Le riad de Fès رياض فاس
Lyna Benchekroun Belabbes ULB - Faculté d’architecture La Cambre Horta Année 2018-2019
Le riad de Fès,
entre habitats et habitants
Mémoire de fin d’études de L yna B enchekroun B elabbes sous la direction de M arianne P uttemans
ULB - Faculté d’architecture La Cambre Horta Année 2018-2019
ا لتشكر ا ت
Remerciements
7
Un grand merci à Marianne, pour tous les bons conseils et directives qu’elle m’a donné tout au long de cette année. À Siham, pour toutes ces heures passée à m’aider pour arriver à ce résultat. Je tiens à remercier ma mère pour son soutien constant et infaillible. Mon père qui a toujours eu le mot pour me redonner le sourire. Et Rym, ma sœur, qui a du supporter les hauts et les bas de ma vie, mais qui ne m’a jamais déçue... Sans vous je ne serai pas là où j’en suis aujourd’hui. Merci à ma grand-mère, qui croit en moi depuis le premier jour. À Othmane, Yassine, Fanny et Alice, à mes amis, ma famille, et à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce travail de fin d’étude. Merci à vous pour votre soutien et votre aide, ce mémoire est pour vous.
جدول المحتويات
Table des matières
Remerciements Introduction
5 13
Méthode 1. Contexte
25 31
2. Promenade
77
Mots-clefs Abstract État de la question La madeleine de Proust
Contexte urbain et historique - la médina de Fès Fès et les Dynasties du Maroc La médina de Fès, culture et religion L’artisanat Le décor dans la maison traditionnelle de Fès Le bois de cèdre dans la maison traditionnelle de Fès Le zellij dans la maison traditionnelle de Fès Le fer forgé dans la maison traditionnelle de Fès Qu’est-ce qu’un riad? - définition générale Qu’est-ce qu’un riad? - logique architecturale Qu’est-ce qu’un riad? - typologie de base Méthodes de constructions Les quartiers de la médina Comment les riads de la médina de Fès étaient-ils habités? Le riad Organisation générale du riad
15 17 18 20
35 38 42 44 46 47 52 58 62 63 65 67 71 78 80 82
11
La médina, l’accès au riad La porte d’entrée La cour La cour : lieu de circulations Pièces du Rez-de-chaussée Les galeries L’eau dans le riad Le hammam Le rez-de-chaussée Les escaliers Les étages La terrasse
3. Analyse
87 89 94 100 102 110 111 116 122 125 127 132
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Analyse complémentaire 141 Éléments de composition d’un riad 142 150 Analyse comparative Typologie de la maison traditionnelle dans la médina de Fès151 Typologie de la maison moderne marocaine 156 Maison traditionnelle et maison moderne 158 Le riad aujourd’hui 160
Conclusion Annexes
Bibliographie Crédits photographique - par ordre d’apparition Glossaire
12
163 169
171 173 177
مقد مة
Introduction
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الكلمات الرئيسية
Mots-clefs المغرب
Maroc
المدينة
Médina
سكن وسط الدار فسحة
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Habitat Cour Promenade
ملخص
Abstract Ce travail de fin d’études porte sur les riads de la médina de Fès et ses habitants. Il a pour objectif d’analyser et comprendre comment ces demeures étaient occupées, et d’avoir une vision de la manière dont l’architecture de la maison traditionnelle marocaine a eu un impact sur la manière d’habiter et inversement. Cette recherche est un recueil de plusieurs témoignages racontant différentes expériences subjectives et une promenade architecturale dans le riad à Fès, dont la multitude offre une compréhension objective de son espace. L’analyse permet donc d’appréhender le lieu dans sa globalité. On se rend compte que la manière d’habiter dans la maison à cour a eu un impact sur la culture de la population marocaine, qui, malgré l’urbanisation du pays et la création d’un nouveau type d’habitat plus moderne, a conservé l’essence du riad traditionnel.
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السؤال حاليا
État de la question Les riads de la médina de Fès font partie des joyaux de l’architecture du Maroc. Et pourtant, il n’existe pas autant de littérature sur le sujet qu’on pourrait le penser. Toutefois, les rares ouvrages qui permettent d’avoir une idée assez claire sur le sujet. Par exemple, Palais et Demeures de Fès1 est l’un des livres qui permet de comprendre la logique architecturale des maisons traditionnelle de Fès dans leurs ensembles. C’est un ouvrage qui se présente sous forme de trois volumes. Chacun de ces trois volumes contient des descriptions et analyses détaillées de plus de cinquante riads de la médina. Ces descriptions reprennent les différents plans, coupes, et informations pour comprendre chaque maison, et ce, de la manière la plus détaillée possible, en fonction des données trouvées. Cet ouvrage est très instructif et primordial pour cette recherche puisqu’il ne subsiste que peu de maisons traditionnelles dans leur état d’origine. La plupart ont été détruites, abandonnées ou restaurées à des fins touristiques. Ce livre apporte les informations nécessaires pour comprendre la logique architecturale des riads. La médina de Fès, en revanche, bénéficie de nombreux ouvrages à son sujet. Comme par exemple Fès, ville essentielle2 qui donne l’histoire de la ville depuis sa création, ou encore 1 REVAULT, Jacques, GOLVIN, Lucien, AMAHAN, Ali, e. a., Palais et demeures de Fès. Volume I, II, III. (XIV-XXème siècles), éditions du Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1985-1992. 2 MÉTALSI Mohamed, RUIZ Jean Michel et TREAL Céline, Fès. La ville essentielle, ACR Edition, Paris, 2003. 20
Conservation et Modernisation de la ville historique de Fès3 qui analyse les aspects urbains de la médina. Durant les recherches effectuées pour trouver des informations sur les habitations traditionnelles, de nombreux romans dont l’intrigue se situe dans la médina de Fès et en particulier dans un riad, ont ouverts un nouveau champ d’interrogations : comprendre l’aspect humain du riad et comment il était vécu. Ces romans ont permis de répondre puisqu’ils donnent le point de vue de différentes personnes et leurs expériences dans une maison traditionnelle. Ce travail s’est donc orienté vers les maisons de Fès et leurs habitants.
3 MATSUBARA, Kôsuke, Conservation et modernisation de la ville historique de Fès, Maroc, éditions ILCAA (Institute for Languages and Cultures of Asia and Africa), Japon, 2008. 21
مادلني بروست
La madeleine de Proust Madeleine de Proust - مادلني بروست- Principe littéraire cité pour la première fois par Marcel Proust dans son livre À la recherche du temps perdu. La madeleine de Proust est un sentiment de nostalgie réveillé par une odeur, un événement ou une couleur qui fait ressurgir dans la mémoire des souvenirs d’enfance oubliés.
Fès, cette médina4 qui m’a toujours fascinée est un lieu, à mon avis, magique. Depuis des siècles, elle continue d’émerveiller ses habitants et ses visiteurs qui ont la chance d’expérimenter ces espaces qui recèlent des trésors. Son histoire est riche de figures qui ont aidé à faire évoluer le monde arabo-islamique et qui ont contribué à l’élever au rang de capitale culturelle et spirituelle qu’elle est encore aujourd’hui. Je pense notamment à Ibn Khaldoun qui y étudia, ou encore Fatema Al Fihriyia5 qui conçut la plus vieille université/ mosquée du monde : Jameaat Al Qaraouiyine6. Chaque visite, aujourd’hui encore, est pour moi une découverte supplémentaire de l’architecture particulière de ses édifices religieux, ses demeures et ses palais. Les rues de la médina renferment des trésors construits avec ingéniosité et un grand soin par des maîtres bâtisseurs qui ont parfait leurs méthodes tout au long des siècles. Sans oublier son artisanat qui, par les maîtres artisans créatifs, a été élevé au rang de patrimoine à part entière. Par où commencer? La réponse était évidente. En faisant mes recherches, mes mémoires d’enfance chez ma grand-mère, qui habitait une maison traditionnelle (penthouse), revenaient sans cesse.
4 Les mots en arabe sont traduits et expliqués dans le glossaire en annexe. 5 Cf. Infra p.38 6 Cf. infra p.38 22
Schéma du penthouse décrit
C’est la première maison traditionnelle qui a bercé mes souvenirs. Je me rends compte aujourd’hui qu’elle a laissé une plus grande trace sur moi que ce que je pensais. Cela a réveillé en moi toute sortes de souvenirs qui m’ont aidée dans le choix de mon sujet : les demeures traditionnelles de la médina de Fès : les riads. Ah la maison de ma grand-mère ! Rien que de repenser à cet endroit, je replonge en enfance… C’était un penthouse au quatrième étage d’un immeuble situé sur l’avenue d’Égypte, aux portes de la médina de Rabat. Il était composé d’une chambre à coucher, deux salons, une cuisine et une salle de bain, ainsi qu’un très grand espace central : woust dar. Je me rappelle encore ces dimanches après-midi où on arrivait chez elle pour passer un moment en famille. L’immeuble se trouvait juste en face de la vieille muraille de la médina de Rabat. L’entrée était sombre, étroite. Il y avait quelques plantes par-ci par-là, puis l’escalier. Il n’y avait pas d’ascenseur, il fallait donc monter les quatre étages à pied pour arriver à la porte d’entrée du penthouse. Elle était protégée par une grille en fer forgé. Je me souviens que j’aimais bien cette porte d’entrée. Elle était très claire puisqu’elle profitait de la lumière provenant de la porte du toit terrasse qui était très souvent ouverte, ainsi que des fenêtres qui se trouvaient dans le couloir de chaque étage. Il y avait des pots de fleurs de part et d’autre des murs qui égayaient un peu plus le couloir créant en moi un sentiment de gaîté. En entrant dans la maison, on se trouvait face à un petit hall (1) sombre qui menait directement au cœur de la maison : woust dar (2). C’est l’endroit central qui dessert toutes les pièces de la maison. La cuisine (3) était grande, avec un espace aménagé comme salle à manger. C’est là que ma grand-mère mangeait lorsqu’elle n’avait pas d’invités. Ce coin était aménagé de sofas marocains 23
posés sur des banquettes en bois. Les murs étaient peints en blanc et il donné sur un petit balcon qui servait aussi de buanderie. À gauche de la cuisine se trouvait la chambre de ma grandmère (4). Elle était pourvue d’une grande fenêtre qui donnait sur la cour arrière de l’immeuble, et la double porte de la chambre était vitrée, ce qui permettait d’apporter de la lumière dans le centre la maison. C’était l’une de nos aires de jeux avec mes cousins, cela bousculait un peu les notions d’intimité auxquelles j’étais habituée. En face de la chambre, de l’autre côté du woust dar, il y avait le séjour (5). Une pièce très lumineuse et paisible, avec un salon marocain fait d’un tissu clair avec des motifs floraux faits de plusieurs nuances de couleurs qui changeaient avec les saisons et les années. Cette pièce faisait office de séjour et salle à manger. Ma mère me racontait que c’est là qu’elle dormait lorsqu’elle rentrait de France quelques jours pour rendre visite à sa mère. Ce salon était, comme la chambre à coucher, muni d’une grande fenêtre qui donnait sur la muraille de la médina. Et la porte était également similaire à celle de la chambre : à double vantail et vitrée permettant d’éclairer le centre de la maison. À côté de cette pièce se trouvait le salon des invités (6). Ce grand salon était, et est toujours dans la maison marocaine d’aujourd’hui, une pièce réservée aux grandes occasions telles que les réunions de familles, fêtes ou autres célébrations. Elle était donc toujours fermée et interdite aux enfants. Mais les rares fois où j’ai pu y aller, je me souviens d’un grand salon marocain fait d’un tissu d’une meilleure qualité que les autres salons de la maison, un tapis en laine recouvrant tout le sol, on ne pouvait d’ailleurs pas entrer avec nos chaussures. Les murs étaient peints en blancs, et on y trouvait au milieu, une table en bois sculptée. La salle de bain (7) était située à gauche de ce salon. Je ne pense pas que ce style de salle de bain soit encore conçu dans 24
les maisons d’aujourd’hui. Cet espace était divisé en deux : les WC d’un côté et la salle d’eau de l’autre. Dans ce deuxième espace, il y avait à gauche un lavabo et à droite une douche avec une évacuation d’eau à même le sol. Il y avait une petite fenêtre qui donnait sur le woust dar. Pour finir, l’espace le plus utilisé dans la maison traditionnelle marocaine : le woust dar (2). Cet endroit est en fait l’équivalent de la cour que l’on trouve dans les riads de la médina. C’est la pièce qui dessert toutes les autres pièces, mais c’est aussi là qu’on se retrouvait à différents moments, que ce soit pour se réunir autour d’un repas, ou pour se reposer. C’était un lieu qui restait frais, même en période de grande chaleur. On y trouvait des poufs et banquettes. C’est également la pièce la plus ornementée de la maison. Avec de la mosaïque au sol, et du zellij sur les murs. C’était une pièce à laquelle on apportait un soin particulier, étant donné que c’est le premier lieu que l’on voit en entrant. Elle était bien éclairée, grâce aux portes tout autour qui apportaient de la lumière naturelle. Cette maison a marqué mon enfance. J’en garde un souvenir clair, même si cela fait plus de quinze ans que je n’y suis pas allée. J’y ai grandi, et j’ai découvert les traditions et la vie marocaine, traduites au travers de l’architecture. J’ai compris l’importance de recevoir des invités, l’importance des réunions de familles. Aujourd’hui, avec le recul, je comprends la hiérarchie de ce lieu bien pensé, et l’utilité de chaque pièce. C’est avec ce souvenir et mon attachement pour la ville de Fès que mon intérêt s’orienta vers ce sujet qui me permettrait d’en apprendre plus sur ma culture et mon pays : le Maroc. Plusieurs questions ont surgi tout d’un coup. Je voulais en savoir davantage. Mes connaissances m’ont paru limitées, et j’ai été assoiffée d’en connaitre plus. Mon travail est d’abord un assemblage de documentations et de récits que je compose pour expliquer et découvrir au mieux l’essence de chaque espace du riad traditionnel à Fès. 25
الطريقة
Méthode
27
Comment habite-t-on le riad de la médina de Fès depuis le début des années vingt? Pour répondre à cette question, j’ai orienté mes recherches sur les vécus de Marocains originaires de Fès ayant habité à un moment donné de leur vie dans la médina. Cela m’a permis de recueillir des témoignages au travers de récits autobiographiques et d’interviews qui m’ont ouvert les yeux sur les différentes manières dont on vivait dans les maisons traditionnelles de Fès et de comprendre comment chacune d’elle a une âme propre. Chaque riad a laissé une trace différente sur les personnes en question. Ils racontent tous leurs histoires avec une touche de nostalgie des temps passés. Mais malgré toutes ces expériences différentes, il en ressort que tous vivaient dans des espaces dont l’organisation architecturale était très similaire. Et c’est donc grâce à ces nombreux récits subjectifs qu’il a été possible de faire ressortir un nouvel aspect qui annule la subjectivité et qui comment étaient habités les riads de manière objective. Plusieurs romans seront cités dans ce travail. C’est le parcours et l’expérience des différents protagonistes dans leurs maisons qui va permettre de comprendre ce que représente l’habitat traditionnel Marocain. Certains permettent de comprendre la vie dans une maison traditionnelle dans son ensemble, tandis que d’autre ne révèlent que peu d’aspects de cette dernière. D’abord il y a le roman de Fatema Mernissi, Rêves de femmes7, qui suit les aventures d’une petite fille qui tente de comprendre le monde qui l’entoure, avec ses lois et ses frontières, mais aussi ses libertés. Ce livre est orienté sur la condition de la femme Marocaine des années soixante et de ses droits. On 7 MERNISSI, Fatéma, Rêves de femmes. Contes d’enfance au harem, éditions Fennec Poche, Casablanca, 1997. 29
y perçoit une soif de liberté même si la narratrice décrit son environnement avec beaucoup de bienveillance. Le deuxième récit choisi est un roman autobiographique de Amina Mtiri Saoudi et s’intitule : Une enfance à Fès8. Ici, l’auteure raconte son enfance dans la maison de Fès où elle a vécu jusqu’à ses dix ans, avant de déménager à Casablanca. Elle parle de cette période de sa vie avec beaucoup de nostalgie et raconte que les souvenirs les plus heureux de son enfance datent de cette époque-là. Pour elle, le peuple Marocain, en essayant de vivre à la manière des occidentaux, a perdu toute son authenticité. Elle tente dans son récit de rappeler à ses lecteurs la beauté et l’importance des traditions. Abdellatif Laabi raconte les débuts de sa vie dans son livre Le fond de la jarre. Avec son roman, on découvre un nouveau point de vue : celui d’un homme. En effet, en lisant ces différents livres, on se rend vite compte que l’homme et la femme n’ont pas la même expérience du lieu. Mais cela n’empêche pas de comprendre l’essence de l’espace. L’auteur raconte les conditions dans lesquelles il vivait avec sa famille, les différentes maisons dans lesquelles il a habité, mais aussi les traditions qui régissaient sa vie de famille. Chroniques de quartier, le quartier de l’Adoua à Fès pendant les années 1950 et 19609, de Mohamed Diouri est un livre qui raconte les expériences de plusieurs protagonistes dans différents lieux de la médina de Fès. Que ce soit dans ses rues, ses marchés ou ses maisons. Diouri montre la simplicité de la vie dans cette médina si particulière, on ressent beaucoup de nostalgie dans son récit. Les autres récits, notamment L’écrivain public10 et Harrouda11, 8 MTIRI SAOUDI, Amina, Une enfance à Fès, éditions Marsam, Rabat, 2018. 9 DIOURI, Mohamed, Chroniques de quartier. Le quartier de l’Adaoua à Fès pendant les années 1950 et 1960, éditions L’Harmattan, Paris, 2011 10 BEN JELLOUN, Tahar, L’écrivain public, éditions Points, 1983. 11 BEN JELLOUN, Tahar, Harrouda, éditions Denoël, Paris, 1973. 30
tous deux de Tahar Ben Jelloun, ne permettent pas d’imaginer les espaces dans leur ensemble, mais aident à compléter les romans précédents. Pendant mes recherches, j’ai eu l’occasion d’interviewer quelques personnes ayant aussi vécu dans la médina de Fès. J’ai retranscrit les témoignages recueillis afin de les rendre plus clairs, mais ce sont leurs souvenirs qui sont rapportés ici. Cette multitude de récits récoltés a permis de comprendre le riad dans son ensemble. Chacun permet de compléter et d’arriver à une image claire de ce que représente l’habitat traditionnel Marocain. Il faut toutefois garder en tête que ces protagonistes racontent une vision idéalisée de leurs souvenirs qui ne prend pas toujours en compte la situation socio-politique de l’époque, notamment le protectorat français12. Ce travail sera divisé en trois grandes parties. La première sera dédiée au contexte historique et urbain de la médina de Fès. Elle permet de mieux comprendre les éléments qui entourent et qui forment le riad de Fès. Une définition rapide de ce dernier sera donnée, puis les méthodes de construction et différents artisanats et décors utilisés dans la maison seront expliqués. La deuxième partie sera consacrée à l’explication des maisons traditionnelles au travers du regard des protagonistes. Cette partie se présentera sous forme d’une promenade de pièce en pièce où chaque aspect sera décrit, de l’architecture aux traditions de chaque foyer. La troisième et dernière partie constituera une analyse plus scientifique qui permet d’aborder les aspects architecturaux fondamentaux pour avoir une vision plus complète du riad et qui viendra compléter les constations faites grâce aux récits lus. Elle présentera également une comparaison entre la typologie de la maison traditionnelle de la médina de Fès et la maison marocaine urbaine. Analyse qui mènera à la conclusion de ce travail. 12 Cf. infra p.37 31
ا لسيا ق
1. Contexte
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Planche I - Carte de la médina de Fès Cette carte représente le plan de la médina de Fès. Les quartiers principaux sont mis en avant tels que : Fès Jdid, le Mellah, et Fès El Bali.
مدينة فاس-
السياق الحرضي والتاريخي
Contexte urbain et historique - la médina de Fès Médina - مدينة- nom donné à la partie historique d’une ville au Maroc. Villes impériales du Maroc - المدن اإلمرباطورية في المغرب- une ville dite impériale au Maroc
signifie que la ville en question a été une capitale à un moment donné de l’histoire du pays. Il en existe quatre : Fès, première ville impériale créée sous Idris Ier lors de la dynastie des Idrissides. Marrakech, deuxième capitale dans l’histoire du Maroc, créée pendant la dynastie des Almoravides. Meknès, troisième ville impériale, devient capitale sous la dynastie des Alaouites. Et Rabat, actuelle capitale du pays, elle devient ville impériale aussi sous le règne des Alaouites.
Idriss Premier – – إدريس بن عبد هللاIl est le petit fils de Ali et Fatima Zahra, fille du prophète Mahomet. Il arriva au Maroc en 786 après s’être enfui de La Mecque où il était en conflit avec les Abbassides. Oued - واد- nom donné aux rivières et cours d’eau dans les régions de l’Afrique du Nord. Quartier du Mellah - – المالحAu Maroc, tout au long des siècles, des quartiers, situés dans les médinas, ont été créé pour la population de confession Juive. Le premier quartier du Mellah est né à Fès au XVIème siècle et avait pour but de séparer les non-musulmans de la cité qui abritait un descendant du prophète. Par la suite de nombreux quartiers similaires sont nés dans plusieurs médinas du Maroc. Notamment Marrakech, Meknès et Essaouira. La plupart de ces quartiers existent encore aujourd’hui.
La ville de Fès a un rôle primordial dans l’histoire du Maroc. Son statut de première ville impériale, lui donne une place fondamentale dans la culture et la religion du pays. Aujourd’hui encore, la médina de Fès représente l’un des joyaux du Maroc. Idriss premier, descendant direct du prophète, fonde la ville en 789, et en 808 son fils, Idriss II, décide d’en faire la capitale de sa dynastie : les Idrissides. Il choisit Fès parce que c’est une ville idéalement située. À mi-chemin entre l’Afrique noire et l’occident, elle est traversée par l’oued Fès qui permet un approvisionnement en eau constant pour la médina. Fès devient rapidement un pôle commercial très important. Fès est aussi un pôle religieux très puissant : c’est là que se trouvent de nombreux lieux religieux très importants, dont le mausolée d’Idriss II, lieu très visité par les pèlerins. Mais aussi la mosquée Al Qaraouiyine1 et le premier quartier juif du Maroc appelé Mellah, créé pour protéger la population juive de la médina.
1 Cf. infra p.38 37
Planche II - Vue aérienne de la médina de Fès Cette photo montre le tissu dense de la médina de Fès. On peut apercevoir l’un des bâtiments phare de ce lieu historique : la mosquée Al Qaraouiyine.
فاس والسالالت المغربية
Fès et les Dynasties du Maroc Mosquée Al Qaraouiyine– – جامعة القروينيCette mosquée a été fondée au cours du IXième siècle par Fatema Al Fihryia. C’est un lieu très important de l’histoire de la médina de Fès. En plus de représenter l’un des lieux saints les plus importants du peuple musulman marocain, c’est aussi la première université du monde. Elle possède une bibliothèque qui cache de nombreux manuscrits vieux de plusieurs siècles. Son architecture est typique de l’architecture musulmane : il y a une grande cour avec une fontaine au centre. Cette mosquée est très raffinée et contient plus beaux ornements. Les tuiles vertes qui recouvrent ses toits sont typiques du lieu et la rendent unique et reconnaissable. Fatema Al Fihryia – فاطمة بنت محمد الفهري – C’est un personnage très important de l’histoire de Fès puisqu’elle est responsable de la construction de la mosquée Al Qaraouiyine. Originaire de Kerouan, elle arrive à Fès avec sa famille vers 825. Youssef Ibn Tachfin – – يوسف بن تاشفنيPremier sultan de la dynastie Almoravide, c’est lui qui fonda la ville de Marrakech au XIème siècle. Ville qu’il éleva au rang de capitale. L’art hispano-mauresque – إسباني-فن إسالمي – C’est l’art et l’architecture qui englobent les réalisations créent pendant la présence musulmane en Espagne pour dans le Maghreb entre le VIIIème et le XVème siècle. C’est durant cette période que L’Alhambra de Grenade vit le jour, entre autres. 2 BENNIS, Ouadia, RUIZ, Jean-Michel et TREAL, Cécile, Fès, Ville millénaire, éditions Librairie Nationale, Mohammedia, 2007, p.3. 3 BENNIS, RUIZ et T, op. cit., idem 40
Au Maroc, de sept dynasties vont se succéder durant l’histoire. Elles vont permettre à Fès de se développer et de rayonner dans tout le pays. La dynastie des Idrissides, VIIIème-XIème siècle, première du Maroc, va se développer grâce à l’immigration de populations d’Andalousie et deTunisie, qui vont apporter leurs connaissances et savoirs à Fès. La ville de Fès, première capitale du royaume, va connaitre un essor culturel et artisanal très importants. C’est notamment à cette période que va être construite la mosquée Al Qaraouiyine, plus ancienne université de l’histoire. Elle a été édifiée par une femme: Fatima Al Fihria, immigrante tunisienne de la cité de Kairouan. La dynastie des Almoravides, XIème-XIIème siècle, guidée par Youssef Ibn Tachfin, apporta l’influence hispano-mauresque de son époque, avec son raffinement, mais surtout son architecture et son ingéniosité : « La civilisation hispano-mauresque a laissé maintes empreintes dans le patrimoine architectural et culturel de Fès, et du Maroc en général. »2 Néanmoins, sa capitale n’était plus Fès, mais Marrakech, au sud du Maroc. La dynastie des Almohades, XIIème-XIIIème siècle, va conserver Marrakech comme capitale du pays, ce qui n’empêchera pas Fès de rester la capitale culturelle du pays et de devenir « un centre universitaire recherché par les intellectuels et les artistes de tout l’occident musulman. »3
Reconquista – – سقوط األندلسTerme espagnol qui signifie reconquête. C’est la période où les chrétiens ont repris les terres Andalouses aux musulmans au XVème siècle. Medersa – – مدرسةÉcole coranique où les étudiants étaient logés pendant la période de leur apprentissage. Ce sont des bâtiments dont l’architecture est très bien pensée. Les plus belles medersas datent de la période des Mérinides. Protectorat français au Maroc – الحماية الفرنسية – عىل المغربPériode (1912-1956), dirigée par le Général Lyautey, où la France prit le pouvoir au Maroc et apporta beaucoup de changements dans le pays.
Général Hubert Lyautey – – هوبري ليوطيpremier résident général du protectorat français au Maroc en 1912. Henri Prost – – هرني بروستArchitecte urbaniste français qui travailla pour le Général Lyautey pendant le protectorat français. A Fès, il sera chargé de concevoir le nouveau plan d’aménagement de la ville nouvelle, entre 1914 et 1922. Planche III - Mosquée Al Qaraouiyine, fondée au IXème siècle lors de la dynastie des Idrissides.
La dynastie des Mérinides, XIIIème-XVème siècle, remis Fès au rang de capitale du Maroc. Les Mérinides réaliseront de beaux prestiges architecturaux du pays, qui existent encore aujourd’hui. La dynastie suivante: les Wattassides, XVème-XVIème siècle, ne resta pas longtemps au pouvoir. Elle va vite être remplacée par la dynastie des Saadiens, XVIème-XVIIème siècle, qui vont faire de Marrakech, une nouvelle fois, la capitale du Maroc. Même si l’autorité au pouvoir ne va pas prendre par ticulièrement soin de la médina de Fès, ce seront « de nombreux réfugiés juifs chassés d’Espagne durant la Reconquista {…} qui se réfugièrent dans le nord du pays dont une grande communauté à Fès ».4 Fès restera, grâce à eux, une ville où l’ar t et la culture se développeront. Ils vont faire d’elle « la grande métropole d’art de l’occident musulman.» 5 La dernière dynastie, les Alaouites, règne depuis le XVIIème siècle et est toujours au pouvoir. C’est pendant cette dernière que le Maroc fut sous l’emprise du protectorat français. Elle prendra soin de la ville « en restaurant les anciens édifices et en construisant de nouveaux tels que la medersa Al Attarine. Le palais royal, avec ses sept portes de bronze, est édifié en 1880 sur des fondations d’époque Mérinide. Forte de ses particularités, affirmant son authenticité, Fès retrouve son rang de capitale du Royaume. »6 Le protectorat français commencera en 1912. Cette date marquera le début d’un déclin de la ville, remplacée en tant que capitale par Rabat, qui est encore la capitale du royaume aujourd’hui. Pendant le protectorat, le général Lyautey ordonnera la construction d’une ville nouvelle près de la médina, dont le plan urbanistique (pl.VI) sera développé par l’architecte urbaniste Henri Prost.
4 BENNIS, RUIZ et T, op. cit., p.4 5 BENNIS, RUIZ et T, op. cit., idem 6 BENNIS, RUIZ et T, op. cit., idem 41
Planche IV - Medersa Al Attarine dans la médina de Fès, fondée au XIVème à la période Mérinide.
Heureusement, aucun changement urbanistique ne sera effectué dans la médina. Celle-ci effrayait les occupants français avec ses ruelles et labyrinthes sans fin, où aucun véhicule ne pouvait circuler. La médina ne souffrira donc d’aucun dégâts matériel majeur lors du protectorat. Ce n’est qu’à la fin de cette période, en 1955, que le gouvernement va commencer petit à petit à reprendre la médina en main. En 1981, elle est la première médina à être inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Planche V - Palais royal de Fès édifié pendant la dynastie des Mérinides au XIVème siècle. Il se démarque des autres palais du pays par ses sept monumentales portes en bronze.
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Planche VI - Plan de réaménagement de la ville de Fès pendant le protectorat, Henri Prost, 1922
الثقافة والدين- مدينة فاس
La médina de Fès, culture et religion Zellij – – زليجPetit morceau en terre cuite travaillé à la main par des artisans spécialisés. Chaque pièce est travaillée une par une et peut prendre plusieurs couleurs différentes. Le mélange ingénieux de ces pièces peut créer des mosaïques aussi différentes que magnifiques. Talib, pl. tolba – – طالبétudiant, dans ce contexte, pensionnaire dans une medersa, école coranique dans la médina de Fès. Planche VII - Fontaine Nejjarine, elle date du XVIIIème siècle à la période des Alaouites.
Fès est la plus grande médina du Maroc. Elle abrite des merveilles d’architecture et de raffinement : ses belles mosquées, ses diverses medersas, ses centaines de fontaines, et ses belles demeures traditionnelles. Les fontaines sont très importantes dans la médina. Elles se comptent par milliers : dans chaque coin de rue, dans les mosquées et les maisons traditionnelles. Ceci vient du fait que l’eau a une place très privilégiée dans la religion musulmane. « Le Coran voit dans le don de l’eau le premier acte de générosité »7 Les lieux de culte ainsi que l’artisanat font aussi, à part entière, partie de l’âme de la médina. Pour rappel, en parlant de lieux de culte dans la médina de Fès, il est impossible de ne pas citer la célèbre mosquée Al Qaraouiyine, qui a connue beaucoup de modifications et d’agrandissements tout au long des siècles. « Elle fut aussi une des premières universités du monde bien avant celle de Bologne (1119) ou d’Oxford (1229). »8 C’est un bâtiment fait des plus fins et plus précieux ornements, où un soin évident apparait par la beauté des éléments sculptés, le zellij utilisé, les tuiles vertes typiques de ce lieu.
7 BENNIS, RUIZ et T, op. cit., p.5. 8 BENNIS, RUIZ et T, op. cit., p.6. 44
Il est aussi important de parler des medersas, cités universitaires où les tolba , en plus de recevoir un enseignement en rapport avec la religion, étaient logés et nourris au sein de ces bâtisses. Ce sont des lieux qui existent encore aujourd’hui
Planche VIII - Mosquée Al Qaraouiyine, fondée au IXème siècle lors de la dynastie des Idrissides. On voit bien ici les tuiles vertes, typiques de ce bâtiment.
et qui surprennent par leur beauté spatiale et esthétique (pl.IX). La médina a donc été, pendant longtemps, un lieu d’apprentissage et d’enseignement où de nombreux savants ont bénéficié de tout ce que Fès pouvait leur apporter.
Planche IX - Medersa Es Sahrij dans la médina de Fès
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الصنعة
L’artisanat Maalem – – معلمLittéralement «celui qui sait». Au Maroc, le maalem est un artisan qui est maître dans son domaine, qui est capable de transmettre son savoir. Souk – – سوقUn souk est un marché. Il peut être éphémère, mais la plupart du temps, c’est un marché qui se trouve dans la médina. Certains marchés se spécialisent dans un domaine. Par exemple le marché des épices ou le marché des joailliers. Al Attarine – – العطارينSignifie littéralement « parfuemeurs » . À Fès, le souk Al Attarine se spécialisait dans les épices et parfums. Aujourd’hui on y trouve des papeteries. Nejjarine – – النجارينSignifie menuisiers Seffarine – – صفارينfait référence aux artisans du cuivre et du bronze El Henna – – الحنةSignifie henné Debbaghine – – دباغنيSignifie « tanneurs » Calendrier de l’Hégire – – التقويم الهجريHégire vient du mot arabe hijra – – هجرةqui signifie migration. Cette migration fait référence à l’émigration du prophète Mahomet et ses disciples vers Médine en 622 du calendrier Grégorien. Le moment de cette migration marque le début du calendrier musulman qui compte 354 ou 355 jours. L’année 2019 correspond aux années 1440-1441 du calendrier musulman.
9 BENNIS, RUIZ et T, op. cit., p.12. 10 BENNIS, RUIZ et T, op. cit., idem 46
La médina de Fès, haut lieu de création artisanale, gérée par les mains d’artisans passionnés : maalem. Ces artisans ont transmis leurs savoirs faire de générations en générations depuis des siècles, et l’ont transformé en art connu et reconnu dans tout le Maroc. Toutes sortes d’éléments sont créés et travaillés au cœur de la médina. « Tous ces métiers ancestraux sont encore de nos jours exercés dans les souks, en pleine médina, autour de la mosquée Al Qaraouiyine. »9 Chaque corps de métier s’est attribué une rue, un souk. Il existe donc un souk pour chaque catégorie d’artisans. Par exemple : « Le souk al Attarine est celui des épices. Le souk Nejjarine est occupé par les ébénistes qui façonnent le bois de cèdre comme le faisaient jadis leurs ancêtres. {…} Le souk Seffarine possède une jolie place ombragée où les dinandiers font résonner le bruit du métal façonné. Les bijoux en argent travaillés à Fès portaient un poinçon de forme carrée, caractéristique de leur provenance avec indication de l’année du calendrier de l’Hégire. Le souk el Henna est une place où l’on trouve toutes sortes de produits de beauté naturels, dont le henné d’où son nom est tiré. Le souk Debbaghine est celui des tanneurs qui travaillent toujours dans le même cadre depuis des siècles. Ce souk fort coloré et fort odorant est un peu à l’écart de la ville. »10 Cet artisanat existe depuis très longtemps et s’est développé au cours des siècles avec les différentes dynasties et leurs
Planche X - Vue sur les tanneries de la médina dans le quartier du souk Debbaghine
influences. Il existe encore aujourd’hui et les techniques traditionnelles sont conservées au maximum, ce qui confère à l’art de Fès une authenticité unique devenue un patrimoine rare dans le pays. Les matériaux les plus travaillés dans la médina sont le cuir, le gebs, le bois de cèdre, l’argent et l’or, le zellij, mais aussi la soie. Dans les maisons, le bois, le fer forgé, le plâtre ainsi que le zellij sont les matériaux que l’on retrouvera principalement.
Gebs – – الجبسplâtre Marocain dont la particularité est qu’il sèche plus lentement que le plâtre normal. Cet avantage qu’il présente fait que les artisans décorateurs ont plus de temps pour le travailler. Planche XI - Vue sur le musée Nejjarine dans le souk portant le même nom.
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الديكور في مزنل فاس التقليدي
Le décor dans la maison traditionnelle de Fès Fassi – – فايسPersonne originaire de Fès Planche XII - Les exemples qui suivent montrent des détails. La première image montre des détails de bois et de plâtre sculptés. La deuxième image montre une fenêtre intérieure située dans un salon au rez-de chaussée. On y voit le fer forgé travaillé, le zellij des murs ainsi que le bois sculpté.
L’art décoratif naît au Maroc à la période des Almoravides, au XIème siècle, avec leur influence andalouse. Il évoluera avec les Mérinides à partir du XIIIème siècle. Il est abondamment présent dans toute la médina de Fès. Que ce soit sur les fontaines publiques, dans les mosquées, medersas ou sur les minarets, c’est un art qui s’est développé d’une manière très significative au cours des siècles. La maison traditionnelle bénéficiera, elle aussi, de cette évolution. Il y aura une profusion de décors : sur les murs, les piliers, les colonnes et plafonds, sur les portes, les fenêtres, dans la cour, les chambres et salons, sur les terrasses, et même dans les pièces d’eau. Cet art décoratif est arrivé à Fès par le biais de l’immigration de la population Andalouse au Maroc. C’est donc les artisans Andalous qui auraient transmis leurs savoirs aux artisans Fassis, qui auraient fait évoluer leurs connaissances et apprentissages pour devenir maîtres dans ce domaine. Quatre matériaux qui vont principalement constituer cet art décoratif dans la maison traditionnelle Fassi: le bois de cèdre, la céramique, ou zellij, le plâtre, ou gebs et les fer forgé (pl.XII).
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خشب األرز في مزنل فاس التقليدي
Le bois de cèdre dans la maison traditionnelle de Fès Derbouz – – دربوزbalustrade en bois tourné Mosquée Al Andalous – – مسجد األندلسيني Mosquée historique de la médina de Fès, elle fut fondée à la période des Idrissides par Mariyam El Fihriyia, sœur de Fatema El Fihriyia qui a elle-même fondé la mosquée Al Qaraouiyine. Planche XIII - Porte de salon au rez-de-chaussée
Les plus anciennes demeures de Fès datent de l’époque Mérinides. Dans ces dernières, le bois de cèdre était utilisé, et l’est encore aujourd’hui, pour décorer différents éléments : - Revêtements sculptés lambrissé, - Frises sous auvents, - Corbelets, - Parties supérieures des façades de la cour, - Fenêtres géminées sur balcon d’appui, - Balustrade, derbouz, aux étages, - Espace découpé par les linteaux qui relient les piliers et soutiennent le plafond des galeries11, - Vantaux à portillons des chambres et salons (pl.XIII). Les corbeaux des encorbellements sont des éléments décoratifs fréquemment sculptés dans le bois de cèdre. Les premiers encorbellements ont été trouvés dans la mosquée Al Andalous qui date du Xème siècle. Ce n’est qu’un siècle plus tard que ce type d’ornement sera découvert dans les maisons.
11 REVAULT, Jacques, GOLVIN, Lucien, AMAHAN, Ali, e. a., Palais et demeures de Fès. Volume III. Époque Alawite (XIX-XXème siècles). Bilan des recherches sur l’architecture domestique à Fès, éditions du Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1992, p.275.
Le bois est souvent sculpté dans des motifs végétaux sur ces objets : « La palme sous divers types : les cinq feuilles découpées en petits lobes, la palme lisse à deux lobes inégaux dont le plus grand est enroulé, et, enfin, la palme rigide participant des deux plans du décors. {...} Le répertoire végétal s’enrichit de nouveaux thèmes :
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Planche XIV - Cette porte est un exemple d’une porte en bois de cèdre surmontée d’un linteau
la palme nervée à digitation d’acanthe, asymétrique et enroulée, la palme simple, symétrique, déprimée ou non dans l’axe, et aux digitations empilées émanant d’un calice nervé, ou fait de deux feuilles (en amande) évidées, la palmette arrondie. »12 Il faut savoir qu’il était peu commun de trouver des éléments en bois sculpté à l’extérieur des maisons. Cependant, certaines demeures possédaient un linteau au-dessus de leurs portes d’entrée ce qui représentait une sorte de signe de l’ornementation dont été dotée la maison. (pl. XIV)
Planche XV - Exemple d’un motif de derbouz.
« Mais c’est surtout dans la cour centrale et ses quatre hautes façades que se développe, dans toute son ampleur, une ornementation de bois sculpté. »13 Dans les cours, de nombreuses frises sculptées sont soutenues par des corbeaux. Il existe une technique de construction particulière pour les linteaux de la cour : « linteau sur un corbeau se présentant sous forme de deux poutres en encorbellement l’une sur l’autre. »14 Dans les demeures de la période Alaouite, l’entablement à double linteaux sur console était fréquemment repris. Les linteaux existeront sous différentes formes structurelles ou ornementales au fil des siècles, ce qui confirme leur importance dans les décors des maisons traditionnelles. « Éléments de consolidation du portique et riches compléments de celui-ci, ces ouvrages attestent l’habileté des sculpteurs, tourneurs et peintres sur bois. »15 Les grilles de moucharabieh en bois tourné, derbouz, servent à différents endroits de la maison: ce sont les balustrades
12 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.276. 13 REVAULT, Jacques, GOLVIN, Lucien, AMAHAN, Ali, e. a., Palais et demeures de Fès.Volume I. Époques Mérinide et Saadienne (XIV-XVIIème siècles), éditions du Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1985, p.34. 14 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.280. 15 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.290.
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Tarma - طارمة- élément de mobilier dans les chambres. Deffa - دفة- vantail ornementé. Bad dar - باب دار- porte d’entrée principale. Planche XVI - Plafond en bois de cédre peint dans le salon du rez-de-chaussée d’un riad de la médina
placées aux étages pour sécuriser les galeries, et aux appuis de fenêtres de l’entresol. Ils servent également de cloisons pour le mobilier comme les tarma. Il existe différents types de décors: du plus simple avec des formes carrées qui se superposent à des formes plus compliquées avec plusieurs motifs qui s’entremêlent dans des compositions symétriques. Ces éléments décoratifs, très appréciés des fassis, étaient encore très courants au début du XXème siècle, mais se font de plus en plus rare et sont remplacés par des grilles en fer forgés, qui deviennent de plus en plus tendance. Les portes intérieures, deffa, étaient très soignées, celles du rez-de-chaussée en particulier. Elles permettaient de montrer le niveau social du propriétaire de la maison. Elles étaient souvent monumentales et savamment décorées de motifs géométriques. Portes à double battant, elles avaient aussi une porte plus petite, plus simple pour accéder à la pièce lorsque les grandes étaient fermées. Il y avait deux panneaux verticaux dans la partie supérieure et deux panneaux dans la partie inférieure, tous sculptés. Les plafonds (pl.XVI), quant à eux, sont aussi importants dans l’art marocain : ils sont souvent en bois peint. Travaillés avec soin, ils reprennent le même principe ornemental que les portes.
Planche XVII - Exemple de porte intérieure au rez-de-chaussée
Les portes d’entrées, bab dar, étaient également faites en bois de cèdre et ornées d’éléments en fer forgé. Elles étaient souvent composée dans la même logique que les portes intérieures, mais avec un unique battant : la grande porte massive qui était ouverte pour les occasions spéciales, et une porte plus petite qui était utilisée tous les jours. Ces portes pouvaient être surmontées d’un linteau en bois sculpté et d’une petite ouverture qui permettait d’aérer la chicane de la porte d’entrée. Mais elles n’étaient pas excessivement ornementées : « Ainsi, la porte de la maison dont la simplicité s’accorde avec celle des éléments du décor extérieur, contraste avec la riche ornementation sculptée, peinte et tournée, de l’intérieur. »16
16 REVAULT, J. , GOLVIN, L. , AMAHAN, A. , e. a., Volume111, op. cit., p.301. 51
Fenêtre extérieure avec linteau
Fenêtre intérieure dans l’entresol avec derbouz
Planche XVIII - Fenêtres intérieure et extérieure dans la médina de Fès. À gauche se trouve une fenêtre extérieure en bois avec des ornements en fer forgé. Cette fenêtre est assez peu ornementée, et contient des volets qui permettent de protéger l’intimité des habitants, mais aussi un linteau en bois qui protège l’intérieur du soleil. À droite se trouve une fenêtre intérieure en bois. Elle est composée d’une ouverture sans volets et d’une balustrade, derbouz, très décorées. On voit ici le contraste entre une fenêtre extérieure, qui reste assez sobre, et une fenêtre intérieure qui est plus chargée. 52
Porte intérieure à double vantaux au rez-de-chaussée
Détail d’un élément sculpté
Planche XIX - Porte à double vantaux intérieure d’un riad et le détail du motif sculpté. À gauche se trouve la porte intérieure. On peut voir que la taille de la porte principale par rapport à la petite porte est monumentale, presque deux fois sa taille. Ceci montre l’importance que donnaient les fassis aux salons qui se trouvaient au rez-de-chaussée de leurs demeures. À droite se trouve le motif de bois sculpté sur les vantaux de la porte. On peut y voir la finesse qui était apporté aux éléments de la maison tradtionnelle.
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الزليج في مزنل فاس التقليدي
Le zellij dans la maison traditionnelle de Fès Planche XX - Exemple mosaïque de zellij au sol
Le zellij a une place très importante dans l’art marocain. «L’apport de ce matériau dans l’ornementation est essentiel. {...} Bien plus que le plâtre et que le bois, ce matériau souligne les pièces nobles. »17 Il est repris un peu partout dans toutes les pièces de la maison, notamment : - Pour le pavage des cours, des galeries et des allées des jardins, - Sur les façades intérieures, associé au bois et au plâtre, il est sur les colonnes, murs, plinthes et fontaines murales.
Planche XXI - Exemple mosaïque de zellij sur les murs
17 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.306. 54
Ces pièces de céramique permettent de magnifier l’espace et leur polychromie travaillée permet une infinité de combinaisons différentes toutes aussi soignées les unes que les autres. Le travail d’ornementation du zellij de Fès est connu dans tout le Maroc pour sa finesse, et l’ingéniosité des combinaisons en font le type le plus beau du pays. Il se présente sous forme de mosaïque au sol autour des fontaines, de frises sur les murs et colonnes (pl.XXIII). Il peut être combiné au bois ou au plâtre. Le zellij suit des règles décoratives qui dictent le registre de couleurs à utiliser en fonction de l’endroit à orner. « Celles-ci ont, de même, présidé à la répartition des matières de l’ornement sur la façade de la cour, selon les qualités inhérentes et la technique qui leur est adaptée : au registre à chaude polychromie et au riche modelé des bois à la partie supérieure des murs,
Planche XXII - Une colonne ornée de zellij et de plâtre.
succède une zone claire, à peine rehaussée de teintes pastels, de facture moins large et de modelé moins accentué, celle des stucs. Ceux-ci formant transition entre les boiseries supérieures et la céramique architecturale, à la partie inférieure des murs, offrent une surface lisse à tonalité plus froide. »18 Le pavage des cours se faisait avec du zellij dont la composition géométrique est moins recherchée que dans les salons. (pl.XX) Il faut toutefois souligner qu’il existe une exception à cette constatation. En effet, lorsque la cour est dotée d’une fontaine centrale, ce qui était le cas pour la plupart des maisons, on remarquera que son encadrement est particulièrement soigné avec des compositions géométriques très raffinées. (pl.XXV) Ceci est justifié par l’importance de l’eau dans la religion Musulmane.19 Plus on s’éloigne du centre, et donc de la fontaine, plus les motifs sont simplifiés : damiers régulier ou semi-régulier. Dans certaines maisons, il est possible de trouver dans le revêtement de la cour une alternance entre céramique et marbre blanc ou noir. (pl.XXVI) Les fontaines murales sont une alternative aux fontaines centrales, et sont aussi très décorées de zellij et de bois.
Planche XXIII - Parement de zellij sur une colonne
Contrairement aux motifs simples de la cour, dans les salons des invités qui est la première pièce qui est aperçue depuis la cour, se trouvent des compositions géométriques plus complexes qui montrent la richesse de la maison. À l’entrée de la pièce, le seuil et le piédroit sont dotés d’ornements de zellij dont l’assemblage et la polychromie sont très harmonieuses et exposent toute la beauté de cet art. Tous les murs (pl.XXI et XXIV) sont aussi ornés de zellij jusqu’à une certaine hauteur, en général jusqu’à un mètre quatre-vingts et
18 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.303. 19 Cf. supra p.42 55
Planche XXIV - Parement de mur avec mosaïque de zellij
sont bordés de frises. Les murs sont ensuite ornés de décors en plâtre sculpté. Les pavages et revêtements sont souvent clôturés par des bordures aux motifs différents. Par exemple les encadrements des fontaines centrales ont des bordures qui peuvent afficher différents motifs: tresses à plusieurs brins, étoiles à huit branches ou encore en forme de toile d’araignée. Ces pourtours, quoique secondaires, contribuent à magnifier l’ensemble du lieu.
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Marbre noir Mosaïque de zellij
Frise d’encadrement de la fontaine
Fontaine
Planche XXV - Encadrement de la fontaine centrale d’une cour Ce dessin met en évidence l’encadrement d’une fontaine avec du zellij et du marbre noir. On remarquera la polychromie de cette composition, ainsi que les formes géométriques créées.
Mosaïque de zellij Marbre blanc
Planche XXVI - Exemple de pavement du sol de la cour avec mosaïque de zellij et marbre blanc Ce dessin met en évidence le pavement de la cour d’un riad sans fontaine centrale. Encore une fois, on remarquera les deux matériaux utilisé: le marbre, blanc cette fois-ci, et le zellij polychrome.
الحديد المطاوع في مزنل فاس التقليدي
Le fer forgé dans la maison traditionnelle de Fès Planche XXVII - Exemple de extérieuresavec décors en fer forgé
porte
Le métal, principalement le fer forgé, est utilisé à diverses occasions dans le cadre de l’artisanat de Fès, mais principalement sur les portes d’entrée, bab dar20 : - Décorations sous forme de clous - Heurtoirs - Pentures - Fermetures Il se trouve aussi à l’intérieur des maisons : - Sur les fenêtres et portes secondaires - Pour les balustrades de galeries aux étages, derbouz Dans la médina de Fès, les façades des maisons traditionnelles sont souvent nues, dénuées de tout ornement. Toutefois, les portes de ces demeures ornent ces murs austères (pl.VII). Il est donc apporté un soin particulier à ces portes. Elles sont massives, en bois de cèdre, et décorées d’éléments en fer forgé. L’aspect de la porte d’entrée d’une maison est l’unique indice extérieur qui permet de deviner le niveau social des personnes qui y habitent. Certaines de ces portes sont surmontée d’un linteau en bois sculpté, et permettent aussi de révéler les différences entre les différentes maisons.
20 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.321. 60
Le nombre de rangées de clous, leurs ordonnances, décors, mais aussi le style des heurtoirs et pentures permettent de les distinguer les unes des autres (pl.XIII et XXIX).
Halqa – – حلقةOuverture sur le ciel Planche XXVIII - Détails de penture et heurtoir.
Il est également possible de le trouver à l’intérieur des demeures, sur les portes de chambres secondaires, sous forme de rangées de clous, mais c’est une disposition beaucoup plus rare. L’utilisation du fer forgé pour les grilles des fenêtres et balustrades, pour les ouvertures de la cour sur la terrasse, halqa, est très récente. En effet, c’est une tendance qui est née au XXème siècle et qui a remplacé certains éléments en bois correspondants. Le décor en fer forgé à l’intérieur des maisons (grilles de fenêtres et balustrades) est très floral, avec beaucoup de boucles, cercles et formes en S. C’est un ornement qui diffère des autres puisqu’il ne suit pas une logique aussi droite et rectiligne que les motifs des premiers types de garde-corps en bois, les derbouz.
Planche XXIX - Heurtoir sur la porte d’un riad
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الجص في مزنل فاس التقليدي
Le gebs dans la maison traditionnelle de Fès Chamasiyiat – – شمياتclaustras Planche XXX - Exemple de décor en gebs dans le mausolée de Moulay Idriss dans la médina de Fès
Planche XXXI - Motif de plâtre sculpté
21 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.331. 62
Le plâtre est un type d’ornement qui est absent des demeures avant la dynastie des Almoravides, c’est-à-dire au XIème siècle. C’est un matériau qui permet la réalisation de décor très floral avec des feuilles d’acanthe en élément de bordure et de remplissage, des palmes très diversifiées. Les pommes de pins et palmette creusées sont aussi très présentent, elles aident à creuser les ombres. Le plâtre est sculpté avec des motifs floraux très foisonnant mais toutefois hiérarchisé. 21 Il se retrouve dans plusieurs lieux publics tels que les mosquées (pl. XXX), fontaines ou portails de medersa, mais surtout à l’intérieur, dans les medersas et dans la maison traditionnelle de Fès. Dans les demeures, il est : - Dans les vestibules, - Sur les façades de la cour, - À l’entrée des chambres et salons, - À l’intérieur des chambres et salons, Il se mêle aux autres ornements avec harmonies, il se trouve: - Sur les piliers et colonnes, - Sur les consoles et chapiteaux, - Dans les angles de la cour sous forme de panneaux en résille. Le plâtre permet de magnifier l’entrée des pièces avec des encadrements de portes en arcs outrepassés ou surhaussés Les plaques de claustra, chamasiyiat, permettent d’aérer et d’éclairer les chambres.
Planche XXXII - Porte encadrée de décors en gebs sculpté
Il se trouve aussi sous forme de frises et bandeaux de stuc dans les pièces et chambres. « Sur les façades sur cour, le plâtre s’étend en panneaux horizontaux et verticaux encadrant les fenêtres, reliant les piliers, en bandeaux courant sous plafond. »22 Ce matériau se trouve partout dans la cour : avec le zellij des fontaines murales, sous forme de stalactites créant un panneau en saillie au-dessus de la porte, en bordure supérieure des murs, au-dessus du zellij, des portes et fenêtres de la cour, sur les colonnes et piliers. Les piliers sont souvent décorés de plaques de plâtre sculpté uniquement au niveau de la console ou, plus rarement, sur toute sa hauteur. La console, toujours décorée, se trouve audessus des piliers et sert à soutenir les éléments en bois audessus.
Planche XXXIII - Mur de salon orné de zellij et de gebs sculpté sur sa partie supérieure
Les claustras en plâtre, chamasiyiat (pl.XXXII), sont aussi intéressants. Par leur composition, proche des panneaux en résille, ils permettaient la ventilation et l’entrée de lumière dans les chambres fermées en hiver. Ce sont des plaques évidées de manière décorative et traversant les murs. Le plâtre se trouvait aussi dans les chambres et salons, en dessous du plafond sous forme de frises (pl.XXXI). Les ornements en plâtre avaient, en plus d’être des éléments de décoration, une deuxième fonction qui pouvait être structurelle ou architecturale: ils permettaient la liaison entre les piliers et les étages supérieurs, rôle attribué aux consoles. Ils permettaient aussi l’aération et l’apport de lumière dans les pièces. En revanche, le plâtre présente un désavantage de taille, il est fragile, ce qui, dans le cas où il joue un rôle structurel, peut s’avérer dangereux avec le temps.
22 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.333. 63
التعريف العام- ما هو الرياض؟
Qu’est-ce qu’un riad? - définition générale Rawda, pl. riad – – رياضjardin Planche XXXIV - Vue sur l’intérieur d’un riad
À l’origine, le riad faisait référence au jardin d’une maison. L’étymologie de ce mot vient de la langue arabe et signifie jardin au pluriel, dont le singulier est rawda. Petit à petit, la maison traditionnelle va commencer à prendre le nom de riad, en référence au patio intérieur qui avait la forme d’une cour avec, parfois, des arbustes et des plantes, mais aussi une fontaine, élément fondamental dans un riad. Comme expliqué précédemment, la fontaine, et plus précisément, l’eau qui en jailli, synonyme de générosité, ferait écho au fleuve qui cours dans les jardins de l’Éden : « Voici la description du Paradis qui a été promis aux pieux: il y aura là des ruisseaux d’une eau jamais malodorante, et des ruisseaux d’un lait au goût inaltérable, et des ruisseaux d’un vin délicieux à boire, ainsi que des ruisseaux d’un miel purifié. Et il y a là, pour eux, des fruits de toutes sortes, ainsi qu’un pardon de la part de leur Seigneur. »23
23 Le Coran, éditions Classiques Garnier, Paris, 2014, p.525,Sourate 47, verset 15 64
المنطق المعماري- ما هو الرياض؟
Qu’est-ce qu’un riad? - logique architecturale Setwan – – سطوانvestibule d’entrée, chicane Woust dar – – وسط الدارcour, patio, littéralement centre de la maison Seqqaiyia – – سقايةfontaine Chklabia, bnika, bit el aoula – بيت العوة، بنقة،شقلبية – réserve dans l’entresol Stah – – سطحterrasse Planche XXXV - Vue sur les façades à rue de la médina
Les demeures typiques de la médina de Fès ont une même logique architecturale. Elles ont toutes des façades à rue complètement dénuées de tout ornements (pl.XXXV). À l’intérieur, il y a généralement un couloir sombre en chicane, setwan, long et oppressant qui permet de protéger les habitants des regards des étrangers. Ce couloir mène à une cour centrale, woust dar, où se trouve une fontaine, seqaiyia. Cette cour est entourée de salons et chambres aménagés avec des sofas en brocart, des miroirs, rideaux, tables en bois sculptées. Les riads comportent en général deux ou trois niveaux, un entresol avec une réserve, chklabia, ainsi qu’une terrasse, stah, accessible, dont l’importance est fondamentale dans la maison: c’est là que, à l’époque, les femmes pouvaient sortir prendre l’air, accomplir les tâches qui nécessitaient le soleil de Fès, ou simplement retrouver leurs voisines pour raconter les derniers ragots du voisinage. C’est le seul lieu extérieur où elles étaient libres d’aller et venir à leur guise. Cette logique a essentiellement pour but de protéger les habitants, et plus particulièrement les femmes musulmanes, du regard extérieur. La cour a comme avantage essentiel d’apporter l’air et la lumière dans toutes les pièces de la maison qui en ont besoin.
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Planche XXXVI - Vue sur l’intérieur d’un riad : on peut voir le détail de bois et plâtre sculpté, ainsi que le fer forgé sur les fenêtres.
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Comme les façades extérieures ne sont généralement pas soignées, c’est donc celles qui entourent la cour à l’intérieur de la maison qui constituent les façades principales (pl.XXXVI). Elles sont très soignées, ornées de bois ou de gebs sculpté, de zellij ou de marbre. Les fenêtres aux étages possèdent des grilles, typiques de Fès, en fer forgé décoré de motifs floraux, mais aussi des vitraux colorés.
التصنيف األسايس
- ما هو الرياض؟
Qu’est-ce qu’un riad? - typologie de base Une analyse réalisée pour le cas des maisons traditionnelles de Tunis a permis de mettre en évidence plusieurs éléments. Il est possible de distinguer quatre types de maisons dans la médina : la demeure ordinaire, la demeure bourgeoise, la grande demeure et le palais. Tous ces modèles ont une disposition générale similaire faite des éléments fondamentaux: - Une entrée en chicane, - Une façade à rue aveugle, - Une cour centrale, - Plusieurs chambres et salons, - Des communs placés dans les coins de la cour. Les différences apparaissent dans les proportions , le choix des matériaux de construction et la décoration architecturale. 24 Cette analyse peut également s’appliquer au cas de la maison traditionnelle de Fès à partir du XIVème siècle. Il y a donc une disposition générale similaire faite des éléments fondamentaux (pl.XXXVII) malgré les différentes tailles de maisons. En plus des éléments cités pour le cas de Tunis, le riad de Fès possède dans son organisation générale : - Un plan centré autour de la cour, - Un développement des étages par translation, « Pour cette période {du XIVème siècle au milieu du XIXème} les similarités de configurations l’emportent sur les différences. »25 24 REVAULT, Jacques, Palais et demeures de Tunis, (XVIème-XVIIème siècles), éditions du Centre national de la recherche scientifique, Paris,1971. 25 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p.351. 67
Planche XXXVII - Exemples de deux riads qui montrent la disposition similaire intérieure Pièces autour de la cour Cour centrale Communs dans les coins Entrée en chicane On voit bien dans ces exemples que chacune des deux maison, malgré leurs tailles différentes a une organisation intérieure semblable avec une cour centrale autour de laquelle se trouvent des chambres et avec, dans les coins, les communs: entrée en chicane, escaliers, cuisine, entres autres. Exemple n°1 : Dar Bennis, Rez-de-chaussée
Exemple n°2 : Dar Seqqat, Rez-de-chaussée
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À partir du XIXème siècle, de nouveaux quartiers aristocratiques naissent. Avant, les habitants choisissaient leurs lieux d’habitation en fonction de la proximité à la mosquée Al Qaraouiyine, mais la disponibilité de terrains se réduisant de plus en plus, au fur et à mesure que la population augmentait, de nouveaux quartiers naissent plus loin, ce qui permettra aux plus aisés d’acquérir des lots plus vastes et d’y implanter des demeures proches de la taille de palais, favorisant d’avantage l’horizontalité. Ces palais ne feront pas partie des préoccupations de ce travail qui se concentre sur les maisons typiques au cœur de la médina.
Les
طرق بناء المنازل التقليدية لمدينة فاس
méthodes
de
constructions des maisons
traditionnelles de la médina de Fès
Dans la médina, lorsqu’un fassi décidait de construire une maison, il n’avait pas recourt à un architecte ou un entrepreneur, pour la simple raison que ce n’est pas de cette manière que les gens procédaient à cette époque-là. C’est une méthode séculaire qui est toujours utilisée aujourd’hui, notamment pour la restauration de bâtiments existants. Pour construire, les propriétaires de terrains faisaient appel directement aux corps de métier concernés. Il existait toutefois des conseillers techniques, qui, forts de leurs expériences, pouvaient guider les travaux. Ces personnes étaient souvent des maitre-maçons et maitre-menuisiers qui étaient donc responsable de l’essentiel du travail. Deux types de métiers différents se distinguaient dans le bâtiment: - Les fournisseurs de matériaux : briquetier, potiers, fabricants de chaux, menuisiers, forgerons, entre autres, - Les corps de métier qui mettaient en œuvre les matériaux des fournisseurs : maçons, mosaïstes, plâtriers, dameurs de terrasses, par exemple. Ces deux corporations procédaient de manières différentes : les fournisseurs ne travaillaient pas sur le chantier. Ils préparaient les pièces dans leurs ateliers, qui seraient montées par les corps de métier qui les mettaient en œuvre sur place, sur le chantier.
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Bannaï – – بنايmaçon Sass – – ساسfondations Jir Skhun – – جري سخونchaux vive Dâma – – دامةdamage
Comme expliqué précédemment, les artisans fournisseurs travaillaient dans leurs ateliers. Par exemple, les portes en bois de cèdre étaient créées dans l’atelier du menuisier dans le quartier Nejjarine26 pour être transporté sur le lieu du chantier. Mise en œuvre d’un chantier : Avant d’évaluer les coûts de construction, le propriétaire faisait appel à un maitre-menuisier ou maitre-maçon, qui étaient souvent ceux qui « savent compter »27 , pour planifier l’organisation de la future maison. La position de l’entrée, la taille de la cour, des salons et chambres, mais aussi la composition intérieure était décidée à ce moment-là. Puis les travaux pouvaient commencer. À l’époque, les maçons, bannaï, avaient une méthode particulière de construire. Les fondations, sass, plus ou moins profondes, s’appuyaient sur des sous-sols rocheux. « Après avoir creusé leurs tranchées jusqu’au rocher, ils y jetaient de la chaux vive, jir shun, sur une épaisseur de 20 cm environ, en l’arrosant d’eau, puis alternaient couches de pierre et de chaux, tassées par damage, dâma, jusqu’à l’affleurement du sol extérieur. »28 Les murs, également construits par les maçons, avaient généralement une épaisseur de quarante centimètres sinon plus, notamment pour les maisons en périphérie dont l’épaisseur des murs pouvait atteindre un mètre. Ils étaient constitués de briques, de sable et de chaux. Il était très rare de les faire en pierre. Le mortier de l’époque avait la réputation d’être très solide, constitué de deux tiers de sable et un tiers de chaux. Ce mortier était utilisé comme enduit sur les façades extérieures, mais également et plus occasionnellement dans les pièces
26 Cf supra p.44 27 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume1, op. cit., p.21. 28 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume1, op. cit., idem. 70
Qebtan – – قبطانrègle en bois ( un à un mètre cinquante) Qarmud – – قرمودtuile ronde vernissée
Planche XXXVIII - Exemples jambes de forces pour soutenir l’étage supérieur.
secondaires de la maison, celles qui n’étaient pas ornementées. Les maçons n’avaient recours qu’à une simple latte en bois, qebtan, mesurant de un mètre à un mètre cinquante de long, pour vérifier l’alignement des murs. Sinon, ils utilisaient une méthode très peu précise qui consistait à vérifier à l’œil si tout était aligné. Lorsqu’il était prévu de construire plus d’un niveau, ils mettaient en place un échafaudage en bois. Aux étages, les murs étaient moins épais, et, le plus souvent, les pièces étaient plus larges qu’au rez-de-chaussée et débordaient en encorbellement à l’extérieur, au-dessus des ruelles. Pour soutenir structurellement ces paliers, étaient mis en place des jambes de forces inclinées en bois (pl.XXXVIII). Les planchers, constitués de mortier, sable, chaux et recouverts de terre, avaient une épaisseur d’une quarantaine de centimètres, sans compter la partie inférieure, le plafond du niveau en dessous, fait en bois de cèdre. Les terrasses avaient un plancher plus épais, constitué des mêmes éléments que les autres planchers mais avec une couche de terre plus épaisse. Ils pouvaient atteindre une épaisseur de cinquante centimètres, et ce pour permettre le damage du sol. Ce damage se devait d’être parfaitement lisse, et « tenait compte des inclinaisons à ménager pour l’écoulement des eaux de pluie, celles-ci aboutissant, non pas à des citernes disposées sous la cour, mais par des canalisations inférieures, soit aux ruelles en pente, soit aux cours d’eau sillonnant le sous-sol de la ville. »29 Les terrasses étaient généralement entourées de murs à hauteur d’hommes pour des raisons de sécurité mais aussi pour protéger du regard. À l’emplacement de l’ouverture sur la cour, une grille en fer forgé, qarmud, était installée également pour protéger les habitants des chutes éventuelles.
29 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume1, op. cit., p.23. 71
Pour ce qui est de l’enduit intérieur, le même mortier était utilisé, sur lequel était ajouté une couche de plâtre plus ou moins épaisse en fonction de la présence ou non d’ornements. Le plâtre se trouvera donc souvent sur les éléments qui vont être décorés : piliers, consoles, encadrement de fontaine, murs et colonnes de la cour, et aussi dans les frises des salons. Les sols étaient le plus souvent dallés de zellij ou de marbre. Parfois les deux en même temps : « La combinaison de ces deux matériaux apparaît fréquemment dans les patios, voire dans les chambres : carreaux et zellij servent à l’ornementation inférieure des murs et piliers ou colonnes. »30 Le dallage s’effectuait à la fin des travaux. Les portes, fenêtres et balustrades en bois de cèdre étaient faits dans les ateliers des artisans puis apportés sur le chantier pour être installés. Les rares ouvertures extérieures étaient protégées par des grilles de fer forgé aussi réalisées dans les ateliers et montés sur le chantier.
30 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume1, op. cit., idem. 72
أحياء مدينة فاس
Les quartiers de la médina Planche XXXIX - L’une des nombreuses ruelles étroites de la médina
Les riads étaient nichés au cœur de la médina, dans les rues, ruelles étroites, les impasses. « Il existe dans la médina de Fès une rue si étroite qu’on l’appelle la rue d’un seul . Elle est la ligne d’entrée du labyrinthe, longue et sombre. » 31 Perdus dans un labyrinthe où seules les personnes qui y habitent ou qui y ont grandi peuvent retrouver leurs chemins. C’est là que se trouve toute l’ingéniosité et la finesse, tant connue du monde arabe des siècles passés, des bâtisseurs de ce lieu mythique. Les médinas étaient construites de manière à empêcher l’occupant, la personne étrangère, de retrouver sa route, ce qui constitue un élément majeur qui a aidé à la protection des habitants de ces villes. Fès, ville traditionnelle, fut dotée de fortifications dès le début du règne d’Idriss II au IXème siècle. Des fortifications qui furent agrandies et renforcées sous les différentes dynasties qui suivirent. Plusieurs portes furent ajoutées au fur et à mesure que ces fortifications étaient développées, et la plupart de ces dernières existent encore aujourd’hui. Elles permettent d’accéder à la médina depuis différents points de la ville contemporaine. La principale, mais également la plus connue, est Bab Boujloud. « Les portes de la cité sont monumentales, d’une décoration remarquable en zellij, en pierre gravée et parfois en bronze, illustrant la naissance de l’art du bronze hispano-mauresque. Elles se ferment sur les secrets de cette ville mystérieuse. La principale porte reste Bab Boujloud et
31 BEN JELLOUN, Tahar, Giacometti, la rue d’un seul, suivi de: Visite fantôme de l’atelier, éditions Gallimard, Paris, 2006, p.11. 73
les plus célébres qui ont été restaurées sont : Bab Jdid, Bab Ftouh, Bab Khoukha, Bab Sidi Boujida, Bab Mahrouk, Bab Shitriyine, Bab Al Makina. Autrefois Bab Dekkaken était l’entrée principale du Palais Royal. »32 La médina est divisée en trois grandes cités : Fès El Bali, Fès Jdid et le Mellah. Dans chacune de ces cités se trouvent des demeures traditionnelles, des lieux de culte, de commerce, mais aussi des lieux de créations artisanales où sont utilisées, encore aujourd’hui, des techniques traditionnelles. Planche XL - Bab Boujloud, l’une des portes d’entrée de la médina
32 BENNIS, RUIZet T, op. cit., pp.4-5. 74
Planche XLI - Carte des zones de la médina de Fès Les trois cités sont mises en avant : Fès Jdid, le Mellah et Fès El Bali.
Planche I - Porte d’entrée d’une maison traditionnelle dans la médina de Fès
فسحة
2. Promenade
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فاس؟ من خالل
كيف كان يسكن المزنل التقليدي لمدينة
قصص السرية الذاتية
Comment les riads de la médina de Fès étaientils habités? au travers de récits autobiographiques Pour ce travail, je me suis intéressée à la façon dont étaient habités les riads de Fès depuis les années vingt. Mes recherches sont basées sur les récits autobiographiques et témoignages de marocains originaires de Fès. C’est au travers de leurs histoires qu’il a été possible de découvrir plusieurs points de vue et visions différentes de l’espace que représente la maison traditionnelle de Fès. Ces recherches ont abouti sur l’idée que la multitude de récits permet de mettre en exergue une typologie spécifique de maisons dans la médina et que ces demeures traditionnelles sont toutes habitées dans le même esprit. Chaque pièce possède une âme propre malgré les différentes expériences des nombreux protagonistes. Il serait facile de penser que cette analyse subjective peut mener à une conclusion erronée, mais les histoires se rejoignent toutes dans la même logique : l’organisation spatiale et l’utilisation des espaces sont les mêmes, simplement avec un vécu différent, une âme spécifique à chaque lieu. C’est donc avec les expériences de chaque protagoniste, grâce à leurs vécus, qu’il a été possible d’analyser l’architecture des riads au travers de leurs regards. Ce travail a, au travers des différents points de vue subjectifs, permis de déceler de façon objective la manière dont les habitants vivaient à Fès et comment une typologie d’architecture, qui est finalement très similaire d’un riad à l’autre, est née des besoins d’un peuple marocain, à la fois conservateur et raffiné. 80
Planche II - Vue plongeante sur un riad dans la médina de Fès. On peut voir la fontaine murale, la porte monumentale pour accéder au salon. À l’étage, on aperçoit les derbouz. Pour l’ornementation, il y a des mosaïques de zellij sur le sol ainsi que sur le mur de la fontaine.
الرياض
Le riad Derb – – دربrue ou quartier, familier Bertal – – برطالportique, espace de détente au rez-de-chaussé Drouj – – درجescaliers Planche III - En rouge le circuit de la description de cette promenade, exemple de riad : Dar El Iraqi 6
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3
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Rez-de-chaussée 1- derb, rue 2- bab dar et setwan, porte d’entrée et chicane 3- bertal, portique 4- woust dar, cour 5- galerie 6- salons 7- drouj, escaliers 8- cuisine 1 DIOURI, op. cit., p.25 2 Cf. infra p.62
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Pour rappel, un riad est le nom donné à la maison traditionnelle marocaine qui se trouve généralement dans la médina de la ville. La particularité du riad est qu’il s’organise autour d’une cour intérieure qui a plusieurs fonctions, mais dont la plus importante est qu’elle sert d’espace de distribution et de circulation. Le riad se compose de deux à quatre étages avec une terrasse accessible sur le toit. Les ornements et décorations dépendent des moyens de chaque habitant, mais ils sont souvent très présents. Du zellij sur les murs, les sols et colonnes, aux grandes portes en bois finement sculptées, en passant par les fenêtres en fer forgé aux motifs floraux, les riads marocains sont très délicatement décorés. « Cette première maison qui se situe dans l’impasse sombre de derb El Miter est un vrai bijou ; elle est tout en mosaïque finement taillée, de plâtres colorés et sculptés d’arabesques et de bois de cèdre tout aussi sculpté, dont l’odeur remplit toute la maison. »1 Le riad porte aussi une symbolique qui a mené à son architecture. Notamment l’aspect religieux, qui par exemple, a défini l’organisation de la cour intérieure, souvent comparée à l’Éden décrit dans le Coran ; mais aussi la place de la femme dans la maison.2 Une chose importante à remarquer dans les riads : les façades à rue de ces derniers sont souvent très simples et austères, elles ne révèlent en aucun cas la beauté et le
raffinement de l’intérieur du lieu. Il n’y a, en général, aucune fenêtre donnant sur la rue. La façade intérieure représente donc la façade principale du riad. C’est là que se trouve un espace très ouvert, avec des balcons, galeries et fenêtres ouverts sur la cour, qui est généralement la plus soignée.
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Chklabia, entresol 7- drouj, escaliers 9- vide sur cour 10- vide sur bertal 11- chklabia
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C’est en passant par la présentation du cheminement dans la maison d’enfance des protagonistes, une demeure traditionnelle, ainsi que des récits lus, qu’il va être possible d’expliquer comment ces lieux étaient habités, et de découvrir l’architecture de la maison dans laquelle ils vivaient. Plusieurs profils différents vont être suivis, des hommes, mais aussi des femmes. La distinction est importante dans le contexte qui est celui du Maroc : la femme n’a pas la même vision des espaces que l’homme, ni les mêmes libertés que ce dernier. Je vais donc décrire ici, pas à pas, comment est organisé un riad, les traditions qui sont suivies par chaque foyer. La promenade va débuter dans les rues de la médina, pour arriver au seuil de la maison avec son entrée en chicane qui mène à la cour, les différentes pièces qui l’entourent, ainsi que les points d’eau de chaque maison. Ensuite, une parenthèse sera faite pour expliquer l’importance du rituel du hammam et la place qu’il a dans chaque habitat. Puis, les espaces secondaires du rez-de-chaussée seront présentés, pour enchaîner avec l’entresol ainsi que les escaliers et aboutir aux étages supérieurs et la terrasse (pl.III).
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Étage 7- drouj, escaliers 9- vide sur cour 12- galeries 13- Chambres
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الهيئة العامة للرياض
Organisation générale du riad Planche IV - Organisation d’un riad type, exemple de riad : Dar El Iraqi Entrée en chicane Cour centrale Fontaine centrale Galeries Bertal Salons et chambres Escaliers et communs Chklabia Vide sur cour Terrasse accessible
Rez-de-chaussée 3 DIOURI, op. cit., p.11 84
Les riads de Fès, malgré une organisation de l’espace domestique très similaire, sont tous très différents les uns des autres. Même si, vu de l’extérieur, ils se ressemblent tous, il est difficile distinguer la maison d’un riche marchand de tissus de celle d’un simple artisan. (pl.V) « Quand on entre dans ces maisons, elles se ressemblent toutes quant à leur plan architectural et pourtant que de différences, en passant de l’une à l’autre sur le plan des finitions. Ici, ce sont des maisons de riches négociants et hauts fonctionnaires avec des mosaïques fines, des plâtres et du bois, tous sculptés d’arabesques et là, ce sont des maisons de simples artisans et de fonctionnaires petits et moyens avec de simples carrelages et du bois à peine poli. Ainsi en est-il des maisons comme il en est de la situation de leur propriétaire. »3 En entrant dans ces demeures, il est possible de se retrouver face à des palais somptueux dont les ornements sont à couper le souffle, ou des maisons plus modestes et moins décorées. Mohamed Diouri est du même avis lorsqu’il décrit les riads de son point de vue. « Il faut aussi imaginer ces deux rues, derb El Miter et Arsat Ahriyine, avec toutes les ruelles qui en émergent, à droite et à gauche, longées d’un côté et de l’autre de maisons ayant toutes le même plan architectural. Après une petite porte d’entrée étroite, on trouve un long et sombre couloir qui débouche immanquablement sur un patio presque toujours carré et entouré de deux ou trois grandes chambres ; ensuite on accède, par une montée sombre d’escaliers étroits, à un ensemble de chambres, sur un, deux ou trois niveaux, de différentes hauteurs, qui n’empêchent
Hdada, pl. hudud – – الحدودfrontière
Entresol
Étage
pas toutes ces maisons d’avoir la même hauteur de sorte que toutes les terrasses communiquent. » 4 Ces riads sont tous habités de manière particulière. Chacun a laissé une trace différente dans le coeur de ses habitants. Tous les témoignages recueillis montrent que chaque foyer est dirigé de manière différente. Ils suivent des règles spécifiques qui sont généralement dictées par le patriarche de la maison, qui, au final, est celui qui a tout le pouvoir dans sa demeure. Certains chefs de maisons sont plus stricts, d’autres plus ouverts d’esprit. Par exemple, dans Rêves de femmes la notion de hudud est très importante. Comme le dit Fatéma Mernissi : « Le portail d’entrée de notre maison était un véritable hdada, une frontière aussi surveillée que celle d’Arbaoua. Nous avions besoin d’une permission pour entrer et sortir. Chaque déplacement devait être justifié et rien que pour se rendre au portail il y avait déjà tout un protocole à respecter. » 5 Ce principe est justifié par le fait que la société de l’époque faisait croire aux femmes qu’elles avaient besoin de protection et donc besoin d’une permission ainsi que d’une raison valable, par exemple un mariage ou un enterrement, pour quitter leurs domiciles. Au sujet du pouvoir des hommes, certains pourrait croire que seules les femmes en subissaient les conséquences, mais souvent les jeunes hommes aussi devaient se plier aux règles instaurées par leurs pères. Ce n’est que lorsqu’ils se mariaient qu’ils étaient reconnus comme méritants et pouvaient donc être considéré comme ayant le même niveau d’autorité que leurs aînés. « Comme le voulait la tradition, dans la plupart des familles fassis, la position prééminente du père imposait une certaine distance vis-à-vis de ses enfants, ce qui supposait un grand respect de la part de ces derniers et surtout entretenait une crainte injustifiée mais nécessaire. À travers cette liaison complexe, la communication s’effectuait la plupart du temps par le biais de la mère qui avait l’art de faire et la manière de convaincre. La relation père-fils devenait
4 DIOURI, op. cit., p.10 5 MERNISSI, op. cit., p.31 85
subitement cordiale dès que le fils se mariait, acquérant ainsi le statut d’homme à part entière. Il avait, de cette manière, gravi un degré de l’échelle sociale et acquis en quelque sorte une valeur ajoutée. Le mariage le propulsait dans le monde des privilégiés, ceux qui avaient honoré un acte de foi à travers lequel ils avaient mérité la bénédiction divine en même temps que l’estime de leurs pairs. » 6
Terrasse
6 MTIRI SAOUDI, Amina, op. cit., pp.39-40 7 MTIRI SAOUDI, op. cit. p. 37 86
«Notre maison était spacieuse, certes, puisqu’elle abritait trois familles mais c’était une demeure tout à fait classique qui ressemblait, de par sa conception et son architecture, à tant d’autres maisons de la vieille médina.» 7 Les riads marocains se différencient donc les uns des autres par plusieurs éléments : la classe sociale de la famille qui y habitait, les règles qui régissaient le lieu, et leur taille, qui changeait en fonction du nombre d’habitants qui y logeaient. En revanche, leur plan intérieur suit toujours le même schéma spatial. (pl.IV)
Planche V - Façades extérieures des riads Cette image montre les façades extérieures des maisons traditionnelles dans une ruelle de la médina. Quelques portes sont visibles, mais il n’est pas aisé de percevoir ce qui se cache derrière. On peut voir que ce sont des murs qui ne sont pas entretenus, ce qui montre que les fassis ne leur portent que peu d’importance, surtout comparé aux intérieurs des riads.
Planche VI - vue dans une ruelle avec plusieurs portes d’entrÊe avec linteau
الوصول إىل المزنل التقليدي، مدينة فاس
La médina, l’accès au riad Accéder à un riad n’est pas toujours une tâche aisée pour une personne étrangère à la médina. Il est très facile de se perdre dans toutes les ruelles et impasses, seuls les habitants savent s’y retrouver. En effet, il existe de nombreux chemins différents pour arriver à une maison en particulier. En venant d’un marché à l’autre, les parcours diffèrent. « D’abord, celui du chemin menant du quartier à la boutique du grand-père. Il faut dire que comme Simo est un enfant turbulent, sa mère demande souvent au père et/ou au grand-père qu’ils le prennent avec eux à la boutique et pour que Simo ne puisse pas revenir tout seul au quartier, le grand-père s’ingénie, chaque fois, à emprunter un chemin différent. Quand on sait qu’il y a au moins quatre à cinq chemins différents menant du quartier à souk El Haik où se trouve la boutique du grand-père et celle du père de Simo, on comprendra qu’il faudra quelques temps à Simo pour mémoriser tous ces chemins. »8 Une fois arrivé, l’habitant du riad ou l’invité se retrouve face à une grande porte en bois massif avec un petit vantail. Cette grande porte est ouverte pour les invités et les grandes occasions. La petite porte, inscrite dans la grande, est utilisée quotidiennement par les habitants et leurs familles proches.
8 DIOURI, op. cit., p.32 89
Planche VII - Porte d’entrée d’un riad Cette porte en bois de cèdre sculptée est composée de deux éléments: la grande porte et le petit vantail. Elle est décorée d’éléments en fer forgé.
باب دار
La porte d’entrée « Le portail de notre maison était une arche gigantesque, avec de monumentales portes de bois sculpté. »9 La porte d’entrée prend une place très importante dans l’organisation d’une demeure traditionnelle. C’est elle qui sépare l’intérieur de la maison du monde extérieur. Elle joue le rôle de protecteur des habitants du riad, et présente une limite franche pour les étrangers. Après avoir passé cette frontière, il faut généralement traverser une deuxième limite intérieure qui se présente sous la forme d’un couloir en chicane, sombre (pl.VIII), avec une faible hauteur sous plafond, et qui constitue une sorte d’espace tampon qui protège les habitants du regard des étrangers, et mène, finalement, à la cour centrale.
9 MERNISSI, op. cit., p.31 10 MTIRI SAOUDI, op. cit., pp.23-24
Ce couloir est peu éclairé, étroit, et provoque un sentiment de malaise. Il peut être plus ou moins long selon les maisons. Souvent, au bout de celui-ci, se trouvait une jarre pleine d’eau fraîche pour permettre aux nouveaux arrivants de se désaltérer. « La maison d’oncle Madani était un petit havre de paix, loin des bruits de la médina. C’était une demeure sans prétention mais accueillante et aussi chaleureuse que ses propriétaires. On y accédait par le biais d’un couloir au bout duquel il y avait en permanence une grosse jarre en terre cuite remplie d’eau bien fraîche, la réserve de la journée,au-dessus de laquelle trônait un bol dont l’intérieur était joliment décoré d’une espèce de goudron dont le parfum enivrant à l’huile de cade n’appartiendrait toujours qu’à mon enfance. »10
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D’França – – دفرنساde France, familier Joutya – – جوطيةmarché aux puces Planche VIII - Schémas montrant le circuit à franchir pour atteindre la cour depuis l’entrée Entrée en chicane Exemple n°1 : Dar Bennis, Rez-de-chaussée
Exemple n°2 : Dar Bou Noua, Rez-dechaussée
Ce couloir peut aussi mener à un salon où se trouve parfois, dans les grandes demeures, le gardien qui contrôle les allées et venues et autorise les sorties des femmes ou enfants. « Si on venait de la cour, il fallait d’abord suivre un interminable corridor, puis on se trouvait devant Hmed, le gardien, nonchalamment assis sur son sofa comme sur un trône, un plateau à thé devant lui. Comme le rite de passage impliquait toujours un processus de négociations assez élaborées, on était soit invitée à s’asseoir à ses côtés sur l’impressionnant sofa, soit en face de lui, plus à l’aise, dans l’étonnant ‘fauteuil d’França’, un vieux siège dur et matelassé qu’il avait déniché à la joutya, le marché aux puces de la Médina. »11 Il est également possible d’y trouver un accès à l’escalier secondaire de la maison. « Mais cette chambre présente une particularité importante, on peut y accéder par l’escalier principal de la maison et par un escalier de secours qui démarre à partir de la porte d’entrée de la maison. Ce qui fait que Simo peut recevoir chez lui des copains et copines sans que personne ne voie qui monte dans sa chambre. L’architecte qui fait le plan de la maison est un génie pour avoir pensé à cet escalier de secours et le père de Simo est un sage pour avoir accepté le plan de l’architecte. »12 Dans les riads les plus modestes, un escalier se trouvait dans le couloir et donnait accès au riad (pl.X). « Une ‘égyptienne’. On désignait ainsi ces petites maisons qui flanquaient les vastes demeures des gens aisés. Elles avaient une entrée indépendante et on y accédait par un escalier. »13 Il était courant de voir un couloir qui permettait d’accéder aux espaces de service, comme la cuisine par exemple. « L’entrée de la maison se faisait sur un hall de deux mètres sur quatre. Les murs étaient ornés de zellij, et on pouvait aller soit directement à la cour, soit à la cuisine secondaire de la maison. »14
11 MERNISSI, op. cit., p.31 12 DIOURI, op. cit., p.27 13 LAÂBI, Abdellatif, Le fond de la jarre, éditions Gallimard, Paris, 2002, p.14 14 KSIKES, Hassania, témoignage par téléphone, recueilli le 27 mars 2019 92
Exemple n°3 : Dar Moulay Idriss, Rez-dechaussée
Exemple n°4 : Dar Zerouali, Rez-de-chaussée
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Planche IX - vue de l’entrée en chicane d’un riad dans la médina de Fès depuis l’intérieur
Planche X - Porte d’entrée d’une ‘égyptienne’ Cette porte montre une manière différente d’accéder dans une maison traditionnelle de Fès : par le biais d’escaliers
وسط الدار
La cour Planche XI - Cet exemple met en évidence la centralité de la cour Cour centrale Dar El Kesri, Rez-de-chaussée
À présent, le cœur de la maison, le lieu de plus important : la cour. Elle se trouve le plus communément au milieu du plan de la maison et a généralement une forme rectangulaire qui tend vers le carré. Au centre de la cour se trouve souvent une fontaine, seqqaiyia, dont la présence permet de confirmer la symbolique religieuse du lieu. En effet, la cour a une origine religieuse qui est mentionnée à plusieurs reprises dans le Coran, en voici un exemple : « un cadre inspiré de l’Éden cité dans le Coran, avec un jardin arboré, des arbres et des arbustes fruitiers, ainsi qu’une fontaine ». 15 La fontaine se trouve le plus communément au centre, mais il est également possible de la trouver contre l’un des murs de la cour. « Je connaissais par cœur les murs, les portes, les fenêtres et le ciel de notre maison. La cour était carrée, non couverte, avec, planté en son milieu, un citronnier chétif qui donnait une dizaine de petits citrons verts par an. Il n’était là par aucune nécessité. On s’était habitué à le voir sec et têtu dans son exil. » 16 La cour est la plupart du temps l’espace le plus soigné et raffiné de la maison ( pl. XIII et XIV ). Elle est le premier lieu qui est vu après avoir franchi le long et sombre couloir venant de l’entrée. C’est elle qui montre aux visiteurs le niveau social de leurs hôtes. C’est là que se trouvent les plus beaux ornements,
15 KHALIL Hajar, Les riads, l’un joyaux de l’architecture marocaine, https://www.sarouty.ma/ blog/les-riads-lun-des-joyaux-de-larchitecturemarocaine/ 16 BEN JELLOUN, Tahar, L’écrivain public, éditions Points, 1983, pp.15-16 96
Cham – – شامappellation qui englobe l’Iraq, la Syrie et le Liban Boussedar – – بوصدارsimilaire à woust dar : cour, patio, centre de la maison Planche XII - Pavement du sol de la cour en mosaïque de zellij et marbre blanc. On peut voir ici la symétrie des formes, mais aussi des couleurs. Au centre de cette composition se trouve la fontaine
réalisés avec des matériaux soigneusement travaillés par les meilleurs artisans de la médina. « Les maisons de Fès, quelles qu’elles soient, sont toutes conçues selon un même schéma classique qui consistait en une cour intérieure que l’on appelait boussedar ou patio à ciel ouvert, dallée généralement de marbre et de zellij, comprenant à la manière des maisons arabes du grand ‘Cham’ oriental, une fontaine souvent centrale et parfois un bertal, une espèce de renfoncement latéral où il était si agréable de boire le thé l’après-midi ou de recevoir les visiteurs informels. La distribution des chambres ou salons se faisait invariablement autour de cette cour, le long d’un couloir de circulation planté de majestueuses colonnes en zellij, dont le rôle est de soutenir la galerie du dessus. Le même schéma se répétait alors à l’étage. Et par l’espace béant donnant sur le ciel tout en haut se déversait un flot de lumière magique qui constituait le seul éclairage de toute la maison. » 17 La géométrie y est extrêmement importante : tout est symétrique et savamment équilibré (pl.XII). « D’abord, il y a la cour carrée, où règne la plus rigide des symétries. Même la fontaine de marbre, chantant sans fin au centre de la cour, parait docile et apprivoisée. La fontaine est ceinte d’une mince frise de faïence bleu et blanc qui reproduit le dessin incrusté dans les carreaux de marbre du sol. La cour est entourée d’une colonnade en arceaux. Le sommet et la base des colonnes sont en marbre, et le milieu couvert de mosaïque bleu et blanc, faisant écho au motif de la fontaine et du carrelage. Tous les éléments s’inséraient par des effets miroirs dans une symétrie implacable. »18 Chaque auteur décrit cette cour comme si c’était un bijou, la raconte avec tant de précisions qu’il est aisé d’imaginer l’espace et les décors qui s’y trouvent ( pl. XIII et XIV). « Un patio dallé de mosaïques gardait dans sa pénombre la fraîcheur de l’eau bouillonnant sans trêve au creux de la vasque qui en marquait le centre. De hautes colonnes soutenaient la galerie desservant l’étage supérieur. Un grand carré de ciel, le matin et l’après-midi, en formait le dais céruléen qui ne pâlissait qu’au moment où le
17 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.37 18 MERNISSI, op. cit., p.10 97
soleil au zénith promenait sa fugitive caresse sur les décorations en dentelle de plâtre des murailles. » 19 En plus d’être l’un des lieux les plus soignés de la maison, c’est aussi un lieu de rencontres et de divertissements. Les femmes s’y retrouvaient l’après-midi pour travailler leurs ouvrages de tissages, les enfants y jouaient avec leurs amis ou leurs cousins, les hommes la traversait ou y prenaient le thé. « La cour de cette seconde maison de la famille de Simo est très spacieuse ; Simo et ses copains y trouvent toute la place pour y organiser toutes sortes de jeux, notamment des courses, à travers les portes et les fenêtres sans volets ni grillages et les matchs de football pendant lesquels le père de Simo occupe le poste de gardien de but d’une des deux équipes. » 20 La cour était également un espace qui, en présence d’hommes, d’aînés ou d’invités, synonyme de bienséance et de politesse. « {…} Mais les grandes personnes ne remarquaient jamais rien, surtout dans la cour, où la vie était en apparence très correcte et très stricte. C’était seulement dans les étages supérieurs que les choses s’arrangeaient. »21 Courir ou crier dans la cour n’était pas concevable pour les aînés, et surtout jouer avec l’eau. La cour n’était pas un lieu fait pour les divertissements bruyants des enfants, même si cela ne les empêchait pas de se servir de l’eau de la fontaine pour se rafraîchir en période de grande chaleur d’été. « Poser sur ce tapis un pied chaussé ou, pire, mouillé est un sacrilège, ce qui est pourtant inévitable en été, lorsque la cour est rafraîchie deux fois par jour à grand renfort d’eau de la fontaine. Les jeunes femmes de la famille, comme cousine Chama et ses sœurs, aiment laver le carrelage de la cour en jouant à la piscine c’està-dire en lançant négligemment des seaux d’eau sur le sol et en arrosant accidentellement la personne la plus proche. Ce qui 19 TRANCHANT DE LUNEL, Maurice, Relations et connaissances du fondack des Nejjarine, in Fès des années 20, sous la direction de LAVAUD, Alain, éditions La croisée des chemins, 2000, p.89. 20 DIOURI, op. cit., p.27 21 MERNISSI, op. cit., p.14 98
encourage les plus jeunes - mon cousin Samir et moi, pour être précise - à filer à la cuisine et à en revenir dûment armés d’un bon tuyau d’arrosage. Éclabousser les autres nous enivre de plaisir, tandis que tout monde se met à pousser des cris et tente de nous arrêter. Nos hurlements dérangent inévitablement Lalla Mani qui, outragée, soulève ses rideaux pour nous avertir qu’elle va se plaindre le soir même auprès de l’oncle et de mon père. ‘Je leur dirai que personne dans cette maison ne respecte plus l’autorité !’ menace-t-elle. » 22
22 MERNISSI, op. cit., pp.12-13 99
Planche XIII - Ornements dans la cour d’un riad Bois sculpté, zellij, plâtre sculpté. On remarque aussi l’une des manières d’aménager l’espace : tables traditionnelles pour servir le thé à la menthe.
Planche XIV - Ornements dans la cour d’un riad Cette image montre différents types de décorations typiques la maison de Fès tels que le bois sculpté, le bois peint, le plâtre sculpté, le fer forgé.
مكان المرور: وسط الدار
La cour : lieu de circulations Planche XV - Ce schéma montre la centralité d’une cour intérieure et les espaces de circulations qu’elle créée Cour centrale Dar Moulay Idriss, Rez-de-chaussée
« Il n’était jamais possible de s’amuser vraiment dans la cour, un endroit trop public. Juste au moment où on commençait à prendre du bon temps, les hommes arrivaient pour discuter de leurs projets, se lançaient dans des discussions professionnelles, ou se mettaient à écouter la radio et à commenter les informations, les jeunes à jouer aux cartes et les plus âgés aux échecs, et on était obligé de décamper. {…} Impossible de créer cette magie dans la cour, que des douzaines de gens ne cessent de traverser d’un salon à l’autre, surgissant des escaliers ou s’interpellant du rez-de-chaussée au premier étage. »23 En plus d’être un lieu de circulation (pl.XV), la cour a aussi une mission dans le fonctionnement architectural d’un riad : c’est la source de ventilation principale de toute la maison. Toutes les ouvertures de la maison se font vers elle. Il n’existe pas, ou très rarement, des fenêtres qui donnent sur l’extérieur. Ce principe permet de protéger les femmes des regards étrangers et donc de protéger l’intimité des personnes qui y habitent. « Il est impossible d’ouvrir les persiennes pour regarder à l’extérieur si l’envie vous prend de voir des fleurs autres que celles qui sont piégées dans ces tissus luxueux. Toutes les fenêtres donnent sur la cour. Aucune ne s’ouvre sur la rue. »24
23 MERNISSI, op. cit., p.107 24 MERNISSI, op. cit. p.75 102
Elle est entourée des façades principales de la maison, ainsi que, le plus souvent, de galeries qui permettent de desservir les pièces de toute la maison. « La distribution des chambres ou salons se faisait invariablement autour de cette cour, le long d’un couloir de circulation planté de majestueuses colonnes en
zellij, dont le rôle est de soutenir la galerie du dessus. Le même schéma se répétait alors à l’étage. Et par l’espace béant donnant sur le ciel tout en haut se déversait un flot de lumière magique qui constituait le seul éclairage de toute la maison. »25 En hiver, il fait trop froid pour s’y attarder, il faut la traverser le plus rapidement possible, mais dès que l’air se réchauffe, c’est souvent le lieu le plus frais de la maison, avec son marbre au sol, l’ouverture sur le ciel et la fontaine en son centre. Il y règne une ambiance apaisante avec les clapotis de la fontaine et la brise provenant du ciel. « C’est une expérience bouleversante que de regarder le ciel quand on est dans la cour. D’abord il paraît terne, à cause de l’encadrement où les hommes l’ont piégé. Mais le mouvement des étoiles au petit matin, se fondant lentement dans l’intensité bleue, prend une telle force qu’il vous étourdit. Certains jours {…} quand les rayons pourpres et roses du soleil naissant chassent du ciel dernières étoiles, on peut se laisser hypnotiser facilement. La tête rejetée en arrière, les yeux rivés au ciel carré, on a soudain envie de s’endormir. »26 « Souvent les après-midis, par beau temps, quand le plus gros du travail ménager était terminé et que les hommes faisaient la sieste dans la pénombre feutrée des salons dont on avait scrupuleusement fermé les portes, toutes les femmes de la maisonnée vaquaient à des occupations plus nobles. Munies de leurs ouvrages elles se réunissaient au rez-de-chaussée à proximité de la fontaine ou dans le Bertal, au son d’une musique d’El Brihi, monocorde et distillée en sourdine par la radio nationale qui la diffusait tous les après-midis à la même heure. Au bruit de l’eau, se mêlaient chuchotements rires, fredonnements et même, de temps en temps quelques chants nostalgiques de coqs venus de loin et qui conféraient à ces après-midis fassis qui n’en finissaient pas de s’étirer, une douceur de vivre toute particulière. »27
25 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.37 26 MERNISSI, op. cit. p.11 27 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.66 103
غرف في الطابق األريض
Pièces du Rez-de-chaussée Planche XVI - Organisation de différents rezde-chaussée Ces différents exemples montrent que les riads de la médina d Fès suivent tous le même schéma, à peu de différences prés. Entrée en chicane Cour centrale Fontaine centrale ou murale Galeries Bertal Salons et chambres Escaliers et communs Exemple n°1: Dar Zerouali, Rez-de-chaussée
Cette cour permet d’accéder aux différentes pièces du rezde-chaussée. En général, autour de la cour se trouvent des salons, appartements et parfois une fontaine murale et un ou deux bertal sur les côtés. Dans les coins s’organisent les communs : l’entrée en chicane, les escaliers et les pièces d’eau, dont la cuisine (pl.XVI). Il serait intéressant, à cette étape-ci, de préciser que chaque riad abritait généralement plusieurs familles. Sont donc construits des riads assez grands pour que les fils puissent y habiter avec leurs épouses et enfants une fois mariés. « Simo connaît successivement plusieurs maisons de sa famille, la première est celle où il naît et que construisit le grand-père, quelques années auparavant. Elle est vaste et compte nombre de chambres, au rezde-chaussée et aux étages, en prévision des mariages du père et de l’oncle de Simo. En ce temps-là, le Marocain a pour habitude de marier ses enfants mâles et de les loger chez lui en leur affectant des chambres au fur et à mesure des naissances d’enfants qu’ils ont. Quant aux filles, elles doivent partir habiter les maisons des parents de leur mari. »28 Les petites familles, donc les parents avec leurs jeunes enfants non mariés, disposaient d’au moins une pièce, selon le nombre d’enfants et la taille du riad, où ils cohabitaient ensemble. Dans certains riads il existait une hiérarchie où l’aîné de la maison avait droit à la pièce la plus grande, toujours située au rez-de-chaussée, et en théorie la mieux décorée de toute, même si ce n’est pas toujours le cas. « Juste en face, de l’autre
28 DIOURI, op. cit., p.25 104
Exemple n°2: Dar Seqqat, Rez-de-chaussée
Exemple n°3 : Dar Sqolli, Rez-de-chaussée
côté de la cour, il y a le salon de l’oncle Ali, qu’il occupe avec sa femme et leurs sept enfants et qui ressemble comme deux gouttes d’eau au nôtre. Ma mère n’aurait pas permis de distinction visible entre le salon de l’oncle et le nôtre, même si, étant l’aîné, l’oncle avait droit à des appartements plus grands et plus luxueux. Oncle Ali était non seulement plus âgé et plus riche que mon père, mais il avait aussi une famille plus nombreuse. La nôtre ne comptait que cinq membres, mon frère, ma sœur, mes parents et moi, alors que celle de l’oncle en totalisait neuf voire dix, quand la sœur de sa femme venait de Rabat leur rendre visite, et restait parfois six mois de suite, après que son mari eut pris une deuxième épouse. »29 Et les autres membres de la fratrie se partageaient les pièces restantes. Lorsqu’une seule pièce ne suffisait pas, les enfants disposaient d’une chambre supplémentaire, beaucoup moins décorée, aux niveaux supérieurs. D’autres riads s’organisaient autrement, il n’y existait pas réellement de hiérarchie dans la distribution des pièces, même si l’aîné restait le chef de la maison et celui qui était le plus respecté. La distribution se faisait au gré des saisons : l’été ils habitaient au niveau de la cour, qui est l’endroit le plus frais de la maison, qui était fui en hiver pour se loger dans les étages supérieurs, puisqu’il faisait trop froid pour vivre au rez-dechaussée. « La vie dans la nouvelle maison de Simo est orchestrée selon les saisons: au printemps et pendant l’été, la famille descend vivre au rez-de-chaussée parce qu’il y fait frais ; en revanche, pendant l’automne et l’hiver, la famille émigre aux étages parce qu’il y fait bon. »30 Les salons qui se trouvent au rez-de-chaussée sont généralement ceux auxquels un soin particulier est apporté. (pl.XIX) Ce sont ceux qui revenaient généralement aux aînés de la maison, mais plus important, ce sont ceux qui étaient les plus susceptibles de recevoir des invités en cas de grandes occasions, tels que des mariages ou baptêmes.
29 MERNISSI, op. cit., pp.12-13 30 DIOURI, op. cit., p.26 105
Planche XVII -Vue sur un salon au rez-de-chaussée. On y voit du mobilier marocain, du zellij et du plâtre sur les murs. Du zellij aussi sur le sol
Il pouvait aussi y avoir un salon réservé exclusivement aux hommes. « Enfin, sur le côté droit de la cour se tient le plus grand et le plus élégant de tous les salons : celui des hommes, où ils prennent leurs repas, écoutent les informations, traitent les affaires et jouent aux cartes. Les hommes sont en principe les seuls à avoir accès à un énorme meuble contenant un poste de radio trônant dans le coin droit de leur salon. »31 Ils s’y retrouvaient pour rencontrer leurs amis, discuter d’affaires ou de politique, mais aussi pour jouer aux cartes, faire la sieste et manger. C’était un lieu de détente fait uniquement pour les hommes, parfois les enfants y avaient accès, mais les femmes ne pouvaient y aller que pour servir les repas, faire le ménage ou en cas de grande occasion. Ces salons étaient aménagés avec des sofas marocains fait de beaux tissus de brocarts, avec des tables en bois sculptés, des miroirs ainsi que de beaux tapis au sol. « Comme tous les salons, le sien est meublé de sofas couverts de brocarts et de coussins qui courent le long des quatre murs. Un énorme miroir central réfléchit la porte et ses draperies et le tapis fleuri aux teintes claires qui recouvre entièrement le sol. »32 Aux fenêtres et à la porte se trouvaient des rideaux qui assuraient, lorsqu’ils étaient fermés, l’intimité des occupants, tout en laissant passer la brise d’été. En hiver les lourdes portes en bois sculptées étaient fermées pour protéger du froid. Il y a également de grandes fenêtres avec des grilles en fer forgé très raffinées, ornées de motifs floraux. « Chaque salon a un gigantesque portail, flanqué d’immenses fenêtres donnant sur la cour. Le matin, et en hiver, les portails sont fermés par d’énormes portes de cèdre sculptées de fleurs. En été, les portes sont ouvertes, drapées de lourds brocarts de velours et de dentelle, qui laissent passer l’air et étouffent le bruit et la lumière. Les fenêtres des salons ont des grilles en fer forgé argenté couronnées d’ogives de verre coloré. J’adorais ces vitraux et le jeu du soleil matinal qui ne cessait d’en changer les teintes bleues et rouges, et d’adoucir les jaunes. »33
31 MERNISSI, op. cit., p.14 32 MERNISSI, op. cit., p.13 33 MERNISSI, op. cit., p.11
106
Planche XVIII - Vue sur un bertal depuis la cour. Il est aménagé d’un sofa marocain pour permettre aux personnes de s’y reposer un moment
Dans un riad, la notion de communauté était très importante. Chacun était libre de suivre son rythme, mais l’heure du repas était généralement la même pour tous les habitants et il fallait la respecter, au risque de ne pas manger du tout. L’heure du déjeuner était généralement suivie de la sieste pour les hommes, qui allaient ensuite travailler dans la médina, pendant que les femmes rangeaient et vaquaient à leurs occupations. Il faut savoir que dans la maison traditionnelle marocaine, il existait très rarement une pièce exclusivement réservée aux repas. Il était peu courant de trouver une salle à manger à proprement dire, ni de séjour réservé uniquement au repos ou aux divertissements. C’était plutôt des salles polyvalentes dont les fonctions dépendaient de l’organisation de la maison en question. Par exemple, dans certaines maisons, les hommes prenaient leur repas dans leur salon réservé, tandis que les femmes et enfants mangeaient ailleurs, le plus souvent dans leurs appartements ou dans la cuisine. « Nous mangions à des heures précises, et jamais entre les repas. À Fès nous devions nous asseoir pour manger à des places déterminées à l’une des quatre tables communes. La première réunissait les hommes, la seconde les femmes de haut rang et la troisième les enfants et les femmes de moindre importance - à notre grande joie, car cela signifiait que tante Habiba pouvait partager nos repas. La quatrième table était réservée aux domestiques et à ceux qui arrivaient en retard, sans considération d’âge, de sexe ou de rang. Cette table était souvent complète, car c’était la dernière chance pour ceux qui avaient commis la faute de ne pas être à l’heure. »34 Il était aussi possible, dans d’autres maisons, que les repas soient pris, et ce pour tout le monde, dans les appartements personnels de chaque membre de la famille. Parfois, en été, lorsque la chaleur était étouffante, les familles se retrouvaient toutes dans la cour, qui est l’endroit le plus frais à cette période de l’année, pour partager leurs repas. « Dans les deux cas, seule une chaleur excessive, l’été, peut conduire à un partage collectif de cet espace {la cour}. Elle peut aussi conduire tous les hommes et garçons d’une maisonnée à y
34 MERNISSI, op. cit., p.97 107
dormir exceptionnellement. »35 Une autre manière, plus différente, que certaines familles utilisaient pour le moment du repas, qui ne respectait pas la femme, était que cette dernière préparait le repas pour son époux, mais elle n’avait pas le droit , ou n’osait pas, manger avec lui. Elle devait attendre patiemment, au cas où il aurait besoin de quelque chose, qu’il ait fini, avant de débarrasser la table et d’aller manger seule dans la cuisine, s’il n’avait plus besoin d’elle, évidemment. « Je nourrissais mon homme avec beaucoup d’égards. Je n’osais pas me mettre avec lui à table. Je le servais d’abord. Mon homme mangeait bien. Il était satisfait. Il rotait avec aisance. Il ne m’a jamais fait un compliment. Je mangeais pendant qu’il faisait sa sieste, mais je mangeais mal : la fatigue me faisait perdre l’appétit. Parfois j’interrompais mon repas pour lui préparer le thé. »36 Les salons étaient répartis par petites familles, donc les parents avec leurs jeunes enfants, et étaient aménagés de manière particulière et différente de celle connu dans le monde occidental, ou même en dehors des maisons traditionnelles. La notion d’intimité était très différente puisque parents et enfants dormaient, généralement, dans la même pièce. Cela dépendait du nombre d’enfants du couple, mais aussi de la taille du riad. Seul l’aménagement du mobilier permettait de reconnaître l’espace réservé aux adultes et celui réservé aux plus jeunes. Ces espaces étaient souvent séparés en deux : d’un côté le coin sommeil des parents, avec un lit à baldaquin, et de l’autre le coin sommeil des enfants avec des sofas de style marocain, aménagés contre les murs. Le coin sommeil des enfants avait souvent plus d’une fonction. Ces pièces étaient donc polyvalentes, en fonction de la taille du riad, mais le plus souvent, s’y retrouvait deux à trois fonctions : chambre à coucher, pour les parents et leurs enfants, séjour et salle à manger et ce, comme expliqué précédemment, dans une seule 35 NAVEZ-BOUCHANINE, Françoise, Habiter la ville marocaine, éditions L’harmattan, Casablanca, 1997, p.185 36 BEN JELLOUN, Tahar, Harrouda, éditions Denoël, Paris, 1973, p.78 108
pièce. « Ils s’engouffrent dans le salon, chambre à coucher de mes parents. »37 Si toutefois une pièce ne suffisait pas pour tous les enfants, à cette époque-là les gens avaient plusieurs enfants, au moins quatre par familles, il y avait alors des pièces supplémentaires pour eux. « Ses enfants et lui disposent en définitive de plus d’espace que nous, mais d’une façon discrète, dans les étages supérieurs {…} »38 En parlant du grand nombre d’enfants par famille, il est important de souligner que dans la religion musulmane, un homme a le droit d’épouser quatre femmes en même temps s’il en a envie. Ceci a donc pour effet qu’un homme aura plusieurs femmes dans sa vie, soit parce qu’elles décèdent, qu’elles ne peuvent pas avoir d’enfants ou qu’il en a plusieurs en même temps, et donc chaque épouse aura plusieurs enfants, si elle le peut. Il arrive donc qu’un couple ait une dizaine d’enfants, voire plus. Un autre effet est que, généralement, chaque épouse aura droit à ses appartements avec ses enfants, et donc le riad doit pouvoir avoir assez d’espace pour abriter tout le monde. Souvent, la première femme est celle qui a le plus de pouvoir, et c’est celle qui bénéficiera du plus d’espace, donc du plus de chambres. « Mon grand-père a eu trois épouses dans sa vie. La première est décédée en accouchant de son troisième enfant. Il en épousera deux autres par la suite. Sa deuxième épouse, ma grand-mère, a eu deux enfants. Et la troisième épouse en a eu trois. Ils habitaient un riad composé d’un rez-de-chaussée, d’un étage, un entresol et une terrasse. Chacune des épouses disposait d’un grand salon au rez-de-chaussée et d’une chambre au premier étage. Il avait donc huit enfants en tout. Au moment d’épouser sa deuxième femme, ses deux enfants les plus âgés s’étaient déjà mariés. La fille vivait donc chez la famille de son mari, et le fils avait une chambre au premier étage avec sa femme. {…} Les salons du rez-de-chaussée étaient tous les deux identiques, mais les chambres du premier étage étaient quelque peu différentes : la première épouse disposait d’une chambre plus spacieuse que la deuxième. Je me souviens des salons du rez-de37 LAÂBI, op. cit., p.19 38 MERNISSI, op. cit., p.12 109
chaussée, ils étaient beaux, avec une grande hauteur de plafond et très frais en été… parce que les murs étaient très épais ! Les chambres au premier étage étaient moins décorées, mais c’était des lieux très agréable à vivre, parce qu’elles recevaient beaucoup de lumière par la cour, c’étaient mes pièces préférées ! » 39
39 BERRADA, Aziz, témoignage recueilli dans la médina de Fès, le 22 décembre 2018 110
Planche XIX - Cette image montre l’entrée d’un salon. On aperçoit à l’intérieur des sofas marocains sur des banquettes en bois traditionnelles. Les murs et sol sont ornés de zellij. Les portes en bois sont très grandes et sculptées. Elles ont des vantaux plus petits pour permettre un accès facile lorsque les grandes portes sont fermées. Elles sont encadrées par du gebs finement sculpté.
رشفات
Les galeries Planche XX - Vue sur un salon l’encadrement en bois de la cour. Il est en bois sculpté.
Planche XXI - Vue sur un derbouz en bois et en fer forgé
40 MERNISSI, op. cit., pp.10-12 112
Ces pièces sont généralement desservies par des galeries qui se trouvent à chaque niveau du riad. Ces galeries sont généralement très larges et aérées, elles sont soutenues par colonnes et dans arcs en plâtre et en bois sculptés, et aussi de marbre ou zellij traditionnel de couleurs blanches et bleues ou blanches et vertes. Les garde-corps s’appelaient derbouz, ils étaient le plus souvent en bois sculptés (pl.XXI). Avec les colonnes et arcs des étages supérieurs, ils sont, dans la même logique de la cour, très soignés et bien décorés puisqu’ils représentent la façade de la maison. Il est possible que les pièces à l’étage ne soient pas desservies par des galeries, mais directement par les escaliers. Dans ces cas-là, ce sont quatre piliers, tout autant décorés et soignés, qui soutiennent la structure. Le regard est automatiquement dirigé vers l’ouverture sur le ciel, encadrée d’une frise sculptée sur le bois (pl.XX). Ce cadre de ciel bleu renforce l’idée d’enfermement ainsi que le manque de nature à l’intérieur du riad, manque qui est comblé par la beauté des ornements qui entourent cette cour. « La cour est entourée d’une colonnade en arceaux. Le sommet et la base des colonnes sont en marbre, et le milieu couvert de mosaïque bleu et blanc, faisant écho au motif de la fontaine et du carrelage. {…} On retrouve la colonnade à arceaux au niveau du premier et du second étage. Enfin, si vous continuez à lever le regard, vous apercevez le ciel, strictement carré, comme le reste, solidement encadré d’une frise de bois ornée de dessins géométriques aux teintes passées d’ocre et d’or. »40
الماء في المزنل التقليدي
L’eau dans le riad Maada – – معدةlieu de distribution d’eau
Planche XXII - Différents points d’eau de la maison Dans cet exemple, il y en deux pour les fontaines, une pour la cuisine, et une pour la salle d’eau 1- Salle d’eau 2- fontaine centrale 3- Fontaine murale 4- Cuisine Salles d’eau Exemple : Dar Sqolli, Rez-de-chaussée
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À ces pièces du rez-de-chaussée s’ajoutent d’autres espaces où se trouvent des points d’arrivée ou d’évacuation d’eau, qui étaient appelées maada, généralement liées à des puits d’eau. « {…} Avec des maisons immenses ouvertes sur le ciel, des maisons belles, fraîches l’été, froides l’hiver, avec des citronniers dans les cours, des portes en bois sculpté, lourdes et hautes, des cours carrées, des cuisines non aérées, des salles d’eau obscures. »41 C’est en parlant à des personnes ayant vécu dans un riad à cette époque-là qu’il a été possible d’avoir plus d’informations sur ces points d’eau. « Dans la maison de mon grand-père il y avait trois points d’eau. Un point d’eau dans la cuisine qui se situait dans l’un des coins de la maison, on le partageait avec les voisins. C’était un tuyau, qui puisait l’eau dans un puits, qui était divisé en deux, un pour nous, un pour eux. Cette eau-là était potable, c’est donc celle que l’on utilisait pour boire, pour faire la vaisselle et laver les aliments. C’est aussi là que l’on jetait nos déchets, dans le point d’évacuation. Tous les déchets étaient évacués dans la rivière qui passait sous la médina. À l’époque on n’avait pas de déchets polluants, juste les pelures de fruits et légumes, ce n’est pas comme aujourd’hui avec tous les déchets plastiques. Un deuxième point d’eau se trouvait dans un autre coin de la maison, c’est ce qu’on peut voir comme les sanitaires d’aujourd’hui. Il y avait un point d’eau non potable qui servait à laver les sols, faire la lessive. Il y avait aussi des toilettes turques directement reliées à la rivière où les déchets se déversaient. Le troisième point
41 BEN JELLOUN, Tahar, L’écrivain public, éditions Points, 1983, pp.42-43 113
Planche XXIII - Ces exemples montrent l’emplacement de différentes cuisines sur le plan. On remarque qu’elles sont toutes positionnées dans le coin de la cour. Cuisines Exemple N°1 : Dar Bennis, Rez-de-chaussée
Exemple N°2 : Dar Bou Noua, Rez-de-chaussée
d’eau est celui de la fontaine accolée à la cuisine. »42 Il y avait donc généralement au moins trois points d’eau dans une maison. Une maada pour la fontaine, seqqaiyia, une pour la pièce d’eau, qui était divisée en deux espaces, et la troisième se trouvait dans la cuisine(pl.XXII). Les cuisines (pl.XXIII). Elles sont le plus souvent placées dans les coins. Elles pouvaient prendre différentes formes. Parfois très grandes, d’autres fois de la taille d’un cagibi, elles étaient différentes de celles d’aujourd’hui. Les plus grands riads en ont plus d’une. Elles ne contenaient ni réfrigérateur, ni électroménager, ni même de plan de travail, et leur confort est tout au plus basique, mais les femmes s’en contentaient. Il s’y trouvait le plus souvent un point d’eau ou encore un four en terre cuite. Certaines bénéficiaient d’une petite fenêtre donnant sur la rue permettant la ventilation, d’autres n’en n’avait pas. Les plats les moins odorants étaient cuisinés là, et ceux qui émettaient le plus d’odeurs, comme les fritures, étaient relégués à la terrasse, et ce pour faute de manque de ventilation dans la cuisine, et pour ainsi éviter des risques d’étouffement. Elles pouvaient être situées au sous-sol. Auquel cas elles étaient très grandes, mais toujours sombres et peu ventilées. « La première maison de Simo, celle que construisit le grand-père, a une cuisine qui se trouve au sous-sol. C’est une vaste pièce sombre et lugubre qui dispose d’une fontaine dont l’eau vient d’un puits. {…} Un jour que la mère de Simo est en train de préparer à manger, dans cette vaste et lugubre cuisine {…} »43 D’autres étaient grandes, et pouvaient aussi servir de réserve pour le bois à brûler, mais également de lieu pour faire la lessive. Amina Mtiri Saoudi la cite dans son récit à deux reprises: «Pendant que la viande séchait sur la terrasse, nous avions fait une provision de bois à brûler, des bûches bien sèches et bien
42 BERRADA, Aziz, témoignage recueilli dans la médina de Fès, le 22 décembre 2018 43 DIOURI, op. cit., p.67 114
Jefnates – – جفناتgrands plats en bois Canoun – – كانونbraséro en terre cuite qui servait pour cuisiner
rangées dans un coin de notre grande cuisine. »44 ou encore «Deux grands lavoirs rectangulaires en bois, des jefnates avaient été dressés par Zitounia, une auxiliaire aux travaux ménagers, au milieu de l’immense cuisine du rez-de-chaussée à proximité de la fontaine à pompe manuelle qui tirait l’eau du puits. À quelques mètres des bacs en bois, une eau savonneuse frémissait dans un gros chaudron placé sur un canoun au feu bien nourri, prête à recevoir le gros linge de maison. » 45 Il y en avait aussi des toutes petites, et dont la fonction première n’était peut-être pas d’être une cuisine. « {…} demande ma sœur Zhor qui surgit du petit cagibi qui nous sert de cuisine, les moignons en l’air, recouverts comme d’un gant déchiqueté de la pâte à pain qu’elle est en train de pétrir. {…} » 46 Les femmes passaient une grande partie de leur journée dans la cuisine. « Les femmes passaient beaucoup de temps dans les cuisines certes, mais du temps à Fès, il y en avait à ne plus savoir quoi en faire. » 47 Même si ce n’était pas des pièces très pratiques. Tahar Ben Jelloun en témoigne dans plusieurs de ses ouvrages. Dans Harrouda, il écrit : « Je consacrais les matinées à la cuisine. Je restais des heures le dos courbé. Nous n’avions pas toutes les facilités de maintenant. Ah combien nous avons souffert dans les cuisines ! C’était un lieu toujours mal conçu. Aucune commodité. Aucune logique. »48 Mais aussi dans L’écrivain public : « Au fond je n’aimais pas la cuisine où il n’y avait aucun confort, {…} Rien n’était pratique dans cette cuisine. Ma mère était tout le temps penchée ou accroupie. »49 Mais elles pouvaient aussi être source de divertissements pour les plus jeunes. « Les jeunes femmes de la famille, comme cousine Chama et ses sœurs, aiment laver le carrelage de la cour
44 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.48 45 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.132 46 LAÂBI, op. cit., p.16 47 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.64 48 BEN JELLOUN, Tahar, Harrouda, éditions Denoël, Paris, 1973, p.78 49 BEN JELLOUN, Tahar, L’écrivain public, éditions Points, 1983, pp.15-16 115
Aïd El Kebir – – عيد الكبريFête religieuse où les musulmans sacrifient un mouton
en jouant à la piscine c’est-à-dire en lançant négligemment des seaux d’eau sur le sol et en arrosant accidentellement la personne la plus proche. Ce qui encourage les plus jeunes - mon cousin Samir et moi, pour être précise - à filer à la cuisine et à en revenir dûment armés d’un bon tuyau d’arrosage. » 50 Certaines maisons avaient plus d’une cuisine, et chaque cuisine avait une fonction. « Nous avons déménagé dans notre deuxième maison quand j’avais dix-sept ans, en 1954. Je me souviens clairement de ce à quoi elle ressemblait. Elle était très grande et très moderne pour l’époque. Nous avions trois cuisines : une cuisine pour « tous les jours » qui était située dans l’entresol et qui été en face de la salle à manger (oui nous avions une salle à manger !). La deuxième cuisine était plus petite, elle se trouvait près de la porte d’entrée, d’ailleurs on y accédait depuis le hall d’entrée, et elle avait une petite fenêtre qui donnait sur la rue, c’est là que l’on cuisinait les plats qui lâchaient le plus d’odeur (on avait de la ventilation naturelle grâce à la petite fenêtre). La troisième cuisine était une cuisine secondaire que l’on utilisait pour les grandes occasions, lorsque nous recevions beaucoup d’invités. Pour un mariage ou un baptême par exemple. Cette cuisine ne servait pas beaucoup. »51 Parler de salle d’eau pose indéniablement la question de l’hygiène. Comme expliqué précédemment, il est très difficile de recueillir des informations à ce propos, c’est presque à croire que ce n’est pas un sujet assez important. Il a toutefois été possible de trouver des renseignements à ce sujet. Il existe donc dans les riads, généralement dans l’un des coins de la cour, une pièce d’eau, divisée en deux espaces : l’un où il y avait des toilettes turques et où les habitants effectuaient leurs ablutions purificatrices, et l’autre qui se rapproche plus de la fonction d’une buanderie comme on la connaît aujourd’hui. C’est là qu’ils fêtaient l’Aïd El Kebir, la fête du mouton. C’est aussi dans cette pièce d’eau qu’il était possible pour les plus pudiques, mais également pour les femmes voilées, de se rafraîchir en
50 MERNISSI, op. cit., p.13 51 KSIKES, Hassania, témoignage par téléphone, recueilli le 27 mars 2019 116
toute intimité, et ce, en attendant d’aller au hammam. Il existait toutefois de rare exceptions où certaines maisons, plus récentes, avaient été dotées d’un système de canalisations qui fait que chaque étage avait un point d’eau, et donc des douches. « Ah oui ! Chaque étage avait une au moins une salle de bain, avec douche et toilette. Il y en avait donc une au rezde-chaussée, dans ma chambre que je partageait avec ma sœur Zineb et ma mère qui dormait parfois avec nous, une pour chaque pièce au premier : une pour chacun des deux salons et une pour la chambre à coucher des enfants et des invités. Tu sais, c’était une très grande maison, au moins 400m2 ! On avait la chance d’avoir ce confort qui était rare à l’époque ! Bien sûr, on allait quand même au hammam de temps à autres, mais pas aussi souvent que dans les maisons qui n’avaient pas de douches, c’était plus un plaisir que l’on s’offrait de temps à autre. »52 Il est donc à présent opportun de préciser que le système de canalisation de la médina de Fès s’est développé très tôt dans l’histoire. En effet, depuis la dynastie des Almoravides, au XIème siècle, les habitants jouissaient d’un système de canalisation très ingénieux, alimenté par l’oued Fès. Ce système n’était présent qu’au rez-de-chaussée des habitations, très rarement ailleurs, pour apporter l’eau dans les pièces qui en ont le plus besoin : les cuisines, les salles d’eau et les fontaines. Les salles d’eau n’avaient ni bain, ni douche, s’y trouvaient, à la limite, un grand seau à remplir d’eau en cas de besoin, mais c’est tout. Alors, comment faisaient-ils pour se nettoyer ?
52 KSIKES, Hassania, témoignage par téléphone, recueilli le 27 mars 2019 117
الحمام
Le hammam Teyyabates – – طياباتfemmes qui travaillent dans le hammam Planche XXIV - « Le Bain maure » Peinture orientaliste de Jean-Léon Gérôme, vers 1880 Sur cette image, on a une idée de comment se déroulée une visite au hammam. On voit ici une ‘teyyaba’ en train de travailler.
Le hammam, aussi appelé bain maure, représente le lieu où les gens prenaient leurs bains dans les régions orientales, et dans ce cas-ci, c’est là que les habitants des riads de la médina de Fès allaient. Généralement, ils s’y rendaient une fois par semaine. « Une seule fois dans la semaine elles peuvent aller au bain maure ; encore faut-il que ce soit après la tombée du soir, en famille, et surveillées de près par une gardienne farouche. »53 Certaines femmes voyaient ce moment comme étant celui qui leur permettaient d’entretenir leur beauté. En effet, au travers des différents récits lus, il est facile de s’apercevoir de la place que prend le hammam au sein d’un foyer. « Le hammam a toujours fait partie intégrante des traditions ancestrales des Marocains. On y va au moins une fois par semaine et on y passe par tout un rituel. »54 Ce moment était presque érigé au niveau de rituel dont l’objectif était de purifier la personne et ce par différents procédés, en passant par différentes étapes, qui commençaient dans la cour du riad, pour se terminer dans le hammam. « Notre rituel de hammam comprenait trois phases. La première avait lieu dans la cour centrale, où l’on s’enlaidissait à plaisir en se tartinant les cheveux et le visage. La seconde phase se situait au hammam proprement dit, non loin de la maison. »55 Les hammams ne sont pas des lieux mixtes, même si la présence de garçons en bas âges était toutefois tolérée. « Les hammams de la médina n’étant jamais mixtes, certains
53 LAVAUD, op. cit., p.103 54 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.48 55 MERNISSI, op. cit., p.278 118
Guellassa – – چالسةfemme qui s’occupe du hammam
admettaient néanmoins la présence de petits garçons qui accompagnaient leur maman au bain. Malgré l’âge manifestement avancé de certains gamins, sur parole de la mère, la guellassa voulait bien, moyennant une petite gratification, fermer les yeux et laisser entrer des petits gaillards, heureux de pénétrer dans le monde intime et exaltant des femmes. »56 Les hommes et les femmes ne s’y rendaient qu’une seule fois par semaine, le plus souvent à tour de rôle pour les membres d’un même riad. Pour les plus pieux, ils choisissaient d’y aller le jeudi, veille du jour saint, pour être le plus pur et le plus propre possible pour vendredi. « Je ne sais pas pourquoi dans ma famille les femmes s’y rendaient toujours le jeudi après-midi, suivies par les hommes, le soir. Je pense que notre organisation hebdomadaire imposait ce choix de façon à être frais et dispos pour la journée du vendredi. » 57 D’autres ne tenaient pas compte de cet aspect-là, en réalité tout dépendait du degré de piété du foyer en question, de l’organisation et des volontés de chacun. « Enfin, après les longues séances de récurage et de lavage, après l’effort, la chaleur et une transpiration bienfaisante, ces passages au hammam procuraient une relaxation et un bien-être délicieux avec l’impression de faire peau neuve pour attaquer un vendredi, propres avec des habits frais et parfumés et la perspective d’une journée en famille dans la joie et l’amour des siens. »58 Dans certains riads, les femmes voyaient ce moment comme étant celui où elles allaient pouvoir faire peau neuve, et devenir plus belles. « Il était apparemment essentiel de s’enlaidir le plus possible quand on se préparait pour le hammam, sous le prétexte que plus une femme est laide avant d’entrer dans le bain, plus elle a de chances d’être belle en sortant. »59
56 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.54 57 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.48 58 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.55 59 MERNISSI, op. cit., p.278
Elles commençaient donc leurs rituels la veille du départ, dans la cour de leurs riads, avec l’application de toute sorte de
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masques sur leurs visages et leurs cheveux. « Je suis descendue dans la cour où commençaient les traitements de beauté, et Samir est resté à bouder sur la terrasse du bas. La cour bourdonnait d’activité, dont l’essentiel se tenait autour de la fontaine, d’accès facile pour se laver les mains et rincer les pots et les brosses. Les ingrédients de base, tels que le henné, les œufs, le miel, le lait, l’argile et toutes sortes d’huiles, étaient disposés dans de grandes jarres de verre autour de la fontaine. »60 Masques dont elles seules possédaient la recette secrète : elles étaient persuadées qu’en partageant les ingrédients, le masque perdrai toute ses propriétés magiques, et n’aurai plus aucun effet. « Comme beaucoup d’autres femmes, elles croyaient que si leurs traitements de beauté venaient à être connus, ils perdraient de leur efficacité. »61 Elles se rendaient ensuite avec leurs enfants au hammam, qui se situait généralement géographiquement très proche du riad où elles habitaient, il y avait donc trois phases à suivre dans le rituel du hammam. « Notre rituel de hammam comprenait trois phases. La première avait lieu dans la cour centrale, où l’on s’enlaidissait à plaisir en se tartinant les cheveux et le visage. La seconde phase se situait au hammam proprement dit, non loin de la maison. C’est là qu’on se déshabillait pour entrer dans une suite de pièces pleines de vapeur chaude, douces comme des cocons. {…} Pour la dernière phase, à la sortie des brouillards du hammam, on pénétrait dans une cour où on pouvait se reposer quelques instants, juste vêtue d’une serviette avant de remettre des vêtements propres. La cour du hammam voisin de notre maison était équipée d’accueillants sofas, disposés d’un mur à l’autre sur de hautes tables de bois, de façon à éviter le sol mouillé. »62 Dans le hammam, les différents récits décrivent tous les mêmes types d’espaces. C’est un lieu généralement divisé en trois pièces dont les fonctions diffèrent. « Au hammam Sibbous, nous accédions par deux énormes 60 MERNISSI, op. cit., p.276 61 MERNISSI, op. cit., p.281 62 MERNISSI, op. cit., pp.278-279 120
Guelsa – – چلسةvestiaire du hammam Souak – – سواكbrosse à dent naturelle en bois d’Araq. Elle est très utilisée dans les pays arabes.
entrées puis deux imposantes galeries qui donnaient directement sur la guelsa, un grand espace compartimenté en trois antichambres où s’affairaient en permanence des teyyabates. {…} Dans la première antichambre, trônait une guellassa, une dame nonchalante qui somnolait en permanence mâchouillant continuellement un morceau de souak de l’écorce de noyer pour se blanchir les dents. Elle percevait les droits d’entrée, récupérait nos effets et était censée, quand il lui arrivait d’émerger de son sommeil, de les garder, placés dans des cases numérotées. {…} Le deuxième espace contenait des piles de seilles à la disposition des clientes et la troisième antichambre, parcourue de bancs en bois servait de salle de repos où souvent les femmes drapées dans de grandes serviettes, interrompant leur bain comme une espèce d’entracte, venaient faire une petite pause. Cette salle était en même temps propice aux rencontres entre femmes qui se connaissaient et avaient peu l’occasion de se voir. Elles pouvaient échanger des nouvelles et bavarder tout leur soûl en prenant une petite collation ou en mangeant des oranges qu’elles avaient gardées dans des seaux d’eau bien fraîche. Le hammam proprement dit, était lui aussi compartimenté en trois espaces, du moins au plus chaud, les deux premiers étant pourvus d’alcôves privées et le dernier tel un sauna, comprenait le bassin d’eau chaude. {…}Enfin, dans l’espace du fond, le plus chaud, parmi les femmes les plus audacieuses, certaines s’étiraient lascivement, la poitrine ou les reins écrasés contre le sol brûlant, s’abandonnant aux doigts experts des teyyabates qui pétrissaient, massaient ou savonnaient les chairs avec une désinvolture manifeste. Nos séances de hammam duraient des heures. »63 Le jour du hammam était un moment apprécié par tous, et particulièrement par les femmes qui, en plus de leur permettre de se nettoyer et de se faire belles, leur permettait aussi de sortir et de voir le monde extérieur une fois de temps en temps. Les hammams étaient souvent très beaux, bien ornementés, et décrits comme des havres de paix, avec une ambiance apaisante, due à la vapeur et aux bonnes odeurs de fleurs
63 MTIRI SAOUDI, op. cit., pp.52-55 121
et de parfums présentent en permanence dans les hammams. « Le hammam où nous nous rendions pour nous baigner et rincer nos préparations était tout de marbre blanc, avec de nombreux miroirs et un plafond à verrière pour retenir la lumière. Cette lumière ivoirine, la brume des bains, les femmes et les enfants nus qui couraient en tous sens en faisaient une sorte d’île exotique et vaporeuse qui aurait, on ne sait comment, dérivé en plein centre de la stricte et disciplinée Médina de Fès. »64 Le hammam était aussi l’occasion pour les femmes de s’observer et d’observer les jeunes filles, première étape dans la recherche d’une épouse à leur fils. « Mais aussi combien de destins de filles ont été scellés lorsqu’une mère à la recherche d’une bru jetait son dévolu sur une jeune fille qu’elle avait pu admirer dans toute sa nudité. C’était ainsi que les garçons se mariaient, se fiant au choix de leurs mères. N’ayant presque jamais l’occasion de connaître une fille, hormis celles de leurs familles, et encore moins l’opportunité de l’aborder, ils devaient inévitablement passer par la filière classique, celle d’une demande en mariage traditionnelle C’est effectivement ce qui arriva à une de mes cousines. Sa belle-mère l’avait repérée au hammam et les noces ont suivi quelque temps plus tard. »65 Même si les hommes apprécient aussi ce moment, ils ne passent pas par autant d’étapes et sont beaucoup moins organisés que les femmes, et contrairement à elles, ils ne passent pas de temps à s’occuper de leurs peaux pour qu’elles soient plus belles. « Quant aux séances d’hommes, selon mon frère, c’était carrément des parties d’arts martiaux. Un colosse en caleçon et aux bras musclés, adoptant intentionnellement un air revêche comme préliminaire aux sévices qu’il prévoyait vous faire subir, usait en général de ses mains, de ses pieds et au besoin de ses genoux. D’une rudesse délibérée mais aussi avec une maestria étonnante, il vous craque les os, tortille les membres, tyrannise la colonne vertébrale, démembre la tête, esquinte les reins mais quand il vous lâche, vous vous trouvez dans un état proche de la béatitude, dans un confort corporel jouissif. »66 64 MERNISSI, op. cit., p.291 65 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.56 66 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.55 122
Le rituel du hammam était donc un moment très important de la vie des habitants de la médina. C’était le moment de se purifier et de se nettoyer, mais aussi le moment de rencontrer d’autres personnes. C’était un lieu de rendez-vous social où les femmes pouvaient discuter tout en s’occupant de leurs enfants et d’elles-mêmes. Aujourd’hui les hammams existent encore mais plus comme une tradition, un rituel que l’on accomplit beaucoup plus rarement qu’à l’époque où il n’y avait pas de salle de bain dans toutes les maisons.
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الطابق األريض
Le rez-de-chaussée Khlii – – خليعviande séchée, spécialité culinaire marocaine Planche XXV - Cet exemple montre deux bertals dans un riad. On remarque que ces pièces sont sur les côtés latéraux de la cour. Bertal Exemple : Dar Moulay Idriss, Rez-de-chaussée
Pour en revenir au riad, et, avant de finir la description d’un rez-de-chaussée typique de la maison traditionnelle, il est intéressant de parler des autres pièces qui se trouvent à ce niveau-ci, ainsi que de l’entresol, qui sont plus secondaires. Avant d’arriver au premier étage, en empruntant l’un des, souvent nombreux, escaliers de la maison, il est très commun de retrouver une pièce située dans l’entresol (pl.XXVI). Entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Elle pouvait prendre différents noms qui signifiaient tous la même chose : bit el âoula, chklabia ou bnika. Il est possible d’aménager un tel espace grâce à la hauteur importante des salons principaux du rezde-chaussée. Celle-ci tournent en général autour de minimum quatre mètres de haut. « Dans la plupart des maisons de Fès, il y avait des pièces dans les entresols que l’on appelait bit el âoula ou cheklabia, des sortes de greniers s’intégraient naturellement dans l’espace architectural de la maison étant donné la hauteur impressionnante des pièces du rez-de-chaussée. »67 Cette pièce généralement très fraiche, grâce aux épaisseurs des murs, elle donne sur la cour, et il peut y en avoir deux, trois ou quatre, en fonction de la taille du riad. Elle sert de réserve, de garde-manger. Les habitants y entreposaient toutes sortes d’aliments impérissables, pouvant résister au temps, et ce en quantités importantes, pour pouvoir subvenir aux besoins de toute la maison, mais aussi pour tenir sur une longue période, pour être prêt en cas de pénurie. Il y avait là des aliments tels que des jarres de khlii, toute sorte de denrées alimentaires
67 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.64-65 124
Planche XXVI - Cet exemple montre l’entresol d’un riad. Dans ce cas-ci, il y en quatre. Chklabia Exemple : Dar Moulay Idriss, entresol
telles que des dattes, des amandes, des raisins secs, mais aussi des épices, de l’ail, et autres éléments pouvant résister hors d’un réfrigérateur. « De grandes jarres en terre cuite étaient entreposées tout au long des murs, remplies à ras bord de toutes sortes de denrées impérissables dattes, raisins secs, amandes, noix, khlii, huile d’olive, beurre clarifié, miel, féculents, pâtes, olives noires, etc. tout ce qui était indispensable et impératif à avoir sous la main pour passer un hiver confortable. De quoi tenir un siège ! »68 Mohamed Diouri en parle aussi dans son livre: « Simo se rappelle aussi la salle aux provisions dans laquelle ses parents stockent, pour l’année, blé, miel, huile, viande en conserve, lentilles, pois chiches, fèves sèches, dattes, figues sèches, raisins secs, et toutes sortes d’aliments. Chaque jour, en partant à l’école, au collège puis au lycée, Simo passe par cette salle aux provisions, dont la porte est toujours ouverte, se remplit les poches de dattes, de raisins secs et de figues sèches pour son goûter et celui de ses nombreux copains. » 69 En dessous de l’entresol, au rez-de-chaussée se trouve une pièce secondaire qui est moins raffinée que les autres, c’est une pièce dont la hauteur sous plafond est moins importante que dans les grands salons. Elle se nomme bertal (pl.XXV), et c’est grâce à cette pièce-ci qu’il est possible de mettre en place la réserve. C’est une pièce qui se trouve uniquement au rezde-chaussée. Au rez-de-chaussée se trouve donc au minimum deux grands salons symétriquement identiques, qui sont tous très bien décorés, avec des ornements et draperies très raffinées, et dont la hauteur sous plafond est assez importante. On y trouve aussi, souvent, une ou deux pièces supplémentaires, le bertal qui peut servir de chambre ou de séjour secondaire, mais dont l’intérieur est moins ornementé que les autres salons, et qui permet l’installation de la réserve dans l’entresol.
68 MTIRI SAOUDI, idem 69 DIOURI, op. cit., p.27 125
Cette pièce doit donc être accolée à l’un des escaliers de la maison, et ce pour pouvoir atteindre facilement la réserve. « Cette chambre est plus petite que les deux autres salons, sa hauteur est plus basse que les autres. C’est la chambre de mon oncle, et c’est généralement là que je dormais lorsque je séjournais dans la maison de mon grand-père. Elle était sobrement meublée, seul un lit y été installé, et il n’y avait pas beaucoup d’ornements, en tout cas beaucoup moins que dans tout le reste du rez-dechaussée… »70 Il n’y a généralement qu’un seul escalier qui permet d’y accéder, et ce même si il y en a plusieurs.
70 BERRADA, Aziz, témoignage recueilli dans la médina de Fès, le 22 décembre 2018 126
الدرج
Les escaliers Planche XXVII - Vue d’un escalier dans un riad.
Les escaliers se situent en général dans les coins de la cour, ou très proches de ses coins (pl.XXVIII). Dans un riad, il est très courant de trouver plusieurs escaliers dans toute la maison. Dans les grands riads, il est aussi possible d’en trouver quatre, dans les quatre coins de la cour. « Mais juste à cet instant, les gens commencent à envahir la cour, arrivant de partout, des portes et des escaliers. J’ai failli oublier les escaliers ! Logés aux quatre coins de la cour, ils sont importants car même les adultes peuvent s’y adonner à une sorte de gigantesque partie de cache-cache, montant et descendant en courant les marches de faïence verte. »71 Souvent, un escalier secondaire, qui mène directement à la terrasse, est accessible depuis le couloir de la porte d’entrée, le principal étant accessible par la cour. « Mais cette chambre présente une particularité importante, on peut y accéder par l’escalier principal de la maison et par un escalier de secours qui démarre à partir de la porte d’entrée de la maison. » 72 Il est parfois possible d’accéder à la cour et à la maison même depuis un escalier qui commence à la porte du riad. « Une ‘égyptienne’. On désignait ainsi ces petites maisons qui flanquaient les vastes demeures des gens aisés. Elles avaient une entrée indépendante et on y accédait par un escalier. » 73 En arrivant au premier étage, deux cas de figure se proposent : soit, le plus souvent ce qui se produit dans les grands riads, il y a une grande galerie bordée par le derbouz, qui permet de desservir les différentes pièces de l’étage, soit, dans les riads
71 MERNISSI, op. cit., p.11 72 DIOURI, op. cit., p.27 73 LAÂBI, op. cit., p.14 127
Planche XXVIII - Ces exemples montrent les escaliers dans deux riads différents. Escaliers Exemple n°1 : Dar Zerouali, Rez-de-chaussée
Exemple n°2 : Dar Bou Noua, Rez-de-chaussée
74 BERRADA, Aziz, témoignage recueilli dans la médina de Fès, le 22 décembre 2018 128
plus petits, il y a simplement un hall qui permet d’accéder aux pièces. Dans le premier cas, cela signifie qu’il est possible de tourner autour de cette galerie, ou bien certaines pièces sont au bord de la cour et bloquent l’accès. Ces pièces possèdent des fenêtres qui permettent de voir dans la cour sans être vu, ce qui permettait aux habitants de voir les invités sans qu’eux ne les voient par exemple, mais ces fenêtres permettent aussi d’aérer et d’apporter la lumière dans les différents lieux. Dans le deuxième cas, les pièces possèdent toutes des fenêtres qui ont le même rôle que dans le premier cas. On retrouve des fenêtres dans les deux situations, qu’il y ait une galerie ou pas. Parfois ces derbouz avaient une hauteur assez importante qui permettent de sortir dans un espace plus aéré que les pièces, sans pour autant avoir à descendre dans la cour, ceci s’avère pratique dans le cas où il y a des invités sont présents et que les femmes ou les enfants ne peuvent pas descendre en bas, soit par pudeur, soit par interdiction. « On les appelait aussi des derbouz, c’est des petits balcons qui donnent sur la cour, ils sont collés aux quatre piliers de la cour, et c’est souvent là que les femmes prenaient le thé, à l’abri des regards. »74
الطوابق
Les étages Les étages supérieurs possèdent plusieurs pièces qui peuvent avoir des fonctions différentes (pl.XXIX). Les fonctions les plus courantes sont celles de salons, chambres à coucher, soit pour les enfants, soit pour d’éventuels invités. « Oui au premier étage, il y avait beaucoup de pièces. Il y avait les chambres à coucher de mes frères et sœurs, chacune avec une salle de bain, deux salons supplémentaires de taille moyenne, qui servait de chambre aux invités. Chacune de ces pièces avait aussi des fenêtres avec du fer forgé en motif floral qui donnait sur la cour. » 75 Soit pour les jeunes couples, « Mon frère aîné emménagea à l’étage lorsqu’il se maria. Il disposait d’une sorte d’appartement où il habitait avec sa femme. »76 Il est possible que les femmes divorcées ou les vieilles filles vivent là. « Là, les cousines et les tantes divorcées occupaient avec leurs enfants un labyrinthe de petites pièces. Leur nombre variait selon les conflits. »77
75 KSIKES, Hassania, témoignage par téléphone, recueilli le 27 mars 2019 76 KSIKES, Hassania, témoignage par téléphone, recueilli le 27 mars 2019 77 MERNISSI, op. cit., p.25 78 MERNISSI, op. cit., p.24
Ce sont donc des pièces plus secondaires que celles du rezde-chaussée. Ces pièces sont généralement très sobres, peu décorées. « Les pièces du premier étage étaient très simples, avec un sol carrelé de blanc, des murs blanchis à la chaux et un mobilier rudimentaire. Des sofas très étroits, tendus de coton rustique multicolore, étaient disposés çà et là, sur des tapis de raphia aisément lavables. »78
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Planche XXIX - Ces exemples montrent l’organisation d’un étage dans un riad Salons et chambres Escaliers et communs Vide sur cour Galeries Exemple n°1 : Dar Zerouali, étage
Exemple n°2 : Dar Bou Noua, étage
Elles ont, la plupart du temps, des fenêtres qui donnent sur la cour, avec des vitraux de couleur et des grilles en fer forgé, qui elles sont décorées de motifs floraux très équilibrés et beaux. Ce sont des pièces très agréable car elles reçoivent beaucoup de lumière, et sont aussi assez fraîches en été. « Oui, les salons de l’étage étaient clairement mes préférés de la maison ! Il y faisait toujours bon, même pendant les périodes de canicule, et bénéficiaient de beaucoup de lumière puisqu’ils se trouvaient au premier étage d’un riad de deux niveaux. La terrasse se trouvait juste au-dessus, et donc l’ouverture sur la cour était très proche. »79 Certains foyers s’organisent autrement, et changent de pièces et de lieux de vie en fonctions des saisons. Ils habitent au rezde-chaussée en été, et montent aux étages en hiver. Dans ces cas-ci, les pièces des étages ne sont pas nécessairement secondaires, puisqu’elles servent aussi de pièces de vie, mais en alternance. « La vie dans la nouvelle maison de Simo est orchestrée selon les saisons : au printemps et pendant l’été, la famille descend vivre au rez-de-chaussée parce qu’il y fait frais ; en revanche, pendant l’automne et l’hiver, la famille émigre aux étages parce qu’il y fait bon. »80 Dans certains riads, il y avait des pièces qui étaient occupées par d’autres fonctions que celles de chambre ou salon. Certaines de ces fonctions pouvaient parfois être surprenantes, originales et très différentes de la logique de conception des maisons d’aujourd’hui. « À l’étage, il y avait une salle où oncle Madani faisait l’élevage de quelques lapins pour la consommation personnelle de la famille. Une chose parmi d’autres pour occuper le temps. »81 D’autres avaient des cavernes pleines de toutes sortes de merveilles issues de tous les coins du Maroc, et même du monde. « Cet oncle avait aménagé une salle à l’étage que nous appelions la caverne d’Ali Baba qui était interdite d’accès aux enfants. La salle recelait des trésors qu’il chinait çà et là chez
79 BERRADA, Aziz, témoignage recueilli dans la médina de Fès, le 22 décembre 2018 80 DIOURI, op. cit., p.26 81 MERNISSI, op. cit. p.24 130
Manichister – – مانشسرتManchester «arabifié»
ses amis antiquaires ou brocanteurs et il était prêt à aller jusqu’à Tanger ou Marrakech pour assister à une vente aux enchères et acquérir la pièce rare qui manquait à sa collection. Il avait des meubles d’époque en bois précieux, des tables orientales marquetées de nacre, des tapis persans, des bibelots et des objets de vitrine estampillés, un jeu d’échecs entièrement en ivoire de très haute facture et un lustre en cristal de roche qui à lui seul accaparait toute la lumière du jour. Et bien que la salle ainsi encombrée ressemblât à un capharnaüm, il accordait aux adultes le privilège de les y inviter à prendre le thé les vendredis aprèsmidi. Cette salle que je ne pouvais admirer qu’à travers le grillage des fenêtres me faisait rêver. Ma curiosité fut assouvie lorsqu’un jour, à ma grande surprise, mon oncle décida de me dispenser un cours d’initiation, histoire de se réhabiliter probablement, à travers cette approche. J’appris alors pourquoi les Marocains affectionnaient les samovars de Russie et préféraient la porcelaine de Chine et aussi la valeur qu’ils portaient à l’argenterie anglaise qui nous venait de « Manichister » comme disaient les Fassis, c’est- à-dire Manchester avec qui le Maroc commerçait à l’époque. Il m’apprit sommairement ce qu’était un cristal Saint-Louis ou un Baccara, une porcelaine de Sèvres, de Limoges ou de Meissen et l’argenterie Richard Wright très prisée dans tout le Maroc et appelée communément ‘Rait’ pour désigner une argenterie de bonne qualité.» 82 Chambres et salons secondaires, cavernes, et autres, se trouvaient relégués aux étages. Les riads possèdent en général entre deux et quatre étages, dont la terrasse, qui représente l’un des éléments les plus importants d’un riad. C’est l’endroit où les femmes se sentaient le plus libres, puisque c’est là qu’elles étaient le plus en contact avec l’extérieur, mais aussi avec leurs voisines avec qui elles pouvaient échanger les ragots du voisinage.
82 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.46 131
Planche XXX - Vue de la terrasse d’un riad sur la mosquée Al Qaraouine. Les murs ne sont pas très hauts, ce qui permet de voir vers l’extérieur. On peut également voir sur cette photo l’ouverture sur la cour, halqa
Planche XXXI - Vue de la terrasse d’un riad sur la mosquée Al Qaraouiyine Dans ce cas-ci, les murs de la terrasse sont hauts, il y a donc des ouvertures percées pour pouvoir voir à l’extérieur
السطح
La terrasse Blad tedj – – بلد الثلجpays de la neige, en référence aux pays européens
« Je pensais alors, et je le crois encore, que le bonheur, ne se conçoit pas sans terrasse. »83 Les terrasses (pl.XXXII) sont l’un des éléments les plus importants des riads. Elles disposaient de plusieurs fonctions. Des fonctions ménagères, culinaires, mais aussi sociales et de divertissement. Il arrivait parfois d’y trouver des pièces qui pouvaient servir de réserve, de débarra, salon ou chambre, mais aussi d’élevage d’oiseaux. C’était des lieux très soignés, calmes, avec une ambiance très agréable. « {…} Et par terrasse j’entends quelque chose qui n’a rien à voir avec les toits des maisons européennes que nous décrivait cousin Zin après avoir visité le royaume des Anglais, un des pays les plus bizarres de Blad Tedj, le pays de la neige où Allah a entassé les pauvres chrétiens qui passent leur vie à grelotter de froid. Il nous raconta que les maisons là-bas n’avaient pas de terrasses plates comme les nôtres, joliment blanchies, ou parfois somptueusement pavées, avec des sofas, des plantes et des arbustes fleuris. »84
83 MERNISSI, op. cit., p.183 84 MERNISSI, op. cit., idem 134
Amina Mtiri Saoudi y consacre tout un chapitre dans son livre : « De par l’architecture même des maisons de la médina de Fès, leurs terrasses étaient presque toutes contiguës et il était habituel que les femmes s’y retrouvent souvent l’après-midi et y passent un bon moment. Ces terrasses étaient des ouvertures vers l’extérieur et on trouvait toujours une occasion dans la journée pour échapper au confinement des intérieurs et aller prendre un bol d’air tout en haut de la maison. Notre terrasse était haute et très vaste et peu de gens pouvaient prétendre avoir la vue
Zallagh – – جبل زالغPetite montagne à proximité de Fès
imprenable que nous avions sur les autres terrasses et au-delà, jusqu’au Zallagh ainsi que sur la mosquée Al Qaraouiyine avec ses toitures en tuiles vertes qui était un repère par rapport auquel on pouvait deviner les artères et les autres quartiers. »85 C’est un endroit qui était particulièrement apprécié par les femmes. Les hommes y étaient rarement présents, étant donné qu’ils étaient plus libres d’aller et venir dans la médina, et aussi qu’ils n’effectuaient pas de tâches ménagères, un devoir qui était réservé aux femmes. Ils ne ressentaient donc pas le besoin de prendre l’air sur la terrasse autant que les femmes. « Officiellement, la terrasse était le territoire des femmes. Les hommes n’étaient pas autorisés à y monter. »86 La terrasse représentait donc le lieu où elles se sentaient le plus libre. Libre de faire ce qu’elles voulaient. Se divertir avec des représentations qu’elles organisaient entres elles, où les conteuses les plus douées de la maison retrouvaient un public impatient, faisait partie de leurs occupations sur la terrasse. « Les spectacles abondaient surtout dans les lieux discrets, un peu à l’écart, au dernier étage ou sur les terrasses. »87 Dans certains riads, les femmes voyaient la terrasse comme lieu de rencontre où elles pouvaient se lier d’amitié avec leurs voisines. « Heureusement que j’avais la possibilité de monter sur la terrasse. D’ailleurs c’était 1e seul moyen que les voisines avaient trouvé pour respirer un peu et discuter entre elles. On se faisait des confidences, on se racontait ses malheurs. On découvrait l’amitié. Il était difficile pour nous de garder un secret. Nous avions besoin de parler, de raconter. Alors on se donnait rendez-vous tous les aprèsmidis à la terrasse. Une complicité nous réunissait. »88 « Les connaissances et les contacts entre voisines se nouaient la plupart du temps à partir des terrasses et les femmes s’y voyaient au gré de leurs activités. {…} Enfin mille et une tâches
85 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.97 86 MERNISSI, op. cit., p.237 87 MERNISSI, op. cit., p.147 88 BEN JELLOUN, Tahar, Harrouda, éditions Denoël, Paris, 1973, p.77 135
Planche XXXII - Ces exemples montrent l’organisation d’une terrasse dans un riad Terrasse accessible Escaliers et communs Vide sur cour Exemple n°1 : Dar Zerouali, terrasse
Exemple n°2 : Dar Bou Noua, terrasse
tellement plus agréables à faire en plein air. Il suffisait que les femmes s’interpellent d’une terrasse à l’autre pour déclencher des discutions interminables et toutes étaient sûres de redescendre, des ragots plein les oreilles. »89 D’autres en profitaient pour créer des jardins où elles pouvaient exprimer leur créativité et faire profiter les autres de la beauté de leurs créations. « Une de mes tantes, Lalla Khéra qui avait un caractère trempé et la dent dure, mais aussi un grand cœur et une sensibilité à fleur de peau, était une écologiste passionnée avant son temps. D’autorité, elle s’était accaparé tout un niveau de la terrasse mais en avait fait un petit coin de paradis. Elle avait la main verte et tout ce qu’elle plantait dans de grands pots en terre donnait des résultats fabuleux. D’abord des plantes aromatiques dont elle faisait profiter toute la maison. {…} Mais le summum était le galant de nuit, un arbuste au parfum intense et envoûtant dont les fleurs s’ouvraient la nuit pour répandre un parfum puissant et capiteux qui envahissait jusqu’au rez-dechaussée de la maison. »90 Il était aussi possible d’y trouver des pièces qui abritaient toutes sortes de fonctions, même les plus insolites. « Sur la terrasse, à trois niveaux, il y avait une énorme volière qui grouillait de pigeons. »91 Ou encore des pièces secondaires qui servaient de réserve ou débarra et qui étaient rarement utilisées. « Elle sortait un vieux moulin à grains manuel d’une mansarde attenant à la terrasse sorte de petit débarras où nous entreposions des objets encombrants ou du matériel que nous n’utilisions que rarement. »92 La terrasse représentait aussi l’air de jeu des plus jeunes. « Ah la terrasse ! Elle était très grande ! C’est là que, avec ma sœur, on a appris à faire du vélo. Oui ! Du vélo ! Notre terrasse faisait près de quatre cents mètres carrés, donc on avait la place… »93
89 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.102 90 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.98 91 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.25 92 MTIRI SAOUDI, op. cit., pp.101-102 93 Hassania, témoignage recueilli le 28 mars 2019 136
Ghassoul – – الغاسولsavon d’argile Guessãa – – ڤصعةgrand plat en terre cuite
« C’était aussi une occasion de jouer à la marelle, de sauter à la corde et de faire tourner, pour les garçons, les toupies en équilibre sur leur pointe. » 94 C’est là que les femmes tiraient le plus avantage du soleil de Fès pour accomplir toute sorte de tâches. Notamment pour étendre le linge. Elles en profitaient aussi pour réaliser des préparations traditionnelles marocaines qui nécessitaient beaucoup de soleil et d’espace. Les femmes étaient toutes responsables de leur partie de la maison, mais elles s’entraidaient beaucoup et partageaient énormément les tâches à effectuer, en particulier celles qui concernaient toutes les familles habitant le riad. Notamment la confection du ghassoul, savon marocain à l’argile noir, très réputé pour ses bienfaits cosmétiques. « Une autre partie de la terrasse servait une fois par an de laboratoire à ma grand-mère et à Amti. L’avant- veille, elles faisaient venir de l’argile volcanique de couleur grise des régions du Moyen Atlas, de préférence d’Azrou et le préparaient pour le lendemain. Le jour dit, elles faisaient une bonne infusion dans une grande marmite où elles jetaient pêle-mêle une grosse dose de thé vert, une dizaine de poignées généreuses de boutons de roses, autant de fleurs d’oranger, de l’écorce de citron et une huile essentielle pour sublimer le parfum du mélange ainsi que d’autres plantes dont elles seules connaissaient le secret. La marmite ainsi fournie devait bouillir très longtemps puis était mise à refroidir. Dans une grande guessãa, une sorte de pétrin sous forme d’un très grand plat creux en poterie vernissée à usages multiples, elles mettaient les mottes d’argile soigneusement nettoyées et concassées par Zitounia. A la vue de ces préparatifs annuels dont il avait l’habitude, mon père avisait systématiquement un peintre de sa connaissance pour un rendez-vous qu’ils fixaient pour la fin de la semaine en vue de travaux rapides à la maison. Le lendemain matin, Zitounia montait tout sur la terrasse. La décoction qui avait eu le temps de macérer toute la nuit était passée au chinois et ensuite ma grandmère la versait à petites doses sur l’argile concassée pendant que Amti pétrissait la pâte qui gonflait à vue d’œil dans la guessãa.
94 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.108 137
Aid el Fitr – – عيد الفطرFête religieuse où les musulmans fêtent la fin de ramadan.
On ne pouvait qu’être impressionné à les voir faire. Quand elles jugeaient que la mixture était prête, elles s’arrêtaient toutes les deux, prenaient de pleines poignées de pâte, invoquaient des saints invisibles et lançaient celles-ci simultanément avec une force impressionnante sur un mur où elles adhéraient instantanément, question d’habitude et d’expérience. »95 Ou encore, c’est là qu’elles séchaient toute sortes d’éléments au soleil : la viande utilisée pour faire le khlii, une spécialité culinaire marocaine à base d’ail et de viande séchée, mais aussi la laine utilisée pour remplir les sofas marocains ou encore des olives. Les terrasses se révélaient particulièrement utiles dans les cas où il fallait profiter de la chaleur et du soleil de Fès. En revanche, l’un des désavantages de certaines terrasses est, même si elles étaient entourées de hauts murs, qu’elles étaient accessibles d’une terrasse à l’autre. Certains riads étaient donc victimes de tentatives de vol, qui, pour la plupart, échouaient, puisque les habitants, ayant connaissance, ou même ayant expérimenté de tels événements, se barricadaient et se servaient des pièces pour surveiller la terrasse au moment opportun. « On raconte aussi que les habitants de cette rue se barricadaient sérieusement la nuit. Leurs terrasses étant faciles d’accès, les voleurs ne manquaient pas de leur rendre visite assez souvent mais repartaient presque toujours bredouilles grâce à la vigilance des maîtres de céans. »96 Les terrasses permettaient aussi de se rapprocher du ciel, et donc, à l’approche du ramadan, ainsi que vers la fin de celui-ci, les terrasses se trouvaient envahies par les habitants des riads essayant d’apercevoir la lune, qui marque le début ou la fin du ramadan. « Cette frénésie collective, on la rencontrait aussi sur les terrasses la veille du Ramadan. Chacun voulait absolument voir le premier l’apparition du croissant de lune qui indiquait le début du jeûne puis un mois plus tard, celui qui en annonçait la fin et donc le premier jour de L’Aid Al Fitr. »97
95 MTIRI SAOUDI, op. cit., pp.100-101 96 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.25 97 MTIRI SAOUDI, op. cit., p.108 138
Planche XXXIII - Vue sur le qarmud de la terrasse d’un riad
Dans certaines circonstances, la terrasse pouvait être à l’origine d’histoires d’amour, cas si rares qu’il est difficile d’y croire, puisque dans le temps, la plupart des mariages étaient arrangés. « Chama, toujours absorbée par des pensées désordonnées et récurrentes n’a jamais fait attention au jeune homme qui depuis longtemps l’avais remarquée à partir d’une terrasse lointaine et ne savait comment attirer son attention ni comment la contacter. Cette fille dont la beauté singulière n’avait rien de local lui plaisait et surtout l’intriguait. {…} Chama fut la première fille de notre connaissance à se marier par amour. »98 Les terrasses étaient percées d’une ouverture carrée bordée de bois sculpté qui donné sur la cour (pl.XXXIII). C’est cette ouverture qui permettait d’apporter la lumière dans la cour ainsi que dans toutes les pièces de la maison. C’est aussi cette ouverture qui favorisait la ventilation naturelle et qui apportait de l’air frais dans le riad. Cette ouverture était le plus souvent protégée par une grille en acier faite de petits carrés espacés d’une quinzaine de centimètres, qui empêchait les accidents, comme les chutes par exemple. « La terrasse était très agréable, de là on pouvait voir le rez-de-chaussée, mais tu sais, cette ouverture était très dangereuse ! Donc ils ont aménagé une grille pour empêcher tout accident, c’était assez efficace ! »99
98 MTIRI SAOUDI, op. cit., pp.113-123 99 BERRADA, Aziz, témoignage recueilli dans la médina de Fès, le 22 décembre 2018 139
تحليل
3. Analyse
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Planche I - Principaux éléments de composition d’un riad Exemple : Dar Zerouali Plan du Rez-de-chaussée
1
التحليل المعماري
Analyse complémentaire
1
4 2
Coupe
3 3
3
3 2
3
3
Entrée en chicane Galeries Cour centrale Bertal Salons et chambres Escaliers et communs Chklabia Terrasse accessible 1 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., pp..350-398
Cette promenade dans les riads au travers des récits et témoignages a permis de comprendre le fonctionnement d’une demeure traditionnelle dans son ensemble, et d’avoir une idée de ce que représente l’âme de la maison fassi. Cette première analyse, dont la multiplicité de points de vue annule la subjectivité, permet de comprendre l’espace, sa composition et comment il était vécu d’une manière plus humaine. Toutefois, cette étude ne permet pas d’aborder certains aspects architecturaux primordiaux pour comprendre la logique de l’espace. C’est pourquoi je me suis basée sur les recherches très complètes du troisième volume du livre Palais et demeures de Fès1 pour compléter et objectiver ce travail. Les principaux éléments de composition d’une maison traditionnelle de Fès sont (pl.I) : l’entrée en chicane(1), le plan centré avec la cour (2), les différents étages dont l’entresol et la terrasse (3), et l’escalier (4). Mais il faut savoir que tous ces éléments ne sont pas disposés de manière aléatoire. Ils suivent une logique. En effet, chaque riad est traité autour d’axes de compositions pensés pour mettre en valeur au maximum le logement. Ce sont ces aspects qui vont être expliqués dans ce complément d’analyse.
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عنارص تكوين المزنل التقليدي
Éléments de composition d’un riad Planche II - Principaux éléments de composition d’un riad Exemple : Dar Bennis, Rez-de-chaussée
- L’entrée en chicane, bab dar, setwan (1) L’accès au riad se fait par une entrée, bab dar, obscure et oppressante2 sous forme de chicane, setwan, qui permet de protéger l’intimité des habitants. Le passage à la cour, woust dar, se fait depuis l’un des angles de cette dernière. - La cour, woust dar (2)
2
1
Entrée en chicane Cour centrale
2 Cf. supra p.89 3 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p..352 4 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., pp..353-354
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« Une entrée en chicane, setwan, donne accès au centre de la maison occupé par la cour, woust dar. Pénétrer dans cette cour centrale est saisissant. Par la qualité des matériaux et le soin apporté à tous les détails (émail coloré des sols de zellij, dentelle blanche des plâtres recouvrant la partie haute des murs, boiseries ouvragées des superstructures). Par la fraicheur et la lumière dorée qui y règnent. Mais, surtout, par les proportions de la cour : impression enveloppante d’un espace très dégagé au sol dont les encorbellements boisés successifs, portés par quatre piliers blancs, laissent entrevoir un carré de ciel bleu. »3 La cour est un lieu très important de la maison : « C’est incontestablement l’espace le plus présent de la maison, au centre de son organisation, de sa composition, de sa distribution… au centre de la vie domestique. »4 Elle est entourée des façades intérieures qui montent très
Planche III - Vue sur la cour d’un riad. On remarque que cette cour dispose de deux fontaines : une murale et une centrale
haut, et de piliers qui soutiennent les galeries et chambres des étages supérieurs. C’est un espace très finement décoré avec du bois et plâtre sculptés, du zellij ainsi que du fer forgé.
Planche IV - Exemple de plan centré régulier par rapport à la forme irrégulière de de la parcelle Exemple : Dar Zerouali, Rez-de-chaussée
C’est aussi là que se trouve la fontaine, seqqaiyia. La fontaine peut prendre deux formes, selon la taille du riad, et le goût de ses occupants. Elle peut être au centre de la cour, cas que l’on retrouve plus dans les maisons moyennes à grandes, ou, ce qui est plus souvent le cas, elle peut être murale. Il est très rare, mais tout à fait possible, de trouver les deux types de fontaines dans une même maison, c’est le cas dans les grandes maisons et les palais (pl.III). La fontaine murale était préférée parce qu’il était plus simple de la connecter au réseau hydraulique de la ville. Autour de la cour se trouvent au minimum deux chambres qui se font face. Sur les côtés latéraux, la plupart du temps il y aussi au moins un bertal, parfois deux et la fontaine. Et, dans les coins se trouvent les communs: escaliers, entrée, latrines, cuisine. La cour a toujours une forme rectangulaire qui tend vers le carré, indépendamment de la forme de la parcelle (pl. IV) : « Géométriquement, l’enveloppe du patio est indépendante de l’enveloppe de la parcelle : elle tend vers la plus grande régularité alors que la parcelle est soumise au contexte urbain. »5 - Schéma d’organisation de la cour (pl. V) La maison traditionnelle de Fès suit un schéma d’organisation particulier : - Plan centré autour de la cour, - Axe longitudinal où se trouvent les pièces importantes, salon de réception et salon du chef de famille, en vis-à-vis. C’est un axe de composition majeur qui permet de créer une impression de profondeur, - Axe de symétrie, qui est l’axe transversal, montre que les
5 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p..382 145
Planche V - Schéma d’organisation de la cour On remarque dans cet exemple : - Le plan centré de la cour - L’axe de composition entre les deux pièces principales en vis-à-vis, - L’axe de symétrie avec la fontaine murale et le bertal, - Les communs ( entrée en chicane, salle d’eau et escaliers) dans les coins
deux pièces principales sont symétriques, c’est généralement sur cet axe que se trouve la fontaine murale et le bertal, - Espaces de services dans les coins (par exemple: la cuisine, les escaliers, l’entrée,…).
Exemple : Dar Bou Noua, Rez-de-chaussée
C’est un demi-niveau où il y avait les pièces de provisions. Ces pièces étaient soit sur les quatre côtés de la cour, soit sur les côtés latéraux pour garder la hauteur importante des pièces du rez-de-chaussée sur l’axe longitudinal.
- L’entresol, chklabia (pl.VI)
- Les étages (pl.VII) Les riads possèdent généralement un à trois niveaux au-dessus de la cour. Ce sont des galeries, lesquelles entourent la cour, qui permettent de distribuer les différentes pièces. Ces galeries sont protégées par des rambardes en bois sculpté ou en fer forgé, les derbouz. Elles pouvaient être assez hautes pour protéger les habitants du regard des étrangers qu’il y avait occasionnellement au rez-de-chaussée.
Axes de composition Entrée en chicane Cour centrale Fontaine murale Bertal Pièces principales Escaliers et communs
C’est aux étages supérieurs que se trouvent les pièces secondaires de la maison, qui étaient beaucoup moins décorées que celles du rez-de-chaussée. Les pièces des étages suivent la même organisation qu’au niveau de la cour : chambres en vis-à-vis, qui suivent les axes de composition. Elles sont également plus larges que celles du rez-de-chaussée : elles débordent sur la rue et sont soutenues par des jambes de force. - Les escaliers, drouj Ils se trouvent dans les angles de la cour et sont conçus pour occuper le moins d’espace possible. Ils sont donc très compacts. La hauteur de marche est assez importante : souvent autour
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Planche VI - Schéma d’organisation de l’entresol Dans cet exemple, il y a deux chklabiat, sur l’axe de symétrie, les espaces sur l’axe de composition longitudinal sont les vides sur les pièces principales du rez-de-chaussée
Planche VII - Schéma d’organisation de l’étage Dans cet exemple, les deux pièces au-dessus des pièces principales du rez-de-chaussée suivent le même axe de composition et sont aussi en vis-à-vis. Ces pièces sont plus larges que celles du rez-de-chaussée. Elles sont soutenues par des jambes de forces qui empiètent sur la rue.
Planche VIII - Schéma d’organisation du riad Dans cet exemple, on voit que la maison est organisée autour d’un axe de symétrie. Les murs de la terrasse sont hauts. Les portes des pièces du rez-de-chaussée sont plus grandes que celles du premier étage. La hauteur sous plafond des pièces est importante.
Exemple : Dar Bou Noua, Entresol
Exemple : Dar Bou Noua, Étage
Exemple : Dar Bou Noua, Coupe transversale
Axes de composition
Axes de composition
Vide sur cour centrale
Vide sur cour centrale
Axe de symétrie Vide sur cour centrale
Chklabia
Salons et chambres
Salons et chambres
Vide sur pièces principales
Galeries
Galeries
Escaliers
Escaliers et communs
Escaliers Fontaine centrale Bertal Chklabia Terrasse accessible
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Planche IX - Escaliers dans un riad On remarque que cet escalier est assez sombre et étroit. Il est pavé de zellij associé à du bois.
de vingt-sept centimètres de haut. Ceci permet de monter haut très rapidement, ce qui est avantageux parce que la hauteur des plafonds, et donc des étages, est importante surtout au rez-de-chaussée. La largeur de passage varie de soixante-cinq centimètres à un mètre, en fonction de l’espace disponible, mais il est plus courant de trouver quatre-vingts centimètres. Ces escaliers sont sombres et étroits, en volées droites. Il est rare de trouver plus de trois escaliers autour de la cour. La terrasse est généralement accessible par un seul escalier uniquement. - La terrasse, stah La terrasse est très importante dans la vie domestique du riad. Elle offre souvent une vue sur la ville. C’est, pour les femmes, un lieu de rencontre et de socialisation. Il est rare, mais possible, d’y trouver des pièces qui servent de réserve, de débarra ou de chambre. Il est difficile d’habiter une chambre sur la terrasse, surtout en été, puisqu’il peut y faire extrêmement chaud. Elle est entourée de hauts murs, percés de petites fenêtres, pour protéger des chutes. Également présent en guise de protection : une grille en fer forgé, qarmud, recouvre l’ouverture de la cour. - Quelques chiffres En général, une maison traditionnelle : - Est composée de trois à quatre niveaux, - Comprend quatre à six chambres, dont la surface varie de quinze à trente mètres carrés, avec une largeur qui tourne généralement autour de deux à trois mètres pour sept à dix mètres de long, - Possède au moins une fontaine, murale ou centrale,
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Planche X - Schéma du plan centré Toutes les pièces sont orientées vers la cour
Cour centrale, plan centré
Elle a : - Au moins un bertal, il est possible de trouver, dans les maisons moyennes et grandes, divers types d’annexes comme par exemple un hammam privé ou une écurie, - Une cour, woust dar, qui s’élève de neuf à dix-huit mètres de haut au-dessus du rez-de-chaussée, - Une surface ouverte sur la cour au niveau de la terrasse, le qarmud, qui varie entre cinq et vingt-cinq mètres carrés, - Une cour, woust dar, souvent très grande, de minimum quinze mètres carré en fonction de la taille de la maison, en général trente-six mètres carrés, - Des salons au rez-de-chaussée dont la hauteur sous plafond est importante, elle tourne autour de cinq mètres, mais peut atteindre six à sept mètres de haut. - Parcelle d’une maison traditionnelle Comme dans de nombreuses médinas du monde musulman, les demeures de la médina de Fès ne portent pas d’importance particulière à l’orientation de leurs parcelles. « La parcelle se caractérise comme une enclave quasiment étanche qui lui permet d’ignorer les parcelles voisines. »6 Le plan centré et les façades extérieures nues permettent une autonomie par rapport au contexte urbain(pl.X). « Une forme centrée est généralement assimilée à la figure du carré qui symbolise l’équilibre, un état stable et isotrope. »7 Dans les maisons traditionnelles de Fès, le plan est centré autour d’un motif central en zellij, ou d’une fontaine de la cour. - Composition du plan
6 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p..380 7 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p..382
La cour centrale est toujours de forme rectangulaire qui tend vers le carré, avec un axe longitudinal qui est l’axe principal : c’est là que se trouve le salon de réception et le salon du chef de famille. Cet axe met en vis-à-vis ces deux pièces.
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Planche XI - Schémas des axes de symétrie Le riad s’organise autour de deux axes principaux.
Et un deuxième axe de symétrie avec les espaces secondaires, plus domestiques, avec un bertal, une fontaine murale, et occasionnellement, une chambre secondaire. La pièce du chef de famille est la plus proche de l’entrée, pour une question d’intimité, c’est-à-dire que la personne étrangère qui pénètre dans le riad ne verra pas directement l’intérieur de ce salon. La pièce de réception, en face de celle du chef de famille, est la plus éloignée de l’entrée : elle est grande et luxueuse. C’est celle qui est vue depuis l’entrée de la cour, quand les invités arrivent de la chicane, procédé utilisé pour impressionner les nouveaux arrivants.
Ces deux axes permettent de hiérarchiser la position de chaque pièce, et ce, en fonction de son importance. L’axe de composition AA est celui qui défini la position des pièces principales. L’entrée se fait sur l’un de ces côtés. L’axe de symétrie BB permet de positionner les espaces plus secondaires. Les espaces de services se trouvent dans les quatre coins.
Il existe dans la logique du plan d’une maison traditionnelle un jeu d’opposition et de vis-à-vis entre le pur et l’impur, le familier et l’étranger, le sacré et le domestique qui se fait autour des axes de composition. Cette opposition dans les axes est transférée entre les étages et le rez-de-chaussée au moment de grandes occasions : le rez-de-chaussée est réservé aux étrangers tandis que l’étage est réservé à la famille. - Les façades
Cour centrale, plan centré Bertal Pièces principales
8 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume111, op. cit., p..385 150
Les vraies façades des demeures traditionnelles se trouvent à l’intérieur, autour de la cour. Les façades et la cour forment un ensemble uni, « Cette entité offre une simultanéité de perceptions qui atteste que ‘c’est un espace qui est même conçu à six dimensions’. »8 Des axes de compositions peuvent aussi être relevés sur les façades afin de les harmoniser : elles sont symétriques et hiérarchisées. Ils servent aussi à orienter le regard vers les petites façades qui servent à dynamiser la verticalité du lieu, il est donc visible que la vue privilégiée est la vue frontale. L’effet de profondeur, tel que le resserrement des parois latérales, peut être crée par différents moyens au niveau des
Planche XII - Exemple de vues sur les façades dans la cour d’un riad
entresols. Par exemple du plein là où la maçonnerie domine ou du vide traité avec des boiseries. C’est donc l’association de tous ces éléments qui permettent de comprendre la logique de composition du riad dans son ensemble. A la fois les récits et témoignages, mais aussi cette analyse qui vient compléter le point de vue des habitants qui racontent leurs vécus de manière plus personnelles. Ce travail prend en compte à la fois l’aspect humain du point de vue de différents protagonistes, leur ressentis, souvenirs et leurs expériences, et l’aspect architectural qui montre le génie de conception de ces demeures traditionnelles de Fès.
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تحليل مقارن
Analyse comparative Pour comprendre la logique d’habitation du Maroc analyse de la maison urbaine marocaine afin de la comparer à la maison traditionnelle s’avère nécessaire. Le schéma de la maison traditionnelle se reproduit-il dans la maison urbaine, c’est-à-dire la maison construite à l’extérieur de la médina?
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تصنيف البيت التقليدي في مدينة فاس
Typologie de la maison traditionnelle dans la médina de Fès
Pour expliquer la typologie d’une maison traditionnelle marocaine, il est intéressant de prendre un exemple qui présente tous les aspects permettant de comprendre l’espace domestique du riad. Les informations utilisées pour analyser cette maison sont issues du tome deux du livre: Palais et demeures de Fès9. Ce livre, divisé en trois tomes, analyse une cinquantaine de maisons traditionnelles de la médina de Fès depuis la période de la dynastie des Mérinides jusqu’à la dynastie Alaouite. Il reprend avec autant d’exactitude que possible toutes les informations nécessaires pour comprendre chacune des maisons étudiées. Comme expliqué précédemment10, les maisons traditionnelles de la médina de Fès disposent d’une organisation générale intérieure très similaire, où l’on retrouve le plus souvent des éléments fondamentaux dans la logique de l’aménagement de l’espace : l’entrée en chicane, la façade à rue aveugle, la cour, les chambres et salons et les communs. Ces besoins peuvent être justifiés par les habitudes du peuple marocain de l’époque. En effet, au Maroc, la religion prend une place très importante au sein d’un foyer. Cette notion de religion aura des répercussions sur plusieurs aspects. 9 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume11, op. cit., p.297 10 Cf. supra p.144 153
Planche XII - Coupe transversale du riad El Iraqi dans la mÊdina de Fès On voit ici une partie des ornements qui se trouvent dans cette maison
Planche XIII - Parcelle du riad par rapport à la cour : la parcelle a une forme trapézoïdale tandis que la cour est rectangulaire et régulière
Dar El Iraqi11 est une demeure traditionnelle située dans le quartier de la Qaraouiyine, près de la mosquée Al Qaraouiyine dans Fès El-Bali.Vue de l’extérieur, ses façades sont neutres. Elle est perdue dans une impasse couverte et sombre. À l’intérieur, on retrouve les éléments typiques d’une maison traditionnelle : un plan centré ainsi « qu’un luxe ornemental demeuré fidèle aux plus belles traditions Mérinides. »12 L’entrée se compose deux solides portes à portillons et gros cloutage, et d’une chicane, le setwan, en contrebas mène à une cour rectangulaire, qui a l’air carrée, et qui est très ornementée.
Planche XIV - Axes de composition Un axe avec les pièces importantes, l’autre avec les pièces plus secondaires.
La parcelle a une forme trapézoïdale, même si la cour est rectangulaire : « géométriquement, l’enveloppe du patio est indépendante de celle de la parcelle : elle tend vers la plus grande régularité, alors que celle de la parcelle est soumise au contexte urbain. »13 On y trouve deux grands axes de composition : un axe est-ouest avec deux pièces importantes, salon des invités et salon du chef de famille, et un nord-sud avec des pièces secondaires, bertal, avec les pièces en vis-à-vis. Il faut noter ici que l’orientation de la parcelle n’a pas d’importance. À l’intersection de ces deux axes se trouve une fontaine, au centre de la cour. La symétrie est accentuée dans l’entresol avec quatre chaklabiat dans les quatre axes et au niveau des étages avec l’encadrement de la galerie haute bordée d’une balustrade, derbouz.
11 On donnait aux maisons le nom de leurs propriétaires. Ici le propriétaire s’appelait donc El Iraqi. 12 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume11, op. cit., p.297 13 REVAULT, GOLVIN, AMAHAN, e. a., Volume III, op. cit., p.382 155
Planche XV - Rez-de-chaussée
- Rez-de-chaussée Aux quatre coins de la cour se trouvent les communs : communication extérieure, porte d’entrée, bab dar, et les escaliers, cuisine, salle d’eau. Les piliers sont intégrés à la maçonnerie au rez-de-chaussée et redeviennent visible à l’étage. Les chambres ont des proportions imposantes, avec une hauteur sous plafond importante. Leurs portes sont grandes avec des arcs brisés surhaussés et bordés de lambrequins. Il y aussi deux bertals de part et d’autre de ces grandes pièces. Au cœur de la cour se trouve la fontaine.
Planche XVI - Entresol
- L’entresol, chklabia Un seul escalier dessert les quatre chklabiat de la maison. - Les étages Dans les étages se trouvent des chambres disposées de manière similaire à celles du rez-de-chaussée. Ce sont des chambres d’hiver parce qu’elles sont mieux ensoleillées et moins froides que celles au niveau de la cour lors de la saison froide. - La terrasse, stah
Axes de composition Entrée en chicane Cour centrale Fontaine centrale Galeries Bertal Salons et chambres Escaliers et communs Chklabia Vide sur cour Terrasse accessible
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La terrasse est entourée de murs hauts pour des raisons de sécurité. Cette maison est donc un exemple typique de composition d’une maison traditionnelle de la médina de Fès.
Planche XVII - Étage
Planche XVIII - Terrasse
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تصنيف البيت التقليدي في مدينة فاس
Typologie de la maison moderne marocaine Planche XIX - Organisation de la maison moderne des années soixante, telle qu’elle a été conçue à l’origine.
Ce sont les appartements construits dans les années soixante, après le protectorat français (1912-1956), qui vont être analysés dans cette partie. C’est à la période où le « décret de 1964 sur les lotissements d’habitat économique » venait de voir le jour. Avec le protectorat, le Maroc s’est énormément développé à l’extérieur des médinas, un nouveau type d’habitat, inspiré de l’occident va donc voir le jour. Ce type d’habitat va toutefois s’adapter aux us et coutumes du peuple marocain (ex: penthouse cité en introduction). C’est ainsi que va naître une nouvelle typologie d’habitat au Maroc que l’on appellera ici la maison moderne marocaine. Cette nouvelle typologie, pensée par des architectesurbanistes, tente de prendre en compte les éléments fondamentaux de la maison traditionnelle. C’est ce que le décret de 64 établie : « l’habitat à cour y est légalisé {…} une autre disposition importante consiste en l’accessibilité de la terrasse. »14 Ce nouveau type d’appartement se trouve dans des immeubles hauts de deux à trois niveaux, centrés autour d’une cour. Cette cour extérieure, qui est sensée être l’équivalent de la cour de la maison traditionnelle de la médina, n’a plus d’autre fonction que celle d’apporter de la lumière et d’aérer les appartements. Son aspect symbolique d’espace central autour duquel s’organise la vie du riad disparaît.
14 PINSON, Daniel, Maroc : un habitat « occidentalisé » subverti par la «tradition», Monde arabe, Maghreb-Machrek n°143, édition La Documentation française, Paris, premier trimestre 1994, pp.190-203. 158
Planche XX - Organisation de la maison moderne des années soixante, telle qu’elle a été repensée par les habitants pour s’adapter à leurs besoins et culture.
Les appartements, eux, sont conçus pour suivre une tendance d’occidentalisation de l’espace : ce sont des habitations monofamiliales avec une chambre pour les parents, une chambre pour les enfants, un salon et une cuisine organisés de telle sorte : « Un schéma classique consiste à orienter le salon et une chambre sur la rue et à ouvrir l’autre chambre et la cuisine sur la cour intérieure. »15 Ce mode d’habiter imposé va toutefois être contourner pour réinstaurer quelques habitudes ancrées dans la culture Marocaine. En effet, de nombreux foyers vont entreprendre des travaux afin de partitionner l’espace et ainsi créer plus de pièces que celles initialement prévues. C’est de cette façon que le salon des invités va réapparaître dans les appartements. L’idée du centre de la maison, woust dar, n’est jamais oubliée, et existe à présent sous forme de grands halls au milieu de ces pièces, qui, contrairement à la cour d’une maison traditionnelle, n’est pas ouvert sur le ciel. « Elle présente l’avantage d’intégrer plus nettement l’espace central à l’entité domestique. »16 Les architectes-urbanistes tentent d’imposer un mode de vie moderne à la population marocaine, et intégrant des copies d’éléments fondamentaux tel que l’immeuble autour d’une cour pour remplacer le woust dar, mais les habitants s’approprient ces espaces pour les adapter à leurs besoins. Le résultat est différent de ce que représente la maison traditionnelle, même si certains aspects perdurent.
15 PINSON, op. cit., pp.190-203. 16 PINSON, op. cit., pp.190-203. 159
االختالفات والتشابه، البيت التقليدي والبيت الحديث
Maison
traditionnelle et maison moderne,
différences et similitudes
Après cette analyse, de nombreuses différences apparaissent : - L’idée de façade aveugle et chicane à l’entrée a disparu au profit de fenêtres qui ne tiennent pas compte de l’intimité du foyer, - La fontaine disparaît, mais son « âme » est toujours présente dans les mosaïques au sol du woust dar : « Une autre régularité rencontrée dans la restructuration interne des appartements de lotissement d’habitat économique par leurs habitants concerne la refondation d’une centralité {…} la fontaine réelle ou symbolique quelquefois simplement signifiée par une figure géométrique sur le sol carrelé. »17, - L’importance du rituel du hammam s’est dissipée pour être remplacée par des bains et douches directement dans l’habitat - L’entresol avec ses pièces de réserves, chklabia, est remplacé par la technologie moderne. Les cuisines ont évoluées et sont équipées d’électroménager qui fait qu’il n’est plus nécessaire d’avoir ce type de pièce qui vont donc disparaître dans la maison moderne. Mais des similitudes entre les deux modèles peuvent être néanmoins soulignées : - L’idée de la cour de la maison traditionnelle comme cour de la maison est toujours présente, reprise sous forme de grand hall dans la maison appelé woust dar, cet espace permet de desservir les pièces de la maison, - Recevoir des invités, aspect important de la culture marocaine, est conservé dans le salon des invités, qui est 17 PINSON, op. cit., pp.190-203. 160
toujours la pièce la plus soignée de la maison: bit diaf, - La proximité à une cour extérieure avec l’idée d’apport de lumière et d’aération est aussi présente, mais réduite un simple balcon qui ne remplit pas aussi bien les fonctions de la cour d’un riad, - La terrasse est toujours présente, mais partagée avec les voisins d’immeuble: stah C’est grâce à ces similitudes qu’il est possible de dire que l’âme de la maison traditionnelle est ancrée dans la culture des marocains, qui l’ont retransmise, à leur manière, dans la maison moderne.
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رياض اليوم
Le riad aujourd’hui Cette analyse permet donc de comprendre comment les riads étaient habités avant l’urbanisation du Maroc et le mouvement des populations vers les villes nouvelles, en dehors des médinas. Aujourd’hui, et depuis les années soixante, la fonction première du riad n’est plus celle de l’habitation par des familles comme on l’a vu précédemment, les fonctions touristiques prennent le dessus. Rare sont les riads qui abritent encore une famille élargie. Ceci est dû à la difficulté d’entretenir ce genre de demeure qui demande beaucoup de moyens et au changement social du mode familiale. Seules les familles qui ont les moyens financiers peuvent conserver et restaurer leurs maisons. Une nouvelle tendance a vu le jour : la reconversion de la fonction du riad en maison d’hôte, hôtel ou restaurant. De nombreuses maisons vont être rachetée, principalement par des étrangers, charmés par la culture du pays et les prix de vente dérisoires.18 Ils vont les restaurer en essayant de conserver l’authenticité du lieu en y apportant le confort moderne. Notamment pour les cuisines et les salle de bain. Certains nouveaux acquéreurs vont les conserver pour leur utilisation personnelle, comme maison secondaire de vacance. D’autre les rénovent pour des fins touristiques afin d’ouvrir une maison d’hôte et de permettre aux visiteurs d’expérimenter 18 KHALIL op. cit. 162
la vie dans un riad traditionnel au cœur de la médina de Fès.19 C’est une tendance qui va se répandre dans plusieurs villes du Maroc comme Marrakech, Rabat ou encore Meknès. 20 Un autre type de reconversion va également apparaître. Les riads vont commencer à être compartimentés et loués à plusieurs familles différentes qui vont se partager les espaces. «Aujourd’hui, les belles maisons ouvragées et les riads autrefois somptueux en pleine médina ont perdu de leur superbe et ont été, pour la plupart, compartimentés et occupés par plusieurs familles qui n’ont pas la moindre notion de l’esthétique ni aucune considération à l’égard de lieux chargés du poids de l’histoire, de spiritualité, de souvenirs et de vécus. Au mieux, ils ont été transformés en bazars où en restaurants touristiques. »21 Ces nouvelles manières de s’approprier les riads et de leur attribuer de nouvelles fonctions et manières d’habiter, différentes de celle analysée dans ce travail, fait perdre petit à petit l’authenticité première de ces maisons qui avaient une âme et qui représentait un symbole pour ses habitants.
19 KHALIL, op. cit. 20 MADOEUF, Anna, Riad, médina, Marrakech, Maroc : ajustements d’une expérience touristique «authentique», in Le Maroc au présent : D’une époque à l’autre, une société en mutation, édition Centre Jacques-Berque, Casablanca, 2015. 21 idem 163
خا تمة
Conclusion
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La maison traditionnelle de Fès représente tout un symbole pour la culture Marocaine. Dans ce travail de recherche, il s’est avéré qu’il est indispensable d’analyser, tant du point de vue architectural que du point de vue humain, le riad pour pouvoir comprendre son fonctionnement. En effet, l’aspect architectural, avec ses éléments fondamentaux tels que le plan centré autour de la cour, woust dar, l’entrée en chicane, les façades principales intérieures, ou encore la terrasse, pour n’en citer que quelques-uns, est essentiel pour avoir une vision globale de ce qu’est une maison traditionnelle. Il était important d’apprendre la manière dont les habitants s’appropriaient la maison en fonction de leurs traditions et de leurs besoins m’a donné l’occasion de compléter cette vision de la maison dans son ensemble. Les deux analyses ont permis de créer une image plus claire et plus complète de la manière dont on pouvait vivre dans un riad. L’un ne va pas sans l’autre : l’aspect architectural et l’aspect humain forment un tout. L’analyse de la maison moderne marocaine des années soixante vient bousculer ce constat. En effet, les bases fondamentales de l’architecture traditionnelle vont être pratiquement toutes effacées au profit de l’urbanisation des villes, qui suit un modèle occidental, suite à la forte augmentation de la densité urbaine. De nouveaux types de logements vont être créés. Ces habitats modernes prendront à peine compte des éléments de bases d’une maison traditionnelle marocaine, et vont tenter d’imposer un nouveau mode de vie aux habitants. L’analyse montre que cela ne va pas fonctionner totalement 167
puisque certains aspects fondamentaux réapparaissent sous une forme différente, par exemple, la cour se transforme en une grande pièce couverte au centre du logement qui dessert toutes les pièces. Depuis les années soixante, et surtout depuis les années nonante, une forte tendance de réaménagements de riads en maisons d’hôte, hôtel, ou lieu d’hébergement règne dans différentes médinas marocaines (Rabat, Marrakech, Fès, ...). Ceci montre que les habitants essayent de maintenir la culture de l’habitat marocain traditionnel dans les nouveaux logements, même si cela apparait sous d’autres formes, et que les riads, devenus vastes et coûteux à entretenir prennent une nouvelle fonction. On peut donc se poser la question : comment la maison traditionnelle survit-elle encore aujourd’hui dans la maison urbaine? Les aspects architecturaux et humains sont-ils toujours aussi importants dans ce nouveau mode d’habiter? Le riad peut-il subsister dans le temps en conservant sa fonction première?
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ا لمال حق
Annexes
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قائمة المراجع
Bibliographie BEN JELLOUN, Tahar, Giacometti, la rue d’un seul, suivi de: Visite fantôme de l’atelier, éditions Gallimard, Paris, 2006. BEN JELLOUN, Tahar, L’écrivain public, éditions Points, 1983. BEN JELLOUN, Tahar, Harrouda, éditions Denoël, Paris, 1973. BENNIS, Ouadia, RUIZ, Jean-Michel et TREAL, Cécile, Fès, Ville millénaire, éditions Librairie Nationale, Mohammedia, 2007. BERRADA, Aziz, témoignage recueilli dans la médina de Fès, le 22 décembre 2018. DIOURI, Mohamed, Chroniques de quartier. Le quartier de l’Adaoua à Fès pendant les années 1950 et 1960, éditions L’Harmattan, Paris, 2011. GHALLAB, Abdelkrim, Le passé enterré, éditions Okad, Paris, 1990 ( Première édition en arabe 1966, Beyrouth). JELIDI, Charlotte, Fès, la fabrication d’une ville nouvelle (1912-1956), éditions ENS, Lyon, 2012. KHALIL Hajar, Les riads, l’un joyaux de l’architecture marocaine, https://www.sarouty.ma/blog/les-riads-lundes-joyaux-de-larchitecture-marocaine/. KSIKES, Hassania, témoignage par téléphone, recueilli le 27 mars 2019. LAÂBI, Abdellatif, Le fond de la jarre, éditions Gallimard, Paris, 2002. Le Coran, éditions Classiques Garnier, Paris, 2014.
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في ترتيب المظهر- اعتمادات الصورة
Crédits photographique - par ordre d’apparition Partie 1 - Contexte Planche I – Carte de la médina de Fès, REVAULT, Jacques, GOLVIN, Lucien, AMAHAN, Ali, e. a., Palais et demeures de Fès. Volume III. Époque Alawite (XIX-XXème siècles). Bilan des recherches sur l’architecture domestique à Fès, éditions du Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1992, p.39 Planche II – Vue aérienne de la médina de Fès, https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Fes_(5364182941).jpg Planche III – Photo de la mosquée Al Qaraouiyine, photo personnelle, Planche IV – Photo de la medersa Al Attarine, photo personnelle, Planche V – Photo du palais royal de Fès, http://visitefes.com/les-portes-du-palais-royal/ Planche VI – Plan de réaménagement de la ville de Fès pendant le protectorat, Henri Prost, 1922https:// books.openedition.org/enseditions/971 Planche VII – Photo fontaine Nejjarine, photo personnelle, Planche VIII – Photo de la mosquée Al Qaraouiyine, MÉTALSI Mohamed, RUIZ Jean Michel et TREAL Céline, Fès. La ville essentielle, ACR Edition, Paris, 2003, p. 169 Planche IX – Photo de la medersa Es Sahrij, MÉTALSI, op. cit., p.211 Planche X – Photo des tanneries de la médina, photo personnelle, Planche XI – Photo du musée Nejjarine, photo personnelle, Planche XII – Photo de détails d’ornements dans un riad de la médina, photo personnelle, Planche XIII – Dessin d’une porte de salon au rez-de-chaussée, REVAULT, Jacques, GOLVIN, Lucien, AMAHAN, Ali, e. a., Palais et demeures de Fès. Volume II. Époque Alawite (XVII-XVIIIème siècles), éditions du Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1989. Planche XIV – Photo dans les rues de la médina, photo personnelle, Planche XV – Dessin d’un motif de derbouz, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., p.297 Planche XVI – Photo du plafond d’un salon dans un riad, photo personnelle, Planche XVII – Dessin d’une porte de salon au rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit., p.125 Planche XVIII – Dessin de deux fenêtres, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., 289-327 Planche XIX – Dessin d’une porte de salon au rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit., p.99 Planche XX – Dessin de zellij au sol dans la cour d’un riad, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit., p.98 Planche XXI – Dessin de zellij sur les murs d’un salon, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., p.310 175
Planche XXII – Photo dans la cour d’un riad, photo personnelle, Planche XXIII – Photo de zellij, photo personnelle, Planche XXIV – Photo d’un parement de mur, photo personnelle, Planche XXV – Dessin de l’encadrement d’une fontaine dans la cour d’un riad, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., p.193, Planche XXVI – Dessin du parement d’une cour, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., p.73, Planche XXVII – Photo de la porte d’entrée d’un riad, photo personnelle, Planche XXVIII – Dessin de détails de porte d’entrée, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., p.326, Planche XXIX – Photo du heurtoir d’une porte d’entrée dans un riad, photo personnelle, Planche XXX – Photo du Mausolée Moulay Idriss, photo personnelle, Planche XXXI – Dessin d’un détail de plâtre dans un riad, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., p.339, Planche XXXII – Photo de la porte d’un salon, photo personnelle, Planche XXXIII – Photo de l’intérieur d’un salon, photo personnelle, Planche XXXIV – Photo de la cour d’un riad, photo personnelle, Planche XXXV – Photo d’une rue de la médina, photo personnelle, Planche XXXVI – Photo de la cour d’un riad, photo personnelle, Planche XXXVII – Plans de riads, rez-de-chaussée : - exemple n°1 Dar Bennis, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.199, - exemple n°2 Dar Seqqat, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.163, Planche XXXVIII – Photo dans une rue de la médina, photo personnelle, Planche XXXIX – Photo dans une rue de la médina, photo personnelle, Planche XL – Photo Bab Boujloud, photo personnelle, Planche XLI – Carte de la médina de Fès, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., p.39. Partie 2 - Promenade Planche I – Photo d’une porte d’entrée dans les rues de la médina, photo personnelle, Planche II – Photo du haut d’une cour, vue plongeante, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.1I, Planche III – Plans de riad : Dar El Iraqi, rez-de-chaussée, entresol, étage, terrasse, REVAULT, e.a.,Volume II, op. cit. pp.299-305, Planche IV – idem, Planche V – Photo dans une rue de la médina, photo personnelle, Planche VI – Photo dans une rue de la médina, photo personnelle, Planche VII – Photo d’une porte d’entrée dans une impasse de la médina, photo personnelle, Planche VIII – Plans de riads, rez-de-chaussée : - exemple n°1 Dar Bennis, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.199, - exemple n°2 Dar Bou Noua, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, - exemple n°3 Dar Moulay Idriss, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.318, -exemple n°4 Dar Zerouali, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.115, 176
Planche IX – Photo de l’entrée d’un riad, photo personnelle, Planche X – Photo de la porte d’entrée d’une maison, photo personnelle, Planche XI – Plan de riad : Dar El Kesri, rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.289, Planche XII – Dessin de l’encadrement d’une fontaine dans la cour d’un riad, REVAULT, e.a., Volume III, op. cit., p.193, Planche XIII – Photo de la cour d’un riad, photo personnelle, Planche XIV – Photo de la cour d’un riad, photo personnelle, Planche XV – Plan de riad : Dar Moulay Idriss, rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.318 Planche XVI – Plans de riads, rez-de-chaussée : - exemple n°1 Dar Zerouali, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.115, - exemple n°2 Dar Seqqat, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.163, - exemple n°3 Dar Sqolli, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.78, Planche XVII – Photo de l’intérieur d’un salon au rez-de-chaussée d’un riad, photo personnelle, Planche XVIII – Photo du bertal dans la cour d’un riad, photo personnelle, Planche XIX – Photo de l’entrée d’un salon du rez-de-chaussée, photo personnelle, Planche XX – Photo de l’encadrement de la cour, photo personnelle, Planche XXI – Photo d’un derbouz, photo personnelle, Planche XXII – Plan de riad : Dar Sqolli, rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.78, Planche XXIII – Plans de riads, rez-de-chaussée : - exemple n°1 Dar Bennis, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.199, - exemple n°2 Dar Bou Noua, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, Planche XXIV – Peinture « Le Bain Maure », Jean-Léon Gérôme, vers 1880, Planche XXV – Plan de riad : Dar Moulay Idriss, rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.318, Planche XXVI – Plan de riad : Dar Moulay Idriss, entresol, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.322, Planche XXVII – Photo d’un escalier dans un riad, photo personnelle, Planche XXVIII – Plans de riads, rez-de-chaussée : - exemple n°1 Dar Zerouali, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.115, - exemple n°2 Dar Bou Noua, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, Planche XXIX – Plans de riads, étage : - exemple n°1 Dar Zerouali, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.115, - exemple n°2 Dar Bou Noua, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, Planche XXX – Photo d’une terrasse, vue sur la mosquée Al Qaraouiyine, photo personnelle, Planche XXXI – Photo de la fenêtre d’une terrasse, vue sur la mosquée Al Qaraouiyine, photo personnelle, Planche XXXII – Plans de riads, terrasse : - exemple n°1 Dar Zerouali, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.115, - exemple n°2 Dar Bou Noua, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, Planche XXXIII – Photo de l’ouverture sur la cour d’une terrasse, photo personnelle.
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Partie 3 - Analyse Planche I – Plan de riad : Dar Zerouali, rez-de-chaussée et coupe, , REVAULT, e.a.,Volume II, op. cit. p.115, Planche II – Plan de riad : Dar Bennis, rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.199, Planche III – Photo de la cour d’un riad, MÉTALSI, op. cit., p.147, Planche IV – Plan de riad : Dar Zerouali, rez-de-chaussée et coupe, , REVAULT, e.a.,Volume II, op. cit. p.115, Planche V – Plan de riad : Dar Bou Noua, rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, Planche VI – Plan de riad : Dar Bou Noua, entresol, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, Planche VII – Plan de riad : Dar Bou Noua, étage, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, Planche VIII – Plan de riad : Dar Bou Noua, coupe, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. p.102, Planche IX – Photo de l’escalier d’un riad, photo personnelle, Planche X – Schéma explicatif du plan centré, photo personnelle, Planche XI – Schéma explicatif des axes de composition, photo personnelle, Planche XII – Plan de riad : Dar El Iraqi, coupe, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. pp.299-305, Planche XIII – Plan de riad : Dar El Iraqi, rez-de-chaussée, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. pp.299-305, Planche XIV – idem, Planche XV – idem, Planche XVI – Plan de riad : Dar El Iraqi, entresol, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. pp.299-305, Planche XVII – Plan de riad : Dar El Iraqi, étage, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. pp.299-305, Planche XVIII – Plan de riad : Dar El Iraqi, terrasse, REVAULT, e.a., Volume II, op. cit. pp.299-305, Planche XIX – Schéma de l’organisation de la maison moderne de base, PINSON, Daniel, Maroc : un habitat « occidentalisé » subverti par la «tradition», Monde arabe, Maghreb-Machrek n°143, édition La Documentation française, Paris, premier trimestre 1994, pp.190-203, Planche XX – Schéma de l’organisation de la maison moderne adaptée, PINSON, op. cit., pp.190-203.
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قاموس مصطلحات
Glossaire Aid el Fitr – – عيد الفطرfête religieuse où les musulmans fêtent la fin de ramadan Aïd El Kebir – – عيد الكبريsête religieuse où les musulmans sacrifient un mouton Al Attarine – – العطارينsignifie littéralement « parfuemeurs » À Fès, le souk Al Attarine se spécialisait dans les épices et parfums. Aujourd’hui on y trouve des papeteries Bad dar – – دار بابporte d’entrée principale Bannaï – – بنايmaçon Bertal – – برطالportique, espace de détente au rez-de-chaussée Blad tedj – – بلد الثلجpays de la neige, en référence aux pays européens Boussedar – – بوصدارsimilaire à woust dar : cour, patio, centre de la maison Canoun – – كانونbraséro en terre cuite qui servait pour cuisiner Cham – – شامappellation qui englobe l’Iraq, la Syrie et le Liban Chamasiyiat – – شمياتclaustras Chklabia, bnika – بنقة، – شقلبيةréserve dans l’entresol D’França – – دفرنساde France, familier Dâma – – دامةdamage Dar – – دارmaison Debbaghine – – دباغنيsignifie « tanneurs » Deffa – – دفةvantail ornementé Derb – – دربrue ou quartier, familier Derbouz – – دربوزbalustrade en bois tourné Droj – – درجescaliers El Henna – – الحنةsignifie « henné » Fassi – – فايسpersonne originaire de Fès Gebs – – الجبسplâtre Marocain dont la particularité est qu’il séche plus lentement que le plâtre normal. Cet avantage qu’il présente fait que les artisans décorateurs ont plus de temps pour le travailler. Ghassoul – – الغاسولsavon d’argile Guellassa – – چالسةfemme qui s’occupe du hammam Guelsa – – چلسةvestiaire du hammam Guessãa – – ڤصعةgrand plat en terre cuite 179
Halqa – – حلقةouverture sur le ciel Hdada, pl. hudud – – الحدودfrontière Jefnates – – جفناتgrands plats en bois Jir Skhun – – جري سخونchaux vive Joutya – – جوطيةmarché aux puces Khlii – – خليعviande séchée, spécialité culinaire marocaine Maada – – معدةlieu de distribution d’eau Maalem – – معلمlittéralement « celui qui sait ». Au Maroc, le maalem est un artisan qui est maître dans son domaine, qui est capable de transmettre son savoir Manichister – – مانشسرتManchester « arabifié » Medersa – – مدرسةécole coranique où les étudiants étaient logés pendant la période de leur apprentissage. Ce sont des bâtiments dont l’architecture est très bien pensée. Les plus belles medersas datent de la période des Mérinides Médina – – مدينةnom donné à la partie historique d’une ville au Maroc Nejjarine – – النجارينsignifie littéralement « menuisiers » Oued – – وادnom donné aux rivières et cours d’eau dans les régions de l’Afrique du Nord Qarmud – – قرمودtuile ronde vernissée Qebtan – – قبطانrègle en bois ( un à un mètre cinquante) Rawda, pl. riad – – رياضjardin Sass – – ساسfondations Seffarine – – صفارينfait référence aux artisans du cuivre et du bronze Seqqaiyia – – سقايةfontaine Setwan – – سطوانvestibule d’entrée, chicane Souak – – سواكbrosse à dent naturelle en bois d’Araq.Elle est très utilisée dans les pays arabes. Souk – – سوقun souk est un marché. Il peut être éphémère, mais la plupart du temps, c’est un marché qui se trouve dans la médina. Certains marchés se spécialisent dans un domaine. Par exemple le marché des épices ou le marché des joailliers Stah – – سطحterrasse Talib, pl. tolba – – طالبétudiant, dans ce contexte, pensionnaire dans une medersa, école coranique dans la médina de Fès Tarma - طارمة- élément de mobilier dans les chambres. Teyyabates – – طياباتfemmes qui travaillent dans le hammam Woust dar – – وسط الدارcour, patio, littéralement centre de la maison Zallagh – – جبل زالغpetite montagne à proximité de Fès Zellij – – زليجpetit morceau en terre cuite travaillé à la main par des artisans spécialisés. Chaque pièce est travaillée une par une et peut prendre plusieurs couleurs différentes. Le mélange ingénieux de ces pièces peut créer des mosaïques aussi différentes que magnifiques.
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À mon oncle qui nous à quitté beaucoup trop tôt. Tu as toujours eu la bonne parole pour m’encourager. Ton soutien et tes conseils continueront de m’accompagner pour toujours.
La médina est un lieu très particulier où l’on ressent toutes sortes de sentiments, de l’émerveillement à la surprise, en passant par la joie et même la nostalgie. Je n’ai pas eu la chance de grandir à Fès, mais c’est toujours pour moi un bonheur de voir mon père sillonner ce labyrinthe, connaissant tout les coins et recoins, toujours à raconter une anecdote par-ci par-là, avec nostalgie, il salue tout le monde, comme si tout le monde faisait partie de sa famille. A Fès, tout le monde connait tout le monde. Il y règne un climat très chaleureux et bienveillant.