L'interstice en milieu urbain dense

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BARNAUD JORDAN

L’INTERSTICE EN MILIEU URBAIN DENSE Un potentiel de régénération sociale et culturelle

Master «Architecture entre usages et paysages urbains»


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L’INTERSTICE EN MILIEU URBAIN DENSE Un potentiel de régénération sociale et culturelle

Directeur de mémoire / Hania PROKOP 2015 E.N.S.A.G.

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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS

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Je tiens à adresser mes remerciements aux personnes qui ont été en charge de mon suivi de mémoire. En premier lieu, je remercie Hania PROKOP en tant que directeur de mémoire, qui m’a guidé dans mon travail et m’a aidé à trouver des solutions pour avancer. Je remercie également Cécile LéONARDI et Stéphanie DAVID pour leurs conseils, encouragements et écoutes dont elles ont toutes fait part, selon les responsabilités de suivi de chacun. Enfin, merci à tous mes proches, pour m’avoir soutenu tout au long de la rédaction de ce mémoire.

AVANT PROPOS

p.8

INTRODUCTION

p.10

1. éTAT DE NON-LIEUX - L’interstice une notion architecturale complexe

p.12

1.1. L’émergence de ces non-lieux 1.2. L’exploration du terrain 1.3. Le lieu face à ses réalités

p.14 p.18 p.22

2. LE PASSAGE A L’ACTE - L’expérience d’usages à la dynamique constructive

p.26

2.1. Tester des expériences urbaines 2.2. Concerter pour mener des usages cohérents 2.3. Construire autrement

p.28 p.36 p.37

3. DE LA RéALISATION DU PROJET à L’INCERTITUDE - Et après ?

p.42

3.1. Les retombées des micros dynamiques 2.2. Le temps de l’après projet : l’évolution du lieu

p.44 p.47

CONCLUSION

p.57

BIBLIOGRAPHIE

p.58

ANNEXE

p.61

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AVANT PROPOS

8

En les observant de prime abord, je ne me doutais pas de la potentialité ni de la richesse de ces espaces et encore moins de la dimension projectuelle qu’ils pouvaient offrir. Outre la capacité à véhiculer des images sombres de nos villes où l’on pourrait voir naître quelques occupations de squats illégitimes sur ces parcelles désocialisées, il n’en reste pas moins que depuis quelques temps de nombreux urbanistes et architectes nous interpellent et portent notre regard sur le réinvestissement de ces lieux. Ne serait ce que parce qu’ils conservent une part de mémoire, une âme, une histoire, les interstices urbains sont autre chose que des vides au sein même de nos villes. C’est dans cet état d’esprit et dans la volonté de croire que ces espaces en marge peuvent être les garants d’une nouvelle pratique naissante, intégrant un processus de re-construction sociétale et une nouvelle fabrication du territoire que je désire introduire mon argumentaire de mémoire. Ainsi la confection de nos paysages urbains passent par la création de projets «microbiens»1, comme le définit le sociologue de Certau, où nous percevons un retentissement humain à travers l’implication et la participation de citoyens non-initiés dans la fabrique de la ville et qui n’apparaissent plus comme une utopie déconnectée du monde réel, mais bel et bien comme une opportunité de reconquérir des espaces de liberté et de quotidienneté. Il s’agirait de façonner et démocratiser des nouveaux modes de vie ainsi que des nouveaux usages pourrait on dire. C’est de cette manière que je m’intéresse à ces démarches et pratiques urbaines qui «court-circuitent les mises en scènes institutionnelles».2 Dans notre manière de fabriquer la ville, il est «urgent de déceler comment une société entière »3 ne se réduit pas uniquement aux pratiques institutionnelles mais questionner plutôt 1. DE CERTAU M., «L’invention du quotidien», 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990. 2. / 3. Propos évoqué par DE CERTEAU relevé dans le mémoire de DALBAVIE : «Micro urbanisme éphémère», 2009, ENSAG p.11

Pour ma part, les démarches de projets dans les interstices en milieu urbain, éphémères ou durables, expérimentant la dynamique collaborative des habitants et leur investissement dans la confection urbaine peuvent être des possibilités et des réponses dans la manière de débrider une posture architecturale parfois inflexible. Les démarches de collaboration et les initiatives spontanées incarnent de plus en plus une puissance et une force qui se faufilent à travers les mailles d’une planification urbaine rigide et insufflent par ailleurs des nouveaux espaces physiques et sociaux, où l’on désire concevoir «autre chose». Malgré la volonté que porte l’innovateur à un tel dessein si à aucun moment il ne porte le projet à son terme alors il ne subsiste qu’un désir inassouvi. C’est donc bien à travers l’expérimentation et grâce à la mise en action que l’on peut ouvrir le champ des possibles et réactiver des espaces fatigués et endormis. Même si je reste convaincu de la portée légitime et symbolique ainsi que de la volonté de ces actions collaboratives du quotidien dans le processus de la fabrication de nos villes, je reste néanmoins conscient que cette attitude de changement, bien que de plus en plus présente, reste une posture fragile singulière et marginale. Même si ces volontés sont consenties par les institutions urbaines et qu’elles sont parfois même commanditées par ces dernières, elles semblent rester en dehors du processus et du système de commercialisation de l’architecture. Cette ambivalence se comprend «puisque ces pratiques fonctionnent à l’envers d’un système actuel; l’objectif n’étant pas de produire pour consommer, ni d’asservir pour maîtriser».5 Ces pratiques, «microbiennes», perçues comme «des procédures techniques minuscules jouant sur et avec des détails»6, naissent et se construisent, sans lutte et sans opposition dans un quotidien et dans une société contemporaine actuelle. Alors, il demeure encore des interstices dans lesquels se faufiler, des lieux pour réveiller l’imaginaire collectif et ranimer le quotidien.

4. Propos évoqué par DE CERTEAU relevé dans le mémoire de DALBAVIE : «Micro urbanisme éphémère», 2009, ENSAG p.11 5. DALBAVIE B. : «Micro urbanisme éphémère», 2009, ENSAG p.12. 6. FOUCAULT M., «un héritage critique», CNRS Editions, 2014

9 AVANT - PROPOS

Depuis longtemps j’ai observé dans certaines villes, d’après mes différents itinéraires autour de Lyon ou Grenoble, un certain nombre d’espaces difficiles à définir et à qualifier, des espaces qui semblent à première vue vides, abandonnés et inactifs. Pourtant ces espaces ne sont pas pour autant dénués et vides de sens comme ils semblent le prétendre mais nous dévoilent plutôt une volonté de subsister dans leur milieu par les quelques traces et les amorces d’appropriations auxquelles ils sont soumis. Portant mon regard d’étudiant sur ces espaces, certains vides me donnent littéralement l’impression d’exister seulement par leur spatialité et les lieux qu’ils sont, c’est à dire des espaces vacants, soumis à une nature et une végétation indomptée mais salvatrice et porteuse d’une volonté esthétique. Pour moi, il apparaît clairement que ces espaces font lien, entre d’un côté l’urbain et de l’autre «un imaginaire naturel sauvage» non soumis à la domestication de la main de l’homme. C’est le fait de se retrouver face à ces lieux sauvages en marge d’une planification urbaine rigide que ces espaces abandonnés deviennent riches de sens, par leur simplicité et leur authenticité.

«quelles procédures populaires jouent avec les mécanismes de la discipline»4 en ne s’y adaptant que pour les détourner singulièrement. Dans la confection de ces nouveaux usages en marge de nos aires urbaines, on interroge plus largement la quotidienneté de ces espaces. Dans ce cas, «le quotidien», à proprement parler, ne porte pas la valeur péjorative d’une répétition journalière ordinaire, mais plutôt celle d’une capacité à imaginer et fabriquer quotidiennement son cadre de vie et son environnement. De manière générale l’architecture conventionnelle d’aujourd’hui, ne propose plus des espaces en vue d’y pratiquer des usages indépendants, inventifs et conviviaux, mais au contraire est régie par une surveillance ordonnancée de notre société.


INTRODUCTION

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En s’intéressant à des projets ciblés qui expérimentent d’autres formes d’architecture, on cherche à réfléchir à de nouvelles formes d’urbanités 7. NICOLAS-LE-STRAT. P., «multiplicités interstitielles», in multitudes n°31, 2007

Comment les espaces interstitiels et en particulier les dents creuses, en milieu urbain dense, peuvent ils être porteurs de projets par les potentialités qu’ils offrent et devenir ainsi des régénérateurs sociaux et culturels ? Dans un premier temps je vais m’attarder à définir la notion d’interstice, à travers ses caractéristiques, comme un espace en marge qualifié de non lieu. Les différents éléments et spécificités de mon corpus seront alors présentés et nous pourrons voir la diversité de dents creuses où quelques acteurs divers ont essayés de proposer quelque chose de novateur dans ces espaces oubliés. Nous proposons de nous appuyer sur 5 cas en particulier, tous situés dans des villes plus ou moins denses (Paris, Saint-Etienne, New York, Barcelone et Tokyo) qui vont permettre de confronter et croiser notre regard sur ces espaces via des contextes totalement différents. Ensuite, dans un second temps, je présenterai le passage à l’acte et la mise en action, ce qui nous permettra de nous familiariser avec les nouveaux usages créés au sein des dents creuses, incluant le déroulé des phases de concertations jusqu’à la dynamique collaborative des chantiers. Enfin dans un troisième temps, je prendrai du recul sur ces interventions, une dernière partie nous permettra alors de requestionner ces lieux pour savoir ce qu’ils sont devenus après leurs appropriations. La dimension «de l’après projet» nous permettra de faire le bilan et conclure sur les différentes hypothèses que nous aurons soulevées tout au long du mémoire.

11 INTRODUCTION

Les grandes villes et les métropoles connaissent, depuis un peu plus d’une quarantaine d’années, des bouleversements et des changements sans précédent. Avec l’évolution des modes de vie contemporains, les progrès techniques et la croissance démographique des métropoles, les aires urbaines se développent frénétiquement et s’étendent de manière exponentielle faisant jaillir des incohérences sur notre territoire. Ces confusions spatiales naissent de la rapide mutation des villes et sont notamment illustrées par l’émergence d’interstices vides. Cependant depuis quelques temps une conscience collective s’éveille face aux capacités de cette croissance sans limite et à la multiplicité de ces espaces créés qui couvrent désormais notre territoire. L’évolution de la ville tend à réinstaurer un processus qui préconise la densification de la ville plutôt que son expansion, convoquant un mode de fabrication interne, qui introduit la manière de reconstruire la ville sur elle-même. En marge d’une certaine planification territoriale, se développent des cicatrices urbaines, que nous examinerons comme les interstices urbains, et qui de part leur statut incertain et provisoire échappent aux codes de planification urbains classiques. Il apparait clairement qu’aujourd’hui, ces terrains sous exploités offrent une ressource inusitée en terme de production architecturale au sein de nos villes. Avec l’émancipation des consciences, ces espaces apparaissent peu à peu comme une grande richesse et une «réserve d’espace disponible»7 mis à profit dans l’imaginaire collectif. Ces espaces inoccupés ne doivent plus être perçus comme des lieux en marge de la société, mais à l’inverse comme une marge de manœuvre créative dans nos aires urbaines. De manière générale l’espace interstitiel est, par nature, difficile à qualifier puisqu’il recèle de multiples morphologies incluant des formes, des tailles et des situations diverses, c’est pourquoi, pour ne pas passer par une définition trop alambiquée de cette notion d’interstice, on s’attachera à analyser une forme d’espace interstitiel en particulier : la dent creuse. Délaissé par les programmes d’habitat et les opérations immobilières qui marquent un désintérêt profond à l’égard de ces espaces, peu rentables, ils sont de plus en plus réinvestis par des programmes sociaux-culturels qui réinventent et innovent de nouvelles formes d’architecture. Ces configurations naissantes se matérialisent par les désirs d’usagers qui souhaitent désormais revaloriser leur espace du quotidien, tout en questionnant les limites de nos villes modernes. Illustrées par des architectures légères, adaptables et uniques, qui remplissent peu à peu les derniers creux de nos villes denses, ces offres architecturales incarnent avant tout une nouvelle manière de «consommer le vivre ensemble».

et à comprendre comment germent ces nouvelles pratiques sociales, événementielles et culturelles novatrices, dans les espaces délaissés en milieu urbain :


1. éTAT DE NON-LIEUX

L’interstice une notion architecturale complexe «Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu». Marc Augé, «Non lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité», Seuil, Paris 1992 Emmanuel Rioufoul ©


1.1. L’éMERGENCE DE CES NON-LIEUX

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LIMITE ET DISCONTINUITé / Dans la manière de planifier et d’organiser la ville, on perçoit une discontinuité entre les espaces pratiques et adaptés soumis aux exigences de la société actuelle et les restes en marge. Mis à part les espaces planifiés et entretenus par les pouvoirs politiques, comme les rues, les boulevards, les places publiques, les parcs; les espaces interstitiels sont des espaces cachés, soustraits aux regards, ce qui a pour conséquence de les laisser en marge de la ville.

15 éTAT DE NON-LIEUX

DES LIEUX ISSUS DE MUTATIONS URBAINES / L’émergence des interstices dans nos villes est apparue dans les années 90, lorsque nos aires urbaines sont devenues de plus en plus saturées et qu’au même moment s’est développée de manière vive «la privatisation de l’espace public, l’artificialisation du milieu urbain et les problématiques liées à l’environnement»8. Alors que l’espace public se raréfie et devient très réglementé suite à de fastidieuses procédures administratives lorsque l’on souhaite l’investir, les interstices offrent de nouvelles possibilités. Ces espaces étant souvent très mutables à cause de leur statut fragile, les élus ne souhaitent pas s’engager dans un projet alternatif à long terme. C’est donc à travers ces collisions et ces mutations que la ville contemporaine se renouvelle et dans ce contexte qu’émergent ces «espaces alternatifs», offrant des possibilités et des dynamiques de micro-architecture aux usages divers. Ces espaces alternatifs interrogent aujourd’hui la place des collectifs et des architectes ainsi que leur rôle à jouer dans la création d’une ville qui se transforme et invente des nouveaux usages de réappropriation de l’espace urbain.

tants s’attachent à voir, plus simplement et de manière plus poétique, des lieux à détourner où naissent des espaces de partage et d’appropriation qui peuvent devenir des seconds lieux de vie, comme l’extension de leur chez soi. La situation du lieu, rejetée par la ville permet alors à quelques habitants concernés et collectifs d’investir ces vides proposant ainsi de nouvelles formes d’urbanités.

DéFINIR L’INTERSTICE / Défini en premier lieu comme un espace vide, l’interstice fait littéralement référence à une notion de «se situer entre quelque chose» ce qui implique l’idée d’un entre deux. Egalement déterminés comme des espaces fragmentés et marginalisés, par un statut précaire, ces lieux font partie intégrante de la composition de nos aires urbaines et ne peuvent en être dissociés pour autant. Par défaut ces espaces portent les séquelles d’un statut imprécis et vague suite à des carences foncières et politiques dans l’aménagement du territoire. Ce sont des espaces dont l’imprécision de leur nature atteste qu’il s’agit en tout cas de zones de transition, de lieux temporaires et d’espaces d’intervalles. L’apparition de l’interstice, a poussé de nombreux théoriciens, architectes, et sociologues à l’analyser et le définir avec une notion précise : «les multiplicités interstitielles»9 de Nicolas-Le-Strat, «les non-lieux»10 d’Augé, «le terrain vague»11 pour Lévesque et «les trous noirs»12 de Renzo Piano. La variété d’appellations atteste que ce n’est pas chose aisée de le caractériser, cependant tous ces théoriciens s’accordent à dire que cet espace est associé à un état d’abandon. Par défaut, l’interstice recense une infinité de formes et de configurations, et autant de tailles variées que nous ne pouvons toutes examiner entièrement. Dans notre cas nous analysons les interstices urbains comme des espaces résiduels non bâtis, soit les dents creuses en milieu urbain dense, qui en marge des planifications urbaines sont désormais réinvesties par des acteurs et des dynamiques locales. En effet, à l’inverse des institutions urbaines et des élus qui voient en ces espaces des lieux complexes et peu exploitables, les habi8. Propos recueillis dans : Interstices urbains et pratiques culturelles, GUILLAUD C., 2009, 9. NICOLAS-LE-STRAT. P., Expérimentations politiques, Fulenn, 2007, rééd. 2009 10. AUGé M., «Non lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité», Seuil, Paris 1992 11. Inter : art actuel, N°72, 1999, «le terrain vague comme monument», Luc Lévesque, p.27-30 12. PIANO R., «la désobéissance de l’architecte», Paris, Arléa-Poche, 2009

Le site du projet SET, dans le quartier industriel de Poble Nou, avant l’intervention du collectif Exyzt, est délimité par un mur qui empêche toute accessibilité à la dent creuse. Brice Pelleschi ©


« Il y a toujours des clôtures et des pancartes indiquant que le site est gardé, [...] mais il existe immanquablement un moyen d’entrer facilement, comme si les propriétaires préféraient laisser des passages dérobés permettant aux rôdeurs les plus obstinés d’aller et venir comme par des chatières plutôt que de devoir chaque semaine réparer les trous dans le grillage.» Philippe Vasset, «un livre blanc», Fayard, Paris, 2007, p.25

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3. Appropriation de l’espace Projet urbain Echelle de temps

2. Temps de Veille Statut indéterminé de l’interstice

4. Reconversion / Recyclage du projet

Schéma des phases temporelles de l’interstice : le temps de veille affiche clairement le moment ou l’interstice tient son statut indéterminé. C’est à ce moment qu’il est propice à l’appropriation et à l’occupation d’acteurs ponctuels non présents dans les processus habituels de planifcation urbaine.

En observant le schéma qui compose les phases temporelles de l’interstice, de l’apparition du délaissé, en passant par «le temps de veille»14, jusqu’à la réalisation du projet, il manque une quatrième dimension : celle de la reconversion du projet. Il apparaît à cette étape une divergence très nette. Soit le projet est déconstruit de manière volontaire et prévue, qualifiant son statut d’éphémère, soit a contrario le projet demeure intact et persiste à travers le temps. Dans les deux cas la micro dynamique architecturale doit savoir dans quelle mesure elle intervient. Cette quatrième dimension est importante puisque si après avoir été occupé, le site redevient vacant et affranchi de tout aménagement alors un nouveau temps de latence et de veille s’amorce. Ainsi les phases temporelles de l’interstice deviennent un cycle qui se répète et se rejoue en boucle.

TEMPORALITé / Les espaces interstitiels sont caractérisés par un temps de veille, comme le précise Andres, qui marque une certaine indulgence sociale, culturelle et économique. L’espace interstitiel se traduit alors comme un intervalle entre deux moments bien précis, un temps d’attente entre deux phases temporelles. Les interstices apparaissent à cause des différentes mutations urbaines, puis adoptent dans un laps de temps très court un statut incertain, avant d’ être appropriés par un projet architectural. Cependant, les dynamiques de projet mettent du temps à s’accorder avant de se concrétiser, ce qui a pour conséquence, de faire perdurer le caractère provisoire de ces espaces. A travers la matérialisation de ces différentes phases temporelles, on peut appréhender l’interstice sous forme d’une rythmique. Il s’apparente alors à un moment de stagnation dans un intervalle temporel. Ainsi la réappropriation de ces interstices, pendant leur temps de veille, par des acteurs ponctuels contribue à créer un phénomène de paradoxe pour les institutions qui mènent de front planification territoriale et politique urbaine. En effet, à première vue ils considèrent ces stratégies très prolifiques puisqu’elles participent à la reterritorialisation et à la revalorisation des ces espaces problématiques, mais d’un autre côté, elles freinent parfois les grandes opérations d’urbanismes. Pour les acteurs culturels et sociaux, l’appropriation de ces lieux tombés en déshérence permet d’apporter une réponse à l’absence d’autres espaces disponibles devenant source d’inspiration et de création momentanée. 13. RIVIèRE G., «L’interstice urbain, un lieu potentiel de la ville contemporaine»,ENSACF, 2012, p.29 * En Espagne, le PLU impose la construction d’un mur de 2,4 m de hauteur, sur toute la longueur du site. Cette règle a pour but d’empêcher l’endroit de devenir une décharge publique, mais le terrain devient alors un lieu urbain stérile.

14. ANDRES L., «la ville mutable», Thèse-universtité Pierre Mendes-France, Grenoble, 2008

17 éTAT DE NON-LIEUX

L’interstice s’inscrit alors comme un espace discontinu qui rentre dans un schéma différent de celui connu par l’urbanisme conventionnel. C’est sous l’apparence «d’une vacuité en marge de la planification urbaine»13 qu’apparaît l’espace interstitiel. Le fait de clarifier et de traiter précisément les limites et les bords, auxquels sont assujettis les interstices, accentue la marginalité et l’état de précarité de ces lieux, de manière à s’en éloigner jusqu’à oublier leur existence. Selon les contextes urbains et les situations diverses en ville auxquelles nous sommes confrontés, les limites interstitielles ne sont pas toujours traitées de manière analogue*. Dans certaines villes, comme à Barcelone, l’espace interstitiel dérange et contrarie les législations en vigueur, notamment par l’état de précarité des parcelles qui absorbent des usages peu convenables. Les réglementations urbaines usent alors de mesures strictes et parfois radicales, via l’utilisation de grilles, grillages et autres murs, afin de rendre imperméables et invisibles ces cicatrices urbaines aux yeux des passants. Certes, nous pourrions céder à la facilité et croire qu’il suffit juste de panser ces zones de malaise pour les guérir. Pourtant quand on arrache un pansement d’une lésion, les cicatrices restent vives et présentes, comme une marque et une empreinte que même le temps ne pourrait effacer.

1. Apparition de l’interstice


1.2. EXPLORATION DU TERRAIN

UNE GRAMMAIRE SINGULIèRE / Le corps de cette étude n’est donc pas une réflexion sur l’émergence de l’interstice dans le tissu urbain. Il consiste à explorer sous quelle forme on peut l’identifier ? Pourquoi est-il abandonné et subsiste-t-il en marge des planifications urbaines ? Et surtout, comment peut-il malgré tout être approprié ? Seules des études de cas personnalisés pouvaient répondre à ces questions. Cinq espaces ont donc été choisis pour leurs qualités résiduelles et donnent lieu à cinq portraits*. Pour mieux cerner ces portraits et saisir les potentialités ainsi que les limites qu’offrent ces parcelles, il faut comprendre à quel type d’espace nous sommes confrontés. Les composantes de la morphologie de l’interstice regroupe, la typologie, (à quelle forme d’espace il correspond ?) / le dimensionnement ( possède-t-il une échelle précise ?)

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UNE TYPOLOGIE INTERSTITIELLE : LA DENT CREUSE / Dans son apparence formelle et d’après la définition urbanistique, la dent creuse est très identifiable puisqu’elle marque une discontinuité et insiste sur la rupture de gabarit avec les constructions voisines qui la borde. Sa composition spatiale fait littéralement référence à un espace vide de construction survenu, soit après la démolition d’un édifice sans réaménagement ultérieur, soit à une parcelle restée vierge de construction. Cependant, contrairement aux vides urbains classiques qui fonctionnent comme des flux, des liaisons par le biais de repères lisibles, la dent creuse est repliée sur elle même, n’appartenant à aucune trame précise, elle agit de manière autonome, libre et affranchie par rapport à l’ensemble de la ville. Elle s’insinue dans «l’espace majeur»15, (caractère dominant de la ville, ou espace global comme le définit le sociologue Hatzfeld), sans pour autant en être l’une de ses composantes mais au contraire en s’identifiant comme une opposition à cet «espace majeur», échappant aux normes et se développant indépendamment de cette dernière.

Le site BMW Guggenheim Lab avant que le projet n’ai débuté, East Village, New York. Kristopher McKay © Solomon R. Guggenheim Foundation 15. Hatzfeld M & H., Quand la marge est créatrice, les interstices urbains initiateurs d’emplois, Aube, 1998 * Voir Annexe

Le passage 56 à St Blaise. Site du projet eco-interstice. Atelier d’architecture Autogérée, Urbantactics.com©


Ainsi la dent creuse peut être considérée comme un lieu qui se développe dans une trame et une organisation parallèle au vide urbain. La compréhension de cet espace en marge passe donc par l’analyse du rapport plein/ vide dans le tissu urbain. Dans «interstices urbains, potentiel de développement» Cyrille Deshusses fait un tour d’horizon des différentes typologies de l’interstice ainsi que des diverses formes qu’elles adoptent. Dans notre cas, seule la typologie de la dent creuse sur laquelle nous intervenons est décrite, tout en gardant à l’esprit qu’il existe une variété et une quantité infinie d’assemblage entre ces familles et que chaque typologie interstitielle se décline en prenant compte des particularités propres à chaque lieu.

Sch.1 / La dent creuse par empochement

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Sch.2 / La dent creuse par césure

Sch.3 / La dent creuse en proue ou en angle

La dent creuse par empochement, est caractérisé «au travers d’une rupture par inclusion, de petite dimension par rapport à l’ensemble bâti.»16

Dans la volonté de traiter les espaces interstitiels comme laboratoire d’expérimentation d’un point de vue sociétal et architectural, aborder ces espaces à celle de l’échelle humaine nous paraît la plus judicieuse. En effet à une échelle plus globale comme celle de la ville, ces espaces de tailles microbiennes sont peu révélateurs de l’impact et de l’intensité des dynamiques qui se jouent. A contrario, à l’échelle de l’homme et à celle du rez de chaussée de nos villes, plus resserré, on peut ressentir les potentialités de projets et les usages pour des temps plus au moins courts, relayés par les postures et les attitudes de proximité et de voisinage. C’est d’ailleurs le cas quand on porte intérêt à des projets intégrant la participation des usagers, on prend vite conscience que beaucoup de ceux qui fonctionnent ou ont fonctionné, relèvent de la petite échelle. La petite échelle signifie pour la plupart du temps un espace d’action bien défini et très maîtrisé uniquement perceptible à l’échelle humaine. Cependant, la petite échelle, le petit en soi pourrait être ressenti comme une attitude dérisoire et sans portée. En effet pour beaucoup faire petit signifie faire moins que ceux qui font grand, c’est à dire porter des intentions plus simplifiées et moins fécondes. Il n’est donc pas nécessaire de qualifier ces espaces de réducteurs, certes ils sont microbiens, mais ils peuvent tout de même être porteurs de projets ambitieux et de grandes valeurs.

éTAT DE NON-LIEUX

La dent creuse par césure, est qualifiée de la même manière que le premier cas, «l’inclusion d’un élément différent dans un ensemble bâti, à la différence près qu’ici cette inclusion le scinde de part en part.»17 La dent creuse en proue ou en angle, s’apparente à un espace qui serait bordé par du bâti sur deux côtés formant un espace à demi enserré. Dans ce cas présent, la dent creuse se trouve en tête de l’ensemble. A la manière d’une placette, d’un square ou d’un parvis, elle est également liée au bâti qui l’entoure. Grâce à ces représentations schématiques*, le dessin des espaces auquel nous sommes confrontés apparaît plus net. La dent creuse correspond donc à un espace libre, bordé de murs mitoyens aveugles, qui peut parfois être utilisé comme placette ou square et marque une interruption d’espace illustrée par la rupture de gabarit avec les constructions voisines. Cette dernière information nous permet d’introduire la notion d’échelle et de dimensionnement. PETITE ECHELLE POUR GRANDES VALEURS / Nos expérimentations sur ces espaces en marge prennent en considération «les mensurations de l’interstice». Dans notre cas, nos cinq portraits dressent des espaces présentant des superficies oscillant entre 200m² et 2000m², donc très variées, sachant également que pour la majorité des espaces sélectionnés, les projets s’insinuent dans des dents creuses n’excédant pas six mètres de large. Du fait de leur dimensionnement à chaque fois unique, les interventions architecturales sont également singulières, incluant une notion de «cas par cas» et par conséquent difficilement transposables dans d’autres contextes.

16. DESHUSSES C., Interstices urbains, potentiel de développement, EFPL, Genève, 2011 17. DESHUSSES C., Interstices urbains, potentiel de développement, op cit * Toutes les typologies de dent creuses observés se concentre dans un tissu parcellaire à haute densité.

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Appel à projet : «défrichez-là», lancé par la ville de Saint-Etienne. Collectif ETC ©


// Accessibilité INACCESSIBLE

MOYENNEMENT ACCESSIBLE

ACCESSIBLE

1.3. LE LIEU FACE à Ses réalités

// Limite et gêne visuelle LIMITE ABSOLUE

LIMITE PARTIELLE

AUCUNE LIMITE

ANALYSE DU CORPUS / Jusqu’à présent nous nous sommes attaché à définir les interstices selon plusieurs caractéristiques : Typologie (dent NON ENTRETENU PEUd’échelle ENTRETENU creuse) / Rapport (échelle humaine)ENTRETENU / Temporalité. Ces dernières données présentent l’interstice dans son ensemble, c’est pourquoi nous allons // Niveau d’aménités nous attacher maintenant à cibler les caractéristiques plus spécifiques de chaque lieu avant l’occupation, de manièreBEAUCOUP à établirD’AMENITES une grille d’évaluation PAS D’AMENITES PEU D’AMENITES pour chaque projet en nous appuyant sur des critères propres au site et à son environnement. Pour conserver une cohérence graphique et garantir une lec// Niveau de fréquentation ture comparative plus aisée des projets, l’analyse des critères du site se fera à FAIBLE / NULLE travers un schéma MOYENNE Radar* que l’on pourra voirIMPORTANTE évoluer en fonction des différentes phases temporelles : Etat de non lieux / Passage à l’acte / Après projet. // Niveau de conservation de la parcelle

Statut du délaissé

* Schéma Radar 22

Public

Niveau de fréquentation

LIMITES ET GêNES / concernent les différentes possibilités de voir le site. La visibilité du lieu implique deux intentions, voir et être vu. Ainsi si le lieu est sans limite franche, il s’expose devient ouvert et convivial. Nous distinguons les limites absolues (murs) / les limites partielles (végétation, grillage) / aucune limite visuelle.

Activités et usages

Important

Privé Collectif

Important

Moy. Moy.

Le fait d’utiliser ce principe de schéma va permettre de pouvoir suivre l’évolution du site.

Privé Faible Faible

Bcp. d’aménités

Niveau d’aménités

Pas d’aménités

Peu d’aménités

Inaccess. Non entretenu

Peu entretenu

Moy. Access.

Limite Abs.

Access.

Accessibilité

NIVEAU DE CONSERVATION / l’entretien d’un espace délaissé permet de nous renseigner sur le taux de fréquentation, sur son statut privé/public et sur ses usages possibles. S’il parait entretenu alors l’espace est sans doute occupé et non plus considéré comme une friche aux yeux des passants.

Limite partielle

Entretenu Aucune limite

Niveau de conservation

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Limites et gênes

STATUT DU DéLAISSé / les limites parfois invisibles entre espace privé / public témoignent des difficultés d’appropriations du site. En fonction des différents statuts, le site aura une trajectoire différente au niveau de son entretien mais également de ses accessibilités. Ainsi on distingue trois statuts : Privé / Privé collectif / Public.

ACTIVITéS ET USAGES AVOISINANTS / dans la volonté de requalifier un espace délaissé les activités qui cernent le site semblent importantes. En effet, plus il y aura d’activités et d’usages concentrés près du site plus le rapport au quartier se fera permettant des dynamiques de projets qui redynamiseront le lieu inoccupé. * Graphique en schéma radar / inspiré par les travaux d’analyses du mémoire «à l’abordage des délaissés», LEMARIé M.

NIVEAU D’AMENITéS / il s’agit de savoir s’il existe des amorces ou des traces d’appropriations passées, des aménagements ponctuels ou du mobilier urbain. Nous distinguerons ainsi s’il existe beaucoup de prises, peu, voire pas du tout.

NIVEAU DE FRéQUENTATION / permet de s’intéresser aux personnes qui fréquentent le lieu et révèle les acteurs qui pourraient être impliqués dans le projet ou ceux qui se sont déjà approprié le site. De plus dans la requalification de ces espaces nous pouvons dialoguer avec les habitants avoisinant afin de mieux cerner les potentialités du lieu.

éTAT DE NON-LIEUX

Pour conserver une cohérence graphique et ainsi garantir une comparaison aisée des différents projets.

ACCESSIBILITé / pose la question de la capacité physique à approcher le site. En effet, plusieurs distinctions possibles, soit le site est inaccessible, soit il est accessible depuis la voie publique et sur l’environnement annexe. Déterminer les niveaux d’accessibilité et de passage qui peuvent se faire.


La parcelle au moment de l’état de non lieu, avant sa réactivation et son occupation. Ces lieux sont différents selon un ensmble de critères, tant par leur contexte qu’en ce qui caractérise le site. PLACE AU CHANGEMENT / Acteurs : Collectif ETC Lieu : Saint-Etienne, place Cugnot Origines : Résidu secondaire Superficie projet : 725 m²

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

TYPOLOGIE DE L’INTERSTICE/ Interstice en proue ou en angle

MORPHOLOGIE / Terrain vague

Accessibilité

Niveau de conservation

Limites et gênes

20m

LE PASSAGE 56 ECO INTERSTICE / Acteurs : Atelier Architecture Autogérée Lieu : Paris 20°, quartier St Blaise Origines : Intervalle urbain Superficie projet : 200 m²

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

24

Activités et usages

Niveau de fréquentation

TYPOLOGIE DE L’INTERSTICE/ Interstice par césure

MORPHOLOGIE / Dent creuse

Accessibilité

Limites et gênes

20m

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

TYPOLOGIE DE L’INTERSTICE/ Interstice par empochement

MORPHOLOGIE / Dent creuse

TYPOLOGIE DE L’INTERSTICE/ Interstice par césure

MORPHOLOGIE / Dent creuse

20m

Accessibilité

Niveau de conservation

Limites et gênes

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

Niveau de conservation

Limites et gênes

20m

éTAT DE NON-LIEUX

20m

Statut du délaissé

Niveau de conservation

RESTAURANT BAR NOMAD / Acteurs : Toyo Ito Lieu : Tokyo, Minato-ku, quartier Roppongi Origines : Intervalle urbain Superficie projet : 427 m²

25

Limites et gênes

Niveau d’aménités

SET, STATION EXTRA TERRITORIALE / Acteurs : Collectif Exyzt Lieu : Barcelone, quartier Poble Nou Origines : Intervalle urbain Superficie projet : 600 m²

MORPHOLOGIE / Dent creuse

Accessibilité

Niveau de conservation

BMW GUGGENEHEIM LAB / Acteurs : Agence Bow-Wow Lieu : New York, East village Origines : Intervalle urbain Superficie projet : 2000 m²

TYPOLOGIE DE L’INTERSTICE/ Interstice par empochement


2. LE PASSAGE à L’ACTE

L’expérience d’usages à la dynamique constructive « Nous intervenons spécifiquement sur des terrains qui, à cause de leur statut provisoire et incertain, ne sont pas valorisés par les procédures administratives et urbanistiques habituelles. Les terrains interstitiels sont des failles dans le système qui peuvent permettre l’expérimentation d’autres logiques et d’autres principes économiques, permmettant en même temps la manifestation d’autres populations et l’apparition d’autres processus urbains.» Propos de l’Atelier d’Architecture Autogérée (AAA), receuillis dans «interstices urbains et pratiques culturelles» Roger Kisby © Solomon R. Guggenheim Foundation


2.1. TESTER DES EXPéRIENCES URBAINES

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CONCEVOIR DE L’INATTENDU / Il n’existe aucune règle d’usage qui régisse nos espaces urbains, les usages sont à inventer et à (ré)inventer quotidiennement. Certains lieux sont davantage marqués par des usages précis et très contextualisés, les habitants prennent leurs marques et la vie collective fonctionne ainsi. Il n’y a donc pas de raison de vouloir modifier et bouleverser les habitudes, au contraire, il est préférable de conserver les usages dans leur état quand ils fonctionnent, puisque c’est eux qui gouvernent l’équilibre et la vitalité du quartier. Cependant, tout est relatif, quand le quartier est victime de lieux à détourner, un changement même minimal par la fabrique d’usage inattendu permet d’opérer une reconquête simple et rend la vitalité au site. Alors, l’inattendu fonctionne comme une secousse qui réveille les espaces endormis. Mais concevoir des usages relevant de l’inattendu est une autre affaire. Comment fabriquer de l’inattendu en expérimentant de nouveaux usages là ou on ne les attend pas ? Comment surprendre sans brutaliser ni faire fuir ? Il est particulièrement intéressant de voir comment les projets d’architecture s’amusent avec les usages dans les dents creuses. Différentes stratégies et actions, auxquelles nous allons nous intéresser, sont employées par les collectifs et les architectes.

Prenons un exemple, dans le quartier de la gare de Chateaucreux, situé au centre de Saint-Etienne, l’Etablissement Public d’Aménagement avait organisé un appel à projet, «défrichez-là»*, qui avait pour objet la mise en valeur d’un espace public délaissé en cœur de ville. Le quartier étant sujet à de vaste transformations urbaines, le site du projet devait accueillir un futur immeuble de logement. L’idée était donc de dessiner au sol, un plan fictif des futurs logements à venir, tout en le représentant également en coupe. Cette esquisse à l’échelle 1:1 permettait de se projeter dans le volume virtuel de la future construction. Impliquant les habitants au cœur du processus, les élus locaux et le collectif ETC ont souhaité que les citadins participent aux différents ateliers de conceptualisation du projet, (réalisation de mobiliers, jardinage et illustration du mur pignon). C’était une manière de mobiliser un public intergénérationnel et éclectique pour recueillir les propos d’habitants. Le «construire ensemble» des espaces temporaires est un prétexte à la concertation. Les critiques vis-à-vis des méthodes de concertation mises en place par les pouvoirs publics, se limitent souvent à des cahiers de doléances déposés en mairie, l’enjeu ici était de tenter par le biais de ces usages participatifs et engagés de redonner leur place d’acteurs à tous les citoyens. * Projet place au changement à Saint-Etienne

Divers ateliers de conception sur le projet place au changement. Collectif ETC ©

Comme on a pu s’en apercevoir, les habitants s’adjugent de plus en plus les espaces interstitiels et n’attendent plus qu’on les prenne par la main pour les guider. Devenus des acteurs déterminés dans la fabrication de leur paysage, ils deviennent décisionnaires et prennent du plaisir à s’investir. Cette attitude reflète des convictions et des désirs spontanés. Ce positionnement questionne des usages aussi simples que comment se nourrir ? De la même manière que «les green guérillas américaines»18 de Richard Reynolds qui colonisait des terrains vagues pour les transformer en potagers, on voit pousser des jardins collectifs dans nos milieux urbains. Outre la propagande que menait Reynolds, cette démarche est une prise de conscience et une stratégie militante autant individuelle que politique puisque ces usages sociaux-culturels que s’offrent certains habitants sont d’excellents mécanismes pour produire de la rencontre et du quotidien. Le fait de s’occuper de tâches diverses tels que arroser les plantes et semer des plantations permettent de briser les monotonies journalières de bon nombre d’acteurs locaux engagés et de créer de nouvelles mentalités. C’est notamment le cas du projet passage 56 / éco-interstice de l’agence AAA : « L’architecture autogérée est une architecture de relations, de processus, d’organismes de personnes, de désirs, de compétences et de savoir-faire. Une telle architecture ne correspond pas à une pratique libérale, mais questionne de nouvelles formes d’associations et de collaborations, basées sur l’échange et la réciprocité.» Petcou C. et Petrescu D., Rhizome, réseau collaboratif pour culture locale. 18. REYNOLDS R., «la guérilla jardinère», Ed. Yves Michel, Gap, 2010

LE PASSAGE à L’ACTE

LA STRATéGIE MILITANTE / Le militantisme est, au-delà de sa forme de révolte et de lutte, un soutien actif permettant de défendre des idées et des convictions dédiées à une cause qui nous tient à cœur. Cette posture peut paraître parfois violente, mais incarne surtout une forme de résistance et une force collective qui soulèvent de bonnes questions. La non revalorisation des espaces délaissés entraîne une montée au créneau d’habitants, d’élus locaux et de collectifs qui souhaitent désormais façonner de nouveaux lieux de vie.

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L’atelier étudie les possibilités de mutations des sites urbains interstitiels, en utilisant ce qu’il nomme les «urban tactics»19, soit une pratique qui encourage la participation des habitants à gérer eux-mêmes des espaces urbains désaffectés. Dès lors, grâce à l’établissement d’un partenariat entre les autorités locales, les organisations et les habitants, ils ont pu amorcer un processus participatif de revitalisation du passage 56 à St Blaise. Même si le collectif AAA a assisté aux prémices de l’intervention, c’est avant tout les résidents locaux qui ont travaillé ensemble depuis 2006 à réhabiliter un passage négligé entre deux bâtiments dans une banlieue densément peuplée. Les usages de l’espace public sont consacrés à l’horticulture et à la gastronomie grâce aux potagers et aux divers aménagements agricoles inventés. Ce qu’il est intéressant de constater c’est que le projet remet en question les notions de limites du quartier et grâce à la transformation de la dent creuse, les habitants se rassemblent davantage plutôt que de s’ignorer.

idéalement placé dans le quartier de Roppongi, fréquenté pour ses loisirs et ses spectacles, ne pouvait rester inoccupé pour une durée indéterminée. Pour répondre à cette demande, l’architecte japonais a matérialisé un refuge provisoire ou toute la mise en scène contribue à créer une atmosphère théâtrale : «le restaurant sert d’oasis aux aventuriers qui parcourent la capitale au gré de leur inspiration».20 Des usages où l’on peut voir évoluer des danseurs sur des musiques d’ambiances jusqu’au cadre très irréel et intemporel, l’acte banal de manger dans ce restaurant devient alors tout à coup, un moment insolite.

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31 LE PASSAGE à L’ACTE

Restaurant Nomad, Toyo ito, Japon. Akira Nakamura ©

Eco-interstice, le passage 56, quartier St-Blaise, Paris. www.urbantactics.org ©

L’ACTION CULTURELLE ET ARTISTIQUE / La fabrication d’usages propagandistes qui font office d’opérations coup de poing est sûrement le moyen le plus adéquat pour parler des délaissés et dénoncer leur vulnérabilité et leur fragilité. Pourtant de cette manière on écarte des usages plus tranquillisants et plus doux. Il ne faut pas oublier que la réactivation des dents creuses s’appuie également sur des petites opérations architecturales qui relèvent de l’homéopathie notamment grâce aux usages créés qui doivent soigner et soulager ces zones de malaises. C’est sur cette attitude que s’appuie le cas du restaurant Nomad, conçu par Toyo Ito. A l’origine, on devait édifier un petit hôtel sur ce site et la parcelle adjacente, mais l’achat de la parcelle contigüe ayant été postposé, les promoteurs ont opté pour une solution provisoire plutôt que de laisser mourir la parcelle en plein cœur de Tokyo. Le site 19. www.urbantactics.org

DES PRéFIGURATIONS DE TESTS / Lorsque l’on parle d’interstice on parle évidemment d’expérimentations. L’imprévisibilité du lieu veut que les usages qui y sont créés reflètent également une part d’incertitude et de non maîtrise à laquelle doit faire face la maîtrise d’œuvre. Seul le fait d’essayer des usages conventionnels ou non permet alors d’apporter une réponse concluante à cette interrogation. L’expérimentation implique également de faire des choix concis et de se lancer sans trop se poser de question, au pire si l’expérience échoue, le projet restera à «usage unique» et sera vite oublié. «L’expérience» est donc un plan d’action adopté provisoirement sans être sur d’un résultat, mais qui engage des procédures pour tester des hypothèses. Dans les deux cas à venir, il s’agit typiquement de dynamiques de contrastes qui font préfigurations de tests. Si leurs usages sont si expérimentaux c’est sans doute du fait qu’ils soient situés respectivement à New York et Barcelone qui sont des villes ancrées dans un contexte très culturel, ou l’expérimentation y est très présente. Le BMW Guggenheim de New York se définit comme un laboratoire urbain mobile et multidisciplinaire. En réunissant sur une plate-forme unique un programme très riche (projets de design, ateliers, conférences, acti20. ROULET S. & SOULIE S., Toyo Ito, l’architecture de l’éphémère, Editions du Moniteur, Paris, 1991


vités culturelles) l’idée était d’engager la communauté à débattre sur des problématiques comme la gentrification et l’équité dans nos milieux urbains. Le commanditaire R. Solomon Guggenheim souhaitait mettre à disposition un espace public où experts et non experts pouvaient se réunir et contribuer aux grands débats sur les enjeux urbains futurs. Le projet S.E.T, situé dans le quartier de Poble Nou à Barcelone, illustre également une fabrication d’expérience inédite, relevant plus de l’usage éphémère. A l’origine invité par le festival Eme3 pour lancer l’ouverture de la tour Agbar de Nouvel, le projet du collectif Exyzt a suscité un enthousiasme auprès des habitants du quartier, qui ont pu jouir d’une architecture de l’événementiel et du momentané. La Station-Extra-Territoriale (SET), devait servir de «rampe de lancement»21 pour le décollage de la tour, soit incarner un support publicitaire qui favorise la promotion de la nouvelle construction. Pour marquer les esprits il fallait donc que le show soit spectaculaire ! L’événement a été une performance audiovisuelle et pyrotechniques grâce à une vidéo projetée sur la façade-écran de la structure. Ainsi, le projet aura servi de laboratoire d’expérimentation graphiques et sonores.

LE PASSAGE A L’ACTE

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La façade écran du projet SET et sa construction en échafaudage glissé dans la dent creuse, Brice Pelleschi ©

Projet SET, lancement de la tour Agbar lors du festival Eme3. Brice Pelleschi ©

Ce qu’il faut retenir, c’est que l’architecture interstitielle peut offrir des interversions et des retournements d’usages et que malgré l’apparence très figée et repoussante du site, on se confronte à une diversité d’usage à chaque fois vécu comme une expérience unique. On pourrait alors imaginer que ces hypothèses expérimentées lors de ces micros dynamiques urbaines soient inventoriés et capitalisés dans une banque de données des possibles usages afin d’alimenter les projets futurs.

21. Propos du collectif Exyzt, P. RIZZOTTI | P. SCHNEIDER | F. WUNSCKEL


Le laboratoire BMW Guggenheim durant son occupation. Roger Kisby ©

« Ce lieu est une combinaison entre un forum public permanent , le lieu de rencontres d’une communauté et un séminaire de la pensée » Abitare, «une voie urbaine hybride, un laboratoire très pop», 2011, n° 517, p112

Paul Warchol ©


2.2. CONCERTER POUR MENER DES USAGES COHéRENTS Si ces usages voient je jour, fonctionnent et basculent du statut fictif à la réalité c’est avant tout, parce qu’ils sont relayés par des stratégies et des messages de communications. Les outils de concertation et de médiatisation sont multiples et innovent de jour en jour. Nous en présentons quelques uns, afin de dégager les grandes lignes de ces pratiques, notamment celles appliquées dans les projets étudiés. Dans les différentes pratiques de médiatisation, qui agissent comme les outils témoins du projet, on distingue deux approches différentes : rencontrer et fédérer.

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FéDéRER / La seconde approche, consiste à créer un moment particulier avec les usages inventés afin d’attirer plusieurs personnes, autour de la question de la réappropriation du délaissé. On parle alors de «fédérer» la population autour de la réactivation du lieu. C’est le cas des projets du collectif Exyzt et de l’agence Bow-Wow à New York qui organisent un événement dans l’espace à reconquérir. Ces actes événementiels permettent alors de (re) découvrir le lieu, de se familiariser avec l’espace, de se rencontrer et de par l’ambiance créée, révéler les potentialités du site. Ces postures d’échanges et d’adhésions surviennent juste avant l’acte de construction. Le processus de conceptualisation d’un projet est une recherche plus ou moins longue qui ne se voit pas forcément. Entre le temps de médiatisation auprès du public et la transformation du délaissé le temps peut varier de quelques jours à plusieurs mois. Ce temps de latence peut alors jouer en défaveur du projet si il n’est pas rythmé par des messages de communications et des événements pour annoncer le début des travaux.

TEMPS DE FABRICATION / Dans n’importe quel projet, le temps de fabrication correspond à la dernière étape avant l’exploitation des futurs usages bâtis. Le début de chantier illustre la faisabilité du projet, il permet également de se confronter aux questions mises en suspens pendant la conceptualisation et valide les usages imaginés. De manière générale, le temps du chantier annonce l’apparition d’un nouvel espace, le projet devenant réel aux yeux de tous. Pourtant, l’étape de la construction est assimilée à un temps de veille perçu comme une forme d’attente. L’acte de veille ou «veiller» projette alors une idée d’attention portée au site, la manière dont on vient le protéger par une intervention simple et légère. De plus en poussant la définition plus loin, on comprend la valeur temporelle dans l’expression «être à la veille de...» qui signifie que le temps de chantier survient juste avant l’occupation. Se pose alors la question de la limite du temps de veille, quand peut-on estimer que ce temps de pause prend fin ? Les projets auxquels nous nous intéressons s’inscrivent sur différentes temporalités, certains projets sont éphémères alors que d’autres proposent une forme pérenne. D’un côté on distingue les projets qui s’assument dans leur évolution constante et de l’autre, des projets d’aménagements urbains temporaires, qui sont une véritable prise de conscience de l’occasion exceptionnelle du lieu qui se crée. Le sentiment de voir le projet éclore, vivre puis disparaître pour laisser place à l’inconnu tend à soutenir un intérêt particulier au site et nous parle alors du temps de l’après délaissé. S’IMPLANTER DE MANIèRE DOUCE / Depuis le début de ce mémoire on parle d’occuper les espaces interstitiels et plus particulièrement les dents creuses. La notion d’occupation permet de différentier la rénovation d’un délaissé et son aménagement, éphémère ou non, réactivé par une forme d’intervention légère. Dans notre cas, la différence se fait de par sa transformation, on ne parlera pas d’une construction architecturale du plein, mais plutôt de l’aménagement d’un vide. De plus, ces transformations que l’on pourrait qualifier de chirurgicales et minimales exigent une implantation respectueuse et préservatrice du site tel qu’il était avant son occupation. L’espace interstitiel dessine une autre forme d’architecture, différente des constructions conventionnelles qui s’appuie davantage sur des structures légères et démontables qui absorbent facilement les limites du site, le temps de fabrication et les contraintes réglementaires et budgétaires. Dans le cas du projet SET, l’utilisation d’ossature métallique et de structure en échafaudage a permis de concevoir des espaces de grande hauteur pour recevoir la façade écran haute de 6 m et d’imaginer une autre manière d’habiter pour l’équipe qui a vécu durant l’occupation du lieu. De la même manière, le restaurant Nomad et le Guggenheim Lab, utilisent également des structures en fibre de carbone pour épouser les contours du site. L’emploi de ce type de structure tend à créer une construction mirage, qui ne se concrétise que par l’installation d’une architecture informelle, souple et légère.

37 LE PASSAGE à L’ACTE

RENCONTRER / La première attitude consiste à aller démarcher la population, provoquer de la rencontre in fortuite en faisant le premier pas. C’est ainsi que pour le projet «place au changement», le collectif ETC part s’enquérir d’informations sur le territoire en frappant à toutes les portes de zones susceptibles d’être intéressées et motivées par le projet. Ils en profitent pour exposer leurs approches urbaines, architecturales et sociales et communiquent du même coup sur le futur projet à réaliser, permettant ainsi d’éveiller peut être des intérêts et des désirs chez les usagers sondés. Cette démarche qui s’invite dans les foyers permet aussi de recueillir la parole d’habitants qui se sentent concernés mais qui n’osent pas forcément prendre la parole en public. De cette manière, personne n’est écarté et plutôt que d’avoir une participation qui se résume dans la plupart des cas à une concertation avec un éventail d’habitants sélectionnés, ici il s’agira de s’enrichir de tous les propos des usagers rencontrés.

2.3. CONSTRUIRE AUTREMENT


B. Pelleschi ©

Projet SET, Collectif Exyzt © Vue intérieur et axonométrie spatiale

Projet Restaurant Nomad, Toyo Ito, Publications du Moniteur © Maquette de la structure Plans du rez de chaussée et du niveau1


LE CHANTIER UN ACTE CULTUREL / «Comment réintroduire du sens dans la construction ? L’architecture contemporaine n’exprime ni la diversité du monde ni la discordance de la société, elle ne fait qu’appliquer un modèle dominant déconnecté du réel. L’acte de construire étant un acte culturel, le chantier doit permettre l’expression du savoir-faire des arts et métiers.» Bouchain P., «Histoire de construire», Actes Sud, Arles, 2012, p.151

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PLACE AU CHANGEMENT / Début des travaux : Juillet 2011 Temps de fabrication : 1 mois

Début des usages : Aout 2011 Temps d’usage : 3 ans

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

Niveau de conservation

LE PASSAGE 56, ECO INTERSTICE / Début des travaux : 2006 Temps de fabrication : 6 mois

Début des usages : Mi 2006 Temps d’usage : à nos jours

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

Niveau de conservation

BMW GUGGENEHEIM LAB / Début des travaux : 11 Juin 2011 Temps de fabrication : 1 mois

Début des usages : 3 Août 2011 Temps d’usage : 2 mois

Début des usages : 22 Octobre 2005 Temps d’usage : 1 semaine

Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

Niveau de conservation

Début des usages : Janiver 1986 Temps d’usage : 8 mois (Aout 1986)

Limites et gênes

Statut du délaissé

Chantier ouvert au public, Colectif ETC ©

RESTAURANT BAR NOMAD / Début des travaux : Décembre 1985 Temps de fabrication : 1 mois

Limites et gênes

Statut du délaissé

Niveau de conservation

SET, STATION EXTRA TERRITORIALE / Début des travaux : 12 Octobre 2005 Temps de fabrication : 10 jours

Limites et gênes

Limites et gênes

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

22. Propose utilisé par le collectif ETC durant le projet place au changement. Niveau de conservation

Limites et gênes

41 LE PASSAGE à L’ACTE

Lors de la réalisation de ses projets Patrick Bouchain introduit une notion propre au moment du chantier qu’il nomme : acte culturel. Cette notion réinvente la manière de voir le chantier, il ne l’identifie plus à un simple temps d’exécution et de fabrication, mais plutôt comme à un temps de conception ou l’on mêle l’échange de savoir-faire, la pratique de techniques constructives et la recherche de solutions aux usages envisagés sur le site. L’acte de construire peut s’apparenter à une pièce de théâtre, le temps de veille, le site reste en attente s’illustrant comme un décor, puis les acteurs s’installent sur le devant de la scène et commencent leur ballet incessant présentant leur histoire. A travers l’image de ce type d’événement culturel, on comprend que le chantier raconte une multitude d’anecdotes et qu’il devient un vecteur de sociabilité à part entière. De plus, le fait d’opérer en milieu urbain les événements sont très vite relayés. Du fait d’un rapport de voisinage de proximité, le projet rassemble rapidement une foule d’acteurs divers. Les bruits de chantier vont alors se répandre présentant les futures activités du site et attireront certainement quelques curieux qui viendront demander plus d’informations sur les travaux entrepris. Le lieu du chantier se transforme en lieu de rencontre et d’exposition. Cette démarche spécifique du chantier est employée par de nombreux collectifs qui la qualifient de «chantier ouvert au public».22

A travers cette seconde analyse durant la phase du passage à l’acte, on peut constater les différentes évolutions du délaissé depuis son état de non lieu jusqu’au moment de son occupation. La mutation du lieu survient au cours de l’étape de fabrication du projet.


3. DE LA DIMENSION PROJECTUELLE à L’INCERTITUDE Et Après ?

Le temps de l’après projet, correspond d’une part à la fin de l’occupation du site, et au début d’un autre chose. Après les micros interventions, l’interstice délaissé n’est plus considéré comme un espace en friche. Nous distinguerons à travers cette dernière partie les différentes évolutions des sites étudiés et la manière dont les acteurs des projets ont soit déconstruit, transmis ou fait évoluer le projet. www.youtube.comwatch©


3.1. LES RETOMBéES DES MICROS DYNAMIQUES

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Pourtant dans les projets que nous avons étudiés, nous distinguons clairement qu’il y a une majorité de dispositif temporaire et éphémère, c’est à dire que les dents creuses redeviennent spécifiquement vides après démontage du projet. La disparition de ces structures tient du fait qu’elles demeurent des postures très fragiles notamment à cause du statut permissif et mutable de l’interstice. Il est donc difficile d’envisager des usages qui soient pérennes et stables, mais à l’inverse répondent adéquatement aux usages événementiels qui, on en est sûr ne bouleversera par le caractère du site. On peut alors se poser une question : est ce que le vide interstitiel disponible ne peut-il pas faire système ? Une systématisation au sens où le vide pourrait permettre de créer des relations, des interfaces et des liaisons entre plusieurs interstices et renforcer ainsi des usages permanents. Il semble que non, ce serait «un leurre que de penser que les interstices finissent, à l’intérieur d’un milieu urbain, par se rejoindre et se relier naturellement. [...] Le processus est certainement plus hasardeux.»24 Comme le présente Hardt et Negri, il nous faut admettre que de «telles expériences ne s’articulent pas entre elles comme pourraient le faire les maillons d’une même chaîne de révolte».25 Si cette systématisation ne fonctionne pas elle s’explique par le fait que même si le but de la réactivation d’un espace interstitiel s’appuie sur des motivations similaires, pour chaque projet, les perspectives de concrétisations diverges (plans politiques, esthétiques, intellectuels, sociauxculturels, affectifs...) 23/24. NICOLAS-LE-STRAT P., «multiplicités interstitielles, la politique des singularités», site : le e-commun.fr 25. Propos de HARDT M. et NEGRI T., «Empire», éd. Exils, 2000, p. 75 recueillis dans «multiplicités interstitielles, la politique des singularités»

Cette nouvelle vision nourrit une mémoire collective porteuse d’histoires. Lorsque certains projets finissent par se déconstruire et disparaître, seule la mémoire reste une trace et une empreinte inaltérable liée au lieu. Une mémoire du lieu ravivée selon les désirs et l’imagination de tout un chacun.

Des enfants qui jouent dans les jardins potagers du passage 56. www.urbantactics.org ©

45 DE LA DIMENSION PROJECTUELLE à L’INCERTITUDE

LA CONDITION DE L’INTERSTICE : TEMPORAIRE OU DURABLE ? / Depuis le début de ce mémoire, nous parlons de la réactivation d’un interstice délaissé, mais dans quel but ? Nous avons vu que cette posture se partageait selon deux cas : d’un côté une intervention qui a pour unique volonté d’éveiller les consciences sur ces lieux oubliés en révélant le potentiel du site et de l’autre une manière de se l’approprier, de créer un espace à soi ou plus largement à une communauté d’habitants. On remarque que dans le premier cas, il correspond davantage à un projet éphémère synonyme d’expériences et d’hypothèses et que dans cette attitude, l’intervention doit alors être démontée pour laisser place à autre chose. Dans le second cas, on cherche plus à faire perdurer l’usage par le biais d’habitants ou d’acteurs engagés et intéressés par le projet. Les aménagements sont donc voués à demeurer et à évoluer en fonction de nouvelles intentions, voire à se consolider pour qu’ils deviennent plus pérennes. L’interstice ne connait donc pas de véritable exigence temporelle en ce qui concerne la durée de vie d’un projet. En effet, «chaque expérience interstitielle se fonde sur des intérêts et des désirs à chaque fois très spécifiques. Ce qu’elle est initie est difficilement transposable dans un autre contexte, difficilement intégrable par d’autres acteurs.»23 Par conséquent l’interstice n’absorbe donc pas forcément des projets temporaires, ou durable à contrario, mais est laissé au libre choix des initiateurs et aux attentes du projet.

UN NOUVEAU POINT DE VUE SUR LES LIEUX / L’aboutissement d’une micro dynamique interstitielle ancrée dans un contexte en milieu urbain dense est jalonné, comme nous avons pu le voir, d’étapes cruciales qui tout au long des phases de réalisations déterminent de la réussite ou de l’échec du projet. Ces différentes étapes sont ponctuées d’impressions diverses que les acteurs ne peuvent réfréner, l’euphorie quand le projet s’amorce, les périodes d’attentes longues et incertaines, des moments de doute parfois et puis, finalement l’enthousiasme de voir le projet concrétisé, abouti et investi. La concrétisation d’un projet dans un espace abandonné permet d’apporter un nouveau regard sur les lieux. Sa transformation inattendue pose un regard neuf sur l’interstice, apporte un autre angle de vue qui génère une autre manière de vivre et d’être dans ces lieux. Lorsque le projet s’établit, les installations éclosent et bousculent du même coup notre quotidienneté. Le vide se transforme et s’adapte, le disgracieux devient esthétique, l’absence disparaît au profit d’une nouvelle agitation de vie urbaine. Ce lieu que l’on ne voyait même pas tant il était ordinaire devient tout à coup l’espace de toutes les attractions. Il subsistait comme le marginale et l’imperceptible, il devient le fascinant et le centre.


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DES LIEUX QUI FABRIQUENT DES HISTOIRES / A défaut de ré-enchanter l’espace interstitiel, le but de ses actions est de renouveler l’espace local. Les expériences interstitielles sont «territorialisées, c’est à dire qu’elles investissent un espace (géographique ou mental), en lien avec son environnement local,»26 et affectent les habitants si la micro dynamique correspond à une démarche participative ou s’ils en sont les principaux initiateurs. Le sens des actions culturelles et sociales qui se croisent dans ces lieux répondent tous à une même nécessité, celle de «l’agir urbain», l’agir commun. Si les pratiques et les usages sont autant riches et diversifiés dans les dents creuses investies, la plupart répondent à des désirs et des envies qui contrent la perte des repères, les mutations contemporaines et les malaises qui nous affectent chacun à des nuances diverses. Alors, la présence de la pratique socioculturelle et son expérience interstitielle paraissent plus qu’essentielles et favorisent l’interaction, l’échange d’histoire et la fabrique de mémoire. Pour De Certau, l’acte de parole devient créatrice d’histoire et transforme le lieu en espace. Les histoires évoquées s’accrochent et habitent les lieux, rendant ces espaces réels et habitables. Habitable et palpable au sens où ces récits tissent des attaches entre l’homme et le lieu.

3.2. LE TEMPS DE L’APRèS PROJET : L’éVOLUTION DU LIEU DECONSTRUIRE / La première prise de position tend à déconstruire et faire disparaître le projet d’aménagement réalisé par les divers acteurs participants pour éventuellement laisser la place à quelque chose d’autre. Cette pratique peut servir d’amorce et de relais à la construction d’un projet bâti ou d’un aménagement urbain. C’est le cas du projet restaurant Nomad construit de manière provisoire et prévu pour être remplacé par un petit hôtel. La construction de Toyo Ito, avec un temps d’usage d’une durée de 8 mois, a permis dans un premier temps de faire vivre le site avant de permettre une transition aisée avec l’aménagement hôtelier qui l’a remplacé.

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Journal Le monde, les commérages, Superstock leemage ©

«Les légendes locales permettent des issues, des moyens de sortir et de rentrer, et donc des espaces d’habitabilité. [...] On peut mesurer l’importance de ces pratiques signifiantes (se raconter des histoires) comme pratiques inventrices d’espaces.» DE CERTAU M., «L’invention du quotidien», 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990.

26. Propos recueillis dans : Interstices urbains et pratiques culturelles, GUILLAUD C., 2009

La notion de démontage apparaît également pour le projet SET et le Guggenheim laboratoire, tout deux conçus comme des projets d’événements voués à être déconstruit et entrainant du même coup la question de l’après projet. En effet en dématérialisant la structure, l’interstice retombe dans un temps de veille, ou l’incertitude du site demeure. Que va-t-il devenir ? Peutil être réapproprié pour un autre usage ? Ainsi d’une autre manière, moins programmée et planifiée que le restaurant Nomad, on pourrait imaginer que l’intervention par le biais de la micro dynamique architecturale aura eu un retentissement et un impact dans la mémoire collective et que le lieu libéré de son occupation suscitera l’engouement d’autres personnes qui se réapproprieront le site pour permettre à leur tour une nouvelle démarche architecturale. Aujourd’hui les sites des quartiers de Barcelone et de New-York sont retombés en déclin. Le temps d’après projet qui est alors supposé offrir une opportunité à l’interstice d’aller plus loin n’a pas eu lieu dans ces deux cas et le lieu est alors retombé en déshérence, dans l’attente d’être peut être un jour réutilisé. En attendant la dent creuse du quartier industriel de Poble Nou a été de nouveau réemmurée comme l’oblige la loi urbaine espagnole interdisant de la laisser accessible.

DE LA DIMENSION PROJECTUELLE à L’INCERTITUDE

La déconstruction du projet Guggenheim Lab, time lapse, www.youtube.comwatch©


22.

La dent creuse actuelle réemmurée après la déconstruction du projet SET. Googlemap©

La dent creuse actuelle après la déconstruction du laboratoire Guggenheim. Googlemap©


TRANSMETTRE / La seconde option sélectionnée après l’intervention dans un interstice délaissé consiste à poursuivre l’occupation du site et de le faire évoluer à travers le temps. Alors, on cherche à faire officialiser l’acte d’occupation si ce n’est pas déjà fait et mettre en avant son droit d’occupation, ou du moins tenter de légitimer l’acte. En fonction des initiateurs du projet, on parle alors de transmettre, ou de conserver l’espace utilisé et occupé. Lorsque cela relève de l’intervention d’un collectif, suite à des appels d’une communauté d’habitants ou encore par le biais d’une association, on évoquera alors l’acte de transmettre le projet. Dans son ouvrage Construire autrement, Patrick Bouchain parle souvent de la notion de «transmission» dans ses projets. Il explique que pour lui, une architecture ou l’aménagement urbain (une intervention architecturale simple) est conçu pour un ensemble d’usagers et non pas pour la notoriété de son concepteur. Dans ce cas elle se doit de pouvoir laisser la priorité à son fonctionnement.

50

«Savoir se retirer à la fin d’un chantier, c’est créer le vide qui permet à l’utilisateur d’y entrer. Pendant le chantier, il faut l’accueillir pour l’associer, le mettre dans une situation d’appropriation avant de partir pour le laisser libre, comme un professeur qui transmet le savoir à un de ses élèves et qui doit à un moment donné se retirer pour que l’élève prenne son autonomie. Comme l’élève doit dépasser le maître, l’utilisateur doit dépasser le concepteur.» Bouchain P., «construire autrement», Actes sud, Arles, 2006, p.114

Table ronde, Place au changement. CollectiETC.com ©

En ce qui concerne, le projet «place au changement» à Saint-Etienne, le collectif ETC a organisé plusieurs temps de concertations avant leur départ. Le but de ces rassemblements permettait de transmettre des idées et des pistes de réflexions aux élus locaux, aux habitants, aux services techniques pour accompagner l’avenir du site réactivé et surtout éviter que le lieu ne sombre de nouveau en obsolescence. Des tables rondes réparties en deux temps ont été organisées, permettant de questionner collectivement le devenir du délaissé. En complément de ces rassemblements communs, le collectif a souhaité impliquer les services techniques de Saint Etienne pour garantir la conservation de cet espace qui sera alors entretenu par ces derniers. Pourtant malgré les réflexions engagées sur l’avenir de la place, l’espace public n’a rencontré qu’une faible utilisation durant ces deux premières années et le collectif ETC n’a pas eu le choix que de ré-intervenir sur le site afin de proposer plus d’aménités. Ils ont été contraints d’admettre et de constater que le positionnement du site ceinturé par des grands axes de circulation n’était pas forcément favorable à l’aménagement d’un espace public. Rappelons également que la première intervention devait favoriser un embellissement de la parcelle devant susciter un rachat et par la suite la création d’un immeuble. A l’heure actuelle, le site subsiste comme une place publique ou les amorces d’aménagements passées font figure de résistance sur la place du géant.*

* Autre dénomination du site

Aménagement actuel, Place au changement. CollectiETC.com ©


CONSERVER / Pour cette dernière position, le temps d’après friche est ici relativement vaporeux, on peut même imaginer qu’il n’y en a pas et que le projet est caractérisé par un temps d’occupation constant et permanent. La pratique de la conservation permet de faire évoluer constamment le lieu, de l’enrichir et de l’épurer par sa pratique, son usage, pour ne jamais le laisser retomber en désuétude. La conservation est rendue possible par une stratégie d’occupation menée par un groupement d’habitants et relève de la montée au créneau de citadins engagés. Cette attitude atteste de la pugnacité et de la volonté de devenir un acteur de l’environnement qui nous entoure et ne plus subir des aménagements territoriaux planifiés par des décisionnaires politiques déconnectés de certaines réalités urbaines.

52

C’est le cas du projet Eco-interstice à Paris. La détermination de l’agence AAA et des associations dans ce projet est tellement forte que l’installation est passée par une succession de transformations et d’adaptations afin de la rendre indiscutable aux yeux de certains acteurs dubitatifs. Depuis le début, le projet a été marqué par un long processus participatif et ouvert qui a vu se succéder diverses étapes, avec au départ l’évacuation des détritus du site, en passant par la mise en place d’installations temporaires pour intéresser les habitants et jusqu’à dernièrement la création d’un hangar en bois (lieu d’entrepôt, toilette à compostage) en front de rue qui marque dans la foulée sa pérennisation. Cette construction est le travail d’un groupe de personnes (APIJ) qui œuvre depuis plus de dix-huit mois à l’évolution du passage 56. Grâce à ces nouvelles installations, le lieu est devenu un véritable espace public puisque la volonté de ce projet était de fédérer des rencontres autour d’un même espace. Ce qui est intéressant de noter dans cette réalisation architecturale est que même si les architectes AAA ont été les principaux entrepreneurs, le projet est autogéré par une communauté d’habitants qui ne se sentait pas du tout concernée par des questions d’urbanismes et d’architectures de prime abord. A l’heure actuelle, le projet local continue d’évoluer avec l’entretien quotidien des jardins collectifs et vit au rythme des attroupements d’habitants qui prennent possession des lieux, ne serait ce que pour s’évader un instant.

Evolution du projet éco-interstice. Atelier d’architecture Autogérée, Urbantactics.com ©


Dans le prolongement de la parcelle le hangar s’accroche à la rue venant recréer une nouvelle frontalité. Atelier d’architecture Autogérée, Urbantactics.com ©


Cette analyse permet de comprendre la nécessité de poser la question de l’après projet. Nous avons parlé de projet temporaire mais il ne faut pas que cette attitude conduise à un nouveau déclin du site. Quand le projet est déconstuit, on note une baisse de l’entretien et des activités in situ. C’est dans sa réappropriation que le site regagnera une certaine attractivité. PLACE AU CHANGEMENT / Et après ? Transmettre Le site : Réintervention en 2013

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

Niveau de conservation

LE PASSAGE 56, ECO INTERSTICE / Et après ? Conserver Le site : Un espace commun autogéré

56

Limites et gênes

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

BMW GUGGENEHEIM LAB / Et après ? Déconstruit Le site : Redevenu un interstice délaissé

Limites et gênes

Activités et usages

Accessibilité

Niveau de conservation

Limites et gênes

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

En somme, nous pouvons dire que ce qui semble se jouer à l’heure actuelle dans les espaces interstitiels est une forme de résistance. Une résistance face à un modèle de société, une lutte face à l’amenuisement de nos espaces communs et surtout la volonté de concevoir de nouvelles formes d’urbanités en vue d’y pratiquer des usages inventifs et conviviaux où l’on peut partager du commun. Les acteurs de ces démarches (collectifs, habitants, artistes...), par leur manière d’habiter ces non-lieux, interrogent les circuits formatés de nos milieux urbains pour mieux les déjouer, exprimant ainsi leur refus de sombrer dans une société du tout économique et matérialisant des espaces alternatifs de libertés. En résistant et en produisant du lien social et culturel dans ces zones marginalisées, l’objectif est de se détourner de l’espace dominant (caractère global de la ville), sortir des stéréotypes et d’un circuit fermé régi par l’ordonnancement de la ville et surtout ouvrir de nouvelles perspectives.

Accessibilité

Niveau de conservation

RESTAURANT BAR NOMAD / Et après ? Déconstruit puis réaménagé Le site : Un complexe hôtelier

Généralement désignés comme des lieux d’altérité, ces lieux de polyvalence permettent d’offrir une variété d’usages conçue pour des périodes indéterminées. A la fois présenté par les sociologues comme un fait urbain concret et un vecteur théorique, l’interstice s’associe à des configurations conceptuelles variées qui nous amènent à réfléchir différemment sur notre manière de concevoir l’architecture et le paysage dans notre milieu urbain, questionnant du même coup les impacts sur notre société actuelle. Certaines de ces microstructures sont conçues pour demeurer, d’autres encore sont des dispositifs temporaires imaginés sur une période de transition, mais elles demeurent toutes sans exceptions des constructions fragiles et délicates amenées à évoluer ou à disparaître. Là est peut-être leur ultime condition d’ailleurs ?

Statut du délaissé Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

SET, STATION EXTRA TERRITORIALE / Et après ? Déconstruit Le site : Redevenu un interstice délaissé

A travers l’analyse de ce mémoire, nous avons pu cerner, à l’aide d’architectes, de collectifs et de théoriciens, pourquoi et comment éclosent de plus en plus des initiatives sociaux-culturelles qui s’immiscent dans un fonctionnement interstitiel du paysage urbain, les dents creuses. Par défaut, se trouvant entre toute chose, «l’interstice est porosité»27, soit une cavité et un passage propice au développement d’un processus qui échappe à un certain contrôle et à l’ordre établi.

Limites et gênes

Statut du délaissé Activités et usages

Niveau de fréquentation

Niveau d’aménités

Accessibilité

Des chantiers ouverts au public, aux stratégies militantes jusqu’au développement des jardins collectifs partagés, ces différentes formes d’usages sont ici pour réinterroger les enjeux urbains et sociaux : la place des habitants et de l’espace public, l’organisation collective et la démocratie participative. Dans ce processus interstitiel, les acteurs et leurs expériences rappellent qu’un projet est inséparable d’une initiative et qu’elle mobilise un jeu d’interdépendances et d’échanges entre les acteurs engagés. Ainsi, la place des interstices et les pratiques sociales et culturelles qui s’y jouent incarnent des espaces de rayonnement, de diffusion et de création, pour penser la ville autrement. 27. Propos recueillis dans : Interstices urbains et pratiques culturelles, GUILLAUD C., 2009

Niveau de conservation

Limites et gênes

57 CONCLUSION

Niveau de conservation

CONCLUSION


BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES // AUGE. M., «Non lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité», Paris, Seuil,1992 BOUCHAIN. P., «Histoire de construire», Arles, l’impensé Actes Sud, 2012 BOUCHAIN. P., «Construire autrement», Arles, l’impensé Actes Sud, 2006 DE CERTAU. M., «L’invention du quotidien», 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990 HATZFELD .M & H., «Quand la marge est créatrice, les interstices urbains initiateurs d’emplois», Aube, 1998 PIANO .R., «la désobéissance de l’architecte», Paris, Arléa-Poche, 2009 REYNOLDS .R., «la guérilla jardinère», Gap, Ed. Yves Michel, 2010 ROULET .S. & SOULIE .S., «Toyo Ito, l’architecture de l’éphémère», Paris, Editions du Moniteur, 1991 VASSET .P., «un livre blanc», Paris, Ed. Fayard, 2007

58

TRAVAUX D’ETUDIANTS //

ARTICLES DANS MAGAZINES // Inter : art actuel, N°72, 1999, «le terrain vague comme monument», Luc LEVESQUE, p.27-30 Abitare, N°517, Novembre 2011, «Une voie urbaine hybride, un laboratoire très pop», Marco Sammicheli, p.112-123

ARTICLES SUR INTERNET // Interstices urbains et pratiques culturelles, GUILLAUD C., 2009 : http:// www.implications-philosophiques.org/Habitat/Guillaud1.html Occupations temporaires, NICOLAS LE STRAT P., Fulenn, 2007 : http:// www.le- commun.fr/index.php?page=occupations-temporaires Multiplicité interstitielle, NICOLAS LE STRAT P., Fulenn, 2007 : http:// www.le-commun.fr/index.php?page=multiplicite-interstitielle

DOCUMENTS AUDIOS & VIDEOS // Collectif EXYZT et EME3, S.E.T Festival, 2005 : https://www.youtube.com/ watch?v=-O1FkOEyPFE Agence Bow-Wow, Guggenheim Lab design, Time lapse construction : https:// www.youtube.comwatch?v=QoTMAxmwefM

59 BIBLIOGRAPHIE

ANDRES .L., «la ville mutable», Thèse-universtité Pierre Mendes-France, Grenoble, 2008, 498p. DALBANIE .B., «Micro Urbanisme éphémère, ou comment interroger les conditions de la production architecturale», Mémoire M1, Grenoble, 2012, 98p. DESHUSSES .C., «Interstices urbains, potentiel de développement», EFPL, Genève, 2011, 62p. LEMARIE .M., «A l’abordage des délaissés, vers une nouvelle forme d’espace public», Mémoire M1 Grenoble, 2014, 141p. RIVIERE .G., «L’interstice urbain, un lieu potentiel de la ville contemporaine», Mémoire M2, Clermont-Ferrand, 2012, 101p.

Projet SET, RIZZOTTI P., 2005 : http://www.philipperizzotti.net/ architecture/006-set-xyztown-architecture-art-architecte-architect-paris-newyork/ Place au changement, Collectif ETC, 2011 : http://www.collectifetc.com/realisation/place-au-changement-chantier-ouvert/ Le-56 / Eco-interstice, Atelier Architecture Autogérée, 2006 : http://www. urbantactics.org/projects/passage%2056/passage56html.html


LA VILLE RESSOURCE, mémoires 2014.2015

ANNEXE PROJET / Place au changement, «défrichez là» , Collectif ETC

60

CONTEXTE // Milieu Urbain, Saint-Etienne, parcelle 58 rue Cugnot OIRIGNES // Résidu secondaire, abandon architectural SUPERFICIE // 725 m² STATUT DU PROJET // Concours organisé par l’établissement Public d’aménagement de Saint Etienne (EPASE) et remporté par le collectif ETC. MORPHO-TYPOLOGIE // Interstice en proue ou en angle, terrain vague

61 PRIX DU PROJET // 200 € par équipe DURÉE DE VIE DU PROJET // 17 Juillet 2011 - (3ans) PROGRAMMES // Soirées musicales, concerts acoustiques, bar et buvette

SITE DU PROJET //

20 m

ANNEXE

1_ «La crise, une opportunité de réinventer le métier d’architecte ?», Justine GUYARD 2_«Transmettre l’architecture en milieu scolaire, une démarche transversale», Mélody BURTé 3_ «Territoires d’adultes, territoires d’enfants», Alice Meybeck 4_ «Villes et industries du cinéma, des évolutions complémentaires», Caroline Renaud 5_ «Décors d’agriculture, Des corps d’agriculture», Danil Vadsaria 6_ «Mutation des quartiers-gares, d’un lieu de passage à un lieu de vie», Walid Belamri 7_ «Le périurbain, un territoire d’action: l’architecte face au patrimoine périurbain», Antoine Baudy 8_ «Les nouveaux eldorados urbains», Valentin Poirson 9_ «Le déjà-là, une trace du passé et un support physique pour les projets d’avenir», Marystelle Coq 10_ «l’urbanité du temps libre, l’influence des nouveaux rythmes de vie sur la construction du milieu urbain», Kevin MALLEJAC 11_ «Vie étudiante et implantation universitaire : la culture étudiante dépendelle d’une certaine forme d’enclavement urbain ? » Colin MICKEY 12_ «Les stratégies ferroviaires dans la requalification urbaine», Mathieu CARDINAL 13_ «Cœur de village, cœur de vie. Le rôle de l’équipement multi-programmatique en milieu périurbain», Elaine SANCHEZ 14_ «La reconversion et la redynamisation des friches industrielles à des fins culturelles : un enjeu de régénération urbaine», Lola DUVAL 15_ «Des architectes aux parcours riches et variés: se réinventer à travers l’expérience du collectif», Siham El Kanaoui


PROJET / Le passage 56, éco-interstice, Atelier d’architecture Auotogérée

PROJET / Laboratoire urbain mobile, BMW Guggeneheim Lab, Agence d’architecture Bow-Wow

CONTEXTE // Milieu Urbain, Paris 20°, rue St Blaise

CONTEXTE // Milieu Urbain, New York, Etats unis

OIRIGNES // Intervalle urbain

OIRIGNES // Intervalle urbain, abandon architectural

SUPERFICIE // 200 m²

SUPERFICIE // 2000 m²

STATUT DU PROJET // Dynamiques collaboratives (Collectif AAA, instittions politiques, habitants) - Démarche personnelle et volonté associative.

STATUT DU PROJET // Dynamique expérimentale, commande publique de R.Solomon Guggenheim et BMW Group.

MORPHO-TYPOLOGIE // Interstice par empochement, parcelle vacante

MORPHO-TYPOLOGIE // Interstice par césure, terrain vague

62

63

DURÉE DE VIE DU PROJET // 2006 - à nos jours PROGRAMMES // Espace d’horticulture, d’agriculture urbaine et de gastronomie

PRIX DU PROJET // DURÉE DE VIE DU PROJET // Aout 2011 - Octobre 2011 PROGRAMMES // Des projets de design, des ateliers, des conférence, de visites guidées et des activités culturelles.

SITE DU PROJET //

SITE DU PROJET //

20 m

20 m

ANNEXE

PRIX DU PROJET // 90,000 €


PROJET / SET, Station-extra-territoriale, lancement de la tour Agbar, collectif Exyzt

CONTEXTE // Milieu Urbain, Poble Nou, Barcelone, Espagne OIRIGNES // Intervalle urbain SUPERFICIE // 600 m² STATUT DU PROJET // Commande publique de EME3 sur la thématique « à la recherche de la 4° dimension MORPHO-TYPOLOGIE // Interstice par empochement, parcelle vacante

PROJET / Restaurant Nomad, Toyo Ito

CONTEXTE // Milieu Urbain, Tokyo, Quartier Minato-ku, Roppongi OIRIGNES // Intervalle urbain SUPERFICIE // 427 m² STATUT DU PROJET // Conception d’un petit refuge artistique provisoire par les promotteurs de la parcelle en attendant la construction d’un hôtel futur. MORPHO-TYPOLOGIE // Interstice par césure, dent creuse

64

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DURÉE DE VIE DU PROJET // 18 Octobre 2005 - 25 Octobre 2005 PROGRAMMES // Scénographie, installation habitée, une terrasse panoramique, des laboratoires graphiques, sonores et culinaires.

PRIX DU PROJET // DURÉE DE VIE DU PROJET // Janvier 1986 - Aout 1986 PROGRAMMES // Restaurant, bar, Spectacles d’ambiances et de musiques

SITE DU PROJET //

SITE DU PROJET //

20 m

20 m

ANNEXE

PRIX DU PROJET // 15,000 €


Suite aux grandes mutations et transformations que la ville a connues ces dernières années, des «espaces interstitiels» ont émergé. Espaces résiduels caractérisés par un statut incertain et provisoire, ils se développent en marge d’une planification territoriale conventionnelle et échappent aux institutions urbaines. Ils sont alors réinvestis par des usages sociauxculturels qui réinventent et innovent de nouvelles formes d’architecture. Ce travail interroge la manière de germer de ces nouvelles formes d’urbanité dans les dents creuses de nos villes et leur évolution à travers le temps.

Juin 2015 . Ecole Nationnale Supérieure d’Architecture de Grenoble Photo : Yann Aubry ©


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