Architecture et confort thermique en climat aride: le cas du Maroc

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Confort thermique & Architecture Dans les zones Ă climat aride Cas du Maroc

Benchemsi AĂŻda


BENCHEMSI Aïda Promoteur: DEPREZ Bernard Faculté d’Architecture La Cambre - Horta Université Libre de Bruxelles Mémoire de fin d’études en vue de L’obtention du diplôme de Master en architecture Année académique 2016-2017



Remerciements

Que toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de ce projet de fin d’études soient ici remerciées. En premier lieu, je tiens à exprimer gratitude et profonde reconnaissance à mon promoteur, Monsieur Bernard Deprez qui m’a guidée depuis le début et tout au long de l’élaboration de ce mémoire en me donnant confiance et motivation. Grâce à sa disponibilité, ses critiques constructives ainsi que ses précieux conseils, j’ai pu dépasser mes limites. Son engagement en faveur de la question de l’environnement m’a ouvert les yeux et sensibilisée à cette problématique ô combien d’actualité, et j’espère ainsi être à la hauteur de ses attentes...

Je dédie une mention spéciale à ma famille, mon pilier dans la vie et grâce à laquelle j’ai pu réaliser ce travail. Leur soutien quotidien, leur accompagnement le long de mes études et leurs mots tendres m’ont donné la force de ne jamais baisser les bras et surtout d’essayer de donner le meilleur de moi même dans tout ce que j’entreprends. Je remercie également toutes les personnes du milieu professionnel, que j’ai pu interviewer, rencontrer lors des visites, conférences, séminaires... Des gens incroyables qui ont su me transmettre leurs passions.


« Comment pouvons-nous aller de l’architecte-constructeur de système, vers le système architecte auto-constructeur? Un homme ne peut pas construire une maison, mais dix hommes peuvent construire dix maisons très facilement, même une centaine de maisons. Nous devons soumettre la technologie et la science à l’économie des pauvres et des sans argent.» Hassan Fathy, Discours d’acceptation du prix Nobel alternatif, le 9 décembre 1982 5


Choix du sujet

Dans le cadre général de la problématique liée à l’environnement, la question du confort thermique dans les régions à climat aride s’est posée et plus particulièrement au Maroc, dont je suis originaire. Ayant vécu une partie de mon enfance au Maroc, j’ai été à de nombreuses reprises amenée à aller dans des régions chaudes voir désertiques. Ma passion grandissant pour ces régions là, j’y retourne souvent et j’observe depuis des années des phénomènes mettant en évidence l’inconfort et la gêne ressentis par les habitants dans leur logements inadaptés aux conditions climatiques. Cela me donne l’occasion d’aborder la question essentielle du rapport entre l’architecture, le climat et le vécu des habitants. En tant que future architecte, j’ai considéré ce travail non seulement comme une recherche académique en vue de l’obtention du diplôme, mais également comme un engagement personnel vis-à-vis de ces régions. Des régions souvent marginalisées que ce soit au niveau des politiques étatiques ou au niveau de la recherche et de la qualité de vie des habitants. J’aimerais rendre hommage à tous ces gens qui ont enduré et endurent aujourd’hui encore du climat, à ceux que l’architecture a laissé tomber et déçu plus d’une fois, que ce soit durant une nuit hivernale glaciale ou une journée estivale étouffante. Cette gène liée à la rudesse du climat et à l’inconfort de leurs habitations m’a touché et m’impose humilité et grande motivation dans le choix du sujet de fin d’étude. 6


Introduction Depuis la nuit des temps, l’Homme a toujours essayé de s’adapter au climat pour améliorer son bien être par des solutions simples et économes. L’histoire jusqu’à un passé très récent, a répondu à l’idée qu’il faut vivre en acceptant les variations climatiques. Chaque région à travers son architecture locale a réussi à créer des solutions appropriées à son climat pour étendre les conditions acceptables du climat intérieur. Cependant, l’architecture moderne a développé une autre démarche pour pallier aux problèmes des conditions climatiques en séparant l’architecture de son milieu et en créant des artifices à l’intérieur au lieu d’adapter le bâtiment au climat. Aujourd’hui il est nécessaire voir indispensable d’étudier des solutions alternatives menant vers une architecture solaire passive, écologique ou encore bioclimatique, qui cherche à s’intégrer en harmonie dans son environnement et qui prend en compte une réduction d’entropie. Au Maroc, il est malheureux de constater que ces concepts déjà bien développés en Europe, restent peu considérés voir utopiques pour la réalité marocaine. Comment peut-on allier l’architecture aux conditions climatiques dans un cadre régional fidèle à son contexte identitaire tiré des savoirs faire locaux? L’architecture traditionnelle peut-elle servir comme source d’inspiration dans une conception bioclimatique? Comment rendre les conditions climatiques extrêmes notamment dans les régions à climat aride, un facteur de développement économique et social? 7


Problématique L’urbanisation galopante des 30 dernières années a pour conséquences des villes tentaculaires sans âme. Nous pouvons affirmer avec modestie que le développement du paysage urbain au Maroc n’est pas conforme aux attentes des Marocains. En effet, nous assistons à une uniformisation flagrante de nos villes, leur paysage authentique est en train de s’effacer pour laisser place à des blocs stéréotypés en béton. Les nouveaux modèles architecturaux produits durant ces dernières décennies, prennent forment de manière indépendante des villes, des régions, des climats et des besoins locaux des populations. Qu’elles se situent dans une région montagneuse, côtière ou semi désertique, ces constructions devenues des produits, des marchandises, affichent la même indifférence et uniformité. Le Maroc est doté d’un climat diversifié, allant du méditerranéen tempéré au saharien sec. Les régions chaudes et arides sont caractérisées par une intensité de radiation solaire très importante, des étés longs, prolongés, très chauds et très secs avec un taux d’humidité extrêmement faible. Face à ces conditions particulières, nous constatons un manque de réflexion lors du processus de conception architectural, sur le confort thermique et le bien être intérieur. L’enveloppe, la forme et les matériaux de construction choisis se libèrent et s’écartent des données du site et sont souvent en contradiction avec les exigences du milieu naturel, créant ainsi un inconfort et un déséquilibre entre les élément construits et l’environnement ambiant. Finalement, nous devrions parler d’architectures extra-vagantes puisqu’elles sortent du chemin en s’éloignant des repères contextuels, pour emprunter des parcours artificiels qui auront inévitablement un coût. 8


Dans certaines régions, la température peut atteindre les 45°C en été et les -3°C en hiver. Pour pallier ce problème, une partie des habitants tente de s’adapter par l’invention du nomadisme saisonnier et l’autre par l’utilisation excessive de la ventilation mécanique. Cependant, il n’est pas toujours évident que toute la population ait accès à cette alternative. Un nombre élevé d’habitants se voient contraint de vivre dans de mauvaises conditions de surchauffe et de froid tout au long de l’année. Face à cette situation, il me parait utile et nécessaire de trouver des solutions afin d’assurer le confort des usagers, un confort qui peut être obtenu si la conception architecturale bioclimatique est prise en compte dans les projets par exemple. Ce travail s’inscrit dans une optique globale de recherche sur la conception solaire passive en climat aride. Nous entendons par solaire passive une architecture qui d’une certaine manière, réduit les systèmes et artifices en se tournant vers la construction, le choix des matériaux, l’orientation... La conception qui en découle est une voie de progrès car elle permet un grand nombre de réponses et solutions aux divers problèmes auxquels nous faisons face quotidiennement. Elle permet de nouvelles possibilités comme faire appel au savoir faire et aux matériaux locaux, ainsi qu’à l’identité du lieu pour former ainsi un tout harmonieux, ou comme l’explique Franck Lloyd Wright, «No house should ever be on a hill or on anything. It should be of the hill. Belonging to it. Hill and house should live together each the happier for the other». A travers ce travail, nous aborderons à plusieurs reprises la notion d’identité d’un lieu. Cependant, nous tenons à 9


clarifier ce que l’on entend par là, puisque c’est une notion qui peut être vague et vouloir dire plusieurs choses à la fois. Nous faisons référence à une identité qui balance entre deux aspects: d’une part, l’identité matérielle figée d’un pays, son patrimoine, ses savoirs-faire, ses techniques constructives, ses typologies architecturales... Et d’autre part, l’identité immatérielle changeante d’un pays, ses projets culturels, ses règles communes, son désir commun, ses besoins... Nous sommes face à un constituant qui tire vers plusieurs voies. Pour notre part, il est certain que la voie du solaire passif est synonyme de progrès social, économique et culturel avec comme externalité positive, l’affirmation de l’identité d’un lieu en tant qu’élément immatériel qui se meut constamment, car elle fait appel au contexte, au climat, aux individus. Les points qui seront développés reposent sur la question essentielle de vérifier si la conception architecturale en climat aride peut assurer un confort thermique sans recours total ou partiel au conditionnement mécanique? Autrement dit, quelles sont les stratégies de conception à adopter, les dispositifs architecturaux à utiliser pour assurer le confort au sein d’un bâtiment dans la variété des climats marocains? Peut-on allier les principes ancestraux de construction et les connaissances les plus pointues de notre époque, pour une architecture qui tient compte de l’histoire, des spécificités naturelles du site, des savoirs faire locaux? Enfin, comment peut-on reconsidérer les conditions climatiques extrêmes comme réelle source de développement économique et social d’une région?

10


Sommaire

.

PARTIE I. Le climat aride et ses implications

16

I.

L’idée de confort A.

Origine

19

B. Entre confort subjectif et objectif Une interprétation culturelle du confort b.2 Exemple du Japon

23 24 26

Les paramètres du confort

28

A. Le confort thermique a.1 Les six paramètres du confort thermique a.2 Est-il possible de mesurer le confort?

28 28 30

b.1

II.

B. C.

L’approche du confort adaptatif

32

Reconsidérer le concept du confort

33

III. A.

19

Le climat du Maroc

38

Étude de l’aridité et classification des climats marocains a.1 Indice de l’aspect bioclimatique d’EMBERGER a.2 Indices du phénomène d’aridité a.3 Indices de l’effet de continentalité

40 40 41 41

B. Les clés de lecture b.1 Distribution variées des pluies dans le pays b.2 Distribution annuelle moyenne des températures b.3 Effet de continentalité b.4 Les différents étages bioclimatiques b.5 La caractéristique d’aridité

42 42 44 45 45 48

C.

Résultat: zonage climatique du Maroc

49

IV. Mise en pratique: confort thermique et climat

53

A. Les tables de Mahoney a.1 Les tables «diagnostics» Les tables «recommandations»

53 53 56

L’analyse climatique selon Givoni b.1 Olgyay b.2 La méthode de Givoni

60 60 62

a.2 B.


PARTIE II . En quoi le climat aride influence la conception architecturale?

I.

Éléments d’analyse bioclimatique

73

Fonctionnement thermique du bâtiment en climat chaud a.1 Formulation simplifiée de la température intérieure Conséquences sur l’architecture et la gestion par ses occupants

73 73 74

B.

Les stratégies de conception b.1 Confort d’été b.2 Confort d’hiver Exemples d’éléments architecturaux historiques répondant aux stratégies bioclimatiques

74 76 78 . 80

Vers des stratégies de conception et logiques de pensées

82

A.

a.2

b.3 C.

II. A.

70

Leçons du passé

84

Le savoir-faire ancestral local de l’architecture traditionnelle du Maroc a.1 L’habitat urbain: les médinas a.2 Analyse de la médina de Marrakech

85 85 86

B.

C.

L’architecture vernaculaire b.1 L’habitat montagnard b.2 L’habitat pré saharien

94 94 95

Analyse thermique du ksar de Zenaga, Figuig

98

III.

La terre comme solution? A.

B. C.

Terre et altérité

105 105

Évolution de l’utilisation de la terre

106

New Gourna, construire avec le peuple

107


PARTIE III

.

Comment concilier aujourd’hui les conditions d’un climat aride pour une architecture durable?

114

I.

Évolution de l’architecture au Maroc

116

A. Rappel historique a.1 L’architecture coloniale: le Maroc, un terrain d’essai a.2 L’architecture post-coloniale a.3 Les années 80-90: une tentative de retour aux sources a.4 Les années 2000 à aujourd’hui a.5 Les villes avant VS après: en image

116 116 117 118 119 121

B.

II.

Constat actuel de la construction en terre au Maroc

123

Volet énergétique et architecture au Maroc

125

A. Entre Low Tech et High Tech Le manuel du règlement thermique au Maroc

125 126

III.

Étude de cas

131

Premier projet en superadobe autorisé à Marrakech a.1 Avantage du site de construction a.2 Processus d’implantation a.3 Procédé technique a.4 Procédé de construction a.5 Construire avec des matériaux locaux aujourd’hui a.6 Composition par couche a.7 Un projet Offgrid a.8 Enveloppe budgétaire et mot de la fin

131 133 134 136 137 139 141 143 145

B.

A.

B.

Music school of Joudour dans le désert b.1 Contexte b.2 Mode de vie b.3 Enjeux b.4 Le projet

148 148 149 149 150

Conclusion

160



Bien-ĂŞtre Climat

Bioclimatique

Solaire passif

Individus

In-situ Terre

Échelle humaine


PARTIE I. Le climat aride et ses implications


I.

L’idée de confort A.

Origine

19

B. Entre confort subjectif et objectif Une interprétation culturelle du confort b.2 Exemple du Japon

23 24 26

Les paramètres du confort

28

A. Le confort thermique a.1 Les six paramètres du confort thermique a.2 Est-il possible de mesurer le confort?

28 28 30

b.1

II.

B. C.

L’approche du confort adaptatif

32

Reconsidérer le concept du confort

33

III. A.

19

Le climat du Maroc

38

Étude de l’aridité et classification des climats marocains a.1 Indice de l’aspect bioclimatique d’EMBERGER a.2 Indices du phénomène d’aridité a.3 Indices de l’effet de continentalité

40 40 41 41

B. Les clés de lecture b.1 Distribution variées des pluies dans le pays b.2 Distribution annuelle moyenne des températures b.3 Effet de continentalité b.4 Les différents étages bioclimatiques b.5 La caractéristique d’aridité

42 42 44 45 45 48

C.

Résultat: zonage climatique du Maroc

49

IV. Mise en pratique: confort thermique et climat

53

A. Les tables de Mahoney a.1 Les tables «diagnostics» Les tables «recommandations»

53 53 56

L’analyse climatique selon Givoni b.1 Olgyay b.2 La méthode de Givoni

60 60 62

a.2 B.


La première partie du mémoire débute en ouvrant sur une définition vaste du confort. Un confort relatif entre subjectivité et objectivité, qui souvent varie de manière drastique d’une culture à une autre. Nous tenterons par la suite, d’objectiver cette notion complexe en apportant des éléments scientifiques à la question, pour enfin s’intéresser au climat en tant qu’un ensemble de paramètres et de variables. Enfin, Nous verrons à l’aide d’outils (tables de Mahoney, diagramme de Givoni) comment le milieu extérieur implique et détermine une architecture donnée. 18


I. L’idée de confort «Le confort est d’abord expression de l’inventivité: le feu, la maison, l’outil - tout le nuancier, le crescendo du confortable, de la capacité à surmonter la vie de manière supportable. C’est à partir de la possibilité de l’oisiveté et de celle de l’organiser à notre gré que se développent les aspects lumineux de la conscience de l’individu. Tant qu’il peut façonner les choses de manière ludique, l’individu participe à l’aspect constructif de l’histoire du monde»2.

A. Origine Avant même de parler de la notion de bien être et du concept du confort en particulier, il est intéressant de vérifier quand il en a été question prioritairement, et de façon significative dans l’histoire des établissements humains. En effet c’est un paramètre qui n’est apparu qu’assez tardivement. L’architecture existe depuis des siècles, il a toujours été question d’architecture ou plutôt de constructions de sécurité, de défense et d’attaque. La construction de milliers de villages a vu le jour et se multiplie partout à travers le monde, sans jamais évoquer le paramètre de confort. C’est assez curieux de penser à cela, quand aujourd’hui la première chose à laquelle nous pensons quand nous devons chercher un appartement par exemple, c’est cette notion de confort: vérifier que c’est bien éclairé, qu’il y a un chauffage et une climatisation à disposition, que c’est propre et confortable, etc. Regardons alors cela avec plus de distance afin de comprendre l’origine de ce terme, de comprendre l’évolution de la société et des cultures qui ont forgé une nouvelle manière de concevoir et penser l’architecture. Tout d’abord, Reyner Banham (auteur et critique architectural) en 1969 dans «Architecture of the Well-tempered Environment» commence sa réflexion en s’appuyant sur des preuves archéologiques qui semblent suggérer que l’humanité peut exister et a longtemps existé, sans assistance, sur pratiquement toutes les parties de la terre, à l’exception des plus arides et des plus froides. En effet, l’homme nu, armé de mains, de dents, de jambes et de ruses indigènes semble être un organisme capable de vivre partout. Cependant, l’homme évolue et cherche à acquérir plus de facilité et de loisir dans la quête de survie. Cette volonté provient en grande partie d’un déploiement de ressources techniques et d’organisations sociales, dans une volonté de contrôler l’environnement immédiat: être au sec durant les tempêtes de pluies, au chaud durant l’hiver, pouvoir se détendre en été, avoir des surfaces convenables sur lesquelles organiser des activités sociales, des terres cultivables etc... Pour cela, l’homme n’a disposé que d’une méthode tangible pour réaliser ces améliorations environnementales: ériger des structures massives et permanentes. Pour être plus précis, nous pensons plutôt que l’abris léger (la cabane, la toile

Comportement environnemental de la tente. 1: Membrane imperméable qui protège du vent 2: Reflète la plupart des radiations, retient la chaleur interne et maintient une intimité Source: «Architecture of the Well-tempered Environment», Reyner Banham, 1969.

19


etc) a précédé l’apparition de l’architecture massive mais elle n’a pas laissé de traces. Ainsi, si l’histoire de l’architecture est d’abord liée à un paramètre de sécurité: s’abriter dans les grottes pour pouvoir fermer les yeux la nuit et se protéger des prédateurs avant d’aller de nouveau à la chasse; il ne saurait tarder à l’homme de penser à des solutions mieux adaptées à ses conditions de vie: construire un abri pour se protéger des dangers extérieurs, de l’environnement, du climat mais également pour établir un campement. C’est la bifurcation de l’homme chasseur-cueilleur nomade vers l’homme sédentaire. La sédentarité, c’est-à-dire le rapport au temps marque l’histoire dans bien des aspects: avant les groupes humains bougeaient, suivaient des troupeaux sauvages, et avec l’invention de l’agriculture, l’homme reste et perdure dans un même lieu. L’abri qui en découle est conçu pour lutter contre les intrusions mais également contre le temps qui passe, autrement dit, contre le risque et l’usure. C’est aussi une économie que l’homme apprend à faire puisqu’il ne doit plus construire de nouveaux abris continuellement. En bref, l’architecture nait avec la sédentarisation et est liée à ce tournant dans l’histoire des hommes: plus qu’offrire de la sécurité, il s’agit d’organiser le temps pour travailler la terre (stocker les récoltes, les outils, les animaux, etc) à travers les saisons (semer, pousser, récolter, préparer, etc). Par ailleurs, l’ethnologue Pascal Dibie, fait une allusion par rapport à la fin de la grande glaciation de Würm (en 17 000 av. J.-C) se manifestant par un climat, une faune et flore qui évoluent: «nos ancêtres aménagent l’entrée des cavernes à l’aide de peaux de biche et de lapin, qui font office de couches et, cousues entre elles, d’habits et de couvertures». Selon lui, c’est ainsi que «l’art du confort fait irruption dans la chaîne prodigieusement longue des êtres qui ont peuplé les neuf dixièmes du temps humain que nous connaissons»1. Il s’agit là probablement des premiers artifices inaugurant la suite des choses, à savoir, l’immensité des commodités matérielles sans lesquelles nous ne pouvons vivre aujourd’hui, «devenues nécessaires et indispensables dans notre quotidien»2. La recherche de traces matérielles du confort peut être hasardeuse dans la mesure où il est difficile de dater exactement son apparition, son émergence. Plusieurs suppositions et hypothèses peuvent être faites, mais après diverses lectures, finalement pourrions-nous dater cette idée sur le mode du mythe (car les faits scientifiques nous manquent), en donnant raison à Walter Scott qui décrit l’appartement de Lady Rowena (personnage fictif du roman Ivanhoé de 1819): «Il y avait donc de la magnificence mêlée à une tentative rudimentaire de bon goût, mais pas de confort, et comme celui-ci était alors inconnu, on n’en ressentait pas l’abscence»3 ? L’idée du confort qui nous semble si naturelle aujourd’hui et simple 1 «Ethnologie de la chambre à coucher», Pascal Dibie, 1987 2 «L’idée de confort, une anthologie du zazen au tourisme spatiale», sous la direction de Tony Côme et Juliette Pollet, 2016 3 «L’ameublement, psychologie et évolution de la décoration d’intérieure», cité par Mario Praz, 1964 20


comme bonjour, a commencé à voir le jour lentement mais sûrement au XVIII ème siècle en France. La naissance d’une aristocratie «oisive» a réagi de manière ferme contre les impératifs, les contraintes et obligations du protocole imposés par la Cour de Louis XIV. En effet, la notion de confort peut être associée à l’apparition d’une époque et surtout une société spécifique: celle de l’ère moderne, pré-capitaliste. Les évolutions quant à cette notion tiennent en particulier d’une recherche de distinction qui marquent le statut des différentes classes sociales. De plus, cette notion tient d’une histoire sur la recherche de goût, qui peut se rejoindre à l’aspect précèdent. Enfin, c’est une notion qui tient également de la quête d’un bien-être. L’historien George Vigarello met en lumière au XVIII siècle, l’apparition de la notion de confort que l’on peut qualifier de moderne. Il émet l’hypothèse que ce phénomène apparaît d’une part, par un contrôle de l’espace privé et d’autre part, par une réorganisation de l’intérieur des flux qui le traversent. Plus tard, au XIXe siècle, le confort à «air pulsé»2 , c’est-à-dire la réflexion portée à la question hygiéniste sur le renouvellement de l’air, apparaît avec les conceptions architecturales de Fourrier. Il est par la suite corrigé, métamorphosé pour se perfectionner au bas des usines de New Lanark (ou encore dans le familistère de Guise): de nombreux aristocrates et réformistes visitent les usines et sont abasourdis par l’environnement industriel sain et propre allant à l’encontre des courants de pensée de l’époque. En effet, nous pouvons voir que dans la lettre de Jean Baptiste André Godin au Phalanstérien Cantagrel en 1853, il est écrit «Je me suis demandé bien des fois si ma position ne me permettrait pas de réaliser, à côté de mon établissement, une cité ouvrière dans laquelle un véritable confort serait accordé à mes ouvriers, en égard à l’état dans lequel ils vivent». Il mettra en place des poêles à tous les étages, une buanderie, un système de renouvellement de l’air, des piscines chauffées etc, pour apporter du confort aux ouvriers. Ces usines symbolisent la révolution industrielle (en Grande-Bretagne au cours des XVIII et XIX siècles). Dès lors, certains socialistes comme Friedrich Engels et Karl Marx en particulier, critiqueront haut et fort ces constructions faussement «honnêtes» dans leur essence et fonctionnalité. Ces simples, quoique luxueux foyers pour ouvriers, pensés par une haute bourgeoisie, par des «philanthropes bourgeois», auraient pour finalité une exploitation totale ouvrière supplémentaire. Ceci ressortirait simplement d’une forme de contrôle social. Ces constructions enracinées dans le paysage industriel de l’époque ne seraient finalement qu’une «puissante arme» que personne ne pourrait ni ne voudrait refuser, une sorte de «discipline douce»4 qui, lentement mais sûrement, s’implanterait dans tous les foyers. Cependant, nous ne pouvons pas réduire cela de manière aussi simpliste, car le confort bénéficie 4 1977

«Les machineries anglaises du confort», Recherches n°29, François Béguin,

21


tout de même aux individus, que cela nous plaise ou non, il est inévitable d’admettre que le confort offre divers avantages. Une nouvelle ère commence alors avec Victor Considérant (1808-1893) et l’utopie socialiste du calorifère central qui éclôt, brille et devient un «standard of living package»5 dans les projets jusqu’à aujourd’hui: avec le développement de techniques comme le chauffage individuel, la climatisation, la ventilation hygiénique, sans parler de l’électricité domestique. Cette idée de confort passant par l’utilisation de machines prend alors une tout autre ampleur en devenant un outil qui peut se développer partout, s’installer dans toutes les architectures. Ceci conduira à des projets architecturaux délaissant progressivement, au profit d’un équipement technique, toute réflexion contextuelle concernant l’orientation solaire, le contexte climatique, tous les éléments qui finalement étaient la base de tout projet quelques décennies auparavant. Ainsi, c’est comme cela, qu’à la fin du 19eme siècle, avec l’industrialisation, une nouvelle filière économique naît. C’est la création d’une toute nouvelle industrie de l’acier et du verre et une meilleure connaissance de la thermodynamique qui permet la production de poêles, de machines à moteur ou à combustion, d’équipements, qui viennent s’ajouter à l’architecture de sécurité pour combler un déséquilibre face aux températures dans les bâtiments et assurer un confort aux habitants. Cependant, comme tout élément qui peut paraître comme une solution ou une invention extraordinaire, un côté pervers finit par apparaître. En effet, ce qui est dommage c’est la perte de relation au contexte ainsi que la perte de savoir architectural hérité des solutions anciennes. L’architecte cède du terrain aux divers techniciens, qui recherchent leur profit, contre celui de l’architecte ou des usagers créant alors une division entre architecture, contexte et échelle humaine. Paul Virilio dans «l’insécurité du territoire» explique d’où provient notre économie de «paix» et l’explosion de la consommation à partir de 1945: c’est le résultat des solutions efficaces et rentables qu’a trouvé l’économie de guerre. En effet après la guerre, il a fallu réfléchir à une manière de maintenir les bénéfices des industriels, donc la croissance. De cette économie de «paix totale» découlera la production de machines et d’équipements pensés pour équiper les habitations, mais aussi l’obsolescence programmée et «la consommation jetable»6 Dès les années 50, l’inquiétude de l’homme se fait ressentir face à un pouvoir grandissant que prend la machine dans les logements. La machine devient un outil de contrôle total de l’environnement puisqu’elle est ce qui permet, désormais, d’être bien ou pas chez soi. Allumer la climatisation, démarrer le chauffage, éteindre la climatisation, baisser le chauffage, tout devient très facile, le confort devient accessible en un clic, en un 5 6 22

«Your private Sky: The art of Design Science», Baden, Lars Müller, 1999 «The Waste Makers», Vance Packard, 1960


mouvement de doigt. Un geste simple, rapide et facile que tout ménage finit par adopter dans sa manière de vivre le logement; en conséquence, tout ménage finit par considérer comme acquis le contrôle qu’il a sur son environnement, son ambiance intérieure. La société, les cultures, les politiques finissent par créer une sorte de dépendance dans les bâtiments de l’usage des équipements et machines, et sans elles, le confort n’est plus atteignable. Un nouveau fantasme prend naissance chez les individus, le rêve de posséder une maison tout équipée. Comme si d’un coup, le bien être n’avait jamais existé auparavant, avant l’usage de la machine. Cependant, comme toute dépendance, des conséquences malsaines se produisent inévitablement. Dans ce cas en particulier, les conséquences et répercussions prendront place dans le lieu qui héberge toutes habitations, tous logements, toutes constructions: la planète terre. Une planète qui souffre aujourd’hui, entre autre, par cette quête de contrôle de flux immatériels énergétiques, par cette dictature du confort. Pour conclure, le confort résulte d’une véritable histoire dans le temps. Premièrement, après la transition vers une société sédentaire, le confort touche les premiers équipements, les meubles et leur ergonomie. Dans un deuxième temps avec les villes hygiénistes, le côté sanitaire prend une grande importance: le confort est lié à l’éloignement des déchets (égouts, fosses d’aisance, etc...), à la question de la lumière, à l’air (renouvellement de l’air dans les quartiers pensés par Augustin Rey par exemple). Puis pour finir, ce n’est que tardivement que le confort est lié à la chaleur, au confort physique. Ce mémoire se place finalement à la fin d’une frise chronologique de l’évolution du confort, c’est pourquoi il se concentrera sur le dernier aspect du confort lié à la chaleur et au confort physique.

B. Entre confort subjectif et objectif Le concept de confort est bien entendu à nuancer. Il peut dépendre, et a effectivement dépendu depuis très longtemps des équipements comme nous l’avons dit précédemment. Cependant, il faudrait revenir un instant sur la notion de bien-être de manière plus large, pour aborder cette notion de confort de manière transversale afin d’en comprendre au mieux la complexité. Nous parlerons ici, d’un bien être lié à une multitude de différents paramètres. Le corps humain montre une aptitude extraordinaire, celle de s’adapter aux environnements changeants. Chaque corps n’est pas pré déterminé à la naissance, à devoir vivre dans tel ou tel environnement. C’est pour cela que le sentiment de confort peut être perçu de manière différente d’un peuple à l’autre, d’une personne à une autre. Ce ressenti de confort varie radicalement au fil de l’histoire des us et coutumes, mais aussi en fonction de l’âge des individus ainsi que de la corpulence de chacun. Cependant, il nous faut nuancer ce propos. Dans les notes de travail de 1953 des auteurs Charles et Ray Eames, les designers relativisent la notion d’un confort purement subjectif en écrivant: «Les gens 23


semblent très différents les uns des autres. Mais lorsqu’on les compare à d’autres espèces ou entités -souris, éléphants, arbres, choses-, ils commencent à se ressembler de près. Trouver une solution générale satisfaisante semble alors se rapprocher du domaine du possible.» Ainsi, il serait ici, nous semble-t-il, plus juste de parler d’un confort lié à une culture, un pays et une société en particulier, plutôt qu’un confort lié à chaque individu (même si toutefois cet aspect existe et doit être pris en compte dans la conception d’une maison).

b.1. Une interprétation culturelle du confort Peut-être n’y a-t-il jamais eu «d’âge d’or» du confort? c’est un concept qui évolue depuis toujours: les architectures traditionnelles par exemple, faisaient ce qu’elles pouvaient dans la mesure du possible. Les constructions étaient rationnelles, c’était d’abord et avant tout du bon sens, qui ne garantissait pas forcément le confort «moderne» que nous connaissons aujourd’hui. Selon une vingtaine de personnes âgées interrogées au Maroc, les attentes étaient nettement moins élevées il y a quelques années. Au début des années 20, avoir une température de 11 ou 12° dans les chambres était tout a fait normal, tandis qu’aujourd’hui nous ne pourrions pas tolérer cela. Pour illustrer cette évolution historique du confort, nous nous sommes penchés sur une étude menée à partir d’extraits d’un ensemble d’interviews intergénérationnels réalisés par des étudiants en BA1 de La Cambre Horta ULB, en interrogeant un aïeul sur l’évolution de son mode de vie en relation au confort domestique et à la consommation des ressources naturelles. L’échantillonnage a porté sur des personnes âgées de 74 ans en moyenne dans 44 pays différents7. Pour certains, le confort était vu comme un gain de temps et d’efforts: Marie (1930, Cameroun) «avec l’arrivée de l’électricité dans le quartier, la journée disposait d’heures supplémentaires», autrement dit, ce temps supplémentaire est intimement lié à un usage d’équipements mais nous verrons qu’il sera de plus en plus présent. Les personnes âgées parlent de confort lié à une autre vision que celle d’un confort thermique: il s’agit d’un nouveau «mode de vie» avec l’arrivée d’objets comme les «poêles de Louvain, machines à café à manivelles, bassines de zinc, quinquets, briques au fond du lit, cocotte-minute, ampoule 20 W et fusibles à 6A, la première machine à laver et le premier réfrigérateur, ect.»1. Aujourd’hui cela a évolué, il suffit de nous demander de quoi dépend notre confort à nous, et nous vous répondrons qu’il est lié à l’usage de notre téléphone, ordinateur ou télévision. Ce qui est intéressant de relever dans cette étude, c’est que la notion d’économie des ressources ou de maitrise de la consommation disparait dès que l’eau ou l’électricité, par exemple, deviennent «courants». En effet, les individus usent et abusent sans se soucier de savoir si il y 7 24

«Tout le confort moderne», Bernard Deprez, be.passive03, 2010


a suffisamment de réserves. Ghita (1922, Alexandrie) en parle, «quand on ne se heurte à aucun manque, on gaspille allègrement», puis Albert (1927, Waterloo) dénonce cet effet pervers «c’est ce qui s’est passé avec le pétrole dans les années 60: ça coûte moins cher, donc je peux chauffer plus!»,.Autrement dit, le confort finit par faire oublier aux gens le rythme de la nature, par exemple, le temps nécessaire à la reconstitution périodique des stocks de bois, etc.. Plus de confort amène à un effet rebond, la télévision par exemple prend le dessus en tuant les veillées en famille et surtout finit par donner le sentiment que nous n’avons plus de temps libre. Ces objets finissent par changer radicalement nos vies de l’intérieur. Ces personnages âgés ont connu une période qui a permis la naissance d’un progrès venu pour combler des besoins fondamentaux comme la jouissance d’un confort de base, la sensation de chaleur, l’accès rapide à l’eau ou encore la conservation d’aliments. Cependant nous nous rendons compte que chaque besoin comblé finit par conduire à de nouveaux besoins inexistant auparavant, qui nécessitent d’être comblés à leur tour. Abdeladi (1932, Fès) évoque son ascension sociale et parle de son arrivée dans la ville, qu’il regrette; en effet, sa venue le contraint à multiplier les «signes de confort, comme autant de preuves d’appartenance sociale; il subit une pression continue qui l’envahit d’une crainte de privation. Ces besoins instaurent un sentiment permanent d’insatisfaction, de frustration et, au fond, d’inconfort.»6 Règne alors un sentiment de trop plein, une débauche de consommation et ces objets devenus indispensables transforment les individus en assistés. Les besoins réels de chacun finissent pas se perdre ainsi que leur créativité. Un basculement a lieu dans l’histoire de l’architecture, jusqu’aux années 80, quand les gens ressentent progressivement le confort comme une question de technologie, d’équipements, et non pas d’architecture, qui occasionnent des consommations d’énergie. Entre besoins primaires et luxe, Jean-Jacques (1937, Uccle) conclut «le confort d’aujourd’hui est une gourmandise qui menace nos forêts, nos glaciers, nos écosystèmes».

Ainsi, nous pouvons voir que le confort, avant d’être décrit comme une série de conditions hygrométriques à devoir satisfaire, passe par une histoire culturelle: ce sont des objets nouveaux qui s’imposent, un autre rapport au temps (la consommation continue d’une ressource remplaçant l’alternance liée à des ressources stockées et non courantes), un autre rapport aussi à leur éventuelle absence. Puis le confort, au delà d’un certain seuil critique, a un effet inverse puisqu’il devient source première de difficultés et d’inconfort, en bref, une négation de lui-même. En effet il n’y a qu’à voir les effets pervers collatéraux comme la pollution, les embouteillages ou encore les accidents qu’engendre la voiture par exemple.

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Il est nécessaire aujourd’hui de repenser les besoins primaires et le confort que l’on souhaite réellement atteindre dans un bâtiment. Il faudra redéfinir ces besoins, et non plus assouvir les désirs et envies de chacun: ces désirs sont en réalité des désirs de conformisme social («être moderne», comme mon voisin), soutenu par le système productiviste. Nous sommes tombés dans ce que Tomàs Maldonado (philosophe du XX ème siècle) appelle «la technologie de la quotidienneté, autrement dit, l’ensemble des techniques et des pratiques qui constituent la base de la culture matérielle domestique»8.

b.2. L’exemple du Japon Après avoir vu qu’au fil des années, le confort a connu une évolution importante, il serait intéressant, à ce stade, de se pencher sur le ressenti et la sensation de confort qui peut être complètement différente d’une culture à une autre. Pour illustrer cela, arrêtons nous un instant en Asie, et plus précisément, au Japon. La perception du confort au Japon est tout autre. En effet, un intérieur confortable dans ce pays, se traduira par un espace très chaud dans la pièce principale de séjour quitte à avoir des pièces froides partout ailleurs dans l’habitation. Nombreux sont les Japonais qui apprécient la chaleur concentrée et particulière du Kotatsu (atteignant facilement les 30°C). Le kotatsu est un appareil qui permet de produire de la chaleur. Il serait plus correct de parler d’une manière culturelle traditionnelle de se réchauffer plutôt que d’appareil électrique. En effet, c’est une méthode qui existe depuis des générations qui est à l’origine d’une certaine manière de vivre en famille, de se réunir. Il est composé d’une table basse en dessous de laquelle se trouve un radiateur ainsi qu’une couverture qui recouvre la table afin de ne pas laisser la chaleur s’échapper et pouvoir conserver ses jambes au chaud. Il permet de créer un côté convivial au sein de la famille qui se réunit autour du kotatsu dans l’espace principal de la maison pour partager nourriture, discussion ou simplement regarder la télé. Cependant, cette manière de vivre impacte particulièrement les personnes âgées. En effet, 15 000 Japonais meurent chaque année de choc thermique9. La transition entre un espace de vie très chaud vers un espace non chauffé (salle de bain, chambre, cuisine...) provoque un réel choc sur le corps humain, pouvant être fatal sur des personnes à la santé fragile. Quand nous savons que les accidents de la route au Japon provoque 5000 morts par année, nous pouvons penser qu’il est plus dangereux d’y vivre dans une maison que d’y conduire. Cela peut paraître difficile à croire sachant à quel point le Japon est doté d’un grand savoir technologique en matière d’appareils électronique vendus sur les marchés locaux et extérieurs, voire mondiaux. Cependant, les coutumes, les habitudes de vie, 8 1987

«L’idée du confort», extrait de Il futuro della modernità, Tomàs Maldonado,

9 «Japon: climat chaud et humide à Karuizawa» écrit par Kevin Meyerson dans le magazine be.passive 11 26

« Deux jeunes femmes assises sur un kotatsu jouant au berceau du chat », Suzuki Harunobu, 1765


les traditions et ainsi la perception du confort, entrainent les Japonais à vivre comme cela sans trop de préoccupations. Ainsi, nous pouvons nous apercevoir que la notion de confort est une construction culturelle, au-delà de ses variations subjectives. Il est donc primordial de se renseigner sur la manière de vivre d’une population avant de concevoir un projet d’architecture. Car un bâtiment confortable au Maroc par exemple, ne sera pas perçu de la même manière ailleurs. Ou encore, dans le cas de figure d’un igloo, passer d’une température extérieure de -40°C à une température intérieure de 10°C équivaut à un confort tout à fait satisfaisant pour ses habitants; en effet, un gain de 30°C se fait sentir par rapport à l’extérieur et cela est non négligeable. Cependant, une maison en Belgique avec une température intérieure de 10°C n’est pas satisfaisant.

D’une part, nous avons vu que le confort est en partie non objectif. Il s’agit d’une notion différente selon les cultures et leurs histoires, les individus et leur mode de vie, etc. Toutefois il existe un ensemble de paramètres qu’il est possible d’objectiver et de quantifier. Par exemple, le métabolisme universel du corps humain peut être étudié de manière scientifique, et un traitement culturel postérieur peut lui être appliqué ( en tenant compte que le même métabolisme est «interprété» différemment dans chaque culture). Ainsi, nous verrons dans la suite de ce travail, les différents paramètres considérés comme universels, qui pourront établir des mesures à prendre en compte dans la conception architecturale d’un projet selon le climat, le lieu, le contexte... D’autre part, avec les préoccupations toujours croissantes du développement durable, les architectures se doivent de répondre à deux exigences: tout d’abord assurer des ambiances confortables et saines, tout en ayant un impact favorable sur l’environnement extérieur, ou du moins maîtriser au mieux les impacts sur l’environnement. De ce fait, nous considérerons avec une vison globale le confort comme étant un élément «qui tient compte de sa pluridisciplinarité: en fait, physiologie, physique, psychologie et sociologie sont tous des domaines qui interviennent, dans une certaine mesure, lors de la définition du confort thermique.»10 10

«Complexité du confort thermique dans les bâtiments», Dr R.Cantin, B. Moujalled, G.Guarracino, 6 eme congrès Européen de Science des Systèmes, Paris, 2005 27


II. Les paramètres du confort L’ambiance thermique est l’un des aspects qui définissent la satisfaction d’un individu, et expriment ainsi le confort thermique. Le corps humain doit constamment assurer un équilibre thermique du fait qu’il est homéotherme, c’est-à-dire «dont la température centrale est constante et reste indépendante de celle du milieu extérieur. Et pour cela, il dispose d’un système de thermorégulation qui lui permet de régler les échanges de chaleur avec son environnement, en exerçant des réactions conscientes (adaptation comportementale) et inconscientes (frisson et sudation). Avec un bilan thermique global nul, le corps humain assurera son équilibre thermique. La neutralité thermique résulte d’un équilibre thermique obtenu par peu (ou aucune) de réactions physiologiques. C’est l’idée l’idée d’un confort comme «ni trop chaud ni trop froid», c’est-à-dire comme non-insatisfaction. Toutefois cette neutralité thermique ne correspond pas nécessairement au sentiment de confort thermique. Au delà des facteurs physiques et physiologiques qui régissent la sensation thermique, d’autres facteurs d’ordre psychophysiologiques influencent le confort thermique. En effet, la satisfaction perçue, par un occupant dans une ambiance donnée, s’exprime en fonction de l’accord entre les conditions thermiques actuelles dans le bâtiment (satisfaction obtenue) et celles qui correspondent aux attentes de l’occupant (satisfaction anticipée) [Brager & de Dear].»1

Ainsi, pour entamer les recherches et objectifs de ce mémoire, il est utile de clarifier la notion de confort thermique. Qu’est-ce qui caractérise la notion de confort thermique? Est-elle mesurable, quantifiable? Quel rapport existe-il entre le confort thermique et les conditions climatiques d’un milieu? Nous procéderons d’abord ici à une recherche «techno-scientifique» de cette notion pour axer l’étude sur des bases bien définies, que nous tenterons par la suite de mettre en lien avec le climat aride et l’étude de cas spécifiques localisés au Maroc.

A. Le confort thermique a.1. Les six paramètres du confort thermique Tout d’abord, le confort thermique se définit scientifiquement comme un état dit de «satisfaction» du corps face à un environnement thermique, un climat environnement. Cependant, il est difficile d’évaluer de manière exacte un état de confort d’un individu, puisque cette notion fait appel 1 «Complexité du confort thermique dans les bâtiments», Dr R.Cantin, B. Moujalled, G.Guarracino, 6 eme congrès Européen de Science des Systèmes, Paris, 2005 28


aussi à des éléments totalement subjectifs selon chaque personne. D’une personne à une autre, dans un environnement similaire, une même Vitesse de l’air 35% température et un même lieu, l’état de satisfaction peut varier selon x ou y. On entre alors dans 36,7°C des considérations parfois psychologiques qui Humidité 35% entraînent des sensations différentes selon chacun, et qui peut provenir de la culture, de l’édu24% Température des parois cation, de l’enfance, de l’école, de la famille, de Température de l’air l’environnement quotidien etc... Cependant, on peut émettre un premier juge6% Métabolisme ment objectif de la notion de confort, puisqu’elle est en direct lien avec la température, le bruit, la 1 Habillement % lumière, la qualité de l’air, l’humidité... Conduction De manière générale, l’homme maintient sa température corporelle aux alentours de 36,7°C. Figure 1: schéma des échanges thermiques La température ambiante d’un espace n’étant jamais aussi élevée (en règle générale), il y a des échanges thermiques entre l’environnement et le corps, qui se manifestent éventuellement par des variations de température. Divers mécanismes vont interagir dans les échanges de chaleur entre l’ambiance environnante et l’individu. Comme nous pouvons le voir sur le schéma ci-contre, plus de 35% des pertes de chaleur humaine interviennent par le phénomène de convection avec l’air ambiant (évaporation par transpiration et convection). Puis, 35% des échanges thermiques sont effectués par rayonnement à la surface de la peau tandis que les échanges par contact, c’est à dire par conduction sont négligeables car ça équivaut à moins de 1%. Enfin, le corps perd jusqu’à 6% de sa chaleur durant la journée (processus du corps qui digère la nourriture). Toujours dans ce même schéma, nous avons mis en avant les six éléments dont va dépendre le confort thermique: Le métabolisme, qui maintient la chaleur interne au sein d’un individu pour lui permettre de maintenir son corps à 36,7°C; L’habillement, qui représente une résistance aux échanges thermiques entre la peau et l’environnement; L’air, qui est caractérisé par une température ambiante Ta; Les parois, qui sont aussi caractérisées par une température Tp; L’humidité relative de l’air HR en pourcentage, qui est le rapport entre la quantité de particules d’eau d’un environnement à température ambiante Ta et la quantité maximale de particules d’eau que l’air admet à cette même température; La vitesse de l’air, qui va influencer une partie des échanges thermiques par convection. 2

Convection

Rayonnement

Evaporation, sudation

Ingestion, nourriture

2 «Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques», Alain Liébard et André De Herde, 2006 29


a.2. Est-il possible de mesurer le confort? Comme nous l’avons dit précédemment, le confort représente le niveau de satisfaction d’un individu face à un environnement ambiant. C’est un paramètre qui allie d’une part des notions objectives mesurables et d’autre part des sensations personnelles subjectives, propres à chacun. Cependant, le fait que le confort soit lié à des aspects comme la température, l’humidité, le bruit, la qualité de l’air, la lumière, etc, font qu’une part importante du confort dépend d’un bien être thermique qu’il est possible de mesurer. D’une manière générale, pour qu’un environnement soit confortable, il est nécessaire que le corps puisse maintenir une température intérieure régulière et stable, que la température moyenne de la peau soit confortable en ayant une transpiration qui ne soit pas trop abondante, et enfin, qu’aucune partie du corps n’ait un ressenti extrême trop froid ou trop chaud (ceci résulte de l’observation des médecins, physiologistes, chercheurs, etc). De manière pratique, il faut réunir plusieurs éléments pour permettre aux paramètres constitutifs du confort de se maintenir le plus longtemps possible. Pour cela, il ne faut pas de différence de température ressentie par l’individu de plus de 0,8°C d’un endroit à un autre; il ne faut pas plus de 2°C de gradient entre la tête et les pieds d’une personne assise; il ne faut accepter qu’une faible différence de température de radiation dans les diverses directions possibles; il ne faut accepter qu’une faible différence de température entre les surfaces rayonnantes et l’air; il faut respecter la limite de vitesse de l’air, qui est généralement de 0,2 m/s; il ne faut pas dépasser la limite d’hygrométrie.1(cf.p28) Pour entrer plus en détail, Fanger (1934-2006), professeur au Centre international de l’environnement intérieur et de l’énergie à l’Université technique du Danemark, a conceptualisé une méthode pour évaluer le confort de manière objective. Ce dernier souhaite normaliser les caractéristiques scientifiques liées au confort thermique. Notons tout de même qu’il reprend une interprétation de la notion de confort mise en avant par Olgyay dès 1963 (que nous aborderons plus tard dans ce travail). «Le modèle de Fanger traduit l’équation de l’équilibre thermique du corps humain. Il combine les paramètres d’ambiance cités plus haut (température d’air, température de paroi, humidité de l’air, vitesse de l’air) aux paramètres de comportement (habillement, activité) pour calculer un indicateur de confort représentant l’avis moyen d’un groupe important de personnes qui exprimerait un vote de sensation de confort thermique. Cet indicateur, le PMV (Predicted Mean Vote), se mesure sur une échelle de sensation thermique à 7 niveaux. Le modèle a été conçu en confrontant les équations physiques avec des expériences réalisées en chambre climatique. Il a été validé, à la fin des années 70 par enquête statistique sur un grand nombre de personnes placées dans des conditions thermiques données. Il permet de mesurer une sensibilité à différents paramètres30


comportementaux et d’ambiance»3. Sur la figure 2, est défini le rapport entre le pourcentage prévisible d’insatisfaits (PPD) sur l’axe vertical) par rapport à la température de l’air en °C (sur l’axe horizontale). C’est une étude qui a permis de quantifier, par rapport à de réel individus, le sentiment de confort thermique qu’ils pouvaient ressentir à une température x, selon leurs activités. Nous pouvons voir que la courbe rouge qui représente les individus faisant un travail léger, tend vers les basses températures, c’est à dire que les personnes qui ont un peu chaud de part leurs activités vont avoir tendance à vouloir une température environnante plus basse. A l’inverse, la courbe verte qui représente les individus au repos assis, est beaucoup plus serrée, cela signifie qu’ils seront tout de suite plus sensibles à de petites variations de température. Nous pouvons voir que même lorsque le pourcentage d’insatisfaits est le plus faible, nous aurons toujours 5% de personnes insatisfaites; 0% d’insatisfaits n’existe pas puisqu’il est question d’un phénomène culturel aussi.

Figure 2: Courbes des pourcentages prévisibles d’insatisfaits (PPD) Source: Guide de l’architecture bioclimatique 1996

Sur la figure 3 mise au point par Fanger, deux paramètres ressortent: d’une part nous avons l’indice PMV (predicted mean vote pour vote moyen prévisible) qui représente, par vérification statistique, le ressenti d’une sensation thermique de chacun des membres d’un groupe d’individus. Un PMV = 0 signifie que l’individu n’a ni sensation de chaleur abondante, ni sensation de froid abondant, c’est finalement l’absence d’in- Figure 3: Graphique de Fanger confort, qui revient à parler d’une zone neutre, Source: http://tecno.sostenibilidad.org une zone de confort absolu. Un PMV = +3 signifie que l’individu a très chaud, et inversement pour -3. Les enquêtes de Fanger mettent en évidence qu’il existe constamment un minimum d’individus insatisfaits. D’autre part, les diverses réponses PMV ont été rassemblées selon les «échantillons statistiques» et forment l’indice PPD (predicted percentage of dissatisfied, dont on a parlé plus haut) qui représente le pourcentage prévisible d’individus insatisfaits dans une situation thermique donnée. Ainsi, PMV et PPD sont liés puisqu’il n’y aura jamais 100% d’individus satisfaits comme le montre le graphique ci-dessus. En 3 «Confort d’été passif», Les guides bio-tech, Expertise et ressources pour un développement durable 31


effet, même dans une situation de confort optimum absolue qui équivaut à PMV = 0, nous pouvons voir qu’il y a tout de même sur la courbe un PPD de 5%. Cependant, retenons que la méthode, si elle vise la mesure d’une satisfaction (le «confort»), aboutit en fait à la mesure d’une non-insatisfaction («ni trop chaud, ni trop froid»). C’est dire qu’une grande partie de ce qui fait le propre du «confort» lui reste inaccessible. Par exemple, la méthode interdit de penser ce que serait un confort «fluctuant» où des périodes de chaud alterneraient à des périodes de froid, puisqu’elle postule le confort comme un non variabilité des températures.

B. L’approche du confort adaptatif Pour tenter de sortir des impasses ou des limitations logiques de l’approche de Fanger, la méthode du modèle du confort adaptatif par rapport à un environnement thermique a été largement documentée et étudiée.4 D’une part, nous observons que les personnes s’ajustent face à un environnement à une température optimale de confort en changeant principalement ses vêtements, son activité, sa position, de manière à adapter sa sensation de confort de l’environnement ambiant. En effet, les gens se couvrent plus quand ils s’attendent à un temps plus froid, et inversement, seront plus découverts quand les beaux jours arrivent. D’autre part, il existe des ajustements des conditions intérieures en jouant sur les espaces intérieurs. En effet, en utilisant des moyens de contrôle comme les volets, les ventilateurs, les fenêtres, et parfois si nécessaire, le chauffage ou un refroidissement mécanique (climatisation). Enfin, les occupants peuvent être amenés à changer de pièce ou de place au sein d’une même pièce pour se sentir dans un confort plus optimal. Ainsi, après avoir observé ces «comportements adaptatifs» les chercheurs se sont rendu compte qu’on pouvait définir une température de confort intérieure optimale liée à l’évolution de la température extérieure moyenne sur quelques jours. En se basant sur une multitude de données récoltées après avoir fait plusieurs études sur la question, les auteurs Humphreys et Nicol en 1998, ont mis en place un modèle de confort adaptatif. Il a été démontré que pour un certain nombre de personnes, la température de confort optimal est très proche de la température moyenne qu’ils ressentent. En parallèle, une recherche a été menée dans le but d’élaborer une norme internationale sur le confort adaptatif. L’analyse (provenant de la base de données ASHRAE RP-884) reprenant entre autre les études de Dear et Brager (2002), a montré que «les occupants de bâtiments à ventilation naturelle préfèrent une plage plus large de conditions qui reflètent plus étroitement les schémas climatiques extérieurs», tandis que les prévisions PMV (figure 3) correspondent aux préférences d’individus se trouvant dans des bâtiments climatisés. 4 32

Nicol et al. 1995, Brager et de Daer 1998, Rijal et al. 2002


Modèle de confort adaptatif Modèle PMV

Température de confort intérieur T°C

Dans la figure 45, est mis en avant la comparaison des deux indicateurs de confort: d’une part le modèle PMV «rigide», d’autre part le modèle de confort adaptatif avec les températures intérieures de confort ressenti pour des bâtiments à ventilation naturelle. Nous pouvons voir que la droite rouge (adaptatif) accepte comme confortables des températures plus basses (quand il fait plus froid dehors) et plus chaudes (quand il fait plus chaud dehors) que le PMV (le point de balance étant à 20°C). Elle tient compte de l’adaptation physiologique à l’évolution du climat extérieur, via l’habillement, les représentations mentales du temps qu’il fait ainsi que de la tolérance de chaque individu. Ce graphique rend compte de la capacité d’adaptation en fonction du climat extérieur : il ne s’agit pas d’une capacité en soi, absolue, mais de la réaction biologique d’un corps qui s’adapte à son environnement.

Températures de confort observées

Température extérieure moyenne T°C

Figure 4: Comparaison des deux modèles. Source: aivc.org Température opérative intérieure : T°C de confort ressenti

A cela, nous pouvons mettre en avant deux types de confort optimal qui divergent selon que le bâtiment est climatisé de manière naturelle ou alors de manière mécanique.

90% acceptable

65% acceptable

80% acceptable

Température extérieure moyenne T°C

Le graphique de la figure 5 qui représente un bâtiment climatisé (zone droite). Pour un bâtiment Figure 5: Zones de qualité de confort. Source: aivc.org à ventilation naturelle, la zone de confort comporte un pli à 20°C : les occupants acceptant en effet des températures de confort supérieures à celles qu’ils accepteraient dans un bâtiment climatisé.. En effet, nous observons qu’il est possible de mettre en place plusieurs zone de qualité de confort, c’est à dire des niveaux de satisfaction où la température opérative intérieure est ressentie comme une température de confort à trois stades: zone 1 où le confort est acceptable pour 90% des occupants; zone 2 où le confort est ressenti pour 80% des occupants; zone 3 où le confort est ressenti pour 65% des occupants.

Cette approche adaptative du confort montre qu’il est possible, voire souhaitable, de concevoir des bâtiments qui permettront d’une part une plus grande variation des températures, mais également une réduction de la consommation d‘énergie qui est utilisée normalement à maintenir une température de confort intérieure fixe dans le bâtiment, dans la mesure où cette variation de température se trouve dans une des zones de valeurs acceptables et que les occupants disposent de moyens de contrôle (aération, ventilation naturelle, éclairage et protections solaires, etc.) adéquats. 5

De Dear and Brager 2002 33


En pratique, après avoir déterminé une température opérative intérieure (qui sera mesurée en fonction des caractéristiques des bâtiments comme le vitrage, l’inertie thermique...) ainsi que la capacité d’adaptation des individus (par rapport à l’habillement, le changement de place, l’ouverture ou fermeture des fenêtres), il est possible de voir si le confort va pouvoir être respecté. En effet, il est possible de simuler les réponses d’un bâtiment par rapport aux changements de situation météorologiques repris dans des fichiers de données météo standardisées.

C. Reconsidérer le concept du confort Fanger mesure finalement l’ambiance intérieure d’un espace et distingue plusieurs catégories d’individus: Ceux qui pensent que «c’est trop chaud», Ceux qui pensent que «c’est trop froid» Ceux qui pensent que «ce n’est ni chaud ni froid donc je suis satisfait» Cet échantillonnage de l’étude de Fanger nous permet d’aller plus loin. Ce dernier conclut qu’il y aura toujours 5% d’insatisfaits. Cela veut donc dire qu’il est possible de créer un environnement ambiant satisfaisant pour 95% des individus et qui sera jugé inconfortable par 5% des gens. Cela signifie-t-il que ces 5% représenteraient la «part subjective» du confort ? Ou que la question posée par Fanger («est-ce trop chaud ou trop froid») est jugée inappropriée par 5% des répondants? Ou encore que la réduction de la notion de confort à une non-insatisfaction («ni trop chaud, ni trop froid») laisse 5% des répondants insatisfaits ? Difficile à dire, cependant, cela nous amène à réfléchir au confort selon une perspective différente.

Réfléchir au confort comme un niveau de satisfaction:

Autrement dit, c’est savoir si il y a de l’insatisfaction et nous pouvons parler alors du niveau de non-instatisfaction. Cette réduction du confort à une «non-insatisfaction» n’est pas un détail. Nous pouvons imaginer que le confort puisse, pour beaucoup de personnes, au contraire être ou avoir été (dans le temps) lié à une satisfaction positive, par exemple, se rapprocher du poêle pour se chauffer et améliorer notre confort le temps d’un instant avant de s’en aller. Ce type de confort peut être atteint, tout en permettant aux occupants d’accepter une certaine dose d’inconfort. Si, à l’inverse, le confort n’est plus positif, mais négatif (un «non-inconfort»), il n’existe plus en tant que tel, il devient même logiquement impossible à penser. Ce qui devient alors pensable, c’est l’insatisfaction, qu’il faut réduire ou faire disparaitre. Logiquement, le confort devient alors un état qu’il faut assurer tout le temps. Et en même temps, nous ne serons jamais réellement satisfaits, nous serons simplement non-insatisfait. 34


Nous pouvons spéculer sur le confort dont les générations passées ont pu faire l’expérience (relatée dans la littérature, la peinture, etc.). Nous les voyons se satisfaire d’une fin d’après-midi devant la cheminée après avoir travaillé, puis s’en aller dormir dans une chambre plus froide sans se poser de questions car le confort a été satisfait le temps d’un instant et c’est déjà bien. Peut-être qu’aujourd’hui nous avons inversé l’histoire: en considérant le confort non plus comme la satisfaction de quelque chose («passer un petit moment au coin du feu») et en l’inversant comme un état de non-insatisfaction, il devient impossible d’être satisfait, donc obligatoire d’être non-insatisfait. Nous pouvons nous demander si ce renversement n’est pas observable dans d’autres domaines. Prenons l’exemple du smart phone: dans le temps le téléphone servait à satisfaire un besoin de communication en utilisant le téléphone de temps à autre. Aujourd’hui nous sommes en contact permanent avec le téléphone, ce qui induit que lorsque nous ne sommes pas en contact avec lui, nous ne sommes pas bien, nous sommes insatisfaits. Pour être «non-insatisfait», nous devons nous assurer d’être en contact permanent («il y a du réseau») même si aucun échange n’a effectivement lieu. Nous pouvons donc nous demander si il y a un renversement aujourd’hui d’une époque où nous étions dans la satisfaction de besoins, à une époque où nous sommes dans de la «non insatisfaction», c’est-à-dire ce besoin constant de devoir être dans un état de non-insatisfaction totale, sans jamais savoir ce que serait un état de «satisfaction». N’était-ce pas déjà ce que chantait Mick Jaeger : «I can’t get no satisfaction, but I try...».

Plusieurs spécialistes s’interrogent sur une «mutation anthropologique» fonctionnant sur le principe de non-insatisfaction. Tout d’abord, dans le livre «Gouverner par le chaos» paru en 2010 (reprenant les écrits et essais d’un collectif d’auteurs anonymes): «L’ingénierie sociale se donne ainsi pour objectif de rendre tolérable, et même désirable, une involution civilisationnelle profondément morbide en la parant de tous les traits du rajeunissement perpétuel, donc apparemment de la vitalité et de l’avenir, avec, pour visée ultime, la « fœtalisation » de l’humanité au moyen de son insertion dans un environnement social conçu à limage d’un immense utérus artificiel, c’est-à-dire dénué de frontières et de contradictions. Le stade intra-utérin et, par extension, tous les stades immatures (nouveau-nés, nourrissons, bébés et jeunes enfants) se caractérisent, certes par leur vitalité organique, mais surtout par leur plasticité mentale aisément malléable ainsi que leur état d’aliénation totale, complètement à la merci d’autrui. Il s’agit donc de reproduire dans l’extra-utérin les conditions d’une existence intra-utérine : fusion avec autrui dans un grand tout homogène et enveloppant, obéissance au mouvement général, jouissance conti35


nue et immédiate, complétude, identité unifiée, absence de tensions, de contradictions, de contestations, pure positivité, donc fin de l’Histoire, fin de tout, en un mot, le paradis, le cocon définitif !»6 De nombreux auteurs se consacrent également à l’analyse du contrôle social contemporain par la mise en place d’une société qui repose sur les caractéristiques du «giron maternel». Par exemple, dans «Big Mother: Psychopathologie de la vie politique» publié en 2002, le psychanalyste Michel Schneider illustre le confort non-insatisfaisant dont nous faisons allusions en écrivant: «Comme ces mères qui préviennent tout désir en calant une tétine entre les lèvres de leurs petits pourtant grands, histoire qu’ils ne fassent pas d’histoires, qu’ils se taisent et s’endorment, leurs besoins repus». Aussi, les psychiatres et psychanalystes Charles Melman et Jean-Pierre Lebrun, également membres de l’Association freudienne internationale, décrivent dans «L’Homme sans gravité. Jouir à tout prix» (publié en 2002 aux éditions Denoël), l’état de notre civilisation contemporaine. Melman explique que notre société passe d’une culture fondée sur «le refoulement des désirs» à une culture qui «recommande leur libre expression et promeut la perversion»; et en conséquence, «la santé mentale relève aujourd’hui d’une harmonie non plus avec l’idéal mais avec un objet de satisfaction». Nous en revenons ainsi à ce besoin de satisfaction qu’il faut à tout prix assouvir et la responsabilité des individus se trouve, en quelque sorte, effacée. Réfléchir au confort en lien avec cette réflexion nous fait prendre conscience de plusieurs choses. Faut-il promouvoir un type de confort basé sur la non-insatisfaction (le confort tout le temps) ? Où alors faut-il au contraire protéger les gens d’un envahissement d’un confort où nous sommes au fond constamment insatisfaits.

Nous verrons par la suite dans ce mémoire, l’exemple du nomadisme saisonnier au Maroc, qui semble être un bon exemple à suivre dans la continuité de cette réflexion: avoir du plaisir à ce qu’il fasse froid pour se réchauffer et vice versa, avoir du plaisir à ce qu’il fasse chaud pour se refroidir : alterner ces choses a du sens. L’architecture peut être vue comme apportant des formes positives de confort (se réchauffer, se refroidir, s’aérer) aux occupants tout en les protégeant d’une forme «invasive» d’un confort négatif.

6 «Gouverner par le chaos», écrits et essais d’un collectif d’auteurs anonymes, Max Milo éditions, 2010 36


Le confort est donc un concept suspect, à double tranchant. Comme l’écrivent Tony Côme et Juliette Pollet, «le confort se trouve pris en tension entre la surabondance et le superflu. Le plaisir veut l’éternité, et c’est pour cela que la jouissance présente le danger de devenir une contrainte, un asservissement. Plus la société est compliquée, plus les renoncements se multuplient, plus les récompenses sont nécessaires. Finalement, le confort devient contrainte, une contrainte qui prend l’homme en étau. La liberté (la liberté mesurable et celle, non mesurable, des idées) est circonscrite. Déviée, piquée au vif, chauffée et déçue, le tout selon des pratiques de jardinier qui promettent de jeunes pousses solides. Tandis que l’on profite, on nous promet du plaisir, le plaisir semble être une nouvelle jouissance, la jouissance semble être la satisfaction des besoins, les besoins sont calculables économiquement parlant. Le calcul engendre le profit, le profit promet la jouissance: et c’est la fin de l’existence confortable».7

7 «L’idée du confort, une anthologie du Zazen au tourisme spatial», sous la direction de Tony Côme et Juliette Pollet, 2016 37


III. Le climat au Maroc Pour commencer une analyse du climat du Maroc, la carte simplifiée ci-dessous présente les différentes régions du pays permettant d’avoir une vue d’ensemble. Tous les éléments cités dans l’analyse et le long de cette première partie seront situés dessus.

Tanger

a tl an ti q

ue No rd

Chefchaouen

Fes

Cô te

Rabat

tiq ue S atla n Cô te

Essaouira

Meknes

Moyen Atlas

ud

Casablanca

Vallée du Missour

Haut Atlas

Taroudant Mhamid El Ghizlane

Tiznit

Anti Atlas

Sahara occidental

Figure 0: Carte simplifiée du Maroc

38

Midelt

Désert marocain Zenaga Figuig

Vallée du Ziz

Marrakech

Ouarzazate Agadir

Rif

Merzouga


Nous avons vu que le confort peut être schématisé comme étant une constante interaction entre plusieurs éléments: • Le métabolisme dont l’activité entraîne une déperdition d’énergie • La tenue vestimentaire qui joue le rôle de résistance thermique entre le corps humain et l’environnement • La température d’air et les paramètres dirigeant les formes principales de transfert de chaleur (rayonnement, convection et évaporation) • La température radiante de l’environnement • La vitesse d’air induite par les données climatiques • L’humidité relative

Le climat interagit plusieurs de ces caractéristiques, c’est pour cela que nous tenterons tout d’abord de définir le climat Marocain. Au Maroc, les géographes ont identifié six grands types de climats, allant du climat humide jusqu’au climat peraride (climat tropical désertique). C’est donc une réalité complexe qui a engendré l’histoire des diverses constructions au Maroc. Pour assurer le bien-être, la satisfaction au sein d’un espace, le climat est un facteur primordial à prendre en compte dans le processus de conception architecturale d’un projet. Un grand nombre de questions tournent autour de ce facteur et beaucoup de décisions doivent être élaborées suivant le climat spécifique du lieu. C’est pour cela que nous démarrons dès lors ce travail de recherche par une analyse développée du climat marocain et de son implication en ce qui concerne l’architecture. Les études portant sur les caractéristiques des climats permettent de manière claire, d’évaluer les contraintes liées au climat mais aussi de tirer profit de ce dernier, et pouvoir profiter de tous les avantages qu’il peut apporter dans la conception bioclimatique d’un projet. Nous mettrons en avant l’étude réalisée par N.Mokhtari, R. Mrabet, P.Lebailly et L Bock sur la «spatialisation des bioclimats, de l’aridité et des étages de végétation du Maroc» en 2013. Elle nous permettra d’avoir une large documentation sur le climat du Maroc de manière générale et de faire un lien entre des paramètres de confort (comme la température et l’ensoleillement) ainsi que des paramètres géographiques avec la localisation géographique des questions d’aridité (humidité relative). L’élaboration bioclimatique d’un projet peut se faire si et seulement si il préexiste une connaissance approfondie du climat du lieu. Tout simplement car un grand nombre de réponses pourra être donné grâce aux conditions climatiques. Il est donc important de connaître les conditions climatiques du Maroc avant de pouvoir aborder son architecture.

39


A. Étude de l’aridité et classification des climats marocains L’étude de l’aridité ou la classification des climats se base sur des indices dits «climatiques et biogéographiques». Ces indices se basent à leur tour sur plusieurs paramètres comme les précipitations (P), les températures (avec Tm pour température moyenne, Tmax pour température maximale et Tmin pour température minimale), ainsi que la caractéristique d’évaporation et transpiration de l’atmosphère (ETP). Pour toute étude de terrains, ou de valorisation d’un territoire ou de gestion des terres, il faut passer par une étape préliminaire nécessaire d’étude de zone bioclimatique en prenant en compte entre autre la topographie, les précipitations, la température, l’exposition et l’altitude. L’étude proposée ici aura pour objectif d’analyser les indices d’aridité et de continentalité au Maroc ainsi que l’analyse de la variété spatiale des bioclimats. Six différents indices ont été calculés (en utilisant des données moyennes climatiques relevées entre 1950 et 2000 et issues de la banque de données mondiale WorldClim1) par plusieurs scientifiques contemporains comme le botaniste Emberger (étude produite de 1930 à 1955), les géographes Martonne (étude produite de 1926 à 1941) et Gaussen (étude produite de 1953 à 1957) et bien d’autres. a.1 Indice de l’aspect bioclimatique d’EMBERGER Emberger développe un indice en 1930 (modifié en 1955) pour définir les cinq types de climats méditerranéens (du plus aride jusqu’à celui des hautes montagnes), que seul le Maroc possède en totalité dans la région méditerranéenne. Cet indice en particulier prend en compte différentes caractéristiques: • Les précipitations annuelles • La moyenne des températures maximales du mois le plus chaud, Juillet (M en °C) • La moyenne des températures minimales du mois le plus froid, Janvier (m en °C) Cet indice, donné par une formule mathématique spécifique permettra de mettre en évidence un quotient qui traduit le rapport entre la quantité des précipitations et la moyenne des extrêmes de températures thermiques. L’indice bioclimatique d’Emberger met en évidence les «étages bioclimatiques de végétations». En écologie, le terme «étagement» signifie tout simplement une disposition des caractères naturels de la faune et de la flore en fonction de l’altitude et des climats qui en émanent. Ainsi, il met en évidence: L’étage per-humide < l’étage humide < l’étage 1 40

www.worldclim.org


sub-humide < l’étage semi-aride < l’étage aride < l’étage Saharien a.2 Indices du phénomène d’aridité Qu’est-ce-qui caractérise l’aridité d’un climat? Selon les géographes Mokhtari et Mrabet, plusieurs éléments sont à prendre en compte: • Un manque de pluie, c’est-à-dire un «déficit pluviométrique» presque constant • Une forte insolation • Des températures diurnes élevées • Une faible humidité de l’air • Une évapotranspiration Ces caractéristiques mettent en évidence les déficits hydriques qui surviennent ainsi durant la majeure partie de l’année. Une région aride est évidemment caractérisée par un manque d’eau disponible. Ceci entraine une faible croissance et un faible développement de la vie animale ainsi que de la végétation.

Plusieurs outils scientifiques permettent de calculer le degré de manque d’eau d’un endroit donné (ce qui revient à parler d’aridité d’un lieu): l’indice de MARTONNE; l’indice d’aridité de BAGNOULS GAUSSEN; l’indice d’aridité UNEP. C’est ce dernier qui permettra d’identifier au mieux les différentes zones d’aridité du Maroc. Cet indice est défini par : Aridity Index (AI) = P/ETP avec P : précipitation annuelle moyenne en mm ; ETP: évapotranspiration potentielle annuelle moyenne en mm. L’utilisation de cet indice est la plus reconnue pour évaluer un climat. Il permet de traduire le manque ou le déficit annuel entre une quantité de précipitation reçue P en comparaison à «la demande évaporative de l’atmosphère» ETP. Ceci implique que plus l’indice est faible, plus l’aridité est élevée. Il en ressort plusieurs catégories (qui seront illustrées à la fin de cette partie) selon l’indice d’aridité I que l’on peut mettre en évidence : • Le climat hyper-aride avec un indice d’aridité: I: I < 0,05 • Le climat aride avec un indice d’aridité I: 0,05 < I < 0,20 • Le climat semi-aride avec un indice d’aridité I: 0,21 < I < 0,50 • Le climat sub-humide sec avec un indice d’aridité I: 0,51 < I < 0,65 • Le climat sub-humide et humide avec un indice d’aridité I: I > 0,65

a.3 Indices de l’effet de continentalité La continentalité d’un pays résulte de la combinaison des facteurs thermiques et des facteurs pluviaux. Nous pouvons distinguer les types de pluviosités qui déterminent les climats continentaux, les climats se41


mi-continentaux et enfin les climats maritimes. Il existe deux indices de continentalité qui se complètent: l’indice de continentalité pluviométrique d’ANGOT (1906) (qui mesure la concentration saisonnière des précipitations) et l’indice de continentalité thermique de GORCZINSKI (qui prend en compte l’amplitude thermique annuelle moyenne). La combinaison de ces deux principaux indices permet de distinguer différents climats continentaux et pouvoir ainsi les délimiter sur une carte.

B. Les clés de lecture b.1 Distribution variée des pluies dans le pays

Carte 1: Carte des hauteurs des précipitations annuelles, Repère de la Vallée du Drâa Source: Mokhtari et al.: Spatialisation des bioclimats, de l’aridité et des étages de végétation du Maroc

42


Nous constatons finalement qu’au Maroc, le paramètre de pluviométrie présente une «grande variabilité spatiale»2. En moyenne, sur une année, les précipitations peuvent varier allant de 16 mm à 1182 mm (par comparaison, en Belgique, nous mesurons une moyenne de 750 à 1400 mm) . Nous notons que les valeurs les plus basses de pluie annuelle se situent dans l’extrême Sud et à l’inverse, les valeurs les plus élevées de pluie annuelle se situent au point le plus élevé des montagnes du Rif au Nord du pays. Sur la carte ci-dessus (carte 1), nous pouvons mettre en évidence une variation (altitudinale et longitudinale) en relation avec le contexte géographique (l’effet des courants humides océaniques d’une part coté Ouest et la barrière montagneuse de l’Atlas coté Est d’autre part). Aussi, la topographie du site met en avant l’existence de deux «grandes dépressions des précipitations» qui sont premièrement la vallée de Missour (avec des précipitations annuelles qui ne dépassent pas en moyenne 200mm) puis deuxièmement la dépression qui se situe au niveau de Marrakech (avec des précipitations annuelles de 250 à 300 mm). De plus, quand nous analysons les pluies d’un point de vue spatial, nous constatons que 48% des différentes régions du Maroc reçoivent moins de 100 mm en moyenne annuelle et que les seules régions où la pluie dépasse les 600 mm ne représente que 6% du territoire total. De manière plus globale, l’ensemble des territoires au Sud du Maroc et une partie des flancs du Haut Atlas, reçoivent des précipitations annuelles de pluies inférieures à 100 mm. Tandis qu’au Nord et plus précisément le coté Nord Ouest du Rif est très arrosé puisqu’il connaît des précipitations annuelles de pluies pouvant atteindre les 1 m. Enfin, l’indice de continentalité pluviale d’ANGOT, permet de relever que durant les six mois les plus chauds au Maroc, les régions qui connaissent la concentration de pluie la plus élevée sont situées à proximité de la vallée de Ziz ainsi qu’à l’extrême Sud du Maroc. Ces régions là connaissent une pluviométrie très faible notamment durant les derniers mois les plus chauds. Nous pouvons conclure que la concentration de pluie dépend de la topographie (la pluie augmente avec l’altitude), de la continentalité (plus nous rentrons à l’intérieur des terres, plus la pluie se réduit) et enfin des influences humides côtières (les zones côtières restent plus arrosées que le continent par le climat océanique), qui sont à l’origine de cette «hétérogénéité de la répartition saisonnière des précipitations»2

2 Étude de la «Spatialisation des bioclimats, de l’aridité et des étages de végétation du Maroc», Mokhtari, Mrabet, Lebailly et Bock, 2013 43


b.2 Distribution annuelle moyenne des températures Sur la carte 2, au niveau du Rif ainsi que de la chaîne de l’Atlas, nous retrouvons un autre effet de continentalité (c’est-à-dire des effets dus à l’éloignement du littoral ainsi qu’à une altitude élevée). L’amplitude thermique des températures moyennes (jour/nuit) va de 0°C sur les hauts points des montagnes du Rif, jusqu’à 26°C et plus au Sud Est du pays. Nous pouvons voir que l’amplitude thermique, entre la valeur minimale du mois le plus froid (Janvier) et la valeur maximale du mois le plus chaud (Juillet), est la plus extrême à proximités de la vallée du Drâa (voir repère sur la carte). Dans ces régions, nous pouvons facilement avoir un écart de température annuel moyen allant jusqu’à 35°C.

Carte 2: Carte des températures moyennes annuelles, Repère de la Vallée du Drâa Source: Mokhtari et al.: Spatialisation des bioclimats, de l’aridité et des étages de végétation du Maroc

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b.3 Effet de la continentalité Gorczinski établit un indice de continentalité K (allant de 15 à 88) qui permet de classer deux grandes familles de régions extrêmes: • Le climat purement maritime (la ville d’Essaouira par exemple) avec un indice K: 17 < K < 25 • Le climat purement continental au Sud Est (Vallée de Drâa, voir repère) avec un indice K: 70 < K ≤ 80 Ainsi, ces caractéristiques permettent de distinguer les climats méditerranéens et continentaux. Et, plus précisément, on retrouve trois variantes thermiques au sein de ces extrêmes, avec: • Le climat Méditerranéen très dominant au Sud-Ouest et au Nord-Est. Il représente 86% du territoire. Cependant, il a un indice K qui varie fortement et crée un contraste très élevé de climat sur 61% de ce territoire. • Le climat semi continental se situe au Sud-Est et à l’extrême Sud du Maroc représentant 14% de la superficie. • Les climats maritime et continental sont très peu indiqués puisqu’ils représentent à eux deux seulement 0,5% du territoire. b.4 Les différents étages bioclimatiques Au Maroc, la présence du désert du Sahara, des montagnes de l’Atlas et du Rif, l’océan et la mer créent une combinaison d’influences qui résultent en des climats différenciés. A l’aide de l’indice bioclimatique d’Emberger (cf. a.1 p.39) ainsi que des températures annuelles moyennes, chaque climat peut aller du tempéré au très chaud. La carte 3 distingue six types de climats correspondant à des variations des biomes (faune et flore) caractéristiques: • Le climat per-humide (Dakhla) • Le climat humide (Nador) • Le climat sub-humide (Ifrane) • Le climat semi-aride (Midelt) • Le climat aride (Marrakech) • Le climat per-aride / Saharien (désert du Sahara) D’un point de vue thermique, on arrive à des ressentis variés de température. On a la variante «très chaud» (climat per-aride) qui est dominante puisqu’elle représente 30% du territoire. Puis c’est suivi directement du climat tempéré qui représente 26% du territoire. On peut donc relever que le pourcentage du territoire qui peut être concerné par la désertification est de l’ordre de 42%. Pour être davantage précis dans la classification, nous tenterons de développer chacun des six climats pour en mettre en lumière les caractéristiques principales:

45


Carte 3: Carte des bioclimats selon la classification d’Emberger, Repère de la Vallée du Drâa Source: Mokhtari et al.: Spatialisation des bioclimats, de l’aridité et des étages de végétation du Maroc

• Climat de l’étage per-aride/Saharien: Cet étage correspond au Sud et au Sud-Ouest du Maroc. Il représente 55% du territoire. Les caractéristiques principales de ce climat sont tout d’abord une pluviométrie très basse (avec un indice P<150mm), puis un écart thermique prononcé et enfin un nombre de mois secs pendant l’année supérieur à 10. Ce sont aussi des régions qui connaissent un manque d’eau dû à la sécheresse et ainsi une végétation rare et éparse. • Climat de l’étage aride: Cet étage correspond aux terrains pentus des versants du Sud (du bas et haut Atlas) avec le Sud de la Vallée du Souss avec un total de 13% du territoire. Les altitudes de ces régions sont comprises entre 130 et 800

46


mètres. Les caractéristiques principales de ce climat sont tout d’abord une pluviométrie basse (avec un indice 150 mm < P < 350 mm), puis le nombre de mois secs est de 8 à 11 et enfin l’amplitude thermique élevée (pouvant aller de 6°C à 45°C) est due à la continentalité des côtes Atlantiques (variante «très chaud») et de la Méditerranée à proximité des montagnes du haut Atlas (variante «très froid»).

• Climat de l’étage semi-aride: Cet étage correspond à l’ensemble de l’Atlantique Nord (entre Bouznika, Agadir jusqu’à l’Est, coté Méditerrannée à la frontière Algérienne comprenant les hauts plateaux (de 1250 à 1400 m d’altitude) représentant au total 22% du territoire. Les caractéristiques principales de ce climat sont tout d’abord une pluviométrie moyenne (avec un indice 200 mm < P < 500 mm), puis le nombre de mois secs est de 5 à 7 et enfin la majorité de ce territoire est soumise à une variation allant du «tempéré» à «froid».

• Climat de l’étage sub-humide: Cet étage correspond aux régions montagneuses ou en pente du Moyen et Haut Atlas (de 700 à 100 m d’altitude). Les caractéristiques principales de ce climat sont tout d’abord une pluviométrie «normale» (avec un indice 400 mm < P < 700 mm ), puis le nombre de mois secs est de 3 à 5, et enfin une amplitude thermique liée à l’exposition des versants en contraste avec les influences humides océaniques (avec les régions Ouest des versants plus «arrosés» et plus chauds).

• Climat de l’étage humide: Cet étage correspond uniquement aux régions montagneuses du Maroc (avec un altitude supérieure à 700m). Ces régions occupent moins de 0,5% du pays et se trouvent majoritairement à proximité du Rif et du moyen Atlas. Les caractéristiques principales de ce climat sont tout d’abord une pluviométrie relativement élevée (par rapport au reste du pays, avec un indice P > 700 mm), puis le nombre de mois secs ne dépassera pas 4 et enfin, la variante «très froid» domine le territoire puisqu’elle est influencée par l’altitude et l’effet de continentalité.

• Climat de l’étage per-humide: Cet étage correspond uniquement aux points les plus élevés de la chaîne du Rif occidental. Ces régions occupent également (comme l’étage humide) une très faible part du territoire, moins de 0,5% et plus précisément, 47


une surface inférieur à 5km2. La présence de cet étage est défini par des températures qui diminuent fortement au sommet des montagnes et des précipitations très élevées.

b.5 La caractéristique d’aridité

La comparaison entre les indices d’aridité qui existent aujourd’hui (cités plus haut) permettent de conclure que l’indice de MARTONNE est le plus facile à calculer et permet de mettre en évidence que le Maroc est un pays désertique essentiellement occupant globalement 55% du territoire; les régions semi-arides, arides et sub-humides représentent 42% du territoire et sont des zones potentiellement concernées par la désertification. La carte 3 représentant l’indice bioclimatique d’EMBERGER, permet de classer spécifiquement les différentes régions du pays en zones bioclimatiques. L’ensemble du Sud Marocain (avec les flancs Sud du bas Atlas) forme la zone (ou étage) hyperaride (désertique) avec des variantes allant du «froid» à «très chaud». A l’inverse, la zone (ou étage) per-humide n’existe que sous forme de plusieurs îlots autour des hauts points de la chaîne du Rif et ne dépassant pas les 5 km2. Entre ces deux extrêmes, on retrouve des zones variées avec des caractéristiques précises. Il faut noter que les amplitudes thermiques élevées qui existent sont liées surtout à la continentalité par rapport aux effets méditerranéens et océaniques puis à l’augmentation des altitudes. Par ailleurs, l’analyse des différentes classes de climats basées sur le paramètre de pluviométrie (carte 1) permet d’en venir à la conclusion que le Maroc est principalement un pays à climat méditerranéen très contrasté sur plus de 84% de la superficie du territoire. Le reste (10% du pays) est majoritairement constitué d’un territoire à climat continental également très contrasté. Enfin ces grandes nuances et forts contrastes dans le climat du Maroc expliquent en grande partie les multiples typologies d’habitats qui ont existé durant les siècles, dont certaines sont toujours présents. Chaque région, avec son climat particulier, a pu trouver des solutions adaptées pour apporter une réponse constructive culturellement intégrée et notamment aider les habitants à se protéger des intempéries, de la température et des contraintes naturelles.

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C. RĂŠsultat: zonage climatique du Maroc

Carte simplifiĂŠe du zonage climatique au Maroc

Climat per-humide Climat humide Climat sub-humide Climat semi-aride Climat aride Climat per-aride

Zone 1, climat per-humide: Dakhla

Zone 2, climat humide: Nador

49


Zone 3, climat sub-humide: Ifrane

Zone 4, climat semi-aride: Midelt

Zone 5, climat aride: Marrakech

Zone 6, climat peraride: DĂŠsert du sahara

Sources: Ces six photos sont prises d’internet 50


Pour finir, afin de se rendre compte de manière plus simple des différences entre zones climatiques et avoir un ordre de grandeur en tête, les tableaux ci-dessous comparent trois villes relevant de zones distinctes du Maroc, complétées de données relatives à la ville de Bruxelles . Températures moyennes en 2016:

TEMP Jan En °C

Fév

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet Aôut

Sept

Oct

Nov

Déc

Marrakech

15,5

14,8

15,5

18,8

23,1

26,3

30,1

31,4

25,6

23,6

16,3

13,5

Tanger

14,8

13,7

12,4

15,7

18,5

22,2

25,7

26,3

24,0

21,1

16,0

15,1

Midelt

10,4

8,5

9,5

14,8

17,1

23,0

26,6

25,3

21,7

17,4

9,8

6,2

Bruxelles

5,1

5,0

5,5

9,0

14,4

17,0

18,9

18,4

18,4

10,3

6,5

4,9

Températures °C

Températures moyennes en 2016 à Marrakech, Tanger, Midelt, Bruxelles

Janvier

Février

Marrakech

Mars

Avril

Tanger

Mai

Juin

Midelt

Juillet

Aout

Septembre Octobre

Novembre Décembre

Bruxelles

Moyennes des températures annuelles de 2016 °C

Tempé. maxi extrême

Tempé. maxi moyennes

Tempé. moy moyennes

Tempé. mini moyennes

Tempé. mini extrême

Marrakech

45,1 (le 19 juil)

28,3

21,2

14,1

4,1 (le 31 Dec)

Tanger

39,5 (le 5 Sept) 22,8

18,8

14,8

2,7 (le 17 Fev)

Midelt

38,2 (le 10 Juil) 22,6

15,9

9,1

-3,7 (le 1 Mars)

Bruxelles

33,1 (le 20 Juil) 14,7

11,1

7,5

-5,9 (le 18 Jan)

Sources: http://www.infoclimat.fr/observations-meteo/archives/1er/janvier/2017/marrakech/60230.html

51


Cumul total de précipitations en 2016:

Cumul total de précipitations en 2016 à Marrakech, Tanger, Midelt, Bruxelles 1000

Cumul sur 1 an mm

800

600

400

200 160 120 80 40

0

Janvier

Février

Marrakech

Mars

Tanger

Avril

Mai

Juin

Midelt

Juillet

Aout

Septembre Octobre

Novembre Décembre

Bruxelles

Moyennes des précipitations annuelles de 2016 mm

Cumul Précips

Max en 24h de précips

Max en 5j de précips

Moyenne ≥ 1 de précips

Marrakech

176,0

19,0 (le 23 Mars)

31,0 (Mars)

4,9

Tanger

882,8

94,8 (le 27 Nov)

218,8 (Nov)

9,7

Midelt

172,0

13,0 (le 22 Nov)

21,0 (Mars)

4,7

Bruxelles

746,0

36,0 (le 30 Mai)

58,0 (Jan)

5,8

Sources: http://www.infoclimat.fr/observations-meteo/archives/1er/janvier/2017/marrakech/60230.html 52


IV. Mise en pratique: confort thermique et données climatiques A partir des indicateurs et informations sur le climat, nous pouvons dès à présent appliquer les paramètres climatiques à une première étude: Nous appliquerons les principes de Mahoney qui restent globalement des principes généraux. Ce dernier utilise directement les informations climatiques faciles à obtenir et des calculs simples pouvant donner lieu à des lignes directrices à suivre. Les tables de Mahoney sont créées par Carl Mahoney, architecte, ainsi que John Martin Evans et Otto Königsberger. Elles sont publiées pour la première fois en 1969 par le «département des affaires économiques et sociales des Nations Unies»1. Ensemble, ils ont été chargés de mettre au point une méthode d’analyse climatique pour mettre en évidence des recommandations architecturales.

A. Les tables de Mahoney Les tables de Mahoney sont le premier outil que nous utiliserons pour analyser le climat aride de Marrakech. Cette méthode nous permet d’élaborer une interprétation entre les données climatiques à l’aide de quatre tableaux débouchant sur des recommandations bioclimatiques rapides concernant les éléments d’un projet d’architecture. Cette méthode prend en considération l’humidité, la température ainsi que la notion de confort nocturne et diurne. a.1. Tables «Diagnostic» appliquées au cas de Marrakech Les tables de Mahoney sont divisées en deux parties, les tables diagnostic et les tables de recommandations. Dans la première partie (voir le tableau ci dessous), il s’agit dans la Table 1 de prendre en considération les températures moyennes mensuelles minimales et maximales du climat. A partir de ces données, Mahoney calcule la température annuelle moyenne (TAM: additionner les deux plus grandes valeurs des maximas et minimas notés, et diviser par 2) qui est de 22°C pour Marrakech. Enfin, la table calcule l’écart moyen annuel de température (EAT: faire la différence des deux valeurs extrêmes trouvées) qui est de 32°C ici. Sur la table 2, Mahoney indique les humidités relatives et détermine ensuite (selon les critères qui sont indiqués sur le tableau, le groupe des humidités auquel chacun des mois va correspondre. Pour notre étude de cas, on se rend compte que Marrakech se trouve en majorité dans le groupe d’humidité 2 et 3 (c’est à dire entre 30 et 70% d’humidité). Finalement, la table tient compte du niveau en mm des précipitations de pluies et les directions du vent les plus fréquentes. Marrakech a un total de 1 Sur Wikipedia, sous la recherche «Les tables de Mahoney»: https://fr.wikipedia.org/wiki/Tables_de_Mahoney 53


niveau de pluie de l’ordre de 130 mm par année, et les vents dominants proviennent du Nord-Ouest. La table 3 permet plusieurs choses: tout d’abord de donner un diagnostic du climat en fonction du groupe d’humidité et de la valeur de TAM, puis de déterminer la zone de confort nocturne et diurne pour tous les mois de l’année. Ce diagnostic tient compte des températures extrêmes de confort diurne puis les températures mensuelles maximales. Dans les trois dernières lignes, Mahoney retranscrit les températures minimales mensuelles puis les «bornes» de la zone de confort nocturne. Ces températures sont consignées dans la Table «Limites de confort». Après avoir comparé les températures ambiantes avec les températures de confort (durant le jour et la nuit), Mahoney propose d’indiquer dans les deux dernières lignes, si cette température ambiante est inférieure ou supérieure aux températures de confort habituelles. Il s’agit ensuite de convertir les indices «C» (chaud: températures ambiantes supérieures aux températures de confort) et «F» (froid: températures ambiantes inférieures aux températures de confort) ou «/» (qui signifie que les températures ambiantes se situent dans les limites des températures de confort et que l’on est donc en zone de confort). L’analyse des Tables de Mahoney montre qu’à Marrakech, il est plus souvent question de températures ambiantes trop chaudes ou trop froides plutôt qu’une situation de confort idéale. Cette analyse climatique conduira (dans la partie Recommandations), selon Mahoney à des prescriptions architecturales

54


Tables de MAHONEY: Diagnostic

18° 21° 25° 26° 29° 35° 38° 37° 33° 28° 22° 19° 6° 9° 11° 13° 15° 19° 21° 21° 19° 16° 11° 8° 12° 12° 14° 13° 14° 16° 17° 16° 14° 12° 11° 11°

85,8 85,6 79,3 48,2 46,4 38 67 66 58,6 3 3 3 11,5 11,6 12,5

74,9 35,5 55,2 3 21,3

N/NO NO N OE N/O NO

E/O N

3

68,5 53,3 44,2 54,2 63,7 31,2 22,6 18,8 21,7 28,6 49,8 37,9 31,5 37,9 46,1 2 2 2 2 2 17 6 0,4 7,3 4,7 E N

N/SE E/SE N/E E N E

77,2 86,2 38,9 49 58 67,6 3 3 15,3 16,9

O N/NO NO N/NO -

3

3

3

2

2

2

2

2

3

3

4

21

25

26

29

35

38

37

33

28

22

19

23 23 6 9 23 23 17 17

23 11 23 17

23 13 23 17

25 25 15 19 24 24 17 17

25 21 24 17

25 21 24 17

25 19 24 17

23 16 23 17

23 11 23 17

22 8 21 17

/ F

/ F

/ F

C /

C /

C /

/ F

F F

F F

18

F F

F F

C /

38° 6°

22° 32°

88,3 53,8 71 4 8,6 NO N

133

0 0 0 11 4 5

55


Après avoir rempli les tables «diagnostic» de Mahoney, nous pouvons passer aux tables de recommandations. a.2 Tables «recommandations» appliquées au cas de Marrakech Une fois que les indices d’humidité ou d’aridité sont attribués pour chacun des douze mois, la table 4 permet d’apporter différentes recommandations architecturales selon les résultats obtenus. Tout d’abord, le stress thermique donne une indication des actions correctives que l’architecte pourra prendre en considération pour améliorer la sensation de confort. Ce dernier est diagnostiqué en comptant le nombre de mois dans l’année où il sera nécessaire de ventiler, où il y aura un risque de pénétration de pluie, et où il sera nécessaire d’avoir recours à une protection et un stockage thermique épais; tout cela sera spécifié par les indicateurs d’humidité et d’aridité. Les indicateurs d’humidité permettent de savoir si le mouvement de l’air est essentiel ou seulement souhaitable. Il est déterminé par le stress thermique du jour, par le groupe d’humidité, par la gamme de température et par la nécessité (ou non) d’une protection contre la pluie (selon la quantité de pluie dans un mois particulier). Puis, les indicateurs arides déterminent les aspects thermiques de la conception architecturale. Le besoin d’une inertie thermique élevée est recommandé lorsqu’il y a des journées chaudes et des nuits froides. Puis des températures nocturnes inconfortables suggèrent un sommeil extérieur. Enfin, en fonction des contraintes thermiques climatiques qui ont été diagnostiquées précédemment (par l’addition des mois où une action corrective sera nécessaire), l’utilisateur sera conduit à différentes recommandations liées à des dispositions constructives et architecturales.

Recommandations obtenues pour le climat de Marrakech: Les recommandations que Mahoney établit sur base des mesures correctives à prendre en compte pour atténuer le stresse thermique sont les suivantes: • Plan masse: Favoriser des plans compacts avec cours intérieures. Lorsque la chaleur est abondante, un plan compact avec cour intérieure est suggéré pour permettre un processus de stockage thermique. • Espacements entre bâtiments: Favoriser encore des plans compacts. Un espacement est recommandé pour assurer une bonne ventilation dans les lieux très chaud et humide (un environnement tropicale par exemple). Ici, la cour intérieure des maisons par exemple, pourra permettre de ventiler les espaces tout en permettant un plan compact avec les maisons voisines pour créer une protection du climat de l’environnement extérieur. • Circulation d’air: une circulation d’air ajoutée est inutile. 56


• Dimensions des ouvertures: Mahoney recommande de petites ouvertures, 15 à 25% de la surface des murs. La taille des ouvertures a un impact sur le taux de ventilation. De petites fenêtres sont recommandées ici car une isolation est tout de même nécessaire en hiver. Ainsi, il sera possible de permettre une isolation par de petites ouvertures sans avoir recours à une isolation des murs (car risque de surchauffe en été). • Position des ouvertures: Favoriser des ouvertures dans les murs Nord et Sud, à hauteur d’homme du coté exposé au vent avec y compris, des ouvertures pratiquées dans les murs intérieurs. La position des ouvertures a également un impact sur le taux de ventilation et permet d’aérer les espaces pour assurer le confort des habitants. • Murs et planchers: favoriser une construction massive pour assurer un décalage horaire supérieur à 08 heures (c’est-à-dire assurer un déphasage thermique suffisant par l’épaisseur et le choix du matériau). Il est important d’utiliser des matériaux avec une bonne inertie thermique et une épaisseur suffisante afin de permettre aux murs de stocker la chaleur du jour afin de la restituer la nuit (et le matin). • Toiture: construction massive , décalage horaire supérieur à 08 heures • Espaces extérieurs: Veiller à avoir un emplacement pour le sommeil en plein air. Cette recommandation est proposée quand les conditions de confort intérieur ne peuvent pas être maintenues durant certaines périodes de l’année (les chaudes journées d’été) et qu’il sera nécessaire d’avoir des espaces de vies extérieurs pour assurer un meilleur confort. Rappelons que le confort est une notion partiellement subjective qui dépend de la sensibilité de chaque individu mais qu’elle est aussi et surtout culturelle puisqu’elle dépend énormément de notre éducation. Cependant, en focalisant sur les aspects hygrothermiques du confort (pour lesquels Fanger a montré une consistance statistique de 95%, dans le cadre de sa définition du confort comme non-insatisfaction), nous pouvons estimer que les résultats de l’analyse de Mahoney est elle-même cohérente, d’autant qu’il focalise sur les données climatiques. Ses recommandations restent générales (elles ne garantissent pas le confort, puisqu’il n’y a pas encore de projet architectural en tant que tel) et reflètent un «état de la connaissance» et des «pratiques populaires». A mon sens, nous finissons sur une note positive cette analyse, car il est possible d’atteindre la zone de confort souhaitable sans gadgets technologiques, en reconsidérant simplement les fondamentaux de l’architecture bioclimatique. Néanmoins, gardons simplement en tête que tout ne peut pas être chiffré et quantifié de manière scientifique, car le milieu de vie de chaque individu aura toujours un impact sur son ressenti personnel. 57


Tables de MAHONEY: Recommandations

58


59


B. L’analyse climatique selon Givoni Rappelons que Mahoney élabore des recommandations architecturales à partir de données climatiques. Ce dernier n’évoque pas de manière directe les conditions de confort mais sont sous-jacentes. Nous passerons dans cette partie à un niveau plus détaillé, en questionnant les conditions de confort à l’extérieur (avec le climat), pour en déduire des conditions de confort à l’intérieur. Pour cela, le diagramme psychrométrique1 est un bon outil permettant d’analyser plus en détail des conditions climatiques, dans l’intérêt de combiner un outil analytique et diagnostique. Cet examen nous permet de comparer différents climats et surtout de pouvoir établir les stratégies bioclimatiques les plus appropriées. C’est une approche intéressante dans notre recherche. D’une part, nous avons vu que le confort était en partie subjectif, qu’il s’agissait d’une notion qui peut être colorée de manière spécifique à chaque culture voire à chaque individu. Cependant il existe aussi des éléments plus objectifs et quantifiables. En effet, le corps humain a un métabolisme «universel» qui ne peut faire preuve de subjectivation2. Fanger montre que le corps équilibre ses échanges avec l’environnement ambiant. Selon lui, un individu est en situation de confort quand les échanges sont équilibrés. Il est intéressant d’analyser les conditions qui permettent au corps d’arriver à s’adapter: mise en place de ventilation, de parois froides etc. C’est finalement la mise en place d’un équilibre thermique. L’architecture bioclimatique s’intéresse à identifier les moyens à donner au corps humain pour tendre vers cet équilibre entre chaud et froid: vers le froid à travers des questions d’évaporation, de convection etc, puis vers le chaud à travers une question de rayonnement par exemple. De ce fait, si le confort est pensé comme un état d’équilibre thermique résultant d’une interaction entre différents paramètres fondamentaux (mouvement de l’air, rayonnement, humidité et température), nous pourrons déduire des mesures architecturales qui auront un impact efficace sur ces derniers. b.1 Olgyay Au début des années 50, Victor Olgyay, originaire de Hongrie, est le premier à travailler sur la relation entre architecture et énergie. Il est pionnier de l’architecture bioclimatique et a été professeur à l’Ecole d’architecture et d’urbanisme de Princeton jusqu’en 1970. Tout comme Mahoney, il cherche à penser la diversité des situations climatiques (empires coloniaux, territoire américain, etc.) face à une architecture qui se normalise (international style). La réduction des moyens architecturaux (avec une modernité qui efface le vernaculaire) l’inquiète: ses travaux tentent de réfléchir à la manière de donner à la modernité une cohérence par la science. 1 IEA, 1989 2 Nous considérons ici le corps humain comme étant universel cependant les recherches les plus récentes montrent qu’il y a de la variation (en fonction des régimes alimentaires, etc.) 60


Certes, il existe une multitude de diagrammes psychométriques puisqu’il y a différentes définitions d’une zone de confort. En effet, les différentes zones de confort varient selon la géographie, le sexe et l’âge de la population de référence etc.3 L’architecte Olgyay, en 1963, met en avant le fait qu’une sensation de confort est avant tout une sensation d’inconfort (froid ou chaud), qui progressivement va tendre vers celle de confort. Ce dernier va proposer un diagramme bioclimatique de confort extérieur d’été et d’hiver. Son approche sera ensuite confirmée par les études statistiques de Fanger (cf. II. A. a.2 p.30). Ainsi, Olgyay cherche à comprendre comment l’architecture peut apporter plus de confort (ou réduire un impact éventuellement négatif de l’architecture sur le confort). Pour cela, une seconde zone de confort est ajoutée, appelée Figure 1: Croquis d’Olgyay du diagramme des zones de confort zones de confort étendues; ayant lieu quand il y a une modification des paramètres fondamentaux environnants, (mouvement de l’air, rayonnement, humidité et température), qui correspondent au choix de stratégies architecturales comme l’isolation, les gains solaires, la ventilation, l’évaporation, etc). La figure 14 montre le rapport entre humidité relative en % (sur l’axe des abscisses) et température de l’air en °F (sur l’axe des ordonnés). Le schéma montre qu’au dessus de la zone de confort, une sensation de chaleur peut être réduite par ventilation ou évaporation. Inversement, en dessous de la zone de confort, une sensation de froid peut être atténuée en créant une exposition plus présente au rayonnement solaire. L’extension du confort à ces «zones de confort étendues» est, pour Olgyay, l’enjeu de la conception bioclimatique : le bâtiment doit améliorer (et non pas empirer), le bilan de confort des occupants. L’intention visée ici, va être de pouvoir mettre en avant les caractéristiques d’un bâtiment «vivant» dans un climat donné (sa situation climatique) par rapport aux éléments extérieurs, aux atouts et inconvénients que peut avoir un climat naturel. De quelle manière peut-il apporter quelque chose en plus à l’occupant par rapport au climat extérieur? Il s’agira également de se rendre compte comment l’amélioration des conditions intérieures vont être influencées par l’impact du climat ainsi que la conception d’un bâtiment. Pour cela, il faut définir des critères de performance: comment déterminer dans quelle mesure l’environnement et le climat intérieur est plus confortable qu’à l’extérieur? 3 «La mesure d’une interaction entre le bâtiment et son environnement climatique», B.Deprez, Master spécialisé, EPFL-UCL,1997 4 «Design with climate, Bioclimatic approach to architectural regionalism», Victor Olgyay, 1963 61


b.2 La méthode de Givoni Givoni critique la méthode utilisée par Olgyay. Selon lui, elle n’est pas adaptée pour appréhender le confort intérieur du bâtiment, principalement en climat chaud et sec mais aussi en climat froid. De ce fait, il propose une évaluation du confort intérieur à partir de deux paramètres: les conditions de température d’une part et d’humidité d’autre part. Il s’agira d’utiliser les informations climatiques pour simuler, dans le projet, les ambiances hygrothermiques résultant de l’architecture, et vérifier comment les choix architecturaux améliorent (ou empirent) les conditions de confort (en comparant les conditions de confort du climat originel extérieur et celles du climat intérieur simulé). Baruch Givoni est un architecte, professeur et scientifique Israélien. Il est spécialiste de l’architecture bioclimatique. Sa renommée au niveau internationale prend place avec l’écriture de son livre «Man, Climate and Architecture» publié en 1969. Nous utiliserons l’outil qu’il a élaboré par la suite, à savoir, le diagramme de confort de Givoni. Tout d’abord, «en confort d’été, et pour les bâtiments non climatisés, la principale limite du modèle de Fanger est sa sensibilité à la vitesse de l’air qui a toujours, quelle que soit la température, un impact négatif (au mieux neutre au-dessus de 32°C) sur le confort. Cet inconfort, lié à des vitesses d’air supérieures à 0,2 m/s, est réel en conditions d’hiver et de chauffage, soit pour des températures opératives inférieures à 25°C. Ce n’est plus vrai pour des températures plus élevées. Au contraire, en facilitant évapotranspiration et en éliminant la « mouillure cutanée » (skin wetness), des vitesses d’air plus élevées sur la peau améliorent le confort. C’est l’effet « brise d’été ». Établi par Baruch Givoni à peu près à la même époque que le modèle de Fanger, ce modèle de détermination du confort thermique intègre l’évapotranspiration. Issu de ce modèle, le diagramme de Givoni, établi pour une activité sédentaire et avec un habillement adapté à l’été, définit, sur le diagramme de l’air humide, des zones de confort correspondant à différentes plages de vitesse d’air (jusqu’à 1,5 m/s, vitesse au-delà de laquelle un risque de nuisance existe)»5 Ainsi, Givoni met en place une méthode pour définir le confort à l’aide de paramètre climatiques, à savoir: la température, l’humidité ainsi que le diagramme de l’air humide (le diagramme psychrométrique). Tout d’abord, il définit une double zone de confort: celle d’été (dans l’encadré rouge de la figure 1) et celle d’hiver (dans l’encadré bleu de la figure 1). D’une part, la zone de confort d’été englobe des températures allant de 20°C et 27°C. D’autre part, la zone de confort d’hiver englobe des températures allant de 18°C à 25°C. Ces deux zones de confort s’appliquent pour des teneurs en humidité inférieures à 11g/kg et se réduisent (de ma5 «Confort d’été passif», Les guides bio-tech, Expertise et ressources pour un développement durable, ICEB, p.14 62


nière courbe) quand les teneurs en humidité approchent les 15g/kg (valeur maximale). Ceci est cohérent avec l’hypothèse du confort adaptatif (c’est-à-dire que le confort n’est pas le même en été et en hiver : il tend vers des températures plus faibles en hiver, plus chaudes en été). Enfin, Givoni définit à l’intérieur du bâtiment, des zones de «confort étendue» caractérisées par une conception bioclimatique de l’architecture. L’approche de ce dernier consiste à se poser une question toute simple «Comment le bâFigure 1: Diagramme de Givoni timent peut-il étendre cette zone, c’est à dire rendre confortable des conditions qui ne le seraient normalement pas?»6 Les zones de confort étendu selon Givoni sont donc ces zones où le confort peut être assuré dans des conditions d’humidité et température non confortables, mais rendues confortables par l’effet d’un paramètre correcteur : du rayonnement solaire additionnel, de la de la ventilation, de l’inertie thermique, l’évaporation etc. Ce qui est très intéressant ici c’est que l’on va pouvoir, pour un climat donné, favoriser certaines stratégies bioclimatiques dans la conception architecturale d’un projet, pour répondre au mieux aux conditions locales du climat. Sur la figure 1, le diagramme de confort de Givoni: «Sur la droite , les lignes obliques représentent les zones de refroidissement par évaporation (direct ou indirect). La zone de confort étendue commune à la zone de ventilation, de masse thermique et de refroidissement par évaporation représente les points où le confort peut être obtenu par n’importe quelle stratégie de refroidissement»1 La méthode de Givoni appliquée au cas de Marrakech Pour bien comprendre les intentions visées dans le diagramme, nous tenterons d’expliquer davantage l’impact et la signification des zones déterminées par Givoni. Par la suite, nous appliquerons ce système d’analyse pour le cas concret du climat aride de Marrakech. Nous reprendrons ici les explications claires données dans le Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques: «Givoni définit une double zone de confort pour une personne au repos se tenant à l’ombre et habillée (de saison): • En hiver (tenue hivernale) les températures de confort oscillent entre 18 et 25°C (l’humidité varie de 4 g/kg d’air sec à 80% d’humidité relative). • En été, les températures sont comprises entre 20 et 27°C. Ces limites 6 «Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques», Alain Liébard et André De Herde, 2006 63


sont directement applicables pour des teneurs en humidité inférieures à 11 g/kg, mais elles sont réduites pour des taux d’humidité supérieurs (max de 15 g/kg). • La zone de chauffage solaire passif correspond à des températures comprises entre 10°C et la température de base de la zone de confort (18 ou 20°C selon la saison). Le confort peut être atteint moyennant l’action d’un paramètre correcteur (un rayon de soleil par exemple). • La zone de ventilation correspond à des conditions de température et d’humidité où le confort peut être assuré par le mouvement de l’air (une fenêtre ouverte, par exemple). • La zone de masse thermique correspond à des conditions de température et d’humidité où le confort peut être assuré par l’inertie thermique du bâtiment (un effet de paroi froide, par exemple). Au-delà des zones de ventilation et de masse thermique, nous avons une zone de surchauffe qui nécessite la climatisation.» Le diagramme bioclimatique de Givoni étant un outil dont la validité est largement reconnue7, nous allons procéder à l’application de cet outil en fonction du climat aride de Marrakech. Procédé: Figure 2 p.66 Nous avons sélectionné les données du mois le plus froid de Marrakech, et du plus chaud: respectivement Janvier et Juillet. La première étape va être de réunir toutes les températures moyennes des 31 jours de chacun des deux mois. Dans un second temps, nous déterminons 8 valeurs de pourcentage d’humidité à plusieurs heures de la journée (00h, 03h, 06h, 09, 12h, 15, 18h, 21h). Tout d’abord, il a fallu voir à quoi correspond chaque pourcentage d’humidité. Ceci a été déterminé grâce à un tableau de teneur en humidité (qui sera en annexe à la fin de ce mémoire). En ayant le pourcentage d’humidité et la température précise à une certaine heure donnée, il est possible (grâce au tableau), d’avoir l’humidité absolue en g/kg, afin de pouvoir placer la valeur obtenue dans le diagramme de Givoni. Une fois que nous avons traduit les pourcentages d’humidité en g/kg, nous avons calculé une moyenne des 8 valeurs de la journée, pour obtenir l’humidité moyenne durant la journée. Enfin, la dernière étape est de tout placer dans le diagramme Il a été très intéressant de placer les données climatiques dans ce diagramme car il nous permet de repérer d’un seul coup d’oeuil les décisions qu’il faudrait prendre pour un projet dans un climat particulier, et de voir à quel moment les conditions hygrothermiques extérieures vont nécessiter le recours à un système de climatisation ou de chauffage (à savoir quand une valeur est hors des cadres des zones de confort).

7 64

«Man, Climate and Architecture», Baruch Givoni, 1969


Interprétations des données du graphique de la figure 2 Pour le mois de Janvier: En hiver, les températures bornant la zone de confort de Givoni oscillent entre 18 et 25°C. Nous pouvons voir sur le diagramme, que dans le cas de Marrakech, une température varie de 11°C et 18°C pour une humidité qui varie entre 3 et 8,5 g/kg d’air sec. L’action d’un paramètre correcteur sera nécessaire, comme celle d’un rayon de soleil (suggérant alors une réflexion architecturale sur l’orientation, la fenestration, etc). Nous avons pu constater jusque là, à quel point, le climat du Maroc est variable, cependant, même dans le climat aride de Marrakech, durant le mois le plus froid de l’année, il se trouve donc dans une zone où les conditions hygrothermiques sont compensées par une conception solaire passive du bâtiment. Pour le mois de Juillet: En été, les températures bornant la zone de confort vont osciller entre 20 et 27°C. Nous pouvons voir sur le diagramme, que dans le cas de Marrakech, le climat de Marrakech se situe durant plus d’un quart du mois, dans la zone de confort d’été pour des teneurs en humidité inférieures à 11 g/kg (par exemple, pour Juillet 2016, le confort d’été se ressent les sept premiers jours de Juillet). Puis, six jours du mois, le climat de Marrakech se situe dans la zone de ventilation, c’est à dire que le confort pourra être assuré par le mouvement de l’air comme une fenêtre ouverte (pour autant que la température extérieure soit inférieure à la température intérieure), ou la présence d’une cour intérieure etc. Enfin, la majorité du mois se trouve dans la zone de masse thermique, cela correspond à des conditions de température et d’humidité où le confort pourra être assuré par l’inertie thermique du bâtiment. Cela peut être assuré par un effet de paroi froide par exemple, ou l’utilisation d’enduits clairs ou encore une protection solaire. Il n’y a que 3 jours du mois où le confort est non garanti, auquel cas une ventilation mécanique est théoriquement nécessaire pour garantir le confort. C’est donc une note positive qui nous a été donnée de voir dans ce diagramme, puisqu’il est possible de mettre en œuvre des solutions architecturales pour assurer le confort durant les mois «extrêmes» de froid et de chaleur que peut subir Marrakech. Même si ce confort ne semble pas accessible par des moyens passifs 100% du temps, puisque 3 jours ou plus durant ces deux mois, il faudrait en théorie, utiliser la climatisation mécanique ou inversement le chauffage mécanique, pour assurer une situation de confort.

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6

11

7

3

29 28

1 10 4 7

6 29

12

16

30

21 12

28

9 17

8 27 25

3 13 20 19

15

5

26

24 14

27

30

26

22

13 18

20 25 19

31

18 14 15

24

31

1

Figure 2: Confort extérieur en Janvier (marron) et en Juillet (vert)

Analyse du confort à partir des données météo de l’année 2016 à Marrakech: Figure 3 p.68 Il est partiellement possible, en toute rigueur, de déterminer dans nos calcul, si les conditions de confort en zone de confort étendue sont réellement remplies dans le cadre d’un projet précis. En effet, une fois que nous disposons des températures et humidité relative ou absolue, nous pouvons calculer les températures de parois afin de mesurer l’inertie des matériaux, vérifier l’intensité du rayonnement solaire à travers les vitres ou encore introduire des vitesses d’air pour simuler des comportements de ventilation. Nous n’aurons malheureusement pas le temps d’apporter ces calculs dans cette étude. Cependant, il nous a semblé intéressant d’avoir une lecture plus précise en procédant d’une autre manière pour compléter les informations précédentes Obtenues grâce au diagramme de Givoni. Ainsi, nous allons travailler avec une autre représentation en représentant cette fois-ci la température représentative de chaque mois: la température

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23 17

22

23 2

21

9

8 5

4

16

11

10

2


minimale du matin et la température maximale l’après-midi. Nous aurons ainsi douze droites allant du minimum au maximum. Cela permet de se rendre compte de la situation de confort qui change au courant de la journée. Comme déjà diagnostiqué par Mahoney, il sera mis en évidence ici la variation thermique journalière. En travaillant avec la moyenne du maximum et du minimum de température et de l’humidité relative mois par mois de l’année 2016 à Marrakech, nous obtenons un nuage de points d’informations. Par exemple, pour le mois de Novembre, le matin (à 6h), la température est en moyenne de 11°C avec 60% d’humidité relative, tandis qu’en pleine après-midi (à 15h), la température est de 22°C pour 32% d’humidité relative. Ceci va nous permettre de différencier les stratégies à adopter, en fonction de la variation de température et humidité au cours de la journée. Nous constatons, logiquement, que le matin la température minimale possède une humidité relative qui est la plus élevée, et inversement, l’après midi, la température la plus élevée a une humidité relative qui est la plus basse. Le moment le plus froid n’est pas le soir comme il est courant de penser, en effet, même à minuit la température continue à baisser jusqu’au levé du soleil (à 6h du matin en hiver et 7h en été). Ainsi, en appliquant nos données climatiques, nous avons pu déterminer un profil climatologique rapporté à des critères de confort. En choisissant d’analyser les deux extrêmes (moyenne de la température la plus basse et la plus élevée de chaque mois) d’une journée, nous pouvons vérifier les outils qui aideront à la conception architecturale pour assurer le confort en situation de pic climatique (froid et chaud). Nous constatons que 7 mois de l’année (Septembre, Octobre, Novembre, Mars, Avril, Mai, Juin) se situent dans une zone de confort étendue où il sera donc possible d’assurer un confort grâce à des apports solaires le matin, et de la ventilation au milieu de l’après midi. Les mois de Décembre, Janvier et Février auront sûrement besoin d’un apport en chauffage seulement la matinée, et la climatisation sera nécessaire seulement pour le mois d’Août et Juillet. Confort et hygrométrie: Pour le mois d’Octobre par exemple, nous sommes souvent dans une température à 24°C pour une humidité relative de 20% approximativement, cela permet de refroidir la peau par l’évaporation de l’eau de transpiration, et ainsi, la chaleur nous paraît supportable. L’air n’absorbe qu’une quantité limitée de vapeur d’eau. Dans une ambiance chaude et dans des conditions de température données, les échanges thermiques du corps humain avec son environnement ont principalement lieu par évaporation à la surface de la peau. De plus, dans une ambiance saturée où il est difficile de transpirer, comme à Casablanca en plein mois de Juillet ou Août, le corps est la plupart du temps en position d’inconfort. A l’inverse, dans le cas du climat aride de Marrakech, c’est à dire dans une ambiance sèche, la transpiration est facilitée et ainsi il est possible de supporter des températures ambiantes bien plus élevées. 67


90%

70%

50% 30%

20%

Mai Juin Sept Avril Fev Jan

Dec

10%

Oct

Mars Nov

Juillet

Août

Figure 3: Stratégies du confort à deux moments de la journée (matin et après-midi) à Marrakech en 2016.

Cependant, à l’inverse de Mahoney (qui utilise les données du climat à l’extérieur), Givoni analyse en réalité le climat à l’intérieur du bâtiment et ainsi il faut donc obtenir la variation des températures à l’intérieur d’un bâtiment précis (ce qui peut se faire au cas par cas par des simulations thermiques dynamiques), ou, en toute généralité, considérer l’impact du climat sur un bâtiment générique (protection au vent, apports solaires et internes, déperditions ou gains via les parois opaques, etc.). C’est pour cela que tout devrait être décalé. Par manque de temps et de moyens, nous avons choisi de ne pas définir un bâtiment de référence à partir duquel calculer des simulations thermiques dynamiques. Par contre nous connaissons les paramètres du climat extérieur. Il va y avoir ainsi un déplacement des températures entre extérieur et intérieur dans le diagramme de Givoni. Sachant que le climat intérieur du bâtiment capture l’énergie solaire, nous pouvons venir à la conclusion qu’en hiver les températures et humidités extérieures peuvent être décalées à droite dans le diagramme, ce qui est positif en terme de confort thermique. Cependant en été, ce même décalage entraine un climat intérieur plus chaud. Nous devons contrôler ce déplacement car il est positif en hiver mais négatif en été.

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Pour finir, nous avons vu que par nature, le bâtiment transforme le climat extérieur en climat intérieur et Givoni étudie comment le confort peut être étendu par la mise en œuvre de certaines stratégies bioclimatiques. Ces études nous ont permis de comprendre en quoi l’inertie par exemple, est une solution adaptée au climat aride. Aussi, le côté dynamique des températures nous dirige vers une réflexion en terme d’inertie qu’il est utile d’établir: faut-il du chauffage dans un climat comme celui de Marrakech, ou alors l’inertie du bâtiment suffit-elle pour permettre d’apporter (par déphasage) un peu de chaleur le matin? Nous ignorons en terme quantitatif «combien» cette stratégie peut être efficace. En effet, il est impossible de trancher sans simulations thermiques d’un bâtiment précis, cependant des hypothèses qualitatives pourront être apportées et nous y reviendrons par la suite dans ce mémoire.

Il existe une multitude logiques architecturales qui viennent «s’embrancher» à l’histoire de l’architecture. Plusieurs embranchements ont lieu au fil des années, plusieurs sont possibles et plusieurs coexistent ensemble. Nous avons choisi dans la suite de ce mémoire, d’aborder un embranchement qui met en évidence la voie du solaire passif. Nous allons nous arrêter un instant sur les possibilités théoriques de ce que l’on peut faire pour améliorer un confort dans un climat donné. Effectivement, nous serons ici dans une voie, un embranchement, de type «logique passive», dans l’idée que c’est d’abord la matière bâtie qui «travaille»: elle résiste aux transferts de chaleur, stocke ou cède l’énergie, aère, etc..; ce «travail» est qualifié de passif au sens où il n’implique pas de mouvement, pas de moteur, pas d’énergie. Puis par la suite, une logique de «type machinique», dans l’idée que des équipements peuvent venir combler la logique passive quand c’est nécessaire. Finalement, la question importante que nous souhaiterions relever ici, serait de se demander quelle logique est la mieux adaptée pour telle ou telle situation. Il ne s’agit pas de préférence, mais simplement user de bon sens pour utiliser la logique la mieux adaptée, et quand il le faut, utiliser les deux pour faire de l’architecture intelligente et performante. 69


PARTIE II. En quoi le climat aride influence la conception architecturale?

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I.

Éléments d’analyse bioclimatique

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Fonctionnement thermique du bâtiment en climat chaud a.1 Formulation simplifiée de la température intérieure Conséquences sur l’architecture et la gestion par ses occupants

73 73 74

B.

Les stratégies de conception b.1 Confort d’été b.2 Confort d’hiver Exemples d’éléments architecturaux historiques répondant aux stratégies bioclimatiques

74 76 78 . 80

Vers des stratégies de conception et logiques de pensées

82

A.

a.2

b.3 C.

II. A.

Leçons du passé

84

Le savoir-faire ancestral local de l’architecture traditionnelle du Maroc a.1 L’habitat urbain: les médinas a.2 Analyse de la médina de Marrakech

85 85 86

B.

C.

L’architecture vernaculaire b.1 L’habitat montagnard b.2 L’habitat pré saharien

94 94 95

Analyse thermique du ksar de Zenaga, Figuig

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III.

La terre comme solution? A.

B. C.

Terre et altérité

105 105

Évolution de l’utilisation de la terre

106

New Gourna, construire avec le peuple

107

71


Notre étude sur le climat aride comme celui de Marrakech analysé grâce aux méthodes de Mahoney et Givoni nous amène à la même conclusion: Toute l’année (sauf certains pics de températures en hiver et en été que nous avons déjà pointés), le confort est atteignable, souvent en zone de confort étendue. C’est-à-dire que moyennant des stratégies de conception bioclimatiques, les occupants peuvent être en situation de confort. Mais alors quels sont exactement ces moyens de conception dont nous parlons? Comment mettre en place ces apports en chauffage solaire passif ou ces apports en ventilation pour assurer le confort? Comment faire pour arrêter d’utiliser à tord et à travers toute l’année les moyens de refroidissement mécanique (climatisation) et de chaleur mécanique (chauffage)? C’est ce que nous tenterons d’aborder dans cette partie. Nous tenterons d’amener sur la table, les éléments d’architecture bioclimatiques qui pourront nous permettre de rester dans la voie de la logique solaire passive (faisant d’abord travailler le bâtiment) qui semble être la mieux adaptée au cas du Maroc. 72


I. Éléments d’analyse bioclimatique et influence sur les paramètres de conception architecturale Rappelons que le confort peut être schématisé comme étant une constante interaction entre plusieurs facteurs (métabolisme, tenue vestimentaire, température d’air, température radiante de l’environnement, vitesse d’air induite par les données climatiques...).

A. Fonctionnement thermique du bâtiment en climat chaud La température intérieure d’un bâtiment en climat chaud non climatisé (comme pour la plupart des bâtiments dans les villes arides du Maroc), évolue d’une manière très spontanée. En effet, cette température dépendra de plusieurs facteurs, liés à l’architecture elle-même, ou aux conditions d’occupation du bâtiment. Des lois régissent l’évolution de cette température. a.1 Formulation simplifiée de la température intérieure1 Nous allons nous intéresser de plus près à une formule qui permet de donner des indications sur la température intérieure Ti d’un local non climatisé. Selon Izard, la température intérieure résulte de la somme de trois termes : Ti = Temoy + STsi + VTi Avec • Temoy : température extérieure moyenne • STsi : supplément moyen de température intérieure dû aux apports solaires et internes • VTi : variation diurne de la température autour de la moyenne intérieure qui se fait entre +Ai et -Ai, (Ai est l’amplitude de température intérieure).

D’une part, la température extérieure moyenne est une donnée climatique que nous retrouvons facilement qui est la moyenne entre la température la plus élevée et la plus basse d’une journée ou d’un mois. D’autre part, le supplément de température intérieure moyenne est une notion importante pour comprendre comment fonctionne un bâtiment d’un point de vue thermique en climat chaud et aride. Ce supplément de chaleur se décompose en deux: les apports solaires et les apports internes. Cf: Travail à l’aide du diagramme de Givoni Partie I, chapitre IV .C. p.59 1

«Architecture d’été, construire pour le confort d’été», Jean Louis Izard, 1993 73


Nous savons que les sources de chaleur internes d’un bâtiment provoquent un réchauffement moyen de l’environnement ambiant interne, que l’on peut quantifier en valeur moyenne sur une journée. La grandeur de ce réchauffement dépend de la puissance de ces sources de chaleur ainsi que des déperditions (qu’elles soient voulues ou non voulues). Enfin, la variation diurne de la température intérieure dépend de quatre facteurs principaux: L’amplitude de température extérieure (Tmax - Tmin); L’inertie thermique utile du local (plus l’inertie est forte, plus l’amortissement de l’amplitude extérieure est grand et donc l’amplitude intérieure est faible); Les apports solaires (apports diurnes qui contribuent à augmenter la valeur de Ai qui sera d’autant plus marquée que l’inertie thermique sera faible); La ventilation du local (qui peut soit restituer l’amplitude extérieure si la ventilation est forte et permanente, soit laisser agir l’amortissement quand la ventilation est nulle, soit conduire à une situation intermédiaire). Ainsi, pour une ventilation faible en climat chaud et une amplitude extérieure donnée, nous pouvons amener en conclusion qu’avec des apports solaires élevés et une faible inertie thermique, Ai et VTi seront importants, et inversement, sans apport solaire et avec une forte inertie thermique, Ai et VTi seront faibles. En somme, la température intérieure va évoluer entre deux valeurs Ti min et Ti max: Ti min = Temoy + STsi - Ai Ti max = Temoy + STsi + Ai a.2 Conséquences sur l’architecture et la gestion par ses occupants Tout ceci a bien évidemment des conséquences sur l’architecture ainsi que la gestion par ses occupants. La figure 1 schématise la liste des paramètres architecturaux cités plus haut, liés à l’occupation interne. Nous pouvons voir de quelle manière se décompose la température intérieure d’un bâtiment et la manière dont les composantes bioclimatiques sont ainsi générées (isolation thermique, forme architecturale, inertie thermique, orientation, protection solaire, etc). Dans le cadre bleuté du schéma, sont repris les différents facteurs architecturaux. Au-dessus, se trouvent les facteurs climatiques ou sources de chaleur et en-dessous nous avons les conditions intérieures. Enfin, le type de régime thermique qui est mis en jeu est précisé le long de certaines flèches.

B. Les stratégies de conception Nous avons constaté qu’il était possible, avec des moyens de conception architecturale bioclimatiques, d’être en zone de confort et parfois en zone de confort étendue toute l’année dans le climat aride de Marrakech. Bien 74


Figure 1: Schéma de décomposition de la température intérieure d’un local et comment sont générées ses composantes Source: «Architecture d’été, construire pour le confort d’été», Jean Louis Izard, 1993

sûr ce propos est nuancé car il y a certains pics de froid ou de chaud dans l’année qui nécessitent un apport de ventilation (en cas de surchauffe) ou de chaleur (en cas de fraicheur). Toutefois, il s’agirait d’une utilisation ponctuelle très faible quelques jours seulement dans l’année. Tout le reste du temps, il suffira d’adopter des stratégies de conception bioclimatique pour assurer un confort adéquat. Aujourd’hui, souvent lors de la conception d’un projet, l’architecte doit arriver à concilier des contradictions entre forme et usage, durabilité et usage, durabilité et contemporain, performante et peu énergivore (faire des économies d’énergie) etc... D’un point de vue bioclimatique, une contradiction ou un paradoxe plus grand peut se révéler: d’une part le bâtiment doit s’ouvrir au soleil afin de capter la chaleur en hiver mais pouvoir se fermer au vent, d’autre part il doit s’ouvrir au vent afin de ventiler en été mais se protéger du soleil. De ce fait, il est très rare qu’une conception

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«rigide et unitaire»2 puisse parvenir à concilier ces contradictions. Ainsi, nous pouvons ainsi mettre en avant deux stratégies principales: La stratégie du confort d’hiver, appelée aussi la stratégie du chaud, puis la stratégie qui concernera le confort d’été, appelée la stratégie du froid. Enfin, il faudra veiller à assurer l’usage de la lumière naturelle pour concevoir de manière bioclimatique et jongler entre stratégie du chaud et du froid pour un confort d’hiver et d’été ainsi qu’un confort optimal tout le long de la journée. Nous passerons en revue ces stratégies bioclimatiques. Rappel sur l’inertie thermique d’un matériaux «l’inertie thermique peut simplement être définie comme la capacité d’un matériau à stocker de la chaleur et à la restituer petit à petit. Cette caractéristique est très importante pour garantir un bon confort notamment en été, c’est-à-dire pour éviter les surchauffes. Cette capacité permet de 1. Déphasage limiter les effets d’une variation «rapide» de la 2. Amortissement température extérieure sur le climat intérieur par Faible inertie thermique Forte inertie thermique un déphasage entre la température extérieure et la température de surface intérieure des murs et par amortissement de l’amplitude de cette variation. Un déphasage suffisant permettra par exemple que la chaleur extérieure «n’arrive» qu’en fin de journée dans l’habitat, période où il est plus facile de le rafraîchir grâce à une simple ouverture des fenêtres»3.

b.1 Confort d’été1

En ce qui concerne le confort d’été, il sera possible de jouer sur plusieurs paramètres qui peuvent répondre à une stratégie du froid. Il s’agit de réussir à se protéger du rayonnement solaire et des apports de chaleur, de pouvoir minimiser les apports internes, de disperser la chaleur en excès puis enfin de refroidir naturellement l’intérieur du bâtiment. Le traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatique écrit en 2006 par Alain Liébard et André De Herde nous servira de guide pour expliciter les stratégies bioclimatiques suivantes:

Figure 2: Stratégie du froid Source: «Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques», 2006

2 «Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques», Alain Liébard et André De Herde, 2006 3 www.energieplus-lesite.be 76


• Protéger du soleil: Les ouvertures: La protection du bâtiment et surtout de ses ouvertures contre le soleil requiert la mise en place d’écrans (extérieurs si possible), afin de créer de l’ombre et limiter l’ensoleillement direct pour éviter les gains directs de chaleur à l’intérieur. Ces écrans peuvent être saisonniers (avec une végétation saisonnière), ou amovibles ou permanents. L’inertie: En climat chaud et aride, les apports de chaleur provenant des toitures et des parois chauffées durant la journée par le soleil, sont très élevés. L’inertie des matériaux jouent alors un rôle important. Aussi, il est possible de diminuer nettement les gains internes de chaleur en ayant des surfaces claires en toiture par exemple. L’isolation: La protection contre l’échauffement à l’intérieur du bâtiment, au droit des parois opaques, nécessite aussi un niveau d’isolation suffisant doit pouvoir empêcher la chaleur de traverser la masse. Ceci reviendra en partie à une bonne orientation ou inclinaison des parois. En effet, l’orientation des surfaces vitrées, des ouvertures aura une influence importante sur l’énergie solaire incidente. Il faudra tenir compte en partie de la puissance maximale du rayonnement qui est reçu, du moment de la journée dans lequel se produit cette plus haute température, de la durée d’insolation sur la surface. Le «courant bioclimatique»4 met en avant l’orientation Sud en Belgique (et en Europe) pour permettre de capter la chaleur en hiver. • Minimiser les apports internes : Ce qui se passe au sein du bâtiment influence les températures intérieures; minimiser les apports internes permet d’éviter une surchauffe des locaux due aux équipements et aux occupants. Ceci est possible en réduisant des facteurs comme la densité d’occupation des locaux, l’éclairage artificiel ou encore l’équipement électrique. • Dissiper les surchauffes : Dissiper des surchauffes est un élément important afin que la chaleur ne s’emmagasine pas. Il Peut être réalisé par une réflexion et mise en place de ventilation naturelle («en exploitant les gradients de température par le biais d’exutoires produisant un effet cheminée»). La tour à vent par exemple, est une technique utilisée depuis des siècles pour créer une ventilation naturelle. • Refroidir les locaux : Des moyens naturels peuvent facilement être mis en place afin de refroidir les locaux. Tout d’abord, en favorisant la ventilation nocturne, pour déstocker la chaleur emmagasinée la journée, ou encore en augmentant la vitesse de l’air grâce à l’effet Venturi, la tour à vent etc. Puis, un autre moyen est de refroidir l’air grâce à des dispositifs naturels et «hydratants» (des fontaines, des plans d’eau, de la végétation, des conduites enterrées, ect). 4

«Architectures d’été, construire pour le confort d’été», Jean-Louis Izard, 1993 77


Le bel exemple du Patio de la Acequia, Generalife à Grenade en Espagne, peut illustrer les quatre paramètres de stratégies bioclimatiques du confort d’été. Cette architecture représente la diversité des différents systèmes de refroidissement naturel mis en place dans l’architecture mozarabe du XIIIe siècle. On retrouve notamment ici les grands portiques ombragés offrant une protection contre le soleil, les enfilades ouvertes assurant l’aération continue, les fontaines apportant de la fraicheur grâce à la vaporisation de l’eau, la végétation apportant à la fois de l’ombre (sur les sols, qui ne se réchauffent pas) et de l’évapotranspiration.

Figure: Patio de la Acequia (Patio du Canal), Détail, Generalife, Grenade, Espagne. Source: Image tirée de wikipedia

b.2 Confort d’hiver Au confort d’hiver, va répondre cette fois-ci, la stratégie du chaud. Il sera possible de jouer sur plusieurs autres paramètres: Capter la chaleur du rayonnement solaire afin de la stocker dans la masse du bâtiment et la conserver (surtout par l’isolation), pour enfin la distribuer de manière homogène au bon moment de la journée. • Capter le soleil: En captant le soleil, nous recueillons finalement l’énergie solaire électromagnétique, qui se transforme, au contact des matériaux, en chaleur (infrarouge). Le rayonnement reçu sur le bâtiment dépendra évidemment du climat et de ses variations journalières et saisonnières. Cependant, le rayonnement dépendra aussi en grande partie de l’orientation du bâtiment, de l’ombrage, de la topographie du lieu, de la nature de ses surfaces ainsi que de ses matériaux. Il est possible de tirer profit du rayonnement solaire majoritairement au droit des surfaces vitrées, où celui-ci est partiellement transmis vers l’ambiance intérieure permettant un gain direct de chaleur conservé par l’effet de serre et de la résistance des matériaux à la diffusion de la chaleur. Cependant il faut tenir compte également de la toiture qui peut également jouer un rôle dans la transmission de chaleur qu’elle reçoit de la lumière zénithale: son rôle est moindre en hiver (le soleil est plus oblique), mais plus grave en été (le soleil lui est plus perpendiculaire). • Stocker dans la masse: Sachant que le rayonnement solaire produit de la chaleur parfois en excès, il est intéressant de pouvoir la stocker pour utiliser l’énergie au moment opportun, où un besoin de chaleur se fait ressentir dans le bâtiment. Ce stockage peut avoir lieu grâce à tous les matériaux utilisés: suivant sa capacité d’accumulation, il permettra d’absorber la chaleur et d’atténuer les fluctuations de température au sein du bâtiment en tirant profit de son inertie thermique. 78


• Conserver en isolant: Premièrement, au sein d’un bâtiment en climat froid ou frais, que la chaleur provienne de l’ensoleillement, du système de chauffage ou des apports internes, il sera nécessaire de conserver au mieux cette énergie. C’est principalement la forme du bâtiment, l’étanchéité de l’enveloppe et les vertus isolantes de ses parois qui permettront de limiter au maximum les déperditions thermiques du bâtiment. La chaleur se transmettant du milieu le plus chaud vers celui le plus froid, il faut tenter de limiter les échanges de chaleur en hiver comme en été, en mettant en place une paroi bien isolée pour avoir une valeur U5 réduite. Cependant, l’isolant d’une paroi ne peut pas être enlever quand l’été arrive, c’est pourquoi au Maroc, une isolation épaisse peut conduire à plus de surchauffe; d’où un arbitrage en faveur de l’inertie (à vérifier tout de même par des simulations). La forme: Un élément majeur à prendre en compte ici sera celui de la notion de compacité, qui s’exprime en m3/m2, ou volume/surface déperditive. Il faut essayer de tendre vers un volume habitable chauffé dans une surface de déperdition minimale. L’étanchéité: Les déperditions ayant lieu à cause des infiltrations de l’air dans un volume chauffé, sont proportionnelles au débit d’air. Ainsi, en améliorant l’étanchéité à l’air, il est possible de réduire le débit d’infiltration. Les maisons au Maroc peuvent être très froides en hiver par la présence de courants d’air inconfortables en hiver. Deuxièmement, un «zonage thermique» permet de conserver la chaleur, ou plutôt de donner à chaque espace la chaleur dont il a besoin, en séparant les espaces qui nécessitent des ambiances thermiques différentes, notamment en s’assurant que leur orientation soit adéquate (le séjour au sud, les services au nord, etc.). • Distribuer la chaleur: Tout d’abord, distribuer et réguler la chaleur à l’intérieur du bâtiment consiste à permettre au volume d’air intérieur de circuler le plus librement possible. Cette redistribution de chaleur se fait selon deux processus : 1- Un processus temporel : le déphasage assuré par le choix des matériau et de leur inertie. La distribution s’effectuer de manière naturelle quand la chaleur accumulée dans un matériau (pendant la période d’ensoleillement) est restituée vers l’air ambiant par le processus de convection et rayonnement. 2- Un processus spatial : la thermocirculation de l’air qui est la «migration naturelle des masses d’air chaud vers le haut». Cette distribution peut être assurée par un circuit de ventilation forcée et la chaleur doit être régulée en fonction des différentes pièces de vie au sein du bâtiment. 5 La valeur U appelée également facteur U ou coefficient U indique la capacité d’un élément de construction (toit, plancher, mur) ainsi que des matériaux isolants, à résister au transfert de chaleur; plus le matériau sera isolant, plus sa valeur U sera faible.

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b.3 Exemples d’éléments architecturaux historiques répondant aux stratégies bioclimatiques

L’habitat troglodytique L’habitat troglodytique existe depuis plus de 3000 ans et désigne l’ensemble des habitations situées dans le sol. Certaines de ces habitations prennent place dans des cavités déjà présentes dans la nature et d’autres se situent dans des excavations volontaires artificielles dans le sol. C’est un sol facilement manipulable et peu humide dont il est question. Ces habitations ont vu le jour essentiellement pour des raisons techniques (un endroit où il n’y a pas de végétaux ou de bois pouvant servir à la construction par exemple), ou pour des raisons climatiques (c’est le cas pour le climat aride ou continental). C’est souvent dans un climat chaud aride que les communautés troglodytiques se sont maintenues puisque cette architecture répondait aux contraintes du climat. Ce creux permet de se protéger des excès de froid, de lumière et de vents violents. Nous retrouvons en grand nombre ces habitations dans plusieurs régions du Maroc. L’aménagement particulier de l’habitat va permettre de faire pénétrer la lumière dans les pièces souterraines tout en gardant de la fraîcheur durant les jours chauds. En effet, s’abriter ainsi dans le sol procure un certain confort de par la grande inertie thermique de la terre : elle permet de limiter les effets de variation thermique entre le climat extérieur et intérieur par un processus de déphasage et d’amortissement de l’amplitude de cette variation. Pièces creusées dans la montagne - Greniers Troglodytes L’architecture de terre au Yémen Dans la ville de Sana’a au Yémen, les constructions sont en terre avec des bâtiments allant parfois jusqu’à sept étages. Les premiers niveaux de ces habitations sont souvent en pierre puis la brique de terre ou le pisé pour les niveaux supérieurs. Cependant, ces hauteurs n’étaient atteignables que dans les parties là où la pierre était disponible pour assurer la stabilité. Ailleurs dans la région (dans les plateaux semi-désertiques de l’est et du nord-est) où la pierre est plus rare, les bâtisseurs ont développé d’autres techniques d’utilisation de la terre pour construire des bâtiments atteignant cinq étages. Ces constructions répondent également aux 80

Tilouine, Maroc Source: Moroccan Expression photography

Bab Al-Yémen, Sana’a, Yémen Source: Photographe Lucie Debelkova


caractéristiques climatiques de la région: une forte amplitude thermique journalière des températures ainsi qu’une importante intensité des rayonnements solaires. Ce type de construction permet une surface d’échange thermique nettement plus faible entre l’extérieur et l’intérieur du bâtiment. De plus, la pierre et la terre utilisées pour former de grosses épaisseurs de murs, vont permettre une bonne inertie thermique. Les tours à vent La tour à vent est un système d’aération, l’ancêtre de la ventilation mécanique. C’est un dispositif qui permet de capter le vent en hauteur et le conduire vers l’intérieur du bâtiment ce qui permet de ventiler de manière naturelle. Il fonctionne par simple échange thermique: par différence de température entre le vent extérieur et l’air ambiant à l’intérieur du bâtiment. Deux cas sont rencontrés: Soit l’air ambiant intérieur est plus chaud que le vent qui se trouve en hauteur à l’extérieur, auquel cas le capteur de la tour en hauteur va aspirer naturellement l’air qui va entrer ainsi par le haut dans le bâtiment et qui redescend au rez-de-chaussée pour chasser l’air intérieur chaud et vicié: c’est l’effet Venturi. Soit l’air ambiant intérieur est plus frais que le vent en hauteur, une pression va alors avoir lieu et empêcher l’entrée du vent dans le capteur de la tour. Dans les climats arides, souvent c’est la première situation qui a lieu et ce système permet ainsi un confort plus élevé au sein des bâtiments.

DEBUT JOURNEE

MILIEU JOURNEE

DEBUT NUIT

FIN NUIT

Figure 1: Principe de fonctionnement d’une tour à vent. Source: «Archi bio»,Jean-Louis Izard, 1979

De plus dans ces climats, le système est amélioré par «la présence de jarres poreuses en contrebas puisque l’évaporation de l’eau qui suinte de ces jarres permet de rafraîchir le filet d’air entrant»6 que l’on peut voir sur la figure 1 en bleu. Enfin, les tours à vents en terre sont composées de volets qui permettent de bloquer et de filtrer l’entrée d’air dans les orifices de récupération d’air pour les saisons froides qui connaissent un vent parfois très fort.

Le moucharabieh

C’est aussi un système de ventilation naturelle forcée. Le moucharabieh étant composé d’un maillage de bois, a une surface libre très réduite, ce qui accélère le passage du vent. Il est formé d’un treillage en bois permettant aussi une protection à l’intérieur du bâtiment contre une lumière et d’une chaleur qui peuvent être excessives dans certains pays à climat aride ou sec. Le moucharabieh permet aussi de voir sans être 6

Photographie d’un moucharabieh Source: Le monde de l’artisanat marocain: http://artisanatf.blogspot.be

«Concevoir et bâtir durable», TFE de Hbibi Rida, ENA, 2009 81


vu, et pourra donc être placé souvent en saillie pour augmenter la surface exposée au vent et ainsi ventiler de manière plus efficace à l’intérieur du bâtiment.

C. Vers des stratégies de conception et logiques de pensées Nous pouvons à ce stade, se demander si il y a une et une seule façon de faire de l’architecture solaire passive, respectueuse de son environnement et son contexte? Est-ce-qu’il y a un discours ou une logique fondamentale sur laquelle s’accrocher ou, au contraire, il y a-t-il des différences et variétés à prendre en compte? Je me permet de relater mon vécu à ce sujet: ma position peut sembler paradoxale entre une formation européenne qui m’amène à parler d’isolation, de récupérateur de chaleur, en bref, d’une technologie inappropriées au Maroc; et une volonté de trouver des logiques plus centrées sur les ressources locales matérielles et culturelles pour une architecture adaptée au climat chaud du Maroc. Les sociologues Simon Guy et Graham Farmer apportent un cadre de référence dans lequel nous pouvons nous placer. En effet, dans l’article «Reinterpreting Sustainable Architecture : The Place of Technology»7, ces derniers expliquent qu’il n’y a pas une seule sortie, mais plusieurs portes d’entrée permettant de construire dans une vision d’avenir, économe et généreuse à la fois. La plupart des visions d’architecte ne sont pas basées sur une production de travail mais plutôt sur des dispositifs qui vont positionner les personnes pour avoir de nouveaux regards et changer leurs modes de vies. Ainsi, l’architecture durable ne peut être réduite à une réflexion technique mais plutôt une réflexion philosophique durable: nous trouvons des solutions et nous allons vers un consensus sur la manière de changer nos gestes communs afin de trouver des propositions adaptées. De ce fait, le cadre de référence dans lequel nous pouvons nous identifier dans une certaine mesure, oscille entre trois logiques de pensées que les auteurs développent: D’une part, la logique éco-centrique révèle un point de vue qui rejette la techno science. La conception durable des bâtiments n’est pas présentée comme des solutions techniques. Chercher ici la juste technologie sera efficace, mais avec un côté local pour avoir une faible empreinte écologique. Les matériaux locaux, la récupération de matériaux sont privilégiés et l’assemblage se fait de manière non industrielle. La vision du projet est 7 «Reinterpreting Sustainable Architecture : The Place of Technology», Simon Guy et Graham Farmer, Journal of Architectural Education, 54, 140-148, Février 2011 82


plus globale puisque ce dernier doit avoir une relation équilibrée avec son système, à savoir que le bâtiment devra bénéficier à l’écosystème et non pas qu’au bâtiment lui même. D’autre part, la logique éco-culturelle veut pouvoir retrouver les techniques anciennes et le savoir faire avec les matériaux locaux. C’est un nouveau savoir vernaculaire, en perpétuel développement. Dans cette approche, les architectes cherchent à s’inspirer des traditions du lieu, de la culture existante et de s’inscrire dans un paysage varié. La recherche de l’authenticité devient importante, le génie du lieu s’oppose à une modernité qui banalise tout. C’est donc pouvoir s’inscrire dans la culture (conscience et adaptation écologique) et ses traces, tout en étant dans la continuité. Et ceci, en intégrant l’individu dans la médiation et les bases de partage. Enfin, la logique éco-sociale a pour but de faire participer les gens dans des projets d’architecture participatifs. Ce qui est durable ici c’est de parvenir à mettre l’individu dans un organisme vivant, de faire fonctionner les groupes correctement et s’assurer à ce que les groupes fonctionnent avec leurs environnements. Il s’agit de réconcilier la dimension individuelle par des espaces mutualisés. Finalement, il s’agit de réfléchir à une architecture de bon sens et tenter de trouver les solutions les mieux adaptées au contexte. En guise de conclusion, sur des bases pragmatiques (Mahoney) et scientifiques (Fanger, Olgyay, Givoni), nous avons vu que le climat peut jouer un rôle important dans la conception architecturale bioclimatique. Aussi, plusieurs stratégies bioclimatiques sont à retenir et à appliquer au cadre du Maroc. Par exemple, la présence d’une grande inertie thermique dans le choix des matériaux est un élément physique important qui permet de réduire l’amplitude des variations de température entre le jour et la nuit sans isolant (car l’isolant en été est à l’origine de surchauffe dans les espaces intérieurs); et permet de capter la chaleur pendant le jour et la déphaser pour la restituer la nuit et le matin. Il s’agit alors de veiller à éviter que le déphasage soit insuffisant: si la chaleur du matin est rendue l’après-midi, ce n’est pas intéressant. Néanmoins, rappelons qu’Amos Rapoport dans son livre «Pour une anthropologie de la maison» en 1969 explique que le climat n’est qu’un des impératifs à prendre en compte et que la forme architecturale résulte de bien d’autres contingences matérielles et culturelles. La maison à patio, par exemple, n’est pas conçu simplement dans l’idée qu’elle est adaptée au climat chaud, en effet, ce sont aussi des questions de modèle d’héritage, de séparation complète du privé et public... Ainsi, le climat est une caractéristique à prendre en compte, mais il y en à d’autres comme l’histoire des typologies traditionnelles, le mode de vie, le mode constructif, la disponibilité des matériaux, les solutions adaptatives apportées par les habitants en réponse à la modernité, etc. C’est cela que nous tenterons de voir dans la partie suivante.

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II. Leçons du passé Les hommes du passé, ces hommes qui ont mis la main à la pâte pour construire des abris confortables et solides, ces bâtisseurs autodidactes qui ont su adapter leurs constructions à leur environnement, ont pu développer un savoir-faire qui prenait en compte les variations du climat et les obstacles qu’entraîne la topographie de certaines régions. Que ce soit les architectures en terre du Yémen, les habitats troglodytiques de Matmata en Tunisie ou encore les riads et Kasbahs du Maroc, de nombreuses bâtisses défient les siècles et nous livrent encore aujourd’hui certaines leçons pratiques d’insertion de l’architecture en milieu naturel. Ces «architectures sans architectes»1 illustrent parfaitement «un art communautaire produit, non par quelques intellectuels ou quelques spécialistes, mais par l’activité spontanée et continue d’un peuple tout entier, dépositaire d’un héritage commun et obéissant aux leçons d’une commune expérience»2. Comme dit précédemment, la situation géographique du Maroc est particulière. Il se trouve entre la Méditerranée au Nord, l’océan Atlantique à l’Ouest, le Sahara au Sud et Sud-Est. De plus, les paysages montagneux ainsi que les forts reliefs apparents dans certaines régions lui confèrent une diversité climatique et écologique. Les températures du Maroc varient d’un Méditerranéen tempéré à un Saharien sec en passant par un montagnard froid. Face à la diversité climatique, les peuples ont dû s’adapter durant les siècles pour vivre convenablement selon les caractéristiques de chaque région. Il s’est ainsi développé au fil des siècles une architecture locale qui a su trouver des solutions architecturales adaptées à leur époque et appropriées au climat du lieu. En mettant en place diverses techniques architecturales et diverses autres constructions qui répondent au potentiel environnemental et paysager propre à chaque lieu. A travers les siècles, ces contraintes climatiques ont pu finalement conduire à une production d’une grande richesse patrimoniale: allant de la blancheur des villes méditerranéennes aux architectures rurales des montagnes et vallées au nord ainsi que celles de terre des différentes provinces sahariennes au sud, en passant par les médinas au centre. Nous allons revenir un instant sur ces constructions originales et propres à chaque lieu, comme l’a dit Mustapha Jlok, chercheur à l’IRCAM (Institut royal de la culture amazighe au Maroc), « un des atouts majeurs de l’habitat traditionnel est son originalité ; une originalité qui s’exprime dans l’emploi des matériaux, l’adoption des formes, l’utilisation rationnelle des espaces, la fonction, le rôle et l’utilité de chaque construction »3. 1 «Architectures sans architectes», Rudofsky Bernard, 1977 2 Belluschi Pietro dans «Architecture sans architectes» de Rudofsky Bernard, 1977 3 « Habitat et patrimoine au Maroc présaharien : état des lieux, évolution et perspectives de développement, Cas d’IGHREM N IGOULMIMN.” Université de Senghor, Alexandrie, Jlok Mustapha, 1999 84


A. Le savoir-faire ancestral local de l’architecture traditionnelle du Maroc a.1. L’habitat urbain: les médinas Le terme médina fait référence à la partie ancienne des villes impériales comme Fès, Marrakech, Rabat, Meknès. Son architecture se caractérise par différentes techniques de construction datant de plusieurs siècles. C’est le mélange de connaissances locales et d’influences de diverse origines (andalouses, orientales et africaines) qui a donné naissance à ces constructions. Les médinas ont connu une évolution au fil des siècles, en suivant toujours un modèle urbain arabe traditionnel qui y intègre ces diverses cultures. La médina est entourée de murailles dont certaines peuvent avoir une épaisseur de plus de 2,5 mètres. Ces murailles sont dotées de Vue sur patio d’une maison typique de la médina. meurtrières et de portes monumentales créant alors une forteresse, conçue à la base pour se Source: «Typologies de logements marocains», Shama Atif, protéger et repousser les attaques d’éventuels envahisseurs. La médina forme un espace autonome qui délimite géographiquement des quartiers. Chaque entité est dotée de son hammam, sa fontaine, son four traditionnel, sa petite mosquée et quelques commerces et épiceries. Au centre, se trouvent la mosquée et les médersas (terme d’origine arabe désignant une école). Les dédales des multitudes de ruelles peuvent donner une fausse impression de désorganisation mais en réalité les médinas obéissent à un plan très rigoureux et fonctionnel.

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Les habitations se font face et entres elles, une ruelle peinte à la chaux les sépare. Les habitations sont fermées sur l’extérieur et l’entrée des maisons débouche sur un patio ombragé, autour duquel sont disposées chambres et salons. Le patio permet de générer un microclimat frais et assure une protection contre les vents. Au centre de ce petit jardin intérieur, se trouve souvent une fontaine d’eau. Nous proposons ici une analyse de la maison à patio dans la médina de Marrakech puisque cette ville se voit dotée d’un climat aride (zone 5, cf carte du zonage climatique du Maroc). Il est intéressant de voir alors de quelle manière la population a su répondre à l’inconfort face à ce climat particulier. Cette étude vise à faire ressortir les avantages ainsi que les inconvénients de cette typologie d’habitat. Nous nous demanderons en outre, si cette construction permet une bonne adaptation face au climat et au contexte géographique de la région. 85


a.2. Analyse de la médina de Marrakech

Rappelons que la ville de Marrakech est située au centre ouest du Maroc. C’est une ville à climat aride avec parfois des tempêtes de sables, les journées sont souvent très chaudes en été avec une température moyenne de 28.6 °C en Juillet qui est le mois le plus chaud de l’année pouvant aller jusqu’à 45°C. Une température moyenne de 11.3 °C caractérise le mois de Janvier. • Aperçu historique La médina constitue le «centre névralgique», le cœur historique de la ville de Marrakech, qui s’étend sur plus de 600 hectares. C’est au XIe siècle que remontent les premières traces de la plus vaste médina du Maroc. Elle débute sur un terrain vierge qui rend la création de la médina singulière et unique d’un point de vue urbanistique. Partant de zéro, elle est d’abord configurée autour d’un campement militaire et d’un marché. Puis cet espace s’élargit avec la création d’une kasbah au XIIe siècle pour se protéger des tribus berbères. Aujourd’hui les remparts s’étendent sur une distance de plus de 19 km avec une hauteur des murailles allant entre huit à dix mètres.

Plan historique de Marrakech et ses alentours en 1935. Source: Learer Map: US Army Map, University of Texas The Perry-Cataneda Library Map Collection. Plan réadapté avec la légende par Hailey Wilmer le 5 Décembre 2015. 86


Évolution du plan historique de la médina de Marrakech et ses alentours en 1949. Source: Plan produit par la base aérienne de Marrakech de novembre 1949 à 1961, Image disponible sur http://mangin2marrakech.canalblog.com

• Organisation spatiale Le tissu urbain de la médina est très serré. On y retrouve des maisons mitoyennes souvent sur trois cotés afin de créer des espaces ombragés et limiter les surfaces exposées aux rayons du soleil. Les voies de circulation représentent seulement 15% de la surface totale. Elles restent fraîches et ombragées durant la journée de par l’étroitesse des ruelles ce qui est un aspect avantageux lors des journées chaudes. Les habitations de la médina de Marrakech suivent la même organisation spatiale que celle des autres médinas marocaines. Elles se schématisent par un mur extérieur sans fenêtres ni ouvertures, formant une enveloppe compacte carrée ou rectangle, puis d’un second mur intérieur, parallèle au premier, entourant une cour appelée el wüst el daâr, qui est le patio central, ou centre de la maison. La maison traditionnelle est ainsi organisée autour d’une cour avec au centre une fontaine. De plus, cette cour est entourée d’une galerie à colonnades décorées. Celle-ci distribue les pièces de séjour au rez-de-chaussée et les chambres à l’étage. Ces portiques ou colonnades permettent également de filtrer les rayons du soleil et jouent ainsi le rôle de protection solaire pour créer de l’ombre et maintenir au frais un maximum les pièces intérieures. Ce système permet d’avoir un espace intérieur dans les maisons qui reste frais. Il y devient ainsi plus agréable d’y vivre. Plusieurs pièces sont construites sur les quatre côtés de la maison pouvant monter sur un ou deux niveaux (rarement plus de trois niveaux).

Rues sinueuses de la médina Source: www.riadnoosnoos.com

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Coupe perspective d’une maison de la médina à Marrakech & Plan de RDC d’une maison de la médina à Marrakech Source: «Typologie de logements marocains, Modèles d’habitats entre persistance et mutations», Shama Atif, 2011

• L’enveloppe La compacité d’ensemble du volume des maisons permet de minimiser la dépense énergétique: les façades composées de très peu d’ouvertures ont une grande épaisseur permettant de se protéger de la chaleur extérieure. La température intérieure reste plus fraiche que la température extérieure de par l’inertie des matériaux utilisés. Cependant, dans la maison à patio, le «trou» central apporte beaucoup de surface déperditive. Nous pourrions même dire au contraire, que la maison à patio est une typologie à faible compacité et haute surface d’échange, mais ceci permet au volume (fermé à l’extérieur) d’être aéré continuellement. Les murs exposés au soleil emmagasinent des quantités importantes de chaleur car ils sont construits avec un matériau dense à forte inertie thermique, à savoir, la terre crue. Grâce à sa forte densité, la terre offre une inestimable qualité d’inertie thermique pour l’accumulation de la chaleur du soleil en hiver. En revanche, en été sa restitution lente procure du confort, en effet, le déphasage de la terre est suffisant pour permettre à la chaleur extérieure de n’arriver qu’en fin de journée dans l’habitat (période où il est plus facile de le rafraîchir par ventilation naturelle grâce à une simple ouverture des fenêtres par exemple).

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• Modélisation d’une maison à patio Afin de mieux visualiser l’ambiance thermique d’une maison à patio, nous en dessinerons un modèle 3D pour voir le parcours du soleil au courant de la journée dans les espaces. Nous simulons un ensoleillement d’une journée de Juin à Marrakech de 5h50 du matin (lever du soleil) à 21h30 (coucher du soleil). Sur les images suivantes, nous pouvons voir que le volume fermé de la maison permet en effet une protection solaire.

Parcours du soleil: perspectives

5:50 AM, lever du soleil

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Parcours du soleil: coupes perspectives 5:50 AM, lever du soleil

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• Matériaux et enduits

Figure 1: Propriétés thermiques comparées, «Impact sanitaire du produit : estimation à partir des dégagement de substances nocives en cours d’utilisation, la faible capacité de respiration et Impact écologique du produit : estimation à partir de l’énergie grise (extraction, production, transport), le potentiel de recyclage et le caractère renouvelable de la matière première Source: http://biohabitat.free.fr

La médina de Marrakech est construite avec l’utilisation de plusieurs matériaux locaux: La terre, la brique cuite et la roche feuilleté de schiste. Il en a été ainsi car ces matériaux in situ sont faciles d’accès et rapidement extraits. La figure 1 nous permet de comparer les caractéristiques thermiques de différents matériaux. L’effusivité et la diffusivité sont deux grandeurs physiques qui caractérisent et quantifient la capacité thermique d’un matériau. Comme Jean-Louis Izard le souligne, l’effusivité thermique de la terre, à savoir sa capacité à absorber puis à restituer une puissance (une énergie) thermique, est relativement faible (en comparaison avec le béton par exemple). Cela signifie qu’au contact de la terre, les sensations de chaleur et de froid sont plus faibles. Puis, sa diffusivité, à savoir sa capacité à transmettre un «signal» de température à travers son épaisseur est relativement élevée (comparée au bois mais reste plus faible que le béton). De manière générale, ces deux grandeurs nous renseigne davantage sur l’inertie thermique de la terre: elle a la capacité de restituer de la chaleur (ou la fraîcheur) qu’elle aura au préalable stockée, de manière décalée (c’est le déphasage thermique) selon les variations de température entre intérieur et extérieur du bâtiment. • Ventilation naturelle et comportement thermique L’espace central de la maison permet un renouvellement constant de l’air. La ventilation des chambres (qui n’ont pas de fenêtres la plupart du temps), se fait simplement à travers la porte ouverte, qui a une hauteur importante afin d’améliorer l’échange d’air. Ainsi le patio devient un élément impor92


tant de la maison puisqu’il permet de modérer le climat intérieur et le réguler. La présence des éléments végétaux et aquatiques permettent de régulariser la température en rafraîchissant l’air ambiant par évaporation: l’air frais de la nuit est retenu parce qu’il est plus lourd que l’air chaud des alentours, et cela permet d’assurer une ventilation naturelle pour les pièces adjacentes. Aussi, les galeries couvertes intérieures remplacent les couloirs: il y a alors la possibilité d’avoir divers endroits à l’ombre tout en ayant une vue sur l’extérieure (la cour centrale du patio). Ces lieux de séjour font également office de protection solaire pour les pièces adjacentes. Dans un climat aride comme celui de Marrakech, le patio représente une bonne réponse.

JOUR

NUIT

Principe de fonctionnement climatique d’un patio Source: «Archi bio», Jean-Louis Izard, 1979

Pour un climat chaud semi-aride, l’utilisation d’un patio central est justifiée. Cette typologie est adaptée aux températures élevées et surtout aux changements de températures qui peuvent avoir lieu entre le jour et la nuit. Le patio régule la température en jouant le rôle d’espace tampon entre deux climats: un intérieur tempéré puis un extérieur chaud et sec.

Malheureusement, les typologies de logements modernes en contradiction avec ces formes de constructions, sont la première menace de la disparition des typologies architecturales de la médina. Plusieurs phénomènes entraînent la régression et la lente disparition de ces typologies d’habitat, parmi lesquels: Les mutations économiques et culturelles, un changement dans le mode de vie traditionnel des habitants, l’émergence de l’exode rural des régions en périphérie, l’industrialisation du secteur du bâtiment etc... (cf: Partie III. Chapitre I).

Photo actuelle de la place centrale de la médina de Marrakech. Source: marrakech viaprestige 93


B. L’architecture vernaculaire b.1 L’habitat montagnard Le haut Atlas et le Rif regorgent d’architectures faisant preuve d’une grande maîtrise constructive et d’un art dans l’emploi de la pierre, du bois et du pisé. Les «greniers collectifs», généralement perchés, isolés ou regroupés en agglomération, sont de véritables massifs constructifs entourés par de hautes murailles. Les greniers se trouvent soit isolés sur un sommet, soit intégrés au sein d’une agglomération et forment un hameau entre eux. Ils sont composés de tours dominantes pour assurer une autodéfense et surveiller les alentours. Ces tours permettent de stocker également et assurer la protection des biens de famille, du village, du clan ou encore de la tribu. Une organisation «sociétale» se fait au sein du village, pour assurer une surveillance à tour de rôle.

Greniers forteresse des Ayt Mazigh, Région de Tillouguitte Source: Photo de Khemis, Studio La Nature

Le plan ci-contre, reproduit un étage type de la typologie du grenier. «L’habitat rural en pierre est constitué de quelques, trois ou quatre, pièces qui s’organisent autour d’un espace central. Selon le principe d’introversion de la maison, toutes les

Plan d’un grenier forteresse Source: «Les greniers collectifs au Maroc», Jaques Meunie

Relevé d’une maison rurale dans le Haut-Atlas Source: Shama Atif, «Modèles d’habitats entre persistances et mutations»

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pièces possèdent des fenêtres qui s’ouvrent directement sur la cour. En général, les maisons rurales ne sont pas accolées les unes aux autres, ce qui laisse pour chacune un espace dégagé sur lequel elle peut possiblement s’ouvrir. Ainsi, la ventilation et l’ensoleillement se font au travers des fenêtres qui ouvrent sur la cour intérieure et éventuellement sur l’extérieur. Par ailleurs, les diverses pièces ne sont pas systématiquement entourées d’un mur d’enceinte, délimitant la maison et la fermant à l’extérieur. Dans les régions les plus reculées, il n’est pas rare de trouver des maisons faites uniquement de quelques pièces éparses, mais prenant néanmoins forme autour d’un espace libre, tout en tenant compte des contraintes du terrain qui peut être accidenté. Dans ce cas- là, la maison évolue sur différents plateaux, pièces par pièces, mais toujours autour d’un centre libre. L’orientation principale de la maison aura tendance à suivre des facteurs d’ordre climatologique, naturel et/ou sociologique. Généralement, l’orientation est dictée par la direction des vents et des pluies et par la recherche de la préservation de l’intimité familiale. L’orientation préférée reste l’Est matérialisé par la Kibla, la direction de la Mecque, et c’est en outre la direction du lever du soleil. Cependant, dans les régions de plaines au climat sec et chaud, l’habitat s’oriente vers le nord ou l’ouest pour chercher un peu de la fraîcheur venant de l’Atlantique». Ce modèle d’habitat rural est caractérisé par l’emploi de la pierre comme matériau de construction de base. Les murs sont, le plus couramment, construits en moellon hourdé avec un mortier de terre mélangé ou non à de la paille. Dans certaines régions du sud, toutefois, les murs peuvent être construits en adobe ou en pisé et les matériaux sont utilisés associés ou séparément. Quelques régions du Nord utilisent systématiquement une technique de construction mixte alliant la pierre schisteuse et le bois, sous la forme d’un chaînage répétitif sur toute la hauteur du mur, et qui ceinture les quatre murs, de chaque pièce. Les enduits des revêtements des murs sont faits de terre seule ou mélangée avec de la paille. Sur cet enduit de protection, par- fois vient s’appliquer un enduit de finition fait de terre argileuse de couleur blanchâtre ou de terre mélangée à de la bouse de vache, comme liant. Dans les villages ruraux, proches des villes ou peu enclavés, on utilise, plus souvent, un enduit de chaux, qui sera éventuellement peint en bleu»4.

b.2 L’habitat pré-saharien L’habitat présaharien se situe dans la zone 6 per-aride de la carte du zonage climatique du Maroc (cf.p47). 4

Distribution des Kasbahs et des Ksour dans les vallées pré sahariennes. Source: http://www.rogermimo.com

«Modèles d’habitats entre persistances et mutations», Shama Atif, 2011 95


constructions en bois qui existent ailleurs. Il existe dans ces régions aujourd’hui, une grande variété architecturale. Que ce soit par les diverses formes d’habitats, l’emploi varié des matériaux puisés in situ, les techniques ancestrales de construction ou encore l’organisation des espaces. •Les Ksours L’architecture des ksours (plusieurs ksars forment un ksour) provient de techniques constructives ancestrales. Les ksours forment un village entouré d’un mur d’enceinte possédant une entrée monumentale souvent soigneusement décorée. Ce mur est composé de tours pour surveiller les alentours et à l’intérieur, il existe des dizaines parfois des centaines d’habitations. Au départ, les ksours sont construits pour les habitants de la région mais également pour accueillir les nomades. C’est pour cela qu’ils sont situés sur des lieux de passage. De plus, l’emplacement est choisit en fonction des sources d’eau existantes. Tout comme les plans organiques de la médina, les ksours forment un espace fermé qui rassemble un grands nombres de différents quartier, ruelles, maisons, commerces. Il n’existe pas de hiérarchie particulière cependant les rues étroites et la densité des habitations sont établies pour se protéger un maximum du soleil ardent.

Les habitants adoptent un rythme de vie saisonnier en utilisant les étages au rythme des saisons: par exemple en hiver, les habitants descendent au premier étage et inversement, en été, ils montent vers les étages supérieurs.

Plan de Ksar Abou’am à Rissani Source: Restauration et réhabilitation des ksour, Errachidia, Patteet

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Nous trouvons une majorité d’habitat de terre et de pierre au Maroc. L’absence de végétation et forêts dans ces zones arides a conduit à la production de constructions en terre et une utilisation du palmier ainsi que le recours aux tiges de roseaux et du laurier. Cela a permis à ces matériaux de s’affirmer davantage comme composants principaux de la construction vernaculaire des régions arides et sèches face aux •Les kasbahs La kasbah est une nouvelle typologie d’habitat apparue au XVII ème siècle par la volonté des personnes au pouvoir d’y exercer une souveraineté locale. Les bâtisses en terre fortifiées sont isolées et dans une position toujours dominante. Elles contrôlaient ainsi les oasis et leurs voies d’accès. «Construites soit en pisé, soit en briques d’adobes et plus rarement en briques cuites, ces maisons ont toujours un soubassement en

Maison familiale en cours de restauration. Skoura, Amerhidi

Façade Sud et coupe de la kasbah Ait Ouarrab, Souss-Massa-Drâa Source: «Modèles d’habitats entre persistances et mutations», Shama Atif, 2011

Quelques motifs décoratifs courants Source: Manuel de conservation du patrimoine architectural en terre des vallées pré sahariennes du Maroc

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pierre. Les murs porteurs sont faits en pisé ou en béton de terre argileuse, mêlée de galets, et damés dans des coffrages en planches. Ils sont construits par assisses horizontales d’environ un mètre de haut avec une base au sol d’également un mètre. L’épaisseur des murs diminue au fur et à mesure qu’ils s’élèvent. Tandis que le parement intérieur des murs reste vertical et se met parfois en léger retrait, le pare-ment extérieur s’incline légèrement. Ce procédé de construction permet d’aménager facilement des meurtrières ou des fenêtres aux endroits voulus en espaçant les coffrages. Le parapet des derniers étages, certains murs intérieurs et les parties supérieures des tours sont édifiés le plus souvent en briques de terre crue mêlée à de la paille hachée. Ils sont recouverts d’un enduit de terre argileuse, de teinte claire, qui contribue autant à asseoir les façades dans le paysage qu’à leur donner de la légèreté. Ce parti constructif convient très naturellement aux régions du Sud où les pluies sont rares et où les vents chauds préservent les murs de l’humidité. Le bois est généralement utilisé pour renforcer la construction sous forme de poutres disposées de manière aléatoire sur la façade. Il sert aussi pour les linteaux des portes et des fenêtres, mais également pour le travail des volets intérieurs et des portes sculptées. Les planchers sont faits de solives et de poutres en bois supportant des claies de roseaux recouvertes d’une épaisse couche de terre battue. La caractéristique dominante de l’architecture de terre, au Maroc, est la forme pyramidale des murs et des tours. Cette plastique est sans rappeler celle des monuments de l’ancienne Egypte. Toutefois, dans le cas de l’architecture en pisé au Maroc, il ne semble pas y avoir une recherche plastique particulière, mais s’avère plutôt être le résultat d’un parti constructif traditionnel. La résistance du pisé à l’écrasement étant très faible, il est donc nécessaire de diminuer l’épaisseur des murs en hauteur. Le parement extérieur en pente contribue à la stabilité des murs qui tomberaient s’ils étaient strictement verticaux»5.

C. Analyse thermique du Ksar Zenaga, Figuig Dans cette analyse, nous allons nous pencher sur la qualité de l’ambiance thermique dans l’habitation traditionnelle du ksar de Zenaga à Figuig, une région marocaine au climat désertique se situant dans la zone 6 (per-aride) de la carte de zonage climatique du Maroc (cf. p.50) L’objectif sera d’évaluer les solutions architecturales adoptées pour un tel climat et de mesurer l’impact de ce dernier sur la construction en regard des facteurs de forme, d’implantation dans le site, ainsi que des techniques constructives 5 98

«Modèles d’habitats entre persistances et mutations», Shama Atif, 2011


ancestrales utilisées. Le choix d’étude d’analyse du ksar de Figuig s’est fait d’une part pour son climat encore plus aride que celui de Marrakech, ce qui sera intéressant pour notre étude, et d’autre part pour l’histoire de la région qui remonte jusqu’à 3000 ans avant J-C. La région connaît une diversité ethnique qui lui vaut aujourd’hui une richesse architecturale et patrimoniale. • Contexte du ksar Figuig est une ville située à l’extrême Est du Maroc, entre les hauts plateaux et le Nord du Sahara, à la frontière de la ville algérienne de Beni Ounif. La ville est composée de six ksours et celui de Zenaga est le plus important s’étalant sur une surface de plus de 40 ha et de 3000 habitants. • Climat

Photos de l’époque Source: http://associationajdir.com

Situé aux abords du Sahara, le climat qui règne à Figuig est de type désertique. Les températures en été sont très chaudes et atteignent facilement les 45°C. Il y a des températures relativement fraîches et parfois froides en hiver (-10°C) puisque la ville se trouve à proximité des montagnes de l’Atlas Saharien. Il est déjà arrivé de voir de la neige dans cette zone et souvent, des vents violents se produisent à certaines périodes, ainsi que de fortes tempêtes de sable. • L’organisation spatiale générale A première vue, une unité se fait sentir dans le plan général du ksar notamment par les remparts qui l’entourent. Cependant, chaque cellule est formée de plusieurs noyaux. L’organisation du ksar se fait également en fonction de la division ethnique et religieuse qui se traduit dans l’espace habité. Les disparités sociales ne définissent aucunement la disposition des cellules (contrairement à ce que nous pouvons voir aujourd’hui dans la ville moderne). Les différents quartiers sont composés d’îlots compacts séparés par des rues et des impasses étroites qui suivent chacune des tracés irréguliers et sont pour la plupart couvertes en toiture.

Plan général de Ksar Zenaga Source: Addarkaoui, Essai de revalorisation des ksours de Figuig

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• La forme compacte Nous retrouvons dans ce tissu urbain, de nouveau, une compacité qui va de pair avec les régions à climat aride. La construction des maisons s’étale horizontalement sur un étage (souvent deux étages et parfois trois). Ce sont des morphologies de maisons collées les unes aux autres pour former une masse homogène. Cette région chaude se définit également par des patios au centre des maisons presque fermé totalement à l’extérieur, des toitures terrasses et enfin des jeux de volumes qui ombragent les espaces de vies et de circulation. Enfin, le ksar est entouré d’une grande palmeraie qui va grandement participer à l’amélioration du microclimat local et apporter du rafraîchissement par évaporation. • L’enveloppe Deux types de parois composent la maison «Ksourienne», des parois verticales dont trois sont complètement opaques (car elles sont mitoyennes) et une paroi horizontale servant de terrasse plate, ouverte vers le ciel. Les parois verticales varient entre 40 et 45 cm: comme nous l’avons évoqué plus haut, les murs emmagasinent des quantités importantes de chaleur car ils sont construits en terre crue. Grâce à sa forte densité, la terre offre une inestimable qualité d’inertie thermique pour l’accumulation de la chaleur du soleil en hiver. En revanche, en été sa restitution lente procure du confort, en effet, le déphasage de la terre est suffisant pour permettre à la chaleur extérieure de n’arriver qu’en fin de journée dans l’habitat (période où il est plus facile de le rafraîchir grâce à une simple ouverture des fenêtres par exemple). • Les matériaux Les maisons du ksar de Zénaga sont faites uniquement avec des matériaux d’origine locale: •La pierre est parfois utilisée pour les fondations jusqu’à 1,5 mètre de hauteur au dessus du sol. C’est de la pierre brute assemblée en mortier d’argile. •La terre est utilisée pour la construction des murs et des cloisons intérieures: la terre est utilisée sous forme de briques crues (l’adobe), fabriquées à partir des sols les plus argileux. •Le bois de palmier est utilisée pour la charpente et la menuiserie: en charpente le tronc de palmier est le matériau principal. Le tronc est morcelé en trois parties pour former des poutres et avoir des solives d’une portée maximale allant de 2,5 à 3,5 mètres. Cela déterminera alors la largeur maximale des pièces de cette typologie d’habitat. Enfin, les portes sont composées d’un assemblage de tronçons de palmier. •La chaux est utilisée pour l’aménagement des ouvrages hydrauliques: la 100


réalisation des gargouilles et l’évacuation des eaux pluviales, mais aussi comme enduit sur les façades, dont le ton clair permet la réflexion du rayonnement solaire.

• L’organisation spatiale intérieure Un premier espace complètement fermé à l’extérieur comprend les chambres, puis un second espace semi ouvert qui renferme le patio et enfin un espace ouvert est dédié à la terrasse. L’ensoleillement à Figuig a une durée moyenne de 10 heures par jour et explique cette composition fermée quasi dans sa totalité à l’extérieur. Le patio semi-fermé est un espace protégé car il reste à l’ombre durant la journée en été. De plus, l’ouverture en toiture du patio est recouverte d’une «natte» de palmier retirée aussitôt que le soleil se couche: avec la natte, le patio préserve une zone ombragée et le soir, les habitants enlève la natte. Les habitants de la maison vivent au rythme des saisons et s’adaptent en fonction des heures de la journée.

Plan d’une maison ksourienne Source: «Essai de revalorisation des ksours», Bou tabba Hynda et Mili Mohamed, 2011

Comme dans le cas des régions à climat aride, la recherche du confort climatique au Ksar Zenaga se traduit par «un mode d’organisation introvertie, centré sur le patio, ce regard vers l’intérieur tourne le dos à un extérieur agressif d’une certaine manière puisqu’il est source de chaleur, poussière et insécurité»6. • La ventilation Dans ce climat, les habitants sont à la recherche de fraîcheur, ainsi, la ventilation naturelle devient un facteur important pour lequel la maison est réfléchie et conçue. Une ventilation et un système d’évaporation sont nécessaires pour assurer le confort des usagers. Au Ksar Zénaga, la ventilation se fait majoritairement par le toit: des mouvements de pression des masses d’air chaud et froid entre l’extérieur et l’intérieur de l’habitat provoquent la ventilation. Ces mouvements sont assurés par l’ouverture du patio, de la cage d’escalier ainsi que la porte d’entrée qui reste ouverte toute la journée. L’ouverture de l’escalier devient un puits de lumière avec un soleil qui frappe toute la journée. Néanmoins, cette ouverture permet de jouer un rôle similaire à celui d’une cheminée solaire puisqu’elle permet l’aspiration 6

«Essai de revalorisation des ksours», Boutabba Hynda et Mili Mohamed, 2011 101


Rayonnement solaire

de l’air chaud qui s’accumule au rez-de-chaussée. Nous pouvons voir dans la figure 1 le fonctionnement de cette ouverture (et inversement, l’effet d’îlot de chaleur provoqué par la toiture quand il n’y a pas d’ouverture verticale).

Air chaud évacué

Enfin, la terrasse est l’espace totalement à l’air libre dans la maison. En hiver, elle est utilisée quotidiennement en journée et en été elle est utilisée la nuit. Cet espace étant exposé au rayonnement solaire toute la journée, il est utilisé selon les saisons. Ce qui lui permet d’être d’avantage confortable, c’est la projection de l’ombre des murets de minimum 1,5m qui la bordent. De plus, les volumes des constructions voisines, jouent un rôle important dans la protection partielle de cet espace. Selon la trajectoire du soleil et l’emboîtement des volumes, il est possible d’avoir une transmission de la chaleur plus faible de la terrasse vers l’espace intérieur.

Figure 1: Coupes schématiques de la transmission de chaleur avec et sans ouverture verticale.

• Le nomadisme saisonnier Comme nous pouvons le voir sur la figure 2, la vie des habitants du ksar se déroule dans le patio le jour et sur la terrasse la nuit en été. Inversement, la vie des habitants se déroule sur la terrasse le jour et dans le patio la nuit en hiver. En effet, l’ambiance intérieure des pièces peut tout de même être jugée très inconfortable durant les journées les plus chaudes en été et ce, malgré une température intérieure qui reste en-dessous de la température ex-

Hiver

Figure 2: Occupation vertical d’une maison du ksar

102

Eté


térieure. Cette sensation se fait sentir puisque la nuit, la paroi horizontale (la toiture) restitue la chaleur stockée la journée vers l’intérieur et fait augmenter la température intérieure (phénomène recherché en hiver et non en été). Cet effet ajouté à l’absence de ventilation transversale, engendre une chaleur qui reste emprisonnée et rend l’espace inutilisable pendant les nuits d’été: c’est la limite du modèle vernaculaire. Cependant, les habitants s’adaptent et adoptent un rythme de vie particulier: un nomadisme journalier et saisonnier. Nous pouvons utiliser l’expression «migration verticale» pour désigner ce phénomène de déplacement des habitants entre les étages inférieurs et supérieurs. Pour conclure, dans les régions à climat aride, le facteur climatique est un élément majeur dans la réflexion architecturale des typologies d’habitats. Nous pouvons mettre en évidence une orientation et des ouvertures dans les constructions vernaculaires établies selon le contexte climatique (vent et températures). Par un aménagement astucieux de l’espace, l’utilisation des matériaux locaux thermiquement performants puis l’adoption de certaines traditions saisonnières et journalières, les habitants des ksar de Figuig s’adaptent face à un environnement parfois hostile et assurent un confort thermique dans la maison face au climat extrême, par des principes simples et que nous pouvons qualifier aujourd’hui d’écologiques. C’est finalement une architecture bioclimatique, une architecture en phase avec le climat, qui tient compte de ses avantages et inconvénients, associée à un mode de vie singulier dans la maison, des gestes quotidiens à adopter et des habitudes contextuelles qui rythment les journées. De manière générale, l’espace rural au Maroc se décline en un grand panel d’une variété de milieux: en montagne, sur les côtes, dans les plaines ou encore dans le désert. Chaque région et son climat ont une situation géographique, un degré d’enclavement et une distance à la ville qui lui sont propres. L’habitat rural, malgré son appartenance au registre d’une architecture régionale, présente à travers le Maroc, de grandes similitudes. En effet nous retrouvons cela aussi bien au niveau de l’organisation des espaces, qu’au niveau des techniques et des matériaux de construction. La terre est le matériau de construction le plus utilisé dans ces typologies d’habitats qui présentent de grandes performances thermiques, techniques et bioclimatiques. Cependant, même si cette architecture a échappé en grande partie aux influences de la civilisation arabe et occidentale, l’industrialisation et l’arrivée du protectorat vont chambouler ces modes de constructions millénaires avec l’introduction par exemple, de nouveaux matériaux comme le béton.

103


En explorant le domaine de «l’architecture sans architectes» à travers les différents exemples déjà cités, nous pouvons mettre en avant ces constructions en révélant le bon sens et le talent de ces bâtisseurs qui ont réussi à trouver des solutions pratiques aptes à répondre à leurs besoins quotidiens: «les formes de certaines maisons, transmises parfois à travers cent générations, paraissaient éternellement valables, comme le sont les formes des outils de bases»7. Pratiquant par nécessité depuis toujours, ces autodidactes ont une attitude qui témoigne d’une volonté apparente d’établir un équilibre harmonieux entre l’homme et la nature et constitue ainsi les fondements de la démarche environnementale telle qu’elle se définit aujourd’hui. Par ailleurs, hormis le fait d’arriver à des formes qui s’intègrent au milieu naturel et d’en tirer parti au mieux, l’architecture vernaculaire répond aussi à d’autres facteurs d’ordre culturel, social et économique. En dehors de toute considération archéologique ou encore folklorique, cette architecture nous livre des leçon pratiques. De par sa conception, sa construction, son fonctionnement, son respect de l’environnement, l’architecture vernaculaire a la capacité de solutionner un grand nombre de contraintes et problématiques actuelles. Elle est en mesure d’être un exemple légitime pour enclencher une démarche architecturale durable dans le contexte local marocain. Nous nous intéresserons à présent à la terre. Comme nous l’avons vu, c’est un matériau ancestral adapté au climat aride et c’est aussi un matériau qui a une actualité. C’est pourquoi nous tenterons de voir en quoi il pourrait être une réponse et une solution face aux problèmes qui existent au Maroc aujourd’hui.

7 104

«Architecture sans architectes», Rudofsky Bernard, 1977


III. La terre comme solution ? L’utilisation de la terre peut éventuellement exprimer un désir vers quelque chose de plus fort que celui d’une simple construction. En effet, la terre permet de lier un projet d’architecture à un projet d’ordre social également proche de la valorisation de savoirs et de savoir-faire situés, d’empowerment (c’est-à-dire de donner un certain pouvoir aux individus pour agir sur diverses conditions auxquelles ils sont confrontés). La terre connaît un retour en force aujourd’hui comme matériau vertueux: on y voit un matériau sain, local, recyclable... En quoi la terre serait-elle une solution aujourd’hui au Maroc? Comment peut-elle être à l’origine d’une grande valeur ajoutée sociale, environnementale et économique?

A. Terre et altérité ‘’If you think of Brick, you say to Brick, ‘What do you want, Brick?’ And Brick says to you, ‘I like an Arch.’ And if you say to Brick, ‘Look, arches are expensive, and I can use a concrete lintel over you. What do you think of that, Brick?’ Brick says, ‘I like an Arch.’ And it’s important, you see, that you honor the material that you use. [..] You can only do it if you honor the brick and glorify the brick instead of shortchanging it.’’ Louis Kahn1 Cet ordre extérieur au projet dont parle Louis Kahn ouvre une réflexion sur la démarche liée au projet architectural en particulier, et par extension, sur le processus de conception en général. La question se pose alors sur le rôle et l’influence de ce qui peut être défini comme considérations étrangères au projet, question qui introduit une certaine ambiguïté à partir du moment où tous les paramètres et variables introduits au fur et à mesure dans la démarche du projet font nécessairement partie du projet. En outre, Kahn, en se référant à ce que la «brique veut» pour elle-même, constitue un bord au projet, une limite où un ordre de réalité non projectuel, non spatial, mais ici matériel et constructif, pourrait «border» et soutenir le projet. La brique, mais aussi les besoins biologiques des habitants, les aptitudes socio-professionnelles des entreprises, etc. : tout ceci vient faire «tiers» dans la logique purement spatiale. Mais il est possible aussi de considérer le rôle et la place de certains paramètres et conditions particulières en leur reconnaissant une intégrité, une autonomie qui leur procure une position particulière et c’est ce qui peut constituer ce « tiers ». Nous nous sommes alors demandés quels pourraient être ces paramètres ou conditions lors de la conception architecturale d’un projet pouvant « faire tiers » au projet, y révéler de l’altérité ? Puis, comment ce « tiers » pouvait être producteur d’inattendu, d’innovation, de plus-value en per1 Transcrit du documentaire de 2003 «My Architect: A Son’s Journey by Nathaniel Kahn», Master class à Penn, 1971 105


mettant au projet d’échapper à lui-même, de ne pas s’enfermer dans ses propres règles, de rester ouvert ? Quel point de départ ou quelle œuvre architecturale pourrait nous permettre d’exposer les arguments mettant en lumière ces questions ? Pour Renzo Piano, la terre, la terre crue est «la matière première la plus disponible, la plus répandue, riche et belle, variée et variable, colorée, stable et instable»2. Ce matériau qui se transforme, un peu comme lors d’une éclosion, passant d’un statut de grain de sable à celui d’un volume habité, d’une architecture. Ce matériau qui fait appel aux sens, au toucher, à la sensibilité des yeux et des mains, à un apprentissage, à un savoir faire, à une certaine rigueur. Ce matériau que l’on a tous déjà pétri en boule étant enfant, puis laissé sécher au soleil, s’impatientant ensuite de venir le récupérer quelques heures plus tard; on avait alors un objet circulaire, irrégulier avec lequel on jouait quelques instants avant de le retrouver en mille morceaux après avoir marché dessus sans faire exprès. Cependant, on en était fier, on était fier de cet objet façonné par de nos propres mains avec juste un peu d’eau. Si nous partons de l’hypothèse que, pour être pleine et vivante, l’architecture est lacunaire, qu’elle est parcourue de non-architectural, il nous semble important de travailler sur différentes questions qui renvoie à l’utilisation de la terre crue. Nous commenterons ce phénomène avec l’œuvre conçue par l’architecte égyptien Hassan Fathy: le village de New Gourna situé à Louxor sur la rive occidentale du Nil en Egypte. Conçu et créé entre 1946 et 1952 pour reloger les habitants du vieux Gourna qui squattaient les tombes de l’ancien cimetière de Thèbes, avec l’objectif, le projet visait à l’époque, à réduire les dommages subis sur les tombes des Pharaons.

B. Évolution de l’utilisation de la terre Faisons d’abord un bref état des lieux sur l’histoire de la terre crue, afin de mieux comprendre son évolution, d’en saisir ses caractéristiques, ses spécificités, et comprendre en quoi elle peut être productrice de plus-value dans un projet comme celui de Hassan Fathy par exemple. Ce qui m’émerveille pour ma part, c’est de me dire que la terre crue, en usage dans toutes les civilisations depuis des millénaires, a servi à construire les premières villes connues. C’est tout de même quelque chose d’unique de pouvoir se dire que ce matériau toujours présent a pu servir à construire une partie du monde bâti par l’homme . Pouvoir se dire que nos ancêtres aussi lointains ont dormi sous des abris, des bâtiments, ou des architectures de terre crue. Et curieusement, pouvoir se dire que ce matériau pourrait être de nouveau celui sous lequel nos générations futures dormiront... La terre crue est manifestement un matériau exceptionnel et séduisant, 2 106

Renzo Piano Building Workshop, 2015


qui a démontré son utilité durant des siècles, mais a perdu de sa notoriété ces derniers temps . En effet, malgré ses qualités constructives connues et reconnues, sa disponibilité et sa gratuité d’accès sur les sites naturels de construction, son recours diminue progressivement. Y-a-il des raisons particulières pour lui avoir tourné le dos? Paul Virilio dans «L’insécurité du territoire» évoque la question en parlant des industries de guerre après 1945 qui remplacent rapidement l’artisanat dans le projet de mettre en place une «économie de paix totale» tournant à plein régime. De nouvelles idées, de nouvelles tendances ont constitué les vecteurs d’un monde nouveau et différent avec des répercussions sur les arts, l’architecture et l’urbanisme entre autres. Ainsi, l’usage de la terre crue s’estompe avec le triomphe de l’urbanisation et de l’industrialisation. Cependant, les causes du déclin de la terre crue se trouvent peut-être aussi dans son image archaïque, pré-moderne et non-urbaine. La mise à l’écart que connaîtra la terre crue se généralisera à l’ensemble de l’Europe à l’exception de quelques régions dans les petits villages en zone rurale. Plus les années passent, plus les économies locales traditionnelles tendent à disparaitre. L’exode rural prend de l’ampleur, les campagnes et les villages se vident de leur populations jeunes, au profit des villes. La croissance industrielle tient en particulier à la nécessité de la reconstruction après guerre, qui doit se faire rapidement avec les matériaux usinés, bien entendu en mettant en quarantaine les matériaux traditionnels, associé à un coût supplémentaire en temps et en main d’œuvre. Les techniques anciennes ne semblent plus répondre à la grande demande de logements consécutives aux destructions engendrées par la guerre et les mouvements de migration des campagnes vers les villes qui ont suivi. La recherche de la rentabilité permise par la mécanisation fait disparaitre progressivement la recherche sur les matériaux artisanaux, la terre crue n’échappe pas à la règle. Avec comme corollaire l’abandon des formations d’artisans et le développement des ouvriers et maçons spécialisés dans le béton et l’acier. Cette mise à l’écart a fini par donner à la terre crue une image de matériau désuet, vieillot, fragile et difficile à entretenir , voir même un matériau réservé à une population plus pauvre. Ce faisant, la terre disparaît ainsi que les savoir-faire qui l’ont portée au fil des millénaires.

C. New Gourna, construire avec le peuple Le projet de New Gourna prend parfaitement le contrepied de ce constat en marquant une rupture avec les tendances architecturales dominantes du modernisme naissant.

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Dans un premier temps , Il est intéressant de rappeler que les caractéristiques principales du projet de village de New Gourna reposent sur trois objectifs: • La prise en compte d’un cadre architectural et urbain traditionnel ancré dans l’histoire de l’Égypte mais réinterprété dans un langage nouveau, • L’utilisation appropriée de matériaux et techniques locaux et • La prise en compte des problèmes climatiques. En plein développement et essor du « mouvement moderne », l’architecte Hassan Fathy démontre qu’il était possible d’atteindre des objectifs de durabilité et de cohésion sociale avec des architectures vernaculaires et des matériaux et techniques locaux. Il s’agit donc pour cette raison d’un exemple exceptionnel d’établissement humain durable et d’usage approprié de «l’éco-technologie» dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme. Ces idées, exposées dans l’un des grands textes de référence de l’architecture et de l’urbanisme, «Architecture for the Poor : An Experiment in Rural Egypt» de Hassan Fathy, publié en 1976, et traduit en français sous le nom à forte connotation sociale de «construire avec le peuple», a lancé un mouvement et inspiré une nouvelle génération d’architectes et d’urbanistes du monde entier avec l’intégration de technologies vernaculaires aux principes de l’architecture moderne. Il faut souligner avec insistance que la doctrine de Hassan Fathy était basée sur des valeurs humanistes qui privilégient et donnent une place particulière aux relations entre les personnes et les lieux, mais aussi à l’utilisation des savoirs et matériaux traditionnels, et en particulier les atouts exceptionnels de la terre comme matériau de construction à part entière. Il s’agit véritablement d’une nouvelle philosophie mise en œuvre dans le projet du village de New Gourna qui a eu des répercutions considérables sur le plan international. Aujourd’hui il est malheureux de constater la dégradation progressive des bâtiments, qui s’est manifestée dernièrement par la destruction et l’effondrement des bâtiments principaux dont la cause est surtout le manque d’entretien. Nous reviendrons sur ce sujet plus tard dans ce travail.

Rue du New Gourna dans les années 50 Source: Egyptian architecture New Gourna Village, Hassan Fathy

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L’utilisation à forte valeur ajoutée de la terre crue implique quelque chose de plus grand que le projet en lui même. La question de vivre dans un ordre plus grand que celui de faire simplement «de l’architecture pour faire de l’architecture» peut être légitimement posée, car la valorisation des matériaux locaux de construction peut contribuer dans un certain sens, à une plus grande autonomie des communautés rurales. Hassan Fathy a basé sa démarche de travail sur une grande proximité avec les personnes en les impliquant de près , pour adapter ses dessins à leurs besoins. Il a sensibilisés et mis en valeur les habitants, leur a enseigné toutes les techniques et performances permises par l’utilisation de l’adobe (brique de terre séchée), a coordonné et supervisé la construction des bâtiments tout en encourageant la reprise de techniques décoratives anciennes. Un extrait du discours d‘acceptation du Nobel alternatif qu’Hassan Fathy a prononcé le 9 décembre 1988 permet de préciser sa pensée: «Comment pouvons-nous aller de l’architecte-constructeur de système vers le système architecte auto-constructeur ? Un homme ne peut pas construire une maison, mais dix hommes peuvent construire dix maisons très facilement, même une centaine de maisons». En se mesurant à ces questions, c’est aussi autour d’une redéfinition de son métier d’architecte que Fathy s’interroge. Finalement , les compétences de l’homme de l’art qu’est l’architecte sont rééquilibrées et déployés autrement car elles permettent, tout en valorisant le travail manuel, d’exploiter des techniques comme celle de la brique en terre crue, dans une démarche de créativité inédite qui laisse la place à des expérimentations sur de nouveaux procédés constructifs permettant une diversité des formes qui résultent à la fois de ses emprunts à des architectures locales, mais aussi à ses propres recherches sur les voûtes et les dômes. Il est indéniable que l’architecture - par le regard spécifique de l’architecte - apporte ici une dimension particulière de réflexion et de planification à la fois esthétique, sociale, environnementale et philosophique et c’est en ce sens qu’elle se démarque de la simple construction.

Place centrale dans le New Gurna dans les années 50 Source: Egyptian architecture New Gourna Village, Hassan Fathy

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Un autre paramètre important, est relatif aux conditions économiques de l’Égypte à cette époque, qui ont imposé le choix de la brique en terre crue avec des voûtes sans cintres qui permettaient notamment d’économiser le bois de coffrage. Une autre réflexion mérite d’être signalée: Hassan Fathy invite les architectes à plus de modestie et leur rappelle qu’une «œuvre architecturale est destinée à servir, sa forme est déterminée par les ouvrages antérieurs, et elle se trouve au milieu de la population qui sera forcée de la voir tous les jours»3. L’accueil favorable qu’a reçu cette démarche nous permet de nous questionner autour du rôle et de la place des coutumes locales dans un projet ainsi que sur la redécouverte des techniques constructives ancestrales avec l’implication et participation des populations. A notre sens, l’architecte peut concevoir de l’innovant sur des bases traditionnelles. Cependant, la problématique centrale est de réussir à trouver comment, dans le processus de création architecturale, des paramètres comme le site et les matériaux peuvent être des sources d’inspiration permanentes et inventives d’où un langage particulier pourra être créé et traduit par une image porteuse de sens symbolique. Pour en revenir au projet de New Gourna, il est utile de rappeler que le projet a évolué aussi dans le temps en fonction des moyens mis en œuvre, tant matériels qu’humains. La participation des ouvriers a été plus que déterminante, et elle était loin d’être prédéfinie. Une certaine spontanéité dans le travail a même imposé une construction progressive des bâtiments, au fur et a mesure des besoins. Le livre «Construire avec le peuple» avec son titre évocateur, redéfinit le rôle de l’architecte en privilégiant plus son rôle d’encadrant, de coordinateur, de conseiller, de stimulateur, dans une démarche humaniste, comme le rappelle Hassan Fathy, qui demande à l’architecte de faire preuve d’humilité face aux valeurs de la tradition et face à celles des techniques constructives locales. Les conditions énumérées ci-dessus, préalables au projet, ont finalement déterminé le choix de la brique de terre crue séchée au soleil. Elle est aussi appelée adobe, terme d’origine arabe qui en fait une technique apparentée aux cultures que l’on retrouve autour du bassin méditerranéen. L’adobe est constituée d’un mélange de terre, d’eau et de chaume. Extraite du sol, la terre utilisée doit contenir une proportion déterminée d’argile et de sable. Chaque constituant du mélange joue son rôle. Le sable réduit la probabilité de micro fissures dans le bloc de terre, l’argile agglutine les particules et la paille procure de la flexibilité à l’ensemble. Cette approche technique nous amène à aborder une approche culturelle qu’il nous semble utile d’évoquer: le matériau terre est aussi un matériau «imaginaire». Le travail de fin d’étude de la jeune architecte Mandy Rach4 illustre les propos de Gaston Bachelard dans « La terre et les rêveries de 3 «Construire avec le peuple», Hassan Fathy, 1970 4 «La terre crue, un matériau imaginaire ?», Raach Mandy, Faculté d’Architecture La Cambre - Horta Université Libre de Bruxelles, 2015 110


la volonté » qui présente la terre sous la forme d’une pâte induisant des rêveries intenses. Ce dernier écrit: « Il nous avait semblé indispensable, en se plaçant au point de vue de l’imagination matérielle des éléments, d’étudier une rêverie mésomorphe, une rêverie intermédiaire entre l’eau et la terre. On peut, en effet, saisir une sorte de coopération pleine d’incidents, de contrariétés selon que l’eau adoucit la terre ou que la terre apporte à l’eau sa consistance. Pour l’imagination matérielle, tout entière à ses préférences, on a beau mélanger les deux éléments, l’un est toujours le sujet actif, l’autre subit l’action». Cet imaginaire est proche de la réalité car l’eau et la terre sont inséparables (même un mur en pisé de terre crue, quand il est « sec », contient toujours un certain pourcentage d’eau). Un mur en terre crue n’est donc jamais totalement sec et c’est bien pour cela qu’il présente une qualité unique et reconnue par les fervents défenseurs de la terre: la régulation hygrométrique. Et en effet, Bachelard, qui était un scientifique, le sait : «Dans l’état d’équilibre hydrique, la terre contient environ 2% d’humidité, ce qui présente tout de même 15 litres par m2 pour un mur en pisé de 40 cm d’épaisseur. Sans cette eau, il serait impossible de construire un mur en terre (...)». Au-delà des aspects purement techniques et constructifs, le matériau terre est un matériau riche d’imaginaire, avec lequel tout peut devenir possible car il suscite l’imagination constructive aujourd’hui comme hier. La technique de construction en adobe est très ancienne, elle remonte a plus de trois mille ans avec l’édification de temples de plus de 3000 ans et de villes entières, comme la ville de Shibām, au Yémen. L’adobe ou brique de terre est une technologie utilisée depuis des millénaires partout à travers le monde. En Espagne, les constructions en terre existent depuis les temps anciens. En France et en Angleterre, il existe des édifices en terre de plus de 100 ans etc... Il ne fait aucun doute que l’adobe est un matériau qui possède une histoire et qui fait partie de la culture de nombreuses civilisations. Plusieurs mosquées d’Afrique occidentale sont Mosquée de Djenné, Mali réalisées en adobe, par exemple à Tombouctou Photographe Xavier Mané, Décembre 2006 et la Grande mosquée de Djenné au Mali. La Grande mosquée de Djenné est le plus grand édifice du monde en adobe, elle est considérée comme la réalisation majeure du style architectural Soudano-Sahélien, tout en reflétant des influences islamiques.

La renaissance de la construction en adobe doit beaucoup au travail de Hassan Fathy. En 1941, il mettait en lumière, avec Ramses Wissa Wassef, l’extraordinaire technique de la voûte et du

Ville de Shibam, Yémen Source: http://sometimes-interesting.com

111


dôme nubiens dont la particularité est de pouvoir être réalisée sans coffrage. Cette technique avait été déjà développée en Haute Égypte à cause du manque de bois d’œuvre disponible. Elle sera généralisée dans la plupart des projets de Fathy. Le principe de réalisation est simple car le voûtement est construit directement au-dessus du vide jusqu’à sa fermeture: la voûte est construite progressivement par addition d’arches successives de briques posant obliquement sur les arches précédentes, faisant office de support (et permettant d’économiser le coffrage). La technique étant simple, elle permet une formation rapide des maçons et constructeurs. Bien qu’historiquement inconnue en dehors de sa zone d’origine (le haut Nil), la méthode connaît actuellement une certaine expansion dans beaucoup de régions à travers le monde, en particulier dans la partie sahélienne de l’Afrique de l’Ouest, en Amérique et principalement en Bolivie et au Chili. En guise de conclusion, le projet de New Gourna avec toutes les caractéristiques tant au niveau du choix du matériau que la technique constructive qui en découle, l’option aussi de faire participer les habitants dans l’édification de leur habitat, est un exemple qui illustre comment un élément insignifiant (la brique) peut devenir le noeud de tout un système culturel (associant savoirs, savoir-faire, métier, esthétique, etc.). C’est en tant que «système» (pas en soi) que la brique a de la force et a pu «résister» à l’industrie. Cette analyse nous permet désormais d’élargir le champ de vision élaboré précédemment. Regardons plus en détail comment la terre crue peut proprement «altérer» la conception de certains projets aujourd’hui. Nous avons pu voir que malgré l’essoufflement qu’a eu ce matériau au XXe siècle, il fait un retour dans la construction contemporaine. La terre crue est de nouveau en marche, certes d’un pas tranquille, mais déterminé. Certains peuvent alors se demander si nous sommes en phase de régression, si la terre crue n’appartient pas à un passé révolu, si le renouveau de son usage n’est pas passéiste. Effectivement, il s’agit d’un matériau qui a toujours existé mais loin de là l’idée de retourner en arrière. Au contraire, en exploitant les performances de ce matériau, nous estimons qu’il s’agit d’une chance pour moins hypothéquer l’avenir: c’est un matériau écologique mis en avant par le TERRA Award. Concevoir aujourd’hui une maison en pisé c’est aussi concevoir une maison confortable, en profitant des capacités thermiques et hydriques de l’argile. En seulement quelque années, les mentalités ont évolué, plus conscientes du rôle qu’elles peuvent jouer dans la protection de l’environnement. Il y a alors une sorte de retour vers l’essentiel, vers des valeurs fondamentales, avec une renaissance des matériaux locaux comme la terre crue dont les qualités techniques et thermiques sont redécouvertes. Le rapport avec la terre crue fait réfléchir sur un ordre de réalité extérieur au projet (la question écologique d’un projet, consommer moins etc...), il fait événement dans le chemin de conception d’un projet. 112


Le fait de vivre en contact avec ce matériau signifie pour beaucoup (d’architectes, d’habitants, de maçons, etc.) être en osmose avec la nature, en prendre soin, s’en occuper et la chérir. En outre, c’est un matériau vivant, qui n’est pas inerte comme le béton ou l’acier. Il a besoin d’être entretenu, d’être aimé. Nous terminerons avec les mots d’une jeune diplômée, Raach Mandy, qui décrit d’une belle manière ce matériau: «La terre est immuable, essentielle à notre survie. Elle était, elle est et sera jusqu’à la fin des temps la terremère nourricière, protectrice de toute chose et la base essentielle de toute évolution.»

Face à la crise écologique, nous sommes contraints de reconsidérer plus que jamais nos pratiques quotidiennes. Des pratiques qui aujourd’hui ont incontestablement fait basculer le globe dans les dérives du réchauffement climatique, de la détérioration des écosystèmes puis de l’épuisement des matières premières et énergies fossiles. Concevoir et bâtir durable implique l’adoption d’une démarche environnementale dans l’exercice professionnel de l’architecte. Nous avons vu qu’une grande partie de la conception bioclimatique d’un projet sera concrétisée par la manière de tirer parti du climat, de prendre en compte le site, de limiter les déperditions par la forme du bâtiment et enfin d’optimiser les apports solaires par les baies vitrées. Cependant, à notre sens, le succès de la transposition du développement durable dans l’acte de bâtir exige aussi une collaboration efficace entre tous les intervenants, associée à une participation effective des habitants. Comme nous l’avons vu, au Maroc, l’usage de la terre crue est en recul. Les ksours et kasbahs de la vallée du Ziz et du Draa font partie d’un patrimoine architectural ancien, malheureusement aujourd’hui en péril. A l’exemple du village de New Gourna, les bâtiments se dégradent progressivement, par manque d’entretien, sont souvent abandonnés au profit de constructions en béton, générant un paysage d’une grande banalité. La technique du pisé n’a pas évolué, n’a pas suscité l’attention des pouvoirs publics, ni des centres de recherche, encore moins des structures d’enseignement. Nous retracerons à présent l’évolution récente de l’architecture au Maroc et cet état des lieux nous conduira à un constat. Enfin nous analyserons deux études de cas qui illustrent les réponses apportées par l’architecture de terre aujourd’hui au Maroc tant pour les question du confort et du bienêtre que pour les questions économique et environnementale. 113


PARTIE III. Comment concilier aujourd’hui les conditions d’un climat aride pour une architecture durable?

114


I.

Évolution de l’architecture au Maroc

116

A. Rappel historique L’architecture coloniale: le Maroc, un terrain d’essai a.2 L’architecture post-coloniale Les années 80-90: une tentative de retour aux sources a.4 Les années 2000 à aujourd’hui a.5 Les villes avant VS après: en image

116 116 117 118 119 121

a.1 a.3

B.

II.

Constat actuel de la construction en terre au Maroc

123

Volet énergétique et architecture au Maroc

125

A. Entre Low Tech et High Tech Le manuel du règlement thermique au Maroc

125 126

III.

Étude de cas

131

Premier projet en superadobe autorisé à Marrakech a.1 Avantage du site de construction a.2 Processus d’implantation a.3 Procédé technique a.4 Procédé de construction a.5 Construire avec des matériaux locaux aujourd’hui a.6 Composition par couche a.7 Un projet Offgrid a.8 Enveloppe budgétaire et mot de la fin

131 133 134 136 137 139 141 143 145

B.

A.

B.

Music school of Joudour dans le désert b.1 Contexte b.2 Mode de vie b.3 Enjeux b.4 Le projet

148 148 149 149 150

Conclusion

160

115


I. Évolution de l’architecture au Maroc A. Rappel a.1. L’architecture coloniale: le Maroc, un terrain d’essai L’industrialisation, l’exode rural, la modernité, l’installation du protectorat français au Maroc, sont autant de raisons qui provoquent un changement radical dans l’urbanisme de certaines villes et de son organisation au sein de la société au XX ème siècle. Le besoin de main d’œuvre et la modernisation des villes engendrés par l’industrialisation transforment la plupart des villes. Boulevard de Paris, Casablanca, 1935 De plus en plus de nouvelles classes sociales Source: www.casamemoire.org apparaissent dans la ville de par l’exode massif de la population rurale. En 1912, le traité franco-marocain de la Troisième République française au Maroc nomme Lyautey Résident général (c’est-à-dire le représentant officiel du gouvernement français à Rabat, la capitale). Ce dernier, avec les services de l’architecte urbaniste Henri Prost ainsi que plusieurs jeunes architectes, s’allient pour établir de nouveaux plans directeurs de quelques grandes villes et villes nouvelles du Maroc comme Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech. La volonté première est de bâtir de nouveaux quartiers aux larges ave- Vue aérienne des carrières centrales, Casablanca, 1952 nues bordées d’arbres à l’écart des villes an- Source: www.casamemoire.org ciennes rurales. De là, un effet boule de neige est lancé, la ville se modifie, se transforme, s’agrandit, se déploie, se développe, s’émancipe, s’éloigne de ce qu’elle connaît. En effet, entre les luxueux hôtels de Prost, les logements sociaux de la nouvelle Médina de Casablanca, la nouvelle trame constructive (8×8 mètres) imaginée par Ecochard, les cités verticales de Candilis et Woods ou l’architecture brutaliste de Zevaco, le Maroc se transforme. Sous le protectorat, les villes coloniales deviennent des mises en scènes de nouvelles Les carrières centrales, Casablanca, 1952 architectures, de nouveaux matériaux, de nouSource: www.casamemoire.org 116


veaux modes de vies. Néanmoins, c’est une étape historique marquante et déterminante au niveau du paysage urbain et mode de vie des habitants. a.2. L’architecture post-coloniale

La population finit par adopter ce modèle de construction moderne. Derrière quelques réalisations de «style» capables de faire les couvertures des magazines, L’immeuble de lotissement, c’est-à-dire l’habitat économique, reste l’exemple type de ce mode de construction hybride. Depuis les années soixante, c’est la typologie architecturale et constructive la plus largement répandu et construite au Maroc. Bâtiment des carrières centrales, Casablanca, 2016

Un décret sur l’habitat économique est promulgué en 1964 par l’administration marocaine, Source: www.casamemoire.org prônant les louanges de cette typologie d’habitat qui apparaît comme étant le compromis idéal entre le mode d’habiter traditionnel et le mode d’habiter issu du protectorat français. A priori, il s’agit d’une nouvelle forme urbaine représentant un juste mélange entre tradition et modernité. Ce décret apporte un règlement sur plusieurs aspects et notamment: • un aménagement rationnel des espaces • un ensoleillement optimal des immeubles • un gabarit à respecter • une distance entre immeubles selon la hauteur • un mode de groupement des immeubles Ceci donne une forme nouvelle aux futurs quartiers en périphérie des villes.

Lotissement habitat social Errahma, Casablanca, 2016

Selon la situation des parcelles (face à la rue ou non, offrant deux façades sur rue ou non, encastrée entre trois mitoyens ou non), l’administration impose des plans-types permettant très peu de variantes. L’expression extérieure du bâtiment et l’aménagement intérieur se standardisent et sont reproduits sans réflexion contextuelle. Ce plan-type est une reformulation du logement collectif occidental mélangé à des éléments du logement individuel «médinal» traditionnel (avec entre autre une distribution des espaces selon l’organisation plurifamiliale des familles), reproduit à l’identique dans ces quartiers périphériques afin de répondre à la demande croissante en logements (allant de 64 m2 à 100 m2 selon une trame sanitaire définit préalablement). 117


Cependant, très rapidement, un premier problème se fait sentir: le modèle occidental ne répond pas aux attentes des habitants. L’habitant luimême prend en charge l’adaptation du plan en réaménageant. Il crée un nouveau système de distribution interne, sépare les espaces internes en déplaçant les cloisons. Nous passons d’une typologie interne extravertie à une typologie introvertie, qui tente de placer au centre les espaces de vies. Un espace centrale (auparavant spatialisé par le patio) qui malheureusement ne permet plus de fournir la lumière naturelle principale dans le logement. De nouveaux procédés de construction naissent en parallèle à ces nouveaux logements. Cette métamorphose de la ville accompagne une transformation de la société marocaine et vice versa. La forte demande en logements impose un rythme nouveau et rapide à la construction, qui lentement finit par oublier les caractéristiques spécifiques de chaque lieu.

a.3. Les années 80/90: une tentative de retour aux sources Depuis l’indépendance du Maroc, la multiplication de villes nouvelles tente de combler la demande élevée de logements s’élevant à 200 000 logements, par année - seul un quart de la demande est satisfait. Finalement, loger la population dans des constructions standardisées en béton armé s’avère être un défi plus difficile que prévu. A l’échelle européenne, le béton est sans conteste le matériau le plus utilisé dans la construction. Cependant, c’est un matériau qui nécessite certains constituants pas toujours présents facilement au Maroc, et de plus en plus cher à produire ( pour le ciment en acier par exemple). Ainsi, le coût de la construction finit par augmenter et l’accès au logement devient de plus en plus difficile. C’est pourquoi, de nouvelles solutions sont recherchées et l’utilisation des matériaux locaux revient en avant dans les décisions étatiques. De ce fait, au cours des années 80, plusieurs institutions relancent le débat sur l’emploi de la terre dans les questions de l’habitat en milieu urbain. C’est ainsi qu’en 1988, la Direction des Équipements Publics adopte une politique de «développement de modernisation et de promotion de la construction en matériaux locaux, notamment la terre comme alternative» pour résoudre la crise de logement. La DEP vise à promouvoir et vulgariser la construction en terre en pisé, en adobe et en BTC (brique de terre compressée). Au cours de cette décennie, plusieurs études et projets expérimentaux seront lancés. Les recherches sur la construction en terre permettent d’accumuler une connaissance théorique et technique poussée, mettant en évidence les avantages économique et écologique de ce matériau, qui représente désormais une alternative légitime face aux matériaux issues 118


de l’industrie moderne. Cependant, par manque d’une volonté politique engagée, en raison du lobbying des entreprises industrielles et de l’absence de textes normatifs et réglementaires, la construction en terre voit son destin s’éteindre lentement. Ce n’est que récemment que le règlement parasismique des constructions en terre a vu le jour. Elle est apparue au bulletin officiel sous la réglementation N°6206, le 21 Novembre 2013, mettant en place deux sections: l’une concernant le «règlement parasismique pour l’auto-construction en terre» et la seconde portant sur le «règlement parasismique des constructions en terre fixant les règles auxquelles doivent satisfaire les constructions aux fins de garantir la sécurité». Ces sections sont applicables aux bâtiments construits avec des techniques et des matériaux locaux traditionnels avec une structure portante en terre.

a.4. Les années 2000 à aujourd’hui Malheureusement, suite à l’abandon de la construction en terre, l’État renonce à ces solutions. Au moment où il aurait fallut compléter les textes réglementaires, apporter davantage de documents normatifs, perfectionner et multiplier les expérimentations, l’état finit par «succomber» à l’usage des matériaux industriels. Plusieurs phénomènes engendrent un bouleversement dans l’organisation du territoire, des formes architecturales des villes et du mode d’habiter, parmi lesquels nous trouvons1 : • La croissance démographique: le Maroc voit sa population augmentée de près de 4 millions de personnes en 10 ans avec une population totale de 33,8 millions d’habitants (soit un taux de croissance annuel moyen de 1,25%). • La migration des populations des campagnes vers les villes avec un taux d’urbanisation passant de 55,1% en 2004 à 60,3% en 2014. • La consommation de produits importés s’ajoute à celle des produits locaux en partie grâce à la mondialisation et des échanges de biens permis entre les différents pays limitrophes. • La standardisation de certains matériaux comme le béton, l’acier et le verre. • La volonté de tendre vers un modèle moderne occidental. Ainsi, tout cela finit par avoir des répercutions importantes entraînant une urbanisation accélérée, un développement démesuré et non maîtrisé des agglomérations ainsi qu’une transformation de l’image de la ville.2 1 «Maroc : croissance urbaine, démographie, régions... quatre points à retenir du dernier recensement», Djama Nasser, article publié en Août 2015 sur le site : www.usinenouvelle.com, 2 «Modèles d’habitats entre persistances et mutations», Shama Atif, 2003 119


Le fait de vouloir construire vite, pas cher et en masse crée une rupture entre architecture et environnement, et une architecture dite normative et répétitive finira par prendre le dessus sur une architecture traditionnelle locale. Aujourd’hui le contexte régional, culturel et climatique n’est plus au centre des préoccupations architecturales. Nous assistons à la production de bâtiments standardisés, de blocs en béton monotones dénués de toute réflexion contextuelle. De plus, nous pouvons également observer dans les grandes villes du Maroc, la présence d’édifices entièrement vitrés en pleins milieu d’un paysage hétéroclite, voulant afficher une image moderne et prestigieuse, au travers d’une utilisation maladroite du mur-rideau. C’est un modèle adapté aux climats plus froids permettant de capter un maximum de chaleur, qui une fois mis dans le contexte marocain, crée un effet de serre ainsi qu’une architecture déconnectée de son contexte géographique, culturel et social. En effet, ce modèle de bâtiment «poteau-poutre-vitrage» inadapté à cet environnement, absorbe le rayonnement solaire par les grandes baies vitrées, créant un îlot de chaleur difficilement contrôlable: l’usage de la climatisation se verra forcément devenir la solution pour ventiler entraînant une consommation de la ventilation mécanique extrêmement élevée.

120


a.5. Les villes de jadis Versus les villes d’aujourd’hui: en image Les photos suivantes montrent un patrimoine capable de tenir compte de savoir-faire locaux, du climat régional, de données culturelles et sociales spécifiques.

Avant

121


Et celles-ci montrent le phénomène de standardisation du paysage urbain qui impacte la ville d’un point de vue esthétique mais également sur le confort intérieur des habitats.

Après

122


B. Constat actuel de la construction en terre au Maroc «Personne n’est plus sourd que celui qui ne veut pas entendre»1 Dans un éditorial de la revue CDM (Chantier Du Maroc) N°135 de Janvier 2016, l’architecte et auteur Fouad Akalay, fait part d’un constat intéressant sur la construction en terre au Maroc et permet d’appuyer le postulat que nous avions fait auparavant. En effet, en matière d’énergies renouvelables, le Maroc fait office de «bon élève»2 puisqu’il a obtenu récemment de nombreuses récompenses et distinctions dans plusieurs forums internationaux. Malheureusement, ceci reste commandé par «d’obscures forces financières» qui applaudissent les efforts du Maroc, à la recherche de profits avec des contrats d’équipements. Cependant, nous ne pouvons nier le fait que durant cette dernière décennie, le Maroc a pu rattraper un grand retard par rapport aux pays voisins pour qui le développement durable est déjà bien ancré dans les différents secteurs (économique, environnemental et social). Il est vrai que les projets éoliens, ou encore certaines initiatives comme celle du Masen (entreprise de production d’énergie à partir de source renouvelable) placent le Maroc aujourd’hui parmi les pays avancés dans ce domaine3. Toutefois, il en est autrement pour la vie de tous les jours. Prenons le cas d’un citadin marocain moyen, qui, dans sa réalité journalière, ne peut percevoir d’aucune manière cette dynamique «verte» dont les journaux et la télévision lui parlent tous les jours. Si les pays développés ont su, après les guerres et crises économiques, se développer ou plutôt s’orienter vers la construction de bâtiments peu énergivores, cela n’a pas été le cas pour le Maroc. Ce dernier, se voit toujours doté de bâtiments incapables d’offrir le moindre confort. Pire encore, tout le monde s’accorde à reconnaitre «que les anciennes constructions sont meilleures que les cages à poules actuelles». Les constructions traditionnelles en terre et en pierre, comme nous l’avons déjà vu, sont de grande qualité et font encore rêver les «touristes nationaux et internationaux» par leur intégration au paysage, au contexte et par leur esthétique. Cependant le paradoxe qui règne encore et qui nous échappe en partie est le suivant: si tout le monde apprécie cette architecture vernaculaire, les panoramas que celle-ci génère, les traditions et l’histoire qu’elle commémore, presque personne ne la défend comme elle mériterait de l’être. Malheureusement, la prise de conscience n’est donc pas encore présente. Les autorités, institutions et responsables sont «sourds» aux différents appels lancés par une société civile mobilisée dans cette noble cause. Une noble cause à l’origine de l’organisation du congrès sur l’architecture de terre qui s’est tenu à Marrakech en Octobre 2015 sur le 1 2

3

Formule recensée dans un recueil de proverbes du XVIé siècle Editorial de Fouad Akalay, revue Chantier Du Maroc, N°135, Janvier 2016 Plus d’informations sur: www.masen.ma 123


thème «Tradition et nouvelles perspectives d’habiter en Afrique du Nord». Ce congrès réunit une multitude de métiers autour de la thématique sur la terre: un panel d’experts, chercheurs, professeurs, artisans, architectes et maîtres d’ouvrages ont l’opportunité de participer à des ateliers pratiques mettant en évidence les atouts de la terre et ses techniques constructives. La prise de conscience mondiale sur le réchauffement climatique gagne le continent africain et lui a donné la chance d’organiser et d’accueillir la COP 22 à Marrakech (en Novembre 2016). Il semble que la volonté de changer est présente, et il serait temps qu’elle soit accompagnée par les décideurs. Ces derniers doivent prendre leurs responsabilités en intégrant tout d’abord les constructions en terre dans leur programmes de constructions, en espérant qu’un cercle vertueux sera activé pour ouvrir un avenir prometteur. Cet acte de lucidité montrera au monde que le Maroc peut puiser dans son riche patrimoine architectural pour espérer pouvoir se projeter dans un avenir dans lequel il aura sa propre maîtrise: un avenir dans lequel il pourra d’avantage se préoccuper de l’orientation, du contexte de la technique de terre à utiliser, plutôt qu’essayer d’importer la dernière technologie à la mode utilisée dans les pays voisins pour «faire pareil», car celle-ci ne fonctionnera pas de la même manière lorsqu’elle est placée hors-contexte.

124


II. Volet énergétique et architecture au Maroc Nous avons distingué précédemment qu’il existe la logique solaire passive où l’enveloppe du bâtiment est conçue pour «travailler» un maximum (en conservant l’énergie, en captant le soleil par les fenêtres quand c’est utile, etc.) et, d’autre part, la logique machinique, où la conception confie aux équipements techniques la tâche de continuellement ajuster les paramètres de confort en fonction des fluctuations climatiques. Pour faire preuve de bon sens, la question essentielle à se poser est de se demander quelle logique est la mieux adaptée? Le Maroc connait un fort ensoleillement: il semble évident que mettre des capteurs solaires soit une bonne solution. Cependant, il faut se demander d’où viennent ces panneaux solaires, se demander si ils sont facilement accessibles? Sachant qu’ils ne sont pas produits au Maroc, il faut les importer de l’étranger et dès lors, s’ajoute un coût économique et environnementale. Ne serait-il pas possible de faire moins cher et plus confortable en orientant mieux les bâtiments par exemple? Ainsi, la question du Low Tech et du High Tech se pose dans l’actualité marocaine.

A. Entre Low Tech et High Tech Dans l’article de la revue du numéro 19 de «be.passive»4, une question intéressante est mise en avant: l’architecture solaire passive est-elle la seule manière de faire de la «bonne architecture»? L’article rappelle qu’il existe trois approches d’efficacité énergétique dans un bâtiment: • La logique conservatoire: «la réduction des besoins de chaleur par des mesures passives; l’effort porte principalement sur l’amélioration de l’enveloppe et la réduction du BNC (besoin net de chauffage)»4. • La logique productive: «les ER (énergie renouvelable) ou le zéro carbone en utilisant des stocks (biomasse) ou des flux (solaire); qui compensent une enveloppe moins performante»4. • La logique machinique: «l’amélioration des rendements techniques; l’effort porte principalement sur le choix de technologies performantes pour réduire les pertes énergétiques»4. Pour le passif en Belgique, il faut réfléchir à une combinaison de ces trois approches: il s’agit de porter l’effort sur la construction (étanche et isolée), mais également sur l’efficacité de certains équipements électriques (par exemple l’échangeur de chaleur). Aucune de ces logiques n’est la solution «absolue», chacune a ses limites. Il faut pouvoir jongler avec chacune d’entre elles quand c’est nécessaire. 4

«Après, avant, à côté du passif?», Bernard Deprez, be.passive N°19, 2014 125


La conception passive d’un bâtiment en Belgique par exemple, revient à avoir une consommation de 15 kWh/m2/an. Cependant, dans le contexte marocain, c’est autre chose: nous pourrions arriver plus facilement à une consommation de 0 kWh/m2/an (avec des panneaux solaires par exemple). Cependant cela s’accompagne d’un scénario différent: il sera facile de chauffer le bâtiment en hiver par une bonne orientation en captant le rayonnement solaire, mais cela veut dire également qu’il y a un risque très élevé de surchauffe en été. Les concepteurs doivent pouvoir comprendre la manière de mobiliser à «100% la logique énergétique du bâtiment avant de s’en remettre à celles des machines ou du captage ER». Enfin, comme le dit Pascal Gontier, architecte, l’architecture doit précéder la technique: «J’ai la conviction que, pour dépasser les standards actuels les plus performants, la technique a ses limites et l’architecture doit être beaucoup plus sollicitée qu’elle ne l’est généralement. Elle doit précéder la technique et non la suivre. Je refuse l’écologie de la frustration et prône l’écologie de la sensualité et du plaisir, il ne peut, à mon sens, y avoir de compromis: l’aspiration à un mode de vie plus respectueux de l’environnement doit se conjuguer avec bonheur avec le désir d’espace, de lumière. [... ] La réponse aux défis de demain ne peut donc se contenter des seules «bonnes pratiques». Le langage architectural doit être familier mais aussi singulier et décalé par rapport à la production actuelle»5.

B. Le manuel de règlement thermique du Maroc Le Maroc possède depuis quelques années le manuel du règlement thermique. Que vise-t-il? Sur quoi veut-il agir? Quels sont ses dispositifs? Le règlement thermique a été développé par l’AMEE (Agence Marocaine pour l’Efficacité Energétique) comme outil pour présenter le règlement thermique dans la construction. Ce dernier est axé sur deux volets, l’un passif et l’autre actif. Le volet passif concerne les exigences de performance énergétique de l’enveloppe avec la prise en compte des matériaux de construction, l’orientation et l’isolation thermique des parois. Le volet actif prend en compte l’éclairage, la ventilation et le chauffage, bref, les consommations non liées à la construction. Actuellement, la notion du confort thermique dans le processus de conception architecturale est un sujet qui fait débat au Maroc. Plusieurs lois sur le règlement thermique mettent en avant les techniques énergétiques du solaire passif comme la forme de l’enveloppe, la qualité thermique des matériaux utilisés, la lumière naturelle, la ventilation, l’articulation spatiale, 5 126

Interview de Pascal Gontier par Anne Gérin, be.passive N°19, 2014.


l’orientation des ouvertures etc. Cependant, l’énergie grise (nécessaire à la fabrication la fabrication des produits et matériaux utilisés lors de la conception architecturale d’un projet) n’est pas considérée. En effet, il n’existe pas de règlements quant au choix des matériaux, leur provenance, leur mise en œuvre, et leurs exigences.

Aussi, malgré les arguments scientifiques apportés au débat (cf: méthode de Givoni p.64), il est regrettable de voir que les constructions d’aujourd’hui à Marrakech ainsi que dans d’autres grandes villes du Maroc,ont une consommation de chauffage et climatisation très élevée. Si nous prenons une grande ville par zone climatique au Maroc (allant du per-humide au per-aride, cf.p.47) : Zone 1: Agadir Zone 2: Tanger Zone 3: Fès Zone 4: Ifrane Zone 5: Marrakech Zone 6: Errachidia

Nous pouvons voir sur le diagramme de la figure 1 (ci-après) du manuel du règlement thermique du Maroc, que la ville de Marrakech présente aujourd’hui une consommation totale annuelle en chauffage de 30 KWh/m2 et plus de 105 KWh/m2/an de climatisation. Ceci représente des chiffres «alarmants». D’autant plus que nous savons que le secteur du bâtiment est responsable pour un tiers environ des émissions de CO2 au Maroc, et que dans certaines villes (comme c’est le cas ici), il est possible d’avoir recours à une conception bioclimatique pour être dans une zone de confort, et ainsi, éviter d’utiliser des équipements consommateurs d’énergie à tort et à travers De plus, le diagramme de la figure 2 (ci-après) compare la consommation actuelle à un état projeté qu’elle voudrait atteindre en construction neuve. Les colonnes RT (du règlement thermique) montrent qu’à Marrakech par exemple, nous devrions passer de 105 KWh/m2/an à 50 KWh/m2/an normalement. Mais même ici, on s’aperçoit qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une consommation aussi élevée quand nous savons qu’une architecture solaire passive est possible, et qu’elle a déjà existé auparavant dans les mêmes conditions climatiques. Nous verrons à travers le cas d’étude de Marrakech qu’il est possible de faire autrement.

127


Figure 1: Besoins énergétiques spécifiques de chauffage (BNC) et besoins énergétiques spécifiques de climatisation (BNF) Source: Manuel du règlement thermique de construction au Maroc

Figure 2 Comparaison cas de base (BC) et règlement thermique (RT) : bâtiment résidentiel (Ti = 26 °C en été) en fonction de la zone climatique. Source: Manuel du règlement thermique de construction au Maroc

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Ci-dessous, les tableaux et courbes de comparaisons des besoins en chauffage et climatisation de Marrakech et Bruxelles pour saisir d’un premier coup d’oeuil la différence entre les deux villes. DJU Jan Chau.

Fév

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet Aôut

Sept

Oct

Nov

Déc

15.1

4,5

0.5

/

2,3

6,3

93.6

151,2

36.4

52

45.2

238,6 346.3 406

Marrakech

110,8 110,8 109.4 54,7

Bruxelles

399.8 379,4 387.2 272,7 132.7 61,2

DJU

Degrés-jours de chauffage en 2016 à Marrakech et Bruxelles

Janvier

Février

Mars

Avril

DJU chauffage Marrakech

Mai

Juin

Juillet

Aout

Septembre Octobre

Novembre Décembre

DJU chauffage Bruxelles

DJU Réfri.

Jan

Fév

Mars

Avril

Mai

Juin

Marrakech

33,7

25,7

34

77.4

156.8 253.3 365

388,2 216.7 178,3 41.6

11

Bruxelles

/

/

/

0,8

20,2

63

/

31,3

Juillet Aôut

65,3

Sept

56,2

Oct

0,3

Nov

/

Déc

DJU

Degrés-jours de rafraichissement en 2016 à Marrakech et Bruxelles

Janvier

Février

Mars

DJU réfrigération Marrakech

Avril

Mai

Juin

Juillet

Aout

Septembre Octobre

Novembre Décembre

DJU réfrigération Bruxelles

129


Moyenne annuelle 2016

Tempé. maxi minimale

Tempé. mini maximale

DJU (chauffage)

DJU (Réfrigération)

Marrakech

11,9 (le 17 Dec)

28,0 (le 19 Juil)

659,2 (Moy: 55)

1781,7 (Moy: 148)

Bruxelles

-1,7 (le 31 Dec)

19,7 (le 26 Août)

2757,5 (Moy: 230) 237,1 (Moy: 20)

130


III. Étude de cas C’est facile de se laisser aller à penser qu’il est trop tard pour changer les choses. Il n’est jamais trop tard. Nous aimerions finir ce travail sur une note positive. Pour cela, nous étudierons deux cas de bonne pratique au Maroc d’architectures «confortables», efficaces énergétiquement et respectueuses de l’environnement. Ainsi, nous mettrons en valeur des cas exemplaires de bâtiment prenant en considération les bonnes pratiques en termes d’efficacité énergétique et d’intégration des énergies renouvelables dans un climat et contexte particulier. Nous aimerions montrer l’ingéniosité et la capacité de certains praticiens à explorer différents moyens, matériaux locaux, techniques anciennes et systèmes passifs pour concevoir et mettre en œuvre l’architecture bioclimatique. Ainsi, à travers la diversité de ces exemples (échelle et contexte opposés), nous espérons contribuer à une meilleure compréhension et dissémination des techniques d’efficacité énergétique ainsi qu’à des stratégies de conception dans un contexte local, dans la réflexion, l’élaboration et la construction des bâtiments. En outre, nous soulèverons également les inconvénients inhérents que l’on peut trouver dans des projets en terre par exemple, et tenter de mettre en exergue les solutions possibles, où du moins le comportement à adopter.

A. Premier projet en superadobe autorisé au Marrakech Maison écologique: Earthbag construction à Marrakech HAFIDOME , Karim Jamali, cabinet A17 Pour introduire le superadobe, nous citerons le travail de Nader Khalili, architecte Iranien. En 1984, ce dernier répond à un concours lancé par la Nasa demandant aux architectes à travers le monde d’imaginer un habitat possible sur Mars. Il gagne ce concours avec une proposition assez particulière et perçue comme farfelue à l’époque. Son propos est simple et clair: s’appuyant sur le principe de gravité, il propose d’utiliser un matériau local pour pouvoir construire; par la suite il propose d’enfourner les matériaux trouvés sur place dans des sacs, qu’il faudra stabiliser et armer les uns aux autres pour construire des

Ecodôme par Nader Khalili, jonction de plusieurs dômes autoportants Source: www.calearth.org

131


dômes. C’est à partir de là que l’idée du superadobe lui viendra à l’esprit et il remportera ainsi le concours de la Nasa. Quelques années plus tard, avec la guerre du Golfe, la Nasa ainsi que les Nations Unies reviendront vers lui pour reconsidérer son projet «d’habiter sur Mars» pour proposer la construction d’habitat d’urgence. Il reprendra le même système «simple», à savoir: prendre des sacs, les remplir avec des matériaux trouvés sur le site (terre, sable...) et les empiler pour construire de l’habitat d’urgence. En réalité, sa proposition répond très étroitement à la problématique puisque durant la guerre, il y aura des sac de jute pour ravitailler la population, des fils barbelés qui permettent de mettre en place un système d’adhérence entre les sacs (comme le scratch), et enfin le matériel in situ. Il travaille donc de cette manière pour pouvoir donner une forme architecturale de dôme très simple que tout le monde peut s’approprier et pouvoir construire très rapidement. Il gagnera à nouveau grâce à cette technique là, le plus grand concours au monde d’architecture: le prix d’Aga khan en 2004. De là, la Nasa et les Nations Unies le sponsorisent à vie pour faire de la recherche sur cette technique de construction en super adobe, et il fondera l’institut californien des arts de terre et de l’architecture de terre (Cal Earth Institut)1. Nous sommes allés à la rencontre d’un jeune architecte: Karim Jamali, qui durant deux ans, a mené un combat avec les autorités locales de Marrakech pour faire accepter son projet de maison en superadobe. Il y a 4 ans, cet architecte crée le cabinet A17qui est à l’origine aujourd’hui, de plusieurs projets entièrement en terre majoritairement à Marrakech. Pour notre étude de cas, nous étudierons le projet de sa maison écologique HAFIDOME. Avant d’aborder les caractéristiques de cette étude de cas, nous commencerons par un bref historique: Tout d’abord, Karim Jamali, avec l’aide de Hafid el Mehdaoui (architecte), font de la planification territoriale dans les Oasis de la région de Goulmim et sont engagés par l’agence de déEcodôme à Valence par Hafid El Mehdaoui veloppement du Sud, pour faire des plans de Source: www.calearth.org la commune et de la région. Ils y ont beaucoup abordé les techniques de construction et ne pouvaient pas faire l’impasse sur celles de Nader Khalili. A la fin de cette mission, Hafid el Mehdaoui prend une année pour travailler au Cal Earth Institut en Californie sur les dômes pensés par Nader Khalili. Il travaille avec la femme de Nader Khalili et ensemble, ils réalisent un premier dôme à Valence en Espagne (image ci-contre). Ils travaillent également sur un deuxième dôme à Londres en brique cette fois-ci mais utilisa la même forme en dôme. Puis après être 1 132

http://www.calearth.org


passé par plusieurs pays pour tester les techniques et matériaux, il arrive enfin à Marrakech pour travailler avec Karim Jamali sur le projet de sa maison familiale. Ce projet a pour ambition de pousser un peu plus loin l’expérience: au lieu d’essayer simplement de connecter des dômes entre eux, ils essayent d’introduire une technique souvent utilisée au Maroc: la construction de toit terrasse. Ils veulent ainsi introduire ces deux techniques pour avoir un projet qui permette plus de souplesse dans sa conception.

a.1. Avantage du site de construction Situation géographique du projet: Ce projet de maison familiale est situé en zone rurale, cependant il se trouve à la frontière d’une zone urbaine. Les architectes ont donc la chance de se permettre de construire en terre dans la zone rurale car il est compliqué de construire en terre voir quasiment impossible, en zone urbaine au Maroc (dû à un règlement stricte concernant la ville). Aujourd’hui, le gouvernement a fait passer une réglementation qui autorise la construction urbaine en terre, mais sous de nombreuses conditions. Le fait d’être en zone rurale et avoir en face une zone urbaine, était l’occasion pour eux de pouvoir faire accepter ce projet et surtout de l’autoriser avant que la ville n’intègre les zones rurales et agricoles sous son contrôle administratif.

133


a.2. Processus d’implantation Le terrain est planté d’arbres en trame. Pour l’implantation de la maison, ils prennent simplement les quatre points cardinaux et y placent tout d’abord trois dômes: deux dômes au sud qui vont jouer le rôle de rempart contre le soleil (comme nous l’avons vu précédemment, le soleil «attaque» par le sud de manière très forte à Marrakech), puis au nord (source de fraicheur), un troisième point est placé.

Puis ils vont tourner autour de deux arbres déjà présents jouant le rôle de «témoins du site» et qui seront à l’origine de la spatialité de la maison. Ainsi, elle sera connectée autour des trois points principaux des dômes et des deux arbres se situant entre eux.

Ils dessinent une ligne directrice (rouge) qui passera entre les deux arbres et cela devient le fils directeur de la perspective que l’on retrouve au sein de la maison. Les murs vont ensuite être placés de manière à relier les trois dômes principaux. L’espace entre les trois dômes sera réalisé entièrement en toiture plate.

De là, une seconde ligne directrice (orange) sera mise en place pour guider l’orientation de la lumière. Puis ils créent des percées dans l’atrium pour profiter de la lumière qui arrive au coucher du soleil.

134

S

N

S

N

S

N

S

N


La lumière du matin se levant à l’Est, va pénétrer par le grand dôme et éclairer la cuisine le matin. Elle permettra aussi d’éclairer la salle à manger. La lumière du matin est douce et agréable donc même si elle pénètre en profondeur dans le bâtiment, cela reste agréable et confortable. Puis au zénith, la lumière verticale est bloquée par le front formé par les deux dômes (chambres), et protège la maison du soleil.

S

N

En fin de journée les ouvertures dans la façade de l’entrée Ouest permettent de laisser pénétrer la lumière orangée du coucher du soleil. De plus, de petites ouvertures dans les cotés les plus exposés au soleil (Est et Ouest) minimisent l’impact thermique et l’échange climatique entre intérieur et extérieur.

S

N

L’idée des architectes consiste à de créer les «bonnes» ouvertures nécessaires pour aérer la maison et en même temps avoir la lumière suffisante pour pouvoir éclairer. Avec la luminosité la plus basse, ils arrivent tout de même à avoir un degré d’ensoleillement agréable.

S

N

135


a.3. Procédé technique L’avantage de la technique du «Earthbag» réside dans tout le potentiel (contextuel, environnemental et économique) qu’elle permet au sein de la construction dans le projet: Les moyens techniques du Earthbag sont les suivantes: • Sac de jute: ils utilisent du polypropylène de qualité alimentaire. C’est le même sac que nous retrouvons pour les sac de riz qui n’a aucun impact sur la santé et une duré de vie très faible (300 heures au soleil avant de se dégrader). • Remplir les sacs avec la terre in situ • Disposer les sacs en longueur Cette technique permet d’avoir une dimension et une échelle humaine ainsi qu’une grande liberté d’action qui ne se trouve pas dans le béton (sauf à un prix beaucoup plus élevé). «C’est presque d’une simplicité enfantine, on pourrait même réaliser ce travailler avec des enfants: on remplit les sacs et on les empile les uns après les autres. Il faut les tordre et les remplir puis on les monte les uns au dessus des autres. Nous avons l’impression d’avoir un geste calligraphique ce qui est très amusant durant le chantier»1 1 136

Karim Jamali, architecte


a.4. Procédé de construction Comme pour un mur de terre damé, ils créent un mélange de terre stabilisée à la chaux (qui dépendra des analyses de sol qu’ils font sur place). Puis ils remplissent les sacs de polypropylène qu’ils commandent en usine: au lieu de commander chaque sac individuellement, ils commandent des km de sacs pour être libre d’avoir la longueur qu’il faut selon le calcul des murs qui forment les trois dômes. Une fois remplis, ils dament les sacs de manière traditionnelle (appelée «mekirz»). Tout se trouve déjà sur le chantier pour utiliser cette technique: • Le savoir faire traditionnel • Le mélange de terre • Le remplissage • Le compactage • Le fils barbelé: La technique utilisée avec le fil barbelé est simple et permet une grande ingéniosité puisqu’elle permet la mise en place d’un mur traditionnel et parasismique. Etant donné que les sacs sont empilés les uns aux autres, ils sont désolidarisés. Ainsi, en cas de séisme, ces sacs ont la possibilité de glisser entre eux. Le bâtiment aura une très grande élasticité en cas de séisme; à l’inverse, avec les bâtiments traditionnels (poteau poutre), il existe une flexibilité maximale (compression/traction) entraînant sa démolition. Enfin, ces fils barbelés jouent aussi le rôle d’attache qui leur permet de tenir jusqu’à une certaine pression mais suffisamment souple pour cé137


der en cas de séisme. Avec cette technique, les murs sont vingt fois supérieurs aux normes parasismiques. Quand on voit des images de guerre, les premiers abris anti-obus sont des abris en sac de jute rempli de terre. «Je défi quiconque de me dire maintenant que la terre n’est pas un matériau solide, robuste et fort». C’est évidemment le système formé par la terre (résistance, malléabilité), les sacs (conteneur, résistance de surface, etc.) et le fil (connecteur, résistance limitée, etc.) qui est intelligent et bon marché.

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a.5. Construire avec des matériaux locaux aujourd’hui Aujourd’hui les autorités marocaines imposent de faire un chaînage en béton en pied et en tête des murs en terre pour pouvoir construire dans la réglementation parasismique de construction. Le chaînage est une sorte de ceinture qui fait le tour du bâtiment pour le renforcer, c’est donc quelque chose de très rigide qui va à l’encontre de la souplesse du dôme. Le chaînage est un procédé technique simple pour des bâtiments cubiques mais non approprié pour des dômes. Il est curieux de voir que nous sommes en désaccord avec le savoir faire traditionnel: Il existe des milliers de mausolées réalisés avec des dômes qui tiennent depuis des centaines d’années sans avoir attendu la réglementation de chaînage parasismique. Nous espérons que les choses vont évoluer et changer. Après de longs mois de recherches, l’atelier A17 finit par trouver un intrépide bureau d’étude parmi lequel, un ingénieur qui croit en ce projet et accepte de relever le défi: ce dernier met en place un chaînage en pierre sur cette construction en terre. Finalement, tous les chaînages (linteaux) pour les franchissements des portes, sont réalisés en bois. Il n’y a pratiquement pas de béton dans cette construction. Tout le génie de Nader Khalili réside dans la réussite d’un dessin où le dôme est auto-portant sans clé de voûte. En temps de guerre, les habitants peuvent construire avec un degré d’erreur très grand tout en gardant une stabilité élevée de l’ouvrage. Puis cela permet d’avoir un beau tableau sur le ciel. La partie ajoutée pour connecter les dômes est faite en toiture terrasse. C’est un élément très courant au Maroc appelé «l’werka geyza». C’est un système de poutre en bois comme dans les habitats traditionnels ou les kasbahs. Les architectes auraient pu choisir des rondins en eucalyptus, cependant, là encore, l’architecte porte un regard par rapport à la durabilité et l’écologie qu’il tente de véhiculer dans ce projet:

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«On aurait pu faire une grande maison avec de larges espaces, de grandes portées.. Mais il aurait fallu, pour cela, importer du bois de grande portée avec du lamellé collé permettant d’avoir des franchissements plus grands. Or nous n’avons pas dans notre pays ce bois spécifique. Donc si nous ne voulons pas entrer dans une logique d’importation et que nous voulons consommer et fabriquer local, il faut construire en fonction de cela. La contrainte ici va être d’avoir une portée maximale entre cinq et six mètres (plus ou moins cinq mètre quatre vingt) de largeur dans les espaces. C’est d’ailleurs la largeur de ce que nous trouvons de manière générale dans toutes les vieilles constructions au Maroc. Nous trouvons parfois moins de 5 mètres et dans les zones sahariennes nous trouvons entre 2,5m et 3 m puisqu’ils utilisent le bois de palmier». Plusieurs techniques sont donc mises en place: L’idée est de pouvoir dessiner en conservant ce rapport de portance. La stabilisation est faite avec de l’adobe de terre cuite entre les poutres. La toiture terrasse quant à elle, est faite en terre compactée avec une isolation.

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a.6. Composition par couche Axonométrie éclatée en 3D. Les différentes couches sont: . Construction des murs en terre avec un chaînage supérieur. . Poutres raisons avec au-dessus la planche de bois pour le toit. . Panneau de liège qui fait office d’isolation. . Deux couches d’étanchéité entre lesquelles il y a 12 cm de terre pour avoir une bonne épaisseur de toiture et ainsi une isolation conséquente. . Dalle flottante en béton pour permettre de répartir le poids de manière uniforme sur toutes les poutres et pouvoir profiter d’une toiture terrasse accessible. . Revêtement de sol: Toute la périphérie de la toiture est traitée en jardinière pour avoir un couvert végétale au dessus de la maison. L’idée est d’arriver à une dalle supérieur de 45 cm à 50 cm d’épaisseur, avec le couvercle végétal.

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. Nous trouverons cette même épaisseur sur les murs pour avoir une inertie thermique très élevée (comme nous l’avons vu, en climat chaud, sec et contrasté, l’inertie peut remplacer l’isolation). Contrairement au béton, la terre a l’avantage d’être un matériau qui respire: c’est un élément sain, un élément qui ne garde ni humidité ni microbes. L’inertie du toit et des murs ainsi que les ouvertures aident à la ventilation naturelle et au rafraîchissement. Le principe respiratoire de la maison est principalement provoqué par le grand dôme jouant le rôle d’atrium (effet Venturi): La forme arrondie sous forme de cône, permet une accélération du vent. Ce dernier est rafraîchi par la mise en place d’un point d’eau au bas du dôme. La masse d’eau crée un décalage thermique entre l’air chaud entrant et l’air frais du point d’eau. Cela crée une légère ventilation permettant un mouvement de l’air ambiant qui rafraîchit la maison, même en l’absence de vent à l’extérieur. Jusque là, nous avons une construction simple, inspirée des stratégies bioclimatiques, des techniques anciennes et matériaux locaux permettant un maximum de confort intérieur à faible coût.

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a.7 Un projet Offgrid La volonté du projet est aussi de devenir à 100% «Off grid», c’est à dire de parvenir à se détacher besoins de raccordement en eau et électricité fournies par la ville en se les procurant in situ. Ce système est possible grâce à plusieurs caractéristiques mises en place dans le fonctionnement du projet: • Utilisation d’un puits pour fournir la maison en eau • Création d’un parc solaire: panneaux photovoltaïques pour répondre à la demande en énergie de la maison. L’éclairage le soir se fait à l’aide des panneaux solaires avec un système de batterie qui se régénère durant la journée. • Double station d’épuration mécanique: récupérer la production d’eau grise de la maison pour la traiter et l’envoyer vers une station phytoépuration pour enfin la renvoyer vers les terres agricoles. Le but est de récupérer l’eau du site, l’acheminer pour les besoins de la maison et la rendre propre à nouveau pour être réutilisée une seconde fois vers le site agricole. • Création d’un parc solaire avec le même système d’eau: un système de serpentin est mis en place dans le sol pour chauffer le plancher grâce à l’énergie solaire. L’eau est pompée à l’intérieur de la maison en circuit fermé pour chauffer le sol en hiver et le refroidir en été. En effet, faire passer de l’eau à 17°C du puits dans un sol d’une maison à 30°C, c’est déjà un bel apport de fraîcheur. • Mise en place d’un puits canadien qui fonctionne selon les principes de la géothermie permettant une température stable toute l’année à l’intérieur de la maison. Ainsi il est tout à fait possible de faire fonctionner la maison et augmenter son confort thermique sans recours aux apports que fournit la ville.

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a.8. Enveloppe budgétaire et mot de la fin Tout d’abord, l’utilisation de la terre permet de réduire les coûts de moitié: une épaisseur de 40 à 45 cm pour un mur béton revient à 1700 DH le m2. Or, la terre a des qualités thermiques nettement supérieur au béton pour presque à moitié prix (900 DH le m2). Ainsi, l’avantage de construire en terre réside aussi dans l’économie du prix de construction au gros œuvres. Le mot de la fin: Beaucoup de «professionnels» trouve cette architecture excessive et décalée par rapport aux produits du marché. Cependant, selon l’architecte, «il faut savoir qu’il n’y a rien d’excessif. Ce qui est excessif c’est bien le comportement des individus. En réalité, quand notre comportement n’est pas excessif nous n’avons pas besoin d’une grande installation consommatrice en énergie, nous n’avons plus ce besoin d’apport énergétique élevé. Ce sont finalement des habitudes à avoir. Nous sommes encore en phase de construction, mais très bientôt nous allons entrer dans la phase d’expérimentation: comment allons nous vivre la maison? C’est un challenge intéressant puisque ça remet en question beaucoup de choses. Il faut être soucieux de l’impact de nos actions sur les différents éléments: par exemple, utiliser la machine à laver à des heures où le soleil est généreux pour ne pas utiliser l’énergie des batteries. Il faut tenter d’imiter le cercle vertueux de la nature: prendre in situ le maximum de potentiel existant et le rendre de nouveau au sol. Jusqu’à aujourd’hui nous n’avions pas le droit de construire un bâtiment en terre avec mur courbe. Ça a été un réel bras de fer avec les autorités pour faire accepter le projet. Finalement ce projet fait jurisprudence: c’est un projet autorisé par les instances locales pouvant servir d’exemple pour d’autres constructions similaires. Ces projets sont autorisés en zone urbaine dans une multitude d’autres pays qui s’inspirent des savoirs faire de la terre, et au Maroc il est malheureux de voir que nous n’en profitons pas suffisamment.»1 Ce projet témoigne d’une véritable technicité: une démarche bioclimatique réfléchie et simple, un projet non polluant et sans gaspillage, 1

Karim Jamali, architecte, interview, Janvier 2017 145


des matériaux facilement modulables, réparables et recyclables. Ce qui est également intéressant dans la démarche de cet architecte, c’est qu’il s’engage à faire un monitoring de la maison durant la première année de vie du bâtiment afin d’avoir un suivi du fonctionnement énergétique de la maison et pouvoir communiquer les résultats à l’administration de la ville de Marrakech (dans le but promouvoir la construction en terre).

Pour finir, à la manière de Mahoney (cf. p.53), le projet travail sur une réflexion conceptuelle du projet tenant compte des données climatiques du lieu pour déboucher sur des concepts bioclimatiques concernant les éléments du projet d’architecture. Cette méthode prend en considération la température ainsi que la notion de confort nocturne et diurne. Les tables de recommandations élaborées par Mahoney appliquées au climat de Marrakech (sur base des mesures correctives à prendre en compte pour atténuer le stresse thermique), amènent quasiment dans la totalité, aux même éléments mis en place dans ce projet: • Plan masse: Favoriser des plans compacts avec cours intérieures. Lorsque la chaleur est abondante, un plan compact avec cour intérieure est suggéré pour permettre un processus de stockage thermique. Dans ce projet de maison familiale, l’architecte utilise le dôme comme élément centrale de ventilation naturelle. • Espacements entre bâtiments: Favoriser encore des plans compacts. La cour intérieure des maisons par exemple, pourra permettre de ventiler les espaces tout en permettant un plan compact avec les maisons voisines pour créer une protection du climat de l’environnement extérieur. Dans ce projet, il sera utile de porter une réflexion sur la manière dont un futur voisinage pourra s’agencer au plan existant. Cependant, nous notons qu’il sera difficile de créer une densité urbaine et un plan compact entre les futures maisons voisines, dû aux murs courbes de la maison. • Dimensions des ouvertures et positionnement: Mahoney recommande de petites ouvertures, 15 à 25% de la surface des murs. La taille des ouvertures a un impact sur le taux de ventilation. De petites fenêtres sont recommandées ici car une isolation est tout de même nécessaire en hiver. Ainsi, il sera possible de permettre une isolation par de petites ouvertures sans avoir recours à une isolation des murs (car risque de surchauffe en été). C’est ce qu’applique l’architecte dans le projet. En effet, comme nous l’avons expliquer: La lumière du matin se levant à l’Est, va pénétrer par le grand dôme et éclairer la cuisine le matin. Elle permettra aussi d’éclairer la salle à manger. La lumière du matin est douce et agréable donc même si elle pénètre en profondeur dans le bâtiment, cela reste agréable et confortable. Puis au zénith, la lumière verticale est bloquée par le front formé par les deux dômes (chambres), et protège la maison du soleil. En fin de journée les ouvertures dans la façade de l’entrée Ouest permettent de laisser pénétrer la lumière orangée du coucher du soleil. De plus, de petites ouvertures dans les cotés les plus exposés au soleil (Est et Ouest) 146


minimisent l’impact thermique et l’échange climatique entre intérieur et extérieur. L’idée des architectes consiste à de créer les «bonnes» ouvertures nécessaires pour aérer la maison et en même temps avoir la lumière suffisante pour pouvoir éclairer. Avec la luminosité la plus basse, ils arrivent tout de même à avoir un degré d’ensoleillement agréable. • Murs, planchers et toiture: favoriser une construction massive pour assurer un décalage horaire supérieur à 08 heures (c’est-à-dire assurer un déphasage thermique suffisant par l’épaisseur et le choix du matériau). Il est important d’utiliser des matériaux avec une bonne inertie thermique et une épaisseur suffisante afin de permettre aux murs de stocker la chaleur du jour afin de la restituer la nuit (et le matin). Dans le projet, les murs ont une épaisseur qui répond à la prescription de Mahoney. • Espaces extérieurs: Veiller à avoir un emplacement pour le sommeil en plein air. Cette recommandation est proposée quand les conditions de confort intérieur ne peuvent pas être maintenues durant certaines périodes de l’année (les chaudes journées d’été) et qu’il sera nécessaire d’avoir des espaces de vies extérieurs pour assurer un meilleur confort. Comme nous l’a confirmé l’architecte, le dôme (l’atrium) servira également d’espace de vie extérieure en été. De plus, nous avons vu dans ce projet comment l’architecte propose des solutions pour assurer des zones de confort étendues dans la maison toute l’année. En effet, l’approche de Givoni consiste à se poser une question toute simple «Comment le bâtiment peut-il étendre cette zone, c’est à dire rendre confortable des conditions qui ne le seraient normalement pas?»1 Rappelons que les zones de confort étendu selon Givoni sont ces zones où le confort peut être assuré dans des conditions d’humidité et température non confortables, mais rendues confortables par l’effet d’un paramètre correcteur: du rayonnement solaire additionnel, de la de la ventilation, de l’inertie thermique, l’évaporation etc. Ce qui est très intéressant ici c’est que l’on a pu voir, pour le climat de Marrakech, la manière de favoriser certaines stratégies bioclimatiques dans la conception architecturale d’un projet, pour répondre au mieux aux conditions locales du climat.

1 «Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques», Alain Liébard et André De Herde, 2006 147


B. Music school in Joudour b.1. Contexte Le projet se situe dans le désert du Sahara, dans la petite ville oasis de M’hamid El Ghizlane. Un nouveau programme de musique est pensé pour préserver les connaissances culturelles ancestrales et fournir une éducation musicale aux jeunes de cette régiondu Maroc. L’école de musique de Joudour au Sahara est un projet ambitieux comprenant la construction d’installations intégrées dans l’environnement naturel que nous détaillerons par la suite. A l’heure actuelle, une campagne a déjà été lancée pour collecter des fonds et les cours de musique ont commencé avec des étudiants et musiciens locaux et internationaux qui se sont produits au Festival Taragalte dans les dunes de sable du Sahara, leur environnement naturel. En 2008, les frères Halim et Ibrahim Sbai ont fondé le Festival Taragalte: une célébration du patrimoine culturel du Sahara marocain. Depuis 2005, les frères sont impliqués dans un travail culturel et environnemental de la région avec la société néerlandaise Sahara Roots. M’hamid est connu sous le nom de «Gateway to the Sahara» et possède un riche patrimoine culturel, également influencé par les traditions arabe, berbère et sub-saharienne2.

L’équipe: Aziza Chaouni: architecte principale Veronica Sotelo: architecte secondaire Tanya Tsui: architecte interne Barron Crawford: Etudiant en master Yi Zhang: étudiant en architecture ONG locale Taragalte Sahara Roots Playing for Change Block Team Group

2 148

http://www.azizachaouniprojects.com


b.2. Mode de vie La culture et le mode de vie des habitants de la ville sont étroitement liés au climat. En été les journées chaudes de Juillet et Août peuvent atteindre les 55°C et il y a de fortes tempêtes de sable en mars et avril. Les caractéristiques de ce climat aride contribuent en partie à l’économie de la région avec le besoin d’une culture élevée des palmiers dattiers. Le changement climatique se fait sentir localement: peu d’accès à l’eau et un empiétement progressif des dunes de sable sur les terres agricoles précieuses entraînant une dispersion des communautés et de leur traditions. À M’hamid, les habitants ont l’habitude de se déplacer en groupe. Qu’il s’agisse de familles de 10 ou 20 personnes, ils vivent sous le même toit. Ces derniers ont pour habitude de partager ensemble diverses activités, comme le rituel de préparation du thé avec qui que ce soit, étranger ou local. Le sentiment d’inclusion est vital pour la communauté. De plus, le passage de la musique et de la poésie de génération en génération est un autre aspect vital de la communauté: l’art et la tradition peuvent se perpétuer dans un monde en constante évolution. Le projet de la Music School met en avant le rôle important de la génération la plus jeune à apprendre du passé pour amener l’art saharien traditionnel dans un avenir où tradition et modernité doivent coexister. b.3. Enjeux Les principaux objectifs du projet sont de transmettre et préserver le patrimoine musical traditionnel, d’offrir une formation musicale (enregistrement, édition vidéo, etc.) à la jeunesse locale et diffuser une sensibilisation à l’environnement.

Dune Chegaga dans la région de M’hamid El Ghizlane https://fr.wikipedia.org/wiki/M’Hamid_El_Ghizlane

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Ce désert est actuellement menacé par la migration de la population dans les centres urbains, la disparition du mode de vie nomade, les dunes de sable qui envahissent la région et enfin un accès réduit à l’eau. En effet, dans les années 70, un barrage hydroélectrique a été construit près d’Ouarzazate, réduisant de ce fait l’approvisionnement en eau de M’hamid, la dernière oasis au sud de la vallée du Drâa. Les 2 000 jeunes locaux de la population qui compte au total environ 7500 habitants, recherchent un espace de travail et de création, mais n’ont pas accès aux instruments de musique, à l’éducation et aux encouragements. C’est dans ce but que Joudour Sahara se concentrera sur l’autonomisation des jeunes avec des programmes d’éducation musicale dans un espace sûr et accueillant. En plus de l’enseignement en classe, divers échanges avec des artistes invités, des espaces de spectacles intérieurs et extérieurs pour les activités locales et itinérantes, un atelier sur place pour la création et la réparation d’instruments de musique et l’hébergement pour les touristes qui souhaitent faire une virée dans le désert et profiter d’une musique singulière.

b.4. Le projet Tout comme les constructions existantes de la région, le projet est construit en pisé (la terre de la région étant argileuse et graveleuse). De nouveau ce matériau semble être la solution adaptée: il est peu coûteux, peut être fabriqué sur site et fonctionne bien pour ce climat désertique. En effet la

Rue de M’Hamid El Ghizlane avec des constructions en pisé (représentatives de la région), 2009 Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/M’Hamid_El_Ghizlane

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terre est utilisée à maintes reprises dans ces climats et semble être une des solutions pour assurer le confort thermique des habitants dans la mesure où ils s’adaptent également à vivre avec dans ce climat. De plus, des cheminées solaires sont utilisées (figure 6 p.158) pour les périodes caniculaires sans vent et sont placées stratégiquement dans certains bâtiments: elles permettent d’améliorer la ventilation naturelle d’un bâtiment en utilisant le mouvement convectif de l’air chauffé de manière passive dans un conduit exposé au rayonnement solaire. Ainsi elles maintiennent un climat intérieur relativement plus frais qu’à l’extérieur. Un système innovant de rétention des dunes de sable est pensé: c’est une «barrière» composée d’une grille de feuilles de palmiers et arbre de tamaris, d’un mur de terre. Ce système sera testé pour la première fois sur le site et sera surveillé pour vérifier son efficacité. Tous les matériaux utilisés sont localement disponibles et faciles d’accès. Enfin, c’est également un projet social qui crée de l’emploi et «construit avec le peuple»: Le projet est composé de deux parties principales: une partie du bâtiment au Nord qui constitue un programme sur l’introduction aux stratégies de permaculture; les agriculteurs locaux se chargeront de ce travail et permettront à la jeunesse locale de participer à la préservation de leur éco-système. Puis, au Sud, à 250m, un second bâtiment accueillera le programme principal de l’école ainsi qu’un musée de palmiers en plein air présentant les 60 variétés de palmiers dattiers existant dans la région.

Figure 1 Source: http://www.barroncrawford.com/jodour-music-school/ 151


Figure 2

Source: http://www.barroncrawford.com/jodour-music-school/ 152


Figure 3

Figure 4 Source: http://www.barroncrawford.com/jodour-music-school/ 153


Figure 5: Coupe perspective: système de réservoir d’eau

Figure 6: Coupe perspective: système du circuit d’eau et espace de compostage Source: http://www.barroncrawford.com/jodour-music-school/ 154


Source: http://www.barroncrawford.com/jodour-music-school/ 155


Pour conclure, nous avons vu deux exemples de projets qui s’adaptent à l’environnement en mettant en avant le confort au sein de la réflexion architecturale. Malgré la différence d’échelle, de contexte et d’aspiration, ces deux architectures présentent des similitudes dans la conception en climat chaud. Tous deux tirent profit de l’environnement du site pour assurer une architecture confortable, adaptée au contexte local.

Ces deux projets ont un double objectif: D’une part être témoin des solutions apportées par l’architecture traditionnelle: ces projets remettent l’architecture vernaculaire à l’ordre du jour puisqu’elles présentent une variété d’éléments de réponses aux problèmes actuels. Un certain nombre de savoir-faire ancestraux seront utilisés dans ces projets contemporains afin d’améliorer le confort des habitants. D’autre part montrer la capacité d’un projet à pouvoir tirer profit du contexte et du site pour créer de la valeur ajoutée durable au sein d’une population et d’un environnement. Cependant, nous sommes conscient qu’il s’agit de projets individuels dans lesquels la réflexion urbaine ne se pose pas. En effet, il n’y a pas de «voisins» actuellement dans ces projets en terre d’où la liberté prise dans la forme architecturale. Il serait intéressant d’imaginer le fonctionnement urbain possible dans ces sites.

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Enfin, nous synthétiserons sous forme de tableau les trois volets pris en compte dans la réflexion architecturale de ces deux projets. Contexte

Conception architecturale

Capacités thermiques

Utilisation des maté- Une orientation étudiée Utilisation du soleil riaux locaux pour être autonome en énergie Utilisation des essences végétales

Un volume compact

Utilisation des matériaux à grande inertie thermique

Se référer aux tyDe petites ouvertures pologies existantes maîtrisées ( selon les locales qui ont su vents et l’orientation) répondre aux conditions climatiques

Privilégier une ventilation naturelle: effet Venturi & cheminée solaire

Mettre l’habitant et la population d’une région au centre de la réflexion conceptuelle du projet pour créer de la valeur ajoutée

Utilisation d’éléments végétaux qui améliore les conditions de vie intérieures

Une distribution des espaces en fonction des contraintes climatiques: adopter un nomadisme saisonnier au sein du bâtiment et son fonctionnent

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Conclusion Un travail sur le thème du confort thermique, du bien-être, dans une région à climat aride s’est révélé être un défi intéressant, qui a pu mettre en lumière une double problématique: d’une part une réflexion générale portée sur le climat et son importance dans la conception architecturale du projet, et d’autre part, une attention particulière au contexte local d’un lieu tenant compte de la culture, du mode de vie et de la capacité d’adaptation des individus. Pour illustrer les points de vues exprimés dans cette étude, deux projets architecturaux en cours de réalisation sont proposés, qui montrent que l’architecture d’inspiration vernaculaire est toujours vivante et peut servir de socle à une réflexion sur l’architecture d’aujourd’hui et de demain au Maroc. En effet, exploiter les savoirs-faire ancestraux permet de formuler des éléments de réponses à plusieurs échelles économique, environnementale et sociale en y amenant une forte plus-value à chaque niveau. Une rétrospective du patrimoine passé permet de mieux comprendre le bâti présent et d’identifier ses manquements et ses faiblesses pour mieux penser le futur. Actuellement au Maroc, la recherche du profit immédiat est un élément décisif dans la recherche de la forme, de la qualité et de la performance du bâtiment. Il apparaît évident que sortir de l’idée figée du confort dans sa définition stricte permet de réfléchir à une manière nouvelle de penser et vivre les espaces. Sortir aussi du cadre


rigide et normatif que peut prendre l’architecture dite passive, afin de réfléchir davantage à la capacité d’adaptation des individus. Puis, sortir du ‘lobby’ qui impose l’usage non réfléchi de matériaux et techniques conventionnels. Sortir aussi des idées reçues sur notre propre confort, en exigeant aussi de la part des architectes, de sortir de leur bulle et d’explorer dans une démarche visionnaire. Finalement, c’est sortir de notre propre confort dans le rôle que nous jouons dans la société, pour penser les fondements du bien-être de demain. Pour finir, les projets présentés dans ce travail ont été choisis en fonction de leur adéquation avec une démarche qui se veut contemporaine, mais en même temps puisant ses sources dans le patrimoine par son coté enrichissant. Cependant, le chemin est encore long pour gagner le pari d’une architecture ancrée dans le passé et tournée vers l’avenir.


Bibliographie

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Thèses et Mémoires

Deprez Bernard, 1997 «La mesure d’une interaction entre le bâtiment et son environnement climatique : les Unités d’Habitation de Le Corbusier», Master spécialisé, EPFL-UCL, École polytechnique fédérale de Lausanne Raach Mandy, 2015 «La terre crue, un matériau imaginaire ?», Faculté d’Architecture La Cambre - Horta Université Libre de Bruxelles Thellier Françoise, 1989 « Thèse de doctorat. Modélisation du comportement thermique de l’homme et de son habitat ». Université de Toulouse Hbibi Rida, 2009 «Concevoir et bâtir durable», Ecole Nationale d’Architecture, Rabat Shama Atif, 2011 «Typologie de logements marocains, Modèles d’habitats entre persistance et mutations», ENAC, Lausanne Sources internet Jonville E. et Fradin J. , 2009 « Bien utiliser son cerveau pour vivre sans stress » (Cerveau & Psycho no 34)


http://tecno.sostenibilidad.org aivc.org http://www.worldclim.org http://www.infoclimat.fr/observations-meteo/archives/1er/ janvier/2017/marrakech/60230.html www.energieplus-lesite.be Casa MĂŠmoire www.masen.ma www.calearth.org http://www.barroncrawford.com/jodour-music-school/



Bien-ĂŞtre Climat

Bioclimatique

Solaire passif

Individus

In-situ Terre

Échelle humaine


BENCHEMSI Aïda Promoteur: DEPREZ Bernard Faculté d’Architecture La Cambre - Horta Université Libre de Bruxelles Mémoire de fin d’études en vue de L’obtention du diplôme de Master en architecture Année académique 2016-2017


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