Livre cafes debats 20152016 temps

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saison culturelle sur le temps

le livre des cafes-debats 2015-2016

par la bibliotheque de riom


Sommaire 1) Changer notre rapport au temps ?

Compte-rendu de la conférence gesticulée « Le Temps c’est de l’argent », par Philippe Cazeneuve le 17 novembre 2015 Mots-clés : accélération du temps, anthropocène, finance, hyper-activité, consommation.

2) Qu’est-ce que le temps ?

Compte-rendu du café-débat du 15 décembre 2015, avec Pierre Bonton (professeur de physique, robotique) et Véronique Daïr (professeur de philosophie) Mots-clés : relativité, durée, temps continu, le temps retrouvé, espace-temps, temps vécu, temps légal, temps humain, théorie du chaos, entropie, multivers.

3) L’urgence de ralentir

Compte-rendu de la projection-débat du film « L’urgence de ralentir », en présence du réalisateur, Philippe Borello, le 12 février 2016 Mots-clés : initiatives, immédiateté, technologies, mutations, croissance, alternatives, innovations, écologie, coopératives, beauté

4) La pensée vient en marchant

Compte-rendu du café-débat du 26 avril 2016, avec Bertrand Nouailles (professeur de philosophie) et Jorge Sanz (marcheur et auteur) Mots-clés : marche à pied, paysage, pensée, cheminement, déprise, connexion au réel, dépense, beauté, paix, joie, grande vie, vitesse, humilité.


Changer notre rapport au temps? bibliotheque.riom-communaute.fr /index.php Nous n'avons qu'une parole à la bib , alors chose promise chose dûe : voici le compte-rendu complet de cette belle soirée du 17 novembre 2015 : Compte-rendu de la conférence gesticulée « Tic Tac, le temps c’est de l’argent » de et par Philippe Cazeneuve le mardi 17 novembre 2015 au Rexy, de 20h à… 23h ! 35 personnes

Nous remercions tout d’abord Philippe Cazeneuve, conférencier gesticulant, qui a animé d’une fort belle manière cette soirée ainsi que toutes les personnes qui étaient venues pour apprendre, échanger et partager. Le philosophe allemand Hartmut Rosa part d’une hypothèse : si le moteur de l’Histoire au XIXème siècle était, selon Marx, la lutte des classes, celui du XXIème siècle est « l’accélération du temps ».

Si le travail nous aliénait, aujourd’hui c’est le sentiment d’accélération du temps. La « maladie du chef d’entreprise », cantonné auparavant et comme son nom l’indique aux directeurs, gérants, commerçants qui ne vivaient que pour leur entreprise, est actuellement plus largement répandue, et ce parmi toutes les catégories professionnelles. On l’appelle le « burn out».

Le temps s’accélère. Il suffit de regarder autour de nous. Un épisode de série tv actuelle (environ 50 minutes) comporte 4 fois plus d’actions qu’un long métrage des années 1970. On parle de speed dating, de fast food, de sommeil flash. On ne se dit plus « à bientôt » mais « à très vite ». Le changement social s’accélère : les modes passent de plus en plus vite, l’enseignement se renouvelle tous les ans, on change plus souvent de partenaire , de travail.

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Le regretté Bernard Maris déclarait dans une interview de 2006 que « le capitalisme refuse de grandir ». Paul Virilio disait que la vitesse était consubstantielle à la modernité. La modernité s’entend ici comme la période qui suit le Moyen-âge. Certains philosophes estiment que nous sommes rentrés dans l’hyper-modernité. On veut repousser les limites toujours plus loin. Et pourtant, les pionniers de l’informatique et de l’internet voulaient changer le monde, dans le bon sens du terme. De captivés par ces technologies, ils sont (et nous avec) devenus captifs.

Faut-il imaginer une tactique pour lutter contre le tic-tac ?!

Un peu d’histoire : Le transport

En 1780, il fallait 7 jours en diligence pour aller de Paris à Marseille. Aujourd’hui, en TGV, on met 3 heures. C’est-àdire que nous allons 60 fois plus vite.

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Paradoxe :

En 1970, une étude a montré qu’en moyenne, sur la planète, les êtres humains passaient une heure par jour à se déplacer. Aujourd’hui, le résultat est le même. Pourtant nous aurions dû gagner du temps … Seulement, comme nous pouvons nous déplacer plus loin et plus vite, eh bien nous habitons plus loin de notre lieu de travail, nous allons plus loin pour faire nos courses, nous rendons visite plus souvent à notre famille, nos amis …

Communication

En 2014, le chiffre des 7 milliards d’abonnements à la téléphonie mobile a été dépassé. Ce qui signifie qu’il y a plus d’abonnements de téléphone que d’êtres humains ! Cela ne veut évidemment pas dire que tous les Hommes sont équipés d’un téléphone portable. Le mail ou courriel est emblématique de ce changement de paradigme. Le mail est un gain de productivité pour la personne qui l’envoie mais fait perdre du temps à celle qui le reçoit.

« Le problème, c’est que c’est souvent la même personne ! ». Puisque le mail nous fait gagner du temps, nous en profitons pour en envoyer davantage !

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[Entre 80 et 100 millions de mails circulent par minute à l’échelle mondiale, dont l’essentiel est du spam]

Finance

Le trading à haute fréquence montre à quel point les machines peuvent avoir une emprise sur nous. Les machines sont paramétrées pour réfléchir beaucoup plus vite qu’un être humain. En 2013, un titre (action, obligation…) change de main toutes les 25 secondes. L’automatisation des transactions financières atteint un tel niveau de rapidité qu’une catastrophe peut se produire en quelques minutes. On compte entre 30 et 40 milliards de transactions par jour à la bourse de New-York.

L’Anthropocène ou la « Grande accélération »

Selon certains scientifiques, depuis 1945 nous sommes rentrés dans une nouvelle ère qu’on appelle « l’anthropocène ».

Si l’on continue à ce rythme, « nous allons droit dans le mur ». C’est que ce nous entendons souvent. Pour Philippe Cazeneuve, le problème ne vient pas tant de la vitesse que de la direction.

« Il ne faut pas confondre vitesse et… accélération. »

On se relaye la parole

Petits groupes à la fin : technique du bâton de relais ou world café. Groupe de quelques personnes qui se parlent puis une personne (mémoire de table) restitue ce qui a été dit. Tout le monde a pu s’exprimer.

Quelques techniques pour ne pas se faire dépasser par la technique :

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la méditation, la prière, se laisser aller à ses pensées

se déconnecter : solution temporaire : certaines entreprises décident par exemple de faire des journées sans mail (on s’aperçoit alors que l’on se parle beaucoup + !) -

se recentrer

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changer de travail !

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prendre le temps

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arrêter le « toujours + »

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faire des choix

A l’heure de l’offre pléthorique de loisirs en tous genres, il faut faire des choix, on ne peut pas tout faire. La contrainte permet de se recentrer parfois sur l’essentiel. Cette accélération des modes de vie traduit également une angoisse bien contemporaine : la peur de mourir. La peur de ne pas avoir fait ceci ou cela avant de mourir, il faut donc être constamment en mouvement. La pression sociale nous incite à être hyper-actifs, à consommer des biens, des expériences, toujours + et toujours plus vite.

Peut-on changer individuellement de mode de vie sans changer toute la société ?

Il faudrait sans doute une autre conférence pour répondre à cette question !

Bernard Stiegler utilise le concept de pharmakon pour parler des nouvelles technologies. Le pharmakon est un remède et un poison, selon la dose proposée. Ainsi, nous pourrions utiliser les nouvelles technologies pour nous dés-automatiser, elles deviendraient un levier technique pour l’humanité. Conférencier gesticulant : Philippe Cazeneuve L'association : http://savoirenactes.info/

Olivier Et pour aller encore + loin

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Qu'est-ce que le temps? (le compte-rendu) bibliotheque.riom-communaute.fr /index.php

Encore un grand merci à tous les participants, nous avons passé une soirée animée et très agréable. Retrouvez le compte-rendu de nos échanges :

Compte-rendu du café-débat "Qu'est-ce que le temps?" organisé par les bibliothèques de Riom Communauté, le mardi 15 décembre 2015 Avec Véronique Daïr, professeur de philosophie au lycée Albert Londres de Cusset Et Pierre Bonton, professeur de physique, robotique et fondateurs des associations Théâtre et Science et A.R.T.S. (Art, Recherche, Technologie et Science)

Plus de 45 personnes ! Débat très animé. Buffet : ambiance très sympa, où la conversation s’est poursuivie jusqu’à 21h15. Diffusion de l’extrait du documentaire « Magie du cosmos : l’illusion du temps », de Brian Greene, Arte France (25’)

Intervention de Véronique Daïr

A propos du documentaire : la question n’est pas tant « qu’est-ce que le temps ? » que « qu’est-ce que le réel ? » Quelques dates pour contextualiser :

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1915 : théorie de la relativité, Albert Einstein

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1927 : « Le temps retrouvé », Marcel Proust

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1922 : « Durée et simultanéité », Henri Bergson

Le référentiel est important, il s’agit de partir d’un point de vue. Dans l’Histoire de la conception du Temps, les penseurs parlaient à partir d’un référentiel absolu, ontologique. Le temps est changement.

Après les révolutions copernicienne et galiléenne, le référentiel a changé : nous avons pensé le Temps à partir du Sujet. Celui-ci, comme le souligne Descartes, est à la fois un sujet qui conçoit et qui sent. C'est ainsi que s'opère un clivage au sein du Sujet moderne, entre un Sujet qui conçoit, c'est-à-dire qui se représente le réel intellectuellement,

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et un Sujet qui sent, c'est-à-dire qui se réfère à l'expérience. Ce clivage ouvre la voie à deux modes d'investigation du réel. Le premier, l'investigation objective ou scientifique qui se propose désormais de mesurer le réel ; le second, qu'on peut qualifier de phénoménologique, qui se propose de décrire les ph énomènes comme ils se manifestent à la conscience.

Dans l'Antiquité

A propos du temps, les philosophes grecs et présocratiques parlent de paradoxe ontologique : le temps menace le principe d'identité, l'égalité de l'être avec lui-même.. S'il y a changement, il y a altérité . Comment penser dès lors en même temps l’identité et la différence, le même et l'autre ?

Héraclite écrit que tout est en devenir : « On ne se baigne jamais dans le même fleuve ». Parménide, quant à lui, estime que le flux est une illusion. L’être est stable, il peut être concu au-delà du changement . L’ordre du monde est préexistant (Aristote) et c’est le temps qui l’affecte. Le temps est le mouvement qui sort la chose d’elle-même. Aristote pense le monde en deux strates :

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le monde sublunaire : sous les cieux, notre monde, imparfait et soumis au temps ;

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le monde supralunaire : perfection, quintessence, ordre et éternité.

C’est une conception ontologique du Temps.

La conception psychologique du temps

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On peut trouver chez Proust, dans « Le Temps retrouvé », et plus particulièrement les cent dernières pages, une version psychologique de ce temps ontologique. La question est abordée à propos de l'identité personnelle et plus particulièrement à partir du problème de la reconnaissance.

Proust évolue dans un milieu mondain, qu’il décrit sur un ton tragi-comique comme un peuple vaniteux et caricatural. Le temps est un mauvais peintre, il vieillit ses modèles, ils ne sont plus qu’une pâle copie d’euxmêmes. L’écrivain évoque la vieillesse comme le moment où l’on ne reconnaît plus les personnes que l’on a connues il y a des années. Ces personnes ne sont plus reconnaissables car elles sont référées à une identité personnelle fantasmée, forgée par le souvenir. Le temps est donc rendu visible par la vieillesse et les acteurs de cette représentation burlesque ne sont que des poupées, des marionnetes vides subissant l'oeuvre du temps.

Dans le texte, il se produit alors un renversement. L’auteur prend conscience qu’il n’est plus reconnu non plus, le temps est vécu de son propre point de vue. Le vrai temps est donc celui de l’intériorité, il évoque un temps continu, qui contraste avec la discontinuité du temps objectif.

Henri Bergson

Marcel Proust et Henri Bergson ont vécu à la même époque. Le philosophe a proposé une théorie du temps, ou plutôt de la durée. Selon lui, le temps de la conscience est continu. C’est lorsque l’on mesure, que l’on conçoit le temps qu’il devient discontinu. La physique a ainsi dénaturé le temps.

Entre l’avant, le maintenant et l’avenir, le lien est assuré par la conscience, l’esprit, la mémoire. En mathématiques, c’est n’est pas ça : tous les temps sont représentés simultanément. Bergson va jusqu’à dire que lorsqu’on mesure le temps, on mesure en fait l’espace…

Le temps est vécu de l’intérieur, « nous confondons l’écoulement et l’écoulé ». Toute la controverse entre Einstein et

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Bergson peut tenir en cette phrase : il y a une différence entre le temps conçu et le temps vécu. Pour Bergson, si les systèmes de référence sont relatifs, comme l'affirme Einstein, alors ils sont interchangeables, il faut donc admettre, comme seul temps absolu, le temps de la conscience.

Intervention de Pierre Bonton

Le film documentaire exagère énormément les choses, il faut prendre des pincettes !

Le temps légal et humain n’est pas le même que l’heure solaire. Le temps légal se base sur la rotation de la Terre autour du soleil, puis sur le césium. Cependant, la rotation de la Terre ralentit de 2 millièmes de secondes par siècle !

Voir : Jules César a rattrapé le temps perdu –> calendrier Julien (années bissextiles)

Aujourd’hui, nous mesurons le temps à l’aide d’horloges atomiques. Pour régler nos montres, nous nous basons sur le zénith du soleil (midi). Le problème, c’est que le midi de Genève n’est pas le même que celui de Paris. Nous avons donc inventé les fuseaux horaires.

L’heure légale n’est que mécanique, pratique. Pierre Bonton se pose la question : « après tout, à quoi nous sert-il d’avoir un temps précis ? Tout le monde sait bien que plus on est vieux, plus on est beau ! »

La vitesse de la lumière est la seule constante universelle. Elle est la même partout, (299 792 458 m/s), quelque soit le référentiel.

Relativité générale / relativité restreinte

La gravité est une accélération. Le temps s’écoule plus vite quand la gravité est plus faible. Au sommet de l’Everest, il s’écoulera plus vite qu’au bord de la mer par exemple.

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Pour définir le temps, il faut un point de départ. Si les conditions initiales varient, les changements peuvent être très grands (cf. théorie du chaos), pour les expériences scientifiques, comme dans la vie (le lieu où l’on naît par exemple, est une variable déterminante pour l’avenir d’un être humain). Le mouvement naturel des choses se dirige vers le désordre, l’entropie. Ainsi, les phénomènes de la vie se produisent de manière irréversible.

Concept d’irréversibilité : « si je mélange une dose de Ricard à plusieurs doses d’eau, il est impossible de récupérer ensuite le Ricard et l’eau de manière séparée ! »

Ce concept ainsi que le principe de causalité sont les deux seuls principes qui n’ont à ce jour jamais été remis en cause.

Dans l’infiniment petit, il est impossible de mesurer la vitesse et la position en même temps, donc on ne peut pas savoir ce qu’est le temps (s’il existe) à cette échelle.

Le temps existe-t-il ? Rappelons que la projection chronologique est une conjecture, elle n’a jamais été prouvée. D’ailleurs, d’autres théories apparaissent : trous de ver, multivers, univers parallèles…

Einstein a également tenté de trouver une théorie qui associerait la relativité et la mécanique quantique, mais n’y est jamais parvenu… N’oublions pas non plus qu’Einstein, en son temps, n’était absolument pas reconnu pour sa théorie de la relativité, il a eu le prix Nobel pour sa découverte de la loi de l’effet photoélectrique.

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Débat

La retranscription sera chaotique et incomplète car je n’avais pas le temps de noter et d’animer ce débat (passionné !), veuillez m’en excuser.

Dans la philosophie extrême-orientale, l’univers est au centre (et non l’Homme), il n’y a pas de problème avec le passé, le présent et le futur.

Le temps est perçu différemment selon la culture de chacun. En Afrique par exemple, on parle du passé (beaucoup), du présent mais très peu, voire jamais du futur.

« La non-conjugaison des verbes au futur dans le dialecte napolitain est significative d'un mode de vie à la “carpe diem”. C'est ici l'idée de ne pas se projeter dans l'après incertain mais de vivre pleinement l'instant présent.

En effet, nos langues respectives façonnent notre représentation du monde. Comme les esquimaux qui auront plusieurs mots pour décrire ce que nous appelons “neige” etc.. Notre rapport au monde est indissociable de notre langue parlée.

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Le temps a été mesuré pour vivre en société, par souci pratique. Bergson parle d’ailleurs de la théorie d’Einstein comme d’une méthode, uniquement.

Alors, « Tout est-il écrit ? » ou « n’avons-nous tout simplement pas les capacités intellectuelles pour appréhender un tel sujet ? ». A vous de juger ! En tous les cas, je remercie chaleureusement les participant(e)s à ce débat, pour leur prise de parole et leur écoute de l’autre. Ce fût un moment très agréable. Merci

Olivier

Si vous voulez creuser encore la question, voir notre travail documentaire sur le sujet (vidéos, podcasts, sites, bibliographies)

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L'urgence de ralentir bibliotheque.riom-communaute.fr /index.php

Un grand merci à tous les participants, vous avez été très nombreux (et de plus en plus nombreux) à venir assister à ce café-débat dans une ambiance serrée mais conviviale ! C’est un véritable record dans l’histoire des Cafésdébats … Merci à Philippe Borrel de sa présence et de ses explications. Voici le compte-rendu de nos échanges :

Nous adressons nos excuses à toutes les personnes qui n’ont pas pu nous rejoindre faute de places malheureusement. Victimes de notre succès, nous essayons d’en tirer la leçon pour vous proposer de meilleures conditions d’accueil la prochaine fois.

En attendant, sachez que le documentaire « L'urgence de ralentir » est disponible en DVD (version 52’) à la bibliothèque et sur le site de « Médiathèque numérique » (demandez un code de connexion pour le visionner à distance). Philippe Borrel nous a gentiment et gratuitement proposé de garder une copie de la version longue du film pour que vous puissiez aussi l’emprunter.

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Voici un bref compte-rendu des échanges après la projection et surtout des références pour approfondir la question :

"Ca va trop vite", "on ne voit plus le temps passer", "on va droit dans le mur". On pourrait sourire de ces phrases ordinaires que l'on prononce trop souvent. Et pourtant elles cachent une réalité : le diktat de l'immédiateté. "L'urgence de ralentir" montre comment, aux quatre coins de la planète, des citoyens refusent de se soumettre à ce diktat et rivalisent de courage et d'ingéniosité pour redonner du sens au temps. Voici en quelques mots le fil conducteur de ce documentaire. Philippe Borrel nous propose de faire un pas de côté en donnant la parole aux gens et en présentant des initiatives qui ne trouvent pas leur place sur les chaînes traditionnelles d’information.

Oui ! ça fait du bien d’entendre des bonnes nouvelles, cela donne envie de faire des choses ensemble !

Dans l’exercice de son travail de documentariste, Philippe Borrel s’est rendu dans de nombreux pays, a rencontré des publics extrêmement divers et il fait le même constat : face aux dérives des marchés financiers et aux mutations technologiques qui fonctionnent sur l’immédiateté et imposent « un temps sans histoire », provoquant des dégâts humains et écologiques à l’échelle de la planète la société civile réagit en expérimentant une modernité qui reposerait sur « la sagesse d’avancer ». Parallèlement, de plus en plus de films, de documentaires tentent de faire prendre conscience des dérives et esquissent des alternatives pour demain. Quelques exemples :

En quête de sens, Autoproduit et distribué par Kamea Meah (2014)

Voir la bande annonce

Demain, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent (2015) Voir la bande annonce

Sacrée croissance de Marie-Monique Robin (2014), disponible en livre à la bibliothèque et en film sur le site "Médiathèque numérique" (demandez un code de connexion pour le visionner à distance)

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Mais aussi : A retrouver sur le site de Médiapart la série « Vies alternatives » (série en 6 volets) : objecteurs de croissance, génération déconnectée, retrouver du sens ou encore tisser des liens pour agir, autant d'exemples d'actions et de personnes qui ont choisi de résister à l’accélération du temps.

Devinez quoi ? Médiapart est accessible gratuitement et sans code de connexion dans la bibliothèque, hé hé.

On voit peu d’acteurs du monde politique dans le film. Est-ce volontaire ?

Pour ce film il s’agissait surtout de montrer le « bottom up » (= le mouvement de bas vers le haut) de la société civile et de diverses communautés qui s’animent, proposent des actions, pensent des alternatives. C’est le cas par exemple des « makerspaces/hackerspaces », ces lieux où l’on (ré) apprend à « faire » réellement, il n’y a pas de théorie, seulement de la pratique. Si la société ne se saisit pas de ces questions, alors qui ?

Sur cette question, vous pouvez écouter l'émission Cultures Monde " La fabrique de l'innovation " sur France Culture.

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Et pourquoi pas un espace comme celui-là dans la nouvelle médiathèque ??

Ralentir, est-ce revenir à un mode de vie qui se résume à manger et dormir ? D’ailleurs, tout cela, est-ce bien réaliste ou même tout simplement possible ?

Non, justement il ne s'agit pas de s'enfermer dans l'autarcie et l’ascétisme total, mais plutôt de penser des modes de vies durables (à l'instar des propositions de développement durable), responsables et solidaires, en privilégiant le bien commun. La sagesse, c’est de mélanger tradition et modernité.

Finalement, l'homme est neuf sur la planète, que sait-on de l'épuisement des richesses de la Terre ? Il semblerait que ce soit dans la nature même de l'homme de prospérer, d'accumuler des richesses, etc.

La raréfaction des ressources est aujourd'hui une réalité que l'on ne peut plus nier, dans certaines parties du monde la guerre de l'eau a déjà commencé. De même, il n'est pas possible de tout recycler ni de reconstruire totalement le monde (même si certains transhumanistes l'envisagent …). Et si tous les humains du monde vivaient comme nous ? Il nous faudrait l'équivalent des ressources de 2 à 5 planètes ! Bien que l'homme soit relativement « jeune » par rapport à la Terre, nous sommes passés à l’ère de l’anthropocène. Ce mot un peu barbare signifie que l'impact des activités humaines sur le système terrestre est aujourd'hui observable. En quelques années la pression des activités humaines à fait entrer la Terre dans une nouvelle ère géologique, ce n'est pas rien !

Justement le documentaire montre de manière saisissante cette accélération du temps, mais des initiatives fleurissent un peu partout, comme les Coopératives :

Les Coopé (ratives) sont surtout développées aux États-Unis (même si les premières sont nées en France dans les

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années 60-70). Il s'agit de supermarchés coopératifs et participatifs (exemple de la Louve à Paris ) : « Il s'agit d'un nouveau modèle pour faire ses courses. Les membres de la coopérative, aux côtés de quelques salariés, assurent les tâches nécessaires pour le bon fonctionnement du magasin à hauteur de 3h consécutives toutes les 4 semaines : caisse, stock, administration, nettoyage... Les économies réalisées permettent à la coopérative de pratiquer des marges basses qui se traduisent par des prix très abordables sur des produits de haute qualité ». Le choix se porte sur des produits locaux et biologiques, ce qui permet aussi le soutien aux petits producteurs.

Alors en conclusion, comme le dit un des témoins du film « il nous faut vivre dans la beauté ! » . Donc, commençons par prendre le temps : le temps de lire (vous trouverez plein de choses bien à la bibliothèque par exemple ...), de regarder des films, de nous interroger, de nous rencontrer pour changer le monde …

Quelques références disponibles dans la bibliothèque

Et pour en savoir plus sur notre thématique "C'est pour quand", voir notre travail documentaire.

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La pensée vient en marchant bibliotheque.riom-communaute.fr /index.php

Compte-rendu du café-débat du 26 avril 2016, à la petite salle du Rexy, dans le cadre de la saison culturelle 2015/2016 des bibliothèques de Riom Communauté : « C’est pour quand ? » 50 personnes Extrait du documentaire « La pensée vient en marchant », d’Anja Unger

Intervention de Bertrand Nouailles, professeur de philosophie et président de l’APPEP Auvergne puis de Jorge Sanz, marcheur et auteur avec Marie Gabriel de « Chemin à Compostelle. La voix des étoiles »

Bertrand Nouailles

1) Qu’est-ce que la marche ?

La marche est un concept trop général et vague pour décrire toutes les pratiques de la marche.

La marche consiste déplacer son corps dans l’espace, comme la course à pied. Les deux consistent en une chute rattrapée. Ce qui les différencie, ce n’est pas tant l’intensité de l’effort que le rythme.

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Le corps se rappelle à la conscience lorsque l’on marche. C’est un mouvement répétitif. Le philosophe Alain évoque le rapport entre la marche et le rythme : le chant est né de la marche. La marche en cadence rappelle la marche militaire. Pour Alain, c’est une illusion de croire que l’on pense lorsque l’on marche, d’autant plus lorsque l’on marche en groupe. La marche est différente selon le nombre de personnes qui marchent à nos côtés.

Pour Alain toujours, la marche est le début des fanatismes. On ne délibère pas lorsque l’on marche, il parle d’ « ordre enivrant ». Son propos est provocateur, voire caricatural selon B. Nouailles. Alain ne pense qu’à la marche militaire. Se promener, flâner, déambuler, errer, piétiner, randonner, vagabonder, cheminer, arpenter, etc. : tellement de façons de marcher !

On peut mélanger ces pratiques ou les alterner.

- il faut également distinguer la nature de l’espace dans lequel on marche, qui influe sur le marcheur : campagne / ville ; plaine / montagne ; forêt / neige… Le philosophe Schelle propose une classification des promenades selon le lieu. Ainsi, la ville incite plutôt à flâner.

- quel type de trace laisse-t-on dans l’espace?

1. Un cercle (une boucle) ou une ligne. Lignes de fuite : vagabondage, errance, nomadisme, exil 2. parcours connu ou avec carte / pas de destination prédéfinie 3. la marche va constituer physiquement l’espace. La marche transforme l’espace en un lieu. Nous ne percevons pas l’espace, les lieux de la même manière selon nos pratiques de la marche.

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C’est donc la marche qui produit le paysage.

2) Le rapport entre marche et pensée

Idée de liquéfaction de la pensée : positif : fluidité. Voir la pensée nomade dans « Mille plateaux » de Deleuze (lecture ardue).

La philosophie a très peu théorisé la marche. On parle souvent de Nietzsche, mais cela ne représente que quelques lignes dans toute son œuvre (« le gai savoir » ; « le crépuscule des idoles »). En réponse à Flaubert qui écrit « On ne peut penser et écrire qu’assis », le penseur de Weimar rétorque : « les seules pensées valables viennent en marchant ».

La philosophie est une question de méthode, or le mot méthode vient de methodos = cheminement.

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Trois anecdotes : -

Aristote marchait en cercle suivi de ses disciples

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Thalès, lorsqu’il a pensé en marchant, est tombé dans un puits

Kant faisait toujours la même promenade à la même heure, et il était si régulier que les habitants se basaient sur celle-ci pour connaître l’heure qu’il était

3) Les effets de la marche

Dans le film, beaucoup de personnes qui marchent sur le chemin de Compostelle évoquent une déprise par rapport au monde. Or cela est complètement paradoxal puisque rien n’engage plus le corps que la marche, rien qui donne une prise telle sur le monde que la marche. La marche est un mouvement répétitif. Comment ce mouvement peut-il produire de tels effets (faciliter la pensée) ? Marx parle de la répétition d’une tâche comme d’une aliénation.

Hypothèse : dans la répétition de la marche, on retrouve le rythme du corps vivant. La marche est une pure dépense. On ne produit rien. Ce qu’on dépense selon Georges Bataille, c’est le temps .

Lorsque l’on marche, on éprouve l’écoulement du temps, on sent que le temps se perd. L’expérience du temps qui passe se fait donc toujours sur le mode de la perte. Pour G. Bataille, on ne peut dépenser que du surplus. Nous ne manquons donc pas de temps, nous en avons en surplus.

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Alors qu’est-ce que l’on garde lorsqu’on dépense ce temps ? L’hypothèse de B. Nouailles : on garde encore du temps ! Mais d’une qualité toute autre que celui qui a été dépensé. Ce que l’on cherche en marchant n’est-il pas dès lors simplement l’expérience d’avoir du temps ?

Jorge Sanz

« J’ai marché avant de lire sur la marche »

Jorge nous a conseillé notamment l’auteur Frédéric Gros et « L’éloge de la marche » de David Le Breton. Il a étudié la philosophie à Clermont-Ferrand, où il a appris à connaître et à aimer Nietzsche « c’est comme si j’étais Nietzsche ! ».

Pour lui, plus que la pensée, c’est la beauté qui vient en marchant. « Le meilleur de l’être humain vient en marchant ». Il décrit les personnes rencontrées sur son chemin comme des cadeaux. Concernant le temps, son constat est simple, « on a tous du temps, il suffit de le prendre ».

Lors de ses marches au long cours, qu’il effectue seul ou avec sa compagne, Marie Gabriel, le rapport au temps lui semble différent : « nous sommes partis depuis cinq jours et nous avions l’impression d’être partis depuis un mois ».

« Connectés »

Lorsque l’on parcourt des lieux empruntés, modelés par d’autres hommes avant nous, on peut se sentir en contact avec ces personnes, avec nos ancêtres. « Marcher, c’est relier, d’abord avec soi-même » . Pour Jorge, la pratique de la marche peut se comparer à une sorte de religion.

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Marcher c’est avant tout se faire du bien, c’est partager son bonheur avec les autres, c’est « vivre la grande vie ». Il dit être parfois « parti en colère, revenu en paix ». Quand l’Homme marche, il est libre. Marcher, c’est aussi une méditation, la présence dans l’instant.

Finalement, Jorge estime que l’Homme est fait pour marcher. « Ce qui tue l’esprit ou l’âme, aujourd’hui, c’est de ne plus marcher ! ». Car la marche guérit et nous fait mieux nous connaître, nous-mêmes et les autres. Chaque personne rencontrée est porteuse d’un message, il les compare à des étoiles, d’où le titre de son ouvrage , basé sur les rencontres qu’ils ont faites avec sa compagne durant leur pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.

Au début des marches au long cours, Jorge a remarqué que l’on avait tous tendance à marcher trop vite. « Notre vie quotidienne basée sur la vitesse reste ancrée en nous, du moins au début ». On se blesse souvent au début, car on marche trop vite. Et il conclut son témoignage par une citation, d’une paysanne qu’il a rencontré sur son chemin : « ce n’est le temps qui passe, c’est nous qui passons à travers le temps ».

Dans le débat ou plutôt la discussion qui a suivi, il a été question du rapport entre la marche et la religion, notamment à travers le pèlerinage. Les premiers philosophes chrétiens étaient platoniciens et considéraient comme lui que « le corps est le tombeau de l’âme », il y avait une méfiance vis-à-vis du corps. Le chemin de croix est la répétition de la passion du Christ qui consiste à expier ses pêchés. La notion de rédemption, de purification est prégnante ici. Ce qui est paradoxal, c’est que la marche fait aussi du bien au corps, elle relie celui-ci au monde.

Et les autres religions ? Les aborigènes ont, par exemple, une pratique rituelle de la marche.

« Comment décrire la marche des migrants ? »

C’est une marche aventureuse, dans un espace inconnu, parfois sans destination prédéfinie. Est-ce une marche forcée ? Ont-ils le choix ? Cela dépend des situations. Un Erythréen n’a sans doute pas d’autre choix que de fuir un régime totalitaire.

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« Alain Connes, célèbre mathématicien, sort marcher pour résoudre un problème ».

Une autre personne témoigne quant à elle de son malaise suite à une marche d’une semaine. « Il m’a fallu deux ou trois jours pour m’en remettre ». « J’étais en manque ! ». La marche comme une drogue ? Certains joggers disent bien que cette discipline peut rendre dépendant.

La marche peut être vécue comme une déprise, un lâcher-prise, ou une déconnexion. Celle-ci peut être aussi efficace d’ailleurs que le retour à la réalité violent. La marche au long cours serait donc une parenthèse enchantée ? Jorge explique également ce phénomène en se basant sur son expérience du chemin de Compostelle : « 99% des pèlerins, qui ont fait un voyage à pied souvent très long et enrichissant à l’aller, prennent l’avion, le train ou le bus pour le retour ! ». Pour Marie, sa compagne, ce n’est pas une parenthèse enchantée, cette marche au long cours, « où l’on se dépouille de tout, où l’on revient à la simplicité, l’authenticité, nourrit les êtres, bien après le retour du voyage ».

Un autre exemple illustre ce que peut apporter la marche : « si l’on se trompe de route en voiture, on fait demi-tour et cela prend 5 minutes, alors qu’à pied… on peut facilement perdre beaucoup de temps en faisant une petite erreur. Et on se rend bien compte que cela ne sert à rien de râler, que l’on y perdrait de l’énergie ! En ce sens, la marche nous (ré)apprend l’humilité ».

Une personne dans le public se demande ensuite si « la marche peut être génératrice d’angoisse ». Bertrand Nouailles rappelle que c’est le philosophe danois Kierkegaard qui a théorisé l’angoisse : elle n’est pas la peur, car

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nous ne savons pas pourquoi nous sommes angoissés. Lorsque l’on marche, « on est nu », et ce sentiment qui définit la condition humaine peut être source d’angoisse, le sentiment de notre finitude. L’angoisse vient lorsque l’on découvre que l’on est une créature qui dépend d’une force supérieure.

Je suis un être nu, fini, philosophiquement parlant. Pascal dirait que la marche est un divertissement, au sens où elle nous fait oublier que l’on va mourir, la marche permet ainsi d’éviter l’angoisse. Néanmoins, en se confrontant à cette nudité, on peut surmonter l’angoisse.

« La marche est-elle un privilège de riches ? »

Pour les pauvres, la marche serait simplement utilitariste. Une personne nous confie « en voyage à l’étranger, je marchais dans la nature lorsque des gens du pays (haïtiens ?) m’ont vu et se sont mis à rire en disant : oh oh il marche ! ».

Pour lui, « la marche hors des sentiers battus est plus intéressante que l’autoroute des marcheurs qui vont à Compostelle ». Bertrand Nouailles : « cela n’enlève pas la valeur du chemin pour celles et ceux qui marchent, même sur une autoroute ». Il conclut en rappelant que parler de la marche en général ne veut rien dire, il y a différentes pratiques de marche.

« Lorsque l’on marche, le chemin n’existe pas, nous le produisons ».

Retrouvez toutes les références bibliographiques qui ont été citées lors du café-débat (et d'autres!)

Et tous les sites qui m'ont permis de le préparer : La pensée vient en marchant , par futurbibriomco

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