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Made in India.
B e n j a m i n
l e m a r i ĂŠ
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j u i n
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mille et un mercis à mes parents, Mathieu et Dam’Dam
c o n s e i l l é e t s u i v i p a r M r C l a u d e I m h o f, designer et professeur de l’Ecole Nationale Supérieure des arts décoratifs de Paris
Jaipur - 03.08.05.
Tout a commencé, à l’aéroport CDG. L’au revoir à Delphine fut le premier épisode douloureux du voyage. Ensuite, j’ai rejoint Ben au point info de l’aéroport. Après les différents contrôles de douanes et la perte de mon sweat, nous prenons place dans l’avion. Je perçois différents signes de nervosité de Ben, ses jambes se balancent de gauche à droite très rapidement, comme quand il danse. C’est son premier vol. Tout se passe bien, Paris-Barhein, BarheinMuscat, à Muscat nous sortons de l’avion vers 23hoo. Et là, la chaleur nous impressionne, ça ressemble à une station de métro en pleine canicule. Dans l’aéroport, les rois du pétrole sont là, vêtus de
5 ...why not ?
1er message de Mathieu.
leur robe blanche et de leur foulard rouge sur la tête, accompagnés de leurs femmes et de leurs nombreux enfants. Le vol pour Delhi est prévu à 5hoo du matin. On attend dans le hall de l’aéroport jusqu’à 5hoo, ce qui nous permet de rencontrer un couple de Belges qui part faire du trekking dans le Ladakh. A 5h10 on nous fait savoir que le vol est reporté à demain et l’on nous invite à l’hôtel. Un hôtel moderne, tout confort, à 150 € la nuit, merci Gulf Air. Le lendemain, un buffet copieux nous attend, on est déjà méfiant avec la nourriture, mais la faim l’emporte, on goûte à tout. Il est environ 13hoo lorsque l’on quitte l’hôtel, on parque les clients de l’avion dans un mini bus, et c’est à ce moment que je prends conscience du génie de l’air climatisé. Après quelques heures d’attente on rentre enfin dans l’avion. 5 heures après on commence à voir les lumières de Delhi. Une haie d’Indiens forme un couloir à l’arrivée des passagers. Ca y’est, on y est. Ca grouille, ça crie, ça klaxonne, ça appelle. Le con-
6 ...why not ?
traste est saisissant. Ca fait peur comme toujours dans un nouveau pays. On réussit à trouver un taxi. Là, il faut avoir le cœur bien accroché, la circulation est anarchique et se règle à coup de klaxon. On a demandé à notre jeune chauffeur de nous déposer à une adresse d’hôtel, indiqué dans l’un des guides. Bien évidemment arrivé sur place, le chauffeur n’a pas réussi à trouver l’hôtel et nous dépose chez un ami à lui. Un hôtel cher et crade. Une armée de cafards réside également dans la chambre. Moi qui ai toujours eu horreur des insectes. On s’organise, et on réalise un véritable génocide. On finit par s’enrouler dans nos moustiquaires. La nuit fut courte. On se lève à 7hoo, et on tente de quitter l’hôtel, mais le gérant nous dit qu’il n’a pas de monnaie. Quelques minutes plus tard, un rickshaw vient nous chercher et nous emmène dans une pseudo agence de voyage. Tout en étant conscient de l’ar-
naque, on se laisse aller. On écoute attentivement ce cours de théâtre. Le boss nous propose des voitures avec chauffeur, des billets d’avion, des bus, l’ensemble hors de prix. Son bureau équipé d’un ordinateur, d’une carte de l’Inde, et de quelques photos qui étaient censées le rendre crédible. Au bout d’une heure, on quitte les lieux, un ami du boss vient nous chercher et nous emmène à une station de bus, puis finit par nous dire que ce serait mieux dans une autre. La chaleur et le manque de sommeil finissent par nous faire hausser le ton. Après quelques minutes de négociation, on arrive à Bikaner station gouvernementale. Enfin un oasis de calme désintéressé, on trouve un billet pour Jaipur, il est 11hoo. Avant de monter dans le bus on rencontre une Indienne qui vit à Chicago. Elle souhaite partir, elle ne supporte plus la chaleur. Le voyage en bus nous a permis de traverser Delhi. Tout semble en construction ou à l’abandon, il n’en est rien. Je suis trop habitué à l’architecture propre et carrée des villes françaises. main et vêtus en orange. Ils célèbrent Shiva. Sur tout le parcours, Il y a des gens, des gens qui attendent on ne sait quoi ? Des gens qui marchent dans des endroits déserts, des enfants et des femmes qui dorment sur le bas coté. Tout à coup, le bus freine violemment, une vache est entrain de brouter le terre plein central de la 4 voies. Tout semble normal. Nous sommes frappés par le nombre d’homme par rapport aux femmes et aussi par le regard, un regard puissant, deux billes noirs qui ne vous lâchent pas des yeux. Au début ça impressionne. Vers 17hoo on arrive à Jaipur, capitale du Rajasthan. Une armée de chauffeurs de rickshaw nous aperçoit dans le bus. Ils courent à côté de la fenêtre en nous regardant. J’ai l’impression d’être un lièvre traqué par une meute de chiens. J’ai eu un geste de star,
7 ...why not ?
Sur la route, on croise des hommes qui courent un verre d’eau à la
j’ai fermé le rideau. Lorsque le bus s’est arrêté, ils étaient là et accompagnaient nos moindres mouvements. Cependant on est devenus un peu moins gentil et souriant, c’est le seul moyen pour respirer. Finalement, l’un des rickshaw nous emmène à notre hôtel, sur le trajet il nous montre un livre avec divers messages et photos de touristes vantant ses services. C’est vrai qu’il a l’air honnête, on prend son numéro, on verra plus tard. L’hôtel d’où j’écris dispose d’un toit terrasse, on va faire un tour pour écouter et respirer la ville, on n’y reste pas longtemps, la chaleur décide à notre place. On découvre près de chaque luminaire, les fameux lézards qui guettent
Mathieu - Jaipur - 03.08.2005
8 ...why not ?
les moustiques...
9 ...why not ?
10 ...why not ?
Deux mois plutôt. à Paris. J’ai vingt-quatre ans et reconnais avoir été accompagné jusque là par une étoile attentive et qui me séduit. Vingt-quatre années qui se sont laissées porter par un règne que j’ai choisi et, des fois, subi. Il n’est jamais trop tôt pour regarder derrière soi. Voyant arriver à grands pas la fin de ma scolarité, l’envie de se retourner, sans doute par crainte d’avancer, est de plus en plus forte. Cette scolarité, que j’associe avec différents éléments de la vie de tous les jours comme la famille et diverses rencontres, m’ont poussé à être ce que je suis aujourd’hui du haut de mes quelques années. Désormais j’ai gagné l’envie d’être présent dans le monde dans lequel je suis. Mais
un problème se pose, dans quel monde dois-je être présent ? Estce que ce monde se résume simplement à mon entourage, à mon pays, à la société que j’ai pu observer jusqu’à ce jour? Je ne sais pas. Je ne peux pas renier la société dans laquelle j’ai grandi, mais un doute s’est installé depuis quelques temps. Personnellement la vie en France ne me fait pas rêver, je ne suis ni malheureux, ni à plaindre, peut-être un éternel insatisfait, je ne sais pas, mais ce qui est sûr, je suis comme beaucoup de personnes en quête de quelque chose qui me stimule, qui me fasse perpétuellement avancer. De plus j’ai l’impression que le cercle qui m’entoure est trop étroit, que les personnes, que je côtoie, que j’entends dans les différents médias, me disent une vérité trop limitée et pas assez calculée sur la vie, sur l’avenir. Je suis certainement comme ces personnes, qui ont besoin de toucher, de voir de leurs propres yeux un fait pour le comprendre et l’accepter. Ma société, la France et l’Europe, me semble engourdie. Ce ter la langue de bois des politiciens et autres visionnaires du même genre. C’est vrai, comment ne pas être fatigué? J’ai l’impression que pour être un bon citoyen ou tout simplement être « bien dans sa peau », il faut régulièrement se battre. D’accord, pour « se battre », cela donne du piquant au quotidien, mais pourquoi, sur tout et n’importe quoi. Je ne sais plus vraiment qui croire, c’est peut-être normal que l’on désire rééditer «mai 68» tous les ans depuis plus de trente ans. De même c’est sans doute logique que les professeurs de l’éducation nationale ou les médecins fassent grève régulièrement pour des problèmes d’horaires ou de salaires, car grâce à leur combat, c’est aussi les saisonniers d’Avoriaz en Haute Savoie qui gagnent leur vie durant toutes les vacances. Je recherche la vérité, du moins une vérité qui me convienne. C’est mon combat du
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n’est peut-être pas le cas, mais je suis « déjà » fatigué de décryp-
moment. C’est comme si j’affrontais «madame Vérité» et dans ma position indécise, je commençais à l’embarrasser et que celle-ci me criait : « va voir ailleurs si j’y suis !!! ». Et donc un jour avec un ami, Mathieu, on a décidé d’aller voir ailleurs si une part de notre vérité s’y trouvait. Notre choix étant fait, il ne nous restait plus qu’à choisir notre destination. Lui et moi, deux designers industriels en herbe, du moins de formation, étions intéressés par plusieurs pays. Le Canada, pour sa réputation de « terre d’accueil professionnel », a été une de nos premières intentions, tout comme l’Australie. Après nous avons constaté en lisant les journaux, en discutant avec diverses personnes intéressées, que d’autres noms seraient intéressants pour compléter notre formation, comme celui du Brésil, de l’Afrique du Sud, de la Pologne, de la Roumanie et de l’Inde. Tous des pays dits « émergeants », ou destinés à l’être. Nous poussons alors nos investigations plus sérieusement quand on a notre âge. L’attrait d’une civilisation nouvelle est très motivant. Et un jour nous sommes tombés sur l’annonce d’une française recherchant deux stagiaires pour gérer une galerie d’art contemporain Franco-Indien , au Rajasthan, en Inde. Etrangement, en dix jours, nous avions rencontré cette française, réservé nos billets et fait une demande de visa pour l’Inde pour une période de six mois, nous ne pouvions plus reculer, comme si cela avait été dessiné depuis longtemps. billet de Mathieu.
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sur ces derniers, car nous voyons en eux un exotisme alléchant
13 ...why not ?
14 ...1 mois au Rajasthan
Partie 1. 1 mois au Rajasthan. Cela fait deux jours que nous sommes arrivés en Inde. Nous quittons Jaipur une des villes les plus importantes du nord (2,5 millions d’hab.), à 260 km de Delhi. On la surnomme la « ville rose », à cause de ses murs et de son enceinte peints en rose. Cette ville retranchée dans les collines est la capitale du Rajasthan. Déjà fatigués par notre entame de voyage, nous quittons l’hôtel pour nous diriger vers la gare routière conseillée par nos nombreux guides touristiques, pour rejoindre la ville de Fatehpur où nous attend la française pour laquelle nous avons proposé nos services. Avant de quitter l’hôtel, le passage obligé devant l’accueil s’éternise et c’est
le début d’un rituel administratif qui nous suivra tout au long de notre périple, en effet, à chaque arrivée et départ d’un hôtel, nous devons inscrire : nom, prénom, heure d’arrivée, de départ, la destination future, notre numéro de passeport, de visa, etc…tout ceci sur des livres, ressemblant aux manuscrits bibliques par leurs tailles imposantes. Toutes ces paperasses ont-elles une valeur officielle ou sont-elles là juste pour impressionner, je ne le sais toujours pas. Nos lignes administratives finies, nous nous postons devant la sortie et nous nous armons de nos 23 kg de bagages réglementaires et de tous nos préjugés sur l’univers indien. Il est vrai que j’avais beaucoup d’idées préétablies avant d’aller en Inde. L’esprit indien et tout son apport mystique est connu depuis longtemps - la fin des années 60, en France et ailleurs, en est dur de fermer les yeux sur 30% d’une population d’un milliard de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour. De même, je savais bien que les Maharajahs se feraient discrets, mais comme un enfant de 5 ans j’espérais que les éléphants n’avaient pas été effacés par le temps de l’imagerie indienne. Donc en sortant de l’hôtel, nous nous engageons dans les rues de Jaipur à pied, nous comprenons rapidement qu’il faut mieux éviter les trottoirs car la « DDE indienne » n’est pas encore très organisée. La gare, elle aussi, a son organisation particulière. Nos habitudes occidentales sont à mettre de côté, nos repères aussi. On se prend au jeu du décodage de la logique indienne, si différente soit-elle. La bouche ouverte, car essoufflés, mais aussi par naïveté devant la situation, nous nous lançons dans la lecture des panneaux indiquant les « departure » - problème les ¾ sont inscrits en sanscrit – heureusement, notre équipement nous rend peu discrets, et les gens se font un plaisir de nous renseigner. Sur ce point, on nous
15 ...1 mois au Rajasthan
est un exemple fort – et la population extrêmement pauvre aussi. Il
avait mis en garde, en nous disant que la population répondra toujours à nos interrogations, sans même connaître la réponse. L’horaire choisi, il ne nous reste plus qu’à prendre nos tickets au guichet. Je me demande d’où sort l’expression « en file indienne », sûrement pas d’Inde, car la délivrance d’un billet se fait à celui qui s’imposera devant le guichet. Et même quand ton tour arrive, c’est sans compter la masse de personnes qui s’agglutine près de toi. L’heure de départ du car arrive, le klaxon retentit plusieurs fois, nous rentrons dans cette masse de ferrailles et nous dépêchons de prendre les places du fond comme des collégiens, pensant que nous serions plus à l’aise,…erreur! Ne jamais se mettre à l’arrière d’un car indien, car il faut avoir un estomac bien accroché. Nous mangeons des kilomètres de paysages inconnus, et si beaux. Les Je m’amuse à dévisager les personnes présentes dans le car, du vieillard au gosse de 4 ans, je veux tout prendre et ne rien laisser sur la route. Un jeune homme s’assit à côté de moi, l’e-mail qu’il nous laisse avant de nous quitter, karni-america@yahoo.co.in, suffit pour raconter le thème de la discussion que nous engageons : « Comment c’est derrière les portes de l’Inde ? ». Jeune pédiatre, il se rend à Sikar pour faire des consultations. On en profite pour lui poser des questions sur la santé dans son pays, il en fait de même. Cet échange est le premier d’une longue liste.
Fatehpur - août 2005
16 ...1 mois au Rajasthan
yeux grands ouverts je ne veux rien rater de peur de le regretter.
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04.08.05. arrivée à Fatehpur. 18 ...1 mois au Rajasthan
Nous descendons du car et commençons à chercher l’ « haveli », nom donné aux belles demeures des riches marchands de la route de la soie où on nous attend depuis deux jours. Fatehpur est une ville de 50 000 habitants. Si l’on compare cette ville à Jaipur et Delhi, c’est une petite bourgade, où au premier abord rien n’incite à s’y arrêter. Nous ne savons pas comment nous rendre à l’haveli, notre premier réflexe est d’avancer tout droit. A peine deux pas et déjà un cortège de rickshaw nous suit, nous interpelle. Nous citons le nom de l’haveli, et dans les secondes qui suivent tous les drivers crient leur connaissance du lieu. Nous montons dans l’auto la plus proche, et le chauffeur nous emmène. Tout au long du trajet il ne se prive pas de s’exclamer avec les passants, nous sommes ses trophées de la journée. Cette attitude envers nous sera fréquente durant notre séjour. Au début nous ne savons pas vraiment comment réagir, et pour ne vexer personne, nos premiers déplacements ressemblent à ceux de la reine d’Angleterre, nous ne sommes pas radins sur les sourires et les gestes de sympathie.
Notre prison dorée. Le chauffeur nous dépose à l’entrée d’une rue, il ne peut pas aller plus loin, cette rue, comme bien d’autres est inondée par les égouts qui débordent, il nous explique qu’il ne nous reste plus que quelques mètres à pied pour apercevoir l’haveli. Nous marchons alors l’un derrière l’autre sur la fine passerelle en béton qui dépasse le niveau de l’eau dégueulasse. Un fil électrique évité, puis un deuxième, et nous arrivons devant l’édifice tatoué d’éléphants qui nous rappelle la splendeur d’un temps passé. Le soleil, la poussière se à connaître son intérieur. Nous nous apprêtons logiquement à frapper à la porte, lorsque soudainement nous remarquons qu’une sonnette, un peu orpheline dans ce décor, s’est donné le droit d’exister. Nous sonnons. Un môme aux yeux blancs et un chien, nous accueillent par un « Welcome ! ». Le passage de la porte d’entrée est difficile avec nos sacs (Le « 1m² » d’ouverture ne rend pas la chose facile). Nous nous infiltrons dans la demeure guidés par le « petit homme » et son complice. Notre première impression est muette, tellement nous sommes étonnés. C’est une architecture pleine de symétries, de couleurs, de grandeurs qui nous reçoit. Seules les portes cassent cette grandeur. Je ne vais pas vous faire un cours sur l’architecture indienne, je ne suis pas assez calé en la matière. Je peux juste vous raconter la sensation étrange que j’ai eue de vivre dans ces murs. Je me suis senti en décalage total, comme anachronique au paysage dans lequel je suis. Avec Mathieu on a souvent projeté l’haveli dans
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de sable qui se pose sur ce « petit palais » nous séduit et nous pous-
son temps. On imaginait les nombreuses femmes qui étaient regroupées dans une partie du bâtiment, observées du haut de l’haveli par le propriétaire. L’organisation de la résidence reflète la manière de vivre des siècles derniers en Inde, que l’on peut encore retrouver dans certaines régions accrochées aux traditions. Aujourd’hui cette haveli a pour devenir d’être un centre culturel. Sa propriétaire souhaite recevoir prochainement de nombreux artistes qui désireraient se recueillir. Depuis quatre ans, c’est une petite fourmilière d’ouvriers qui tente de redonner les couleurs d’origine aux fresques murales, tout en installant, dans les 50 pièces un confort à l’occidentale. Au quotidien, nous avons vécu auprès de personnes qui travaillent à même le sol les différents métiers nécessaires à la restauration du sans ayant le savoir-faire traditionnel, que ce soit dans le domaine de l’art pictural indien, de la faïence et de la menuiserie. De même que Mamoud a pour rôle d’arroser, tout au long de la journée, un petit oasis de verdure et de défier dans le même temps la rigueur du climat. Avec ses gestes calculés, calmes et sans excès, celui-ci nous rend admiratifs de sa personne. Régulièrement nous croisons des individus de cette même nonchalance à la porte de leur domicile. Le regard perdu de l’autre côté de la route et assis, ils semblent désintéressés par les secondes et les minutes. Pour nous qui sommes éduqués comme des «cocotte-minute», - mis sous pression régulièrement par le temps - cette posture nous fait parler. Hormis Mamoud, les autres ouvriers donnent l’impression d’être actifs, disons que notre présence « blanche » les rend assidus à leurs travaux. Vous vous doutez que notre couleur de peau ne les laisse pas indifférent. Dès nos premiers moments indiens,
Mamoud - Fatehpur
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bâtiment. La propriétaire sillonne la région pour dénicher les arti-
21 ...1 mois au Rajasthan
nous faisons le constat qu’un fossé existe entre nous et nos hôtes indiens, et qu’il persistera. Que ce soit un indien à pouvoir ou non, l’importance que l’on nous porte est toujours démesurée. Cela est gênant. La part de franchise, d’honnêteté reste limitée et souvent douteuse. Ce qui me rassure c’est la présence de personnes, non pas indifférentes, mais méfiantes envers nous. J’ai en mémoire un ouvrier qui par l’intermédiaire de «ses yeux violents» voulait nous exprimer sa « petite haine » contre notre supériorité imaginaire. Je conclus avec soulagement que le peuple indien est un peuple qui a gardé du caractère malgré son passé de colonisé. Notre rôle est de regarder le temps passé, perchés tout en haut de la galerie. Nous devons attendre les touristes désireux de se perdre par chez nous. En effet, nos journées se résument à traîteur à un autre. Et quand la sonnette retentit nous les accueillons. Officiellement notre «mission» est de faire connaître l’haveli aux guides touristiques de divers horizons. Mais rapidement nous comprenons que notre tâche sera difficile. Notre outil de travail, «Internet», a mauvais caractère et nous boude constamment. Celui-ci accepte gracieusement de se connecter dix minutes par jour jour, selon son humeur. C’est là qu’on voit les avantages de notre vie française. Très régulièrement la ville est confrontée aux coupures de courant, bloquant dans le même temps toute «vie électrique», les gens qui nous entourent, ne se plaignent pas, car ils sont habitués. Mais pour nous «petits hommes nucléaires», c’est déstabilisant. Nous avons quand même de la chance car nous cohabitons avec un être au ronronnement très brillant, qu’on appelle «générateur», et qui se réveille quand la patronne a trop chaud. Durant les quelques semaines où nous restons à Fatehpur, il faut nous créer un nouveau rythme, un rythme sans énergie électri-
photo - Fatehpur
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ner nos corps de nos chambres à la galerie, ou plutôt d’un ventila-
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que et sans énergie tout court. Le mois d’août au Rajasthan oscille entre 35 et 45 degrés, et durant notre passage, nous ne nous sommes faits mouiller que par trois gouttes. Notre organisme en prend un coup. Le scrabble nous soutient, dans ce «moment difficile», tout comme le jeu de dames. L’haveli aussi nous divertit, nous passons quelques nuits à dormir sur la terrasse et notre réveil n’est pas un coq, mais le chant venant de la mosquée avoisinante et les petits rapaces qui planent au-dessus de nous. Dans le même temps, nous
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empruntons certaines habitudes indiennes.
L’homme du Rajasthan. La femme qui tient les commandes de l’haveli est blonde et a soixante ans. Parisienne d’origine, elle commence son aventure indienne 20 ans après être tombée sous le charme de ce grand pays. En 1999, elle devient propriétaire à part entière de la demeure, fait rarissime pour un occidental. Cela nous intéresse beaucoup. Eh oui! Comment un étranger réussit-il à gérer une affaire en Inde ? En l’observant, nous découvrons rapidement les qualités qui lui permettent de réussir, pour le moment, ce challenge. Elle a une énergie inépuisable, un amour « militant » pour le pays, une fierté dique cette soif de pouvoir. Elle donne l’impression de jouer un rôle, c’est comme si elle réalisait un rêve de fillette. Je suis surpris par certaines réactions envers son personnel. Elle donne l’impression de diriger un royaume et donc j’aime l’appeler « princesse ». Elle est connue dans tout Fatehpur pour son combat pour la sauvegarde du patrimoine local. La princesse n’hésite pas à défier les hommes au pouvoir de la région, on peut lire dans un article : « si il y a bien un homme au Rajasthan c’est elle ». Nous avons souvent droit à des monologues de sa part. Elle nous raconte toutes ses rencontres officielles avec les marahajads, les dirigeants de la région, l’ambashaveli - Fatehpur
sadeur français en Inde, les journalistes venus des quatre coins du monde. On commence à croire que c’est pour tous ces moments privilégiés qu’elle fait tout ça. Si on se met à sa place, on peut tenter de la comprendre. Quand elle va faire le marché le matin c’est une foule de personnes qui l’observe, l’envie…voire même l’admire. Le menton bien haut, elle arpente les rues avec sa blondeur qui dénote
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bien présente et un certain goût pour le pouvoir. Son attitude reven-
avec les couleurs locales. Les marchands lui vendent des fruits, des légumes encore plus bons, plus beaux que la veille. Les marchands de tissus ont toujours une nouveauté à lui présenter, même si c’est la même nouveauté que la semaine précédente. Tout ça lui plait, elle a ce qu’elle veut : « un monde expressif ». Un milieu où le paraître reste un moyen essentiel pour exister, survivre. Elle aime se jouer des autres, mais je vous rassure, les autres aiment se jouer d’elle.
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La vie dans l’haveli. Nous sommes onze personnes à cohabiter dans la résidence, si on ne compte pas les ouvriers qui viennent la journée. Il y a Merhaj et sa famille qui habitent dans une partie de l’haveli, seul endroit de la demeure qui n’a pas eu droit pour le moment, à un coup de peinture. Ils sont Merhaj, sa femme, ses trois filles, son garçon et le frère de sa femme, regroupés dans trois pièces, sachant que les 4/5 des cinquante chambres de l’haveli, ne sont pas habitées. Si on analyse l’organisation de l’haveli, elle ressemble à un organigramme. Au premier étage, en haut de la pyramide, dans sa chambre spacieuse avec son lit en baldaquin et la climatisation intégrée, trône la princesse. A un niveau inférieur résident les deux lieutenants de la princesse, Mathieu et moi, dans deux pièces de 10 m², où un petit bureau, un lit revêtu d’une moustiquaire et un ventilateur remplissent celles-ci, nous y sommes très bien. On descend dans la hiérarchie, et on trouve la famille de Merhaj. Pour remarquer ensuite, au niveau le plus bas de l’haveli, Bagwouati, la cuisinière,
qui dort à même le sol en terre. C’est une description un peu sévère que je vous fais, mais objective. Nous parlons très fréquemment avec les enfants de Merhaj, avec qui nous sympathisons, je suis intéressé de savoir comment ils se sentent au sein de l’haveli. Au début les critiques contre la princesse sont quasi inexistantes, puis après quelques semaines, elles sont de plus en plus chuchotées, car un climat de confiance s’est instauré. Ce n’est pas de la haine qu’ils ont envers elle, la plupart du temps c’est une fatigue imposée par les sautes d’humeur de la chef des lieux. Il est toujours difficile d’accepter d’être sous la puissance de quelqu’un au quotidien. Pour moi c’est héritant, car je suis d’une société qui, par son histoire et ses lois, nous donne la liberté de nous affirmer. En Inde, c’est une autre logique qui est en vigueur cateur de la mentalité indienne. Par définition, les castes sont des classes héréditaires entre lesquelles se partage une population. Il y a la classe des prêtes : les brahmanes ; la classe militaire : les Kchatriyas ; la classe des agriculteurs : les vaisiyas ; la caste des inférieures : les soudras. En France, j’entendais parler de la classe des « intouchables», elle était destinée dans l’ancien temps au tâches « ignobles », porteurs de cercueils ou bourreaux par exemple, désormais on les retrouve dans les chantiers pour désamianter des carcasses diverses ou dans le nettoyage des rues. Que ce soit dans le Nord ou dans le Sud de l’Inde, ce système est toujours présent, même si dans le sud les inégalités sont plus visibles. A l’haveli, ils ne se plaignent pas, car ils se sentent privilégiés. L’haveli n’est pas sous le régime des castes, bien sûr. Et c’est vrai, quand on sort, on observe et on voit le quotidien représentatif de nombreux foyers indiens et certains sont alarmants. La famille de Merhaj respecte la princesse car grâce à elle ils ont une hygiène de
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depuis des siècles et des siècles. Le système de castes est revendi-
vie seine. Quand un membre de la famille a un problème de santé, elle n’hésite pas à intervenir. Elle se doit d’agir, si elle veut avoir des personnes de confiance. Elle ne peut pas gérer et réaliser son projet uniquement grâce à son argent et à sa forte personnalité. Je conclus rapidement qu’en Inde, un occidental ne peut pas réussir un projet seul, quelque soit sa nature, il doit s’entourer de personnes locales. J’imagine que cela est valable un peu partout dans le monde. Mais ici tu te retrouves facilement devant un mur linguistique, politique, culturel, la plupart du temps, celui-ci érigé par les diverses
Fatehpur - août 2005 - Merhaj
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religions.
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L’homme de l’haveli. La princesse ne tient que d’apparence les rênes de l’haveli, car officieusement c’est Merhaj, la personne qui donne crédibilité au projet. Merhaj est à la fois, chauffeur de la princesse, gardien de la demeure quand la princesse n’est pas là, chef de chantier, traducteur avec les différents interlocuteurs indiens,…c’est aussi celui qui promène ses oreilles dans les rues de Fatehpur, pour rapporter les dernières nouvelles. C’est une personne très agréable, avec qui nous parlons régulièrement de l’Inde, comme de la France. Un jour, il nous montre, avec fierté, les photos prises lors de son voyage en il exhibe les photos de la venue de l’ambassadeur français. Pour l’anecdote, sur toutes ces photos, sans exception, Merhaj est dans le cadre du photographe, rendant jalouse dans le même temps la princesse. Fatehpur - août 2005 - caricature de Merhaj
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France avec sa femme, il y a de ça quelques années. Un autre jour,
D’après la patronne, Merajh aurait avant l’arrivée de l’ambassadeur, passé un pacte avec le photographe. Ceci est un exemple de l’importance de l’image en Inde. Avec Mathieu, on nous a plusieurs fois demandé de poser dans la rue en compagnie d’indiens inconnus, paraît-il que les indiens après nous avoir gardés en mé-
moire dans leur appareil photo, nous encadrent et nous exposent dans leur salle-à-manger, comme souvenir de vacances.
Revenons sur le phénomène « Merhaj », que vous ne verrez jamais courir, préférant traîner « son ventre bien entretenu » dans les allées de l’haveli. Il doit quotidiennement sortir dans la ville faire divers achats ou commandes, pour cela la princesse lui donne une somme d’argent. Elle sait bien qu’une bonne partie de l’argent ira
dans la poche de Merhaj, mais elle préfère se taire. En contrepartie, c’est Merhaj qu’elle se met dans la poche. Nous saurons bien plus tard que Merajh derrière son apparence « honnête », ne se gêne pas pendant les absences du chef, pour remplacer le centre culturel en hôtel. L’attitude de Merhaj est représentative d’une grande partie des indiens, elle est commune. Par exemple, quand un chauffeur de rickshaw nous oriente vers un hôtel, un restaurant, ou un office de tourisme, c’est que celui-ci, a une sorte de contrat avec le propriétaire, ce qui lui permet de toucher une somme d’argent. Ce sont les
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fameux « bakchichs », qui rythment la vie indienne.
Une cuisine en bordel.
09.08.2005, Fatehpur. Je viens de fermer la porte de la cuisine avec angoisse et dégoût. Hier nous avons appris le départ de notre chère cuisinière, Bagwouati, en raison d’une mauvaise entente avec «la princesse». Même si cela nous a attristés, ce n’est rien comparé à la journée que nous venons d’encaisser. Pour la remplacer, la patronne était partie à la recherche d’une jeune indienne que je nommerai par son surnom Pounki. Elle 32 ...1 mois au Rajasthan
avait proposé ses services deux jours avant le départ de Bagwouati. Jeune mère au parcours difficile, très difficile, surtout pour une indienne, elle venait de divorcer à Bombay (en 1996, 1% des couples mariés divorcent). Il faut savoir que le divorce en Inde est un déshonneur pour le mari, mais aussi pour sa propre famille. « Vive les traditions ! ». Ce midi, nous avons vu apparaître cette jeune femme charmante de 26 ans, elle était très tendue avec les évènements. En effet, Pounki venait de défier son père sur son désir de venir travailler dans l’haveli. La jeune indienne nous prépare à manger avec des tremblements de la tête aux pieds. Mathieu et moi essayons de la rassurer, en multipliant les « thank you, very much ! » et les gestes de sympathie, étant donné que Pounki, ne sait que peu de mots en anglais et est impressionnée par sa nouvelle situation. Elle s’est avérée être brève, car en fin d’après midi, son père et toute une armée de proches se postent à l’entrée de l’haveli
pour venir récupérer « leur bien », Pounki. Mehraj et la princesse, en chef des lieux essaient de négocier afin que Pounki reste pour son bien et celui de tout le monde. Des mots se lèvent, … des mots se touchent, pour qu’ensuite menaces viennent, de la part de la famille. La rencontre se clôture par le lâcher de Raman, le chien, sur la meute indienne vouée aux traditions et à leur honneur, laissant un sursis à Pounki. La jeune femme retourne en pleurs dans la cuisine suivie en file indienne de ses partisans. Durant le repas du soir, Mathieu et moi tentons de trouver son repas encore plus bon qu’il ne l’est, pour apaiser son désarroi. Après le repas, Pounki vient chercher la princesse en lui disant que sa mère l’attend à la porte et qu’elle veut lui parler. Nous cachant, pour que la famille de Pounki ne s’aperçoive pas que deux hommes blancs la famille d’un côté et les cris de peur de Pounki de l’autre. Un mal être s’installe dans toute l’haveli, les enfants de Mehraj, sans exception, observent la scène du haut de la terrasse, sans un mot. Après quelques minutes la princesse nous rejoint, les yeux rouges, toute tremblante en disant : « je viens de la donner… ». Elle continue à parler et nous explique le sort que la jeune femme va sans doute recevoir et que la mort la guette à la porte. Au moment où j’écris, je n’ai plus chaud, j’ai froid. Depuis que nous sommes arrivés en Inde, tous nos sens sont en éveil, c’est comme se découvrir un nouveau souffle, c’est vraiment plaisant. Mais on se prend des claques régulièrement. Cet épisode avec la cuisinière n’est pas près de s’effacer de ma mémoire. Dans le Nord, comme dans le Sud, « la femme » est considérée comme la « propriété » d’un homme (père, mari, frère, cousin), la femme en Inde, a encore un long chemin à faire pour
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vivent dans les lieux, nous pouvons entendre les cris de rage de
accéder à l’égalité de statut que lui reconnaît la Constitution, mais que lui dénie encore très souvent la société. Traditionnellement la fille est vue comme un fardeau qui nécessitera une très forte dot lors du mariage alors qu’elle s’en ira à tout jamais vivre chez ses beaux-parents. En milieu rural, la dot investie peut représenter, selon certains économistes, près de 70% du capital économique des familles. Entre 1975 et 1978, on dénombrait plus de 5200 cas de jeunes femmes brûlées «accidentellement» par leur mari ou leur belle-famille parce que leur dot était jugée insuffisante. Heureusement ça a un peu évolué. Merhaj ne faillit pas à sa réputation de « bon gestionnaire », 6 mois avant notre arrivée, il s’est arrangé à trouver un mari à sa fille aînée, celui-ci ne demandant pas de dot importante. Quand sa fille a appris la nouvelle, elle a
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commencé à se renfermer sur elle-même. D’après la princesse, qui s’oppose à ce mariage, le prétendant n’inspire pas joie et bonheur. L’Inde est en déficit troublant de petites filles. On dit, en Inde : « Elever une fille c’est comme arroser le jardin du voisin ». J’ai pu lire dans un journal indien, qu’actuellement on ne dénombre que 892 filles pour 1000 garçons âgés de zéro à six ans, 10 millions de fœtus féminins auraient été victimes d’avortement, en raison de leur sexe, au cours des vingt dernières années. On entend parler de « foeticide » féminin, comme crime contre l’humanité. Pourtant les tests prénatals pour déterminer le sexe de l’enfant à venir sont théoriquement interdits depuis 1996, mais paraît-il que c’est une pratique encore très courante. Il manquerait 36 millions de femmes en Inde. Avec Mathieu, on l’a bien ressenti. On a l’impression que la ville est désertée par les femmes, les rues ne sont animées que par des hommes. Très fréquemment, nous croisons deux hommes main dans la main, ou bras dessus bras dessous. Pour moi qui ne suis pas très tactile, plu-
sieurs fois je ne me suis pas senti très à l’aise avec certains rapports amicaux venant d’amis indiens. En discutant avec la princesse, on apprend que la politique antinataliste indienne est variable selon l’éducation de la femme. C’est l’embourgeoisement, qui se traduit par le désir de transmettre un patrimoine à un nombre limité d’enfants. Et – cela va de pair – les familles indiennes ont compris qu’il fallait éduquer les enfants pour leur assurer un avenir, et pour cela, il ne faut pas en avoir trop. Et si c’est un « mec » tant mieux. De même que j’ai lu dernièrement un article dans Le Monde, qui me fait comprendre pourquoi il y a beaucoup de vieilles femmes dans les rues : En Inde, « personne n’aime rencontrer une veuve sur son du XXIe siècle, l’immolation par le feu de Ram Kumari, 75 ans, sur le bûcher où finissait de se consumer le corps de son mari en devenant par cela un lieu de pèlerinage, fait tache – interdit par le colonisateur britannique en 1829, on recense quelques cas par an dans les états les plus pauvres et les plus défavorisés du pays- Elle est allée se brûler elle-même sur le bûcher. Selon le code pénal indien, la sati est punissable par la loi seulement si la mort de la femme sur le bûcher funéraire de son mari est accompagnée de célébrations publiques. Etre veuve en Inde reste une tare, et, généralement, la belle-famille rend la femme responsable de la mort de son mari. La coutume veut qu’une veuve n’assiste jamais aux célébrations de la naissance d’un enfant, de peur qu’elle n’apporte le « mauvais œil ». Dans l’Inde ancienne la veuve se trouvait pratiquement déchue de ses droits familiaux et sociaux. Elle devait mener une vie d’austérité, dormir sur le sol et se vêtir de vêtements simples et blancs. Aujourd’hui encore, près de 20000 veuves (sur les 33 millions que
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passage ». Dans un pays qui se projette comme la grande puissance
compterait l’Inde), rejetées par leur famille ou belle-famille, vivent en mendiant sur les bords du Gange dans les deux villes saintes de Bénarès et Vrindavan, cette dernière appelée communément « la cité des veuves ». Les plus jeunes sont contraintes à la prostitution
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pour survivre.
Alors que les garçons sont à l’école, nous observons sur une place deux fillettes, qui s’amusent avec un cerceau.
La plus grande démocratie du monde.
Avant d’arriver en Inde, j’hésitais sur le nom à donner aux personnes qui y habitent. Comment doit-on les appeler « hindou » ou « indien »? En fait, l’appellation « hindou » n’est valable que pour 80% de la population. C’est le nom donné aux personnes pratiquant l’hindouisme. L’Inde est un carrefour de peuples, de langues, de ciculturel et religieux ». Vue de l’intérieur, nous avons l’impression qu’ils ont le désir de cultiver cette diversité. On entend parler souvent de l’Inde comme étant la plus grande démocratie du monde. Mais la réalité est que l’Inde demeure un cas extrême de démocratie politique sans démocratie sociale. Respectueuse, pourtant, des élections et de leurs conséquences, la démocratie indienne n’a pas su ou voulu mettre fin au système parfaitement inégalitaire des castes. Actuellement, a lieu, une révolution silencieuse des basses castes qui s’affirment de plus en plus politiquement dans les zones rurales, on parle même d’« une guerre des castes ». Mais on ne l’a pas du tout ressenti, Mathieu et moi. Ce que j’ai remarqué c’est la proximité entre la religion et la politique. Durant notre passage au Rajasthan, ont lieu les élections « municipales » de Fatehpur. Des meetings sont organisés dans les rues, et plus précisément sur la route, bloquant dans le même temps la circulation. Nous ne comprenons pas ce qui est scandé au micro, mais les intentions exprimées par le speaker sont très explicites. C’est une femme qui doit être élue à Fatehpur, c’est la politique de proportionnalité du gouvernement qui l’impose, et qui a décidé que cette ville aura un maire au féminin. Pour la propriétaire de l’haveli, les élections sont très importantes, cela joue beaucoup
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Fatehpur - août 2005
vilisations, de religions différentes, c’est une sorte de « mille-feuilles
sur l’évolution du centre culturel. Le jour des élections est arrivé, et l’haveli est déserté, personne ne travaille un jour électoral. C’est une femme qui représente un parti au penchant traditionnel et musulman qui remporte les élections. Deux jours plus tard la princesse est reçue chez la nouvelle maire, ou plus précisément par l’époux de celle-ci. En effet, la princesse a pour interlocuteur son mari, et la femme est là uniquement pour rentrer dans le quota de femmes dans la politique
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indienne.
Les deux personnes à connaître si on vous parle de l’Inde, ce sont bien sûr Gandhi et Nehru. Et même si ce n’est pas le cas, il est difficile d’éviter les statues géantes présentes partout dans toutes les villes et villages. Leurs représentations sont toujours identiques, Gandhi qui marche et Nehru qui prend une position imposante, tel un père. Cela peu se comprendre, c’est quand même grâce à eux que l’Inde est devenu indépendante. Je me permets une petite précision : depuis 1947 sont succédés Indira, Rajiv et Sonia Gandhi au gouvernement Indien. Mais ne soyez pas aussi naïf que moi. Ces « Gandhi » là, sont les descendants de Jawaharlal Nehru et non du Mohandas Karamchand Gandhi.
Quelques chiffres...
Répartition de la population (en millions de personnes) HOMMES
60
40
20
80+ 75-79 70-74 65-69 60-64 55-59 50-54 45-49 40-44 35-39 30-34 25-29 20-24 15-19 10-14 5-9 0-4 0
13%
0
espérance de vie :
65 ans
en France elle est de 80 ans
FEMMES
Un pays encore rural - répartition de la population (en fonction de l’habitat,2005) VILLES 308 millions (27,77%)
CAMPAGNE 801 millions (72,23%)
population totale 20
40
60
1 109 millions
80%
2%
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à gauche, Gandhi - à droite, Nehru
par âge et par sexe - 2005-
Fatehpur - Le Shekhawati - Rajasthan - ao没t 2005 -
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27.08.05. Départ de Fatehpur. On a quitté l’haveli, en disant au revoir à la famille Indienne et aux différents ouvriers. On se rend compte qu’on s’est attaché à ces personnages. On offre une montre au nouveau cuisinier, « Papou », en espérant qu’il soit plus précis pour les horaires de repas. Ses yeux brillent, il s’empresse de la mettre à son poignet, et nous remercie à plusieurs reprises. Sur la route qui mène à la station de bus, plusieurs personnes, inconnues à nos yeux, nous saluent.
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Quatre heures plus tard, nous arrivons à Jaipur, nous négocions un hôtel, à 250 Rp, soit 5€ pour deux personnes. On se croit dans une chambre d’internat, sous les toits, c’est sympa. Nous profitons d’être à Jaipur pour jouer aux touristes et visiter les forts qui dominent les montagnes. On peut encore remarquer et imaginer la splendeur des temps passés. Je dis bien imaginer, car ce que nous visitons, ne sont que d’immenses espaces délimités par des murailles, vidés de toutes sortes de vie. Seul des singes se sont appropriés les lieux, au bonheur des touristes. Pour accéder aux forts, nous nous lançons dans une ascension, sans tenir compte de notre condition physique ridicule à ce moment du séjour. En redescendant, un indien démuni de ses jambes, nous invite à monter, pour 1 Rp, sur un pèse personne, nous pouvons constater que nous avons laissé quelques kilos à Fatehpur (7kgs)…mais je crois que ce serait malsain de se plaindre. Le lendemain soir, nous rencontrons un indien d’une vingtaine d’années qui semble être passionné par la culture française, il
nous invite à boire un verre dans un palace de la ville. Il descend « retirer de l’argent » et revient accompagné d’un ami (on avait déjà aperçu cet homme dans un web coffee, la veille). Ce dernier travaille dans une joaillerie, il est content de nous rencontrer. Il nous offre un autre verre et nous dit que l’on peut se faire beaucoup d’argent grâce aux bijoux. Il nous invite à manger, mais nous déclinons l’invitation, en prétextant une envie de se reposer. Il appelle son chauffeur, et 5 minutes après il nous dépose à notre hôtel. Il propose un rendez-vous pour le lendemain à 10 heures, pour discuter « affaire ». Nous acceptons officiellement. Mais en réalité, nous avons vu venir l’arnaque dès le début, et nous décidons de quitter l’hôtel à 7h00, en faisant attention de ne pas laisser de traces sur notre destination. Peut être que nous sommes un peu parano, mais dans ce toute vigilance est de rigueur. Ensuite nous prenons la direction de Delhi, nous qui sommes partis en Inde avec pour objectif d’y rester 6 mois, dont 3 au centre culturel, nous devons réfléchir à ce que nous allons faire maintenant. De nombreuses discussions sont lancées, et c’est vrai que nous sommes un peu perdus. Nous n’avons pas beaucoup d’argent, il nous est impossible d’envisager de rester faire du tourisme pendant cinq mois. Alors nous décidons de chercher une agence de design, ou quelque chose qui se rapproche de la création et qui pourrait nous servir pour notre futur. Durant une semaine, nous nous installons dans des « cyber café » et proposons nos services en ligne à plusieurs dizaines d’agences dans toute l’Inde. Alors que notre optimisme s’amoindrit, nous recevons notre première réponse. C’est une agence de Bangalore, Idiom design consulting, avec pour interlocuteur une dénommée « Sonia », qui nous envoie une réponse :
43 ...1 mois au Rajasthan
genre de situation et dans un contexte que nous ne maîtrisons pas,
“Hi guys, Perhaps you did not get my last mail. I am the design head of Idiom, perhaps India’s largest multidisciplinary design firm, growing at the fastest possible pace. With projects in retail, hospitality, rural projects etc. I would be happy to have you here with us. We have our own guest house, which is very beautiful, so your stay and food will be taken care of. We will also give you an allowance...so just come. Take care Sonia Manchanda” Nous sommes surpris de cette réponse très positive, et séduits par celle-ci. Elle fait partie des agences que nous avions remarquées grâce à son site Internet agréable et très frais si on le compare avec fasse partie des dirigeants, cela nous laissait supposer une mentalité avant-gardiste pour l’Inde. Une nuit de réflexion et nous prenons la décision de prendre le train direction Bangalore dans la soirée. (il ne faut pas toujours se poser trop de questions).
du Rajasthan au Karnataka - septembre 2005 -
44 ...1 mois au Rajasthan
d’autres sites web. De plus on avait apprécié le fait qu’une femme
Fatehpur
Rajasthan jasthan
New delhi
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Jaipur
Mumbai (Bombay)
Karnataka
Bangalore
Du nord au sud. On est mardi 6 septembre, et je suis actuellement installé sur la banquette en hauteur du Radjani Express, qui relie Dehli à Bangalore. Voilà 24h00, que le train est parti, il nous reste 12 heures de voyage. On partage notre cabine de 12 m² avec un grand blanc typé nordique et un indien. La vie à bord est ponctuée par les repas et par des séances d’étirement. L’évolution du paysage nous attire et nous pousse à mettre notre nez à l’extérieur du train. La 46 ...les Indes
sensation de liberté est bien présente, je suis assis sur les marches de la porte d’entrée du wagon, celle-ci grande ouverte, je passe des heures à regarder défiler les différents décors que m’offre ce magnifique pays. Un homme me dira plus tard : « l’Inde est un pays de rêve, j’ai 62 ans, j’ai changé tous les deux ans de ville en raison de ma carrière dans l’armée, à chaque fois on a l’impression de changer de pays tellement les paysages et les populations varient. Une vie ne suffit pas pour découvrir l’Inde. » Du nord au sud, de l’ocre au vert, après la foule étouffante de Delhi nous apercevons, désormais, des kilomètres de verdure ponctués de minuscules personnages lointains qui travaillent la terre. Nous profitons de ce répit pour reprendre des forces. Durant une bonne partie du voyage nous sommes restés allongés, nous remémorant dans le même temps notre premier mois en Inde.
pieds, le Sud encore moins. Ce que l’on m’a raconté c’est que l’Inde du Sud est différente de sa sœur du Nord. Elles sont du même sang, de la même famille, mais ont grandi différemment. La croissance n’est pas également répartie en Inde. Une ligne coupe l’Inde en deux, elle passe du Nord du Pendjab au Nord de l’Andhra Pradeh. Les états de la moitié Sud-Ouest ont un revenu par habitant trois fois supérieur à ceux qui sont dans la moitié Nord-Est. On parle d’« un récent développement rapide de deux Indes » : l’une aspirant à la mondialisation, constituée d’un dixième de la population, et l’autre en voie de marginalisation sans retour qui représente près de la moitié de la population. Une Inde comme figée dans le temps, en proie à la misère ou, du moins, condamnée à la stagnation économique et au statu quo social. A ce jour, après un mois au Rajasthan, j’ai du mal à concevoir une Inde moderne, armée pour relever les défis du développement, elle qui semble vouée au désordre. Mais bon, si les journaux le disent c’est que cela doit être vrai. Une situation sociale très inégalitaire. 70% de la population est pauvre, comment penser que 30% de la population seulement puisse réaliser le « miracle indien » ? Ce qui est intrigant, c’est le contraste, sans doute unique au monde, entre le sommet et la base de la pyramide. L’atout de l’Inde, de ce point de vue, est le fait que les petits pourcentages font les grandes masses, en chiffres absolus. Et même si l’élite est limitée, elle représente beaucoup de monde, des centaines de milliers d’ingénieurs informaticiens, des millions de cadres anglophones (60 millions d’anglophones). L’Inde viendra à bout de sa pauvreté dans un délai très long qui ne peut être moindre que le siècle qui commence. Le Monde 2005
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Radjani Express - septembre 2005 -
Je ne connaissais pas beaucoup l’Inde du Nord avant d’y mettre les
48 ... puis 4 mois Ă Bangalore
2ème ème par partie.
Arrivée à Bangalore. Après 1 mois dans « un village » du Rajasthan, l’arrivée à Bangalore est un choc. C’est idiot, mais je me sens rassuré, je retrouve dans cette ville des codes occidentaux. Les rues ont des ressemblances avec les nôtres, les personnes qui remplissent ces rues, sont des femmes en pantalon et des hommes sans moustache. On s’était fait la remarque avec Mathieu qu’au Rajasthan les publicités se retrouvaient peintes sur les murs, un peu comme les pubs « Suze » en France dans les années 50 qui arboraient les façac’est une exagération, du point de vue dimensionnel, du quartier photos du courrier international - Bangalore - 2005 -
Belleville à Paris. Des publicités, sur des panneaux géants, avec des mannequins de toutes nationalités, sauf indienne, vantent des marques, telles que Levi’s, pizza hut, nike,…Chaque rue est ponctuée par un « coffee day’s », très pratique pour se donner un rendez-vous. En effet, nous retrouvons certaines attitudes françaises, comme s’orienter, non pas avec les noms des rues (difficiles à retenir), mais avec les mots représentatifs de la mondialisation : « la rue où se trouve le magasin Levi’s, tu sais, à côté du Mc Do… ». Mais l’Inde comporte de nombreuses surprises, comme cet emblème de la mondialisation « Mc do » qui dans une ville comme Bangalore, avec ses 7 millions d’habitants, n’est présent que deux fois. Heureusement, car la capitale du Karnataka est déjà assez polluée comme ça. Bangalore figure parmi les villes les plus polluées du monde. En Inde le respect de l’environnement, qui fait pourtant partie intégrale de la civilisation, s’arrête à son espace privé, et les lieux
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des des immeubles. A Bangalore, si on fait une comparaison rapide,
publics sont largement abandonnés à eux-mêmes. Bangalore illustre l’extraordinaire hétérogénéité du pays, la ville manque de rues goudronnées ou de lampadaires et dans le même temps, elle est considérée comme la Sillicon Valley asiatique, un véritable havre de capitaux étrangers et de hautes technologies. Aller du centre ville de Bangalore jusqu’à la zone spéciale où sont installées les grosses multinationales de la Shining India (l’Inde qui brille) est une expérience. Routes défoncées, embouteillages monstres de rickshaws, de cars déglingués et de voitures, alignements de taudis avec leurs petites boutiques de nourriture aux mille couleurs et de bric-à-brac rouillé, vaches poussiéreuses indifférentes à la pollution envahissante, la pauvreté indienne vous pus » de verdure et de bâtiments de verre, propres et fonctionnels comme à Palo Alto. Le gouffre entre l’Inde loqueteuse et celle qui rivalise avec les meilleures multinationales n’a jamais été aussi immense. Le Monde 2005 Après deux jours d’imprégnation de notre nouvelle terre d’accueil, nous avons fixé un rendez-vous avec l’agence Idiom. Nous nous y rendons en rickshaw. Arrivés à l’adresse que Sonia nous avait
Bangalore - agence idiom - octobre 2005 -
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prend au cœur. Puis elle s’arrête net pour laisser place à un « cam-
envoyée par internet, c’est un bâtiment d’apparence « moderne » qui s’impose, par sa taille, devant nous. Un gardien, en uniforme, nous accueille par un habituel « welcome ». A peine entrés dans
l’agence, on nous invite à exposer notre porte folio, nous sommes huit personnes autour de la table les yeux fixés au mur où sont projetés nos projets, grâce à un vidéo projecteur, dernière génération.
Le Rajasthan semble déjà très loin. Ce n’est pas une rencontre pour décider si oui, ou non, nous resterons dans l’agence, car leur choix est déjà fait. Les responsables sont très intéressés pour accueillir
des étrangers au sein de l’agence. Leur politique étant de dynamiser
l’agence et d’évoluer, pour cela il leur semble nécessaire d’expérimenter « deux français au savoir faire français » chez Idiom. Idiom c’est la fusion en avril 2005 de deux agences l’une spécialisée en graphisme sous la direction de Sonia Manchanda, et l’une spécialisé en design mobilier et en agencement de magasins, sous la direction de Jacob. Le troisième pilier de l’agence, c’est Guirish, le mari de Sonia, c’est l’intellectuel, le penseur, le businessman de l’agence. Ce dernier est très impressionnant. C’est un peu « Jr » de la série américaine « Dallas », pas uniquement pour son cigare. Par cette fusion Idiom est la plus grosse agence de création indienne avec 80 personnes en décembre 2005, cela, nous l’apprenons lors du premier entretien, ce fut une belle surprise. Après avoir discuté pendant une demi heure, nous quittons la salle avec deux projets à commencer dès le lendemain. Ensuite c’est un chauffeur qui nous emmène chez les parents de Sonia chez qui nous logerons.
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www.idiom.co.in
52 ... puis 4 mois Ă Bangalore
Lemon tree. Nous arrivons au « Lemon tree » dans la soirée chez Mr et Mme Manchanda, plus précisément chez les Généraux Anju et NK Manchanda. C’est le papa de Sonia, un homme d’une soixantaine d’années qui nous accueille, puis une dame habillée d’un Sari le rejoint, sa femme. C’est un couple impressionnant par leur vécu, leur prestance, leur sagesse et leur savoir. J’ai oublié de préciser qu’ils viennent de quitter l’armée indienne depuis peu, dans laquelle ils avaient la fonction de médecin (ils sont dans le Guiness des records ne). gardien - Bangalore - agence idiom - novembre 2005
Notre curiosité nous fait remarquer dès les premiers instants, la présence de plusieurs cadres répartis dans toute la maison, mais reprenant la même photo à chaque fois, le couple habillé de leur uniforme militaire, le jour de leur retraite. Mais ne croyez pas qu’ils se reposent, désormais, paisiblement, après avoir parcouru toute l’Inde durant une trentaine d’année et avoir été décorés lors des conflits tels que celui entre l’Inde et le Pakistan. Non pas du tout, ceux-ci ont pour retraite, la direction de deux importants hôpitaux de Bangalore. Si il y a bien deux fonctions respectées dans tout le pays, c’est celle de l’armée et de la santé, alors cumulez les deux je vous laisse imaginer le respect qui leur est donné. Les accompagner dans leurs hôpitaux est réellement impressionnant, on avance dans les couloirs et une allée nous est faite, bref, tout cela en impose. Vous pouvez comprendre que vivre au quotidien avec des personnes de cette envergure n’est pas commun. Ce n’est pas facile tous les jours. Heureusement, il y a la sœur de Sonia, Ekta, qui travaille
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indiens en tant qu’unique couple de généraux de l’armée indien-
de 26 ans. « Il y a des jours où j’envie les femmes européennes. J’ai 26 ans et j’habite toujours chez mes parents. J’aurais un logement lorsque j’aurais un mari. Si je sors le soir, je dois être accompagnée par ma sœur et son époux. On est partagé avec un modèle de vie à l’occidentale et des traditions toujours très présentes. On est la génération qui fait la transition. » Ekta, graphiste. Nous sommes considérés durant tout le séjour comme leurs fils d’adoption, et donc nous vivons leurs habitudes. Nous sommes
mariage hindou - décembre 2005
aussi à l’agence. Elle habite toujours chez ses parents et est âgée
à aller faire les shoppings hebdomadaires. Ils aiment cela, alors
Kavita - décembre 2005
régulièrement invités chez des voisins, à des mariages, mais aussi
les excuses au retour. Le dernier mois au « Lemon tree » est plus dur à supporter,
bien que nous ayons un étage entier pour nous, nous ne sommes jamais réellement libres. Je viens tout juste de rencontrer Kavita,
une « charmante architecte » de l’agence, et cela ne va pas faciliter les rapports à la maison. Mais des évènements, comme la fête de la lumière ou la venue des parents de Mathieu, réparent les petits mal entendus du quotidien. La fête de la lumière a lieu au mois de novembre dans toute l’Inde, elle dure trois jours. C’est l’occasion pour les indiens de
fête de la lumière - novembre 2005
54 ... puis 4 mois à Bangalore
quand l’un de nous se permet un moment de liberté, il faut préparer
tout âge de s’abandonner aux plaisirs des feux d’artifices et autres moyens pouvant créer de la lumière (assez dangereux).
55 ... puis 4 mois Ă Bangalore
Intoxication occidentale. Le fait de travailler et donc de côtoyer des indiens, me permet de partager et découvrir les loisirs de la classe moyenne et aisée indienne. Lorsque l’on sort avec les patrons de l’agence on se retrouve dans les palaces où toutes les personnes dites « importantes » de Bangalore sont présentes. On a l’impression d’être dans un jeu : «qui paraîtra le plus occidentalisé ?». Nous, nous sommes hors
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concours, paraît-il que ça nous colle trop à « la peau ». Ce jeu du « paraître » est intéressant à observer, les personnes présentes dans ces lieux « branchés » semblent « intoxiqués par l’occident », mais cela n’est que formel, car quand on discute avec certaines personnes on ne distingue pas de changement dans les attitudes et dans la manière de penser. Mais cette attitude n’est pas uniquement valable pour l’élite indienne, car une grande partie de la classe moyenne peut être perçue comme un laboratoire des changements véhiculés par la mondialisation, c’est une « Inde désorientée » qui nous apparaît. On peut le voir comme l’expression de la modernité indienne, mais j’imagine que beaucoup d’indiens le prennent comme une menace sur l’indianité. « Hindu » désigne ce qui est lié à la religion de l’Inde, « indian » (indien) s’applique aux personnes et choses relevant du territoire de l’Inde. « Indic » s’emploie pour parler de ce qui est historiquement et culturellement d’origine indienne, même si ce n’est ni un élément de la religion Hindoue ni un élément du pays. Le bouddhisme, par exemple, est indic. Il se pourrait que l’Inde à
l’heure occidentale soit en train de devenir « indic ». Comme partout, on observe des métissages linguistiques, avec par exemple le développement de l’ « hinglish » hybride d’hindi et d’anglais, ou musicaux, avec la diffusion de l’ « indipop ». Mais ces formes de fusion ne suffisent pas à rendre compte de la spécificité du phénomène Indien, qui consiste désormais à se fabriquer soi-même dans un monde marqué par l’occident. « Je t’aime moi non plus » reflète le rapport Inde-occident, entre fascination, surprise, extase et méfiance. Un fait, qui exprime très bien ce rapport, c’est quand l’agence Idiom demande les services d’un manager anglais, David Griffit pour organiser et imaginer une stratégie pour le futur de celle-ci. David est accueilli comme quand nous parlons avec Guirish, celui-ci nous fait part de sa méfiance envers David. Il nous fait bien comprendre qu’il demande, uniquement, les services de David, pour qu’il apporte son expérience et aussi de la crédibilité à l’agence, mais que c’est avec la touche indienne qu’ils veulent faire grandir Idiom. Ils ne courent pas après les investisseurs, ce sont les investisseurs qui attendent à la porte d’Idiom. Donc ils ne sont pas dans l’urgence d’acquérir un process parfait. Ils prennent le temps de se construire un savoir-faire qui leur soit propre. « Ici tous les marchés sont à prendre, il y a des opportunités dans tous les domaines. Je ne fais aucune publicité et tous les jours j’ai de nouveaux clients. Les projets viennent à nous et on n’a pas assez de personnes pour répondre aux demandes. » Guirish. L’Inde change à son rythme et acquiert ainsi certains aspects de la modernité occidentale mais tout en évoluant, elle conserve nombre de ses caractères originaux, si bien qu’elle semble parfois manier les contraires. Par exemple, la cuisine, qui est un
57 ... puis 4 mois à Bangalore
nous très très bien, écouté et suivi sur beaucoup de choses, mais
point d’ancrage de la culture indienne, résiste aux modes de la consommation étrangers. Bien sûr les fast food ont un grand succès comme KFC où on y sert des hamburgers « végétariens » ou au poulet. L’Inde a une capacité à digérer les influences occidentales qu’on ne peut pas négliger et qui s’expliquent : on a affaire à une civilisation d’un milliard d’individus, ce n’est pas quelque chose que
58 ... puis 4 mois à Bangalore
l’on peut transformer en quelques années.
Entre tradition culturelle et modernité.
Un matin, j’arrive dans l’agence, je tombe sur une scène atypique à mes yeux, mais commune pour le personnel d’Idiom. Cinq personnes sont accroupies pour réaliser une fresque florale pour célébrer le festival de l’ « happy onam », un festival parmi tant d’autres. C’est vraiment étrange de voir toutes ces fleurs se fondrent dans la masse informatique. C’est comme le « Puja », festival où l’on doit célébrer les outils de travail, du tractopelle à l’ordinateur. Ceux-ci sont recouverts de fleurs et bénis par un sage. Une célébration est organisée dans l’agence même. On y sacrifie une « pastèl’occasion entre deux ordinateurs. On doit baisser la tête devant « une flamme sacrée » et pour conclure obtenir le fameux point de couleur sur le front. Avec Mathieu, nous nous prenons au jeu, par respect pour eux. On se pose régulièrement la question : comment l’Inde peut elle faire perdurer son équilibre entre, d’un côté, sa tra-
festivals- Bangalore - agence idiom -
dition culturelle, religieuse, rurale et, de l’autre, son développement économique ? Plus les jours défilent à Bangalore, plus nous sommes impressionnés de la capacité à métisser ses cultures, à combiner ses traditions et la modernité qui lui vient de l’extérieur. L’Inde change, mais à son rythme, et reste une terre de contrastes. C’est une identité en mutation. Devenu indépendante en 1947, l’Inde s’invente une voie bien à elle. L’Inde ne s’est pas transformée de façon brutale mais a cherché à s’adapter aux pressions extérieures en restant elle-même, du moins c’est l’impression qu’elle nous donne. C’est un peu déroutant cette préservation culturelle, mais c’est ce qui lui donne du charme.
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que », on est invités à aller prier devant un petit temple réalisé pour
Le dimanche à Bangalore, c’est le jour des « seigneurs Bollywoodiens » (dès le mercredi on va réserver les billets pour la séance dominicale), c’est une activité familiale ou entre amis, mais qui se vit en groupe. C’est vraiment une belle expérience, avec plein d’interactivité. Même si avec Mathieu nous ne comprenions pas l’Hindi, voir les spectateurs s’exclamer, c’est un régal. Cela me fait penser, pour ceux qui connaissent, au film « cinéma paradizo », qui se déroule en Italie dans les années 40. cette évolution métissée de l’identité indienne. Le pays s’est approprié une invention européenne mais l’a pliée à ses codes, à son imaginaire. « Bollywood » et ses milliers de longs métrages sont à l’image de l’identité indienne actuelle, se réinventant en permanence avec les outils de la mondialisation. Le cinéma indien ne s’est pas américanisé à outrance, il a gardé la structure des films qu’il avait traditionnellement. Le film « hindi », c’est un film qui dure trois heures, et est entrecoupé de séances de danse, il a toujours une intrigue qui fait une large place au problème de la famille, aux problèmes de société et malheurs sentimentaux, les deux étant en général liés, comme dans le mariage arrangé, de l’impossible union intercaste, etc… « Bollywood » est plus indien que hollywoodien. Ce genre cinématographique met en effet les ressources du trucage au
affiche de film-avril 2006
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L’industrie du cinéma est un bon exemple pour représenter
rue de Bangalore - septembre 2005
Bollywood.
service de l’imaginaire religieux en montrant la puissance surnaturelle des dieux (miracles,…). Ces efforts de synthèse expliquent sans doute en partie la capacité de résistance de la culture indienne aux modes étrangères. Car au-delà de ses habitudes alimentaires et
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vestimentaires, l’Inde a conservé une musique, un art pictural, une littérature et un cinéma qui lui sont propres, voire qui s’exportent. Connaissez vous une personne qui puisse réunir la popularité de Claude François, de Gérard Depardieu et de Jean-Pierre Foucault. Moi oui, et il se nomme Amitabh Bachchan. C’est un acteur de cinéma, âgé de 63 ans, c’est l’icône de tout un peuple. Il n’y a pas une journée où tu ne vois pas son visage. Paraît-il qu’il est toujours à l’affiche d’un film, voire deux en même temps. Et même si vous ne le voyez pas au cinéma, c’est à la télé, que l’on peut croiser sa barbichette blanche qui dénote de sa chevelure rousse. En effet, depuis quelques temps il est le présentateur vedette de l’émission « Qui veut gagner des millions ? » indienne (Kaun Banega Crore Pati).
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Et quand celui-ci a des problèmes de santé, l’Inde toute entière retient son souffle. Ainsi en novembre 2005, alors qu’il était cloué sur son lit d’hôpital par des coliques néphrétiques, on a pu voir des images de son côlon surimposées à son portrait à la une des journaux indiens. En 1999, un sondage de la BBC l’a désigné comme « superstar du millénaire », devant Marlon Brando
Les atouts pour l’avenir. L’ambiance à Idiom est très bonne. A la différence des rencontres vécues au Rajasthan, où un fossé trop important, dû à la langue et à leur ouverture au monde un peu limité, s’était creusé. Les contacts avec les employés sont très ouverts : religion, politique, sexe, … Nous avons, près de nous, un échantillon de l’ « Inde moderne ». Des jeunes prêts à tout pour réussir, même si il faut défier les traditions, sur certains points(avec des gants, bien sûr !). On parle souvent avec les patrons des points forts de l’Inde d’aujourd’hui. Un ressort avec fierté, c’est l’existence d’universités, économique, l’Inde bénéficie des cerveaux qui sortent chaque année des universités ou grandes écoles. L’efficience des systèmes éducatifs devient le facteur-clef, c’est là que se joue la compétition mondiale (les Zidane de l’informatique ou de la banque). Selon les chiffres cités par le magazine India Today, 525 000 ingénieurs, 250 000 docteurs, 1,7 million de diplômés en matière scientifique et 1,5 Amitabh Bachchan
million d’anglophones, diplômés en commerce et management, arrivent sur le marché. Et c’est vrai aussi que l’un des points fort bien connu de l’Inde, c’est que ce pays est un gros réservoir de main-d’œuvre anglophone éduquée et très bon marché. Un ingénieur local coûte environ 30% à 40% moins cher qu’un occidental. Les grands de ce monde ne courtisent pas le pays pour ses 300 millions de pauvres, pour ses millions de porteurs du sida ou pour ses milliers de villages qui attendent encore l’eau et l’électricité. Ils viennent à la recherche de marchés, d’une main-d’œuvre qualifiée et peu coûteuse, d’un pays qui par sa dimension (3 291
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qui n’ont plus à rougir des occidentales. Pour son développement
000 km²) et sa population (1,08 milliard d’habitants) est appelé à jouer un rôle sur la scène mondiale. Le Monde 2005 Mais, le système éducatif y est dépassé par l’expansion fulgurante du secteur des hautes technologies. L’Inde va souffrir d’une pénurie de 500 000 professionnels qualifiés d’ici à 2010. L’Inde est devenu une terre d’émigration dans les hautes qualifications. Et Idiom reflète très bien cela. Ils vont chercher dans les écoles anglaises de management, de futurs collaborateurs intéressés pour une expérience indienne. Avec Mathieu, on a remarqué que le facteur indiscutable qui explique pourquoi l’Inde, aujourd’hui, est présente sur la scène économique, c’est « son poids démographique ». Celui-ci ne s’oppose
humain est le premier avantage comparatif. Une main d’œuvre éduquée, en bonne santé, volontaire pour travailler et s’enrichir, est le rêve des patrons. En 2020 la moyenne d’âge des indiens sera alors
fête du sport à l’école
Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud. Dans la mondialisation, le capital
de 29 ans, contre 37 ans en Chine et 45 ans en Europe de l’Ouest. Au XXIe siècle, un humain sur six sera indien. L’Inde restera un pays jeune jusqu’en 2050. Tous ces chiffres je les ai recueillis dans divers articles, parce que j’avais besoin de mettre un poids, des dates sur ce que je vois en Inde, et particulièrement à Bangalore. L’Inde détient le record mondial d’accroissement de la population avec plus de 15 millions d’Indiens par an. Le nombre des
école à côté de l’agence Idiom
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plus à l’économie. Les géants économiques de demain ont pour nom
diplômés en Inde est équivalent à la population française. En 2020, l’Inde aura la plus grande population active du monde, et certains voient déjà la main-d’œuvre indienne compenser partout les manques des pays développés. Pour cela faudrait-il toutefois que l’Inde
investisse massivement dans le domaine social, éducation et santé en priorité. Les universités indiennes fabriquent 2,5 millions de di-
plômés chaque année, mais seulement ¼ serait de qualité suffisante. L’Inde est grand comme six fois la France, mais la richesse
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produite ne représente encore qu’un tiers de celle de l’hexagone.
Une masse
au service de la consommation. « L’Inde, pays-continent où il y a tout à faire », c’est une formule qui résume bien la situation dans laquelle nous nous retrouvons avec Mathieu. On ne peut pas s’empêcher de faire la comparaison avec la France d’après guerre, et les années que l’on a appelées en France : « les trente glorieuses ». Durant ces années sont apparus l’art de consommer, et l’importance de la ménagère de moins de et l’automobile se sont démocratisés, et sont devenus nos nouveaux « amis ». « L’augmentation de la richesse des indiens est simple à illustrer. Celui qui se déplaçait à pied, circule maintenant en vélo ; celui qui avait un vélo a maintenant une moto ; celui qui avait une moto a désormais une voiture ; et enfin celui qui avait une voiture a deux voitures… » Kannan 28 ans Designer. Muni de notre déguisement de designer (car nous ne sommes que des individus qui sortons de l’école) nous vivons une situation qui ressemble à nos livres d’histoire du design. L’une des premières choses qu’il nous est demandé, c’est de visiter des maisons
centre commercial - Big Bazaar - Bangalore - 2005
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50 ans. C’est l’époque où le réfrigérateur, la TV, la machine à laver
de personnes appartenant à la classe moyenne (celles-ci sont différentes de la maison dans laquelle nous logeons, représentative de la classe supérieure). De plus, nous passons un après midi dans un centre commercial, « Big Bazaar », enseigne pensée formellement
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ment par Idiom. Nous en profitons pour réaliser quelques photos, en espérant capter les différences, si elles existent, entre les mondes de consommation occidental et indien. Le terme « consommation de masse » porte bien son nom en Inde, étant donné que le marché Indien représente une masse estimée entre 250 et 300 millions de personnes. Il faut savoir que la classe moyenne ne cesse de s’élargir et que sa croissance est la deuxième plus forte au monde après celle de la Chine. 35 millions d’indiens ont atteint un niveau de revenu bientôt comparable à celui des pays développés (1000 dollars par mois). Cette classe moyenne en expansion rapide (+10% l’an) vit côte à chiffre grosso modo stable.
centre commercial - Big Bazaar - Bangalore - 2005
Big Bazaar est présent dans toutes les grandes métropoles indiennes, c’est le « Leclerc », le « Carrefour » indien. Quand nous rentrons pour la première fois dans ce temple de la consommation, nous ne sommes pas perdus. En effet, les codes sont identiques à ceux de la France. Nous sommes encore surpris de l’aisance indienne pour imposer cette touche occidentale dans un tel milieu. Si on prend un peu de recul, on remarque que tout ce plagia illustre bien le fait que l’Inde est dans une position post-industrielle sans même avoir connu l’âge industriel. Et ça, c’est vraiment impressionnant. Les finitions sont indiennes, je veux dire par là, que l’on colle plein d’éléments à la manière occidentale les uns après les autres, sans maîtriser la totalité. En Inde, on te demande de réaliser ce qu’il y a sur la photo, sans imaginer et comprendre le « pourquoi » et
le
« comment » du contenu de la photo. J’exagère, sans doute un peu, mais régulièrement cette sensation est venue à nous.
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côte avec 400 millions de miséreux (moins de 1 dollar par jour),
La maison ...aux mille néons.
C’est Kannan, un jeune designer d’Idiom, qui nous ouvrit les portes de sa maison. Il y vit avec son père et sa sœur. En Inde c’est une petite famille de classe moyenne, par le nombre, car en général les enfants sont plus nombreux. Mais c’est très intéressant, de visiter un foyer d’une autre culture. La maison de Kannan a des proportions qui ne varient pas trop des résidences françaises. Ce grandes salles épurées, où le marbre est très présent. Déjà quand nous rentrons chez Kannan, nous passons par une petite pièce, « la pièce à chaussures », nous nous y déchaussons puis rentrons dans la salle télé. Je n’ai pas vu une maison indienne sans télé, même les basses castes sont munies de l’appareil. Tout le périmètre de la salle est occupé, laissant uniquement le centre de celle-ci libre. L’Inde actuelle est dans l’ère du fonctionnel, et non dans
plan d’une maison de la classe moyenne indienne
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n’est pas le cas de nos voisins musulmans, qui eux, vivent dans de
l’ère du confort. Un de nos premiers projets est de réaliser des meubles adaptés à la classe moyenne indienne. Donc après avoir observé plusieurs foyers, on a bien compris que la tendance va plus vers des meubles « multifonctions ». Le gain de place est tellement primordial que certaines absurdités sont visibles, comme une chaise
rangée au bord de la table principale que l’on ne peut pas bouger car un fauteuil lui enlève toute mobilité. Il y a peu de place, mais toujours assez pour installer des sculptures lumineuses qui leur vont très bien. Il y a un élément que l’on retrouve dans toutes les demeu-
Indian House : middle CLASS
C D
confortable furnitures
well-order zone
T.V. +HIFI
work furnitures
beds
utilitarian chairs
temple "pooja room"
B
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A. entry B. livingroom C.D.E. bedrooms F. washing machine, fridge G. kitchen H. temple room I. Bathroom,...
A
roof
F
G
E
I
H
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res indiennes et qui dénote de la chaleur du peuple indien, c’est la présence de néons dans toutes les pièces. Et donc c’est une lumière blanche et froide qui illumine leurs soirées. J’ai proposé de travailler sur ce phénomène, on m’a répondu que c’est un travail titanesque qui m’attend et qu’il y a d’autres priorités dans le quotidien indien. Ensuite, nous nous dirigeons dans la cuisine, c’est un beau « bleu » qui nous accueille. Personnellement, je suis tombé amoureux du style. On peut voir tous les ustensiles métalliques nécessaires à la gastronomie indienne. On a envie de battre le rythme avec tous les éléments de la pièce, c’est « une pièce qui résonne ». Après, le professionnel qui est en moi, me réveille et m’interpelle sur tous les problèmes présents dans cette pièce. Il faut que je me effort inutile. On nous explique que plus tu es riche, plus les ustensiles sont rangés dans des placards. Une autre pièce représentative de la vie indienne, c’est la photos : maison de la classe moyenne indienne
pièce du temple « Pooja room ». Elle est toujours présente, et les hindouistes vont y prier tous les matins et brûler de l’encens. La salle de bain est toujours la même, la baignoire n’existe pas, généralement c’est avec un pichet en plastique que l’on prend l’eau dans un seau. Le seau c’est un produit très important dans l’habitat indien. D’ailleurs, on nous a demandé de réfléchir sur un nouveau seau. En France, je serais peu motivé, mais en Inde quand on comprend l’importance de ce style d’objet, la motivation vient naturellement. C’est un marché d’un milliard de personnes qui s’ouvre à un tel projet.
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renseigne sur les normes indiennes, mais je crois que ce serait un
Shining
India. (l’Inde qui brille)
Lemon tree », c’est l’heure
de quitter sa moustiquaire. Je descends dans la salle à manger, j’aperçois Malla, la cuisinière, qui finit de préparer le déjeuner et Mathieu assis dans le fauteuil qui lit un magazine. Tous les matins nous sommes conviés par Mr Manshanda à lire la presse de Bangalore et indienne. Il y a le « India Times » et certaines presses qui expliquent la vie des dieux de Bollywood, mais celui qui nous interpelle davantage c’est « India Today ». Celui-ci diffère des autres magazines présents sur la table, il minimise les stars du cinéma et accorde plus d’intérêt, par exemple, à la joueuse de tennis Sania Mirza, 19 ans qui, en à peine plus d’un an, est devenue une nouvelle idole de l’Inde. C’est sa performance à l’open d’Australie, en janvier 2005, qui déclenche l’engouement de ses concitoyens (troisième tour du
photo : Manmohan Singh
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Il est 07h30 du matin, au «
tournoi). Ce n’est pas vraiment sa prouesse sportive que je retiens, mais surtout l’image d’une jeune fille musulmane moderne qui peut servir de modèle d’émancipation aux adolescentes indiennes. On la voit partout faire la promotion pour différentes marques de vê-
tements, de boisson, et même pour un carburant. Mais, ses tenues de compétition et de tous les jours lui ont valu d’être la cible d’une fatwa prononcée par un groupuscule d’islamistes qui trouve que sa garde robe est « non islamique ». Après la presse people en Inde, est mise en avant, de plus en plus, la presse liée au business. C’est la nouvelle fierté indienne. La fraîche réussite de l’économie du pays est davantage visible aujourd’hui. On observe sur la presse papier les potentialités du marché indien et il a de quoi faire rêver. Pour le moment l’Inde hésite à faire sauter les derniers verrous d’une économie qui reste très protégée. Même si le premier ministre Manmohan Singh, depuis sa prise de fonctions, tente de maintenir un cap difficile entre poursuite Manmohan Singh, un économiste formé à Cambridge a séduit la presse indienne, qui salue de manière quasi unanime son parcours. A sa prise de fonctions, il était loin d’être un nouveau venu sur la scène politique. En 1991, il avait été l’artisan de la politique de libéralisation économique voulue par le premier ministre de l’époque, Narasimha Rao. L’Inde d’alors était au bord de la faillite économique, avec un déficit sans précédent de la balance des paiements. Les réformes mises en place, sous l’autorité de Singh, ont permis de favoriser les investissements étrangers et d’alléger les pesanteurs bureaucratiques. Ces mesures ont donné l’impulsion à la politique d’ouverture de l’Inde des années 1990 à 2000. Quand on parle de l’économie indienne avec les personnes de la maison, ils ont bien conscience que l’Inde ne peut que progresser mais il existe encore de nombreux freins au développement rapide, comme la complexité des lois, qui rend toute transaction longue,
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des réformes économiques et soutien aux programmes sociaux.
difficile et coûteuse. Deux secteurs économiques cohabitent : le secteur officiel, où tout licenciement est quasi impossible, et informel…qui emploie 90% de la population active. Pour attirer les étrangers, qui n’ont investi en Inde que 4 milliards de dollars en 2004 (contre 60 milliards en Chine), le gouvernement vient de présenter un projet de loi destiné à créer des zones économiques spéciales, où les entreprises pourront déroger aux lois en matière de droit du travail et d’importation. Même si on doit être optimiste en ce qui concerne l’avenir indien, tout n’est pas facile. L’économie indienne souffre encore d’un énorme déficit en infrastructures. Pour pallier les déficiences
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d’Etat, beaucoup d’industriels ont dû construire leur propre centrale électrique ou leur usine de traitement de l’eau (les industriels de Cochin ont même financé un nouvel aéroport). L’importance prise par le commerce a donné aux hommes d’affaires une influence qu’ils n’avaient pas traditionnellement auprès des bureaucrates, véritables administrateurs du pays. L’Inde est en pleine mutation, et des envies à la française commencent à émerger, comme « les grèves ». Un soir, dans l’agence nous avons observé un début de rébellion du personnel qui se plaignait de travailler un week-end entier, alors qu’ils avaient déjà été présents le week-end précédant à l’office. C’est comme le gouvernement, qui a fait face, en septembre 2005, à la première grève nationale de protestation contre les réformes « néolibérales », et qui a dû revenir sur certains projets de libéralisation. L’Inde est très courtisée et met sa diplomatie au service de l’économie. Elle est « l’autre géant asiatique », le monde qui vient sera indien autant que chinois. Mais pour le moment l’Inde n’est pas la Chine. L’agriculture occupe encore une place essentielle dans
l’économie (32% de la richesse nationale contre 15% en Chine), et les exportations indiennes ne représentent que 1% des exportations mondiales. Mais le décollage est réel. Ce qui est sûr c’est que « le centre de gravité de l’économie mondiale a vocation à se déplacer vers l’Asie » et que le match du siècle sera sans doute : Chine-Inde
.
Tous les jours nous prenons « airport road » et un matin
on voit des ouvriers qui mettent en place un panneau publicitaire géant à l’effigie d’Air France. Il fait la promotion de l’ouverture de la nouvelle ligne Paris – Bangalore. Ce n’est pas une ligne touristique, mais une ligne qui reflète l’évolution de la région de Bangalore vers l’international. et l’Inde. (35 liaisons par semaine assurées). Les compagnies aériennes occidentales convoitent le marché indien. L’Inde est devenu un véritable enjeu pour le transport aérien : avec un trafic qui devrait doubler d’ici à 2010 avec 100 millions de passagers, constructeurs et compagnies lorgnent sur ce marché désormais incontournable – potentiel de croissance important – Tout le monde pousse les feux vers l’Inde. Ces compagnies trouvent aujourd’hui leur clientèle au sein des classes moyennes qui auparavant voyageaient localement en train. Ces nouvelles lignes aériennes sont des images fortes pour exprimer la multiplication des délocalisations vers l’Inde. Si l’on prend l’exemple de l’automobile, désormais, presque tous les grands noms de l’automobile ont des usines ou des centres de recherche en Inde. Et ça s’explique : faire des pièces automobiles en Inde coûte 20% moins cher qu’en Roumanie, où cela coûte déjà 20% moins qu’en France. Renault va produire en Inde la Logan, sa voiture « bon mar-
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British Airways double le nombre de ses vols entre Londres
ché », en espérant 1 million d’exemplaires de ce modèle en 2010. Ce sera l’Inde avant la Chine. Renault s’associera avec Mahindra, le quatrième constructeur automobile indien. Sur 1 milliard d’habitants, 33 millions disposent d’un revenu suffisant pour acheter une voiture. En 2004, le marché automobile indien a représenté 1 million de véhicules, soit 92% de plus qu’en 1998. Elles doivent lui permettre de conquérir les pays émergents, où le constructeur français s’associe toujours avec des partenaires locaux pour s’installer (Roumanie, Russie, Maroc, Colombie, Iran, Brésil) Le Monde 2005
.
A l’agence, je vais de temps en temps sur Internet, pour
lire les nouvelles françaises, et une fois je tombe sur un article qui
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raconte l’ouverture d’un centre de recherche Alcatel en Inde. Donc on peut en conclure que ce grand pays n’intéresse pas uniquement l’occident pour sa main d’œuvre à bas prix, mais aussi pour le potentiel du marché indien. C’est une terre d’accueil de centres de production, mais aussi avec le temps, d’activités exigeant une maind’œuvre très créative et qualifiée. . « centre de développement local » = centre chargé de développer des produits répondant le mieux au marché pour lequel ils sont conçus. . « centre de rationalisation global » = créer dans un pays à bas coût de main-d’œuvre (le cas en Inde) . « laboratoire global de recherche » = implantation géographie due à la qualité de l’environnement scientifique (Sillicon Valley) Alcatel en Inde ce sont les trois réunis , pour leur nouveau produit le WiMax (acheminer des communications radio à haut débit), adapter au marché indien, où le téléphone fixe est peu dense.
.
Si vous voulez faire les connaisseurs du monde indien, il
faut donc connaître l’acteur, Amitabh Bachchan, le premier ministre, Manmohan Singh, mais aussi le dieu Shiva et un incontournable du quotidien indien : l’enseigne Tata. En Inde que ce soit à la campagne ou en zone urbaine, on mange Tata, on se réchauffe Tata, on se déplace Tata, on se soigne Tata, on communique grâce à Tata,… Le groupe Tata est présent partout, « il fait partie de la famille ». C’est monsieur Tata qui a fait fortune, il y a de ça très longtemps. Paraît-il que cet homme est natif de Fatehpur, la ville où nous avons séjourné durant le premier mois. Mais bon ce sont les habitants de Fatehpur qui nous l’ont dit, peut-être que toute l’Inde s’approprie est présent au salon de l’automobile à Genève, c’est une première (Le phénomène indien à l’assaut de la planète). Les grandes entreprises indiennes commencent à avoir de vraies ambitions internationales tant dans l’industrie que dans les services, mais les investissements étrangers restent limités en raison de la bureaucratie et du manque d’infrastructures. Les groupes indiens, qui se sont longtemps contentés de leur marché intérieur, se tournent aujourd’hui vers l’étranger. Parallèlement, le pays s’ouvre aussi aux investissements étrangers, même si beaucoup s’inquiètent de lois tatillonnes, en particulier dans le domaine du droit du travail. « Plus personne ne peut ignorer l’Inde ». L’Inde, de toute évidence, a déjoué les sombres pronostics dressés au lendemain de la partition. Selon les experts, elle est bel et bien entrée sur la scène économique mondiale et semble désormais définitivement sur une trajectoire ascendante. Les grands patrons indiens ne craignent plus de partir à la conquête du monde. Ces dernières années, ils ont vécu une quasi-révolution. Les sociétés indiennes trouvent désor-
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l’origine d’un homme qui est devenu la fierté de tout un pays. Tata
le groupe Tata
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mais un intérêt à se développer à l’étranger avec des produits développés localement qui ne relèvent plus de technologie empruntée, comme dans le passé ( Ex : Tata Motors. La firme a lancé en 1998 sa première voiture de technologie maison). Le développement vers l’international se traduit aussi par des rachats de sociétés étrangères (en 2003, les compagnies indiennes ont acquis 49 sociétés étrangères). Tous les domaines de l’économie européenne seront en concurrence avec l’Inde. Pour pouvoir conquérir le monde, les patrons indiens ont revu la qualité de leurs produits, notion nouvelle pour nombre d’entre eux. Plus rien ne fait peur aux indiens, ils vont être concurrents d’Ariane 5 pour les lanceurs de satellites. Si l’industrie occupe une place moins importante que les
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services dans l’économie (28% du PIB, contre 50%), certains groupes indiens sont sur des « niches» peu connues mais qui témoignent leur excellence. Ex : Bharat Forge, le plus grand fabricant indien de pièces détachées de véhicules, contrôle 60% du marché américain des essieux et 30 % du marché mondial. Et Moser Baer est le troisième fabricant mondial de supports optiques, DVD, VCD, CD. Dans la pharmacie, l’automobile, le ciment, l’acier, l’aluminium…, l’Inde a de véritables champions nationaux. L’Inde sera bientôt un acteurclef du jeu planètaire. - Reliance, premier groupe privé indien (télécommunications, pétrole, finance…) leurs produits sont vendus dans une centaine de pays. - Ranbaxi a repris les médicaments génériques d’Aventis. - L’Inde détient plus d’un quart du marché du logiciel, le premier fabricant de médicaments génériques.
3ème partie.
Made in India.
Made in France.
« J’ai l’impression que dans votre pays (la France), pour être crédible, il faut avoir plus de 45 ans. Moi, j’ai 34 ans et je dirige une entreprise de 150 personnes qui fait de l’électronique de précision. Comme la plupart des indiens, je suis enthousiaste pour le futur.
Les mots d’Assim, c’est vraiment la sensation ressentie au quotidien. Nous sommes restés 4 mois chez Idiom, 4 mois de travail dans un milieu inconnu, 4 mois où nous avons dû prendre du recul dans nos manières à la française. Au début, et cela pendant quelques semaines nous avons eu un rôle d’observateur. Ce sont aussi 4 mois, où nous avons brûlé des étapes. Officiellement nous étions stagiaires, car nous n’avions qu’un visa touristique, mais notre rôle est plutôt d’organiser le pôle design, quasi inexistant dans l’agence. Il n’y a que Janak, 40 ans, qui a le statut de designer et Kannan, 26 ans, qui lui a le statut d’ingénieur-designer. Donc tous les quatre nous avons essayé de faire évoluer le secteur design mobilier et objet, complètement étouffé par le graphisme et l’aménagement de magasins. Donc à 24 ans j’ai eu le statut de manager-designer, ainsi que Mathieu. C’est impressionnant au début, de diriger une équipe. Il a fallu faire nos preuves les premiers jours. C’est notre premier projet qui nous a donné crédibilité aux yeux du personnel d’Idiom. On nous a demandé de réfléchir sur différents éléments
83 made in india ou made in France ?
Tout le monde s’y retrouvera. » Assim, 34 ans, entrepreneur.
différents produits pour l’agencement de l’office Idiom
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pouvant mettre en valeur l’architecture de l’agence (en septembre ça ne faisait que 5 mois que Idiom avait pris forme officieusement, car officiellement c’est le 19 octobre que Idiom existera). Donc nous avions 1mois, avant l’inauguration de l’agence, pour réfléchir et réaliser diverses idées. Ce furent 4 semaines, où nous avons travaillé
85 made in india ou made in France ?
non-stop, 7jours sur 7, 12 heures par jour.
86 made in india ou made in France ?
Au début, il a fallu se régler. nos nombreuses propositions n’étaient pas dans l’ordre du possible indien. Nous ne maîtrisions pas toutes les étapes du «process indien». Il faut plus de 4 mois, pour le maîtriser et le gérer. Tous les jours, nous faisions des erreurs, qui nous permettaient de réussir par la suite. L’autre projet où nous apprîmes davantage sur la création en Inde, mais surtout sur la vie de l’Inde moderne, c’est la réalisation d’un jeu pour la famille indienne. C’est un jeu qui sera disposé dans un énorme complexe dédié aux loisirs (bowling, jeux vidéo,…) Notre première réaction est interrogative : comment des français avons joué le jeu. Durant une semaine nous avons visité tous les espaces de jeu de Bangalore (quel beau métier que d’être designer!), puis nous leur avons fait plusieurs propositions, deux de celles-ci les intéressaient. Il nous a été demandé de réaliser une maquette fonctionnelle pour le jour de l’inauguration, c’est-à-dire en une semaine. C’est une situation qui se répètera régulièrement pendant 4 mois. En effet, ce sont les patrons qui mettent le rythme, sans même maîtriser la complexité de certains projets, ceux-ci préprojet F1.2.3 - prototype fonctionnel
férant favoriser le business. Les rapports entre le personnel et les dirigeants, ne sont pas très constructifs. Les chefs d’Idiom sont les représentants du pouvoir, bien sûr, mais aussi du savoir et de la vérité. Le personnel n’ira jamais contredire un dirigeant. Sur ce point nous avions un avantage, nous n’hésitons pas à dire ce que nous pensons. Même si notre expérience professionnelle avant d’arriver en Inde, se réduisait à quelques stages, nous avons décidé de jouer la carte de l’occident. Nous avons mis en scène, dans un premier temps, «l’être et le paraître», seul moyen de gagner en crédibilité. Nous arrivons à démontrer que la réalisation de deux maquettes à l’échelle 1, est impossible pour les « deux arrivistes » que
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projet F1.2.3
peuvent-ils réaliser un jeu Indien ? Le challenge nous plut, et nous
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nous sommes. Nous optons pour un seul prototype. Nous partons alors à la recherche des matériaux nécessaires, et, à la différence de la France, on ne peut pas s’appuyer sur les « pages jaunes » mais uniquement sur le City Market ( un grand souk, chaque rue a sa spécialité, il y a la rue du plastique, la rue du bois,... ). C’est une belle complexité au début, la langue est un frein, nous ne pouvons pas nous déplacer sans la présence d’un indien, étant donné que les indienne de toujours dire « oui », quand ils pensent « non », nous perturbe. Il est donc difficile de gérer un planning, mais avec les semaines qui passent nous repérons les personnes de confiance et nous trouvons notre rythme. Grâce à nos déplacements, nous visitons de nombreux artisans, aux différents savoir-faire. Il nous arrive de nous retrouver dans des lieux déconnectés des temps modernes ou, du moins, d’apparence. Il faut régulièrement nous démunir de nos préjugés, et faire confiance, nous sommes rarement déçus. D’ailleurs, souvent, nous sommes agréablement surpris. Par exemple, lorsque nous sommes allés voir les prototypes de mobilier réalisés pour le « carrefour indien », Big Bazaar, ce fut une réelle satisfaction. Tout n’était pas parfait, mais nous avions conscience de la difficulté de nos projets. Ce ne sont pas des projets complexes par leur technique, mais qui diffèrent de leur mobilier habituel. Ce projet de mobilier est une belle expérience. Il nous a été atelier prototypage
demandé de réaliser des produits pour la maison indienne de classe moyenne. Avec du recul, on peut se demander si nos créations sont à la manière indienne ou à la sauce française. Je pense tout simplement que nous avons réalisé des projets indiens avec nos sentiments français. C’est assez « tripant » de réaliser des projets qui auraient du mal à voir le jour en France. Nous étions très libres,
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boutique city market
artisans ne parlent, pour la plupart, que l’hindi. De même l’attitude
quasiment toutes nos propositions étaient prises au sérieux, nous avions gagné la confiance de nos supérieurs. Cette situation donnait lieu à des gestes d’agacement de certaines personnes. « Sous prétexte que je suis indienne, je serais moins payé qu’un architecte Européen venant travailler à Bangalore. Pourtant, j’ai étudié et travaillé à Londres pendant 3 ans, mais ma nationalité ne joue
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pas en ma faveur, ça peut énerver. » Naina, 32 ans, architecte.
Mais globalement, la vie au sein de l’agence était bonne et agréable. La musique indienne met l’ambiance tout au long de la journée, même si de temps en temps, avec Mathieu nous imposons notre musique. Notre bureau est un lieu de curiosité pour eux, et, dès qu’ils le peuvent ils nous posent des questions sur notre pays. Les nombreuses pauses thé « the tea time », favorisent ces moments d’échanges. Les soirées d’Idiom, elles aussi, valent le détour. C’est Bolexplosives », tel un combat. Nous pouvons observer comment les indiens « se draguent », ça vaut le coup d’œil. Tout ça pour dire que ce fut une belle expérience, à tous les points de vues.
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produits pour Big Bazaar
lywood en miniature, nous avons droit à des scènes de danse «
projet grinder - existant
aménagement magasin «Urban Yoga»
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projet grinder - maquette
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projet grinder - 3D
aménagement magasin «Shoes Factory»
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L’arrivée. Je suis revenu depuis 6 mois. En effet le 28 décembre 2005, je quittais Dehli, en me demandant si ce départ signifiait une fin ou
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un début. Ce mot, « départ », je me plais à l’aimer. C’est un mot qui me rassure. Même si la destination m’est inconnue, comme le jour de notre départ pour l’Inde, le 1er Août. Nous ne connaissions rien de ce pays, si ce ne sont les histoires poussiéreuses et charmantes à son sujet. Mais nous l’avons fait, nous sommes partis et surtout nous y sommes arrivés. J’ai compris que le plus intéressant c’est le résultat du départ, « l’arrivée », car c’est éphémère un départ. Alors arriver dans un pays comme l’Inde, habité d’une saveur si forte et si difficile à définir, nous donne l’envie de bousculer nos sens et de prendre le temps de la décrypter. Durant cinq mois, j’ai eu l’impression de marcher, de sentir, d’entendre, de respirer différemment. Et je suis sûr, aujourd’hui, qu’il n’y a pas besoin d’aller aussi loin pour vivre cela, il faut juste se déplacer et arriver quelque part. Le 29 décembre je suis « arrivé » en France. Je ne peux pas
dire que j’avais mis « ma France » entre parenthèses, mais je l’ai redécouverte. J’apprends à accepter certaines choses, en sachant qu’ailleurs, c’est différent ou identique. Mon épisode indien me donne les moyens de boucher des trous que j’avais laissés vides avant de partir, tout comme achever des phrases que je n’arrivais pas à finir auparavant. Il est vrai que je n’écoute plus la France comme avant, que je m’y sens moins cloîtré, peut être plus libre. Mes limites ne sont plus celles d’un hexagone, mais elles s’étendent désormais aux rues aux mille trous de Fatehpur, en passant par Main Bazar à Delhi avec ses milliers de marchands, jusqu’au Big Bazaar de Bangalore, emblème de la nouvelle Inde. Vous allez trouver que je conclus trop rapidement ce moment « indien ». Mais pour moi, le plus important, c’est d’avoir compris qu’il faut arriver « ailleurs », pour se visiter soi-même, avec
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l’ambition naïve d’efflorer « sa vérité ».
Fin ou début...
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L’Inde cotemporaine de 1950 à nos jours p a r
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