla vers l’Oranie. J’apercevais parmi les détenus le tout jeune Zehouane Hocine que Boukchoura taquinait à Alger en s’amusant avec lui. Mourad avait beaucoup d’affection et d’admiration pour, dit-il, "le jeune lycéen en culotte courte".
Des condamnés à mort à Oran A notre arrivée, nous sommes accueillis par le directeur que nous avons connu à Barberousse alors qu’il occupait les fonctions de sousdirecteur. Il nous met en garde, affirmant qu’il ne tolérerait pas les mêmes agissements qu’à Alger. Durant les premiers jours, nous nous sommes enquis de la situation de la prison et de tout ce qu’elle pouvait receler comme internés. On I 16
Témoignage nous apprend que le nombre de Messalistes incarcérés était supérieur à celui
des
Frontistes.
Ayant
retrouvé
certains
militants
et
fait
la
connaissance d’autres, nous avons évalué nos forces et envisagé des actions pour mieux asseoir l’autorité du FLN. Parmi les responsables détenus, il y avait Souyah Elhouari, membre du Comité Central et responsable de l’Oranie, Djellouli Lahbib et Sebaâ Mohamed. Ce dernier nous rendra énormément de services quand il s’agira
de
nourriture,
quoique,
il
est
vrai,
celle
de
la
prison
était
comestible et différait énormément de celle de Barberousse. D’ailleurs, il n'y aura point de doléances à propos de pitance. Et qui plus est, certains détenus nous diront qu’ils mangent mieux que chez eux. N’empêche que Sebaâ, propriétaire du restaurant El-Widad d’Oran, ne lésinait pas sur les moyens, et à ce titre son couffin était bien rempli et renfermait beaucoup de victuailles. Dans cette sinistre prison au long couloir à l’entrée de l’enceinte, dont les murs sont badigeonnés de noir, il y avait parmi nous Sidi-Yakhlef Mohamed
dit
Mustapha
de
Blida,
auteur
d’un
attentat
contre
un
inspecteur de police. Jugé et condamné à mort, il avait fait appel ; ses avocats ont pu arriver à la cassation. En transit à Oran, il était très éprouvé par sa mise en isolement pendant longtemps à Blida, où le maniaque
directeur
Cassard
lui
rendait
visite
chaque
matin
pour
le
narguer et déverser sa haine par des propos malveillants et dénués de toute morale. Il ouvrait le guichet et, après son flot d’injures, lui mimait le couperet de la guillotine. Il y avait également Senoussi Abdelkader de Tlemcen qui avait abattu un commandant de l’armée française. Lui aussi avait été mis au secret durant 45 jours. Il venait d’être élargi et placé en salle avec nous. Les détenus apprennent avec une vive émotion que Ahmed Zabana dit H’mida, condamné à mort, a été guillotiné à 4 heures du matin, le 19 juin 1956 dans la cour de la prison Barberousse, à Alger. Zabana, ouvrier soudeur, militant de l’OS, arrêté de 1950 à 1953, a été blessé lors d'un accrochage le 8 novembre 1954, près de Saint-Lucien, arrondissement d'Oran, et fait prisonnier. Sept minutes plus tard, Abdelkader Ferradj, membre du commando Ali Khodja, auteur d’une embuscade qui avait fait six morts, rejoint à son tour l’échafaud et le bourreau.
Les architectes de la Révolution Cette double exécution rapprocha davantage les détenus les uns des autres. Nous avons voulu tenir à l’écart et préserver nos deux compagnons Sidi Yakhlef et Senoussi, très éprouvés par tant de souffrances. Dans notre engagement dans des actions contre les agissements des gardiens, ils ont fait preuve d’une attitude digne et d’un courage exemplaire. Mais à notre regret et en dépit de nos mises en garde, chaque fois ils se mettent en tête pour l’affrontement. Senoussi sera extirpé pour rejoindre une cellule plus petite ; il sera exécuté le 10 avril 1957, une heure avant la mise à mort d’un autre jeune. Face à ma cellule, se trouvaient également deux autres condamnés à mort : Guerrab Hamid dit Lucien et Anynour Ahmed. Ce dernier sera guillotiné le 10 février 1957 à 5 heures 40 minutes. Il y avait également un jeune condamné à mort, Hammou Mohamed, âgé d’à peine dix sept ans et pour lequel les Français avaient falsifié la date de naissance pour l’envoyer sur l’échafaud le 10 avril 1957 à 4h 45. Formant un groupe de trois, Hammou, un ancien sous-officier de l’armée française en retraite, et un troisième compagnon ont perpétré un attentat à Rio Salado. L’ancien sous-officier avait initié le jeune au jet de grenade, et ce dernier balança l’engin explosif dans une salle de cinéma. Hammou a séjourné un moment avec nous, lorsque j’étais en salle. Au sortir de ladite salle, on le coinçait entre moi et un autre militant pour lui éviter de recevoir des coups. Etant catalogué par les gardiens, à chaque fois qu’il passait devant n'importe lequel d'entre eux, il était malmené. Nous l’avons préservé peu de temps, il est vrai. Nous l'avons recommandé à tous nos compagnons. Il y a eu de la surenchère entre notre groupe et celui de Gouffal, responsable
messaliste
dans
l’Oranie,
pour
observer
une
grève
de
désobéissance. Nous avions donné le mot d’ordre car nous ne voulions point travailler pour le compte d’un colon qui avait passé un contrat avec la prison. L’administration voulait nous imposer un travail qui consiste à tresser l’alfa, mais nous avons refusé. Ce fut le cafouillage, mais la grève a été déclenchée. Toute activité avait cessé dans l’enceinte de la salle qui contenait quelque cent vingt codétenus. Il y a lieu de préciser que dans la prison d'Oran, les salles sont plus grandes que celles de Barberousse, et là il n’y a pas de rotation de prisonniers. Chaque salle avait par ailleurs sa cour de promenade. Ainsi, les détenus de la salle 3 ne connaîtront que la I 18
Témoignage cour 3. Le cloisonnement entre les salles de détention était étanche.A tel point que deux prisonniers qui sont incarcérés le même jour peuvent ne plus se revoir s’ils sont affectés dans des salles différentes. La riposte de l’administration ne s’est pas fait attendre : insultes, menaces, coups de matraque.
Rien
l’établissement
n’y et
fit.
Des
prennent
CRS,
place
appelés
sur
les
en
murs
renfort,
investissent
d’enceinte
entourant
toute la bâtisse. Rassemblement, alignement, invectives et puis sommation
"que les meneurs sortent des rangs". Je fais un pas en avant, suivi de peu par El-Hadi
Badjarah,
puis
par
un
troisième,
Senoussi
Abdelkader,
un
quatrième, Sidi-Yakhlef Mohamed. Le surveillant-chef s'avance et désigne certains jusqu'à arriver au nombre de douze. Ce fut une bastonnade mémorable jusqu’à évanouissement. On nous jette dans des cellules, quatre par quatre, et les gardiens nous balancent des seaux d’eau sur le visage pour nous réanimer. Celle-là était l'une des pires raclées que j'avais reçues. La brutalité des gardiens, ce jour là, était bestiale. En nous dénonçant nous-mêmes, nous voulions montrer aux autres détenus que le bénéfice de la grève était à mettre au crédit du FLN, alors que les Messalistes étaient près de quatre cents. Il y a lieu également de souligner le
courage
admirable
de
Senoussi
Abdelkader
et
de
Sidi-Yakhlef
Mohamed qui se sont dénoncés, alors que nous leur avons dit de ne rien faire car nous savions à quoi nous allions nous exposer. Surtout, eux, les condamnés à mort. Je fus puni pendant un mois. Mon premier compagnon de cellule, Mohamed des Aurès, avait tout le temps l’œil collé au trou de la serrure. En face de nous, il voyait les condamnés à mort quitter leur cellule pour arpenter les quelques mètres de couloir. C’était le seul moment de répit ; ils ne connaîtront pas d’autres sites. Les voyant enchaînés et traînant des boulets aux pieds, Mohamed des Aurès finit par perdre la raison. Le deuxième compagnon de cellule, Mustapha Sidi-Yakhlef de Blida, qui a été arrêté le 18 janvier 1955, était un gros fumeur ; il écopera de trois mois de punition. Il sera guillotiné le 10 juin 1957 à 3h 20. Sort que lui avait prédit le chef de la prison de Blida, Cassard. Le gardien Lucchini, chaque jour, après avoir procédé à la vérification de l’état des barreaux des fenêtres, nous passe en revue. Les prisonniers sont alignés, mains croisées derrière le dos. Le gardien procède à la fouille au corps et nous demande d’ouvrir la boyche. Il hume et découvre les
Les architectes de la Révolution fumeurs. Le quatrième codétenu était introverti ; il ne parlait presque pas du tout, répondant seulement par oui ou par non. L’avocatThevenet, commis par le FLN,nous rendait visite de temps en temps, bien que nous soyons jugés et condamnés. Il nous mettait en garde contre le directeur de la prison "qui est totalement couvert par le préfet
Lambert". Un jour, l’avocat nous apprend que beaucoup de responsables de la révolution se sont réunis au maquis et ont doté le pays de structures. Il y a beaucoup de décisions prises qui concernent tant le politique que le militaire. Il nous dira qu’avec ce qui semble avoir été préconisé, "la révolution va faire un bond en avant". Nous apprendrons par la suite que c’était la tenue du congrès de la Soummam. La présence de Thevenet, chaque fois, fournissait l’occasion aux militants de se retrouver seuls et de se concerter sur les actions à mener. Le congrès nous stimula (quoique, en réalité, nous ne soyons point au courant des conclusions). Mais la nouvelle ayant circulé, nous avons amplifié l’événement pour confirmer la prééminence du FLN. C’est dans ces moments là que je discutais le plus avec Souyah Elhouari et Lahbib Djellouli.
Trois braves à Berrouaghia Après avoir passé une année à Oran sous le numéro d’écrou 1856, me voici transféré à la maison centrale de Berrouaghia. Là, je vais souffrir le martyre, au même titre que les autres détenus, à cause
de
la
nourriture
qui
était
pire
que
celle
qu’on
ingurgitait
à
Barberousse. La popote, préparée dans un grand chaudron au milieu de la
cour,
n’avait
de
nourriture
que
le
nom.
Quelques
légumes,
non
épluchés, étaient jetés dans de l’eau et servis en l’état. Immangeable ! Et pourtant, au bout d’un moment... je péchais la pomme de terre, lorsqu’il y en avait, la pelais et l’avalais. Pis, lorsqu’on nous sert, nous devons faire une vingtaine de mètres pour rejoindre l’endroit où l’on devait manger. Servie chaude, le temps de rejoindre le lieu de consommation, la gamelle refroidit. Le contenu est avalé glacé. Pour la douche, c’était un supplice. Nous nous présentons à la queue leu leu et nous déposons nos tenues vestimentaires à une vingtaine de mètres de la cabine. Le chef surveillant ouvre le robinet, crie "Savonnez /", et puis, sans avertir, coupe l’eau. C’était du sadisme. Que de fois des détenus quittent la douche, le corps plein de savon encore. Ici également, les gardiens procèdent à l’épouillage en nous saupoudrant de DDT. Et 120
Témoignage encore vingt mètres de course tout nu pour enfiler nos vêtements. Quels vêtements ? Ici, contrairement aux deux premières prisons où l’on avait conservé nos habits, on nous a affublés de la tenue carcérale faite d’un tissu rêche qui finit par donner des démangeaisons et qui rappelle la tenue des forçats de Cayenne. En hiver, pantalon, veste et chemise de couleur marron, et l’été, tenue blanche. Dans les cellules, le jour, nous ne pouvions disposer de nos paillasses qui servaient de literie quand nous étions punis. Pour nous enrager encore, les gardiens jettent des seaux d’eau dans les cellules ; à charge pour les prisonniers d’assécher le sol. Les nuits étaient pénibles. La région de Berrouaghia est réputée pour ses baisses de température. On grelottait et on se serrait les uns contre les autres. Dans cette centrale, à l’image de Barberousse ou de celle d’Oran, tous les matins et soirs, il y avait le décompte et l’appel des détenus. Si dans les
deux
premiers
établissements
notre
identité
était
reconnue,
à
Berrouaghia.ee n’était pas le nom qui était claironné, mais un numéro de matricule. Nous étions des numéros ! Et j’étais le n°4062 ! Je fais la connaissance de beaucoup de monde, entre autres celle de Ahmed Kebaïli, l’un des leaders des coureurs cyclistes qui avait damé le pion à beaucoup de professionnels en France, mais à qui on n’a jamais donné
réellement
une
chance
de
percer.
Ahmed,
"l’aigle
de
Chréa",
arrêté, a pu adresser une lettre à destination du maquis. Cette lettre a été
récupérée
par
l’armée
française
sur
le
cadavre
d’un
moudjahid.
Kebaïli est extrait de sa cellule et mis entre les mains des tortionnaires en dehors de la prison. Il est sauvagement amoché et remis en prison dans un état lamentable. Avec Ahmed, deux autres personnes m’ont vraiment
marqué
l’une
et
l’autre
par
leur
courage
et
leur
façon
d’appréhender l’adversité. Cheikh Belabed Smati, sexagénaire, homme pieux et vénéré, exerçait la
fonction
d’enseignant
dans
une
medersa
contrôlée
par
le
parti
PPA/MTLD à Aïn M’Iila. Boudiaf, Ben Boulaïd et Ben M’hidi lui rendaient visite à chacun de leurs passages dans la région. Ils avaient beaucoup de respect pour lui et il revenait souvent dans les discussions quand ils faisaient leurs rapports mensuels à la direction du parti. Le Cheikh avait rejoint le maquis, forçant la décision des responsables de l'ALN de la région qui lui conseillaient de rester chez lui et d’aider la révo1 on par 121
Les architectes de la Révolution d’autres moyens, tel les prêches. Nenni ! Il tenait à prendre le maquis et saisir le fusil pour faire sortir le colonialisme, disait-il. Il finit par avoir le dernier mot et vécut avec les maquisards, jusqu’au jour où il est fait prisonnier. Il s’avérera un redoutable pensionnaire qui donnera beaucoup de fil à retordre à ses geôliers. Il observera une grève de la faim de douze jours ! Et en compensation, les gardiens lui fracasseront les dents. Avec sa mâchoire défigurée, il leur résiste et leur dira bien des choses. Cet homme charismatique était très respecté et aimé de l'ensemble des détenus. Je discutais souvent avec lui en évoquant le passé. Il me récitait la liste interminable des responsables et militants qui assistaient à ses prêches religieux et à ses cours de civisme orientés toujours sur l’amour de la patrie. Il me raconte ses déboires avec la police et vociférait contre les taupes qu’il n'est jamais arrivé à déceler parmi son auditoire. Autre personne que j’ai admirée, Bekhouche Laroussi dit Mostefa, chef de daïra de Annaba qui a partagé avec moi les affres de la salle 9. Mostefa était frêle physiquement, mais mentalement, c’était un roc. Il avait connu la
torture
dès
son
arrestation
début
novembre
1954.
Le
journal
L’Humanité du 8 novembre 1954, sous la plume de Marie Perrot, titre : "Des
tortures
dignes
de
la
Gestapo
(lavages
d’estomac,
supplices
électriques, etc.) sont infligées à des Algériens détenus à Batna". La journaliste relate les sévices révoltants endurés par Bekhouche Mostefa et Khaled Lazhari dans les locaux de la police. Bien instruit, puisqu’il avait obtenu son baccalauréat et entamé des études universitaires qu’il n'avait pas terminées en raison de son engagement politique bien avant le déclenchement, il prodiguait un enseignement aux détenus quel que soit leur niveau. On le voyait prendre les élèves un à un et, patiemment, expliquait à chacun d’entre d’eux qui les rudiments de grammaire, qui les règles de conjugaison. Quand il avait du répit, il s’isolait et rédigeait. Il écrivait des nouvelles ; et à chaque fois qu’il en avait terminé une, il regroupe
quelques-uns
d’entre
nous
qui
pouvions
comprendre
la
narration et il procédait à une lecture collective. Ce club de lecture n’a pas eu l’heur de plaire à certains gardiens qui n’hésitèrent pas à lui confisquer ses écrits. Etaient-ils jaloux de son degré d'instruction et de sa
culture,
ces
gardes-chiourmes,
et
que
certains
appelaient
"le
professeur" ? Sans aucun doute. Cela lui faisait mal d être dépouillé de ses manuscrits, mais il se gardait de le montrer. Un jour, alors que nous étions seuls, il m’en fit la confidence. A partir de là, nous nous sommes organisés
122
Témoignage pour préserver sa littérature, d’autant qu’il tenait à un récit qu’il avait entamé. Son manuscrit prenait de plus en plus d’épaisseur et, en accord avec lui, nous avons préconisé de faire sortir son œuvre qu'il avait intitulée Les mal-vivants. Car, entre temps, Mostefa a connu les angoisses du cachot à cause de documents qui ont été découverts par-devers lui. Il écopa d’une punition d’un mois. Nous craignons pour lui car il était de constitution chétive. Nous avons vu auparavant des prisonniers de bonne corpulence sortir du cachot totalement brisés, la démarche chancelante et le moral au plus bas. Lorsque Mostefa quitte le cachot, nous avons été très étonnés et tout autant satisfaits de constater qu’il ne comporte point de stigmates de l’enfer qu’il venait de connaître. "Une cigarette" était son premier mot. Il fumait sans cesse et nous pour le ravitailler : moi, Mellah Slimane
nous
sommes mis à trois
dit Rachid et Bouali
Saïd dit La
Motta, les deux, membres des 22. Quand je lui avais demandé comment a-t-il pu passer sans encombre cette terrible épreuve, où très rares sont ceux
qui
en
réchappent,
Mostefa,
stoïque,
s’adapte même à l’enfer ; il faut avoir le
me
rétorque
moral ; tout
:
"L’homme
se passe là"... et il
tambourine de son index sur sa tempe. Je quittais la centrale de Berrouaghia le I I novembre 1957, après trois ans de privation de liberté, après avoir connu les cellules de trois prisons coloniales... des hommes aussi. Mon cauchemar ne s’arrêtera pas là... Mon combat non plus.
LIBRES... MAIS MEURTRIS En cette fin d’année 1957, je goûtais amèrement à la liberté.Toutes les souffrances dues au régime carcéral ont grandement altéré ma condition physique.
Je
quittais
Berrouaghia
très
éprouvé,
pesant
à
peine
48 kilogrammes. Au médecin que je consulte à Alger, je lui égrène toutes les affections que j’ai collectionnées dans les trois prisons.A Barberousse, j’avais fait une gastrite suite à ma première grève de la faim qui a duré quinze jours. L’inflammation qui s’en est suivi s’est développée et a donné naissance à un ulcère scintillant avec deux niches, une au niveau du bulbe et l’autre à la sortie de l’estomac. A Berrouaghia, outre une irritation du foie, ma colonne vertébrale a été déformée à sa base et abîmée par les sévices subis pendant les séances de torture. Pour clore ce chapitre, peu reluisant, mon oreille gauche a eu le tympan perforé avec saignement. Le médecin s’occupera de moi avec dévouement et se met en charge de me 123
Les architectes de la Révolution retaper. Il a été compréhensif et fait oeuvre de psychologue. Outre la médication prescrite, il me dopait par ses conseils afin de prendre le dessus sur mon handicap. Examens divers, analyses, un check-up en sorte. Je le voyais une fois par semaine, à sa demande. Il m’a initié à des exercices physiques pour rééduquer ma colonne vertébrale car je ne pouvais pas et ne voulais pas aller chez un kinésithérapeute.Au bout d’un mois, il me prescrit un régime alimentaire adéquat et un repos au lit avec exercices de gymnastique. Il a eu l’amabilité de me rendre visite maintes fois
et
demeurait
à
mon
chevet
des
heures
durant.
Nous
avons
longuement discuté de la situation qui prévalait alors dans le pays. Je lui ai décrit ce qui se passait dans les prisons en mettant en relief le régime de répression et la prise de conscience de tous les incarcérés grâce à l’action des éléments engagés. Il était toute ouïe et très attentif à mes propos. Conformément à ses prescriptions, j’ai gardé la chambre plus d’un mois. Ayant repris quelques forces, je lui ai rendu visite à son cabinet pour le remercier et le payer. Satisfait de me voir debout avec une mine d’un
ressuscité
qui
revient
de
loin,
selon
ses
propos,
il
a
refusé
catégoriquement de percevoir ses honoraires. Bien plus, il s’est fait très insistant pour me demander de repasser le voir et surtout de ne pas hésiter à lui indiquer des gens qui se trouveraient dans la même condition que moi. Il montrait sa détermination et sa disponibilité à soigner des militants. Je lui avais dit que j’en prenais note et le remerciais. Je l’ai revu par la suite et nos relations sont devenues cordiales et amicales.
Deux amis en piteux état J’ai rendu visite à mon ami Boukchoura Mourad qui venait d’être élargi. Quand je l’ai vu allongé sur le lit, chez lui, avec femme et enfants à son chevet, je n’ai pas cru mes yeux. Son état physique a beaucoup souffert. Lui qui avait quelque embonpoint, a littéralement fondu. Mais ce qui m’a le plus apeuré concernait son mental.Avachi, vidé, les gestes lents, il parlait avec peine et ne pouvait soutenir une discussion longue. On aurait dit qu’il était absent. Lui qui était vivace et plein de tonus, me donne présentement une image d’un vieil homme rabougri. Il était dans un état de déprime à faire pleurer. Il a dû voir des vertes et des pas mûres. Mourad a de tout temps été combatif et ne se laissait pas marcher sur les pieds. Il a toujours tenu tête aux gardiens à Barberousse, alors qu’il savait qu’il était catalogué, et à chaque fois qu’il y avait du grabuge, le nom de Boukchoura était cité. Il narguait les surveillants-chefs sachant
124
Témoignage qu'il allait être puni. Et le voir là, sans tonus, totalement amorphe, m’a profondément bouleversé. Heureusement que lui aussi a été bien pris en charge par médecins et famille. Nous étions quelques amis qui passâmes de longs moments à son chevet. Peu à peu, il a repris des couleurs et a commencé à parler. Je l’encourageais en lui relatant toutes les misères que j’ai connues dans les trois pénitenciers où j’avais séjourné. Contre mon gré, je lui relatais les moments où j’ai risqué de flancher, de baisser les bras, où j’avais eu peur. Je lui ai indiqué que je traîne un ulcère et que, durant toute ma vie, je serais un malentendant avec un tympan crevé. "Mo/s Dieu merci, nous
sommes vivants, et je t’attends pour qu’ensemble nous reprenions le collier". Un léger sourire s’est dessiné sur son visage pâle. Il avait souri pour la première fois, et sa femme s’en était réjouie. Pour peu, elle pousserait un youyou. Ce jour-là, je rentrais chez moi soulagé car mon meilleur ami allait prendre le dessus sur la déprime. Je vais retrouver mon compagnon de combat, le dynamique Mourad. Lorsqu’il avait commencé à sortir de chez lui, il venait me tenir compagnie au magasin, où nous passions quelquefois toute la journée. Il me relatait tous ses combats et ses déboires en tant que prisonnier. Il avait souffert le martyre. Il a repris progressivement le dessus et sa convalescence a pris un bon moment. Lorsque j’ai estimé qu’il était en état de marche et de soutenir une discussion, je l’ai amené voir notre ami El-Hadi Badjarah qui venait d’être libéré, mais mal en point lui aussi. Les séquelles de la prison l’ont marqué et il en est sorti très affecté. Son père souffrait tout autant, et pour cause ! El-Hadi, son fils unique, ne voulait pas se faire hospitaliser. A sa sortie de prison, El-Hadi couvait une infection
pulmonaire.
Un
médecin
lui
a
prescrit,
entre
autres
médicaments, des neuroleptiques. El-Hadi a dû en absorber une grande quantité ; ce qui l’a plongé dans un état dépressif. Ses parents voulaient l’admettre à l’hôpital mais leur fils a refusé. Lorsque Mourad et moi, nous nous sommes présentés chez lui, son père et sa mère nous ont demandé de tout faire pour qu’il se fasse hospitaliser parce qu’il était mal en point. Effectivement, El-Hadi était déprimé et refusait presque tout, au grand désespoir de sa mère qui était toujours au pied de son lit. Nous lui avons raconté tous nos déboires et conclu que nous avons pu nous rétablir. "Tu
as de tout temps été un battant, tu as forgé l’admiration de tous dans ta vie de militant et dans les prisons. La révolution a besoin de toi. Il y a eu beaucoup
125
Les architectes de la Révolution de dégâts, les réseaux que tu as connus ont été démantelés. Il nous faut
reprendre. Nos amis ont besoin de nous ; notre pays, aussi". Nous sommes arrivés à le convaincre et à le faire admettre à l’hôpital de Joinville, à Blida. Au bout d’un certain temps, El-Hadi Badjarah a repris force et goût à la vie.
Il
reprendra
son
activité
militante
et,
entre
autres
actions,
il
bénéficiera du concours de son père qui exerçait à l'opéra pour recruter un groupe de jeunes techniciens radio qu’il acheminera vers les maquis avec
l’aide
de
Mourad
Boukchoura.
Ces
12
techniciens
devaient
conforter le service des transmissions de l’ALN.
Une situation sombre Au printemps de l’année 1958, je prends contact avec un prisonnier élargi, le jeune Ahmed Allem qui activait avec un petit groupe comprenant entre autres Ahmed Chibane et Rabia Hattab qui mourra mitraillette à la main lors d’un accrochage avec une patrouille militaire à la rue de la Lyre, à Alger. Allem avait pris attache avec les éléments de la Wilaya IV qui tentaient
de
reconstituer
la
Zone
6,
en
remplacement
de
la
Zone
autonome d’Alger. Parallèlement, nous avions, Mourad, El-Hadi et moi, pris contact avec Ahmed Zehouane qui était en relation avec Rabah, le frère de Krim Belkacem, chef de zone, en vue de rejoindre Hocine Zehouane qui a été notre compagnon d’infortune en prison. Ce dernier, dès sa libération, avait pris le maquis dans la Wilaya III. A cette époque, la région de Kabylie traversait une période très difficile, déstabilisée qu’elle était du fait de l’action psychologique des services spéciaux français. Nous avons rencontré, quelques jours plus tard, Hocine qui venait du maquis. Il était totalement bouleversé et déçu par les agissements sans discernement des responsables au niveau de la direction de la Wilaya. Le valeureux colonel Amirouche a été berné par des spécialistes français du 2e Bureau qui avaient su tirer les ficelles et jeter le doute sur certains cadres d’abord, puis sur de simples maquisards dont ils avaient les noms grâce à certains informateurs. Le chef de la Wilaya est convaincu de l’existence d’un complot. Il croit qu’il y a des agents doubles et suspecte notamment les intellectuels et les étudiants qui ont fui la capitale après la bataille d’Alger. Il prend des mesures radicales, entre autres celles d’éliminer bon nombre parmi les déserteurs de l’armée française et les harkis qui ont rejoint les maquis. Il fait contrôler les correspondances 126
Témoignage personnelles et établit un véritable barrage entre les wilayas. C'était la psychose. Zehouane Hocine était ulcéré par les règlements de compte et les purges quotidiennes. Bien des maquisards sont liquidés sans jugement. Une vague de doute.de suspicion, traversait les maquis du Djurdjura.Tout le monde se méfiait de tout le monde. Ce sera une période noire qui a été
savamment
orchestrée
malheureusement,
ont
par
les
parfaitement
services
réussi
leur
spéciaux mise
en
et
qui,
scène
en
établissant de fausses preuves de trahison. Beaucoup d’innocents sont morts, tués par leurs frères. Cette hécatombe décima des groupes et des groupes et instaura un climat malsain au Djurdjura. Le colonel Amirouche procéda à des purges dans la Kabylie et alerta les autres wilayas sur les dangers qu’elles encouraient. Cette suspicion entraînera, hélas, la mort d'hommes sincères qui disparaîtront avec une mauvaise étiquette collée au dos. La manœuvre des services psychologiques français avait réussi. A telle enseigne que tout recrutement de combattants dans la Wilaya III était bloqué. La méfiance était totale, notamment vis-à-vis des éléments venant de l’Algérois. Ce
fut
une
période
très
douloureuse
dans
le
processus
de
de
fonds,
de
et
munitions.
développement de notre révolution. A
Alger,
les
médicaments,
activités
sont
d’habillements
réduites
et
de
aux
très
collectes
rares
armes
Compte tenu de la grande répression qui sévissait pendant la dernière phase de la bataille d’Alger, tout noyau organisé est vite démantelé. Un réseau ne dure pas plus de deux mois. C’était pratiquement la paralysie. La
plupart
des
réseaux
relevant
de
la
Zone
autonome
sont
démantelés. Les services spéciaux du 2e Bureau, en collaboration avec ceux
de
la
DST,
ont
réussi
à
s'infiltrer
dans
les
structures
de
l’Organisation politique et administrative (OPA). Le noyautage est opéré par
le
Groupement
organisation
clandestine
de
renseignement
œuvre
du
colonel
et
d’exploitation
Godard
et
du
(GRE), capitaine
Christian Leger, pied-noir du Maroc, ancien élément du SDECE depuis 1955 et qui a appris à parler l’arabe. Avec le concours du traître Ahcène Guendnche dit Zerrouk, ancien responsable régional FLN de la Zone autonome qui avait été arrêté et retourné, le GRE porte l’estocade aux c fferentes cellules de militants encore en exercice et qui ne se sont pas ^ec ees vers les maquis. La collaboration de Guendriche s’est avérée précieuse pour les parachutistes de Bigeard et Massu. Il était le galoufa 127
Les architectes de la Révolution (ramasseur de chiens) de l'ennemi, et placé à la tête de la harka des milices vêtues de "bleu de chauffe", tenue spécifique pour l’Algérois. Ces traîtres ont été dénommés "les bleus" ; d’où le terme de bleuite, vocable vomi par les Algérois. L’intrusion de cette plaie caractérisée par la bleuite, alliée à des services
performants,
grâce
à
la
complicité
involontaire
parfois
de
certains éléments qui ont avoué sous la torture, a modifié totalement l’organisation de la guérilla dans la capitale. Les éléments non arrêtés cherchaient à reformer des cellules, mais ne recevaient d’instructions de nulle part. Les responsables ont été soit neutralisés, soit avaient pris le maquis. Certains ont préféré faire le mort en attendant le passage de cette mauvaise vague. C’était la désorganisation. Néanmoins, des militants cherchaient
à
reconstituer
les
cellules
et
entretenaient
la
flamme.
Beaucoup d’initiatives ont été prises par de simples militants qui ont gardé le contact en l’absence de chefs et de directives. Devant la difficulté de rejoindre la Wila/a III, Mourad, El-Hadi et moi, ne désirant pas demeurer inactifs, et appartenant à la Wilaya IV, avons repris contact avec Ahmed qui était incarcéré avec nous à la prison de Barberousse. Nous composons un réseau comprenant Chibane Ahmed, Hattab Rabia, Boukchoura Mourad, El-Hadi Badjarah et moi-même. Avec quelques
Ahmed cadres
Allem,
nous
avons
pour
assurer
une
éprouvé couverture
de
la
peine
politique
à
aux
recruter fins
de
contrecarrer l’action ravageuse de l’ennemi et maintenir le contact avec les populations. On aurait voulu avoir des gens d’un bon niveau en vue de la rédaction des tracts. Mais les recrues dont on disposait étaient d’un palier élémentaire. Ahmed s’est chargé de faire un tri des militants en deux catégories : l’une politique et l’autre du fida. Lui-même a participé à quelques actions par des dépôts de bombes qui nous parvenaient de la Wilaya IV, zone dirigée par le capitaine Hattem. Le dernier trimestre 1959 a été fatal pour les trois réseaux activant dans l’Algérois. Ils furent démantelés : celui de Saint-Eugène, relevant de la Wilaya III, comprenant, entre autres, Messaoudi Saïd, Bouzid Achour, Mehdaoui Abdenour et sa sœur Zakia.Touabti Messaoud dit Mustapha, etc. ; et deux autres réseaux de la Wilaya IV, celui de Rovigo qui activait sous la responsabilité de Remili Hamid, et le nôtre à A* t. 128
Témoignage
Le calvaire de la villa Pouyanne Alors qu’il partait en mission à bord d’une vieille quatre-chevaux, |
Allem se fait arrêter avec deux compagnons : Melki Hamida dit Bob Nedjma, et un ancien policier, Mostefa Denden, à Birtouta dans un barrage de gendarmerie.Allem dira à ses deux compagnons : "Chacun son
homme", car il y avait trois gendarmes.Tentant de désarmer l’un d’eux qui avait son arme en bandoulière, il recevra une rafale de mitraillette d’un second gendarme en faction dans le barrage, que Bob n’a pas eu le temps de
ceinturer.
Grièvement
blessé,
Ahmed
est
emmené
pour
un
interrogatoire à la villa du chemin Pouyanne, dans le Haut-Télemly. L’état physique de Ahmed n’avait pas permis aux services spéciaux de remonter toute la filière. Heureusement qu’à cette époque, échaudés par ce qui s’était passé lors de la Bataille d'Alger, nous ne nous faisions pas de confidences les uns aux autres, par précaution. Cette prudence nous servira en cas d’arrestation. On ne savait que très peu de choses les uns des autres. Les services français, convaincus qu’ils ne pouvaient rien tirer de Ahmed Allem, l’ont achevé à la villa de triste renom, celle de Pouyanne. Les éléments de la DST débarquent à grand renfort en mon domicile et m'embarquent, direction la villa des atrocités. De jour comme de nuit, dans une salle du sous-sol, alors que le poste radio, ouvert à fond, couvrait mes cris, les tortionnaires s’acharnaient à me faire parler et avouer, j’ai eu affaire au tortionnaire et homme d’expérience en la matière, le cynique Abed, juif du Maroc et agent de la DST qui était auparavant en poste au Liban. Il m’interroge en langue arabe. Il m’esquisse des photos où je figurais aux côtés de Ahmed, devant le kiosque d’un de ses parents sis à la place des Martyrs. Je lui révèle alors que je connaissais "le jeune" qui était avec moi en prison, mais ignorais où il pouvait être. Il avait beau insister avec des questions telles que "Quel est ton rôle ? Que
ramène-t-il des maquis ?", je m’en tenais à ma version première en lui indiquant que je lui avais retaillé deux pantalons et que mon magasin, situé a proximité, cela ne me dérangeait nullement de livrer les effets au jeune Ahmed. Je lui avais ramené ses pantalons au kiosque figurant sur les photos pour me faire payer par son parent. Deux parachutistes me raccompagnent vers une cellule en me tirant par les épaules, une veste me couvrant le visage, mes pieds traînant par 129
Les architectes de la Révolution terre. Je n’avais pas de ressort pour lever les jambes. Dans la cellule, il y avait tantôt trois, tantôt quatre suppliciés. Je pensais être amoché et souffrant, mais à la vue d’un compagnon nommé Fodil, je réalisais que j’étais au musée des horreurs. Le jeune Fodil était là depuis plus d’un mois et demi, soumis tous les trois ou quatre jours, selon son état, à des séances de questionnements où tout y passait : gégène aux oreilles, aux parties génitales, la baignoire, l’échelle et, le comble, le chalumeau. La barbarie n’avait pas de limites dans cette villa de la barbarie. Lorsqu’il est ramené et jeté dans la cellule, sanguinolent, gémissant et tremblant de tous ses membres, nous le mettons allongé entre deux détenus et le serrons fort contre nous, tout en l'emmitouflant dans des couvertures. Le visage boursouflé, des plaies ouvertes, des cloques sur une bonne partie du corps, une odeur de mauvaise haleine exhalée de sa bouche donnent un haut-le-corps. Sa respiration est saccadée, il a une sorte de hoquet ; il veut parler mais n’arrive pas à articuler. Désarmés, nous ne lui étions d’aucun secours. Bien plus, affligés et le voyant totalement désarticulé tel un pantin, chacun de nous, ses compagnons de cellule et témoins de la barbarie française, chaque prisonnier imagine qu’à son tour il ressemblera à Fodil. Fodil qui pourtant n’a pas dénoncé ceux avec lesquels il activait. Les agents de la DST ne savaient de lui que son rôle d’agent de liaison et de pourvoyeur en grenades et en armes de poing. Quand il s’était remis un peu, et voyant que je me suis occupé de lui (quoique je n’ai pas fait grand-chose), il voulait me faire des confidences, et moi, je n’y tenais absolument pas. J’avais peur. Mais lui, tenace, tenait à se confier à moi car il me faisait confiance, m’a-t-il dit. Je ne savais quel parti prendre car je l’ai vu revenir deux fois dans un état que je ne pourrai décrire. Un jour, je lui avais dit d'avancer des noms connus de recherchés qui sont dans le djebel ou donner des noms de morts. Il me dit, candide : "Tu es fou, je ne vais pas dénoncer Rabah Krim. Ils me tueront". De quels "ils" voulait-il parler ? Je m’abstiens alors de tout commentaire. Un
soir,
les
paras
nous
mettent
à
genoux
face
au
mur.
Nous
demeurons des heures dans cette position. Fodil avait de la peine à maintenir cette position inconfortable ; il était enroulé comme une boule. Nous l’avons coincé entre deux pour qu’il ne perde pas l’équilibre. Un bruit
de
véhicule
qui
stationne,
mais 130
dont
le
moteur
continue
à
Témoignage tourner... Des voix : "Habillez-le... Mettez-lui ses papiers dans la poche..." Deux agents de la DST vêtus en parachutistes prennent Fodil, lui enfilent une veste militaire et l’emmènent. Je ne reverrai plus ce jeune, je n’entendrai plus ses râles, je n’entendrai plus parler de lui. Alors que j’étais seul dans une cellule, en attente, les bérets rouges font
admettre
l’arrestation
dans
depuis
la
pièce
quelques
Mostefa jours
de
Denden
qui
Ahmed
et
m’informe de
ses
de deux
compagnons. Ce que j’ignorais alors. Mostefa me donne force détails et j’ai conclu que Allem, arrêté avant moi, n’avait pas parlé. C’est ce qui a permis
à
beaucoup
de
camarades,
dont
Mourad
et
El-Hadi,
d’être
épargnés. Ce qui me ragaillardit car j’étais certain que la DST et ses bérets rouges n’avaient d’autres preuves que celles des photos. On m'a laissé
quelques
jours
sans
sévices,
mais
on
me
donnait
parcimonieusement à manger. Resté deux jours sans nourriture, un jeune appelé du contingent, portant une croix sur la poitrine, s'apercevant que j’avais faim, me ramena discrètement de la nourriture. Ce devait être un séminariste. On me fait monter du sous-sol vers le niveau supérieur.Je réalisais que je quittais la zone dangereuse car, dans cet étage, on n’entendait pas de hurlements. Il y avait des salles en enfilade. Le lendemain, au milieu d’un brouhaha de chuchotements, j’entends quelqu’un fredonner des refrains de chants scouts. Par l’interstice de la porte, je reconnus Mustapha Touabti de la Wilaya III, qui avait lui aussi passé de mauvais moments entre les mains du juif Marocain Abed. Nous sommes arrivés à communiquer car nos chambres étaient mitoyennes et les paras nous avaient changé maintes fois de salles. Mustapha sera transféré par la suite à la prison de Barberousse. Je
subsisterai
encore
quelques
jours
dans
cette
résidence
des
supplices, puis il y eut un arrivage important de suspects arrêtés. On me transfère
vers
la
caserne
d’Orléans
où
je
demeure
en
transit.
Le
commandant Pruvot du service de l’action judiciaire informe ma femme par lettre en date du 23 décembre 1959 que je suis assigné à résidence au centre de tri du sous-secteur d’Orléans depuis le 13 décembre. Il fait la passe sur plus de 45 jours passés au chemin Pouyanne. De là, les militaires m’acheminent vers le centre de tri de Beni-Messous en date du 24 février I960. Du monde, des militaires, des gens qui déambulent 131
Les architectes de la Révolution comme des âmes en peine, les mines défaites, des visages connus, d’autres inconnus, des visages et des corps portant encore les sitgmates des passages aux mains des tortionnaires. Des traces visibles que PaulTeitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger, mentionne dans sa lettre de démission adressée au président du conseil : "J’ai acquis la certitude, depuis
trois mois, que nous sommes engagés dans l’anonymat et l’irresponsabilité qui ne peuvent conduire qu’aux crimes de guerre. Je ne me permettrai jamais une telle affirmation si, au cours des visites récentes aux centres d’hébergement de Paul Cazelles et de Beni-Messous, je n’avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices ou des tortures qu’il y a quatorze ans je subissais
personnellement dans les caves de la Gestapo à Nancy". Je resterai plus de deux mois en détention à Beni-Messous, puis, un matin du 10 mai I960,on me somme de monter dans un camion qui fera partie d’un convoi en partance pour Paul Cazelles. Parmi la foule de prisonniers qui m’accompagnent, je reconnais Boucetta Abdelkader, Djefafla Abdallah, Omar Djaâlal et Mahmoud Sator. Le camp de rétention de Paul Cazelles se situe dans un périmètre nu de forme rectangulaire, entouré de fils de fer barbelé avec, aux quatre coins, un mirador avec sentinelles dotées de mitrailleuses 12/7. Des baraques en bois savamment alignées, composant trois blocs - A, B, C pouvant contenir quatre-vingts prisonniers chacune, à l’intérieur desquelles une vingtaine de lits superposés font face à une autre vingtaine de lits, des fenêtres assez basses, comparées à celles des prisons, une literie acceptable et un sol en ciment, constituent le décor du logis des détenus. Dans le camp, on trouve un terrain de sport où les prisonniers disputeront des parties de football interminables. On dénombre une cantine d’où les pensionnaires peuvent faire des emplettes et qui recèle des produits d’entretien et quelques denrées alimentaires. La cuisine était bien entretenue, du fait qu’elle était gérée par les prisonniers ; les militaires fournissant le ravitaillement et laissant le soin aux inculpés de préparer les mets. Une infirmerie était en fonction, dirigée par les pensionnaires sous la responsabilité d’un médecin officier, j’y exercerai un moment et apprendrai des rudiments qui me seront fort utiles par la suite au maquis. Les
visites
étaient
autorisées,
mais
du
fait
que
la
plupart
des
prisonniers venaient de loin, c’est à peine si on voyait les membres de la famille une fois par mois. Là également, contrairement à ce qui se passait
132
Témoignage dans les prisons, il nous était loisible de recevoir les nôtres autrement que dans un parloir. Ici, il n’y a pas de no man’s land entre le détenu et sa famille, point de barrière. On pouvait déambuler ensemble dans la cour et embrasser ses êtres chers. Le soir, les prisonniers sont enfermés dans les baraquements et les militaires, accompagnés de chiens, font leurs rondes. Des rais de lumière des projecteurs balaient sans arrêt le tour du camp. Tous les prisonniers étant des détenus politiques, il a été aisé de s’organiser sans problème. D’ailleurs, c'est grâce à cette organisation que les prisonniers ont pu tenir le coup. Le chef de camp était Tahar Ladjouzi, ancien conseiller municipal de Palestro et membre du Comité Central du PPA/MTLD, secondé par les chefs de baraques. Il y a lieu cependant de préciser que si, dans le camp, tous les internés ont été arrêtés pour des motifs politiques, quelques-uns ont flanché pour des raisons qui leur sont propres et qu’il ne m’appartient pas de juger. Toujours est-il, ces éléments étaient cantonnés dans un bloc à part et avaient accepté de saluer le drapeau français pendant la levée des couleurs. Ces détenus ont bénéficié d’un régime moins rigoureux que le nôtre et de mesures de clémence. Quelques-uns d’entre eux ont vu leur peine commuée. Précisons que parmi ces éléments, certains, sitôt libérés... ont pris le maquis. Parmi les détenus, j’ai retrouvé Sid-Ali Abdelhamid, Messaoudi Zitouni, Lyes Derriche. Un jour, Zitouni rassemble les prisonniers et les met en garde contre toute initiative d'évasion car, dit-il, les candidats à l’évasion n’ont aucune chance, et ce faisant ils nuiraient à ceux qui demeurent au camp. Cette mise en garde, que beaucoup de détenus n’ont pas pris en considération, faisait allusion à bien des tentatives qui se sont soldées par des fortunes diverses. Ould-Mohamed El-Hadi, évadé, a été repris et tué. Mostefa Branki, évadé, a pris le maquis et a fait fonction d’infirmier. Il mourra dans une casemate en compagnie d’une évadé, n’a plus donné signe de vie.
infirmière.
Mahmoudi
Abderrahmane,
L’ÉVASION Faisant fi de ce qu’avançait Zitouni, j’ai fait partie d’un groupe de cinq prisonniers qui avaient projeté de s’évader. Chacun d’entre nous devait 133
Les architectes de la Révolution réfléchir pour trouver la faille dans le système carcéral et l’exposer aux autres, pour arrêter ensemble ce qu’il conviendrait de faire. Je me suis arrangé pour être affecté à l’infirmerie. De là, il m’était loisible de nouer des contacts. Effectivement, j’ai pu me mettre en relation avec le chauffeur du service de nettoiement du camp. Au bout de quelques jours, je suis arrivé à gagner sa confiance et à le sensibiliser au projet d’évasion. Je lui ai demandé de nous mettre en relation avec l’ALN de la région de Paul Cazelles et d’approcher les jeunes Algériens du contingent
qui
venaient
d’être
affectés
pour
assurer
la
garde
des
prisonniers. On leur proposerait de les emmener avec nous au maquis s’ils acceptaient de déserter pour rejoindre les rangs de l’ALN. Un projet fut mis au point et avorta à la dernière minute, le chauffeur n’ayant
point
honoré
ses
engagements.
Toutefois,
nous
étions
trois
prisonniers qui ont réussi à fuir : moi-même, Djemam Zahir et un certain Amar de Tizi-Ouzou. Je fus le premier à escalader trois rangées de fil de fer barbelé, imité par mes deux compagnons. Une fois dehors, je vis que chacun avait pris une direction différente. La pénombre ne nous a pas permis de nous regrouper.
Blotti,
j’attendis
un
moment
que
les
deux
fugitifs
se
manifestent. Rien. Il faisait très sombre. J’ai décidé de m’éloigner car je saignais. J’ai erré pendant cinq jours sans provision. Je ne disposais que d’une gourde et d’une boîte de tabac à priser pour dépister éventuellement les chiens pisteurs lâchés à notre recherche. J’évitais
de
m’approcher
des
demeures
et
des
tentes
sahariennes
installées dans les parages. Je ne connaissais pas la région et ne savais où aller. Mais je fis des efforts pour m’éloigner le plus loin possible du camp. Embusqué dans un buisson, le cinquième jour, je vis des militaires et reconnaissais deux d’entre eux. Ceci me confirme qu’ils étaient à notre poursuite d’autant qu’il y avait un hélicoptère volant bas. Je résolus de m’éloigner davantage, me reposer le jour et marcher de nuit.Je savais me mouvoir et m’orienter la nuit grâce à la formation que j’avais reçue chez les scouts d’abord, puis chez l’OS ensuite. Tenaillé par la faim et la soif, je me suis adressé à une famille vivant dans une guitoune dans un endroit un peu isolé, dans un relief accidenté.
134
Témoignage Le chef de famille Azzouz ben Azouz, qui s’avérera un membre du conseil populaire du FLN, appela son frère et, méfiants, me posèrent beaucoup de questions, utilisant un ton agressif. Devant mon état physique lamentable, ils n’eurent aucun geste de compassion. J’étais harassé et faillis craquer lorsqu’ils firent allusion aux harkis qui étaient dans le coin. Je leur fis savoir que je préférais être égorgé par eux plutôt que d’être remis entre les mains des harkis ou des supplétifs de Abdallah Essalmi exerçant pour le compte du mercenaire Bellounis. La mère de Azzouz se mit hors d’elle ; explosant en sanglots, elle leur demanda de me laisser tranquille : "Vous voyez bien que ce n’est pas un jassous, c’est un étranger". Je lui faisais de la peine, éprouvé que j’étais par la fatigue, la faim et le manque de sommeil. Au bout de quelques heures de torture morale, ils finirent par changer de comportement et me rassurèrent. Azzouz me dévoila sa fonction de membre du conseil populaire du FLN et me promit de faire son possible pour aviser les responsables de l’ALN. Il dépêchera un agent de liaison pour les informer. Après m’avoir demandé de réciter quelques versets du Coran avec lui, il me donna à boire et me servit à manger. Ensuite, il me déplaça vers un refuge en attendant la liaison. Après
quatre
jours
d’une
longue
attente,
je
reçois
la
visite
du
responsable des renseignements et liaisons (RL), l’aspirant Bahous de la région 2 Zone 2 Wilaya VI.
AU MAQUIS Je suis resté en observation quelque temps avec Bahous, où j’ai subi un interrogatoire en règle. J’ai débité toute ma biographie. En fin de compte, j’ai eu droit à quelques excuses superficielles puis je suis affecté dans les différentes branches de l’ALN. D’abord au secrétariat de la zone, puis dans
les
unités
de
combat.
J’ai
également
servi
dans
la
branche
renseignements et liaisons, toujours sous les ordres de Bahous. Je suis ensuite affecté au commissariat politique sous la coupe de Si Benyoucef, aspirant de la région 2. Je suis muté par la suite pour quelques mois dans les unités de combat dans le commando de la katiba de la zone dirigée par l’aspirant Boudkhil. 135
Les architectes de la Révolution J’ai participé à diverses actions : une embuscade contre une patrouille de harkis à Had Essahari, l’enlèvement à Dar Echioukh d’un indicateur signalé par nos moussebiline sur rapport du conseil populaire du village. Cette opération est menée par le sergent-chef Abidi Tayeb, responsable militaire
d’une
commando
qui
section
de
attaqua
le
la
katiba.
poste
J'ai
militaire
également de
Had
fait
partie
Essahari,
sous
du le
commandement du chef de zone Slimani.avec la complicité de l’adjudant Mohamed Dhina à l’intérieur et de quatre appelés du contingent. Un sergent-chef et deux soldats français furent tués. Dans cette opération, nous avons récupéré des armes, des munitions et des tenues de combat. De notre côté, nous avons perdu un valeureux moudjahid en la personne deYahia Haffaf, tué par mégarde pour ne pas avoir répondu au mot
de
passe
ni
obtempéré
aux
sommations
d’un
compagnon,
Bezouiche, chargé de la surveillance. Ce dernier était novice et faisait sa première action de combat. Après plusieurs épreuves et tests, je suis affecté au secrétariat de la zone où les responsables sont peu communicatifs. Je n’ai pu m’intégrer dans leur milieu d’où j’ai pu observer des pratiques paternalistes, chauvines et sectaires.Je me suis trouvé en porteà-faux,
face
à
une
conception
qui
n’avait
rien
des
pratiques
révolutionnaires.
La mésentente Je ne me suis pas accommodé avec le chef de zone Slimani Slimane, trop méfiant vis-à-vis des éléments venus d’Alger ou des évadés de prisons ou de camps. Sa méfiance le poussant à des paroles ou gestes déplacés. Il n’admettait qu’un seul point de vue : le sien. J’ai subi beaucoup de pression et en étais malade. Je fus sanctionné pour
indiscipline,
n’obtempérant
pas
à
certaines
pratiques,
par
le
lieutenant Boudjadja, poussé par Slimani. J’ai été désarmé et mis au "tombeau". Rétrogradé, j’ai été mis à la disposition du secteur au commissariat politique. J’ai échappé au conseil militaire où j’avais risqué l’exécution. C'est à Si Benyoucef que je dois la vie car c’est lui qui a été témoin à décharge. Il a eu des ennuis par la suite à cause du soutien qu’il m’apporta. 136
Témoignage J’ai observé et étais témoin de nombreuses injustices intolérables. Je n’aurais jamais cru que la révolution pouvait enfanter de tels méfaits. Je croyais en la révolution, en tout ce qu’elle peut charrier également de heurts et de malheurs. Mais les dures épreuves et épisodes que j’ai passés dans le maquis me marqueront à jamais. La bêtise humaine, quand elle se drape des oripeaux du djihad, peut faire les pires choses. Jeune militant, je voyais un peuple combattre l'illégal, le mal, l’injustice ; et les combattants, solidaires, se relayer pour porter haut le flambeau. Ce que j'ai vu dans la réalité : quelques "chefs" agissant selon l’humeur du moment, faisant fi des valeurs morales et dictant leurs quatre volontés à leurs subordonnés. Et sans admettre la moindre remarque... Ils créent ainsi
des
tensions
au
sein
des
djounoud,
émoussant
leur
volonté
d’entreprendre. Il ne s'agissait pas d’un problème de gestion.de discipline, mais d’égocentrisme. "Je suis le chef; tu obéis, c’est tout !" Dieu merci, à la fin du cauchemar, je m’aperçois que cela ne s’est pas passé ainsi ailleurs. Je suis tombé sur le mauvais numéro. Avec du recul, je fais preuve d’indulgence et accepte cette réalité. J’attribue les agissements néfastes d’hommes comme Slimani Slimane à leur niveau de culture et de formation limité. Ils n’ont pas activé dans des structures politiques pour acquérir le b.a.-ba des connaissances. Isolé au sein de la zone, mes relations avec les djounoud étaient bonnes. Elles l’étaient moins avec les responsables. N’ayant point de relations, j’étais l’étranger. Je m’enfermais sur moi-même et entrepris de me faire oublier. Après le cessez-le-feu, j’ai essayé de contacter ma famille, demeurée sans nouvelles depuis mon évasion du camp de Paul Cazelles. En vain. Vers
la
fin
juillet
1962,
le
colonel
Chaâbani,
accompagné
de
Boumediene, chef d’état-major, s’est adressé à la population de Charef, dans la wilaya de Djelfa.au cours d’un meeting où les citoyens sont venus en grand nombre des villes et campagnes environnantes. Le discours de Chaâbani avait surpris tout le monde, laissant présager d'imminents
dangers
qui
d'ailleurs
affrontement fratricide. 137
allaient
déboucher
sur
un
Les architectes de la Révolution Cela
a
permis
aux
bataillons
de
l’état-major
général
(EMG)
de
s’emparer pacifiquement de l’autorité au niveau de la Zone 2 dirigée par Slimani Slimane. Heureusement sans effusion de sang. Les bataillons de l’EMG étaient mieux armés et équipés que les nôtres. Leurs forces dépassaient de loin celles auxquelles j’appartenais. Profitant du relâchement de la discipline et non affecté à une unité de combat de la katiba, je me suis retiré, avec quelques compagnons et des
moussebiline, éprouvés par de longues années de lutte, et nous nous sommes installés à Zenina, dans un poste de la SAS évacué par les troupes françaises après le cessez-le-feu. Boudiaf, de retour au pays, se mit en quête de renouer avec ses proches. Il a été informé de mon évasion et savait que j’ai été porté disparu
par
les
autorités
françaises.
Ma
famille
étant
toujours
sans
nouvelles, Boudiaf donna des instructions pour établir des recherches et me retrouver, à tout le moins me localiser. J’ai pu, grâce à un agent de liaison résidant à El-Mouradia de passage à la zone, écrire à ma famille et lui indiquer le secteur où j’activais. Boudiaf, informé par mon frère Omar, charge Mourad Boukchoura et Abbi Ahcène, munis d’un laissez-passer, pour faire le déplacement dans la région de Djelfa ou Laghouat. Mais sans résultat. Au mois d’octobre 1962, la situation s’est améliorée, la tension a baissé ; mais il m’était impossible de demander ma démobilisation. Chaâbani, en tant que chef de la Wilaya VI, avait besoin d’éléments ayant une formation politique pour les promouvoir et se préparer à un conflit en s’engageant dans une rébellion contre l’autorité de la direction nationale. Des responsables de la zone, sachant que j’avais milité avant la révolution au sein du parti, sont venus me proposer de mentionner mon nom
sur
la
liste
des
moudjahidine
pressentis.
J’ai
décliné
cette
sollicitation. J’ai profité d’un moment d’embellie pour demander une permission pour visite familiale. Elle me fut accordée pour une dizaine de jours, du 5 au 15 octobre. Je quittais le camp pour ne plus y retourner.
138
Témoignage
LIBRE, MAIS... De retour chez moi à Alger, après quelques jours de répit et de visites familiales et amicales, je m’engage à nouveau dans l’activité politique. Je rejoins
mon
camarade
de
toujours
Boukchoura
Mourad
et
d’autres
compagnons de Novembre, tels Zergaoui et à leur tête Bitat Rabah, chargé de l’organisation au Bureau Politique. Parallèlement à cet engagement avec les autorités légales du pays, nous entretenons,
Mourad
et
moi,
des
relations
suivies
et
amicales
avec
Boudiaf, auquel nous rendons souvent visite à son domicile, à El-Biar. Ces relations vont déplaire à certains de nos amis et notamment à Zoubir Bouadjadj, trop engagé avec Ben Bella. Bouadjadj ne manquera pas de nous dénigrer haut et fort lors d’une assemblée de la Fédération du Grand-Alger. Prenant la parole et s’adressant à l’auditoire, il dénonce mes relations et celles de Boukchoura avec Boudiaf. Il voulait par là nous amener à polémiquer dans le but avoué de mieux isoler Boudiaf. Il tente, en se voulant persuasif, de nous faire passer devant le conseil de discipline. Et comme première mesure coercitive, il prit sur lui de me retirer le véhicule l’organisation.
de
service
que
j’utilisais
pour
les
activités
de
J’ai rejeté ses prétentions et lui avais dénié le droit de se comporter en tuteur. Mourad et moi lui avons martelé que nous ne sommes pas des ingrats et que nous n’effacerons pas tout un passé avec un homme qui a été l’un des grands artisans de l’indépendance et qui a été son chef, notre chef. "Si aujourd’hui tu es debout devant un micro, parlant en toute liberté,
quoique débitant des inepties, tu le doit en partie à Boudiaf'. Quand Boudiaf me fera la proposition de le rejoindre au parti qu’il venait de fonder, le Parti de la révolution socialiste (PRS), je déclinais l’offre respectueusement et lui faisais remarquer qu’il était en train de faire de la surenchère à Ben Bella avec son socialisme scientifique. Mes convictions sont autres ; je vais militer au FLN. Je regrettais de voir un homme de telle valeur largué par ceux qu’il a mis en selle et en éprouvais parallèlement de l’admiration. S/ Tayeb sera toujours un battant. Je continue mes activités dans le parti du FLN au sein de la Fédération du Grand-Alger (FGA) en qualité de responsable dans le comité de la 139
Les architectes de la Révolution daïra n°3 d’Alger-Centre. Je me suis totalement investi et tentais de faire de
mon
mieux.
Toutefois,
j’observe
des
faits
et
des
décisions
qui
n’emportaient point ma conviction. Le clientélisme, les passe-droits et la bureaucratie s’incrustaient de plus en plus dans les rouages. J’ai participé au premier congrès de l’indépendance, et là également, j’ai vu le jeu des coulisses
et
en
étais
outré.
J’ai
vu
des
responsables
se
conduire
indignement et se faire tout petits, quémandant des postes. Je me libère de ma fonction au parti et reprends mon métier de maître tailleur. Je fonde, avec des amis, une Sari et y exerce en qualité de directeur. Ce qui m’a éloigné du parti est motivé par mon refus de cautionner la monopolisation à outrance par certains dirigeants de tous les domaines. La mainmise d’un groupe sur les affaires de l’Etat se tissait progressivement. La démarche de ces gens là était sélective dans le mauvais sens. Elle encourageait la servilité, tolérait la médiocrité et s’entourait d’éléments dociles. Il ne pouvait y avoir de débat. Cela ne répond plus à ma conception de la lutte pour une justice sociale, une vie politique et économique équilibrée, saine qui stimule le développement et la compétitivité. Le parti s’engage dans une voie répressive par la création d’une milice qui réprime, et en premier lieu, des militants qui ont toujours lutté pour des valeurs morales et un devenir heureux. Le pouvoir procède à l’étouffement et bâillonne tous ceux qui ont des idées contraires aux siennes. Par un tour de passe-passe, la bureaucratie naissante confisque toutes les initiatives et oriente les masses vers des "ennemis" vrais ou supposés, tels l’impérialisme, le colonialisme, le sionisme. Les luttes intestines au sommet se règlent par des compromis et les forces machiavéliques semblent s’être entendues pour exclure les masses populaires à dire leur mot. On allait réfléchir à leur place, on allait décider à leur place. Le pouvoir a jeté aux oubliettes toutes nos espérances et tous nos rêves d’une Algérie libre et heureuse, où ses citoyens forment une société harmonieuse. Il a mis en place un système qui ne répond pas aux réalités du moment, pour un pays qui sort du cauchemar, un peuple éprouvé par sept ans de guerre et qui cherche la paix, et l’égalité des droits et devoirs, sans distinction de classe. Je n’arrivais pas à croire que tout ce que me disaient Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche, Ben M’hidi dans mon arrière-boutique et pour quoi ils 140
Témoignage ont tant trimé, au même titre que tous les militants qu’ils ont encadrés ou côtoyés, soit, d’un revers de main, placé dans le musée des oublis. Avons-nous rêvé ? Oui. Le pouvoir actuel a-t-il le droit d’oublier ? Non. Après les événements du 5 Octobre 1988, qui avaient déclenché le processus de démocratisation et de pluralisme, le pouvoir politique a été amené à réviser la constitution en 1989. Ce qui a permis de donner naissance à la diversité et à la compétitivité sur le terrain. De même, il y a eu éclosion du mouvement associatif. Dans ce dernier cadre, des amis m’ont sollicité pour apporter une contribution à l’Organisation nationale des moudjahidine qui s’est disjointe du parti du FLN.
BOUDIAF À KENITRA En 1974, j’eus l’occasion de faire un voyage au Maroc dans un cadre professionnel privé, en compagnie de Boukchoura Mourad et d’un autre compagnon, vieux militant de la cause nationale. L’occasion était bonne pour rendre visite à un ami qui était résident à Kenitra : Mohamed Boudiaf. Ayant pris ses coordonnées à Alger auprès de son frère Aïssa, je l’ai appelé au téléphone chez lui une fois arrivés à Kenitra. Son épouse nous fit savoir qu’il vient de partir à notre rencontre au rendez-vous fixé par son frère à partir d’Alger. Il était convenu, selon Mme Boudiaf, qu’il nous retrouve au café Mon village. N’ayant pas eu souvenance de l’enseigne et adresse précise, nous avons appelé d'un café situé non loin de là. Nous avons attendu près d’une heure. Ce contre-temps nous a paru bizarre et nous avons déduit que Mohamed devait se méfier de tout le monde, après l’assassinat de Mohamed Khider en Espagne. Je téléphone à nouveau à Mme Fatiha Boudiaf en lui indiquant où nous étions. Elle me demande de ne pas bouger et qu’elle allait envoyer chercher son mari et lui donner la bonne adresse. Il arriva tout essoufflé, s’excusant de ce chassé-croisé. J’étais tout confus, sachant qu’il avait une insuffisance respiratoire. Avec un seul poumon, il éprouvait beaucoup de difficultés pour reprendre son souffle dans l’immédiat. J’ai vu combien il était heureux de nous revoir. Il avait un besoin de discuter, de s’ouvrir à des témoins de toute une époque. Il nous invite à déjeuner chez lui et insiste longuement pour que nous passions quelques jours avec lui. Il avait besoin de s’informer. Il avait 141
Les architectes de la Révolution besoin de parler. Il s’enquit des amis, citant des noms sans discontinuer, demandant des nouvelles du pays, cherchant à emmagasiner le maximum d’informations. Tout y passait, questions politiques, leaders, chômage, emploi, jeunesse, situation économique, social. Il
se
plaignait
de
l’isolement,
n’ayant
plus
de
contacts
avec
les
nationaux. Il ne reçoit presque pas de visite d’amis, ni de militants. "Les
gens appréhendent les ennuis de peur d’être fichés ou poursuivis", dit-il. Après une longue discussion, il s’est dit satisfait et avait beaucoup apprécié nos analyses. Le tableau que nous lui avons brossé diffère de celui présenté par d’autres sources. En effet, les opinions divergent selon les positions partisanes, selon qu’on soit proche du pouvoir ou dans l’opposition,
selon
les
rancœurs
de
certains
et
de
ceux
éjectés
du
pouvoir. En définitive, Si Mohamed à Kenitra paraissait peu au fait des réalités objectives du pays. Il n’avait à l’époque que quelques journaux dépendant du
monopole
exerçait
dans
de
la
une
communication, comme sources petite
briqueterie
artisanale,
en
d’information. Il association
avec
Moussa, son frère. Lui-même, disait-il, se lève aux aurores pour aller travailler. En plus de la production, il s’occupait de toute la gestion administrative. Il était heureux du point de vue familial ; sa femme et ses enfants lui procuraient beaucoup de joies. Lui qui a mené une vie mouvementée,
goûte
à
la
quiétude
d’une
famille
réunie
où,
dit-il,
"maintenant, je vois grandir mes enfants". En le quittant, j’ai senti un brin de tristesse dans son regard et j’en étais ému. Le sourire me revient quand, en l’étreignant pour lui dire au revoir, il me souffle au creux de l’oreille : "Aujourd’hui, j’ai rajeuni de dix ans".
LE RETOUR DE BOUDIAF Le 16 janvier de l’année 1992, après un exil de près de 30 ans, rentrait au pays Mohamed Boudiaf, figure illustre du combat du peuple algérien, Si Tayeb el-Watani pour les militants de la cause nationale, mais un vieux monsieur peu connu de la jeunesse qu’il chérissait pourtant, et pour laquelle il s’est tant sacrifié. Il revient au pays à la demande des autorités de transition qui n’ont pu trouver une solution au délabrement avancé de la situation en Algérie.
142
Témoignage Face à une crise nationale de grande envergure et multiforme, il a répondu à l’appel du devoir et à la sollicitation de la seule institution encore debout : l’ANP. Le Haut Comité d’Etat lui avait dépêché un émissaire en la personne de l'avocat Ali Haroun.Ce dernier n’était pas un inconnu pour Boudiaf (coordonnateur national) qui le connaissait depuis 1956, date à laquelle Si Mohamed le fit venir de Meknes à Tetouan, au Maroc, et lui confia la responsabilité du journal Résistance algérienne. Tous les moyens ont été mis à la disposition de Haroun qui partira incognito à bord d’un avion militaire et qui plaidera la cause auprès de Boudiaf.
Il
finira
par
convaincre
lg
vieux
politicien
retraité
par
anticipation, après que celui-ci ait posé des questions précises et voulu tout autant des réponses précises. L’honnêteté intellectuelle de Ali Haroun et ses talents d’avocat, alliés à son pouvoir de persuasion, ont été pour quelque chose, me dira Si Mohamed plus tard. Boudiaf fait le voyage avec Haroun et rencontre, à la villa Aziza, à ElBiar, les décideurs d’alors. Il donne son accord après avoir écouté un exposé objectif. "Compte tenu de ce que j’avais entendu, je ne voulais pas
poser de conditions particulières, hormis celles relatives à l’instauration d’un régime démocratique avec une armée de type classique, une fois les nuages dissipés. L’important pour moi était alors d’essayer d’éteindre l’incendie. Par la suite, j’étais certain qu'on arriverait à un consensus pour entamer un processus de démocratie et l’ouverture de grands chantiers". Le 16 janvier, l’accueil à l’aéroport était à la mesure de ce vieux militant qui scrutait du regard, du haut de la passerelle de l’avion, tout ce que le pays comptait de dignitaires officiels, de cadres de l’Etat et de l’Armée qui attendaient, massés les uns contre les autres, sur le tarmac. On dénombrait également un petit noyau de ses vieux compagnons de combat qui ont voulu marquer par leur présence leur attachement à Si Tayeb el-Watani et saluer, à leur manière, le retour de l’un des principaux architectes de la révolution. Une semaine plus tard, je lui rendais visite au siège de la présidence de la République, accompagné de Abdelkader Lamoudi, El-Hachemi Trodi, Tayeb Thaâlbi, Mohamed Maïza, Abderrahmane Madoui et Cheikh Hocine Belmili. Nous trouvons là, un homme serein mais marqué par une si 143
Les architectes de la Révolution longue
absence.
Il
était
content
de
retrouver
des
visages
familiers,
cependant ridés par l’usure du temps. Il s’enquit de certains vieux militants, puis nous résume brièvement sa mission. Il nous relate le film des événements et les circonstances qui l’ont poussé à revenir au pays. A l’issue de cette visite, Si Mohamed nous prie de rester en contact avec lui car il allait avoir besoin de nos services. Il me demande de regrouper quelques vieux compagnons qui ne sont pas dans les rouages de l’Etat, de simples citoyens qui se sont fondus dans la masse, qui vont aux cafés maures, qui font eux-mêmes leur marché. En somme, des gens du peuple au contact avec les réalités quotidiennes et qui peuvent dépeindre objectivement et simplement le vécu de tous les jours sous toutes ses facettes. Son désir est de débattre avec des citoyens qui n’ont aucune attache organique, afin de connaître le baromètre exact de la situation, tant politique que sociale et économique. En comparant ces données avec celles qui lui sont fournies par les services du pouvoir, il pensait mieux cerner les problèmes et agir en connaissance de cause. En plus de l’avis de ces individualités, Boudiaf a émis le souhait de rencontrer
des
délégations
de
jeunes,
d'étudiants,
de
scouts,
de
syndicalistes.de paysans, de femmes, de moudjahidine de divers horizons et de sensibilités différentes. A la sortie de la présidence, mes compagnons et moi avons fait le même constat : Boudiaf est resté le même, avec son franc-parler. Il partageait le même amour pour l’Algérie, avec la farouche volonté de réaliser les aspirations d’un peuple éprouvé et d’une jeunesse perturbée, cherchant ses marques et en quête d’une vie mieux équilibrée. On s’est rendu compte et il nous l’a avoué : il était déconnecté et n’avait pas une image objective du pays. La presse étrangère s’ingéniait à mettre
un
prisme
déformant
quand
il
s'agissait
de
relater
des
informations sur les réalités algériennes. Elle n’était pas crédible à ses yeux. La lecture de la presse nationale, objet de monopole, ne pouvait l’éclairer
réellement,
connaissances qu’il
non voyait
plus.
N’eussent
épisodiquement à
été
les
rares
amis
ou
Kenitra, au Maroc, pour
dépeindre, chacun à sa manière, quelques aspects de la vie politique, sociale, économique ou culturelle, Boudiaf était isolé dans sa briqueterie et ignorait bien des choses qui se passaient dans son pays. 144
Témoignage Lors
de
nos
multiples
rencontres,
il
abordait
des
problèmes
de
différentes natures. Et parmi les thèmes qui ont animé nos discussions, il en est certains qui ont retenu particulièrement mon attention et pour lesquels Boudiaf était déterminé à agir. En ce qui concerne les partis politiques, Boudiaf estime que ces tendances
travaillent
chacune
pour
son
compte,
exclusivement,
d'une
manière égoïste, et ont de ce fait perdu de vue l’intérêt général. Leur myopie politique, ajoutée à leurs querelles de chapelles, ont permis à des forces occultes d’occuper le terrain, d’accaparer les richesses nationales et parasiter les rouages de l'Etat. Les partis ont perdu en crédibilité ; et leur approche, voire leurs approches pour une sortie de crise initiée alors par le pouvoir n’ont pas donné satisfaction. Si Tayeb ne jugeait pas utile de continuer dans cette voie. Elle aurait mené à une impasse et on aurait perdu du temps, alors que la situation se dégradait de jour en jour, par ailleurs. De ce fait, Boudiaf, après ce constat amer et négatif, ne voulait pas rentrer dans le jeu des partis, ni s’engager dans des discussions stériles, des palabres qui n’aboutissent pas à un consensus, pour aller de l’avant et préconiser des solutions concrètes. Il jugeait qu’il ne fallait pas perdre de temps et passer plutôt à l’essentiel. Au
cours
d’une
réunion
à
laquelle
il
avait
convié
les
principaux
responsables de sept partis politiques, Boudiaf leur fait constater la précarité de la situation, l’instabilité qui caractérise le pays et l’absence de l’Etat dans presque tous les domaines. Il les informe qu’il est dans l’obligation de décréter l’état d'urgence, à son corps défendant. Plus tard, le nom de Mehri est prononcé au cours d’une discussion. Boudiaf, m’interrompant, me fait savoir qu’il aimerait bien rencontrer en tête-à-tête son compagnon de lutte, Si Abdelhamid "pour évoquer quelques
vieux souvenirs d’une lutte commune". Il me rappelle que Mehri a joué un rôle
de
premier
plan
dans
le
rapprochement
des
mouvements
maghrébins de libération nationale depuis 1952.Très estimé, tant pour ses connaissances que pour son comportement de militant engagé, Mehri a toujours séduit les Tunisiens et les Marocains. Il s’est démené, après notre réunion
en
Suisse,
pour
concrétiser
les
décisions
arrêtées.
Malheureusement, Abdelkebir n’a pu mener à bonne fin l’acheminement des armes promises. 145
Les architectes de la Révolution Boudiaf
m’a
demandé
de
trouver
un
créneau
pour
rencontrer
Si
Abdelhamid "en tant qu'ami et non en tant que représentant d’un parti". Mehri, que j’ai consulté, m’a donné son accord. La rencontre n’a pas eu lieu, son compagnon Si Tayeb était assassiné.
Contact avec le mouvement associatif Si les formations politiques ne l’ont pas enthousiasmé, S/Tayeb avait un espoir avec le mouvement associatif. Quelle appréciation faisions-nous de ces forces vives, des associations de jeunes, d’étudiants, de scouts ou de syndicalistes et autres dans la vie associative ? Boudiaf considère qu’il faut stimuler la société civile en incitant spécialement la jeunesse, dans toutes ses composantes, à se prendre en charge, à s’organiser pour constituer un contre-pouvoir ; et lui, en tant que chef de l’Etat, traitera leurs propositions.
Boudiaf,
qui
a
reçu
en
audience
les
délégations
des
mouvements de jeunes, l’une après l’autre, puis une deuxième fois toutes ensemble réunies au siège de la présidence, a été agréablement surpris tant par le niveau des représentants que par cette énergie qui ne demande
qu’à
être
canalisée
et
orientée
vers
des
tâches
d’intérêt
commun. La rencontre avec les étudiants qui ont toujours été à l’avant-garde, depuis
l'AEMAN,
beaucoup
de
en
passant
données
et
de
par
l’UGEMA,
mesurer
la
lui
a
portée
permis
de
objective
saisir
de
leur
jugement. Il a été également très sensible lorsque les scouts lui ont dit : "Nous
manquons de beaucoup de choses, mais compte tenu de la situation qui prévaut, nous ne voulons pas être une charge pour l’Etat. A l’image de nos aînés que vous avez côtoyés naguère et qui ont contribué à la libération du pays, le mouvement des SMA d’aujourd’hui, sans attache partisane, entend participer pleinement à l’édification d’une Algérie stable et prospère". Boudiaf, impressionné, a également remarqué la vitalité de la femme algérienne, capable, selon lui, d’occuper des postes de responsabilité dans beaucoup de domaines, pour peu qu’on l’associe à la gestion. Mme Leïla Aslaoui, ministre de la Jeunesse et des Sports, en était l’image concrète. Une femme frêle mais qui abat un travail remarquable que peu d’hommes puissent
égaler.
Si
Mohamed
appréciait
l’apport
de
cette
intelligente et rendait hommage à son courage et à son engagement. 146
femme
T émoignage Il fera honneur à l’Organisation des moudjahidine en se rendant à son siège central. Cette association symbolise à ses yeux le combat pour le recouvrement
de
la
souveraineté
nationale.
Son
discours
devant
les
cadres de l’ONM ne sera pas celui d’un président, mais d’un militant qui discute avec ses frères de combat. En conclusion, il leur dira : "Le peuple
n’a pas déçu ; la direction politique, si". Dans le même sillage, il se rendra à la Maison du peuple, siège de l’UGTA, pour saluer la classe laborieuse, cette locomotive qui est en mesure de créer une dynamique pour sortir le pays de l’ornière. Le président prêchera pour l’alliance de toutes les forces vives de la nation pour une relance économique. A l’issue de la ronde des mouvements associatifs, qui ont tous, sans exception aucune, fait montre de disponibilité à participer à l’œuvre de rénovation, le président a tiré les conclusions. Il était satisfait car chacune des délégations a dépeint la situation de son organisme, mais a également brossé un tableau d’ordre général. "Avec toutes ces potentialités et en
travaillant main dans la main, je suis convaincu que les Algériens relèveront le défi... et la tête".
Tentatives pour apaiser la tension Au sujet du FIS, le constat démontre que cette mouvance a une forte emprise sur le terrain et qu’elle entraîne des jeunes avec elle. Mohamed Boudiaf préconise qu’il faut conseiller à ces jeunes de s’éloigner de l’extrémisme, en attendant de trouver en commun des solutions à leurs problèmes. Boudiaf leur demandait d’éviter la violence par l’affrontement armé pour ne pas faire sombrer le pays dans une guerre fratricide. Nous sentions
les
prémices
d’une
recherche
par
les
extrémistes
d’une
implosion de l’Etat tant dans les prêches dans les lieux de culte que sur les places publiques à travers les mots d’ordre de désobéissance civile. Cette agitation créait une situation d’instabilité et d’insécurité, porteuse d’un
grand
risque
d’anarchie,
laquelle
anarchie
ne
profiterait
qu’aux
ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. A ce propos, nous avons brossé un tableau de la situation du FIS et Boudiaf
envisageait
d’étudier
toute
proposition
qui
contribuerait
à
l'extinction du brasier car, au train où vont les choses, la tache d’huile est en train de prendre de plus en plus de proportion. Il faut essayer d’y mettre un holà. 147
Les architectes de la Révolution Pour apaiser les esprits et faire baisser la tension, le président nous demandera de réfléchir à tout moyen qui pourrait faire éviter la mort d’Algériens. Lui-même, dans une pathétique allocution télévisée, joignant le geste à la parole, tendra la main : image ô combien symbolique dans l’intellect de tout Algérien, conservée à jamais dans la mémoire populaire. Je lui suggérais d’envoyer des éléments dans les camps pour discuter avec les internés, détecter les plus influents et essayer de les convaincre de se ressaisir et d’éviter la violence. Ces émissaires ne seront ni des officiels, ni des policiers, ni des militaires, pour éviter toute publicité tapageuse ou dérapage. Ce seront de simples citoyens, suffisamment formés et informés, capables de persuader et de répondre à tous les arguments de leurs interlocuteurs. Boudiaf agrée et me charge de préparer la mission. Je contacte deux jeunes que j’avais remarqués lors des différentes réunions dans le cadre associatif et qui m’ont séduit par le niveau de leurs analyses développées lors de leurs interventions. Je discute longuement avec eux, et après avoir compris leur point de vue sur les événements, j’ai conclu que je pouvais leur faire confiance. Je leur propose alors concrètement, convaincu que les deux jeunes pouvaient assumer la tâche. Ils ont donné leur accord et manifestaient quelque fierté de pouvoir accomplir une telle mission et se rendre utiles. Je les ai introduits auprès du président qui ne leur a donné aucune consigne. Il s’est montré paternaliste et voulait savoir ce que pensaient les jeunes éléments du FIS. Il dira aux jeunes de ne prendre aucun risque et de ne point jouer aux héros. Le but recherché consistait à savoir si on avait affaire à des gens réellement convaincus, réfléchis, suivistes ou irréductibles. Ils sont manipulés, c’est sûr, mais jusqu’où peuvent-ils pousser leurs revendications ? J’ai mis au point tous les détails : liste des camps, noms des détenus à contacter et autorisations d’accéder dans les enceintes. Il "n’était pas question de délivrer des ordres de mission ou des laissez-passer. Estimant que tout était prêt, j’en informais Si Mohamed qui appelle le secrétaire général de la présidence et lui demande de prendre en charge la mission. Après un dernier briefing, les deux missionnaires font le déplacement et pénètrent dans les camps ; les officiers chargés de la surveillance avaient reçu des instructions et ont facilité les entrevues. 148
Témoignage Voulant contacter certains irréductibles, meneurs ou tribuns, enfin des têtes dures, qui étaient placés dans des enclos séparés, les deux jeunes ont été mis en garde par l’officier supérieur commandant le camp. "Ces
gens sont dangereux, je ne réponds pas de ce qui peut vous arriver si vous y allez tout seuls.Je propose de vous faire accompagner car vous risquez d’être lynchés".
Ils
sont
entrés
quand
même
sans
escorte
et
discuteront
longuement avec les éléments dangereux. Au bout de quelques jours, ils rentrent à Alger et rédigent leur rapport de mission qui atterrira sur le bureau du président. Plus tard, des listes de détenus par camps seront établies, et des internés, élargis. Autre suggestion que j’ai faite au président : approcher un imam renommé et respecté, Cheikh Sahnoun. Mohamed, personnalité religieuse de premier plan qui est consultée par tous les leaders du FIS, peut jouer un rôle déterminant, si d’aventure on le sollicitait. Cheikh Sahnoun, durant la révolution, a été efficace. Les moussebiline des maquis dans les régions de Blida et de Lakhdaria, le consultaient couramment. Dans les mosquées du Grand-Alger, son sermon religieux était suivi d’instruction civique éminemment politisée. A l’indépendance, les autorités l’ont dédaigné ; il s’est alors confiné dans son rôle de prédicateur. Abassi Madani et le staff lui rendent souvent visite ; alors pourquoi ne pas faire appel à lui puisque sa voix porte. Il pourrait peut-être faire baisser la tension des extrémistes. Je suis convaincu que le Cheikh-prendra son bâton de pèlerin s’il sait que Boudiaf le sollicite, d’autant qu’il le connaît et que Sahnoun lui voue du respect. Je rappelais au président qu’il l’avait rencontré lors de mon mariage et que c’était le cheikh qui avait récité la fatiha. Je lui proposais, si
éventuellement
Sahnoun
s’engage
à
calmer
le
jeu,
d'envisager
la
possibilité éventuelle de le nommer responsable du Conseil supérieur islamique. "Tu t’en occupes", me dit Si Mohamed. J’ai alors contacté l’un des amis intimes de Sahnoun, Ahcène Abbi, commerçant et bienfaiteur qui contribue au financement et à la gestion de mosquées. Il a donné son accord de principe. Malheureusement, d’autres gens, animés des mêmes intentions, par des démarches quelque 149
Les architectes de la Révolution peu gauches, ont créé une certaine confusion. En définitive, il n’y a rien eu de concret. Une
autre
proposition
est
suggérée
par
le
groupe.
Selon
nos
informations, le leader du Syndicat islamique des travailleurs (SIT), Eulmi Omar, au maquis dans la région de Khemis El-Khechna, est un membre influent qu’il faut approcher et convaincre. C’est un homme sensé et ses amis sont étonnés de sa décision de rallier le camp des radicaux. Influence ou désir de briller ? En tout cas, ceux qui le connaissent sont persuadés qu’il n’est pas têtu et ne serait pas insensible pour jouer un rôle
de
médiateur.
Après
accord
du
président,
le
groupe
arrive
à
contacter Eulmi par le biais d’une de ses connaissances. Le maquisard donne son accord pour "descendre" et prêcher pour le retour au calme. Ceci ne se réalisera pas ; le président sera assassiné.
Les débuts d’une démarche Pour la corruption, nous avons abouti à la conclusion qu’elle est un fléau qui ronge la société et affecte la moralité des responsables à un haut niveau de l’Etat. A défaut de la circonscrire et la neutraliser, il incombe, dans une première phase, de la limiter. Pour ce faire, il est nécessaire d'encourager la liberté de la presse et la liberté d’expression pour dénoncer latitude
les à
dépassements
la
transparence.
justice Il
pour
appartiendra
des faire
contrevenants son
ensuite
travail au
et
donner
correctement,
législatif
de
toute en
revoir
la
toute
l’aspect
juridique capable de juger et d’éradiquer cette tare. Le remboursement de la dette était un sujet de conversation avec Mohamed Boudiaf qui se montrait à cet égard très pragmatique. Il préconisait de recenser les responsables connus pour avoir puisé dans les caisses de l’Etat, une centaine approximativement, et de les convaincre de rapatrier une partie de cet argent, avec la promesse de leur garantir l’anonymat et leur remettre un quitus pour les rassurer contre toute poursuite. En l’état actuel, il n’y a pas de meilleure solution. Avec cette possibilité de faire restituer une partie de l’argent détourné afin de rembourser une grande partie de la dette, on aurait coupé le fil qui nous lie et nous rattache au FMI qui, quoi qu’on dise, semble avoir obnubilé certains cadres. A propos de l’armée, Boudiaf, qui n’était pas militariste au début des années 50, a été fortement impressionné par la vitalité, la discipline et 150
Témoignage l’organisation dira :
de
l’Armée
algérienne.
Il
en
était
fier
et
nous
"Heureusement que l’héritière de l’ALN est restée debout". Il était
satisfait du niveau des cadres et surtout de la pépinière de jeunes officiers appelés à prendre la relève. Il sera malheureusement victime d’un jeune officier qu’on a dit "illuminé" et "qui aurait agi seul". Cette version n’emporte pas ma conviction, ni celle de beaucoup de monde d’ailleurs. Connaîtra-t-on le fin mot de ce triste événement, de ce point noir pour l’Algérie ? Un jour, peut-être... Il est indéniable de rappeler l’utilité de l’Armée en tant qu’institution de l’Etat la mieux organisée et la plus disciplinée. L’ANP coopère et participe pour assurer l’exercice de la gestion des affaires du pays pendant la phase de transition pour éviter un dérapage qui pourrait mener à une guerre civile. Après la transition, quand on aura lancé le processus du pluralisme, l’Armée ne pourra pas s’affilier à un parti politique et demeurera en dehors et au-dessus des luttes partisanes. Elle pourra s’attacher pleinement à ses missions principales : la protection de la Constitution, la préservation de l’unité du peuple et la défense des frontières relevant du territoire national. C’était le vœu du président et l’une de ses conditions. Lors d’une interview, le 27 février, Boudiaf, répondant à une question du journaliste de VSD relative à l’ANP, déclarait : "L’Armée n’est pas celle
de 1962. Les chefs sont des officiers républicains. S’il venait l’idée un jour à l’Armée de prendre le pouvoir, je partirais".
«Pas d’hommes du président» Après
des
mois
d’activité
et
d’observation,
Si Mohamed
mesurait
l’ampleur de la tâche à l’aune des dégâts. Il savait que cela allait être pénible pour lui et "pour toutes les bonnes volontés qui œuvrent à restaurer
et celles qui, dans un sursaut de patriotisme, vont nous rejoindre". "Ce que me disent les gens que je reçois est effarant ! Mais j’ai remarqué
également qu’un sur deux critique tout le monde et pointe un index accusateur vers tel ou untel. Cela dénote que les Algériens sont perturbés". Si Mohamed semble de plus en plus imprégné de l’idée de tout réformer car son constat est fait. Mais, dit-il, il faut se garder de mener une lutte sur tous les fronts en même temps. Ce serait l’idéal certes, mais, en attendant, essayons d’y pallier par des institutions de transition.
151
Les architectes de la Révolution Constatant les difficultés auxquelles il allait se heurter, Boudiaf a tenu à
mettre
sur
pied
quelques
institutions,
fussent-elles
transitoires.
L’important était de tenir debout "et, progressivement, la voix citoyenne se
prononcera
sur
chaque
pierre
de
l’édifice".
Il
attachait
beaucoup
d’importance à associer le peuple aux décisions. Il a envisagé, faute d’un parlement
élu,
de
mettre
en
place
un
groupe
représentatif
qu’il
consulterait quand il s’agira de prendre des décisions importantes ; d’où la
création
du
Conseil
consultatif
national
(CCN).
Pour
Si Mohamed,
cette institution est politiquement utile. Pour concrétiser cette mise en place, il viendrait à dire : "Je n'ai pas trouvé 60 personnes". Certains interpréteront mal ses paroles. Il en sera affecté lorsqu'on lui rapportera le fait. "C’est vrai, je n’ai pas encore suffisamment de connaissances pour
choisir 60 éléments. Si certains ont trouvé à redire, qu’ils sachent que je ne veux pas de 60 hommes du président, mais de 60 éléments représentatifs du mouvement associatif’. Le HCE, réuni sous la présidence de Si Mohamed, le 5 février 1992, dans son communiqué, avait relaté la mise en œuvre du décret portant création du CCN : "Le Conseil sera composé de 60 membres choisis de
manière à assurer une représentation objective et équilibrée de l'ensemble des forces sociales dans leur diversité et dans leurs sensibilités. Il regroupe des membres appartenant à l’ensemble des secteurs de la vie nationale. Les membres du Conseil sont des nationaux conscients des difficultés et surtout des détresses que vit une grande partie des citoyens". En
installant
le CCN,
Boudiaf
dira :
"Ils ont été choisis parmi les
personnes appartenant au monde du travail, de la culture, de la science, de la théologie ainsi qu’aux différents secteurs de l’activité nationale publique et privée, au mouvement associatif, à la communauté algérienne à l’étranger, et de manière plus générale, parmi les personnes dont les compétences, les aptitudes
ou
l’expérience
sont
de
nature
à
apporter
une
contribution
constructive au pays. Le rôle du CCN est important car ses membres ont pour tâche d’assister le HCE dans l’accomplissement de sa mission". L’histoire retiendra que cette institution sera endeuillée à plusieurs reprises. Elle perdra Flici El-Hadi, Bediar Mouloud, Boukhobza M’hamed et
Senhadri
Bagtache
et
Hafid Ferhat
qui
seront
M'hamed
assassinés en
par
des
réchapperont,
séquelles de graves blessures. 152
terroristes. mais
Merzak
traîneront
les
Témoignage Saisissant l’occasion de l’installation du CCN, le 22 avril, le président Boudiaf livre ses réflexions, après un bilan de 100 jours d’exercice après son retour. Dans ce bilan, il mettra en exergue les maux du pays. L’Algérie, dira-til, vit cruellement dans sa chair une triple crise : I- Une crise morale et intellectuelle. Ballotté depuis 30 ans entre le socialisme et le capitalisme, entre l’Occident et l’Orient, entre l’Ouest et l’Est, entre la langue française et la langue arabe, entre l’Arabe et le Berbère, entre la tradition et la modernité, entre le retour aux sources et les valeurs universelles, notre peuple ne sait plus à quel saint se vouer. Notre société est meurtrie, profondément marquée par des années d’intolérance, d’exclusion. Elle est aujourd’hui déchirée. Les conflits de cultures, de générations, de statuts, de situations et d’intérêts ont rendu toute
communication
et
tout
dialogue
constructif
difficiles,
voire
impossibles. C’est l’absence de communication qui explique les cassures dans notre société, le manque de relais entre les générations et les couches sociales. Cette
absence
d’enrichissement
mutuel,
nous
en
connaissons
les
conséquences néfastes au niveau de notre université, de notre télévision, de nos médias et même de notre économie. Le
manque
d’une
orientation
culturelle
adéquate
est
dû
aux
exclusions, aux anathèmes, au terrorisme intellectuel qui tue la créativité et l’initiative. Il faut que l’Algérie cesse d’imiter. Il nous faut rompre avec tout complexe et être nous-mêmes. Nous devons être fiers de notre indentité, de notre passé, de notre histoire.
L’Algérie
doit
s’enrichir
de
sa
diversité,
savoir
gérer
les
composantes de sa personnalité. Nous avons su dépasser le régionalisme, l’esprit de clocher, les exclusions durant la lutte de libération. Le ciment de l’unité a fait vaincre la force l’ennemi. L’unité nationale est un bien précieux.
153
Les architectes de la Révolution Elle a été l’élément mobilisateur et la cause essentielle de notre libération nationale. Elle doit être préservée et renforcée. C’est cela la valeur principale du Ier Novembre :être d’abord Algérien. 2- Notre crise est aussi une crise politique : un manque de culture de l’Etat. La démocratie, après des années de parti unique, de monopole, d’un seul discours, était une étape nécessaire. Les conditions confuses qui ont présidé à sa mise en place expliquent le dérapage et l’aboutissement à une situation dans laquelle un parti voulait se servir de la démocratie et du pluralisme en utilisant les mêmes dirigeants ; nous sommes allés vers l’anarchie. L’arrêt du processus électoral était devenu une nécessité. L’utilisation de l’Islam à des fins partisanes et politiques, la démagogie aidant, ont réussi pendant quelque temps à trouver un impact auprès des exclus du système, des personnes marginalisées. A cela, il faut ajouter la complicité des sphères du pouvoir. Il devient aujourd’hui de plus en plus évident que la
collusion
existait
entre
le
parti
au
pouvoir,
l’intégrisme
et
malheureusement une certaine opposition partisane et intolérante. 3- La troisième crise est économique. On peut dire que, depuis 30 ans, l’économie de l’Algérie est passée par une phase d’étatisation à outrance, durant laquelle l’Etat s’est occupé de tout : de l’agriculture, du commerce, de l’industrie, du social, etc. Cette période a donné naissance à un Parti-Etat bureaucratique qui a paralysé le système, faisant de la majorité de notre peuple, des assistés, et d’une minorité, des privilégiés. A la suite de cela, on a pratiqué une économie libérale débridée. On est passé à la libéralisation à outrance. Le résultat, c’est un véritable chaos. L’économie algérienne n’a pas résisté à ces traitements de choc. Aujourd’hui, elle est malade et obsolète. Cette institution du CCN, dont le président attendait beaucoup, est la seconde
à
être
mise
en
place,
après
l’Observatoire
ces
droits
de
l’Homme, également institué dix jours avant et pour lequel Boudiaf n’a pas hésité un moment. Connaissant son parcours politique et celui de simple citoyen, je n’ai pas été étonné qu’il diligente l’installation de l’ONDH. Il voulait lui faire jouer un rôle actif.
154
Témoignage En
procédant
à
son
installation,
le
12
avril,
le
président
a
déclaré : "Dans l’étape actuelle de notre histoire, il est nécessaire de veiller au
respect des droits et des libertés fondamentales. J’affirme mon attachement à l’Etat de droit et aux valeurs démocratiques. J’ai exprimé à plusieurs reprises que l’arrêt du processus électoral ne signifiait pas
l’arrêt
du
processus
démocratique,
mais
une
mesure
nécessaire
pour
sauver la démocratie et son avenir dans notre pays. Je souligne qu’aucune garantie n’a été prise pour que les participants au jeu démocratique soient tous respectueux
de
personnellement
la
règle
à
ce
du
que
jeu
;
l’intégrité
c’est
ainsi
physique
que et
je
me
morale
suis
des
engagé
personnes
interpellées dans le cadre du maintien de l’ordre soit respectée". Il
autorisera
les
organisations
humanitaires
nationales
et
internationales à visiter les centres de sécurité.
Des propositions citoyennes Pragmatique, il voulait faire face et de suite au problème du chômage, qui touchait les jeunes. Au cours d’un dîner chez lui, en parlant de la jeunesse, il soulève le problème du désœuvrement et avance le terme de
hittiste, en disant que "notre vocabulaire n’avait pas à s'enrichir de termes qui ne font que nous déchoir et nous rappellent une image honnie du triste passé colonial. Il faut créer des emplois et ne pas s’embourber dans les procédures bureaucratiques. Comme il n’y a pas de sot métier, donnons une occupation, fut-elle temporaire, pour parer au plus pressé et réfléchissons tout haut sur toutes les possibilités de créer des emplois permanents. Si vous avez des idées, je suis preneur", dit-il. J’ai
consulté
deux
amis,
hauts
fonctionnaires
aux
ministères
de
l’Intérieur et de la Culture et de la Communication, en leur posant le problème. Ils acceptent tous deux de collaborer en me précisant qu’ils sont
bénévoles
revendiquent
ni
et
volontaires,
poste
ni
travailleront
promotion.
Ils
dans
avaient
l’anonymat du
respect
et
ne
et
de
l’admiration pour Mohamed Boudiaf depuis longtemps et ont salué son retour. C’est pourquoi je les avais sollicités. J’ai été bien inspiré car ils feront un travail remarquable. Nous nous sommes réunis au domicile de l’un
d’entre
eux
maintes
fois
et
avons
passé
en
revue
toutes
les
possibilités. Le cadre supérieur, qui avait exercé durant plus de trente années dans des wilayas et au ministère de l’Intérieur, avait connaissance de tous les rouages administratifs et dénichait également les sources de
155
Les architectes de la Révolution financement. Celui de la Communication et de la Culture rédigeait des fiches techniques avec force détails. Convaincus de l’utilité de leur apport, les deux amis travaillaient d’arrache-pied. Lorsque j’ai remis les premiers documents à Si Mohamed, celui-ci fut étonné et satisfait.Trois jours plus tard, il me fait appeler pour me dire que les idées sont très bonnes, "mais
demande à tes amis de me faire des synthèses". Il est vrai que les textes étaient
longs.
Les
deux
amis,
sachant
qu’il
y
avait
du
répondant,
redoublent d’ardeur et me remettent des suggestions intéressantes avec des textes plus allégés. Tout y passe, emplois temporaires à charge des communes, à charge des wilayas, de l’Etat, création de filières dans les centres de formation, décentralisation... Entre
autres
propositions
intéressantes,
celle
concernant
le
port
d’Alger et qui pouvait s’appliquer à Oran.Annaba et Skikda. Le port est un endroit par excellence de vol, de trafic, de passe-droit et de toute sorte de magouilles. Quand bien même d’honnêtes gens y travaillent, ils sont victimes de suspicion. Jusqu’ici, aucune autorité n’a pu y mettre de l’ordre. On a vu souvent des ministres se rendre au port pour dénouer certaines affaires scabreuses, il y eut même une descente d’un Premier ministre lors du fameux plan anti-pénuries (PAP). Et pour cause, il y a trop de pôles de direction, trop d’entreprises sous des tutelles différentes dont l’activité est liée au port. Il n'y a pas d’autorité suprême. Alors pourquoi pas un wali maritime qui chapeauterait, par une administration légère et non bureaucratique, toute cette mosaïque, pour ne pas dire ce patchwork
portuaire
?
Sans
s’immiscer
dans
la
gestion
interne
des
différents opérateurs, on arriverait à coordonner l’activité portuaire dans la
transparence
et
l’Etat
y
gagnerait
en
encaissant
les
justes
recouvrements, d’une part, et en désengorgeant le port de l’asphyxie que lui cause la bureaucratie, d’autre part. Les griefs concernant la gestion du port
sont
médicaments,
nombreux
:
pourrissement
engorgement, de
produits
surestaries, périssables,
péremption non
retrait
de des
marchandises par des entreprises publiques, retrait de marchandises ou de containers par des vivants au nom de morts... Par ailleurs, une autre proposition avait trait à la mise en place d’un wali de police à Alger pour soulager celui qui est en place, qui a un plan de charge trop lourd par ailleurs. Les préfets maritimes et préfets de police existent dans les grandes métropoles occidentales, alors que ces pays
ne
connaissent
pas
autant
de 156
problèmes
que
le
nôtre.
Donc
Témoignage soulageons le wali pour lui permettre de s’occuper entre autres des chantiers à l’arrêt, ce qui donnera du travail à des milliers de chômeurs. Une proposition relative aux documents administratifs des communes a
retenu
l’attention.
administrations
Il
faudrait
algériennes
pérenniser
nécessitent
un
certaines
pièces
renouvellement
car
sans
les
cesse.
Cela occasionne des frais à l’Etat et dérange les citoyens, sans compter le temps perdu pour tout le monde (employés et employeurs) et en dernier ressort coûte énormément au Trésor public.
Le Rassemblement Patriotique National (RPN) Le Rassemblement Patriotique National : le mouvement qu’on voulait est
un
grand
rassemblement
des
masses
populaires
qui
ne
devait
aucunement constituer un parti politique, mais une réunion d’Algériens venant de divers horizons et d’obédiences politiques diversifiées, cristallisés autour d’un programme de gestion limité dans le temps pour une sortie de crise. En somme, il s’agissait pour le RPN de préparer une plate-forme acceptée par tous pour l’instauration d’un Etat de droit érigé sur une base démocratique. Ce qui sous-entend une mise en place d’institutions acceptées par tous et qui permettent par la suite le libre jeu des partis, conformément à des principes établis et acceptés de tous. Ce projet rencontrera une opposition des partis MDA, PRA, MAJD, Hamas et PSA, le 26 avril, qui reprochent à Si Mohamed de faire du RPN un parti unique. Douze autres partis par contre rejoignaient le RPN après que leurs responsables aient été reçus par le président. Dans une allocution, Si Mohamed, l’initiateur du projet, s’est expliqué sur ses intentions : "Depuis près de cinq mois, nous nous sommes attachés à restaurer l’autorité de l’Etat, à rétablir la sécurité publique et la paix civile, à
tenter de relancer l’économie nationale. Il m’apparaît, au fur et à mesure que j’étudie les dossiers, que je rencontre les responsables, que j’écoute les citoyens qui me rendent visite, que l’Algérie a de nombreux atouts pour s’en sortir, ce qui a toujours été ma conviction profonde. Je citerai, pour fixer les idées : - Des ressources humaines riches en travailleurs et cadres de valeur, en
potentiel intellectuel et technique, en capacités d’initiatives et d’entreprises. - Des ressources naturelles importantes, minières et agricoles, et qui peuvent 157
Les architectes de la Révolution
être mises en valeur d’une façon plus systématique. - Des infrastructures, une base industrielles, des équipements qui ont certes besoin d’être entretenus et remis en état rapidement - Un capital de mobilisation et d’engagement pour peu que les enjeux soient
clairement définis, et que le projet comporte une vision d’avenir. Mais pour pouvoir agir, nous devons faire face à des difficultés et à des obstacles importants qui peuvent nous empêcher d’atteindre nos objectifs et peut-être même nous faire échouer dans notre tentative de redressement Je citerai les obstacles : - notre société s’étant peu à peu recroquevillée sur elle-même et semble s’être fermée au monde et au progrès, se laissant parfois entraîner par des idéologies rétrogrades qui sont allées jusqu’à créer des divisions au sein des familles elles-mêmes. - un débat politique abstrait et formel qui refuse de s’engager sur les vrais problèmes du pays, qui ne débouche pas sur des propositions d’action et dont l’objectif me semble être surtout la défense de situations personnelles. - un système de formation qui n’a pas su s’adapter aux besoins de notre économie et aux réalités d’une société moderne. - les tentatives de blocage de ceux, privilégiés, affairistes ou corrompus, partisans de l’ancien système qui sont farouchement opposés au changement Ainsi, les problèmes sont clairs, les solutions aussi. C’est pourquoi je m’adresse à vous aujourd’hui pour vous demander de m’aider à aller de l’avant en vous engageant personnellement à mes côtés pour créer la force politique capable d’imposer le changement radical auquel nous aspirons tous. Pour cela, il faut que dans chaque village, chaque quartier, chaque lieu de travail, se créent des comités du Rassemblement patriotique. Comme vous le constatez, l’heure est au choix ; on ne peut pas rester à attendre indéfiniment. On ne peut pas se contenter de demi-mesures. Il faut s’engager résolument dans le changement Comme au Ier Novembre 1954, l’Algérie a besoin de nous tous. Elle a besoin de la mobilisation de tous ses enfants. Pour que cet engagement soit clair, il se fera autour d’un projet national dont les grands axes sont : - premièrement : établir une démocratie pluraliste dans le cadre d’un Etat 158
Témoignage
droit
de
garantissant
le
multipartisme,
l’alternance
et
l’assainissement
des
mœurs politiques. -
deuxièmement : développer une économie moderne et ouverte sur le
monde, en bannissant l’économie de rente, en promouvant l’économie de marché, en redéfinissant le rôle de l’Etat et en revalorisant le travail. - troisièmement : construire une société solidaire et juste pour combattre les injustices, résoudre les problèmes du logement, lutter contre le chômage. Le projet de plate-forme qui sera soumis aux citoyens comporte les principes et les grands axes du projet national. Il est destiné à être discuté et enrichi dans le cadre des activités du Rassemblement patriotique. Le Rassemblement patriotique s’adresse aux partis politiques, engagés dans la voie du progrès et du changement, auxquels je tends de nouveau la main, comme je l’ai fait le 16 janvier dernier, à l’exclusion de ceux qui prônent la violence ou le retour en arrière. Je m’adresse à tous ceux qui veulent apporter leur contribution dans la phase historique dans laquelle nous sommes engagés. Je réaffirme que le Rassemblement patriotique ne sera pas le résultat de compromis opportunistes ou de marchandages politiciens. Il est ouvert sans exclusive à toutes les catégories sociales et à toutes les sensibilités politiques. Aux
organisations
et
aux
associations,
je
dirai
que
le
Rassemblement
patriotique n’est pas un parti politique, encore moins un parti unique. Il se veut un cadre de rencontre pour tous ceux qui croient aux potentialités du peuple algérien. Il doit constituer le socle sur lequel reposera le soutien à l’action du HCE et le moyen, pour ses membres, d’exercer à tous les niveaux un rôle de contre-pouvoir. Enfin,
à
tous,
hommes
et
femmes,
inorganisés
ou
victimes
de
marginalisation. Le Rassemblement patriotique offre un espace d’expression, de confrontation
des
idées
et
de
participation.
Le
Rassemblement
patriotique
œuvrera à l’émergence de cadres politiques honnêtes, voués au redressement du pays. Ainsi, la voie est tracée. Notre but est de rétablir la confiance entre la base et le sommet, ainsi que la confiance des Algériens en eux-mêmes et en leur pays. Aurons-nous le courage d’affronter la réalité ? 159
Les architectes de la Révolution
Aurons-nous assez de ressources pour dépasser nos divisions, et nous mobiliser pour la défense des valeurs nationales et de l’intérêt supérieur du pays ? Aurons-nous l’énergie nécessaire pour relever les défis que nous lance le monde d’aujourd’hui et donner à notre pays la place qui lui revient dans le concert des nations ? Saurons-nous saisir la chance historique qui se présente à nous aujourd’hui ? A toutes ces interrogations, la réponse est : oui. Nous y parviendrons dès lors que notre seule motivation, notre seul guide, notre seul mot d’ordre est : l’Algérie avant tout".
«L’Algérie avant tout» Un cri du cœur d’un septuagénaire, animé de nobles intentions, qui s’est voulu l’homme des ruptures : rupture avec un système sclérosé qui est arrivé à ses limites ; rupture avec les hommes qui ont mal géré les affaires du peuple et de la nation ; rupture avec les pratiques sélectives sectaires qui ont permis la constitution d’un lobby se substituant au monopole de l’Etat. Un cri du cœur d’un militant qui a trouvé du répondant auprès de la masse
juvénile,
qui
dans
un
premier
temps
était
sceptique,
voire
opposante, mais qui a découvert très rapidement que Boudiaf différait du sérail. Lui qui n’a pas hésité à condamner la "mafia politico-financière", disait tout haut ce que la voix du peuple pensait tout bas. Prenant
à
témoin
la
masse
populaire,
il
s’est
engagé
dans
un
programme qui aurait restauré la confiance chez les Algériens et tissé un lien
entre
gouvernés
et
gouvernants.
Pour
ce
faire,
il
comptait
lier
politique et morale en une seule entité. Il s’attela pendant 166 jours, malgré le poids des ans et une santé fragile, (sait-on qu’il n’avait qu’un poumon ?), à redresser la barre. Il s’est fixé trois grands axes : - la respectabilité de l’Etat - la tranquillité des citoyens - l’engagement d’un processus démocratique. 160
Le retour de Boudiaf .
Mo hamed Boudiaf SiTayeb El Watani Ă la villa Aziza.
Au maquis à El Gueddid, de gauche à droite : Cherif des Aurès, responsable du comité populaire, Dhina Mohamed, membre du comité populaire. Assis : Ahmed de Laghouat, Aïssa Kechida.
2 congrès des SMA, 10/12 septembre 1965, à Er-Riath. De droite à gauche : debout : Bouchekioua Younes, Rachid Tobbichi, Sadek El-Foul, Chenouf Lahcène, Chaoui Hamoudi. Accroupis : Ameur Rachid, Dahmane Rachid, Khemissa Amar.
De droite à gauche : Boukchoura Mourad, El Hadjim Kaddour.Aïssa Kechida, Rabah Bitat, Abderrahmane Didouche, Ali Medjkane., Kaci Abdallah Abderrahmane, Kaci Abdallah Mokhtar.
Zerdani Abdelaziz, un secrétaire de Krim et Boudiaf Hamid.
Guerras Abderrahmane, Boukchoura Mourad et Aïssa Kechida.
-.vr.sm
Le siège de l’étincelle «En cet endroit illustre, ont séjourné de nombreux militants et responsables de la Révolution de Novembre 1954, recherchés par la police française. Modeste boutique de tailleur, ce local fut cédé gracieusement par Aïssa Kechida, militant de la cause nationale, à la Direction de la Révolution, représentée par Mohamed Boudiaf qui en fit son quartier général. Il servit de poste de commandement à la Direction nationale, où se déroulèrent différentes réunions de l’état-major qui déclencha par la suite la Révolution de Novembre 1954, à l’issue de l’ultime réunion du 23 octobre 1954 tenue à Raïs Hamidou».
NaĂŽt Merzoug Abderrahmane, membre de la cellule logistique.
Abdallah Kechida.
Ahmed Allem, responsableFida.
Abdelouahed Messaoudi, membre de la cellule logistique.
Témoignage I! a fait renaître l’espoir. Ils l'ont assassiné. Il est vivant dans nos cœurs.
BEN M’HIDI : UN HOMME DU PEUPLE Le parti, ayant décidé la dissolution de l’OS, s’est attelé à rechercher et organiser des structures d’accueil pour les militants recherchés par les services de police. Ben M’hidi était parmi les premiers à être envoyés par la direction du MTLD chez moi pour y être hébergé. L’emplacement de mon local convenait à merveille car il permettait une surveillance des alentours et offrait une possibilité d’échapper aux descentes de police sans coup férir. Ben M’hidi s'installe donc dans ce local de tailleur et se remet au travail sereinement car l’endroit était sûr et, d’autre part, Larbi et moi étions amis de longue date. Il était satisfait de sa planque et heureux de me retrouver. On avait tapé ensemble dans le ballon lorsque Ben M’hidi fa sait ses études à l’Ecole primaire supérieure (EPS) de Batna. Ben M’hidi se remet donc en selle, profitant de la baisse de tension du climat répressif et du calme revenant peu à peu au sein des structures du mouvement nationaliste. Il reprend contact avec ses pairs pour évaluer les dégâts et faire le point de la situation mouvementée qu’ils viennent de connaître. Il
rejoint
l’Organisation
Politique
(OP)
où
on
lui
confie
la
responsabilité de la permanence de chef de daïra à Médéa, à Oran, à Mostaganem,
à
Sidi
Bel-Abbès
puis
à
Ain
Témouchent.
Dans
cette
dernière localité, un incident faillit mettre Ben M’hidi dans une situation critique. Alors qu’il déambulait en compagnie de Rabah Bitat, les deux amis sont arrêtés comme suspects et conduits au commissariat de police pour vérification d’identité. Ils réussissent à berner le policier chargé de cette vérification et se faufilent dehors avec un sang-froid remarquable. Vérification faite et identité découverte, c’était le branle-bas à la sûreté : les
deux
suspects
avaient
disparu
!
Alerte
!
Bouclage
de
quartier.
Recherche active dans la cité. Point de Ben M’hidi. Point de Bitat. Qu’on ne setonne point de cet épisode rocambolesque. Les deux militants
Les architectes de la Révolution étaient pourvus de vraies-fausses cartes d’identités : les cartes étaient vraies, les identités fausses. Et c'est le temps de cette vérification qui a permis à Larbi et Rabah de s’éclipser. Les cartes avaient été délivrées par les services spécialisés du parti. Après cette mésaventure, Larbi Ben M’hidi rejoint Alger et y demeure quelque temps, sans affectation. Durant cette période difficile pour les dirigeants, un malaise politique s’installe
au
sein
de
l'organisation
et
commença
à
perturber
ses
structures. Le mécontentement s’étend et gagne la base qui réagit mal. La grogne du soubassement du parti incite la direction de celui-ci à remodeler sa composante. C’est ainsi qu’un mouvement de permutations, des chefs de daïras entre autres, concerne Ben M’hidi qui se retrouva à Sidi Bel-Abbès. Quatre de ses compagnons sont mutés au sein de la Fédération de France : Boudiaf, ensuite Didouche, puis Guerras et encore Habachi. Ben
M’hidi
garde
le
contact
avec
Boudiaf
et
engage
une
correspondance suivie avec lui. Mostefa Ben Boulaïd et Larbi Ben M’hidi n’eurent de cesse de garder la liaison avec les responsables éparpilles à travers
le
territoire
national,
notamment
Rabah
Bitat,
Benabdelmalek
Ramdane, Boussouf, Belhadj, Souidani et d’autres "irréguliers". Ben M’hidi et Ben Boulaïd comblent le vide laissé par Boudiaf et s’acquittent commodément de ce poste de remplacement.
Larbi étudie La Casbah Ben
M’hidi
met
à
profit
la
période
passée
à'
La
Casbah
pour
approfondir sa réflexion sur les problèmes relatifs à la situation politique et sociale du pays. Il s’est même penché sur une étude concernant le domaine militaire. Il était friand de documentation sur le sujet. Il avançait des idées bien élaborées, en essayant de dégager une stratégie de guerre adaptée aux réalités algériennes. L’environnement de La Casbah lui sert de vivier et de laboratoire ; il cherchait à mieux connaître la mentalité et le caractère des gens de la cité dans toutes ses composantes. Il se penche particulièrement sur une frange de la population démunie qui s’est trouvée marginalisée et poussée maigre elle vers la délinquance. 162
T emoignage Mon magasin se situant dans un environnement où se côtoyaient différentes bandes de malfrats, Larbi, les croisant souvent, a à plusieurs reprises bandes.
des
discussions
avec
eux
et
notamment
certains
chefs
de
Larbi Ben M’hidi eut à réfléchir sur la possibilité de canaliser le courage et le comportement viril de ces individus qu’il avait observés à maintes reprises dans des affrontements entre bandes rivales. Ces rejetés de la société, pris en main par des doctrinaires du parti, peuvent être mis à contribution pour casser le cadre colonial. Dans l’esprit de Ben M’hidi, cette frange d’individus pouvait faire sa mue, transcender ses cloisonnements de bandes et se retourner contre le système qui en avait fait la lie de la société. Ces individus pouvaient se purifier en se rebellant contre le pouvoir qui les a marginalisés. Ben M’hidi réfléchissait sur la manière de les intégrer et les utiliser en les engageant dans des actions spectaculaires afin de créer un climat d’insécurité coloniale.
et
provoquer
la
psychose
au
sein
de
la
communauté
Il avait des idées bien arrêtées concernant la sélection des éléments, fractionnés en deux branches :1a première, constituée d'individus formés en groupes de choc. Cette branche devait exécuter les missions confiées à elle sans rechigner ni remettre en cause quoi que ce soit. L'important, selon lui, était d’expliquer clairement à ces éléments le bien-fondé de la chose. Une fois convaincus, nul doute qu’ils mèneront leur mission à bonne fin.
et
La seconde catégorie serait composée d'éléments à même de réfléchir de décider. Cette partie servirait d'apport à l’encadrement de
l’appareil
politique.
n’avaient
initialement
Ils
pourront aucune
à
leur
intention
tour de
recruter militer
des pour
gens un
qui parti
nationaliste. Ben M’hidi, en homme avisé, faisait très attention au contact avec les gens. Il ne heurtait personne de front. Il s’évertuait à convaincre. Ces dons de communicateur faisaient de lui un homme dont on cherchait et appréciait la compagnie. Il était jovial et humble ; il s'accommodait de n'importe quoi. Il a donné le
meilleur
exemple
dans
son
comportement 163
de
militant
et
de
Les architectes de la Révolution responsable. Il était pieux et tolérant. Par contre, lui, exigeait des autres, tant de lui-même, le sens de la discipline. Il estimait que le parti devait être jugé à travers le comportement de ses militants ; d’où une rectitude des actes, une rectitude de jugement. Ce qui n’exclut pas le côté bon vivant
de
Larbi
qui
aimait
faire
partager
son
exubérance
et
ses
plaisanteries avec ses amis. Pour évacuer son stress dû aux multiples problèmes liés à la vie du parti, il éprouvait un certain plaisir à écouter de la musique andalouse ; il affectionnait Fadila Dziria. Il s’offrait une place dse cinéma de temps en temps, faisait une partie de billard lorsque l’occasion se présentait ou tapait dans un ballon. En été, il descendait quelquefois en ma compagnie au môle Ras elmoul, au port d’Alger, pour se baigner. Il n’était pas gros mangeur, mais affectionnait les plats du terroir. Il ne rechignait pas à croquer des pâtisseries algéroises. Par contre, tantôt café, tantôt thé, par rasades successives, sont goulûment avalés, notamment lorsqu’il préparait ses rapports mensuels. A la fin de chaque mois, il faisait ses comptes pour équilibrer son budget. Il percevait I 2 000 francs d'indemnités de permanent. Il prend chaque mois le soin de prélever une partie de cette paie pour l’envoyer à son jeune frère "Brunot" Mohamed Tahar qu’il chérissait beaucoup. De même que Boudiaf, Ben M’hidi aimait sortir le soir, faire des randonnées avec moi. Dans nos discussions, maintes fois Larbi me relate les souvenirs de ses rencontres avec Abane Ramdane en 1949, période où ce dernier était responsable politique de la région de Sétif. Ce compagnon est devenu un de ses amis intimes. Larbi avait du respect pour Ramdane qu’il affuble du surnom allemand de "Hansen" à cause de sa coupe de cheveux à la brosse. Il le dépeignait comme un homme courageux qui avait un franc-parler, du tempérament et du caractère. Il y avait une convergence des points de vue des deux hommes sur bon nombre de problèmes. Larbi estimait que Ramdane avait une bonne culture politique et souhaitait ardemment que Abane sorte de prison avant le début de la révolution pour le faire participer aux préparatifs du déclenchement. Le congrès de 1953 n’a pas atténué la tension qui couvait et perdurait au sein de l’organisation. Le parti vivait une crise de croissance et les 164
T émoignage responsables de la direction n'étaient pas en mesure de préconiser de solutions adéquates. Les
militants
qui
protestaient
estimaient
qu’il
fallait
entamer
le
processus de la lutte armée et, par voie de conséquence, être à l'avantgarde
du
combat
libérateur
de
tout
le
Maghreb.
Un
sentiment
de
frustration gagnait la base, laquelle doutait maintenant des capacités des responsables à mener le combat. Constatant que le parti était entré dans une phase de décomposition, la base militante commence à rechigner et à bouger. Ben M’hidi est l’un de ceux qui incitèrent les militants de la base à faire pression sur la direction du parti pour l'obliger à adopter une voie révolutionnaire. En mars 1954, Ben M’hidi, avec Boudiaf (venu de France), Ben Boulaïd et Bitat, décident de créer le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA). Didouche n'était pas encore rentré de France, mais il entérinera l’idée du CRUA dès son retour. Il faut associer à la création du CRUA, outre les susnommés, deux membres du Comité Central : Dekhli Mohamed, le chef de l'organisation, et Bouchebouba Ramdane, le contrôleur général du parti. Le
groupe
des
Cinq
(Boudiaf,
Ben
Boulaïd,
Bitat,
Ben
M’hidi
et
Didouche) tira les conclusions de la situation générale et du malaise politique et décida alors de la tenue d’une réunion à El-Madania (ClosSalembier), dans la demeure du militant Lyes Derriche. Cette réunion regroupera vingt deux militants nationalistes et restera marquée à jamais dans les annales de l’histoire de l’Algérie. Mus par le même sentiment patriotique, ces 22 militants allaient sceller à jamais le destin d’un peuple et d’une nation. Ben M’hidi, qui avait assisté à cette mémorable rencontre, fut très actif. Par
la
suite,
il
engage
une
campagne
de
sensibilisation
et
de
clarification sur les différends au sein du parti par des rassemblements de militants à Notre-Dame d’Afrique, aux Tagarins, à El-Biar et dans d’autres quartiers et agglomérations de l’Algérois. Au cours de ses interventions, il apparaît comme un orateur qui avançait des idées claires, exprimant tout haut ce que les militants 165
Les architectes de la Révolution pensaient tout bas et attendaient des responsables. Dans son analyse, il sensibilise les militants à l’insurrection prochaine. C’est ce que voulaient les militants, c’est ce qu’ils attendaient. Les événements se bousculaient et la charge de ses responsabilités devenait de plus en plus pesante. Il était tout le temps sur la brèche. Voyant que son agenda allait être rempli, il entreprend d’aller visiter quelques membres de sa famille et des amis, convaincu qu’il ne lui sera plus loisible de les voir par la suite. C’est ainsi qu’il me demande de l'accompagner voir son oncle maternel, le médecin colonel en retraite Cadi Ali qui exerçait dans son cabinet, rue Ali Boumendjel, à Alger. Le médecin fut très étonné de voir son neveu qui était recherché par la police, lui qui le croyait en Egypte. Ils échangent bien des propos et l’ancien colonel avoua à son neveu son appartenance à l’UDMA et ses anciennes relations avec l’Emir Khaled qu’il dit avoir été son fidèle compagnon. Par la suite, Larbi rend visite à un de ses compagnons de l’EPS de Batna, le chirurgien-dentiste Salhi H'souna avec qui il avait disputé bien des parties de football dans les allées Bocca, aujourd’hui les allées Ben Boulaïd. Ben M’hidi avait le sens de la solidarité familiale et amicale. Il se replonge dans l’activité, dopé par l’enthousiasme des militants de base qu’il ne cessait de côtoyer. Dans ses recommandations et en abordant le problème de la confiance, Larbi Ben M’hidi, au cours d’une réunion ayant regroupé un grand nombre de militants, se donne en exemple en disant : "J’ai longtemps vécu parmi vous. Vous me connaissez et vous me voyez habillé de telle façon si demain vous me voyez costumé, vous êtes en droit d’exiger de moi des justifications pour connaître avec quels moyens j’ai pu faire cette nouvelle acquisition". Dorénavant, le militant ne doit plus avoir des oeillères comme par le passé. Il faut lui donner la possibilité de s’exprimer et de l’amener à réfléchir afin qu'il puisse, à son tour, convaincre et se sentir responsable de tout ce qu’il entreprend. Le groupe des Cinq, auquel s’adjoint Krim Belkacem, à qui ils ont fait appel, constituera l’état-major de ce qui sera appelé le FLN/ALN.
Ie '
Il entreprend la rédaction de l’appel au peuple et la proclamation du Novembre 1954. 166
Le retour de Boudiaf Il décide de la date du déclenchement de la lutte armée pour le Ier novembre 1954. Il adopte le principe de la collégialité et le choix des sigles de Front de libération nationale (FLN) et Armée de libération nationale (ALN). A partir de la réunion des 22 chez Derriche et celle, ultime, du 23 octobre chez Boukchoura, à Raïs Hamidou, ex-Pointe Pescade, les dés étaient jetés. Un tournant historique venait d’être amorcé grâce à la volonté d'une poignée d’hommes qui, militants engagés, ont toujours cru à la politique du parti et appliqué sans rechigner toutes les directives. Ils ont tiré la sonnette d’alarme car ils ne se sont jamais démarqués de la base militante qui piaffait d'impatience et n’attendait que le feu vert pour passer à l’action. Ces mêmes éléments, qui faisaient la navette d’un camp à
l’autre
tentant
Centralistes), courants,
de
réconcilier
réalisant
ont
pris
la
la
les
frères-ennemis
consommation
résolution
de
du
(Messalistes
désaccord
passer
outre
les
des
et
deux
structures
directionnelles, de casser le tabou du monopole politique partisan et de passer à l’action. Plutôt que l’étiolement, ils ont préféré l’étincelle. Et c’est à juste titre que Ben M’hidi déclarait : "Mettez la révolution dans la rue, elle
sera reprise et portée à bras-le-corps par tout un peuple". Cette prophétie a été partagée par tout le groupe décideur, pour s’ouvrir à toutes les sensibilités. Il a été fait appel à toutes les forces vives de
la
nation,
sans
exclusive
s’est
évertué
aucune,
pour
rejoindre
le
mouvement
insurrectionnel. Ben
M’hidi
à
appliquer
cette
conception
en
faisant
participer Abane Ramdane, dès sa sortie de prison en 1955, à cette oeuvre de rassemblement de tous ceux qui étaient épris de liberté et de justice,
qu’ils
soient
extrémistes
ou
réformistes,
progressistes
ou
libéraux, Européens ou juifs, riches ou pauvres, citadins ou ruraux. Qu’ils se fondent dans le même moule, qu’ils se retrouvent dans le même combat pour le recouvrement de la souveraineté nationale. Après la répartition des postes de commandement, Ben M’hidi est désigné à la tête de la Zone 5, à l’Ouest du pays. Il délimite sa zone de combat
en
sillonnant
l'Oranie
et
noue
des
contacts
avec
les
frères
combattants marocains en vue de coordonner les actions à l’échelle maghrébine.
167
Les architectes de la Révolution Connaissant
parfaitement
la
région
pour
y
avoir
passé
plusieurs
années, il s’efforce à mettre en place une structure solide pour en faire une zone de passage d'armes aux fins d’alimenter les régions qui en étaient dépourvues, de même qu’une zone de transit et de repos. Il déclenche une opération de grande envergure qui avait pour résultat l’incendie des fermes de colons. En une semaine, il y a eu bien des brasiers en Oranie. La presse d'alors ne pouvait passer sous silence l’événement et ses colonnes relataient les actions des "fellaghas". Ben M’hidi se rend au Maroc et en Egypte avec pour objectif l'installation d’une base logistique et la création des services de transmission qu’il confie à l’un de ses adjoints, Abdelhafid Boussouf. Ses qualités le désignent comme président de la réunion du congrès de la Soummam du 20 août 1956. Il sera élu membre du CCE du FLN/ALN. Entre autres décisions, le CCE décide l’autonomie de la Zone d’Alger, et Ben M’hidi prend la direction politique et militaire du CCE, assisté pour le politique de Abane Ramdane, Benkhedda Benyoucef et Saâd Dahleb ; pour le militaire, il sera secondé par Krkn Belkacem.
Suicide, dites-vous ? Ben M’hidi est arrêté en février 1957 par les paras de Bigeard dans un refuge chez des Européens, dans un appartement sis au 5, rue Louise de Bettignies, près de la rue Claude Debussy, à Alger. La soldatesque coloniale, sous la conduite d’un des officiers les plus zélés, arrache la vie, dans la nuit du 3 au 4 mars, à Larbi Ben M’hidi qui succombe sous la torture, mettant fin à un combat qu’il a mené durant toute sa vie. Son assassin, Paul Aussaresses, qui dirigeait alors les Renseignements militaires, de connivence avec Massu, couverts par la hiérarchie politique, accréditeront le suicide de Larbi Ben M'hidi. Au cours d’une conférence de presse, le 6 mars, Gorlin Michel, porteparole du gouverneur général Robert Lacoste, déclare : "Ben M’hidi s’est
suicidé dans sa cellule en se pendant à l’aide de lambeaux de sa chemise". Cette déclaration tiendra lieu de version officielle et la propagande française n'en démordra pas pendant quarante cinq ans. Le général Aussaresses, sans remords aucun, avouera, dans un livre paru sous le titre Services spéciaux. Algérie 1955/1957, et narrera avec 168
Témoignage forces détails comment il a donné la mort à Larbi. Sans état dame, il écrit : "Dans la nuit du 15 au 16 février 1957, Ben M'hidi est arrêté. Nous
avions obtenu son adresse qui relevait du secteur du régiment Bigeard, le 3e RPC. Ben M'hidi était, sans aucun doute possible, le commanditaire de tous les attentats et le principal protagoniste de la bataille d’Alger en sa qualité de numéro un du CCE (Comité de coordination et d’exécution), créé pour remplacer l’équipe de Ben Bella. Bigeard mit son prisonnier en confiance et le traita avec égards. La manière dont Ben M’hidi était traité n’était pas du goût de tout le monde. Massu avait nommé à son état-major le juge Berard, dont le bureau se trouvait tout près du mien et que je voyais souvent à la préfecture. Ce juge d’instruction, on s’en souvient, avait pour mission de tenir le cabinet de François Mitterrand, le garde des sceaux, directement informé de ce que nous faisons, sans avoir à passer par le parquet. Berard était très excité à l’idée de cette arrestation et ne cessait pas de m’en parler. - Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire de ce Ben M’hidi ? me demanda-t-il un matin. - Ce qu’on va en faire, ça m’est bien égal. Cen’estpas moi quil’ai arrêté et ce n’est pas mon affaire. Ça regarde Bigeard. - Mais il ne vous arrive pas de vous en occuper un peu, tout de même ? - Pourquoi donc ? -
Je voulais juste savoir si vous l’aviez fouillé.
- Ce n’est pas à moi de faire ça. - C’est bien ce que je pensais : si vous ne
l’avez pasfouillé, vous ne luiavez
pas enlevé sa pilule de cyanure. - Qu’est-ce que vous racontez ? -Voyons, fit Berard en appuyant bien chacun de ses mots, ce n’est pas à vous que j’apprendrai ça : tous les grands chefs ont une pilule de cyanure. C’est connu. Ce que me demandait Berard, qui représentait la justice, ne pouvait pas être plus clair. Je lui répondis sur le même ton. - Et à supposer qu’on le fouille, monsieur le juge, et qu’on ne trouve pas de pilule de cyanure : au point où nous en sommes, vous avez peut-être une idée de la boutique qui en vend car, voyez-vous, on a oublié d’en mettre dans mon paquetage. 169
Les architectes de la Révolution
Le magistrat resta imperturbable. - Alors ça, mon vieux, vous vous débrouillez. Vous êtes un professionnel. J’allai voir le docteur P., un chirurgien que Mayer et moi connaissions bien. Je savais qu’il était de toute confiance.Je dus lui expliquer que nous étions à la recherche de cyanure pour permettre à un haut dignitaire du FLN de se suicider. Il griffonna aussitôt un nom et une adresse sur un bristol. -Allez-y de ma part. On vous donnera ce qu’il faut. Muni de cette étrange ordonnance, je me rendis à l’adresse indiquée, une pharmacie d'Alger. Le pharmacien, un pied-noir, eut un léger sourire quand je lui fournis les explications qui s’imposaient. - Et vous êtes pressé ? - Non, non. Pas du tout. Absolument pas,, fis-je d’un air absent. - Alors repassez demain matin de bonne heure. Le lendemain, il me tendit une bouteille de poison d’environ 75 centilitres. - Ma/s ce n’est pas une bouteille qu’il me faut, c’est une pilule ! Je ne vais pas lui donner à boire ! - Démerdez-vous, c’est tout ce que j’ai. Vous n’avez qu’à bien le tenir : vous verrez ça ne pardonne pas. Ben M’hidi ne souhaitant pas collaborer, Bigeard ne pouvait ignorer les conséquences de ce refus. Bigeard refusait catégoriquement de le livrer à ses policiers, pensant qu’ils l’auraient certainement torturé. Le 3 mars 1957, nous avons longuement discuté avec Massu, en présence de Trinquier. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’un procès Ben M’hidi n’était pas souhaitable. Il aurait entraîné des répercussions internationales. - Alors, qu’en pensez-vous ? me demande Massu. -Je ne vois pas pourquoi Ben M’hidi s’en tirerait mieux que les autres. En matière de terrorisme, je ne suis pas plus impressionné par le caïd que par le sous-fifre. Nous avons exécuté plein de pauvres diables qui obéissaient aux ordres de ce type, et voilà que nous tergiversons depuis bientôt trois semaines ! Juste pour savoir ce que nous allons en faire ! -Je suis entièrement d’accord avec vous, mais Ben M’hidi ne passe pas inaperçu. On ne peut pas le faire disparaître comme ça. 170
Témoignage
-Alors, laissez-moi m’en occuper avant qu’il ne s’évade, ce qui nous pend au nez si nous continuons à hésiter. Et bien, occupez vous-en, me dit Massu en soupirant. Faites pour le mieux, je vous couvrirai. Je compris qu’il avait le feu vert du gouvernement. C’est moi qui ai récupéré Ben M’hidi la nuit suivante à El-Biar. Bigeard avait été prévenu que je prendrai en charge son prisonnier. Il s’était arrangé pour s’absenter. Je suis arrivé avec des jeeps et un Dodge. J’avais une douzaine d’hommes de ma première équipe, armés jusqu’aux dents. J’ai fait monter Ben M’hidi précipitamment dans le Dodge. Nous avons roulé à toute allure. Nous nous sommes arrêtés devant une ferme isolée qu’occupait le commando de mon régiment. C’était à une vingtaine de kilomètres au Sud d’Alger, à gauche près de la route. La ferme avait été mise à notre disposition par un pied-noir. Le bâtiment d’habitation était modeste et ne comprenait qu’un rez-de-chaussée. Ma seconde équipe m’attendait là-bas. Le commando du Ier RPC comprenait une vingtaine d’hommes. Certains étaient des appelés. Mais des hommes de confiance. Le capitaine Allard ditTatave en était le responsable. Il m’était très dévoué et je lui avais expliqué ce qui allait se passer. De ce fait, l’officier présent était briefé.Je lui ai dit qu’il fallait que ses hommes aménagent un coin pour installer Ben M’hidi. La ferme ne s’y prêtait pas. Il fallait donner un coup de balai, déplacer des bottes de paille. Pendant ce temps, nous avons installé le prisonnier dans une pièce déjà prête. Un de mes hommes se tenait en faction à l’entrée. Une fois dans la pièce, avec l’aide de mes gradés, nous avons empoigné Ben M’hidi et nous l’avons pendu, d’une manière qui puisse laisser penser à un suicide. Quand j’ai été certain de sa mort, je l’ai tout de suite fait décrocher et transporter à l’hôpital. Il était à peu près minuit. J’ai appelé aussitôt Massu au téléphone. - Mon général, Ben M’hidi vient de se suicider. Son corps est à l’hôpital. Je vous apporterai mon rapport demain matin. Mossu a poussé un grognement et a raccroché. Il savait bien que mon
rapport était prêt depuis le début d’après-midi, histoire de gagner du temps. Ce rapport, le juge Berard avait été le premier à le lire. Il décrivait dans les moindres détails le suicide qui se produirait la nuit suivante. Berard était impressionné. - /Mois c’est très bon ça ! Mais vous savez que ça tient l'eau." 171
Les architectes de la Révolution On remarquera que Aussaresses affirme qu’il a compris que Massu
"avait le feu vert du gouvernement". Dans un livre intitulé Histoire du FLN, Jacques C. Duchemin publie un fac-similé d'un certificat médical que nous reproduisons in extenso.
Nous soussignés, médecin-lieutenant Bloch Pierre et médecin-aspirant Hudelo Jean Déclarons avoir vu, à son arrivée, le corps de monsieur Larbi Ben M’hidi, et constaté que son décès était survenu avant son arrivée à l’hopital militaire Maillot, le 4 mars 1957. Notre attention n’a pas été attirée par des marques apparentes de blessures. Alger, le 16 mai 195 7 Médecin-lieutenant Bloch Pierre, médecin-aspirant Hudelo Jean Signature
Signature
Mention manuscrite Alger 16 mai 1957 Cachet rond portant mention médecin chef Il faut noter que ce document est daté du 16 mai, alors qu’il relate un fait datant du 4 mars ! Aussaresses,
Massu,
Berard,
Allard
dit
Tatave...
et
d’autres
dans
l’ombre (François Mitterrand était ministre de l’Intérieur) mettaient fin au combat d’un des pionniers de la révolution. Le combat de Ben M’hidi prit son départ à Biskra, où il trouva dans le mouvement des Scouts musulmans algériens (SMA) une pépinière de jeunes sensibilisés au nationalisme. Au sein du groupe Erradja, avec des patriotes convaincus, à l’instar de Tayeb Kherraz, Alloui, Azza, Diha Ahmed... il prend en charge tour à tour les louveteaux et les éclaireurs pour les initier aux techniques scoutes et leur inculqua l’amour de la patrie. Quant aux routiers de plus de 16 ans, il les sensibilise au fait colonial avec tous ses méfaits. Il développe dans l’esprit de ces jeunes scouts la fibre nationaliste et fut, plus tard, très fier de constater que 172
Témoignage beaucoup de ces élèves avaient rejoint le maquis. La graine avait germé et engendré les fruits escomptés. Pour la jeunesse, il demeure un exemple d’abnégation et de courage. Son sacrifice est un message pour les générations futures afin qu’elles prennent conscience de la nécessité de lutter pour l’honneur du pays, la justice sociale, le respect de la personne humaine dans une Algérie souveraine.
BOUKCHOURA MOURAD : UN MILITANT ENGAGÉ S’il est un ami que j’ai bien connu, c’est bien Mourad Boukchoura. Et parler de lui au passé m’émeut et m’est assez douloureux car, pendant plus de cinquante ans, nous avons milité ensemble, côtoyé ensemble les militants les plus humbles et tous les leaders du mouvement national. Nous avons été emprisonnés ensemble et mangé dans la même gamelle. Plus qu’un compagnon ou un ami, Mourad était pour moi un frère. Ce fut un grand homme passionnément amoureux de son pays et je me dois de lui
rendre
hommage.
Quelle
meilleure
révérence
sinon
celle
de
témoigner, le dépeindre sans fioriture aucune et révéler partiellement une vie tumultueuse et débordante d’un patriote engagé pour un idéal auquel il a toujours cru et pour lequel il a tant donné. Dire ce qu’il était, ce qu’il a fait... tout simplement. Né en 1922, Mourad est issu d’une modeste famille. Très jeune et précocement, il prend conscience de la condition sociale et politique de l’indigène qu’il était et, à travers lui, de celle des jeunes en particulier, et du peuple en général.
Un scout comme tant d’autres En 1942, Mourad entre dans le mouvement associatif le plus conforme et le mieux indiqué à son idéologie : le scoutisme musulman algérien, école de patriotisme par excellence. Il opte pour le groupe scout El-Widad de Bologhine où il comptait quelques amis. La pratique du scoutisme consolide ses penchants nationalistes et lui permit
de
côtoyer
des
frères
scouts,
et
notamment
Adjimi
Abderrahmane, Drarini Mohamed et Sifi Mustapha, auprès desquels il décela l’amour de la patrie et le sens aigu de la fraternité et de la solidarité. 173
Les architectes de la Révolution Toujours sur la brèche, il contribue par sa fougue et son altruisme à former des louveteaux, des éclaireurs et des routiers qui lui vouèrent respect et admiration. Il retrouvera plus tard beaucoup de ces jeunes scouts engagés dans la lutte de libération. En 1944, le jeune chef scout Boukchoura adhère au Parti du peuple algérien (PPA) et milite dans la cellule de son quartier à Fontaine-Fraîche (commune de Oued Koriche). Il est très actif et c'est tout naturellement qu’il est associé à la préparation du défilé et des manifestations des Ier et 8 Mai 1945. Son compagnon Ziar Abdelkader, assassiné, était l’un des premiers martyrs. En 1946, au vu de ses capacités et de sa compétence, le parti le charge d’organiser et de structurer, avec l’aide de son frère Madjid, militant dévoué lui aussi, le littoral, précisément la région Ouest d'Alger, de Bologhine
à Zéralda.
Il
s'acquitte honorablement de la mission sous
l’égide de Smaïli le tailleur, puis de Didouche Mourad dit Abdelkader. Mourad, pour mener cette tâche d'extension et de renforcement de l’organisation du parti à bonne fin, a activé conjointement avec des compagnons, notamment : - Madaoui Hocine, adjoint au maire dans la municipalité en tant qu’élu du MTLD - Bourouiba Boualem, conseiller municipal (MTLD) et responsable de la section syndicale à la CGT -
Drarini Mohamed, responsable PPA et responsable de la section
syndicale des postiers - Sifi Mustapha, compagnon et dirigeant du club sportif OMSE (chahid arrêté par les paras et mort sous la torture). Au
deuxième
détaché
auprès
semestre de
de
l’année
l’Organisation
1947,
Spéciale
Mourad (OS)
Boukchoura
dans
un
est
groupe
paramilitaire. Il passe ses épreuves avec courage et tact. Son sens du discernement était admirable. A telle enseigne qu’il est désigné comme responsable du groupe au sein de cette structure. Il
accomplira
son
devoir
de
militant
engagé
sans
réserve,
discipline et discrétion jusqu’à la découverte de l’OS par les services de
174
avec
Témoignage sécurité français. En 195 I, le parti prend la décision de dissoudre l’OS et ordonna à ses militants de rejoindre les structures de l'Organisation Politique. Là, Mourad avait la charge, avec un groupe de ses compagnons, d’encadrer
les
associations
proches
du
parti,
en
l’occurrence
le
mouvement des Scouts musulmans algériens, les medersas libres du parti (Essabah, El-Intissar et El-Khaldounia). Après la création du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA) en mars 1954 par Boudiaf et Ben Boulaïd, Mourad était parmi les militants chargés de la diffusion du Patriote, organe de ce mouvement, dans le but de sensibiliser et/ou de recruter les éléments susceptibles de s’engager dans l’action armée. Les aires de diffusion étaient réparties comme suit : - El-Hadi Badjarah et Kassab Nadir pour Kouba - Messaoudi Abdelouahed pour El-Biar -
Naït-Merzoug
Abderrahmane,
Zergaoui
Mustapha
et
moi-même
pour Alger-Centre - Belouizdad Athmane pour Belcourt -
Kaci-Abdallah Abderrahmane et Saïd Haies pour La Redoute (El-
Mouradia) - Boukchoura Mourad et Boukchoura Madjid pour la Pointe Pescade (Bologhine). Après la réunion des 22, Boudiaf et Ben Boulaïd étaient convaincus que la scission du parti était effective et inévitable. Toutes les tentatives et
démarches
en
vue
d’une
réconciliation
des
deux
tendances
antagonistes, messaliste et centraliste, pour la tenue des assises du congrès en vue de la résorption de la crise, avaient lamentablement échoué. Ils
préconisent
territoire
national.
d’élargir
leurs
contacts
Mourad
Boukchoura
et
était
liaisons parmi
en
ceux
dehors qui
du
avaient
permis d'entrer en contact avec les représentants en Egypte : le Comité 175
Les architectes de la Révolution du Maghreb arabe. Mourad interpelle son beau-frère Ahmed Mezghena, bras droit de Messali et président du MTLD. Mezghena invite Mourad à demander à Mohamed Boudiaf de prendre attache avec Ahmed Ben Bella à l’hôtel Symplon, à Berne (Suisse).
Sur la brèche Pendant la période des préparatifs du déclenchement de la révolution de Novembre, Mourad mettra son magasin de maroquinerie, situé à la rue Mulhouse, ainsi que sa demeure sise au 24, rue Comte Guillot, à Pointe Pescade (Bologhine), à la disposition du CRUA. Dans sa demeure, logeaient deux familles de seize personnes, dont bien des enfants en bas âge. Sa maison avait abrité les principaux responsables de l’état-major. Pour l’histoire, on retiendra que c’est dans cette maison qu’eut lieu la réunion fatidique du 23 octobre 1954 où fut décidée la création du FLN/ALN et arrêtée la date du déclenchement de l’étincelle du Ier Novembre 1954. Ce 23 octobre, dans une chambre à côté de celle où les six historiques conversaient,
Mourad
Boukchoura,
son
frère
Madjid
et
moi-même
patientaient. Mourad est arrêté au début de novembre 1954. A sa libération, il reprend ses activités clandestines dans les moments les plus difficiles, après la Bataille d’Alger, à la suite de la grande répression qui avait sévi sur Alger par les tortionnaires parachutistes du général Massu. A cette époque, il y a lieu de préciser qu’après la destruction des réseaux de la Zone autonome, toutes lesWilayas avaient implanté à Alger des réseaux qui relevaient des commandements de leur région. Mourad prit contact avec Ahmed Zehouane, chargé par Krim Rabah, chef de zone de la Wilaya III et frère de Krim Belkacem, de recruter des éléments
pour
la
logistique
:
les
liaisons,
les
boîtes
postales
et
l’acheminement de tout ce dont avait besoin le FLN/ALN. A ce titre, Mourad se met en relation avec des militants exerçant à la radio avec le concours de El-Hadi Badjarah, dont le père faisait partie de la troupe artistique de l'Opéra. 176
Témoignage Avec l'apport de Hassan El-Hassani, Tayeb Abou El-Hassan, Hamid Nemri,
Tahar
Benamor,
journaliste
à
la
radio,
ils
purent
réunir
et
constituer un groupe de douze techniciens radio que Ahmed Zehouane avait
acheminés
au
maquis
pour
renforcer
les
éléments
formés
à
l’extérieur et envoyés pour servir dans les unités de transmissions de l’ALN. Mourad fut très actif également dans l’acheminement des éléments intellectuels qui ne pouvaient exercer dans les structures mobiles et actives en raison de leur âge ou de leur état physique, à l’exemple de Moufdi Zakaria qui venait d’être libéré de prison et qu’il fallait passer à l’extérieur, en transitant par le canal de l’organisation de l’Ouest, vers le Maroc. En 1958/59, Mourad participe à la préparation de la constitution de la Zone 6 de laWilaya IV avec quelques compagnons de prison, à leur tête le chahid Ahmed Allem qui fut plus tard grièvement blessé dans un barrage de gendarmerie et achevé par la soldatesque française. En 1962, au moment de la confrontation avec les forces destructrices de l’OAS, il s’occupe de l'intendance des hôpitaux FLN où les citoyens morts et blessés se comptaient par dizaines. A l’indépendance, avec beaucoup d’humilité et conscient du devoir accompli,
il
propositions
retourne de
postes
à
son
échoppe
dirigeants
dans
de
maroquinier,
les
rouages
de
refusant l’Etat
et
des de
l’administration. Il milite un temps dans les rangs du FLN et connut certains déboires relatifs à son attachement à Boudiaf, dissident. Quand ce dernier lui propose d’adhérer au PRS (Parti de la révolution socialiste), Mourad, à l’instar de moi, refusa poliment. Excédé par les agissements de certains de ses anciens compagnons, engagés avec Ben Bella, il se retire de la politique et se consacrera à son métier de maroquinier. Il meurt le 15 octobre 1991 et repose au cimetière El-Kettar. Que dire de Boukchoura Mourad... C’est le chef scout et le militant de la
cause
nationale,
toujours
sur
la
brèche,
imprégné
d’idéaux
lesquels il ne s’est jamais départi, lui qui a côtoyé les initiateurs de 177
pour
Les architectes de la Révolution Novembre, lui qui a partagé la gamelle des militants emprisonnés, lui qui a harangué les foules, lui qui a soigné les blessés sanguinolents, lui qui a soutenu la veuve et l'orphelin, lui qui n'a jamais eu le temps de serrer ses enfants contre son épaule, lui qui, simplement, disait au crépuscule de sa vie : "J’ai fait mon devoir".
178
ANNEXE I
Historique du siège de la Direction de la Révolution sous la responsabilité du coordinateur Mohamed Boudiaf
Nous
sommes
en
découvrent
l'existence
paramilitaire
du
parti
mars de
1950.
Les
forces
l'Organisation
PPA/MTLD,
le
coloniales
Spéciale
Parti
du
peuple
(OS),
françaises structure
algérien
et
le
Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, chargée de préparer l'action armée de la lutte de libération nationale. Au mois d'avril 1950, la direction du parti initie le recensement de quelques locaux commerciaux ou habitations pouvant servir de refuges aux éléments qui avaient échappé aux arrestations de la police coloniale. C’est ainsi que le choix de Mohamed Boudiaf dit Si Tayeb el-Watani, s'est porté sur le local situe rue Barberousse.au n°6,à la Haute-Casbah, Sidi Ramdane, à Alger, appartenant a Aïssa Kechida, tailleur de son métier, militant du parti dans la structure de l’OS. Ce lieu d’hébergement est relativement peu spacieux, composé d’un magasin et d’un atelier, avait l’avantage de posséder deux issues, l’une donnant sur la rue Barberousse et l’autre sur la rue Katarougil. Ce qui assurait une certaine sécurité en cas de descente de police. Par le canal de l’organisation du parti, le rescapé du coup de filet du mois de mars 1950,
Mohamed
Boudiaf,
en
tant
que
membre
de
l’état-major
de
l'Organisation Spéciale, est chargé de récupérer et prendre en charge ceux qui étaient appelés "les irréguliers", c’est-à-dire les recherchés par la police française qui se trouvaient un peu partout sur le territoire national. Au mois de juin 1954 et après la création du Comité révolutionnaire pour l’unité et l'action (CRUA), les préparatifs du déclenchement de la guerre de libération nationale étaient bien avancés. Il fallait à Mohamed Boudiaf un milieu de quiétude et de sérénité pour mieux réfléchir à la conception d'une stratégie politique et militaire.
179
Les architectes de la Révolution Il sollicite son ami Aïssa Kechida, militant et propriétaire du local.de le lui
céder
totalement.
Ce
dernier
l’offrit
gracieusement
à
Mohamed
Boudiaf qui en fit son siège et le quartier général de la direction de la révolution. Ce local, qui a abrité nombre d’irréguliers, a été un point de rencontre de beaucoup de leaders. Il verra notamment les réunions des cinq architectes Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Bitat et Didouche, qui seront rejoints par Krim Belkacem. C’est au 6, rue Barberousse que ce noyau de révolutionnaires mit au point
les
dernières
retouches
au
déclenchement
de
Novembre
1954.
L’acte final sera décidé le 23 octobre 1954 chez un militant de toujours, Boukchoura Mourad, au 24, rue Bachir Bedidi (ex-Comte Guillot), Raïs Hamidou (ex-Pointe Pescade). En 1956, l’armée française détruit à l’explosif le premier siège du commandement de la révolution algérienne. Il ne restera de l’atelier du tailleur, de l’atelier de la révolution, qu’un tas de pierres sur la placette. Parmi les acteurs de la guerre de libération nationale qui ont transité ou pris refuge au 6, rue Barberousse, il y a eu : - Mohamed Boudiaf - Mohamed Larbi Ben M’hidi - Mourad Didouche - Rabah Bitat - Abdeslam Habachi - Mohamed Mechati -Abderrahmane Guerras - Boudjemaâ Souidani - Mohamed Benmokadem - Mohamed Khider - Ramdane Benabdelmalek -Abdelhafid Boussouf. 180
Annexes A cette liste non exhaustive, s'ajoutent d'autres éléments qui n’étaient pas recherchés à l'époque, c’est-à-dire en 1950 ; on peut citer, entre autres : - Mostefa Ben Boulaïd - Saïd Bouali - Slimane Mellah. Afin que nul n’oublie la devise "L’Algérie avant tout" du martyr Boudiaf ; Afin que son image demeure vivante ; Afin que les enfants des militants ayant transité au 6, rue Barberousse gardent un souvenir impérissable du passage de leurs parents ; Afin que la liberté découvre son lieu de conception ; Il importe que ce haut lieu de la révolution soit réhabilité et classé monument historique.
181
Les architectes de la RĂŠvolution
Lettre manuscrite de Boudiaf Ă Kechida
182
Annexes
ANNEXE 2
Lettre de Boudiaf à Kechida
Le I4 octobre 1990 Très cher Aïssa ; Mon frère m'a demandé de te communiquer le double de la lettre que j’ai
envoyée à Bouadjadj. Or il se trouve que je ne garde pas de double de mes lettres, que j'écris d’ailleurs à la main, comme
celle<i.
Premièrement, je voudrais te dire un grand merci pour ce que tu as fait,toi, dans ton témoignage au journal Echaâb («Minbar ettarikh») où tu as mis les points sur les i, contrairement à beaucoup qui non seulement n’ont pas eu le courage de dire toute la vérité, ont cherché souvent à la déformer. Avec Bouadjadj, voici ce qui s’est réellement passé. L’année passée, j’ai eu la visite de Athmane Belouizdad. Nous avons discuté un bon moment et il est rentré. Quand Haya m’a longuement interviewé, il a décidé de toucher beaucoup d’autres gens. J’ai commencé à craindre qu’il allait s’empêtrer dans des récits plus ou moins fantaisistes et que cela allait tout fausser. J’ai décidé d’écrire à Bouadjadj et à Belouizdad pour leur demander de parler d’une même voix concernant les 22, lettre gentille où j’ai insisté que si Derrich n’avait pas été désigné pour siéger, il a tout de même voté et qu’il faut lui reconnaître au moins le courage d’avoir mis à notre disposition sa maison. En réponse à ma demande de consolider l’assise des 22,
j’ai reçu une
réponse où ilest
question de perplexité, de tentative de violer
l’histoire. Hors de moi, j’ai dit à
Bouadjadj ce que je pense de son silence au moment où il siégeait au FLN et de son silence devant le véritable viol de l’histoire de Ben Bella et consorts. Le malheur, mon cher Aïssa, c’est que chacun, après l’indépendance, s’est vu le détenteur de la vérité historique, alors que certains n’étaient que des figurants. C'est cela la vérité, et je n’ai pas l’habitude de mentir quand il s'agit de pareils événements.
183
Les architectes de la Révolution
Bien sûr, les gens peuvent se tromper, faillir, mais ce qu'il faut combattre sans défaillance, c’est la lâcheté, laquelle est contagieuse, et cette contagion a obscurci, pour toute la génération des jeunes qui sont l'immense majorité, la vérité sur les véritables origines du Ie' Novembre Ceci dit, je suis personnellement satisfait du résultat du travail fait par Si Moh Abbés, Haya Djelloul et bien d’autres qui sont avides de connaître la vérité. Nous sommes en droit de nous dire que l’Algérie vient d’effectuer un pas en avant, dans le bon sens. Le nombre de correspondances que je reçois sont le signe d’une résurrection que plus personne ne pourra arrêter, el hamdou lillah. J'attends de te lire pour connaître ton point de vue en qualité de militant qui a su, contrairement à beaucoup, garder la tête froide et le jugement serein. Bien le bonjour à tous ceux qui, aujourd’hui et demain, se considèrent comme des artisans et des militants, toujours prêts à faire avancer la vérité, envers et contre tous. Affectueusement Mohamed Boudiaf 2, Bd Chakib Arslan Kenitra (Maroc)
184
Annexes
ANNEXE 3
Discours testament prononcé par le présidentBoudiaf le 29 juin 1992 à Annaba
Ce que je vais dire là, s’adresse aux jeunes. Je suis passé devant des galeries et j’ai vu ce dont ils sont capables. Notre devoir est d’encourager ces jeunes. L’un des objectifs et l’une des priorités est de travailler avec eux car ce sont eux l’avenir du pays. Aussi, nous demandons à cette jeunesse de s'organiser, comme nous demandons aux cadres, au plus haut niveau de l’Etat, de manifester de l’intérêt à cette partie de la population et de l’aider en vue de sa promotion et son bien-être. De leur côté, les cadres ont un grand rôle dans le développement du pays, du fait qu’ils possèdent des connaissances. Leur apport est appréciable. L’économie
du
pays
est
passée
par
deux
étapes.
Le
socialisme
constituait la première expérience. Nous savons ce qui en est sorti. Cependant,
c’est
certain,
il
a
donné
quelques
résultats...
Passons
rapidement sur ça, on n’est pas là pour critiquer... Aujourd’hui, il faut être réaliste avant toute chose. Et notre réalité est connue. Ce qui est encourageant,
c’est
que
l’Algérie
dispose
de
compétences
et
de
richesses. En 30 ans, elle a formé des hommes, des jeunes cultivés et des cadres compétents. Ces richesses, qui sont agricoles, minières..., auraient pu permettre à l’Algérie d’avoir un statut.de se développer et surtout de sortir de la crise dans laquelle elle se débat car l’Algérie est en crise. N’ayons pas peur de le dire. Quelles sont les causes de cette crise ? Cette réunion n’est pas le lieu pour les passer en revue. Aujourd'hui, nous sommes face à une crise. La dette est lourde, des projets sont moribonds, dans le secteur du bâtiment, par exemple, et comme dans tant d’autres secteurs encore. J’ai visité aujourd’hui, avec les autorités de cette wilaya, les réalisations ainsi que les projets qu’elles veulent réaliser. L'Algérie possède les compétences et les capacités pour sortir de la crise actuelle. 185
Les architectes de la Révolution Quant à l’orientation économique du pays, elle est aujourd’hui claire. Après le socialisme, c’est l’heure de l’expérience libérale, de l’économie de marché. Je ne suis pas un spécialiste en économie, mais je voudrais clarifier
certaines
choses.
Dans
le
pays
existent
deux
secteurs
économiques, i’un public et l’autre privé. Il faut assainir le secteur public. Cet assainissement, il faudrait que nous y allions d’une façon décidée. Le secteur public comprend deux parties : l’une en mesure de se redresser, que
l’Etat
s’engage
à assister
et
à assainir
pour qu’elle
puisse se
développer et donner des fruits. L’autre partie se trouve dans une grande faillite. A celle-ci, il faut également trouver une solution. Le secteur privé doit
nouer
des
relations
avec
le
secteur public.
Nous
avons appris
qu’auparavant ils étaient antagonistes. Ce n’était ni dans l’intérêt de l’économie nationale, ni dans celui du pays. Il y a aussi les fonds de participation. Ceux-ci doivent être un instrument de redressement et d’assainissement, de promotion de la production nationale et d’aide aux projets productifs. La production est le fruit des matières premières et de la main d’œuvre. Dans les années précédentes, certains Algériens attendaient tout de l’Etat. L’Etat leur donnait tout. Mais cet Etat n’a pas les moyens de donner à tout le monde. Il y a par exemple certaines couches - et je ne dis pas que le peuple algérien et la jeunesse ne travaillent pas et ne fournissent pas d’efforts, loin de moi cette idée - mais il y a des gens qui vivent dans le désœuvrement. Ils refusent tel ou tel travail. Or nous savons que la main d’œuvre est le premier facteur de progrès et de développement. Au commencement se trouvent les idées et le travail. Les peuples qui ne fournissent pas d’efforts, qui ne travaillent pas et n'avancent pas, régressent. Cela est incontestable. Il y a un autre problème, celui des impôts et du système fiscal. Les impôts sont indispensables. Ce n’est pas pour remplir ses caisses que l’Etat les prélève, mais c’est pour corriger certaines choses. Il faut comprendre que la finalité des impôts et du système fhc?!, n’est pas de pénaliser, mais au contraire d’établir des équilibres. Aussi, si nous entrons en économie du marché, il faut accepter certaines règles. Par exemple, notre démarche est de faire en sorte qu’un ministre ou n'importe qui d’autre ne travaille pas isolément, mais en collaboration 186
Annexes avec les hommes de terrain concernés, en vue de meilleurs résultats. Comme notre démarche vise à promouvoir le progrès et l’intérêt national, je pense que tous les Algériens sont des patriotes, mais il faut que les cadres comprennent une chose, il existe des intérêts personnels, cela est indéniable, mais si nous faisons de ces intérêts personnels, le stimulateur et le moteur de l’humanité, la société ne se développerait pas. Aussi, j’attends de l’assistance, des cadres et de tous les Algériens, de ne jamais perdre de vue que l’intérêt général doit être au-dessus des intérêts personnels. On l’a constaté durant le mois de Ramadhan. Durant ce mois, on avait demandé au ministre concerné de veiller à empêcher la hausse des prix. C’est un phénomène en Algérie, dès qu’arrive le mois de Ramadhan, les prix montent au ciel. Il faut étudier d’où provient tout cela. Il y a une classe d’Algériens qui, pour leurs intérêts personnels, font flamber les prix, sans soucis des pauvres et des citoyens à faible revenu. Nous ferons la guerre à ces maux et à ces gens qui ont dévié et qui ont placé leurs intérêts au-dessus de l’intérêt national. Tout ce que je dis là ne sont que des notes sur lesquelles je voudrais insister. Autre chose : telle année par exemple, on parle de construire 60, 70 ou 80 000 logements.Vient la fin de l’année, aucun bilan n’est dressé. Or les bilans sont nécessaires. Il faut évaluer ce qui a été réalisé et ce qui ne l’a pas été parce que telle ou telle matière manquait. Cette évaluation permet d’apporter des correctifs. Il y a un autre problème crucial, celui des cadres. Des pratiques destructrices sévissent en Algérie. J’ignore si elles ont cours ailleurs, peutêtre ! Il s’agit de remerciements de cadres compétents et de travailleurs auquel procède systématiquement tout nouveau ministre. Il faut protéger ces forces vives de la nation. Dans ce but, nous allons promulguer une loi qui protégera et rassurera les cadres afin qu’ils travaillent pour l’intérêt général. De sorte que le ministre ou n’importe quel autre responsable ne pourra plus limoger tel cadre parce qu’il n’est pas de son bled, tel autre parce qu’il ne lui convient pas, et tel autre parce qu’il ne marche pas avec lui. Ces pratiques sont irresponsables. La question des cadres figure parmi nos priorités, qui sont le logement, la jeunesse et aussi la formation. 187
Les architectes de la Révolution La stabilité des cadres constitue donc une priorité. Il faut donner un socle à ce pays. J’ai lu une étude sur le système français qui montrait que ce
sont
les
commis
de
l’Etat
qui
détiennent
les
dossiers.
Le
gouvernement peut procéder à des changements, mais l’intérêt général n’est pas perdu de vue. Il faut donc protéger les cadres et les jeunes qui ont un rôle essentiel dans la société. Pour toutes ces raisons, il faut revenir au Rassemblement patriotique. Il y a peut-être des gens qui n’ont pas compris ses objectifs et sa philosophie. saurait
y
L’idée-force
avoir
de
du
Rassemblement
progrès
sans
patriotique
coopération
entre
le
est
qu’il
peuple
et
ne sa
direction. Cette coopération est indispensable. Notre souhait est qu’ils retrouvent confiance en eux-mêmes et en leurs capacités de travailler. L’Etat leur donnera un cadre où travailler, l’Etat les aidera et les écoutera. J’ai
tenu
une
réunion
avec
des
étudiants
et
des
jeunes.
Ils
ont
d’innombrables problèmes. Ils ont un rôle dans cette société. En vérité, tout le monde a un rôle propre. Notre souhait est d’insuffler à tous la fibre patriotique. Que tout le monde sache qu’il a un rôle à jouer dans cette société. Cette coopération doit avoir lieu à la base. Il faut amener celle-ci. Après la révolution, depuis 1962, il n’y a pas eu fusion entre la base et le sommet. Cette situation a généré des dysfonctionnements. Le citoyen ne croit pas au pouvoir ; il n’a pas confiance en son Etat. Il dit que tous les responsables privilèges
sont
des
personnels.
souhaitons
que
le
voleurs, Il
faut
qu’ils
bannir
Rassemblement
utilisent ça
leur
dans
poste
l’intérêt
patriotique
soit
pour
général. un
cadre
des Nous de
rencontres pour tous les Algériens, un lieu où ils peuvent échanger leurs idées, quand bien même ils ne sont pas d'accord sur certaines démarches et
certaines
général,
orientations.
celui de la
Le
société. Il
dénominateur
commun
sera
l’intérêt
faut s’entendre sur ce dénominateur
commun, sur le slogan du Rassemblement patriotique, qui est l’Algérie d’abord et avant toute chose. Il faut savoir une bonne fois pour toutes que l’Algérie ne se développera que grâce à nous. Quand je dis nous, j’entends la base et le sommet. Tout les deux. Autre chose, il y a des circonstances qui ont fait de tel citoyen un responsable. Mais il est responsable pourquoi ? Pour des privilèges ? Pour se servir ? Non. Mor, je crois qu’il existe en Algérie des capacités. On l’a déjà constaté pendant 188
Annexes la guerre de libération. Le peuple n’avait pas alors la liberté pour porter et
programmer
soi-même
son
avenir.
Aujourd’hui,
Dieu
merci,
nous
sommes souverains. Si la guerre de libération a exigé ces sacrifices si énormes, la construction nécessite des sacrifices encore plus énormes parce qu’avec la formation de l’Etat, elle constitue le plus grand djihad. Cet Etat qu’il faut construire ne doit pas se confondre avec ses structures ou avec les personnalités qui le composent. Il n’y aura d’Etat que lorsque le peuple prendra conscience et que cet Etat émanera de lui. Revenons à l’idée de démocratie. Le citoyen a le droit de choisir ses responsables.
Il
est
impératif
de
s’entraider
avec
notre
peuple.
La
conjoncture actuelle est provisoire, et découle du danger auquel était exposée l’Algérie. Ce danger est le fait de groupes ou d’idées religieux ou régionalistes qui voulaient imposer leur volonté au peuple. Ecartons tout ça. Dans ce peuple, il y a des gens qui ont telles ou telles idées. Notre souhait est de coopérer avec eux, même si nos idées sont différentes dans certains domaines, et faire en sorte que l’intérêt national soit audessus de tous les intérêts. Que l’Algérie et l’avenir de l’Algérie restent toujours présents en notre esprit. Notre souhait est que chaque Algérien qui se sent Algérien se calme et interroge sa conscience : que fait-il pour l’Algérie ? Quoi qu’il en soit, tout le monde a une famille, un travail, mais il y une cause supérieure : ce territoire est le nôtre, ce peuple est le nôtre, cette terre est la nôtre. Peut-être se trouvera-t-il des gens qui diront que c’est la main de l’étranger. Prenons conscience, que notre bien est en nous et notre mal est en nous. Cette conjoncture est provisoire. Le pays a été entraîné au bord d’une catastrophe.
On
voit
l’œuvre
de
ces
bandes
d’extrémistes.
Quel
est
l’intérêt de celui qui brûle un bus, un local ou dépose une bombe ? Estce pour arriver au pouvoir ? En toute franchise, mon souhait est de mettre en garde ces gens là. Le pouvoir est déterminé à débarrasser le peuple algérien de ces éléments néfastes. Dans cette conjoncture, l’un des objectifs du Haut Comité d’Etat est de restaurer l’autorité de l’Etat. J’ai dit que l’Etat ne se construit pas seulement d’en haut. La prise de conscience des citoyens est nécessaire. Si cet Etat est non valable, le peuple a la ressource de le changer par les urnes. L’Etat qui ne se respecte pas, ne sera pas respecté. C’est pour cela qu’il faut que les
189
Les architectes de la Révolution personnes qui sont dans les rouages de l'Etat, à tous les niveaux, honorent par leurs démarches, leurs comportements, leurs relations avec les citoyens, cet Etat basé sur des valeurs. Le peuple algérien est connu pour son esprit de résistance, sa dignité, sa noblesse. Beaucoup disent que les Algériens sont fiers. Où est notre fierté }. Ce sont les valeurs qui constituent les nations. Le prince des poètes Chawki a écrit : «Les vertus
et les valeurs constituent les nations. Lorsque s’en vont ces vertus, les nations disparaissent». Les peuples dépourvus de valeurs ne sont pas des peuples. Certaines gens disent, et j’aimerais insister sur ça, que sévit la hogra, cela est vrai. Mais il y a certainement des gens qui méritent la hogra. Donnons un exemple. Dans la rue, un passant vole une femme devant 10 témoins qui ne réagissent pas. Ces gens là qui ont été témoins de brimades et qui ne les ont pas combattues, méritent les brimades. Si vous voulez éviter les dérives, il vous faut être honorables. Ou bien faut-il que l’Etat intervienne aussi pour que dans la rue... Cela est du ressort du citoyen, pas de l’Etat. Le citoyen a une famille, il est dans un environnement, il travaille. C’est par son comportement, ses valeurs, ses positions qu’il honore l'Etat qui l'a honoré d’une responsabilité. Si par exemple un responsable arrive au bureau à I I heures au lieu de 8 heures, comment voulez-vous que le simple travailleur n’arrive pas à midi ou 13 heures ? Et ce simple travailleur aurait tout à fait raison de lui rétorquer, le cas échéant : et toi, pourquoi tu n’arrives pas à l’heure ? L’exemple doit provenir du sommet. Mais ces gens qui dirigent ce peuple, qui ont des responsabilités, mais n'ont pas les vertus et les valeurs qui les rendent respectables... L’objectif premier du HCE est de rendre respectable du sommet à la base. Il y a des responsables qui restent cramponnés à leur poste une éternité. Les responsabilités sont limitées dans le temps. Il faut que le responsable soit à la hauteur, sinon qu’il cède la voie à des gens plus valables. Qu’ils se mettent à l’esprit qu’il existe des gens capables de les remplacer. La vie de l’être humain est courte. Demain, nous irons tous vers la mort. La compétence et l’intégrité sont nécessaires pour assurer des responsabilités. La personne doit occuper son poste pour travailler, fournir des efforts. 190
Annexes Le
deuxième
objectif
du
HCE
est
de
rendre
la
tranquillité
aux
citoyens. Le pouvoir actuel doit en finir avec les actes de violence. Le ministre de la Défense a fait une déclaration dernièrement où il a affirmé que nous sommes vigilants et que nous ferons tout pour extirper de l'Algérie ces éléments qui sèment l'anarchie et la destruction. Nous ne reviendrons pas en arrière. Le troisième objectif du HCE est relatif au processus démocratique. Il faut revenir à la démocratie, mais à une véritable démocratie, pas à une démocratie source d’anarchie, d’allégations et de rumeurs. Les gens qui ont des compétences doivent être valorisés. Ce sont celles là qui doivent être aux avant-postes. Dans l’avenir, si Dieu veut, nous ferons en sorte d’accorder à la science une place primordiale. Le problème de l’Algérie n’est pas religieux. L’Islam est la religion de tous, pas celle de quelques individus. Zeghloul Pacha a dit :«La religion est à Dieu
et la patrie à tout le monde». Comment pouvons-nous connaître le for intérieur des gens ? Laissons Dieu être juge. L’Islam est ancré en Algérie. Il ne faut pas se pencher sur ça car nous sommes tous musulmans. Il y avait un homme qui faisait sa prière... Ali, que Dieu l’honore, rencontra un bédouin qui a accompli sa prière.Ali lui dit :«Ta prière n’est pas valable».
«Pourquoi cela ?», rétorqua l’homme. «Pour telle et telle raison», répondit Ali. «Refais ta prière». Le bédouin s’exécuta puis s’inquiéta de la validité de sa prière. Ali lui dit alors : «C'est la première prière qui était valable. Elle était
adressée à Dieu. La dernière était adressée à moi». Ce sont les intentions qui valident les actions. Celui que Dieu n’a pas placé dans le droit chemin, ne le sera pas par l’homme. Je n’ai pas à demander des comptes à un homme, fait-il ou non la prière. Si Dieu le place dans le droit chemin, tant mieux. La prière éloigne des turpitudes. La religion est dans le cœur. La religion est dans les actions, les comportements, la conduite et la dignité.Tels sont les sujets sur lesquels on devrait se pencher en matière de spiritualité... Le dernier objectif est qu’il faut revenir à la démocratie, mais à une démocratie qui doit être transparente. Une démocratie où les Algériens voteront pour des citoyens qui ont un projet et un programme et qui seront engagés par ce programme. Les citoyens ont le droit de connaître ces programmes. Aujourd'hui, l’économie est devenue vaste, le monde
Les architectes de la Révolution aussi.
L’Islam
est
compatible
avec
les
changements.
Les
véritables
musulmans doivent être convaincus du progrès. La société qui mérite le meilleur, n’accepte pas n’importe quoi. Avec quoi nous ont surpassés les autres nations ? Elles nous ont surpassés par la science. Et la religion musulmane...
(des
coups
de
feu
crépitent.
assassiné).
192
Le
président
Boudiaf
est
Annexes
ANNEXE 4
Front de Libération National Proclamation
Au peuple algérien Aux militants de la cause nationale A vous qui êtes appelés à nous juger, le premier d’une façon générale, les seconds tout particulièrement, notre souci, en diffusant la présente proclamation, est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir, en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l’independance nationale dans le cadre nord-africain. Notre désir aussi est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l'impérialisme et ses agents : administratifs et autres politicards véreux. Nous
considérons
avant
tout,
qu'après
des
décades
de
lutte,
le
mouvement national a atteint sa phase finale de réalisation. En effet, le but du
mouvement
favorables
pour
révolutionnaire le
étant
déclenchement
de
créer
d'une
toutes
action
les
conditions
libératrice.
Nous
estimons que, sur le plan interne, le peuple est derrière le mot d’ordre d’indépendance et d’action, et sur le plan externe, le climat de détente est favorable pour le règlement des problèmes mineurs, dont le nôtre, avec surtout l’appui diplomatique de nos frères arabes et musulmans. Les événements
du
Maroc
et de
Tunisie sont à ce titre significatifs et
marquent profondément le processus de lutte de libération de l’Afrique du
Nord.
A
noter
dans
ce
domaine
que
nous
avions
depuis
fort
longtemps été les précurseurs de l’unité dans l’action. Malheureusement, jamais realisee entre les trois pays. Aujourd'hui, les uns et les autres sont engagés dans cette voie, et nous, relegues a l'arrière, nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. C'est
ainsi
que
notre
mouvement
national,
193
terrassé
par
des
années
Les architectes de la Révolution d'immobilisme et de routine, mal orienté, privé du soutien indispensable de
l'opinion
populaire,
dépassé
par
les
événements,
se
désagrège
progressivement, à la grande satisfaction du colonialisme qui croit avoir remporté
la
plus
grande
victoire
de
sa
lutte
contre
l’avant-garde
algérienne. L'heure est grave. Devant cette situation, qui risque de devenir irréparable, une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d'elle la majorité des éléments sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le
mouvement
national
de
l’impasse,
où
l’ont
acculé
les
luttes
de
personnes et d’influences pour le lancer, aux côtés des frères marocains et tunisiens, dans la véritable lutte révolutionnaire. Nous tenons à préciser à cet effet que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. Plaçant l’intérêt national audessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et
de
prestiges,
conformément
aux
principes
révolutionnaires,
notre
action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi obstiné et aveugle, qui s’est toujours refuse d’accorder la moindre liberte par des moyens pacifiques. Ce sont là, nous pensons, des raisons suffisantes qui font que notre mouvement de renovation se présente sous le nom de : Front de libération nationale, se dégageant ainsi de toutes les compromissions possibles et offrant la possibilité à tous les patriotes algériens de toutes les
couches
sociales,
de
tous
les
partis
et
mouvements
purement
algériens, de s'intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération. Pour nous préciser, nous retraçons ci-après les grandes lignes de notre programme politique. But : indépendance nationale par : 1- la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ; 2- le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race ni de confession. Objectifs intérieurs : I-
assainissement politique par la remise du mouvement national 194
Annexes révolutionnaire dans sa véritable voie et par l’anéantissement de tous les vestiges de corruption et de réformisme, causes de notre régression actuelle. 2- rassemblement et organisation de toutes les énergies saines du peuple algérien pour la liquidation du système colonial. Objectifs extérieurs : 1- internationalisation du problème algérien 2- réalisation de l’unité nord-africaine dans son cadre naturel araboislamique 3- dans le cadre de la Charte des Nations unies, affirmation de notre sympathie agissante à l’égard de toutes les nations qui appuieraient notre action libératrice. Moyens de lutte : conformément aux principes révolutionnaires et compte-tenu des situations intérieure et extérieure, la continuation de la lutte par tous les moyens jusqu’à la réalisation de notre but. Pour atteindre ces objectifs, le Front de libération nationale aura deux tâches essentielles à mener de front et simultanément : une action intérieure tant sur le plan politique et de l’action propre, et une action extérieure en vue de faire du problème algérien une réalité pour le monde entier avec l’appui de tous nos alliés naturels. C’est là une tâche écrasante qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies et de toutes les ressources nationales. Il est vrai, la lutte sera longue, mais l’issue est certaine. En dernier lieu, afin d’éviter les fausses interprétations et les fauxfuyants, pour prouver notre désir réel de paix, limiter les pertes et les effusions
de
sang,
nous
avançons
une
plate-forme
honorable
de
discussions aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent une fois pour toutes aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-mêmes : 1-
l’ouverture de négociations avec les porte-parole autorisés du
peuple algérien sur les bases algérienne une et indivisible ;
de
reconnaissance
de
la
souveraineté
2- la création d’un climat de confiance par la libération de tous les détenus politiques, la levée de toutes les mesures d’exception et l’arrêt 195
Les architectes de la Révolution de toutes les poursuites contre les forces combattantes ; 3-
la reconnaissance de la nationalité algérienne par une déclaration
officielle abrogeant les édits, décrets et lois faisant de l’Algérie une "terre française" en déni de l’histoire, de la géographie, de la langue, de la religion et des moeurs du peuple algérien. En contrepartie : I - les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis, seront respectés, ainsi que les personnes et les familles ; 2- tous les Français désirant rester en Algérie auront le choix entre leur nationalité d’origine et seront de ce fait considérés comme des étrangers vis-à-vis des lois en vigueur, ou opteront pour la nationalité algérienne, et dans ce cas seront considérés comme tels en droits et devoirs ; 3- les liens entre la France et l’Algérie seront définis et feront l’objet d’un accord entre les deux puissances sur la base de l’égalité et du respect de chacun. Algérien ! Nous t’invitons à méditer notre Charte ci-dessus.Ton devoir est de t’y associer pour sauver notre pays et lui rendre sa liberté. Le Front de libération nationale est ton Front. Sa victoire est la tienne. Quant à nous, résolus de poursuivre à lutte, sûrs de tes sentiments anti-impérialistes, forts de ton soutien, nous donnons le meilleur de nousmêmes à la patrie. Le Secrétariat
196
Annexes
ANNEXE 5
Armée de Libération National Appel
Peuple algérien ; A l’exemple des peuples qui ont brisé les chaînes de l’esclavage et de l'oppression ; En accord avec tes frères marocains et tunisiens auxquels tu es lié par des siècles d’histoire, de civilisation et de souffrances, tu ne dois pas oublier un seul instant que notre avenir à tous est commun. Par conséquent, il n’y a pas de raison pour ne pas unifier, confondre et intensifier notre lutte. Notre salut est un et notre délivrance est une. Dissocier le problème maghrébin, c’est aller contre une réalité historique qui, à dater de 1830, fait notre malheur à tous. En outre, pense un peu à ta situation humiliante de colonisé, réduit sur son propre sol à la condition honteuse de serviteur et de misérable surexploité par une poignée de privilégiés, classe dominante et égoïste qui ne cherche que son profit sous le couvert fallacieux et trompeur de civilisation et d’émancipation. A propos de civilisation, nous te rappelons quelques dates illustres : 1830 avec ses rapines et ses crimes au nom du droit du plus fort ; 1870 suivie
de
massacres
et
d’expropriations
qui
ont
frappé
des
milliers
d’Algériens ; 1945 avec ses 40 000 victimes ; 1948 et ses élections à la Naegelen ; 1950 avec son fameux complot. Comme tu le constates, avec le colonialisme, la Justice, la Démocratie, l’Egalité ne sont que leurre et duperie destinés à te tromper et à te plonger de jour en jour dans la misère que tu ne connais que trop. Si à tous ces malheurs, il faut ajouter la faillite de tous les partis politiques qui prétendaient te défendre, tu dois te convaincre de la nécessité de l'emploi d’autres moyens de lutte. 197
Les architectes de la Révolution C'est pourquoi, conscients de la gravité de l’heure, au coude à coude avec nos frères de l’Est et de l’Ouest qui meurent pour que vivent leur patrie respective, nous t’appelons à secouer ta résignation et à relever la tête pour reconquérir ta liberté au prix de ton sang. Dans ce domaine, nous savons ce dont tu es capable, mais au départ nous voulons attirer ton attention sur la manière de servir les forces de libération qui, pour ton bonheur, ont fait le serment sacré de tout sacrifier pour toi. 1- Reste calme et discipliné. Ne te laisse pas aller au désordre qui ne peut servir que l’ennemi. 2- Ton devoir impérieux est de soutenir les frères combattants par tous les moyens. 3- Sois vigilant. L’ennemi te guette et surveille tes moindres gestes pour gêner ton action. Prends garde aux faux communiqués, aux mensonges, à la corruption, aux promesses dont le but est de te détourner de la voie que nous ont dictés notre religion et notre devoir national. Pour finir : -Toute inattention peut coûter la vie à des hommes. - Toute indiscrétion peut engendrer des conséquences graves. Donc, sans perdre une minute, organise ton action aux côtés des forces de libération à qui tu dois apporter aide, secours et protection en tous lieux et en tous moments. En les servant, tu sers ta cause. Se désintéresser de la lutte est un crime. Contrecarrer l’action est une trahison. Dieu est avec les combattants des causes justes et nulle force ne peut les arrêter désormais, hormis la mort glorieuse ou la libération nationale. Vive l’Armée de libération ! Vive l’Algérie indépendante !
198
Annexes
ANNEXE 6
FLN/ALN Le Congrès de la Soummam
Procès-verbal de la réunion du 20 août 1956, des responsables de l'Oranie, de l’Algérois et du Constantinois. Membres présents : - Ben M'hidi, représentant de l’Oranie, président de séance - Abane, représentant du FLN, secrétaire de séance - Ouamrane, représentant de l’Algérois - Krim, représentant de la Kabylie - Zirout, représentant du Nord-Constantinois - Bentobal, adjoint de Zirout. Membres absents : - Ben Boulaïd Mustapha, représentant des Aurès-Nememchas - Si Cherif, représentant du Sud (excusé après avoir adressé son rapport à la réunion). Ordre du jour 1. Raisons et objets de la réunion 2. Compte-rendu : a- organique : découpage, structure, PC b- militaire : effectifs, unités, composition, armement c- finances : recettes, dépenses, caisse d- politique : état d’esprit des combattants et du peuple 199
Les architectes de la Révolution 3. Plate-forme politique et les trois brochures 4. Uniformisation : a- organique, decoupage, structure, mutations, PC b- militaire, unités, grades, insignes, décorations, solde et allocations familiales c- politique, les commissaires politiques et leurs attributions d- administration, assemblées du peuple 5. Le FLN : doctrine, statuts, règlement intérieur, les organismes de direction : CNRA, CCE et commissions 6. ALN : terminologie (moudjahid, moussebel, fiday), phase actuelle, extension et développement offensif 7.
Rapports FLN-ALN : rapports intérieur-extérieur, la Tunisie, le
Maroc, la France 8. Matériel 9.
Calendrier de travail : militaire, politique, matériel, cessez-le-feu,
négociations, ONU, Gouvernement provisoire 10. Divers : Kabylie, Aurés, etc. Séance ouverte à huit heures I. Raisons et objets de la réunion Exposé de Ben M’hidi et de Abane 11.
Compte-rendu a- Zone n°2
Rapport écrit et lu par Zirout. Observations : manque d’effectif, militants du FLN et décompte des armes de guerre (voir résumé du rapport à la fin) b- Zone n°3 Rapport verbal présenté par Krim. La zone comprend la Haute, la Basse et la Petite-Kabylie. Elle est divisée en 3 petites zones, elles-mêmes divisées en 10 régions subdivisées en 30.
Annexes Effectif au départ du I novembre 1954 : 450 moudjahidine, en caisse un million de francs. Effectif actuel : militants FLN : 87 044 ; moussebiline : 7 470 ; moudjahidine : 3 100. Les unités : le groupe, commandé par un sergent (ârif), se compose de 10 a 20 hommes. 3 groupes forment une section commandée par un adjudant (moussaâd). Limites de zone : Djidjeli, Sétif, Bordj Bou-Arréridj, M’sila, Aumale, Aïn Bessem. Palestro, Menerville. Armement : 404 fusils de guerre, 106 mitraillettes, 8 fusils-mitrailleurs, 4 FM Bart, 4 FM 24/29,4 425 fusils de chasse. Finances : en caisse, 445 millions de francs. Observations
:
actuellement,
rentrées
mensuelles
moyennes
de
I 10 millions de francs. Dépenses mensuelles moyennes de 55 millions de francs. Reste à verser : 55 millions de francs. Etat
d’esprit
du
peuple
et
des
combattants
:
très
bon,
mais,
inlassablement, tout le monde nous demande des armes. Le peuple est solidaire et participera le cas échéant a un soulèvement général. Le cas des Harkas des Ourabah et ralliement des populations des douars
Irriche
et
Draâ
El-Mizan.
Le
cas
des
Harkas
des
Ourabah,
problème en voie de solution. Le cas des douars Irriche, douar messaliste ratissé par les nôtres. Une partie du douar a effectivement demandé la protection de la France. Cas du douar Mezlioua, a Draâ El-Mizan : douar qui a été tou|ours réfractaire au patriotisme, aucune exaction n’a été commise par les nôtres, le douar n’ayant jamais été pénétré. c- Zone n°4 Rapport écrit et lu par Ouamrane. Effectif au départ du I" novembre 1954 50 moudjahidine Effectif actuel : militants FLN : 40 000 ; moussebiline : 2 000 ; moudjahidine : I 000. Les effectifs des régions : Berrouaghia, Medéa, Champlain, Boughar, Theniet
El-Had,
Miliana,
Ténès,
Orleansville,
compris dans les chiffres ci-dessus. 201
Cherchell
ne
sont
pas
Les architectes de la Révolution Armement : 5 FM dont I FM Bart, 200 fusils de guerre, 80 mitraillettes, 300 pistolets, I 500 fusils de chasse. Finances : 200 millions de francs en caisse, d- Zone n°5 Procès-verbal présenté par Ben M’hidi. Limites de zone : Département d’Oran, Mostaganem, le Sud, Mascara, Colomb-Béchar. Effectifs au Ier novembre 1954 : 60 moudjahidine (50 durent être arrêtés ou tues). En caisse au I" novembre 1954 :80 000 francs. Effectifs au second déclenchement, Ier octobre 1955
:
500 moudjahidine ; moussebiline : 500. Effectifs au Ier mai 1956 : moudjahidine : I 500 ; moussebiline : I 000. Armement au Ie' mai 1956 : 50 FM, 165 mitraillettes, I 400 fusils de guerre, 100 revolvers, I 000 fusils de chasse. Finances au Ie' mai 1956 : 35 millions de francs, dont 25 millions à l’exteneur (rif) Etat d'esprit de la population et des combattants : très bon, les rapports FLN-ALN et avec le peuple sont excellents, un rapport plus précis et plus actuel sera demandé à Oran. e- Zone n°6 Rapport verbal présenté par Ouamrane, à la place de Si Cherif : la Zone
n°6
est
nouvellement
creée.
Elle
comprend
les
territoires
des
communes d'Aumale, Sidi-Aissa, Ain Boucif, Chellata. Ces régions sont atteintes par nos groupes. Les communes de Djelfa, Laghouat, M’zab, à l’extrême-sud algérois, ne sont pas encore pénétrées. Effectif
actuel
:
militants
FLN
:
5
000
;
moussebiline
:
100
;
moudjahidine : 200. Armement : 100 fusils de guerre, I FM, 10 mitraillettes, 50 pistolets, 100 fusils de chasse. 202
Annexes Finances : 10 millions de francs verses a la Zone n 4. III. Plate-forme politique et trois brochures Lecture, critiques et discussions de ces documents ont été faites. IV. Uniformisation : organique du point decoupage - Ire Zone :Aurès - Nemamchas Limites : au Nord : Montesquieu, Sedrata, El-Guerrah, Sétif ; au Sud : le Sahara et le Constantinois ; à l’Ouest : Bordj Bou-Arréridj, M'sila, Bou Saada, El-Oued, Djelfa ; à l’Est : la frontière tunisienne. - 2' Zone : Nord-Constantinois Limites : au Nord : de la Calle à Souk El-Thenine ; au Sud : Sétif, route d’Alger, Constantine jusqu’à El-Guerrah, prolongée jusqua la frontière tunisienne en passant par Sigus, Montcalm, Sedrata, Montesquieu ; à l’Ouest : Sétif, Kherrata, Souk El-Tenine ; à l'Est : frontiere tunisienne. - 3e Zone : Kabylie Limites : au Nord : Souk El-Tenine, Courbet-Marine ; au Sud : ligne de chemin de fer Alger-Constantine jusqu’à Sétif, avec le prolongement de Bordj Bou-Arréridj, M’sila, Ain Lahdjel, Aumale, Ain Bessam, Palestro ; à l’Ouest : Courbet, Ménerville ; à l’Est : Sétif, Kherrata, Souk El-Tenine. 4e Zone : l’Algérois Limites : au Nord : Courbet-Marine,Tènès ; au Sud : Bouira, Aïn Bessam, Bir Ghebalou, Berrouaghia, Boghar, Tiaret ; à l'Ouest : frontière du Département d’Oran ; à l’Est : Courbet-Marine, Ménerville, Palestro, Thiers, Bouira, Aïn Bessam. Nota : Alger et les communes limitrophes - Hussein-Dey, Kouba, ElBiar, Bouzaréah, Saint-Eugène - ne dépendent pas de la Zone n°4 et constituent une organisation autonome. 5e Zone : Oranie Limites : Département d’Oran. 6' Zone : Sud-Algérois Limites : au Nord : Burdeau, Boughar, Berrouaghia, Bir Ghebalou, Aïn Bessam ; des autres côtés : le Sahara algérois.
203
Les architectes de la Révolution Nota : la ville de Sétif appartient à la Zone n°3 (Kabylie) ; cependant, l'organisation de la ville de Sétif devra tout faire pour rendre service aux Zones n° I et 2. A dater de ce jour, le terme Zone est remplacé par Wilaya, la région devient mintaka, le secteur (kism) devient région (nahia). Les PC : la direction collective étant érigée par un principe, tous nos organismes délibérants devront le respecter scrupuleusement. Le PC est composé
du
chef
(politique
ou
militaire),
représentant
central
de
l’autorité du FLN. Il est entouré d'adjoints et de collaborateurs qui sont des officiers au nombre de trois, s’occupant des branches militaires, politiques, renseignements, liaisons. Il y a les PC de wilaya, zone, région, secteur. Les
mutations
:
la
mutation
est
prononcée
par
l’organisme
immédiatement supérieur auquel appartient l’élément. Le principe de la mutation à tous les échelons est admis. Militaire : unités : le groupe (faoudj) est composé de I I hommes, dont un sergent et deux caporaux ; le demi-groupe comprend 5 hommes, dont un caporal ;la section (ferka) est composée de 35 hommes (3 goupes + le chef de section et son adjoint) ; la compagnie (katiba) comprend I 10 hommes (3 sections + 5 cadres). Les grades : les grades usités en Kabylie ont été adoptés, à savoir : - djoundi aouel (caporal) : un V rouge renversé qui se porte sur le bras droit - arif (sergent) : deux V rouges renversés - arif aouel (sergent-chef) : trois V rouges renversés
- moussaâd (adjudant) : unV rouge souligné d’un trait blanc - moulazem (aspirant) : une étoile blanche - moulazem thani (sous-lieutenant) : une étoile rouge - dhabet aouel (capitaine) : deux étoiles rouges - sagh aouel (commandant) : deux étoiles rouges et une blanche - sagh thani (colonel) : trois etoiles rouges 204
Annexes - chef de wilaya : colonel ; ses trois adjoints seront des commandants - chef de zone : capitaine ; ses trois adjoints seront des lieutenants -
chef de région : sous-lieutenant ; ses trois adjoints seront des
aspirants - chef de secteur : adjudant ; ses trois adjoints seront des sergentschefs. Nota : les commissaires politiques auront les mêmes grades que les officiers
de
l’organisme
auquel
ils
appartiennent.
Une
étoile
et
un
croissant rouges se porteront sur le calot (à faire par chaque wilaya). Les galons seront faits par la Wilaya n°3. Décorations :1e CCE est chargé de l’étude de cette question.Tous ces grades militaire
seront sera
provisoires. chargée
A
la
libération
d’étudier
chaque
du
pays,
cas
et
une de
commission pourvoir
au
reclassement de ces grades dans l’Armée nationale. Le grade de général n’existera qu’après la libération du pays. Les nominations, cassations et rétrogradations
des
officiers
sont
prononcées
par
le
CCE
sur
proposition du chef de wilaya. Les sous-officiers sont nommés, cassés ou rétrogradés par le chef de wilaya. Les caporaux sont nommés ou cassés par le chef de zone. Soldes et allocations familiales : chaque moudjahid touchera une solde suivant le barème suivant : - soldat
1 000 francs par mois
- caporal
1 200 francs par mois
- sergent
1 500 francs par mois
- sergent-chef
1 800 francs par mois
- adjudant
2 000 francs par mois
- aspirant
2 500 francs par mois
- sous-lieutenant
3 000 francs par mois
- lieutenant
3 500 francs par mois
- capitaine
4 000 francs par mois
- commandant
4 500 francs par mois 205
Les architectes de la Révolution - colonel
5 000 francs par mois
Infirmiers et infirmieres seront assimilés aux sergents et toucheront I
500 francs par mois. Les médecins militaires seront assimilés aux
aspirants et toucheront une solde de 2 500 francs par mois. Les médecins seront assimiles aux lieutenants et toucheront une solde de 3 000 francs par mois. Seuls les articles de toilette seront à la charge des moudjahidine, tout le reste est à la charge de l'Armée. Allocations seront
familiales
secourus
:
tous
les
mensuellement.
moudjahidine
Cependant,
il
chargés sera
fait
de
familles
appel
au
patriotisme de chacun pour épargner les deniers de la révolution. Des directives seront données dans ce sens aux chefs de groupes et aux commissaires politiques. Les moussebiline seront secourus sur la même base
que
les
moudjahidine
lorsqu’ils
accomplissent
une
tâche
permanente de 30 jours sur 30 ; il leur sera attribué la moitié du secours lorsqu’ils ne sont utilisés que 15 jours par mois ; et le quart du secours lorsqu’ils ne sont utilisés qu’une semaine par mois. Les prisonniers et les familles des morts seront secourus sur la base suivante : - pour les campagnes : 2 000 francs de base plus 2 000 francs par personne - pour les villes : 5 000 francs de base plus 2 000 francs par personne. Politique : les commissaires politiques et leurs attributions : les tâches principales des commissaires politiques seront : organisation et éducation du peuple ; propagande et information ; guerre psychologique (rapports avec le peuple, la minorité européenne, les prisonniers de guerre). Les commissaires
politiques
donneront
leur
avis
sur
les
programmes
de
l’action militaire de l'ALN finances et ravitaillement. Administration : assemblées du peuple (voir étude n°2) Les assemblees seront élues. Elles seront composées de 5 membres, dont un président, et s’occuperont de l’état-civil, des affaires judiciaires et islamiques, des affaires financières et économiques, de la police. V-
Le FLN
Doctrine, statut, règlement intérieur, organisme de direction : CNRA, CCE, commissions. 206
Annexes Doctrine (voir documents) Statut et règlement intérieur : le CCE est charge de leur élaboration. Les organismes de direction : le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Le CNRA est composé de 34 membres ( I 7 titulaires et 17 suppléants). - Les titulaires 1- Ben Boulaïd Mustapha
10- Boudiaf Mohamed
2- ZiroutYoucef
I I- Aït-Ahmed Hocine
3- Krim Belkacem
12- Khider Mohamed
4- OuamraneAmar
I 3- Ben Bella Ahmed
5- Ben M'hidi Mohamed Larbi
14- Lamine Mohamed
6- Bitat Rabah
I 5- Abbas Ferhat
7- Abane Ramdane
16-
Tewfik El-Madani
8- Benyoucef Benkhedda
17-
Yazid M’hamed
9- Aissat Idir Les suppléants 1- adjoint de Ben Boulaïd
10- Dahleb Saâd
2- Bentobbal Lakhdar
I I - UGTA
3- Mohammedi Saïd
12- UGTA
4- Dehiles Slimane
13- Louanchi Salah
5- Boussouf Abdelhafid
14-
6- Mellah Ali
I 5- Mehri Abdelhamid
7- Benyahia Mohamed-Seddik
16- Francis Ahmed
8- Bedjaoui Mohamed
17- Si Brahim
Thaâlbi Tayeb
9- Malek Nota : la convocation du CNRA est faite par le CCE, s’il le juge indispensable, ou sur la demande de la moitié plus un de ses membres ; 207
Les architectes de la Révolution les
délibérations
du
CNRA
ne
seront
valables
que
si
12
membres
(titulaires ou suppléants) sont présents. En principe, le CNRA se reunira une fois par an tant que les hostilités dureront. Le Comité de coordination et d'exécution (CCE) : Il
est composé de Ben M'hidi, Abane, Benkhedda, Krim, Dahleb. Ce
dernier est encore en prison et sera remplacé définitivement par Malek. Nota : un membre du CCE ou un délégué dûment accrédité par cet organisme est habilité
pour contrôler
organismes à l'interieur ont
pouvoir
de
toutes
et à l'extérieur dupays. Les
contrôler
les
organismes
les activités
de nos
membresdu CCE politiques,
militaires,
économiques et sociales... tous les trois mois. Les commissions : le CCE est chargé de contrôler et de constituer diverses commissions qui ont pour siège Alger. VI- ALN : terminologie (moudjahid, moussebel, fiday). Développement extensif, offensif. A l’avenir, seuls les termes suivants seront utilisés : - moudjahid : c’est le
soldat de l’ALN
- moussebel : c’est le
partisan
- fiday : c’est l'élément du commando chargé d’effectuer des raids sur les centres. La jonction entre les groupes de toutes nos zones est virtuellement chose faite. Il importe de reprendre l'initiative des opérations et de développer nos actions sur tous les plans. VII- Rapports FLN - ALN (rapports intérieur et extérieur, situation au Maroc, en Tunisie et en France) Rapports FLN - ALN : primauté du politique sur le militaire. Dans les PC, le chef politique-militaire devra veiller a maintenir l’équilibre entre toutes les branches de la révolution. Rapports intérieur - extérieur : primauté de l’intérieur sur l’exterieur avec le principe de codirection. 208
Annexes Situation en Tunisie : exposé actuel. Avons envoyé une délégation composée de 4 membres auxquels sera joint Benaouda qui sera plus particulièrement chargé de l’acheminement du matériel de la Tunisie sur l’Algérie. Situation au Maroc : Exposé fait, la délégation est dirigée par Thaâlibi Tayeb sous le contrôle de Boudiaf. Situation en France : le rapport de la Fédération a été lu et les principaux
voeux
ont
été
adoptés.
Une
lettre
signée
par
tous
les
responsables a été adressée au comité fédéral.
VIII- Matériel Aucune mutation d’armes ne sera faite entre les wilayas vu que le matériel que nous détenons est du matériel de récupération. A l’avenir, le CCE est seul habilité à faire une répartition équitable en tenant compte de la situation de chaque wilaya.
IX- Calendrier de travail Reprendre
l’initiative
des
opérations
militaires
à
tout
prix
;
déclenchement des opérations militaires, offensives à partir de... ; le premier
novembre
sera
un
anniversaire
;
la
grève
générale
sera
observée ; le boycott des écoles française est maintenu ; les élections Lacoste seront boycottées ; l’usage de la force armée sera fait si les responsables le jugent utile. Cessez-le-feu et négociations : seul le CNRA est habilité à ordonner le cessez-le-feu, dont le cadre sera fixé dans la plate-forme de l’ONU. D’ores et déjà, l’intérieur devra fournir tous les éléments d’information que nous détenons pour faciliter la tâche à nos représentants à l’ONU. Gouvernement provisoire : cette affaire sera étudiée ; la situation suivante a été adoptée : envoi de Zirout et Si Brahim avec ies pouvoirs étendus pour régler
le cas de Souk-Ahras - Nememchas. Envoi de
Ouamrane, Si Cherif, Amirouche avec les pouvoirs pour solutionner le problème du Sud et des Aurès. Le CCE est seul habilité à trancher en dernier ressort. Les tribunaux : aucun officier quel que soit son grade n’a plus le droit de prononcer une condamnation à mort. Les tribunaux à l’échelle des
209
Les architectes de la Révolution secteurs et des zones seront chargés de juger les civils et les militaires. L’égorgement esrformellement interdit à l’avenir ; les condamnés à mort seront fusillés. L’accusé a leodroit de choisiro une défense. La mutilation est formellement interdite quelles qu’en soient les raisons que l’on puisse alléguer. Prisonniers de guerre : il est formellement interdit d’exécuter les prisonniers de guerre. A l’avenir, un service des prisonniers de guerre sera créé dans chaque Wilaya, il aura surtout pour tâche de populariser la justesse de notre lutte. Livret individuel : à l’avenir, chaque moudjahid sera doté d’un livret individuel. Immatriculation : chaque Wilaya proposera un modèle au CCE. Permissions : les permissions sont rétablies. Service de santé : chaque nouvelle recrue passera une visite médicale si possible. Zone n°2 : Effectif au départ du Ier novembre 1954 : 100 moudjahidine Effectif actuel : moudjahidine : I 669 ; moussebiline : 5 000 Armement : 13 FM, 325 fusils de guerre, y compris les mitraillettes, 3 750 fusils de chasse Finances : 203 500 000 francs Etat d’esprit des combattants et du peuple : satisfaisant. Observations : tout le territoire frontalier de la Tunisie est contrôlé par les Aurès, alors qu’il a été toujours entendu que la région de SoukAhras devra être rattachée au Nord-Constantinois.
210
Index des noms A Aârab Amar ditAntar 93, 94,95,96. Abane Ramdane alias Hansen 79, 168, 199, 207, 208,214,215.
Amara Ali dit Ali La Pointe 38, 109.
48,51,54.
Amirouche (colonel) 126, 127, 209. Ammour Ahmed 118. Andarelli (juge) 92.
Abassi Madani 89, 149.
Athmani dit Tidjani 53.
Abbi Ahcène 138, 140.
Aussaresses Paul 169, 172.
Abdelhamid Sid-Ali 28, 34,
Azouz Mohamed 100. Azza 173.
54, 57, 133.
Belagoune Messaoud (Si) Belhadj Bouchaâieb dit Si Ahmed 36, 66, 93. 162. Belhadj-Djillali Abdelkader alias Kobus 28, 34, 109, I 10.
Belimane Abderrahmane 89. Belkadi Mohamed 42.
Abdelli Aïssa 56 72.
Azzouz Azeddine 87.
Bellili Ahmed, 30.
Abdeslami Rachid 73.
Azzouz Ben Azouz 135.
Bellounis (mercenaire)
Abed (tortionnaire) 129,
110, 135.
B
131. Abidi Mohamed dit El
Baâbouche 37.
Belmili Hocine (Cheikh) 144.
Hadj Lakhdar 43,44,50,51,
Badjarah El-Hadi 62, 113,
Belouizdad Athmane 62,66,
53.
115, 119.125, 126, 128,
Abidi Tayeb 136.
131,
175,177.
89, 113, 175, 182. Belouizdad Mohamed dit Si
Adder Hamoud 37,45.
Badji Mokhtar 67,73.
Messaoud, 32, 44.
Adim Mohamed 89
Bagtache Merzak 153.
Benabdelmalek Ramdane
Adjami Brahim 30.
Bahous 135, 136. Bakel Saïd 108.
Benaouda Mostefa 30,50,
Adjel Adjoul 53,93. Adjimi Abderrahmane 174.
Barkat Slimane 50.
31,67,93, 162, 180. 66, 209.
Aïssat Idir 207.
Bartoli (les frères) 102.
Aït-Ahmed Hocine 26,31,
Basta Ali 94,96.
82.83,85,86,87,88, 139,
BastaArezki 72.
167, 176, 178, 180, 182, 207.
85,86,
207.
Ali-Yahia Rachid, 26.
Bedjaoui Mohamed 207.
Al lard ditTatave (capitaine)
Bedoui Madani 83.
(71. 173. Allem Ahmed 126, 128, 129, 130, 131, 177. Allili Ahmed dit Baghdadi dit Marius 109, MO. Alloui 157 Amar I 18
Bedrani Mohamed 73. Bekhouche Abdelbaki 30, 50.
Ben Bella Ahmed 26,28,34,
Ben Boulaïd Mostefa dit Khali 23,47,48,49, 50, 51,52,53,54,55,57,58, 60, 62,67, 68, 70,73,75,
Bekhouche Laroussi dit
76, 77, 79, 80,81,85,87,
Mostefa 122, 123. Belabed Smati (Cheikh)
88,89,91,92.93,94,96,
121, 122.
21 I
98, 100, I I I , 113, 122, 141, 162, 165, 175, 176,
Les architectes de la Révolution 141, 142, 143, 144, 145, 180,181 199,207. Bitat Rabah 23,33,50,51, 146, 147, 148, 149, ISO, Benchaïba Ali 110. 57,58,60,61,68,69, 70, 151,152, 153. 156, 157, BenamorTahar 177. 72, 75, 78, 79,82, 84, 85, 162, 164, 165, 175, 176, 88, 89,90,91,92,93,98, Benghenissa Hocine 43. 179, 180, 181, 183, 185, Benguesmia Mouloud 89. 99, I 10, Il I, 112,113,114, 192,207,209. Benhabyles Abdelmalek 115, 139 162, 165, 170, Boudiaf Moussa 142. alias Socrate 74. 207. Boudjadja 137. Benkhedda Benyoucef 54, Bloch Pierre (médecin) 172. Boudjatit Mahmoud 73. 57, 136, 137, 168, 207, Bouabdallah Rachid 42. Boudjerida Amar 44. 208. Bouabsa Djamel 42. Boukchoura Madjid 174, Benmahdjoub Omar dit Bouabsa Malik 42. 176. Bouadjadj Zoubir 66,89, Abdelkrim 29, 35. Benmokadem Mohamed 96, 98,99, 113, 139, 182. Boukchoura Mourad 34, 36,61,68,69,72,78,80, 79,113, 116, 180. Bouali Saïd dit La Motta 33, 84,88,90,91,96,98,99. Ben M’hidi "Brunot" 67,70,123,181. 105,109.113.116.124. Mohamed Tahar 164, 165. Bouchebouba Ramdane 58, 125.126, 128, 131, 138, Ben M’hidi Mohamed 59, 62, 72, 165. 139, 141, 167, 173, 174, BouchekiouaYounès 50,82, Larbi 23,26,29,33, 38, 175,176, 177, 178,180. 46,47,57, 58,60,61,62, 93,111,118. Boukhobza M'hamed 153. 67, 73,75, 84,85,87,88, Bouchemal Rachid 43. Boumediene 138. 91,92,93,109,111,114, Boucetta Abdelkader 90, Bouraba Aïssa 90. 122,141, 161,162, 163, 95, 132. Bourouiba Boualem 175. 164, 165, 166, 167, 168, Bouchit El-Hachemi 82, Boussouf Abdelhafid 33,67, 169, 170, 171, 172, 173, 112. 93, 162, 168, 180,207. 180, 199,207, 208. Bouda Ahmed 32,57,94,95. Boutoche Omar 89. Boudiaf Aïssa 141. Bennaï Ouali 26. BouzidAchour 129. BenslimaneYoucef 73. Boudiaf Fatiha (Mme) 141. Bouzida (Me) 106. Boudiaf Hamid dit Mimi 43, Benteftifa 99. Bozambo (frères) 37. Bentobal Lakhdar 50,51, 44,50,82,83,84. Brahim (Si) 207,209. 67.93.111.199.207. Boudiaf Mahboubi 43. Braka Madjid 90. Benyahia Mohamed-Seddik Boudiaf Mahmoud 25,28, Braun (Me) 114. 45, 113. 106.207. Benzaïm Mohamed 29. Boudiaf Mohamed alias Si C Benzerga Benaoûm 106. Tayeb El-Watani alias Toubib alias Si Smart 23, Cadi Abdelkader 54. Berard (juge) 169,170,172, Chaâbani (colonel) 138. 25,26,27, 28,32,33,34, 173. Chaâl Abdelkader 99. 35,36, 37,38,39,46,47, Berrahma Mohamed 99. 48,49, 55, 57,58, 59,60, Canisio (surveillant-chef) Berrehaïl Hocine 52 81,85. 102,115. Berrezouane Mahieddine 97. 62, 63,64,65,66,67,71, Cassard 117,120. 72,73, 74,75,76, 77,78, Bezouiche 136. Chawki (poète) 200. Bigeard 128,168,169,170,171. 79,80,81,82,85,86,87, Chebchoub Sadek 52. 88,90,91,92,97,98,99, Bisker Ahmed 90. Cheniti (Ammi) 40. 110. 122, 138, 139, 140,
212
Index des noms E
Cnenouf Ahmed Boudi 42.
33,48,
69. 70, 162, 180.
Chergui Brahim 44.
Edhib Fethi 87.
Guesmia Abdelkader 74
Cherif Abbès Mohamed
El-Annabi Hacène 107.
Gouffal 118.
El-Fassi Abdelkebir 71
GuigaTahar 88.
184.199. Cn.bane Ahmed 126, 128. Chihani Bachir 53,93. Costes (commissaire) 30. Culet (inspecteur) 66.
El-Hadi Mohamed dit Slimane Ladjoudène alias Djoudène 64,65,69 El-Hadjim Kaddour,89.
D
H
El-Hadj El-Arabi El-Hachemi
El-Hassani Hassan 177.
Dahleb Saâd 207.208. Dahmane Sadek 43.
El-Madani Tewfik 207.
Debaghine Lamine (docteur) 26, 32,70, 112.
Essalmi Abdallah 135.
Emir Khaled 166.
Habachi Abdeslam33,48, 50,51.67,70,85,86,98. 105, MO. 162,170. Hachemi Hamoud alias Lemrabet 74. Haddad Omar dit Yeux bleus 37. Haddad Youcef 70.
F
DeMes Slimane 207.
Haddadi 112.
Fadhel Abdallah 86,112,
Haddanou Mohamed dit Mouhis 90,95.
Delplanque (sous-préfet) 53. Denden Mostefa 129,131.
113. Fadila Dziria 164.
Hadj Cherchali 82.
Déniché Lyes 66,67,69,
Ferhat Abbas 207.
Hadjeres Sadek 26.
Dekhli Bachir 58,59,62,
165.
Fabet (administrateur) 92.
71.80, 133, 165,167, 183. Ferhat M’hamed 153. Ferradj Abdelkader 118. Deschezelles (Me) 114. Dhab Mohamed 73. Dkiouche Mourad dit
Hadj-Hamou 106. Hadjim kaddour 90.
Filali Abdallah dit Lekhfif 100. HaffafYahia 136.
Flici El-Hadi 153. Abdelkader 23,26, 29, 30, Fodil 130,131. Francis Ahmed 207. 33,38,47,48,57,58,59,
Haies Saïd 90, 175. Hamadi Omar 108. Hammadi Abdelaziz dit Errifi 83, 84.86,88.
66.68, 70,75,77,78, 79,
G
80.82,87,91,92,93,96,
97,98, 109, 141, 162, 165, Gharbi Abdelkader 34. Godart (colonel) 127. 174.180. Gorlin Michel 169. Diha Ahmed 173. Djaâlal Omar 90, 132.
Hadjadj Bachir 53.
Gouara Mohamed 43.
Hamiche (frères)37. Hamiche Mustapha 38. Hamidi (inspecteur) 27,78. Hammou Mohamed 118. 132.
Grimaldi (commissaire) 30.
Hamzaoui Amar 99.
Grine Belkacem 51.
Hamzaoui Mouloud 113.
Djellouli Lahbib 117,120.
Gueddifi Benali 106.
HarounAli 143.
Djemam Zahir 134.
Guellil Abdallah 43.
D)enane Mokhtar 43. Djerrah Hocine 82, 111.
Guellil Kaddour 43. Guendriche Ahcène dit
Hassam Sid-Ahmed 73. Hattab Rabia 126,128.
Douzon (Me) 114. Drarini Mohamed 80,174,
Zerrouk 128. Guermat Cherif 90.
Havard (commissaire) 99.
Guerrab Hamid dit Lucien
Herti Mohamed 89.
Diefafla Abdallah 89,132. Djeilouli Boualem 90.
175.
118.
Hattem 128. Haya Djelloul 179, 183. Hmidouche (pseudonyme)
Guerras Abderrahmane 26.
213
100.
Les architectes de la Révolution Hudelojean (médecin) 172.
Lahzamia Kripou 43. Laïchaoui Mohamed 90,97.
K Kacem Mouloud 44, 70. Kaci-Abdallah Abderrahmane 89 90. 105, 175. Kadi Bachir 83.
Lamine Mohamed 207. Lamoudi Abdelkader 26, 66,81. 144. Lamrani Laïd dit Hocine (bâtonnier) 54.
Kassab Nadir 34,73, 175.
Larab M’hamed 89.
Kebaïli Ahmed 121.
Larbaoui (inspecteur) 78.
Kechida Abdallah dit Mourad 48,84,99, 100, I 10,1 13, I 14.
Lazhari Khaled 122. Leger Christian (capitaine) 127.
Mechati Mohamed 33,67,180 Mechelak Saïd dit Farhi 53, 54. Mechelak Messaoud 53,54. Mehdaoui Abdenour 129. Mehdaoui Zakia 129. Mehri Abdelhamid 46, 70, 72,88,
145, 146, 207.
Melki Hamida dit Bob Nedjma 129. Mellah Ali 67,207. Mellah Slimane dit Rachid
Kechida Ali 43.
Lezoul Amar 113.
Kechida Omar 138.
Louanchi Salah 80,207.
Merazka Ahmed 44.
Kerbali ( 3 frères) 37.
Loubarech (surveillant-chef)
Merbah Moulay 56, 72, 75, 99.
Khatabi Abdelkrim 83.
102.
Khelafr.a (3 frères) 42.
LouniArezki 108.
KherrazTayeb 84, 173. Khiari Abdelkader dit
Lucchini (gardien) 120.
Rehaiem 29, 30, 34. Khider Mohamed dit Sid-Ali 36,37,85,86, 141, 180, 207.
33.70, 123, 180.
Merzougui Mohamed 66, 89, 105, 113. Mesbah Mohamed 90.
M Maâche Amar dit Amar marché noir 53,77. Madaoui Hocine 174.
Messali Hadj 26,31,55,56, 57, 58, 59,64, 70,71,72, 79.80.99, 176.
Khodja Ali 118.
Madhi Larbi 112.
Messaoudène (Cheikh Tahar) 95.
Kidioui Tahar 73. Kiouane Abderrahmane 57.
Madhi Mebarek dit Chebata Torki 44.
Messaoudi Abdelouahed 34.90.96.99, 113, 175.
Kouach Rachid 100.
Madoui Abderrahmane 144.
Messaoudi Saïd 129.
Krim Belkacem 23,33,70,
Madoui Tayeb 42,43.
Messaoudi Zitouni 133,118.
Mahfoudhi Mohamed 79.
Mezghena Ahmed 56, 176.
Mahmoudi Abderrahmane 134.
Mitterrand François 169.
Mahmoudi Ahmed 43. Mahsas Ali 34, 58, 87.
Mohammedi Saïd 207. Moh Touil 68.
Maïza Mohamed 144.
Moufdi Zakaria 177.
Malek Rédha 25,207,208.
M’rizek (Hadj) 77.
Lacoste Robert (gouverneur général) 169.
Mallem Ayache (Me) 54.
Mostefaï Mohamed Seghir 41.
Ladjouzi Tahar 133. Lagha Omar 85.
Mansour (pseudonyme) 100.
74,75,76,77,85,86,88, 91,92,93,95,96,97, 98, I 14, 126, 167, 168, 180. 199, 207, 208. Krim Rabah 126, 131, 177.
L
Laghouati Abderrahmane 78. Laghrour Abbès 53,73. Lahouel Hocine 34,54,57, 87,96.
Malpel (maire) 53. Maroc Mohamed dit
Mohamed Madjid 83.
N
Boucebsi 29. Nabti Sadek 90. Massu 37, 128, 169, 171, 172,Naït-Merzoug Abderrahmane 173, 176. Mazouzi Mohamed Saïd 112.
214
34, 74, 90,96,99, 175. Nasser (président) 85, 86.
Index des noms Y
Schmidt (Docteur) 27. Neguib Mohamed (général) 85. Nemri Hamid 176. Nezzari Lahcène 43 N'mer Ali I I I . Nouaceur Mohamed 43.
O Omar El Biaâ 37 Ouamrane Amar dit Boukarou 74, 75, 76, 77, 79, 93,95,96, 199, 201, 207, 209. Ougana Rabah 29. Ould-Hammouda Amar 26. Ould-Mohamed El-Hadi 75 134. Oussedik Omar 26,80.
P Perrot Marie (journaliste L’Humanité) 122. Petit-Moh 37.
Schoen (colonel) 40. Sebaâ Mohamed 117. Sebbagh Abdelkader 82,83, 84,1 10. Sefouhi 42. Sekkat Abdelkader 90. Sekkat Brahim 90. Semina Ahmed Aïbi 90. Senhadri Hafid-V.153. ° Senoussi Abdelkader 117, I 18, I 19.
Redjimi Badredine 73. Regam Abderrahmane dit Zouaoui 110. Reguimi Djillali 28, 34. Remili Hamid 129. Roudesli Mustapha 41. Rouget 37.
S Sahnoun Mohamed (Cheikh) 149. Saïd (Ammi) 40. Salhi H’souna 166. Salvayx André 53.
Yousfi M’hamed 34.
Z Zabana Ahmed dit H’mida 117, 118. Zamoum Mohamed dit Salah 75,86,93. Zaouia Lakhdar 43. Zeghloul Pacha 190.
Sidi Yakhlef Mohamed dit Zehouane Ahmed 126, 177. Mustapha 115, 117, I 18, I 19. Zehouane Hocine 116, 126, Sifi Mustapha 174. Slimani Slimane 136, 137, 138. Smaïhi 94. Smaïli le tailleur 174. Souidani Boudjemaâ dit Si Djillali 33,37,48, 66,93, 162, 180. Souyah Elhouari 117, 120. Stibb Pierre et Renée (Mes) 114.
R Radjef Belkacem 58. Rafaï Abdelkader dit Bud Abott 37.
Yacef Saâdi 84, I i 3, 114. Yazid M’hamed 87, 207.
T Taouti (bachagha) 54. Teitgen Paul (SG préfecture d’Alger) 132. ThaâlbiTayeb 144,207,209. Thevenet (Me) 120. Tod El-Hachemi 88. Touabti Messaoud dit Mustapha 129, 131. Toudjin Abderrahmane 89. Touron (commissaire) 27. Trinquier 171. Trodi El-Hachemi 26, 144.
V Vaujour Jean 95.
215
127. Zelmat Messaoud 52,94,95. Zergaoui Mustapha 34, 139,
175. Zerouali 112. Ziar Abdelkader 174. Zighout Youcef 50,66,93, I I I , 199,207,209.
Table des matières
Préface..... ................................................................................................. 7 Préambule................................................................................................ 23 SiTayeb El-Watani..................................................................................... 25 La découverte de l’Organisation Spéciale (OS).......................................... 29 Boudiaf et les "irréguliers"........................................................................ 34 Mon engagement..................................................................................... 39 Les desperados des Aurès ....................................................................... 48 Des bombes à Batna.................................. .............................................. 53 Le malaise................................................................................................ 55 Le Comité Révolutionnaire pour l’Unité et l’Action (CRUA)........................ 58 La réunion des "22".................................................................................. 66 La colère des Messalistes......................................................................... 71 Alerte a la frontière tunisienne................................................................. 73 La rencontre avec Krim............................................................................. 74 Les tentatives de regroupement................................................................ 79 La délégation algérienne du comité du Maghreb Arabe Au Caire................ 86 Les dernières touches.................................................................................89 Les derniers jours..................................................................................... 90 L’ultime réunion des six........ *................................................................. 91 A la veille du déclenchement....................................................... ............. 96 En prison................................................................................................. 100 Libres... mais meurtris............................................................................. 123 L’évasion................................................................................................. 133 Au maquis............................................................................................... 135
217
Les architectes de la Révolution Boudiaf à Kenitra..................................................................................... 141 Le retour de Boudiaf................................................................................ 142 Ben M’hidi : un homme du
peuple..................................................... 161
Boukchoura Mourad : un militant engagé................................................. 173 Annexes........................................................... ........................................ 179 1- Historique du siège de la direction de la révolution sous la responsabilité du coordinateur Mohamed Boudiaf...............179 2- Lettre de Boudiaf à Kechida....................................................... 183 3- Discours testament prononcé par le président Boudiaf le 29 juin l992 àAnnaba................................................................. 185 4- Front de Libération Nationale : Proclamation............................. 193 5-Armée 6-
de Libération Nationale : Appel..................................... 197 FLN/ALN le congrès de la Soummam..............................199
Index des noms....................................................................................... 21 I Table des matières................................................................................... 217
218
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"J’ai été servi par l’Histoire " t e l est le sentiment de cet homme dont le destin sera intimement lié au déclenchement de la révolution. Aissa Kechida, militant de la cause nationale et compagnon de Boudiaf, Benboulaid, Ben M’hidi, Didouche, Bitat et Krim, les six architectes de la révolution, nous narre avec lucidité et humilité quelques épisodes mouvementés de sa vie militante, et de celle d’une poignée d’hommes qui avaient choisi le mode de lutte armée, et cru avec force à l’aboutissement d’un destin heureux d’une Algérie souveraine, malgré le scepticisme et l’opposition des politiques. Ce témoignage est celui de l’homme dont la modeste boutique de tailleur, située en haute Casbah d’Alger, après avoir abrité les militants de l’O.S recherchés par la police française, deviendra le premier siège de l’état-major de la révolution où était conçue et arrêtée la stratégie de la lutte de libération. Cet écrit vivant, abonde de faits historiques et apporte également une contribution à l’écriture de l’histoire de notre pays.
© CHIHAB
ISBN: 9961- 63 -456 -X