Le Groenland de Tiina Itkonen

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Tiina Itkonen

Groenland

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Cet ouvrage accompagne l’exposition

Le Groenland de Tiina Itkonen présentée aux Pêcheries, musée de Fécamp, du 7 octobre 2023 au 8 janvier 2024 dans le cadre de la 2e édition du parcours photographique en Normandie proposé par l’association Lumières Nordiques. Photographies Tiina Itkonen Commissariat de l’exposition Chantal Bauret et Gabriel Bauret, association Lumières Nordiques Coordination Margaux Oliveau, Nadège Sébille Design graphique et cartographie Benoît Eliot / Octopus Muséographie, régie des œuvres Christophe Drouet, Céline Magnan, Quentin Panel et les services techniques municipaux de la Ville de Fécamp Communication Benjamin Loesel, Clément Simon et le service communication de la Ville de Fécamp Finances, administration Nadège Sourdon Traduction Tim Hinam

Ambassade de Finlande Paris

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Tiina Itkonen

Groenland

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« Trois mots sont devant eux, comme des pancartes accrochées sur l’espérance : banc Fiskaerness, banc Fyllas, Petit et Grand Hellefiske »1 : en quelques mots Anita Conti exprimait dans Râcleurs d’océans toute l’importance que les eaux groenlandaises ont eue dans l’histoire de la pêche morutière fécampoise, et ce pendant près de cinquante ans. Lieu de mémoire du passé maritime, c’est au regard contemporain de Tiina Itkonen que le musée de Fécamp ouvre ici ses portes. Dernière étape du parcours photographique initié par l’association Lumières Nordiques sur le territoire normand, l’exposition « Le Groenland de Tiina Itkonen » présente pour la première fois dans un musée français des œuvres que l’artiste a réalisées au cours de ces vingt dernières années. Formée à l’École d’Art et de Communication de Turku ainsi qu’à l’École d’Art, de design et d’architecture d’Aalto, la photographe finlandaise effectue des séjours au Groenland depuis 1995. Elle a progressivement acquis une grande familiarité avec le Groenland et plus précisément la région nord-ouest de ce territoire, qui l’attire tout particulièrement. Dans des conditions météorologiques rigoureuses, elle capte la lumière et les formes de la glace, les villages dispersés et leurs habitants. Fascinée par les paysages qu’elle y observe, elle en tire des œuvres qui témoignent de son engagement, d’une grande force esthétique et qui s’offrent à notre contemplation. Mais s’il en émane un sentiment de sérénité, cette sélection nous incite à prêter attention à la tension qui la sous-tend, celle de changements climatiques en train de transformer les environnements et les modes de vie. Au regard de ces préoccupations qui nous concernent tous, la rencontre entre la photographie de Tiina Itkonen et notre musée avait la force d’une évidence. Je vous invite à la découvrir.

« Three words stand before them as signs hung on hope: Fiskaerness Bank, Fyllas Bank, Petit and Grand Hellefiske »1: in a few words, Anita Conti expressed in Râcleurs d’océans the importance of Greenlandic waters in the history of Fécamp cod fishing over nearly fifty years. As a memorial to our maritime past, the Musée de Fécamp opens its doors to Tiina Itkonen’s contemporary perspective. The final instalment of the photographic programme organised by the Lumières Nordiques association in Normandy, the «Greenland by Tiina Itkonen» exhibition is the first time that works by the artist over the last twenty years have been shown in a French museum. Educated at the Turku School of Art and Communication and the Aalto School of Art, Design and Architecture, this Finnish photographer has been visiting Greenland since 1995. She has grown very familiar with Greenland, in particular the Northwestern part of the region, which she finds particularly fascinating. Under harsh weather conditions, she captures the light and forms of the ice, the scattered villages, and their inhabitants. Her fascination with the landscapes she encounters there has resulted in a body of work that is a testament to her dedication, with a strong aesthetic impact readily open to contemplation. But although this selection emanates a feeling of serenity, it also prompts us to pay attention to an underlying tension: that of climate change, which is transforming our environment and ways of life. In light of these concerns, which affect us all, associating Tiina Itkonen’s photography with our museum was an easy decision. I encourage you to explore her work. David Roussel Mayor of Fécamp

David Roussel Maire de Fécamp

1 Anita Conti, Râcleurs d’océans, Petite bibliothèque Payot, Barcelone, 2017, p. 156.

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TIINA ITKONEN

TIINA ITKONEN

ENTRETIEN AVEC GABRIEL BAURET

IN CONVERSATION WITH GABRIEL BAURET

Quand vous êtes allée pour la première fois au Groenland, s’agissait-il déjà d’un projet photographique, ou d’un simple voyage pour découvrir un pays qui vous attirait ? On n’entreprend pas une telle expédition par hasard.

When you first went to Greenland, was it already a photographic project, or was it simply a trip to discover a country that attracted you? Naturally, you don’t undertake such an expedition by chance.

Depuis le début des années 1990, je suis à la recherche de mon « Ultima Thulé »1, un lieu dans le Grand Nord qui m’appartienne. L’histoire de la « Mère de la Mer »2 m’a enchantée et en 1995, elle m’a incitée à partir pour le Groenland, lieu d’origine de ce récit. J’étudiais la photographie à l’époque et j’ai décidé d’y consacrer mon travail de fin d’études. Mon voyage a duré six semaines et je me suis rendue dans l’un des endroits les plus reculés du Groenland. Avant de l’entreprendre, j’avais envoyé un fax à Siorapaluk, le village le plus au nord du Groenland, pour prévenir de mon arrivée et chercher un endroit où loger, mais il est resté sans réponse.

Since the beginning of the 1990s, I have been searching for my own ‘Ultima Thule’1, my place in the far north. I was enchanted by the story of the Mother of the Sea2 and in 1995 it inspired me to set off for Greenland, the place where the story originated. I studied photography at that time and decided to photograph my final work there. My journey lasted six weeks and I travelled to one of the most remote places in Greenland. Before the trip, I sent a fax to Siorapaluk, the northernmost village in Greenland, to say that I was coming and looking for a place to stay, but did not receive a reply.

Il n’y a pas de route au Groenland entre les différents villages. Pour atteindre Siorapaluk, il a fallu plusieurs jours. J’ai pris plusieurs avions, un hélicoptère et, pour les derniers tronçons, un voilier. Je suis arrivée à Siorapaluk avec mon énorme sac mais je ne savais pas où me poser. Après m’être renseignée, on m’a dit que je pouvais vivre dans la maison de Pilutaq jusqu’à ce que celui-ci revienne de la chasse. Le soir, j’ai placé une chaise contre la porte d’entrée afin de me réveiller si jamais Pilutaq rentrait en pleine nuit. Quelle surprise cela aurait été pour lui de trouver une occidentale « qallunaaq » dormant sur son matelas ! De Siorapaluk à Qaanaaq, le village suivant, j’ai voyagé à bord d’un petit bateau à moteur appartenant à un chasseur. Il a été heurté par un iceberg, mais heureusement, sans gravité. La nuit suivante, je suis partie pour Qeqertat, une petite île de vingt habitants, à bord d’un énorme pétrolier. Nukappiannguaq, qui est à la fois chasseur, prêtre et commerçant, m’a invité à rester chez lui.

There are no roads in Greenland between the settlements. The journey to Siorapaluk took many days. I travelled by several planes, a helicopter, and the last stretches on a sailboat. I arrived in Siorapaluk with my huge bag and not knowing where to stay. After asking around, I was told I could stay in Pilutaq’s house until Pilutaq got home from a hunting trip. At night, I propped a chair against the front door so that I would wake up if Pilutaq came home in the middle of the night. It would be a big surprise to find a “qallunaaq“ Westerner sleeping on his mattress ! From Siorapaluk to the next settlement, Qaanaaq, I travelled by a hunter´s small motor boat and was hit by an iceberg. Luckily the boat remained intact. The next night I travelled to Qeqertat, a small island with twenty inhabitants, on a huge oil tanker. Nukappiannguaq, who is a hunter, priest and shopkeeper, invited me to stay at his home.

1 En référence à l’île mythologique de Thulé et à l’ouvrage de Jean Malaurie. 2 La Mère de la Mer est l’un des mythes groenlandais les plus connus. Lorsque les gens ne respectent pas la nature et les animaux, la Mère de la Mer se met en colère et survient une tempête. Ses cheveux s’emmêlent avec les animaux marins. Il n’y a plus rien à pêcher. Afin d’apaiser la Mère de la Mer et s’assurer qu’elle offrira les animaux inuits en nourriture, le chaman doit voler au fond de la mer pour démêler les cheveux de la Mère et libérer tous les animaux.

1 In reference to the mythological island of Thule and the work of Jean Malaurie. 2 When people do not respect Nature and creatures, the Mother of the Sea gets angry and a storm arises. Her hair gets entangled with the sea creatures. There is nothing for people to catch anymore. To appease the Mother of the Sea and to make sure she will offer the Inuit animals for food, the shaman must fly to the bottom of the sea to comb the tangles out of the Mother’s hair and free all the creatures of the sea.

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Pour quelles raisons vous êtes-vous intéressée à ce territoire ? Le paysage, le climat, la population, des conditions de vie particulières ?

Why were you interested in this region? The landscape, climate, population and particular living conditions?

Je suis tombée amoureuse du Groenland dès ma première visite. C’est incroyablement beau. La nature est spectaculaire, avec d’énormes icebergs de la taille d’un bloc d’immeuble et des glaciers qui se détachent de la calotte glaciaire. Lorsque l’on se déplace en traîneau à chiens sur la banquise du Grand Nord, il est plus fréquent de voir des phoques, des baleines et des ours polaires que des êtres humains. Ce mode de vie unique me fascine. Les Inughuit du nord-ouest du Groenland ont conservé, dans la mesure du possible, leur mode de vie ancestral, utilisant des kayaks et des harpons pour chasser le narval et se déplaçant en traîneau à chiens en hiver. Dans les petites communautés, la chasse au phoque, au morse et à d’autres animaux arctiques fait toujours partie de la vie quotidienne et constitue la principale source de nourriture pour de nombreuses familles. Le nord-ouest du Groenland ne compte que 800 habitants, appelés Inughuit. Il s’agit du peuple autochtone le plus septentrional du monde.

I fell in love with Greenland on my first visit. It is unbelievably beautiful there. The spectacular wilderness with huge icebergs the size of appartment blocks and glaciers coming down from the ice sheet. When travelling by dog sled on the sea ice of the Far North it is more common for you to see seals, whales and polar bears than people. The unique way of life fascinates me. the Inughuit of North West Greenland have maintained as much as possible their ancient way of life, using kayaks and harpoons to hunt narwhals and travelling by dog sledge in winter. In small communities, hunting seals, walrus and other Arctic animals is still a part of everyday life and a main source of food for many families. Only 800 people are living in North West Greenland and they are called the Inughuit. They are the northernmost indigenous people in the world.

Avez-vous suivi une formation autre que photographique : géographe, anthropologue, et qui aurait orienté votre travail photographique vers certains sujets ? J’ai d’abord étudié la photographie à l’école de communication de Turku (Académie des arts) de 1992 à 1995, puis j’ai suivi un master à l’université d’Aalto de 1997 à 2002. Jorma Puranen a été votre professeur à l’université Alvar Aalto d’Helsinki. Quels enseignements en avez-vous tirés ? Je suis une grande admiratrice du travail de Jorma Puranen. Au début des années quatre-vingt-dix, lorsque j’étudiais à l’école de communication de Turku, j’ai découvert ses travaux sur le peuple des Samis. À ce moment-là, j’avais très envie de voyager dans le Nord et en 1995, j’ai finalement décidé de me rendre au Groenland. Lorsque j’ai commencé à étudier la photographie à l’université d’Aalto en 1997, j’ai eu le plaisir de rencontrer Jorma qui y enseignait. Quelles ont été vos références dans le domaine de la photographie ? Certains photographes vous ont-ils particulièrement influencé ? Je suis inspirée par de nombreux photographes et artistes qui travaillent dans les régions polaires, comme Evgenia Arbugaeva, Acacia Johnson, Ragnar Axelsson, Olaf Otto Becker et Henrik Saxgren, entre autres. Aujourd’hui, on connaît de vous essentiellement vos photographies sur le Groenland. Mais avez-vous travaillé sur d’autres sujets ou d’autres territoires ? Outre le Groenland, j’ai travaillé en Alaska : en 2015, j’ai été invité par le musée d’Anchorage pour photographier les ours polaires à Kaktovik, dans le nord du pays. Au début de l’année 2023, j’ai été sélectionnée dans le cadre de la campagne « Women of the Poles » par Le Cercle Polaire pour photographier l’Antarctique.

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Did you have a background other than photography: geographer, or anthropologist, and which would have oriented your photographic work towards certain subjects? I studied photography first at the Turku School of Communication (Arts Academy) in 1992-1995 and then did my MA at Aalto University in 1997-2002. Jorma Puranen was your teacher at Alvar Aalto University in Helsinki. What did you learn from him? I have always been a great fan of Jorma Puranen´s work. While studying at the Turku School of Communication in the early 90s I saw Jorma’s work on the Saami people. At that time I had a strong desire to travel to the North and finally decided to travel to Greenland in 1995. When I started to study photography at Aalto University in 1997, I was happy to meet Jorma as he was working as a professor there. What have been your references in the field of photography; have any photographers particularly influenced you? I am inspired by many photographers and artists who work in Polar regions such as Evgenia Arbugaeva, Acacia Johnson, Ragnar Axelsson, Olaf Otto Becker, and Henrik Saxgren, among others. Today, we know you mainly for your photographs of Greenland. But have you worked on other subjects or other regions? Besides Greenland I have worked in Alaska: in 2015 I was invited by the Anchorage Museum to photograph polar bears in Kaktovik, in the north of the country. At the beginning of 2023, I was selected for the Women of the Poles campaign by Le Cercle Polaire to photograph in Antarctica. Jean Malaurie prefaced your book «Inughuit». Under what circumstances did you meet him? Did you know his work and the role he played in the understanding of this population in Thule before?


I met Jean Malaurie for the first time in 2004 at his home in Paris. I had read his book Last Kings of Thule and was impressed by how he had lived with the Inughuit in Thule. The second time I met Malaurie was when travelling with my husband and a half-year-old baby on an island called Uummannaq, West Greenland, in 2009. He was appointed Honorary President of the Uummannaq Polar Institute. Malaurie, Prince Albert of Monaco and my family were guests at Uummannaq Children’s Home. Did his work guide you towards certain subjects, or did it inspire you to take a certain approach, especially in dealing with the population? When I was planning my first trip to Greenland, Pentti Kronqvist, the director of Nanoq Arctic Museum in Kokkola Finland, suggested I travel to Thule, North West Greenland. Jean Malaurie´s book among other books on Greenland helped me to understand the way of life in Thule. Is the photographic work you undertake always preceded by readings, research into documents, and meetings with specialists in the region? Have you ever gone off just like that?

Tiina Itkonen, autoportrait / selfportrait, Siorapaluk, 1995.

Jean Malaurie a préfacé votre livre « Inughuit ». Dans quelles circonstances l’avezvous rencontré ? Connaissiez-vous auparavant son œuvre et le rôle qu’il a joué dans la connaissance de cette population à Thulé ? J’ai rencontré Jean Malaurie pour la première fois en 2004 chez lui à Paris. J’avais lu son livre « Les derniers rois de Thulé » et j’avais été impressionnée par la façon dont il avait vécu avec les Inuits à Thulé. Je l’ai rencontré une seconde fois lors d’un voyage avec mon mari et un bébé d’un an et demi sur une île appelée Uummannaq, à l’ouest du Groenland, en 2009. Il a été nommé président honoraire de l’Institut polaire d’Uummannaq. Jean Malaurie, le Prince Albert de Monaco et ma famille étaient les invités d’un foyer pour enfants à Uummannaq.

It is always a kind of adventure to travel to Greenland. I have encountered polar bears on sea ice, travelled by dog sledge on thin ice and by motor boat during a gathering storm…often the challenges involve weather. I regularly follow scientific research and papers on polar regions and meet specialists if possible when working on a certain project. Have you been involved in any scientific missions? My ongoing project on Inuit hunters and climate change has been a collaboration with polar scientist Kristin Laidre. We have worked hand-in-hand with hunters and Inuit communities, respecting their cultural values and traditional ecological knowledge. I would be happy to work more with scientists on polar regions. You have worked too with scientists such as Eva Jansson, who collaborated on your book «Inughuit». Or Jean-Michel Huctin, who wrote a text in your book «Avannaa». How did you work with them?

Lorsque j’ai préparé mon premier voyage au Groenland, Pentti Kronqvist, le directeur du musée arctique Nanoq à Kokkola, en Finlande, m’a suggéré de me rendre à Thulé, dans le nord-ouest du Groenland. Le livre de Jean Malaurie, parmi d’autres ouvrages sur le Groenland, m’a aidé à comprendre le mode de vie à Thulé.

Eva Jansson was my companion twice when travelling in Greenland twenty years ago. We stayed in the Thule region and visited the most remote settlements of North West Greenland. It was easier to get to know people as she spoke good Greenlandic. Later I learnt enough Greenlandic to be able to stay in the small settlements on my own. I visited Uummannaq for the first time in 2005 and fell in love with this beautiful island. I was happy to meet Jean Michel Huctin many times in Uuummannaq. He lived there and worked in Uummannaq Children’s Home

Est-ce que le travail photographique que vous entreprenez est toujours précédé de lectures, de recherche de documents, de rencontres avec des spécialistes de la région ? Vous est-il arrivé de partir à l’aventure ?

From a technical point of view, what type of camera equipment do you carry? What format, what lens(es)? Do you work with film: on what type of film? Have you experimented with digital?

Son œuvre vous a-t-elle guidée vers certains sujets, ou bien vous a-t-elle inspiré une certaine démarche, notamment dans les rapports avec la population ?

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Cela représente toujours une aventure de se rendre au Groenland. J’ai rencontré des ours polaires sur la banquise, j’ai voyagé en traîneau à chiens sur une fine couche de glace et en bateau à moteur au moment où s’annonçait une tempête… les défis sont souvent liés aux conditions météorologiques. Mais je me nourris régulièrement de recherches et de lectures scientifiques sur les régions polaires et j’essaye de rencontrer des spécialistes dès lors que je travaille sur un projet. Avez-vous été engagée dans des missions à caractère scientifiques ? Mon projet en cours sur les chasseurs inuits et le changement climatique est le fruit d’une collaboration avec une scientifique polaire, Kristin Laidre. Nous avons travaillé main dans la main avec les chasseurs et les communautés inuites, en respectant leurs valeurs culturelles et leurs connaissances écologiques traditionnelles. Je serais ravie de travailler davantage avec des scientifiques sur les régions polaires. Vous vous êtes rapprochée aussi de scientifiques comme Eva Jansson qui a collaboré à votre livre « Inughuit ». Ou encore de Jean-Michel Huctin qui a signé un texte dans votre livre « Avannaa ». Comment s’est opérée votre collaboration avec eux ? Eva Jansson m’a accompagné à deux reprises lors d’un voyage au Groenland il y a vingt ans. Nous avons séjourné dans la région de Thulé et visité les villages les plus reculés du nord-ouest du Groenland. Il était plus facile de faire connaissance avec les gens parce qu’elle parlait bien le groenlandais. Plus tard, j’ai appris quelques rudiments de cette langue pour pouvoir séjourner seule dans les petites localités. J’ai visité Uummannaq pour la première fois en 2005 et je suis tombée amoureuse de cette île magnifique. J’ai eu le plaisir de rencontrer Jean Michel Huctin à plusieurs reprises à Uuummannaq. Il y vivait et travaillait pour un foyer destiné aux enfants. D’un point de vue technique, quel type de matériel de prise de vue emportez-vous ? Quel format, quel(s) optique(s) ? Avez-vous travaillé en argentique ? Êtes-vous passée au numérique ? J’ai utilisé de nombreux appareils au cours de ces vingt-huit années de voyage au Groenland. Lorsque j’ai commencé à étudier la photographie au début des années 1990, l’école m’a fourni un Nikon FM2 manuel. Mais peu après, j’ai acheté un Hasselblad que j’ai utilisé pour faire des portraits en argentique. Pour les paysages, j’ai utilisé l’appareil panoramique Fuji GX617. Grâce à ce format, j’ai pu cadrer de larges horizons en une seule image. Aujourd’hui, j’utilise un appareil numérique Nikon Z7 avec lequel je réalise des vues panoramiques. Les conditions atmosphériques et climatiques n’imposent-elles pas certains matériels et certaines précautions ? En général, mes appareils fonctionnent lorsqu’ils sont soumis à de basses températures, mais j’ai toujours les mains et les pieds gelés, en particulier lors des longs trajets en traîneau à chiens.

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I have used many different cameras during 28 years of travelling in Greenland. When I started to study photography in the early ‘90s, I got a manual Nikon FM2 from the school. But soon after, I bought an analogue Hasselblad which I used for the portraits. For panoramic landscapes, I used a panoramic camera, a Fuji GX617. With the panoramic format, I was able to frame a wide landscape into a single image. Nowadays I use a digital Nikon Z7 camera and produce panoramas digitally. Don’t atmospheric and climatic conditions require certain equipment and precautions? My cameras usually work in cold conditions, but my hands and feet are always freezing, especially on long dog sledge trips. Have you changed your equipment and working methods since your first trip in 1995? Nowadays when using a digital camera I look through the files after shooting. Earlier when using analogue cameras I developed the films when back at home. It was always an exciting moment to see the developed films for the first time. In terms of methodology, what’s your procedure when operating in the region? Does each trip involve exploring new areas? or some aspects that you haven’t previously covered? I like to return to the same places and the same people. The families I got to know in the 90s are still living there. The children are grown-ups and have their own families now. I make short photographic expeditions in the surroundings of the settlements and observe the same scenery in a different light. Becoming familiar with the scenery requires attention and calm. I gradually detect the subtle changes. Floating icebergs change the landscape. What I see today will no longer exist tomorrow. Which regions of Greenland have you explored in particular? Do you plans to explore others? Greenland is the world’s largest island, about 2500 kilometres from South to North. An ice sheet covers most of the island’s surface. Only parts of its coastal fringe are inhabited by humans. No roads link the settlements. Travel between them relies on planes and helicopters, and shorter distances also by boats and dog sledges. I have mostly explored along the west coast of Greenland, 1500 km from Ilulissat up north Siorapaluk. But I have also travelled the East Coast and in the capital Nuuk. Thule in North West Greenland and Uummannaq on the West coast are my favourite places, I always return there. Your work in Greenland seems to develop around several axes: the landscape with an emphasis on icebergs -, the urban environment, habitat, society and hunting practices. Is it possible to describe your approach to these aspects? I have had three long-term projects: the Inughuit, Avannaa and Piniartoq.


Avez-vous changé de matériel et de méthode de travail depuis votre premier voyage en 1995 ? Aujourd’hui, lorsque j’utilise un appareil numérique, je consulte les fichiers après la prise de vue. Auparavant, avec les appareils analogiques, je développais les films une fois de retour à la maison. Et c’était toujours un moment très excitant de découvrir les images. Du point de vue méthodologique, comment procédez-vous pour opérer sur le territoire ? S’agit-il à chaque voyage d’explorer de nouvelles zones ou certains aspects que vous n’auriez pas traités antérieurement ? J’aime revenir aux mêmes endroits et retrouver les mêmes personnes. Les familles que j’ai connues dans les années 1990 y vivent toujours. Les enfants ont grandi et ont maintenant leur propre famille. Je fais de courtes expéditions photographiques dans les environs des villages et j’observe le même paysage sous un angle différent. Pour se familiariser avec le paysage, il faut de l’attention et du calme. Je détecte progressivement les subtils changements. Les icebergs qui flottent modifient le paysage. Ce que je vois aujourd’hui n’existera plus demain. Quelles sont les régions du Groenland que vous avez plus particulièrement explorées ? Avez-vous le projet d’en explorer d’autres ? Le Groenland est la plus vaste île du monde. Elle s’étend sur environ 2 500 kilomètres du sud au nord. Une calotte glaciaire recouvre la majeure partie de sa surface. Seules quelques parties de sa bande côtière sont habitées par des humains. Aucune route ne relie les agglomérations. Les déplacements entre celles-ci se font par avion et hélicoptère, et sur de plus courtes distances, par bateau et par traîneau à chiens. J’ai principalement exploré la côte ouest du Groenland, soit 1 500 km depuis Ilulissat jusqu’au nord de Siorapaluk. Mais j’ai également parcouru la côte est et suis allée à Nuuk, la capitale. Thulé, au nord-ouest du Groenland, et Uummannaq, sur la côte ouest, sont mes endroits préférés, et je ne manque jamais d’y retourner. Votre travail sur le Groenland semble se développer autour de plusieurs axes : le paysage – avec un accent porté sur les icebergs –, l’environnement urbain, l’habitat, la société, la pratique de la chasse. Peut-on décrire votre démarche de cette manière ? J’ai mené jusqu’à aujourd’hui trois projets au Groenland, chacun sur de longues durées. « Inughuit », entre 1995 et 2004 : j’ai photographié la vie des Inughuit dans le nord-ouest du Groenland, le peuple indigène le plus septentrional du monde. Le Groenland compte environ 56 000 habitants, dont 90 % sont des Inuits. Les Inughuit constituent le groupe d’Inuits le plus septentrional. Ils sont environ 800, dont 600 vivent dans la ville de Qaanaaq, et les 200 autres dans trois villages, Qeqertat, Savissivik et Siorapaluk. « Avannaa », entre 2005 et 2012 : ce sont les paysages du Groenland

Siku #1, Uummannaq, 2006

Inughuit, 1995 - 2004: I photographed the lives of the Inughuit in North West Greenland, the northernmost indigenous people in the world. Around 56 000 people are living in Greenland of which 90% are Inuits and the Inughuit are the northernmost group of Inuits. There are ca. 800 Inughuit, 600 of whom live in the town of Qaanaaq, and the remaining 200 in three villages, Qeqertat, Savissivik and Siorapaluk. Avannaa, 2005 - 2012: I photographed Greenland’s landscapes with my panorama camera and travelled more than 1500 kilometres along the west coast of Greenland by dog sledge, fishing boat, sailboat, oil tanker, cargo ship, helicopter and small plane. Along the way, I stayed in small villages and got to know local people. Piniartoq, 2016 -: I have been documenting the traditional life of Inuit hunters and their families to understand how it is affected by climate change. The project is a collaboration between Polar scientist Dr Kristin Laidre and science writer Susan McGrath.

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que j’ai photographiés avec mon appareil panoramique et j’ai parcouru plus de 1 500 kilomètres le long de la côte ouest du Groenland en traîneau à chiens, en bateau de pêche, en voilier, en pétrolier, en cargo, en hélicoptère et en petit avion. En chemin, j’ai séjourné dans de petits villages et j’ai appris à connaître la population locale. « Piniartoq », de 2016 à aujourd’hui : j’ai documenté la vie traditionnelle des chasseurs inuits et de leurs familles pour comprendre comment elle est affectée par le changement climatique. Ce projet est le fruit d’une collaboration entre la scientifique polaire Kristin Laidre et la rédactrice scientifique Susan McGrath. Lorsque j’ai commencé à travailler au Groenland en 1995, personne ne parlait du changement climatique. Aujourd’hui, la glace du Nord est en train de fondre. Un chasseur local m’a raconté que dans les années 1990, la mer était gelée dix mois par an et que la glace de la mer pouvait atteindre deux mètres d’épaisseur. Aujourd’hui, celle-ci ne dépasse pas trente centimètres et n’est suffisamment solide pour transporter des personnes que six mois par an environ. La glace devient de plus en plus fine chaque année. Elle disparaît à un rythme d’environ 10 % par décennie. Les scientifiques prévoient que l’Arctique sera sans doute pratiquement dépourvu de glace en été dans quelques décennies. Cette disparition de la glace de la mer constitue une grave menace pour les ours polaires et les autres animaux de l’Arctique. Elle menace également le mode de vie traditionnel des Inuits. Les gens ne savent plus quand la glace de la mer se reforme ni combien de temps elle reste. La chasse sur la banquise est devenue plus dangereuse. Les chasseurs rencontrent maintenant de plus en plus d’eau. Ils ne peuvent plus chasser dans les zones où ils avaient l’habitude de le faire. Les itinéraires qu’ils empruntaient en traîneau à chiens ont disparu. Il est possible que ce mode de vie traditionnel soit perdu à jamais. Comment se sont établies les relations avec les populations que vous avez photographiées ?

When I started to work in Greenland in 1995, nobody talked about climate change. Now the frozen North is melting. A local hunter told me that in the 1990s, the sea was frozen over for ten months a year, and the sea ice could be two meters thick. Now the ice topped at thirty centimetres and is strong enough to carry people for only about six months a year. Sea ice is getting thinner and thinner each year. It is disappearing at a rate of about 10% every decade. Scientists predict The Arctic is likely to be mostly free of sea ice during summer in a few decades. This loss of sea ice poses a grave threat to polar bears and other arctic animals. It also threatens the Inuits’ traditional way of life. People no longer know when the sea ice will come or how long it will stay. Hunting out on sea ice has become more dangerous. Hunters encounter more open water now. They can no longer hunt in the areas where they used to hunt. Their dog sledge routes have disappeared. This traditional way of life may be lost forever. How did you establish relationships with the people you photographed? It was hard to get to know people on my first trip, when I did not speak any Greenlandic and the villagers did not speak English. I started learning words in Greenlandic from an English–Greenlandic dictionary. My first Greenlandic words were, «sila nuanneq» (nice weather). The more I spoke Greenlandic, the easier it was to get to know people. In my Greenland project, the most important factor has been time and getting to know the people. I like to stay longer periods in a place and get known people. When I used to stay in small communities for the first time I usually did not take any pictures in the first week at all. I can say 90% of my time is spending time with people and 10% photographing. Do you maintain links with people to find them when you return to the same regions? Have you not noticed an evolution in their situations and activities since you started working in Greenland?

Il était difficile de faire connaissance avec les gens lors de mon premier voyage, car je ne parlais pas du tout le groenlandais et les villageois ne parlaient pas l’anglais. J’ai commencé à apprendre des mots dans leur langue à l’aide d’un dictionnaire anglais-groenlandais. Les premiers mots étaient « sila nuanneq » (beau temps). Et plus je parlais la langue, plus il était facile de faire connaissance avec les gens. Dans mon projet, le facteur le plus important a été le temps et le fait d’apprendre à connaître les gens. J’aime passer du temps dans un même endroit et échanger avec eux. Lorsque j’ai séjourné pour la première fois dans de petites communautés, je ne prenais généralement aucune photo au cours de la première semaine. Je peux dire que 90 % de mon temps est consacré aux échanges avec les populations et 10 % à photographier.

In the 90s it was difficult to stay in touch with people as there was only one telephone in the settlements. Nowadays everybody has a mobile phone and uses Facebook. I can see posts of all big events such as birthdays, births, confirmations, funerals… Locals send me messages in Inuktun and ask “Naammattutin”? How are you? My dear friend, Ann Andreasen, the director of Uummannaq Children’s Home calls me sometimes and tells me all the news. I am glad to have Greenlandic friends visiting me in Finland as well. Also, the children from Uummannaq Children’s Home visited me a few years ago.

Est-ce que vous entretenez des liens avec les gens de sorte de les retrouver lorsque vous revenez dans les mêmes régions ? N’avez-vous pas constaté une évolution dans leurs situations et leurs activités depuis que vous commencé à travailler au Groenland ?

I travelled to the Antarctic by Ponant cruise ship. It was my first time there, but hopefully not last. Nature in the Antarctic is unbelievably beautiful, the wildlife comes so near. There are penguins, seals and whales everywhere, but no people live there. In the Arctic, I stay in the settlements and spend time with local people.

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You recently went to Antarctica. Was it your first trip there? Did you work on any particular subject there? We imagine that you were able to detect differences with the Arctic.


Dans les années 1990, il était difficile d’être en contact avec les gens car il n’y avait qu’un seul téléphone dans les villages. Aujourd’hui, tout le monde a un téléphone portable et utilise Facebook. Je peux voir les messages concernant les grands événements tels que les anniversaires, les naissances, les confirmations, les funérailles… Les habitants me les envoient en inuktitun et demandent « Naammattutin ? » : Comment vas-tu ? Une amie très chère, Ann Andreasen, directrice du foyer pour enfants d’Uummannaq, m’appelle parfois pour me donner des nouvelles. Et je suis heureuse d’avoir des amis groenlandais qui me rendent visite en Finlande. Les enfants de la maison d’enfants d’Uummannaq sont également venus me voir il y a quelques années.

What would be the message you want to convey through your photographic work, beyond the contemplation of the beauty of the landscape and testimony about a community?

Vous êtes partie récemment en Antarctique. Était-ce votre premier voyage là-bas ? Y avez-vous travaillé sur un sujet en particulier ? On imagine que vous avez pu y déceler des différences avec l’Arctique.

Interview, July 5th 2023

I am fascinated by this northern place, its people and their way of life. Inuit live in harmony with nature and they know how to exist in cold climates. Their relationship with the environment gives them a wide understanding of animals and nature. I hope to captivate glimpses of this Arctic beauty in my photographs and raise public awareness of the fragile polar regions.

J’ai voyagé en Antarctique à bord d’un bateau de croisière Ponant. C’était la première fois que j’y allais, mais j’espère que ce ne sera pas la dernière. La nature en Antarctique est incroyablement belle, la faune est tellement présente et proche : des pingouins, des phoques et des baleines partout, mais personne n’y vit. Alors que dans l’Arctique, je passe beaucoup de temps avec la population. Quel serait le message que vous voulez faire passer à travers votre travail photographique, au-delà de la contemplation de la beauté du paysage et d’un témoignage sur une communauté ? Je suis fascinée par cette région nordique, ses habitants et leur mode de vie. Les Inuits vivent en harmonie avec la nature et savent comment vivre dans un climat froid. Leur relation avec l’environnement leur permet de comprendre les animaux et la nature. J’espère capter dans mes photographies des aspects de cette beauté arctique et sensibiliser le public à la fragilité des régions polaires. Propos recueillis le 5 juillet 2023

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Aujourd'hui, avec la conscience du changement climatique, du rapide développement économique de l’Arctique et de l’autonomie politique croissante du Groenland, mon souhait le plus cher est que les photographies de Tiina Itkonen nous incitent à dépasser le simple état contemplatif.

Today, with the awareness of climate change and the rapid economic development of the Arctic as well as Greenland's growing political autonomy, my dearest wish is that Tiina Itkonen's photographs encourage us to go beyond a simple state of contemplation.

Jean-Michel Huctin, L’intimité du Grand Nord / The intimate far North Extrait de l’ouvrage / extract from the book « Avannaa », Tiina Itkonen, Kehrer, 2014

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DE FECAMP AU GROENLAND

FROM FECAMP TO GREENLAND

MARGAUX OLIVEAU

Le Groenland vu depuis un doris, campagne de 1932 du cargo Madeleine © Fonds Mathieu – Archives municipales de Fécamp Greenland seen from a dory, 1932 campaign by the cargo ship Madeleine © Fonds Mathieu - Archives municipales de Fécamp

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Entre les eaux froides de l’Arctique et les courants plus chauds de la dérive nord atlantique, les circulations océaniques qui entourent le Groenland jouent un rôle majeur dans les variations climatiques observées aux différentes latitudes et influencent les environnements terrestres et marins qui caractérisent cette île. À partir des années 1920, un réchauffement du courant d’Irminger, qui longe le sud-ouest du Groenland en prolongement du Gulf Stream, se traduit par un accroissement de la présence de morues de l’Atlantique (Gadus morhua) depuis les zones de frai au large de l’Islande. Cette ressource convoitée, au cœur de tout un système économique, attire alors une flotte internationale de chalutiers parmi lesquels figurent des navires fécampois. Dans le même temps, le gouvernement danois favorise le développement de pêcheries à vocation commerciale. Autour de ces bancs poissonneux se joue alors une histoire croisée qui dure jusqu’aux années 1980 et à l’effondrement du stock de morues. Si quelques navires étrangers, essentiellement britanniques et américains, pratiquent sporadiquement la pêche au large des côtes du Groenland, la Chambre de commerce danoise entreprend au début du XXe siècle des recherches pour déterminer leur potentiel. Elles sont poursuivies par des expéditions scientifiques qui indiquent une faible présence de cette espèce, suivie d’une augmentation significative de sa présence durant la décennie 19101. Perçue comme une alternative à la chasse aux phoques, la pêche à la morue est alors encouragée par le gouvernement danois dans sa colonie2. Elle est pratiquée le long des côtes à bord de petites embarcations puis les poissons sont séchés ou salés dans les villages et consommés sur place ou exportés depuis le Danemark3. De l’autre côté de l’Atlantique, le milieu français de la pêche s’inquiète de la diminution des prises observée sur les bancs de Terre-Neuve. En 1929, l’Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes missionne le commandant Lucien Beaugé4 pour étudier les zones de pêche de la côte occidentale du Groenland. Ses relevés lui permettent de cartographier les bancs de Fyllas et Fiskaerness, respectivement au nord et au sud de l’actuelle capitale Nuuk, entre 63 et 64º de latitude dans le détroit de Davis5. De son côté, La Morue française arme le Zazpiakbat, un quatre-mâts en acier équipé de deux moteurs et d’une cale frigorifique pour conserver les appâts. Il pratique la pêche aux cordes6 à l’aide de doris sur les bancs du Groenland dès 1929. Les résultats obtenus marquent le succès d’une telle entreprise, poursuivie avec le cargo Gure Herria, qui a pour particularité de disposer d’un congélateur permettant la conservation du flétan en plus de la morue salée. L’armateur Léon Poret achète quant à lui le cargo Madeleine et le fait transformer pour qu’il puisse embarquer davantage de charbon et de vivres et disposer ainsi d’une meilleure autonomie. La campagne inaugurale de 1930, de juin à septembre, est prometteuse. De celle de 1932 subsistent dans les Archives municipales de la Ville de Fécamp une série de photographies issues d’un album de famille. Ce sont autant de souvenirs des paysages de montagnes et de glace qui peuvent être vus depuis le bord. Alors qu’il est interdit aux navires de pêche de rentrer dans les eaux territoriales, et aux équipages de débarquer dans la colonie danoise, quelques clichés montrent que ceci n’empêche pas toujours les marins de faire un tour à terre.

Between the cold waters of the Arctic and the warmer currents of the North Atlantic Drift, the oceanic circulation surrounding Greenland plays a significant role in the climatic variations recorded at different latitudes and impacts the terrestrial and marine environments that characterise this island. From the 1920s onwards, a warming of the Irminger Current running the length of South-West Greenland as an extension of the Gulf Stream led to an increase in the presence of Atlantic cod (Gadus morhua) from the spawning grounds off Iceland. This coveted resource, at the centre of an entire economic system, attracted an international fleet of trawlers, including vessels from Fécamp. Meanwhile, the Danish government was encouraging the development of commercial fisheries. The intertwined history of these fish-laden banks was to last until the 1980s when cod stocks declined. Although a few foreign vessels, mainly British and American, sporadically fished off the coasts of Greenland, the Danish Chamber of Commerce began research into their potential at the beginning of the 20th century. This was followed by scientific expeditions which indicated that the species was only present in limited numbers, followed by a significant increase in its presence during the 1910s1. Seen as an alternative to seal hunting, the Danish government encouraged cod fishing in the colony2. It was conducted along the coast in small boats, then the fish were dried or salted in the villages and eaten locally or exported from Denmark3. On the other side of the Atlantic, the French fishing industry was concerned about the declining catches on the banks off Newfoundland. In 1929, the Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes commissioned Captain Lucien Beaugé4 to study the fishing grounds off the West Coast of Greenland. His survey enabled him to map the Fyllas and Fiskaerness banks, respectively to the North and South of the present-day capital Nuuk, between latitudes 63 and 64º in the Davis Strait5. For its part, La Morue française fitted out the Zazpiakbat, a steel four-masted vessel equipped with two engines and a refrigerated hold for storing bait. It started line fishing6 with dories on the Greenland banks in 1929. The results were a sign of the success of this venture, which was followed up with the cargo ship Gure Herria, which was unique in that it had a freezer to store halibut as well as salted cod. The shipowner Léon Poret bought the cargo ship Madeleine and had it converted so that it could embark more coal and supplies and thus be more self-sufficient. The inaugural fishing campaign from June to September 1930 was a promising one. The Fécamp municipal archives still hold a series of photographs from the 1932 campaign, taken from a family album. These are all souvenirs of the mountain and ice landscapes that could be seen from onboard. At the time, it was forbidden for fishing vessels to enter territorial waters and for crews to disembark in the Danish colony, but a few photos show that this did not always prevent sailors from going ashore. Cape Farvel, to the south of the island, is notorious for its storms and once past it, the ships are exposed to sometimes difficult weather conditions, drifting ice, as well as short nights and sea currents that require a certain degree of adjustment. As a new recruit aboard the last Fécamp cod fishing vessel, Léopoldine, when it sailed

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Le Cap Farvel, au sud de l’île, est réputé pour ses tempêtes et une fois franchi les navires sont exposés à des conditions atmosphériques parfois difficiles, aux glaces dérivantes mais aussi à des nuits courtes et des courants marins qui demandent des adaptations. Novice à bord du dernier voilier morutier fécampois Léopoldine lorsque celui-ci se rend au Groenland depuis Terre-Neuve en 1930, Michel Desjardins se souvient que les lignes de fond étaient raccourcies et occasionnellement remplacées par des lignes à main assorties de faux, plombs en forme de poisson terminés par des hameçons7. Les premières années d’exploitation de ces bancs coïncident avec la mise en service d’un certain nombre de chalutiers fécampois à propulsion vapeur ou diesel dans le cadre d’une modernisation de la flotte. Parmi eux figure d’ailleurs un navire nommé Groenland, armé par La Morue française. Malgré des pertes initiales en matériel du fait d’une mauvaise connaissance des fonds, ils s’y rendent régulièrement pendant toute la décennie, en alternance avec les bancs de Terre-Neuve, d’Islande, de la mer Blanche et de l’île aux Ours. Des milliers de tonnes de morue sont ainsi débarquées dans les ports de La Rochelle, Bordeaux, Port de Bouc et Fécamp. Après la Seconde-Guerre mondiale, l’exploitation du deuxième plus grand stock de morues de l’Atlantique nord se poursuit8. Dans Râcleurs d’océans, qui chronique son embarquement en 1952 à bord du chalutier Bois-Rosé de l’armement Les Pêcheries de Fécamp, Anita Conti s’émerveille de rejoindre les bancs de pêche : « Groenland… Groenland… […] Tant pis pour le radar, tant pis pour les glaces ! On les verra […] les morues du Grand Hellefiske ! Et les Italiens, les Danois, les Portugais et les autres ! »9. Dans la brume, entre les icebergs et les blocs de glace qui dérivent, « chaque capitaine fait « ses cartes », couvertes d’observations, semées d’incertitudes »10 et le navire entier est absorbé par la recherche du poisson. Contemporaines de ces descriptions, des photographies prises sur le vif à bord d’un chalutier par Léonce Bennay11 montrent les reliefs découpés des côtes groenlandaises, qui sont désormais installés parmi les horizons de la Grande Pêche. Au Groenland, les programmes d’industrialisation des années 1950 et 1960 se traduisent par la constitution d’une flotte de petits chalutiers associés à des usines de congélation pour traiter la morue et la crevette nordique tandis que certaines localités maintiennent une activité de salaison et de sécherie. Leur succèdent des chalutiers usines qui conditionnent les prises à bord, une stratégie qui est poursuivie par le gouvernement autonome (Home rule de 1979) mais conduit à un déséquilibre entre les capacités de pêche et les ressources disponibles12. La pression de plus en plus forte exercée par des chalutiers de plus en plus grands, de plus en plus performants, qui battent leurs records de prises, contribue à un progressif épuisement du stock, comme dans les autres zones de pêche de l’Atlantique nord. La mise en place des Zones Économiques Exclusives, qui restreignent l’accès aux navires étrangers, ainsi que de systèmes de quotas, marquent progressivement la fin de la pêche morutière au départ de Fécamp. Quelques chalutiers congélateurs à pêche arrière sont parmi les derniers à fréquenter les bancs de pêche groenlandais. Parmi eux figure le Névé, construit en 1967 pour la Société Navale Caennaise puis transféré en 1972 à la Société Havraise

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to Greenland from Newfoundland in 1930, Michel Desjardins remembers that the long lines were shortened and occasionally replaced by hand lines with fish-shaped sinkers ending in hooks7. The first years of operating these banks coincided with the commissioning of several steam and diesel-powered trawlers from Fécamp as part of the modernisation of the fleet. These included a vessel called Groenland, fitted out by La Morue française. Despite initial losses in equipment due to poor knowledge of the seabed, they went there regularly throughout the decade, alternating with the banks of Newfoundland, Iceland, the White Sea and Bear Island. Thousands of tonnes of cod were landed in the ports of La Rochelle, Bordeaux, Port de Bouc and Fécamp. After the Second World War, the fishing of the second-largest cod stocks in the North Atlantic continued8. In Râcleurs d’océans, which chronicles her voyage in 1952 aboard the trawler Bois-Rosé belonging to Les Pêcheries de Fécamp, Anita Conti marvels at the prospect of joining the fishing banks: " Greenland... Greenland... [..] Never mind the radar, never mind the ice ! We’ll see them [...] the cod from the Great Hellefiske ! And the Italians, the Danes, the Portuguese and the others ! "9. In the fog, between the drifting icebergs and blocks of ice, " each captain made ‘his charts’, full of observations and uncertainties "10 and the whole ship was absorbed in the search for fish. Contemporary with these descriptions, photographs taken on board a trawler by Léonce Bennay11 show the jagged relief of Greenland’s coastline, which has now become one of the great fishing horizons. In Greenland, the industrialisation programme of the 1950s and 1960s led to the creation of a fleet of small trawlers combined with freezing plants to process cod and prawns, while some communities continued to salt and dry fish. These were followed by factory trawlers that processed the catches on board, a strategy that was pursued by the autonomous government (Home rule of 1979) but led to an imbalance between fishing capacity and available resources12. The ever-increasing pressure exerted by ever-larger, ever-more efficient trawlers, which are beating their catch records, is contributing to a gradual depletion of the stocks, as in the other fishing zones of the North Atlantic. The introduction of Exclusive Economic Zones, which restrict foreign vessels, and quota systems are gradually marking the end of cod fishing from Fécamp. A few stern fishing freezer trawlers were among the last to ply the Greenland fisheries. These included the Névé, built in 1967 for Société Navale Caennaise and then transferred in 1972 to Société Havraise de Pêche (a subsidiary of Société Navale Caennaise). After her last campaign in Greenland in July 1983, she was bought by the French Navy. Renamed Albatros, she was converted into a patrol vessel for the French Southern and Antarctic Territories13. The social, environmental and economic history of fishing in Greenland is much less well-documented in the collections of the Musée de Fécamp than fishing in Newfoundland, but it invites us to reverse the perspective and consider the issues facing this territory today.


Le Groenland vu depuis un chalutier morutier, début des années 1950 © Léonce Bennay, collection Pascal Servain Greenland seen from a cod trawler, early 1950s © Léonce Bennay, Pascal Servain collection

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de Pêche (filiale de la précédente). Après sa dernière campagne au Groenland en juillet 1983, il est racheté par la Marine Nationale. Rebaptisé Albatros, il est converti en patrouilleur pour les Terres Australes et Antarctiques Françaises13. Bien moins documentée dans les collections du musée de Fécamp que la pêche à Terre-Neuve, cette histoire sociale, environnementale et économique de la pêche au Groenland invite à inverser la perspective et à s’interroger aujourd’hui sur les enjeux auxquels fait face ce territoire. Depuis plus de vingt ans, le terrain d’observation de Tiina Itkonen s’échelonne le long de la côte nord-ouest, jusqu’aux villes les plus septentrionales où vivent les Inughuit14. Ses photographies de paysages, villages côtiers, icebergs et fjords glacés sont autant d’instantanés interrogeant l’interdépendance entre les communautés littorales avec lesquelles elle a tissé des liens et un environnement polaire en profonde transformation. Car le Groenland illustre à une échelle régionale et dans un système d’interactions complexes les effets des changements climatiques en cours. Ceux-ci affectent tout particulièrement l’étendue et l’épaisseur de la banquise, dont le retrait est bien documenté depuis la fin des années 1970 et dont la fonte totale à la fin de l’été n’est déjà plus qu’une question d’années15. Or la banquise et les différentes espèces qui y sont associées sont au cœur d’activités de subsistance qui restent essentielles pour les communautés groenlandaises. C’est notamment le cas au Nord, où ceci transforme le mode de vie des chasseurs et pêcheurs mais limite également les possibilités de déplacement à certaines périodes de l’année. Dans le fjord d’Inglefield, où se situe la ville de Qanaaq, la chasse aux mammifères marins est une pratique qui risque d’être de plus en plus compromise et le retrait de la glace pousse certains à l’abandonner au profit de la pêche16.

For over twenty years, Tiina Itkonen’s observations have ranged along the northwest coast to the northernmost towns where the Inughuit live14. Her photographs of landscapes, coastal villages, icebergs and frozen fjords are snapshots that explore the interdependence between the coastal communities with which she has forged links and a polar environment undergoing a profound transformation. In fact, Greenland illustrates the effects of ongoing climate change on a regional scale and within a system of complex interactions. These changes are particularly affecting the extent and thickness of the pack ice, whose shrinkage has been well documented since the late 1970s and whose total melting at the end of summer is now only a matter of years away15. However, the pack ice and the various species associated with it are at the heart of subsistence activities that remain essential for Greenlandic communities. This is particularly the case in the north, where the lives of hunters and fishermen are transformed, which also restricts travel at certain times of the year on the pack ice. In the Inglefield fjord, where the town of Qanaaq is located, hunting marine mammals is a practice that is in increasing danger of being compromised, and the retreat of the ice is leading some to abandon it in favour of fishing16. In such a context, the question of adaptation takes on a particular meaning, which runs through Tiina Itkonen’s works, portraits and landscapes alike. Living at these latitudes is already a question of making daily adjustments to the weather, with ongoing socio-economic transformations in the background.

Dans un tel contexte, la question de l’adaptation prend un sens tout particulier, qui traverse les œuvres de Tiina Itkonen, portraits et paysages confondus. Car l’existence à ces latitudes est déjà une question d’ajustements quotidiens avec les conditions météorologiques, auxquels s’ajoutent en arrière-fond les transformations socio-économiques en cours.

1 Ad. S Jensen et Paul Hansen, « Investigations on the greenland cod (Gadus callarias L) with an introduction on the history of the Greenland cod fisheries », Rapports et procès-verbaux des réunions, n° 72, 1931, pp. 3-41. 2 Le Groenland est intégré au Danemark par la révision de la Constitution du 5 juin 1953. 3 William G. Mattox, Fishing in west Greenland 1910-1966 The development of a new native industry, Meddelelser om Grønland udgivne af kommissionen fo videnskabelige undersøgelser i grønland. Bd. 197 Nr 1, København C. A Reitzels Forlag, 1973. 4 Officier de la Marine Nationale, il étudie les bancs de Terre-Neuve pour l’Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes puis commande au début des années 1930 le navire

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hydrographique Président Théodore Tissier. 5 Edouard Le Danois, « Rapport sur le fonctionnement de l’Office des Pêches Maritimes pendant l’année 1929 », Revue des travaux de l’Office Maritime des Pêches, n° 9, mars 1930. Carte de pêche du Groenland dressée par le Commandant L. Beaugé avec le concours du Commandant Guyader, du navire de la Société des Œuvres de mer, Ateliers ed Blondel La Rougery, Paris, 1929, consultable en ligne: https://gallica.bnf. fr/ark:/12148/btv1b530666046. 6 Les lignes de fond munies d’hameçons sont mises à l’eau puis remontées à l’aide de doris, petites embarcations à fond plat. 7 Michel Desjardins, Léopoldine souvenirs du mousse, Association Fécamp Terre-Neuve, Fécamp, 1998.

8 Jonathan A. D Fisher et Dominique Robert, « Les poissons du Groenland ». Dans Valérie Masson-Delmotte, Émilie Gauthier, David Grémillet, Jean-Michel Huctin, Didier Swingedouw (sous la dir.) Groenland. Climat, écologie, société, CNRS Éditions, Paris, 2016. 9 Anita Conti, Râcleurs d’océans, Petite bibliothèque Payot, Barcelone, 2017, p. 141. 10 Idem, p. 143. 11 Mécano à bord du navire, il s’agit soit de Bois-Rosé soit de Cap-Fagnet. 12 Rasmus Ole Rasmussen, « The development of fisheries in Greenland, with focus on Paamiut/ Frederikshåb and Sisimiut/Holsteinborg », Roskilde: North Atlantic Regional Studies (NORS) University of New Hampshire Scholars’Repository, 2001.

13 « Du Névé de Terre-Neuve à l’Albatros des Terres australes », Cols bleus, n° 1763, 23 juillet 1983. 14 Groupe Inuit le plus septentrional, vivant dans le nord du Groenland, qui a subi un déplacement de population lors de la création de la base étatsunienne de Thulé dans les années 1950. 15 Yeon-Hee Kim, Seung-Ki Min, Nathan P. Gillett, Dirk Notz & Elizaveta Malinina, « Observationallyconstrained projections of an ice-free Arctic even under a low emission scenario », Nature Communications, n° 3139, 6 juin 2023. 16 Fiammetta Straneo et alii, « An interdisciplinary perspective on Greenland’s changing coastal margins », Oceanography, Vol. 35, No.3/4, 2022, pp. 106-117.


Bibliographie / Bibliography Étienne Bernet, La grande pêche morutière. L’aventure des voiliers terre-neuviers fécampois (1815-1931), Editions l’Écho des vagues, Nolléval, 2014. Anita Conti, Râcleurs d’océans, Petite bibliothèque Payot, Barcelone, 2017. Jack Daussy, Les chalutiers morutiers fécampois. 57 chalutiers mis en service de 1905 à 1939 de leur construction à leur disparition, Impression L.Durand & Fils, Fécamp, 1991. Jack Daussy, Les chalutiers morutiers fécampois. 57 chalutiers mis en service de 1946 à 1971 de leur construction à leur disparition, Durand Imprimeurs, Fécamp, 2013, 323 p. Lawrence C.Hamilton, Benjamin C.Brown, Rasmus Ole Rasmussen, « West Greenland’s Cod-to-Shrimp transition : local dimensions of climatic change », Arctic, vol 56, n°3, p.271-282. Edouard Le Danois (sous la dir.), Manuel des pêches maritimes françaises, Mémoires de l’office des pêches maritimes, n°10, fascicule 3, septembre 1935. Valérie Masson-Delmotte, Émilie Gauthier, David Grémillet, Jean-Michel Huctin, Didier Swingedouw (sous la dir.) Groenland. Climat, écologie, société, CNRS Éditions, Paris, 2016. Mark Nuttall, « Anticipation, climate change, and movement in Greenland », Études/Inuit/Studies, 34(1), 2010, pp.21-37.

Le Groenland vu depuis le chalutier Névé, auteur anonyme, Courtesy collection Pascal Servain Greenland seen from the trawler Névé, anonymous author, Courtesy Pascal Servain collection 1 Ad. S Jensen and Paul Hansen, " Investigations on the Greenland cod (Gadus callarias L) with an introduction on the history of the Greenland cod fisheries ", Minutes of meetings, n°72, 1931, pp. 3–41. 2 Greenland became part of Denmark when the Constitution was revised on 5 June. 3 William G.Mattox, Fishing in west Greenland 1910-1966 The development of a new native industry, Meddelelser om Grønland udgivne af kommissionen fo videnskabelige undersøgelser i grønland. Bd. 197 Nr 1, København C.A Reitzels Forlag, 1973. 4 An officer in the French Navy, he studied the banks of Newfoundland for the Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes, then in the early 1930s commanded the hydrographic vessel Président Théodore Tissier.

5 Edouard Le Danois, " Rapport sur le fonctionnement de l’Office des Pêches Maritimes pendant l’année 1929 ", Revue des travaux de l’Office Maritime des Pêches, n°9, March 1930 Greenland fishing map drawn up by Commandant L. Beaugé with the assistance of Commandant Guyader, of the Société des Œuvres de mer ship, Ateliers ed Blondel La Rougery, Paris, 1929, available online: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/ btv1b530666046. 6 The bottom lines fitted with hooks are put into the water and then hauled up using dories, small flat-bottomed boats. 7 Michel Desjardins, Léopoldine memories of the ship’s boy, Association Fécamp Terre-Neuve, Fécamp, 1998. 8 Jonathan A.D Fisher et Dominique Robert, " Les poissons du Groenland ". In Valérie Masson-

Delmotte, Émilie Gauthier, David Grémillet, Jean-Michel Huctin, Didier Swingedouw (sous la dir.) Groenland. Climat, écologie, société, CNRS Éditions, Paris, 2016. 9 Anita Conti, Râcleurs d’océans, Petite bibliothèque Payot, Barcelone, 2017, p. 141. 10 Idem, p. 143. 11 Ship’s mechanic, either Bois-Rosé or Cap-Fagnet. 12 Rasmus Ole Rasmussen, " The development of fisheries in Greenland, with focus on Paamiut/ Frederikshåb and Sisimiut/Holsteinborg ", Roskilde: North Atlantic Regional Studies (NORS) University of New Hampshire Scholars’Repository, 2001. 13 " Du Névé de Terre-Neuve à l’Albatros des Terres australes ", Cols bleus, n°1763, 23 juillet 1983. 14 The most northerly Inuit group, living in northern

Greenland, whose population was displaced by the creation of the US base at Thule in the 1950s. 15 Yeon-Hee Kim, Seung-Ki Min, Nathan P. Gillett, Dirk Notz & Elizaveta Malinina, " Observationallyconstrained projections of an ice-free Arctic even under a low emission scenario ", Nature Communications, n°3139, 6 June. 16 Fiammetta Straneo et alii, " An interdisciplinary perspective on Greenland’s changing coastal margins ", Oceanography, Vol. 35, No. 3/4, 2022, pp. 106–117.

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INUGHUIT JEAN MALAURIE

Préface de l’ouvrage de Tiina Itkonen Inughuit, éditions Libris Oy, 2004 Preface to the book by Tiina Itkonen Inughuit, éditions Libris Oy, 2004

Portrait de Kutsikitsoq par Jean Malaurie. Cette photographie figure sur la couverture de l'édition originale de son livre légendaire Les derniers rois de Thulé paru en 1955. © Institut de recherches arctiques Jean Malaurie Monaco-UVSQ Portrait of Kutsikitsoq by Jean Malaurie. This photograph appeared on the cover of the first edition of his legendary book The Last Kings of Thule, published in 1955. © Institut de recherches arctiques Jean Malaurie Monaco-UVSQ

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En découvrant les très belles images que nous offre la photographe Tiina Itkonen, une Finlandaise extrêmement douée et sensible, dont le talent artistique m’a profondément touché, je ne peux m’empêcher de ressentir une profonde nostalgie. Certes, ces visages Inughuit, qui semblent être les frères de mes compagnons de tous les jours, si présents dans mes souvenirs depuis mon hiver solitaire passé à Siorapaluk, dans les années 1951-1952, m’évoquent des moments dont certains ont sans doute été les plus précieux, voire les plus religieux, de ma vie.

On discovering the very beautiful images brought to us by photographer Tiina Itkonen, an extremely gifted and sensitive Finnish photographer, whose artistic talent has touched me deeply, I cannot help feeling a profound nostalgia. Certainly, these Inughuit faces, who seem like brothers of my everyday companions, so present in my memories since my solitary winter spent in Siorapaluk, in the years 1951-52, evoke for me moments some of which have without doubt been the most precious even the most religious of my life.

À cette époque, les Inughuit étaient au nombre de 302, répartis en 70 familles, d’Etah au nord à Savissivik au sud. Ils m’ont permis, par leur vie active et leurs légendes, de partager un panthéisme en harmonie avec les forces de l’univers. Progressivement et à leur manière subtile, ils m’ont aidé à saisir l’unité de l’homme avec son environnement dans une vision panthéiste grandiose. Les Inughuit, du moins certains d’entre eux, ont une hypersensibilité - ce pouvoir extraordinaire que nous avons perdu de voir l’imaginaire dans la matière.

At that time the Inughuit numbered 302, divided among 70 families, from Etah in the north to Savissivik in the south. They allowed me through their active lives and legends to share in a pantheism that is in harmony with forces of the universe. Gradually and in their own subtle ways, they helped me to grasp the unity of man with his environment in a grand pantheistic vision. The Inughuit, at least certain of them, have a hypersensitivity - that extraordinary power that we have lost of seeing the imaginary in matter.

Lors de cette expédition, j’avais voulu être seul. Nous étions à ma base hivernale de Siorapaluk : chaque nuit de l’hiver polaire, je menais des conversations et j’ai appris à voir les Inughuit comme des philosophes ; avec deux cartons d’emballage en guise de chaises, une lampe à huile jetant une lumière douce qui nous rapprochait, Pualuna (le premier de ma grande généalogie, né en 1874) et moi, comme les paysans des tableaux de l’artiste du XVIIe siècle Georges de la Tour.

On that expedition I had wanted to be alone. We were at my winter base at Siorapaluk: every night of the Polar winter, I carried on conversations and I learned to see the Inughuit as philosophers; with two packing cases for chairs, an oil lamp casting a soft light that brought us closer together, Pualuna (the first in my great genealogy, born in 1874) and me, like the peasants in paintings of the 17th century artist Georges de la Tour.

« Commencez par le début et continuez jusqu’à la fin, puis arrêtez. - tel était le conseil suprême donné par Lewis Carroll à tous ceux qui voulaient raconter une histoire. Le début de cette histoire entre moi et les Inughuit a été de me mettre à leur service. Ayant appris leur langue, je suis devenu, à leur demande, secrétaire du groupe et j’ai dressé la première carte généalogique, sur trois générations, des 70 familles vivant dans 11 villages.

«Begin at the beginning and go on till you come to the end; then stop.» - that was the supreme advice given by Lewis Carroll to anyone who wanted to tell a tale. The beginning of that tale between me and the Inughuit was to bring me into their service. Having learned their language I became, at their wish, a secretary for the group, drawing up the first genealogical map covering three generations, of the 70 families living in 11 villages.

Au printemps, avec quatre compagnons inuits, nous avions dressé une carte géomorphologique de la Terre d’Inglefield, rétablissant les noms traditionnels inuits injustement oubliés jusqu’alors, et incluant (avec l’autorisation du gouvernement danois) dix nouveaux noms de caps et de fjords que nous avions découverts. Pas à pas, avec mes compagnons incroyablement actifs et courageux, il m’a été permis de les découvrir avec toute leur intelligence et leur sagesse.

In spring, with four Inuit companions, we had drawn up a geomorphological map of Inglefield Land, re-establishing the traditional Inuit names unjustly forgotten until then, including (with the permission of the Danish government) ten new names of capes and fjords that we had discovered. Step by step, with my incredibly active and courageous companions, I was permitted to discover them with all their intelligence and wisdom.

En les retrouvant dans des vêtements modernes, vivant dans des maisons scandinaves, comme le montre ce livre, j’aurais pu me sentir triste de revenir à ces souvenirs chéris, tant le passé avait été magnifié pour moi. Mais la vie doit continuer, et mes propres enfants et petits-enfants, qui portent tous des noms inughuit, vivent et vivront différemment de moi. Mais je ne peux oublier l’angoisse que j’ai vue sur les visages des Inughuit en juin et juillet 1951, après la construction de la base aérienne américaine que j’ai découverte à mon retour de l’expédition en traîneau à chiens à Inglefield Land et qui allait bouleverser leur vie et leur destin à bien des égards.

Finding them in modern clothing living in Scandinavian houses, as shown in this book, I might have felt sad to return to those cherished memories, so much had the past been magnified for me. But life must go on, and my own children and grandchildren, all of whom have Inughuit names, are living and will live differently from the way I have. But I still cannot forget the anguish I saw in the faces of the Inughuit people in June and July 1951, after the construction of the American air base that I found on my return from the dogsled expedition to Inglefield Land and that was to overturn their lives and their destinies on so many levels.

Tiina Itkonen a pris ces photographies dans le nord du Groenland en 1995, 1998 et 2002. Les images montrent des visages joyeux, pleins de vie et déterminés à être heureux, mais je crois y voir une sorte de mélancolie intérieure qu’Itkonen a su capter avec beaucoup de sensibilité et de sympathie.

Tiina Itkonen took these photographs in Northern Greenland in 1995, 1998 and 2002. The pictures show cheerful faces, full of life and a determination to be happy, but I believe I see in them a kind of inner melancholy that Itkonen has captured with great sensitivity and sympathy.

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D’AUTRES REGARDS NORDIQUES SUR LE GROENLAND

OTHER NORDIC VIEWS OF GREENLAND

GABRIEL BAURET

GABRIEL BAURET

L’exposition de Tiina Itkonen qui s’inscrit dans le contexte d’un programme dédié à la photographie contemporaine nordique invite à consulter des travaux d’artistes originaires de pays proches du Groenland comme le Finlandais Jorma Puranen, la Danoise Veronika Geiger, ou encore l’Estonienne Anna Lehespalu, exposés précédemment dans le cadre de Lumières Nordiques ; mais associer aussi les images d’Henrik Saxgren, très proches des propositions documentaires de Tiina Itkonen.

Tiina Itkonen’s exhibition, which forms part of a programme dedicated to contemporary Nordic photography, provides an opportunity to view works by artists from countries close to Greenland, such as Finland’s Jorma Puranen, Veronika Geiger from Denmark and Anna Lehespalu from Estonia, all previously exhibited as part of Lumières Nordiques, but also Henrik Saxgren’s images, which are very reminiscent of Tiina Itkonen’s documentary work.

Le Danois Henrik Saxgren se rend régulièrement, entre 2014 et 2017, dans la région de Thulé, la partie la plus septentrionale du Groenland à être habitée. Il documente la vie et les moyens de subsistance des chasseurs de mammifères marins dans la banquise, une activité menacée en raison du changement climatique. Constatation qu’a pu faire de son côté Itkonen, ce qui donne aujourd’hui une grande valeur à leur témoignage. Saxgren a voulu témoigner en même temps des risques extrêmes pris par la communauté de chasseurs. Engagé sans prétention scientifique, c’est d’abord une expérience humaine dans de très rudes conditions dont il a voulu faire part. Travailler à Thulé représentait aussi un défi qu’il s’était fixé à lui-même, à la fois physique et psychologique, ses reportages l’ayant rendu très humble. Au-delà de cette épreuve, c’est aussi le désir de capter certains gestes et de restituer une harmonie entre l’homme et le paysage qui l’a animé.

Between 2014 and 2017, the Dane Henrik Saxgren made regular visits to the Thule region, the northernmost inhabited part of Greenland. He documented the lives and livelihoods of marine mammal hunters on the pack ice, an activity that is under threat due to climate change. Itkonen also observed the same phenomenon, which makes their testimony all the more significant today. However, Saxgren also wanted to document the extreme risks taken by the hunting community. Without pretending to have any scientific ambition, it was above all a human experience under very harsh conditions that he wanted to share. Working in Thule also represented both a physical and psychological challenge that he had set himself, and his reporting had left him humbled. Beyond the ordeal itself, it was the desire to capture certain gestures and restore harmony between man and landscape that motivated him.

Jorma Puranen, qui appartient à la même génération que Saxgren, a réalisé en 2021 une série intitulée « Black Snow : the 1968 Thule nuclear disaster ». Elle nous transporte à l’époque de la Guerre Froide et rappelle un incident qui a frappé cette même région du Groenland explorée par Saxgren et Itkonen. Un bombardier américain B-52, porteur d’armes nucléaires, s’y est écrasé, laissant se répandre des substances radioactives. Puranen se souvient que Jean Malaurie, grand défenseur du patrimoine de la région de Thulé, s’était alors mobilisé à propos de cette catastrophe. Dans le prolongement de ses investigations artistiques en prise sur l’histoire, Puranen décrit ainsi son projet : « J’ai basé mon travail sur des diapositives en verre représentant des paysages du Groenland trouvées sur eBay. J’ai photographié la poussière et la saleté à leur surface dans mon studio en utilisant une forte lumière de projecteur de diapositives balayant la surface de la plaque de verre. »

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In 2021, Jorma Puranen, who is of the same generation as Saxgren, produced a series entitled «Black Snow: the 1968 Thule nuclear disaster». It takes us back to the Cold War and recalls an incident that occurred in the same region of Greenland that Saxgren and Itkonen explored. An American B-52 bomber carrying nuclear weapons crashed in the region, releasing radioactive material. Puranen recalls that Jean Malaurie, a great champion of the Thule region’s heritage, was moved to action by this disaster. As an extension of his artistic investigation into the history, Puranen describes his project thus: «I based my work on glass slides representing Greenlandic landscapes found on eBay. I photographed the dust and dirt on their surface in my studio using a powerful slide projector light sweeping across the surface of the glass plate.»


Henrik Saxgren. Ilanguaq #2, Savissivik, 2016. Courtesy H. Saxgren.

Sur un registre différent, en marge de propositions documentaires et conceptuelles, la jeune photographe et vidéaste Anne Lehespalu a mené en 2022 au Groenland, dans le cadre d’une résidence organisée par Arctic Culture Lab, une expérience extrêmement personnelle, dans la continuité de son travail réalisé en Islande. Le voyage dans le paysage, la rencontre avec la nature, la contemplation de tout ce qui se produit dans l’atmosphère répondent à une quête intérieure, d’ordre psychologique : « Je témoigne de mes propres sentiments face à ce qui m’entoure, tout près de moi comme au milieu du paysage. Je m’intéresse à la façon dont notre état d’esprit et nos émotions influent sur ce que nous voyons autour de nous et la façon dont nous percevons les choses ». Elle ajoute : « Je n’ai jamais autant appris qu’au milieu des tempêtes de l’Islande et dans le silence du Groenland. » Une autre institution, The Arctic Circle Residency, s’apprête à accueillir un projet mêlant la photographie à une démarche scientifique et conçu par Veronika Geiger. Après l’observation des territoires volcaniques en Islande, elle s’intéresse à la microfaune évoluant dans le milieu marin de l’océan arctique. En contrepoint du travail de Tiina Itkonen, se profile donc des démarches de nature différente qui se fondent aussi bien sur la géographie que l’histoire du Groenland et témoignent de la diversité des usages de la photographie aujourd’hui.

On a different level, in addition to her documentary and conceptual work, young photographer and video artist Anne Lehespalu carried out an extremely personal experiment in Greenland in 2022, as part of a residency organised by Arctic Culture Lab. It was an extension of her work in Iceland. The journey through the landscape, the contact with the environment and the contemplation of everything that happens in the atmosphere are all part of an inner, psychological journey: «I express my own feelings about what surrounds me, both near at hand and in the midst of the landscape. I’m interested in how our state of mind and emotions influence what we see around us and how we perceive things. She adds: «I have never learned as much as I did amid Iceland’s storms and in the silence of Greenland.» Another institution, The Arctic Circle Residency, will shortly be hosting a project by Veronika Geiger combining photography with a scientific approach. Following her studies of Iceland’s volcanic regions, she is now turning her attention to the microfauna living in the marine environment of the Arctic Ocean. As a counterpoint to Tiina Itkonen’s work, we see a different kind of approach based on the geography and history of Greenland, reflecting the diversity of uses to which photography is applied today.

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Jorma Puranen, Black Snow #5, 2021. Courtesy J. Puranen. 72


Anna Lehespalu, Greenland, 2022. Courtesy A. Lehespalu. 73


BIOGRAPHIE / BIOGRAPHY TIINA ITKONEN

Tiina Itkonen à Uummannaq, 2007 © Ole Jørgen Hammeken.

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Tiina Itkonen, née en 1968, vit et travaille à Helsinki, en Finlande. Elle est diplômée de l'École d'art et de communication de Turku (rebaptisée Académie des arts de Turku) en 1995 et de l'Université d'art et de design d'Helsinki (rebaptisée Université Aalto) en 2002. Depuis 1995, Itkonen se rend régulièrement au Groenland pour photographier le paysage polaire et ses habitants. Elle a parcouru plus de 1 500 kilomètres le long de la côte ouest du Groenland en traîneau à chiens, en chaland de pêche, en voilier, en hélicoptère, en petit avion, en cargo et en pétrolier, passant du temps dans de petits villages et apprenant à connaître le peuple groenlandais. En 2004, elle fait la connaissance du célèbre géographe ethnologue Jean Malaurie à Paris. L’année suivante, elle se rend pour la première fois à Uummannaq où elle rencontre l’anthropologue spécialiste de l’Arctique Jean-Michel Huctin, qui travaille dans un établissement pour enfants. Outre le Groenland, elle a travaillé en Alaska (2010), à Venise (2011), en Azerbaïdjan (2022) et en Antarctique (2023). Les photographies de Tiina Itkonen ont été exposées dans de nombreux pays, notamment à la 54e Biennale de Venise, à la 17e Biennale de Sydney, au Musée Albert Kahn de Paris en 2013, au Musée d'Anchorage en Alaska en 2016, au Musée national danois de la photographie de Copenhague en 2009 et dans le cadre du festival de la Baie de Saint-Brieuc et de La Gacilly, en Bretagne en 2021. Elle est régulièrement présentée par la galerie Persons Projects basée à Berlin. Ses œuvres figurent dans des collections telles que le Moderna Museet, en Suède, la collection de la DZ-Bank, en Allemagne, la collection Statoil, en Norvège, l'Anchorage Museum, en Alaska, le Helsinki City Art Museum, en Finlande, ainsi que dans de nombreuses collections privées en Europe, aux États-Unis et en Asie. Le premier livre d'Itkonen, « Inughuit », une sélection de photographies de la vie des Inughuit, le peuple le plus septentrional du monde, a été publié en 2004. Son deuxième livre, « Avannaa », sur les paysages du Groenland, a été publié en 2014 par Kehrer Verlag. Elle a remporté le Finnish State Prize for Photographic Art en 2019 et était finaliste du prix des Rencontres Photographiques des Amis du Musée Albert-Kahn en 2020. Son exposition rétrospective “Anori – Silence of the Glacier” a été présentée en 2023 au Finnish Museum of Photography, à Helsinki.

Tiina Itkonen lives and works in Helsinki, Finland. She graduated from Turku School of Art and Communication (renamed the Arts Academy of Turku) in 1995 and the University of Art and Design in Helsinki (renamed Aalto University) in 2002. Since 1995 Tiina Itkonen has travelled regularly to Greenland to photograph the polar landscape and its people. She has traveled more than 1 500 kilometers along the west coast of Greenland by dogsled, fishing scow, sailboat, helicopter, small plane, cargo ship and oil tanker and along the way spending time in small villages and coming to know the Greenlandic people. In 2004, she met with the famous etho-historian geographer Jean Malaurie for the first time in Paris. She visited Uummannaq for the first time in 2005 where she met with the professor in Arctic anthropology Jean-Michel Huctin working in a Children’s Home. Besides Greenland, she has worked in Alaska (2010), Venice (2011), Azerbaijan (2022) and Antartica (2023). Itkonen´s work has been exhibited at international venues including the 54th Biennale de Venezia, 17th Biennale of Sydney, Albert Kahn Musée (Paris) 2013, Anchorage Museum (Alaska) 2016, Danish National Museum of Photography (Copenhagen) 2009, Photo Festival Baie de Saint-Brieuc and La Gacilly Photo Festival 2021. She is regularly presented by the Persons Projects gallery based in Berlin. Her works are featured in collections including the Moderna Museet, Sweden; DZ-Bank Collection, Germany; Statoil Collection, Norway; Anchorage Museum, Alaska, Helsinki City Art Museum, Finland as well as numerous private collections throughout Europe, USA and Asia. Itkonen’s first book, “Inughuit”, a selection of photographs of the lives of Inughuit, the world’s northernmost people, was published in 2004. Her second book “Avannaa”, about Greenland´s landscapes, was published in 2014, by Kehrer Verlag. She was awarded Finnish State Prize for Photographic Art in 2019 and she was a finalist at the Rencontres Photographiques des Amis du Musée AlbertKahn in 2020. A retrospective exhibition “Anori – Silence of the Glacier” was on show until October 2023 at the Finnish Museum of Photography, Helsinki.

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On top of the iceberg, Savissivik, 2018. Archival pigment print, 80x110 cm

Siku # 2, Uummannaq, 2007. Archival pigment print, diasec, 40x60cm

Ilannguaq # 1, Siorapaluk, 2019. Archival pigment print, 60x71cm

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On sea ice, Qaanaaq, 2019. Archival pigment print, 80x110cm

Sermermiut # 1, Ilulissat, 2007. Archival pigment print, diasec, 40x60cm

Qeqertarsuaq, Qaanaaq, 2019. Archival pigment print, 80x110 cm

Qalaseq, Qaanaaq, 2019. Archival pigment print, 60x71cm

Hans, hunter´s son, Siorapaluk, 2019. Archival pigment print, 60x71 cm

Avigiaq # 1, Qaanaaq, 2019. Archival pigment print, 60x71cm


House # 3, Kullorsuaq, 2006. Archival pigment print, 60x70 cm

Home # 11, Kuummiut, 2017. Archival pigment print, 60x85cm

Home # 12, Isortoq, 2017. Archival pigment print, 60x85cm

Home # 17, Isortoq, 2017. Archival pigment print, 60x85 cm

Home # 5, Kuummiut, 2015. Archival pigment print, 60x85cm

Home # 8, Isortoq, 2017. Archival pigment print, 60x85cm

Home # 9, Isortoq, 2017. Archival pigment print, 60x85cm

Home # 7, Isortoq, 2017. Archival pigment print, 60x85cm

Home # 20, Savissivik, 2018. Archival pigment print, 60x85cm

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Home # 10, Savissivik, 2016. Archival pigment print, 60x85cm

Grave, Qaanaaq, 2002. C-print diasec, 60x70 cm

Nannup Amia (polar bear skin), Savissivik, 2016. Archival pigment print, 60x85 cm

Qaerngaaq & Therisie, Savissivik, 2016. Archival pigment print, 60x85 cm

Gedion, Savissivik, 2018. Archival pigment print, 70x48 cm

Nuka Ole & Qabannguaq, Savissivik, 2018. Archival pigment print, 70x48 cm

Ole, Savissivik, 2018. Archival pigment print, 70x48 cm

Kuummiut, 2017. Archival pigment print, 60x85 cm

Isortoq, 2017. Archival pigment print, 60x87 cm


Qaanaaq # 1, 2005. C-print, diasec. 70x200cm

Dawn, Savissivik, 2002. Archival pigment print diasec, 50x140cm

Haddeq, Savissivik, 2018. Archival pigment print diasec, 50x140cm

Kullorsuaq # 5, 2007. Archival pigment print, diasec, 50x140 cm

Icefjord # 1, Ilulissat, 2005. Archival pigment print diasec. 50x140 cm

Icefjord, Ilulissat, 2016. Archival pigment print, 72x95cm

Iceberg gallery # 4, Kullorsuaq, 2006. Archival pigment print, 30x45cm

Iceberg gallery # 2, Kullorsuaq, 2006. Archival pigment print, 30x45cm

Sunset, Savissivik, 2018. Archival pigment print, 60x90cm

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Remerciements Nous remercions en premier lieu Tiina Itkonen d’avoir fait confiance à notre musée pour exposer ses œuvres ; mais aussi David Roussel, maire de Fécamp, et Pierre Aubry, 1er adjoint au maire en charge des affaires culturelles et du patrimoine, qui ont accueilli très favorablement ce projet d’exposition photographique. La publication de ce catalogue a par ailleurs reçu l’aide de l’Ambassade de Finlande, à qui nous adressons toute notre gratitude. Que soient également remerciés pour leur concours indispensable à la mise en œuvre de cette exposition Virginie Sampic, directrice des Affaires culturelles, Manuel Martin et David Duhamel des Archives municipales de Fécamp, ainsi que le service communication, les services administratifs et les services techniques de la Ville de Fécamp. Pour leur coopération, leur aide ou leurs créations, l’équipe du musée adresse toute sa gratitude à : • Professeur Jan Borm, Directeur de l’Institut de recherches arctiques Jean Malaurie Monaco-UVSQ, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, UArctic Chair in Arctic Humanities • Diego Dujardin, Ville de Fécamp • Jean-Michel Huctin, enseignant-chercheur en anthropologie à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines / Paris-Saclay • Pierre Ickowicz, conservateur du Château-musée de Dieppe • Agnès Laissus, professeur d’arts plastiques • Guillaume Malaurie • Sonja Martinsson Uppman, présidente, et Véronique Mange, coordinatrice, de l’association Lumières Nordiques • Margaux Oliveau, responsable du service des collections et des expositions du musée d’Histoire naturelle de Lille • Hugo Miserey, photographe • Pascal Servain, commissaire général de Fécamp Grand’Escale • Pia Setälä, chargée de communication & culture, Ambassade de Finlande

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Gardes : Carte du Grand Hellefiske établie par le Capitaine Émile-Jean Friboulet (1925-2016), s.d., © Collection Les Pêcheries, musée de Fécamp. Don de l’auteur, inv. 991.10.1 Conception éditoriale du catalogue : Gabriel Bauret Conception graphique et mise en page : Benoît Eliot/Octopus Impression : PBtisk - septembre 2023 ISBN : 978-2-908858-43-3 © Les Pêcheries, Musée de Fécamp © Éditions Octopus © Gabriel Bauret, Jean Malaurie, Margaux Oliveau pour les textes © Tiina Itkonen pour les photographies ainsi que Anna Lehespalu, Jorma Puranen et Henrik Saxgren.





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