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Avant-propos

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Mappae mundi

Mappae mundi

The mappae mundi exist in scores of manuscripts and much work needs to be done before secure generalizations may be based upon them.

Denys Hay, Europe, the emergence of an idea (1957)

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L’expression mappa mundi ou mappamundi désigne des représentations soit de la terre habitée (ou œcumène), soit l’ensemble de la sphère terrestre, sous forme diagrammatique ou détaillée 1. Les diagrammes illustrent des notions, essentiellement le partage de l’œcumène en trois parties, les mappemondes détaillées transposent la réalité spatiale sous forme figurée en montrant des réalités topographiques. Ce recueil renferme près de huit cents descriptions de mappae mundi présentes dans plus de cinq cents manuscrits latins datant du viiie au xiie siècle, accompagnées, autant qu’il a été possible, des reproductions des pages où elles figurent. Il ne comprend pas les cartes célèbres du Commentaire sur l’Apocalypse de Beatus de Liébana qui a fait l’objet dans les dernières décennies de fac-similés accompagnés d’études approfondies2

Dans l’Antiquité latine, le substantif mappa n’apparaît que dans le Corpus agrimensorum où il s’applique à la représentation graphique « à grande échelle » (pour employer une expression anachronique) de territoires centuriés, dessinée vraisemblablement sur tissu. Les cartes de régions ou du monde habité sont habituellement appelées tabula, pinax, situs depictus, orbis terrarum depictus. L’emploi de « mappa » dans l’expression médiévale « mappa mundi » témoigne d’un glissement de sens significatif. L’usage, au Moyen Âge, renvoie en effet à des représentations du monde habité ou du globe terrestre, donc « à petite échelle ». C’est à l’époque carolingienne que le terme, paré du prestige attaché aux réalisations de la technique romaine et rencontrant les prétentions de l’empire à l’universalité, fut associé aux images de l’orbis terrarum ou du globe tout entier. Par la suite, mappa mundi fut souvent employé pour désigner tout type de carte, de quelque échelle qu’elle fût, et même des textes de géographie descriptive : l’expression devint canonique, la représentation cartographique ayant imprégné l’ensemble de la culture, en particulier de la culture textuelle.

1 Vue d’ensemble par E. Edson, The world map 1300-1492. The persistence of tradition and transformation, Baltimore, 2007. Analyses détaillées de mappae mundi par N. Bouloux , « L’espace habité », dans P. Gautier Dalché (dir.), La Terre. Connaissance, représentations, mesure au Moyen Âge, Turnhout, 2013 (L’Atelier du médiéviste, 13), p. 259-441.

2 Voyez S. Sáenz-López Pérez, The Beatus maps. The revelation of the world in the Middle Ages, Burgos, 2014.

Les représentations de l’œcumène affectent la forme d’un cercle divisé en trois parties correspondant aux partes de l’orbis terrarum, Europe, Asie, Afrique. Des variantes complexifient parfois ce schéma. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, elles ne sont pas toujours orientées à l’est, les régions orientales où est traditionnellement localisé le paradis terrestre. Elles ne sont pas toujours centrées sur Jérusalem. Considérer toutes ces figures comme des images à contenu principalement ou exclusivement religieux est une simplification indue. Quant aux représentations de la sphère terrestre, elles expriment par leur contenu les rapports établis avec les phénomènes cosmiques issus des spéculations cosmographiques antiques. La figure la plus courante est un hémisphère partagé en cinq zones climatiques limitées par les cercles remarquables. Le nord est généralement en haut. Plus rarement, la seule œcumène est divisée en climata, c’est-à-dire en bandes définies par la durée moyenne du jour le plus long, façon d’exprimer la latitude. Les diagrammes, par leur structure simple, sont aptes à recevoir des compléments de toute sorte.

Ils peuvent être remplis de listes de toponymes distribués selon leurs positions à la surface de l’orbis terrarum. Les diagrammes des zones accueillent des informations topographiques ; ils distribuent parfois les trois parties de l’œcumène dans la zone tempérée septentrionale et les dessinent de façon « réaliste ». Chaque ordonnateur de manuscrit pouvait ainsi décider d’ajouter au diagramme qui lui servait de modèle des informations puisées dans d’autres sources. Les diagrammes sont donc d’une plasticité remarquable, ce qui traduit l’intensité et la complexité des réflexions géographiques de ceux qui les faisaient dessiner. C’est tout un aspect fondamental de la culture et de l’enseignement géographique du Moyen Âge qui se révèle par l’étude précise de ces documents et des manuscrits où ils sont placés, dont certains sont des vade-mecum rassemblés par des maîtres.

L’entreprise dont sont livrés ici les résultats a pris forme graduellement il y a près de quatre décennies. Les instruments de travail dont on disposait alors étaient insuffisants pour mesurer l’importance de cet élément de la vie intellectuelle du Moyen Âge.

Lors du Congrès international de géographie tenu à Lisbonne en 1949, l’Union géographique internationale avait décidé de créer une « Commission des cartes anciennes » chargée d’en dresser l’inventaire, préalable à un corpus de fac-similés qui n’a jamais paru. La proposition émanait d’un savant enthousiaste, Marcel Destombes (1905-1983) qui fut le principal rédacteur de l’inventaire paru en 1964, limité pour l’essentiel à la période 1200-15003 L’introduction du volume indiquait que le matériau principal avait été recueilli grâce « aux réponses à des circulaires envoyées aux bibliothèques, à une active correspondance et aux recherches personnelles des membres de la Commission 4 ». Marcel Destombes eut toutefois l’heureuse initiative d’y adjoindre une liste sommaire des mappemondes antérieures à 1200 établie par ses soins, à partir de publications antérieures, d’informations provenant des bibliothèques et de ses propres recherches. Le chapitre II de l’ouvrage, après une introduction générale sur les mappae mundi médiévales, donnait ainsi, avec des indications bibliographiques limitées, « la localisation précise, le type et les dimensions de plus de 332 mappemondes insérées dans 283 manuscrits5 ».

3 M. Destombes, Mappemondes A.D. 1200-1500. Catalogue préparé par la commission des cartes anciennes de l’Union géographique internationale, Amsterdam, 1964 (Monumenta cartographica vetustioris aevi A.D. 1200-1500, I).

Les défauts de cette liste – et de l’ensemble du volume – étaient nettement mais très incomplètement signalés. Le plus évident tenait aux erreurs d’appréciation sur la date des manuscrits provenant pour l’essentiel des catalogues. Il n’était pas certain, d’autre part, que les membres de la commission, et Marcel Destombes lui-même, aient été assez versés dans la paléographie et la codicologie pour que les données qu’ils établirent fussent totalement fiables, même compte tenu de l’état de ces disciplines à l’époque6 Plus grave, on constatait des erreurs de cote et des imprécisions en grand nombre quant aux œuvres où apparaissent des cartes et à leurs auteurs.

Mais surtout, l’ouvrage reposait sur l’idéologie naïvement progressiste de la science qui était alors encore en vigueur, Certes, Robert Skelton prenait soin d’affirmer, dans une introduction générale, que les cartes du Moyen Âge (« en particulier celles des xiii e et du xiv e siècle ») sont « des documents importants pour l’histoire de la culture occidentale », mais il tenait qu’elles sont, « dans une large mesure, des constructions de l’esprit » – mais toute carte n’est-elle pas une « construction de l’esprit » ?, bien que, selon lui, à partir du xiiie siècle, la « connaissance expérimentale » eût occupé une part de plus en plus importante dans leur construction 7. Cette épistémologie sommaire n’était pas de nature à mettre au premier plan les mappae mundi comme documents d’histoire intellectuelle, culturelle ou sociale. Destombes reprenait de plus, en les subtilisant à l’extrême, des tentatives antérieures de « classification » des mappemondes en familles, divisions, genres et espèces, à l’imitation des sciences naturelles8.

5 Selon un trait caractéristique de la méthode de Destombes, on apprend dans une note (p. 28) que ce nombre doit être complété de onze autres manuscrits d’auteurs actifs au xiie siècle (Lambert de Saint-Omer, Guillaume de Conches), mais dont les manuscrits les plus anciens ont été exploités dans le chapitre III, consacré aux mappemondes datées 12001500 (respectivement p. 115 et 99-101, à l’inverse de l’ordre chronologique).

6 Un exemple topique est fourni par l’introduction de Clara E. Le Gear aux cartes des manuscrits du Bellum Jugurthinum (ibid., p. 65 sq.).

7 Ibid., p. xv abondance. Les gloses en des langues autres que le latin sont signalées.

8 Voir une critique développée de cette approche chez P. Gautier Dalché , « Mappae mundi antérieures au xiiie siècle dans les manuscrits de la Bibliothèque nationale de France », Scriptorium, 52, 1998, p. 102-162.

4. Date, origine et situation de la mappa mundi

Il arrive que des mappae mundi aient été ajoutées après la confection du manuscrit, soit qu’un feuillet supplémentaire ait été inséré, soit qu’une main postérieure ait tracé le dessin ou l’ait complété. La date et l’origine de la carte et éventuellement celles des compléments sont donc spécifiées à la suite des données précédentes, bien qu’il soit la plupart du temps difficile de parvenir à une conclusion raisonnable.

La situation de la mappa mundi dans le codex est ensuite exprimée par le numéro du feuillet ou de la page dans le cas de manuscrits paginés. La place de la mappa mundi dans la justification ou la page est complétée par l’estimation de la surface occupée (en nombre de lignes lorsqu’elle est insérée dans le texte). Il est enfin fait référence au passage du texte qu’illustre la figure, ou au passage le plus proche. S’il y a lieu, la nature des autres diagrammes occupant la page est précisée.

Quand cela a été possible, la ou les mains responsables du dessin ont été identifiées.

5. DESCR. : description du dessin

Deux types généraux de représentations sont distingués : orbis terrarum (c’est-à-dire l’œcumène) et sphère terrestre. Lorsque les représentations s’écartent de ces types, elles sont décrites en détail.

A. Les représentations de l’orbis terrarum affectent principalement trois formes. Chacune d’entre elle est caractérisée de façon similaire sauf exceptions justifiées par des formes particulières :

– T dans un cercle ou un anneau (ou plusieurs) est la forme la plus courante. La circonférence ou l’anneau représente l’océan qui entoure la Terre habitée ; elle est divisée en trois partes (l’emploi fréquent du terme « continent » dans l’historiographie est un anachronisme) par un « T » dont la hampe représente la Méditerranée, les bras le Tanais et le Nil qui font limite entre l’Europe et l’Asie d’une part, l’Afrique et l’Asie d’autre part. En général, l’Asie occupe une moitié (supérieure dans le cas d’une orientation à l’est), l’Europe et l’Afrique se partagent également l’autre moitié. Ce découpage correspond à la division canonique des partes rencontrée dans les textes géographiques depuis l’Antiquité.

– Y dans un cercle ou un anneau (ou plusieurs) désigne des cartes où la partie supérieure de la hampe et le bras gauche (dans le cas d’une orientation à l’est) du « T » sont remplacés par deux bandes obliques formant un « Y » qui représentent le palus Méotide et le Tanais ; cette forme est d’origine hispanique ; – les mappae mundi détaillées ont des formes variables (circulaires, ovales …) remplies de contours réalistes ou peudo-réalistes et de données topographiques et de toponymes nombreux. Elles sont décrites le plus précisément possible.

B. Les représentations de la sphère se divisent en trois catégories selon l’objet représenté et le mode de représentation :

– Hémisphère (dans un ou plusieurs anneaux) : représentation des cinq zones climatiques et de leur habitabilité (septentrionale froide, septentrionale tempérée, torride équatoriale, méridionale tempérée, méridionale froide), accompagnée parfois du zodiaque. Dans le cas des mappemondes du Commentarii in Somnium Scipionis de Macrobe ou influencées par ce texte, la zone torride peut être totalement ou partiellement occupée par un océan qui fait le tour de la Terre. Il rencontre à l’est et à l’ouest un océan méridien situé perpendiculairement et passant par les pôles ; les différents courants produits par ces masses d’eaux provoquent ce que Macrobe appelle des refluxiones (var. reversio, refusio), origine des marées. Ces images intègrent parfois des éléments topographiques et toponymiques relatifs à l’œcumène, comme la tripartition de la zone tempérée septentrionale ou de la moitié septentrionale de l’hémisphère. Elles comportent aussi parfois des contours réalistes ou pseudo-réalistes ;

– Zones en projection polaire se réfère à un type de représentation des zones où la sphéricité de la Terre est figurée de façon illusionniste comme si elle était vue depuis le pôle. Lorsqu’il est complet, il est accompagné d’une légende où est utilisé le terme moira (gr. μoῖρα, « part », « portion », employé au sens de « degré » dans la Géographie de Ptolémée) relatif à l’extension de la zone polaire arctique, qui a généralement été mal compris par les copistes ; de même que des ouvrages relevant davantage de la divulgation que de la science.

13. Reproductions

Bien qu’elles soient souvent obsolètes, on a ajouté aux références livresques les références des images électroniques disponibles sur l’internet.

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