L'agriculture et la ville, vers une complémentarité réinventée

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L’agriculture et la ville, vers une complémentarité réinventée Enjeux et impacts d’une relocalisation alimentaire en Région bruxelloise

Mémoire de fin d’étude - Duret Babette




(Illustration de première de couverture réalisée sur base d’un document paru dans Metropolitan Landscapes)


L’agriculture et la ville, vers une complémentarité réinventée Enjeux et impacts d’une relocalisation alimentaire en Région bruxelloise

Promoteur : Bernard Deprez Année académique 2015-2016 Faculté d’Architecture La Cambre - Horta - ULB

Babette Duret Mémoire de fin d’étude



« Food is a very powerful organizing tool. You can’t really conceive of community development plans anymore and leave food off the map. It has to be the central organizing element, and other issues, like literacy, crime reduction, urban revitalization, improvements in physical and mental health, will naturally follow. » Will Allen, fondateur et directeur général de Growing Power, Inc, 2011.



R emerciements Je voudrais premièrement remercier mon promoteur, Bernard Deprez, pour son soutien, son aide et le temps qu’il m’a accordé pour ce mémoire. Merci ensuite à Noémie Maughan de m’avoir éclairée quant au sujet et pour ses conseils précieux. Merci à Sofia Baruffol, qui a pris du temps à me faire visiter l’exploitation agricole du Début des Haricots, à m’expliquer en profondeur le projet, et à me faire partager sa vision de la production agricole pour l’avenir de Bruxelles. Merci à Lison Hellebaut et Catherine Fierens qui m’ont expliqué en détails les ambitions des différents projets de Bruxelles Environnement. Merci à mes parents pour le temps qu’ils ont passé à relire ce mémoire et pour leur soutien tout au long de l’année. Et enfin, merci à ma soeur, à Cylène et à Martin pour leurs conseils avisés.

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S ommaire A vant - propos ........................................................................... p.13 I ntroduction ........................................................................... p.17

LE DÉSIR DE CHANGEMENT O rigines

et causes .................................................................. p.23

A cteurs

émergents ................................................................. p.55

Évolution du transport et des techniques, mondialisation des échanges Période d’après guerre et la Révolution Verte Du système agro-industriel à la centralisation de la production alimentaire Impacts des organismes génétiquement modifiés Vers la généralisation des supermarchés Évolution du budget alloué à l’alimentation et impacts Conclusion

Mouvements citoyens internationaux Acteurs bruxellois

LA RELOCALISATION ALIMENTAIRE, OUTIL DE CHANGEMENT É volution des terres ( péri ) urbaines ...................................... p.89 Bruxelles du xiii au xix siècle ème

ème

Etat actuel

O bjectifs

de l ’ agriculture urbaine ....................................... p.107

Pour le monde Pour la ville Pour l’homme Conclusion

D ifférentes techniques ........................................................... p.129 L’agriculture biologique La permaculture La culture hors-sol Conclusion

D ifférentes

échelles en intra - urbain .................................... p.143

Du micro à l’échelle intermédiaire De l’échelle intermédiaire au macro Conclusion

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N ouvel

urbanisme ............................................................. p.165

L’urbain, entre ville et campagne Un bout de campagne en ville La ville réinventée Nouvel écosystème urbain: la revalorisation des déchets

C onclusion ....................................................................... p.183 S ources et B ibliographie ................................................ p.187

A nnexes ............................................................................ p.199 Entretien avec Noémie Maughan Entretien avec Sofia Baruffol Entretien avec Lison Hellebaut et Catherine Fierens Photos personnelles des différents projets mentionnés Acteurs du rabad

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A vant - propos Choix du sujet

Au cours des mes études d’architecture, les questions relatives à l’interaction entre la ville, l’architecture et les hommes m’ont toujours attirées. J’ai eu l’occasion de travailler sur des projets publics, comme un crématorium, mais aussi sur des projets plus urbains comme l’avenir du quartier de la Rue de la Loi et la zone de l’OTAN. Ces différents projets m’ont particulièrement intéressée car ils sortaient de l’enveloppe du bâtiment et suscitaient une interaction entre celui-ci et son contexte. Je pense que l’architecture de manière générale peut représenter bien plus qu’un simple bâtiment, qu’elle gagne à s’enrichir de son contexte et qu’elle doit veiller à lui profiter également. Les problématiques actuelles liées à l’environnement et leurs relations au domaine de l’architecture m’ont elles aussi toujours intéressée, c’est pourquoi j’ai choisi l’option d’Architecture Ecologie et Durabilité en première année de master. C’est lors d’un travail de rédaction dans le cadre de cette option que j’ai commencé à me renseigner sur l’agriculture urbaine dans les villes occidentales ainsi que sur ses potentialités. Au début de mes recherches, il m’a semblé que cette pratique était vue par certains comme un simple hobby et il me parut intéressant de questionner son potentiel productif et ses conséquences sur la ville. Les différentes échelles de l’agriculture urbaine (individuelle, collective, commerciale, etc.) m’ont amenée à distinguer deux approches: l’une plus axée sur la productivité et l’autre sur la sociabilité. L’approche sociale m’a semblée plus cohérente sur bien des aspects que je développerai dans ce mémoire. Le sujet de l’agriculture urbaine m’a d’emblée séduite par sa richesse car il m’est apparu que cette pratique ne se limite pas à une simple activité et qu’elle peut être bénéfique à de nombreux milieux. Au delà de la production alimentaire et des bénéfices sociaux qui en découlent, elle soulève, de près ou de loin, des questions bien plus importantes comme l’augmentation de la population urbaine, l’épuisement des ressources, les dégâts environnementaux, le changement climatique, les inégalités d’accessibilité aux différentes ressources, etc. Je me suis également rendue compte que l’agriculture urbaine n’est pas une pratique nouvelle, l’interdépendance du rural et de l’urbain remonte à la formation des villes mais le lien qui les unissait s’est altéré au fil du temps, ce qui a eu de nombreuses répercutions tant sur la ville que sur le monde et sur les rapports à l’alimentation. J’aimerais questionner les conséquences de cette déconnexion de la ville avec la production agricole, et ce qui semble être une nécessité de la réintroduire en zone urbaine actuellement. Je m’interroge particulièrement sur les différentes formes que cette production peut prendre, à sa localisation ainsi qu’à ses objectifs, et sur ce qui amène à son développement croissant dans les villes occidentales. J’ai choisi de m’intéresser à la ville de Bruxelles car de nombreuses dynamiques liées à la production agricole urbaine émergent

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et tendent à s’officialiser mais aussi car j’y habite depuis toujours et que son avenir me concerne.

Méthodologie

D’un point de vue méthodologique, j’ai nourri ma recherche à l’aide de trois ouvrages principaux. Le premier s’intitule Food and the City de Jennifer Cockrall-King. L’auteur, d’origine canadienne, s’appuie sur les voyages qu’elle a effectués dans certaines villes pionnières en terme d’agriculture urbaine (Paris, Londres, Vancouver, Los Angeles, Toronto, Milwaukee, Detroit et Cuba) et relate l’histoire des différents projets qu’elle y a découvert. Ceux-ci vont du petit potager de quartier aux fermes verticales, et donc du concret aux suppositions. L’ouvrage retrace aussi l’évolution du système alimentaire occidental depuis le début du vingtième siècle et établit un lien entre le modèle actuel et de nombreux dérèglements globaux. Le livre Hungry City, de Carolyn Steel, m’a apporté une approche plus historique sur la relation entre l’alimentation et les villes, depuis leur création jusqu’à l’époque actuelle. L’auteur, d’origine londonienne, illustre ses propos avec le cas de la capitale anglaise qui a très vite développé un système d’échange international grâce à sa localisation géographique. Le troisième ouvrage que j’ai lu s’intutle Continuous Productive Urban Landscapes, et a été rédigé par un collectif d’architectes et urbanistes. Comme dans les deux premiers, les auteurs de celui-ci illustrent leurs propos par des exemples passés et récents. Ils y développent leur modèle de ville « idéale » et le rôle que l’espace ouvert peut y jouer. L’agriculture est ici vue comme un outil qui serait utile à la ville et qui ne se limiterait pas à la production agricole. Ma recherche a été complétée par des sources secondaires mais ces ouvrages m’ont permis de comprendre un peu mieux les différents enjeux de l’agriculture urbaine et plus largement la nécessité de reconnecter la ville et la production alimentaire. J’ai également lu de nombreux rapports internationaux et bruxellois incontournables en la matière, qui m’ont apporté les bases théoriques et chiffrées et m’ont permis de connaître l’actualité de la pratique agricole urbaine et périurbaine. Tout au long de l’année, j’ai eu l’occasion de rencontrer différents acteurs bruxellois travaillant dans la recherche, sur le terrain ou développant des projets institutionnels (voir entretiens en annexe), ce qui m’a permis de croiser différents points de vue et approches.

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I ntroduction La population de la planète a plus que doublé depuis 1960, et aujourd’hui, suite à l’exode rural croissant et à l’attractivité des villes, plus de la moitié des habitants de la planète vit en ville. Aux États-Unis comme en Europe, cela représente près de 80% de la population et d’ici 2030, deux tiers de la population mondiale sera urbaine1. Inévitablement, cette hausse démographique entraine des mutations dans l’élaboration et l’évolution des villes, ainsi que dans la manière dont elles fonctionnent (transport, gestion des déchets, approvisionnement en ressources vitales, logement, etc.). Le visage de la ville de demain suscite de nombreux intérêts allant des méga projets urbains qui tentent de réinventer la ville dans sa globalité, aux initiatives citoyennes dont les objectifs sont souvent plus concrets et réalistes à court terme. Les principaux thèmes qui en ressortent sont généralement l’énergie (récupération, création, formes alternatives, etc.), l’eau (cycles fermés, récupération, etc.), le transport, l’aspect social (nouveaux rapports humains, collectivité, etc.) ainsi que l’alimentation (nouveaux réseaux, nouvelles techniques, etc.). Que ce soit de près ou de loin, ces différents thèmes sont liés et leur fonctionnement individuel impacte sur la globalité du système urbain. C’est l’ensemble de ces fonctionnements qui pose problème étant donné que ceux-ci reposent en grande partie sur des ressources fossiles comme le pétrole, dont l’approvisionnement reste incertain dans les années à venir. Ce constat amène à différentes réflexions qui explorent des alternatives au mode de vie consumériste occidental.

1.   Robert Kunzig, « Population 7 billion », National Geographic, Janvier 2011, p.50. 2.   La résilience désigne la capacité des systèmes à retrouver leur équilibre après une perturbation. Wikipédia, Ville résiliente. En ligne: https://fr.wikipedia.org/wiki/ Ville_résiliente, page consultée le 8 juin 2016.

Il existe une ressource dont nous dépendons réellement depuis la nuit des temps et dont nous aurons toujours besoin jusqu’à preuve du contraire, c’est la nourriture. Se nourrir est essentiel à la vie, mais se nourrir bien l’est encore plus. Encore faut-il définir ce que signifie « bien manger », on peut en effet l’entendre du point de vue de la santé, des bienfaits et méfaits du système alimentaire sur notre organisme mais on peut aussi penser, à plus grande échelle, aux conséquences sur l’environnement et aux inégalités liées tant à la production de la nourriture, qu’à son accès, ou encore à sa distribution. Au delà d’une simple ressource, l’alimentation a depuis toujours eu une grande influence sur la formation des villes, sur les échanges entre celles-ci, sur leurs flux, mais aussi sur l’environnement et les êtres humains. Au fil des siècles, la production alimentaire a subi des évolutions en terme de localisation, de production, de transformation et de distribution. Ces changements ont eu des impacts sur les villes qui sont devenues, avec le temps, de moins en moins résilientes2 autant d’un point de vue économique, qu’alimentaire. Il est difficile de s’en rendre compte actuellement, mais l’effort réalisé pour nourrir une ville est considérable et à des conséquences sociales et physiques sur l’humain et la planète. La difficulté de percevoir les traces de dépendances alimentaires externes au sein même de la ville (ré-approvisionnement

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nocturne, transformation en dehors des villes, aliments pré-emballés, etc.) amène à une illusion d’autonomie. Les différents échanges dont la ville dépend actuellement pour s’approvisionner sont pourtant bien présents et pour la plupart très fragiles. Ils reposent en effet en grande partie sur des réseaux complexes et surtout sur la ressource fossile qu’est le pétrole. A partir du moment où une ressource indispensable à la vie comme la nourriture dépend elle-même d’une autre ressource qui est elle limitée, c’est l’ensemble du système qui est mis en péril. Bien sûr, d’autres domaines en dépendent directement comme le transport, l’énergie, etc. mais on se concentrera ici uniquement sur l’agriculture et sa relation avec la ville. Depuis des années, la prévision de la fin du pétrole bon marché ne fait que reculer mais il arrivera un moment où il s’agira d’un fait concret et où le prix payé pour certaines denrées reflétera réellement son coût (emploi, production, transport, impacts environnementaux, etc.). Actuellement, les aliments largement délocalisés ont tendance, paradoxalement, à être les plus accessibles. Changer de ressource se fait sur le long terme et implique un coût considérable. Il est donc indispensable d’avoir un meilleur contrôle sur la production alimentaire dès à présent, et viser à la rendre plus pérenne pour assurer la sécurité alimentaire et une certaine qualité de vie aux générations futures. La production agricole, depuis longtemps déconnectée des villes occidentales, tend depuis quelques années à s’y (ré)introduire sous diverses formes et dans divers objectifs. La ville, comme ses habitants, semble souffrir de la distance qui les sépare actuellement et un besoin de reconnexion avec cette production ainsi qu’avec les contacts humains qui en découlent se fait sentir. Cette relocalisation a beaucoup à apporter, à l’humain d’une part (emploi, aspect social, rapport à la nature, etc.), mais aussi à ce qui tend à s’affirmer comme son biotope : la ville (qualité de l’air, paysage, porosité, rapports entre ville et campagne etc.). Comme la ville, le travail ou encore les systèmes de productions (mode, voitures, etc.), l’alimentation s’est vue peu à peu industrialisée et son rapport à l’homme - producteurs et consommateurs confondus - s’est vu dégradé. En effet, depuis quelques décennies, l’homme semble consommer de manière mécanique, sans même connaître la provenance, la composition ou les procédés de fabrication intrinsèques à son alimentation. Au delà de la qualité de la nourriture, ce sont aussi les interactions positives qu’elle rend possible (sociales, économiques, environnementales, etc.) qui ont presque entièrement disparu au fil du temps.

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LE DÉSIR DE CHANGEMENT (...) l’anecdote de notre assiette nous révèle autant le fonctionnement de nos sociétés que les crises sanitaires, économiques, environnementales et sociales auxquelles nous sommes confrontés mais l’alimentation permet également des engagements concrets, individuels et collectifs visant à l’élaboration de propositions alternatives, écologiques et conviviales (...) Rencontre des continents


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O rigines É volution

et causes

du transport et des techniques , mondialisation des échanges

L’approvisionnement en nourriture a toujours été le plus gros problème à gérer pour les villes. Les bords de mer sont devenus des endroits propices à leur développement car ils permettaient d’y acheminer de grandes quantités de nourriture telle que les céréales. Dans les terres, ce sont les mêmes raisons qui ont poussé les villes à se développer près des cours mais ceux-ci devenaient impraticables en cas de gel et mettaient à mal cet approvisionnement1. La ville devait faire face à des problèmes liés au stockage des aliments et à la conservation indispensable pour les longs trajets. Pour ce qui est des animaux, ils avaient l’avantage de se déplacer seuls et l’abattage se faisait directement dans la ville pour garantir la fraicheur de la viande. Le reste de l’alimentation dépendait en grande partie des campagnes avoisinantes avec lesquelles les villes ont toujours entretenu un rapport d’interdépendance. En contrepartie d’une production alimentaire, les villes fournissaient aux campagnes une partie de l’engrais (matières fécales humaines) et les outils nécessaires à la production, mais permettaient aussi de répondre aux besoins plus spécifiques comme les vêtements, la police, les savoirs, etc. L’hinterland qui entourait les villes était donc crucial à leur fonctionnement et c’est sa capacité productive qui en définissait les limites.

1.  La ville de Paris connu de grandes famines aux 17ème et 18ème siècles car la Seine était gelée. 2.  La première machine frigorifique fonctionnelle fut brevetée par l’américain Jacob Perkins en 1835. Il faudra attendre 1851 avec James Harrison, pour que ce système soit adapté à l’usage industriel. Wikipédia, Réfrigérateur. En ligne: https://fr.wikipedia.org/wiki/Réfrigérateur, page consultée le 16 juin 2016. 3.  Collectif, Farming the City: Food as a Tool for Today’s Urbanisation, Hollande, Cities/ trancity*valiz, 2013, p.25.

L’arrivée du chemin de fer dans la moitié du 19ème siècle a eu un grand impact sur la taille des villes et sur la manière dont elles se procuraient de la nourriture. Ne dépendant plus des campagnes proches, celles-ci ont pu s’étendre et les distances qui séparaient les bêtes et les aliments de la ville, parcourues plus rapidement, ont pu être augmentées. Ces dernières se sont vues accentuées d’autant plus avec l’apparition de techniques de conservation plus performantes, comme le réfrigérateur2. Cette délocalisation fut également rendue possible grâce à la diminution du prix du transport des marchandises. L’approche fonctionnaliste ainsi que les normes hygiénistes ont par la suite amené à séparer au maximum les fonctions et à déplacer les industries (abattoirs, usines, etc.) en dehors de la ville. Avec l’élargissement des villes, les terres agricoles qui auparavant les jouxtaient ont peu à peu disparu ou se sont éloignées à cause de l’augmentation du prix du foncier. La plupart des villes se sont étendues au delà de la capacité productive de leur hinterland3. Au fil des années, le producteur s’est vu déconnecté du consommateur, et parallèlement, la ville de sa campagne. La délocalisation de la production alimentaire a donc eu un impact sur la morphologie des villes mais aussi sur leur fonctionnement interne. Les différents flux de nourriture dont l’arrivée presque journalière rythmait la vie urbaine sont devenus de moins en moins présents et perceptibles par les citoyens. La nourriture qui se voyait et se sentait dans les rues et jardins,

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Origines et causes - Évolution du transport et des techniques, mondialisation des échanges

4.  Emile Zola, Le Ventre de Paris, Paris, 1873, p.71. 5.  Définition de la théorie de l’avantage comparatif :  « l’échange est toujours préférable pour un pays: qu’il ne possède aucun avantage absolu ou au contraire qu’il possède plusieurs produits avec un avantage absolu». David Ricardo, Des principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817. Économiste britannique libéral influent de l’époque, l’auteur a fait partie de l’école classique aux côtés, entre autres, d’Adam Smith et de Thomas Malthus. Parmi ses apports théoriques figurent aussi: la théorie de la valeur, l’opposition au protectionnisme, la théorie de l’étalon-or, la théorie de la rentre de la terre, la représentation graphique de la distribution des revenus ainsi que l’équivalence ricardienne. Wikipédia, David Ricardo. En ligne: https://fr.wikipedia.org/ wiki/David_Ricardo, page consultée le 8 juin 2016.

s’est peu à peu déconnectée de la question urbaine. Dans Le Ventre de Paris, Zola nous offre une description de la capitale française de la seconde moitié du XIXème siècle illustrant la présence et la centralité de la nourriture à cette époque: (...) Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d’or volante. Le réveil avait grandi, du ronflement des maraîchers, couchés sous leurs limousines, au roulement plus vif des arrivages. Maintenant, la ville entière repliait ses grilles ; les carreaux bourdonnaient, les pavillons grondaient ; toutes les voix donnaient, et l’on eût dit l’épanouissement magistral de cette phrase que Florent, depuis quatre heures du matin, entendait se traîner et se grossir dans l’ombre. A droite, à gauche, de tous côtés, des glapissements de criée mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de la foule. C’était la marée, c’étaient les beurres, c’était la volaille, c’était la viande. Des volées de cloche passaient, secouant derrière elles le murmure des marchés qui s’ouvraient. Autour de lui, le soleil enflammait les légumes. Il ne reconnaissait plus l’aquarelle tendre des pâleurs de l’aube. Les cœurs élargis des salades brûlaient, la gamme du vert éclatait en vigueurs superbes, les carottes saignaient, les navets devenaient incandescents, dans ce brasier triomphal. A sa gauche, des tombereaux de choux s’éboulaient encore. Il tourna les yeux, il vit, au loin, des camions qui débouchaient toujours de la rue Turbigo. La mer continuait à monter. Il l’avait sentie à ses chevilles, puis à son ventre ; elle menaçait, à cette heure, de passer par-dessus sa tête. Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l’estomac écrasé par tout ce qu’il avait vu, devinant de nouvelles et incessantes profondeurs de nourriture, il demanda grâce, et une douleur folle le prit, de mourir ainsi de faim, dans Paris gorgé, dans ce réveil fulgurant des Halles. De grosses larmes chaudes jaillirent de ses yeux. (...)4

Comme les villes ne dépendaient plus de ressources proches et qu’elles pouvaient compter sur les nouvelles technologies de transport (souterrain, terrestre, aérien, fluviale, etc.) qui permettent l’accès à tous types de ressources (nourriture, eau, électricité, gaz, etc.), elles ont pu se développer dans des lieux totalement inhabités et, à priori, non propices au développement urbain (déserts, pôles, etc.). Des exemples comme Las-Vegas et Dubaï, les deux villes artificielles par excellence, reflètent assez bien cette pratique. En dehors de ces nouvelles villes créées de toute pièce, la plupart des grandes villes existantes suivent cette même logique et dépendent, elles aussi, de ressources souvent très éloignées (énergie, alimentation, etc.). L’évolution des transports et des techniques de conservation a aussi eu un impact sur l’accès à la nourriture. Certaines denrées qui étaient auparavant inaccessibles dans les pays du Nord (orange, banane, etc), d’abord à cause de la distance et ensuite à cause du prix, se sont peu à peu banalisées. La théorie de l’avantage comparatif5 ainsi que les traités de libre-échange entre les pays se sont vus globalisés. Petit à petit, les saisons se sont vues oubliées, car pour

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Le désir de changement

peu que ce soit l’été quelque part sur le globe, le reste du monde, ou en tout cas nos pays dits « développés », a accès à sa production. L’objectif de ces accords entre les pays était à la base de permettre l’importation de nouveaux produits jusque là inconnus tout en permettant le développement économique des pays. Cela a néanmoins mené à un commerce mondialisé de toutes les denrées confondues, instaurant parfois une concurrence entre les productions nationales et les importations internationales, bien souvent disponibles à un prix de vente plus bas. Ces différences de prix s’expliquent par les techniques de production dont les rendements et les rémunérations diffèrent en fonction des pays. La mondialisation des échanges agricoles ainsi que l’industrialisation croissante de l’agriculture menace aujourd’hui tant les pays du Nord que ceux du Sud, on constate en effet une perte de 25% des agriculteurs en Europe entre 2000 et 20096.

6.  Corentin Dayez, « Le commerce international du lait, un jeu de dupe où tout le monde perd », Oxfam magasins du monde. En ligne: http://www.oxfammagasinsdumonde.be/article_declic/le-commerce-international-du-lait-un-jeude-dupes-ou-tout-le-monde-perd/, page consultée le 8 juin 2016. 7.   Ibid.

« Oxfam-Magasins du monde défend un modèle agricole viable pour l’ensemble des paysans du globe. Les paysans d’ici et d’ailleurs doivent pouvoir vivre de leur travail décemment et vendre leur production à un juste prix, prenant en compte les coûts de production et la juste rémunération de leur travail. En créant de meilleures conditions pour l’agriculture paysanne au Nord, nous favorisons également ce modèle partout ailleurs dans le monde. »7

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La

période d ’ après guerre et la

1.  Thomas Malthus, économiste libéral britannique, s’est lui aussi penché sur le sujet quelques siècles plus tôt en observant ce qu’il appellera une catastrophe malthusienne. Il remarque que la croissance exponentielle de la population mène à un épuisement des ressources naturelles qui suivent elles, une croissance linéaire. Ces deux variables ne sont donc pas compatibles à long terme et se soldent par un effondrement démographique: la catastrophe malthusienne. Wikipédia, Catastrophe malthusienne. En ligne: https://fr.wikipedia.org/wiki/Catastrophe_malthusienne, page consultée le 8 juin 2016. 2.  Jennifer Cockrall King, Food and the City: Urban Agriculture and the New Food Revolution, USA, Prometheus Books, 2012, p.39. 3.   Ibid. p.40. 4.  Traduction personnelle: « j’ai péché contre le sage créateur, et j’ai été puni de manière justifiée. Je voulais améliorer son travail parce que, dans mon aveuglement, je croyais qu’un maillon de la chaîne étonnante des lois qui régissent et renouvellent constamment la vie sur la surface de la terre, avait été oublié. ». Justius von Liebig, Organic Chemistry and Its Application to Agriculture and Physiology, 1840. 5.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.16.

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R évolution V erte

Au début du vingtième siècle, une peur s’est accentuée par rapport à l’augmentation toujours croissante de la population et à la soi-disant limitation des ressources1. Le monde, qui comptait à l’époque 1,6 milliard d’êtres humains, voyait sa population augmenter de 5% par an2. Il paraissait évident que le système de production alimentaire devait changer pour suivre cette mouvance. Comme le dit Wayne Roberts dans son livre The No-Nonsense Guide to World Food : « la route vers la malbouffe, la pollution agricole et la pauvreté rurale étaient pavées de bonnes intentions dans l’après guerre »3. La volonté de nourrir la population, qui grandissait de manière exponentielle, a poussé à vouloir améliorer le rendement des cultures pour produire plus et plus rapidement. On savait déjà à l’époque que l’azote permettait d’augmenter la vigueur des plantes et son taux de croissance et donc d’obtenir un meilleur rendement des cultures. Commença dès lors, l’ère du dépassement des limites naturelles dans sa version la plus « soft » (technique assimilée au compost). Suite aux dérèglements économiques et sociaux d’après-guerre et à l’industrialisation, cette volonté de contrôler la nature s’accentua et les produits phytosanitaires se développèrent. « I have sinned against the wisdom creator and, justly, I have been punished. I wanted to improve His work because, in my blindness, I believed that a link in the astonishing chain of laws that govern and constantly renew life on the surface of the Earth had been forgotten. »4 Justus von Liebig, chimiste allemand

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, les fertilisants chimiques, les pesticides et les herbicides sont apparus comme la formule miracle grâce à leur facilité de mise en œuvre. Ils se sont très vite généralisés dans le domaine de l’agriculture au point de devenir aujourd’hui des techniques apparentées à l’agriculture « conventionnelle ». C’était sans compter sur l’aide de la Révolution Verte qui permis la globalisation de l’agriculture industrialisée. Ce sont principalement les États-Unis, et plus précisément la Fondation Rockefeller, qui ont convaincus des pays en voie de développement comme le Mexique, l’Inde ou encore l’Indonésie, que l’industrialisation de l’agriculture était le seul moyen de pallier aux famines et d’assurer la sécurité alimentaire de leurs pays car elle offrait l’avantage de produire abondamment à prix démocratique (principalement le riz, le maïs et le blé). Cette révolution avait comme fondement l’emploi de produits phytosanitaires, de variétés sélectionnées à haut rendement, d’outils mécanisés (tracteurs, etc.) ainsi que l’irrigation intensive des cultures. Comme défini lors du Sommet Mondial de l’Alimentation des Nations Unies de 1996, la sécurité alimentaire existe « quand toutes les personnes ont accès à suffisamment de nourriture de qualité et assez nutritive pour maintenir une vie saine et active »5. Si l’on se réfère à cette définition, les objectifs de


Affiche de propagande pour l’insecticide appelé DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) (Penn salt chemicals, 1947)


Origines et causes - La période d’après guerre et la Révolution Verte

6.  Carolyn Steel, Hungry City: How Food Shapes Our Lives, Londres, Vintage Books, 2013, quatrième de couverture. 7.   Wikipédia, Révolution verte. En ligne: https://fr.wikipedia. org/wiki/Révolution_verte, page consultée le 25 juin 2016. 8.  Robert Kunzig, op. cit., p.68. 9.  Coline Serreau, Solutions globales pour un désordre global, Documentaire, avril 2010.

la Révolution Verte sont loin d’être atteints et on constate au contraire très peu de changement en terme de sécurité alimentaire dans les pays concernés depuis 1960. Alors que la production alimentaire mondiale a augmenté de 25% par personne dans la seconde partie du vingtième siècle, 850 millions de personnes souffrent toujours de la faim6. La Révolution Verte a également causé de nombreux dommages collatéraux comme « une pollution généralisée par les pesticides, une eutrophisation également généralisée, une perte massive de la biodiversité et de l’agro-biodiversité, un phénomène de dégradation et d’érosion des sols, de salinisation voire de perte de nappes phréatiques, et concernant la population : l’exode rural et l’apparition de gigantesques bidonvilles »7 (une personne sur sept vivrait dans un bidonville8). Cette quête du soi-disant « progrès » et du dépassement des rendements naturels de la terre a poussé certains fermiers, incapables de concurrencer le marché industriel fortement mécanisé et ses hauts rendements aux prix dérisoires, à migrer vers la ville ou à l’extérieur du pays en cédant de ce fait leurs terres aux gros producteurs. Ceux qui ont résisté ont été contraints pour la plupart de travailler pour ces mêmes producteurs et donc de se plier aux nouvelles techniques du milieu agricole (mécanisation, utilisation de fertilisants et pesticides, etc.) pour pouvoir continuer à vivre de l’agriculture (pour un temps incertain). Les conséquences de ce modèle agricole n’ont pas tardé à se faire connaitre. En dehors des conséquences environnementales qui touchent indirectement l’humain, l’impact de ces produits chimiques sur notre santé semble assez préoccupant. Ceux qui y sont le plus exposé sont bien évidemment les agriculteurs. Il arrive bien souvent que des productions situées dans des pays en voie de développement utilisent des produits interdits dans les pays industrialisés en raison de leur effet néfaste sur la santé alors que ce sont ces mêmes pays qui achètent la production. Dominique Guillet, fondateur de l’association Kokopelli affirme que l’agriculture occidentale serait une agriculture de guerre. Il observe à ce propos quelques mutations de matériel de guerre en alliés « indispensables » de l’agriculture. C’est le cas des tracteurs, amenés par le plan Marshall en 1947, qui ne sont autres que les descendants des tanks; les bombes, composées d’une synthèse d’ammoniaque, ont servi de substrat aux premiers fertilisants de synthèse; les gaz moutardes, quant à eux, ont ensuite servi d’insecticides9. Vandana Shiva, physicienne indienne mais aussi écologiste, écrivain et prix Nobel alternatif en 1993, clame elle aussi que ce sont les technologies développées pendant la guerre qui ont mené à l’industrialisation de l’agriculture. Elle pense que cette conversion s’est effectuée non pas en réponse à une demande mais uniquement parce qu’il fallait, d’un point de vue économique, que ces stocks deviennent utiles, voir indispensables, à un secteur.

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Le désir de changement

Selon Vandana Shiva, la Révolution Verte serait l’application du modèle industriel capitaliste à l’agriculture.

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Du

système agro - industriel à la centralisation de la

production alimentaire

1.   Jean-Martin Fortier, S’installer et bien vivre sur une ferme à échelle humaine, Conférence, Paris, 2 mars 2013. 2.   Slow Food, « Dénonçons l’accaparement des terres », Rapport, 2010. 3.  Jennifer Cockrall King, op. cit., p.63. 4.  United Nations’ Conference on Trade and Development (UNCTAD), « Tracking the Trend toward Market Concentration: The Case of the Agricultural Input Industry », Rapport, 20 avril 2006, p.8.

Parallèlement à la volonté de produire plus vite, l’homme, dans son éternelle recherche de profit, voulait aussi produire moins cher. La monoculture, qui allait de paire avec l’industrialisation de l’agriculture, sembla être la pratique la plus appropriée car elle promettait un plus grand rendement et nécessitait moins de main d’œuvre. Il existe des controverses aujourd’hui à ce sujet: Jean-Martin Fortier, maraîcher québécois, affirme que les cultures mixtes permettent un rendement bien supérieur sur des surfaces plus petites, moyennant « une bonne conception, de bons outils principalement manuels, une utilisation raisonnée des énergies fossiles et une planification rigoureuse »1. La monoculture demande de grands espaces situés de préférence à l’écart des villes afin d’éviter toute contamination par l’épandage de produits toxiques. Les terres agricoles vouées à cette pratique sont bien souvent acquises à moindre prix, soit dans des pays pauvres et « endettés » (forêt amazonienne, etc.), soit car elles ne figurent dans aucun registre de propriétaire (cultivées par des paysans pour subvenir à leurs besoins) et ne sont donc pas à l’abri de gros investisseurs. C’est contre ce mouvement mondial de land grabbing, autrement dit d’accaparement des terres, que l’association Slow Food a lancé une campagne en 20102. Il s’agit d’une pratique courante des grosses entreprises ou des gouvernements qui ne prennent nullement en compte la dépendance des populations locales envers les terres en question. Ce phénomène s’est accru depuis la crise économique et alimentaire mondiale de 2007-2008. Ces terres sont pour la plupart destinées à la monoculture (dont une majorité destinée à l’élevage, au biocarburant, etc.) et les pratiques qui y sont liées ont des répercutions directes sur la qualité du sol ainsi que sur les terrains et les populations des alentours (épuisement du sol, déforestation forcée, maladies, etc.) Suite à la généralisation de la monoculture, la production de certaines denrées alimentaires est devenue de plus en plus concentrée et certains pays se sont spécialisés dans une ou plusieurs cultures afin d’augmenter leur rentabilité et d’éviter ainsi toute concurrence (le soja au Brésil, le blé en Russie, etc.3). Cette concentration a lieu à l’intérieur des pays bien sur, mais aussi à l’échelle mondiale. Selon un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement4 publié en 2006, les trois compagnies Archer Daniels Midland, Cargill et Bunge contrôlent près de 90% du commerce mondial des céréales; Bayer Crop Science, Syngenta et BASF contrôlent la moitié des produits chimiques agricoles et Monsanto 1/5ème de la production mondiale des semences. La concentration de l’agriculture entre les mains de quelques multinationales est dangereuse car cela leur permet de maintenir le prix de vente très bas et donc d’anéantir toute concurrence de la part des 1.   Jean-Martin Fortier, S’installer et bien vivre sur une ferme à échelle humaine, Conférence, Paris, 2 mars 2013.

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Monoculture - Récolte du soja - Brésil, 2013 (crédit: ap images)


Origines et causes - Du système agro-industriel à la centralisation de la production alimentaire

5.   Cyril Dion, Demain : un nouveau monde en marche, France, Actes Sud (Domaine du possible), 2015, p.50. 6.   Collectif Stratégies Alimentaires asbl, « L’agriculture belge en évolution », Bruxelles, 2008. 7.   Centre Léopold pour l’agriculture durable, « Food, Fuel, and Freeways : An Iowa Perspective on How Far Food Travels, Fuel Usage, and Greenhouse Emissions », Rapport, Université de l’état de l’Iowa, 2001 . 8.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.29

petits producteurs. En plus d’un avantage lié à leur échelle internationale, ces mêmes grosses entreprises, qui produisent pourtant en grande partie de la nourriture destinée aux animaux d’élevage, à l’agro-énergie et aux agro-carburants, bénéficient de la plupart des subsides destinés à l’agriculture. Il est également fréquent qu’ils vendent leurs produits à perte, défiant ainsi toute concurrence: les distributeurs achètent plus bas que le prix du marché et les agriculteurs tirent un bénéfice uniquement sur les subsides, pour autant qu’ils y aient droit. Cette méthode permet certes, d’avoir de la nourriture à un prix anormalement bas dans les supermarchés, mais cela pousse surtout les petits producteurs, qui ne bénéficient d’aucun subside, à la faillite et à la réorientation professionnelle (pression des gros producteurs, recherche du prix le plus bas, concurrence déloyale, etc.). Ces derniers fournissent pourtant 70 à 75% de notre alimentation5. Dans les années cinquante en Belgique, le secteur de l’agriculture occupait 14% de la population contre 2% en 2006; en cinquante ans, le nombre d’exploitations professionnelles a diminué de 75%6. La globalisation de l’agro-industrie s’accompagne aussi de la perte progressive du savoir-faire lié à l’agriculture paysanne à travers le monde. L’échelle des grosses productions permet de vendre des produits bons marchés, mais il n’y a pas de prise en compte de la durabilité à long terme des ressources sur lesquelles se basent ces productions. Quand le pétrole viendra à manquer, tout le système risque de s’effondrer en laissant derrière lui des terres épuisées et des agriculteurs qui n’ont pas ou plus l’habitude de cultiver la terre en la respectant. Les grandes multinationales supervisent également des chaînes de production de plus en plus globales (production, transformation, emballage, transport, distribution). Il n’est pas rare de produire un aliment à un certain endroit, de l’emballer à un autre, et de le consommer encore plus loin, voir dans le pays d’origine; on peut citer l’exemple des crevettes de la mer du Nord qui sont emballées au Maroc et puis redistribuées en Europe. Un aliment parcourt en moyenne 2.400 kilomètres du champ à l’assiette7, ce qui complique inévitablement le contrôle et la traçabilité. Cette concentration et son exportation, mondiale dans la plupart des cas, peuvent représenter un réel danger dans le cas de contamination de cultures (la monoculture est plus sensible aux ravageurs et aux maladies qui se propagent d’autant plus vite). En un rien de temps, un aliment se retrouve distribué dans tout le pays et peut affecter des millions de personnes. La variété des marques pour un même produit nous amène à penser qu’il s’agit de différents producteurs mais ce n’est pas toujours le cas. A titre d’exemple, quand deux fermes de l’état de l’Iowa aux États-Unis furent touchées par la salmonellose en 2010, il a fallu enlever du commerce près de quatre cents millions d’œufs d’une dizaine de marques différentes et qui étaient déjà

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Serres Ă San Augustin, Andalousie, Espagne (crĂŠdit: Yann Arthus Bertrand)


Origines et causes - Du système agro-industriel à la centralisation de la production alimentaire

9.  Katrin Bohn, Joe Howe et André Viljoen, Op. cit., p.142. 10.  En 1992, Cuba produisait 93.000 tonnes de lombricompost. Ibid.

répartis à l’échelle nationale8. Cette centralisation implique aussi une dépendance de certains pays envers d’autres. Cuba, qui s’était spécialisée dans la production du sucre de canne au point d’en être le plus grand exportateur en 1860, a été totalement déstabilisée quand elle ne pu plus compter sur cette denrée pour faire tourner l’économie du pays. L’île, qui était sous embargo américain depuis 1962, s’est retrouvée en très peu de temps coupée de toute relation externe, notamment avec la Russie qui était leur principal acheteur. En 1989, les importations ont été drastiquement diminuées et Cuba a perdu 75% de ses capacités d’import/ export. A la chute de l’Union soviétique, en 1991, l’île, qui dépendait largement de l’importation, fut totalement isolée et du notamment trouver une alternative au pétrole dont dépendaient de nombreux de secteurs.9 Au delà de leur production alimentaire, ce sont aussi tous les réseaux de transport, d’électricité et de gaz qui ont du être adaptés radicalement. Ils ont donc du (ré)apprendre à cultiver sans aucun pesticide ou intrant chimique, mais aussi à se déplacer autrement, à cuisiner autrement, etc. Cuba s’est concentrée sur de nouvelles méthodes naturelles pour lutter contre les maladies agricoles et pour retrouver la fertilité originelle des sols10. En 1996, l’île comptait plus de 1.600 potagers qui représentaient une surface totale de 250 hectares et permettaient de produire en moyenne 16 kilos par mètre carré. Cuba est aujourd’hui reconnue mondialement pour son développement (forcé) en terme d’agriculture urbaine respectueuse de l’environnement. C’est un exemple qui témoigne de la dépendance d’un pays envers certaines ressources fossiles comme le pétrole mais aussi envers d’autres pays et le système de consommation de manière générale.

8.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.29

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Potager urbain (organoponico), Cuba (crĂŠdit: Bohn & Viljoen architects)


I mpacts

des organismes génétiquement modifiés

1.  Gabriel Vedrenne, « Les fruits «moches», marché à succès », Europe 1, http://www.europe1.fr/ consommation/les-fruits-mochesmarche-a-succes-2259937, page consultée le 25 juin 2016. 2.  Erik Millstone et Tim Lang, The Atlas of Food: Who Eats What, Where, and Why, Berkeley, 2008, p.44. 3.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.27. 4.   Katrin Bohn, Joe Howe et André Viljoen, Op. cit., p.44.

Une autre implication de ce phénomène de centralisation et des chaînes de production et de transport à rallonge est le fait que les aliments doivent être conditionnés pour résister à tous les aléas qui en découlent. Pour assurer la bonne présentation des produits dans les supermarchés, la règle des trois « P » est en vigueur : Proccesing, Packaging, Pesticide spray. Ce qui induit que les aliments sont en grande partie cueillis avant la maturation ou encore congelés afin d’éviter que ceux-ci ne pourrissent durant le trajet. Ils sont aussi pour la plupart modifiés, soit génétiquement pour obtenir une meilleure résistance aux changements de températures et aux différents types de transports (révolution génétique), soit sélectionnés directement par l’homme pour répondre aux critères visuels et gustatifs en vigueur de nos jours. Un tri est en effet effectué pour enlever les fruits « moches » ou autrement dit « non-conformes ». Selon Nicolas Chabanne, cofondateur du collectif des Gueules Cassées : « au plan national (France), 30% de la production n’arrive pas du champ à l’assiette ». Mais est-ce réellement le consommateur qui a établi cette conformité ou l’industrie agroalimentaire qui lui a inculqué ces « valeurs »? Pour répondre à cette « discrimination » et surtout en raison de la journée officielle de la lutte contre le gaspillage alimentaire, certains supermarchés français (Intermarché, Auchan, Monoprix, Cora, Leclerc) ont vendu ces produits 30% moins cher que leurs rivaux « conformes »1. La première plante génétiquement modifiée est apparue en 1984; il faudra attendre 1996 pour que les cultures à base d’organismes génétiquement modifiés (OGM ) soient plantées dans un but commercial mais près de 70% des aliments transformés contenaient déjà des traces d’OGM 2. L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture déclare que « nous avons perdu 75% de la diversité biologique des aliments à cause de l’agriculture industrielle »3. A titre d’exemple : il existait 287 variétés de carottes en 1903 et il n’en reste que 21 aujourd’hui4. Ce constat pose question quant à l’avenir et on peut se demander si un retour en arrière est encore possible. Les acteurs responsables de ces sélections sont multiples, on peut principalement citer Monsanto qui brevette de plus en plus de semences, modifiées ou non, et en inonde le marché en imposant leur emploi. Ces derniers, avec l’aide des gouvernements et des lobbyistes, ont entre autre établi un listing des semences autorisées, et quiconque cultiverait autre chose se trouverait dans l’illégalité. Certaines associations comme Kokopelli cultivent des variétés « oubliées » afin de ne pas les perdre à jamais et se trouvent donc dans une posture délicate. Pour le moment, ces semences sont données ou échangées avec des particuliers afin qu’ils les cultivent et les fassent perdurer dans le temps mais l’association risque d’être accusée de concurrence déloyale en cas de commercialisation. Il est aussi intéressant de préciser que la teneur nutritionnelle des fruits et

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légumes que nous consommons actuellement est nettement inférieure à celle des générations antérieures. C’est aussi une conséquence de ces changements génétiques, de l’utilisation de produits phytosanitaires à outrance ainsi que des processus de maturation accélérés. Plusieurs études démontrent que la teneur en vitamine, en calcium et en fer des fruits et légumes a nettement diminué depuis les années cinquante. Si à cette époque, les apports journaliers en vitamine A étaient comblés avec une banane, une pêche et une orange, il faut aujourd’hui consommer cinq bananes, dix oranges et vingt-six pêches pour les atteindre…5

5.   Jeffrey Christian, « Nutrient changes in vegetables and fruits, 1951 to 1999 », Tableaux comparatifs, 2002.

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V ers

la généralisation des supermarchés

1.  Jennifer Cockrall King, op. cit., p.52. 2.    Ibid. p.25-26. 3.   Ibid. 4.  Loi de l’offre et de la demande.

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L’« évolution » du système de production a mené à repenser aussi le système de distribution car les grandes quantités produites devaient être écoulées rapidement et massivement. Le supermarché de périphérie s’affirma car il offrait aux distributeurs ainsi qu’aux consommateurs un gain de temps et d’argent (grande échelle, localisation, réapprovisionnement, etc.). Ce phénomène n’aurait bien entendu pas été possible sans la généralisation de la voiture. Depuis les années nonante, les supermarchés sont devenus de plus en plus nombreux et de plus en plus grands, ces années marquent aussi le début des longues distances que parcourt la nourriture et l’échange international de celle-ci1. Le but premier des supermarchés avec les Alpha Beta Stores, lancés en 1914 par les frères Gerrard aux États-Unis2, était de combattre la hausse des prix liée à la première guerre mondiale grâce au concept du libre-service. Ce grand changement représenta la première rupture entre le vendeur et son client, dont l’échange ne se limitait plus qu’à l’argent. En 1917, toujours aux États-Unis, Saunders, dépose le brevet des « self-serving store » après avoir ouvert son premier magasin Piggly Wiggly un an plus tôt3. Il tenta aussi d’imposer en 1937 l’idée que les clients puissent scanner leurs produits eux-mêmes mais celle-ci n’eut pas le succès escompté. Cette optique de rentabilité n’est donc pas nouvelle, une idée comme le self-scanning paraissait totalement saugrenue à cette époque-là mais fait partie intégrante de notre quotidien aujourd’hui. Nous sommes donc passés du vendeur qui allait chercher nos produits, au libre-service, et aujourd’hui nous assistons au self-scanning. Ces « progrès » techniques permettent aux entreprises d’obtenir une marge toujours plus grande sur le prix de revient du produit, mais ce n’est pas pour autant que le prix de vente des produits diminue. Il semblerait que ce soit plutôt la marge du distributeur qui ne fasse qu’augmenter. La longueur des circuits alimentaires implique qu’il y a de plus en plus d’intermédiaires qui prennent eux aussi une marge sur le produit (production, transformation, packaging, transports multiples, entreposage, publicité, surveillance, logistique, etc.). En plus d’une économie sur la main d’œuvre en magasin, c’est aussi le prix de revient du producteur qui a été revu à la baisse, toujours dans l’intérêt du revendeur et non du consommateur. Alors que le plus gros du travail est souvent réalisé par le producteur, c’est en réalité lui qui touche la plus petite part. Les grandes chaines de production sont devenues tellement performantes que la production de surplus et le gaspillage ne sont plus des problèmes mais sont, au contraire, prévus. Ce n’est plus le consommateur qui régule la production mais sa consommation qui se voit régulée par l’offre qu’on lui propose4. Les techniques de vente sont devenues elles aussi de plus en plus efficaces et sournoises à la fois, parvenant à convaincre les gens d’acheter toujours plus (deuxième produit à moitié prix, x% « gratuit », etc.) et d’acheter les produits


Concept Store Alpha Beta, Californie du Sud, 1914 (crĂŠdit: Groceteria)


Origines et causes - Vers la généralisation des supermarchés

5.   Deloitte, « Classement des 250 plus grands distributeurs du monde », Rapport, 2013-2014. 6.   RDC Environment, «Inventaire et analyse des données existantes en matière d’offre alimentaire en Région de Bruxelles-Capitale », Etude, 2014. 7.   Delhaize, http://www. delhaizegroup.com/fr/CentreInvestisseurs/InformationsFinancières/ Chiffresclés.aspx, page consultée le 22 mars 2016.

que les supermarchés veulent vendre prioritairement (mise en avant de certains produits via les «têtes de gondole», présence majoritaire de certaines marques, etc.). Actuellement, la plupart des personnes habitant des pays dits « développés » font leurs courses dans les supermarchés et participent consciemment ou non à cette grosse machine qu’est l’industrialisation. Tout comme c’est le cas dans l’agriculture, quelques grandes enseignes se partagent les recettes mondiales : on peut voir que, selon le classement mondial des grands distributeurs réalisé chaque année par le groupe Deloitte5, pour l’année 2013-2014, la société française Carrefour se retrouve troisième derrière les sociétés américaines Wal-mart Stores et Costco Wholesales Corporation. On retrouve le groupe belge Delhaize en trente-troisième position, non loin derrière le groupe IKEA (vingt-huitième), ce qui n’est pas négligeable à l’échelle mondiale. A Bruxelles, la grande distribution représente 70% de la part du marché en alimentation courante et seulement 10% des magasins vendent près de 80% des produits alimentaires6. C’est le groupe Delhaize qui inaugura le premier supermarché, d’une surface de quatre cents mètres carrés, en 1957 sur la place Flagey. Ce dernier est toujours en activité et fut le premier d’une longue série; on compte aujourd’hui pas moins de 880 magasins en Belgique et un total de 3.402 magasins à travers le monde7 (chiffres de 2014). L’industrialisation croissante du système agroalimentaire, a mené à une mécanisation généralisée dans de nombreux secteurs. Les machines ont peu à peu pris la place des hommes et sont apparues comme le premier intermédiaire qui permettrait de gagner en productivité et donc en profit. Ce transfert de compétence et cette perte de lien directe avec la matière, quelle qu’elle soit, sont visibles à tous les échelons de la chaine alimentaire. Il y a en effet une rupture entre le vendeur et son client (self-serving, self-scanning, etc.) ainsi qu’entre le producteur et le consommateur (multiples intermédiaires), ce qui n’est pas sans conséquences sur la socialisation au sein des villes. Le développement des supermarchés a également participé à la perte de lien progressive entre la nourriture et la ville. Les supermarchés ont commencé à prendre le dessus sur les marchés, les épiceries de quartier, les poissonneries, les boucheries, et il en va de même pour tous les différents corps de métier qui parsemaient les villes autrefois. Ces différents lieux, hormis leur activité principale de vente, apparaissaient aussi comme des lieux de socialisation à part entière. Les gens s’y rencontraient, partageaient et se retrouvaient dans la ville grâce à eux. Le supermarché a permis de centraliser plusieurs magasins dans un seul bâtiment, il ne fallait plus parcourir la ville pour se procurer de la nourriture, et qui dit gain de temps, dit gain d’argent. Les épiceries se sont transformées en commerce de dépannage, aux horaires souvent plus flexibles que les supermarchés tandis que les marchés se sont raréfiés et sont passés du

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Premier supermarchĂŠ Delhaize en Belgique, Place Flagey, 1957 (crĂŠdit: delhaize)


Origines et causes - Vers la généralisation des supermarchés

8.  Raj Pattel, Stuffed and Starved : The Hidden Battle for the World’s Food System, Toronto, Harper Perennial, 2009, p.90. 9.  Traduction personnelle: « les supermarchés sont des inventions brevetées, et comme toutes les innovations, ils répondent à un besoin spécifique au temps et au lieu de leur conception». 10.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.12. 11.    Ibid., p.15-16.

point de vente principal pour tous à la tradition hebdomadaire pour certains. Le consommateur y a une attitude bien différente que lorsqu’il se rend au supermarché dans l’unique but d’acheter ses provisions pour la semaine le plus rapidement et le plus efficacement possible. Les supermarchés semblent exister depuis toujours et font aujourd’hui partie intégrante du paysage, mais en réalité, ils n’existent et ne se généralisent que depuis quelques générations. Comme le dit l’écrivain et économiste Raj Patel8: « supermarkets are patented inventions, and like all innovations, they respond to a specific need at the time and place of their conception »9. Cela peut mener à se questionner sur leur aspect actuel (forme, place dans la ville, fonctionnement) et leur complémentarité avec le fonctionnement des villes occidentales. Des changements sont déjà visibles dans les grandes villes comme Bruxelles qui bénéficient depuis quelques années du retour du magasin de proximité. Cependant, il ne s’agit plus d’épiceries mais bien de supermarchés miniatures appartenant aux grands distributeurs comme les City/Proxy Delhaize ou encore les GB express pour ne citer qu’eux. Toutefois, ce n’est pas le cas des villes plus réduites qui doivent compter presque exclusivement sur les grandes surfaces situées en bordure de ville. La dépendance de la plupart des grandes villes envers les supermarchés peut devenir inquiétante quand on sait qu’il ne suffirait que de quelques jours pour que ceux-ci se vident10. Ceci s’explique notamment par l’éloignement et la centralisation du réapprovisionnement, mais par les multiples fournisseurs répartis sur toute la surface du globe. Une telle situation de rupture de stock peut sembler apocalyptique mais pourrait être envisageable en cas de crise du pétrole, de fermeture des frontières pour cause d’attaque terroriste, de catastrophe naturelle qui bloquerait l’accès à la ville ou encore de guerre. L’effondrement économique de 2007 peut notamment témoigner de la rapidité des répercutions d’une « crise passagère » sur le système alimentaire. Durant celle-ci, le prix de certains produits de base (riz, maïs, farine, etc.) a rapidement augmenté tandis que d’autres n’étaient même plus fournis11. Pour éviter ce genre de crise, il faudrait repenser les villes et leurs dépendances externes de manière plus résiliente. C’est-à-dire, viser à ce que leur fonctionnement ne repose pas (entièrement) sur des ressources fossiles dont la fin pourrait mettre en péril tout le système. Une relocalisation des circuits agroalimentaires peut être un réel atout pour l’économie locale, pour s’adapter aux dérèglements globaux (crise de pétrole, etc.), ainsi que pour améliorer le rapport que nous entretenons avec les producteurs et avec la nourriture que nous consommons.

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Épicerie, 1911, Saint-Quentin, France (crédit: Titus 02)


É volution

du budget alloué à l ’ alimentation et impacts

1.  « Pouvoir d’achat. Le bio, plus cher ou pas? », Consoglobe. En ligne: http://www.consoglobe. com/achat-bio-cher-2846-cg, page consultée le 15 juillet 2016. 2.  Les produits bio présenteraient une qualité nutritionnelle supérieure de 30% par rapport aux produits issus de l’agriculture conventionnelle.  Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), 2000. 3.   Georges Consales, Maryse Fesseau et Vladimir Passeron, «La consommation des ménages depuis cinquante ans». Institut national de la statistique et des études économiques. En ligne: http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ ref/CONSO09c.PDF, p.15, page consultée le 22 mars 2016. 4.   USDA ERS Food CPI and Expenditures, Table 7. En ligne: http://www.ers.uda.gov/Briefing/ CPIFoodAndExpenditures/Data/ Expenditures_tables/table7.htm, page consultée le 15 juillet 2016. 5.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.27. 6.  Une personne est en surpoids quand son indice de masse corporelle (IMC) est supérieur ou égal à 25 et obèse quand il est supérieur ou égal à 30. 7.  Organisation mondiale de la santé (OMS), « Obésité et surpoids », En ligne, http://www.who.int/ mediacentre/factsheets/fs311/fr/, page consultée le 8 juin 2016. 8.   OMS/FAO, « Diet, Nutrition and the prevention of chronic deseases », Rapport, 2002.

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La volonté de relocaliser la production alimentaire s’accompagne généralement d’une envie de produire plus durablement et donc dans un meilleur respect de l’environnement et des hommes. C’est pour cette raison que les productions locales et biologiques émergent mais le problème est qu’elles sont souvent synonymes de prix élevé et coûtent actuellement plus cher que la production de masse disponible dans les grandes surfaces. L’alimentation bio coûterait en moyenne 35%1 de plus qu’une marque distributeur. Le facteur économique reste le principal frein pour les consommateurs et il en résulte que ce sont bien souvent les classes sociales les plus pauvres qui se nourrissent le moins bien, en tout cas dans les villes. Il semblerait que de nos jours, il faille payer le prix si l’on veut « bien » manger ou en tout cas manger bio2 et/ou local. Mais il faut néanmoins avoir à l’esprit que la part du revenu d’un ménage accordée à l’alimentation diminue de plus en plus, au profit notamment du logement, des transports, de la santé, des dépenses de communication et des loisirs3. Aux États-Unis par exemple, la population dépense plus pour le transport que pour la nourriture, qui représente en moyenne 9% des dépenses4. En Belgique, l’alimentation, la boisson et le tabac représentaient à eux trois 22% de la dépense des ménages en 1978-1979, contre 15% en 2010. Ces chiffres amènent à penser que l’importance accordée à la nourriture diminue de plus en plus au profit de l’alimentation industrielle qui rencontre un grand succès grâce à ses alternatives alléchantes (gain de prix et de temps: conserves, plats préparés, plats surgelés, etc.). Certes, l’industrialisation de l’agriculture et de l’alimentation en général a permis de faire diminuer le budget alimentaire depuis les années soixante mais quel en est le coût réel ? Le système alimentaire industriel américain procure près de 99% de la nourriture aux États-Unis5 et serait fortement lié au taux élevé de surpoids6 du pays. En 2014, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déclarait que 39% des adultes dans le monde étaient en surpoids et que 13% d’entre eux étaient obèses7. Il pourrait être intéressant d’évaluer les économies à long terme sur les soins de santé que peut procurer une alimentation saine et équilibrée; revient-il plus cher de se nourrir sainement ou de se nourrir « mal » et d’en payer les conséquences par la suite ? D’après le rapport commun de l’ Organisation Mondiale de la santé (OMS) et de l’Organisation des nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (Food and Agriculture Organisation, FAO) de 2002 intitulé Alimentation, nutrition et prévention des maladies chroniques8, l’augmentation de nombreuses maladies chroniques comme l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires, les cancers et l’ostéoporose semble intimement liée au régime alimentaire actuel « riche en graisses et aliments à forte densité énergétique et centré autour d’aliments d’origine animale. Près de 80% des protéines consommées sont désormais d’origine


Dépenses des ménages en 1978/1979 et en 2010 (crédit: Statistics Belgium)


Origines et causes -

9.   « Alimentation et santé publique: un constat inquiétant », Alimentation responsable. En ligne: http://www.alimentation-responsable.com/un-constat-inquietant, page consultée le 23 mars 2016. 10.  Carolyn, op. cit., quatrième de couverture. 11.   « Le flexitarisme, l’alimentation durable pour tous », Le Palais Savant. En ligne: http://www. lepalaissavant.fr/le-flexitarisme-lalimentation-durable-pour-tous/, page consultée le 23 mars 2016 12.  Carolyn Steel, op. cit., p.9. 13.  FAO, « Livestock’s long shadow ». Rapport. En ligne: ftp:// ftp.fao.org/docrep/fao/010/a0701e/ a0701e.pdf, page consultée le 26 mai 2016. 14.  Carolyn Steel, op. cit., p.9 15.   IBGE, « Good Food », p.63

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évolution du budget alloué à l’alimentation et impacts

animale, quand elles étaient à 80% d’origine végétale il y a un siècle »9 dans les pays occidentaux. C’est ce qui compose notre alimentation actuellement et la place de l’alimentation (de qualité) qu’il faut remettre en cause, repenser nos habitudes de vie et revoir nos priorités. Outre les produits laitiers, les œufs et autres produits d’origine animale qui font partie intégrante de notre alimentation quotidienne, la viande paraît être l’aliment le plus problématique à divers points de vue. Sa consommation excessive, qui devrait doubler d’ici 205010, a non seulement des répercutions sur la santé et sur l’environnement, mais elle représente aussi une part considérable du budget alimentaire. « Rien ne saurait être plus bénéfique à la santé humaine ni accroître les chances de préserver la vie sur Terre que l’évolution vers un régime végétarien. » Albert Einstein

Il ne s’agit pas nécessairement de supprimer la viande de notre alimentation mais en tout cas de revoir les quantités consommées à la baisse et de se conscientiser sur les différents impacts des techniques d’élevage actuelles. C’est ce que préconise le régime flexitarien qui se définit par une certaine flexibilité de la pratique végétarienne11, que ce soit par souci de santé ou par préoccupation environnementale. Comme le dénonce le rapport Livestock’s long shadow publié par la FAO en 2007, l’élevage serait le secteur le plus générateur d’émissions de gaz à effet de serre (18%), dépassant même le transport. Pour une finalité nutritionnelle semblable, l’élevage demande une surface cinquante fois plus grande en moyenne que des légumes (voir graphique). L’élevage nécessite des terres à la fois pour les pâtures mais aussi pour cultiver la nourriture des bêtes. La plupart des animaux sont actuellement nourris au grain dont la part de la production représente un tiers de la production mondiale. Il faut savoir qu’il faut onze fois plus de grain pour nourrir un humain si ça passe d’abord par une vache12. Au niveau mondial, les terres destinées à l’élevage représentent 70% de l’ensemble des surfaces agricoles, soit 30% des terres émergées de la planète13. Selon une étude de Greenpeace de 2009, l’élevage serait responsable de près de 80% de la déforestation de la forêt amazonienne (culture de soja, etc.). La surproduction de viande demande également des quantités d’eau très importantes (voir graphique) et ses pratiques sont source de pollution pour cette dernière (pesticides, engrais, antibiotiques, lisier, hormones, etc.). Il faudrait cent fois plus d’eau pour produire 1kg de bœuf que pour 1kg de blé14. Même si on observe une diminution de la consommation de viande depuis les années 2000 au niveau de la Belgique, globalement, ce n’est pas le cas15. La consommation de viande augmente notamment dans les pays en dévelop-


15.500 L

5.000 L

4.800 L 3.900 L 3.300 L

900 L

1.300 L

1.800 L

6 m2

16 m2

17 m2

44 m2

légumes

céréales

riz, pâtes

oeufs

53 m2

poulet d’engraissement

55 m2

207 m2

porc

poisson

269 m2

fromage

viande de boeuf

323 m2

boeuf et fourrage

surface nécessaire besoin en eau

Comparaison des surfaces nécessaires et du besoin en eau pour la production d’un kg de divers aliments (document personnel d›après WWF)


Origines et causes -

16.   Jutta Pinzler, L’Adieu au Steak, film, 2012, Arte. En ligne: http://www.dailymotion.com/ video/xpupsp_arte-adieu-au-steak_ shortfilms#.UbBGwvn0Hzw, 22 mars 2016. 17.  Résolution du Parlement européen du 12 mai 2011 sur la résistance aux antibiotiques. En ligne: http://www.europarl.europa. eu/sides/getDoc.do?pubRef=-// EP//TEXT+TA+P7-TA-20110238+0+DOC+XML+V0//FR, page consultée le 25 juillet 2016.

évolution du budget alloué à l’alimentation et impacts

pement dans lesquels les populations rurales migrent vers la ville et adaptent par la même occasion leur régime alimentaire. D’une alimentation basée principalement sur des ressources végétales, ils basculent vers un régime alimentaire principalement animal. En Chine, le fait de consommer de la viande quotidiennement serait même gage de réussite16. Cette consommation globalement croissante de produits d’origine animale a poussé la production à « évoluer » afin de répondre à la demande. L’élevage qui se faisait à l’air libre, se fait à présent dans des enclos couverts, dont les tailles, de plus en plus petites, ont apporté d’autres problèmes (blessures, morsures, piétinement, etc.) qui ont poussé à modifier l’apparence physique de l’animal (bec coupé, queue coupée, oreilles coupées, etc.). S’en est suivi l’apparition de nouvelles maladies liées au changement d’alimentation (on est passé de l’herbe aux céréales pour le bétail, que leur système digestif ne supporte pas naturellement), mais aussi aux conditions de vie (confinement, engraissement, etc.). Il a donc fallu donner aux bêtes des compléments alimentaires et soigner les conséquences de ces manques et de ces changements. Chaque problème amène à une « solution » et les techniques liées à l’élevage sont de plus en plus industrialisées en vue d’accroître toujours plus la productivité. Un rapport réalisé par l’Institut de Veille Sanitaire (INVS) affirme que les antibiotiques à destination des animaux représentent 50% de la production mondiale. On leur administre des médicaments pour les soigner mais aussi pour prévenir certaines maladies ou contagions liées à l’élevage industriel. La consommation excessive d’antibiotiques n’est pas sans conséquence et pousse au développement de micro-organismes résistants. Ils se développent chez l’animal mais aussi chez l’homme qui ingère des antibiotiques de plein gré mais aussi sans s’en rendre compte par la viande qu’il consomme. Ces micro-organismes résistants seraient la cause de 25.000 décès chaque année en Europe selon le Parlement Européen17. En réduisant le budget alloué à l’alimentation, nous sommes en quelque sorte responsables de ces divers impacts, qui sont en grande partie liés à la quête du prix le plus bas et du meilleur rendement. En optant pour un régime alimentaire riche en protéines animales, il faut donc être conscients des divers facteurs sur lesquels ce choix influe.

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Élevage industriel de poulets (crÊdit: concoglobe)


C onclusion

1.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.56. 2.   Erik Millstone et Tim Lang, op. cit., p.24. 3.  Cyril Dion, op. cit., p.14. 4.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.56

Les limites du système de production alimentaire actuel se font déjà sentir mais il semblerait que la distance qui sépare les pays occidentaux des dégâts collatéraux qui y sont liés est encore trop importante pour que ceux–ci ne se sentent réellement concernés et responsables. La plupart des consommateurs sont « consciemment » ignorants des conséquences de leur alimentation et des méthodes qui en découlent. Cependant, les dégâts causés par le système agricole, en grande partie destiné à l’élevage, sont plus que présents dans plusieurs domaines comme le climat: la température de la terre a augmenté significativement depuis 19501; les énergies fossiles: les techniques actuelles et le transport des marchandises en dépendent; l’eau: 70% de l’eau naturelle est utilisée par l’agriculture2; les terres: 90% des terres arables de la planète sont aujourd’hui cultivées; les connaissances en agriculture: perte du savoirfaire traditionnel, etc. Il parait évident que le prix payé aujourd’hui pour se nourrir ne reflète pas les coûts réels qui sont liés à la fois au système alimentaire et aux pratiques agricoles qui en découlent (santé, nombreux intermédiaires, impacts environnementaux, destruction de la couche d’ozone, changements climatiques, etc.). Comme le dit Cyril Dion dans son livre Demain : « nous souffrons d’une croissante virtualisation du réel, d’une incapacité à mettre en relation nos actes et les conséquences que nous ne voyons pas, que nous ne sentons pas… »3. De manière générale, les coûts liés au mode de vie occidental sont externalisés sur les personnes les plus défavorisées de la planète ainsi que sur l’environnement mais ils sont aussi reportés dans le futur. Le cout est réel mais différé dans le temps, « buy now, pay later »4. « Nous faisons aujourd’hui ce constat que le modèle alimentaire moderne est dans une impasse globale: il repose sur un gaspillage d’énergie fossile non renouvelables, il ruine ses paysans (...), il saccage ses ressources (...), il détruit la biodiversité, 75% des espèces comestibles ont disparues en cent ans. Nos Enfants nous accuseront, Philippe Desbrosses, Docteur en Environnement

La relocalisation alimentaire peut jouer un rôle important dans la résilience future des villes. L’étude Greenloop, initiée par l’Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement (IBGE) définit que « pour être durable, une alimentation devrait englober des critères de qualité, de respect de la souveraineté alimentaire, d’impacts environnementaux réduits (grâce, entre autres, au caractère local et de saison des aliments), de respect des droits sociaux et humains, de revenus justes pour les producteurs, y compris pour assurer le maintien d’une agriculture paysanne, de transparence pour les consommateurs, de développement de relations de confiance entre producteurs et consommateurs et enfin de création de liens sociaux et conviviaux par la nourriture. ». La transition vers un modèle agricole local et durable est déjà en cours dans

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CO2

Population

Vitesse de

Erosion

traitement

du sol

«Hockey stick» age (document personnel d’après le diagramme de Woody Tasch)


Origines et causes - Conclusion

certains pays et ne se limite pas seulement à l’aspect productif. En dehors des grandes exploitations situées pour la plupart en zones rurales, la ville témoigne, elle aussi, de son intérêt pour la production agricole qui semble lui être bénéfique à de nombreux points de vue.

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A cteurs M ouvements

émergents

citoyens internationaux

Divers mouvements citoyens se soulèvent en réponse aux dérèglements globaux inhérents au mode de vie occidental. Ils partent bien souvent de revendications à petite échelle parmi lesquelles certaines ont un écho international. La relation du système alimentaire à d’autres composants de la société comme l’économie, l’énergie ou l’habitat est souvent revendiquée et ce dernier fait donc partie intégrante de ces initiatives. La relocalisation alimentaire y a une place centrale car elle permet de reconnecter l’humain et le monde qui l’entoure et de redonner sens à certains échanges (sociaux, économiques, etc.). Le concept d’économie circulaire est souvent le maître mot de ces mouvements car il s’oppose à la consommation excessive et irraisonnée des ressources (énergie, déchets, produits de la société, etc.) qui a des conséquences dramatiques sur l’environnement. Ces mouvements prônent un modèle de ville résilient tant économiquement qu’en matière d’alimentation, ces deux aspects étant liés à nombreux points de vue.

1.   Transition Towns. En ligne: http://www.transitionfrance.fr, page consultée le 8 juin 2016. 2.  Wikipédia, Ville en transition. En ligne: https://fr.wikipedia.org/ wiki/Ville_en_transition, page consultée le 14 juillet 2016.

Transition towns

Les ambitions du mouvement des Villes en Transition, renommé depuis peu Initiatives de Transition, sont: « d’inciter les citoyens d’un territoire (bourg, quartier d’une ville, village…), à prendre conscience, d’une part, des profondes conséquences que vont avoir sur nos vies la convergence du pic du pétrole et du changement du climat et, d’autre part, de la nécessité de s’y préparer concrètement »1. Contrairement aux constats pessimistes sur lesquels il se base, ce mouvement veut prouver que de petits changements à l’échelle d’une communauté peuvent avoir des répercutions bien plus larges et donner du sens à la ville. C’est Rob Hopkins, professeur et formateur en permaculture, qui a lancé le mouvement en 2006 dans la ville de Totnes en Angleterre (Transition Town Totnes, TTT). Ce modèle s’est vite répandu et le mouvement compte désormais près de 4.000 initiatives réparties dans une cinquantaine de pays. Les étapes exhaustives qui mènent à cette transition sont énoncées sur leur site internet mais s’adaptent différemment dans chaque ville en fonction des possibilités d’action qui leurs sont propres. Les actions menées dans cette optique de transition peuvent être diverses et isolées, elles touchent principalement aux domaines de l’économie, de l’alimentation, des transports, de l’habitat et de l’énergie. La notion de résilience, point central des villes en transition, s’inspire de la permaculture qui promeut « la création de lieux de vie humains durables »2. La ville de Totnes a notamment vu naître le premier billet de 21£. Cette monnaie locale a inspiré d’autres villes à se lancer dans un projet d’économie parallèle. Ces initiatives germent un peu partout dans le monde, on en compte

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Acteurs émergents - Mouvements citoyens internationaux

3.  x, « Les monnaies complémentaires » Bruxelles Blondy Blog. En ligne: http://www.bxlbondyblog.be/grandangle/monnaies_ complementaires/, page consultée le 1er avril 2016. 4.   Slow Food, Manifeste de l’association. En ligne: http:// slowfood.com/filemanager/Convivium%20Leader%20Area/Manifesto_FRA.pdf, page consultée le 1er avril 2016.

aujourd’hui près de 5.000 dont huit en Belgique3.

Décroissance

Cette tendance a émergé dans les années quatre-vingt, elle soutient que plus on produit, plus on pollue et plus on épuise les ressources fossiles (pétrole, gaz, charbon, sable, eau, etc.). Cet épuisement n’étant pas compatible avec l’augmentation de la population, il mènera à des crises économiques, environnementales et géopolitiques, et dans un cas extrême, à la disparition de la race humaine. Face à l’obsolescence et aux répercutions du mode de vie occidental dont la quête de croissance est sans limite, ce mouvement revendique la tendance inverse, à savoir, la décroissance. Les pays en développement ne seraient pas concernés étant donné que leurs populations n’ont pas encore accès aux besoins les plus essentiels. Leur slogan « moins de biens, plus de liens », revendique qu’il faudrait produire moins et consommer moins, tout en privilégiant les relations humaines, communautaires et internationales, sans quoi ce serait impossible. Ce mouvement prône des changements culturels profonds de nos sociétés et semble de ce fait pour beaucoup une vaine utopie.

Slow Food

Ce mouvement, mené par Carlo Petrini, suit le même état d’esprit que la décroissance mais se concentre sur l’aspect alimentaire. Il tire la sonnette d’alarme en dénonçant par son manifeste les dangers de notre société : « Notre siècle est né et a grandi sous le signe de la civilisation industrielle, qui a d’abord, inventé la machine pour en faire ensuite son modèle de vie. La vitesse est devenue notre prison et nous sommes tous atteints du même virus : la «Fast Life» qui bouleverse nos habitudes, nous poursuit jusque dans nos foyers, nous conduisant à nous nourrir de «Fast-Food». Toutefois, l’homo sapiens se doit de recouvrer la sagesse et se libérer du carcan de la vitesse s’il ne veut pas devenir une espèce en voie de disparition. Aussi, contre la folie universelle de la «Fast-Life», prenons la défense du plaisir de vivre (...) »4

L’accent est mis sur l’importance de manger local et de saison, d’éviter le gaspillage alimentaire, mais aussi de participer à l’économie locale d’un pays. Ils défendent aussi la préservation de la biodiversité, des semences, des espèces animales ainsi que des fruits et légumes qui tendent à disparaître à cause de la prévalence de l’industrie agroalimentaire.

Colibris

Cette association est née en 2007 grâce à Pierre Rabhi, un des pionniers de l’agriculture écologique en France, et se bat pour une « société écologique et

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Transition Town High Wycombe, évolution de la ville escomptée par le mouvement de la transition (crédit: post-carbon living)


Acteurs émergents - Mouvements citoyens internationaux

5.   Colibris. En ligne: http:// www.colibris-lemouvement.org, page consultée le 26 juillet. 6.   Incredible Belgium. En ligne: https://incredibleediblebelgium. wordpress.com, page consultée le 26 juillet 2016.

humaine »5. Pour y arriver, il leur semble indispensable que chaque personne change individuellement pour qu’ensuite une transition à plus grande échelle soit possible. Ils sont à l’origine de nombreuses campagnes de mobilisations citoyennes, de documentaires (Solutions Locales pour un Désordre Global, Au nom de la Terre, En quête de sens et Demain), de la collection de livres Domaine du Possible ainsi que du magazine bimestriel Kaizen. Grâce à ces différents médias ainsi qu’aux différents projets dont elle est à l’origine ou qu’elle soutient, l’association Colibris donne des pistes pour changer pas à pas son mode de vie en passant par les domaines du logement, de l’éducation, de l’alimentation, du transport, de la santé et de l’épanouissement.

Incredible Edible

Ce mouvement doit le jour à une habitante de la ville de Todmorden en Angleterre, qui a décidé un jour de faire tomber le mur qui séparait son jardin de la rue afin de faire profiter ses plantations aux passants en les incitant à se servir. La ville connaissait à cette époque une crise liée à la désindustrialisation textile dont son économie dépendait. Au vu de son succès, ce projet a pris de l’ampleur et s’est répandu dès 2008 dans toute la ville et sur tous types de terrains. Parti des parcelles privées, il s’est vite immiscé sur les parterres des administrations, les ronds-points ou encore les trottoirs, transformant la ville en « potager géant et gratuit »6. Ces potagers ont pour but de donner un nouveau visage à la ville, de sensibiliser la population à la question de l’agriculture urbaine mais aussi de prouver qu’il ne faut pas nécessairement de gros moyens pour faire bouger les choses. La notion principale qui ressort de ce projet est celle du partage; la nourriture en est le point central car selon ses initiateurs, c’est quelque chose qui nous concerne et nous rassemble tous. En dehors des cultures en pleine terre ou en bacs, la ville comptait en 2014 entre 3.000 et 4.000 arbres fruitiers obtenus grâce aux boutures des 1.000 arbres qu’ils avaient planté au début de l’expérience. Comme ils le soulignent, il s’agit d’un investissement pour l’avenir car les arbres fruitiers ont l’avantage de nécessiter très peu d’entretien et de vivre longtemps. Ils ont aussi développé l’Incredible Farm dont le rendement est actuellement de quatorze tonnes à l’hectare grâce à leurs techniques adaptées au type de sol et aux conditions climatiques de la région. Cette ferme a permis de créer de l’emploi pour une centaine de personnes et de développer d’autres filières qui découlent de la transformation et de la vente des produits. Désormais, « 83% de la population déclarent acheter une partie de leur alimentation localement ». L’initiative citoyenne a séduit les pouvoirs publics qui la soutiennent entièrement. Ces derniers ont notamment permis aux habitants de cultiver gratuitement les terres inconstructibles du comté de Calderdale recensées sur leur

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Incredible Edible - Parcelle publique plantée, Todmorden (crédit: incredible edible network)


Acteurs émergents - Mouvements citoyens internationaux

7.  Cyril Dion, op. cit., p.63-75

site internet.7 Ce projet a inspiré bon nombre de communautés et se développe aujourd’hui dans une trentaine de pays à travers le monde. La Belgique compte près de cinquante initiatives similaires dont six à Bruxelles. Les différents projets fonctionnent en réseau afin que chacun puisse partager son expérience et s’inspirer de celles des autres. Chacun est libre de prendre part au mouvement, il suffit juste de le lancer localement. Ces différents mouvements ne sont certainement pas les seuls à permettre et à encourager la transition des villes mais ils constituent un panel intéressant pour aborder la question de la production alimentaire pour les villes de demain.

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rue frĂŠdĂŠric pelletier schaerbeek

Les incroyables comestibles, Schaerbeek - Localisation des six initiatives bruxelloises (photo personnelle)


M ouvements

1.  Voir infra. Transition Towns, p.55.   2.   Réseau Transition. En ligne: http://www.reseautransition.be, page consultée le 30 juillet 2016.

bruxellois

La remise en question du système alimentaire actuel et de son processus fait partie intégrante des politiques bruxelloises ainsi que des revendications citoyennes. De nouveaux réseaux de production et de distribution alimentaires apparaissent localement, reconnectant petit à petit le centre-ville aux campagnes et à la périphérie. En opposition au système agro-industriel centralisé, ils prônent pour la plupart la mise en valeur des producteurs locaux, des aliments de saison ainsi que des méthodes respectueuses de l’environnement et des agriculteurs. Certains se mobilisent, convaincus parfois que de petites initiatives locales, à priori de faible ampleur, peuvent avoir un réel impact sur l’environnement bâti, sur les systèmes économiques ainsi que sur la cohésion de la société.

Réseau transition (Wallonie-Bruxelles)

Ce réseau fait partie du mouvement des Villes en transition et partage les mêmes valeurs que celui-ci1. L’ASBL « encourage, inspire, met en lien et offre du soutien aux initiatives citoyennes qui s’auto-organisent pour imaginer et développer des solutions locales aux défis climatiques, énergétiques, environnementaux, économiques et sociaux »2. La Belgique compte déjà plusieurs villes en transition et plus de cent initiatives au total dont trois se développant en région de Bruxelles-Capitale: Schaerbeek en transition Ce mouvement, lancé il y a quatre ans, avait de nombreux projets en préparation mais manque actuellement de volontaires. Il permet néanmoins à différentes personnes de proposer leurs services comme le window farming, la mise à disposition de toitures plates inexploitées ou encore des formations en méthodologie au changement. Ixelles en transition Ce réseau d’habitants compte déjà plusieurs potagers urbains et organise toutes sortes d’activités qui permettent de rassembler toutes les générations comme des marchés gratuits, des échanges de services, des marchés biologiques, des cours de cuisines, des cours de réparation, etc. La commune d’Ixelles compte aussi l’initiative étudiante Campus en Transition qui a créé un potager au sein de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Ce dernier est ouvert à tous et a comme objectifs principaux de développer la biodiversité et la culture mais aussi de représenter un espace de convivialité et de recherche au sein du campus. Ce mouvement est entièrement géré par des étudiants qui prennent soin du potager et y organisent des événements dans le but de le faire connaitre mais aussi de sensibiliser les jeunes aux enjeux alimentaires. Le potager apparait comme un lieu d’appren-

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venue 200

avenue enue jupiter, t

maximilien,Quai du Batelage 2, 1000 Bruxelles

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Campus en Transition - Potager du campus du Solbosch, ULB, Ixelles (photo personnelle)

campus du solbosch, ulb, 1050 ixelles


Acteurs émergents - Mouvements bruxellois

3. Voir supra. Permaculture p.134.

tissage et différentes techniques sont testées comme la permacuture3, la culture dans des bacs, en pleine terre, sur des supports verticaux, etc. 1000Bxl en transition Cette association a permis de lancer différents projets comme des Repair Café, un potager urbain, des marchés gratuits, des lombricomposteurs d’appartements, des récoltes de fruits, etc. C’est grâce à ce mouvement que le centre de Bruxelles a vu naître le potager collectif Alhambra en mai 2015 entre la place Rogier et Yser dans le quartier du même nom. Ce dernier a été mis en place avec le soutien de la commune par une dizaine d’habitants désireux de changer la « mauvaise réputation » du quartier et de le verduriser partiellement. Il leur a fallu un week-end pour mettre en place et assembler les palettes et planches récupérées, les remplir de terre, et ainsi former le potager pour un budget total de 1.350€. Le projet a rencontré un réel succès et a permis de développer des liens entre les personnes qui y ont pris part. Après quelques mois, une liste d’attente a du être établie. L’installation, située dans une rue en cul-de-sac, n’a subi aucun acte de vandalisme depuis sa création, à la surprise de nombreuses personnes.

Le réseau des consommateurs responsables (RCR)

Ce réseau national, reprend quant à lui des acteurs concernés par l’aspect alimentaire, économique ou social. Comme son nom l’indique, il est axé sur la consommation responsable et aborde différents thèmes qui peuvent y être liés comme l’énergie, l’alimentation, le système monétaire, le recyclage, les dons, etc. Au travers d’une cartographie qui localise tous les projets, le RCR intervient comme un intermédiaire permettant aux citoyens de se tenir informés des services qui leur sont accessibles. La plupart des projets soutenus sont basés sur l’entraide et le partage. Souvent à l’échelle du quartier ou de la commune, ils visent à un meilleur esprit communautaire. Ce réseau promeut notamment les Groupes d’Achat en Commun (GAC). La Donnerie permet aux citoyens de donner des objets avant de les jeter et par la même occasion de tisser d’éventuels liens avec des personnes que l’on aurait jamais rencontré autrement. Dans cette lignée de donner une seconde vie aux objets dont on ne se sert plus, on retrouve aussi les Repair Café, dont l’objectif est de faire partager les compétences de chacun (couture, informatique, électroménager, etc.) mais aussi de sensibiliser au recyclage et à la réparation qui peuvent être envisagés au lieu de jeter. Le réseau propose aussi un Système d’Échange Local (SEL) qui encourage les échanges de services gratuitement avec pour mesure, le temps « donné ». Les savoirs peuvent aussi s’échanger, on retrouve donc une autre catégorie appelée le Réseau d’Échanges (réciproques) de Savoirs (RES) qui suit le même principe.

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Potager Alhambra, Bruxelles (photo personnelle)


Acteurs émergents - Mouvements bruxellois

4.  Certains objectifs sont attendus pour 2020 et 2025. 5.   Good Food, En ligne: http:// www.goodfood.brussels/fr/content/ strategie-good-food, page consultée le 10 juillet 2016. 6.  Voir supra. La culture horssol, p.137. 7.   IBGE, « Good Food: Stratégie vers un système alimentaire plus durable », p.33

Le RCR promeut également le développement de potagers collectifs en Belgique. L’ASBL soutient aussi d’autres initiatives qui ne correspondent à aucune des classifications ci-dessus comme le projet de compostage collectif Worms (ver de terre en néerlandais), dont le but est de recycler les déchets organiques ménagers en milieu urbain à l’aide de vers de terre. Cette ASBL compte aujourd’hui près de cent trente points de collecte répartis dans les dix-neufs communes bruxelloises. Elle fonctionne grâce aux trois cents maîtres composteurs bénévoles et hormis son objectif principal, celle-ci a aussi permis le développement d’autres projets de quartiers comme des potagers, des poulaillers ou encore des mares. Cette catégorie comprend aussi l’Éolienne Citoyenne, coopérative locale qui permet de produire de l’énergie renouvelable; les différentes monnaies locales développées en Belgique; les coopératives de producteurs et de consommateurs (Agricovert, Paysans-Artisans, Les Grosses légumes, Lait’Gumes, Coprosain), le partage de voiture, l’habitat groupé, l’achat groupé d’énergie, etc.

L’Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement (IBGE)

La plupart de ces initiatives partent de petits projets citoyens qui ont tendance à prendre de l’ampleur, voir à s’institutionnaliser mais il existe aussi des projets émanant des instances publiques comme l’IBGE qui est notamment à l’origine de deux projets ambitieux liés à l’alimentation locale et durable. Stratégie Good Food L’IBGE soutient l’idée que « développer une alimentation saine, de qualité et de proximité basée sur les circuits courts répond à des besoins tant en terme de santé publique et de qualité de vie qu’en terme d’améliorations environnementales et sociales ». Elle a développé la stratégie Good Food qui établit un plan d’action et des objectifs précis attendus au plus tard pour 20354. Il est notamment question de « développer la production alimentaire locale dans le respect de l’environnement en encourageant l’innovation, de sensibiliser et d’impliquer les citoyens dès le plus jeune âge, de réduire le gaspillage alimentaire et de développer ces actions en tenant compte des spécificités sociales et multiculturelles de notre capitale ».5 En terme de chiffres, plusieurs objectifs sont escomptés comme la production via l’agriculture urbaine et périurbaine de 5% des fruits et légumes (les cinq principaux : carotte, tomate, oignon, pommes, laitue) destinés à la capitale d’ici 2020 et d’atteindre les 30% en 2035. Cet objectif serait atteint grâce à une surface totale de 590,5 hectares répartis entre une ceinture verte périphérique de dix kilomètres de rayon, des zones agricoles en pleine terre disponibles en Région de Bruxelles-Capitale ainsi que des systèmes de production hors-sol6 en intra urbain. Ils prévoient aussi de réduire le gaspillage alimentaire de 30% d’ici 2020.7

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Le désir de changement

Ces chiffres sont loin d’être atteints et représentent donc un défi considérable. Surtout qu’actuellement, les terres dont il est question (ceinture périphérique en Région flamande et quelques terrains en Région de Bruxelles-Capitale) n’appartiennent pas à la Région, qui n’est donc pas à même de décider de leur destin actuellement. On peut espérer, dans le meilleur des cas, que les propriétaires se verront convaincre qu’une transition est nécessaire tant pour la terre, que pour l’humain et ce qu’il consomme.8 Pour ce qui est de l’agriculture hors-sol, troisième secteur de production, la stratégie n’est pas encore très précise à ce sujet. Ce type de culture est très diversifié mais son aspect durable est souvent critiqué9. Il serait donc intéressant de voir comment celle-ci pourrait se développer et quel serait son impact sur l’environnement bâti et sur la production alimentaire.

8. Voir Entretien avec Catherine Fierens et Lison Hellebaut, Annexe p.212. 9.  Voir supra. Agriculture horssol, p.137. 10.   IBGE, « Good Food », p.33 11. Boeren Bruxsel Paysans, http://www.goodfood.brussels/fr/ contributions/boeren-bruxsel-paysans, page consultée le 10 juillet 2016 & Entretien avec Catherine Fierens et Lison Hellebaut, Annexe p.212.

« La Stratégie Good Food, c’est bien plus qu’un slogan. Cette politique publique volontariste (...) vise à placer l’alimentation au cœur de la dynamique urbaine, en l’abordant dans toutes ses dimensions, économiques, sociales et environnementales »10

Boeren Bruxsel Paysans Il s’agit d’un projet de l’IBGE en lien avec la stratégie Good Food et axé sur la production agricole paysanne durable. Il vise à permettre le développement ainsi que le maintien et l’évolution de l’agriculture urbaine et périurbaine. Des objectifs clairs sont escomptés pour 2020 dont notamment: le développement d’un espace-test destiné à de nouveaux agriculteurs, la (re)mise en culture de plusieurs terrains, l’accompagnement de plusieurs agriculteurs existants dans la transition vers des techniques plus durables, etc.11 L’espace-test agricole se situe dans la vallée du Vogelzang et fut inauguré en mai dernier. Boeren Bruxsel Paysans devrait également développer à terme un «agrobiopôle» qui comprendrait plusieurs infrastructures, dont un restaurant, un point d’infos, un magasin à la ferme, des locaux de stockage, des locaux administratifs, des ateliers de transformation en location à l’heure ou avec coaching, etc. Celui-ci se veut mixte et mêlera activités professionnelles et espaces dédiés aux citoyens. Les permis ont pour la plupart été introduits mais demandent du temps, sans compter sur la pollution qui a été découverte récemment sur le site.

Le réseau des acteurs bruxellois pour l’alimentation durable (RABAD)

Le RABAD, qui est issu d’une initiative citoyenne, compte à présent de nombreux membres dont des ONG, des producteurs, des consommateurs, des distributeurs, etc. Elle a pour but de mettre en réseau différents acteurs,

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Acteurs émergents - Mouvements bruxellois

12.   RABAD, http://www.rabad. be, page consultée le 10 juillet 2016. 13.   Ferme d’animation, En ligne: http://www.fermedanimation.be, page consultée le 10 juillet 2016. 14.   La Ferme Nos Pilifs. En ligne: http://www.fermenospilifs. be, page consultée le 10 juillet 2016.

l’alimentation durable. L’association soutient que notre alimentation a des répercutions économiques, sociales, environnementales ainsi que sur la santé locale et mondiale. Elle soutient différents acteurs qu’elle répartit en plusieurs sections: - l’agriculture urbaine - l’agriculture et l’alimentation bio - l’horeca - l’éducation en alimentation durable - l’alimentation saine et diététique - la logistique - la stratégie Good Food - le gaspillage alimentaire12 Les acteurs utiles à ce travail concernent la section de l’agriculture urbaine et sont décrits ci-dessous, mais un aperçu des autres membres se trouve en annexe. Fédération Belge Francophone des Fermes d’Animation Cette fédération favorise l’interaction entre les différentes fermes d’animation de Bruxelles et de Wallonie ainsi que leur promotion au grand public. Elle comprend quinze fermes francophones donc quatre en région bruxelloise : la Ferme Nos Pilifs (1), la Ferme du Parc Maximilien (2), la Ferme d’Uccle (3) et la Ferme des Enfants de Jette (4).13 La Ferme Nos Pilifs, zone d’intérêt collectif ou de service public Cette ferme se situe à la limite de Bruxelles, dans la commune de NederOver-Hembeek. Il s’agit d’une Entreprise de Travail Adapté, dont le mot d’ordre est l’intégration. Celle-ci offre du travail à cent quarante personnes handicapées grâce à ses différentes sections, à savoir: l’atelier bio (livraison, emballage, épicerie mobile, pépinière, etc.), les jardiniers (service de jardinage destiné aux privés), la jardinerie (vente de produits et information sur l’éco-jardinage), le parc animalier, l’estaminet (petite restauration), l’épicerie (magasin bio et local ouvert au public) et la ferme d’animation (section éducative destinée aux enfants).14 La Ferme du Parc Maximilien Cette ferme, qui date de 1988, est située en plein cœur de Bruxelles en zone d’intérêt régional. L’ASBL, axée sur l’aspect pédagogique, est gérée par une équipe permanente de sept personnes, accompagnées de bénévoles, stagiaires, volontaires ainsi que d’un personnel détaché (Espaces verts de la ville de Bruxelles, CPAS, etc.). La ferme apparait comme un véritable morceau de campagne perdu dans la ville. Les arbres qui l’entourent lui garantissent la

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Rue Chant d'Oiseaux 195, 1070 Anderlecht, graine de paysans

Ferme Nos Pilifs, jardins naturels, Neder-Over-Hembeek, Bruxelles (photo personnelle)

nos pilifs, Trassersweg 347, 1120 Neder-Over-Heembeek


Acteurs émergents - Mouvements bruxellois

15.   La Ferme du parc Maximilien. En ligne: http://www. lafermeduparcmaximilien.be, page consultée le 29 juillet 2016. 16. Permafungi. En ligne: http:// www.permafungi.be, page consultée le 10 juillet 2016. 17.

Ibid.

18.  Peas and Love.  En ligne: http://www.peasandlove.com, page consultée le 10 juillet 2016.

tranquillité et l’intimité que requièrent les animaux et en fait presque oublier sa présence. Son but est de faire découvrir la vie de la ferme aux citadins, qui pour certains, en ont une image préconçue. La sensibilisation aux problèmes environnementaux fait aussi partie de leur programme, et de nombreuses activités qui y sont liées sont développées sur le site: ruches, animaux, potager, compostage, station d’épuration, énergie solaire, etc. La ferme sort également de son microcosme et favorise au maximum les interactions avec le quartier. Elle compte également sur des partenariats sociaux pour l’entretien du site.15 PermaFungi Ce projet, qui a pour but de « promouvoir le développement durable de Bruxelles en agissant sur les volets sociaux, économiques et environnementaux »16, vise à recycler un déchet abondamment présent dans la capitale : le marc de café. Celui-ci se trouve être un excellent substrat pour la culture de pleurotes et à la fois un très bon engrais. De manière générale, ce projet tente aussi de réintégrer la notion de résilience en milieu urbain en transformant les déchets en ressources. Cette production urbaine se déroule actuellement dans un bâtiment du site de Tour & Taxis en bordure du canal. Le projet propose différents services sur place ainsi que via leur site internet comme la vente directe de champignons et d’engrais, des kit prêts à la culture ainsi que des workshops. Sur l’année 2015, PermaFungi a permis le recyclage de quinze tonnes de marc de café, la production de 3.000 kilos de pleurotes et la création de cinq emplois.17 Urban Farm Company: Peas & Love Ce projet d’agriculture en toiture prendra place sur les 2.000 m2 du magasin Caméléon de Woluwé-Saint-Lambert en mars 2017. Le but est de proposer à qui le souhaite une parcelle de 3 m2 de potager entretenu par un maraîcher au prix de 9,5€ par semaine. Les locataires, appelés urban farmers, n’ont donc plus qu’à venir cueillir leurs fruits et légumes.18 Vert d’Iris International Cette coopérative à responsabilité limitée et à finalité sociale (scrl-fs) s’occupe de projets de maraîchage bruxellois aux vocations économiques, environnementales et sociales. La création d’emplois via l’agriculture urbaine est un de leurs buts principaux. Leur équipe comprend dix membres permanents, cinq stagiaires académiques, vingt-cinq apprentis et de nombreux volontaires. Ils sont à l’origine de deux potagers agroforestiers situés en zone agricole à Neerpede. Bettraves Enzovoort, qui a vu le jour en 2010, s’étend sur 3.700 m2 et innRGreen, qui date de 2015, occupe une surface de 10.000 m2 sur laquelle sont produits des fruits, des légumes et des fleurs destinés aux

70


Rue Chant d'Oiseaux 195, 1070 Anderlecht, graine de paysans

nos pilifs, Trassersweg 347, 1120 Neder-Over-Heembeek

greenz : route 1041, et rue du 20, 1070 t

1/1000

caméléon, Avenue Ariane 15, 1200 Bruxelles

Ferme du parc Maximilien, Bruxelles (crédit: la ferme du parc Maximilien)

maximilien,Quai du Batelage 2, 1000 Bruxelles


ux ht,

fe 2

nos pilifs, Trassersweg 347, 1120 Neder-Over-Heembeek

1400 Rue Antonio Barbeau, Montréal, QC H4N, Canada

1/1000

caméléon, Avenue Ariane 15, 1200 Bruxelles

maximilien,Quai du Batelage 2, 1000 Bruxelles

kbr,Boulevard de l'Empereur 4, 1000 Bruxelles

Peas & Love, Toiture Caméléon prochainement plantée, Woluwe-Saint-Lambert (crédit photo: peas and love caméléon brussels)


1/1000

Vert d’Iris - Betteraves enzovoort, potager agro-forestier, Anderlecht (photo personnelle)


Acteurs émergents - Mouvements bruxellois

19.  Méthode qui consiste en une complémentarité entre les plantes qui baignent dans l’eau et la filtrent par leurs racines et des poissons, qui, bénéficiant d’une eau de qualité, nourrissent à leur tour les plantes grâce à leurs excréments riche en azote, phosphore et potassium contenus dans l’eau. Voir supra. La culture hors-sol, p.137. 20.  Vert d’Iris International. En ligne: http://vertdiris.net, page consultée le 10 juillet 2016.

particuliers, aux restaurateurs et aux revendeurs. Vert d’Iris réalise aussi des bacs de culture en plastique recyclé destinés aux particuliers. L’association développe également un système d’aquaponie19 dans le but de développer cette pratique qui leur semble idéale en milieu urbain de par le peu d’espace qu’elle requiert. La coopérative mène également des projets de verdurisation dont Fruteghem: des fruitiers pour Cureghem, grâce à qui différents arbres fruitiers ont été planté dans la commune pour « sensibiliser la population à l’alimentation durable et lutter contre la précarité nutritionnelle et paysagère bruxelloise »20. Elle organise aussi des formations en horticulture écologique sur ses différents sites.21

21.   Ibid. 22.   Le Début des Haricots. En ligne: http://www.haricots.org, page consultée le 25 juin 2016. 23.  Ibid.

Le Début des Haricots

L’ASBL du Début des Haricots, née en 2005, est quant à elle plus axée sur les questions liées à la production alimentaire. Ses principaux objectifs sont de « sensibiliser les Bruxellois aux grands enjeux de société liés aux thématiques de l’alimentation et de l’environnement, étape essentielle avant le passage à l’action ». Ils veillent aussi « à soutenir le public dans la mise en place d’alternatives liées à la réappropriation de son alimentation par la construction d’un regard critique sur le système agroalimentaire et ses effets systémiques sur le social, l’environnement et la sphère des relations Nord-Sud ou Nord-Nord. L’ASBL est également active dans la promotion du circuit court ». Ils pensent « qu’il est indispensable de relocaliser l’économie, d’encourager la production locale d’aliments, de reconnaître la valeur du métier d’agriculteur, du paysan »22. Leurs différents projets se répertorient en trois axes principaux: - faciliter et accompagner les citoyens dans la mise en place d’alternatives en ville (projets de mobilisation citoyenne) - former et accompagner des maraîchers (projets d’économie sociale et solidaire) - développer un regard critique sur les enjeux de l’alimentation durable (éducation relative à l’environnement)23 Projets de mobilisation citoyenne : Les GASAP Le Début des Haricots a développé en 2006 les Groupes d’Achats Solidaires de l’Agriculture Paysanne (GASAP), connus sous le nom des AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) en France depuis l’année 2000 et dont l’origine remonte aux années septante au Japon (TEIKEI). Leur but est de promouvoir et d’aider les producteurs locaux tout en respectant les marges réelles que l’activité agricole requiert. Il ne s’agit pas d’un énième intermédiaire entre le producteur et le consommateur mais

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RĂŠpartition des producteurs des GASAP sur le territoire belge (document personnel)


Acteurs émergents - Mouvements bruxellois

24.  En français : « les équipes alimentaires ». 25.   Réseau des GASAP. En ligne: http://www.gasap.be, page consultée le 2 juillet 2016. 26.  Le Début des Haricots. En ligne: http://www.haricots.org, page consultée le 25 juin 2016. 27.  « Un parc public comme bien commun: la Panorama Forest », Urban Ecology centre bxl. En ligne: http://www.urban-ecology. be/verger-du-panorama/, page consultée le 2 juillet 2016.

ces groupes, autogérés par les membres, visent à créer un contact direct avec l’agriculteur et à assurer une certaine pérennité de l’engagement qui les lie grâce à leurs abonnements annuels, au salaire payé d’avance au producteur, etc. La Région bruxelloise compte actuellement septante-trois groupes d’achat de quinze à vingt familles approvisionnées grâce à vingt-deux producteurs en grande partie wallons. Les GASAP sont depuis peu subsidiés par l’IBGE afin d’assurer une meilleure gestion du réseau. Les réseaux de vente directe sont également présents en Région flamande sous le nom des Community Supported Agriculture (CSA) et des Voedselteams24 ainsi qu’en Région wallonne où l’on retrouve Les grosses légumes et les Groupes d’Achat en Commun (GAC).25 Les Jardins Collectifs: les potagers urbains Ces jardins germent un peu partout et Bruxelles en dénombre actuellement plus de deux cents soixante. Ils s’installent la plupart du temps sur des terrains en friche appartenant soit à des particuliers soit à la commune. Il s’agit donc d’un accord entre plusieurs parties mais cet engagement n’est pas éternel. A priori, les terres cultivées ne sont que rarement destinées à la culture au niveau des plans d’aménagement et ne peuvent donc donner place à une activité commerciale. Les potagers urbains sont gérés collectivement par les habitants qui décident de prendre part au projet et restent généralement ouverts à tous. Le mouvement insiste sur la production organique et respectueuse de l’environnement dans les potagers.26 Les Vergers collectifs: Bruxelles porte ses fruits Cette branche du Début des Haricots encourage et offre une formation à la création et à l’entretien de vergers urbains. Ce projet qui date de 2012 assure « l’accompagnement de la démarche participative, la recherche d’un terrain approprié, l’organisation de journées de formation technique et de visites thématiques, la mise en réseau, le suivi sanitaire des plantations, etc. ». Les variétés plantées sont choisies en fonction des conditions climatiques de Bruxelles ainsi que de la composition du sol, et ont donc l’avantage de ne nécessiter que très peu d’entretien. Le talus de Besme de la commune de Forest accueille depuis peu ses premiers arbustes fruitiers. Ce projet, aux objectifs écologiques, paysagers, sociaux et pédagogiques, voulait offrir la possibilité aux habitants de disposer d’un « espace public en bien commun »27. Au delà de la production de fruits, ce type d’initiative permet surtout de préserver certains espaces verts en leur donnant plus de valeur et d’intérêt aux yeux de tous. La Pousse qui Pousse Cette pépinière a vu le jour en 2015 grâce au Contrat de Quartier Durable

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Potagers urbains recensĂŠs en RĂŠgion bruxelloise (document personnel)


1400 Rue Antonio Barbeau, Montréal, QC H4N, Canada

caméléon, Avenue Ariane 15, 1200 Bruxelles

maximilien,Quai du Batelage 2, 1000 Bruxelles

kbr,Boulevard de l'Empereur 4, 1000 Bruxelles

1/1000

fruteghem, avenue besme, avenue jupiter, 1190 Forest

campus du solbosch, ulb, 1050 ixelles

t&T 86 avenue du port, 1000 bruxelles

Bruxelles porte ses fruits - Futur verger et parc public autogéré, Forest (photo personnelle)


1/500

La Pousse qui Pousse - Pépinière durable, Saint-Gilles (photo personnelle)

square gérard van caulaert 2, 1060 Saint-gilles la pousse qui pousse


Acteurs émergents - Mouvements bruxellois

28.   La Pousse qui Pousse. En ligne: http://www.lapoussequipousse.be, page consultée le 2 juillet 2016. 29.   KBR. En ligne: http://www. kbr.be/actualites/potageToit/ fr.html, page consultée le 2 juillet 2016. 30.   Le Début des Haricots. En ligne: http://www.haricots.org, page consultée le 25 juin 2016. 31.   Potage-Toit. En ligne: http:// www.potage-toit.be, page consultée le 1er avril 2016.

Bosnie qui a été établi pour la commune de Saint-Gilles. Il ne s’agit pas uniquement d’un point de vente lié au jardin mais elle invite littéralement les gens à planter leurs espaces de vie, qu’il s’agisse d’un balcon, d’une terrasse ou encore d’un appui de fenêtre. L’espace a été aménagé sur une voie sans issue entre plusieurs habitations et développe, en plus de la serre qui accueille la pépinière, différentes techniques de culture. Le terrain où elle s’implante apparait comme un lieu de rassemblement où sont organisées différentes activités en lien avec l’alimentation. La Pousse qui Pousse partage le terrain avec deux associations: Gratte dont le but est de « favoriser la rencontre entre jeunes valides et jeunes handicapés mentaux par le biais du jardinage » ainsi que Tout ce qui pousse qui vise à végétaliser différents espaces communaux comme « les façades, les pieds d’arbres et les toitures vertes ».28 Potage-Toit Le but de ce projet est d’inciter les particuliers mais aussi des groupes de volontaires à cultiver de manière écologique les toitures et autres espaces plats inexploités de la capitale. Potage-toit est « soutenu par la région Bruxelles-Capitale et l’IBGE ». Les particuliers sont invités à partager leurs expériences via le site internet qui est aussi le témoin de projets de plus grande envergure comme le potager urbain qui pris place sur le toit de la Bibliothèque Royale de 2012 à 2015. Il s’implanta sur une surface totale de 350 m2 et visait à sensibiliser à une alimentation durable, à la découverte de la biodiversité ainsi qu’à promouvoir l’activité agricole en milieu urbain. Ce projet a vu le jour grâce à « un plan d’action plus large de la Ministre Evelyne Huytebroeck en vue d’encourager l’aménagement de potagers dans des espaces privés et publics à Bruxelles »29. Grâce aux nombreux bénévoles investis dans le projet, la toiture de la bibliothèque fut transformée et l’on pouvait y découvrir entre autres cinq cents sacs géotextiles cousus à la main destinés à la culture, un dôme géodésique faisant office de pépinière, trois citernes d’eau de pluie pour l’irrigation, deux vermis-compostières géantes recyclant les déchets de la cafétéria de la bibliothèque, un hôtel à insectes, etc. Les fruits et légumes produits sur place, issus d’une agriculture écologique n’utilisant aucun produits chimiques ou de synthèse, étaient destinés à la cafétéria de la Bibliothèque, aux restaurants Slow-Food des alentours ainsi qu’aux marchés organisés trois fois par semaine sur le toit. Potage-Toit ne se veut pas productif actuellement mais vise principalement à sensibiliser la population aux problématiques alimentaires actuelles, et la pousse à explorer de nouvelles méthodes de production individuelles ou collectives.30, 31

80


1400 Rue Antonio Barbeau, Montréal, QC H4N, Canada

1/500

kbr,Boulevard de l'Empereur 4, 1000 Bruxelles

ai du 00 Potage-toit, Bibliothèque Royale de Bruxelles (crédit: Nicolas Delannoy)


Acteurs émergents - Mouvements bruxellois

32. Voir Entretien avec Sofia Baruffol, Annexe p.206. 33.   Le Début des Haricots. En ligne: http://www.haricots.org/ content/les-herbes-de-bruxelles, page consultée le 2 juillet 2016. 34.   Le Début des Haricots. En ligne: http://www.haricots.org/ agriculture, page consultée le 2 juillet 2016.

Projets d’économie sociale et solidaire : La ferme urbaine de Neder-Over-Hembeek Le Début des Haricots occupe un terrain d’un hectare situé à Neder-OverHembeek, qui lui est loué par un particulier depuis l’année 2010. La culture se fait principalement avec l’aide de deux ânesses une surface de soixante ares et le reste est dédié aux pâtures, au poulailler, aux ruches, aux plantes médicinales, ainsi qu’aux diverses infrastructures de rangement. De mai à décembre, leur production permet d’approvisionner quarante familles via les GASAP et vingt autres grâce à un système d’auto-cueillette pratiqué avec les habitants du quartier. Ce projet bénéficie d’un subside de 20.000€ de la Région ce qui leur permet d’assurer un salaire à mi-temps en déduisant les frais de la ferme. Celle-ci assure actuellement la formation de quatre personnes au métier de maraîcher grâce à un agronome et à une accompagnatrice sociale. Elle est une des seules fermes urbaines en Région de Bruxelles-Capitale à être axée principalement sur la production agricole. Les produits étaient labellisés bio auparavant mais cela représentait un investissement financier important qui ne leur semble pas nécessaire pour une production qui est ouverte à tous et transparente à tous points de vue. Aujourd’hui, ils pratiquent les mêmes techniques que ce que requiert l’agriculture biologique et vont même plus loin dans leur idéologie de l’agriculture durable: ils utilisent uniquement des outils manuels, ne consomment pas d’électricité, développent des engrais naturels et locaux, etc. 32 Les Herbes de Bruxelles Ce projet se situe sur le même terrain que la Ferme urbaine du Début des Haricots, et cultive quant à lui des aromates, des plantes médicinales et des fleurs comestibles sur vingt ares. Ces différentes cultures se font elles aussi dans le respect de l’environnement, avec des techniques manuelles et au rythme des saisons. L’association fait de la vente directe de plantes séchées et transforme également une partie de ses produits.33 Le Soutien à l’installation agricole: Graines de Paysans Le Début des Haricots soutient les formes d’agriculture respectueuses de l’environnement à l’éthique responsable. L’agriculture paysanne répond, selon eux, à ces critères car elle se fait dans le respect des conditions climatiques et du sol mais aussi des producteurs. Ils préfèrent miser sur des producteurs proches des consommateurs et transparents à tous les égards que sur des productions labellisées éloignées tant de la population que géographiquement.34 Le Début des Haricots soutient l’association Graines de Paysans qui a inauguré en mai 2016 un espace test agricole à Neerpede. Un terrain, des

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Le désir de changement

outils et des formations ont été mis à disposition de sept nouveaux maraîchers désireux de se lancer dans l’agriculture et d’en faire leur métier pendant la période test qui durera deux ans.

35.  C’est Nos Oignons. En ligne: http://www.nosoignons. org/stages-dinsertion.html, page consultée le 3 juillet 2016.

C’est nos Oignons Ce projet a pour but à la fois de préserver les espaces verts et agricoles du pays mais aussi de renouer entre l’urbain et le rural par le biais d’associations sociales qui peuvent prendre part activement à l’entretien et à l’embellissement de ces terrains. C’est nos Oignons travaille depuis 2012 avec des personnes souffrant de problèmes psychologiques issues de plusieurs centres bruxellois et wallons. Les participants profitent de la mise à disposition ponctuelle d’un terrain et des outils nécessaires mais ont aussi l’occasion de réaliser des stages individuels d’insertion. Ils travaillent en collaboration avec les producteurs et ont ainsi l’occasion d’apprendre le métier de maraîcher.35 Ces différentes initiatives et mouvements témoignent de la volonté de changement autant de la part des citoyens que des institutions publiques. Le rassemblement de ces différents acteurs semble être un élément indispensable pour garantir le développement de projets pérennes et susceptibles d’avoir un réel impact sur la ville. Cependant, même si la volonté y est, de nombreux obstacles bloquent certaines initiatives comme le manque de terrains agricoles, l’occupation actuelle de ceux-ci, la spéculation foncière, le manque de moyens financiers, etc.

83


1/2000

ferme noh, marienborre 20, 1120 NOH

Ferme urbaine du DĂŠbut des Haricots, Neder-Over-Hembeek (photo personnelle)


1 Sente du Moulin au Cat 27800 Le Bec-Hellouin

Rue Chant d'Oiseaux 195, 1070 Anderlecht, graine de paysans

witloofstraat, 1130, haren

Graine de paysans - Mise en chantier de l’espace-test agricole, Anderlecht (crédit: graine de paysans)

square gérard van caulaert 2, 1060 Saint-gilles la pousse qui pousse

chant des cailles 27.630, avenue des cailles, 1170 boitsfort

vert d'iris greenz : route de lennik 1041, et betterave, rue du koevijver 20, 1070

1/2000



LA RELOCALISATION ALIMENTAIRE, OUTIL DE CHANGEMENT « Face aux constats alarmants de ces dernières décennies d’un point de vue environnemental et social, nous voulons construire un avenir plus juste et plus respectueux des personnes et de l’environnement qui nous entourent. Tendre vers davantage de souveraineté alimentaire est possible et fondamental! Au niveau local, cela passe par le maintien d’une agriculture de proximité destinée en priorité à alimenter les habitants de la région. Selon nous, l’agriculture paysanne de petite échelle, respectueuse de l’environnement et des hommes doit être favorisée. «Manger local» est une question de bon sens et constitue une alternative véritablement durable » ASBL Le Début des Haricots



évolution des terres

B ruxelles

du

( péri ) urbaines

XIII ème

au

Les terres agricoles en Région bruxelloise sont actuellement minoritaires mais cela n’a pas toujours été le cas. La ville de Bruxelles résulte de la réunion de plusieurs villages d’activités distinctes et s’est donc développée et étendue avec le temps. Les interstices, pour la plupart agricoles, qui séparaient les différents groupements se sont peu à peu comblés par un tissu urbain, obligeant les activités agraires à se délocaliser. Dès le début du XIIIème siècle, la ville s’est entourée d’une première enceinte de quatre kilomètres pour se protéger. A cette époque, la ville comptait deux marchés dont l’un situé à la grand-place. Cet emplacement avait l’avantage de se situer proche de la Senne, qui permettait d’apporter les marchandises par bateau. Entre le XIV et XVème siècle, une seconde enceinte1 s’est érigée, limitant l’accès à la ville par huit portes. Celle-ci englobait aussi des terrains non bâtis dont quelques terres agricoles. Les cartes et gravures de l’époque témoignent de l’hinterland productif qui se trouvait aux portes de la ville et dont celle-ci dépendait pour se nourrir. Ce dernier comprenait quelques hameaux dont les communes actuelles d’Ixelles, Anderlecht, Molenbeek, Laeken, Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode et Saint-Gilles. Au XVIIème siècle, la seconde enceinte s’est fortifiée et comptait quatorze bastions et un fort. La population de Bruxelles a largement augmenté à cette époque et la ville comptait pas moins de 70.000 habitants.2 Au XIXème siècle, l’augmentation de la population a accentué le nombre de déchets déversés dans la Senne qui servait d’égout public. A cela s’ajoutait la diminution de son débit car elle devait alimenter le canal. Ces différents changements ont rendu les eaux du cours d’eau d’autant plus polluées et stagnantes. Il a donc été décidé que la Senne ainsi que ses ruisseaux seraient couverts et transformés en réseau d’égouttage plus performant. Cette époque marque également le développement du réseau de transport et des techniques de réfrigération3 qui ont permis à la ville de s’étendre et de se densifier, repoussant ainsi ses limites à la seconde ceinture qui existe encore aujourd’hui.

XIX ème

siècle

1.  Ses limites forment l’actuelle petite ceinture. 2.  ULB, « Jalons pour une histoire de Bruxelles ». En ligne: http://www.ulb.ac.be/inforsciences/ la_ville/module0/panneau0-1a.pdf , page consultée le 10 juillet 2016. 3.  Voir infra. Évolution du transport et des techniques, mondialisation des échanges, p.23.

89


première enceinte deuxième enceinte axes principaux canal Senne affluents

Bruxelles en 1555 - première enceinte de la ville (Jacob van Deventer, document modifié)


Bruxelles en 1610 - Gravure reprÊsentant les limites de la ville et l’hinterland (Jacob van Deventer)


première enceinte deuxième enceinte canal Senne affluents

Bruxelles en 1712 - Fortification de la seconde enceinte (Eugène-Henri Fricx, document modifié)


première enceinte deuxième enceinte canal Senne affluents

Bruxelles en 1858 - délimitation de la petite ceinture actuelle (J. Huvenne et J. Ongers, document modifié)


E tat

actuel

1.  Voir infra. Stratégie Good Food et BoerenBruxselPaysans, p.66-67. 2.   Le Début des Haricots, « État des lieux et potentiels de l’agriculture dans et autour de Bruxelles», Rapport, 2015. 3.  Il peut être important de rappeler que l’investissement financier qu’implique l’agriculture industrielle est souvent considérable et il est difficile d’en sortir du jour au lendemain. 4.  Les dix-neufs communes flamandes qui entourent la capitale totalisent une surface de 48.428 hectares dont 17.263 sont des terres agricoles. Vlaamse Landmaatschappij (VLM), Vlanderen is landbouw en visserij, « Boeren rond Brussel: Kansen en bedreigingen voor voedselproductie in de Vlaamse Rand », Rapport, 2015. 5.  Voir Entretien avec Noémie Maughan, Annexe p.199. 6.  IBGE, « Good Food », p.28

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Terres agricoles disponibles en bordure bruxelloise et échanges interrégionaux

L’élargissement des limites de Bruxelles s’est accompagné, comme c’est le cas pour la plupart de villes, de l’éloignement de sa production agricole. La nécessité de relocaliser la production alimentaire pour la ville, le monde et l’homme ainsi que la demande croissante en alimentation locale et durable au sein de la capitale amènent les citoyens et les politiques à s’intéresser à la recherche de terres disponibles en région bruxelloise mais aussi dans sa périphérie proche. Des études sont également en cours sur des projets à long et moyen terme1 qui visent à améliorer la qualité de vie de Bruxelles et de sa périphérie en établissant des liens entre consommateurs et producteurs, en gérant au mieux le gaspillage et les déchets, en sensibilisant toutes les générations à l’importance d’une alimentation saine, etc.

En terme de chiffres, la Belgique perd en moyenne quarante-cinq fermes par semaine depuis trente ans et dans cette même période, la taille des exploitations agricoles a presque doublé2. Au fil des années, la relation avec le producteur s’est totalement perdue au point que même ce dernier ne se soucie plus de son consommateur, il cherche le meilleur intermédiaire et se plie à ses exigences (prix, technique, délais, outils, etc.)3. Selon Noémie Maughan, du Service d’Écologie du paysage et des systèmes de production végétale de l’ULB, l’amélioration des relations entre producteurs, intermédiaires et consommateurs, mais aussi des techniques de production et de distribution enrichirait la vie de chacun des intervenants et permettrait à Bruxelles une meilleure résilience. Bien que la Région bruxelloise soit entourée de nombreuses terres agricoles qui représentent 35% des dix-neuf communes qui la bordent, elle semble pourtant déconnectée de celles-ci4. En effet, même les produits locaux qui alimentent la ville proviennent de Wallonie et non des terres flamandes néanmoins plus proches. Bien que principalement destinées à l’élevage, celles-ci pourraient devenir une réelle opportunité d’accroître la consommation de produits locaux dans la capitale et peut-être la résilience alimentaire de celle-ci. Cela permettrait aussi de renouer avec les producteurs flamands qui préfèrent actuellement exporter vers l’international plutôt que de s’ouvrir à la capitale5. Ils ne voient pas en cette proximité une opportunité mais plutôt une contrainte qui fait monter le prix des terrains et qui congestionne le trafic alentour. La plupart des agriculteurs situés en périphérie considèrent la capitale comme une « boite noire » et ils ne sont, bien souvent, pas au courant du potentiel qu’elle peut représenter en terme de demande (consommation et production). Il leur manque pour le moment un intermédiaire qui les informerait et les accompagnerait dans la transition vers une production


Terres agricoles RBC

= 240 ha

= 1,5% de la surface

Bordure = 17.263 ha = 35% de la surface

Terres agricoles en Région de Bruxelles-Capitale et dans les dix-neuf communes flamandes qui la bordent (document personnel d’après l’étude de la vlm)


évolution des terres (péri)urbaines

7.  Voir Entretien avec Catherine Fierens et Lison Hellebaut, Annexe p.212. 8.   Vlaamse Landmaatschappij (VLM), Vlanderen is landbouw en visserij, op. cit. 9.  Au cours de cette étude,  15% des 1.072 agriculteurs ont été interrogés et il en ressort que l’âge moyen est de 55 ans, que seulement 26% ont un repreneur, 29% n’en ont pas et 45% ne savent pas ce qu’il va advenir de leurs terres. Ibid. 10.   La Ceinture Aliment-Terre liégeoise. En ligne: http://www. catl.be/presentation/, page consultée le 3 août 2016.

- état actuel

locale et durable6. Certains de ces agriculteurs ont néanmoins déjà franchi le pas à l’aide des GASAP comme la Finca à Wezembeek-Oppem, Marie’s Garden à Overijse, Bio Brussel à Sint-Pieters-Leeuw, Den Diepen Boomgaard à Grimbergen et Groentelaar à Gooik (voir carte). Malheureusement, selon Catherine Fierens, qui participe à l’étude de BoerenBruxselPaysans, la majorité des agriculteurs situés dans la périphérie sont très réticents à une réorientation qui impliquerait de ré-apprendre tout un métier, ses techniques, etc7. Un récente étude réalisée par la Vlaamse Landmaatschappij (VLM)8 a permis d’établir qu’une partie de ces agriculteurs, pour la plupart âgés de plus de cinquante-cinq ans, n’ont pas encore de repreneurs ou ne savent pas encore ce qu’il va advenir de leurs terres dans le futur9. Cela amène la VLM à conclure que dans quelques années une partie de ces terres pourrait éventuellement être rachetée par la région (droit de préemption, etc.) dans le but d’y développer une production agricole durable qui bénéficierait aux habitants, mais encore faut-il trouver les fonds. Parallèlement au manque d’engouement pour ces terres de la part des agriculteurs flamands, l’association Graine de Paysans déclare qu’en Région bruxelloise, l’agriculture durable séduirait de nombreuses personnes qui désirent se lancer dans cette pratique à plein temps, à mi-temps ou comme une activité secondaire. Les deux Régions gagneraient à améliorer leurs échanges et à se fixer des objectifs communs car il semblerait qu’actuellement, le cloisonnement de la Région bruxelloise dans ses frontières, qui ne sont pourtant qu’administratives, ait un effet néfaste sur chacune d’entre elles. D’autres villes belges se reconnectent petit à petit à leur périphérie mais ne sont pas comparables à la capitale au vu de leurs échanges périurbains actuels. La ville de Liège est relativement pionnière en ce qui concerne les circuits-courts et le développement de l’agriculture paysanne. Elle s’est donné comme défi en 2013 de créer une ceinture alimentaire autour de la ville. Ce projet doit son origine à la réunion d’acteurs citoyens et institutionnels engagés dans la transition, ayant pour but commun de développer un « système alimentaire régional ». L’ASBL Exposant D, responsable de la concrétisation du projet de la Ceinture Aliment-Terre liégeoise, vise à assurer le développement et le maintien de projets existants dans les domaines de la production, de la consommation, de la formation et de l’installation agricole. Elle soutient également des futurs projets de cuisine « collective en circuits courts, de ferme-pilote agroécologique, d’épicerie de produits locaux, de hall relais agricole, etc. ». L’ASBL se charge en définitive de mettre en relation différents acteurs issus de la ville et de la campagne et de milieux professionnels et citoyens, tout en promouvant un modèle qui favorise les circuits-courts ainsi que la coopérative.10 Bruxelles suit le mouvement et se fixe des objectifs semblables dans la stratégie 6.   Projet Good Food, Stratégie vers un système alimentaire plus durable, IBGE, p.28

96


1/1000

rue de l'alma, rennes

1400 W 46th St, Chicago

La Finca, Wezembeek-Oppem (crĂŠdit photo: Oli Gi)

Mechelsesteenweg 71, 1970 Wezembeek-Oppem


évolution des terres (péri)urbaines

11.  Les 240 hectares de terres agricoles se divisent en 136 ha de prairies, 93 ha de cultures fourragères (maïs, orge, épeautre, blé), 4 ha de patates, 1,7 ha de betterave sucrière, 1,2 ha de petits fruits et 4 ha de bâtiments et friches. Le Début des Haricots, « État des lieux et potentiels de l’agriculture dans et autour de Bruxelles», Rapport, 2015. 12.  Collectif, Farming the City, p.18.

- état actuel

Goodfood mais la situation semble plus complexe car ses limites sont plus ancrées culturellement.

Terres agricoles disponibles en Région bruxelloise

Aujourd’hui, quelques cultures persistent encore en région bruxelloise mais sont destinées, pour bon nombre d’entre elles, à l’exportation et à nourrir les élevages. En effet, parmi les 240 hectares de terres agricoles recensées par le Bureau de Recherche en Aménagement du Territoire (BRAT), seulement 6,9 hectares bénéficient directement à l’homme, soit 2%11, le reste étant destiné aux cultures fourragères, prairies permanentes et cultures de céréales pour le grain. Plusieurs facteurs peuvent freiner la réorientation de ces productions comme leur caractère privé ainsi que le bail à ferme qui concerne la plupart d’entre elles et qui implique une longue durée d’occupation. L’étude du BRAT a également évalué la superficie des terrains sur lesquels des activités agricoles pourraient potentiellement se développer à l’intérieur de Bruxelles. Il en résulte que la ville compterait 800 hectares de parcelles non bâties de plus de 500 m2. Selon les chiffres avancés par la stratégie Good Food, ce potentiel de terres permettrait de produire plus de 30% des principaux légumes consommés par les bruxellois, étant donné qu’il suffirait de 590,5 hectares pour atteindre ce pourcentage. Ces terres sont bien présentes, mais appartiennent pour la plupart à des propriétaires privés, ce qui empêche actuellement la région de maîtriser leur destin. La troisième phase de l’étude consistait en une étude plus approfondie de ces terres afin de déterminer selon différents critères (localisation par rapport au maillage potager existant, taille, propriétaire, affectation au Plan Régional d’Affectation du Sol, PRAS), lesquelles étaient les plus favorables au développement de potagers urbains. Cette phase a permis de sélectionner dix-neuf sites à privilégier pour le développement de parcelles potagères familiales qui seraient gérées par Bruxelles Environnement. Une prise de contact a été faite avec les propriétaires de ces sites et huit d’entre eux ont donné un avis favorable. Cependant, ces terrains ne sont pas inscrits comme des terres agricoles au PRAS et ces projets peuvent donc entrer en concurrence avec d’éventuels projets immobiliers.

Spéculation foncière

En ville comme dans la périphérie, le logement et le bureau sont, au fur et à mesure du temps, devenus prioritaires par rapport à l’agriculture. Il est évident que ces activités sont plus rentables à court terme par rapport au prix des terrains mais ont-elles réellement plus à apporter à la ville ? Le domaine alimentaire est fortement lié à de nombreux secteurs comme la santé publique, la justice sociale, l’énergie, l’eau, le paysage, le transport, le développement

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Dix-neuf sites retenus pour développer des potagers urbains (noir) parmi l’ensemble des terrains potentiellement disponibles (document personnel d’après l’étude du BRAT)


évolution des terres (péri)urbaines

13.   Le Début des Haricots, « État des lieux et potentiels de l’agriculture dans et autour de Bruxelles», Rapport, 2015. 14.  Collectif, Farming the City, p.52. 15.   Lutte pauvreté, « Le droit au logement », En ligne: http://www. luttepauvrete.be/publications/ rapport6/I_logement.pdf, Rapport, p.12. 16.  Collectif, « PRAS démographique, clash démocratique », Le Soir, 2 juillet 2012 &  Entretien avec Noémie Maughan, Annexe p.199.

- état actuel

économique12, etc. Pour le moment, le système économique ne mesure que les bénéfices à court terme du développement du territoire alors qu’une vision à long terme serait préférable et pourrait influencer les décisions et les plans d’aménagement. Comme le suggère l’ASBL Terre-en-vue, il pourrait être judicieux de protéger les terres agricoles de la pression foncière et de les voir comme un bien commun. Elles seraient donc prises en charge collectivement et non de manière spéculative. Comme le facteur économique prime dans de nombreux secteurs, il apparaît indispensable que des interventions émanent des organes décisionnels afin de préserver les espaces encore disponibles et permettre leur réaffectation. L’asbl du Début des haricots avance l’importance de mettre en place « un observatoire du foncier, des primes adaptées (mesures agroenvironnementales, primes à l’installation,...), une réforme du bail à ferme (régionalisé en 2015), une collaboration inter-régionale ainsi qu’un soutien aux agriculteurs (anciens et nouveaux) »13. Des mesures gouvernementales pourraient également être envisagées afin d’assurer le succès de l’agriculture urbaine et péri-urbaine comme par exemple: introduire des taxes spéciales qui inciteraient à consommer local, réduire le business et les taxes d’investissement liées à l’agriculture, réduire le prix des terrains et le leasing immobilier pour les terrains appartenant à la ville, revoir et changer les lois relatives au zonage pour encourager et protéger l’agriculture, créer un bureau de l’agriculture urbaine pour agir de manière neutre et coordonner les efforts et l’information pour supporter cette pratique,14 etc. Le gouvernement devrait donc agir pour assurer le maintien de certains espaces non bâtis qui pourraient offrir des bénéfices à long terme socialement, culturellement et d’un point de vue environnemental à la ville.

Crise du logement

Avec les 140.000 nouveaux habitants attendus pour 2020, le logement représente l’enjeu principal actuellement et entre fortement en concurrence avec les projets d’agriculture urbaine. Bruxelles accueille des personnes issues soit de l’immigration, soit du reste du pays mais n’est pas encore en mesure de leur garantir l’accès à un logement décent. La ville accumule en effet un déficit de 20 à 24.000 logements par an15. Au vu de ces chiffres et des dernières estimations, le dernier PRAS a fait sauter des verrous pour permettre à certaines zones protégées par l’ancien plan d’aménagement de devenir constructibles. Cela concerne principalement des zones ferroviaires et des espaces en friche qui sont justement les espaces les plus adaptés aux pratiques agricoles urbaines16. Mais les terrains en question ne sont pas tous inoccupés, c’est le 12.  COLLECTIF, Farming the City, p.??

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1/1000

Potagers Ernotte, Ixelles (crédit: quartier européen)


évolution des terres (péri)urbaines

17.   Les potagistes. En ligne: http://lespotagistes.be, page consultée le 5 août 2016. 18.   Labo Ruimte et al., Metropolitan Landscapes: Espace ouvert, base de développement urbain, Vlaamse Overheid & Bruxelles Environnement, 2015, p.13. 19.  En 1997, l’ISCED (International Standard Classification of Education) compara le taux de chômage des différentes régions belges en fonction du degré d’éducation : pour la Région de Bruxelles-Capitale, il était de 29,3% pour un niveau d’éducation bas et de 9,1% pour un niveau d’éducation haut, pour la Région flamande les taux de chômage étaient respectivement de 10,3% et de 3,2% suivant ces mêmes critères, et pour la Région wallonne de 22,3% et de 5,7%. Statistics Belgium, « Le marché du travail en chiffres relatifs », Rapport, 2014. En ligne: http://statbel. fgov.be/fr/statistiques/chiffres/ travailvie/emploi/relatifs/, page consultée le 15 juillet 2016.

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- état actuel

cas d’une parcelle de 6,5 hectares située à proximité de la gare de Boondael à Ixelles, dont la commune est propriétaire. Celle-ci accueille depuis 1925 le Potager Ernotte qui s’étendait, il y a encore quelques années, sur un terrain de la commune voisine de Watermael-Boitsfort. Une grande partie des potagers ont disparu au profit de la construction d’une cité de logements, et la quarantaine de parcelles individuelles restantes, sont à leur tour menacées par un projet immobilier. Le Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) que la commune a introduit dernièrement risque de permettre la construction de ce terrain qui est actuellement un espace de convivialité et le poumon vert du quartier. Les habitants concernés par le maintien du potager et l’avenir de leur quartier ont mis au point un collectif en vue de s’opposer au projet. Le quartier leur semble déjà saturé dans les secteurs de l’éducation, de la mobilité et du commerce, et souffrirait de ce fait de l’ajout d’un nombre important de nouveaux logements, surtout si les infrastructures nécessaires ne suivent pas. Ils craignent également que le projet immobilier prévu pour la zone ne soit accessible qu’à une population aisée et de ce fait, ne réponde pas au manque de logement qui concerne principalement les classes moyennes. Ils ont été invité par Nathalie Gilson, échevin de l’urbanisme de la commune, à proposer un contre-projet mais cette dernière n’y a pas donné suite. Le contre-projet imaginé par le collectif d’opposants proposait à la place des longues barres de logements prévues le long de la rue (voir plan), de dédier une zone centrale à l’habitation et de créer un pôle type éco-quartier près du potager existant afin de le développer et de l’ouvrir davantage aux habitants. Ce pôle mêlerait cours de maraîchage, activités agricoles pour les écoles, four à pain collectif, terrain de pétanque, etc. Le but était de dépasser les frontières sociales et culturelles du quartier via cet espace tout en conservant le potager actuel et en laissant plus de place à la végétation du site. Les habitants ne sont pas entièrement fermés à la construction de logements et prônent le dialogue entre les différents acteurs mais il semblerait que la commune et les partisans du projet immobilier ne le voient pas d’un bon œil et qu’ils ne leur donnent volontairement pas toutes les informations concernant son avancement.17 Comme le terrain de la rue Ernotte, de nombreux autres se confrontent aux projets immobiliers et il est donc primordial d’agir pour préserver ces espaces de résistance encore présents dans la ville (Prison de Haren, La Plaine, le Chant des Cailles, etc.). Ces derniers la font à la fois respirer mais laissent aussi la place à des initiatives futures. L’agriculture urbaine ainsi que les espaces ouverts dans la ville devraient être indissociables de la planification des villes et être pensés en amont (plans d’aménagement, etc.). Ces espaces, s’ils sont bien pensés, pourraient bénéficier directement à la ville au lieu d’être «passifs» comme la plupart des espaces publics actuels: ils pourraient en effet produire de la nourriture, absorber les pics de précipitations, représenter des espaces de loisir et de


1/500 bâtiments existants potagers existants logements projetés pôle éco-quartier

Projets proposés par le bureau d’étude, à gauche, et par les citoyens, à droite (documents personnels)


évolution des terres (péri)urbaines

20.  Les secteurs concernés sont, dans l’ordre du nombre d’emplois générés, la distribution, l’horeca, la transformation, la production, la gestion des déchets, la formation, etc. 21.  Observatoire bruxellois de l’emploi, Actiris, « Greenloop », Étude, 2014 , p.7-8.

- état actuel

de chaleur urbains, laisser de la place à la mobilité douce18, etc.

Crise de l’emploi

Le domaine alimentaire a également l’avantage de créer des emplois qui ne requièrent que très peu de qualification contrairement à ceux qu’offre la ville actuellement. Le taux de chômage élevé de la capitale par rapport aux deux autres régions en témoigne19. Il ressort d’une étude réalisée dans le cadre du rapport Greenloop que le secteur de l’alimentation durable génère actuellement 2.500 emplois à Bruxelles20. Selon cette étude, le développement de l’agriculture urbaine permettrait de créer 1.400 emplois pour la production, 1.300 emplois pour la transformation et la distribution et 200 emplois pour le traitement et la transformation des déchets. Le nombre d’emplois dans ce secteur serait donc plus que doublé sur une période estimée entre dix et quinze ans. L’étude établit par ailleurs que le secteur de l’alimentation durable n’a cessé de croître, et ce, même pendant la crise.21

18.   Metropolitan Landscapes: Espace ouvert, base de développement urbain, p.13

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O bjectifs

de l ’ agriculture urbaine

P our 800 millions de personnes dans le monde pratiquent l’agriculture urbaine et produisent à eux seuls 15% de la production alimentaire mondiale. Smit et al. (1996)

Nourrir la ville de manière durable, en étant économiquement efficace et juste à la fois socialement et pour l’environnement, constitue un des enjeux du vingt-et-unième siècle. Comme le souligne l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), la croissance de la population urbaine ne va faire qu’augmenter et avec elle, la surface des terres agricoles va diminuer.1 La FAO soutient que « l’agriculture urbaine et périurbaine doit être reconnue comme une activité commerciale et professionnelle à part entière et qu’il convient d’intégrer dans les politiques nationales de développement agricole les programmes d’alimentation et de nutrition, l’urbanisme et la gestion des ressources »2. Le rôle de l’agriculture urbaine est donc reconnu et la nécessité de retrouver des systèmes alimentaires plus cohérents à la fois dans leur localisation et dans les techniques utilisées semble nécessaire pour la planète ainsi que pour ses ressources dont l’épuisement est du en grande partie aux activités humaines. La relocalisation alimentaire à l’échelle nationale et urbaine aura des répercutions bien plus larges notamment sur l’environnement, sur les populations du reste du monde ainsi que sur les générations futures. Même si celle-ci reste partielle, elle permettra une sensibilisation locale à portée globale.

le monde

1.   Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO) « How to feed the world in 2050? », Rapport, 2009. 2.    FAO, « Villes plus vertes: une bonne gouvernance », En ligne: http://www.fao.org/ag/agp/greenercities/fr/hup/gouvernance.html, page consultée le 15 juillet 2016.

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P our

la ville

1.   Jennifer Cockrall King, op. cit., p.36. 2.  Fondation des jardins de la victoire. En ligne: http://www. victorygardenfoundation.org/ VGhistory/Facts%20about%20 1945%20VGs.pdf, page consultée le 29 juillet 2016.  3.   Katrin Bohn, Joe Howe et André Viljoen, Op. cit., p.104

L’agriculture urbaine pour plus d’autonomie alimentaire

En temps de crise, comme pendant la guerre, il était courant de cultiver son jardin, on peut citer le cas des Victory Gardens, ou Jardins de la Victoire. Cette pratique s’est notamment développée pendant les deux guerres mondiales en Angleterre, en Allemagne, au Canada et aux États-Unis sur des jardins privés et des parcelles publiques. Elle était encouragée par les autorités publiques qui incitaient la population à planter les espaces vacants afin de garantir l’accès à la nourriture. Les Victory Gardens visaient aussi à stimuler le corps, l’esprit, et apportaient une certaine contribution à la période de crise. En 1944, les États-Unis produisirent jusqu’à 40% de leurs besoins en fruits et légumes, soit huit à dix tonnes de nourriture, grâce à leurs vingt millions de Victory Gardens1. Les États-Unis avaient établi une liste de raisons afin d’encourager leur développement2: - jardiner pour la victoire - cultiver ses légumes pour plus de sécurité alimentaire - économiser de l’argent - être en bonne santé - manger des produits de qualité - jardiner pour s’amuser - jardiner pour aider la communauté La Belgique, qui connu aussi la pénurie alimentaire durant les périodes de guerre, pris également part à ce mouvement. A l’époque, de nombreux conseils étaient donnés à la population pour se nourrir pendant la guerre: comment se passer de viande dans les repas, les légumes les plus nutritifs à moindre coût, quels aliments planter et quand, etc. Après la seconde guerre mondiale, cultiver sa nourriture a souvent été associé aux temps difficiles et ne représentait pas le progrès scientifique, ni la jeunesse en qui l’on voulait croire à l’époque3. Cependant, ces exemples passés démontrent la réelle capacité productive que la ville peut avoir quand ses citoyens se mobilisent. Actuellement, la volonté de revenir à une certaine autonomie alimentaire en ville s’observe un peu partout dans le monde mais celle-ci semble encore loin et dans les conditions actuelles, assez utopique. Le point positif est que la ville ne peut que gagner en productivité.

L’agriculture urbaine comme outil environnemental

Les raisons environnementales qui poussent à développer l’agriculture urbaine sont nombreuses. Premièrement, la relocalisation de la production alimentaire permet de diminuer les distances parcourues par les aliments, réduisant de ce fait l’empreinte écologique urbaine. Cela offre également la possibilité de

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Affiche incitant les habitants Ă planter leurs jardins , 1945 (Hubert Morley, 1945)


Potager créé sur les talus des voies de chemin de fer, Londres, 1940 (crédit: getty images)


Potager créé dans un cratère de bombe, Londres, 1942 (crédit: getty images)


Objectifs de l’agriculture urbaine - Pour la ville

4.  Voir infra. Incredible Edible, p.58. 5.  Voir supra. Culture hors-sol, p.137.

valoriser d’autres ressources comme les déchets urbains en tout genre (déchets des parcs, déchets alimentaires des cuisines, restaurants, etc.) qui pourraient bénéficier directement à l’agriculture au lieu d’être jetés. Ensuite, l’agriculture urbaine permet aussi, via ses différents types de mise en œuvre, de favoriser l’infiltration et le ralentissement des eaux pluviales. Plus largement, la présence accrue de végétaux dans la ville temporise les îlots de chaleur et améliore la qualité de l’air ce qui bénéficie à la fois à l’homme et aux animaux (abeilles, etc.). Cette pratique peut également être encouragée afin de développer des couloirs verts continus qui permettent le développement de la faune et de la flore ainsi que la création de nouveaux biotopes. La présence accrue de l’agriculture en ville permet aussi une sensibilisation du citadin au rythme des saisons et à la nature en général.

L’agriculture urbaine pour l’aspect esthétique et la convivialité

Différents projets, souvent de petite taille, sont initiés pour rendre un lieu plus agréable visuellement mais aussi pour susciter son intérêt. La vocation productive est bien présente mais ne représente pas l’objectif principal. On peut citer le mouvement des Incredible Edible qui développe entre autres des petites surfaces agricoles sur l’espace public4. Ce principe s’est développé récemment dans le parc du Mont-des-Arts à Bruxelles, qui accueille depuis peu le projet Parc Mangeable qui propose de remplacer quelques parterres par des bacs d’aromates. Ils offrent la possibilité aux gens de se servir librement et ont aussi l’avantage de parfumer le lieu et de susciter son intérêt. L’édition de 2016 du festival Parckdesign a pour thématique le « jardin essentiel » et pousse à la réflexion de l’état actuel de certains parcs (peu ou pas productif, gazon tondu, etc.). Le pard Duden de Forest s’est doté pour l’occasion d’une surface de 2.500 m2 de plantes aromatiques et de fleurs comestibles. Différentes activités sont organisées pour l’occasion et mettent en exergue la pluralité d’activités possibles dans un parc public.

L’agriculture urbaine comme outil d’occupation temporaire

De nombreux terrains disponibles à Bruxelles (friches, terrains communaux, terrains à bâtir, etc.) se trouvent dans une temporalité particulière car les projets immobiliers qui s’y développent prennent souvent quelques années avant d’être acceptés et de sortir de terre. Ceux-ci ne figurent pas au registre des terres agricoles, ce qui peut freiner le développement d’initiatives liées à la production alimentaire. Cependant, quelques projets parviennent à passer entre les mailles du filet notamment grâce à leur caractère temporaire. Des projets de ce type se développent autant en culture en pleine terre qu’en hors-sol, cependant ces deux techniques ont des répercutions différentes. De

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uai du 000

1400 Rue Antonio Barbeau, MontrĂŠal, QC H4N, Canada

1/500

kbr,Boulevard de l'Empereur 4, 1000 Bruxelles

Parc mangeable - bacs plantĂŠs dans le parc du mont des arts, bruxelles (photo personnelle)


Objectifs de l’agriculture urbaine - Pour la ville

6.   Prinzessinengarten en allemand. 7.  Ce potager urbain cultive près de cinq-cents espèces différentes. 8.   Friche and Cheap. En ligne: http://www.fricheandcheap.com, page consultée le 30 juillet 2016. 9.  Voir infra. Potage-toit, p.80.

par son détachement de la terre, la culture hors-sol permet l’occupation de terrains même pour de très courtes périodes, elle offre en effet la possibilité de prendre racine dans différents contenants5 qui peuvent être déplacés sans mettre en péril les plantations. Le but de ce genre de culture n’est bien sur pas la productivité mais les lieux où elle se développe peuvent offrir l’occasion aux habitants de se rencontrer, de partager leurs expériences, de se familiariser à une production locale et durable, etc. Le terrain en friche du Jardin des princesses6 situé à Berlin dans le quartier du Kreuzberg a permis le développement d’un projet de ce type. Un jardin communautaire temporaire y pris place en 2009 grâce à l’ASBL Nomadisch Grün. Sur ces 6.000 m2, se sont développées diverses activités comme l’agriculture hors-sol dans des bacs7, un petit restaurant, un espace d’accueil éducatif, des ruches, un coin recyclage, etc. Le but de ce projet était avant tout de favoriser le développement de lien social au sein de ce quartier multiculturel, de sensibiliser la population locale aux problématiques alimentaires actuelles et à l’agriculture biologique, mais aussi de faire découvrir les multiples activités qui peuvent découler de l’agriculture. Ce projet ne bénéficie d’aucun financement public mais le succès de la vente des produits cultivés sur place et le restaurant lui permettent de faire perdurer ses services « gratuits » (espace de rencontre, d’éducation, de détente, etc.). Dans le même registre le bureau de paysagistes français Friche and Cheap8, développe de nombreux projets qui visent à redonner vie à des lieux abandonnés tels que les friches ou encore les espaces urbains peu considérés comme les trottoirs, les ronds-points, etc. Ils favorisent la collaboration entre les habitants et les politiques, et tentent, avec leurs projets, d’avoir un impact tant social, que culturel et écologique. Ces lieux en transition deviennent alors le témoin de l’évolution et de la singularité de la ville. Bruxelles n’est pas en reste pour ce type de projet, on peut notamment citer le potager qui pris place sur le toit de la Bibliothèque Royale9. Dans ces différents projets, il s’agit de redonner vie, même temporairement, aux espaces urbains résiduels ou vacants et surtout de mettre en avant les différentes aménités de l’agriculture urbaine tout en sensibilisant les populations locales à certaines questions liées à notre alimentation. Les projets temporaires de culture en pleine terre, de par leur caractère littéralement ancré au sol, ont tendance, quant à eux, à ne plus pouvoir se défaire de la terre en fin de processus. En effet, ce type d’initiative met plus de temps à se mettre en place (travail du sol, premières cultures, etc.) et bien que l’aspect temporaire soit connu des participants dès le début de l’expérience, celui-ci est souvent remis en cause quand la période d’occupation prend fin et fait place à certaines revendications d’appartenance. C’est pour cette raison, mais aussi car la culture bruxelloise n’est pas habituée au « temporaire », que

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n

usse

chant des cailles 27.630, avenue des cailles, 1170 boitsfort

vert d'iris greenz : ro de lennik 1041, et betterave, rue du koevijver 20, 1070 Anderlecht

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parckfarm, t&t

ern ong Island Prinzessinnengarten, Berlin (crĂŠdit: Marco Clausen)

Prinzenstrasse 35 – 38, 10969 Berlin


chant des cailles 27.630, avenue des cailles, 1170 boitsfort

vert d'iris greenz : route de lennik 1041, et betterave, rue du koevijver 20, 1070 Anderlecht

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parckfarm, t&t

Prinzenstrasse 35 – 38, 10969 Berlin

Parckdesign Festival - Parckfarmn vu du pont (photo personnelle)


Parckdesign Festival - Intérieur de la Farmhouse (crédit photo: parckfarm t&t asbl)


Objectifs de l’agriculture urbaine - Pour la ville

10.  « La terre noire (terra preta en portugais) est un type de sol sombre d’origine humaine et d’une fertilité exceptionnelle due à des concentrations particulièrement élevées en charbon de bois, matière organique et nutriments tels que l’azote, le phosphore, le potassium et le calcium. ». Wikipédia, Terra preta. En ligne: https://fr.wikipedia.org/wiki/ Terra_preta, page consultée le 30 juillet 2016.

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l’accès aux terrains reste une grande barrière pour ce genre de projet. Le projet ParckFarm, situé sur le site de Tour & Taxi, pris place au cours du quatrième festival temporaire Parckdesign initié par Bruxelles Environnement en mai 2014. Catherine Fierens, qui travaille pour l’IBGE et que j’ai eu l’occasion de rencontrer pour discuter du projet BoerenBruxselPaysans, participe aussi depuis quelques années à l’élaboration de ce festival. Pour sa première édition, celui-ci concernait exclusivement du mobilier urbain mais par après ils ont voulu investir temporairement des terrains. Le festival ne dure que quatre mois, mais les propriétaires étaient souvent réticents à l’idée et craignaient une appropriation. L’édition de 2014 était elle aussi temporaire mais comprenait une partie « test », Parckfarm, qui, en fonction de son succès, resterait peut-être plus longtemps. Celle-ci ne concernait pas seulement l’agriculture mais on y retrouvait aussi la Farmhouse, serre vouée à diverses activités comme des repas et des workshops, le Cubious, où grandissaient en symbiose des grillons, des champignons et des fleurs, l’Usine du TrésOr Noir, toilettes sèches destinées à alimenter le parc en « terra-preta10 », le Kotkot, ferme animalière du projet, la Bee Car, ruche mobile, la Table-Paysage, où se partageaient les repas en extérieur et l’Electric Rainbow Farmfair, sculpture lumineuse visant à éclairer le pont lors de différentes soirées sur le site. À la fin du festival, ParckFarm s’avéra être un réel succès et c’est grâce à l’investissement des habitants du quartier et de quelques bénévoles que certaines activités demeurent encore aujourd’hui sur le site comme la Farmhouse, la Table-Paysage et le Kotkot ou encore d’autres projets rajoutés en cours d’année comme le Four à pain et le Farmtruck. Ce lieu est devenu un réel espace de sociabilité qui accueille de nombreuses activités plusieurs jours par semaine. Elles sont pour la plupart orientées vers l’alimentation (cours de cuisine, workshop, atelier d’herboristerie, GASAP, échanges de savoir-faire, etc.) et font travailler une dizaine de fermiers amateurs et professionnels. Dans ce cas, aucune opposition n’a été établie à l’encontre du projet, ce qui lui permet de perdurer, mais il arrive qu’un autre projet entre en concurrence comme cela a été le cas pour le terrain de la Ferme du Chant des Cailles situé à Watermael-Boitsfort. Ce projet, qui a débuté en 2012 sur un terrain constructible appartenant à la cité-jardin du Logis, devait prendre fin le jour où les constructions prévues sur le site débuteraient. Dès le départ, l’ambition était de redonner littéralement vie à ce champ agricole, à l’état de friche depuis deux ans, et d’en faire bénéficier le quartier. Le terrain de 2,5 hectares se divise aujourd’hui en plusieurs sections gérées par différentes organisations professionnelles et citoyennes. Le Jardin Collectif, qui occupe 4.000 m2, est entièrement dédié aux habitants du quartier qui s’occupent de sa gestion. L’équipe compte septante personnes, expérimentées ou non, toutes intéressées de cultiver la terre dans un plus grand respect de la biodiversité et du sol et sans produits phytosanitaires. La vente de produits est organisée sur place,


1 Sente du Mo Cat 27800 Le Bec witloofstraat, 1130, haren

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square gĂŠrard van caulaert 2, 1060 Saint-gilles la pousse qui pousse

Chant des Cailles, Watermael-Boitsfort (photo personnelle)

chant des cailles 27.630, avenue des cailles, 1170 boitsfort


Objectifs de l’agriculture urbaine - Pour la ville

mais il s’agit avant tout d’un lieu de rencontre et d’échange. Le projet des Maraichers, qui fait partie du pôle professionnel, est géré par six personnes. Ils cultivent une cinquantaine de variétés de légumes sur leurs 3.500 m2. Leurs nonante membres sont invités du mois de mai au mois de décembre à venir chercher eux-mêmes ce dont ils ont besoin grâce un système d’auto-cueillette. D’autres professionnels occupent le terrain dont Le Bercail, qui produit du fromage de chèvre grâce aux dix-huit brebis présentes une partie de l’année sur le site, et Herbae, projet de culture de plantes médicinales et comestibles géré par deux personnes. Les différents produits sont principalement destinés à la vente directe. Le Chant des Cailles ne devait durer que quelques années mais il s’avère qu’après tout l’investissement et le succès rencontré, les habitants et les personnes qui prennent part au projet revendiquent plus de pérennité. La Commune et le Logis sont du même avis et souhaitent à présent ne bâtir qu’un tiers du terrain et maintenir les activités agricoles qui s’y trouvent. Cependant, la présence de logements sur le site risque, selon l’ASBL, de compromettre les activités qui s’y déroulent actuellement et la piste d’un autre terrain pour ces constructions est donc à l’étude dans le quartier voisin du Floréal. Ce genre de revendication peut donner place à une remise en cause de l’affectation d’un terrain mais cela prend bien souvent du temps.

L’agriculture urbaine comme outil revendicateur d’appartenance et d’intérêt pour un territoire

D’autres projets d’agriculture urbaine se développent comme des contreprojets: les habitants investissent le sol et l’occupent pour revendiquer leur protestation. L’exemple de l’ancien aéroport de Tempelhof à Berlin est assez parlant : alors qu’un gros projet immobilier avait été validé, les habitants se sont mobilisés pour le droit à ce terrain de près de 400 hectares. Ils y ont développé différentes activités comme l’agriculture, des festivals, du sport, etc. Après avoir voté un référendum, la ville a revu le projet et a notamment allégé sa densité bâtie. On peut aussi citer l’exemple bruxellois du Mouvement des patates qui est né suite au projet de la méga prison de Haren. Cette dernière, répartie en huit entités, est sensée occuper un tiers du terrain de dix-huit hectares et représenterait la plus grande prison de la capitale. Les citoyens se sont mobilisés contre ce projet en plantant des pommes de terre, symbole alimentaire belge par excellence. Ils essayent de démontrer, par ce biais, qu’une autre occupation du sol est possible et que le maintien des terres agricoles dans la capitale est important. Si l’on se fie aux chiffres de la stratégie Good Food, qui prévoit notamment de produire 30% de la nourriture consommée à

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1/2000 witloofstraat, 1130, haren

Projet de la future prison de Haren (assar architectes) square gĂŠrard van caulaert 2, 1060 Saint-gilles la pousse qui pousse

chant des cai avenue des c boitsfort


Objectifs de l’agriculture urbaine - Pour la ville

11.  La stratégie prévoit que 590,5 hectares sont nécessaires pour produire cette quantité. Voir infra. Stratégie Good Food, p.66-67. 12.  Le concept des Zones A Défendre, faisant référence à la base aux Zones d’Aménagement Différés, a débuté avec la lutte contre le nouvel aéroport international prévu à Notre-Dame-Des-Landes près de Nantes. ZAD. En ligne: http://zad.nadir.or, page consultée le 29 juillet 2016. 13.   Réseau de soutien à l’agriculture paysanne. En ligne: http://luttespaysannes.be/spip. php?article110, page consultée le 29 juillet 2016.

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Bruxelles à l’intérieur de la ville et dans sa périphérie d’ici 203511, les terrains agricoles en zone urbaine sont précieux et il apparait donc évident que ces dix-huit hectares devraient être conservés. Ce terrain est devenu la première zone à défendre (ZAD)12 du territoire belge et le mouvement ne compte pas s’arrêter là. Il soutient aujourd’hui d’autres causes qui luttent entre autres contre « la bétonisation de nos terres, leur artificialisation et leur concentration aux mains de quelques-uns »13. A l’heure actuelle, le projet de prison est au point mort étant donné que le permis d’environnement leur a été refusé mais les partisans ne sont pas au bout de leur peine. Même si ce type de revendication n’arrive pas souvent à ses fins, cela peut néanmoins influencer les projets initiaux et permettre de développer une plus forte cohésion citoyenne.


Le mouvement des patates, terrain de la future mĂŠga prison de Haren (crĂŠdit photo: Thierry Dubois)


P our l ’ homme

1.  Fondation pour la santé mentale, « Strategies for living », Rapport, 2000.  2.  Parmi les plus médiatisées: la vache folle qui toucha 200.000 bovins en 1986 et qui ne fut transmise à l’homme que 10 années plus tard (maladie de Creutzfeldt-Jakob); la contamination à la dioxine qui débuta en 1999 en Belgique sur les volailles et les œufs et qui se répandit dans la viande et les produits laitiers dans plusieurs pays européens; l’épidémie de la grippe aviaire qui commença en 2003 en Asie et qui fit 240 morts et de nombreux élevages contraints d’être abattus un peu partout dans le monde; la contamination de graines germées d’Allemagne en 2003 qui fit 40 morts en Europe. Sans impact apparent sur la santé humaine on peut aussi citer l’affaire Spanghero de 2013 qui mit en évidence la trace de viande de cheval dans des produits devant contenir de la viande de bœuf, ou encore les tartes au chocolat de chez Ikea dans lesquelles on a retrouvé des traces de matières fécales en 2013. Manon Laplace, « Les 10 pires scandales alimentaires depuis 1980 », 2014, Bio à la une, http://www.bioalaune.com/fr/ actualite-bio/11948/10-pires-scandales-alimentaires-1980, page consultée le 15 juillet 2016.

« Food growing projects can act as a focus for community to come together, generate a sens of can-do, and also help create a sense of local distinctiveness - a sense that each particular place, however ordinary, is unique and has value ». Garnett, 1996

L’agriculture urbaine comme outil générateur de lien social

Le caractère social de l’agriculture urbaine est bien souvent mis en avant et il s’avère que ce dernier demeure parfois le seul moteur des projets. L’alimentation a l’avantage de concerner tout le monde, que l’on aime cuisiner ou non, elle permet de se retrouver autour d’un bon repas, d’échanger des savoirs, des produits mais aussi dans certains cas de soutenir une cause commune. Les jardins communautaires et collectifs se développent de plus en plus dans des quartiers luttant contre la criminalité (États-Unis), en revalorisant, grâce à l’agriculture urbaine, certains lieux désaffectés (friche industrielle, terrains vagues, etc.). Ils peuvent également permettre à différentes communautés de partager des intérêts communs et donc de renforcer leur cohésion. L’agriculture urbaine peut également susciter des rapports sociaux libérés du commerce (auto-cueillette, échange, etc.).

L’agriculture urbaine comme loisir

Cette activité apparait souvent comme un moment d’évasion que les gens s’accordent. Il s’agit d’un projet en perpétuelle évolution et dont chaque cycle requiert de l’attention. Cette pratique aurait aussi des impacts sur la santé physique et mentale. Selon la Fondation pour la santé mentale1, l’agriculture urbaine permettrait de réguler certaines maladies mentales et la simple vision de la nature réduirait le stress. Il semblerait donc que de manière générale, l’agriculture favorise un sentiment de bien-être et de satisfaction personnelle. Selon la biophilie, « l’amour de tout ce qui est vivant » serait un principe inhérent à chaque personne. Cette philosophie expliquerait le besoin de se reconnecter à la nature qui semble sous-jacent à cette activité. Renouer avec la terre permet également de redécouvrir des pratiques ancestrales plus respectueuses de l’homme et de l’environnement.

L’agriculture urbaine pour une production plus naturelle

Certaines personnes se lancent dans l’agriculture urbaine pour la simple raison qu’elles veulent connaitre les conditions de production des aliments qu’elles ingèrent et être sûres de leur qualité (intrants multiples liés à l’agriculture conventionnelle, producteur inconnu, transports multiples, congélation, etc.). Les différents scandales liés aux techniques industrielles2 ont instauré une certaine méfiance de la part des consommateurs et ont fait naître des préoccu-

124


nement notamment.

3.  Collectif, « Agriculture urbaine : aménager et nourrir la ville», Montréal, VertigO, 2013.

L’agriculture urbaine comme outil pédagogique

4.  Collectif, Farming the City, p.22.

D’un point de vue éducatif, il semblerait que manger sainement augmenterait la concentration et donc l’apprentissage chez les enfants3. L’introduction dans le cursus scolaire d’un programme spécifique à la sensibilisation alimentaire permettrait en outre d’apprendre l’origine des produits alimentaires et de ce fait, apporterait plus de coordination entre éducation et santé4.

L’agriculture urbaine pour arrondir les fins de mois

En fonction de la surface cultivée, certains maraîchers amateurs avancent que cette activité leur permet de faire des économies. Elle permet de ne pas dépenser de l’argent mais requiert néanmoins du temps, qui n’est souvent pas comptabiliser par ses adeptes car ils y prennent du plaisir.

125


C onclusion

1.  Voir infra. Du système agro-industriel à la centralisation de la production alimentaire, p.32. 2.  Voir supra. Fermes verticales et fermes hors-sol, p.156-160.

126

Qu’elle bénéficie directement à l’homme ou, plus largement, à la ville ou au monde, l’agriculture urbaine durable a de nombreuses aménités qui peuvent légitimer son développement. Mais parallèlement à ce qui semble être une nécessité de (ré)introduire l’agriculture au sein de la ville sous quelque forme que ce soit, l’agriculture nourricière des campagnes proches est elle compromise notamment à cause des subsides mal répartis, de la concurrence des cultures intensives délocalisées et des cultures destinées à l’élevage qui semblent plus valorisées actuellement1. A moins que la ville n’arrive à produire la nourriture indispensable à toute sa population en intra-muros, une réorganisation du système alimentaire s’avère nécessaire pour permettre aux agriculteurs de produire des aliments de qualité dans des conditions optimales (rémunération, conditions de travail, techniques respectueuses de l’environnement, etc.). L’agriculture urbaine devrait donc se développer en complémentarité avec l’agriculture rurale, servir de relais entre ces deux milieux que tout semble opposer actuellement, et non représenter un énième rival pour celle-ci en la concurrençant2. La ville a l’avantage de rassembler de nombreux services comme l’éducation, les loisirs ou encore la santé auxquels peut bénéficier de près ou de loin l’agriculture urbaine. Cette pratique se développe donc dans divers objectifs mais peut également varier dans les techniques utilisées ainsi que dans ses échelles d’intervention. La question serait donc de se demander s’il existe une équation idéale entre les différentes formes d’agriculture qui ont chacune quelque chose à apporter à la ville et à l’homme.


Domaines concernÊes par l’agriculture urbaine, (Duchemin et al., 2008)



D ifférentes

techniques

L’ agriculture Face aux diverses critiques liées à l’agriculture conventionnelle1, des techniques alternatives à ce modèle s’observent qu’il s’agisse d’agriculture paysanne ou d’agriculture urbaine. De nouvelles tendances intègrent le secteur de la production alimentaire comme l’agriculture dite biologique, qui, en d’autres termes, est un retour aux pratiques anciennement liées à l’agriculture, agrémentées de certains progrès scientifiques en terme d’écologie et de technologie moderne. Le bio est bien souvent associé à une certaine partie de la population et peut être perçu comme une tendance mais les intentions de base de ce système de production sont à l’origine de cultiver dans un meilleur respect de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs, comme en témoignent les définitions suivantes : « L’agriculture biologique est un système de production qui maintient la santé des sols, des écosystèmes et des personnes. Elle s’appuie sur des processus écologiques, sur la biodiversité et sur des cycles adaptés aux conditions locales, plutôt que sur l’utilisation d’intrants ayant des effets néfastes. L’agriculture biologique allie la tradition, l’innovation et la science au bénéfice de l’environnement commun [...] »2 « La production biologique est un système global de gestion agricole et de production alimentaire qui allie les meilleures pratiques environnementales, un haut degré de biodiversité, la préservation des ressources naturelles, l’application de normes élevées en matière de bien-être animal et une méthode de production respectant la préférence de certains consommateurs à l’égard des produits obtenus grâce à des substances et des procédés naturels. »3

biologique

1.  Utilisation de produits chimiques à outrance, épuisement des ressources fossiles, pollution atmosphérique, pollution et épuisement des eaux et du sol, etc. 2.   International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM), « L’agriculture biologique et l’équité entre les sexes», Rapport, 2009. En ligne: http:// www.ifoam.bio/sites/default/files/ page/files/oa_gender_leaflet_ fr.pdf, page consultée le 15 juillet 2016. 3.   Conseil de l’Union européenne, « Règlement (CE) N°834/2007 ». En ligne: http:// eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2007:189:0001:0023:FR:PDF, page consultée le 15 juillet 2016. 4.  L’alimentation bio coûterait en moyenne 35% de plus qu’une marque distributeur.  « Pouvoir d’achat. Le bio, plus cher ou pas? », Consoglobe. En ligne: http://www.consoglobe. com/achat-bio-cher-2846-cg, page consultée le 15 juillet 2016.

Cette manière de cultiver apparaît comme un phénomène nouveau alors que, comme dit précédemment, cela n’a rien d’une avancée technologique. Cela relève plutôt d’une prise de conscience de la part du producteur et/ou du consommateur quant aux pratiques agricoles actuelles et leurs impacts sur la Terre ainsi que sur tous les êtres vivants qui l’habitent. Au temps de l’agriculture traditionnelle et respectueuse de la nature, les villes dépendaient des campagnes avoisinantes qui les « nourrissaient ». A présent, même si l’on revient en quelque sorte à ce respect de la terre, le bio labellisé se fait en majorité dans des pays souvent éloignés qui permettent le plus grand rendement au prix le plus bas (Italie et Espagne pour l’Europe). Malgré le gain d’argent qui peut être tiré de la délocalisation, le principal frein à la consommation des produits biologique reste leur prix4. Il s’explique en partie car cette production met bien évidemment plus de temps qu’une production qui serait accélérée par des moyens chimiques et une plus grande mécanisation. De plus, cette technique est encore nettement moins répandue que

129


Différentes techniques - L’agriculture biologique

5.  Des normes existent entre autres quant au pourcentage admissible de produits chimiques et d’OGM mais celles-ci varient en fonction des pays. 6.   Katrin Bohn, Joe Howe et André Viljoen, Op. cit., p.25.

l’agriculture conventionnelle. Néanmoins, l’essor de l’agriculture biologique a amené les industriels et notamment les grands distributeurs à s’y intéresser. Bien que le bio ne représente qu’1% des ventes alimentaires des supermarchés à Bruxelles, c’est pourtant l’endroit le plus fréquenté pour réaliser ce type d’achat (48% des produits bio y sont achetés). Les grands distributeurs ont bien saisi l’opportunité que représentait ce type de produits et n’ont pas perdu de temps pour lancer leur propre enseigne bio. Cependant les quantités qu’ils requièrent ne peuvent être fournies par un petit agriculteur et ils dépendent souvent de grosses productions dont l’offre tend plutôt vers un bio industrialisé. Bien que les techniques employées respectent les normes du bio5, la biodiversité et le respect des conditions locales, qui font pourtant partie intégrante des différentes définitions ci-dessus, ne semblent pas prises en considération systématiquement. En effet, certaines fermes bio s’apparentent à de la monoculture et s’étendent sur des surfaces démesurées (voir photo). Et pour permettre un choix diversifié toute l’année, le rythme des saisons n’est pas toujours respecté non plus.

Bio local, circuits courts

Parallèlement au bio, on peut observer un autre phénomène qui lie le biologique au circuit-court. Généralement plus chère que le bio délocalisé, cette production a l’avantage de faire vivre l’économie et les producteurs locaux qui tentent pour certains de valoriser des variétés souvent méconnues du grand public, apportant ainsi une valeur ajoutée au produit. Manger local implique de se nourrir au gré des saisons et la question n’est donc plus si l’on veut manger de la nourriture biologique mais si, en plus, on est prêt à faire des concessions concernant notre régime alimentaire habituel (fruits et légumes exotiques et hors saison). Une étude réalisée en Angleterre démontre que si les habitants consommaient des produits de saison, locaux et organiques, les émissions de dioxyde de carbone diminueraient de quarante millions de tonnes, soit 22% de moins que leurs émissions actuelles et deux fois le montant qu’ils se sont engagés à réduire lors du protocole de Kyoto de 20026. Dans cette lignée, on peut aussi observer des organisations qui prônent le circuit-court, quitte à produire des aliments pas du tout de saison et qui ne poussent pas naturellement dans les conditions climatiques du pays. Ces dernières avancent que l’énergie dépensée est de ce fait réduite, ce qui est vrai pour le transport mais certainement pas pour l’énergie totale dépensée pour produire l’aliment en question (production généralement sous serre chauffée). L’enseigne bio est souvent assimilée dans l’imaginaire collectif à bien d’autres concepts comme le local, l’équitable ou encore l’écologique. Or, ce sont des choses bien différentes qui sont rarement rassemblées dans un seul et même produit. Bruxelles accueillera prochainement le magasin coopératif 5.  Des normes existent entre autres quant au pourcentage admissibles de produits chimiques et d’OGM mais cellex-ci varient en fonction des pays.

130 6.   Katrin Bohn, Joe Howe et André Viljoen, Op. cit., p. ??


Ferme Bionest, plus grande exploitation de fraises bio d’Europe (500 hectares) - Huelva, Espagne (crédit: intérêt général.info)


Différentes techniques - L’agriculture biologique

7.  Voir supra. Fermes hors-sol, p.156.

BeesCoop, qui permettra à tous d’avoir accès à de la nourriture de qualité (bio, local, équitable, etc.) à prix réduit en contrepartie d’un investissement dans la coopérative. La coopérative travaille actuellement sur l’ étiquetage des produits, ils veulent rendre lisible pour le consommateur les différents aspects des produits (provenance, composition, impact environnemental, etc.) sans pour autant inciter ce dernier dans son choix. Car effectivement, chacun est plus sensible à tel ou tel aspect et ce serait un peu utopique que de rêver à une large gamme de produits « côtés » positivement à tous les points de vue. On se retrouve donc face à plusieurs discours qui de prime abord, ont des similitudes, mais qui diffèrent bel et bien dans leur idéologie et dans leurs conséquences sur l’environnement et sur les hommes. Alors bien sur, il y a un juste milieu, ce n’est pas parce qu’on veut favoriser les produits locaux et/ ou de saison que l’on ne peut pas en consommer d’autres. Mais si l’on veut cultiver des produits en évitant une surconsommation d’énergie, il faut avoir à l’esprit que l’on dépend aussi du climat, et admettre qu’il demeurera difficile, dans ces conditions, de cultiver certaines denrées comme les fruits exotiques dans les pays du Nord. Dans le cas de Bruxelles, il est difficile d’imaginer pouvoir produire des fruits tels que les oranges sans consommer une quantité d’énergie qui serait nettement supérieure à celle nécessaire pour les cultiver en Espagne par exemple. Il paraît donc évident qu’il serait plus avantageux énergétiquement parlant de préférer une provenance plus éloignée, qui entraînerait une dépense plus importante en énergie de transport, qu’une production locale qui dépenserait beaucoup d’énergie tout au long du cycle de maturation. Mais dans l’hypothèse où le pétrole viendra tôt ou tard à manquer, ce transport risque d’être compromis, au mieux, son prix se verrait augmenté. Parallèlement à la relocalisation de la production agricole, il pourrait donc être intéressant de penser à des alternatives comme les fermes urbaines en toiture qui récupèrent l’énergie des bâtiments alentours pour subvenir aux besoins de leurs productions7. Cela permettrait d’utiliser l’énergie de manière plus efficiente et d’offrir un bilan favorable à ce type d’agriculture (bâtiments « zéro énergie »). L’enjeu pour les villes serait donc de favoriser tant que possible la consommation de produits biologiques et locaux pour autant qu’ils soient issus d’une production respectueuse de l’environnement et des hommes.

132 7.  Voir supra. Différentes échelles, p.


?


La

permaculture

1. Le terme permaculture date des années 70 et fut inventé par Bill Mollison et David Holmgren. Wikipédia, Permaculture. En ligne: https://fr.wikipedia.org/wiki/ Permaculture, page consultée le 8 avril 2016. 2.  La ferme se partage en deux sites, le Jardin de la Vallée (illustration) occupe 1,8 hectares et les Jardins de l’Abbaye s’étendent sur 14,4 hectares. 3.   La Ferme biologique du Bec Hellouin. En ligne: http://www. fermedubec.com/ferme.aspx, page consultée le 15 avril 2016. 4.  Voir Entretien avec Sofia Baruffol, Annexe p.206.

134

Jusqu’à ce que l’homme ne l’instrumentalise, la nature a toujours fonctionné toute seule et ne nécessitait aucun intrant extérieur. Les aliments étaient spécifiques à certaines régions car leur développement était lié au type de sol ainsi qu’au climat. Avant l’ère des Lumières, la nature était vénérée mais avec l’avancée scientifique, l’homme a peu à peu commencé à la dompter et à se sentir, de ce fait, supérieur à elle. Voyant sa vulnérabilité, il a tenté de la modifier et a fini par la dénaturer. Actuellement, l’homme occidental n’apporte pas grand chose à la nature, au contraire, il en abuse et tend à la faire disparaître. Heureusement, il est de plus en plus question aujourd’hui d’un plus grand respect de celle-ci et d’une meilleure compréhension de ses cycles. Cela concerne notamment les pratiques agricoles mais aussi la préservation de certaines espèces animales et végétales dans leur biotope naturel. Le mot permaculture provient de la contraction du terme « agriculture permanente »1. Cette technique de production va plus loin que le bio car elle tente de rétablir les équilibres et les interdépendances qui existent dans la nature entre toutes les formes de vie (végétaux, animaux, minéraux, etc.). Les connexions dont fait état la permaculture peuvent aussi se transposer à différents domaines comme l’économie, l’énergie, les villes (voir infra. Transition Towns), etc. Il s’agit d’un système pérenne et autorégulateur dans lequel la résilience du système prime sur son rendement à court terme, contrairement à l’agriculture intensive. L’homme donne le premier coup de pouce et après avoir pensé et étudié la place de chaque espèce, la nature s’y développe presque naturellement (travail manuel pour la récolte et suivi restreint) et chaque « déchet » engendré profite au système. Cette pratique se développe sur des surfaces que ne dépassent généralement pas quelques hectares. La ferme du Bec Hellouin en est un des exemples les plus aboutis en Europe. Elle témoigne des multiples formes que peut prendre cette pratique et surtout de son rendement très intéressant. La ferme expérimente cette technique depuis 2007 en Normandie sur ses 1,8 hectares2 où se côtoient près de huit cents espèces végétales. Le terrain est situé en zone natura 2000 et mêle entre autres forêt-nourricière, vergers, îles-jardin, jardin mandala et mares. Les produits cultivés sont soit transformés, soit vendus directement, sur place ou par le biais des AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) pour lesquelles ils fournissent quatre-vingts à cent vingt paniers de fruits et légumes chaque semaine cultivés sur une surface de 4.000 m2. Ils organisent aussi des formations ainsi qu’un « programme de recherche mené depuis 2011 en partenariat avec l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) et AgroParisTech ayant pour sujet : Maraîchage biologique et performance économique »3. Cette recherche a permis de conclure qu’une surface de 1.000 m2 permettait de gagner 50.000€, soit l’équi-


Ferme du Bec Hellouin, jardin de la vallĂŠe - Normandie (crĂŠdit: ferme du bec)


Différentes techniques - La permaculture

5.  Les terres agricoles situées en milieu rural y sont elles aussi sujettes étant donné que certaines se trouvent à proximité de voies de circulation rapide.

valent d’un temps plein4.

« La beauté est une forme de nourriture et nous constatons tout au long de l’année, au bonheur de nos visiteurs, que des jardins harmonieux font plus que nourrir les corps. Ils nourrissent aussi les sens, les émotions et l’âme des humains. Les fermes de demain doivent produire des aliments de qualité, mais également reconnecter les humains à la nature » La Ferme biologique du Bec Hellouin

Au vu des cultures intensives actuelles, pour être rentable, la production agricole nécessiterait de grands espaces et de gros moyens financiers et techniques. Mais les alternatives comme la permaculture parviennent à démontrer que l’ingrédient le plus important est la compatibilité entre l’espèce plantée, celles qui l’entourent, le climat et le type de sol. Avec cette ingrédient, cultiver de petits ou de grands espaces nécessiterait uniquement des outils mécaniques et demanderait donc un faible investissement de départ. Ce type d’agriculture semble donc idéale mais encore faut-il disposer de terres agricoles. En dehors de leur affectation, le problèmes des terrains dont dispose la ville, est qu’ils sont pour la plupart pollués (friches au passé industriel, etc.). Une dé-pollution est envisageable mais elle a un prix. Il existe aussi un risque de contamination par pollution atmosphérique en cas de proximité de voies de circulation5. Dans ce cas, il existe des espèces plus propices comme les arbres fruitiers, pour lesquels la partie comestible n’est pas en contact direct avec le sol où se déposent la plupart de ces polluants. Il s’agit donc d’agencer au mieux les différentes espèces afin de protéger les plus sensibles par des obstacles physiques (haies, arbres, etc.).

4.  Voir entretien avec Sofia Baruffol, p.

136


La

culture hors - sol

En ville, le constat de la rareté des terrains d’une part et de la difficulté de les cultiver de l’autre (pollution du sol, pollution atmosphérique, affectation non agricole, etc.) a mené à repenser les bases de l’agriculture, à savoir, son substrat naturel, la terre. Une première démarche consiste à reconstituer un substrat à base de terre enrichie d’engrais (terre agricole, compost animal ou végétal, marc de café, fibres de coco, engrais chimique, etc.) placé dans un contenant prêt à accueillir les plantes (bacs, pots, sac géotextile, etc.). Cette pratique peut prendre place sur la terre ferme, mais aussi dans des endroits plus particuliers comme les toitures plates, les façades, etc. La deuxième démarche consiste à substituer les ressources fournies naturellement par une terre de qualité, par des intrants extérieurs véhiculés par l’eau. On distingue d’une part l’hydroponie, technique dans laquelle la terre est remplacée par un substrat inerte et stérile (billes d’argile, pouzzolane, sable, etc.) et dans laquelle la plante est nourrie grâce à des nutriments de synthèse contenus dans l’eau. D’autre part, l’aquaponie1 consiste quant à elle, en une complémentarité entre les plantes qui baignent dans l’eau et la filtrent par leurs racines et des poissons, qui, bénéficiant d’une eau de qualité, nourrissent à leur tour les plantes grâce à leurs excréments riche en azote, phosphore et potassium contenus dans l’eau (voir schémas).

1.  Contraction des mots aquaculture (élevage de poissons) et hydroponie.

Ces différentes techniques ne requièrent qu’un support étant donné qu’elles sont totalement déconnectées de la terre et s’implantent donc aisément sur tous types de sols. En milieu urbain, les toitures plates, présentes en grande quantité dans la plupart des grandes villes, apparaissent idéales à cet effet et pourraient être le support de cultures que ce soit dans des bacs ou encore, si la structure du bâtiment le permet, de fermes urbaines. Cependant, la culture hors-sol est souvent critiquée de part sa dépendance aux intrants extérieurs, la nature y est en quelque sorte domptée et on limite au maximum les influences naturelles. De plus, l’hydroponie et l’aquaponie demandent un investissement de départ très important car les besoins des différentes cultures sont gérés de manière informatique et requièrent souvent beaucoup d’énergie (chauffage, électricité, etc.). Ces deux techniques sont sujettes à de nombreux questionnements (goût, nutriments, etc.) et leur aspect durable est fréquemment critiqué. L’aquaponie peut sembler optimale car elle apparait comme la symbiose entre l’animal et le végétal pour nourrir l’homme, ne présente aucune contrepartie apparente (pas de polluants, pas d’exploitation des animaux, etc.) et est possible en tous lieux (minéral, végétal, intérieur de bâtiment, etc.). Cette technique présente pourtant de nombreux points négatifs. Dans un système à vocation commerciale, cette technique est très coûteuse en énergie car il faut oxygéner l’eau en permanence et la maintenir à la bonne température pour les

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Schémas de l’hydroponie à gauche, et de l’aquaponie à droite (documents personnels)


Hydroponie intensive - Monoculture de tomates, Californie (crĂŠdit: Carlos Yo)


Différentes techniques - La culture hors-sol

2.  Certains poissons nécessitent une température d’eau bien précise, et dans la plupart des cas, il faut la chauffer en hiver car elle est trop froide et la refroidir en été car elle est trop chaude. Le début des haricots, « Aquaponie mon amour? ». En ligne: http:// www.haricots.org/nl/node/1178, page consultée le 30 avril 2016. 3.   Ibid. 4.  Voir Entretien avec Sofia Baruffol, Annexe p.206.

140

poissons2. Il faut aussi nourrir ces derniers et dans une optique de profit, la qualité est souvent négligée (farines végétales et animales industrielles). De plus, l’aquaponie permet de produire aisément des légumes à feuilles vertes qui nécessitent peu de nutriments mais exige un système bien plus complexe pour les autres types de végétaux, ce qui amène généralement aux monocultures intensives et donc aux maladies et aux parasites qui y sont liés, ainsi que, si elle se généralise, à une perte de la biodiversité. Dans son article Aquaponie mon amour?, l’ASBL du Début des Haricots souligne aussi que « ce genre d’installation nécessite des compétences techniques poussées et cela ne favorise pas la création d’emplois agricoles accessibles au plus grand nombre ». Elle avance aussi que si cette technique se développe en milieu urbain, cela favorisera d’avantage la disparition des espaces verts et qu’il est important de « freiner la bétonification des espaces verts »3. Plusieurs agriculteurs, adeptes de l’agriculture traditionnelle en pleine terre, ne croient pas à la pérennité de tels dispositifs. Selon Sofia Baruffol4, du Début des Haricots, des terrains sont disponibles, prêts à être cultivés et à nourrir la ville, il faut juste se lancer et permettre aux agriculteurs qui nous font vivre de vivre eux aussi. Elle est convaincue que les terres agricoles de la périphérie devraient (et pourraient) profiter à la ville et à ses habitants.


C onclusion

En définitive, chaque technique utilisée répond en quelque sorte à un cahier des charges (clients, rendement, etc.) qui influe sa localisation dans la ville et son échelle d’intervention. Certains cultivent d’une telle façon pour répondre à des normes imposées par le marché, d’autres par conviction personnelle ou encore pour l’expérimentation et le progrès. Ces modèles agricoles ne sont pas incompatibles et ont tous des intérêts particuliers mais tout reste une question d’échelle. Toute production démesurée pour répondre à une demande commerciale ou au marché international, entraine des pratiques qui s’éloignent de l’échelle humaine et tend donc à priver des bénéfices qui peuvent découler de la production agricole.

141



D ifférentes

échelles en intra urbain

Des reconnexions se font sentir d’un point de vue alimentaire entre la ville et la campagne et parallèlement, d’autres formes d’agriculture apparaissent au sein même de la ville. Face au manque d’espace disponible, ce nouveau type d’agriculture dite urbaine se développe le plus souvent dans les espaces résiduels ou en attente (friches, terrains à bâtir, parcs, toitures plates, etc.), mais certains l’imaginent comme faisant partie intégrante des bâtiments, voir de la ville. Les différentes formes d’agriculture urbaine n’ont en commun que leur localisation. Les techniques varient, allant de l’agriculture en pleine terre à l’agriculture hors-sol et il en va de même pour les échelles qui vont du micro au macro. Cette nouvelle forme d’agriculture comprend en effet les balcons et terrasses plantés (micro), les fermes urbaines et les potagers collectifs (échelle moyenne) ainsi que les fermes verticales (macro). Au travers de ses différentes échelles d’intervention, l’agriculture urbaine reflète des intentions différentes comme la production de lien social, la rentabilité financière, la création de paysage urbain, la conservation de la biodiversité ou encore la consommation propre.

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MICRO


MACRO


Du

micro à l ’ échelle intermédiaire

1.  Voir infra. Potage-toit, p.80. 2.  Voir infra. Vert d’Iris, p.70. 3.  Voir infra. Incredible Edible, p.58.

Les balcons et terrasses privées

L’agriculture ne rime pas spécialement avec grande surface, et il suffit parfois de peu pour donner vie à la terre. Que ce soit en intérieur, sur un appui de fenêtre ou sur une terrasse, l’agriculture colonise doucement la ville. Différents mouvements incitent les particuliers à faire partager leurs expériences en photos et en témoignages via un site web ou lors de journées thématiques1. De nombreuses formations font aussi leur apparition pour initier les habitants aux pratiques agricoles domestiques.

Les jardins privés: le SPIN farming (Small Plot INtensive)

Cette technique vise à produire beaucoup, sur une très petite surface, et avec très peu de moyens. De nombreux exemples dans le monde témoignent du succès et de la rentabilité de ce principe qui se base principalement sur la permaculture. La plupart des personnes qui pratiquent le SPIN farming ne possèdent pas les terrains qu’ils cultivent mais les louent contre une somme symbolique ou les occupent gratuitement en échange du service qu’ils rendent au propriétaire (entretien du terrain, contrepartie alimentaire, etc.). L’avantage de cultiver des petites surfaces est qu’il n’est pas nécessaire d’être plusieurs à les entretenir et que cela ne nécessite aucun matériel coûteux. Comme les récoltes ne sont pas démesurées, la vente peut se faire directement via des consommateurs locaux et aucun intermédiaire ne prend donc une marge sur le produit. Le SPIN farming rapporterait en moyenne 50.000€ pour 2.000 m2 de culture2. Ce concept est très développé au Canada où l’on retrouve entre autres l’association Green City Acres, lancée en 2010 par Curtis Stone. Son investissement de départ était de 4.900 € pour 2.300 m2 répartis sur dix parcelles différentes. Au bout de six mois de travail, il a réussi à produire une vingtaine de cultures différentes qui lui ont rapporté 14.000 € au total et 35.000 € deux ans plus tard. Ses produits sont vendus directement sur place ou dans les marchés locaux auxquels il se rend à vélo. Il participe de ce fait activement à l’économie locale et ne consomme presque pas d’énergie pour son activité. Curtis Stone a également établi un système d’échange avec les restaurateurs locaux qu’il alimente avec ses produits en contrepartie du compost qu’ils lui fournissent.3 Les jardins privés peuvent aussi ouvrir leurs portes ponctuellement aux habitants, à l’occasion d’une récolte de fruits par exemple. Cette initiative permet aux propriétaires d’obtenir de l’aide en contrepartie d’un don d’une partie des fruits récoltés. Certains d’entre eux ne consomment pas la totalité des fruits que leur procure leur jardin et cela leur évite donc de gaspiller.

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SPIN farming dans un jardin privĂŠ - Green City Acres, Kelowna, Canada (crĂŠdit: Permaculture voices)


Différentes échelles en intra urbain - Du micro à l’échelle intermédiaire

4.  Voir supra. Incredible Edible, p.58, Vert d’Iris, p.70, Parc Mangeable, p.112. 5.  Voir infra. Incredible Edible, p.58, Potager de l’Alhambra, p.64, Parc mangeable, p.112. 6.  Voir infra. Potage-Toit, p.80 & Spéculation foncière, p.98

Les espaces publics Les espaces publics qui se limitaient, en grande partie, à des espaces verts ou asphaltés, se transforment petit à petit en territoires productifs, accueillant ça et là un petit plant de tomate, un arbre fruitier ou des aromates4. De plus en plus de vergers publics font leur apparition et donnent un second souffle mais aussi un intérêt nouveau aux pelouses publiques. Les trottoirs, ronds-points et parterres communaux se plantent eux aussi petit à petit grâce aux habitants volontaires. Les rues commencent elles aussi à accueillir des potagers d’un nouveau genre5. Il semblerait que ce type d’initiatives, si minimes soient elles, aient un impact sur l’image de la ville et sur la sociabilité des habitants. Elles permettent de voir l’espace public comme un réel bien commun qui a quelque chose à offrir et qui suscite donc plus d’intérêt et de respect. Les potagers communautaires et collectifs

Ce type de jardin existe depuis longtemps dans les villes mais se répand de plus en plus depuis quelques années. La communauté induit que chacun est susceptible de disposer d’une partie du terrain pour son usage personnel alors qu’en collectivité, les membres gèrent le terrain tous ensemble selon une organisation qui leur est propre. Ces jardins concernent généralement quelques habitants d’un quartier ou d’un immeuble et se développent dans les intérieurs d’îlots, sur des terrains communaux ou sur des parcelles privées prévues à cet effet (mise à disposition de terrains par Bruxelles environnement notamment). Le mouvement grandissant de ce genre de pratiques s’inscrit dans la lignée de l’attrait pour l’agriculture biologique et locale, et témoigne d’une envie de connaître l’origine et l’élaboration des produits que nous consommons quotidiennement, mais aussi d’une envie de renouer avec les savoirs-faire et les traditions qui y sont liés. Le jardinage est vu par les usagers comme un passetemps qui leur offre un moment d’évasion mais ne constitue pas un travail en tant que tel. Bruxelles en compte plus ou moins deux cents soixante. Le jardin collectif Gray occupe une parcelle de la commune d’Ixelles. Sa création a été possible grâce à l’ASBL du Début des Haricots et remonte à 2007, mais depuis 2010, ce sont les habitants du quartier qui ont repris entièrement le projet. L’espace est ouvert au public un jour par semaine et un compost est accessible en permanence depuis la rue. Les terrains qu’occupent ces potagers ne sont que rarement des terres agricoles, ils sont donc soumis à la spéculation foncière et ne peuvent, à priori, pas se développer dans un but commercial.6

148


ĂŠric pelletier beek

1/500

Jardin collectif Gray, Ixelles (photo personnelle)

rue gray 87, ixelles


Différentes échelles en intra urbain - Du micro à l’échelle intermédiaire

7.  Voir Ferme urbaine du Début des Haricots, p. 82. 8.  Voir infra. Cuba, p.34. 9.  Voir infra. Potage-toit, p.80.

Les fermes et potagers professionnels en pleine terre

En raison du peu de terres agricoles disponibles en ville, ce type d’agriculture urbaine reste assez rare. Quelques villes recensent des potagers voir même des fermes à but commercial ou éducatif, mais celles-ci existent, pour la plupart, depuis quelques décennies. La ferme du Début des Haricots de Neder-Over-Hembeek est une des rares fermes bruxelloises qui soit principalement productive et située sur des terres agricoles7. Les principaux obstacles pour l’implantation de nouvelles fermes dans la ville sont le peu de terrains agricoles disponibles et les problèmes de reconversion des terrains à bâtir. En effet, il suffit que ceux-ci aient un quelconque intérêt immobilier contre lequel l’agriculture ne fait pas (encore) le poids pour mettre à mal ce type de projet. Cependant, certaines villes voient ces projets comme de réelles valeurs ajoutées pour les quartiers et commencent à valoriser cette pratique (Montréal, Vancouver, Londres, etc.). D’autres villes, frappées par le déclin industriel comme Detroit et Chicago, ont l’intention de profiter des grandes surfaces désertées par les hommes pour y développer des potagers urbains. Pour la ville de Detroit, cette pratique s’insère dans un réseau vert qui contribue notamment à réduire les nuisances de la ville en terme de bruit et de pollution atmosphérique (voir illustration). Dans ce projet, l’agriculture devient majoritaire dans certains quartiers et amène à en oublier l’aspect urbain. L’agriculture urbaine de Cuba8 se développe elle aussi sur de grands terrains que la plupart des grandes villes actuelles ne détiennent pas. Ces schémas de ville semblent donc difficilement transposables dans l’état actuel à des villes densément bâties. Pour développer une agriculture d’une telle ampleur, il faudrait libérer des terrains et délocaliser certaines fonctions, ou admettre que la ville ne peut s’étendre à l’infini et qu’elle requiert un hinterland productif.

Les potagers en toiture

C’est en réponse à ce constat du manque de terrains, que les toitures des administrations, hôpitaux et magasins, vues comme des surfaces perdues, sont transformées en surfaces productives. Quand il s’agit d’une action temporaire, la technique utilisée est souvent l’agriculture hors-sol en contenants divers (sacs géotextiles, bacs, etc.). Le projet qui pris place sur la Bibliothèque Royale de Bruxelles en est un bon exemple9. Ce type d’initiative se développe de manière internationale et notamment au Canada qui compte de nombreux projets pionniers en terme d’agriculture urbaine. La ville de Vancouver a développé plusieurs potagers hors-sol dont le Jardin Communautaire Interculturel YMCA situé sur la toiture de l’hôpital Saint-Paul. Il occupe 2.000 m2 et accueille tant les habitants du quartier que les patients de l’hôpital qui ont mis la main à la pâte pour donner forme au jardin hors-sol qui égaye

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fermes et vergers grands parcs « forêt carbone » : arbres plantés le long des grands axes de circulation pour purifier l’air « tampon industriel » : arbres plantés à proximité des industries pour purifier l’air

Possibilités de reconversion des espaces vacants, Detroit (crédit: detroit future city, document modifé)


Différentes échelles en intra urbain - Du micro à l’échelle intermédiaire

10.  Jennifer Cockrall King, op. cit., p.169. 11.  Voir infra. Peas and Love, p.70. 12.   Abattoir. En ligne: http:// www.abattoir.be/fr/urban-farm-unprojet-pilote-chez-abattoir, page consultée le 3 août 2016.

aujourd’hui le lieu.10 A Bruxelles, le bâtiment Colruyt d’Ixelles, actuellement en reconstruction, accueillera prochainement son potager en toiture. Ce projet se met en place dans le cadre du Contrat de Quartier Durable Maelbeek en partenariat avec la Commune d’Ixelles, le groupe Colruyt, les missions locales d’Etterbeek et Ixelles, Bruxelles Environnement, l’ULB, Re-fresh ASBL et Citydev. Le potager expérimental et pédagogique s’implantera sur les 1.500 m2 mis potentiellement à disposition et restera sur place pour une durée de quatre ans. Il bénéficiera de l’expérience et du réseau du Jardin Collectif Gray qui se situe juste à côté du magasin. D’autres projets dont l’occupation est de plus longue durée réaffectent totalement les toitures qui se transforment alors en réels potagers. Les activités qui y prennent place sont pour la plupart indépendantes de la fonction de l’immeuble. L’association new-yorkaise Brooklyn Grange Farm a développé un modèle relativement abouti de ce type d’agriculture et compte actuellement les deux fermes en toiture les plus grandes au monde. Celles-ci sont situées sur des bâtiments industriels et totalisent une surface plantée d’1 hectare qui permet de produire vingt-deux tonnes de produits biologiques par an. Ils vendent leurs produits sur place, produisent également du miel et organisent des événements publics et pédagogiques. A Bruxelles, en dehors du potager Peas & Love qui prendra place sur la toiture du magasin Caméléon de Woluwé prochainement11, la société Abattoir développe un projet de production agricole sur la nouvelle halle alimentaire Foodmet, située sur le site des Abattoirs d’Anderlecht et qui fut inaugurée en 2015. La toiture du bâtiment a été conçue pour supporter les surcharges de l’exploitation et une circulation verticale a été développée pour permettre à une activité commerciale de s’y développer. Le projet à été confié à la société BIG (Building Integrated Greenhouses), créée par Lateral Thinking Factory, qui a déjà réalisé deux fermes en Allemagne et en Suisse. La toiture de 4.000 m2 lui sera louée afin d’y développer l’Urban farm. Cette ferme se situe entre le potager en toiture et la serre hors-sol car elle mêle hydroponie, aquaponie et culture en pleine terre. Le projet prévoit 1.800 m2 de serres aquaponiques et la même surface de jardins productifs. Il sera en relation directe avec la halle alimentaire sur laquelle il reposera: les légumes pourront y être vendus, il récupérera la chaleur des frigos qui fonctionnent en permanence et la protégera en été comme en hiver des conditions extérieures. Un restaurant est également prévu sur la toiture afin de mettre en avant les produits cultivés sur place. Ce projet générera de l’emploi et de la biodiversité, et favorisera la fréquentation du site en dehors des jours de marché ainsi que sa mixité, etc. La Région de Bruxelles-Capitale souhaite, à terme, développer cinq fermes de la sorte.12

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square gĂŠrard van caulaert 2, 1060 Saint-gilles la pousse qui pousse

1/1000

37-18 Northern Boulevard, Long Island city , n-Y

Potager sur une toiture plate, Brooklyn Grange Farm, Long Island City, New-York (crĂŠdit: Valery Rizzo)


1/1000

psy chaudron, anderlecht

Projet de l’Urban Farm, Foodmet, Anderlecht (crédit: b.i.g. scrl)



D e l ’ échelle

1.  Jennifer Cockrall King, op. cit., p.308 2.   Bruxelles Environnement, «Bâtiments exemplaires 2013», Rapport. En ligne: http://app. bruxellesenvironnement.be/batex_ search/Docs/fs_232_FR.pdf, page consultée le 16 juillet 2016.

intermédiaire au macro

Les serres hors-sol

Elles voient le jour un peu partout dans le monde comme à Montréal, à New-York, à Chicago, à Paris, à Turin, et prochainement à Bruxelles. De par leur déconnexion de la terre, elles offrent l’avantage de pouvoir s’implanter sur des supports dont l’usage reste assez limité actuellement comme les toitures plates ou encore des dalles bétonnées (ancien parking, etc.). Leur adaptabilité permet en effet de venir se greffer presque n’importe où en ayant un impact restreint sur le paysage urbain. La Lufa Farm de Montréal inaugura en 2011 la première serre en toiture à vocation commerciale au monde. Elle s’étend sur une surface de 2.900 m2, cultive vingt-cinq variétés différentes de légumes en hydroponie, et fournit actuellement de la nourriture à près de 1.000 personnes. La société déclare qu’il faudrait vingt-huit millions de mètres carrés de fermes en toiture pour rendre la ville autosuffisante. Le projet s’est implanté sur un bâtiment industriel qui prévoyait un troisième étage et ne représentait donc aucun risque de surcharge. La ferme est équipée d’un système de récolte et de filtrage de l’eau, d’un système de ventilation mécanique variant en fonction des saisons ainsi que d’un système de chauffage permettant de recréer des microclimats particuliers1. Bien que rentable financièrement, ce projet, de par sa consommation importante d’énergie, est très controversé du point de vue durabilité. Ce modèle sert aussi à l’élaboration de nouveaux projets qui imaginent la production agricole mêlée à d’autres fonctions. L’association Choux de Bruxelles développe actuellement un projet de ce type pour la commune d’Anderlecht avec le même bureau d’étude que pour la ferme urbaine du Foodmet des abattoirs, à savoir, Lateral Thinking Factory. La serre urbaine serait ici couplée à une salle événementielle qui pourra accueillir 1.000 personnes. L’idée principale du projet est de concevoir un bâtiment « zéro énergie » grâce à la complémentarité des flux d’énergie des deux activités (eau, électricité, chauffage, air).2 Le bâtiment, dont la superficie serait de 3.340 m2, fonctionnerait aussi à l’énergie renouvelable grâce à des panneaux solaires thermiques et photovoltaïques. Le projet fut primé de la mention Batex (bâtiment exemplaire) en 2013 par l’IBGE.

Les bâtiments réaffectés

Suite au déclin industriel, la ville de Chicago s’est retrouvée avec de nombreux bâtiments industriels désaffectés dont personne ne voulait. Ces bâtiments sont souvent très grands et coûtent plus cher à démolir qu’à réaffecter. Le projet The Plant a vu en ces grands espaces le potentiel d’y développer un réel système agricole. Cette ancienne usine d’emballage de viande de 3.700 m2, s’est reconvertie en une réelle ferme verticale expérimentale où se mêlent aquaponie, hydroponie et potager en sol en toiture. Les

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eaux echt, ns

fer 20,

nos pilifs, Trassersweg 347, 1120 Neder-Over-Heembeek

1/1000

1400 Rue Antonio Barbeau, Montréal, QC H4N, Canada Ferme Lufa - première serre commerciale sur un toit au monde, Ahuntsic, Montéral (crédit: lufa farms)


1/1000

batex, route de lennik, 13, 1070 anderlecht

rue de l'alma, rennes

Projet de la serre urbaine « zéro énergie », Anderlecht (crédit: cerau architectes)

1400 W 46th St, Chicago


1/1000

batex, route de lennik, 13, 1070 anderlecht

rue de l'alma, rennes

The Plant - Ancienne usine réaffectée, Chicago (crédit: sustainable america)

1400 W 46th St, Chicago


Différentes échelles en intra urbain - De l’échelle intermédiaire au macro

3.  Jennifer Cockrall King, op. cit., p.267-282

différents systèmes fonctionnent en synergie et la seule chose qui sort de cette « usine », c’est de la nourriture.3

Les fermes verticales

Partant du principe qu’il faudra intégrer à tout prix la production agricole en ville dans le futur, d’autres personnes imaginent des projets qui pourraient se fondre dans le panorama urbain et qui n’utiliseraient que très peu d’espace au sol en comparaison à l’agriculture traditionnelle. C’est en partant du modèle de la tour qu’ils ont inventé les fermes verticales. Encore à l’état d’ébauche, ces dernières se veulent productives non seulement en terme d’énergie et de nourriture mais aussi de paysage. Parmi les plus connues, on peut citer le Dragonfly de l’architecte belge Vincent Callebaut, qui imagine des ensembles flottants qui seraient autosuffisants en terme d’alimentation et d’énergie, ou encore la célèbre Ferme Verticale de l’écologue américain Dickson Despommier. Ce dernier, ayant une vision industrielle de la production alimentaire, a fait beaucoup de recherches concernant le fonctionnement technique de tels dispositifs (production d’énergie, circuit fermé de l’eau, récupération des déchets, etc.) mais son projet n’a pas encore été réalisé. Le bureau français SOA Architectes s’est lui aussi penché sur le sujet et a notamment proposé sa Tour Vivante pour la ville de Rennes. Ce projet suit les mêmes principes que les fermes verticales et met l’accent sur la complémentarité de l’agriculture verticale avec d’autres fonctions comme le bureau et le commerce. Ce bureau travaille également sur des projets de fermes urbaines, dont celle qu’ils ont proposé pour le pavillon de la France de l’exposition universelle de Milan en 2015. Les aspects positifs de ces différents projets semblent ne plus se compter, mais ce dont on ne parle généralement pas, c’est de l’énergie grise qui y est associée. C’est-à-dire de la quantité d’énergie utilisée pour un ouvrage depuis la création de ses matériaux jusqu’à sa démolition et son éventuel recyclage, sans compter néanmoins la dépense liée à l’utilisation. En dehors de la construction du bâtiment en lui-même, tout assemblage high-tech veut nécessairement dire remplacement, entretien, et surtout achat à prix non négligeable de dispositifs coûteux tant financièrement que d’un point de vue environnemental (production des dispositifs techniques, système de ventilation constant, éclairage permanent, etc.). Avant de concrétiser ces projets, il s’agirait donc de vérifier si les points positifs contrebalancent les points négatifs et à quel prix?

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rue frédéric pelletier schaerbeek

rue gray 87, ixelles

Tour Vivante, Rennes (crédit: SOA architectes)

projet de la

batex, route de lennik, 13, 1070 anderlecht

rue de l'alma, rennes

1/2000

1400 W Chica


C onclusion

Ces différentes échelles d’interventions reflètent des moyens distincts (humains, financiers, surfaces, etc.) mais elles diffèrent surtout dans leurs intentions. Parmi celles-ci, deux approches semblent néanmoins se distinguer: l’une axée principalement sur la productivité et l’autre sur les interactions sociales qui peuvent découler de l’agriculture. Ces deux aspects sont rarement réunis et, au vu des différents projets, semblent difficilement compatibles. La frontière qui les sépare semble être liée à l’échelle. Les projets de grande envergure comme les fermes urbaines en toiture ou les fermes verticales sous entendent bien souvent un investissement financier important qui se doit d’être amorti par une productivité importante. Mais dans ce genre de projets, l’aspect social que peut apporter l’agriculture urbaine de plus petite échelle se perd en partie et le seul intérêt, ou presque, réside dans la capacité productive et le profit (potentiel) du système. La productivité ne semble pourtant pas suffisante à elle seule pour assurer la cohésion de tels dispositifs au cœur de la ville. De plus, leur fonctionnement est totalement déconnecté de l’extérieur de la ville et ces projets ont tendance à vouloir se substituer à l’agriculture paysanne de périphérie. La ville y est perçue comme une métropole indépendante qui devrait tendre vers l’autosuffisance en comptant uniquement sur l’urbain. Dans les projets moins ambitieux, la dépendance d’acteurs secondaires et la complémentarité entre les agricultures urbaine et de périphérie sont clairement évoquées. La question qu’il faudrait donc se poser est s’il serait possible d’être rentable et de produire de manière conséquente tout en conservant les autres bénéfices liés à l’agriculture. L’agriculture urbaine de petite échelle est actuellement vue dans les pays occidentaux comme un petit plus, comme un loisir qui permet d’accentuer les liens sociaux, mais il serait intéressant de se demander si de petites initiatives, mises côte à côte et fonctionnant en réseau avec l’agriculture de plus grande échelle située en périphérie, pourraient avoir assez d’impact sur une grande métropole. Au delà de la place de l’agriculture en ville, il faudrait donc réfléchir aux relations entre ses différentes formes (productive, éducative, urbaine, de périphérie, etc.), ce qui amène à repenser l’urbanisme des villes et des campagnes avoisinantes simultanément et non comme deux processus différents.

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N ouvel L’ urbain ,

urbanisme

entre ville et campagne

La ville a longtemps représenté l’espace civilisé alors que la campagne était vue comme rustre, mais cette tendance s’est modifiée vers le 17ème siècle. A cette époque la ville fut qualifiée d’insalubre et de dangereuse alors que la campagne et la nature faisaient quant à elles rêver les philosophes et poètes. Ces deux espaces, auparavant indissociables, sont vite apparus comme incompatibles, étant chacun à leur tour, plus favorisé en fonction de l’époque. Avec la délocalisation de la production alimentaire, l’espace rural, qui ne semblait plus indispensable, s’est vu déprécié et ses fonctions ont changé. Depuis que la campagne proche ne nourrit plus exclusivement la ville, la relation d’interdépendance qui les liait est devenue presque unidirectionnelle étant donné que c’est aujourd’hui la campagne qui dépend plus de la ville que l’inverse (services, grandes infrastructures, etc.). Cette opposition entre les milieux ruraux et urbains, accentuée avec l’industrialisation, intéresse depuis longtemps les urbanistes et architectes et est encore au cœur des débats pour imaginer le futur des villes actuelles et nouvelles. Leur conciliation a toujours fait rêver et même après que les transports aient permis aux villes de s’étendre, certains continuaient à penser que pour que le système urbain soit viable, il fallait non seulement en définir les limites mais aussi le penser avec l’agriculture et la nature.

1.  Ebenezer Howard., To-morrow : A peaceful path to real form, 1898. 2.  Il existe quelques applications, notamment en Angleterre, en France et en Belgique.

La Cité-jardin de Ebenezer Howard

Cet urbaniste britannique théorisa son concept de Cité-jardin en 18981. Ses cités, contrairement aux villes industrielles, se voulaient limitées dans leur taille et entourées d’une ceinture agricole. Elles représentaient, selon lui, le juste milieu entre ville et campagne. Chaque cité était reliée à la ville principale ainsi qu’aux autres cités grâce à des voies de transports rapides. Howard était contre la séparation des fonctions, c’est pourquoi chaque cité était pourvue de services de base qui lui assuraient une certaine autonomie, mais celle-ci dépendait de la ville pour les plus grandes infrastructures. La cité-jardin était faiblement bâtie: sur ses 3.600 hectares, 2.000 étaient dédiés à la production alimentaire qui formait une ceinture agricole, 400 à la ville qui pouvait accueillir 30.000 personnes, et le reste aux industries, réserves naturelles (eau, bois, etc.), maisons de convalescence et autres. Avec ce modèle, Howard voulait « ramener le peuple à la terre » et prévoyait un agriculteur par hectare cultivé. Même si ce modèle n’a été que très peu appliqué, il en a inspiré d’autres et est toujours au goût du jour2.

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CitĂŠs-jardin entourant la ville principale (Ebenezer Howard, 1898)


Cité-jardin et sa périphérie (Ebenezer Howard, 1898)


Nouvel urbanisme - L’urbain, entre ville et campagne

La « Lobe city » de Sybrand Tjallingii

Cet urbaniste a théorisé cette méthode de planification en 1995. Tout comme Howard, il accorde de l’importance aux limites de la ville. Cependant, ici, les limites sont établies par la présence de l’eau et des infrastructures de transports qui induisent des barrières physiques. Les trois points sur lesquels se base ce modèle sont le territoire, les flux et les activités humaines. Les transports y sont hiérarchisés et une place primordiale est accordée au vélo. Les circulations rapides, qui pourraient déranger les zones résidentielles, se situent le plus possible à l’extrémité de la ville près du quartier des affaires. Prévu pour une ville de 100.000 habitants, ce modèle accorde beaucoup d’importance à l’espace rural qui pénètre dans l’espace urbain et offre aux zones résidentielles des espaces de récréation, où peuvent se développer toutes sortes d’activité comme l’agriculture urbaine, et qui permettent à la biodiversité de se développer. Cette stratégie ne s’applique pas seulement aux nouvelles villes et peut donner des lignes directrices pour les villes existantes, concernant l’importance de la continuité des espaces verts, de l’eau, d’un réseau de transport efficace, etc.

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centre

zone rurale

train

zone résidentielle

eau

tram

zone d’affaires

voitures

vélos

Lobe city, 1995 (document personnel d’après Sybrand Tjallingii)


Un

bout de campagne en ville

1.   Katrin Bohn, Joe Howe et André Viljoen, op. cit. 2.   Ibid., p.11. 3.   Ibid.

Continuous Productive Urban Landscapes (CPULs)1

Le bureau d’architecture anglais Bohn&Viljoen a développé le concept des paysages urbains productifs et continus dans l’optique, non pas de changer les fondements de la ville, mais de l’améliorer grâce à de petites interventions qui visent à augmenter les espaces ouverts en son sein et à la reconnecter avec la campagne. Les architectes se basent sur les constats que d’une part les limites qui formaient les villes (rivière, port de mer, autoroute, ceinture verte, banlieue, etc.) sont aujourd’hui obsolètes, et d’autre part que la ville du XXIème siècle se renouvelle et se dé-densifie constamment. Au travers de ce concept, ils veulent rendre la ville plus poreuse à l’espace rural et ses espaces ouverts plus productifs. Ils imaginent lier les espaces verts existants, en créer de nouveaux aux endroits de césure, ou réaffecter les espaces existants en fonction du besoin. Ces lieux deviendraient productifs en terme de partage, de rencontre, de récréation, de détente mais aussi d’alimentation locale. La ville deviendrait grâce à eux à la fois ouverte et sauvage, se laissant traverser tant par les humains que par la nature. Les CPULs sont « verts, naturels, topographiques, bas, lents, socialement actifs, tactiles, saisonniers »2. Ils seraient le substrat idéal pour toutes sortes d’activités qui ne rentrent pas dans les immeubles, comme le camping, les sports d’extérieur, la production alimentaire, etc. L’agriculture pourrait, selon eux, se développer dans tous types d’espaces : petits, grands, horizontaux, verticaux, rectangulaires, triangulaires, irréguliers, friches industrielles, champs, parcs, etc. Les CPULs demanderaient de l’espace mais enrichiraient la ville en contrepartie, la rendant plus vivable et viable : réduction de l’impact environnemental, apport de qualité spatiale, part de nature dans la ville, etc. « Ces espaces concilient le désir des populations locales et les stratégies urbanistiques plus larges; entre social et économique, entre avantages à court terme et bénéfices sur le long terme »3.

La Promenade Verte de Bruxelles

Cette promenade s’apparente aux CPULs à une échelle plus modeste. Elle ne concerne pas vraiment la production agricole mais vise elle aussi à lier les différents espaces verts de Bruxelles et de ce fait permettre de traverser la ville à pied ou à vélo sans passer par des voies de circulation rapide. Cette promenade, qui est déjà amorcée dans certaines parties de la ville, devrait à terme former une boucle continue de soixante kilomètres de long grâce à la création de nouveaux espaces verts. Sur une carte, ce projet s’apparente à un second tracé des limites géographiques de Bruxelles et ne semble offrir aucune ouverture sur la périphérie. Il serait intéressant que cette promenade soit pourvue d’autres ramifications plus petites qui créeraient des connexions avec la périphérie et les campagnes alentours.

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Promenade verte parcourant les espaces verts de Bruxelles (document personnel)


Nouvel urbanisme - Un bout de campagne en ville

4.  Labo Ruimte et al., Metropolitan Landscapes: Espace ouvert, base de développement urbain, Vlaamse Overheid & Bruxelles Environnement, 2015, p.11. 5.   Ibid., p.49.

Metropolitan Landscape

Dans la même optique que les CPULs, un collectif d’architectes et urbanistes belges a réalisé une étude dont la réflexion initiale porte sur la capacité des espaces ouverts à structurer et à activer l’espace urbain bruxellois. « Au lieu d’être mis de côté comme un espace vide, un espace résiduel ou le pendant de l’urbanisation, l’espace ouvert est considéré ici comme faisant partie intégrante du système urbain et porteur d’une large palette de services et de fonctions sociétales. »4

Selon cette étude, pour qu’un paysage soit métropolitain, il y a trois critères indispensables: « l’accessibilité, le voisinage programmatique (au sens des fonctions) et la valeur systémique (les phénomènes et leurs interconnexions) »5. Ces Metropolitan Landscapes sont des lieux où les espaces bâtis et les espaces verts interagissent tout en permettant leur développement respectif. Ils franchissent les limites administratives qui freinent souvent les projets chevauchant plusieurs communes. L’échelle métropolitaine permet de voir la ville dans son ensemble et de penser l’écosystème qu’elle représente comme un tout, la Région bruxelloise est donc vue comme un territoire et non comme plusieurs entités aux politiques différentes. Bien qu’excentrés, ces lieux seraient très accessibles et deviendraient des lieux d’exception grâce à leur « mixité sociale et programmatique » et à leur grande porosité. Ils serviraient de lieux de rassemblement et de récréation qui contrebalanceraient les espaces densément bâtis de la capitale et permettraient de revaloriser « les franges urbaines et l’hinterland » en leur donnant un rôle actif. Dans l’optique de cette étude, Bruxelles se composerait de plusieurs paysages métropolitains orientés dans des domaines particuliers (eau, production alimentaire, mobilité, détente), se complétant pour une cohérence d’ensemble. Quatre sites ont été étudiés: la Vallée du Molenbeek, le Scheutbos - la Gare de l’Ouest, Vilvoorde - Machelen Brussels et Drogenbos - Anderlechet (voir illustration). La Vallée du Molenbeek est étudiée en vue de se transformer en parc productif. Cette zone leur semble stratégique car elle se trouve sur l’un des bras de la Senne. Cette dernière a eu un rôle important dans le développement de la ville de Bruxelles, elle séparait la bourgeoisie des ouvriers et des paysans et constitue encore aujourd’hui une frontière sociogéographique (haut et bas de la ville). Le site en question s’étend au delà des frontières urbanistiques de la Région bruxelloise et établit la connexion entre des terres agricoles situées en région flamande, le bois du Laerbeek, le parc Roi Baudouin et le site de Tour et Taxis. La topographie de la vallée, sa situation stratégique ainsi que son sol fertile sont des éléments clefs dans le développement de ce parc productif. En dehors de la production agricole, celui-ci accueillerait aussi des activités récréatives et permettrait le développement de la biodiversité tout en donnant

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Site 3: Vilvoorde - Machelen Brussels

Site 1: Vallée du Molenbeek

Site 2: Schuitbos - Gare de l’Ouest

Site 4: Drogenbos - Anderlecht

Metropolitan Landscapes - Quatre sites analysés (crédit: métropolitan landscapes)


Nouvel urbanisme - Un bout de campagne en ville

6.    Ibid., p.95-111.

174

une forte identité au lieu. Les intentions de ce paysage métropolitain sont, par le développement d’une production alimentaire locale et durable, de franchir les frontières sociales et administrative et d’améliorer les relations entre les régions ainsi qu’entre les producteurs et les consommateurs. Les principes urbanistiques de ce parc s’inspirent des théories du « géographe et biologiste » Patrick Geddes, qui étudia les relations entre le type d’activités développées dans une vallée et leur emplacement.6 Ce type de développement rejoint les principes de CPULs dans la diversité des activités proposées et leur relation au tissu existant ainsi que dans la connexion entre le centre ville et la périphérie productive. Cette étude pousse cependant l’analyse du territoire plus profondément et prend en compte différents facteurs comme les contrastes sociaux entre les communes, le type de sol, les congestions liées au trafic, les problèmes d’accessibilité, les inondations, la densification urbaine, etc.


Confort climatique

Avantages sociaux

Sentier naturel

Avantages pour l’eau

Espace socioproductif

Agriculture

Accessibilité

Dialogue social

Echange naturel

Metropolitan Landscapes - Répartition des activités dans la vallée du Molenbeek (crédit: Metropolitan landscapes)


La

ville réinventée

1.  Bernard Guerrini et Mathias Schmit, Naturopolis : New-York, la révolution verte; Et si Paris se mettait au vert; Rio : du chaos à la ville durable; Tokyo, de la mégapole à la ville jardin, Docside Production et ARTE France, Série, 2013. En ligne: http://www.arte. tv/guide/fr/045728-001/naturopolis-new-york, page consultée le 22 mars 2015.

La ville idéale questionne aujourd’hui tout comme elle l’a toujours fait. Certains tentent de concilier villes actuelles et technologies futures, d’autres, par facilité ou parce qu’ils sont convaincus de l’obsolescence de celles-ci imaginent les recréer de toute pièce. Si les techniques évoluent, les terres disponibles, elles, ne font que diminuer, ce qui amène à penser le développement de ces nouvelles villes dans des lieux actuellement inhabités.

2.  Fiona Harvey, « Iskandar, la ville verte de Malaisie », Courrier International, 2012. En ligne: http://www.courrierinternational. com/article/2012/11/22/iskandarla-ville-verte-de-malaisie, page consultée le 27 juillet 2016.

Les villes vertes

La série de documentaires Naturopolis1 illustre assez bien la diversité des projets relatifs aux villes de demain. Ils interrogent sur le futur des grandes métropoles telles que New-York, Paris, Rio et Tokyo et soulignent l’importance et les impacts que la nature en ville pourrait avoir. Au travers de ces films, plusieurs hypothèses de villes vertes apparaissent. Leurs particularités sont notamment: les cycles fermés, les circuits courts, la continuité des couloirs verts qui sont nécessaires tant pour la survie et le bon développement de la faune et de la flore, que pour la santé et le bien-être humain. Le bureau Setec Bâtiment et l’architecte Vincent Callebaut ont imaginé un projet utopique donnant une image de ce que pourrait être la ville de Paris en 2050. En plus de la végétation qui prendrait une place importante au niveau du sol, il a été imaginé de construire une nouvelle couche de vie sur les bâtiments existants. Dans ce projet, des tours de plusieurs étages, à la pointe de la technologie, se superposent aux immeubles haussmanniens comme par enchantement (voir illustration).

Iskandar

Au lieu de « réparer » la ville actuelle, certains imaginent de nouvelles villes autosuffisantes, à la pointe de la technologie en terme de transport, d’énergie et d’habitat, où sont en équilibre, l’espace bâti et les espaces verts et ouverts.. C’est le cas d’Iskandar, la nouvelle ville verte de Malaisie. La zone prévue pour son développement ne compte actuellement que des équipements de grande envergure, comme des studios de cinéma et des universités, mais prévoit déjà d’accueillir près de trois millions de personnes d’ici 2025 sur un territoire identique à celui du Luxembourg.2 Ces villes idéales font rêver mais paraissent bien futuristes. À l’heure actuelle, il s’agirait plutôt de trouver des solutions réalistes et applicables aux villes existantes rapidement. Cela ne passe pas spécialement par des infrastructures coûteuses mais par une meilleure cohérence de l’ensemble du système et une complémentarité des différents secteurs.

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Ville verte durable - Paris, Smart City 2050 (crÊdit: Vincent Callebaut et setec bâtiment)


L’ écosystème

1.   Katrin Bohn, Joe Howe et André Viljoen, Op. cit., avant-propos. 2.   Traduction personnelle: «le déchet, comme la beauté, est perçu par l’œil de l’observateur». Carolyn Steel, op. cit., p.260. 3.   IBGE, « Good Food », p.63. 4.   Ibid., p.78.

urbain : la revalorisation des déchets

« 80% des ressources naturelles de la terre, destinées aux systèmes agricoles et industriels, sont transportées par train, bateau, camion ou avion, et profitent à seulement 4% de la population mondiale; 80% de ces ressources finissent en déchets et en pollution »1

Pour plus de résilience, il parait nécessaire de reconnecter les différents flux de la ville tels que la nourriture, l’eau, l’énergie et l’argent afin de créer un processus intégré et régénératif dans nos écosystèmes urbains. Il s’agit de passer d’un modèle linéaire, comprenant des intrants et des déchets, à un modèle circulaire dans lequel les déchets sont réutilisés dans les prochains cycles de production. Mais avant de changer tout le système urbain, il faut le comprendre afin de savoir comment l’améliorer au mieux. Pour dessiner la ville, il faut donc comprendre tout ce qu’elle implique (minéraux, eau, nutriments, matière organique, etc.). La nourriture apparait aujourd’hui comme un flux totalement déconnecté de notre expérience quotidienne alors qu’elle pourrait avoir des répercutions directes mais aussi indirectes sur les autres intrants urbains. De nos jours, les villes consomment de manière unidirectionnelle : la nourriture vient de l’extérieur mais ne retourne jamais à sa source comme c’est le cas dans la nature (arbre, feuille, champignon, racines…), il y a des intrants et des déchets. Cela n’a pas toujours été le cas : la ville de Londres, vers le milieu du 19ème siècle, utilisait ses eaux usées, riches en azote et en phosphore, comme fertilisant pour les cultures; celles-ci étaient ensuite filtrées à leur tour grâce à la terre et bouclaient le cycle. Remettre au goût du jour de telles techniques semble impensable à cause des nombreux intrants externes présents dans les eaux usées (médicaments, déchets, etc.) mais la ville gagnerait à fonctionner de manière plus circulaire. « Waste, like beauty, is in the eye of the beholder »2, chaque pays, chaque civilisation a toujours eu sa définition des déchets, l’un est utile à un temps (excréments humains, etc.), et ne l’est plus une centaine d’années plus tard. Non seulement les villes produisent un nombre important de déchets, mais en plus, elles les traitent presque tous sur le même pied d’égalité alors que certains d’entre eux mériteraient un traitement particulier afin de bénéficier à l’écosystème urbain et non représenter un poids pour celui-ci. Un quart des impacts environnementaux des ménages bruxellois seraient lié à l’alimentaire (élevage, gaspillage alimentaire, transports alimentaires, etc.)3. Bruxelles produit 134.000 tonnes de déchets organiques par an4, ce qui représente pas moins de 30 à 40% des ordures ménagères incinérées5. Après le « tout à l’égout », la ville est passée au « tout à l’incinérateur », centralisant de plus en plus la gestion de tous les types de déchets. Si les déchets organiques sont compostés, ils peuvent non seulement bénéficier à l’agriculture grâce à leur teneur en azote et en phosphore, mais

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Schéma circulaire de l’opération phosphore (crédit: urban ecology)


Nouvel urbanisme - L’écosystème urbain : la revalorisation des déchets

5.   Opération phosphore. En ligne: http://www.urban-ecology. be/operation-phosphore/, page consultée le 13 avril 2016. 6.  Waste Organic Recycling and Management Solutions, voir infra. RCR, p.64-65. 7.  Be-organic. En ligne: https:// www.be-organic.be, page consultée le 8 juillet 2016. 8.  Commune de Schaerbeek , «Des chevaux dans les rues». En ligne: http://www.schaerbeek.be/ news/chevaux-rues, page consultée le 1er avril 2016.

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aussi servir à produire de l’électricité grâce à un processus de bio méthanisation. Le projet Phosphore favorise du « compostage décentralisé et/ ou des solutions semi-industrielles ». L’asbl Worms6 soutient, elle aussi, le compostage bruxellois décentralisé et permet de transformer bénévolement 20.000 tonnes de déchets organiques produits par la ville grâce aux différents points de collecte qu’elle met à disposition des habitants dans chaque commune. La méthanisation quant à elle reste très peu développée à Bruxelles, le projet pilote be-organic, mis en place par Bruxelles-Propreté, récolte les déchets organiques de quelques communes bruxelloises et les envoie à l’usine de bio méthanisation d’Ypres située à une centaine de kilomètres de la capitale7. En plus de son éloignement, sa capacité de traitement est limitée et il faudrait donc investir à long terme dans une usine plus grande et plus proche pour une meilleure efficience. La stratégie Good Food propose de repenser le recyclage des déchets alimentaires selon une pyramide inversée, avec pour dernier recours l’incinération. Rappelons qu’un de ses objectifs concerne le gaspillage alimentaire, qu’elle compte réduire de 30% d’ici 2020. En milieu urbain comme en milieu rural, l’agriculture gagnerait à fonctionner de manière plus circulaire, comme c’était le cas quand cette pratique se faisait à proximité des villes. Elle nécessite premièrement de l’engrais, qui peut être obtenu soit grâce au compostage des déchets organiques, soit grâce à d’autres déchets urbains tels que le marc de café, ou encore, être d’origine animale tout comme il l’a toujours été. En effet, l’agriculture, depuis ses débuts, n’a jamais été dissociée de l’élevage qui lui fournissait gratuitement un engrais de qualité et de première fraicheur. L’engrais organique a l’avantage d’enrichir les sols et de permettre une meilleure rétention d’eau. La présence des animaux en milieu urbain peut présenter d’autres avantages comme par exemple : l’entretien les terrains au repos ou en friche (expérience semblable sur des friches le long du canal de Bruxelles), la préservation de la faune et de la flore, etc. L’éco-pâturage a été expérimenté dans la commune de Schaerbeek, qui a utilisé des chevaux de trait pour ramasser les ordures ménagères, entretenir les parterres ou simplement promener des gens8. La ferme du Début des Haricots utilise quant à elle des ânesses pour retourner la terre. L’agriculture requiert également de l’eau, qui peut être en grande partie récoltée à l’aide de citernes et des toitures avoisinantes pour bénéficier ainsi directement aux cultures. Cette pratique permet en outre d’offrir des zones d’infiltration en milieu urbain. La main d’œuvre est le dernier élément indispensable à l’agriculture dont la ville regorge aussi. En effet, cette pratique attire de plus en plus de personnes et les listes d’attente pour les potagers urbains se multiplient.


PRÉVENIR éviter les pertes et le gaspillage en amont

REDIRIGER VERS L’ALIMENTATION HUMAINE sans transformation (dons) ou avec (produit dérivé) REDIRIGER VERS L’ALIMENTATION ANIMALE MATIÈRE 1ère ET 2ème POUR L’INDUSTRIE PRODUCTION DE COMPOSTE/ENGRAIS avec récupértion d’énergie éventuellement RÉCUPÉRATION D’ÉNERGIE

INCINÉRATION

Échelle pour la gestion des déchets de la stratégie good food (document personnel d’après l’échelle de moerman)



C onclusion Au début de mon travail de recherche, je pensais traiter uniquement le sujet de l’agriculture urbaine, entendue littéralement comme l’agriculture dans la ville, mais il m’a semblé important, au fur et à mesure de mon avancement des différentes personnes que j’ai rencontrées, d’évaluer les incidences et les potentialités de cette pratique à l’échelle du territoire, mais aussi son évolution dans l’histoire des villes. Ce mémoire m’a permis de me rendre compte que le système alimentaire actuel joue un rôle crucial à l’échelle mondiale et combien il est coûteux, principalement pour les acteurs qui n’en « profitent » pas (pays en voie de développement, environnement, animaux, générations futures, etc.). La relocalisation alimentaire est un sujet très actuel qui débouche sur de nombreux débats. Comme souvent, différents points de vue se confrontent, et d’une même intention, découlent différentes perspectives. J’ai tenté, au travers de ce mémoire, de parcourir les influences positives et négatives que cette relocalisation, dans ses diverses formes, peut avoir sur l’environnement urbain et sur les hommes. En agriculture comme dans d’autres domaines, le profit rime en général avec des quantités démesurées. Mais en dépassant son échelle, l’homme tend à s’armer d’outils industriels qui instaurent une distance avec le fruit de son travail et le rendent moins sensible à ses actions. Cependant, la petite échelle (moins d’un hectare) réapparaît petit à petit comme une pratique productive et rentable, qui offre l’avantage de nécessiter peu de moyens (, coût, outils, main d’œuvre, intermédiaire, etc.). Cette revalorisation donne la possibilité aux villes de se (re)connecter à la production alimentaire, même en leur sein. La volonté n’est pas de nourrir la ville uniquement avec la ville, mais l’espace urbain serait le témoin et l’intermédiaire des exploitations paysannes plus productives de la périphérie. Au delà de ses bénéfices productifs, elle permet de rétablir des liens entre les milieux sociaux différents, les producteurs et les consommateurs, l’homme et la nature, les espaces ouverts de la ville, etc. En tant que future architecte, je pense que l’agriculture est plus que complémentaire avec l’environnement bâti, qu’elle doit être prise en compte dans les cahiers des charges des nouvelles constructions (surcharge admissible, toitureverte, etc.), s’immiscer dans les espaces publics existants, et surtout être réévaluée dans les planifications urbaines afin de garantir son développement. Les initiatives citoyennes semblent parfois plus fortes et plus réactives que celles des politiques, mais il m’apparaît pourtant indispensable que des décisions fortes soient prises « en haut de l’échelle ». C’est grâce à l’union des différents acteurs et surtout au dialogue entre ceux-ci (politiques, citoyens, régions, producteurs, etc.), qu’un réel changement se concrétisera. La stratégie Good Food présente des objectifs bien prometteurs, mais j’ai encore quelques doutes quant à sa capacité à passer au-dessus de certains obstacles comme l’accès au foncier au vu des lois actuelles. Je pense qu’attendre le moment

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où la situation deviendra critique (fin du pétrole, changement climatique, etc.) pour entreprendre des décisions fortes n’est pas une solution, il faut agir maintenant et s’en donner les moyens. Bien sûr, ce n’est pas si facile et cela demandera du temps mais je reste optimiste car, selon moi, la transition est en marche et ne peut faire qu’avancer. De plus, même si d’autres villes sont déjà très avancées en la matière, nous avons la chance à Bruxelles de compter des acteurs déjà très engagés qui favorisent le développement d’un réseau alimentaire local et durable. Je reste convaincue que toutes les initiatives, si minimes soient elles, peuvent jouer un rôle bien plus important une fois réunies. En définitive, ce mémoire m’a amenée à m’interroger sur la ville actuelle, sur les relations qu’elle entretient avec son environnement proche et lointain et surtout à son avenir. Je ne le vois pas comme un travail qui s’arrêterait à la conclusion car je suis consciente que le sujet est vaste et qu’il est en perpétuelle évolution. Il représente au contraire une ouverture, et m’aidera, je le pense, à choisir ma voie parmi les multiples opportunités qu’offre le métier d’architecte.

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avec

N oémie M aughan ,

25

février

2016

Noémie m’a accueillie dans ses bureaux situés sur le Campus de la Plaine de l’ULB. Elle travaille dans le Service d’Écologie du paysage et des systèmes de production végétale. L’entretien a débuté par une brève présentation de ses recherches actuelles et sur la situation agricole bruxelloise. Noémie: Pendant un an et demi j’ai exploré toutes les initiatives d’agriculture urbaine et j’ai essayé de dégager des questions de recherche auxquelles pouvaient répondre des scientifiques de Bruxelles ou d’ailleurs. Depuis on a soumis des projets de recherche dont deux ont été sélectionnés. Ils visent à évaluer la viabilité des micro-fermes, donc de production bio intensive sur des très petites surfaces dans la ville et en dehors. La viabilité comprend l’aspect économique mais aussi d’autres aspects. On est en partenariat avec d’autres équipes dont le centre économique et social de l’environnement (CES) qui ont plutôt une vision socio-économique et un laboratoire anthropologique de l’UCL. Donc, dans la viabilité on veut aussi inclure toutes sortes de dimensions. On rejoint un peu l’idée de résilience alimentaire et non d’autosuffisance. Pour le moment celle-ci est proche de zéro parce que Bruxelles, coupée de ses canaux d’alimentation, ne tient pas plus de deux jours. Il y a une stratégie qui a été lancée par l’IBGE en début du mois qui vise à produire 30% des fruits et légumes que consomment les bruxellois dans la ville ou en périphérie. C’est quand même relativement élevé comme pourcentage. Et ça représente quoi en terme de quantité? Je sais que pendant la guerre certaines villes arrivaient à produire jusqu’à 40% de leur consommation en fruits et légumes mais cela semble bien loin... Noémie: L’ennui c’est que l’IBGE ne sait pas non plus ce que ça représente précisément. Ils sont fixés sur la demande mais n’ont pas pu trouver les données qui concernent l’offre bio. Ce ne sont pas des chiffres faciles à trouver apparemment. On est très loin des 30% en tout cas. Ça c’est une dynamique plutôt institutionnelle. Il y en a une deuxième dont je fais partie. Elle n’est pas financée par l’IBGE mais par Inoviris, ça s’appelle le CoCreate. Elle comprend sept projets subventionnés pour trois ans, pour accompagner la transition des systèmes alimentaires bruxellois vers plus de durabilité. Il y a évidemment pleins de dynamiques qui ne sont pas institutionnelles mais plutôt citoyennes. On a lancé une dynamique en février passé que l’on a démarré par un forum paysan co-organisé avec le Début des Haricots. Elle a eu pas mal de succès et a rassemblé 200 participants dont une quarantaine de personnes disaient vouloir se lancer dans l’agriculture urbaine ou périurbaine, certains à

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temps-plein, d’autres à mi-temps, ou plus en collectivité, on n’a pas vraiment poussé les questionnements jusque-là. Toujours est il que le Début des Haricots a travaillé notamment à l’élaboration de solutions par rapport à cette problématique. Beaucoup de gens veulent se lancer mais peu sont qualifiés. Ça commence parce qu’il y a de plus en plus de formations qui permettent aux novices de se former au maraîchage bio en deux ans à peine. Il y a aussi une problématique d’accès à la terre qui est centrale, on est en ville donc c’est encore pire. Le problème est aussi que Bruxelles est en quelque sorte emprisonnée dans la ceinture de la région flamande et donc il y énormément de tensions entre les deux régions en ce qui concerne les terres situées en périphérie. On est un peu cantonné dans les 19 communes. Est-ce qu’il y a des chiffres connus concernant les terrains potentiellement disponibles dans la ville pour l’agriculture? Noémie: Le Bureau de Recherche en Aménagement du Territoire (BRAT) a fait une étude pour l’IBGE pour identifier les terrains potentiels pour des potagers. Ils ont fait un premier screening sur base d’images satellites et ensuite ils ont commencé à éliminer certains terrains qui étaient pollués ou inadéquats. Il y a eu une autre étude axée sur les toitures. La culture hors-sol est souvent critiquée mais elle permet quand même de passer outre la pollution des sols qui se situent en ville, que pensez-vous de cette pratique? Noémie: Pour l’instant on connait très peu de choses sur le fonctionnement de la terre et donc si on veut mettre des cultures sur quelque chose qui est artificiel ça implique qu’il faut contrôler le substrat, le réguler. Dans l’hydroponie par exemple, il faut contrôler pleins d’éléments et en général les plantes produites n’ont pas vraiment un goût comparable aux légumes qui ont poussé en pleine terre. Les projets qui se développent sur des toitures dans des bacs se différencient quand même de l’hydroponie non? Noémie: Tout à fait, mais ce qu’il faut savoir c’est qu’il faut amener fréquemment des intrants extérieurs parce que la couche de sol est isolée. On est en partenariat avec la commune d’Ixelles pour un projet sur la toiture du Colruyt qui va être financé par le FEDER mais il va démarrer seulement en 2017. Pour terminer les études qui ont été faites, il y a donc eu les terres, les toitures et une autre qui a été faite par le Début des Haricots et qui a mené justement

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à ce fameux forum paysans pour savoir quelles étaient les terres déclarées comme agricoles à Bruxelles. Et apparemment il reste encore des hectares qui sont peu ou sous-exploités et qui appartiennent souvent à des CPAS ou des choses comme ça. Elles sont parfois louées à des agriculteurs pour des mises en prairie à des prix parfois symboliques. Tout ce potentiel-là est donc sous-exploité. Et ces terrains sont historiquement des terrains de culture et ne sont donc pas, à priori, sujets à des pollutions. L’étude du BRAT recense le total des terres potentiellement exploitables à 1080 hectares et il y a une autre étude d’ECORES et Saint-Louis qui les évalue à 888 hectares. Donc la problématique c’est vraiment qu’historiquement la région flamande est nourricière de Bruxelles, et qu’actuellement la capitale s’en trouve coupée pour des raisons géopolitiques. La région de Bruxelles-Capitale compte des cultures principalement à Neerpede et à Haren mais très peu sont destinées à l’homme. On pense qu’il faut vraiment reconnecter ces deux institutions et surtout leurs populations. Les consommateurs ne connaissent pas les producteurs et inversement les producteurs flamands voient Bruxelles comme une boite noire, ils préfèrent exporter vers le marché international. La Vlaamse Land Maatschappij (VLM) a fait une étude sur 19 communes autour de Bruxelles afin d’évaluer leur potentiel agricole et l’avenir des différents terrains. La plupart des agriculteurs sont âgés de plus de 55 ans et la moitié ne sait pas ce qu’il va se passer avec leurs fermes. Soit parce qu’ils n’ont pas de repreneur, soit car les enfants n’ont pas du tout envie de faire ça. Et donc il y a vraiment un potentiel par rapport aux quarante personnes de Bruxelles qui semblent intéressées par ce métier. Est-ce que vous pensez que les conditions urbaines (micro-climat) peuvent être favorables à l’agriculture? Noémie: Moi ce que je soutiens en tout cas c’est que les villes sont en quelque sorte les laboratoires de l’agriculture du futur dans le sens ou il y a beaucoup de contraintes et des opportunités bien sur. Il y a ces îlots de chaleur mais aussi les déchets qui peuvent permettre plus de circularité. C’est clair que si l’on pense à un système, on le pense dans son intégralité. Il y a tout un travail à faire aussi avec le compostage. Il y a l’opération phosphore qui est en cours. Elle vient de naître et elle vise à décentraliser la gestion des déchets organiques urbains afin de les transformer en ressources. Ça se ferait via toute une série de stations de compost. Actuellement 80% vont à l’incinérateur et du coup ça permettrait d’avoir une matière importante d’engrais pour l’agriculture intra-muros mais aussi pour l’agriculture périurbaine. Il y a aussi autre chose qui a émané du forum paysan, c’est l’embryon d’une ceinture alimentaire bruxelloise. Pour le moment, il n’y a pas grand chose qui en est sorti mais on partait de l’idée de la Ceinture Aliment-Terre liégeoise

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Annexes

(CATL). Et donc l’idée, c’est de nourrir Bruxelles avec Bruxelles. C’est de relier toutes ces petites initiatives pour en faire un réseau plus résistant, de développer ce contact avec les consommateurs et que ceux-ci puissent soutenir des projets qui sont nourriciers. Il y a plusieurs manières de voir cette ceinture alimentaire: pour certains ce sera une reconnexion avec la nature, pour d’autres pour la production... Et justement en terme de communication et de prise de conscience vous pensez que ça doit passer par le politique avec des lois, des taxes...? Noémie: La dernière ministre Huytebroeck a beaucoup travaillé sur la question de la consommation, elle a mis en place toutes sortes de choses comme les cantines, etc. Pour nous, au sein du labo, le focus est vraiment sur la reconnexion avec la périphérie. L’objectif est donc de voir si les microfermes ont du sens. On fait le postulat que ça en a mais peut-être qu’on se rendra compte que non. Et ensuite on réfléchit en quoi ces modèles de fermes sont viables, si on peut les multiplier ou si elles sont viables parce qu’elles sont intimement imbriquées dans le tissu. On essaye de déterminer quels sont les facteurs qui sont fixes et qui seront vrais pour toutes et quels sont les facteurs qui sont liés à l’imbrication dans le tissu social local. On fait aussi le postulat que c’est les deux: il y a des arguments qui peuvent être utilisés pour toutes et d’autres qu’il faut adapter en fonction du contexte, du public, etc. Est-ce que vous pensez que les limites de la ville vont encore évoluer et s’élargir? Noémie: Les limites administratives ne vont pas bouger non mais il faut plutôt penser en terme de région agro-géographique ou de territoire alimentaire. Il y a des structures politiques comme à l’époque la communauté métropolitaine qui pouvait aider au dialogue entre la région de Bruxelles-Capitale et la Région Flamande. C’était un organe, un espace de rencontre politique qui pouvait aider au dialogue entre ces deux régions sur des thèmes transversaux comme l’alimentation. Ce que je veux dire c’est que c’est plutôt dans la socio-politique qu’il faut aller chercher des solutions et dans l’échange plutôt que de savoir à qui appartient la terre. Ce que je me demandais c’est si dans cinquante ans par exemple, la périphérie telle qu’on la connait aujourd’hui ne deviendra pas aussi densément peuplée que le centre ville, est-ce qu’on distinguera encore cente-ville et périphérie ou est-ce que la ville sera partout? Quand on regarde l’évolution de la taille des villes, ça s’est passé en quelques siècles.

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Noémie: Je pense que les activités comme les commerces et le logement dépendent d’une stratégie régionale et si les stratégies entre les différentes régions ne sont pas les mêmes, il risque d’y avoir une confrontation. L’enjeu pour nous est presque culturel, c’est de réinstaller un dialogue pour que les personnes veuillent la même chose, à savoir des circuits-courts avec des agriculteurs de proximité qui puissent vivre de ce qu’ils font. Il faut bien différencier l’agriculture intra-muros de l’agriculture périurbaine, ce sont deux activités relativement différentes pour le moment mais c’est justement ce que l’on questionne: s’il serait possible de délocaliser les petites fermes qui ne se limitent pas à la production en dehors de leur tissu. Pour revenir à la problématique de la production en région flamande, ils ne sont pas du tout au courant de la demande qui existe à Bruxelles. Si tu regardes un peu le réseau des GASAP, la plupart des producteurs viennent de Wallonie. On va si loin parce qu’on a la même culture, selon moi. Après la Wallonie est plus développée par rapport au bio. Les agriculteurs flamands qui veulent se lancer dans le bio rencontrent beaucoup plus de freins. Est-ce que vous savez si il y a des agriculteurs en Belgique qui produisent local pour le local et donc en faisant abstraction des dépenses en énergie inutiles qui peuvent s’ajouter? Je sais qu’il y a quelques exemples au Canada... Noémie: Je ne sais pas trop mais ça me fait penser à la coopérative Beescoop qui se développe actuellement. Ils sont dans un processus de réflexion parce qu’ils ont plusieurs objectifs: ils veulent atteindre tous les publics et leur donner accès à une alimentation de qualité mais ils ne veulent pas forcer les gens. C’est pourquoi ils comptent proposer les mêmes produits qui sont disponibles dans un supermarché normal mais aussi montrer aux gens qu’il existe autre chose. Ils espèrent ainsi que les gens se rendront compte que des alternatives pas tellement plus chères et bien meilleures sont disponibles. Mais pour ça ils doivent développer un étiquetage interne pour savoir si c’est durable, local, éthique, etc. Mais ce n’est pas évident d’avoir toutes ces données et de les mettre sur les étiquettes de manière intelligible. Dans un autre genre, il y a aussi les magasins Farm qui s’orientent aussi vers la coopération mais qui vendent également des produits bio exotiques. Donc tout dépend de ce que l’on recherche. C’est ça, j’ai l’impression qu’actuellement quant on parle de bio on a l’impression que ça englobe pleins de choses mais il y a aussi des « sous-catégories »... (...)

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Noémie: Pour en revenir à Bruxelles, il est aussi question de développer un label bruxellois Made in Brussels. Il y a eu une première réunion et les petits producteurs disaient que ça ne les intéressait pas parce que leurs consommateurs savent bien que d’où viennent leurs produits étant donné qu’ils connaissent les producteurs. Donc au final ça va profiter plutôt à des gens qui transforment sur Bruxelles, pour les autres, leur système de commercialisation est leur label en quelque sorte (La Pousse qui Pousse, le Bercail, etc.). On peut se poser la question de la viabilité de ces productions si elles s’agrandissent mais encore à partir du moment où on peut vivre de ce que l’on fait ça ne sert à rien de s’agrandir et de chercher le monopole... Et comment voyez-vous le moment où le prix du pétrole va augmenter? Vous pensez que le prix de l’alimentation va augmenter aussi et que ça obligera les gens à consommer et à produire autrement? Noémie: On est un peu dans cette vision-là du post pétrole. Je pense qu’il faut travailler dans l’état actuel des choses et même si le prix du pétrole est ce qu’il est, je pense que les modèles de micro-fermes que l’on prône sont bien plus résilients même en l’état actuel. Peut-être qu’au delà du pétrole, c’est le système de commercialisation et de culture qui doit changer et pour ça on n’a pas besoin d’attendre la fin du pétrole. (...) L’IBGE va entamer une étude qui porte sur les outils urbanistiques et réglementaires qui pourraient oeuvrer soit à la protection, soit la mise à disposition de certains terrains pour les potagers. Il y a le PRAS démographique qui entre en concurrence en quelque sorte avec les projets d’initiative potagère dans le sens où le nombre de ménages attendus d’ici 2030 et 2050 est énorme. C’est l’enjeu numéro un. Après il y a des espaces de résistance comme à Haren ou ici le campus de la Plaine. Et il y a un discours académique qui dit que laisser des espaces de liberté ou des espaces tampons dans la ville c’est à la fois la faire respirer mais aussi laisser des espaces de possible pour les futures initiatives et innovations sociales. Ça c’est une dimension plus philosophique mais le lien avec l’urbanisme est très clair par rapport aux outils réglementaires notamment. Le nouveau PRAS démographique va faire sauteur plusieurs verrous pour le logement car au PPAS ils n’ont pas laissé assez de place pour les futurs ménages. Et du coup, plusieurs zones qui n’étaient pas destinées à la construction vont le devenir comme les zones de chemins de fer et tous les espaces en dés-errance. Tous les espaces qui sont propices à l’agriculture

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urbaine en somme. Il y a très peu d’espaces d’agriculture urbaine qui sont sous des affectations agricoles ou espace vert, la plupart du temps, ils sont sur des zones d’habitat.

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E ntretien

avec

S ofia B aruffol ,

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mars

2016

J’ai rencontré Sofia Baruffol à la Ferme Urbaine du Début des Haricots située à Neder-Over-Hembeek. Cette visite m’a permis d’en apprendre un peu plus sur le fonctionnement de la ferme en tant que telle mais aussi sur la vision des agriculteurs urbains quant au futur des productions agricoles urbaines et périurbaines. Nous avons fait un tour du terrain pendant qu’elle m’expliquait le particularités de la ferme et les différents aménagements. Le jour où je me suis rendue à la ferme, Sofia était accompagnée de deux autres personnes qui l’aidaient à labourer la terre pour les futures plantations. Sofia: Donc il faut tout d’abord savoir qu’on est un projet largement subsidié parce qu’on fait de la formation, il y a quatre stagiaires qui sont en formation pour des durées de 6 mois à un an dont Arnaud fait partie. Leur salaire est payé par Actiris, le salaire des formateurs et le mien sont payés par d’autres subsides plus liés à la formation. On arrive à retirer 20.000€ de la production des légumes en tant que telle, ce qui payerait plus ou moins l’équivalent d’un mi-temps pour quelqu’un qui est indépendant. C’est un peu le modèle qu’on prône. Ici on s’offre le « luxe » de travailler en traction animale, parce que selon nous, c’est un savoir qui est important à transmettre. On a aussi un petit motoculteur pour que les stagiaires puissent l’utiliser seuls. Avec les ânes il faut être deux, sauf si on est pro. Ici on cultive sur 60 ares, on en sort des paniers qui sont livrés sous forme de GASAP. Notre but c’est de faire de la formation mais on veut aussi montrer un modèle qui tient la route. Si tu cherches des chiffres en terme de rentabilité et tout ça tu dois te renseigner sur Jean-Martin Fortier. C’est un maraîcher québécois qui a écrit un livre, il est très précis sur tous ses chiffres et sur les surfaces. Après, il vend ses légumes très cher et donc il s’en sort très bien. En Belgique il y a des modèles: un mi-temps pour un indépendant sur 30 ares. Et puis il y a la ferme du Bec Hellouin qui fait partie d’une étude de l’INRA. Elle a fait beaucoup parler d’elle l’année passée ou il y a deux ans parce qu’elle disait que sur 1.000 m2, donc 10 ares, ils arrivent à retirer 50.000€, donc plus qu’on mi-temps et bien plus que ce que l’on fait ici. Il y aussi des maraîchers en Belgique qui font des choses très intéressantes avec différents modèles: l’auto-cueillette, les paniers, les AMAP... Ici à Bruxelles, je pense qu’on est une des seules fermes où on ne fait que produire. Il y a beaucoup de fermes pédagogiques. Le problème dans le centre de Bruxelles, c’est qu’il faut quand même réussir à dégager de l’espace, un demi hectare c’est beaucoup... Et encore il faut aussi un minimum d’infrastructure comme la cabane à outils, la pépinière... Je suis pas sure non plus que tous les habitants de Bruxelles veulent une serre à côté de chez eux alors que sans ça, nous on peut rien faire. Sans les deux serres, on ne commencerait les paniers que mi-juin, début juillet alors que là on les commence en mai, on n’aurait pas de tomates... On peut aller voir si tu veux. (...)

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Et vous augmentez votre productivité en fonction des années j’imagine? Parce que c’est quand même un projet assez récent. Sofia: On capitalise de plus en plus de savoirs, c’est vrai qu’au début on était à 15 paniers et aujourd’hui on est plutôt à 40-50, plus 20 auto-cueilleurs. L’auto-cueillette, c’est un petit projet qu’on a démarré l’année passée, et ça a assez bien marché. C’est une nouvelles manière de vendre qui se développe pas mal en Flandre, pas beaucoup en Wallonie bizarrement. L’idée c’était de construire des liens aussi avec le quartier qui est juste à côté et les paniers ça leur parlait pas trop. Et ça fonctionne comment concrètement? Sofia: Les personnes s’inscrivent à l’année et après ils viennent quand ils veulent pour récolter leurs légumes que l’on soit là ou pas. On marque sur un tableau les légumes qui sont prêts à être récoltés et on place des drapeaux blancs pour indiquer où ils se trouvent. Nous ça nous évite de devoir les cueillir, ça nous fait gagner du temps. Ils prennent ce qu’il peuvent manger en frais donc il y a quand même une certaine limite. Donc ça ce sont les principaux moyens de vente. Avant on vendait aussi les surplus à la ferme Nos Pilifs, mais maintenant on ne va plus le faire parce qu’on a arrêté d’être labellisé bio. On change rien à nos pratiques mais ça coûtait trop cher. La ferme Nos Pilifs est plus axée sur l’aspect pédagogique, c’est ça? Sofia: Oui ils travaillent notamment avec des personnes handicapées, donc ils obtiennent pas mal de subsides à ce niveau-là. Ils accueillent des groupes, des classes. Ils élèvent aussi des poulets de chair pour l’abattage, ils en envoient une cinquantaine par semaine quand même. Et sinon, ils ont aussi deux cochons, une vache. On a des liens cordiaux avec eux, on occupait un de leurs terrains il y a deux ans, avant qu’on s’installe ici. Et vous n’utilisez aucune énergie ici? Sofia: Non, déjà on n’est pas relié au réseau et puis l’idée c’est aussi d’être le plus autonome possible et de minimiser les intrants. On a juste un petit générateur qui nous permet de remonter l’eau du puits que l’on a creusé au bout du terrain jusqu’à la marre. Ici on passe devant la cabane que l’on a construit l’année passée, ça nous a pris un an au total parce qu’on ne pouvait pas faire que ça, on avait aussi les légumes en parallèle. Elle est construite en terre-paille, c’est certainement améliorable mais bon, c’est un bon début. Quand il fait froid ça nous permet d’avoir un petit coin au chaud et de

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cuisiner. Et vous utilisez tout le terrain? Sofia: Il fait plus d’un hectare au total. Il faut de la place pour les pâtures pour les ânes, on a aussi prêté 20 ares à un projet de plantes médicinales et aromatiques qui existe depuis deux ans. Je vais te montrer la pépinière, c’est ici qu’on démarre la plupart des semis. La nuit il fait encore très froid pour le moment et donc on utilise un système composé d’une couche de 40 centimètres de fumier humidifié qui chauffe et qui permet de maintenir les semis à l’abri du gel, à laquelle on superpose une couche de sciure du bois mélangée à des champignons. Vous avez beaucoup de variétés non? Sofia: Pour les légumes on a plus ou moins septante variétés différentes. Il faut apporter un minimum de diversité aux paniers. Ça induit quand même un plan de culture assez élaboré qui est amélioré chaque année. Mais on n’est pas dans un projet qui se veut le plus productif possible, notre objectif principal reste la formation. On accueille beaucoup de personnes extérieures aussi qui sont curieuses de voir comment ça se passe, on prend le temps de leur expliquer comment ça se passe, on leur donne le temps... Il y a beaucoup de demande en terme de terrains pour des gens qui veulent se lancer dans la pratique agricole? Sofia: C’est une des grandes difficultés, la plupart des stagiaires qui sont formés ici sont souvent bloqués après. La plupart des terres à Bruxelles sont hors de prix car elles sont vouées à être bâties et donc si on veut les louer il faut payer le même prix que si c’était un appartement, j’exagère un peu mais c’est presque ça... Et donc ici c’étaient des anciennes terres agricoles c’est ça? Sofia: Oui, mais c’est un propriétaire privé qui nous fait une concession gratuite du terrain pour le moment. C’est précaire, on ne sait pas jusque quand on pourra être là. C’est comme pour le terrain sur lequel on était à Nos Pilifs, on a été viré après quelques années parce qu’ils avaient d’autres ambitions pour ces terres. C’est pas trop dur de quitter un terrain et de recommencer à zéro?

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Sofia: Ça demande de l’énergie c’est sur, mais c’est à chaque fois l’occasion d’apprendre avec les stagiaires. On repense à l’aménagement de l’espace, on construit une cabane... Et pour le substrat vous utilisez quoi? Est-ce que vous avez testé des techniques de récupération de déchets urbains par exemple? Sofia: On utilise du terreau bio que l’on achète parce qu’on a quand même besoin d’une certaine stabilité dans la production. On doit faire des choix professionnels pour certaines choses, on fait un maximum de récupération mais au niveau de la production maraîchage on essaye de mettre les stagiaires dans des situations stables qui leur permettraient de se lancer dans cette activité à titre professionnel par après. Récupérer du terreau ça demande du temps, de l’organisation. Si on était plus, on pourrait aller toujours vers plus de cohérence mais on veut montrer aux stagiaires un modèle qui tient la route. Et qu’est-ce que vous pensez des cultures hors-sol qui recréent un nouvel écosystème? Sofia: Je ne sais pas si tu as rencontré Filippo? Il fait partie des organisateurs du potager qui s’est installé sur la Bibliothèque Royale. Il a toute une réflexion la dessus, sur les intrants justement... Ils avaient un grand compost composé de matières organiques de la Bibliothèque, du restaurant... En général au Début des Haricots, et moi en particulier, on reste très sceptiques sur le besoin de faire pousser des plantes en hors-sol. Il y a des terres à Bruxelles, il faut arrêter de spéculer avec et remettre des gens dessus pour les cultiver, que ce soit du petit élevage ou du maraîchage, au lieu de commencer à inventer des solutions high-tech... Ça fait plaisir aux industriels ce genre de trucs... Il y a quand même certains projets en hors-sol qui ne sont pas axés sur la technologie... Sofia: Il y en a mais généralement, ils arrivent pas à avoir une rentabilité. C’est le constat auquel est arrivé Filippo. Il arrive à produire sur le toit mais ça reste anecdotique, c’est chouette pour faire un jardin, pour une école... Ça reste démonstratif et à vocation pédagogique. C’est pas ça qui va permettre d’en retirer un revenu. Moi je reste sceptique et je préfère donner mon temps dans des choses desquelles je suis convaincue. Le plein sol c’est beaucoup plus cohérent. Après, il y a aussi le constat que l’agriculture n’aura jamais le dessus sur

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le logement, c’est un peu triste de dire ça mais... Sofia: Moi je ne vois pas l’agriculture en plein centre Bruxelles aussi. Je vois plutôt une ceinture alimentaire autour de la ville, des productions en périphérie. Et là il faut une volonté politique, il faut arrêter de construire pour construire. Il y a par exemple ici juste à côté 2-3 hectares de maïs cultivés uniquement pour l’élevage... On est aux portes de Bruxelles, ces terres doivent servir à nourrir les gens. Je pense qu’il y a énormément de terres qui sont disponibles et pas mal de jeunes qui sont intéressés par le métier de maraîcher. Le projet qu’on fait c’est assez récent on a pas encore assez d’expérience que pour en sortir des chiffres sérieux. On passe plus pour des rigolos aux yeux des producteurs professionnels. C’est une remise en question assez importante pour eux de se lancer dans un autre type de production. Les politiques ont un rôle important dans ce sens, ils doivent les soutenir pour effectuer cette transition. Il faut pas les culpabiliser, ça fait cinquante ans qu’on leur dit qu’il faut faire de l’intensif et qu’il faut mettre des pesticides partout, ils ont écouté ce qu’on leur a dit. A propos de la stratégie Good Food, ça vous semble faisable de produire localement 30% des fruits et légumes consommés à Bruxelles d’ici 2035? Sofia: Si il y a la volonté politique derrière pourquoi pas. Ce qui bloque c’est surtout la terre. Des jeunes qui veulent se lancer il y en a plein. Actuellement on est plutôt aux alentours des 5% non? Sofia: Même pas je pense. Et vous pensez que ce serait faisable de développer des projets agricoles sur des terrains en friche par exemple. Sofia: Il faut savoir ce qu’il y a comme sol. Si c’est pollué c’est quand même pas idéal. En ville, je verrais plus des potagers, même si c’est dans bacs, mais sans chercher de la productivité. Pour moi les terres sont là (périphérie), elles sont plus ou moins propres, il faut juste arrêter de construire dessus et construire là où c’est déjà pollué. Il faut surtout sauver les terres. A Haren par exemple, il y a un super terrain de plusieurs hectares, on pourrait y développer une ferme très productive mais ils veulent en faire une prison. Ce projet n’a pas encore été validé mais bon... C’est un projet fédéral mais les communes et les habitants s’y opposent. Il y encore beaucoup de terres à Haren, à Anderlechet, ici à Neder-Over-Hembeek aussi. Le Roi pourrait aussi nous céder un peu de terres, il a une terrain énorme. On lui a déjà demandé de nous

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céder un hectare mais il n’a jamais répondu... Les possibilités existent, il faut juste être un petit peu créatif. Si l’agriculture devient une priorité, ce que je pense qu’elle devrait être, il faut sauver les terres! Ça passe aussi par une sensibilisation de la population et l’éducation des nouvelles générations... Sofia: Il y déjà pas mal de gens qui se rendent compte de l’importance du local, rien que les GASAP comptent de plus en plus de personnes. Mais il y a encore beaucoup de monde à toucher. La ministre en charge de l’environnement a une politique très décousue en terme d’éducation relative à l’environnement mais il faut avoir les moyens...

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E ntretien 18

avril

2016

avec

L ison H ellebaut

et

C atherine F ierens ,

J’ai rencontré ces deux personnes dans les bureaux de l’IBGE dans le but d’éclairer certaines de mes interrogations quant à la stratégie Good Food et BoerenBruxselPaysans. Lison est en charge de la cellule auto-production de la stratégie Good Food, tandis que Catherine s’occupe du projet BoerenBruxselPaysans. Certains projets ont un pôle mixte et concernent tant le citoyen que les acteurs professionnels ce qui les amène parfois à travailler ensemble. (...) Comment communiquez-vous avec les citoyens, vous êtes déjà en contact avec certains pour garantir les objectifs que vous fixez pour 2020 dans la stratégie? Lison: Oui on travaillait déjà sur l’agriculture urbaine avant la stratégie Good Food, donc on continue les appels à projets de potagers collectifs, quartiers durables. Il y a pas mal de projets aussi qui concernent l’alimentation et la production. On travaille déjà sur la semaine Cultivons la ville afin de valoriser les projets existants et faire connaitre aux gens les différents événements. On refait actuellement le site internet pour montrer le potentiel de production (toitures, etc.) et pas seulement « mon potager dans mon jardin ». Je m’interroge sur la production alimentaire prévue à l’intérieur de la ville et sur les terrains sur lesquels celle-ci pourrait se développer. Soutenez-vous des projets qui admettent une certaine temporalité, un entre-deux? Lison: Oui, actuellement, il y a le Chant des Cailles... Je trouve qu’à Bruxelles on utilise peu l’agriculture urbaine pour la valorisation des friches. Ici à Bruxelles Environnement, il y a quand même à chaque fois un point d’attention sur la valeur biologique des friches qui est intéressante, cela peut être intéressant de laisser une friche telle quelle et de ne pas la cultiver. Ceci dit, il y a des études en cours actuellement qui tendent à montrer que la valeur biologique d’un potager écologique est tout aussi bonne qu’une réserve naturelle d’un point de vue de la biodiversité. Sur les occupations temporaires, il y a quelques projets, je sais qu’on a mis des moutons sur les friches industrielles près du canal par exemple. Il y a aussi des petits projets comme le potager Alhambra, est-ce que c’est du temporaire ou pas... Il y a le Chant des Cailles effectivement mais qui va se pérenniser, il était prévu comme temporaire... Catherine: C’est ça la crainte des propriétaires aussi, c’est que les projets sont tellement appropriés par la suite, que c’est très difficile de les stopper, ça vaut pour toute sorte d’occupation temporaire mais c’est encore plus difficile pour les projets qui sont liés aux potagers ou à la production alimen-

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taire. C’est une vraie difficulté car l’occupation temporaire généralement est quelque chose qui n’est pas dans la culture bruxelloise. La mettre en place en rassurant les propriétaires, ce n’est vraiment pas évident. On a fait aussi le festival Parckdesign qui en est à sa troisième édition de cette forme-ci. La première fois qu’on a voulu le faire sur des terrains et pas sur du mobilier urbain comme c’était le cas avant, ça a été très dur. On a eu pleins de refus de propriétaires de terrains même en friche depuis quinze ans. Ils avaient peur d’une appropriation. On leur disait bien que c’était un festival qui durait quatre mois qu’après il n’y aurait plus rien... Lison: Ceci dit Parckdesign avec Parckfarm, c’est la même chose ça a été approprié. Catherine: Oui effectivement, mais pour la serre l’intention était de tester et puis de « pouvoir » continuer si ça marchait. On savait qu’on était propriétaire et donc c’était en se disant que ça pourrait se prolonger si ça marchait. Lison: Après, des projets comme on voit ailleurs de fermettes mobiles n’existaient pas encore, la structure de la serre est vraiment pensée pour être mobile, pour permettre une occupation temporaire. C’est pas de l’agriculture en pleine terre. A Paris ils développent l’agriculture dans des bacs et différents vergers. Catherine: L’atelier d’architecture autogéré AAA a baigné là dedans, ils ont fait un potager mobile sur une zone dont personne ne voulait, coincée derrière le périphérique. Mais quand il a fallu le déplacer c’était quand même difficile. Par contre le social qui se développe, ne se transporte pas, c’est ça la difficulté. Ici à Bruxelles il y a eu une tentative à la Gare de l’Ouest mais qui a très vite avorté je ne sais pas trop pourquoi. Mais pour cette zone, l’ADT est en train de faire un master plan dans lequel il est prévu de faire une phase d’occupation transitoire avec des choses qui pourraient se poursuivre et éventuellement se transformer dans le projet final. Il n’est pas mentionné que ce soit de l’agriculture mais c’est surement une option possible. C’est encore sur papier mais ça commence... Et est-ce que vous imaginez une continuité entre certains territoires? J’ai lu un livre récemment qui parlait de territoires productifs continus où une continuité est imaginée entre plusieurs espaces urbains qui rejoindraient la périphérie... Catherine: C’est ce que Metropolitan Landscapes a voulu proposer pour le Schuitbos. Pour l’instant, c’est utopique, tous les terrains ne sont pas libres

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pour le faire, ça reste une image d’ordinateur. C’est pas un projet qui se fait pour être exécuté mais c’est la recherche par le projet qui vise à poser des questions. Et cette question-là était effectivement posée. Lison: Metropolitan Landscapes y a travaillé mais ce n’est pas dans les priorités des politiques ni des citoyens qui sont: comment maintenir les espaces agricoles existants autant professionnels que collectifs, plutôt que de chercher à en créer des nouveaux. Pour la stratégie Good Food, il me semble que vous prévoyez plutôt de la production agricole hors-sol pour l’intérieur de la ville? Lison: Pas seulement, après la ville est comme elle est. L’idée est de pouvoir développer les deux, de faciliter l’accès aux toitures. Et comment vous imaginez cela? Lison: Il y a plusieurs choses. Premièrement travailler sur la réglementation et puis rendre l’information disponible: comment on aménage une toiture, comment on y donne l’accès, etc. En travaillant sur la réglementation, on lance une étude juridique et urbanistique avec Bruxelles Développement urbain qui va scanner toute la réglementation urbanistique régionale et communale pour identifier les freins au développement de l’agriculture urbaine et les leviers. Dans ces freins il y aura entre autres la question des toitures. Par exemple, là il y a le RRU en cours de révision. Comment dans le RRU on pourrait inscrire qu’une toiture végétalisée est aussi une toiture qui peut accueillir des potagers. C’est vraiment travailler sur les aspects réglementaires et cette étude devra vraiment nous aider à cibler les endroits sur lesquels on peut agir pour faciliter la culture hors-sol mais pas seulement. L’idée est aussi de voir si les zones de potagers en ville pourraient bénéficier d’une affectation spécifique qui permettrait de sécuriser ces projets-là. On est en train de finaliser ce marché et les gens sont plutôt ouverts. Catherine: Après, mettre ces propositions dans les règlements en vigueur ce n’est pas gagné d’avance. (...) Lison: On travaille aussi sur la question de la sensibilisation des promoteurs publics et privés à inscrire des surfaces de production dans leurs projets. (...)

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Catherine: L’approche de l’ancienne ministre Huytebroeck c’était de pouvoir avoir un exemple significatif de toiture qui puisse débloquer le frein mental. Actuellement le Colruyt d’Ixelles va développer sa toiture productive et le nouvel abattoir d’Anderlecht aussi. A priori si la production devient «normale» pour ce genre d’acteurs, les futurs projets n’auront plus l’impression d’être des pionniers en la matière, ce qui peut effrayer. Lison: Après il faut voir quelles ambitions on veut y mettre. Pour le moment les propositions de réglementations sont: il faut végétaliser les toitures de plus de 100m2. Maintenant la proposition est de passer à 30 m2 pour les bâtiments publics et à 60m2 pour les autres. On pourrait aller encore plus loin et demander que chaque nouvelle construction d’autant de m2 ait une portance suffisante que pour accueillir des projets agricoles. Pour le moment on essaye de proposer au maximum, après ça va dépendre des discussions qui suivront. A présent le PRAS agricole recense 240 hectares, mais cette affectation ne permet pas d’avoir une multiplicité de fonctions, on peut faire que produire. Ce qui est un frein au développement de l’agriculture urbaine aussi. A priori on ne peut pas vendre à la ferme ni transformer... Ce sont toutes des recommandations réglementaires sur lesquelles il faut travailler. Au niveau des agriculteurs en périphérie susceptibles de changer de production et de l’orienter plus à destination de la ville, ça se dirige comment? Les gens sont assez favorables? Catherine: Non, j’ai encore eu un rendez-vous la semaine passée avec des gens qui sont en contact avec des agriculteurs en Flandre. Les agriculteurs existants n’ont pas l’intention de changer leurs pratiques actuellement. Il faudrait un soutien financier et méthodologique conséquent pour les aider et les convaincre. Il faut établir des plans d’affaire qui leur démontrent qu’ils ne vont pas y perdre. C’est pas le tout d’avoir des subsides, il faut aussi savoir comment faire. Changer leur semble trop dur. Par contre les nouveaux agriculteurs sont intéressés mais ils se heurtent au gros frein que représente l’acquisition des terrains. Lison: Il y a aussi toute une série de paysans autour de Bruxelles qui n’ont pas de repreneurs. Il y a un potentiel de reprise de terres mais elles coûtent cher. Mais il y a une volonté de reconnecter la ville avec la périphérie. Catherine: Il y a effectivement plusieurs organisations qu’elles soient publiques ou semi-publiques qui commencent à se dire que c’est la solution, mais pour l’instant dans les agriculteurs c’est pas encore acquis. Ça va prendre du temps.

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Lison: Les terres agricoles en région bruxelloise sont encore occupées elles aussi par des agriculteurs qui ne nourrissent pas la ville et qui sont dans un bail à ferme de longue durée. Et ça pourrait être envisageable de proposer une réglementation là-dessus? D’obliger en quelque sorte les agriculteurs à s’orienter vers une production spécifique? Lison: Non parce qu’ils sont protégés par leur bail à ferme qui est en plus cessible et c’est très difficile d’interrompre ça. Par contre il y a le droit de préemption mais il faut déjà qu’ils vendent. On a inscrit dans le CoBat que le droit de préemption de la région pourrait aussi s’appliquer aux terres agricoles qui seraient alors confier pour nourrir la ville mais il faut premièrement qu’ils vendent mais aussi que la région réserve des fonds suffisants que pour acheter ces terres. On espère tout doucement qu’il y aura un suivi plus poussé de ces terres agricoles vu qu’on a quand même inscrit dans la stratégie Good Food que 100% de ces terres resteront agricoles en 2020. Il me semble que cette ambition de produire une part importante des aliments consommés par la ville à l’intérieur de celle-ci et dans la périphérie n’est pas encore une « nécessité » mais le moment où ça en deviendra une, à la fin de l’ère du pétrole bon marché par exemple, il faudra peut-être instaurer ce genre de réglementations. Ce serait triste d’attendre le moment où l’on n’a plus le choix. Catherine: C’est toute la question du genre humain à la menace climatique. Tant qu’il n’y a pas de menace sur sa propre survie, il va attendre... La question de l’environnement dans les politiques est une question très complexe. Et en même temps cela peut arriver très vite, comme on l’a vu récemment avec les grèves des routiers, les supermarchés se vident vite. On a l’impression que ça ne nous arrivera jamais... Catherine: Mais tous les éléments sont là, c’est comme pour le climat, ça fait dix ans qu’on connait les problèmes et qu’ils ne font que se confirmer... Les politiciens qui sont responsables de la sécurité alimentaire connaissent la menace mais il y a d’autres choses qui priment comme le nombre d’emplois... Lison: Mais il y a quand même un engouement pour l’agriculture urbaine de manière générale, les formations et les ateliers se remplissent super vite. Au niveau citoyen, il y a une prise de conscience forte. Est-ce que c’est tellement

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pour leur résilience alimentaire propre ou pour la recherche de valeurs, je pense qu’il y a les deux. Je pense qu’à un moment, ça va basculer et qu’il y aura une pression qui fera que les gens auront envie d’avoir accès à la terre, qu’ils auront envie d’occuper les espaces disponibles. Est-ce vous soutenez les initiatives militantes comme celle qui a pris place sur le terrain de la future prison de Haren? Lison: C’est un peu compliqué, en tant que citoyen oui, mais après, c’est Bruxelles Environnement qui a délivré le permis d’environnement. Il n’y a rien dans la réglementation qui empêche cette prison de se faire donc on n’a pas les leviers nécessaires pour s’y opposer. En commission de concertation on peut remettre un avis négatif et puis délivrer un permis, c’est ce que les gens ont parfois du mal à comprendre. On doit s’appuyer sur des réglementations environnementales. Je pensais par exemple à l’ancien aéroport de Tempelhof à Berlin où les habitants se sont opposés au projet de construction qui était prévu pour le site et ont réussi au bout d’un certain temps à obtenir gain de cause. Je me demande si ici ce sont les réglementations qui sont différentes ou alors si ce serait envisageable? Catherine: Le problème est peut être culturel, je ne sais pas, c’est quand même une ville où il y plus d’innovations sociales. Lison: On verra ce que va devenir le Chant des Cailles. Je pense que les choses changent mais doucement. (...) Catherine: Pour ce qui est des terrains, la commune de Neerpede a mis à disposition des terrains pour développer un espace test maraicher. C’était un terrain qui était jusqu’à présent filé de mains en mains et sur-pâturé par des chevaux. C’est très positif et à priori, si ça marche, ça se propagera. Anderlechet est propriétaire de plus grands terrains qui pourraient servir aussi. Lison: Les CPAS sont de grand propriétaires aussi. Celui de Berchem a pour projet de réhabiliter un ancien terrain de foot pour faire un projet agricole, le CPAS de Bruxelles a aussi des terrains et regarde ce qu’il se passe ailleurs. On soutient aussi d’autres projets comme celui du SPIN farming à Uccle. Ils peuvent aussi s’adapter à d’autres lieux comme Bruxelles mais de nouveaux ils sont prudents. Ils attendent de voir si leur modèle est viable et si ça tient la

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route avant de lancer d’autres projets. Pour revenir à la stratégie Good Food, y a-t-il déjà des objectifs chiffrés qui vous semblent irréalisables? Lison: Non, si on les a mis, je pense que c’est faisable. Ça demande une bonne dose de volonté de la part de tout le monde. On va actuellement faire la « base line » pour voir à combien s’élève le pourcentage de production alimentaire actuellement à destination de Bruxelles. Les 30% qu’on doit atteindre pour 2035 ont été calculé par la faculté de Gembloux. Mais c’est clair que c’est ambitieux. Est-ce que vous pouvez me donner des informations supplémentaires sur le projet BoerenMetPaysans? J’ai lu la brochure qui était disponible en ligne mais je me demandais comment ça évoluait, notamment l’espace test agricole de Neerpede. Catherine: J’ai un petit schéma qui récapitule le projet justement. Donc ça se situe près d’Erasme. Le site comprend plusieurs bâtiments régionaux dont l’un qui doit être rénové. On y a prévu un restaurant, un point d’infos, un magasin à la ferme, du stockage et des locaux administratifs pour le projet. Il y une partie du terrain qui serait destinée à mélanger des aspects citoyens et professionnels. La Maison Verte et Bleue va se situer en face dans leur nouveau siège social et s’occupe de la sensibilisation au public. Il y aussi un atelier de transformation en location à l’heure et un autre atelier de transformation avec du coaching pour pouvoir susciter entrepreneuriat pour des publics qui n’ont pas toutes les compétences pour démarrer tout seul. Et alors pour la production alimentaire professionnelle, on prévoit l’espace test sur la vallée du Vogelzang avec un bâtiment administratif et des champs. En parallèle on prévoit de chercher de nouvelles terres soit pour les fermiers qui sortent du test, soit pour ceux qui veulent directement commencer. On essaye de développer des circuits diversifiés les plus courts possible mais aussi de susciter la transition des fermes existantes. Voila, tout ça en un projet qui s’est plus ou moins concrétisé en cinq ans et avec six partenaires. Prochainement il y a la journée portes ouvertes qui est prévue et cet été on prévoit aussi des événements comme Parckdesign, le collectif Baya qui va construire un village temporaire... Mais bon, tout cela prend du temps, on compte introduire le permis de rénovation de la ferme en fin d’année prochaine, c’est très lent. Heureusement l’espace test a déjà pu commencer, pour le moment leurs locaux sont dans des containers. On a également des ennuis de pollution pour le terrain boisé. Il se divise en deux, plus ou moins symétriquement, et une des deux parties est polluée.

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Et la dé-pollution est très chère non? Catherine: Oui, on a reçu un premier avis qui conseille d’enlever quarante centimètres et de les remettre mais bon le terrain fait 4.000 m2 en tout... C’est un gros problème pour tous les terrains qui se situent en périphérie et qui sont cultivés actuellement de manière conventionnelle non? Catherine: Généralement si ce sont des terrains agricoles depuis longtemps, même s’il sont couverts de pesticides depuis longtemps, ce ne sont pas des pollutions qui sont dangereuses. Il y a une période de reconversion, en deux ans on les a relativement éliminé et on arrive à reconstruire le sol. Mais ici ce sont des solvants, des métaux lourds, ce sont des choses qui ne peuvent pas disparaitre comme ça. Alors on pourrait tout bétonner et cultiver en hors-sol mais bon le terrain est très grand... On peut potentiellement cultiver des fruits. Mais ce terrain est abandonné depuis quinze ans et on ne sait pas d’où viennent ces polluants. Le spécialiste a dit que ça provenait probablement de terres de remblais. Mais la pollution du sol c’est vraiment un frein très important, surtout en ville. Là, comme on est un peu excentrés on s’attendait à ne pas en avoir... Ce qui prend énormément de temps c’est d’établir la marche à suivre. Parce que ce n’est parce qu’il y en a une que c’est grave, parfois on peut juste arriver à la gérer et à mettre à cet endroit-là les toilettes par exemple. Ils font d’abord une reconnaissance du sol, ils prennent plusieurs échantillons et avec ça ils délimitent l’endroit potentiel de la pollution, ensuite ils font une reconnaissance détaillée et ils délimitent précisément l’étendue de la pollution. Par après, ils font une étude du risque: ce que ça représente pour la santé humaine et pour l’environnement et pour finir, ils font une étude de la gestion du risque. Et donc même quand il y a des métaux lourds dans le sol, on peut planter des arbres fruitiers? Catherine: Oui justement, ça dépend lesquels, mais apparemment les fruitiers ce serait le moins pire. (...)

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C ampus en transition J uin 2016, I xelles

potager du solbosch

EntrĂŠe du potager


DiffĂŠrents types de cultures


1000

bxl en transition , potager de l ’ alhambra

juillet

2016, B ruxelles

entrĂŠe du potager


IntĂŠrieur du potager


V ert d ’ iris , betteraves J uillet 2016, A nderlecht

en zo voort

Agro-foresterie et serres


P arckdesign 2016, ÂŤ

jardin essentiel

2.500 m2 de plantes aromatiques et fleurs comestibles

Âť du parc duden J uillet 2016, F orest


L a P ousse

qui

P ousse

J uillet 2016, I xelles

PÊpinière et potager


Potager et espace de convivialitĂŠ


F erme

A vril &

urbaine du dĂŠbut des haricots juillet

2016, N eder -O ver -H embeek , B ruxelles

Étendue du terrain et champ de mais en arrière plan


Tunnels en avril et en juillet


Tunnel, pÊpinière, Cabane en torchis


Cabane en torchis, poulailler et plan de l’exploitation


P otager E rnotte juillet

2016, I xelles

Zone d’entrÊe vers les potagers


Premier potager Ă proximitĂŠ de la voirie


P arckfarm

tour

&

taxis

S eptembre 2014, B ruxelles

Potager collectif, poulailler et farmhouse


Table paysage et usine du trÊsor noir (toilettes sèches)


C hant

des

C ailles

J uillet 2016, W atermael -B oitsfort

Potager collectif et maraÎchage en arrière plan


Potager collectif


A cteurs

du

RABAD

agriculture urbaine

agriculture et alimentation

Bio

horeca

éducation en alimentation durable

alimentation saine et diététique

alimentation saine pour les personnes précarisées

238


Logistique

stratĂŠgie

Good Food

gaspillage alimentaire

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