www.barillacfn.com info@barillacfn.com Conseil Consultatif Barbara Buchner, Claude Fischler, Mario Monti, John Reilly Gabriele Riccardi, Camillo Ricordi, Umberto Veronesi En collaboration avec The European House-Ambrosetti Coordination éditoriale et rédaction Codice Edizioni Projet graphique et mise en page adfarmandchicas Nouveaux modèles pour une agriculture durable (novembre 2011) Images National Geographic Image Collection Corbis Images Image de couverture : Corbis
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hers Lecteurs, nous vivons une époque où l’agriculture montre tous les jours sa fragilité. Pendant des décennies et en dépit de sa complexité, nous nous sommes habitués à la considérer comme un domaine d’activité modeste à faible valeur ajoutée, somme toute pauvre en contenus techniques et scientifiques d’avant-garde, à l’abri de risques de discontinuité structurelle. Plus son importance à l’intérieur des économies des Pays occidentaux diminuait, plus le niveau d’attention de l’opinion publique s’abaissait. Le réveil n’aurait pas pu être plus brusque : depuis quelques années les crises de marché, la diminution des taux de croissance de la productivité, l’apparition de graves problèmes de distribution ont replacé le secteur agroalimentaire au centre du débat politique et économique international. Les inquiétudes sur le fait que la filière agroalimentaire globale puisse être exposée à des chocs structuraux ont notamment commencé à faire surface. D’autre part, il apparaît toujours plus évident que pour supporter les grands phénomènes de changement démographique, climatique, géopolitique et économique qui intéressent la planète, l’agriculture devra rechercher et trouver de nouveaux équilibres sur une moyenne et longue durée. C’est de cette prise de conscience que naît notre intérêt pour le thème des paradigmes agricoles. La transition vers une agriculture plus durable ne pourra se faire, en effet, qu’à travers l’adoption progressive de modèles de culture en mesure de produire une nourriture saine et de bonne qualité et d’accéder aux circuits commerciaux globaux. Ces modèles, en équilibre avec l’environnement naturel (grâce aussi à des profils d’efficience productive adaptés), doivent permettre de soutenir l’impact des effets des changements climatiques, tout en étant en harmonie avec les contextes sociaux dont ils doivent contribuer à favoriser le développement. Dans ce document, nous avons essayé de décrire les différents modèles productifs et les diverses options disponibles, en tenant compte de leurs implications économiques et sociales. Pour ne pas nous limiter à une simple description de la réalité, nous avons utilisé un modèle pour simuler l’impact que les variations dans les pratiques agricoles courantes auraient sur la quantité de nourriture disponible au niveau mondial. Ainsi, il a été possible de faire des hypothèses sur des scénarios différents, en attribuant des valeurs distinctes aux variables en jeu. Les simulations réalisées ont confirmé la fragilité du système agricole global et l’urgence d’interventions correctives. En particulier, la recherche de solutions basées sur des approches à basse consommation d’énergie et sur des connaissances de haut niveau deviendra un des conditions sine qua non pour la durabilité. Dans ce document, nous citons également certaines activités de recherche conduites par le Groupe Barilla. Il ne s’agit pas d’une occasion pour promouvoir de manière inopinée l’entreprise, par rapport à laquelle le BCFN jouit d’une totale indépendance, mais d’un témoignage sur ce qu’une entreprise peut faire concrètement pour aider à résoudre les problèmes. Cette expérience nous a ainsi confirmé que l’impact des activités vouées à créer une valeur économique durable et généralisée peut être important pour tout le système d’acteurs.
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Je vous souhaite à tous une bonne lecture, Guido Barilla
La vision du Barilla Center for Food & Nutrition
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Offrir différentes contributions scientifiques de haut niveau . Devenir un outil pour les institutions, la communauté scientifique, les médias et la société civile : un point de rencontre pour tous ceux qui s’intéressent à l’alimentation, à l’environnement, au développement durable et à ses conséquences sur la vie des personnes.
L’avenir de l’alimentation se développe AVEC NOUS
Le BariLLa Center For Food & nUtrition
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e Barilla Center for Food & Nutrition (BCFN) est un centre d’analyse et d’élaboration de projets, caractérisé par une méthode pluridisciplinaire, qui poursuit le but d’approfondir les grandes questions du débat global concernant l’alimentation et la nutrition. Né en 2009, le BCFN s’est donné la mission de se pencher sur les exigences actuelles et émergentes de la société, en recueillant des expériences et des compétences de niveau mondial et en favorisant un dialogue constant et ouvert. Du fait de la compléxité des phénomènes pris en compte, il nous a semblé nécessaire d’adopter une méthodologie permettant de dépasser les fontières de différentes disciplines et nous avons créé quatre sections d’études : Food for Sustainable Growth, Food for Health, Food for All, Food for Culture. Ces quatre sections d’étude concernent la science, l’environnement, la culture et l’économie, dont le BCFN examine en profondeur les sujets clés, en suggérant des propositions pour relever les défi s alimentaires du futur.
FOOD FOR SUSTAINABLE GROWTH Dans la section Food for Sustainable Growth, le Barilla Center for Food & Nutrition a l’intention d’approfondir la question de la meilleure utilisation des ressources naturelles dans la filière agroalimentaire. En particulier les analyses faites ont permis d’identifier les points critiques, d’évaluer l’impact sur l’environnement des activités de production et de consommation de la nourriture et d’élaborer une série de propositions et de recommandations sur les modes de vie personnels et collectifs qui peuvent agir d’une manière positive sur l’environnement et les ressources naturelles.
FOOD FOR HEALTH Dans la section Food for Health, le Barilla Center for Food & Nutrition a décidé de commencer son parcours d’étude en examinant le rapport existant entre l’alimentation et la santé. Nous avons analysé en profondeur les nombreuses recommandations élaborées par les plus grandes organisations mondiales de nutrition et interrogé à travers des panels ad hoc les plus grands experts internationaux. Ces travaux nous ont permis de faire à la société civile plusieurs propositions concrètes ayant pour but de favoriser une alimentation et un mode de vie sains.
FOOD FOR ALL Dans la section Food for All, le Barilla Center for Food & Nutrition développe la question de l’accès à la nourriture et de la malnutrition dans le but de réfl échir sur la manière de favoriser une meilleure administration du système agroalimentaire à l’échelle globale, pour rendre possible une distribution plus équitable de la nourriture et favoriser un meilleur impact sur le bienêtre social, la santé et l’environnement.
FOOD FOR CULTURE Dans la section Food for Culture, le Barilla Center for Food & Nutrition a l’intention de décrire le rapport de l’homme avec la nourriture. En particulier, le BCFN a voulu reconstruire les étapes les plus importantes du parcours qui ont accompagné le développement de la relation hommenourriture, en se refocalisant sur le rôle fondamental de la Méditerranée et de ses dimensions saillantes. Dans ce cadre, les activités du BCFN sont pilotées par l’Advisory Board, un groupe formé de spécialistes, provenant de disciplines différentes mais complémentaires, qui propose, analyse et explore des thématiques, élaborant ensuite des propositions de recommandations. Un ou plusieurs advisor ont été choisis pour chaque section : la spécialiste en énergie, changement climatique et environnement Barbara Buchner et l’économiste John Reilly pour la section Food for Sustainable Growth ; l’économiste Mario Monti pour la section Food For All ; l’oncologue Umberto Veronesi, le nutritionniste Gabriele Riccardi et l’immunologiste Camillo Ricordi pour la section Food for Health ; le sociologue Claude Fischler pour la section Food for Culture.
La durabilité dans le secteur agroalimentaire occupe une place centrale et l’occupera encore dans un futur proche non seulement dans les Pays développés – qui après des années d’agriculture intensive se retrouvent aujourd’hui à devoir faire face à des risques liés à de possibles crises énergétiques et à une pénurie des ressources du sol –, mais aussi dans les Pays en voie de développement qui adoptent des modèles agricoles modernes et moins envahissants, espérant ainsi augmenter l’output et la qualité de leurs cultures sur une longue durée. L’objectif de ce document est de repérer et d’examiner les principaux facteurs liés à de telles dynamiques, analysant les contributions les plus récentes de la communauté scientifique et institutionnelle, les études de cas et les bonnes pratiques qui font l’objet d’un intérêt majeur au niveau mondial, afin de contribuer au débat actuel, pleinement en cours dans la communauté européenne et, enfin, de proposer des analyses, des réflexions et des orientations politiques de vaste échelle sur ce sujet.de pouvoir proposer des mesures politiques efficaces.
Stephanie Maze/National Geographic Stock
Le journal de position Nouveaux modèles pour une agriculture durable constitue la troisième étape d’un parcours commencé par le Barilla Center for Food & Nutrition avec les documents L’agriculture OGM est-elle durable ? (2010) et Au-delà des OGM : les biotechnologies dans le domaine agroalimentaire (2011). Nous sommes partis de l’analyse des biotechnologies agroalimentaires, depuis longtemps au centre d’un vaste débat, pour ensuite élargir le champ et passer à l’analyse des principales caractéristiques des différents modèles de production afin d’évaluer les profils (actuels et futurs) de durabilité. Ce document tente d’approfondir un thème clé, surtout pour le futur : l’identification de pratiques et de modèles agricoles qui soient réellement durables, d’après une interprétation holistique et multifonctionnelle de la “durabilité” dans le domaine agricole.
indEX
Résumé
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1. Le futur de l’agriculture et la durabilité Box Nourriture, agriculture et pénurie des ressources naturelles Box Quelques données sur la malnutrition et la sous-nutrition
19 22 25
2. L’agriculture aujourd’hui : les principaux “modèles agricoles” 2.1 Un schéma interprétatif Box Les modèles agricoles et sur les bonnes pratiques agricoles 2.2 Les principaux modèles agricoles pratiqués aujourd’hui : de la taxonomie à leur application concrète Box Le cas d’Oaxaca (Mexique) Box Culture labour zéro dans le nord du Kazakhstan Box Le cas de la République Démocratique Populaire de Corée Box Le cas de la Nouvelle-Zélande Box Le cas des Fermes Earthbound de Carmel (Californie, USA) Box Le cas de Tigray (Éthiopie)
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3. Durabilité des systèmes de culture basés sur le blé dur en Italie : le cas Barilla Box Les indicateurs choisis Box Le décalogue Barilla de la culture durable du blé dur de qualité Box Les résultats d’un étude sur le blé dur au Canada
31 32 35 36 39 41 43
45 49 55 56
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4. Un modèle d’analyse et de simulation 59 Box Quelles réflexions pour une Politique Agricole Communautaire durable ? 64 5. Conclusions
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Annexe. Hypothèses, recherches et résultats intermediaires du modèle de simulation BCFN-Millennium Institute
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Notes et références
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Nouveaux modèles pour une agriculture durable
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a complexité du système agricole nous oblige à tenir compte d’un grand nombre de variables qui influencent – directement et indirectement – l’agriculture en termes d’efficience et de durabilité. À côté du système de production agroalimentaire à proprement parler (filière productive), les aspects de caractère énergétique, la qualité du sol, la disponibilité/utilisation des ressources hydriques, la (agro)biodiversité et l’impact socio-économique de l’agriculture au niveau local se sont révélés d’une importance fondamentale. En plus de la variable “démographie”, les phénomènes migratoires sont particulièrement intéressants ainsi que l’impact que les différents modèles agricoles ont sur la sécurité alimentaire et sur la santé humaine. Enfin, parmi les grands thèmes “de fond”, dans l’évaluation des systèmes agricoles, il faut tenir compte des habitudes alimentaires et des conséquences du changement climatique. L’agriculture, dans toute sa complexité, montre chaque jour sa fragilité et son exposition à des chocs possibles qui pourraient agir contre un ou plusieurs de ses facteurs constitutifs : elle doit donc trouver de nouvelles formes d’équilibre qui la rendent durable sur une longue période. Une agriculture plus durable ne pourra s’obtenir qu’à travers l’adoption progressive de modèles agricoles qui devront permettre de produire une nourriture saine et de bonne qualité, être en mesure d’accéder aux circuits commerciaux globaux et être “en équilibre” avec l’environnement naturel (grâce aussi à des profils d’efficience productive adaptés); enfin, ils devront être aptes à soutenir l’impact des changements climatiques tout en étant en harmonie avec les contextes sociaux dont ils doivent contribuer à favoriser le développement. Généralement, il est possible de représenter les approches alternatives à l’agriculture de façons différentes, mais il existe principalement trois aspects fondamentaux : socio-économiques, technologiques et environnementaux. D’après la FAO, les systèmes de production agricole se divisent en trois catégories principales1: les systèmes HEI (High External Input), les systèmes IEI (Intermediate External Input) et les systèmes LEI (Low External Input). Dans ce cadre, il est essentiel d’observer l’intensité des ressources non renouvelables consommées. Pour ne pas se limiter à une simple description de la réalité existante, pour interpréter les typologies des modèles agricoles actuels et pour essayer de proposer des alternatives pour le futur, le BCFN a élaboré – en collaboration avec le Millennium Institute – un modèle de simulation de l’impact que des variations dans les pratiques agricoles courantes pourraient avoir sur la quantité de nourriture disponible au niveau mondial. Si nous tenons compte des différents scénarios de l’évolution de l’agriculture, de quelle façon des chocs externes très forts – que l’augmentation du prix du pétrole résume de manière extrêmement significative – pourront-ils avoir un impact sur le système agricole
Quels résultats avons-nous obtenus? Si nous imaginons une disponibilité d’énergie constante sur une période de 80 ans, le scénario de production qui donnerait un plus grand rendement — en termes de durabilité — est le système Strong HEI Growth, suivi du scénario BAU (Business As Usual) et, enfin, du scénario Stopped HEI Growth. Dans un contexte de développement global simplifié, dans lequel les réductions possibles dans la disponibilité de tous les éléments qui composent le profil de durabilité ne sont pas prises en considération, et en partant du principe qu’il n’y aura pas de chocs énergétiques, une politique pro Strong HEI Growth conduirait à produire une disponibilité globale de calories bien supérieure à celle requise. Cependant, même le scénario Stopped HEI Growth semblerait permettre de fournir dans tous les cas un apport calorique dans l’ensemble plus qu’adapté. Ceci indique que dans le futur toutes les calories resteront probablement disponibles. Malgré cela, l’hypothèse d’une disponibilité constante d’énergie apparaît en tout état de cause irréaliste : les sources fossiles sont en constante diminution et les énergies renouvelables ne constituent pas encore une alternative valable. Il est donc plausible qu’un choc puisse se vérifier à un certain moment dans l’offre énergétique globale, un choc qui mettrait à dure épreuve les systèmes à forte consommation énergétique comme les modèles HEI. Ces modèles deviendraient économiquement insoutenables et peu rentables, et le passage à des modèles plus efficients d’un point de vue de l’utilisation de l’énergie provoquerait de graves problèmes. Les coûts du changement de production se manifesteraient en termes de baisse des productions disponibles et de temps employé pour l’acquisition de savoir-faire nécessaire à la transition. Les résultats de la simulation montrent comment, en cas de réduction de la disponibilité énergétique à partir de 2025, une approche à faible contenu d’input externes ménerait à un résultat Worse-Before-Better (WBB), c’est-à-dire à une faible productivité à court terme avec un retour à des niveaux plus élevés de rendement sur un moyen et long terme. En cas de crise énergétique, les résultats dépendent fortement du temps que les systèmes mettent à passer d’une agriculture HEI à une agriculture LEI (dans la direction d’un scénario Stopped HEI Growth). Si le passage se fait rapidement, les résultats du choc Strong HEI Growth-Energy et du choc BAU-Energy sont moins négatifs.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
RÉSUMÉ
mondial ? Et notamment, quels seront les effets en termes de nombre de kcal disponibles par personne et par an au niveau mondial ? À l’aide du modèle proposé, nous avons pu simuler différents scénarios : certains demandent une disponibilité abondante d’énergie, d’autres font l’hypothèse d’une future flambée du prix du pétrole, à laquelle suivrait une forte croissance des prix des fertilisants inorganiques (et par conséquent une baisse de leur utilisation). Les macro-scénarios d’évolution du système agricole mondial qui ont été testés dans leurs implications futures sont : - Scénario Business As Usual (BAU) : les pratiques agricoles qui ont un niveau élevé d’input externe couvriront 60% de l’ensemble des régions cultivées en 2050 ; - Scénario Strong HEI Growth : les pratiques agricoles qui ont un contenu élevé d’input externe se généraliseront à un rythme accéléré jusqu’à couvrir 90% du total des régions cultivées en 2050 ; - Scénario Stopped HEI Growth : les modèles qui utilisent largement les input externes ne seront pas suffisamment répandus et maintiendront par conséquent le quota actuel des terres cultivées à seulement 45% en 2050.
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Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Etant donné les analyses, les simulations et les réflexions faites, quelles sont les conclusions ? La complexité de l’agriculture ne permet pas de tirer des conclusions univoques. Toutefois, certains principes de fond apparaissent : un ensemble de preuves, de réflexions et de lignes de tendance qui caractérisent une approche concrète possible à une durabilité réelle. Nous considérons comme fondamentaux notamment les sept points suivants : 1 L’agriculture durable se caractérise par une approche conceptuelle et opérative systémique. Dans le futur, pour la durabilité il faudra apprendre de plus en plus à “garder ensemble”, sur la base d’une approche multidisciplinaire, la dimension sociale, environnementale, économique et de la recherche et du développement. Ces approches, qui poursuivent des objectifs partiels, même si de manière très efficace, pourront dans le meilleur des cas avoir des succès à court terme dans une des dimensions, mais elles n’aideront pas à remporter le défi de la durabilité. 2 L’agriculture durable est basée sur un nombre élevé de pratiques agricoles déjà connues.
La connaissance disponible, faite de notions scientifiques et de pratiques consolidées, s’est cristallisée à l’intérieur de quelques grands principes pratiques qui ont inspiré l’agriculture réellement durable. Il s’agit, en gros, de cultiver une gamme plus vaste d’espèces végétales en partant d’une utilisation systématique des rotations des cultures, de minimiser les interventions mécaniques sur le terrain et de maintenir une couverture protectrice organique sur la surface du terrain. Ces pratiques/techniques – associées à l’utilisation de variétés végétales à haut rendement, à l’emploi optimisé des fertilisants organiques et inorganiques, à la gestion intégrée des parasites et des maladies à travers des pratiques appropriées, et associées si nécessaire à une gestion efficiente des ressources hydriques – permettent, avec un même macro-modèle de référence (HEI, LEI, IEI), d’obtenir de meilleures prestations en termes de durabilité. 3 Le “savoir” agronomique est peu répandu.
Dans le domaine agricole, un patrimoine de connaissances disponibles d’une valeur extraordinaire a été accumulé au cours des années, utilisé que partiellement aujourd’hui. Dans certains cas, cela s’explique par l’absence de processus efficaces pour le transfert du savoir-faire ; dans d’autres cas, parce qu’on pense que la technologie disponible rend superflue, du moins en partie, une connaissance approfondie des dynamiques naturelles. Il en ressort l’exigence de renforcer la base de capital humain présent dans l’agriculture
pour combler le vide entre connaissances disponibles et compétences individuelles et de système. Sur cet aspect, il faudra programmer des plans d’investissement significatifs car il s’agit du principe de base pour chaque développement qui se veut durable. 4 Des modèles agricoles corrects pour des contextes spécifiques : l’objectif est de réduire les input externes.
À notre avis, il n’existe pas à priori de bons ou de mauvais paradigmes agricoles. Il existe certainement des modèles HEI, qui se révéleront selon nous non durables dans les faits, et des modèles LEI, qui ne pourront pas être développés dans tous les contextes. Parallèlement, une vaste gamme de réalités prend forme, c’est-à-dire celle des IEI (Intermediate External Input) qui, à côté des LEI, peuvent être gérées de manière adéquate, en fonction des exigences de durabilité citées ci-dessus. En d’autres termes, ce qui compte, c’est la ligne de tendance, c’est-à-dire le déplacement vers des paradigmes IEI toujours plus durables et l’équilibre entre les modèles à l’intérieur des macro-régions. Au contraire, pour les pays en voie de développement, il faut adapter et revoir les modèles pour les ajuster aux caractéristiques spécifiques de la réalité locale. 5 Biodiversité comme instrument pour une gestion correcte du risque.
Une approche pragmatique et sans préjugés du choix entre les différents paradigmes agricoles permet – pour l’élaboration d’une politique – d’optimiser la résilience des systèmes agricoles. En effet, une gestion correcte de la biodiversité et la coexistence de modèles différents, tous pensés en termes de durabilité, amplifient les possibilités de répondre aux évènements adverses et la recherche d’objectifs spécifiques pour des systèmes, parfois alternatifs (par exemple, une qualité maximale contre de grands volumes). 6 Investissements dans des technologies pour rendre l’agriculture plus apte à s’adapter aux
changements. La technologie aussi – dans notre lecture – prend une connotation différente de celle qui domine trop souvent. En effet, quand on parle aujourd’hui de technologies en agriculture, souvent on ne se réfère qu’au thème de la productivité et des rendements, pensant qu’il suffit d’améliorer chaque variété pour les augmenter. Cependant, la capacité d’adaptation est fondamentale. Elle s’exprime dans la gestion intégrée et harmonieuse d’un large éventail d’instruments et de logiques de gestions : des variétés végétales résistantes au stress, une gestion des systèmes avancés d’irrigation, une approche scientifique de la fertilisation, etc. 7 Les facteurs exogènes de la durabilité en agriculture : gaspillage et pertes alimentaires et
biocarburants. N’oublions pas qu’une grande partie des problèmes qui touchent le système agricole et agroalimentaire est étrangère aux choix des modèles agricoles et à la recherche de leur optimisation. Certains phénomènes ont tendance à amplifier le thème central des volumes de production, aux dépens d’une approche dans l’ensemble plus équilibrée : il s’agit surtout du gaspillage alimentaire qui prend des proportions réellement inquiétantes et qui représente un défi pour la durabilité agricole future. Parallèlement, pour les choix de l’allocation des ressources (aussi bien financières que physiques) dans le domaine agricole, une question qui occupe une place centrale se pose : celle de la production de biocarburants. Autant pour le thème du “gaspillage” que pour celui du “biocarburant”, la gestion inadéquate du problème d’un côté, et les choix discutables dans le domaine de la politique énergétique de l’autre, se traduisent en pressions très fortes pour que le système de l’agriculture remédie aux carences qu’il ne devrait pas prendre en charge.
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Notre simulation met en évidence la fragilité du système agricole global, avec laquelle il faudra se mesurer en organisant un mélange équilibré de modèles agricoles, construits pour faire face aux phénomènes de pénurie. La réalité est évidemment beaucoup plus complexe. En plus de possibles chocs énergétiques, en effet, nous trouvons de nombreux autres facteurs de risque à long terme : la disponibilité en eau, l’adaptation aux phénomènes atmosphériques, etc. Cependant, le résultat met en évidence un des thèmes les plus importants dans une perspective future : la recherche de solutions basées sur des approches à faible consommation énergétique et sur une réflexion soutenue deviendra un des aspects décisifs de la durabilité. Dans le document, il est possible de trouver des exemples concrets d’application des différents modèles agricoles, dont le résultat d’une enquête conduite par le Groupe Barilla pour identifier de quelle façon améliorer la durabilité de la culture de la principale céréale utilisée, le blé dur.
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Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
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1. LE FUTUR DE L’AGRICULTURE ET LA DURABILITÉ
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1. LE FUTUR DE L’AGRICULTURE ET LA DURABILITÉ
Figure 1.1. Le modèle élaboré par l’IAASTD pour représenter le système complexe de l’agriculture (S = Same; O = Opposite; R = Reinforcing; B = Balancing)
Perte de terre et inondations Perte de terre
Secteur énergétique
Production de biocarburants Utilisation du pétrole pour les fertilisants
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
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ette revue de position constitue la troisième étape d’un parcours commencé par le Barilla Center for Food & Nutrition1 avec les documents L’agriculture OGM est-elle durable ? (2010) et Au-delà des OGM : les biotechnologies dans le domaine agroalimentaire (2011). Nous sommes partis de l’analyse des biotechnologies agroalimentaires, depuis longtemps au centre d’un ample débat, pour ensuite élargir le champ et passer à l’analyse des principales caractéristiques des différents modèles de production afin d’évaluer leur durabilité. La complexité du système agricole nous oblige à tenir compte d’un grand nombre de variables qui influencent – directement ou indirectement – l’agriculture en termes d’efficience et de durabilité. À côté du système de production agroalimentaire à proprement parler (la filière productive), les aspects de caractère énergétique se sont révélés d’une importance fondamentale (utilisation/production d’énergie, notamment des combustibles fossiles), la qualité du sol (perte/appauvrissement) et la disponibilité/ utilisation des ressources hydriques (manque d’eau et son utilisation), la (agro)biodiversité et l’impact socioéconomique de l’agriculture au niveau local. En plus de la variable “démographie” (à évaluer surtout en termes de perspective), les phénomènes migratoires sont très importants (surtout dans les contextes socioéconomiques les plus critiques) ainsi que l’impact que les différents modèles agricoles ont sur la sécurité alimentaire et sur la santé humaine (épidémies, sous-nutrition, malnutrition). Enfin, dans l’évaluation des systèmes agricoles, il faut tenir compte des habitudes alimentaires (actuelles et futures, occidentales ou pas) et des conséquences du changement climatique (augmentation des températures moyennes, changements dans les précipitations, phénomènes extrêmes, etc). Toutes ces variables, dans leur interaction réciproque, concourent à décrire un phénomène – celui de l’agriculture – articulé et complexe, qui montre chaque jour sa fragilité (il suffit de penser au problème irrésolu de l’accès à la nourriture, destiné également à s’aggraver à cause de la réduction des terrains cultivables, de la pollution et de l’érosion des ressources génétiques) et qui, en raison de possibles chocs qui pourraient agir contre un ou plusieurs de ses facteurs constitutifs, devra trouver de nouvelles formes d’équilibre pour pouvoir être durable à long terme. Etant donné une telle complexité, l’agriculture durable peut être définie comme « la production d’aliments qui utilise au mieux les biens et les services offerts par la nature, sans les endommager »2. Comme nous le rappelle la FAO, elle doit donc : « contribuer à préserver les ressources naturelles, concourir à la protection de l’environnement, être adaptée au contexte de référence – du point de vue des techniques employées – et, enfin, être acceptable sur le plan économique et social »3. Les raisons de l’intérêt croissant pour ces formes d’agriculture plus durables, par rapport aux modèles aujourd’hui dominants, se situent dans une prise de conscience croissante de l’impact de l’activité agricole sur l’environnement, ainsi que dans la prise de conscience d’une possible pénurie (pas uniquement dans une perspective future) des ressources qui jusqu’à maintenant ont soutenu le développement de l’agriculture, à commencer par le pétrole.
S Différence
B
Accès à l’agriculture
Capacité du Production de terrain Consommation B de nutriments du sol nutriments du sol S
Population humaine Naissances S Morts humaines humaines
Calories par personne
Densité de population
S
Calories végétales Production Consommation de plantes des plantes Sécheresse
S
S
S
S
Demande en eau
Eau douce
S
S
S
Standards de vie élevés S
Température globale
S
Migration
Calories végétales pour l’utilisation humaine
S
Irrigation
Production de méthane S
Réchauffement global
S
Population humaine
S
Calories végétales pour la production de viande S Variation dans les S niveaux des précipitations
S
S
S
S
S
S
de calories
Conversion des habitats
Demande de R fertilisants R Résidu toxique
Salinisation du terrain
Famines
Migration
Réalisation de variété alimentaire dans le Premier Monde
Calories de la viande Production Consommation de viande de viande
Source : IAASTD, 2011 (présenté à l’Advisory Board du BCFN le 17 février 2011).
Les cinquante dernières années ont été caractérisées par une évolution rapide de l’activité agricole – même s’il s’agit d’une évolution asymétrique entre les différentes parties du monde – vers l’adoption de technologies qui permettent d’augmenter la productivité des facteurs employés et une modernisation générale des techniques de production. Dans certains contextes géographiques, à partir des années 1960 et 1970, l’introduction parallèle de variétés végétales qui répondent fortement aux facteurs de production (les ainsi dits HYV, High-yielding Varieties), la pratique de la monoculture, la diffusion de la mécanisation, la contribution de l’agrochimie (l’utilisation massive de pesticides, d’herbicides, de fongicides, de fertilisants synthétiques développés à travers l’emploi d’azote, de phosphore et de potassium) ont contribué à une augmentation extraordinaire – du moins sur une courte et moyenne durée – des volumes de production (avec une même force de travail) surtout pour le blé, le maïs et le riz, générant autant d’économies d’échelle tout au long de la filière. Ce modèle a, d’un côté, permis d’inaugurer une longue saison de productivité élevée et des biens alimentaires à bas prix, et de l’autre, a comporté – comme nous le rappelle le rapport Agriculture at a Crossroads de l’IAASTD – une exploitation intensive et souvent irréversible des ressources naturelles : érosion du sol, contamination de l’eau, pollution des bassins hydrogéologiques, déforestation, perte de la biodiversité. C’est aussi pour cela que, ces dix dernières années, la tendance à la hausse de la productivité agricole s’est nettement réduite jusqu’à atteindre une phase de “stagnation des rendements”. Ceci est évident lorsqu’on analyse par exemple la courbe des rendements du maïs par hectare aux États-Unis (figure 1.2.) et du blé. Pendant ce temps, la critique du modèle de monoculture intensive a conduit à l’expérimentation d’approches plus attentives à la durabilité globale.
S
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
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l’agriculture durable peut être définie comme la production d’aliments qui utilise au mieux les biens et les services offerts par la nature sans les abîmer
Catastrophes liées à la santé
Besoin de calories par personne S
S S
Production de nourriture
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Figure 1.2. Tendance du rendement du maïs par hectare – USA (tonnes par hectare, 1961-2009) 11
CAGR 98-09 1,6%
10
CAGR 86-98 1,5%
9 CAGR 75-86 2,0%
8 7
CAGR 64-75 3,0%
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Rendement annuel par hectare (tonne par hectare)
2009
2007
2005
2003
2001
1999
1997
1995
1993
1987
1985
1983
1981
1979
1977
1975
1973
1971
1969
1967
1965
1963
3 1961
coles et des forêts : environ 30% des émissions globales de gaz à effet de serre ; - l’intense exploitation des zones de pêche : 32% ont été exploitées en excès, appauvries ou épuisées et 52% exploitées pleinement ; - la réduction des ressources hydriques disponibles : désormais 70% environ sont utilisées ; - l’utilisation de 80% du phosphore disponible, avec des gisements en rapide diminution dans les trois principaux Pays producteurs ; - la forte dépendance envers les combustibles fossiles comme input (par exemple pour la production de fertilisants, l’irrigation, la mécanisation), avec le risque de “pic du prix du pétrole” et de changement climatique.
Tendance (moyenne mobile simple sur 5 ans)
CAGR = taux de croissance annuel moyen composé Note: le rendement par hectare est le rapport entre le niveau de production et la superficie de récolte, pour chaque année étudiée ; la tendance a été identifiée en utilisant une moyenne mobile sur cinq ans. Source : adaptation à partir des données United States Department of Agriculture Database, 2010.
Voilà pourquoi le débat sur le processus de revirement radical des modèles et des logiques dominantes est aussi animé. Dans ce cadre, il apparaît avant tout essentiel de déterminer les conditions requises des modèles agricoles et les thèmes à prendre en considération, étant donné les exigences de durabilité : Dans le futur, pour garantir des rendements adéquats, la stabilité de la production et la sécurité alimentaire, le thème du contrôle des maladies et des agents ravageurs des cultures continuera à occuper une place centrale. Par ailleurs, de par leur diffusion et leur intensité, ces maladies et ces agents représentent dans une certaine mesure, un effet non désiré de l’agriculture de type industriel. La nécessité d’identifier des techniques et des approches apparaîtra avec force afin de faire face aux changements en cours (et qui devraient augmenter) en relation avec deux facteurs clés : la disponibilité de l’eau et la qualité du sol. En outre, il est encore important d’aborder le thème de la productivité agricole : s’il est vrai que les problèmes d’accès à la nourriture – comme de nombreux experts interviewés par le BCFN l’affirment – sont surtout liés à la distribution des quantités produites plutôt qu’à une éventuelle insuffisance, en volumes, de la production agricole mondiale5, il est aussi évident que dans certaines régions de la planète, les rendements agricoles constituent encore aujourd’hui un problème sérieux car ils atteignent des niveaux inférieurs à ceux qui ont été expérimentés dans un passé même lointain dans les Pays économiquement plus avancés. Dans ce sens, le thème d’une application adéquate des techniques agricoles (même de base) ayant pour objectif l’amélioration des rendements reste au centre du débat sur l’innovation en agriculture, surtout dans cette partie du monde qui – plus que d’autres – a besoin d’un processus important d’amélioration des conditions de vie moyennes. La recherche d’une combinaison efficace entre l’utilisation de moyens de sélection avancés (MAS, TILLING, etc) et la réalisation de processus d’évaluation et d’amélioration des techniques agricoles et de gestion des cultures6 sera l’un des domaines d’intérêt majeur. L’un des principaux points critiques sur la sécurité alimentaire globale directement et indirectement lié à tous les thèmes précédemment énumérés est : la qualité nutritionnelle des produits agroalimentaires. La réalité actuelle présente un des déséquilibres les plus éclatants et – dans un certain sens – un des plus inquiétants enregistrés depuis des décennies : en effet, compte tenu d’un nombre de plus en plus important de personnes en surpoids et obèses (surtout dans les
la tendance de croissance de la productivité agricole a considérablement diminué jusqu’à atteindre une phase de “stagnation des rendements”
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
BCFN Index Nouveaux modèles 2011 pour une agriculture durable
6
La poussée continue vers le rendement et l’exploitation des terrains, surtout à partir de la seconde moitié du XX siècle, a fait du secteur agricole et alimentaire le responsable, en grande partie, de différents phénomènes, parmi lesquels : - la grave dégradation des terres cultivables : 40% du territoire est dégradé ou pauvre ; - la réduction progressive de l’extension des grandes forêts : 43% environ des forêts tropicales et subtropicales et 45% des forêts tempérées ont été converties en cultures. Parmi ces dernières, la conversion d’environ 13 millions d’hectares de forêts tourbières dans le Sudest asiatique a servi, pour la plus grande partie, à la production d’huile de palme ; - la mauvaise exploitation des terrains agri-
1991
4
1989
Nourriture, agriculture et pénurie des ressources naturelles
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Nouveaux modèles pour une agriculture durable
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Quelques données sur la malnutrition et la sous-nutrition
D’après les récentes estimations de la FAO, les personnes qui souffrent aujourd’hui de la faim dans le monde sont au nombre de 925 millions environ. Sur une population d’environ 6,9 milliards de personnes, le problème de la dénutrition dans le monde concerne 13,4% du total. Comme nous le savons, les populations les plus touchées par ce phénomène, 98% du total, sont concentrées dans les Pays en voie de développement. À côté du phénomène de la dénutrition, celui de la malnutrition appa-
25
Figure 1.3. Gaspillages et pertes alimentaires (kg/par habitant/an) dans les phases de consommation et de préconsommation, pour les différentes régions 350 300 250 200 150 100 50 5 Europe
Amérique du Nord et Océanie
Asie industrialisée
Afrique subsaharienne
Consommation
Afrique du Nord, Asie Centrale et Ouest asiatique
Asie du Sud et Sud-est
Amérique Latine
Production au détail
Source : FAO, Global Food Losses and Food Waste, 2011.
raît tout aussi inquiétant : 5,6 millions de morts par an chez les enfants en-dessous de cinq ans sont, en effet, causées directement par des maladies qui, en présence d’un niveau d’alimentation adéquat et d’une composition alimentaire correcte, ne seraient pas mortelles, comme par exemple la diarrhée, la pneumonie et le paludisme. En outre, il est estimé que 684.000 morts d’enfants pourraient être évitées, dans le monde entier, juste en augmentant l’accès à la vitamine A et au zinc7.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
Pays développés), le problème irrésolu de populations entières sous-nourries et mal nourries subsiste (principalement dans les Pays en voie de développement), avec de sérieuses implications en termes de carence de macro et micro aliments essentiels pour une vie en bonne santé, voire pour la survie même. L’agriculture joue un rôle décisif sur ces aspects aussi. La résilience est un autre thème fondamental : les changements climatiques attendus se traduiront dans les prochaines décennies aussi bien en modifications structurelles des conditions écologiques de macro régions entières de la planète, qu’en une multiplication des chocs environnementaux. Il deviendra alors nécessaire de recourir à des techniques agricoles et de gestion du risque (risk management) qui permettront de faire face aux urgences avec succès. Le problème des gaspillages et des pertes alimentaires est tout aussi crucial et – s’il était réduit – contribuerait à combattre les famines, à améliorer la sécurité alimentaire dans les Pays les plus pauvres et à augmenter le revenu non seulement des agriculteurs, mais aussi des consommateurs ; il aurait également un impact positif sur l’environnement, évitant ainsi des pertes de terrain, d’eau et d’énergie. À côté du thème de la perte/du gaspillage de ce qu’aujourd’hui l’agriculture mondiale produit, il ressort – avec un impact important en termes de durabilité agricole future – la question de l’emploi des ressources dans le domaine agricole (financières et physiques) pour la production de biocarburants. Enfin, il faut tenir compte aussi des aspects de durabilité économique et sociale. L’agriculture est une activité économique essentielle dans de nombreuses régions du monde et la structure des processus productifs pèse de manière significative sur la réalité économique et sociale d’appartenance. En particulier, la “durabilité économique et sociale” signifie, tout d’abord, la sauvegarde et la création de postes de travail dans le domaine agricole local et l’amélioration des conditions de vie dans les zones rurales. Le développement rural, en particulier celui des petits cultivateurs dans les Pays en voie de développement, devrait être une priorité au niveau global. Pour résumer ce qui a été exprimé jusqu’ici, nous pouvons affirmer que quand nous utilisons la notion de “paradigmes agricoles durables”, nous faisons référence à des modèles d’agriculture en mesure de produire de la nourriture saine et de bonne qualité, dont les caractéristiques permettent l’accès éventuel aux circuits commerciaux globaux, “en équilibre” avec l’environnement naturel (grâce aussi à des profils d’efficacité productive adaptés), aptes à soutenir l’impact des effets des changements climatiques, et en harmonie avec des contextes sociaux dont ils doivent contribuer à favoriser le développement.
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2. L’AGRICULTURE AUJOURD’HUI : LES PRINCIPAUX “MODèLES AGRICOLES”
2.1 un schémA interprétatif
Figure 2.1. Les trois grands modèles agricoles selon la FAO
Options de gestion des ressources naturelles Low External Input
Intermediate External Input
High External Input
Aquaculture et pêche de capture
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il est possible de représenter les différentes approches alternatives agricoles en faisant essentiellement référence à trois ordres d’aspects : économicocommerciaux, technologiques et de durabilité
NATURe
L
e modèle agricole le plus répandu actuellement est défini à la fois conventionnel, moderne, à intrants élevés et industriel, et il représente l’évolution de l’agriculture puisqu’il comprend des technologies raffinées qui ont remarquablement augmenté la productivité du travail. Dans les années 1960 et 1970, ce modèle a conduit à des augmentations exceptionnelles de la production – notamment celle du maïs, du riz et du blé – par l’introduction de variétés à rendements élevés (High-yielding Varieties – HYV), de monocultures, de la mécanisation et par l’utilisation de produits agrochimiques (pesticides, herbicides et fongicides). La période de l’adoption et du développement de ce modèle est connue sous le nom de « révolution verte ». Par la suite, il fut adopté également dans des contextes émergents comme l’Amérique Latine et l’Asie. La pratique de la monoculture permet à l’agriculteur de spécialiser les facteurs de production employés, en adoptant des machines et des produits agrochimiques spécifiques et en les utilisant sur de nombreux hectares de terrain en même temps, augmentant ainsi l’efficience. Tout cela conduit fondamentalement à une économie d’échelle. Par ailleurs, le développement de fertilisants synthétiques formulés pour fournir aux cultures les quantités d’azote, de phosphore et de potassium optimales à la croissance a contribué à augmenter la productivité des cultures. Le redoublement de la production céréalière au niveau mondial et le commencement de l’“ère du surplus” ont donc été le résultat de l’agriculture moderne industrielle et des pratiques de révolution verte. Généralement, il est possible de représenter les différentes approches alternatives à l’agriculture de plusieurs manières, même si toutes les descriptions – plus ou moins synthétiques – font essentiellement référence à trois aspects : un d’ordre économique et commercial, un autre d’ordre technologique et le dernier de durabilité. Parmi les différentes classifications proposées dans la littérature, celle proposée par la FAO apparaît particulièrement intéressante – en matière de durabilité ; selon elle, les systèmes de production agricole peuvent être répartis en trois catégories principales1: les systèmes HEI (High External Input, à intrants externes élevés), les systèmes IEI (Intermediate External Input, à intrants externes moyens) et les systèmes LEI (Low External Input, à faibles intrants externes). Ce qui ressort principalement de cette configuration est la référence à l’intensité de ressources non renouvelables consommées. La figure 2.1. montre la conformation de différents systèmes productifs suivant le degré de substitution entre les processus fondés surtout sur les intrants constitués de ressources naturelles et les processus basés principalement sur les intrants synthétiques ou technologiques. Les systèmes HEI (à intrants externes élevés) sont caractérisés par leur forte orientation commerciale, par l’emploi de variétés végétales à haut rendement productif, par la mécanisation intense (qui s’accompagne d’une faible intensité de main-d’oeuvre) et par la dépendance des facteurs productifs de nature synthétique (fertilisants et produits agrochimiques). Il s’agit de modèles de production qui ont pour but de maximaliser les extrants dans des conditions d’efficience optimale, grâce aux économies d’échelle accessibles. La monoculture et la culture d’espèces végétales
Agriculture organique
Systèmes basés sur les OGM
Systèmes d’aquaculture multi-trophique Pâturages et cultures fourragères Permaculture
Agriculture biodynamique Systèmes de l’agroforesterie
Polycultures traditionnelles et pérennes
Systèmes montagnards UPA
Systèmes mixtes de culture-élevage
SRI
Systèmes d’élevage HEI
(Systèmes Polydome)
Systèmes de culture HEI
Systèmes mixtes de riz-poisson
PÉRENNES/INTEGRÉS
ANNUALES
PLUS GRANDE RÉSILIENCE ET EFFICIENCE
MOINS DE RÉSILIENCE ET D’EFFICIENCE
Moins d’énergie de maintenance, basses émissions de gaz à effet de serre Grandediversité, connexion, cohérence
Plus d’énergie de maintenance, hautes émissions de gaz à effet de serre Peu de diversité, connexion, cohérence
Source : FAO/OECD, Food availability and natural resource use in a green economy context, 2011.
génétiquement modifiées (OGM) représentent la version extrême d’une telle approche. De l’autre côté du spectre, nous pouvons placer les systèmes LEI (à faibles intrants externes) qui sont caractérisés par l’emploi de variétés végétales traditionnelles, de techniques à haute intensité de travail et de connaissances, et par l’emploi modéré de produits chimiques. À un niveau intermédiaire, nous plaçons la plus grande partie des modèles agricoles, avec plusieurs gradations possibles. Il s’agit des modèles appelés également modèles IEI (à intrants externes moyens), qui prévoient l’emploi de variétés végétales améliorées à travers des techniques de croisement et d’hybridation traditionnelles, la recherche d’un équilibre durable entre mécanisation et main-d’oeuvre, l’emploi de techniques fondées sur une réflexion soutenue et l’emploi de fertilisants et de produits chimiques selon les schémas de culture intégrée. Le degré de durabilité des différents paradigmes est évidemment différent : les systèmes HEI, notamment, semblent permettre de garantir de meilleurs rendements de culture en termes de produit par surface, avec toutefois une consommation élevée de ressources, ce qui les rend sans aucun doute plus fragiles dans la perspective d’une possible pénurie de ressources. Les systèmes LEI, au contraire, sont obligés de “payer” leur moindre impact sur les ressources en termes de rendements de culture, normalement inférieurs. Dans tous les cas, il s’agit d’une représentation extrêmement simplifiée de la réalité qui est, au contraire, bien plus complexe et dynamique. Il apparaît donc utile d’analyser brièvement les caractéristiques et les cas concrets d’application de certains des principaux modèles agricoles mondiaux en tenant compte de leurs effets en termes de durabilité. Les pratiques agricoles durables comprennent notamment : la promotion de la biodiversité, le recyclage des nutriments des plantes (cycle des nutriments), la protection du sol contre l’érosion, la conservation et la protection des eaux, le traitement minimal des terres, l’absence de produits chimiques et de fertilisants synthétiques et l’intégration entre agriculture et élevage dans l’exploitation.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Agriculture de conservation, IPM, Systèmes d’élevage de précision
Produits humains
Systèmes forestiers
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La description des modèles agricoles possibles selon une classification tripartite (HEI, LEI, IEI) conduit à une simplification importante de la variété des modèles réellement existants au niveau mondial : une telle représentation simplifiée permet de raisonner sur certaines grandes tendances. Etant donné les analyses et les preuves révélées par la recherche, nous pensons que : Une classification complète des “modèles agricoles” devrait partir de la définition de situations typiques relatives à l’emploi des principaux intrants, comme par exemple : - les ressources génétiques : variétés locales traditionnelles, variétés modernes par reproduction traditionnelle, hybrides et OGM ; - les ressources hydriques : cultures pluviales et cultures irriguées ; - les ressources énergétiques : maind’oeuvre intensive ; forte mécanisation ; - la ressource sol (quantité): agriculture extensive et agriculture intensive ; - la ressource sol (qualité): labour zéro/ minimum et labourage conventionnel ; - les ressources nourrissantes : engrais organiques, engrais inorganiques naturels et engrais de synthèse ; - lutte contre les agents pathogènes et les mauvaises herbes : lutte biologique, lutte intégrée et lutte à l’aide de produits chimiques de synthèse. Chaque forme d’agriculture (ou paradigme agricole) ne peut jamais être évaluée de manière abstraite, mais elle doit toujours être insérée dans un contexte géographique, climatique, pédologique, économique et social. Dans chaque contexte, les objectifs de productivité et de durabilité peuvent être poursuivis au mieux et simultanément, avec une seule forme d’agriculture ; cependant, avec le développement croissant des incertitudes sur les facteurs qui définissent le contexte (comme le changement climatique, la diffusion de nouveaux agents pathogènes, etc), la coexistence de différents paradigmes agri-
coles peut assurer une modalité essentielle de gestion du risque (risk management). Un paradigme principal peut être appliqué pour saisir au mieux l’occasion d’avoir des conditions favorables, mais d’autres paradigmes doivent rester tout de même actifs sur une plus petite échelle pour être rapidement expansibles, au cas où certaines conditions environnementales changeraient. Il semble possible, par exemple, d’obtenir des maïs hybrides qui sont hautement productifs et qui demandent des intrants élevés, tout en assurant la reproduction d’une quantité adéquate de semences de variétés de maïs locaux-traditionnels à employer là où les conditions changeraient, au détriment des hybrides (par exemple, à cause de la sécheresse, des agents pathogènes, de l’explosion des coûts des fertilisants et de l’énergie, etc). Dans un monde idéal où il serait possible de planifier rationnellement la production agricole globale et où la distribution des ressources alimentaires et l’accès à la nourriture saine seraient assurés par des systèmes internationaux efficients et équitables, parler de spécialisation des régions cultivables de la planète dans le but d’optimiser l’utilisation des ressources de bases rares serait logique. En réalité, il est clair que produire des céréales dans des régions tempérées pluvieuses de la planète est plus logique que de poursuivre l’autosuffisance de chaque Pays. Le thème des “bonnes pratiques agricoles” peut être considéré comme transversal aux différents paradigmes agricoles car, en quelque sorte, il est possible de les appliquer à chaque type d’agriculture. Une bonne rotation des cultures, contrairement à la réitération, a des effets positifs sur la fertilité du sol. La même chose vaut pour toutes les autres “bonnes pratiques” : du calcul de la bonne dose de semences, à la fertilisation rationnelle (doses, forme, temps, fractionnements), jusqu’à la lutte guidée vers la récolte des eaux (water harvesting).
2.2 LES PRINCIPAUX MODÈLES AGRICOLES PRATIQUÉS AUJOURD’HUI : DE LA TAXONOMIE À LEUR APPLICATION CONCRÈTE L’agriculture traditionnelle L’agriculture traditionnelle inclut des formes d’élevages nées de la coévolution des systèmes locaux, sociaux et environnementaux. Elle présente une forte logique écologique exprimée à travers l’emploi intensif des connaissances locales et des ressources naturelles, à travers également la gestion de l’agrobiodiversité comme forme de système agricole diversifié.
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Les modèles agricoles et sur les bonnes pratiques agricoles
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James P. Blair/National Geographic Stock
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Le CEDICAM (Centre de Développement Intégral des agriculteurs de la Mixteca Alta) a été fondé en 1980 par Jesús León et un groupe d’agriculteurs du Mixteca, avec le but de créer une organisation démocratique qui encourage l’agriculture durable et le partage des projets de la communauté. Le Centre a été créé pour trouver une solution à la dégradation croissante de l’environnement de la région, commencée avec le début de la colonisation il y a environ 500 ans et aujourd’hui toujours plus répandue. En effet, à cause de la déforestation effectuée sur une large échelle pour permettre le pâturage des animaux, la région est devenue une des plus érodées du monde. D’après les scientifiques, elle pourrait avoir perdu jusqu’à cinq mètres de couche active du sol et avoir 80% des terres érodées, soit 500.000 hectares de terres. À cause de l’Accord de Libre-échange Nord-Américain (NAFTA, North American Free Trade Agreement), le prix du maïs cultivé avec des techniques biologiques diversifiées traditionnelles a subi une baisse importante et les agriculteurs n’arrivent plus à gagner leur vie avec seulement le commerce du maïs : cette situation qui a poussé un tiers des paysans d’Oaxaca à émigrer en Amérique du Nord à la recherche d’un travail. Dans un premier temps, on avait pensé qu’une des solutions au problème pouvait être la mise en place de l’agriculture moderne industrielle, acceptée de bon gré par les habitants de la région qui espéraient que cette forme d’agriculture redonnerait la prospérité économique des terres nécessaire. Cependant, dans les années 1980 (avant le NAFTA), il était déjà clair que ce nouveau système agricole ne permettait pas, en réalité, de donner de meilleurs rende-
ments ; au contraire il érodait davantage les terres et endettait les agriculteurs. Par ailleurs, dans la région du Mixteca productrice de maïs, les variétés « Criollo » de maïs (variétés locales) avaient été contaminées par des variétés OGM qui menaçaient les pratiques de conservation menées pendant des milliers d’années. C’est justement à ce moment-là que le CEDICAM a commencé son oeuvre de réunification dans le but de reconstruire l’écosystème local à travers l’adoption de l’agriculture durable. En 2008, le Goldman Environmental Prize a été conféré à León pour son travail de pionnier de reboisement de la région qui a eu lieu dans le cadre du CEDICAM. León a réussi à réunir des agriculteurs qui, ensemble, ont planté un million d’arbres natifs dans la région Mixteca pour combattre l’érosion et conserver la biodiversité locale. León a aussi recouru à l’ancienne pratique indigène de construction de canaux pour la récolte de l’eau de pluie, afin d’en éviter l’écoulement superficiel. Des centaines de kilomètres de canaux ont été construits par un nombre réduit de paysans qui ont ainsi augmenté le capital social, en plus de la disponibilité d’eau. Certains agriculteurs soutiennent que les nappes phréatiques, qui peu de temps encore avant étaient sèches, ont été renflouées grâce aux canaux qui gardaient l’eau dans son site naturel en lui permettant de s’infiltrer en profondeur dans la terre. D’autres racontent que les collines ont de nouveau reverdi et que les animaux ont commencé à réapparaître. Par ailleurs, León a favorisé l’utilisation de serres pour la production de légumes destinés aux familles et a enseigné aux agriculteurs les pratiques agricoles durables/d’origine. Aujourd’hui, beaucoup
d’agriculteurs multiplient jusqu’à 200.000 arbustes qu’ils distribuent chaque année pour la lutte contre l’érosion. Cependant, il faut souligner qu’un facteur important pour la bonne réussite du projet, voué à rendre la région de nouveau productive, a sûrement été le fait que les paysans du CEDICAM ont compris que les idées et les produits qui viennent d’ailleurs ne sont pas forcément meilleurs pour les agriculteurs locaux de la Mixteca. Les pratiques agricoles traditionnelles et le régime local ont ainsi été plus valorisés que les produits étrangers. Grâce à l’amélioration économique de la région, due au travail du CEDICAM, une partie des habitants d’Oaxaca émigrés aux Etats-Unis
© Corbis
retournent aujourd’hui travailler de nouveau avec leurs familles. Le CEDICAM est un exemple de mouvement transmis d’“agriculteur à agriculteur” afin de permettre aux personnes d’affronter les nombreux problèmes liés à la dégradation de l’environnement et à la pauvreté. Ce projet a eu du succès parce qu’il est né d’un besoin local, il a été développé par les gens du lieu et il s’est concentré sur les problématiques réelles de la région. Les gens du lieu connaissent mieux que quiconque leurs propres terres, leurs propres traditions, et ils représentent donc l’interlocuteur le plus efficace pour promouvoir le développement du capital social et la sécurité alimentaire de la communauté.
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Le cas d’Oaxaca (Mexique)
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L’agriculture de conservation L’agriculture de conservation (Conservation Agriculture – CA) est un modèle qui favorise le travail minimal voire inexistant du sol afin de maintenir et préserver sa structure ; par ailleurs, elle admet les pratiques comme le paillis et ne limite pas l’emploi des semences OGM ou de produits agrochimiques, contrairement à l’agriculture biologique. La FAO encourage l’agriculture de conservation dans les Pays en voie de développement et la définit un modèle agricole qui « se propose de soutenir l’agriculture durable et rentable et qui a comme objectif, par conséquent, l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs à travers la mise en place de trois principes : le travail minimal du sol, le paillis et la rotation des cultures ». Aussi bien l’agriculture de conservation que l’agriculture sans préparation du sol («labour zéro ») prévoient un travail minimal de la terre, le semis à rangs et le maintien des résidus de cultures. Les partisans de l’agriculture de conservation désirent préserver les micro-organismes du sol qui vivent dans sa partie superficielle et qui aident la plante à absorber l’eau et les substances nutritives présentes dans le terrain. En outre, la culture sans labour permet de maintenir l’humidité du sol et donc, de diminuer le besoin en eau, ainsi que d’améliorer l’absorption et la retenue de CO2. Selon Rasha Omar de l’IFAD, l’agriculture de conservation est pratiquée dans environ 95 millions d’hectares dans le monde entier : 25% se trouvent aux Etats-Unis, environ 23% au Brésil et 18% en Argentine (Derpsch, 2005 – cité par IFAD). Dans les trois cas, il s’agit presque toujours de cultures OGM tolérantes aux herbicides (surtout le soja).
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La culture labour zéro est une technique employée dans une conception d’agriculture très conservative. Elle a eu une diffusion tellement rapide dans le Kazakhstan du nord qu’en 20072008, selon des estimations, la superficie cultivée à labour zéro a doublé jusqu’à atteindre 1,2 million d’hectares. Dans le nord du Kazakhstan, en effet, une baisse de labourage traditionnel a été enregistrée, alors que des techniques de labour minimal ou zéro sont en constante évolution. Cela est sans doute dû, en grande partie, aux aides gouvernementales données pour l’agriculture conservative, prodiguées à partir de 2008 grâce au soutien de la Banque Mondiale, de la FAO, du GEF et du CGIAR. Aujourd’hui, les agriculteurs commencent à voir une augmentation des rendements de 20-50% par rapport à la culture traditionnelle et une réduction des coûts grâce à l’application de techniques d’agriculture de conservation (Fileccia, 2009). Les cultivateurs qui pratiquent la culture à labour zéro utilisent des machines spéciales qui écrasent les résidus végétaux et les laissent sur la surface du sol, même si cela signifie laisser sur les terres des tas de chaumes. Ces deux méthodes se sont montrées très efficaces pour garder une forte humidité des terres et réduire ainsi l’érosion due à l’action du vent et de l’eau. Dans cette région du Kazakhstan, en effet, la neige représente 35-40% des précipitations annuelles et constitue une part importante de l’approvisionnement hydrique dans l’agriculture de conservation (Fileccia, 2009). La fonte des neiges lente et constante permet à l’eau de s’infiltrer en profondeur, en attei-
gnant l’horizon du système des racines et en évitant ainsi des phénomènes d’érosion du sol. La neige est retenue de manière plus efficace quand les résidus des cultures sont laissés sur le sol jusqu’à atteindre une hauteur d’environ 35-40 cm (Fileccia, 2009). Le manque de labour du sol détermine une réduction des coûts, mais cette épargne est souvent réinvestie les cinq premières années dans l’achat d’herbicides puisqu’il a été prouvé que l’agriculture sans labour est plus susceptible aux plantes adventices, étant donné que les mauvaises herbes ne sont pas enlevées mécaniquement comme dans les autres modèles agricoles. Cependant, certaines études ont démontré qu’au bout des cinq premières années, l’application d’herbicides est réduite et même, dans certains cas, complètement éliminée (Fileccia, 2009). Toutefois, malgré les avantages obtenus sur une moyenne et longue période, la conversion à la culture à labour zéro peut être difficile pour les petits agriculteurs de cette région à cause du coût élevé des machines spécifiques, comme les semoirs à dents vibrantes qui peuvent coûter jusqu’à 360-400.000 dollars (sans tenir compte des coûts des tracteurs de forte puissance nécessaires pour leur traction). Mais, en effet, beaucoup d’entreprises converties au labour zéro au Kazakhstan sont de grandes dimensions, avec des terrains cultivables de plus de 50.000 hectares. Grâce au soutien du gouvernement et de la communauté internationale pour le développement, le Kazakhstan est devenu l’un des dix premiers Pays au monde pour son extension de régions cultivées avec la technique du labour zéro.
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Nouveaux modèles pour une agriculture durable
l’agriculture de conservation est un modèle qui favorise le travail minimal ou inexistant du sol dans le but de garder et de préserver sa structure
Culture labour zéro dans le nord du Kazakhstan
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De septembre 2002 à novembre 2005, la FAO a conduit un projet consacré à l’agriculture de conservation, ayant pour objectif l’obtention de la sécurité alimentaire en République Populaire Démocratique de Corée. Environ 80% de la population de la Corée du Nord vivent dans des zones rurales et leur subsistance est strictement liée à l’agriculture (FAO, 2007), mais à cause du climat rigoureux, avec des températures qui varient de -19°C en hiver à 25°C en été, la période adaptée à la culture est limitée. À cela il faut ajouter qu’à la suite des fortes tempêtes des années 1990, du manque de carburant, de semis de qualité, de produits agrochimiques et de réserves, une grande partie des rendements a diminué de 50% en six ans (FAO, 2007). Pour finir, les sols se sont avérés pauvres en substances organiques et en phosphore. Alors le gouvernement, conscient de ces problèmes, a encouragé l’adoption de systèmes de culture alternative à la monoculture traditionnelle : cela a contribué à augmenter la production alimentaire en créant en même temps un obstacle à l’érosion du sol et à la diminution de la fertilité, provoquée aussi par le labourage traditionnel (20 cm). L’objectif du projet FAO en Corée du Nord était de former des agriculteurs et des experts aux pratiques d’agriculture de conservation, dans le but d’augmenter les rendements de manière durable. Le labourage traditionnel, par exemple, a été remplacé par des technologies labour zéro et par des systèmes de cultures qui prévoient, entre autre, l’engrais vert et les plantes de couverture. L’expérimentation s’est déroulée sur des surfaces de 50 hectares appartenant à trois coopératives. Pour la semence directe, des équipements économiques ont été employés, dérivés de
l’expérience brésilienne et donnés en concession aux agriculteurs avec des instructions. Les rotations de blé-soja, maïs-soja et blériz ont été effectuées avec des cultures intercalaires de différents légumes secs dans le but de sélectionner celles qui s’adaptent le mieux à la réalité nord-coréenne. Les effets de l’introduction de pratiques d’agriculture de conservation en Corée du Nord ont été, par exemple, la réduction en nombre et en poids des herbes adventices après la première année, grâce au paillis. Des augmentations de rendement de 0,41-0,63 t/ha ont été enregistrées par rapport aux systèmes de travail traditionnel (FAO, 2007). Cependant, en 2003, les régions soumises au labour zéro, mais qui n’avaient pas effectué le paillis, n’ont pas enregistré d’augmentation importante du rendement de maïs. Au contraire, les rendements du blé, en rotation avec le maïs ou le soja, ont été égalisés. L’une des trois entreprises agricoles à l’étude n’a pas connu d’augmentation de la production car elle n’a pas réussi à utiliser correctement la herse à disques (appareil utilisé pour couper la couche de couverture). Par conséquent, la culture de couverture a augmenté en si grandes quantités qu’elle a fait concurrence au maïs et en réduisant ainsi le rendement. Toutes les entreprises ont enregistré une amélioration de la structure du sol, avec une augmentation des substances nutritionnelles et de la substance organique par rapport à l’agriculture de conservation (FAO, 2007). Dans le meilleur des cas, grâce à la couverture de tiges de maïs et d’herbe de vesce, la substance organique a augmenté de 0,2%, l’azote disponible de 20-25 mg/kg de sol et le phosphore disponible de 30-40 mg/kg de sol (FAO, 2007). Dans les terres cultivées avec un
système agricole de conservation, une plus grande humidité du sol a été observée et le paillis fait avec de la paille permettrait d’augmenter le pourcentage d’humidité de 10-20%, sur différentes profondeurs. Les terres recouvertes perdent aussi moins de sol superficiel (14-17% en moins par rapport aux terres labourées) et cela grâce à la protection contre l’action érosive de l’eau. Enfin, une analyse économique a été effectuée pour déterminer si l’agriculture de conservation est financièrement durable pour les agriculteurs coréens. Une fois compte tenu de la consommation de carburant et des heures de main-d’oeuvre nécessaire par hectare, il a été estimé que les pratiques d’agriculture de conservation permettent une
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épargne de 30-50% sur les coûts des facteurs de production (FAO, 2007). En outre, en utilisant des pratiques de l’agriculture de conservation, la maind’oeuvre a été réduite de moitié et 15,5 kg en moyenne de carburant par hectare ont été économisés. Cette expérimentation en Corée du Nord a montré que l’agriculture de conservation peut être une alternative valable, économiquement et écologiquement durable, à l’agriculture conventionnelle. Les agriculteurs se sont ainsi convaincus de l’efficience de l’agriculture de conservation dans leur région et quinze entreprises étrangères ont exprimé leur intérêt pour une conversion à l’agriculture de conservation.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
BCFN Index Nouveaux modèles 2011 pour une agriculture durable
Le cas de la République Démocratique Populaire de Corée
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Rudolf Steiner, le fondateur de l’agriculture biodynamique, a parlé pour la première fois du modèle agricole biodynamique dans une série de conférences qu’il a tenues en 1924. Depuis lors, cette pratique s’est répandue dans le monde entier, jusqu’à inclure plus de 4200 entreprises agricoles biodynamiques dans 43 Pays, avec 128.000 hectares de terres (Turimek, 2009). L’agriculture biodynamique, comme l’agriculture biologique, n’emploie pas de produits chimiques ni de fertilisants de synthèses, mais des déjections animales utilisées comme fertilisants ; elle prévoit la rotation des cultures, elle effectue le contrôle des parasites de manière naturelle et, dans la mesure du possible, elle diversifie les cultures et le bétail. Cependant, l’agriculture biodynamique se différencie de l’agriculture biologique et des autres modèles agricoles dans la préparation de composts et de produits phytosanitaires. Il existe neuf préparations : 500, 501, 502-507 et 508, qui correspondent à des déjections bovines, du silice, des fleurs d’achillée, de la camomille, du taraxacum, de la valériane, de l’écorce de chêne et de l’ortie. Les préparations 502-507 sont ajoutées au compost, alors que les autres sont diluées dans de l’eau et pulvérisées directement dans les champs. Par ailleurs, les agriculteurs biodynamiques suivent le cycle lunaire pour planter et semer, convaincus de la validité des effets que la lune aurait sur la croissance des plantes.
38
© Corbis
Le cas de la Nouvelle-Zélande
En Nouvelle-Zélande, une étude a été conduite en 1993 pour évaluer les différences entre l’agriculture biodynamique et l’agriculture conventionnelle, en termes de fertilité du sol et de rentabilité. Bien que l’étude ait été conduite pendant quatre ans, toutes les entreprises agricoles avaient été certifiées biodynamiques pour au moins huit ans. Les entreprises conventionnelles et biodynamiques ont été comparées en fonction de la typologie d’entreprise (productions végétales et zootechniques) et de la typologie de terrain. 85% des fermes à gestion biodynamique ont présenté une meilleure structure du sol en termes d’aération, de drainage et de préparation de la pépinière, et presque toutes les régions à culture biodynamique ont obtenu une quantité supérieure de substances organiques du sol par rapport aux entreprises qui pratiquaient l’agriculture conventionnelle. En conséquence, le rapport carbone-azote et l’azote disponible se sont révélés plus importants dans les régions à culture biodynamique, d’après les chercheurs, grâce à la rotation des substances nutritives dans le sol. Les régions à gestion biodynamique ont présenté, par ailleurs, une plus grande quantité de lombricides (175 par m3 par rapport 21 – Reganold, 1993) et une couche arable nettement plus épaisse de 2,2 cm. D’autre part, les exploitations biodynamiques obtiennent une plus grande capacité d’échange cationique et d’azote total
alors que les exploitations à agriculture conventionnelle obtiennent un sol plus riche en phosphore et en soufre disponibles et en pH. Cependant, les concentrations d’autres éléments comme le calcium, le magnésium et le potassium se sont révélés très proches dans les deux systèmes (Reganold, 1993). De plus, les résultats de l’analyse financière ont montré que les entreprises agricoles biodynamiques sont aussi solides que les conventionnelles : une entreprise zootechnique biodynamique a reporté davantage de profits, deux entreprises agricoles (dont une spécialisée dans la production de lait) ont tiré des profits moindres par rapport à leurs homologues conventionnelles et deux autres ont eu les mêmes profits que les entreprises conventionnelles (en ce qui concerne les légumes et les agrumes – Reganold, 1993). Dans la plupart des cas, ces dernières ont rencontré soit une plus basse variabilité annuelle soit une majeure stabilité financière, ce qui représente un facteur important de la durabilité et toujours plus important étant donné que les coûts des facteurs productifs sont destinés à augmenter dans les années à venir. Toutefois, les produits biodynamiques ont été vendus à un prix supérieur de 25%, et si le prix augmentait ultérieurement, il aurait un impact considérable sur la durabilité financière des entreprises agricoles biodynamiques et biologiques.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
L’agriculture biodynamique
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L’agriculture biologique/organique industrielle
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Il n’existe pas de définition officielle d’agriculture biologique industrielle, mais nous savons qu’elle est née aux Etats-Unis à la fin des années 1990, quand l’USDA a établi les standards biologiques nationaux. La raison pour laquelle l’USDA a jugé nécessaire de développer des standards biologiques a été l’entrée de grandes entreprises alimentaires dans le marché biologique. Après tout, des entreprises comme Earthbound, Fattoria Cascadian ou Horizon pratiquent une forme d’agriculture assez semblable à l’agriculture industrielle moderne, permettant d’alimenter l’économie alimentaire globalisée. Les économies d’échelle sont obtenues avec l’emploi de la mécanisation et des monocultures, aspect non contemplé par les principes du biologique et, de ce fait, la biodiversité est souvent réduite dans ces grandes exploitations agricoles biologiques. Cependant, parmi les bénéfices environnementaux de ce modèle de production, nous trouvons l’interdiction d’utiliser des fertilisants et des pesticides non admis, ce qui comporte une meilleure protection des terres, des cours d’eau et des consommateurs eux-mêmes. Malgré tout, la durabilité de la production biologique industrielle présente quelques aspects négatifs du point de vue éthique et social. Contrairement à l’agriculture biologique, par exemple, le modèle industriel est moins lié au régionalisme et à des pratiques adaptées aux conditions locales et ses produits sont vendus dans le monde entier (ce qui permet aux consommateurs brésiliens de manger une langouste biologique du Maine), alors que le mouvement biologique original encourage l’achat de produits locaux et le renforcement des rapports entre les communautés et les paysans. Pour les grandes entreprises agroalimentaires, des normes biologiques nationales moins rigoureuses représentent une opportunité de tirer des avantages des économies d’échelle et de profiter du passage à la production biologique. Cependant, l’entrée des grandes entreprises dans un marché biologique en croissance comporte des implications négatives pour les petits agriculteurs car ces derniers se trouvent ainsi à détenir un moindre contrôle des prix et sont souvent exploités par les grandes entreprises capables de produire plus en dépensant moins. Le biologique industriel et le biologique semblent être effectivement deux modèles distincts : le premier est tourné vers un profit élevé et le second a d’importants objectifs sociaux et éthiques. Il serait donc plus opportun d’attribuer aux grandes entreprises biologiques qui se limitent à respecter les normes nationales, un nom différent de celui donné aux petites entreprises biologiques qui visent à garantir la souveraineté alimentaire et l’occupation rurale. Au début du mouvement, né dans les années 1960, des milliers de petites exploitations agricoles biologiques ont été achetées par les grandes entreprises alimentaires. Ce fut le cas des entreprises agricoles Cascadian qui, autrefois en première ligne pour le mouvement biologique de “retour à la terre”, font aujourd’hui partie de General Mills, de Dagoba qui est aujourd’hui détenue par Hershey, et Horizon et Alta Dena qui appartiennent à Dean. L’avantage du management buy-in du biologique est la diminution du prix de nombreux produits biologiques, chose qui actuellement représente, au contraire, justement la raison principale de leur achat limité de la part des consommateurs.
Drew et Mayra Goodman ont fondé les fermes Earthbound avec deux acres et demi de framboises et de légumes à Carmel, en Californie. En 1986, ils ont commencé la vente au détail de salades déjà prêtes et aujourd’hui ils sont devenus les plus gros producteurs biologiques et de grand succès dans le monde, en arrivant à facturer 450 millions de dollars en 2006 (Shapin, 2006). Ils ont besoin de six entreprises pour répondre aux besoins de la grande distribution comme Costco et Whole Foods et ilspossèdent de grandes exploitations agricoles dans six États différents de la Californie, deux en Arizona, un au Colorado, et dans trois régions du Mexique (Shapin, 2006). Les fermes Earthbound ont une grande influence sur le marché biologique puisqu’elles produisent plus de 70% de la laitue biologique vendus aux États-Unis. En 2011, les grandes exploitations agricoles Earthbound cultivent 36.000 acres (environ 15.000 hectares), dont la plupart sont de 680 acres (275 hectares). Sur leur site Internet, les fondateurs décla-
rent éviter l’emploi de « 333.000 livres (environ 150.000 kg) de pesticides toxiques et résistants et plus de 11.200.000 livres (environ 5000 tonnes) de fertilisants chimiques ». Par ailleurs, ils prétendent « économiser environ 1,8 million de gallons (soit 7000 litres) de pétrole, en évitant l’emploi de pesticides et de fertilisants à base de pétrole, et combattre le réchauffement global en évitant d’émettre dans l’atmosphère une quantité de dioxyde de carbone, l’un des principaux gaz à effet de serre, égale à celle produite par environ 7800 voitures ». Ces chiffres semblent être considérables mais, pour calculer soigneusement les émissions de dioxyde de carbone, il faudrait cependant ajouter à l’équation les gaz émis par les camions pour le transport du compost et par la récolte mécanisée des 36.000 hectares. La chaîne de transport des produits Earthbound sur le marché est très semblable à celle d’une ferme traditionnelle, et c’est justement pour cette raison qu’il faut tenir compte des émissions produites du Mexique à la Californie, à New York et dans tout autre État le long du parcours.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
l’agriculture biologique industrielle est née aux Etats-Unis à la fin des années 1990, quand l’USDA a établi les standards biologiques nationaux
Le cas des Fermes Earthbound de Carmel (Californie, USA)
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L’agriculture biologique
42
L’agriculture biologique a été définie par l’IFOAM (International Foundation of Organic Agriculture Movements) comme « un système de production qui soutient la santé des sols, des écosystèmes et des personnes ». Elle se fonde sur des processus écologiques, sur la sauvegarde de la biodiversité et sur l’adaptation des cycles productifs aux conditions locales plutôt que sur l’emploi d’intrants coûteux. L’agriculture biologique rassemble tradition, innovation et science au bénéfice de l’environnement et encourage des relations équitables et une bonne qualité de vie pour tous les sujets concernés (IAASTD, 2009). Il existe de nombreuses définitions de l’agriculture biologique et souvent, chaque Pays2 en invente de nouvelles. Pour résumer, nous pouvons dire que l’on considère comme pratiques d’agriculture biologique (bien qu’elles soient adoptées aussi par des modèles agricoles que l’on ne peut pas définir “biologiques”) : l’utilisation de cultures de couverture, la rotation des cultures, l’engrais vert, le compostage, l’emploi de cultures intercalaires. De 2007 à 2010, la quantité de terres agricoles biologiques certifiées a augmenté de 3 millions d’hectares, soit 9%. En 2010, le marché global des produits biologiques certifiés a atteint 55 milliards de dollars, ce qui en fait le secteur avec la croissance la plus rapide dans l’économie du domaine alimentaire. La forte augmentation de la diffusion des produits biologiques est due surtout à la perception, par les consommateurs, des bénéfices nutritionnels et sanitaires (plus qu’environnementaux) qu’ils apportent. Les primes de prix des produits biologiques ont déterminé l’augmentation du revenu des agriculteurs du biologique au profit également des petits propriétaires dans les Pays en voie de développement. En 2010, les hectares de terres cultivées biologiquement étaient au nombre de 37,2 millions, soit une augmentation de 6,2% par rapport à l’année précédente. Les Pays avec le plus grand nombre de producteurs biologiques sont l’Inde (340.000), l’Ouganda (180.000) et le Mexique (130.000). En Inde la raison principale pour laquelle les agriculteurs choisissent de passer à la production biologique est liée aux bénéfices pour la santé, pour le cultivateur et aussi pour le consommateur.
Anthony Stewart/National Geographic Stock
Le “projet Tigray” en Éthiopie est l’un des nombreux projets qui témoignent que l’adoption de l’agriculture biologique peut augmenter considérablement les rendements et, en même temps, déterminer un plus grand accès à la nourriture de la part des couches les plus faibles de la population, d’après les indices de pauvreté (Edwards, 2007). Tigray se trouve dans les hauts plateaux du nord de l’Éthiopie, où l’hétérogénéité des cultures est traditionnellement très élevée. Le “projet Tigray” est né en 1996 d’une expérimentation conduite par des agriculteurs et des experts dont l’intention était de découvrir si une approche écologique basée sur la communauté pour le rétablissement du sol et l’amélioration de la production à travers des principes écologiques pouvait permettre de réduire la détérioration du sol, et d’améliorer les conditions de vie des petits agriculteurs indigents (Edwards, 2010). L’Institut pour le Développement Durable, en collaboration avec le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural et avec l’Environmental Protection Authority (EPA) de l’Éthiopie sur le “projet Tigray”, a adopté le principe des Extension Services (technique qui se base sur l’assistance technique directe et constante aux agriculteurs, en mettant en contact le monde de la recherche avec celui des techniciens de terrain – Edwards, 2010). Grâce au succès obtenu, au fait que le gouvernement reconnaisse ce type d’approche comme la «principale stratégie pour lutter contre la dégradation du territoire et pour l’éradication de la pauvreté en Éthiopie», le projet a été étendu aussi aux autres régions éthiopiennes (Edwards, 2010). Une publication FAO de 2010 sur le “projet Tigray” fait la liste des principales activités : la formation et le suivi pour la préparation et l’utilisation du compost, par exemple le monitorage des impacts sur la production ; la mise en place d’activités de conservation de l’eau et du sol ; la réduction du pâturage en liberté et l’alimentation
des animaux avec de l’herbe fraîche et des plantes ligneuses ; la création de petits lacs communautaires, de petites digues et de déviations fluviales pour recueillir et conserver l’eau à utiliser pendant la saison aride ; la promotion de la récolte de l’eau, de l’apiculture et de l’emploi de biopesticides en se basant sur le savoir local ; le soutien aux familles avec des femmes chefs de famille et composées de personnes âgées, à travers la fourniture de semis de plantes aromatiques et des cours de formation pour la culture d’arbres fruitiers et de plantes utilisées comme fourrage pour la vente locale ; les cours de formation pour jeunes filles au chômage qui ont terminé l’école obligatoire leur permettent d’acquérir les compétences nécessaires pour entrer dans le monde du travail ; le partage des expériences à travers des visites d’échange et la promotion de l’emploi de nouvelles technologies simples et d’instruments faciles à trouver et à utiliser (par exemple les pompes à pédales). De 2001 à 2006, 5 et 10 ans après le début du projet, les rendements ont été analysés. Dans l’ensemble, l’utilisation du compost a doublé les rendements de toutes les cultures, c’est-à-dire des fèves, de l’orge, du blé, du teff, des hanfets (un mélange d’orge et de blé dur), et du millet (Edwards, 2007). Nous avons également assisté à une augmentation généralisée de biomasse, même si cette augmentation n’est pas comparable à l’augmentation du rendement. Selon les auteurs, une des raisons de cette augmentation du rendement se trouve dans le fait que les agriculteurs ont été encouragés à utiliser leurs propres variétés de semis, adaptées donc aux conditions locales. Par ailleurs, les agriculteurs ont observé que l’utilisation du compost a été plus accessible qu’ils ne le pensaient, grâce à la réduction des coûts et à la possibilité de ne pas recourir à des crédits pour leurs achats (FAO, 2007). En 2010, le “projet Tigray” a impliqué 20.000 familles de paysans en Éthiopie.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Elle se fonde sur des processus écologiques, sur la sauvegarde de la biodiversité et sur le progrès des cycles de production aux conditions locales
Le cas de Tigray (Éthiopie)
43
© Corbis
3. DURABILITé DES SYSTèMES DE CULTURE BASéS SUR LE BLé DUR EN ITALIE : LE CAS BARILLA
3. DURABILITé DES SYSTèMES DE CULTURE BASéS SUR LE BLé DUR EN ITALIE : LE CAS BARILLA
Figure 3.1. Résultats d’une analyse LCA sur les pâtes de blé dur 2. Mouture du blé 3. Production pâtes
46
L
a durabilité de l’agriculture est l’un des objectifs de la Politique Agricole Commune. À ce sujet, ilest pertinent, en premier lieu, d’observer qu’on entend par systèmes agricoles durables ceux qui sont en mesure d’aboutir à des productions alimentaires appropriées aux plans qualitatif et quantitatif ; en second lieu de garantir une juste rémunération pour les agriculteurs ; enfin, de favoriser la préservation des sols agricoles et des ressources naturelles. En d’autres termes, la durabilité signifie “la recherche du maintien de la production agraire et de la fertilité du sol sur le long terme en réduisant les risques environnementaux intrinsèquement liés aux pratiques agronomiques”. Mais quel est l’impact de l’activité agricole sur le cycle de vie d’un produit agroindustriel ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié le cas des pâtes de semoule de blé dur dont les impacts ont été analysés selon la méthodologie LCA (Life Cycle Assessment, c’està-dire l’Analyse du Cycle de Vie), une méthode d’évaluation et de quantification objective des charges énergétiques environnementales et des impacts potentiels associés à un produit/processus/activité tout au long de son cycle de vie, de l’achat des matières premières au terme du cycle de vie (“du berceau au tombeau”). Cette analyse a démontré que la phase de culture du blé dur, avec les pratiques agronomiques qui y sont liées est, avec la cuisson, l’une des phases les plus importantes pour l’environnement (figure 3.1). Par exemple pour les émissions de gaz à effet de serre, les plus forts impacts liés à la culture sont dus à l’emploi de fertilisants azotés et aux opérations mécaniques, en particulier aux modes de travail du sol. Sur la base de ces résultats et pour pouvoir analyser et évaluer les caractéristiques des principaux systèmes de culture italiens portant sur le blé dur, Barilla a favorisé une étude multidisciplinaire pouvant permettre d’étudier en même temps les valeurs économiques, productives, agronomiques, environnementales et de sécurité alimentaire. L’objectif final visait à identifier des systèmes agricoles “durables” pouvant, dans un second temps être validés dans les différentes zones de production de la péninsule en vue également d’accroître aussi bien la qualité que la quantité de la matière première. Après validation, ces systèmes devraient être introduits dans les Cahiers des charges de culture du blé dur. Du point de vue méthodologique, quatre macro régions ont été retenues – la plaine lombardovénitienne, la région Émilie-Romagne, l’Italie centrale (Toscane, Marches et Ombrie) et l’Italie méridionale et insulaire (Pouilles, Basilique et Sicile) – pour lesquelles des alternances de culture standard suffisamment représentatives des rotations associées au blé dur en Italie ont été identifiées (figure 3.2.).
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
1. Production au champ
4. Conditionnement 6. Cuisson
47
5. Transport Émissions de CO2-équivalentes (g CO2/500g de pâtes)
Production
390
Séquestration carbone*
-655
Mouture du blé
49
Production pâtes
147
Conditionnement
62
Transport
92
Cuisson
400
-800
-600
-400
-200
0
200
400
600
*On entend par séquestration de carbone la quantité de CO2 qui a été absorbée par le blé durant sa croissance. La valeur est en principe montrée séparément des autres et pas additionnée car du point de vue scientifique il n’y a pas d’accord sur les modalités de rapports de cette donnée.
Source : Environmental product declaration of Durum wheat semolina dried pasta produced in Italy, in paperboard box; S-P-00217; 10/03/2011. Données se référant à la production Barilla moyenne mondiale, www.environdec.org.
Les indicateurs choisis
Figure 3.2. Rotations examinées dans les 4 macro régions
MAÏS*
Maïs
INDUSTRIELLE
Soja
Blé dur
Maïs
Maïs
Blé dur
Colza
Maïs
EMILIE-ROMAGNE Maïs
Blé dur
Sorgho
Blé tendre
INDUSTRIELLE
Soja
Blé dur
Maïs
Blé tendre
HORTICOLE
Tomate
Blé dur
Maïs
Blé tendre
CÉRÉALIÈRE*
Blé dur
Blé dur
Sorgho
PROTÉIQUE
Pisello proteico
Blé dur
Petit pois protéique Blé dur
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
ITALIA CENTRALE Blé dur
FOURRAGÈRE
Herbes médicinales Herbes médicinales
Herbes médicinales Blé dur
INDUSTRIELLE
Tournesol
Colza
Blé dur
ITALIE MÉRIDIONALE ET INSULAIRE MONOCULTURE CÉRÉALIÈRE*
Blé dur
Blé dur
Blé dur
Blé dur
FOURRAGÈRE
Fourrage
Blé dur
Fourrage
Blé dur
PROTÉIQUE
Pois chiche
Blé dur
Pois chiche
Blé dur
INDUSTRIELLE
Tomate
Blé dur
Blé dur
Blé dur
*Rotation de cultures standard normalement adoptée dans chaque région. Source : Durabilité des systèmes culturaux basés sur le blé dur, tiré de “Grano Duro News”, 2011.
48
Les études agronomiques et économiques ont été supportées par les évaluations environnementales menées selon la méthodologie LCA et résumées à travers l’utilisation de certains indicateurs : Empreinte eau (Water Footprint), Empreinte écologique (Ecological Footprint), Empreinte carbone (Carbon Footprint), comme l’illustre le tableau ci-dessous :
Système
Italie centrale
ÉmilieRomagne Plaine lombardovénitienne
Rendement Empreinte granella carbone (t/ha) (t CO2/t)
Empreinte eau (m3/t)
Empreinte écologique (gha/t)
Rente brute (¤/t)
Efficacité utilisation azote (kg/kg)
Risque DON (0-9)
Céréalier*
3,3
0,67
745
0,73
24,1
28,4
3,9
Fourrager
4,3
0,30
478
0,47
99,4
66,7
0,0
Industriel
5,3
0,43
502
0,49
138,8
45,3
0,0
Protéique
5,3
0,34
479
0,47
139,2
58,5
0,0
Céréalier*
7,3
0,51
328
0,40
140,7
32,5
7,9
Industriel
7,5
0,41
315
0,38
156,7
42,2
2,3
Horticole industriel
7,5
0,36
315
0,38
151,1
47,1
1,7
Industriale*
7,5
0,42
294
0,36
166,9
44,0
1,7
Maïs
7,0
0,51
315
0,38
155,2
33,8
7,9
Céréalier*
2,5
0,74
1429
1,11
23,3
32,4
1,1
5,0
0,45
694
0,54
132,8
44,3
0,0
Italie Fourrager méridionale et insulaire Horticole industriel Protéique
4,2
0,53
874
0,68
111,8
38,7
0,0
5,0
0,45
694
0,54
132,8
44,3
0,0
*Rotation de cultures standard normalement adoptée dans chaque région. Source : Durabilité des systèmes culturaux basés sur le blé dur, tiré de “Grano Duro News”, 2011.
Ecological
Footprint ou Empreinte écologique : elle mesure la superficie biologiquement productive d’eau et de terre nécessaire pour régénérer les ressources consommées par une population humaine et pour absorber les déchets correspondants. L’Empreinte écologique permet d’estimer le nombre de “planètes Terre” nécessaires pour supporter l’ensemble de la population mondiale si tous les individus adoptaient un style de vie déterminé. Dans l’étude présentée ici, l’Empreinte écologique a été mesurée en hectares globaux (hag) par tonne de blé dur produite. Rente brute (RB) : elle représente la différence entre la PBV (Production Brute Vendable actualisée aux prix de mars 2011) et le Coût de Production des cultures. La PBV ne tient pas compte des aides directes et/ ou indirectes de la PAC alors que le Coût de Production ne prend en compte que les coûts directs de la culture (pratiques culturales et moyens techniques) et non les coûts indirects (exploitation de la parcelle, intérêts financiers, impôts et taxes, etc). Dans cette étude, la Rente brute a été évaluée en euros par tonne de grains produite. Efficacité d’utilisation de l’azote (NUtE) : elle représente la quantité de grains produite par unité d’azote distribuée sur la parcelle du blé dur. Risque DON : Il exprime le risque de contamination des grains par le Déoxynivalénol (DON), dangereuse mycotoxine produite par un groupe de champignons pathogènes (Fusarium spp.) qui contaminent les épis de blé dur. L’indice de risque mycotoxine combine les facteurs météorologiques favorables à la production de mycotoxines par le Fusarium graminearum et F. culmorum aux facteurs prédisposants et spécifiques de la parcelle de production, notamment la sensibilité variétale, la précession culturale et le travail du sol. L’indice de risque mycotoxine varie de 0 (absence de conditions de production de mycotoxines) à 9 (conditions très favorables à la production de mycotoxines).
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
CÉRÉALIÈRE*
Blé dur
en grains : pour chacun des systèmes analysés, les productions des différentes cultures ont été évaluées, y compris celle du blé dur. Pour ce dernier en particulier, les données sont reportées en tonnes de grains par hectare à 13% d’humidité. Les rendements indiqués illustrent des productions moyennessupérieures pour chaque rotation et tiennent compte de la mise en oeuvre des Bonnes Pratiques Agricoles (BPA) pour les différents itinéraires productifs. Carbon Footprint ou Empreinte carbone : elle représente le montant total de GHG (Greenhouse Gases ou gaz à effet de serre), c’est-à-dire les substances, naturelles ou d’origine anthropique, présentes dans l’atmosphère, transparentes à la radiation solaire atteignant la terre mais qui arrivent à retenir fortement la radiation infrarouge émise par la superficie terrestre, l’atmosphère et les nuages. Les gaz à effet de serre sont exprimés en masse de CO2 équivalente, en assimilant tous les gaz introduits en terme de réchauffement de la terre au CO2, selon les tableaux de conversion définis par l’IPCC (International Panel on Climate Change). Pour cette étude spécifique, l’Empreinte carbone est formulée en tonnes de CO2 équivalentes par tonne de grains de blé dur produite. Water Footprint ou Empreinte eau : elle représente la consommation d’eau liée à la production de biens et de services. Environ 85% de l’empreinte hydrique humaine sont liés à la production agricole (et à l’élevage), 10% à la production industrielle et 5% à la consommation domestique. Pour cette étude spécifique, l’indicateur mesure la consommation d’eau pour la culture de blé dur en termes de volumes d’eau consommés au cours des différents processus de production et suite à l’évaporation naturelle des cultures. L’irrigation n’étant pas une pratique usuelle de ces zones, elle n’est pas prise en considération. L’Empreinte eau est exprimée en mètres cubes d’eau par tonne de grains produite. Production
PLAINE LOMBARDO-VÉNITIENNE
49
9
40,0 20,0
PROTÉIQUE
INDUSTRIEL
FOURRAGER
0,0 Italie centrale Émilie-Romagne Plaine lombardo-vénitienne Italie méridionale et insulaire *Rotation de cultures standard normalement adoptée dans chaque région. **Différence entre la moyenne des valeurs enregistrées dans les rotations et les valeurs enregistrées dans le système céréalier.
PROTÉIQUE
HORTICOLE INDUSTRIEL
FOURRAGER
MAÏS*
INDUSTRIEL
MAÏS*
HORTICOLE INDUSTRIEL
FOURRAGER
51
MONOC. CEREALICOLA*
PROTÉIQUE
1
INDUSTRIEL
2
CÉRÉALIER*
4
FOURRAGER
MAÏS*
INDUSTRIEL
INDUSTRIEL
B
CÉRÉALIER*
60,0
CÉRÉALIER*
80,0
HORTICOLE INDUSTRIEL
100,0
FOURRAGER
120,0
CÉRÉALIER*
INDUSTRIEL
140,0
PROTÉIQUE
Rente brute (¤/t) {D rotation céréalière** = +100¤}
INDUSTRIALE
5
INDUSTRIEL
6
3
160,0
INDUSTRIEL
7
Italie centrale Émilie-Romagne Plaine lombardo-vénitienne Italie méridionale et insulaire *Rotation de cultures standard normalement adoptée dans chaque région. **Différence entre la moyenne des valeurs enregistrées dans les rotations et les valeurs enregistrées dans le système céréalier.
180,0
D
Risque DON (échelle 0-9)
8
0 Italie centrale Émilie-Romagne Plaine lombardo-vénitienne *Rotation de cultures standard normalement adoptée dans chaque région.
Italie méridionale et insulaire
Source : Durabilité des systèmes culturaux basés sur le blé dur, tiré de “Grano Duro News”, 2011.
céréaliers, la technique de culture du blé dur est plus impactante en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Ceci s’explique en partie par le fait que dans ce type de systèmes, pour pouvoir cultiver du blé dur, des pratiques culturales très onéreuses comme le labourage sont nécessaires pour réduire le risque de mycotoxines ou l’augmentation sensible de l’apport artificiel d’azote, étant donné que les céréales en rotation (blé tendre, blé dur, maïs et sorgho à grains) puisent de fortes quantités d’azote et laissent des résidus culturaux difficilement dégradables par la microflore du sol. En revanche, spécialement en présence de cultures fourragères ou de cultures protéiques dans la rotation, le “coût environnemental” diminue sensiblement. Dans ces cas, l’azote résiduel des cultures de la
PROTÉIQUE
PROTÉIQUE
FOURRAGER
MONOCULTURE CÉRÉALIÈRE*
INDUSTRIEL
MAÏS*
0,00
Italie centrale Émilie-Romagne Plaine lombardo-vénitienne Italie méridionale et insulaire *Rotation de cultures standard normalement adoptée dans chaque région. **Différence entre la moyenne des valeurs enregistrées dans les rotations et les valeurs enregistrées dans le système céréalier.
HORTICOLE INDUSTRIEL
0,10
0,0
CÉRÉALIER*
50
10,0
MONOC. CÉRÉALIÈRE*
A HORTICOLE INDUSTRIEL
0,20
HORTICOLE INDUSTRIEL
FOURRAGER
0,30
INDUSTRIEL
0,40
CÉRÉALIER*
0,50
PROTÉIQUE
0,60
{D rotation céréalière** = -0,31 t CO2 eq/t}
INDUSTRIEL
0,70
Empreinte carbone (t CO2/t grains) CÉRÉALIER*
0,80
C
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
20,0
HORTICOLE INDUSTRIEL
30,0
40,0
INDUSTRIEL
Figure 3.3. Effets des systèmes culturaux du blé dur sur l’Empreinte carbone (A), la Rente brute (B), l’Efficacité de l’utilisation d’azote (C) et le Risque DON (D)
50,0
CÉRÉALIER*
60,0
{D rotation céréalière** = 100%}
PROTÉIQUE
À titre d’exemple, le graphique de la figure 3.3. (A, B, C et D) illustre les résultats de l’étude menée sur les effets des systèmes de culture sur l’Empreinte carbone, la Rente brute, l’Efficacité d’utilisation de l’azote et le Risque DON. Pour l’Empreinte carbone (figure 3.3. A), dans le cadre de chaque macro région, nous pouvons observer une variabilité intéressante : de manière générale, dans les systèmes
Efficacité de l’utilisation de l’azote (kg blé dur en grains/kg azote) FOURRAGER
70,0
CÉRÉALIER*
Résultats de l’étude
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Conclusion D’après cette étude, il est possible d’évaluer la “durabilité” d’une culture ou d’un système de culture à travers une analyse multidisciplinaire alliant différents indicateurs de type environnemental, agronomique, économique et de sécurité alimentaire. Cette vision holistique du système cultural ouvre d’importantes perspectives stratégiques et construit des scénarios pouvant permettre de centrer les objectifs d’une agriculture moderne. Il est évident que les caractéristiques d’une espèce, dans ce cas le blé dur, sont fortement liées au contexte (système ou modèle) dans lequel elle est cultivée. En effet, ce contexte modifie considérablement non seulement tous les paramètres de “durabilité” mais également la qualité et la quantité finale de la matière produite. Mais la chose la plus intéressante est de découvrir que l’application des pratiques agronomiques traditionnelles et en particulier une bonne rotation des cultures garantissent une production écologiquement durable. Le prochain pas est d’impliquer directement les exploitants agricoles et les experts du secteur afin que les notions de durabilité et de productivité s’inscrivent dans les stratégies d’entreprises comme deux aspects de la production agricole parfaitement conciliables. Pour pouvoir centrer ce dernier objectif, dès les prochains ensemencements, des cultures-pilotes seront lancées dans des contextes rotationnels plus favorables et économiquement viables, dans un réseau d’exploitations agricoles couvrant l’ensemble de la péninsule (figure 3.4.). Pour mieux expliquer tout cela aux agriculteurs, un Décalogue Barilla a été développé pour la culture durable du blé dur de qualité. Figure 3.4. Projet Blé Dur et Systèmes Agricoles Durables. Disposition des plateformes de validation des exploitations “pilotes”
L’application des pratiques agronomiques traditionnelles et en particulier une bonne rotation des cultures, garantit une production écologiquement durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
rotation permet une réduction des apports artificiels du nutriment et des techniques de travail du sol de type conservatoire : labour minimum ou ensemencement direct. L’analyse économique de la rentabilité de la culture du blé dur reflète également les considérations faites précédemment (figure 3.3. B). Les systèmes céréaliers, en particulier ceux du Centre et du Sud de l’Italie, sont à la limite de la viabilité économique, compte tenu que les prix du blé dur appliqués sont ceux relevés à la Bourse des Marchandises de Bologne (Principal marché céréalier italien) au moment de la rédaction de cette note (280 €/t). L’efficacité de l’utilisation de l’azote dans le blé dur est plus élevée dans les alternances en Italie centrale, en particulier à l’issue du cycle d’herbes médicinales, qui libère dans le sol d’importantes quantités d’azote (figure 3.3. C). Le risque DON (figure 3.3. D) a été calculé à travers les modèles mathématiques de l’Université Cattolica de Plaisance, qui attribuent la moitié des risques aux variables climatiques et l’autre moitié aux facteurs agronomiques (précession, type de travail du sol, variété, etc.). Le risque de présence de la mycotoxine est supérieur dans les régions du Nord et en particulier dans le système de culture du maïs de la plaine lombardo-vénitienne et dans le système céréalier de l’Émilie-Romagne. Néanmoins, le risque existe, bien qu’à de très faibles niveaux, même dans les macro régions du Centre et du Sud, uniquement où la rotation des cultures est dominée par les céréales.
53
52
PARME
BOLOGNE FERRARA
PISE
ANCÔNE MACERATA
FOGGIA
© Corbis
Source : Durabilité des systèmes culturaux basés sur le blé dur, tiré de “Grano Duro News”, 2011.
Le décalogue Barilla de la culture durable du blé dur de qualité
© Corbis
termes de productivité et de qualité technologique. 4. N’utiliser que des semences certifiées traitées : seules les semences certifiées garantissent l’identité variétale (potentialité productive, qualité technologique et résistance aux adversités) et la qualité de la graine (pureté, pouvoir de germination.). 5. Semer au bon moment : chaque variété a son époque de semence idéale qui peut varier en fonction de la zone et des conditions météorologiques. 6. Utiliser la bonne dose de semences : choisir la densité de semence en fonction de la variété, de la zone, de la période d’ensemencement et des conditions du sol car un ensemencement trop dense ne permet pas à la culture de tirer pleinement parti des ressources, favorise le développement de maladies et entraîne des verses. 7. Limiter les adventices en temps utiles : les traitements doivent être faits au bon moment et adaptés au type d’adventice et aux conditions environnementales et culturales. 8. Doser l’azote en fonction des nécessités de la plante : l’utilisation de fertilisants azotés doit être adaptée au niveau des quantités et des périodes d’utilisation. 9. Protéger la plante contre les maladies : effectuer les traitements de défense en fonction des conditions de risque et en adoptant une stratégie qui englobe tous les aspects culturaux. 10. Étendre la durabilité au système d’entreprise : encadrer la culture du blé dur au plan de système cultural (rotation) sans se limiter au contexte de la seule culture mais en appliquant des mesures de durabilité à la gestion générale de l’exploitation. © Barilla
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
Les résultats de l’étude menée par Barilla sur le blé dur italien montrent que la bonne application des connaissances et des pratiques agronomiques aide non seulement à améliorer les rentabilités des cultures et la qualité des produits, en permettant d’augmenter le revenu généré par les cultures, mais elle aide aussi à réduire les impacts environnementaux (jusqu’à -40% de gaz à effet de serre en moins) grâce à une plus grande efficacité de fertilisation. Etant donné les résultats de cette étude, Barilla a réalisé un “Décalogue” pour la culture du blé dur : une liste de principes directeurs pour les agriculteurs qui ont à relever les défis complexes de l’agriculture durable. Enrichi par les résultats de nombreuses expérimentations pratiques, ce document souligne l’importance de l’adoption de rotations culturales favorables, de l’utilisation raisonnée des ressources et du bon emploi des moyens techniques. En outre, il démontre que, en plus de contribuer à la diminution des impacts sur le milieu, les pratiques agronomiques correctes permettent d’obtenir des productions optimales, tant du point de vue qualitatif que quantitatif. 1. Alterner les cultures : intégrer le blé dur dans une rotation culturale favorable. La mono succession et les rotations exclusivement céréalières sont, en effet, à l’origine d’impacts environnementaux élevés et de faibles rendements. 2. Travailler le sol en le respectant : opter pour un travail flexible, en utilisant des outils et des profondeurs adaptés aux conditions spécifiques, au climat et au système de culture dans lequel le blé dur est intégré, selon les lignes directrices suivantes. 3. Utiliser la meilleure variété : sélectionner la variété à semer en fonction de la zone de culture et des attentes en
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Les résultats d’un étude sur le blé dur au Canada
1
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Les améliorations des systèmes culturaux peuvent contribuer à atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Cette étude a déterminé l’Empreinte carbone du blé dur (Triticum turgidum L.) produite dans différents systèmes culturaux. Le blé dur a été cultivé dans les sites de Saskachewan, au Canada, avec des systèmes de rotation quinquennale. Les cultures de graines oléagineuses ont été alternées avec les cultures de légumes et de céréales. Les émissions totales de gaz à effet de serre provenant de la décompo-
sition des résidus culturaux et des différents facteurs de production ont été utilisés pour estimer les émissions de l’Empreinte carbone. En moyenne, les émissions provenant de la décomposition de paille et de racines des cultures représentaient 25% des émissions totales. Les émissions dues à la production, au transport, au stockage et à la distribution de fertilisants et de pesticides jusqu’aux grilles de l’exploitation agricole et à leur application représentent 43%. Enfin, les émissions liées aux activités agricoles représentent 32%.
Figure 3.5. L’Empreinte carbone du blé dur cultivé avec différents systèmes de culture dans la région sud-ouest de Saskachewan au Canada. Les données sont issues des moyennes de trois cycles de rotation faites dans les champs de 1996 à 1998 (premier cycle), de 1997 à 1999 (deuxième cycle) et de 1998 à 2000 (troisième cycle). Les barres représentent les erreurs standards
56 % DIMINUTION
Légumes secs – légumes secs – blé dur
-34,2
Légumes secs – graines oléagineuses – blé dur
-22,4
Légumes secs – céréales – blé dur
-21,1
Graines oléagineuses – légumes secs – blé dur
-29,1
Graines oléagineuses – graines oléagineuses – blé dur
-24,1
Graines oléagineuses – céréales – blé dur
-17,7
Céréales – légumes secs – blé dur
-20,6
Céréales – graines oléagineuses – blé dur
-9,6
Céréales – céréales – blé dur
100
0,10
0,20
0,30
0,40
0,50
Empreinte carbone (kg CO2 = kg -1 de blé dur)
Source : Gan, Y., C. Liang, X. Wang, B. McConkey, Lowering Carbon Footprint of Durum Wheat by Diversifying Cropping Systems, dans “Field Crops Research”, 122 (3), p. 199-206, Elsevier, 2011.
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SYSTÈMES DE CULTURES
ANNÉE 1 – ANNÉE 2 – ANNÉE 3
© Corbis
4. UN MODèLE D’ANALYSE ET DE SIMULATION
4. UN MODèLE D’ANALYSE ET DE SIMULATION
Figure 4.1. Production agricole pour la nutrition humaine 3500
(kcal/par personne/par jour)
3250
3000
2750
2500
Dans tous les scénarios, la quantité de calories produite est bien au-dessus des besoins moyens recommandés
2250
Données
Stopped HEI Growth
Business As Usual (BAU)
Strong HEI Growth
2050
2045
2040
2035
2030
2025
2020
2015
2010
2005
2000
1995
1990
1985
1980
1975
2000 1970
Le besoin moyen en calories pour l’apport énergétique (kcal/par personne /par jour) pour les hommes et les femmes de 18 à 60 ans (FAO)
Source : base de données FAO.
61 Figure 4.2. Production agricole pour la nutrition humaine dans le cas d’un choc énergétique
3500
kcal/par personne/par jour
3250
3000
2750 min. FAO
2500
L’HEI est fragile et non résistante aux chocs énergétiques
2250
Données
Stopped HEI Growth-Energy Shock
BAU-Energy Shock
Strong HEI Growth-Energy Shock
Source : base de données FAO.
Le besoin moyen en calories pour l’apport énergétique (kcal/par personne /par jour) pour les hommes et les femmes de 18 à 60 ans (FAO)
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2045
2040
2035
2030
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2005
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1995
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1985
1980
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L
e BCFN, en essayant d’interpréter les typologies des modèles agricoles actuels et de proposer des alternatives pour le futur, a réalisé – en collaboration avec le Millennium Institute1 – un modèle de simulation pour étudier l’impact des changements dans les pratiques agricoles courantes sur la quantité de nourriture disponible au niveau mondial2. Les conclusions tirées à partir de ce modèle sont à la base de beaucoup de réflexions exprimées jusqu’ici. Par cette analyse, nous essayons de comprendre l’impact que pourraient avoir sur le système agricole mondial des chocs externes de grande importance, résumés ici en une augmentation extrêmement significative du prix du pétrole ; ceci compte tenu de différents scénarios d’évolution, exprimés en termes de modèles agricoles adoptés. Nous avons notamment mis en évidence et stylisé deux modèles agricoles principaux : - un modèle Low External Input (LEI), caractérisé par un faible apport d’énergie et une importante force de travail3 ; - un modèle High External Input (HEI), caractérisé par une consommation élevée d’énergie et de fertilisants inorganiques4. Les deux modèles représentés se distinguent surtout par les diverses caractéristiques de durabilité dans le temps. Prenons un arc temporel de 80 ans (1970-2050) et évaluons l’impact sur la quantité de kcal produites par an et par personne, nous pouvons faire des hypothèses sur les choix de politique productive les plus adaptés. Il est important de préciser que, d’après les simulations effectuées5, la quantité d’aliments produite chaque année est suffisante pour nourrir la population mondiale, même dans une perspective future, en tenant compte d’un taux de croissance de la productivité en ligne avec celle d’aujourd’hui et des prévisions de développement démographique formulées par la FAO et par l’OECD6. Une partie importante des problèmes que le système agroalimentaire doit résoudre – comme anticipé précédemment – dépend des risques liés à la distribution, à l’usage prévu et au gaspillage de l’aliment produit. Dans des conditions de grande disponibilité d’énergie, le modèle de simulation prévoit trois scénarios différents (figure 4.1.) : - Scénario Business As Usual (BAU) : les pratiques à haut niveau d’intrants externes couvriront 60% de la totalité des régions cultivées en 2050 ; - Scénario Strong HEI Growth : les pratiques à haut contenu d’intrants externes se répandront à un rythme accéléré et couvriront 90% du total des régions cultivées en 2050 ; - Scénario Stopped HEI Growth : on assistera à une diffusion limitée des modèles à utilisation intensive d’intrants externes qui maintiendront le quota annuel de terres cultivées à 45% en 2050. Par ailleurs, nous avons simulé une hausse rapide du prix du pétrole entre 2025 et 2030 (figure 4.2.) (un contexte défini “Very High Energy Price”) : les prix du pétrole augmenteront rapidement atteignant en 2030 les 200 dollars le baril, pour ensuite se stabiliser autour de 280 dollars le baril en 2050. À cause de l’augmentation rapide du prix du pétrole, les coûts des fertilisants inorganiques augmenteront considérablement, ce qui déterminera une réduction de son emploi : dans ces conditions, en effet, seules
1970
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la quantité de nourriture produite chaque année est suffisante pour nourrir la population mondiale, même future
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
min. FAO
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la simulation met en évidence la fragilité du système agricole global
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Nouveaux modèles pour une agriculture durable
trois scénarios analysés : a) BAUEnergy Shock, b) Strong HEI GrowthEnergy Shock et c) Stopped HEI GrowthEnergy Shock
les cultures à forte valeur ajoutée pourront en bénéficier et, en général, seulement 50% de la totalité des sols cultivés. C’est pourquoi, les effets sur le nombre de kcal par personne et par an ont été estimés pour chacun des trois scénarios de base (BAU-Energy Shock, Strong HEI Growth-Energy Shock, Stopped HEI Growth-Energy Shock). Le modèle construit est donc un modèle de simulation qui essaie de comprendre les conséquences d’un choc global selon la configuration du système agricole global. La variable discriminante est l’utilisation de l’énergie comme facteur de production primaire. Supposons, par exemple, une disponibilité d’énergie constante pendant les 80 années observées, le scénario de production qui donnera le rendement le plus élevé — en termes de durabilité — est le modèle Strong HEI Growth, suivi du scénario BAU (Business As Usual) et enfin du scénario Stopped HEI Growth (figure 4.1.). Dans un contexte de développement global simplifié, dans lequel les réductions possibles dans la disponibilité de tous les éléments qui composent le profil de durabilité ne sont pas prises en considération, partant du principe qu’il n’y aura pas de choc énergétique, une politique pro Strong HEI Growth conduirait à produire une disponibilité globale de calories bien supérieure à celle requise. Il est intéressant de noter que même le scénario Stopped HEI Growth semble être, dans tous les cas, apte à fournir, dans le futur, un apport calorique globalement très adéquat. Ceci indique qu’il ne semble pas y avoir de problème de disponibilité de calories globales. Cependant, il faut dire que ce modèle de simulation ne tient pas compte des inégalités entre les différentes zones géographiques, qui en réalité représentent le vrai problème. Par ailleurs, l’hypothèse d’une disponibilité constante d’énergie dans le temps est utopiste car les sources fossiles sont en constante diminution et les énergies renouvelables ne constituent pas encore une alternative valable. Pour conclure, donc, il est vraisemblable qu’il puisse se produire, à un certain moment, un choc dans l’offre d’énergie globale tel qu’il mettra à dure épreuve les systèmes à forte consommation d’énergie comme les modèles HEI. De tels modèles deviendraient, donc, économiquement insoutenables et peu rentables, et de graves problèmes se poseraient, liés au passage à des modèles plus efficients d’un point de vue de l’utilisation de l’énergie. Les coûts du changement de production se manifesteraient en termes d’une baisse d’extrants disponibles et de temps employé pour l’acquisition du savoir-faire nécessaire pour la transition. La figure 4.2. montre les effets estimés sur l’ensemble des extrants d’un choc énergétique entre le 2025 et le 2030. Les résultats de la simulation montrent comment, en cas de réduction de la disponibilité énergétique à partir de 2025, une approche à faible contenu d’intrants externes mènerait à un résultat Worse-Before-Better (WBB), c’est-à dire à une faible productivité sur une brève période avec un retour à des niveaux plus élevés de rendement sur le moyen et long terme. Les résultats seraient fortement influencés par le quota de céréales destinées à l’alimentation animale et à la production de biocarburants. En tout cas, une modification dans ces hypothèses ne varierait pas les résultats en termes qualitatifs, laissant inchangé le classement des scénarios du point de vue des kcal produites et du rendement. Dans le cas d’une crise énergétique, les conséquences dépendront fortement de la quantité de temps employée par les systèmes pour passer d’une agriculture HEI à une agriculture LEI (dans la direction d’un scénario Stopped HEI Growth) : en effet, si le laps de temps est court, les résultats de Strong HEI Growth-Energy Shock et BAU-Energy Shock seront moins négatifs. L’exemple ici reporté met en évidence la fragilité du système agricole entier. C’est avec cette fragilité qu’il faudra se mesurer positivement, à travers la promotion d’un mélange équilibré de modèles agricoles, construits pour faire face à des phénomènes de pénurie relative. Évidemment, la réalité est beaucoup plus complexe que la simulation faite dans un but de divulgation. En plus de possibles chocs énergétiques, en effet, nous trouvons de nombreux autres facteurs de risque à long terme : la disponibilité en eau, l’adaptation aux phénomènes atmosphériques, etc. Cependant, le résultat présenté est loin d’être banal car il illustre l’un des thèmes qui seront très importants dans le futur, quand la recherche de solutions basées sur des approches à consommation énergétique contenue et sur un niveau de connaissance élevé (selon la logique d’équilibre déjà décrite) deviendra l’un des aspects décisifs de la durabilité.
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Nous nous apprêtons à élaborer une évaluation sur les perspectives futures de la Politique Agricole Communautaire (PAC) à partir des réflexions de méthode proposées dans les paragraphes précédents. En novembre 2010, l’Union Européenne a défini, tenant compte surtout de la prochaine décennie, les lignes stratégiques et les orientations politiques sur lesquelles la Politique Agricole Commune du futur doit se fonder. L’agriculture de l’Union Européenne fait partie aujourd’hui d’un contexte globalisé très compétitif, suite à l’intégration croissante de l’économie mondiale, la libéralisation accrue des échanges et le niveau accentué d’incertitude et de volatilité actuel des marchés agricoles globaux. Les défis que le monde agricole de l’Europe devra relever d’ici 2020 apparaissent importants. L’Union Européenne s’interroge, en particulier, sur l’opportunité de définir par la PAC, un nouveau paradigme agricole pour l’Europe, dont les traits caractéristiques ont été condensés dans le document La PAC à l’horizon 2020 : Alimentation, ressources naturelles et territoire - relever les défis de l’avenir et dans les propositions de loi publiées le 12 octobre 2011. D’après ce nouveau paradigme, l’agriculture devrait de plus en plus associer la compétitivité à la croissance durable. D’un côté, il semble nécessaire que l’Union Européenne continue à apporter sa contribution pour satisfaire la demande croissante globale en produits alimentaires : par conséquent, le secteur agricole européen devra garder et développer sa capacité productive, en consolidant les bases du secteur alimentaire à travers des critères d’efficience économique et en renforçant sa position stratégique dans le scénario global.
D’un autre côté, il existe deux autres défis particulièrement critiques pour le futur du secteur agricole, même européen : le changement climatique et l’équilibre territorial. (Les défis dans le domaine de l’équilibre territorial, d’après la définition de la Commission, concernent aussi bien la vitalité des zones rurales que la diversification de l’agriculture européenne.) Quant à la protection de l’environnement, les organisations des agriculteurs n’ont pas accueilli avec faveur le nouveau plan qui affecte 30% des ressources économiques à des pratiques visant une utilisation plus efficace des ressources naturelles. Mais ce plan montre l’importance attribuée par l’Union Européenne aux problèmes du changement climatique et l’intention de prendre des décisions même impopulaires, pour défendre l’environnement. Conformément à cette position, l’Union Européenne s’apprête à renouveler son engagement pour la réduction des émissions de gaz à effets de serre d’origine agricole, qui ont déjà diminué de 20% depuis 1990 – et à consacrer une plus grande attention pour la revitalisation et le développement des nombreuses zones rurales, d’un côté parce qu’elles dépendent fortement du secteur primaire et, de l’autre, parce qu’elles permettent d’associer efficience, durabilité et traditions alimentaires. Et, pour finir, parmi les grands défis que l’agriculture européenne du futur devra relever, la pénurie des ressources naturelles (en eau et – surtout – en sol) aura un rôle à jouer, qui aura tendance à s’accentuer et à créer des conditions de criticité à cause de la demande croissante de produits alimentaires. À ce propos, grâce aux nombreuses interviews réalisées par le BCFN aux experts des politiques agricoles de l’Union euro-
péenne, il est apparu qu’on regarde avec attention l’évolution des techniques et des technologies du secteur agricole qui respectent les critères de durabilité, pas seulement les développements dans le secteur semencier, mais aussi l’utilisation efficiente des ressources limitées et la mitigation des impacts du changement climatique. Etant donné les analyses – et les objectifs définis dans la Stratégie Europe 2020 (croissance intelligente, durable et inclusive) – trois objectifs majeurs ont été indiqués sur les stratégies et le cadre d’action pour les réaliser d’ici 2020. La Politique Agricole Commune devrait, en particulier : - garder le potentiel de production des aliments de l’Union Européenne dans le respect des critères de durabilité : on devra satisfaire à cette condition afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement alimentaire à long terme des citoyens de l’Europe et de contribuer à satisfaire la demande mondiale toujours croissante de produits alimentaires ; - aider les communautés agricoles qui assurent aux citoyens de l’Europe une grande variété de denrées alimentaires de qualité qui sont produites de façon durable et selon les objectifs fixés par l’Union Européenne en matière d’environnement, d’eaux, de santé et de bienêtre aussi bien des animaux que des plantes et de santé publique ; - préserver la vitalité des communautés rurales, pour lesquelles l’agriculture constitue une activité économique importante qui occupe de la main-d’oeuvre locale avec plusieurs avantages du point de vue social, économique, environnemental et territorial. Le commissaire de l’Union Européenne pour l’agriculture et le développement rural – Dacian Cioloç – a résumé la pensée
de fond des lignes directrices élaborées jusqu’ici sur la nouvelle PAC, définissant la Politique Agricole Commune « plus verte, plus équitable, plus efficiente et plus efficace ». En bref, jusqu’ici les trois grands objectifs de la nouvelle PAC sont : - objectif 1 : une production alimentaire efficace ; - objectif 2 : une gestion des ressources naturelles de façon durable et la défense du climat ; - objectif 3 : un développement équilibré du territoire. Pour réaliser les grandes orientations, les moyens étudiés sont nombreux et complexes ; pour un résumé des options techniques principales qui dominent maintenant le débat, nous renvoyons, étant donné les objectifs de ce travail, au document de la Commission La PAC à l’horizon 2020 : Alimentation, ressources naturelles et territoire — relever les défis de l’avenir et aux propositions de loi du 12 octobre 2011. Quelles observations est-il possible de formuler sur les premiers documents/débats sur le futur de la PAC, étant donné les réflexions que le BCFN a déjà produites et est en train de produire sur l’agriculture et la durabilité ? En premier lieu, comme le BCFN l’a déjà souligné à plusieurs reprises, le problème de la sécurité alimentaire est destiné à acquérir une importance particulière dans le futur. Le plan de la PAC prévoit un travail énorme pour relever le défi de la sécurité alimentaire, qui passe par l’innovation et une plus grande diffusion de la formation dans le milieu agricole et d’une série de moyens de contrôle du marché qui permettent aux institutions européennes d’agir sur le marché agricole en cas d’instabilité.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
BCFN Index Nouveaux modèles 2011 pour une agriculture durable
Quelles réflexions pour une Politique Agricole Communautaire durable ?
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BCFN Index Nouveaux modèles 2011 pour une agriculture durable
de revitaliser les communautés rurales est appréciable, l’une des conditions essentielles pour assurer une gestion efficace du territoire, des sols et des cultures traditionnelles. La richesse/variété des systèmes agricoles, typique du contexte européen, représente une valeur ajoutée qui devra être nécessairement valorisée dans la prochaine décennie, également dans la perspective de conjuguer l’efficience et la durabilité agricole. En termes de moyens opérationnels – sans trop entrer dans les détails techniques, qui n’est pas là l’un des objectifs du BCFN – il apparaît possible de mettre en évidence que les aides économiques aux agriculteurs peuvent être l’un des moyens principaux pour encourager la diffusion/ redécouverte de bonnes pratiques agricoles, également du côté du commerce, avec des effets positifs – dans ce dernier cas – même sur la volatilité des prix agroalimentaires qui constitue l’un des défis à la sécurité alimentaire le plus inquiétant pour le futur. À ce propos, il est utile de rappeler que le BCFN a plusieurs fois souligné l’importance de la conservation d’un “réseau de sécurité”, qui protège l’Europe et le monde entier de situations extrêmes agissant sur la volatilité des prix. Le BCFN peut, pour cette raison, donner son support à l’inclusion d’une prime dans le contexte du plan de la PAC et suggérer l’introduction de réseaux de sécurité (intervention et stockage privé) pour les aspects liés à l’agriculture de la chaîne de distribution les plus exposés à la crise. En outre, ces primes pourraient contribuer à diffuser une prise de conscience adéquate de l’importance, comme le BCFN l’a déjà souligné, de redécouvrir et de respecter les traditions et les cultures locales, assurant une aide économique aux cultures et aux
productions qui, en raison de la tradition, des habitudes alimentaires et de l’impact global sur l’environnement, s’adaptent mieux aux différents contextes territoriaux, à l’intérieur de la Communauté. L’intention de rediscuter à la base l’instrument communautaire des quotas de production apparaît positive, dans le cadre de l’orientation commerciale tenue constamment présente par la PAC et qui apparaît aussi en ligne avec les réflexions exprimées par le BCFN sur la fluidité et la liberté d’accès des marchés agroalimentaires mondiaux, ce qui semble soutenir les contextes agricoles moins favorisés. Enfin, l’un des aspects sur lequel le BCFN a le plus insisté pendant ces dernières années a été la nécessité de réaliser des initiatives et des projets à long terme, en évitant le plus possible de tomber dans le piège d’une vision à court terme. Une planification globale sur plusieurs années semble donc utile, visant à améliorer l’efficience économique et environnementale
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du secteur agricole, à développer des mesures propres à garantir la sécurité et la qualité des aliments, à développer des techniques et des technologies agricoles durables et, enfin, mais non des moindres – à réaliser un processus réel d’affectation/ partage de connaissances et de compétences agroalimentaires, à commencer par les plus liées aux spécificités territoriales. Les fonds européens pour la recherche et l’innovation seront affectés à des projets importants pour les agriculteurs, avec une attention à l’étroite coopération entre les chercheurs et les agriculteurs. Il existe des signaux encourageants d’un changement : du simple “transfert” des connaissances des chercheurs aux agriculteurs, à l’inclusion de ces derniers dans les activités de recherche. Cependant, il n’apparaît pas de signaux d’élargissement de la filière agricole et par conséquent, de la planification aux transformateurs et aux utilisateurs qui font partie intégrante de la filière même.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable BCFN Index 2011
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Ces actions devraient assurer la cohésion d’une approche multidisciplinaire qui associe la dimension sociale, environnementale et économique à celles de la recherche et du développement, et devraient contribuer à la création d’un modèle d’agriculture durable en Europe. La Commission se propose d’investir 4,5 milliards d’euros (le double du budget actuel) pour la recherche en agriculture à travers le nouveau “Partenariat européen pour la recherche et l’innovation”. Ces actions sont destinées à développer une stratégie pour augmenter de façon durable la production agricole et l’adapter aux attentes des consommateurs. De manière générale, l’Union Européenne a une grande opportunité/responsabilité : définir un parcours de réflexion sur la durabilité de modèles agricoles, qui permette d’influencer les choix à faire dans ce secteur au niveau mondial par des lignes directrices qui pourront devenir globales, dans le cadre de la durabilité agricole. De plus, ce type de proessus pourrait conduire à une plus grande valorisation de la qualité de la production agroalimentaire européenne dans les marchés internationaux complexes, dépassant les logiques qui ne tiennent compte que du prix. En Europe, dans le cadre de la durabilité agricole, le rôle de l’utilisation des sols agricoles pour la production de biocarburants devra être pris en considération ; il pourrait constituer un point critique – au cas où une “compétition” entre “destination alimentation” et “destination énergie” serait relevée dans l’utilisation limitée du sol – : en ce sens, une attention particulière devra être accordée au système total des mesures d’encouragement-découragement qui sera esquissé par la Communauté. Dans le cadre des réflexions exprimées par le BCFN ces dernières années, l’intention
67
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5. CONCLUSIONS
5. CONCLUSIONS
à l’emploi optimisé de fertilisants organiques et inorganiques, à la gestion intégrée des parasites et des maladies à travers des pratiques appropriées2 (basées sur la biodiversité, la sélection et l’emploi de pesticides à faible impact sur l’environnement) et, quand il le faut, à la gestion efficiente des ressources hydriques – permettent d’obtenir de meilleures prestations en termes de durabilité, pour un même macro modèle de référence (HEI, LEI, IEI)3. A l’intérieur du Chapitre 3 de ce document, vous trouverez un bref résumé de l’expérimentation menée par Barilla qui a consisté à récupérer ces “bons” principes directeurs dans certaines exploitations agricoles fournissant les matières premières. A l’heure actuelle, les résultats sont très encourageants.
70
L’
agriculture est un domaine d’activités complexe qui se prête mal à de faciles simplifil’agriculture est un domaine d’activité cations, raison pour laquelle il est difficile de tirer des conclusions univoques à partir complexe qui se de l’analyse réalisée. Nous pouvons malgré tout identifier certains principes de fond. prête mal aux Il s’agit d’un ensemble de preuves, de réflexions et de lignes de tendance qui caractérisent une simplifications faciles approche possible pour la construction d’une réelle durabilité. Notamment, nous allons énoncer de manière synthétique les sept points d’attention, selon nous, fondamentaux :
1 L’agriculture durable se caractérise par une approche conceptuelle et opérative systémique.
Pour un futur de durabilité, il faudra apprendre de plus en plus à ”garder ensemble”, selon une approche multidisciplinaire, la dimension sociale, environnementale, économique et celle de la recherche et du développement. Les approches qui ont tendance à poursuivre des objectifs partiels, même de manière très efficace, ne pourront recueillir que quelques succès à court terme dans une des dimensions, mais elles n’aideront pas à gagner le défi de la durabilité. Par exemple, revitaliser les communautés rurales est un objectif particulièrement appréciable, une des conditions essentielles pour garantir une gestion efficace du territoire et des terres. En effet, la richesse/variété des systèmes agricoles représente une valeur ajoutée, dans la perspective aussi de conjuguer efficience et durabilité agricole. 2 L’agriculture durable est basée sur un nombre élevé de pratiques agricoles déjà connues.
La connaissance disponible, faite de notions scientifiques et de pratiques consolidées, s’est cristallisée à l’intérieur de quelques grands principes concrets qui ont inspiré une activité agricole réellement durable. En effet, il existe une convergence toujours plus grande des logiques que les meilleurs pratiques agricoles, déclinées spécifiquement dans les différentes situations, devraient respecter. Il s’agit de1: cultiver une plus large gamme d’espèces végétales, en partant d’une pratique systématique des rotations culturelles (pratique très utilisée dans le passé) sur les mêmes superficies de terres, pour arriver à une bonne répartition d’arbres, d’arbustes, de pâturages et de cultures sur le territoire, dans le but d’améliorer la résilience du système ; minimiser les interventions mécaniques sur le terrain dans le but de garder la structure et la matière organique du sol inchangées ; améliorer et garder une couverture protectrice organique sur la superficie du sol, en utilisant des espèces à cycle réduit dans les périodes d’alternance des cultures, des cultures de couverture ou les résidus organiques de la récolte, afin de protéger la superficie des terres et de contribuer à la gestion intégrée des parasites et des plantes adventices. Ces techniques – associées à l’emploi de variétés végétales à haut rendement (résistantes aux stress biotiques et abiotiques et pourvues de bonnes qualités nutritionnelles),
Grâce au développement de la science, l’activité agricole est toujours plus caractérisée par l’articulation et par la vastité des connaissances acquises relativement aux caractéristiques de l’environnement naturel et la physiologie des espèces végétales. A cela s’ajoute l’expérience pratique accumulée pendant des siècles d’activité. En d’autres termes, il y a un patrimoine de connaissances disponibles d’une valeur extraordinaire qui, toutefois, ne sont utilisées que partiellement aujourd’hui. Dans certains cas, cela s’explique par l’absence de procédés efficaces de transfert du savoirfaire ; dans d’autres, parce qu’on croit que la technologie disponible rend superflue, du moins en partie, une connaissance approfondie des dynamiques naturelles. En résumé, indépendamment du modèle adopté (HEI, LEI, IEI), le plus grand problème que l’agriculture doit affronter aujourd’hui, au niveau global, est l’exigence de renforcer sa base de capital humain, en comblant ainsi le vide entre connaissances disponibles et compétences indivi duelles et de système. Sur cet aspect, il faudra programmer d’importants plans d’investissement car c’est la condition préalable pour chaque développement qui vise à une plus grande durabilité. 4 Modèles agricoles adaptés à des contextes spécifiques : l’objectif est de réduire les intrants externes.
Une fois ces conditions posées, selon nous, il n’y a pas de paradigmes agricoles bons ou mauvais à priori. Il existe certainement des modèles HEI qui se révèleront insoutenables dans les faits et des modèles LEI qui ne pourront pas être développés dans tous les contextes. Cependant, à côté de ces modèles, une large gamme de réalité prend forme, c’est-à-dire celle des IEI adjacents aux LEI qui peuvent être gérés de manière adéquate, en fonction des exigences de durabilité déjà citées. Le choix du modèle dépend des conditions de contexte. Dans un contexte géographique où les systèmes HEI à haut rendement économiques sont enracinés (comme aux ÉtatsUnis, au Brésil et en Argentine), il n’est pas logique de proposer ou de supposer des choix extrêmes de rupture et de discontinuité. Il faut plutôt s’interroger sur les limites du modèle adopté, en termes de durabilité, pour apporter ensuite les bonnes corrections, en commençant éventuellement à raisonner en termes de portefeuille des modèles agricoles gérés. De même, le passage obligé pour l’Europe est de pratiquer des modèles IEI/LEI toujours plus sophistiqués, basés sur des mécanismes efficaces d’application des connaissances. En d’autres termes : ce qui compte est la ligne de tendance, c’est-à-dire le déplacement vers des paradigmes IEI toujours plus durables et l’équilibre entre les modèles à l’intérieur des macro-régions. Un raisonnement différent, au contraire, doit être fait pour les Pays en voie de développement : là où les modèles agricoles durables ne sont pas encore actifs d’un point de vue économique et social, il ne faut pas tomber dans l’illusion de l’importation facile de paradigmes de l’extérieur, mais plutôt adapter et revoir les modèles qui sont adéquats aux caractéristiques spécifiques de la réalité locale.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
3 Le “savoir” agronomique est peu répandu.
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PRODUCTIVITÉ FAIBLE
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7 Les facteurs exogènes de la durabilité en agriculture : déchets alimentaires et pertes, biocarburants.
Adaptation aux caractéristiques spécifiques du contexte territorial Systèmes productifs HEI (High External Input)
Réduction de l’emploi d’intrants inorganiques et introduction de pratiques de conservation et enrichissement du sol
Systèmes productifs IEI (Intermediate External Input)
SYSTÈMES DE TRANSITION
Remplacement des intrants externes par des processus biologiques diversifiés
Il ne faut pas oublier qu’une grande partie des problèmes qui affligent le système agricole et agroalimentaire sont étrangers aux choix des modèles et à la recherche d’optimisation de ces derniers. Il y a, en effet – comme nous l’avons vu en ouverture de ce document – des phénomènes de large impact qui influencent le système des objectifs que l’agriculture se donne, en exagérant outre mesure le thème des volumes de production, aux dépens d’une approche plus équilibrée : il s’agit surtout du gaspillage alimentaire, qui prend des proportions réellement inquiétantes et qui représente un des défi pour la durabilité agricole future. Á côté du thème de la perte/du gaspillage de ce qu’aujourd’hui l’agriculture mondiale produit, il ressort une question qui occupe une place centrale dans les choix d’allocation des ressources dans le domaine agricole (aussi bien financières que physiques) : la production de biocarburant. Aussi bien pour le thème du gaspillage que pour celui du biocarburant, la gestion inadéquate du problème, d’un côté, et les choix discutables dans le domaine de la politique énergétique de l’autre, se traduisent par des pressions très fortes pour que le système de l’agriculture comble des carences qu’il ne devrait pas prendre en charge.
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Systèmes productifs LEI (Low External Input)
NON-DURABLE
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
PRODUCTIVITÉ ÉLEVÉE
Figure 5.1. La transition vers la durabilité
DURABLE
Source : adaptation d’après The European House-Ambrosetti, 2011.
5 Biodiversité comme instrument pour une gestion correcte du risque.
Une approche pragmatique, et surtout sans préjugés, du choix entre les paradigmes agricoles permet – au niveau de l’élaboration des politiques – d’optimiser la résilience totale des systèmes agricoles. En effet, une gestion correcte de la biodiversité et la coexistence de différents modèles, tous optimisés en fonction de la durabilité, amplifie les possibilités de réponses aux événements défavorables et la recherche d’objectifs spécifiques de système, quand ces systèmes s’alternent (par exemple, une excellente qualité contre de grands volumes). 6 Investissements dans la technologie pour rendre l’agriculture plus apte à s’adapter aux changements.
Selon la lecture que nous proposons, la technologie aussi assume une connotation différente de celle qui domine trop souvent ces temps-ci. En effet, parler aujourd’hui de technologie en agriculture, c’est se référer souvent uniquement à la productivité et au rendement car on pense qu’il suffit d’améliorer chaque variété pour les augmenter. Cependant, la capacité d’adaptation qui s’exprime dans la gestion intégrée et harmonique d’un large éventail d’instruments et de logiques de gestion est encore plus importante : des variétés végétales résistantes au stress, la gestion de systèmes avancés d’irrigation, l’approche scientifique de la fertilisation, etc.
© Corbis
Alex Treadway/National Geographic Stock
AnnexE
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Prémisse
L
e Barilla Center for Food & Nutrition mène actuellement une étude des impacts à long terme (jusqu’en 2050) de différentes pratiques agricoles (ou paradigmes agricoles). L’étude examine différents scénarios avec l’objectif de faciliter la connaissance des mécanismes clés qui lient l’agriculture au reste du système social, économique et environnemental et ses implications à long terme. L’initiative fait partie du plus vaste programme d’études entrepris par Barilla dans le domaine de l’environnement et de la durabilité. Cette enquête sur l’agriculture durable donnera une perspective systémique plus ample et des suggestions pour le débat imminent sur le renouvellement de la politique agricole commune de l’Union Européenne. Le Millenium Institute (MI), qui soutient l’étude sur les impacts à long terme (jusqu’en 2050) de différentes pratiques agricoles (ou paradigmes agricoles) du Barilla Center for Food and Nutrition, a élaboré et utilisé dans ce but un modèle global Threshold21 (T21) pour la simulation de scénarios représentatifs à long terme de l’agriculture au niveau global (1970-2050), qui tiennent compte du développement agricole sur la base de différents degrés de diffusion du paradigme actuellement dominant (systèmes à haut contenu d’intrants externes, à savoir High External Input – HEI) par rapport au paradigme alternatif (systèmes à faible contenu d’intrants externes, à savoir Low External Input – LEI). Chaque paradigme est caractérisé par la quantité de ressources nécessaires pour le soutenir, par la productivité et par les impacts environnementaux impliqués. Les simulations tiennent compte des conditions extrêmes en termes de limitations des ressources sur la longue période (les limitations énergétiques) pour évaluer l’efficacité des différents paradigmes dans ces conditions. L’analyse se concentre en particulier sur l’aspect didactique : le but n’est pas d’obtenir des prévisions exactes ou des scénarios très probables, mais d’examiner surtout des situations extrêmes vraisemblables et de fournir des indications sur les mécanismes des systèmes clés qui joueront un rôle fondamental en façonnant le développement de l’agriculture sur la longue période. En bref, le document poursuit les buts suivants : - évaluer, à travers une analyse des scénarios, les implications pour la durabilité sur la longue période des deux paradigmes agricoles extrêmes (HEI vs. LEI) ; - mettre en évidence le fait que l’agriculture fait partie d’un plus ample système social, économique et environnemental. Ce document offre une vision de synthèse de la structure du modèle et des hypothèses générales, montre les prémisses fondamentales qui caractérisent les divers scénarios et en décrit les résultats. Le document est conçu pour un grand public, c’est pourquoi il a été écrit en évitant le plus possible les aspects techniques de la modélisation.
Structure du modèle et hypothèses Structure générale et liaisons entre les secteurs Cette analyse est de nature globale et le monde sera considéré comme une entité unique, sans autres désagrégations géographiques. L’horizon temporel de référence est la période comprise entre 1970 et 2050. La modélisation, donc, se concentre en particulier sur les mécanismes qui règlent le développement social, économique et environnemental généralement à long terme avec un intérêt particulier pour le secteur de l’agriculture. Par conséquent, ce dernier sera plus détaillé que les autres secteurs. Le modèle est formé de 10 domaines, interagissnt tous dynamiquement, qui fournissent une perspective intégrée sur la longue période. La figure A.1. montre la structure générale du modèle et les liaisons entre les secteurs. Pour simplifier, seules les liaisons principales sont représentées. Les détails supplémentaires sont rapportés dans le paragraphe suivant. Figure A.1. Panorama de la structure du modèle : secteurs et interactions EMPLOI
INVESTISSEMENT
PAUVRETÉ
ÉNERGIE PRODUCTION : AGRICULTURE, INDUSTRIE, SERVICES
POPULATION
EAU
TERRE
SANTÉ
ÉDUCATION
Source : Millennium Institute, 2011.
Les 10 secteurs ont les caractéristiques fondamentales suivantes : - Population : divisée par âge (81 classes) et par sexe. La fertilité est déterminée par rapport aux revenus (secteur production) et à l’éducation (secteur éducation), tandis que la mortalité est déterminée en fonction de l’espérance de vie (secteur santé). - Éducation : mesurée sur la moyenne des années scolaires fréquentées et déterminée selon la dépense globale pour l’éducation de l’élève, à son tour définie en termes de quotas du PIB global. - Santé : mesurée en termes d’espérance de vie à la naissance, en distinguant entre hommes et femmes. L’espérance de vie est déterminée selon les revenus (secteur production) et la dépense sanitaire globale par personne, à son tour calculée en termes de quotas du PIB global. - Emploi : évalué en distinguant entre l’agriculture, l’industrie et le tertiaire. Pour l’industrie et le tertiaire, les taux d’emploi sont calculés en fonction du niveau du capital physique (secteur production) et de l’éducation (secteur éducation – les niveaux d’éducation plus élevés impliquant une intensité majeure du capital). Pour l’agriculture, l’emploi est déterminé aussi par les terres cultivées (secteur terre).
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
HYPOTHèSES, RECHERCHES ET RéSULTATS INTERMEDIAIRES DU MODèLE DE SIMULATION BCFN-MILLENNIUM INSTITUTE
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Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Figure A.2. Divisions de la production de cultures et d’aliments d’origine animale PRODUCTION DE CULTURES
PRODUCTION D’ALIMENTS D’ORIGINE ANIMALE
Céréales destinées à l’alimentation (y compris le riz, le froment et le millet)
Viande
Céréales à fourrage (toutes les autres céréales)
Produits Laitiers
Cultures fibreuses
Oeufs
FruIts
Poisson (exogène)
Cultures oléagineuses Légumes Racines/tubercules Fruits à coque Légumes frais Cultures sucrières Autre Source : élaboration du Millennium Institute sur des données FAO 2011.
eau, zone cultivée, connaissances, éducation, santé et emploi. Alors qu’une grande partie de ces facteurs est déterminée dans les secteurs décrits précédemment, la disponibilité des connaissances dans le domaine agricole et la qualité du sol sont calculées dans des soussecteurs spécialement conçus à cet effet. L’union de techniques agricoles et de notions sur la variété des semences et des fertilisants est considérée comme une composante fondamentale des connaissances dans le secteur agricole. Comme proxy pour cette union de connaissances, c’est la dépense cumulative qui est utilisée pour la R&D dans le secteur. Les investissements privés et publics pour la R&D, déterminés en termes de quotas de valeur ajoutée créé par le secteur agricole, sont mentionnés séparément. Pour la qualité du sol, le point de repère pris est la densité de macro nutriments sur la couche supérieure du sol, en particulier l’azote, le phosphore et le potassium. La densité des nutriments diminue avec la croissance des cultures et augmente avec l’usage des fertilisants inorganiques, organiques et d’autres méthodes organiques. La production de viande, de produits laitiers et d’oeufs est déterminée en fonction de la zone destinée aux pâturages et aux prairies permanentes, de la quantité de céréales à fourrage produite et de la productivité du secteur de l’agriculture. La production de poisson est exogène, car elle ne fait pas partie de l’objet de cette recherche. Figure A.3. Ressources clés qui influent sur la production agricole
Structure du secteur agricole En tant que but le plus important de cette étude – l’analyse des scénarios en relation aux paradigmes agricoles alternatifs –, le secteur de l’agriculture a été décrit avec une particulière richesse de détails. De manière analogue, la partie du secteur pauvreté sur l’alimentation et la distribution des aliments est plus approfondie par rapport à d’autres secteurs. Les paragraphes suivants fournissent une description des composants spécifiques du modèle. La production agricole est divisée en production de cultures, production d’aliments d’origine animale et production de forêts. La production de cultures et d’aliments d’origine animale est encore divisée comme indiqué dans la figure A.2. Les onze catégories liées à la production de cultures couvrent toute la variété de la production agricole, alors que la dernière catégorie restante – Autre – représente seulement une partie très limitée de la production et comprend des produits secondaires du point de vue des nutriments (comme les épices). La production est déterminée pour chaque catégorie de culture selon 9 facteurs principaux (figure A.3.) : capital physique, énergie, qualité du sol,
ÉNERGIE CAPITAL PHYSIQUE
EMPLOI
QUALITÉ DU SOL
EAU
AGRICULTURE
SANTÉ
ÉDUCATION
Source : Millennium Institute, 2011.
ZONE CULTIVÉE
CONNAISSANCES
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
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- Pauvreté : mesurée en termes financiers (pourcentage de la population au dessous du seuil de pauvreté) et de l’alimentation. Pour l’alimentation, les niveaux moyens par personne de calories, protéines et apport des graisses sont déterminés d’après la production agricole (secteur production). En outre, on définit le pourcentage de la population au dessous des niveaux minimums d’apport énergétique par l’intermédiaire d’une approche de distribution log-normale. - Production : elle inclut la production agricole, industrielle et tertiaire et elle est déterminée en utilisant une fonction de production Cobb-Douglas extensive, avec une détermination endogène de la productivité totale des facteurs (PTF). Pour l’industrie et le tertiaire, les facteurs de production fondamentaux sont la main-d’oeuvre (secteur emploi) et le capital. La productivité est déterminée par le niveau de l’éducation (secteur éducation) et de la santé (secteur santé). Pour l’agriculture, la production est ultérieurement divisée en différentes activités et cultures, comme il sera expliqué plus en détail dans cette Annexe. - Terre : c’est le secteur qui tient compte de quatre types de terre, à savoir la zone agricole, la zone de forêt, zone d’habitation et autre terre (qui inclut tous les autres types de terre non compris par les agrégats précédents). La croissance de la zone agricole et de la zone d’habitation est déterminée par le développement démographique (secteur population) et elle est limitée par la partie réduite de forêt et autre terre transformable à de telles fins. Selon le classement de la FAO, la zone agricole est encore divisée en terrains cultivables et en cultures permanentes, et aussi en pâturages et en prairies permanentes. - Eau : c’est le secteur qui détermine l’usage de l’eau pour les activités agricoles, industrielles, domestiques et communales. La demande d’eau pour l’usage agricole est calculée en fonction de la zone cultivée (secteur terre) et du type de culture (secteur production). La demande d’eau pour l’usage industriel est déterminée d’après le niveau industriel (secteur production). La demande d’eau pour l’usage domestique et communal est déterminée selon la population totale (secteur population) et selon les revenus par personne (secteur production). - Énergie : la demande d’énergie est divisée en cinq types, à savoir la demande de pétrole, de gaz, de charbon, d’électricité de sources non renouvelables. La demande d’énergie est divisée par secteurs, dont l’agriculture, l’industrie, le tertiaire, les transports, transports résidentiels et autres. La demande d’énergie est fondée sur l’intensité du capital (secteur production), sur les revenus par personne (secteur production) et en outre sur les prix de l’énergie, sur l’ampleur de la couverture du réseau et sur le progrès technique, facteurs définis de manière exogène. - Investissement : les ressources économiques épargnées sont investies dans les différents secteurs productifs suivant la taille et la rentabilité de chaque secteur.
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Biocarburants et autres produits
Nourriture pour les hommes (74% de production brute)
Traitement
Fourrage
Low External Input
Transport et distribution
Source : données FAO.
Intermediate External Input
High External Input
Aquaculture et pêche de capture
Agriculture de conservation, IPM, Systèmes d’élevage de précision Agriculture organique
Systèmes basés sur les OGM
Systèmes d’aquaculture multi-trophique Pâturages et cultures fourragères
Agriculture biodynamique Systèmes de l’agroforesterie
Polycultures traditionnelles et pérennes
Systèmes montagnards UPA
Systèmes mixtes de culture-élevage
SRI
Systèmes d’élevage HEI
(Systèmes Polydome)
Systèmes de culture HEI
Systèmes mixtes de riz-poisson Systèmes basés
PÉRENNES/INTEGRÉS
ANNUALES
PLUS GRANDE RÉSILIENCE ET EFFICIENCE
MOINS DE RÉSILIENCE ET D’EFFICIENCE
Moins d’énergie de maintenance, basses émissions de gaz à effet de serre Grandediversité, connexion, cohérence
Plus d’énergie de maintenance, hautes émissions de gaz à effet de serre Peu de diversité, connexion, cohérence
Source : FAO/OECD, Food availability and natural resource use in a green economy context, 2001.
Paradigmes agricoles et scénarios Caractéristiques des différents modèles agricoles La FAO (2011) fournit une première définition large des deux types de paradigmes agricoles de production étudiés dans cette analyse, à laquelle s’ajoutent les hypothèses supplémentaires décrites dans ce document. La FAO définit les 2 paradigmes agricoles HEI et LEI : - Les systèmes HEI : - sont orientés vers le marché commercial ; - utilisent des variétés améliorées à haut rendement ; - leur mécanisation utilise une faible densité de main d’oeuvre ; - recourent presque complètement à des intrants externes de nature synthétique (fertilisants, produits pharmaceutiques, etc.). - Les systèmes LEI : - ont une forte tendance à la subsistance et sont peu orientés vers le marché ; - utilisent des cultivars traditionnels ; - adoptent des techniques de pointe et emploient une main-d’oeuvre qualifiée ; - n’utilisent pratiquement pas de nutriments externes, ni de produits chimiques de nature synthétique pour le contrôle des maladies et des agents d’infestation, mais mettent l’accent sur les cycles de nutriments sur place. En réalité, il y a un continuum de combinaisons de pratiques HEI et LEI et donc il n’est pas possible de classer un cas réel comme totalement appartenant au système LEI ou HEI. Comme nous l’avons vu précédemment, la FAO identifie une grande variété de systèmes de
production agricole en liaison à l’intensité d’usage d’intrants extérieurs correspondante. Pour simplifier, l’analyse caractérise quantitativement les deux différents paradigmes agricoles (LEI et HEI) de manière suivante : Hypothèse 1 : l’agriculture à faibles apports d’intrants externes (LEI) utilise environ 35% de maind’oeuvre en plus par hectare de terre cultivée par rapport à l’agriculture à intrants externes élevés (HEI). Cette hypothèse est fondée sur les résultats des suivantes études : - La Soil Association (2006) a calculé qu’au Royaume-Uni, l’agriculture organique fournissait 32% en plus d’emplois par exploitation agricole par rapport à l’agriculture traditionnelle. - Au Danemark, une conversion de l’agriculture traditionnelle à l’agriculture organique a augmenté de 35% le besoin de main d’oeuvre (Barthelemy, 1999). - Une étude effectuée en Turquie sur la production de raisins secs dans 82 entreprises agricoles traditionnelles a souligné que les intrants de main-d’oeuvre humaine sont en moyenne supérieurs (environ de 10%) pour les exploitations de type organique (Gündogmus et al., 2006). - En moyenne les systèmes organiques nécessitaient environ de 15% en plus de maind’oeuvre (Sorby, 2002; Granatstein, 2003). - Les agriculteurs qui ont adopté le système organique s’occupent aussi bien des activités de désherbage, de culture et de soin des plantes et des animaux (largement exécutées avec des machines agricoles et des produits chimiques dans les systèmes traditionnels) que de planter des cultures de couverture, de répandre du fumier et de produire de l’engrais (FAO, 2007).
Produits humains
Systèmes forestiers
NATURe
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Production Agricole Brute
Options de gestion des ressources naturelles
Permaculture
Figure A.4. Flux de production alimentaire agricole pour 2009 Semences
Figure A.5. Panorama des différentes systèmes LEI, IEI et HEI selon la FAO
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
80
Les flux de production des cultures destinées à l’alimentation (à part les cultures fibreuses) et des aliments d’origine animale sont utilisés pour définir les niveaux moyens d’alimentation, y compris la quantité journalière de calories, de protéines et de graisses par personne. Afin de calculer ces niveaux, – au net des pertes de récolte – on soustrait, à la production agricole, d’autres usages et pertes (figure A.4.) : les pertes lors du traitement, la quantité utilisée pour les semailles (si elle peut être appliquée), la quantité utilisée pour produire des biocarburants et d’autres produits non alimentaires et les pertes lors du transport et de la distribution. Ce qui reste représente la quantité de production agricole effectivement disponible pour l’alimentation humaine. Donc, les niveaux moyens d’alimentation par personne sont calculés en appliquant le contenu moyen correspondant de nutriments à chacune des dix cultures et aux quatre produits alimentaires d’origine animale. Les niveaux moyens d’alimentation sont utilisés aussi pour définir la distribution de la nourriture, en appliquant une approche log-normale. Ce qui permet de calculer le pourcentage de population au-dessous des standards alimentaires minimums. En outre, la proportion de nourriture gaspillée au niveau familial est déterminée pour calculer la proportion générale de nourriture non consommée.
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© Corbis
Les scénarios formulés Les scénarios analysés tiennent compte du développement agricole en fonction de différents degrés de diffusion du paradigme qui prévaut actuellement (systèmes à intrants externes élevés, High External Input – HEI), par rapport au paradigme alternatif (systèmes à faibles intrants externes, Low External Input – LEI). Chaque paradigme se caractérise par la quantité de ressources nécessaires pour le soutenir, par la productivité et par les impacts environnementaux appliqués. Les simulations prennent en considération les conditions extrêmes en termes de limitations des ressources sur la longue période (à savoir des limitations en termes de ressources énergétiques, hydriques, de la terre) pour évaluer l’efficacité des différents paradigmes dans ces conditions. Les fertilisants non organiques sont utilisés de manière intensive comme proxy pour estimer la diffusion passée et présente des systèmes HEI. Selon cette évaluation, en 1970, 30% environ de la
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Hypothèse 2 : l’agriculture à faibles intrants externes (LEI) utilise environ 50% d’énergie en moins par hectare de terre cultivée par rapport à l’agriculture à intrants externes élevés (HEI). - Selon la Soil Association (2006), la part la plus importante d’énergie utilisée dans l’agriculture traditionnelle – en moyenne 37% de l’énergie totale – est représentée par des pesticides et des fertilisants minéraux, en particulier l’azote et, en moindre quantité, le phosphore et le potassium. - Refsgaard & Co (1998) ont noté que l’usage de fertilisants représentait entre 25 et 68% de l’usage total de l’énergie, selon la qualité des cultures et des conditions dans lesquelles elles sont cultivées. - Une étude effectuée en Turquie sur la production de raisins secs dans 82 entreprises agricoles traditionnelles a souligné que les intrants d’énergie sont en moyenne inférieurs (environ de 38%) pour les entreprises de type organique (Gündogmus et al., 2006). - Pimentel (2005) a évalué entre 28 et 32% en moins dans l’agriculture organique. - Les pratiques agricoles et l’usage de machines agricoles influent considérablement sur l’usage de l’énergie dans les entreprises agricoles, mais rien ne démontre que l’agriculture organique nécessite de moins d’énergie pour les processus mécaniques : par exemple différentes études signalent que la production organique aussi bien de carottes que de pommes de terre prévoit des intrants élevés d’énergie par unité en raison des activités de désherbage mécanique (Stolze et al., 2000; Williams et al., 2006; Bos et al., 2007). - Habituellement l’agriculture organique utilise dans la production de 30 à 50% en moins d’énergie par rapport à l’agriculture non organique analogue (FAO, 2007). Bien que l’agriculture organique prévoie en moyenne un usage plus efficient de l’énergie, elle demande souvent un trade-off indirect à haute densité énergétique avec des heures supplémentaires de main-d’oeuvre – à peu près un tiers en plus par rapport à l’agriculture traditionnelle. Hypothèse 3 : la densité d’azote dans la couche supérieure du sol dans l’agriculture à faibles intrants externes (LEI) est d’environ 30% inférieure par rapport à l’agriculture à intrants externes élevés et les rendements LEI sont donc plus bas. - Les rotations des cultures avec des légumineuses dans le système LEI ont eu comme résultat un apport d’azote dans le modèle dérivé principalement de la fixation de l’azote biologique de 90 kg N/ha/an. Cet apport équivaut seulement à 35-50% de celui d’une culture à système HEI et par conséquent les rendements étaient proportionnellement inférieurs (Wolf, 2002). - Productivité comparative de LEI par rapport à HEI: 9% inférieure environ pour le système LEI (Stanhill, 1990). - Productivité du LEI par rapport au HEI : elle est environ 80% supérieure pour le système LEI dans les Pays en voie de développement et environ 8% inférieure pour le système LEI dans les Pays industrialisés (Badgley et al., 2007). - Le passage du système HEI au système LEI n’est pas facile : une baisse des rendements est initialement enregistrée avant d’obtenir des résultats meilleurs (Badgley et al., 2007) ; et la période de transition dure cinq ans (Pimentel, 2005).
83
1E + 09
55
0
50
Données
Données
Espérance de vie à la naissance (ans)
ans
60
2050
2E + 09
2045
65
2040
3E + 09
2035
70
2030
4E + 09
2025
75
2020
5E + 09
2015
80
2010
6E + 09
2005
85
2000
7E + 09
1995
90
1990
8E + 09
1985
95
1980
9E + 09
1975
miliards
100
1970
Population (milliards)
Source : données/projections United Nations Population et projections T21.
En bref, le scénario BAU montre que d’ici 2050 la population globale dépassera légèrement les 9 milliards d’individus, un nombre un peu plus élevé que celui calculé par la United Nations Population Division (figure A.6.). Cette donnée est en ligne avec le modèle sur l’espérance de vie à la naissance, qui a fourni des projections légèrement plus élevées (environ 80 ans pour les femmes en 2050). En outre, une augmentation importante est enregistrée dans la durée moyenne de la scolarisation, qui en 2050 sera de 7,25 environ. Ces résultats sociaux positifs sont en même temps le résultat et la cause d’une croissance économique rapide. Quant au PIB par personne, le taux de croissance réelle est estimé jusqu’à 2,7% en 2030, avant de descendre progressivement à environ 1,25% en 2050 (figure A.7.).
85
Figure A.7. Croissance réelle du PIB et croissance du PIB par personne 8% 6% 4% 2% 0% -2%
Données Source : données de la Banque mondiale et projections T21.
PIB (%)
Données
PIB par personne (%)
2050
2045
2040
2035
2030
2025
2020
2015
2010
2005
2000
1995
1990
1985
-4% 1980
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
10
1975
Développements socio-économiques et environnementaux généraux dans le scénario BAU Ci-après, un panorama des résultats relatifs au scénario Business As Usual (BAU) pour la période 1970-2050 est présenté. Pour la période 1970-2010 des séries de données historiques sur 250 indicateurs ont été réunies, dans le but de les comparer avec les résultats du modèle. Cependant, les résultats d’une série d’indicateurs généraux sont commentés, parmi lesquels : la population totale, l’espérance de vie, la durée moyenne de la scolarisation, taux aux réel de la croissance du PIB, le PIB par personne, la zone agricole, la zone de forêt, la demande hydrique générale et la demande d’énergie générale. Les graphiques temporels reportent les lignes multiples qui incluent les séries de données et les projections du modèle. En présence d’indicateurs multiples, les lignes supplémentaires sont mises en évidence avec des couleurs différentes (voir la légende des figures). Dans certains cas, quand il existe des projections fiables jusqu’en 2050, la ligne des données historiques s’étend aussi jusqu’en 2050 (2010-2050 est donc une projection).
Figure A.6. Population et espérance de vie à la naissance
1970
Résultats des scénarios
Néanmoins, les résultats de la simulation ne doivent pas être considérés comme des prévisions, mais comme une projection obtenue en partant d’une série d’hypothèses de base.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
84
zone cultivée totale était gérée avec des systèmes HEI et cette valeur a atteint 45% environ en 2010. D’après la tendance actuelle, il est donc possible d’imaginer différents scénarios parmi lesquels : - Scénario Business As Usual (BAU) : les pratiques à contenu élevé d’intrants externes continuent de se répandre comme dans le passé jusqu’à couvrir 60% de la zone cultivée totale en 2050 ; - Scénario Strong HEI Growth : les pratiques à contenu élevé d’intrants externes se répandent à des rythmes accélérés jusqu’à couvrir 90% de la zone cultivée totale en 2050 ; - Scénario Stopped HEI Growth : les pratiques à contenu élevé d’intrants externes ne se répandent pas ultérieurement et leur couverture se maintient constante sur le niveau actuel (45% de la zone cultivée totale). Ces trois scénarios sont examinés du point de vue de deux différentes séries d’hypothèses en liaison à la disponibilité d’énergie, et plus en particulier : - tous les scénarios normaux (I) : les prix du pétrole augmentent progressivement jusqu’à atteindre 139 dollars/baril en 2035 (projection moyenne AIE), et ensuite ils augmentent encore jusqu’à atteindre 170 dollars/baril en 2050 (chiffre en dollars en termes réels de 2001) ; - tous les scénarios normaux (II) : les prix des fertilisants restent abordables pour la plus grande partie des agriculteurs, sans en entraver la diffusion ; - tous les scénarios Énergie (I) : les prix du pétrole augmentent rapidement par rapport à la valeur de référence entre 2025 et 2030, en atteignant 200 dollars/baril en 2030, ils augmentent ensuite encore jusqu’à atteindre 280 dollars/baril en 2050 (chiffre en dollars en termes réels de 2001) ; - tous les scénarios Énergie (II) : en raison de la rapide augmentation des prix du pétrole, les prix des fertilisants non organiques augmentent aussi, avec une conséquente réduction dans leur usage : les fertilisants sont utilisés dans pas plus de 50% de la zone cultivée totale, où les entreprises agricoles ont une potentielle valeur ajoutée plus élevée. Enfin, pour tous les scénarios, les hypothèses élaborées sur l’usage de la production agricole sont les suivantes : - Augmentation progressive de la production de viande par personne : de 40 kg/par personne/par an en 2010 à environ 65 kg/par personne/par an en 2050 (BAU) ; - Augmentation de la part des céréales (sauf du riz, du froment et du millet), des cultures oléagineuses et des cultures sucrières utilisées pour les biocarburants et pour d’autres produits non alimentaires : - Céréales : de 6% actuellement à 10% en 2050 ; - Cultures oléagineuses : de 7,5% actuellement à 15% en 2050 ; - Cultures sucrées : de 0,5% actuellement à 2% en 2050.
tonnes/par hectare/par an
35%
kcal/par personne/par jour
Données
Calories par personne (kcal/par personne/par jour)
Données
% de population sous-alimentée
5,00
Source : données FAO et projections T21.
4,00
Analyse comparative des résultats des différents scénarios Les résultats des scénarios alternatifs (BAU, Stopped HEI Growth, Strong HEI Growth) sont présentés ici en imaginant, initialement, l’absence de restrictions énergétiques futures et en supposant ensuite une limite importante liée à la disponibilité de l’énergie. Nous analysons maintenant les résultats d’un indicateur spécifique qui résume les thématiques liées à la production agricole et à l’usage de ce qui est produit : les calories par personne qui proviennent de la nourriture destinée à l’alimentation humaine. Pour simplifier, nous signalons les résultats d’un seul indicateur (bien que le modèle engendre divers indicateurs importants d’alimentation) et en particulier nous avons choisi les calories par personne des aliments en raison de leur importance dans l’alimentation humaine. Comme nous l’avons indiqué précédemment, en supposant qu’il n’y a pas de restrictions importantes liées à la disponibilité de l’énergie, le scénario BAU montre une croissance constante dans la quantité de kcal produite pour l’alimentation humaine, et que d’ici 2050 elle atteindra 3145 kcal/par personne/par jour (figure A.10.). La prévision FAO pour le 2050 est de 3130 kcal/par personne/par jour (FAO, 2011). Dans le scénario Stopped HEI Growth, la croissance de la productivité est plus lente par rapport au scénario BAU, car des quantités plus réduites de fertilisants non organiques sont utilisées. Par conséquent, l’augmentation des kcal produites pour l’alimentation humaine sera plus faible et d’ici 2050 elle atteindra 3015 kcal/par personne/par jour. Grâce à la plus grande concentration de macro-nutriments ajoutés artificiellement dans le sol, dans le scénario Strong HEI Growth la quantité de kcal produite pour l’alimentation humaine augmente plus rapidement et atteindra 3410 kcal/par personne/par jour en 2050.
3,00 2,00 1,00
Données secteur alimentaire (tonnes/par hectare/par an)
2050
2045
2040
2035
2030
2025
2020
2015
2010
2005
2000
1995
1990
1985
1980
1975
1970
0,00
Données secteur des fourrages (tonnes/par hectare/par an)
Source : données FAO et projections T21.
L’union de l’augmentation observée dans le rendement, et du ralentissement progressif dans la croissance de la population conduit à une croissante constante de la quantité de calories disponibles par personne (figure A.9.). La prévision signale à peu près 3145 kcal/par personne/ par jour d’aliments destinés à la nutrition humaine d’ici 2050. Une augmentation si soudaine des calories par personne disponibles signifie un pourcentage plus réduit de population sousalimentée, qui en 2050 descendra environ à 3,5%. Traduit en chiffres, cela veut dire que d’ici 2050, le nombre de personnes qui souffriront de la faim tombera à 345 millions. Cette prévision BAU décrit un secteur agricole en rapide évolution, qui change pour satisfaire les besoins de la population mondiale en croissance et qui, finalement, réussira à assurer une production presque suffisante pour vaincre la faim dans le monde.
2050
0%
2045
0
2040
5% 2035
500 2030
10%
2025
1000
2020
15%
2015
1500
2010
20%
2005
2000
2000
25%
1995
2500
1990
30%
1985
3000
1980
86
6,00
3500
1975
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
7,00
Figure A.8. Rendement des céréales pour le secteur alimentaire et pour le secteur des fourrages
Figure A.9. Production de calories par personne et pourcentage de la population sous-alimentée
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Résultats du BAU pour les indicateurs liés à l’agriculture Nous analysons ici les résultats liés à différents indicateurs spécifiques de l’agriculture, parmi lesquels : le rendement des céréales, les calories journalières par personne, le pourcentage de la population sousalimentée, la demande hydrique pour l’agriculture et la demande d’énergie pour l’agriculture. Selon les prévisions, le rendement des céréales pour le secteur alimentaire et celui pour les fourrages auront des taux de croissance analogues, stimulés par la mécanisation, par le capital humain plus élevé, par des connaissances plus approfondies dans le secteur et par la plus grande concentration de nutriments dans la couche supérieure du terrain. En particulier, en 2050, le rendement des céréales dans le secteur alimentaire montera jusqu’à 5,6 tonnes/ par hectare (au lieu de 3,3 actuellement), alors que celui du secteur des fourrages atteindra 6,2 tonnes/par hectare (au lieu de 3,7 aujourd’hui) (figure A.8.).
Au contraire, le scénario BAU implique aussi un impact plus profond du secteur agricole sur l’environnement naturel. En particulier, la demande d’énergie passera de 7 quatrillions de BTU par an actuellement à 8,5 environ en 2050. Une croissance analogue est attendue aussi pour la demande hydrique (mais à une vitesse plus lente), qui passera de 2,8 km3/an actuellement à 3 en 2050. L’augmentation plus faible de la demande hydrique est à reconduire à la stabilisaion des surfaces cultivées, à la croissance progressive du pourcentage de terres irriguées et à la constante amélioration de la gestion hydrique.
1970
Cette croissance rapide est soutenue en particulier par la croissance de l’industrie et du tertiaire, qui semble toutefois plus lente (en termes de valeur ajoutée) dans le secteur agricole. En termes d’exploitation du terrain, le scénario BAU prévoit une stabilisation dans l’usage des terrains à des fins agricoles, qui à son tour implique un renforcement des réserves des zones forestières. Toutefois la stabilisation dans les dynamiques des terrains ne pénalise pas la croissance dans le secteur agricole, comme nous le verrons ensuite. A long terme, selon des estimations, les demandes hydrique et énergétique augmenteront sensiblement et en 2050 elles atteindront respectivement 6300 km3/an et 750 quatrillions de BTU(British Thermal Units)/par an.
87
Figure A.11. Production agricole pour l’alimentation humaine dans un cas de choc énergétique
3500
kcal/par personne/par jour
3250
3000
2750 min. FAO
2500
L’HEI est fragile et non résistante aux chocs énergétiques
2250
Données
Stopped HEI Growth-Energy Shock
BAU-Energy Shock
Strong HEI Growth-Energy Shock
Source : base de données FAO.
Le besoin moyen en calories pour l’apport énergétique (kcal/par personne /par jour) pour les hommes et les femmes de 18 à 60 ans (FAO)
2050
2045
2000 2040
Dans le cas d’une diminution importante de la disponibilité énergétique à partir de 2025 (tous les scénarios Energy Shock, figure A.11.), l’augmentation des kcal destinées à l’alimentation humaine continuerait sans variations jusqu’en 2025, pour ralentir ensuite de différentes manières dans les divers scénarios. Dans le scénario BAU-Energy Shock, une diminution progressive de la quantité des kcal produites pour l’alimentation humaine dans la période 2025-2035 est observée, avant d’arriver à une stabilisation de la production, et d’enregistrer ensuite une nouvelle croissance vers la fin du scénario. Cette contraction est liée à l’union de deux facteurs : d’une part, l’augmentation des prix du pétrole se répercute directement et négativement sur la productivité et le rendement, car avec l’augmentation des coûts, le recours à des moyens alimentés par le pétrole diminue (comme les tracteurs, les pompes pour l’eau, etc.) ; de l’autre, l’accès réduit aux fertilisants oblige une partie des agriculteurs, qui en d’autres circonstances auraient adopté un type d’agriculture HEI, à pratiquer une agriculture LEI (dans la direction d’un scénario Stopped HEI Growth). Ce passage obligé au système LEI est un processus onéreux, car une partie du capital physique doit être remplacé ou adapté et suppose l’acquisition de nouvelles connaissances. En outre, le passage à l’agriculture LEI est un processus coûteux en termes de temps : il doit nécessairement s’écouler du temps avant que les agriculteurs se rendent compte que l’augmentation notée sur les prix énergétiques n’est pas passagère et avant qu’ils ne se procurent le capital humain et physique nécessaire pour mettre en oeuvre les pratiques LEI. Ces ressources pourraient ne pas être immédiatement disponibles au moment de l’augmentation des prix énergétiques et de la chute de la productivité.
89
2035
2050
2045
2040
2035
2030
2025
2020
Source : base de données FAO.
2030
Strong HEI Growth
2025
Business As Usual (BAU)
Le besoin moyen en calories pour l’apport énergétique (kcal/par personne /par jour) pour leshommes et les femmes de 18 à 60 ans (FAO)
2020
Stopped HEI Growth
2015
Données
2015
2010
2005
2000
1995
1990
1985
1980
1975
1970
2000
2010
2250
2005
Dans tous les scénarios, la quantité de calories produite est bien au-dessus des besoins moyens recommandés
2000
88
2500
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
min. FAO
1995
2750
1990
3000
1985
3250
1980
kcal/par personne/par jour
1975
3500
En même temps, quand les systèmes de production LEI n’ont pas encore été mis en oeuvre, mais les fertilisants sont encore disponibles dans les quantités nécessaires, la terre s’appauvrit ultérieurement. Une fois que les pratiques LEI sont mises en oeuvre, il faut environ cinq ans avant que le sol redevienne fertile. Généralement, 10 ans sont nécessaires en moyenne pour passer du HEI au LEI, compte tenu des conditions d’accès limité aux ressources énergétiques et aux fertilisants non organiques. Cette période représente la perte d’une décennie en termes d’augmentation des rendements. Le passage forcé du HEI au LEI a des conséquences plus graves dans le scénario Strong HEI Growth-Energy Shock : dans ce cas, le rendement, et donc la quantité de kcal produite pour l’alimentation humaine, subit une baisse importante dans la décennie 20252035, avant de reprendre à augmenter dans les quinze dernières années du scénario. La chute la plus grave du rendement est due, dans ce scénario, à un pourcentage plus élevé d’entreprises qui doivent passer du système HEI au LEI, car pour le scénario Strong HEI Growth, un niveau plus élevé de diffusion des pratiques HEI est supposé (90% en 2050). Enfin, l’impact de l’augmentation soudaine des prix du pétrole et de l’accès réduit aux fertilisants non organiques est inférieur dans le scénario Stopped HEI Growth-Energy Shock, car dans le scénario Stopped HEI Growth, un pourcentage plus réduit de la zone cultivée est géré avec des pratiques HEI : le niveau supposé pour 2050 reste l’actuel 45%. Dans ce contexte, la disponibilité des fertilisants non organiques réduite à 50% ne représente pas une limitation pour la productivité agricole, car le niveau-cible de distribution des pratiques HEI reste inférieur à 50%. Donc, le ralentissement contenu de la croissance des rendements observé est dû uniquement à l’impact direct de l’augmentation du prix du pétrole sur le coût et l’utilisation des machines mécaniques alimentées au pétrole.
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Figure A.10. Production agricole pour l’alimentation humaine
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Synthèse et conclusions de la simulation En résumé, dans le scénario BAU la production agricole augmente à une vitesse constante, engendrant une croissance continue de la quantité des calories par personne pour l’alimentation humaine. Cela détermine une réduction importante du nombre de personnes sousalimentées, qui atteindra 345 millions en 2050 (3,5%). Le scénario Strong HEI Growth produit un niveau de rendement encore plus élevé ; par contre, le scénario Stopped HEI Growth génère des rendements et des productions légèrement inférieurs au BAU. Cela est dû surtout à la densité plus réduite des nutriments présents dans le sol qui caractérise l’agriculture LEI par rapport à la HEI. Par conséquent, la quantité de calories disponibles par jour est plus élevée dans le scénario Strong HEI Growth que dans le BAU, alors qu’elle est inférieure dans le scénario Stopped HEI Growth. La différence relative entre les scénarios est inférieure si nous tenons compte de la quantité de population sous-alimentée, ce qui signifie que les classes populaires bénéficient seulement en partie du surplus de production engendrée par le scénario Strong HEI Growth. D’autre part, le scénario Strong HEI Growth a un impact plus important par rapport au scénario BAU, en particulier pour la demande d’énergie. Dans les scénarios Energy Shock, une exploitation plus intense des ressources naturelles n’est pas praticable en raison de la disponibilité limitée des ressources mêmes. Cela se traduit par une réduction rapide du rendement pour le scénario Strong HEI Growth-Energy Shock avec des niveaux plus bas par rapport à tous les autres scénarios. Ainsi, la production agricole augmente plus lentement dans le scénario Strong HEI Growth-Energy Shock par rapport au BAU-Energy Shock et au scénario Stopped HEI Growth-Energy Shock, et la quantité de calories par personne d’ici 2050 se révèle plus basse par rapport aux autres scénarios. Cette donnée peut être reconduite à une série de facteurs. Premièrement, les agriculteurs ne réagiraient pas immédiatement aux changements des prix, mais ils attendraient de comprendre s’il s’agit de changements temporaires. Deuxièmement, pour changer les pratiques agricoles il est nécessaire d’apprendre une certaine quantité de connaissances sur l’agriculture LEI. Troisièmement, le capital disponible pourrait ne pas être adéquat pour l’agriculture LEI et il pourrait être nécessaire le remplacer. Enfin, quatrièmement, le passage de la monoculture à la polyculture implique des changements dans les structures de commercialisation qui
demandent à leur tour du temps. Cette adaptation comporterait, en moyenne un retard de dix ans, avec une réaction plus rapide dans les Pays à revenus moyens ou élevés et des temps de réaction plus lents dans les Pays à bas revenus. La conséquence de ce retard dans l’adaptation est que les pratiques agricoles du HEI seront appliquées quelques années dans des conditions défavorables (par exemple en absence de fertilisants) avec un appauvrissement important du sol. À ces conditions, le capital accumulé jusqu’à maintenant en termes de R&D est utile seulement partiellement et la productivité fléchit donc ultérieurement. Une fois que l’agriculture est passée d’un système HEI à un système LEI, le sol présente une productivité plus basse que la moyenne et il faudra attendre quelques années avant qu’il ne soit pleinement productif. Pendant ce temps, une proportion considérable de production agricole potentielle est perdue, à savoir une décennie d’augmentation du rendement. L’impact de ces dynamiques sur l’alimentation est important aussi bien en termes de quantité moyenne par personne qu’en termes de pourcentage de population sous-alimentée. L’impact de ce passage est également important sur les ressources naturelles : la demande d’énergie apparaît fondamentalement réduite. Néanmoins cette baisse est progressive, confirmant le fait que le processus de remplacement et d’adéquation du capital physique est lent et progressif.
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Les résultats des simulations ont mis en évidence que, si après 2025, des limitations importantes de la disponibilité énergétique étaient enregistrées, une approche à faible contenu d’intrants externes pourrait conduire à un résultat Worse-Before-Better (WBB), avec une productivité réduite dans la brève période mais une plus grande productivité à long terme. Les résultats de la simulation des scénarios sans limitations énergétiques importantes sont remarquablement influencés par les hypothèses sur la quantité de céréales destinées au fourrage et sur la quantité de cultures destinées à la production de biocarburants. Toutefois, d’éventuelles variations de ces hypothèses ne comportent pas de changement important des résultats en termes de qualité : le positionnement des scénarios en terme de rendement et de kcal produites reste sans inchangé. Les résultats des simulations des scénarios Energy Shock sont particulièrement sensibles au temps estimé nécessaire pour le passage du HEI au LEI. En effet, dans le cas d’un bref délai, les résultats du Strong HEI Growth-Energy Shock et du BAU-Energy Shock sont moins négatifs. Toutefois, même si ce temps de transition est remarquablement inférieur (cinq ans), le positionnement des scénarios en termes de rendement et de kcal produites reste inchangé (la différence en termes de quantité est plutôt réduite).
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© Corbis
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NOTES ET RÉFÉRENCES
NOTES ET RÉFÉRENCES
CHAPITRE 3 1. Gan, Y., C. Liang, X. Wang, B. McConkey, Lowering Carbon Footprint of Durum Wheat by Diversifying Cropping Systems, dans “Field Crops Research”, 122 (3), p. 199-206, Elsevier, 2011.
CHAPITRE 4
2. Dans les pages suivantes, une synthèse de certaines hypothèses et de certains résultats du modèle est présentée : une description détaillée de la méthode utilisée pour sa construction, des hypothèses, des raisonnements sous-jacents et des résultats généraux obtenus se trouve dans l’Annexe de ce document. RéSUMé 1. À ce propos, voir en particulier : FAO/OECD “Expert Meeting on Greening the Economy with Agriculture”, Paris, 5-7 septembre 2011. Voir aussi IIASA/FAO, “Global Agro-Ecological Zone Assessment input Levels”, (2010).
CHAPITRE 1
94 1. Ci-après indiqué avec le sigle BCFN. 2. «Food production that makes the best use of nature’s goods and services while not damaging these assets» (Pretty, 2005). 3. FAO, 2008. 4. FAO/OECD, “Expert Meeting on Greening the Economy with Agriculture”, Paris, 5-7 septembre 2011. 5. À ce propos, voir le Chapitre 4. 6. Pour un panorama sur les grands défis sur lesquels que le secteur agricole mondial (à travers aussi l’innovation agronomique) sera appelé – en termes de durabilité – à donner une réponse, voir par exemple : Final Report and Background documents de la FAO “International Technical Conference on Agricultural biotechnologies in Developing Countries : Options and opportunities in Crops, Forestry, Livestock, Fisheries and Agro-industry to face the Challenges of Food Insecurity and Climate Change”, 2010. Pour un approfondissement sur le rôle des biotechnologies agroalimentaires afin de promouvoir la durabilité agricole, voir l’exposé de position Au delà des OGM. Les biotechnologies dans le domaine agroalimentaire, réalisé par le BCFN en 2011. 7. World Food Programme, Annual Report 2007.
CHAPITRE 2 1. FAO/OECD, “Expert Meeting on Greening the Economy with Agriculture”, Paris, 5-7 septembre 2011. Voir aussi IIASA/FAO, “Global Agro-Ecological Zone Assessment Input Levels”, (2010). 2. En Europe, et pas seulement, il existe des lois qui codifient de manière claire et complète les caractéristiques spécifiques de l’agriculture biologique.
3. Le modèle de production agricole à faible contenu d’intrants externes, LEI (Low External Input), utilise environ 35% de travail par hectare de terrain cultivé en plus par rapport à un modèle à haut contenu d’intrants externes HEI (High External Input). Une agriculture à faible contenu d’intrants externes (LEI) utilise environ 50% d’énergie par hectare en moins par rapport à un modèle à haut contenu (HEI). 4. La différence de rendement entre les modèles HEI et LEI est un argument très débattu. Bien que de nombreuses études signalent que généralement le modèle HEI a des rendements relativement meilleurs (Badgley et al., 2007, Stanhill, 1990), le rendement de chaque type de modèle de production dépend du contexte économique, social et environnemental dans lequel il est appliqué. Dans cette analyse, nous introduisons l’hypothèse que la densité d’azote dans le terrain, dans une agriculture à faible contenu d’intrants externes (LEI), est environ inférieure de 30% par rapport à une agriculture à haut contenu d’intrants externes (HEI), par conséquent, le rendement par hectare dans un modèle LEI est inférieur. Cet écart tend à diminuer sur une longue période grâce à une amélioration générale des connaissances pour une application efficace du modèle LEI 5. Dans la figure 4.1. on observe que la quantité de kcal produite s’accroît de manière constante. 6. Pour un approfondissement, voir FAO/OECD, Food Availability and Natural Resource Use in a Green Economy Context, p. 19.
CHAPITRE 5 1. Save and Grow – A policymaker’s Guide to the Sustainable Intensification of Smallholder Crop Production, FAO, 2011. 2. IPM, Integrated Pest Management (lutte antiparasitaire intégrée). 3. HEI - Hight External Input, à intrants externes élevés; IEI – Intermediate External Input, à intrants externes moyens; LEI – Low External Input, à faibles intrants externes.
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
Nouveaux modèles pour une agriculture durable
1. Millennium Institute (MI) «is an independent and non-partisan nonprofit organization committed to promoting systems literacy and dynamic modeling tools to attain sustainable development worldwide» (site internet Millennium Institute, “Who We Are”).
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