SOUVENIRS DECONFINES
« Souvenirs deconfinés » Exposition 8 avril - 20 mai 2021 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille Idee et conceptualisation : Ekaterina Shamova Commissaires : Ekaterina Shamova, Caroline Bauer, Benjamin Delaunay
Catalogue Textes : Ekaterina Shamova, Caroline Bauer, Benjamin Delaunay, participants de l’exposition Design graphique et conception : Ekaterina Shamova Prises de vue : Ekaterina Shamova, Anthony Galerneau
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Remerciements À nos contributeurs pour leur intérêt, partage et bienveillance À Stéphane Beaudonnet et Sébastien Frémont pour leur aide dans la fabrication des éléments de mise en scène et support technique et attentif À Romain Klapka et Anthony Galerneau pour leur accueil, communication sur l’exposition et aide dans sa diffusion et pérennisation À Pierrick Lecomte pour son implication et dévouement dans le montage d’exposition À Francois Andrieux pour nous avoir permis de porter ce projet au sein de l’école
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Vues de l’exposition Page de gauche : Pierre Lebrun, Caroline Bauer, Sabine Ehrmann, Edouard Bouzereau, Aude Cliquennois Page de droite : Clément Le Goff, Geoffrey Galand, Ghaidaa Fahd, Caroline Bigot, Pierrick Lecomte, Béatrice Mariolle
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Vue de l’exposition Philippe Louguet, Geoffrey Galand, Caroline Bauer 7
TABLE DE MATIERES Avant-propos Les commissaires Aude Cliquennois Edouard Bouzereau Sabine Ehrmann Pierre Lebrun Caroline Bauer Baptiste Auguste, Thomas Levant Rosane Lebreton Sébastien Frémont Vincent Ducatez Philippe Louguet Geoffrey Galand Béatrice Mariolle Caroline Bigot Ekaterina Shamova
p.10 p.11 p.13 p.15 p.16 p.18 p.19
Benjamin Delaunay Eric Monin Gilles Maury Pierrick Lecomte Ghaidaa Fahd Clément Le Goff Mélusine Pagnier Ilyas Chaoui
p.41 p.42 p.45 p.46 p.47 p.49 p.51 p.53
p.21 p.23 p.25 p.27 p.29 p.33 p.35 p.37 p.40
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Vue de l’exposition Mélusine Pagnier, Bélatrice Mariolle, Clément Le Goff, Geoffrey Galand 9
AVANT-PROPOS Seuls dans nos appartements ou entourés de nos familles, éloignés des centres-villes en pleine campagne ou au coeur de l’atmosphère inhabituelle des rues désertées, profitant des moments de solitude et d’introspection ou à l’inverse accrochés au téléphone avec nos proches, nous avons traversé, chacun à notre manière, les deux mois de confinement au printemps dernier. Deux mois où nous avons réappris à chaque sortie à marcher sur le sol, à regarder autour, à sentir le changement du temps ou alors à voir autrui. Confinés là où nous étions, 23 heures sur 24, nous avons tous eu à nous habituer à ce nouveau quotidien devenu la norme, et à nous y retrouver, réinventer nos points d’accroche, réenchanter nos façons de faire et d’être. Et plus le temps passait, plus la contrainte, après les premiers moments de désorientation, devenait source d’inventivité. Une heure de balade permise
quotidiennement se transformait en une reconquête du temps qui s’écoule, le périmètre du déplacement circonscrit – une découverte merveilleuse de l’ailleurs à chaque fois renouvelé, un bruit lointain – une source de musique, une feuille de papier - un support à remplir, une lumière vespérale – un tableau à peindre, une prise électrique – une oeuvre d’art. Cette exposition réunit ainsi les réalisations d’une vingtaine de membres de l’Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille (étudiants, enseignants, doctorants, administratifs) dont les œuvres protéiformes permettent de faire un retour en arrière et de rendre hommage à ce temps. Les photographies, les dessins, les sculptures, les peintures et les objets exposés proposent un souvenir commun et partagé du vécu sous la contrainte et d’une attention réinterrogée à soi-même et au monde. Texte : Ekaterina Shamova 10
LES COMMISSAIRES Caroline Bauer, maître de conférences en Histoire et Cultures architecturales, chercheure au LACTH Ekaterina Shamova, enseignante, historienne de l’art contemporain, doctorante au LACTH Benjamin Delaunay, enseignant, architecte DE, doctorant au LACTH
Ekaterina Shamova
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« Travailler sur cette exposition était pour moi une occasion de découvrir un monde tout à fait étonnant et franc des personnes que je connaissais ou pas encore. Cette tentative de rapprochement, pas du tout intentionnelle, plus comme une curiosité et une invitation au partage, s’est avérée d’autant plus révélatrice dans les conditions toujours contraignantes de la mise en place, avec des hésitations, des reports, des incertitudes. Il me semble que le dialogue, la bienveillance, le soin, sont les notions qui reflètent à juste titre non seulement notre approche à ce travail, mais aussi l’essentiel de relations qui se sont établies entre nous, les commissaires - moi, Caroline et Benjamin, avec nos contributeurs, et avec les personnes qui nous ont soutenu dans cette démarche ».
« Dans une période où les liens étaient distendus, ce projet d’exposition a été une précieuse occasion pour créer des moments de partage au sein de l’école. Grâce à la proposition d’Ekaterina, nous avons pu transcender les tristes circonstances en une expérience commune. À travers plus d’une vingtaine de regards différents, l’exposition rend ainsi compte de la manière dont ce premier confinement a été mis à profit. Tandis que certains prenaient le temps de regarder ce qui les entourait : leur entourage (Aude Cliquennois), leurs intérieurs (Éric Monin, Benjamin Delaunay, Pierrick Lecomte), la nature qui s’épanouissait (Sabine Ehrmann, Caroline Bauer, Ekaterina Shamova,) ou les figures inconnues de la rue (Mélusine Pagnier), d’autres poursuivaient leur passion, de la peinture (Édouard Bouzereau, Philippe Louguet, Clément Le Goff) à la sculpture (Pierre Lebrun) ou le jeu vidéo (Rosane Lebreton). Plusieurs ont profité de ces quelques semaines pour réaliser des projets spécifiques, qu’ils soient familiaux (Vincent Ducatez) ou amicaux (Geoffrey Galand), en utilisant les seules ressources à disposition (Baptiste Auguste, Thomas Levant, Sébastien Frémont, Ghaidaa Fahd) ou en menant diverses expérimentations (Béatrice Mariolle, Caroline Bigot). D’autres, enfin, ont voulu témoigner plus pragmatiquement de cette vie par écrans interposés (Gilles Maury, Ilyas Chaoui) ».
Benjamin Delaunay
Caroline Bauer
« C’est avec plaisir que j’ai accepté la proposition de Ekaterina Shamova de participer à l’organisation et la conception de cette exposition. Malgré les déboires et les incertitudes de l’évolution de la pandémie et des réglementations étatiques, il me semblait intéressant d’exposer comment le confinement, anxiogène, difficile parfois, a permis de retrouver du temps, un temps intime et précieux malheureusement négligé dans le tumulte de nos quotidiens. L’hétérogénéité des participants et des œuvres montre combien ce temps a été propice à la créativité, à la réalisation de projets (toujours reportés habituellement), mais aussi au partage. Par cette exposition, nous avons pu révéler les capacités de chacun à penser, expérimenter, créer, s’exprimer, s’émerveiller, découvrir, qui témoignent, dans ce contexte inédit et inquiétant, de la richesse de l’Humain ». 14
AUDE CLIQUENNOIS Confinés sur Kraft Papier kraft, crayons fusains, sanguines et blancs Il s’agit d’une production de plusieurs portraits, dessinés sur papier kraft et aux crayons fusains, sanguines et blancs. J’ai passé mon confinement à Lille, seule dans mon appartement. Pendant mes deux semaines de vacances au mois d’avril, j’ai pris l’habitude de dessiner tous les soirs une personne de mon entourage, amis ou faisant partie de ma famille. J’ai ensuite accroché les croquis au mur de mon salon, dans lequel je passais le plus de temps. Le choix du support s’est fait naturellement : je dessinais sur des chutes de papier kraft qui me restait après mes cours de dessins à l’école, puis quand le stock s’est épuisé, sur des sacs en papier découpés. Quant au médium, j’avais étudié pendant un semestre l’utilisation du fusain, et j’avais apprécié cette technique. J’ai utilisé d’autres couleurs pour essayer de travailler un peu plus en relief et donner plus de « vivant » aux portraits. 13
Vue de l’exposition Sabine Ehrmann, Edouard Bouzereau, Aude Cliquennois 14
EDOUARD BOUZEREAU Hostile Aquarelle sur papier grain satiné de 300g/m², 28,5 x 31,5 cm Cette aquarelle nous met en présence d’une femme qui, au crépuscule, se tient, ou plutôt se maintient là, face aux éléments, au bord d’une falaise. Dans un équilibre précaire sur la roche friable, elle fait face aux vents violent et à l’écume des flots tumultueux malgré son apparente fragilité. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Pourquoi est-elle là tourmentée sur ces rochers exigus ? Que va-t-il arriver à cette frêle silhouette prise dans la tempête, et dont les tourments contrastent avec la mer d’huile et le coucher de soleil en fond ?
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SABINE EHRMANN tenir, parait-il Dessins à la plume Pendant le confinement je me suis intéressée à la manière dont les oiseaux, et plus précisément les passereaux, s’accrochent aux branches. Il en a résulté quelques petits dessins.
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Vue de l’exposition Pierre Lebrun, Sabine Ehrmann, Edouard Bouzereau 17
PIERRE LEBRUN Orage Fil de fer, feuilles d’aluminium, 1m x 0,70m x 0,60m Durant cette période singulière j’ai réalisé cette œuvre qui délimite un espace de taille réduite tout en permettant à l’air et à la lumière de la traverser et de révéler la complexité de son intériorité.
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CAROLINE BAUER Nature séchée Algues séchées encadrées, formats de 20 x 15cm à 30x25cm Le 17 mars 2020, le temps s’est suspendu, la plupart des repères qui rythmaient ma vie ont peu à peu disparu. La veille, j’ai saisi l’opportunité de pouvoir changer de lieu et de vivre ce moment dans une vieille maison au bord de l’Atlantique. Ces quelques semaines, je les ai transformées en quelques mois, le temps d’un printemps. Les balades quotidiennes suivaient toujours les mêmes sentiers, dans la limite de l’heure et du kilomètre autorisés. Dans l’observation de la nature qui se transformait, j’ai pris plaisir à comprendre, identifier, classer les espèces de plantes, de fleurs et de coquillages, mais j’ai aussi découvert les algues. J’ai ainsi passé mes soirées à mettre au point différentes techniques pour tenter de conserver le dessin délicat de leurs filaments, leurs couleurs étonnantes et le mouvement qu’elles prenaient dans l’ondulation des vagues.
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Vue de l’exposition Caroline Bauer, Sabine Ehrmann, Edouard Bouzereau 20
BAPTISTE AUGUSTE, THOMAS LEVANT d’uneréalisation realisation Tutos d’une d’und’un objet objet Vidéo Le confinement du printemps 2020 nous a contraint à enseigner à distance le projet d’architecture du S6. Les objectifs pédagogiques précisément détaillés dans le carnet de progression du semestre ont dû être revus en fonction des conditions de production des étudiants, notamment devant leur difficulté à produire des maquettes. Il a fallu expérimenter. Dans la phase charnière du passage entre l’idée et sa constructibilité, j’ai proposé aux étudiants de réaliser un objet simple, avec les faibles moyens matériels dont ils disposaient, et de filmer toutes les phases de sa réalisation, à la manière d’un « tuto » de 3 minutes, comme on peut en voir des milliers sur internet. Environ 3 heures de réalisation et 3 heures de montage vidéo maximum. Le résultat a été surprenant, d’abord par le plaisir pris dans cette implication tout à la fois physique et mentale, ensuite par la surprise de voir que les étudiants étaient capables de faire. Mais surtout par la prise
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de conscience que la question technique est accessible quand elle se pense comme un enchaînement de tâches simples. La cerise sur le gâteau fut le moment où le mode opératoire est apparu comme un enrichissement de la dimension esthétique. Texte : Didier Debarge
Thomas Levant
Baptiste Auguste 22
ROSANE LEBRETON Tombée du soir Jeu vidéo « Tombée du soir » a été créé en marge de la première game jam organisée par le Liège Game Lab, laboratoire de recherche en études vidéoludiques. La game jam a été organisée dans le but de créer des jeux pour réfléchir autour de concepts de game studies. Cette première édition a eu lieu le week-end du 23-24 mai 2020 en ligne et avait pour thème « Qu’est-ce que jouer ? ». Cette capsule vidéoludique représente un souvenir de l’autrice. Elle tente de retranscrire ces quelques heures particulières de la journée - le passage du jour à la nuit - à travers le médium du jeu vidéo. Le jeu vidéo prend la forme de deux tableaux qui se répondent, l’un représentant l’ancrage au sol, l’autre étant plus propice à la rêverie. Il s’agit du premier test pour une série de courts jeux vidéo sur le thème du jouer et de l’architecture. Les dessins ont été réalisés à la main au crayon puis colorés, retouchés et animés sur ordinateur. Les sons et les musiques sont issus de banques de sons libres de droits. Le jeu a été réalisé grâce au moteur Construct 3. 23
Vue de l’exposition Sébastien Frémont, Rosane Lebreton, Baptiste Auguste et Thomas Levant 24
SEBASTIEN FREMONT Fabrication d’un banc Vidéo Le confinement du printemps dernier ayant interrompu le travail mené en licence 3 en architecture autour de la pratique du design (Enseignant Bernarth Godbille), je me suis mis en quête de quelques chutes de bois présentes dans mon petit atelier tourquennois (25m2) afin de produire un tutoriel à destination des étudiants visant à détailler les différentes phases de fabrication d’un banc. (Il y aura dans la suite du confinement plusieurs autres tutoriels du même genre). Je suis donc parti d’une pièce de chêne issue d’un plateau de table des années 30 (type meuble du catalogue des Galeries Lafayette) que j’avais trouvé sur le trottoir et d’une chute de plateau de chêne abouté résultat de l’amnégament d’une kitchenette. L’ambition de cette réalisation réside à la fois dans l’économie de moyen, mais également dans la démonstration qu’une structure de piétement réalisée avec des sections très fines (moins de 30mm à la base du pied) peut au final porter le poids d’une personne (en l’occurence 78 kilos). 25
Un banc, une table basse, une paire de tables de chevet,… tout est prétexte, dans ces circonstances « à faire avec » comme on dit dans le Nord. Heureux que les GSB soient fermées (Grandes Surfaces de Bricolage).Tirer partie des moindres chutes de bois... Un reste d’un plateau de table en chêne d’une dizaine de centimètres de large (type Nouvelles Galeries vendue sur catalogue dans les années 30)... Une chute de plan de travail abandonné sur le trottoir légèrement tuilé et tâché (probablement une découpe pour encastrer une plaque de cuisson)… Et c’est lancé !!! des dimensions comme contrainte, des traces de la précédente vie de la matière à intégrer. Peut-être une nouvelle façon de concevoir? Dans tous les cas, au final,… un objet fonctionnel et zéro déchet assuré. Une démarche personnelle qui ne prendra pas fin, même après la fin des confinements.
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VINCENT DUCATEZ Une Horloge pour dyslexique Objet La plus jeune de mes deux filles est dyslexique. Le confinement fut un temps béni pour elle : nous avons pu assurer la continuité pédagogique en fabriquant ensemble des outils spécifiques pour faciliter ses apprentissages. L’un de ces outils est un cadrant adapté à une horloge existante. La difficulté rencontrée est d’associer d’une part 0, 12 et 24 ou encore 2 et 14 mais aussi les minutes et les heures. Il s’agit ainsi d’une double spirale, l’une centripète pour dérouler les heures de 0 à 24 en deux révolutions, l’autre centrifuge pour les minutes de 0 à 60. Ainsi 0, 12, 24 et 60 se superposent clairement dans leur logique propre. Le choix des couleurs fut important, le bleu nuit pour les heures de la nuit, le jaune-orange pour celles du matin, le rouge pour celles de l’après-midi, les minutes sont en noir. Faisant suite à une dernière demande, est apparue la série verte qui concerne les expressions comme « dix heures moins cinq », « huit heures et quart », etc.
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Vue de l’exposition Sébastien Frémont, Vincent Ducatez 28
PHILIPPE LOUGUET La famille ; Coquelicots ; Fragment de corps ; Corrida ; La pesée Acrylique sur toile, dimensions variables J’ai toujours dessiné et peint... Je suis rentré aux Beaux Arts en 1967, en section architecture puis, après avoir obtenu mon diplôme, j’ai mené pendant quarante ans une carrière d’architecte parallèlement à mon travail de peintre. Depuis trois ans je me consacre entièrement à la peinture. Ce n’est pas au travers de la pensée que je peins. Les concepts ont ici peu de place. C’est surtout au travers du moi nerveux que je peins, et selon moi ma peinture s’adresse également directement au moi nerveux. La peinture comme expression du trajet du moi nerveux doit dans l’absolu éviter tout artifice, tout motif, tout système composé. C’est à cela que je veux tendre, à la pure peinture. Jean Dubuffet nous dit : « De la boue seulement suffit ... s’il s’agit vraiment de peindre et non colorier des foulards ». Pendant longtemps la peinture a été pour moi une lutte entre matériel et immatériel, ou une révélation : qu’est ce que la peinture, matérielle, révèle de l’immatériel ? Je suis passé récemment à 29
une nouvelle étape. La raison pour laquelle je ne suis aucunement un peintre abstrait est que je n’ai jamais quitté cet enjeu des rapports entre matériel et immatériel. Pour moi la peinture est par excellence l’art qui célèbre cette énigme de l’Être : comment la matière peut ouvrir sur l’immatériel, l’éclairer, le mettre en lumière... S’attaquer au réel n’est pas si simple, cela exige une certaine rigueur, car l’interprétation du réel que donne la peinture ne doit en aucun cas être arbitraire. C’est tout l’enjeu de la quête... faire entrer le réel dans la peinture, le rendre immortel, corps et âme, est à ce prix. Ainsi, à travers une expression que je veux la plus directe possible, les moyens que j’utilise : couleurs, matières, textures, donnent à voir selon moi le réel dans son intégrité.
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Vues de l’exposition Page de gauche : Philippe Louguet Page de droite : Philippe Louguet, Geoffrey Galand
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GEOFFREY GALAND Hommage à mon cerisier en fleurs 192 fleurs séchées, 50 x 65cm C’est une incroyable parenthèse que nous avons tous vécue en cette période de confinement, nous plongeant de manière alternative dans une relation différente aux autres et au monde. Des différents états que j’ai pu traverser à l’occasion de cet « hors du temps », je retiens le silence intérieur. Le brouhaha incessant du métier d’architecte venait de cesser, celui qui remplit le cerveau des contingences et des urgences du faire. Cela me permit alors de plonger dans cet état contemplatif propice à la méditation et la rêverie et c’est ainsi que j’ai eu l’occasion pour la première fois de voir mon cerisier évoluer au fil des jours, du bourgeon à la fleur. J’ai voulu lui rendre hommage au travers d’une production artistique tout en délicatesse et respect, récoltant ses fleurs une à une pour venir les déposer à la pince à épiler sur une feuille de papier, la lenteur et la précision de cette action me renvoyant aux pratiques du mandala. 33
Livre de recettes des potos confinés Une idée folle qui traînait dans ma tête depuis un bon moment. Faire un livre de cuisine des meilleures recettes de la famille, des amis. Le confinement a mis en exergue ce retour à la cuisine, au plaisir simple d’assembler des ingrédients, de prendre le temps. Parce que la culture du partage, des soirées conviviales et des bons moments échangés est pour moi essentiel. C’est dans ces moments-là que souvent nos hôtes se surpassent pour nous accueillir le mieux possible et le repas « à la française », érigé en patrimoine culturel immatériel de l’humanité, constitue le coeur et le fil rouge de nos soirées, de l’apéro au dessert et parfois plus encore. Je voulais un livre de coeur, un livre qui vous réunisse tous, comme un hommage à votre présence dans ma vie. Pas un livre « érudit » de cuisinier, mais une compilation de morceaux choisis par vous tous, maillés par de petites histoires, qu’elles proviennent d’héritages familiaux ou de récits intimes. On partage tous le plaisir de faire et celui de partager. 34
BEATRICE MARIOLLE Bactéries Boissons fermentées Mon souvenir de confinement est, entre autres, gustatif. Le confinement a apporté une certaine stabilité dans le temps et dans l’espace. Le passage d’une vie de nomade à une vie de sédentaire, permettait d’imaginer des expériences culinaires aujourd’hui largement oubliées tant elles demandent de la patience et de l’attention. Les boissons fermentées sont ancestrales, les souches se transmettent de proche en proche, certaines comme le Kéfir ont des origines incertaines, d’autres comme le Kombucha demandent des semaines de culture avant d’être productives. Ces activités font l’objet de solidarités, contribuant à une économie de la fonctionnalité : on échange des connaissances, on montre ses résultats, on est fiers d’y arriver et inquiets de bizarreries qui adviennent. Depuis début mars j’ai fait naître une souche de Kombucha, fabriqué mon propre levain de gingembre, nourri des graines de Kefir. Tous ces champignons développent
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des bactéries qui transforment le sucre en ferments. Les boissons fermentées qui en résultent sont infinies, en couleur et en goût car après on y ajoute des fleurs, des herbes, des fruits et des légumes. Voilà donc une manière assez touchante de s’inscrire dans des pratiques ancestrales, vernaculaires et de découvrir tous les bienfaits de ces sodas (comme on les appelle en 2020).
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CAROLINE BIGOT Echappées en relief Plâtres à moules pauvres récupération, 25 x 15 x 12
de
Alors que je ne pouvais plus me déplacer, je me suis transportée mentalement sur les reliefs pyrénéens que j’avais foulés en janvier et j’ai entrepris des peintures à partir de mes croquis. J’ai eu vraiment envie de me dépayser en faisant quelque chose d’inhabituel, alors je me suis lancée dans des expérimentations en volume de plâtre. Les premiers plâtres bleus ne sont pas fait pour représenter la montagne. Je les ai fait pour tester la manipulation du plâtre et l’effet des textures et des pigments sur le moulage. Et c’est la lecture du Balaïtous dans le petit volume de plâtre bleu et pointu qui m’a fait prendre conscience de cette possibilité de la montagne. Mes premiers moules avaient donné des formes plus rondes, sauf celui façonné avec l’intérieur d’enveloppes matelassées. Ensuite j’ai choisi des matériaux plus simples, un sac plastique et du plastique bulle à l’envers, j’ai suspendu les sacs pointe en bas, tenté de former des cones. 37
Puis je me suis servi de sacs encore plus grands, j’ai réutilisé un sac à boudins gonflés qui a fait une cime crénelée. Enfin j’ai suspendu le platre coulé dans des sacs de trois textures différentes, en jouant sur l’inclinaison pour varier l’angle des versants, des crêtes et des cimes, en intégrant au besoin un crayon pour élargir l’embouchure du sac et donc les bases des plâtres. Dans ces expérimentations une part est laissée aux ‘hasards bienvenus’ pour obtenir et observer des effets involontaires, et partir de là pour diriger l’expérimentation suivante. Au départ il y a juste la manipulation du plâtre avec des moules bricolés dans des matériaux récupérés (il ne s’agit pas de faire un moule de ‘montagne’). L’observation de la production infléchit l’expérience suivante en essayant de re-produire, ou de produire de nouveau l’effet obtenu par hasard et de poursuivre selon une direction mieux déterminée.
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Vue de l’exposition Ekaterina Shamova, Béatrice Mariolle, Caroline Bigot 39
EKATERINA SHAMOVA Paysages rapprochés Photographie numérique Comment continuer à s’étonner lors des pérégrinations de proximité menant toujours sur les mêmes chemins ? Quand toutes les couleurs et textures possibles du ciel ont été admirées, toutes les portes du voisinage explorées, toutes les rues sont devenues si connues, ce qui reste c’est de s’attarder sur les détails, aller au niveau du minuscule, du presque invisible. Les géographies extraordinaires se révèlent aux yeux de celui qui fait l’effort de remarquer, se pencher. Ces petites plantes dont nous ne connaissons pas le nom grimpant sur les pierres, la mousse étalée sur le bitume, un petit rien se frayant un chemin dans les briques. Le vivant ordinaire qui passe inaperçu obtient une nouvelle signification si nous regardons sous nos pieds, si nous nous obligeons à nous mettre à son niveau. L’oeil qui s’approche et l’imaginaire qui se réveille, et déjà, nous voyageons : dans la forêt de la Sibérie, sur la plaine extraterrestre, dans l’oasis d’un désert lointain...
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BENJAMIN DELAUNAY Révéler pour soigner Photographie numérique Quand on transforme une ancienne étable normande, tout en y habitant, on effectue les travaux par priorités mais également en fonction de nos disponibilités. Or, avec nos vies quotidiennes, il est difficile de dégager du temps ou de prendre le temps de réhabiliter son chez-soi. Mais le rapport temporel activités / temps libre a été grandement chahuté durant les deux mois de confinement, et nous a permis de nous investir dans des travaux toujours reportés. Il s’agissait ici de défaire une couche de mortier, qui avait été faite à la va-vite, de manière à protéger un mur de refends. Cependant, avec le temps, la chaux présente sur le mur de brique et les tassements successifs ont eu raison de l’efficacité et de l’esthétique de cette finition hâtive. Ainsi, grâce à ce temps d’enfermement forcé, nous avons pu arracher le mortier, assainir le mur camouflé, le soigner et profiter de cet aspect « en l’état», avant de pouvoir à nouveau retrouver le chemin des magasins de bricolage. 41
ERIC MONIN #infrarchitecture 26 illustrations d’une opération menée pendant 52 jours de confinement de mars à mai 2020 sur Instagram Aujourd’hui, le confinement nous rapproche de nos intérieurs. Même s’il est parfois difficile de vivre reclus dans des lieux exigus et parfois inconfortables, je vous propose de saisir ce moment d’enfermement obligé pour apprendre à voir ces détails qui font (ou défont) les qualités de notre environnement domestique. Je vous invite à saisir et partager ces petits riens qui racontent la beauté d’un matériau, d’une texture, d’une lumière, d’un assemblage, d’un revêtement, ou dénoncent l’indigence d’une malfaçon, la médiocrité d’une mise en oeuvre qui pourrit notre vie. Merci d’accepter de rendre compte de ces détails vertueux ou vicieux, sources d’enchantement ou d’indignation, qui ne laissent jamais indifférents. À partir du 19 mars 2020, tous les deux jours sera lancé un appel à images autour d’une thématique spécifique. 42
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Vues de l’exposition Page de gauche : Benjamin Delaunay, Eric Monin Page de droite : Geoffrey Galand, Gilles Maury, Pierrick Lecomte
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GILLES MAURY Journal photographique confinement sur Instagram
du
Poster Journal de bord photographique effectué quotidiennement pendant toute la durée du premier confinement. Photographies au téléphone portable iPhone SE, puis modifiées et postées sur Instagram. Le poster récapitule chronologiquement toutes les photos publiées, ainsi que le nombre de like obtenu. Mise en page sur Indesign.
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PIERRICK LECOMTE Sans titre Photographie numérique Cette série est réalisée d’après le mouvement d’un rideau qui s’ouvrait sur le vide de la nuit. Entre la curiosité et la volonté de rester protégé dans le foyer, la main tente d’en savoir plus sur ce mouvement, d’en devenir maitresse.
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GHAIDAA FAHD Equilibre instable Photographie numérique Seule dans la maison et entourée des livres, d’ustensiles de cuisine et de quelques objets... Les moments étant difficiles pendant le confinement, des sensations étranges m’ont balayée. Des sentiments de solitude, de peur, d’angoisse et de déséquilibre, mais également des sensations de satisfaction. Le projet d’arts plastiques de S4 est le fruit des nombreuses tentatives de stabilisation. En essayant de me stabiliser je me suis retrouvée dans l’essai de stabiliser les choses, et de les empêcher de rouler, de tomber ou de se casser. J’ai pu à travers ce projet me libérer de tous ces sentiments étranges, ce n’étaient pas seulement des tentatives pour réaliser un projet, elles étaient des tentatives pour me stabiliser avant tout.
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Vue de l’exposition Clément Le Goff, Geoffrey Galand, Ghaidaa Fahd, Caroline Bigot 48
CLEMENT LE GOFF Sans titre Dessins, aquarelle, 6x6 cm Les dessins représentent des références à des acteurs célèbres de la criminologie dont le nom est écrit à l’envers derrière les têtes.
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Vue de l’exposition Ilyas Chaoui, Mélusine Pagnier 50
MELUSINE PAGNIER Quatre chemins Photographie numérique Extraits d’une série sur un décor de crise durant le confinement dans le quartier des Quatre Chemins à Pantin, en banlieue parisienne. Un paysage rythmé par des scènes ordinaires, des gestes de solidarités, et de violentes disputes liées à la pénurie de Marlboro bled, dont le quartier est le chef-lieu de redistribution. Témoin extérieure de problématiques génériques à l’ensemble des quartiers populaires de zone dense, les photographies ont été prises depuis la fenêtre de mon appartement.
Le Grand Confinement, journal d’usage d’un espace réduit Extraits d’une BD Une BD réalisée lors du confinement, relatant divers moments de partage ou de solitude, dans une colocation de banlieue parisienne.
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Diverses confinés
illustrations
Rotring, crayons dimensions variables
de
de couleur,
1 : « Alien en quarantaine », 2e jour de confinement 2 : « Alien 2 », 3e jour de confinement 3 : « Emmanuelle au travail », 10e jour de confinement 4 : « Insomnies de Cenk », 36e jour de confinement
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ILYAS CHAOUI Confinement Captures d’écran depuis l’ordinateur Cette période de confinement, je l’ai vécue chez moi, moi et mon ordinateur. Un quotidien rythmé par les cours et les projets, comme si tout allait bien. Un appel zoom le matin, un le midi, un l’après-midi, et un dernier le soir. Des heures passées devant l’écran, des heures de discussions, d’échanges, d’inquiétudes, de sourires, d’ennui, de frustration, de solitude... J’ai pris des captures d’écran de ce nouveau quotidien, un journal virtuel qui immortalise ces moments presque de manière quotidienne. Je les présente aujourd’hui comme mémoire d’un confinement oublié, d’un passé étrange, d’un monde nouveau, d’un moment surréaliste qui a frappé le monde entier. Nous avons tous vécu ces moments de manière différente tant bien que mal. Mais je dois avouer que je préfère regarder le futur, penser au demain, penser aux possibilités, penser à ces nouvelles opportunités qui s’offrent à nous... Demain tout ira mieux, non ?
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Le document est divisé en plusieurs catégories qui se suivent, ponctuées de « pauses » marquées soit par le texte soit par les captures des films. Il y avait une intention de montrer comment zoom, ou l’école, étaient très présents dans mon quotidien, comme une vague. D’un coup je me suis retrouvé dans cette mer « zoomique ». On est submergé, accablé, englouti même.
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Vues de l’exposition Page de gauche : Philippe Louguet, Geoffrey Galand, Pierre Lebrun, Caroline Bauer, Sabine Ehrmann, Edouad Bouzereau, Aude Cliquennois, Sébastien Frémont Page de droite : Caroline Bigot, Benajmin Delaunay, Eric Monin, Béatrice Mariolle
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