Café littéraire - Littérature egyptienne

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gypte, terre d’histoires


hronologie de l’Égypte du XXe siècle...

Le temps de la domination occidentale 1805 : Méhémet Ali se fait nommer vice-roi ou pacha d’Égypte (Khédive) par les Ottomans et érige la civilisation occidentale comme modèle. 1869 : Inauguration du Canal de Suez. 1882 : Débarquement britannique à Alexandrie. Les Anglais exercent un contrôle de fait sur l’Égypte. 1914 : L’Angleterre proclame son protectorat sur l’Égypte. Ralliement de l’Égypte aux côté des alliés. 1919 : Émeutes pour réclamer l’indépendance. 1922 : L’Égypte devient officiellement un royaume indépendant. 1936 : Farouk, roi d’Égypte. Fin officielle de l’occupation britannique. 1948 : Première guerre contre Israël. Défaite de l’Égypte.

La République arabe d’Égypte 1952-1953 : Coup d’État des officiers libres dirigés par Gamal Abdel Nasser. Abdication du roi Farouk. Proclamation de la République d’Égypte.


...entre occidentalisation et nationalismes

1956 : Nationalisation de la Compagnie du Canal de Suez - Les ressortissants étrangers sont expulsés. Nasser devient le champion de l’anti-impérialisme et du panarabisme. 1967 : Guerre des Six jours. L’Égypte de Nasser est vaincue par Israël qui occupe le Sinaï (La défaite : La Nakssa). 1970 : Sadate succède à Nasser : ouverture et libéralisation – Période de l’Infitah. 1973 : L’Égypte retrouve la rive orientale du Canal de Suez. 1979 : Signature du traité de paix de Camp David entre l’Égypte et Israël. l’Égypte est mise au ban des nations arabo-musulmanes. 1981 : Assassinat de Sadate. Hosni Moubarak lui succède. 1991 : Guerre du Golfe. L’Égypte seconde les troupes américaines. 1997 : Attentats du temple d’Hatchepsout. 1999 : Moubarak est réélu à la présidence de la République. 2005 : Hosni Moubarak est réélu pour son cinquième mandat (élections pluralistes). 11 février 2011 : Hosni Moubarak démissionne.


’Égypte au cœur du roman arabe moderne La littérature égyptienne occupe une place de premier plan dans l’histoire de la littérature arabe moderne ; Naguib Mahfouz est ainsi le premier auteur arabe à avoir reçu le Prix Nobel de Littérature en 1988.

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C’est en 1914 que Muhammad Husayn Haykal écrit le premier roman moderne en langue arabe, Zaynab. Au tournant du XXe siècle, le roman arabe fait ses premiers pas dans une société et une culture qui découvrent ce genre littéraire à travers la traduction des romans européens du XIXe siècle. Dans les années 1920, l’écrivain et homme politique Muhammad Husayn Haykal prône l’émergence d’une « littérature nationale » coulée « dans les moules occidentaux, afin que les Égyptiens y voient le signe qu’ils sont aussi avancés que l’Occident, et peut-être le devancent, dans les domaines de la civilisation ». Ce sont Taha Hussein et Naguib Mahfouz qui illustrent le mieux la naissance du roman égyptien moderne : l’un par sa veine autobiographique, l’autre par son réalisme social. Ensuite, la littérature égyptienne devient indissociable de l’histoire politique du pays.


ux origines du roman arabe moderne

Taha Hussein (1889-1973) Il devient aveugle à 3 ans, suite à une infection ophtalmologique mal soignée. Cet handicap développera chez lui, à côté d’un sentiment de frustration, des qualités d’écoute et d’analyse exceptionnelles, perceptibles dans tous ses écrits. Il est un des grands noms du mouvement moderniste dans le monde arabe. Il reçoit une solide formation traditionnelle au Caire (à 9 ans, il connaît par cœur le Coran) avant de découvrir l’enseignement laïque fondé sur l’analyse critique des grands textes. Il obtient un doctorat à la Sorbonne en 1917 avant de devenir professeur puis doyen de la faculté de Lettres du Caire et président de l’Académie du Caire. Sa critique des idées reçues lui valu d’être souvent controversé. Il est surnommé le « doyen de la littérature arabe ».

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Il s'est appliqué à moderniser l'enseignement supérieur et à dynamiser la vie culturelle du pays en tant que Ministre de l’Éducation Nationale. Il a marqué plusieurs générations d’intellectuels du monde arabe notamment en modernisant la langue arabe : les phrases avec lui (peut-être du fait qu'il n'écrit pas ses livres mais les dicte à sa fille, à qui il dédie d'ailleurs Le Livre des jours) acquièrent une plus grande souplesse, le vocabulaire est simple et abordable.

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Le Livre des jours, 1929, préfacé par André Gide en 1947 Ce texte fondateur est étudié en classe en Égypte. À noter qu'il a été expurgé il n'y a pas si longtemps des passages les plus irrévérencieux sur l'hypocrisie des professeurs. Ce livre est d'une rare modernité ; préfacé par André Gide, ce récit autobiographique écrit à la troisième personne relate le passage de l'ombre vers la lumière du grand écrivain ; tout jeune, accompagné de son frère ainé, il intégrera la grande Université du Caire, El Azhar, afin de devenir religieux. Mais la force de caractère de l'enfant en décidera autrement : son livre décrit sa solitude au sein d'un monde professoral jugé inculte et hypocrite, aux méthodes désuètes et inefficaces. C'est la rencontre avec un professeur de littérature qui modifiera la trajectoire du jeune Hussein. Employant le "Il", Hussein évite tout sentimentalisme. À lire aussi : La Traversée intérieure


oom sur Naguib Mahfouz Prix Nobel de littérature (1911-2006)

une traversée de l’Histoire égyptienne du 20e siècle Mahfouz est l’écrivain contemporain de langue arabe le plus connu au monde, premier arabe lauréat du prix Nobel de littérature en 1988. Il est l’écrivain du réalisme, étudiant minutieusement les bouleversements politiques et sociaux de son pays au XXe siècle, et se pose comme l’héritier d’un Balzac, d’un Zola ou d’un Dickens. Au centre de son œuvre, Le Caire, ville où il est né. Ses rues, ses habitants, ses maisons, ses cafés… Son œuvre la plus importante est La Trilogie du Caire, écrite de 1947 à 1952 et publiée en 1956-57. Dans cet ensemble de plus de 1500 pages, il retrace l’histoire d’une famille cairote, de 1919 jusqu’à la chute du Roi Farouk. L’histoire de la lutte contre l’occupant anglais, de l’émergence du sentiment national et au milieu, un patriarche aux prises avec l’effondrement des valeurs traditionnelles… Son roman Les Fils de la médina (1959) déclencha une réaction très hostile (critique des dérives autoritaires du régime de Nasser et réflexion pessimiste sur le pouvoir). L'ouvrage et l'homme sont attaqués par les oulémas qui les jugent blasphématoires, puis le livre est frappé d’une interdiction officieuse de publication en Égypte.

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oom sur Naguib Mahfouz Il est un des rares intellectuels égyptiens et arabes à avoir approuvé les accords de paix entre l'Égypte et Israël en 1979, tout en se déclarant totalement solidaire des Palestiniens. Une position qui lui a valu d’être boycotté dans de nombreux pays arabes.

Impasse des deux palais, 1er volume de La Trilogie du Caire, 1956

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Dans l’'impasse des deux palais vit la famille El Gawwad : le patriarche autoritaire Ahmed, marchand aisé, qui tient son petit monde à la baguette. Amina, la mère courage, dévouée jusqu'à la soumission pour son mari et ses 5 enfants. Le roman est d'abord très intimiste. Derrière le moucharabieh, on observe, on se cache. Puis, petit à petit, on sort dans la rue puis on découvre une société égyptienne en pleine effervescence, entre tradition et modernité. La jeunesse et la nation luttent contre l'établissement d'un protectorat anglais. L'impasse des deux palais, symbole de cette transition entre une Égypte traditionnelle et une Égypte moderne, est à l'image de la famille El Gawwad, traditionaliste, au bord de l'implosion. La figure centrale du patriarche Ahmed Abd El Gawwad est un chef d’œuvre de psychologie. À la fois autoritaire et très bon vivant, il tyrannise sa famille, femme et enfants, mais on découvre au fur et à mesure que cette attitude cache une véritable générosité et un amour profond pour sa famille... Un très beau personnage romanesque.


Le Palais du désir, 2e volume de La Trilogie du Caire, 1957 Dans ce roman, tout aussi réaliste, Le Caire des années 1920-25, s’impose comme un monde en soi. Abd el-Gawwad et sa famille habitent toujours le vieux quartier encore très religieux, tandis qu’un peu plus loin, la jeunesse aristocratique se soucie peu des traditions religieuses, voyage beaucoup en Europe et parle en français. Le père s’insurge souvent contre un fils dont la légèreté le déçoit et un second qui s’enflamme pour les idées nationalistes. Mais sous les apparences, nous découvrons, avec un sourire, un homme fait pour la rigolade, la volupté et l’amour. Car c’est aussi un très beau roman sur le désir masculin.

La Belle du Caire,1945 L’action se passe en 1933, et décrit la difficile promotion sociale dans l’Égypte des années 30 dans un pays toujours obsédé par le traité d’alliance entre l’Égypte et l’Angleterre, où dominent la bureaucratie et la corruption. Maghoub, étudiant pauvre, ne croit qu’au vice, lui qui a déjà rejeté depuis un certain temps la chasteté, la religion et la patrie. Il meurt de faim, ne peut compter sur aucun piston et ne cesse de constater que « l’argent est tout en ce monde ! » . Il accepte donc un faux mariage pour permettre au riche aristocrate Qasim bey Fahmi de poursuivre sa liaison avec Ihsane, jeune et belle roturière. Mais que va devenir sa vie en signant ce contrat sans aucun scrupule ? Naguib Mahfouz entraîne fiévreusement le lecteur dans cette entreprise hasardeuse, au cœur de la société cairote.

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oom sur Naguib Mahfouz Karnak Café, 1974

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Un narrateur à la 1ère personne nous livre en 4 séquences les pensées de gens qui fréquentent le café Le Karnak, dans le centre du Caire. Celui-ci est tenu par une ancienne danseuse orientale des années 40, Qurunfula, dont le regard seul suffit à vous captiver. Le café, c’est le repaire des habitués, de vieux retraités qui jouent au trictrac, des commerçants et clients de la rue, et des étudiants qui débattent de l’actualité. La disparition soudaine de trois étudiants va bouleverser la vie paisible du café. Naguib Mahfouz nous décrit dans ce roman politique, dont il avait achevé l’écriture en 1971, les désillusions des enfants héritiers de la révolution de 1952, qui a mis Nasser au pouvoir. Il y dénonce les dérives du pouvoir, un système politique répressif. La défaite de l’Égypte face à Israël sonne comme un coup de massue. Un roman fort qui donne la parole au monde de la rue, victime des dérives du régime nassérien.

Son Excellence, 1974 Le baccalauréat en poche, Othmân Bayyoumi, issu de la classe populaire du Caire, est affecté au service des Archives de l’État, département du courrier entrant. Son rêve est d’avoir un meilleur avenir, et pour cela il entreprend de poursuivre ses études, parallèlement à son travail de fonctionnaire. Son rêve ultime : devenir Son Excellence. Naguib Mahfouz nous brosse le portrait d’un fonctionnaire qui veut gravir les échelons dans une administration qui a ses règles


établies. Nous suivons pas à pas la destinée de cet anti-héros qui croit que le « chemin sacré », c’est celui qui le mènera aux plus hautes sphères de l’Etat. L’auteur nous parle d’un sujet qu’il connait bien puisqu’il a lui-même été un fonctionnaire de l’État.

Le Jour de l’assassinat du leader, 1985 C’est à travers le regard de trois personnages que le lecteur découvre une société égyptienne gangrenée par la corruption et la vie chère, sous l’ère Sadate. Il y a tout d’abord la voix de Mohtachemi Zâyid, un vieil homme qui garde la foi malgré les difficultés de la vie. Puis vient le tour de son petitfils, Alwân Fawâz Mohtachemi, qui subit de plein fouet l’infitah, l’ouverture économique voulue par Sadate. Sans perspective d’avenir, sa vie amoureuse est compromise. Arrive enfin la voix féminine, celle de Randa Sulaymân Mubârak, une jeune femme active qui subit les pressions de sa famille quant à un mariage qui tarde à venir. Ces trois personnages vont tour à tour exprimer leurs sentiments sur la situation de crise en Égypte et trouver « à chaque problème, sa solution ». Naguib Mahfouz a écrit ce court roman en 1985 sous la Présidence de Moubarak. Il a donc attendu quatre ans après la mort du leader pour nous livrer son récit sur cette période historique, une prudence affirmée depuis la condamnation religieuse de Les Fils de la médina.

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a « génération des années 60 » entre idéaux et rébellions

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La « génération des années 60 », fortement politisée et rebelle, impose à l’Égypte un renouvellement de l’écriture. Ces écrivains ont gravité autour du rêve national des années 50 pour se réveiller sur la défaite de 1967. Ils ont trouvé dans le roman la forme la plus apte à concrétiser leurs envies d’expérimentation, leur élan créateur, leur envie d’engagement et y ont formulé leurs interrogations et leurs relectures des raisons de la défaite, la Nakssa.

١٢ Gamal Ghitany (né en 1945) Il est considéré comme le plus grand auteur égyptien vivant. Autodidacte, il devient grand reporter, après avoir été artisan tapissier. Dans ses écrits, aussi bien poétiques que politiques, il dénonce la politique de Nasser, ce qui lui vaut d'être emprisonné entre 1966 et 1967. Au début des années soixante, il fait la connaissance de Naguib Mahfouz qui l'invite à participer aux différents salons littéraires. Aujourd'hui, Gamal Ghitany dirige la rédaction de Akhbâr alAdab, la plus importante revue littéraire du monde arabe. Il développe une écriture inquiète, dénonçant la société concentrationnaire et toute forme d’aliénation. Ghitany mêle les références


historiques, les transpositions politiques, le symbolisme, les légendes, l’ésotérisme et le mysticisme en y incorporant les techniques d’écriture modernes (multiplication des points de vue, fragments textuels…) Manipulateur machiavélique du récit, il sollicite tout le patrimoine littéraire arabe et est l’héritier des grands conteurs orientaux.

Zayni Barakat, 1965 Ce premier roman de Gamal Guitany décrit l’émergence du dictature policière dans l’Égypte des mamelouks du XVIe siècle. Une lutte politique acharnée se noue entre le grand censeur et saint homme Zayni Barakat, et le chef de la police du Caire. Sous les traits du Zayni, il faut bien sûr reconnaître les traits de Nasser. Une allégorie historique et politique pour mieux déjouer les filets de la censure…. L’Appel du couchant,1992 Ce magnifique roman est autant un récit de voyage qu'une réflexion sur la destinée humaine. Ahmad, alors qu'il est un adolescent du Caire, entend une voix mystérieuse qui lui dit de voyager jusqu'au pays du couchant. En ne sachant pas d'où vient cette voix, l'homme répond à l'appel. Et le voici parti pour un magnifique voyage qui durera toute sa vie… Il suivra la route du soleil jusqu'à l'endroit où il se couche... Ce roman s'apparente à un conte merveilleux, voire mythologique. Le voyageur nous mène dans des contrées merveilleuses, inconnues des cartes géographiques. L'auteur mêle plusieurs époques :

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souvenirs pharaoniques, références coraniques.... Petit à petit, nous comprenons que ce récit de voyage est un roman d'apprentissage et une allégorie de la destinée humaine. À lire aussi : Le Livre des illuminations, L’Épitre des destinées

Sonallah Ibrahim (né en 1937) 14

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Il nait en 1937, au Caire, dans une famille de la petite bourgeoisie. Dès 1950, il interrompt ses études pour se consacrer à la lutte politique et adhère au parti communiste égyptien ; il sera arrêté avec d’autres militants et restera en prison jusqu’en 1964.

Cette odeur-là, 1966 Ce premier roman est censuré à peine sorti des presses en 1966 : on lui reproche alors la grossièreté des ses descriptions physiologiques. C’est en fait un court roman très bien mené, écrit par un homme qui sort de prison et qui procède par petites touches sur ce qu’il voit, ressent, sur ce qui le choque. Lui, l’enfant de la Révolution de 1952 qui a vu la construction du socialisme, choisit une écriture sincère qui prend le réel à bras-le-corps sans se préoccuper de la sensibilité bourgeoise. Le roman ne reparaîtra en Égypte que vingt ans plus tard. Après un séjour à Berlin-Est puis à Moscou, l’auteur rentre au Caire en 1974.


Les Années de Zeth, 1992 Du milieu des années 60 aux années 90, nous suivons la vie de Zeth, épouse et mère de famille, confrontée au fil des années à la dureté de la société égyptienne. L’auteur, écrivain engagé, prend parti avec courage et utilise le procédé du collage : il juxtapose des épisodes romanesques des plus savoureux et des fragments d’articles de presse nationale et internationale explicites. Le résultat est une satire féroce de la fin du socialisme nassérien, remplacé par le capitalisme inaccessible de Sadate, lui-même cédant à la décomposition politique et morale de l’Égypte de Moubarak. Turbans et chapeaux, 2008 Ce roman historique prend la forme d’un journal tenu par un jeune bibliothécaire, disciple de l’historien Jabarti, recruté à l’Institut d’Égypte pour classer les livres en arabe pendant la campagne d’Égypte par Bonaparte en 1798. Ce jeune copiste observe tout et parle le français, il se mêle aux soldats, s’informe sur leurs idées et leurs mœurs pendant cette période d’occupation. Bientôt fou amoureux de Pauline ambitieuse et sensuelle, alors maîtresse de Bonaparte, il essaie de comprendre le monde qui l’entoure. Au fil du roman, on devine une identification entre le narrateur et Sonallah Ibrahim : l’auteur nous parle de la relation entre l’Égypte et l’Occident et nous livre un portrait de femme volontaire et libre, en quête de son total épanouissement. Encore maintenant, pour Sonallah Ibrahim, sans le combat pour la liberté des femmes dans son pays, les mouvements politiques piétineront. À lire aussi : Le Comité (1992), Warda (2002)

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Ibrahim Aslan (né en 1935)

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Né dans la ville égyptienne de Tanta, il a grandi au Caire. Il a fait des études jusqu’à l’école primaire, puis il a appris en autodidacte. Il a beaucoup lu : le Coran, Les Mille et Une Nuits, la littérature arabe et des ouvrages traduits. Il a travaillé à la poste, comme son père, et a fini par décrocher un poste comme responsable des pages culture du journal Al Hayat. Malgré une production littéraire peu abondante, Ibrahim Aslan a eu beaucoup d’influence sur la scène littéraire. Il publie son premier recueil de nouvelles en 1972 Le Lac du crépuscule et son premier roman en 1983 Le Héron (dans sa traduction littérale). Il sera traduit en français en 2004 sous le titre « Kit-Kat Café », car le réalisateur égyptien Daoud Abdel Sayed l’a adapté au cinéma en 1991 sous le titre Al Kit-Kat.

Kit-Kat Café, 1983 Le récit se déroule à Imbâba, en 1977. Youssef en-Noggâr est un enfant de ce quartier défavorisé des bords du Nil. Écrivain, il observe la vie grouillante de ces ruelles, avec les petites gens qui doivent vivre avec leurs soucis et avec les événements qui animent le quartier. L’épicier a été retrouvé mort dans sa boutique et il s’agit maintenant d’organiser la veillée funèbre. Le café du quartier est le lieu des rencontres et des observations. Trafics de drogue, escroqueries, querelles se déroulent devant nos yeux avec, en sourdine, la montée en puissance des agitations étudiantes qui menacent aux portes du quartier. Ce roman d’Ibrahim Aslan est qualifié de chef-d’œuvre du « nouveau roman » en Égypte. Il n’y a pas de véritable intrigue dans ce livre, une suite de scénettes permet au lecteur d’assister aux allées et venues et échanges verbaux des habitants de ce quartier.


es écrivains de l’ère Moubarak

Les écrivains de « l’ère Moubarak » n’ont pas goûté aux rêves du nationalisme arabe ; ils sont pour la plupart nés après la défaite de 1967. Pour ces écrivains, pas de grands idéaux pour la patrie. C’est la banalité du réel qui l’emporte et la désillusion. Ils n’hésitent pas à dénoncer le régime du Rais et ses malversations ; Alaa al Aswani, avec son succès mondial L’Immeuble Yacoubian, est bien sûr le chef de file de cette mouvance. Au niveau de la forme littéraire, on observe une chute des barrières entre nouvelle, roman et poème et une influence de l’écriture Web.

Alaa El Aswany (né en 1957) C’est l’auteur égyptien vivant le plus lu au monde. Dentiste de formation, Alaa El Aswany exerce son métier au Caire avant de devenir célèbre en tant qu'auteur, très présent sur les scènes littéraire et politique de son pays. Il a fait ses études aux États-Unis à l’Université de Chicago. Écrivain dans la veine du célèbre prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, il renoue avec la tradition du roman social qui met en scène toutes les strates de la société, en s'engageant pour le développement de la démocratie et de la liberté.

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Son premier roman, L' Immeuble Yacoubian sort en 2002. Vendu à plus de 100 000 exemplaires dans le monde arabe, il est d'abord traduit en langue anglaise avant d'être enfin publié en français en 2006 et d’être adapté au cinéma. Viennent ensuite Chicago en 2007 et J' aurais voulu être égyptien paru en 2009.

L’Immeuble Yacoubian, 2002

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Ce roman est novateur dans la mesure où il aborde de nombreux sujets tabous dans la société égyptienne : corruption politique, terrorisme islamiste, émancipation féminine et homosexualité. L'auteur a choisi de raconter le quotidien de plusieurs habitants d'un immeuble du Caire, l'immeuble Yacoubian. La narration est ainsi éclatée, passant d’un personnage à un autre, et d’un appartement à un autre. Grâce à cette narration audacieuse, l'auteur peint différentes facettes de la société égyptienne : un vieil aristocrate, un journaliste homosexuel, un jeune homme tenté par le terrorisme, un magnat financier… Dans ce portrait au vitriol de la société égyptienne, le grand mérite d'El Aswany est de ne jamais prendre position.


Chicago, 2007 Au sein du milieu universitaire égyptien en exil à Chicago, étudiants, enseignants et membres de l'administration se croisent, s'aiment ou se trahissent… Dans cette atmosphère post-11 septembre, les États-Unis et les membres de l'administration Moubarak se rapprochent pour lutter contre les cellules terroristes. Et lorsque "Son Excellence" vient rendre visite aux étudiants égyptiens en exil, les forces de sécurité sont prêtes à dégainer leurs armes... El Aswany brosse des portraits les plus divers : jeune étudiante à l'éducation traditionnelle, professeur en crise existentielle depuis qu'il a découvert que nier son "égyptianité" ne l'a conduit qu'au néant, un autre qui décide de mener une action libératrice. Quant aux "suiveurs", il y a le chef de la sécurité et un vieil ambitieux qui rêve de monter les échelons... L'auteur sait faire vivre et nous faire aimer ses personnages à travers beaucoup de dialogues. Les destins s’intercalent dans les différents chapitres, de manière à créer un agréable suspense.

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Mohammed El-Bisatie (né en 1937)

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Lui l’écrivain engagé, issu des rangs de la génération des années 60, se penche sur la vie des marginaux et des plus faibles de la société égyptienne. Ses romans sont une chronique de la vie des campagnes, du quotidien des habitants pauvres des villages du Delta du Nil, surtout ceux de la région du lac Manzala, vaste lagune salée, à l’ouest de Port-Saïd, région d’où il est issu.

La Clameur du lac, 1996 Le récit s’ouvre sur un site étrange : la rencontre de la mer et du lac, de la terre et de l’eau. Des pêcheurs venus de la mer ou des îles voisines, inconnus des villageois, débarquent, sèment la panique et repartent à bord de leurs frêles embarcations. Hommes et bêtes sont soumis au rythme des tempêtes, affrontent la boue, se regroupent et s’observent. Pas de récit linéaire mais l’enchevêtrement de quatre histoires courtes et fortes où les personnages misérables survivent grâce à la découverte incessante de trouvailles, d’objets dérisoires abandonnés par les fuyards ou rejetés par la tempête. Parmi eux, surgissent un vieil homme et un coffret mystérieux…


La Faim, écrit en 2008 et paru en 2011 Zaghloul et sa famille ont la faim au ventre. Ce père va et vient entre la cour de sa maison perdue le jour, et le café du village voisin où il rôde, à la recherche d’un petit travail quand vient la nuit. Là il est fasciné par les propos des étudiants qui vont à l’université surtout quand ils affirment « qu’il faut avoir du temps pour penser ». Son manque d’instruction est une grande frustration pour lui. Déjouer la misère, mater la faim en acceptant d’un puissant un travail qui permettra pour quelques belles journées d’espacer les crampes d’estomac, c’est ce que font tour à tour le mari, la femme puis leur fils dans ce court roman. Il y a beaucoup de violence sociale dans ce récit oriental mais l’humour des personnages, la drôlerie des anecdotes, les confidences passées entre riches et miséreux donnent à ce texte énormément d’originalité et de modernité. Chez El-Bisatie, il semble que dignité et résignation puissent faire place à la plus grande des révoltes.

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Khaled Al Khamissi (né en 1962)

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Né au Caire, Khaled Al-Khamissi est producteur, réalisateur et journaliste. Diplômé de sciences politiques de l'université du Caire et de relations internationales de l'université de Paris-Sorbonne, il est l'auteur de Taxi en 2009, devenu rapidement un bestseller et aussitôt traduit en plusieurs langues européennes, et de L'Arche de Noé qui sortira en janvier 2012. Depuis le 25 janvier 2011, il est l'un des principaux relais de la révolution égyptienne auprès des médias français, et a participé à l'écriture de Place Tahrir en collaboration avec Mahmoud Hussein.

٢٢ Taxi, 2007 58 petites saynètes très courtes, 2 ou 3 pages à chaque fois, mettent en scène les taxis cairotes, racontant leur quotidien et leur ressentiment visà-vis du régime Moubarak, entre 2005 et 2006, l'année où il briguait un autre mandat. C'est le narrateur, fidèle utilisateur des taxis cairotes, qui recueille ces conversations, comme un documentariste au cinéma. Une série brillante d'instantanés, qui oscillent entre burlesque et tragédie. L'art de saisir à bras le corps l'opinion populaire... Teintées d'un humour corrosif, doux-amer, ces saynètes sont d'un réalisme troublant ; c'est la verve populaire qui s'exprime ici, nous faisant le portrait d'une société en panne, aussi bien politiquement qu'économiquement. On a l'impression que l'auteur est une journaliste qui interview au micro le petit peuple égyptien.


Ahmad Alaidy (né en 1974) Cet auteur né en 1974 n’a pas subi le contrecoup lié à la défaite de l’Égypte face à Israël en 1967 mais il a vécu l’éclosion des nouvelles technologies de l’information dans le paysage égyptien, alors que la jeunesse est en mal d’emploi. Il a exercé plusieurs métiers : il a travaillé comme graphiste et scénariste de bandes dessinées, il a participé à l’élaboration de jeux télévisés… Il appartient à la culture geek et cela se ressent dans son premier roman paru en 2003 au Caire, qui a eu un fort retentissement dans son pays.

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٢٣ Dans la peau de Abbas El-Abd, 2003 11 chapitres dans lequel l’auteur interpelle son lecteur. Le narrateur nous livre ses angoisses au fil du récit et donne à voir une société qui est partagée entre tradition et modernité : une jeunesse qui ne croit plus en la politique après la défaite vécue comme un traumatisme par tout un peuple, une jeunesse qui baigne dans la société de consommation américanisée… Abbas est l’ami qui refile deux filles à son copain pour qu’il devienne enfin un homme. Le narrateur les rencontre dans un café, chacune à un étage différent. Les filles s’appellent toutes les deux Hind : il y a la bourgeoise et la prostituée. De cette rencontre surréaliste, le lecteur est amené à se questionner sur la véritable identité de celui qui a lié conversation avec lui. Un roman surprenant tant sur le fonds que dans sa forme graphique.


May Telmissany (né en 1965) Née au Caire, l’auteure vit actuellement au Canada, où elle enseigne à l’Université d’Ottawa parallèlement à sa carrière d’écrivain. Elle passe plusieurs semaines par an en Égypte pour s’imprégner du climat politique et social et chercher l’inspiration.

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Héliopolis, 2000 Ce texte nous raconte le destin de quatre femmes de la même famille issues de la classe moyenne. Micky, la narratrice, emmène le lecteur à la découverte d’un immeuble où vécut jadis la famille à Héliopolis. Chaque objet personnel est décrit et fait le lien avec ces années 70 d’une Egypte en perte de repères. Un roman très descriptif qui rompt avec la littérature engagée des auteurs de la génération 60. À lire : Donaziade, 2000 Roman autobiographique sur la perte d’un enfant. À reçu le prix de l’État égyptien pour le roman autobiographique en 2002. Les derniers bains du Caire, 2008 Sur des photographies de Pascal Meunier, May Telmissany et Eve Gandossi racontent, dans ce très beau documentaire, l’histoire des bains publics dans les ruelles du Caire et leurs représentations dans la mémoire individuelle et collective.


t pour les

rabophones

Naguib Mahfouz

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Impasse des deux palais

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La Lune de miel

Echo d'une autobiographie

Son Excellence

Récits de notre quartier


Sonallah Ibrahim

Gamal Ghitany

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Le Livre des illuminations

Le Petit voyeur

Warda

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L’Immeuble Yacoubian

Khaled Al Khamissi

J’aurais voulu être Égyptien

Taxi


ibliographie

Les Années de Zeth / Sonallah Ibrahim – Actes Sud (Mondes arabes) L’Appel du couchant / Gamal Ghitany – Le Seuil La Belle du Caire / Naguib Mahfouz – Gallimard (Folio) Cette odeur là / Sonallah Ibrahim – Actes Sud (Babel) Chicago / Alaa El Aswany – Actes Sud (Bleu) La Clameur du lac / Mohammed El Bisatie – Actes Sud Dans la peau de Abbas El-Abd / Ahmad Alaidy – Actes Sud (Mondes arabes) Les Derniers bains du Caire / May Telmissany et Eve Grandossi, photographies de Pascal Meunier - le Bec en l'air Écho d'une autobiographie = Asda' al-sîra al-dhâtiyya / Naguib Mahfouz - Dar al-Shourouq (texte en arabe) L’Épitre des destinées / Gamal Ghitany – Le Seuil La Faim / Mohammed El Bisatie – Actes Sud (Mondes arabes) Héliopolis / May Telmissany – Actes Sud (Sindbad)

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L’Immeuble Yacoubian / Alaa El Aswany – Actes Sud (Bleu) et en version originale

Amarat Yacoubian / Alaa El Aswany - Dar el Shorouk (texte en arabe)

Impasse des deux palais / Naguib Mahfouz – LGF (Le Livre de poche) J’aurais voulu être Égyptien / Alaa Al Aswany – Actes Sud (Bleu) et en version originale

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Niram Sadiqa/ Alaa Al Aswany – Dar al Shorouk (texte en arabe)

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Le Jour de l’assassinat du leader / Naguib Mahfouz – Actes Sud (Sindbad) Karnak café / Naguib Mahfouz – Actes Sud (Mondes arabes) Kit-Kat café / Ibrahim Aslan – Actes Sud (Mondes arabes) Le Livre des illuminations / Gamal Ghitany – Le Seuil et en version originale

Kitab al-tagallyyat / Gamal Ghitany - Dar al Shorouk (texte en arabe)

Le Livre des jours / Taha Hussein - Gallimard (L'imaginaire) La Lune de miel = Chahr al-'asal / Naguib Mahfouz - Dar alShorouk (texte en arabe) Le Palais du désir / Naguib Mahfouz - LGF (Le livre de poche) Le Petit voyeur= Al-Talassus / Sonallah Ibrahim - Dâr al Mustaqbal al `Arabî (texte en arabe)


Récits de notre quartier = Hikayât hârati-nâ / Naguib Mahfouz Dar al- Shorouk (texte en arabe) Son Excellence / Naguib Mahfouz – Actes Sud (Sindbad) et en version originale

Hadrat al-muhtaram / Naguib Mahfouz - Dar El Shorouk (texte en arabe)

Taxi / Khaled Al Khamissi – Actes Sud (Mondes arabes) et en version originale

Taksi : hawadit al-masawir / Khaled Al Khamissi - Dar al Shorouk

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(texte en arabe)

La Traversée intérieure / Taha Hussein – Gallimard (Monde entier) Turbans et chapeaux / Sonallah Ibrahim – Actes Sud (Mondes arabes) Warda / Sonallah Ibrahim – Actes Sud (Babel) et en version originale

Warda / Sonallah Ibrahim - dar al-Mustaqbal al-arabi (texte en arabe)

Zayni Barakat / Gamal Ghitany – Le Seuil (Points)

Retrouvez ces romans dans nos rayons au nom de l’auteur. Les livres en arabe se trouvent au rayon Livres en langues étrangères

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