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49 Arctic Blues : « La beauté de la catastrophe »
FOCUS
LA BEAUTÉ DE LA CATASTROPHE
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POUR TÉMOIGNER DE LA FRAGILITÉ DU MONDE MARIN, DES BIOLOGISTES ET OCÉANOGRAPHES BRESTOIS FONT APPEL À DES ARTISTES. OBJECTIFS : RÉCONCILIER LES SCIENTIFIQUES AVEC LEUR SENSIBILITÉ ET ÉVEILLER LES CONSCIENCES PAR LES ÉMOTIONS.
« LE TABOU DES ÉMOTIONS »
À chaque retour d’expédition, le constat était le même pour le Brestois Laurent Chauvaud, chercheur en biologie marine (CNRS-UBO). « Quand on rentre d’Arctique ou d’Antarctique et qu’on a vécu des émotions extrêmement fortes, naît alors une forme de mal-être. Je vivais des choses extraordinaires et je n’arrivais pas à en parler. Les scientifiques ont été dressés à ne pas faire part de leurs émotions. Il y a une sorte de tabou, confesse ce spécialiste de la coquille Saint-Jacques. Nous avons appris à ne jamais utiliser de mots trahissant nos élans et nos sentiments. C’est pourtant quelque chose qui, aujourd’hui, me paraît important. Premièrement car il faut admettre que si on fait de la biologie, c’est parce qu’on trouve que la nature est belle. Et deuxièmement, car il faut nous aider à témoigner de la catastrophe écologique. Un constat qu’on est incapable de montrer au grand public autrement que par des graphiques anxiogènes. Il nous faut donc un autre médium qui, lui, passe par la sensibilité. »
« REGARDER DIFFÉREMMENT »
Une démarche que Laurent Chauvaud et les membres de son laboratoire LEMAR (Laboratoire des sciences de l’environnement marin) ont donc entreprise avec le projet Arctic Blues qui réunit scientifiques et artistes. « Deux mondes qu’on oppose à tort, estime Emmanuelle Hascoët, de la structure Fovearts, qui pilote ce projet initié en 2013. Ils ont beaucoup de points communs. Ils cherchent, réfléchissent, créent, se confrontent au terrain… En faisant rencontrer ces deux univers, cela permet de faire bouger les lignes et de chambouler leur quotidien. Cela les amène à regarder différemment les choses et élargir leur façon de travailler. »
« SENTIMENTS CONTRASTÉS »
Depuis près de dix ans, photographes, musiciens et plasticiens participent donc aux missions et travaux d’océanographes et de biologistes. C’est le cas de François Joncour, producteur de musique électronique, qui s’inspire de sons sous-marins capturés par des hydrophones. « Cela fait suite à une résidence en immersion dans le labo du CRNS basé à Brest où nous avons reçu, sans le moindre filtre, un état des lieux de la situation environnementale. Ça a été un choc qui a entraîné un fort désir de création. » Est ainsi né le projet Sonar (auquel participent également les musiciens Maxime Dangles et Vincent Malassis) qui, au sein de l’exposition Arctic Blues, propose une installation immersive. « J’ai notamment composé des morceaux à partir du bruit que subissent les coquilles Saint-Jacques lors d’implantation d’éoliennes en mer. Cela permet de mieux comprendre l’impact que cela peut avoir sur ces animaux. Cette captation constitue la base du morceau Piling underwater (issu de l’abum Sonars Tapes qui sort le 19 novembre, ndlr), développe François Joncour qui a également travaillé à partir du son d’un iceberg qui craque. Un des bruits qui m’a le plus marqué : il y a quelque chose d’extrêmement vibrant, avec des fréquences basses qui sont incroyables. » « Cela illustre ce que j’appelle la beauté de la catastrophe, poursuit Laurent Chauvaud. Le son est tellement beau qu’on en oublie que cela vient d’un continent qui est en train de fondre. On s’émerveille de quelque chose qui ne devrait pas se passer. Des sentiments contrastés qui peuvent aider à éveiller les consciences. »
Julien Marchand
Arctic Blues, à partir du 18 décembre aux Champs Libres à Rennes