Le château d’eau
Le château d'eau, par SÊbastien Huberland
M’évacuer, d’urgence et à tout prix
Il était une fois un idiot de village qui rêvait au prince charmant. Il lisait et relisait les contes de fées sadiques à travers les lignes de sa main, en attente qu’on la lui demande. Il aurait fallu pour cela qu’il sorte de son cube, une bulle aurait posé des difficultés d’évacuation, alors un cube avec ses faces de carême qui reflétaient, reflétaient, reflétaient à l’infini chaque pore dilaté et chaque point noir de sa rêverie. Il n’y avait plus que lui pour y croire alors il s’est mis à sa fenêtre de prison et il a attendu. Que l’on vienne réparer sa vie de cloche.
Le jour est venu on lui a demandé sa main ou plutôt arrachée, cramponnée qu’elle était à son plexus, plus de forces assez pour se cramponner à son sexe et à rêvasser à des doigts d’un autre à qui il aurait donné des noms d’amants. Le jour est venu et on l’a entraîné dehors, on l’a présenté, manipulé, on a décrispé ses mains pour en faire un sourire rictus et on a dit bonjour à sa place. On a répondu oui à toutes les questions de l’autre et on a répondu oui à la question finale. Alors il l’a épousé. Il n’était plus lui-même et c’était bien vu qu’il était devenu ce qu’il désirait être depuis toujours quelqu’un de soumis intellectuellement - physiquement - mentalement spirituellement et sexuellement surtout sexuellement. Il était bien content. Le prince était venu mais Les princes charmants sont tous des porcs Les princes sont des porcs Les Princes-Porcs
Je ne suis plus un coeur à prendre à la légère
Mais le Prince était venu. Il existe un manuel intérieur qui nous programme pour le conte de fées. Dans notre cas, même s’il s’agissait plutôt de fés non de fées, je n’en éprouvais pas moins un désir grandissant de princesse capricieuse, exigeante, nonchalante et délurée. J’aimerai mon Prince mais je voudrai un château. Je bénirai son nom de baptême chaque jour que Dieu fait mais notre château sera entouré d’un parc fleuri. Je l’aimerai en époux comblé mais je voudrai qu’il me ramène et me couvre de bijoux. Je serai là chaque jour et chaque nuit mais je veux ressentir le manque et pour cela il devra être au moins sept mille fois plus présent quand il sera près de moi. Je veux qu’il m’aime et me comble et soit obsédant et obsédé et obséquieux et docile. Alors je ferai tout ce qu’il voudra. Je me retrouvais enfin en position de demander et d’obtenir. Je n’allais pas en user mais au moins profiter de ma position un peu plus confortable de participant de la loi de l’offre et de la demande. Je m’offre quand il me demande. Alors nous sommes partis fêter nos noces d’un jour à la quête de ce que lui aussi appelait notre but commun. Etrangement je ne me sentais pas un avec l’autre je me sentais plutôt comme en possession d’un frère jumeau ou plutôt siamois qui me collait sans cesse et qui m’enivrait tantôt de son parfum et me pesait une autre fois comme un poids mort lorsqu’il se décidait par moment d’être lui-même. Je le prenais en patience car je me disais que cela aussi faisait partie de nous.
L’orage amer et souvent, m’éprendre de haut
On errait ça et là et on se disait parfois que l’on avait trouvé le terrain idéal, en friche, mais aucun d’entre eux ne possédait le château. Il décidât alors de nous mettre de côté mes caprices et moi et prétextant le futur effet de surprise il me posât dans un fauteuil, ne pas bouger / doigt sur la bouche l’ange de l’oubli a forcé sa marque. Il est parti il était donc marin. Il est parti en quête de ce que sera notre terrain d’entente. Les mois ont passé tout comme mon espoir de voir un jour mes caprices comblés. Mais quand tout me susurrait que jamais je ne verrai mon vœu de tour d’ivoire s’exaucer, il est revenu, l’espoir se lisait sur son visage et sa signature sur un acte notarial. Il avait trouvé, acheté, découvert seul la plus belle des dots. J’ai enfourché ma Fiesta pourrie qui me servait de citrouille pourrie et nous nous en sommes allés, main dans la main, afin de ne pas tomber. Nous étions maintenant plantés comme deux éléments du décor. Je le contemplais droit devant, s’élevant dans le ciel comme un château des nuages, son ombre portée pouvant glacer tout visiteur impromptu qui oserait interrompre nos élans passionnés. A défaut d’un jardin verdoyant et coloré nous nous trouvions sur un terrain nu. A contrario d’un château majestueux l’homme de ma vie était devenu propriétaire d’un ridicule château d’eau. «Tout se construit avec le temps», «Feuillette le Elle décoration château d’eau et autres endroits insolites», «Essaie d’imaginer
Je suis une subtile mauvaise surprise
ce que la vie ne t’apportera pas» sont devenues en ce moment précis mes phrases cultes et surtout compensatoires. Je lui ai souri je ne pouvais lui en vouloir, je lui ai ressouri, je ne pouvais le détester. Il me demanda alors la pire des choses. Il voulait mettre mon amour à l’épreuve, d’accord j’accepte et relève le défi mais pourquoi voulait-il que je m’abaisse? Pourquoi voulait-il que je jardine et malaxe cette terre puante? J’ai détesté la nature dès le jour où un insecte accepta de se sacrifier pour m’étouffer. Il est entré dans ma bouche je ne pouvais admettre ou avaler le fait que cet organisme voulait voyager. J’ai donc recraché la créature et déjecté toute affection pour le bois/les feuilles/l’écorce et le terreau. Mais lui il était là, un sac plein de graines à la main. Des graines de pâquerettes. Dans son pays, ou plutôt sur sa planète, les pâquerettes sont les symboles de l’amour éternel. Je m’en fous. Il voulait que je m’occupe de notre jardin autour de notre château déjà bien nul. Il me tendit le sac. Je lui tendis immédiatement l’autre joue. Et il partit. Barbe bleue interdisait à sa jeune épouse de pénétrer dans la fameuse salle proscrite. J’aurais pu comprendre. Lui me demandait de m’ouvrir chaque poignet et de déverser mon dégoût comme un engrais sur chacune de ces graines ridicules.
Ma cocotte-minute a déjà sifflé trois fois
Il devait partir pour trois longs mois, cela tombait bien, c’est le temps de gestation pour que naissent du guano ces effrayants aliens végétaux. Il me sourit. Il me fit un signe de la main. Je pris cela comme un bras d’honneur. Je n’aurai pu décemment m’exécuter. Je décidai donc de cultiver un grand sens pratique afin de rendre mon rejet pour l’agriculture plus léger. Je renversai le sac et je comptai les graines. Deux mille sept cent quatre vingt deux. Je pris mon courage à deux mains + une grande feuille de papier Canson + un crayon et me mit en tâche de dessiner le terrain. Je dessinai un rond à la place du château d’eau et quadrillai le reste du papier de tout petits croisillons, avec autant de croisillons que de graines dans le sac. Je savais donc à présent qu’il me fallait espacer chaque graine de 11,02 centimètres sur la largeur et la hauteur afin de recouvrir le sol uniformément. J’avais prévu une allée centrale pour accéder au château. J’avais tout prévu car je savais qu’il me fallait arroser chaque graine trois fois par semaine. J’en profiterai pour vider ce château rempli d’eau. Ma tâche restait sans conteste d’une naïveté sans borne. J’adore compliquer, alors, j’ai compliqué. (Les dilemmes dans lesquels je me fourre me permettent d’oublier mes réels problèmes) (Les contradictions que j’arrive à construire parfois me permettent d’oublier que quelqu’un d’autre a instauré le système)
M’exécuter, décemment
(J’adore souffrir de mes propres menaces) Alors je pris la décision sans appel de me mettre en devoir de remplir le château, à chaque fois que j’en vidais un godet d’arrosage. Je voulais ne rien manipuler de tangible, je voulais remplacer une matière instable par quelque chose que je croyais être seul à manipuler. J’arroserai les pâquerettes avec une eau qui fera place à une pensée. J’ai vécu presque trente-quatre ans dans une solitude débordante qui m’a rendu méchamment fou, j’ai donc pu extraire moult litrons d’eau lourde en compensant pratiquement avec cette inexistence de vie. J’ai arrosé quatre longues semaines en remplaçant l’eau par la solitude, un verre d’eau, cinq jours de solitude, un décalitre pour un an d’absence de projets. J’ai bien cru à un moment ne devoir faire l’échange que sur base de ce ressentiment. Puis la mélancolie extraite de ces années passées en Terre Adélie s’est épuisée. Il me fallait choisir un autre sentiment. Peut-être une envie? L’envie de croire. L’envie de croire serait le prochain troc. Ou plutôt que l’envie de croire, je choisis la déception sans cesse renouvelée d’avoir pris des vessies pour des lanternes, et de replonger presqu’immédiatement dans un nouveau concept, un nouveau choix, un nouveau but. Alors je mis deux petites semaines à extraire du réservoir dix-sept litres d’eau.
J’ai perdu le chemin de ma raison
Alors je mis deux longues semaines à le remplir de mon amertume. Les fleurs germaient. Ou plutôt les graines-dot se mettaient à offrir autre chose visuellement qu’une terre ramollie. Le décor changeait. Cela m’amusait, moi l’athée terrien de voir mes manipulations s’exécuter. Cela me donnait un pouvoir de création inéluctable de voir un résultat aussi homogène. Car les graines se mirent à germer ensemble, et chaque emplacement reporté fidèlement à l’échelle, du papier vers le terrain, se mit à se teinter de vert. Drôle s’il en est de voir ses écœurement répétés du passé servir de monnaie d’échange. J’étais parfois embêté de n’avoir que des ressentiments à offrir à ce pauvre château mais lorsque l’on vit mal, on n’a que le malaise à offrir. Pas grave du tout le système fonctionnait, et je me mis à la recherche d’une nouvelle offrande à déposer dans le silo thérapeutique : l’abandon. Parfois, les parents ont la bonne idée de mettre en scène leur départ pour traumatiser leur enfant. Ils se cachent derrière un arbre, un poteau, une palissade, et ils attendent (attendris) que leur rejeton, déjà perdu dans ses pensées, se retourne et constate leur disparition. Les parents ne rient pas de suite. Ensuite, l’enfant panique mais essaie, du haut de ses quelques années d’existence, de garder un air détaché. On est fier très tôt. Parfois, ce jeu dure le temps que l’enfant se mette à pleurer.
Parfois je m’éclipse, comme pour mieux satisfaire ses angoisses
Et parfois, ce drôle de jeu unilatéralement subtil dure toute une vie. J’ai pu alors transvaser septante-quatre seaux en contrepartie de : - Trop de temps à faire semblant d’attendre quelqu’un - Assez bien de moments passés à regarder ma montre - Cinquante-cinq pour cent du temps à vérifier que mon téléphone n’était pas en dérangement - Cinq jours par semaine à attendre que l’élément déclencheur se définisse - Deux jours suivants pour se reposer de cette attente. De rage j’ai alors inondé le terrain, avec l’envie furieuse d’exterminer mon nouveau peuple soumis. Mais ces plantes étaient autant vivaces que mon bilan personnel ne prenait des tournures de mélodrame. Ces idiotes se sont moquées de ma supériorité et ont poussé d’un centimètre en une nuit : le sentiment d’abandon aiderait donc à mûrir plus rapidement. J’avais à présent presque hâte que les pétales éclosent, tout ce vert me donnait la nausée. Je ne continuai pas à arroser les quatre jours suivants... Il fallait redéfinir qui était le maître de la situation. Lorsque je me mis à redistribuer mes collations au compte-gouttes, je crus entendre un soupir de soulagement de la part de mes nouvelles nées. Car c’est à ce moment que la magie opéra. Les plantes déployèrent leurs pétales et le sol brun du départ fit place à une blancheur presqu’inattendue.
Je vais me cacher au creux de vastes prĂŠs permĂŠables
Car en deux mois et dix-huit jours, j’avais échangé mes bolées d’eau contre la solitude, l’envie de croire, le sentiment d’abandon. J’avais remplacé une eau inerte par le désir refoulé, la crispation, la frustration. J’ai passé du temps également à écouler par un système de vases communicants le contenu du réservoir contre la somatisation, un abonnement au vidéoclub du coin, une envie irrépressible d’alcool, de calmants et d’antidépresseurs. J’ai même hésité longuement à permuter les derniers décilitres contre mes premières rides, mon ventre naissant ou peut-être mon manque d’envies. Les trois mois se sont écoulés ainsi. Une saison passée fit place à l’été, et la satisfaction du travail bien fait céda son siège à une angoisse étrange. Mes trois mois initiatiques en jardinage et en retrouvailles avec moi-même m’apprirent en attendant le retour de l’autre que je n’avais fait qu’isoler un problème, je l’avais contourné par un jeu parfait de maîtrise de gestes. J’avais ressenti le pouvoir de contrôler les situations qui m’empoisonnaient depuis toujours. J’avais même cru que j’emprisonnais à la manière des chevaliers passés le terrible dragon dans la plus haute tour du château. Mais mon pauvre château à moi n’avait qu’une seule tour, et je n’avais fait, en agissant ainsi, que matérialiser une pathétique salle des portraits grâce à laquelle mon aimé, en la parcourant, verrait de manière illustrée les pauvres reliques qui me composaient.
Commencement
J’avais rendu notre nid d’amour inhabitable. J’étais donc un être inhabitable. Monsieur Gray pouvait encore cacher son portrait à la cave, moi je n’avais qu’un étage, et il nous servirait dès à présent de débarras. Je me suis alors couché dans les pâquerettes. J’attendrai qu’elles poussent haut, très très haut, et qu’elles me recouvrent pour me cacher. J’avais voulu manipuler le subtil, j’allais l’offrir comme on fait une mauvaise surprise à l’être aimé. Ne restait en moi que cette matière corporelle devenue très lourde, malgré le déchargement de tous mes mauvais côtés. Il m’avait dit que dans son pays, ou plutôt sur sa planète, les pâquerettes étaient un symbole d’amour. Je ne m’en fous plus. J’espère seulement que ces amours lui permettront un jour de me retrouver intact.
Nouvelle et illustrations photographiques de Sébastien Huberland Editions blanc murmure 2008 En collaboration avec la Direction générale des Affaires culturelles de Hainaut, Secteur des Animations et de la Formation, Le Pass, Le Ministère de la Communauté française, Secteur CEC Le Ministère de la Région Wallonne.
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