Émaux du Moyen Âge

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BRIMO DE LAROUSSILHE PARIS

BRIMO DE LAROUSSILHE

Exposition du 15 septembre au 14 octobre 2023

7, quai Voltaire - 75007 Paris

T +33 1 42 60 74 76

www.brimodelaroussilhe.com

e-mail : galerie@brimodl.com

ÉMAUX DU MOYEN ÂGE

MARIE-AMÉLIE CARLIER

Le travail de l’émail n’est pas une innovation du Moyen Âge, mais le développement de l’émaillerie, en particulier sur cuivre, à partir de la période romane, forme l’un des phénomènes les plus marquants et peut-être les plus séduisants de l’histoire des arts précieux au Moyen Âge.

Si les émaux de la région mosane comptent parmi les plus belles réalisations de cette période, le développement de l’art de l’émail dans les régions septentrionales fut relativement bref. En France, au contraire, la floraison de l’Œuvre de Limoges perdure pendant près de deux siècles, du milieu du xiie siècle environ jusqu’au début du xive siècle. L’émaillerie limousine doit son succès notamment à l’usage combiné qu’elle fait de la couleur, où domine le bleu lapis, et de la sculpture réalisée sur feuille de cuivre. Les qualités esthétiques de ces œuvres, leur puissant impact visuel, la lisibilité de leur décor, la solidité des pièces et aussi leur coût, relativement raisonnable en comparaison des réalisations d’or ou d’argent rehaussées de pierres dures et de pierres précieuses, expliquent également l’incroyable diffusion de l’Œuvre de Limoges à travers toute l’Europe.

Le déclin des émaux champlevé de Limoges au début du xive siècle correspond en partie à l’essor de l’émaillerie translucide sur basse-taille d’or ou d’argent. Cette technique, inventée à Sienne à la fin du xiiie siècle, va se développer en France particulièrement à partir du début du xive siècle et perdurer jusqu’à la fin du Moyen Âge, vers 1500, comme en témoignent les trois pages en or et émail translucide provenant d’un livre d’or émaillé réalisé pour Anne de France (cat. 36).

Dans l’histoire de la réception de l’émaillerie médiévale, Brimo de Laroussilhe occupe une place particulière. Fondée en 1908 par Nicolas Brimo qui s’associe à son beau-frère Lucien Lascombe de Laroussilhe, la galerie va très vite se spécialiser dans les arts précieux médiévaux. Les photographies anciennes des vitrines de la galerie au début du xxe siècle montrent un véritable foisonnement de pièces d’émail et principalement de l’Œuvre de Limoges.

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Fig. 1. Phylactère provenant de l’abbaye de Lobbes, vallée de la Meuse, vers 1160-1170. Londres, collection Wyvern. Fig. 2. Châsse des Rois mages, Limoges, vers 1200. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge. Fig. 3. Feuillet de diptyque : La Nativité, L’Adoration des Mages , Paris, vers 1320-1330. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge.

Certaines pièces d’émaillerie médiévale parmi les plus importantes conservées dans les plus grands musées sont alors passées par Brimo de Laroussilhe. C’est le cas par exemple de l’armilla dite de Frédéric Barberousse (fig. 5), provenant de la cathédrale de Vladimir, achetée par la galerie lors des ventes effectuées par l’État soviétique en 1933 et vendue au musée du Louvre en 1934.

Depuis les années 1990 et le choix fait par la galerie de se consacrer exclusivement aux arts du Moyen Âge et de la Renaissance, l’intérêt de la maison pour l’art de l’émaillerie ne s’est pas démenti. Nous avons eu la chance de voir de nombreuses œuvres majeures passer entre nos mains.

Parmi celles-ci nous pouvons citer, entre autres, le phylactère provenant de l’abbaye de Lobbes (fig. 1), conservé dans la collection Wyvern à Londres ; les trois médaillons réalisés à Silos ou Limoges (fig. 6) provenant de la collection Stoclet, conservés au musée du Louvre ; le Christ en majesté provenant du frontal de la cathédrale d’Orense (fig. 7), conservé aujourd’hui au J. Paul Getty Museum à Los Angeles ; la très belle châsse des Rois mages conservées au musée de Cluny (fig. 2) ou encore le petit feuillet de diptyque en émail translucide vers 1320-1330, également conservé au musée de Cluny (fig. 3).

L’ensemble de ces œuvres, comme celles présentées dans ce catalogue, témoigne de l’incroyable richesse et de la variété de l’émaillerie médiévale qui, aujourd’hui encore, est capable d’exercer sur nous une véritable fascination.

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Marie-Amélie Carlier Fig. 5. Armilla (épaulière) : Résurrection du Christ , région mosane, vers 1170-1180. Paris, musée du Louvre. Fig. 6. Trois médaillons à décor d’oiseaux, Limoges ou Silos, vers 1150-1170. Paris, musée du Louvre. Fig. 4. Ensemble d’objets chez Brimo de Laroussilhe. Photographie prise entre 1919 et 1925. Archives Brimo de Laroussilhe. Fig. 7. Christ en majesté provenant du frontal de la cathédrale d’Orense, Limoges, vers 1188. Los Angeles, The J. Paul Getty Museum.

CATALOGUE

QUATRE PLAQUES : SYMBOLES DES ÉVANGÉLISTES

Vallée de la Meuse, vers 1160

Cuivre champlevé, émaillé et doré Chaque plaque : H. 3,8 cm ; L. 3,8 cm

HISTORIQUE

Au xixe siècle dans la collection William Gott ; collection John Gott (1830-1906) ; Sotheran, Londres ; collection C. W. Dyson Perrins (1864-1958) ; collection Major J. R. Abbey (1894-1969) ; Brimo de Laroussilhe ; collection Ernst et Marthe Kofler-Truniger (Lucerne) ; collection Ronald Lauder (New York).

BIBLIOGRAPHIE

Warner, G., Descriptive Catalogue of Illuminated Manuscripts in the Library of C.W. Dyson Perrins, Oxford, Oxford University Press, 1920, no 25, p. 76-77.

Les quatre symboles des évangélistes apparaissent en buste, présentant devant eux le phylactère, réservé, sur lequel se détache le nom de chacun, émaillé de bleu. Chaque figure s’inscrit dans un cadre défini par une fine bordure émaillée de bleu et d’un fin liseré blanc. Les quatre plaques étaient destinées à être clouées sur un support de bois, comme le montrent les trous de fixation aménagés aux quatre angles. Les bords sont tous pourvus d’un motif de grènetis. La forme carrée de ces quatre plaques, leurs dimensions et l’iconographie qu’elles développent pourraient nous laisser penser qu’elles pouvaient prendre place sur un staurothèque, reliquaire de la Vraie Croix, tel que celui conservé au musée Dobrée de Nantes qui présente, dans les quatre angles, les symboles des évangélistes selon un schéma identique2 . Ce type de représentation se retrouve également sur différents encadrements de reliures tels que ceux de l’évangéliaire de Dinant conservé à Manchester3 , du lectionnaire de Saint-Trond conservé à Düsseldorf4 ou d’un évangéliaire conservé à Bruxelles5 .

L’historique de ce tétramorphe qui figurait encore avant les années 1960 sur la reliure d’un manuscrit des Commentaires des psaumes de Petrus Lombardus, manuscrit du nord de la France vers 1200 6 , nous incite à privilégier cette seconde hypothèse. Une inscription au premier folio de ce manuscrit nous apprend que la reliure a été remaniée en 1721 tandis qu’il était encore probablement conservé dans un monastère du nord de la France7. Comme l’a souligné G. Warner8 , il semble probable que pour ce remaniement au xviii e siècle les anciennes reliures aient été utilisées, et l’on peut ainsi penser que les quatre plaques des symboles des évangélistes ornaient déjà la reliure de ce manuscrit avant cette date.

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Staurothèque, vallée de la Meuse, vers 1170. Nantes, musée Dobrée.

Plat de reliure de l’évangéliaire de Dinant, vallée de la Meuse, vers 1170-1180. Manchester, The John Rylands Library.

La palette des émaux offre une gamme de couleurs froides où s’harmonisent le vert ourlé de jaune et le bleu se durcissant en bleu profond ou s’estompant jusqu’au blanc. Les nimbes de Matthieu, Luc et Marc présentent autour du cercle bleu des halos blancs, tandis que le nimbe de l’aigle de Jean est cerné d’un halo jaune. Cette variante apparaît comme la marque d’une volonté de diversifier la palette développée sur cette plaque qui, hormis le rouge de l’extrémité des ailes, se constitue uniquement d’une riche gamme de différents bleus.

De manière générale, ces quatre plaques attestent d’une très haute qualité d’exécution dont témoigne l’assurance de la gravure cernant les espaces réservés de cuivre doré. La souplesse et la finesse des lignes épargnées qui délimitent les contours et les lignes principales des corps sont notamment évidentes dans la figure de l’aigle de Jean. Par ailleurs, cette grande qualité de facture est ici rendue pleinement perceptible par la très bonne conservation de la dorure qui permet de révéler tant les qualités du dessin que la richesse des tonalités de l’émail.

Par de nombreux traits, ce tétramorphe semble dériver directement des grandes réalisations mosanes de la décennie 1160. Le classicisme du beau visage ovale de l’ange de Matthieu, le traitement de sa chevelure et la palette des émaux invitent à le rattacher au style du triptyque de Stavelot

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Phylactère, vallée de la Meuse, vers 1160. The Cleveland Museum of Art.

conservé à la Pierpont Morgan Library9 et daté vers 1156-1158. Le style est également proche de celui du phylactère conservé au Cleveland Museum of Art daté vers 116010 .

Ces différents rapprochements, le style de ces quatre plaques et leur haute qualité d’exécution nous permettent de proposer de les situer à la suite directe de ces dernières œuvres, probablement vers 1160.

1. Catalogue de vente Bibliotheca Pretiosa, Londres, 1907.

2. Cf. C osta , 1961, n o 20, p. 100 ; G eorG e, 2014, p. 73-78.

3. Manchester, The John Rylands Library, ms. lat. 11.

4. Düsseldorf, Hauptstaatsarchiv, Hs. G XI, I ; cf. C olo G ne-B ruxelles , 1972, p. 256, G. 18.

5. Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms 14 970.

6. Cf. The Dyson Perrins collection. Part III, Fifty-nine Illuminated Manuscripts. The Property of the Late C.W. Dyson Perrins, Sotheby & Co, Londres, 29 nov. 1960, n o 102, p. 22-23.

7. Au bas de la page du premier folio : « Hunc librum religavit D. Philippus Fisen hujus monasterii religiosus et Cantor, 1721 ». Cf. Warner, 1920, p. 76-77.

8. Ibidem

9. Cf. Voelkle, 1980.

10. Cf. k lein , FlieG el et B rilliant, 2007, n o 45, p. 136-137 ; G eorG e, 2014, p. 114-118.

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PLAQUE DE CROIX : LE SACRIFICE DE L’AGNEAU ET LE SIGNE DU TAU

Vallée de la Meuse, vers 1160-1170

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 7,7 cm ; L. 6,3 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection E. Guilhou (Paris) ; collection Simon Seligmann (Paris) ; collection Georges E. Seligmann (New York).

EXPOSITION

New York, Medieval Art from Private Collections, The Cloisters, 30 octobre 1968-30 mars 1969, no 148.

BIBLIOGRAPHIE

Verdier, Ph., “A Mosan Plaque with Ezechiel’s Vision of the Sign Tau (Thau) - Addendum”, Journals of the Walters Art Gallery, XXIX-XXX (1966-1967), p. 67.

Gomez-Moreno, C., Medieval Art from Private Collections. A Special Exhibition at The Cloisters, cat. expo. (New York, The Cloisters, 30 octobre 1968-30 mars 1969), New York, The Metropolitan Museum of Art, 1968, no 148.

MorGan, N., « The Iconography of Twelfth Century Mosan Enamels » dans Rhein und Maas, Kunst und Kultur 800-1400, II, Cologne, 1973, p. 265.

Pressouyre, L., « La “Mactatio Agni” du portail des cathédrales gothiques et l’exégèse contemporaine », Bulletin monumental, tome 132, 1974, p. 58-59.

Verdier, Ph., « Émaux mosans et rhéno-mosans dans les collections des États-Unis », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, XLIV, 1975, p. 34-35.

Brodsky, J., « Le groupe du triptyque de Stavelot : notes sur un atelier mosan et sur les rapports avec Saint-Denis », Cahiers de civilisation médiévale, XXI, 1978, p. 108, note 24, pl. V, fig. 12.

Carlier, M.-A., « Plaque de croix typologique : le sacrifice de l’agneau et le Signe du tau » dans GeorGe, Ph., (sous la direction de), L’Œuvre de la Meuse. Feuillets de la cathédrale de Liège, 2014, p. 95-97.

Les dimensions et l’iconographie de cette plaque nous permettent de penser que celle-ci devait figurer à l’origine sur une grande croix typologique. Fréquentes dans la région mosane, ces croix mettaient en parallèle les représentations de la Crucifixion ou du Christ en majesté avec différentes scènes de l’Ancien Testament préfigurant le sacrifice du Christ ou la forme de la croix, telles que le Sacrifice d’Abraham, les Offrandes de Caïn et Abel, la Veuve de Sarepta ou bien sûr le Signe du tau.

Ce goût savant pour les correspondances entre Ancien et Nouveau Testament, qui connut dans la région mosane un épanouissement sans équivalent, est directement lié aux spéculations des théologiens de cette période au premier rang desquels on peut citer le moine liégeois Rupert, devenu abbé de Deutz en 1120. À travers ses écrits, Rupert de Deutz développe largement cette présentation de l’histoire évangélique en symétrie aux histoires de l’Ancien Testament. Ce sont ces spéculations théologiques qui ont profondément marqué les créations des émailleurs mosans et que l’on retrouve ainsi sur de nombreuses croix ou plaques de croix démembrées.

La scène de l’immolation de la Pâque où la lettre tau est inscrite avec le sang de l’agneau sur le linteau des portes d’Israël, en signe de salut, avant la dixième plaie d’Égypte (Exode XII, 21-22) figure parmi les représentations typologiques fréquemment retenues par les émailleurs mosans. Ce thème apparaît ainsi par exemple sur le pied de croix de Saint-Omer1 , la croix du musée de Bruxelles2 , la croix du British Museum 3 , la croix du musée de Vienne 4 , la croix reliquaire du Victoria and Albert Museum5 , les deux plaques associées conservées au musée du Louvre6 , ou encore une plaque conservée au British Museum7

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Deux plaques : La Pâque, l’inscription du tau sur la maison ; L’inscription du signe du tau sur le front des fidèles , vallée de la Meuse, vers 1160-1170. Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art.

Parfois, comme sur les deux plaques associées conservées au musée du Louvre, la scène de l’onction des portes avec le sang de l’agneau est présentée en pendant de celle où « l’homme vêtu de lin » marque du tau le front des justes selon la vision d’Ézéchiel (IX, 3-4). Les deux thèmes iconographiques, très souvent associés, présentent généralement des interférences même lorsqu’ils sont traités de manière indépendante. Ainsi comme l’ont souligné Ph. Verdier et L. Pressouyre, dans la représentation de l’épisode de l’Exode, l’homme inscrivant le tau au fronton de la maison ne se sert pas d’un bouquet d’hysope plongé dans le sang de l’agneau, selon la lettre du texte, mais d’une plume d’oie par référence à la vision d’Ézéchiel.

Sur la plaque de l’ancienne collection Seligmann, le sacrifice de l’agneau est nommément désigné par l’inscription « MACTATIO AGNI » de même que sur le pied de croix de Saint-Omer ou sur la croix typologique du musée de Bruxelles. La scène de l’immolation de l’agneau est par ailleurs figurée comme le plus souvent de manière discrète, évoquée par la simple présence, au pied de la maison, de l’agneau égorgé dont le sang est recueilli dans une coupe. La scène connexe de l’onction des portes avec le sang de l’agneau, désignée par l’expression ambiguë « SIGNUM TAU » empruntée encore une fois à Ézéchiel, prédomine ici comme dans la majorité des autres exemples répertoriés. De nombreuses variantes de cette représentation sont connues dans l’émaillerie mosane. Sur la plaque de l’ancienne collection Seligmann, la composition se limite aux trois éléments essentiels de l’histoire : l’agneau égorgé, le personnage inscrivant le signe du tau et la maison qui aborde ici presque la forme d’une église dont le fronton triangulaire semble être flanqué de deux tours.

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L’économie de moyens dans la représentation ainsi que le choix d’un jeune garçon, imberbe et habillé de court, comme figure de celui qui inscrit le tau invitent directement à rapprocher cette plaque de celle visible sur la croix typologique conservée au British Museum à Londres, également datée vers 1160-1170 8 .

1. Cf. C olo G ne-B ruxelles , 1972, n o G17, p. 254-255.

2. Ibidem, n o G21, p. 258.

3. Cf. s tratFord, 1993, cat. 4, pl. IX.

4. Cf. m orG an , 1973, p. 264, fig. 1.

5. Cf. Pressouyre, 1974, p. 58, fig. 6.

6. Cf. G aBorit, 2005, p. 173, fig. 184-185.

7. Cf. s tratFord, 1993, cat. 13, pl. XIX.

8. Ibidem, 1993, cat. 4, pl. IX.

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Croix, vallée de la Meuse, vers 1160-1170 Londres, The British Museum.

PLAQUE : HUMILITAS

Vallée de la Meuse, vers 1170

Cuivre champlevé, ciselé, doré et émaillé

H. 6,1 cm ; L. 7,9 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Adolphe Stoclet (Bruxelles) ; collection Philippe Stoclet ; collection Keir.

EXPOSITION

Masterpieces from the Keir Collection, British Museum, Londres, 1981.

The Keir Collection, Nelson Atkins Museum of Art, Kansas City, 1983.

BIBLIOGRAPHIE

Borchgrave d’altena , J. de, « Des figures de vertus dans l’art mosan au xiie siècle », dans Bulletin des musées royaux d’Art et d’Histoire, I, 1933, p. 17, fig. 16.

Katzenellenbogen, A., Allegories of the Virtues and Vices in Medieval Art, Londres, 1939, p. 48-49 (note 2).

Verdier, Ph., « Un monument inédit de l’art mosan du xiie siècle. La Crucifixion symbolique de la Walters Art Gallery », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, XXX, 1961, p. 154, fig. 25.

Morgan, N., « The Iconography of Twelfth Century Mosan Enamels » dans Rhein und Maas, Kunst und Kultur 800-1400, II, Cologne, 1973, p. 263-278, p. 273 (note 66).

Stratford, N., « Plaque : Humilitas » dans Gauthier, M.-M. et François, G., Medieval Enamels, Masterpieces from the Keir Collection, Londres, 1981, p. 32-33, n° 47.

La plaque rectangulaire est bordée sur l’ensemble du pourtour d’un grènetis. Les trous de fixation sont visibles aux quatre angles. Au centre de la plaque, prise dans un cadre émaillé bleu et blanc, apparaît une figure de vertu, ailée et nimbée, vue à mi-corps. Elle tient dans sa main droite la couronne et, de sa main gauche, également voilée d’un pan de son manteau, la croix émaillée de rouge qui déborde sur le cadre d’émail. Elle est vêtue d’une tunique verte ombrée de jaune et d’un manteau modelé de teintes fondues entre elles : turquoise, bleu et blanc. Ses ailes schématisées, dominées par le vert et le bleu, sont surmontées d’un bourrelet de rouge profond doublé de blanc. Les détails du visage, de même que les cheveux, la pomme d’Adam et la partie de la main gauche qui se détache sur le fond doré de la plaque sont soulignés d’émail bleu. La vertu présente un visage caractéristique de l’émaillerie mosane du dernier tiers du xiie siècle : forme ovale du visage, le nez un peu fort, les yeux ronds et légèrement rapprochés, surmontés par une arcade sourcilière forte, une seule taille de l’outil ayant prolongé l’une d’elle dans l’arête du nez.

Dans la partie supérieure de la plaque, le nom de la vertu est inscrit en bleu « HUMILITAS ». La graphie et la répartition des lettres de part et d’autre de la figure sont également conformes à la pratique des ateliers mosans du dernier tiers du xiie siècle.

La représentation d’une vertu ailée, figurée de façon frontale, se retrouve sur de nombreux monuments de l’art mosan du dernier tiers du xiie siècle1 , tels que la croix du Walters Art Museum de Baltimore, le pignon de la châsse de saint Gondulphe de Bruxelles, le phylactère de Waulsort du musée de Namur ou encore les deux plaques montrant « FIDES » et « RELIGIO » conservées au British Museum2

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Ces dernières associent à la représentation des vertus l’incarnation des premier et quatrième commandements. L’iconographie des dix commandements qui n’apparaît guère en dehors du milieu artistique mosan du xiie siècle est fréquemment associée aux figures des vertus et montre le plus souvent une représentation très similaire sous l’aspect d’un ange à mi-corps aux ailes déployées. Nous pouvons d’ailleurs souligner la parenté d’esprit entre la plaque de Humilitas et la très belle figure d’applique de bronze dorée provenant également de l’ancienne collection Stoclet qui représente un ange tenant le texte du sixième commandement « NON OCCIDES »3 . Le classicisme du visage ovale, la chevelure séparée par une raie médiane et relevée en bourrelet sur les tempes et, surtout, la spiritualité qui émane de la figure sont autant d’éléments que partagent les deux œuvres qui étaient autrefois réunies dans la même collection. Parmi les représentations des vertus dans l’art mosan qui nous sont parvenues, aucune autre n’associe les deux attributs tenus ici par Humilitas : la croix et la couronne. Sur le phylactère de Waulsort, Humilitas tient la croix mais, de son autre main, elle présente un disque portant l’inscription « EXALTIO ».

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Croix, vallée de la Meuse, dernier tiers du xii e siècle. Baltimore, The Walters Art Museum. Quadrilobe du pignon de la châsse de saint Gondulphe, vallée de la Meuse, vers 1160-1170. Bruxelles, musées royaux d’Art et d’Histoire.

Une plaque d’une iconographie très proche de la plaque Stoclet était autrefois conservée dans la collection du docteur Leopold Seligmann 4 Cette plaque rectangulaire montre au centre une figure ailée et nimbée portant une couronne ; à gauche, verticalement, apparaît l’inscription émaillée « CARITAS ». La qualité de la photographie publiée dans le catalogue de la collection Seligmann ne permet pas véritablement de développer les éventuels rapprochements stylistiques entre les deux plaques. Mais quels que ceux-ci puissent être, la différence de dimension entre les deux plaques nous incite à supposer que celles-ci ne proviennent pas d’un même objet 5 . Il est d’ailleurs relativement difficile d’établir avec certitude à quel type d’œuvre la plaque de l’ancienne collection Stoclet pouvait appartenir. Il n’est pas impossible, étant donné sa forme et ses dimensions, que cette plaque ait pris place à la base d’une croix. Cela d’autant plus si l’on considère l’Humilité comme étant la racine de toutes les vertus et le fait que les attributs portés par Humilitas semblent se référer directement

à la passion du Christ6

1. Cf. Verdier, 1961, p. 115-175.

2. Cf. s tratFord, 1993, n o 11-12, p. 83-85.

3. Cf. d urand, 2003, n o 6, p. 24-25.

4. Die Sammlung Dr Leopold Seligmann, Cologne, Paul Graupe, Berlin, 29 avril 1930, n o 125d, pl. XXXV.

5. Les dimensions de la plaque de l’ancienne collection Seligmann d’après le catalogue de vente sont 5,7 x 6,6 cm, tandis que la plaque de l’ancienne collection Stoclet mesure 6,1 x 7,9 cm.

6. Cf. s tratFord, 1981, p. 33. En même temps, comme l’a souligné Neil Stratford, cette plaque aurait également pu figurer sur un reliquaire ou une plaque de reliure.

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Figure d’applique ; ange en buste tenant le texte du sixième commandement, vallée de la Meuse, vers 1150-1160. Paris, musée du Louvre. Deux plaques : FIDES et RELIGIO, vallée de la Meuse, vers 1160-1170. Londres, The British Museum.

PLAQUE : SAINT NICOLAS

Région rhéno-mosane, vers 1180

Cuivre champlevé, émaillé et doré H. 10 cm ; L. 7 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection H. Baumel (Paris) ; collection Simon Seligmann (Paris) ; collection Georges E. Seligmann (New York).

EXPOSITION

New York, The Year 1200

The Metropolitan Museum of Art, 12 février-10 mai 1970.

BIBLIOGRAPHIE

HoFFmann, K., The Year 1200, cat. expo. (New York, The Metropolitan Museum of Art, 12 février-10 mai 1970), New York, 1970, no 188, p. 182.

MorGan, N., « The Iconography of Twelfth Century Mosan Enamels », dans Rhein und Maas, Kunst und Kultur 800-1400, II, Cologne, 1973, p. 275, note 173.

Verdier, Ph., « Émaux mosans et rhéno-mosans dans les collections des États-Unis », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, XLIV, 1975, p. 64-65.

La plaque en forme de mandorle est bordée d’un épais cordon perlé, souligné par une fine ligne émaillée de bleu doublée de blanc. À l’intérieur, l’inscription qui court autour du cadre permet l’identification du saint : « ARCHIEPISCOPVS SCS NICHOLAVS ». Celui-ci se tient debout, nimbé ; il est vêtu à la manière latine de la tunique, de la dalmatique et de la chasuble. Il porte également un pallium semé de croix émaillées. Saint Nicolas tient la crosse de sa main droite et présente devant lui, maintenu par sa main gauche, le Livre ouvert arborant l’inscription : « PAX VOBIS » (Que la paix soit avec vous). La forme en mandorle de la plaque et cette inscription qui rappelle la parole du Christ aux apôtres après la résurrection tendent ici à établir un parallèle entre la figure du saint et celle du Christ. De plus, on peut souligner que la représentation d’un saint dans une mandorle semble moins courante, cette forme étant traditionnellement plutôt réservée au Christ ou à la Vierge en majesté1.

La forme de la plaque ne permet pas de préciser exactement à quel type d’objet elle devait appartenir à l’origine, probablement un autel ou un reliquaire. Par contre l’iconographie, originale, nous autorise à penser, à la suite de Nigel Morgan, que celui-ci devait être spécifiquement consacré à saint Nicolas2 .

Le style de la plaque, par de nombreux traits, se rattache aux réalisations mosanes des années 1160-1170 : la palette des émaux, le modelé coloré du vêtement, la fine bordure émaillée de bleu et de blanc, ou encore l’attitude hiératique de la figure. Toutefois le traitement sommaire des mains, la proportion un peu réduite de la tête et surtout le style légèrement écrasé du visage semblent se détacher du classicisme qui domine

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généralement dans les productions purement mosanes. Ces éléments expliquent que cette plaque ait été attribuée par Hoffmann aux ateliers de Cologne vers 1180-11903 . Celui-ci proposait de rapprocher le style angulaire du traitement des drapés sur la plaque de saint Nicolas de celui des figures d’évêques sur les médaillons du toit de la châsse de saint Héribert, réalisée à Cologne vers 1160-11704 . Si une datation autour de 1180 peut pleinement se justifier par le style, l’attribution à Cologne paraît moins évidente, l’absence de comparaison déterminante rendant peu fiable une localisation historique précise. Selon Philippe Verdier, la plaque de l’ancienne collection Seligmann, qu’il rapproche en ce sens de la plaque du musée de la Hesse à Darmstadt 5 , pourrait plutôt être classée parmi les émaux qui font le pont entre la Meuse et le Rhin vers 1180 6

1. Voir par exemple la plaque du Christ en majesté sur la couverture du lectionnaire de Saint-Trond, cf. C olo G ne-B ruxelles , 1972-1973, I, G. 18, p. 256 ; la plaque de la Vierge en majesté sur le phylactère du Cleveland Museum of Art, cf. k lein , FlieG el et B rilliant, 2007, n o 45, p. 136-137.

2. Cf. m orG an , 1973, p. 275, note 173.

3. Cf. h o FFmann , 1970, n o 188, p. 182.

4. Cf. sChnitzler, 1959, pl. 91-92.

5. Cf. kötzsChe, 1973, p. 151-170, p. 154, fig. 5.

6. Cf. Verdier, 1975, p. 64-65.

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NIMBE ET PLAQUE DÉCORATIVE

Région rhéno-mosane, vers 1180-1200

Cuivre champlevé, émaillé et doré

Nimbe : H. 2 cm ; L. 6,6 cm

Plaque : H. 3 cm ; L. 6,3 cm

Pour le nimbe :

HISTORIQUE

Ancienne collection du docteur

Leopold Seligmann, Cologne (vente Berlin, 28 et 29 avril, 1930, lot 125 e , pl. XXXV) ; avant 1964 collection

Ernst et Marthe Kofler-Truniger (Lucerne) ; collection Keir.

BIBLIOGRAPHIE

SChnitzler, H., BloCh, P. et Ratton, Ch., Email, Goldschmiedeund Metallarbeiten, Europäisches Mittelalter, Sammlung E. und M. Kofler-Truniger, Luzern, tome II, Lucerne et Stuttgart, 1965, no E 35, p. 19, pl. 36.

EXPOSITIONS

Zurich , Sammlung E. und M. KoflerTruniger, Luzern, Kunsthaus, 7 juin-2 août 1964.

Kansas City, The Keir Collection, The Nelson-Atkins Museum of Art, 1983.

Le nimbe, découpé en forme de croissant et décoré d’un sommet de feuillage réservé et doré sur le fond bleu émaillé, porte l’inscription « SANCTA SENC[ia] ».

Cette inscription se réfère à sainte Sencia ou sainte Essence, l’une des compagnes de sainte Ursule, qui figure parmi les onze mille vierges massacrées à Cologne avec la sainte à leur retour de pèlerinage de Rome.

L’identification de la sainte et la présence du nimbe dans la collection du docteur Seligmann à Cologne au début du xxe siècle ont conduit à proposer de reconnaître ce nimbe comme un élément de la grande châsse de sainte Ursule conservée dans la cathédrale de Cologne1 . Cette châsse reliquaire a été fortement restaurée au cours du xixe siècle, et il n’est pas impossible que le nimbe ait pu lui être substitué à cette période.

La petite plaque décorative rectangulaire est probablement également un fragment d’une grande châsse reliquaire rhénane de la fin du xii e siècle. Elle est décorée d’une rangée de cercles inscrits sur un fond d’émail bleu entre deux rangées de demi-cercles. Au centre de chacun apparaît un motif de rosette quadrilobé se détachant sur un fond d’émail turquoise et au cœur émaillé de blanc. Entre ces motifs s’intercalent deux rangées de petits disques émaillés de blanc. L’ensemble est encadré d’une bande d’émail turquoise et blanc fondus. Les bords de la plaque sont pourvus d’un motif de grènetis traditionnel dans l’émaillerie rhéno-mosane. De nombreuses plaquettes décoratives de ce type nous sont parvenues, soit sur différentes châsses reliquaires2 , soit aujourd’hui isolées3 , et témoignent de la richesse et du raffinement du vocabulaire ornemental des émailleurs rhénans de la fin du xiie siècle.

25 5
1. Cf. S Chnitzler, B lo Ch et Ratton , 1965, n o E 35, p. 19. 2. Cf. sChnitzler, 1959, pl. L-LVII ; pl. LXXXII-LXXXV ; pl. CIV-CVII ; pl. CXVI-CXXVII. 3. Cf. S Chnitzler, B lo Ch et Ratton , 1965, n o E 15 à E 32, p. 16-19, pl. XXXIV-XXXV ; H o FFmann , 1970, n o 186, p. 181 ; n o 189-191, p. 183-185.

6 SAINT JEAN

Allemagne (Saxe ?)

Milieu du xiie siècle

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 13,6 cm ; L. 6,8 cm

La plaque, cintrée dans la partie supérieure, est bordée par un cadre émaillé de bleu. Un apôtre se tient debout, le Livre dans la main droite. L’inscription qui figure auprès de lui « S / IHS » est une abréviation de son nom en latin SANCTUS JOHANNES, c’est-àdire saint Jean l’Évangéliste.

Cette plaque appartient à une série de huit autres plaques de forme, de proportions et de style similaires qui représentent toutes des apôtres : saint Barthélemy, saint Thomas, saint Simon et saint Jude conservées au Metropolitan Museum de New York1 , saint Pierre au Walters Art Museum de Baltimore2 , saint Jacques à l’Art Institute de Chicago3 , saint Philippe au Kestner Museum de Hanovre4 , et enfin saint Matthieu dans une collection privée5 .

Certaines différences entre ces plaques peuvent être relevées, notamment la bordure d’encadrement qui est, sur certaines, émaillée de bleu et sur d’autres simplement guillochée.

Par ailleurs, les apôtres sont représentés soit debout, soit assis sur un banc émaillé ; de même certains arborent une auréole entièrement émaillée, tandis que d’autres n’ont qu’un filet d’émail en guise de nimbe. Toutefois, ces différences n’excluent en aucun cas que les neuf plaques proviennent à l’origine du même ensemble6 , peut-être un parement d’autel ou une grande châsse reliquaire.

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Saint Barthélemy , Saint Thomas , Saint Jude et Saint Simon , Allemagne (Saxe ?), milieu du xii e siècle. New York, The Metropolitan Museum of Art.

L’ensemble de ces plaques des apôtres a également pu être rapproché de trois plaques rectangulaires qui présentent des scènes historiées7 : la Nativité conservée au Victoria and Albert Museum à Londres, l’Adoration des Mages au Saint Louis Art Museum 8 et le Massacre des innocents au Metropolitan Museum à New York9

Ces trois plaques offrent un style et des dimensions similaires. Néanmoins, là aussi, les bordures diffèrent de l’une à l’autre. Elles sont traditionnellement reconnues comme provenant d’un même objet, ce que confirme leur iconographie. L’hypothèse qu’elles appartiennent au même ensemble que les plaques des apôtres semble tout à fait pertinente. Il est en tout cas certain que toutes ces plaques proviennent, si ce n’est de la même œuvre, du même atelier.

L’attribution de ces différentes plaques pose toutefois des difficultés. Le style, la palette des émaux et certains détails, tels que le pied de saint Jean qui mord sur le cadre émaillé, montrent une influence évidente des œuvres rhéno-mosanes. Cependant, le dessin très spécifique de certains visages aux fronts particulièrement larges, aux traits fortement marqués et aux yeux très arrondis, ou encore le caractère outré et dramatique de la plaque du Massacre des innocents, rendent la localisation de cet atelier plus problématique. En 1929, Borenius avait proposé de reconnaître les plaques du Victoria and Albert et celle aujourd’hui à Saint Louis comme des œuvres mosanes10 mais, depuis, toutes ces plaques sont, de manière plus juste, données à l’Allemagne avec une origine possible dans la Saxe11 .

1. La plaque de Saint Barthélemy (13 cm x 7,1 cm) et celle de Saint Thomas (12,9 cm x 7,3 cm) proviennent de la collection Georges Hoentschel puis de la collection J. Pierpont Morgnan (Inv. 17.190.442 et 17.190.443). Les plaques de Saint Jude (13,4 cm x 6,4 cm) et de Saint Simon (13,4 cm x 6,5 cm) proviennent de la collection Stroganoff (Rome) puis de la collection Blumenthal (Inv. 41.100.141 et 41.100.142).

2. 13,3 cm x 7 cm. Acquise auprès d’Henri Daguerre en 1928 (Inv. 44.0101).

3. 13,2 cm x 6,5 cm. Ancienne collection Kate S. Buckingham (Inv. 1943.67).

4. Inv. Nr. 3575.

5. En prêt au Metropolitan Museum of Art à New York de 1979 à 2010 (L. 1979.37) ; vente Sotheby’s New York, 27 janvier 2011, lot 389.

6. Nous pouvons par exemple relever certaines de ces différences sur les plaques de Saint Barthélemy et de Saint Thomas, aujourd’hui conservées au Metropolitan Museum. Ces deux plaques montrent des bordures et des auréoles différentes. Néanmoins, leur très grande similitude et leur provenance commune de la collection Georges Hoentschel attestent de leur même origine. Cf. Pératé, 1911, n o 18-19, pl. VIII.

7. Cf. Ostoia , 1969, n o 44, p. 98-99, p. 255.

8. Sur la plaque du Victoria and Albert Museum et sur celle aujourd’hui conservée au Saint Louis Art Museum et autrefois dans la collection Hohenzollern voir B orenius , 1929, p. 93-94.

9. Inv. 17.190.444.

10. Cf. B orenius , 1929.

11. Vera K. Ostoia avait proposé de voir certaines similitudes avec des œuvres de Hildesheim ou d’Allemagne du Nord, cf. Ostoia , 1969, p. 99 ; actuellement les plaques du Metropolitan Museum sont présentées comme provenant d’Allemagne, possiblement de Saxe, vers 1150.

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Saint Pierre, Allemagne (Saxe ?), milieu du xii e siècle. Baltimore, The Walters Art Museum. Le Massacre des Innocents Allemagne (Saxe ?), milieu du xii e siècle. New York, The Metropolitan Museum of Art.

PLAQUE : CRUCIFIXION

Basse-Saxe (Hildesheim ?), vers 1170-1180

Cuivre champlevé, émaillé et doré H. 5,3 cm ; L. 6,8 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Adolphe Stoclet (Bruxelles).

BIBLIOGRAPHIE

GoidsenhoVen, J. P. Van (sous la direction de), Collection Adolphe Stoclet (première partie). Choix d’œuvres appartenant à Madame Féron-Stoclet, Bruxelles, 1956, p. 174.

KemPer, D., Die Hildesheimer Emailarbeiten des 12. und 13. Jahrhunderts, Regensburg, 2020, p. 496-497.

La plaque rectangulaire est cernée d’une bordure lisse réservée et dorée. Quatre trous devaient permettre de la fixer sur l’âme de bois de l’objet qu’elle ornait à l’origine. Les dimensions et la forme de la plaque autorisent à penser que ce dernier pourrait avoir été un autel portatif 1 ou un plat de reliure.

La mise en page réduit la représentation de la Crucifixion aux éléments essentiels : le Christ sur la croix est encadré par la Vierge et saint Jean qui tous deux adoptent le même geste d’affliction, la tête légèrement inclinée vers le corps du Christ. De manière typiquement romane, la taille des personnages est ici adaptée à leur importance.

Le dessin souple des figures réservées et dorées, ainsi que la palette des émaux permettent d’attribuer cette plaque aux ateliers actifs en Basse-Saxe, notamment à Hildesheim et à Brunswick, dans le troisième quart du xiie siècle. Les ateliers de Basse-Saxe réalisèrent vers 1170-1180 des émaux champlevés à la composition toujours extrêmement claire où les personnages, entièrement réservés et dorés, se détachent sur un fond d’émail dont la palette est restreinte à seulement quelques couleurs franches : le bleu lapis profond, le vert vif et le blanc. Le reliquaire de saint Henri2 de même que l’autel portatif de la Mise en croix 3 , tous deux conservés au musée du Louvre, constituent de bons exemples de la production de ces ateliers. Nous pouvons également citer la plaque fixée sur le plat de reliure de l’Évangéliaire de Saint Godard4 , conservé à Trêves, attribuée aux ateliers de Hildesheim vers 1170-1180, et sur laquelle nous retrouvons, outre les éléments déjà cités, le bleu turquoise légèrement piqueté qui est ici présent au niveau de la croix.

1. Par exemple du type de celui d’Eilbertus (Berlin, Kunstgewerbemuseum), Cf. KötzsChe, 1973 (2), p. 215, pl. IX, fig. 35-36.

2. Cf. G aBorit, 2005, p. 178-179, 182 ; B aG noli, K lein , Mann et Ro Binson , 2010, n o 39, p. 83.

3. Cf. G aBorit, 2005, p. 180-182.

vers 1170-1180. Trêves, trésor de la cathédrale.

4. Cf. Lu Ckhardt et Nieho FF, 1995, I, g. 32, p. 512-516, fig. p. 515 ; Kem Per, 2020, Tri2, p. 515-522.

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7
Reliure de l’évangéliaire de Saint Godard (détail), Hildesheim,

8 DEUX PLAQUES : BUSTES DE SAINTS

Atelier de Grandmont, Limoges, vers 1185-1195

Cuivre champlevé gravé, doré et émaillé

L. 9,6 cm et 9,9 cm

HISTORIQUE

Trésor de Rocamadour (Lot) avant 1890 ; collection Victor Martin Le Roy (avant 1900) ; collection Jean-Joseph Marquet de Vasselot.

EXPOSITION

Paris, Petit Palais, Exposition universelle de 1900, Exposition rétrospective de l’art français des origines à 1800, Paris, 1900, no 2429, p. 292.

BIBLIOGRAPHIE

RuPin, E., L’Œuvre de Limoges, Paris, 1890, p. 334-335, fig. 401.

RuPin, E., Rocamadour. Étude historique et archéologique, Paris, 1904, p. 303-304.

Marquet de Vasselot, J.-J., Catalogue raisonné de la collection Martin Le Roy tome I, Orfèvrerie et émaillerie, Paris, 1906, nos 19-20, p. 31-32, pl. XIV.

SouChal, G., « Autour des plaques de Grandmont : une famille d’émaux limousins champlevés de la fin du xiie siècle », Bulletin monumental CXXV, 1967, p. 54-55.

Gauthier M.-M. et François, G., Émaux méridionaux. Catalogue international de l’Œuvre de Limoges, tome I, L’Époque romane, Paris, 1987, nos 275-276, p. 220, pl. CCXXXII, fig. 766-767.

Ces deux plaques en mandorle présentent chacune en leur centre un médaillon doré, cerné d’une bande d’émail turquoise, qui s’inscrit sur un fond bleu lapis. De chaque côté du médaillon, une fleur à deux longs pétales émaillés prend naissance au niveau des trous de fixation de la plaque.

Au centre de chaque médaillon réservé et doré se détache une figure de saint, probablement un apôtre, qui apparaît émergeant d’une nuée. L’un des deux motifs de nuée se prolonge en arc dont les extrémités s’achèvent en palmettes. Les deux saints sont vêtus d’un manteau bleu profond au-dessus d’une robe bleu clair dont le large orfroi du col est émaillé de rouge et agrémenté d’un motif de point ou de quadrillage doré laissé en réserve. Les chairs du visage et du cou sont, sur chacune des deux figures, émaillées d’un blanc très légèrement rosé. Les cheveux et les yeux sont émaillés de rouge tandis que les sourcils sont rehaussés d’un fin filet d’émail bleu. Un pointillé minutieux souligne toutes les zones réservées du visage, des vêtements et des parties ornementales. L’homogénéité du style des deux figures n’empêche pas leur différenciation ; l’une est plus trapue, le visage relativement large et les joues plus arrondies, tandis que l’autre paraît plus élancée et présente un visage plus fin.

À la fin du xix e siècle, ces deux plaques étaient remontées sur une châsse composite conservée dans le trésor de Rocamadour1 , et dont les autres éléments peuvent être datés du xiii e siècle, d’après la gravure publiée par Ernest Rupin en 1890.

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Bien que l’on ne connaisse pas leur provenance médiévale, ces deux plaques, par leur style, la palette des émaux et leur technique d’exécution, se rattachent à un petit groupe d’œuvres créées spécifiquement pour l’abbaye de Grandmont et ses dépendances à la fin du xii e siècle, vers 1185-1195.

Geneviève Souchal a identifié la première ce groupe d’œuvres, principalement composé d’éléments provenant de grandes croix, qui présentent les mêmes caractéristiques techniques et stylistiques que les deux grandes plaques provenant de l’autel majeur de l’abbaye de Grandmont, exécutées vers 1189-1190 et aujourd’hui conservées au musée de Cluny2

Les caractéristiques principales de cet atelier très nettement individualisé résident dans l’émaillage des chairs des figures, la présence d’émail rouge incrusté, soulignant les cheveux, les barbes et les yeux, le dessin des visages marqués par une arête du nez que prolongent les sourcils, ainsi que les petits traits courbes de la bouche et du menton. De même, la palette des émaux, avec un usage important du rose marbré ou du blanc et des couleurs autrement très contrastées, et surtout le délicat travail au pointillé qui agrémente toutes les lignes réservées sont tout à fait spécifiques à ce groupe de Grandmont.

Les œuvres de ce petit groupe, qui se distinguent également par l’équilibre des compositions et un véritable sens de la monumentalité dans le dessin des figures, représentent un mouvement stylistique rare dans l’Œuvre de Limoges. Celui-ci diffère fortement des pièces à fond vermiculé dont il est pourtant contemporain. En même temps, comme l’a souligné Geneviève Souchal, les deux plaques de l’ancienne collection Martin Le Roy montrent une certaine coexistence des fonds dorés et des fonds émaillés. En effet, ici, les cercles dorés dans lesquels sont champlevées les figures en buste se détachent sur un fond d’émail bleu profond, orné de palmettes polychromes, comme sur les premiers exemples de pièces entièrement sur fond d’émail3

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Illustrations publiées dans L’Œuvre de Limoges de E. Rupin en 1890, p. 334-335.

L’Adoration des Mages et Saint Étienne de Muret et Hugues de Lacerta , plaques de l’autel majeur de Grandmont, Limoges, avant 1190. Paris, musée de Clunymusée national du Moyen Âge.

Il est difficile d’établir avec certitude à quel type d’objet pouvaient appartenir ces deux plaques, dans la mesure où les mandorles apparaissent sur des objets très divers dans l’Œuvre de Limoges. Néanmoins, la taille de ces deux plaques ovales permet de supposer qu’elles pouvaient peut-être participer au décor d’une grande châsse reliquaire4 .

1. Cette châsse a été vendue à la fin du xixe siècle par l’Église ; elle contenait à l’origine des reliques de saint Blaise (cf. Ru Pin , 1890, p. 334-335 et Ru Pin , 1904, p. 303-304). Les deux plaques sont déjà indépendantes lorsqu’elles figurent à l’Exposition universelle de 1900.

2. Cf. S ou Chal, 1967. Sur les deux plaques de l’autel majeur de Grandmont, aujourd’hui conservées au musée de Cluny, voir : S ou Chal, 1962 ; TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 57, p. 215-217.

3. Cf. sou Chal, 1967, p. 54.

4. On peut penser par exemple aux plaquettes émaillées qui participent au décor de la châsse d’Ambazac réalisée entre 1180 et 1190 et provenant du trésor de Grandmont (cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 55, p. 208-212).

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PIGNON DE CHÂSSE À FOND VERMICULÉ : APÔTRE

Limoges, vers 1185-1195

Cuivre champlevé, gravé, ciselé et émaillé, restes de dorure H. 12,2 cm ; L. 7,2 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Alex Brunet (Angers).

BIBLIOGRAPHIE

Brunet, A., « Émaux de Limoges dans une collection angevine », Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, CXXI, 1993, p. 154-155.

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II, L’Apogée, 1190-1215, Paris, 2011, VIII B, no 1.

La figure de l’apôtre nimbé et tenant à la main le phylactère enroulé se détache sur le fond réservé, autrefois doré, et gravé de motifs vermiculés. Il est encadré de deux colonnes au décor marbré qui soutiennent une arcade surmontée d’une tour percée de fenêtres. Il est vêtu d’une robe vert pâle liserée de jaune et recouverte d’un manteau bleu. Les traits du visage réservé sont soulignés par des filets d’émail sombre.

Si ce pignon de châsse peut être rapproché de plusieurs pignons isolés ou restés sur leur châsse d’origine attribués à l’atelier dit « du Queyrois » datés vers 1180-11851 , il semble surtout pouvoir être rattaché à un groupe de petites châsses datées vers 1185-1195. Celles-ci présentent généralement le Christ en majesté sur le flanc majeur, et se caractérisent par des drapés stylisés à l’aide de courtes lignes courbes dénommées « drapés toriques » par M.-M. Gauthier 2 . À ce groupe, qui dérive directement des plus importantes châsses à fond vermiculé réalisées dans les années 1175-11853 , appartient notamment la petite châsse du Christ en majesté conservée au musée du Louvre 4 . Outre la stylisation des drapés, on retrouve entre cette dernière et le pignon présenté ici la même gamme chromatique des émaux, les effets de marbrures des colonnes, ainsi que le goût pour les pois blancs sur l’émail bleu lapis qui, ici, rehaussent les orfrois du col et du bas de la robe de l’apôtre.

1. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, VIII B, n o 1; G authier et François , 1987, n° 205, n o 212.

2. Cf. G authier et François , 1987, n os 224-234.

3. Notamment la châsse de saint Étienne de Gimel, ou la châsse de saint Martial du Louvre, cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n os 16-17, p. 106-111.

4. bidem, n o 29, p. 138-139.

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9

PLAQUE DE RELIURE : LA CRUCIFIXION

Limoges, vers 1190-1200

Cuivre champlevé, émaillé, gravé, ciselé et doré H. 24,6 cm ; L. 13,6 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Nodet en 1936 (Paris).

BIBLIOGRAPHIE

desCheemaeker, B., « Une plaque de reliure limousine avec la Crucifixion attribuable au maître “aux asters ciselés” », Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, CXXVII, 1999, p. 115-123.

Gauthier, M.-M., antoine, É. et GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II, L’Apogée, 1190-1215, Paris, 2011, V B, n° 2.

Cette plaque, à l’origine fixée sur un ais de bois et munie d’une frise d’encadrement, devait couvrir le plat supérieur d’une reliure. Il est possible qu’elle ait eu pour pendant une plaque de même dimension figurant le Christ en majesté. Toutefois, au vu du nombre bien inférieur de plaques du Christ en majesté qui nous sont parvenues, on doit peut-être envisager également l’hypothèse que certaines reliures ne comportaient qu’une seule plaque émaillée à décor figuré représentant la Crucifixion1 .

Sur le fond bleu foncé orné de rosettes et d’asters ciselés, et scandé de trois bandes horizontales turquoise, se détache la croix émaillée de vert portant le Christ réservé et doré. Au pied de la croix, Adam, les mains jointes, sort du tombeau décoré de losanges émaillés. De part et d’autre de la croix, sur des mottes figurées sous la forme de flammèches étagées, se tiennent saint Jean avec le Livre et la Vierge se serrant le poignet en geste de douleur. Au-dessus des bras de la croix, deux anges émergent aux trois quarts de nuées prises dans un arc de cercle. Au sommet de la plaque, au-dessus du titulus portant l’inscription « IHS / XPS », apparaît la main de Dieu.

De manière générale, l’œuvre prend place dans le groupe des plaques de reliure dont le style se rattache encore au courant du roman tardif de l’Œuvre de Limoges. Elle se distingue néanmoins de la majorité des autres exemples par un certain nombre de raffinements et d’éléments originaux. L’on peut ainsi relever l’usage d’une teinte relativement rare et plutôt caractéristique des premières productions de l’Œuvre de Limoges, le rouge liede-vin translucide dont l’usage est ici restreint au suppedaneum et à la fine bande suggérant l’intérieur du sarcophage d’Adam2 . Outre l’emploi de cette teinte particulière et le très bel éclat général des émaux, nous

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Plaque de reliure : La Crucifixion Zurich, Schweizerisches Landesmuseum.

Plaque de reliure : La Crucifixion Autrefois Berlin, Staatliche MuseenKunstgewerbemuseum (disparue depuis 1945).

pouvons souligner la qualité des têtes d’applique de type classicisantes, le travail raffiné de la gravure profonde sur les parties réservées du métal, et le délicat pointillé qui anime la bordure de la plaque ainsi que les lignes réservées au niveau des rosettes, des trois bandes horizontales turquoise ou encore des flammèches qui composent les deux tertres.

Par ailleurs, le style très particulier du dessin des drapés, l’individualisation des têtes d’applique ainsi que certains détails notamment dans l’iconographie nous permettent de reconnaître la marque d’un groupe spécifique de plaques de reliure dont deux autres plaques figurant la Crucifixion nous sont parvenues, l’une conservée à Zurich au Schweizerisches Landesmuseum 3 , l’autre, plus proche encore, autrefois conservée au Staatliche Museen à Berlin4

Les trois plaques, de dimensions comparables et présentant un type de bordures similaires, offrent un style extrêmement proche. En particulier la qualité de la gravure et le traitement des drapés montrent une même conception. Les drapés sont caractérisés par un système de plis en chevron, et on retrouve sur les trois plaques le même dessin original de la robe de la Vierge marquée par un élargissement de la silhouette au niveau des coudes. De la même manière, l’on constate sur la plaque autrefois à Berlin le détail identique du pli cloché au bas de la robe de saint Jean.

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Si, comme l’a justement souligné Danielle Gaborit-Chopin, les extrémités pattées des traverses horizontales de la croix ne constituent pas ici un signe distinctif5 , il semble par contre que l’on puisse relever sur ces trois plaques le détail inhabituel de représenter la Dextera Domini non pas du côté de la paume mais du côté du plat de la main.

Malgré les réserves nécessaires qui doivent être émises concernant les tentatives de recoupement par artistes ou ateliers des plaques de reliure limousines6 , la proximité des plaques de Zurich et de Berlin avec la plaque de l’ancienne collection Nodet et la spécificité de ces trois exemples tendraient à nous permettre de reconnaître l’œuvre d’un même atelier dont les réalisations – de très haute qualité – seraient à situer vers 1190-1200.

1. Cf. G authier, 1967, p. 155 ; TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, p. 170.

2. Cette couleur est obtenue par la pose d’un fondant incolore sur le cuivre rouge qui laisse ainsi transparaître la couche de cuprite qui se forme lors du façonnage.

3. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, VB, n o 51.

4. Ibidem, VB, n o 5. Malheureusement cette plaque a disparu du musée depuis 1945 et n’est connue que par des photographies en noir et blanc, limitant ainsi les comparaisons possibles avec la plaque de l’ancienne collection Nodet.

5. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, VB, n o 2. 6. Ibidem, p. 209.

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CHÂSSE RELIQUAIRE : APÔTRES

Limoges, vers 1190-1200

Cuivre champlevé, émaillé, ciselé et doré

H. 15,5 cm ; L. 15 cm ; Pr. 7,8 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection J. Homberg (vente Londres, Sotheby’s, 19 juillet 1949, n° 156) ; collection Georges Dormeuil.

BIBLIOGRAPHIE

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II, L’Apogée, 1190-1215, Paris, 2011, I E 4, no 24.

Àla face majeure, cette châsse reliquaire présente, à la caisse et au toit, une même composition générale : trois mandorles tangentes reliées entre elles par des asters ciselés, enfermant chacune une figure de saint ou d’apôtre assis sur un arc doré et les pieds reposant sur une bande turquoise ornée de pois. Sur la face majeure comme sur les pignons, les figures réservées et dorées, profondément ciselées, sont munies de têtes d’applique classicisantes. La grande simplicité de l’iconographie mise en œuvre n’empêche pas d’apprécier la très haute qualité de cette châsse, la subtilité du décor et de sa palette, ainsi que la véritable originalité du vocabulaire ornemental employé. En effet, comme l’a souligné Simone Caudron1 , cette châsse reliquaire arbore certains motifs assez inhabituels dans le répertoire des châsses limousines, tels que les nuées bleu et blanc qui bordent les plaques de la face majeure, ou les bandes vertes qui scandent les pignons. Ces derniers sont par ailleurs également originaux par la silhouette à la fois massive et élancée des apôtres dont les têtes d’applique se dégagent sur une très large auréole simplement réservée et dorée. Les fins rinceaux réservés qui accompagnent ces figures sont aussi peu habituels. De la même manière, le revers de la châsse offre un décor original puisque ici les quadrilobes, inscrits dans des disques dorés, présentent une palette émaillée de bleu clair et de blanc et s’inscrivent dans une trame de carrés reliés par des pastilles interstitielles émaillées de vert. Ce type d’organisation du décor peut trouver un écho sur la très belle châsse provenant de l’ancienne collection Pierpont-Morgan conservée au Metropolitan Museum2 . Cette dernière appartient à un petit groupe de châsses que relient justement certaines caractéristiques très inhabituelles dans le répertoire décoratif limousin, et que l’on date entre 1185 et 1200.

42
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À ce groupe se rattache notamment la châsse de l’ancienne collection Durand, conservée au musée du Louvre, sur laquelle on peut relever l’usage des rinceaux accompagnant les figures de saints en pied3 . Malgré certains rapprochements possibles avec les châsses de ce groupe, il semble pour autant difficile d’y rattacher la châsse de l’ancienne collection Dormeuil, qui doit être à situer probablement à une date légèrement plus avancée, autour de 1200. Cela étant, cette châsse reliquaire paraît s’inscrire parfaitement dans la suite de cet ensemble et témoigne parfaitement des importantes variantes et recherches originales menées par les ateliers limousins avant que ceux-ci ne développent une production plus industrialisée.

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1. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, I E 4, n o 24. 2. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 31, p. 142-143. 3. Ibidem, n o 30, p. 140-141.

CHRIST D’APPLIQUE

Limoges, vers 1195-1200

Cuivre champlevé, émaillé et doré, cabochons de verre et perles d’émail [Bras droit moderne]

H. 25,8 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection OettingenWallerstein (Harburg).

Le Christ est représenté en gloire, vivant, les yeux grands ouverts. Souverain, il porte une haute couronne agrémentée à l’origine de cabochons aujourd’hui disparus et de perles d’émail turquoise. Il est vêtu d’un perizonium émaillé enrichi d’un luxueux orfroi gemmé.

Autour du cou, il porte un orfroi émaillé, contraire à toute vraisemblance puisqu’il n’est pas appliqué sur une étoffe. Cet orfroi apparaît ainsi comme une réminiscence d’une partie de l’ornementation qui figurait sur les christs vêtus d’une tunique longue tels que celui de l’ancienne collection Martin Le Roy aujourd’hui conservé au musée du Louvre1 .

Le visage un peu massif et très expressif, la stricte frontalité de la figure, le traitement rectiligne du perizonium sont autant d’éléments encore purement romans. Ceux-ci, au même titre que la dimension de ce Christ et la qualité de son exécution, nous permettent de le rattacher à un petit groupe de grands christs d’applique présentant les mêmes caractéristiques.

Au sein de ce groupe, le Christ du musée national de Stockholm, provenant de l’église d’Ukna2 , encore fixé sur sa croix d’origine, nous laisse imaginer l’impression que devait provoquer ce type de croix monumentale de la fin du xiie ou du début du xiiie siècle. Nous pouvons souligner par ailleurs que, sur cette croix, le Christ d’applique apparaît clairement comme la pièce la plus soignée dans son exécution par rapport aux plaques de revêtement ou aux autres figures d’applique.

Mis à part le Christ du musée Dobrée de Nantes3 , qui diffère quelque peu des autres exemplaires du groupe, notamment par l’absence de l’orfroi autour du cou, les trois autres exemples connus, comme celui de l’ancienne collection Oettingen-Wallerstein, ont été arrachés de leurs supports. Il s’agit du Christ de l’ancienne collection Mège, conservé au musée du Louvre4 , de celui de la Walters Art Gallery de Baltimore5 , et du Christ de

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l’ancienne collection Boy conservé au Toledo Museum of Art6 . L’ensemble de ces christs d’applique se caractérise par leur dimension importante, un caractère frontal et quelque peu massif, la présence de l’orfroi autour du cou, le dessin rectiligne du perizonium et le principe des jambes apparaissant en retrait par rapport à celui-ci7.

S’il n’est pas le plus grand de ce groupe, le Christ de l’ancienne collection Oettingen-Wallerstein peut être considéré comme parmi les plus beaux, si l’on en juge notamment par la qualité de son exécution. Nous pouvons relever à ce titre la finesse de la ciselure, perceptible dans le travail élégant de la barbe et de la chevelure dont quelques mèches sont soigneusement tressées. De même les deux petits retours émaillés du tissu du perizonium sur l’orfroi, et les plis que celui-ci forme entre les genoux du Christ, apparaissent comme des raffinements supplémentaires.

Seul l’exemplaire conservé au musée du Louvre, en particulier par la ciselure plus profonde du torse et les motifs vermiculés qui ornent l’orfroi de son perizonium , semble supérieur à celui présenté ici. Toutefois nous pouvons relever que ce dernier, par rapport à celui du Louvre, offre un caractère roman légèrement plus marqué, notamment par sa stricte frontalité, la sensibilité du modelé du visage et du torse, ou encore l’allongement des jambes et des pieds.

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Croix provenant d’Ukna. Stockholm, Musée national.

Christ d’applique (ancienne collection Mège), Limoges, vers 1195-1210. Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art.

Ces derniers points, ainsi que la gamme colorée de l’émail, permettent de le dater peut-être un petit peu plus tôt que celui de l’ancienne collection Mège, pour lequel É. Taburet-Delahaye avait avancé une datation entre 1195 et 1210, et de proposer ainsi de situer notre exemplaire plus vraisemblablement vers 1190-1200.

1. Inv. OA 8102. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 49, p. 184-185.

2. Cf. A ndersson , 1980, p. 18-22, fig. 32.

3. Inv. 896-1-24.

4. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 50, p. 186-187.

5. Cf. A ndersson , 1980, fig. 34.

6. Cf. Catalogue des objets d’art et de haute curiosité de l’Antiquité, du Moyen Âge et de la Renaissance composant la collection de feu M. Boy, Paris, galerie Georges Petit, 15-24 mai, 1905, n o 151, p. 28-29.

7. Sur le Christ présenté ici nous pouvons relever le fait que les jambes sont rapportées et fixées sous le perizonium, de la même manière que sur les christs auvergnats monumentaux. N’ayant pu observer les revers des autres christs de ce groupe, il paraît difficile d’affirmer que ceux-ci sont construits de la même manière ; toutefois les jambes apparaissant également en retrait, il est fort probable qu’ils présentent cette même technique de montage.

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CHÂSSE RELIQUAIRE : LA CRUCIFIXION ET LE CHRIST EN MAJESTÉ ENTOURÉS

D’APÔTRES

Limoges, vers 1195-1200

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 17,6 cm ; L.  21,7cm ; Pr.  8,4 cm

HISTORIQUE

Cette châsse aurait été trouvée au xixe siècle, emmurée dans une localité du Pays basque1

BIBLIOGRAPHIE

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II , L’Apogée 1190-1215, Paris, 2011, I B 1, no 43.

La silhouette des châsses limousines, simple et massive, est celle des reliquaires « en forme de maison » que l’on trouve généralement dans l’Occident médiéval jusqu’au début du xiii e siècle : caisse rectangulaire reposant sur des pieds droits dotée d’un toit à deux pentes normalement surmonté d’une crête qui a le plus souvent, comme ici, disparu. Si les ateliers limousins ne révolutionnent donc pas la forme des reliquaires, ils opèrent néanmoins une révolution économique qui explique l’incroyable succès de l’Œuvre de Limoges dans toute l’Europe occidentale. L’utilisation du cuivre doré rehaussé par les couleurs vives des émaux, et notamment ces fonds presque irréels composés de bleu lapis, offre, à un moindre coût, un effet tout aussi éclatant et peut-être plus séduisant encore que les œuvres de métal précieux enrichi de pierreries en guise d’apport de couleur.

Au centre du panneau de la caisse, à la face majeure, le Christ crucifié, vêtu du perizonium , se détache sur une croix d’un vert soutenu. Sous les bras de la croix se tiennent la Vierge, se serrant le poignet en signe de douleur, et saint Jean qui porte sa main à sa joue. De chaque côté de cette scène principale, un apôtre trône dans un quadrilobe étiré, le premier bénit la scène, le second tient le Livre. Tous deux sont figurés selon un principe qui évoque la représentation du Christ en majesté, assis sur un arc doré, les pieds reposant sur un tabouret émaillé turquoise. On retrouve même le motif de l’orfroi de leur manteau qui dessine une « genouillère » sur leur jambe droite, selon un principe iconographique que l’on rencontre déjà dans l’enluminure limousine de la fin du xie et du début du xiie siècle2 . Sur le toit, au centre, le Christ en majesté trône dans une mandorle, se détachant sur un fond bleu nuit parsemé de petites rosettes émaillées. Il tient le Livre sur son genou et bénit de la main droite. Ses longs doigts dépassent sur le cadre réservé et doré de la mandorle. De chaque côté, deux saints, sans doute des apôtres, se tiennent chacun sous un arc en plein cintre reposant sur des chapiteaux, et d’où jaillissent de petites tours. Aux pignons, un apôtre, simplement gravé sur un fond d’émail barré de

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deux bandes turquoise, se tient également sous un arc en plein cintre surmonté d’un clocheton. Le revers de la châsse est orné d’un traditionnel semis de rosaces émaillées.

Cette iconographie qui présente le Christ mort sur la croix et le Christ en majesté dans sa mandorle, entouré d’apôtres, était déjà répandue parmi les châsses à fond vermiculé de la période antérieure. Son caractère non spécifique correspond parfaitement aux besoins d’une clientèle de plus en plus abondante, et elle va devenir très fréquente sur des œuvres de dimensions et de qualité variables à partir du début du xiiie siècle.

Le décor et le style de cette châsse se rattachent encore pleinement à l’Œuvre de Limoges roman. Les figures, réservées et gravées, sont toutes pourvues sur la face majeure de belles têtes d’applique « classiques ». La palette des émaux, relativement restreinte, est enrichie par une subtile alternance entre un bleu moyen et un bleu lapis profond. Outre la qualité de la ciselure des figures gravées, on peut souligner le raffinement des fins pointillés qui viennent agrémenter toutes les parties réservées et dorées3 et qui contribuent à faire de cette châsse reliquaire un très bel exemple des réalisations des ateliers limousins dans les années 1195-1200.

2. Par exemple dans le Sacramentaire de Saint-Étienne de Limoges ou la Règle de saint Benoît provenant de Saint-Martial, cf. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 5243, fol. 45v, et ms. lat. 9438, fol. 58v.

3. On peut d’ailleurs noter qu’ici l’alpha et l’oméga sont inscrits en fin pointillé sur la bordure dorée supérieure de la plaque de la caisse, au-dessus de la croix.

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1. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, I B 1, n o 43.

CHRIST D’APPLIQUE

Limoges, vers 1195-1210

Cuivre repoussé, champlevé, gravé, émaillé et doré ; cabochons de verre et perles d’émail

H. 20,6 cm ; L. 13,7 cm

Le Christ est représenté en gloire, vivant, les yeux grands ouverts et coiffé de la haute couronne émaillée agrémentée de perles turquoise. Il est vêtu d’un perizonium émaillé de bleu enrichi de perles de verre et d’émail. Autour du cou, il porte un orfroi émaillé également agrémenté de perles de verre. Comme sur le Christ d’applique de l’ancienne collection Oettingen-Wallerstein (cat. 12), cet orfroi évoque l’ornementation qu’on pouvait trouver sur les figures de Christ vêtues d’une longue tunique, réalisées juste antérieurement, tel le Christ de l’ancienne collection Martin Le Roy conservé au musée du Louvre1.

Ici, la stricte frontalité de la figure, le traitement rigide et rectiligne du perizonium , l’allongement des jambes et leur fixation en retrait par rapport au perizonium sont autant d’éléments encore pleinement romans. Par ailleurs, ces différentes caractéristiques ainsi que la présence de l’orfroi émaillé autour du cou permettent de rattacher ce Christ à un groupe de grands christs d’applique rassemblés autour de celui conservé au musée national de Stockholm provenant de l’église d’Ukna et qui est encore fixé sur sa croix d’origine2 . Au sein de ce groupe figurent également le grand Christ de l’ancienne collection Mège conservé au musée du Louvre3 , celui du Walters Art Museum de Baltimore4 , celui de l’ancienne collection Boy conservé au Toledo Museum of Art 5 ou encore celui provenant de l’ancienne collection Oettingen-Wallerstein déjà cité.

Même si, par rapport à ces différents exemples, le Christ présenté ici offre des dimensions plus petites et un style peut-être moins vigoureux, l’absence d’assouplissement de la figure et son caractère encore pleinement roman, nous incitent à le considérer comme parfaitement contemporain de ces grands christs d’applique rassemblés autour de la croix d’Ukna, c’est-à-dire vers 1195-1210. À ce titre, ce Christ d’applique constitue également un très bel exemple des émaux sur relief réalisés par les ateliers limousins au tournant du siècle.

1. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 49, p. 184-185.

2. Cf. a nderson , 1980, p. 18-22, fig. 32-33.

3. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 50, p. 186-187.

4. Cf. a nderson , 1980, fig. 34.

5. Cf. Catalogue des objets d’art et de haute curiosité de l’Antiquité, du Moyen Âge et de la Renaissance composant la collection de feu M. Boy, Paris, galerie Georges Petit, 15-24 mai, 1905, n o 151, p. 28-29.

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PLAQUE CENTRALE DE RELIURE : LA CRUCIFIXION

Limoges, vers 1200

Cuivre champlevé, émaillé, gravé, ciselé et doré H. 23, 6 cm ; L. 11 cm

BIBLIOGRAPHIE

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II, L’Apogée 1190-1215, Paris, 2011, VC, no 5.

La plaque prenait place au centre du plat supérieure de la reliure d’un manuscrit. Semée de rosettes émaillées, elle est traversée par une seule bande horizontale turquoise. Le Christ est fixé sur la croix émaillée de vert, couleur symbolisant la résurrection. Il est soutenu par un large suppedaneum bleu clair orné de disques blancs au cœur rouge. La Vierge et saint Jean, de part et d’autre de la croix, se tiennent sur des mottes imbriquées, tout comme Adam qui sort d’un sarcophage émaillé de bandes en biais. Au-dessus des traverses de la croix, deux anges, aux ailes dressées, émergent aux trois quarts de demicercles décorés d’une nuée polylobée. La main de Dieu, dans un nimbe crucifère, surgit d’une nuée ondée au-dessus du titulus portant le monogramme du Christ « IHS ».

Toutes les figures, réservées et gravées, sont munies de très belles têtes d’applique de type classique. Seul le Christ d’applique est entièrement repoussé, ciselé et doré.

Les bordures supérieures et inférieures sont ornées d’un motif ondé, trilobé, enrichi de motifs en pointillé. Tout le pourtour de la plaque est également souligné d’un trait ondé en pointillé.

Stylistiquement, cette plaque de la Crucifixion peut être rapprochée de la plaque centrale du plat de reliure de l’ancienne collection Seguin conservée au musée du Louvre1 . On retrouve en effet sur les deux plaques certains détails très similaires comme le sarcophage d’Adam, le suppedaneum du Christ ou la composition des mottes imbriquées.

Les importantes reprises en pointillé dans les parties réservées, la qualité du modelé du Christ et des têtes d’applique, la profondeur de la ciselure et la très belle lapidation de l’émail font de cette plaque un bel exemple de la production de l’Œuvre de Limoges « classique » des alentours de 1200.

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1. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 88, p. 280 ; G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, VB, n o 35.

PLAQUE CIRCULAIRE : CHRIST EN MAJESTÉ

Limoges, vers 1200

Cuivre champlevé, émaillé et doré Diam. : 6,5 cm

Les dimensions de cette petite plaque circulaire, ainsi que son iconographie, permettent d’établir que celle-ci devait provenir de la croisée centrale du revers d’une grande croix processionnelle. Le Christ en majesté est assis sur un large coussin émaillé posé sur un trône élaboré où alternent les parties émaillées et réservées. Il lève la main droite en signe de bénédiction et tient de la main gauche le Livre sur son genou. De part et d’autre du nimbe crucifère émaillé figurent l’alpha et l’oméga, réservés et dorés. Le fond d’émail bleu profond est constellé de pois réservés et dorés, et de rosettes émaillées. Malgré les dommages subis par la plaque, probablement soumise à une chaleur intense, on peut encore apprécier la grande qualité mise en œuvre dans la ciselure du vêtement du Christ, les fins rehauts de pointillés dans les parties réservées, et surtout la très belle tête d’applique. Ces différents éléments nous permettent de dater ce petit médaillon de la période de l’apogée de l’Œuvre de Limoges, vers 1200.

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CHÂSSE RELIQUAIRE

À TOIT OUVRANT : LA CRUCIFIXION, LE CHRIST EN MAJESTÉ

Limoges, vers 1200-1210

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 19,5 cm ; L. 18 cm ; Pr. 8,5 cm [Crête moderne]

HISTORIQUE

Collection Marynen (Bruxelles, 1888) ; collection Charles Testart (vente Paris, hôtel Drouot, 24 et 25 juin 1924, no 80, pl. VIII) ; collection Octave Pincot (vente Paris, hôtel Drouot, 25 nov. 1946, no 46, pl. XV1) ; collection baron de Bonstetten (vente Londres, Sotheby’s, 10 juin 1969, no 23).

EXPOSITION

Bruxelles, Exposition rétrospective d’art industriel, 1888.

BIBLIOGRAPHIE

Reusens, E. H. J. (sous la direction de), Exposition rétrospective d’art industriel à Bruxelles, Bruxelles, 1888, no 63.

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et GaBorit-ChoPin D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II, L’Apogée, 1190-1215, Paris, 2011, I B 1, no 26.

La châsse adopte la silhouette classique des reliquaires « en forme de maison » que l’on trouve généralement dans l’Occident médiéval jusqu’au début du xiiie siècle : caisse rectangulaire reposant sur des pieds droits, dotée d’un toit à deux pentes surmonté d’une crête. Ici, le toit monté sur charnières forme le couvercle ouvrant du reliquaire selon un modèle qui apparaît moins couramment dans le corpus des châsses de l’Œuvre de Limoges.

Au centre du panneau de la caisse, à la face majeure, le Christ crucifié, vêtu du perizonium , se détache sur la croix émaillée de vert et surmontée du titulus doré. Au-dessus des bras de la croix, deux anges en buste apparaissent. Sous les bras de la croix se tiennent saint Jean et la Vierge. La Vierge, couronnée, se serre le poignet en geste de douleur. De chaque côté de cette scène principale, un apôtre ou un saint est figuré en pied sous un arc en plein cintre reposant sur des colonnettes à chapiteaux, d’où jaillissent de petites tours.

Au toit, au centre, le Christ en majesté trône dans une mandorle réservée et dorée agrémentée d’un fin pointillé. Il tient le Livre dans la main gauche et bénit de la main droite. La mandorle est cantonnée par les têtes des quatre symboles des évangélistes : le taureau de Luc, le lion de Marc, l’homme de Matthieu et l’aigle de Jean. On peut relever que, contrairement à l’usage, la petite tête d’applique d’aigle, normalement utilisée pour le symbole de l’évangéliste Jean, a laissé la place ici à une tête d’homme du type de celle utilisée pour Matthieu. Saint Jean est néanmoins parfaitement identifiable à son cou allongé, orné de plumes. Il n’est pas rare, dans l’Œuvre de Limoges, que l’orfèvre emploie des têtes d’applique disponibles, sans se préoccuper de leur parfaite adaptation au corps sur lequel elles sont placées2 . De part et d’autre du Christ en majesté encadré par les symboles des évangélistes, un saint ou un apôtre se tient sous un arc en plein cintre, selon la même formule qu’à la caisse. À la face majeure,

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à la caisse comme au toit, les figures, toutes pourvues de petites têtes d’applique, se détachent sur un fond bleu moyen, traversé par une bande turquoise et semé de disques et de rosettes multicolores.

Les pignons présentent un décor original composé d’un médaillon turquoise enfermant un ange gravé, les ailes éployées, émergeant à mi-corps d’une nuée polychrome. Le gable est orné d’un disque inscrivant une rosace émaillée à cinq pétales sur fond turquoise. Du médaillon se détachent trois tiges formant des rinceaux dorés qui occupent les écoinçons.

Au revers, suivant un réseau losangé, réservé et souligné d’un fin pointillé, on retrouve un semis régulier de rosettes champlevées au toit et de petits quadrilobes à la caisse, qui sont alternativement nuancés, autour d’un cœur rouge, soit de bleu et blanc soit de vert et jaune.

Le principe du toit ouvrant, le motif des anges à mi-corps inscrits dans des médaillons aux pignons ainsi que l’important semis de rosettes émaillées sur fond bleu moyen à la face majeure sont autant d’éléments que l’on retrouve sur deux très belles châsses reliquaires consacrées à l’enfance du Christ, conservées respectivement au musée du Louvre et au British Museum, et qui sont datées vers 1190-12103

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Par rapport à ces dernières, la châsse de l’ancienne collection Pincot, de dimensions plus petites, montre un raffinement moindre dans la ciselure des figures et le dessin des silhouettes. Son iconographie non spécifique correspond parfaitement au besoin d’une clientèle de plus en plus abondante, et elle va devenir très fréquente sur des œuvres de dimensions et de qualité variables à partir du début du xiiie siècle.

Châsse reliquaire : Le Massacre des innocents , La Présentation au Temple, Limoges, vers 1190-1210. Paris, musée du Louvre.

Châsse reliquaire : La Chevauchée des Rois mages, L’Adoration des Rois mages , Limoges, vers 1200. Londres, The British Museum.

1. La référence dans le catalogue de la vente Pincot à une provenance de la « Collection R. 1924 », référence à la vente de Léonce Rosenberg des 12 et 13 juin 1924 est erronée ; il s’agit en fait de la vente de la collection Testart qui a eu lieu également à l’hôtel Drouot les 24 et 25 juin 1924.

2. Voir par exemple TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 74, p. 257.

3. Pour la châsse conservée au musée du Louvre (OA 10406), voir ibidem, n o 41, p. 168169 ; G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, I E 4, n o 19. Pour celle conservée au British Museum, voir ibidem, IA 2, n o 10.

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PIED DE CROIX

Limoges, vers 1200-1210

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 10,8 cm ; L. 10,2 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection des princes de Liechtenstein (château de Vaduz, 1932) ; collection Ernst et Marthe Kofler-Truniger ; collection Keir.

EXPOSITIONS

Zurich, Sammlung E. und M. KoflerTruniger, Luzern, Kunsthaus, 7 juin2 août 1964.

Aix-la-Chapelle , Mittelalterliche Elfenbein-und Emailkunst aus der Sammlung E. und M. Kofler-Truniger, Luzern, Suermondt Museum, 1965.

Kansas City, The Keir Collection, The Nelson-Atkins Museum of Art, 1983.

BIBLIOGRAPHIE

SChnitzler, H., BloCh, P. et Ratton, Ch., Email, Goldschmiedeund Metallarbeiten, Europäisches Mittelalter, Sammlung E. und M. Kofler-Truniger, Luzern, tome II, Lucerne et Stuttgart, 1965, no E112, pl. 57.

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux tome II, L’Apogée, 1190-1215, Paris, 2011, VII B II-2 A, no 15.

Cette base se compose d’un socle pyramidal tronqué reposant sur trois pieds surmontés d’un masque de monstre gravé. Les trois faces du socle sont ornées d’un médaillon circulaire à la bordure réservée et dorée, qui ressort sur un fond d’émail bleu lapis. De part et d’autre de ce médaillon s’échappe un rinceau réservé dont l’élégant enroulement enferme une fleur émaillée de trois tons : rouge, vert et jaune. Au centre du médaillon, sur un fond bleu clair, se détache un petit monstre réservé et doré. L’animal, bipède et muni d’ailes, présente une tête de chien, un buste de lion et une queue à terminaison végétale.

Au-dessus de la base pyramidale, le fût à décor d’écailles gravées, est surmonté d’un nœud émaillé de bleu orné d’un motif de rinceaux réservés.

Ce pied affecte exactement la même structure que les chandeliers réalisés à la même période par l’Œuvre de Limoges, et il a récemment été publié comme un chandelier incomplet1 .

Néanmoins, l’ouverture rectangulaire visible au-dessus du nœud permet d’établir qu’il s’agit en fait d’un pied de croix. L’objet était d’ailleurs décrit ainsi tandis qu’il était conservé dans les collections Kofler-Truniger puis Keir2 .

Ce type de pied était destiné à accueillir une croix massive et devait permettre ainsi de présenter la croix sur l’autel. Rares sont les exemplaires de croix à avoir conservé leurs socles d’origine. On peut citer la croix du Musée diocésain de Freising en Bavière3 , datée vers 1190, ainsi que celle conservée au musée Pouchkine à Moscou 4 , datée vers 1200 et qui possède une base proche de celle étudiée ici. Sur cette dernière, la qualité du dessin des rinceaux délicatement repris en pointillé ainsi que la très belle lapidation de l’émail suggèrent également une datation vers 1200-1210.

1. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, VII BII-2 A, n o 15.

2. Cf. S Chnitzler, B lo Ch et Ratton , 1965, n o E 112.

3. Cf. G authier et François , 1987, cat. 217-218, p. 187-188, ill. 663, 664.

4. Cf. François , 1993, p. 115.

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CROIX MASSIVE

Limoges, vers 1200-1210

Cuivre champlevé, émaillé, traces de dorure H. 18,5 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Octave

Pincot (vente Paris, hôtel Drouot, 25 novembre 1946, no 20) ; collection Carlos A. Zemborain (Buenos Aires, 1965) ; collection José Léon Aldao (Buenos Aires, 1971).

BIBLIOGRAPHIE

ThoBy, P., Les Croix limousines de la fin du xiie siècle au début du xive siècle Paris, 1953, no 109, p. 155.

François G., « Répertoire typologique des croix de l’Œuvre de Limoges, 1190-1215 », Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, CXXI, 1993, p. 110.

La croix massive, à la croisée ronde et aux branches empattées, est pourvue à la base d’un tenon triangulaire.

À l’avers, la figure du Christ, réservée et ciselée, est munie d’une tête d’applique en relief de style classicisant. Au-dessus du Christ, l’inscription « IHS. XPS. » est gravée en réserve sur deux lignes, sur un fond d’émail vert. Au sommet de la croix, la Dextera Domini, gravée en réserve, s’étend vers le Christ. À la base de la haste, sous le suppedaneum d’émail vert, figure Adam ressuscité, son corps contourné est gravé en réserve tandis que sa tête rapportée apparaît en demi-relief.

Les bras de la croix émaillée de bleu profond sont parcourus de rinceaux réservés à fleurons polychromes.

Au revers, l’Agneau de Dieu, passant, est inscrit dans le médaillon circulaire de la croisée. Des rinceaux gravés, dérivant du type des rinceaux vermiculés, parcourent les bras de la croix.

Les modestes dimensions de la croix, ainsi que la présence du tenon pointu à sa base, permettent de penser que celle-ci devait être destinée à l’autel, maintenue sur un pied amovible du type de celui de l’ancienne collection Kofler-Truniger (voir cat. 18).

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PLAQUE EN MANDORLE : CHRIST EN MAJESTÉ

Limoges, vers 1200-1220

Cuivre champlevé et émaillé ; restes de dorure

H. 10,7 cm ; L. 7,5 cm

La plaque en forme de mandorle provient de la croisée centrale du revers d’une grande croix processionnelle aux extrémités trilobées, le type de croix le plus répandu entre la fin du xii e et le début du xiiie siècle.

Au centre, le Christ en majesté, vu à mi-corps, émerge d’une nuée émaillée. Le Christ tient le Livre dans la main gauche et bénit de la main droite. La tête d’applique classicisante, encadrée d’un nimbe cruciforme émaillé, est entourée de part et d’autre par l’alpha et l’oméga. Le fond émaillé bleu profond de la plaque est constellé de rosettes et de disques émaillés.

L’usure importante de la dorure et les manques d’émail n’empêchent pas d’apprécier le fin dessin de la gravure et la ciselure soignée. Ces éléments, ainsi que l’usage de la tête d’applique classicisante et la palette des émaux, permettent de proposer une datation vers 1200-1220.

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PIED DE CHANDELIER

Limoges, vers 1200-1220

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 7,5 cm ; L. 8,8 cm

Le pied de forme conique est orné de motifs de rinceaux à fleurs émaillées qui se détachent sur un fond d’émail bleu lapis. Le sommet de la base est recouvert d’un motif d’écailles gravées. Un long animal à deux têtes est riveté au-dessus de chacun des trois pieds. La créature fantastique, un amphisbaena, se compose d’un masque de lion surmonté de petites cornes, d’un corps de lézard et d’une longue queue dont l’enroulement s’achève en tête de serpent. À l’origine, les yeux de chacun de ces animaux étaient ornés de perles de verre, et leurs corps étaient agrémentés de trois perles d’émail turquoise. Par sa forme conique, son décor émaillé et la présence des trois animaux fantastiques au niveau des pieds, cette base peut être rapprochée des deux grands chandeliers provenant de l’église d’Øster Jølby conservés au Nationalmuseum de Stockholm1 . D’un type très exceptionnel dans la production des chandeliers limousins, la paire de chandeliers de Stockholm, datée vers 1200, peut seulement être rapprochée de deux autres paires de chandeliers, de composition relativement similaire bien que plus simple, et conservées toutes deux à Trondheim au musée d’Histoire naturelle et d’Archéologie de l’université norvégienne de science et de technologie2 . Ces dernières, datées vers 1200-1220, devaient également à l’origine présenter trois animaux fantastiques en applique au niveau des pieds.

La proximité de cette base avec ces trois paires de chandeliers permet d’avancer avec une certaine assurance que celle-ci devait aussi constituer le pied d’un chandelier de type voisin.

Néanmoins, nous pouvons citer un autre objet relativement proche, daté pareillement du premier quart du xiiie siècle, et conservé au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg 3 . Celui-ci se compose d’une base circulaire, surmontée d’un motif d’écailles gravées, et sur laquelle sont appliqués trois animaux fantastiques de même type. L’inscription qui court de part et d’autre du bandeau émaillé révèle que cette base constituait le pied d’un reliquaire.

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1. Cf. LieBGott, 1986, n o 54, p. 62. 2. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, VII B III, n o 2 et n o 3. 3. Cf. N otin , RaPPé et K ryjanoVskaïa , 2004, n o 25, p. 74-75.

PLAQUE DE RELIURE : LA CRUCIFIXION

Limoges, vers 1210

Cuivre champlevé, émaillé, gravé, ciselé et doré H. 22,9 cm ; L. 11 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Léon Arnault.

BIBLIOGRAPHIE

Gauthier, M.-M., antoine, É. et GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II , L’Apogée 1190-1215, Paris, 2011, V C, n° 62.

La plaque, semée de rosettes émaillées et de pois en réserve, est traversée par une bande horizontale turquoise, doublée de deux fines bandes bleu moyen qui se détachent sur le bleu foncé du fond. Ce même principe apparaît au niveau de la croix, émaillée de vert, couleur symbolisant la résurrection, qui semble presque appliquée sur une seconde croix plus large, bleu moyen, et qui supporte le titulus avec l’inscription « XPS/ IHS ». Sous les traverses horizontales de la croix, une autre bande porte l’inscription « SCA MARIA / SCE [sic] IOH[ann]ES », identifiant ainsi la Vierge et saint Jean selon un principe assez inhabituel dont on retrouve une variante sur la plaque de reliure de l’ancienne collection Salmon1 .

Une autre originalité visible sur cette plaque est constituée par l’iconographie de la figure d’Adam qui est ici représenté nu, s’extrayant de son tombeau orné de bandes en biais, en soulevant le couvercle du sarcophage émaillé avec un décor de pois. Cette iconographie se retrouve avec quelques variantes sur la plaque de l’ancienne collection Graells à Barcelonne2 et sur celle de San Vincente de Cardona3 .

À l’exception d’Adam dont le corps, réservé et gravé, est muni d’une tête d’applique, toutes les figures sont entièrement en cuivre repoussé, ciselé et doré et appliquées sur la plaque d’émail à l’aide de rivets. Si l’usage d’une figure d’applique pour le Christ central n’est pas rare, le principe de traiter toutes les figures en applique l’est beaucoup plus. Celles-ci sont d’ailleurs de très belle qualité si l’on en juge par l’expressivité des figures de la Vierge et de saint Jean, la profondeur de la ciselure des drapés et le soin apporté aux bandes d’orfrois sur les vêtements. La qualité de ces figures d’applique, la palette chromatique aux couleurs profondes, le dessin général des figures de même que les reprises en pointillé sur les parties réservées permettent de dater cette plaque vers 1210. Elle constitue ainsi l’un des exemples précoces de ce type de reliure où toutes les figures sont d’applique4

1. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, VC, n o 34.

2. Ibidem, VC, n o 8.

3. Ibidem, VB, n o 9.

4. Une plaque de reliure avec la Crucifixion conservée à Liverpool datée vers 1210-1220 présente cette même particularité (ibidem, VC, n o 27).

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PARTIE CENTRALE D’UNE CROIX DE PROCESSION

Limoges, vers 1200-1220

Cuivre champlevé, émaillé, restes de dorure

H. 20,8 cm ; L. 15,3 cm

Cette plaque cruciforme à croisée circulaire était fixée à l’avers au centre d’une grande croix de procession du type de celle conservée dans la cathédrale Saint-Paul à Münster1. Aux quatre extrémités, quatre autres plaques devaient présenter, de chaque côté des bras de la croix, la Vierge et saint Jean, et sur les plaques inférieure et supérieure des figures d’anges ou de saints. Au revers, la croisée circulaire abritait une figure du Christ en majesté encadrée par les quatre évangélistes aux quatre extrémités.

Au centre de la plaque se détache sur la croix émaillée de vert, la figure d’applique du Christ. Celui-ci est représenté mort, les yeux fermés, la tête nimbée et penchée sur le côté, les cheveux retombants, de part et d’autre du visage, sur les épaules. Au-dessus de la tête du Christ se trouve le titulus avec l’inscription « IHS ». Au sommet de la plaque apparaît la Dextera Domini. Sur les bras de la croix, le fond émaillé bleu profond est parsemé d’un semis de rosettes émaillées.

Le style de la figure d’applique et des émaux permet de dater cette plaque médiane de croix des premières décennies du xiii e siècle, vers 1200-1220.

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23
1. Cf. tho By, 1953, n o 63, p. 126-127.

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BOÎTE AUX SAINTES

HUILES : SAINTES FEMMES AU TOMBEAU

Limoges, vers 1210-1215

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 12,1 cm ; L. 12,6 cm ; Pr. 8,4 cm [Pieds modernes]

HISTORIQUE

Collection Bourgeois frères (vente Cologne, 19-27 octobre 1904, no 362) ; collection Octave

Pincot (vente Paris, hôtel Drouot, 25 novembre 1946, no 26, pl. VIII) ; Brimo de Laroussilhe en 1949 ; collection docteur Péraut (Paris).

BIBLIOGRAPHIE

Gauthier, M.-M., Émaux limousins champlevés des xiie xiiie et xive siècles Paris, 1950, p. 39, 72-73, 153 ; pl. XV.

Bertrand, É., Émaux limousins du Moyen Âge, cat. expo. (Paris, Brimo de Laroussilhe, 16 novembre-2 décembre 1995), Paris, 1995, no 11, p. 94-95.

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et

GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux tome II, L’Apogée, 1190-1215, Paris, 2011, VI A, no 3.

Comme traditionnellement pour les boîtes aux saintes huiles, le coffret est composé de plaques de cuivre assemblées par des rivets, sans âme de bois. Quatre plaques forment la caisse, une seule le toit à quatre pentes. À l’origine, à l’intérieur de la caisse, devait être fixée une plaque percée de trois trous destinés à maintenir les ampoules contenant le saint chrême, l’huile des catéchumènes et l’huile des exorcistes1 .

Il semble que les huiles saintes – destinées aux sacrements tels que le baptême, la confirmation et l’ordination des prêtres, ou utilisées lors de cérémonies telles que la consécration des églises – ont longtemps été conservées dans des ampoules indépendantes, appelées ampulla , phyala ou vasa , et le plus souvent réalisées en argent 2 . Les premières mentions de coffrets permettant de les rassembler apparaissent à la fin du xiie siècle et au début du xiii e siècle3 . Néanmoins, comme le soulignait déjà Ernest Rupin, les boîtes aux saintes huiles restent rares dans la production des ateliers limousins 4 . Depuis l’étude de M. C. Ross consacrée à ce type de coffrets, qui en citait une dizaine5 , quelques autres boîtes ont pu être répertoriées, mais l’ensemble du groupe demeure visiblement inférieur à une vingtaine d’exemples6 .

Au sein de ce groupe, la boîte aux saintes huiles de l’ancienne collection Bourgeois constitue un exemple unique puisqu’elle est la seule répertoriée à être ornée d’un décor historié.

Sur la face majeure, à la caisse, les trois saintes femmes, vêtues d’une robe longue recouverte d’un manteau et portant leurs pots à onguent, s’avancent en file vers le tombeau du Christ, qui prend ici la forme d’un baldaquin d’inspiration byzantine. La première des femmes est agenouillée devant celui-ci et désigne le suaire, émaillé de bleu cerné de blanc, qui enveloppait le corps du Christ et dont un pan retombe le long du tombeau. À droite, assis sur un arc-en-ciel émaillé, l’ange indique également le tombeau vide.

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Si la représentation des saintes femmes au tombeau se retrouve sur un certain nombre de châsses reliquaires et de tabernacles de l’Œuvre de Limoges7, le traitement de la scène est ici assez original, dans la mesure où il ne reprend pas de formule préexistante. Marie-Madeleine Gauthier avait rapproché cette iconographie de celle de la châsse d’Issoire, principalement en raison de la forme du baldaquin et de la position de l’ange 8 Mais, sur la châsse d’Issoire, seules deux des saintes femmes sont figurées, debout, devant la tombe du Christ. Les trois saintes femmes sont au contraire représentées sur la châsse conservée au Walters Art Museum de Baltimore9. Sur ce reliquaire, comme sur la boîte aux saintes huiles, la première d’entre elles est figurée agenouillée devant le tombeau, mais dans une expression plus dramatique, celle-ci semble presque être tombée d’émotion à la vue de la tombe vide du Christ.

Le reste du décor de la boîte est composé de manière plus traditionnelle de bustes d’anges. Sur la face majeure, au toit, la main de Dieu émerge d’une nuée entre deux anges. Comme sur les autres faces du toit, ils s’inscrivent dans des médaillons dorés savamment rehaussés de fins pointillés, d’où une tige se détache pour s’enrouler en formant, dans les angles de la partie inférieure, un fleuron trilobé polychrome.

À la caisse, les trois faces sont également ornées de ces anges vus à mi-corps dans des attitudes variées, et qui cette fois s’inscrivent dans des quadrilobes finement réservés et dorés, et rehaussés de pointillés. Des corolles polychromes occupent l’espace des écoinçons entre chaque quadrilobe et aux angles des plaques.

Outre la rareté de son iconographie, la boîte aux saintes huiles de l’ancienne collection Bourgeois se distingue par l’absence d’usage de têtes d’applique, et par la très haute qualité de son exécution. Celle-ci est notamment perceptible au niveau de la qualité du dessin et de la composition de la scène principale ainsi qu’au niveau des attitudes variées des anges. La richesse de la palette des émaux et le grand raffinement des reprises en pointillé des parties réservées autorisent une datation dans le début du xiiie siècle, vers 1210-1215.

Châsse

Châsse reliquaire : Saintes Femmes au tombeau, Saints devant le Christ Limoges, vers 1200-1220. Baltimore, The Walters Art Museum.

1. La boîte aux saintes huiles de Saint-Viance est l’une des rares à avoir conservé sa plaque intérieure (cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 72, p. 254-255).

2. Ibidem, p. 254.

3. Ibidem

4. Cf. Ru Pin , 1890, p. 445.

5. Cf. Ross , 1942, p. 341-344.

6. Cf. B ertrand, 1993, p. 40.

7. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, I B 2, n os 1 à 9 ; III B n os 8, 14 et 17.

8. Ibidem, I B 2, n o 6.

9. Ibidem, I B 2, n o 2.

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reliquaire : Saintes Femmes au tombeau, Noli me tangere, Limoges, vers 1200-1210. Issoire, église Saint-Austremoine.

BOÎTE AUX SAINTES HUILES : ANGES

Limoges, vers 1210-1215

Cuivre champlevé, gravé, émaillé et doré ; perle de verre H. 12 cm ; L. 10 cm ; Pr. 7, 5 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Georges Hoentschel (vente Paris, Drouot, 14-15 avril 1910, n° 70) ; collection Georges Dormeuil (Paris).

EXPOSITION

Paris, Exposition d’objets d’art du Moyen Âge et de la Renaissance tirés des collections particulières de la France et de l’étranger, organisée par la marquise de Ganay à l’ancien hôtel de Sagan, mai-juin 1913.

BIBLIOGRAPHIE

Exposition d’objets d’art du Moyen Âge et de la Renaissance organisée par la marquise de Ganay chez M. J. Seligmann, cat. expo. (Paris, hôtel de Sagan, mai-juin 1913), Paris, 1913, no 221.

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II, L’Apogée, 1190-1215, Paris, 2011, VI A, no 6.

Comme sur l’exemple précédent, la boîte aux saintes huiles est composée de plaques de cuivre assemblées par des rivets, sans âme de bois. Quatre plaques forment la caisse, une seule le toit à quatre pentes. Il manque aujourd’hui l’élément de couronnement qui, fixé au sommet du toit, permettait de faire office de pied au couvercle lorsque la boîte était ouverte.

À l’intérieur, le revers du toit est entièrement doré tandis que le corps de la boîte a reçu une dorure uniquement sur la partie supérieure des parois, attestant ainsi de la présence à l’origine d’une plaque intérieure percée de trois trous destinés à maintenir les ampoules contenant le saint chrême, l’huile des catéchumènes et l’huile des exorcistes1 .

Le décor émaillé de la boîte est composé sur tous les côtés de figures d’anges en buste émergeant de nuées, thème souvent privilégié par les émailleurs limousins pour les objets liés à la liturgie. Par rapport aux autres côtés, la face majeure a été fortement privilégiée. Tandis qu’ailleurs les anges sont entièrement gravés, sur la face majeure, au toit comme à la caisse, ils sont munis de très belles têtes d’applique classicisantes. À la caisse on peut également souligner la qualité du dessin des deux anges dont les têtes s'inclinent délicatement vers le médaillon central et dont les ailes s’entrecroisent élégamment juste sous la réserve, destinée à l’origine à abriter le moraillon.

La composition d’ensemble ainsi que le dessin invitent à rapprocher la boîte aux saintes huiles de l’ancienne collection Dormeuil de la boîte conservée au Vatican2 et de celle du musée de Rouen 3 . Malgré quelques petites variantes dans le décor, la proximité évidente des trois œuvres permet de les attribuer à un même atelier que l’on peut stylistiquement situer vers 1210-1215.

Boîte aux saintes huiles, Limoges, vers 1210-1215.

1. La boîte aux saintes huiles conservée à Saint-Viance est l’une des rares à avoir conservé sa plaque intérieure ; cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 72, p. 254-255.

2. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, VI A n o 10.

3. Ibidem, VI A n o 8.

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Rouen, musée départemental des Antiquités.

MÉDAILLON

Limoges, vers 1220

Cuivre ajouré, champlevé, gravé, émaillé et doré Diam. 8,5 cm

Au centre du médaillon, deux petits dragons sont représentés se faisant face, de part et d’autre d’une plante sur les branches de laquelle ils reposent. Munis d’ailes, d’une queue d’oiseau et d’un long cou, ils ont le corps entièrement ciselé pour donner l’illusion d’une peau de lézard. Les yeux sont constitués de perles d’émail bleu sombre.

Cette partie centrale, réalisée en cuivre travaillé au repoussé, ajouré, ciselé, gravé et doré, est encadrée par une bordure émaillée de bleu sur laquelle court un rinceau réservé et doré ainsi que quatre rosettes émaillées.

Aujourd’hui isolé, ce médaillon ajouré devait à l’origine décorer un coffret du type de celui du cardinal Bicchieri conservé au musée de Turin1 . Le décor profane, et en particulier ce bestiaire fantastique, appartient au répertoire habituel des médaillons ornant ce genre de coffret. Plus spécifiquement, le motif des animaux affrontés, qui dérive de l’art oriental et fut introduit en Occident par les textiles, est assez fréquent sur ces œuvres. Cette iconographie profane tend à nous indiquer le caractère séculier de ce type d’objet. Néanmoins, il est attesté qu’un certain nombre de ces coffrets purent servir dans un contexte ecclésiastique. Les coffrets possédés par le cardinal Bicchieri étaient ainsi utilisés par ce dernier pour y ranger des objets liturgiques2 . D’autres ont pu également abriter des reliques3 .

1. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 89, p. 282-285 ; C astronoVo, 2014, n o 8, p. 102-115 ; C astronoVo et D esCatoire, 2016.

2. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, p. 284.

3. Par exemple le coffre de Turin a contenu les ossements de Guala Bicchieri (ibidem, p. 282) et le coffret dit de Saint Louis, conservé au musée du Louvre et daté vers 1236, enfermait les ossements et le cilice de Louis IX à Notre-Dame-du-Lys (ibidem, n o 124, p. 360-363).

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Coffret du cardinal Bicchieri, Limoges, avant 1227. Turin, Museo Civico d’Arte Antica e Palazzo Madama.

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DE CABOCHONS

Limoges, vers 1210-1215

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 9,5 cm ; Diam. 6,5 cm

Le mot latin pyxis, qui vient à l’origine du grec et désigne des récipients de bois, est communément associé, depuis l’Antiquité tardive, aux boîtes où étaient conservées les hosties à l’occasion du sacrement de l’eucharistie1 .

Les mentions des inventaires et les nombreux exemples conservés attestent que les pyxides étaient parmi les objets les plus couramment fabriqués par les ateliers limousins au xiii e siècle. Cette abondante production a certainement bénéficié de l’intervention du pape Innocent III, grand amateur des réalisations des émailleurs limousins2 . Lors du concile du Latran en 1215, le pape déclara que toutes les églises devaient posséder deux pyxides et que l’une d’entre elles pouvait être en Œuvre de Limoges3 . Cette proclamation, lors du concile auquel assistèrent plus de quatre cents archevêques et évêques ainsi que huit cents abbés et prieurs, favorisa la diffusion des réalisations limousines à travers toute l’Europe. Ainsi, on retrouve une mention des pyxides de l’Œuvre de Limoges utilisées lors de l’eucharistie par Guillaume de Salisbury vers 12204 . De même, en 1229, au concile de Worcester, il est prévu parmi les objets liturgiques nécessaires à une église : « deux pyxides, une en argent, en ivoire, ou en œuvre de Limoges, ou toute autre pyxide pour y ranger les hosties5 ». Il était recommandé d’avoir deux pyxides, l’une pour les hosties de l’eucharistie avant la consécration, l’autre pour les hosties distribuées après la célébration du sacrement6

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Les pyxides de l’Œuvre de Limoges adoptent toutes une forme semblable : le corps cylindrique est fabriqué à partir d’une bande de cuivre martelée pour former un bandeau circulaire, soudé de manière verticale et cloué sur une base ronde et plate. Le couvercle de forme conique, fabriqué à partir d’une seule pièce de métal martelé, est généralement sommé d’une croix ou, plus rarement, d’un bouton floral. La boîte est articulée au couvercle par une charnière, et le dispositif de fermeture qui lui est opposé se compose d’un moraillon fixé au couvercle qui s’insère entre les deux anneaux fixés au bord de la boîte. À l’origine, une goupille, presque toujours disparue, devait assurer la bonne fermeture de la pyxide. L’intérieur de la pyxide est doré, et certains exemples, comme celui-ci, sont garnis à l’intérieur d’une cupule probablement destinée à permettre de retirer facilement les hosties. La présence de cette cupule, qui réduit fortement la profondeur de la pyxide, nous indique que chaque boîte ne pouvait contenir qu’un petit nombre de ces hosties. Cette pyxide entièrement émaillée de bleu clair est décorée d’un rinceau continu dont chaque enroulement enserre une palmette-fleur dorée. Au couvercle, entre les rinceaux, s’inscrivent trois cabochons de verre bleuté, sertis dans des bâtes ovales dorées. Le dessin souple et délicat des rinceaux ainsi que la présence de cabochons de verre sertis de cuivre doré permettent de situer cette pyxide parmi les exemples les plus raffinés de la production limousine du premier tiers du xiiie siècle, probablement vers 1210-1215.

1. Cf. Ru Pin , 1890, p. 201.

2. Notamment, le pape Innocent III fit entreprendre la réalisation de la clôture émaillée de la confession de Saint-Pierre au Vatican (voir G authier, 1968, p. 237-246) ;

cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, p. 44.

3. Ibidem, 1995, p. 44-45 ; cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, p. 168.

4. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, p. 258-259.

5. Ibidem

6. Cf. Ru Pin , 1890, p. 206.

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28 PYXIDE

Limoges, vers 1220-1230

Cuivre champlevé, gravé, émaillé et doré

H. 8 cm ; Diam. 6,5 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection du docteur Louis Marchant, Dijon.

BIBLIOGRAPHIE

Gauthier, M.-M., Antoine, É. et

GaBorit-ChoPin, D. (sous la direction de), Corpus des émaux méridionaux, tome II, L’Apogée, 1190-1215, Paris, 2011, III D, no 18.

Destinées à conserver les hosties de l’eucharistie, les pyxides de l’Œuvre de Limoges sont toujours fabriquées de la même manière. Une bande de cuivre martelée forme un bandeau circulaire qui est soudé verticalement et cloué à une base ronde et plate. Le couvercle, fabriqué à partir d’une seule pièce de cuivre martelé, est traditionnellement coiffé d’une croix réalisée indépendamment et qui a, le plus souvent, comme ici, disparu. Ce couvercle en forme de cône est rattaché au revers du corps par une charnière. L’intérieur de la pyxide est habituellement doré.

Les mentions des inventaires et les exemples conservés encore aujourd’hui attestent que les pyxides étaient parmi les objets les plus fabriqués par les ateliers limousins.

Dans l’important corpus des pyxides produites par l’Œuvre de Limoges, la pyxide de l’ancienne collection Marchant se distingue par le recours à un parti d’émaillage d’apparence archaïque. En effet, si la plupart des pyxides présentent un motif de rinceaux réservés et dorés sur un fond d’émail bleu, ici ce principe est inversé. Sur le fond guilloché et doré de la boîte et du couvercle court un rinceau continu, émaillé de bleu, dont les volutes engendrent une palmette-fleur d’émail multicolore. Cette technique, le plus souvent dite « à chairs émaillées1 », n’a été qu’assez rarement employée, principalement au xiie siècle, en particulier dans le groupe d’œuvres exécutées pour Grandmont vers 1185-1200 (voir cat. 8). Elle connut également un léger retour en faveur dans les années 1220-1230 comme en témoignent notamment le reliquaire de saint François d’Assise conservé au musée du Louvre2 et la croix de Bonneval conservée au musée de Cluny3 . Au cours de cette seconde période, où l’emploi de cette technique peut passer pour un archaïsme, apparaît en outre l’usage nouveau du fond guilloché qui est visible ici. Ces différentes caractéristiques techniques nous invitent ainsi à ne pas retenir la date de 1210 qui avait été avancée par Simone Caudron pour la pyxide de l’ancienne collection Marchant 4 mais à proposer de la situer plutôt vers 1220-1230.

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1. Cette formulation vient du principe d’émailler les visages et les chairs des figures qui étaient traditionnellement réservés et dorés. 2. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 102, p. 306-309. 3. Ibidem, n o 105, p. 315-317. 4. Cf. G authier, A ntoine et G aBorit-Cho Pin , 2011, III D, n o 18.

29 DEUX PLAQUES : LA VIERGE ET SAINT JEAN DE CALVAIRE

Limoges, vers 1230

Cuivre repoussé, gravé, ciselé et doré ; perles d’émail bleu-noir Cuivre champlevé, gravé, ciselé, émaillé et doré H. 24 cm ; L. 7,5 cm

HISTORIQUE  Achetées chez Brimo de Laroussilhe en 1929 par le collectionneur François Baverey (Lyon).

BIBLIOGRAPHIE

Bertrand, É., Émaux limousins du Moyen Âge, Ire partie, Essai d’un inventaire des émaux limousins du Moyen Âge, négociés par Brimo de Laroussilhe depuis 1908, Brimo de Laroussilhe, Paris, 1995, p. 16, fig. 8, no 124, p. 70.

Les deux personnages, représentés debout, sont aisément identifiables comme la Vierge et saint Jean de Calvaire : la Vierge, voilée, incline la tête et se tient le poignet en signe de douleur, tandis que saint Jean, tenant le Livre de la main gauche, porte la main droite à son visage.

Chacune de ces figures d’applique, travaillée au repoussé, gravée et ciselée, est fixée sur une plaque émaillée par deux rivets qui sont, comme le reste de la figure, gravés et dorés. Les plaques, cintrées, émaillées et dorées, sont cernées d’une bordure réservée et dorée puis d’une fine bande d’émail turquoise. Le bord de la plaque de la Vierge est couvert de hachures en zigzag gravées qui n’apparaissent pas sur la plaque de saint Jean. Les rinceaux qui ornent les fonds des deux plaques s’épanouissent en fleurs dont seules celles du registre supérieur sont émaillées. Deux bandes horizontales d’émail turquoise, décorées d’une ligne sinueuse réservée et dorée, scandent chacune des plaques sur toute la largeur, à hauteur des épaules et des genoux des deux figures d’applique. Le nimbe diffère sur chacune des plaques : d’émail turquoise orné de lobes rayonnants entre lesquels apparaissent des traits réservés et dorés sur la plaque de la Vierge, il est en revanche très coloré sur la plaque de saint Jean et présente un motif de lobes rayonnants plus complexes et entre lesquels apparaissent des points d’émail rouge.

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Les plaques émaillées montrent ici une nette évolution vers une exécution moins raffinée, tant dans la gravure, au tracé moins régulier, que dans la palette et la matière de l’émail qui, au-delà de présenter une gamme chromatique plus sourde, offrent une matière plus opaque à l’aspect plus terne que dans les exemples de la période antérieure. Ce style plus relâché dans le travail de l’émail correspond parfaitement aux œuvres réalisées à partir du second quart du xiii e siècle, période qui concorde avec l’apparition de nouvelles « recettes » dans la fabrication de l’émail1

Le traitement des figures d’applique est également caractéristique de cette époque, notamment la chevelure du saint Jean dans laquelle ondulent de fines lignes parallèles en pointillé. Les plis des drapés, qui ne sont parfois qu’esquissés, sont rendus par des lignes assez irrégulières, par endroits gravées de façon sommaire. Ces différentes caractéristiques nous permettent de rapprocher ces deux plaques de la figure d’applique d’un saint, aujourd’hui isolée, conservée au Metropolitan Museum2 ainsi que de la châsse de sainte Fauste conservée au musée de Cluny3 , toutes deux datées aux environs de 1230. On peut d’ailleurs penser que ces deux plaques devaient être à l’origine placées, aux côtés d’un Christ en croix, sur une grande châsse de ce type ou de celui de la châsse de saint Viance sur laquelle les figures d’applique sont également fixées à des plaques cintrées indépendantes 4 .

1. Cf. « Le cuivre et l’émail : techniques et matériaux » dans TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, p. 48-62.

2. Ibidem, n o 97, p. 297.

3. Cf. G authier, 1972, n o 132, p. 373.

4. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 119, p. 347-350.

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Figure d’applique, Limoges, vers 1230, New York, The Metropolitan Museum of Art.

30 PLAQUE PROVENANT PROBABLEMENT

D’UN DEVANT D’AUTEL : APÔTRE

Limoges, vers 1240-1250

Cuivre champlevé, gravé, émaillé et doré Applique de cuivre repoussé, gravé, ciselé et doré ; perles d’émail

HISTORIQUE

Ancienne collection F. Spitzer (vente Paris, 1893, no 257, p. 47, pl. VIII) ; collection Bourgeois frères (vente Cologne, 1904, lot 387, p. 72) ; acheté chez Brimo de Laroussilhe en 1929 par le collectionneur François Baverey (Lyon).

BIBLIOGRAPHIE

Palustre, L. et Molinier, É., « L’orfèvrerie religieuse » dans SPitzer, F. (sous la direction de), La Collection Spitzer. Antiquité, Moyen Âge, Renaissance, tome I, Paris, 1890, no 49, p. 113.

Marquet de Vasselot, J-J., Les Crosses limousines du xiiie siècle, Paris, 1941, p. 120, 152, note 4.

Gauthier, M.-M., Émaux limousins champlevés des xiie , xiiie et xive siècles, Paris, 1950, p. 51.

L’apôtre, figure d’applique de cuivre doré, est fixé sur la plaque par deux rivets. Il tient le rouleau de la main gauche et lève la main droite contre sa poitrine. Ses pieds, tournés vers le bas, reposent sur une base tronconique ornée d’un fleuron gravé. Son épaule gauche et sa taille sont enveloppées dans un manteau, bordé d’un motif gravé imitant la fourrure. Celui-ci recouvre une longue tunique tombant jusqu’aux chevilles qui est agrémentée de larges orfrois à la manche et au col.

La plaque émaillée, cintrée dans la partie supérieure, est ornée de larges rinceaux végétaux aux fleurons inscrits dans des cercles concentriques. Deux bandes horizontales émaillées de turquoise se déroulent derrière la figure, interrompant ce décor de rinceaux.

Comme pour les plaques émaillées de la Vierge et de saint Jean déjà étudiées (cat. 29), la plaque émaillée offre ici un style plus relâché dans le travail de l’émail qui correspond aux réalisations du second quart du xiiie siècle et à l’apparition de nouvelles « recettes » dans la fabrication de l’émail1 . On observe une évolution vers une exécution moins attentive tant dans le champlevage et la gravure, au tracé moins régulier que dans les exemples de la période antérieure, que dans la palette et la matière de l’émail. Les émaux apparaissent en effet plus opaques et ternes, et ils développent une gamme chromatique aux couleurs plus sourdes.

Le style général de la plaque émaillée et de la figure d’applique peut être rapproché des châsses de saint Viance2 et du Chalard3 , datées vers 1230-1250. Toutefois les très grandes qualités plastiques de la figure d’applique nous invitent à la rapprocher plutôt d’un groupe d’appliques de cuivre doré très homogène, daté vers 1240-1250 et composé principalement des appliques de la Passion conservées à Cluny, Baltimore et Minneapolis 4 , ainsi que de plusieurs des figures d’applique qui étaient autrefois remontées sur la châsse composite de l’ancienne collection Germeau et qui sont aujourd’hui réparties dans diverses collections5

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H. 30,1 cm ; L. 12,2 cm. Figure : H. 26,6 cm

On retrouve sur cet ensemble d’œuvres les mêmes caractéristiques stylistiques que sur la figure d’apôtre. Les visages sont particulièrement proches. Larges et arrondis, ils sont traités en aplats au niveau des joues et du front. Les arcades sourcilières bien dessinées et arquées surmontent les grands yeux élargis par la perle d’émail qui en indique la pupille. La barbe et la moustache, en forte saillie et finement dessinées, sont, comme les cheveux, délicatement gravés.

Les drapés présentent également une stylisation caractéristique étant, par endroits, traités en un sillon profondément creusé, et élargis « en cuillère » selon une formule que l’on retrouve sur l’ensemble de ces appliques. Par ailleurs nous pouvons, outre ces traits caractéristiques communs, rapprocher le dessin de l’orfroi du col de celui qui figure sur celui de l’apôtre à la droite du Christ dans l’applique de la Cène conservée au musée de Cluny6 .

Les études de R. Rückert7 et K. Otavsky8 ont rapproché cet ensemble d’appliques de cuivre doré des tombeaux des enfants de Saint Louis, Jean et Blanche de France, réalisés vers 1250 9. Des rapprochements ont également été proposés avec certains vitraux de Chartres, conçus entre 1223 et 1236, et de la Sainte-Chapelle, datés vers 1243-1248, ce qui a permis d’avancer une datation pour ce groupe vers 1240-1250.

Les proportions de la plaque, sa forme cintrée et la disposition des ornements végétaux interrompus par les bandes turquoise rappellent des œuvres antérieures, telles que la plaque de saint Pierre conservée au Metropolitan Museum à New York10 ou les plaques du frontal démantelé de

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La Cène, Limoges, vers 1240-1250. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge. La Flagellation , Limoges, vers 1240-1250. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge.

la cathédrale d’Orense11 . Si l’on ne peut rejeter véritablement l’hypothèse d’une châsse monumentale du type de celle de saint Viance, la similitude des dimensions entre les plaques du frontal d’Orense et celle présentée ici peut nous amener à privilégier l’idée, déjà avancée par Marquet de Vasselot12, que cette dernière pourrait provenir d’un devant d’autel émaillé. Notre plaque offre une grande proximité avec une plaque émaillée présentant une applique de saint Pierre autrefois conservée au musée de Limoges, et M.-M. Gauthier avait d’ailleurs émis l’hypothèse que les deux plaques devaient à l’origine provenir d’un même ensemble démembré, châsse monumentale ou devant d’autel13 . Les deux figures d’applique paraissent en effet extrêmement homogènes, principalement au niveau du visage et du style des drapés. Nous pouvons également relever la présence du même type de bordure imitant la fourrure sur le manteau. Toutefois ces deux plaques, qui possèdent une hauteur identique, montrent une différence de taille notable dans la largeur. De plus la gamme chromatique des émaux semble relativement différente14 . La disparition de la plaque de saint Pierre, volée au musée de Limoges en 1980-1981, nous empêche malheureusement de confronter les deux œuvres et de juger ainsi du bienfondé de l’hypothèse de M.-M. Gauthier.

1. Cf. « Le cuivre et l’émail : techniques et matériaux » dans TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, p. 48-62.

2. Cf. ibidem, n o 119, p. 347-350.

3. Cf. Ro Binne, 1995, p. 74.

4. Au musée de Cluny : La Cène (Inv. CL. 973) et La Flagellation du Christ (Inv. Cl. 942) ; à la Walters Art Gallery de Baltimore : L’Arrestation du Christ (Inv. 53.10) ; à l’Institute of Arts de Minneapolis : La Mise au tombeau (Inv. Acc. n° 58.8). Pour l’étude récente de ces appliques, cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 120, p. 351-353 ; C arlier, 2021, p. 31-35.

5. La châsse Germeau, connue par une gravure de 1870 et une photographie, est une châsse composite néogothique. Celle-ci a été acquise par Brimo de Laroussilhe en 1931 qui revend les différents éléments séparément. Parmi les appliques qui figuraient sur cette châsse et qui appartiennent à ce groupe nous pouvons citer le Centurion conservé au musée du Louvre (OA 10625) ; La Descente de croix de la fondation Abbeg à Berne, et un Saint Jean, cf. B ertrand, 1995, p. 21, Inv. n o 2, p. 114-115, cat. 22 ; C arlier, 2021, cat. 8, p. 31-35.

6. Cf. taB uret- d elahaye et d rake B oehm , 1995, n o 120, p. 351.

7. Rü Ckert, 1959, p. 1-16.

8. O taVsky, 1973, p. 37-74.

9. Conservés aujourd’hui dans l’église abbatiale de Saint-Denis. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 147, p. 402-405.

10. Ibidem, n o 47, p. 180-181.

11. Ibidem, n o 51, p. 188-189 ; G alleGo Lorenzo, 2001.

12. Marquet de Vasselot, 1941, p. 152, note 4.

13. G authier, 1950, p. 51.

14. M.-M. Gauthier mentionne notamment la présence de noir parmi les émaux, cf. G authier, 1950, p. 158.

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Plaque : Saint Pierre, Limoges, vers 1240-1250. Autrefois Limoges, musée municipalmusée de l’ Évêché de Limoges (volée en 1980).

31 PLAQUE DE CHÂSSE RELIQUAIRE :

ANGE

Limoges, vers 1235-1245

Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 7,5 cm ; L. 12,2 cm

Cette plaque supportant la figure d’applique d’un ange émaillé se rattache à un petit groupe de châsses reliquaires réalisées à Limoges vers 1235-1245 et dont le décor est très caractérisé. Les âmes de bois sont, sur chacune d’elles, recouvertes de fines feuilles de cuivre doré au fond guilloché, parsemées d’étoiles et de rosettes gravées et ajourées ici et là pour abriter des cabochons de verre. Sur ces plaques sont fixées des figures d’applique en important relief dont les vêtements sont émaillés selon un dessin des drapés toujours similaire. La palette des émaux – bleu outremer, turquoise, vert, rouge et blanc – est également très proche sur tous les  exemples.

Parmi ce petit groupe de châsses reliquaires, qui sont pour la plupart des châsses à transept, on peut citer principalement la très importante châsse de sainte Ursule conservée dans une collection privée aux États-Unis1 , la châsse de l’Enfance du Christ du Nationalmuseet de Copenhague2 , la châsse de l’ancienne collection Spitzer conservée aujourd’hui au Metropolitan Museum à New York 3 et enfin la châsse de l’Adoration des Mages de l’ancienne collection Basilewsky, aujourd’hui au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg 4 .

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Châsse de l’Enfance du Christ, Limoges, vers 1235-1245. Copenhague, Nationalmuseet. Châsse reliquaire, Limoges, vers 1235-1245. New York, The Metropolitan Museum of Art.

Cette dernière a été visiblement assez fortement remaniée lors d’une restauration au xixe siècle5 , et il apparaît évident que la plaque de droite au rampant du toit est une copie moderne réalisée d’après la plaque originale présentée ici6 . Au xixe siècle, il n’était pas rare que, à l’occasion de restaurations, certains restaurateurs peu scrupuleux subtilisent des plaques ou des éléments de châsse pour les remplacer par des copies7. Il est néanmoins difficile ici de savoir à quelle période cette plaque a été soustraite de la châsse de l’Ermitage, et si cela s’est produit au moment où celle-ci était encore conservée dans la collection du prince Soltykoff8 ou après son entrée dans la collection Basilewsky.

1. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 115, p. 332-333.

2. Cf. LieBGott, 1986, p. 49-50, fig. 39-42.

3. Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, cat. 116, p. 334-335.

4. Cf. N otin r aPPé et K ryjanoVskaïa , 2004, n o 31, p. 86-87.

5. Ibidem

6. Ekaterina Nekrasova a eu l’amabilité de bien vouloir vérifier à l’Ermitage la châsse en question et a confirmé le caractère moderne de cette plaque, ce qui est d’ailleurs nettement visible d’après la photographie de détail qu’elle a bien voulu nous communiquer.

7. Par exemple, la figure d’applique du Christ en croix sur la châsse de l’ancienne collection Spitzer conservée au Metropolitan est visiblement moderne. Comme l’a révélé B. Drake Boehm dans le catalogue de l’exposition de 1995, il existait encore à la maison André – atelier de restauration d’œuvre d’art à Paris existant depuis le xixe siècle – le moule de plâtre de ce Christ. Par ailleurs, cet établissement de restauration conservait également dans ses collections des moulages de plâtre des autres figures d’applique de la châsse du Metropolitan. Il est probable que, lors d’une restauration au xixe siècle, F. Spitzer ou le propriétaire précédent ait confié l’œuvre à la maison André, qui a réalisé le Christ central peut-être en subtilisant la figure originale.

Cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, p. 335.

8. Cf. Catalogue des objets d’art et de haute curiosité composant la célèbre collection du prince Soltykoff, Paris, hôtel Drouot, 8 avril-1er mai 1861, lot 137, p. 37.

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Châsse reliquaire, Limoges, vers 1235-1245. Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage. Détail de la plaque moderne sur la châsse du musée de l’Ermitage.

32 CHANDELIER DE VOYAGE

Limoges, début du xive siècle

Cuivre champlevé, gravé, émaillé et doré

H. 10,5 cm ; L. 10,2 cm

Une pointe en tronc de cône surmonte une base pyramidale tronquée à pans légèrement galbés. Les facettes de la base se prolongent par une languette cintrée qui renforce la stabilité de l’objet. La structure creuse de l’ensemble permettait de l’emboîter aux autres chandeliers de la même série pour en faciliter le transport, d’où le nom de « chandelier itinéraire » ou « chandelier de voyage » traditionnellement donné à ce type de modèle1 .

Chaque face de la base porte, sur un fond d’émail bleu, un médaillon circulaire réservé et doré, dans lequel s’inscrit un dragon émaillé. Chaque arête est décorée à la base d’un petit médaillon circulaire où alternent une figure d’homme encapuchonné et un petit animal chimérique ailé.

Ce type de chandelier de voyage, le plus souvent à décor héraldique, a été très largement produit par les ateliers limousins à la fin du xiiie et au début du xive siècle2 . Les ateliers de Limoges à cette période de leur activité passent à une production de type nouveau. Celle-ci est généralement marquée par un fort relâchement dans la qualité du dessin qui correspond à la vitesse et à la simplicité de fabrication inhérente à une production de masse. À cette époque, les ateliers limousins changent également de palette au niveau de l’émail qui perd alors son éclat et la variété de ses couleurs pour se fonder uniquement sur les contrastes du rouge opaque, du bleu foncé et du vert ou du turquoise.

1. Le musée du Louvre conserve ainsi une série de six chandeliers de taille légèrement décroissante qui s’empilent parfaitement, cf. TaB uret-D elahaye et D rake B oehm , 1995, n o 136, p. 380.

2. Voir par exemple N otin , 1992, n os 9-10, p. 126-127 ; N otin , RaPPé et K ryjanoVskaïa , 2004, n o 45, p. 114-115.

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33 MORS DE CHAPE : DEUX ÉVÊQUES

Paris, deuxième quart du xive siècle Cuivre champlevé, émaillé et doré

H. 14 cm ; L. 16 cm

Mors de chape : La Vierge et l’Enfant entre deux évêques , Limoges, deuxième quart du xive siècle. Baltimore, The Walters Art Museum.

L’objet en forme de rosace étoilée se compose de deux plaques, munies de charnières sur le bord interne, qu’une tige métallique permet d’assembler. Les trous de fixation, qui parsemaient le pourtour du fermail et dont plusieurs sont encore visibles aux extrémités des pointes, servaient à fixer les deux plaques sur les bords d’un vêtement. À l’origine, une troisième plaque, plus étroite, recouvrait la partie centrale, dissimulait les charnières et permettait d’ouvrir et de fermer le mors de chape. Les dimensions relativement importantes de la pièce ainsi que la présence des deux évêques se faisant face nous autorisent à penser qu’il s’agissait d’un fermail ecclésiastique.

Ce mors de chape peut être rapproché de l’exemplaire de style et d’iconographie identique conservé au Walters Art Museum à Baltimore. Sur ce dernier, la plaque centrale a été préservée et présente une Vierge à l’Enfant, sujet probable de la plaque aujourd’hui disparue sur notre exemplaire. Les deux fermaux montrent deux évêques se faisant face, la crosse à la main, debout sous une arcature trilobée dont le fond bleu sombre est parsemé de rosettes. Au pourtour, des animaux fantastiques, réservés et dorés, se détachent sur un fond d’email rouge opaque.

Ces deux mors de chape appartiennent à un groupe de fermaux d’abord rassemblés par M.-M. Gauthier1 . Tous de cuivre doré, ornés d’émaux champlevés, de forme et de principe d’assemblage similaires, ils diffèrent essentiellement par leur qualité d’exécution. Dans un premier temps, ce type de fermail avait été attribué à Sienne, avant que M.-M. Gauthier ne propose d’y reconnaître le travail d’ateliers limousins installés à Paris, peut-être pour la cour d’Avignon2

Par la suite, R. H. Randall a justement montré que les plus beaux fermaux de ce groupe, parmi lesquels figure celui conservé au Walters Art Museum de Baltimore dont se rapproche particulièrement le fermail étudié ici, présentent d’étroites parentés avec les émaux translucides

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sur basse-taille exécutés à Paris dans le second quart du xive siècle3 . Les comparaisons proposées avec les émaux du socle de la Vierge d’orfèvrerie offerte par Jeanne d’Évreux à Saint-Denis en 13394 sont particulièrement convaincantes. Outre les rapprochements possibles dans le dessin des personnages épargnés, on peut relever la même utilisation des traits d’émail sombre pour indiquer les drapés et les détails des visages, ainsi que la présence du même type de semis de rosettes champlevées au cœur émaillé de rouge opaque.

Aussi, il pourrait s’agir pour ces mors de chape de la production d’ateliers parisiens contemporains de ceux exécutant les pièces d’émaillerie translucides sur basse-taille5 . Selon É. Taburet-Delahaye, on peut également envisager que ces pièces champlevées constituent la production moins coûteuse des mêmes ateliers, ce qui expliquerait les parentés étroites entre les œuvres exécutées dans l’une ou l’autre technique6

1. Cf. G authier, 1972, n o 146, p. 379.

2. Ibidem

3. Cf. B altimore, 1979, n o 469, p. 167-170.

4. Cf. G aBorit-Cho Pin , 1991, n o 51, p. 246-254.

5. Cf. TaB uret-D elahaye, 1989, n o 42, p. 119-121 ; G aBorit-Cho Pin , 1999, p. 81-101.

6. Cf. TaB uret-D elahaye, 1989, p. 121.

L’Annonce aux bergers , détail du socle de la Vierge de Jeanne d’Évreux, Paris, entre 1324 et 1339. Paris, musée du Louvre.

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CROIX RELIQUAIRE

Barcelone, vers 1400

Argent et argent doré ; plaquettes d’argent de basse-taille revêtues d’émail translucide, cristal de roche

H. 37.2 cm ; L. 21.1 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Jacques Seligmann, Paris (spolié par les nazis en 1940 et transféré au Jeu de Paume, restitué en octobre 19461).

La croix, latine, offre un profil classique pour l’époque gothique : croisée carrée et extrémités fleurdelisées précédées d’un renflement sur chacun des bras. Elle se prolonge par une hampe triangulaire permettant de la porter ou de la fixer sur un pied.

À l’avers, la croisée présente sous un cristal de roche une plaquette d’émail translucide carrée, posée sur la pointe, et qui montre au centre une logette cruciforme destinée vraisemblablement à abriter des reliques de la Vraie Croix. Les médaillons sur les bras latéraux sont émaillés de bleu et agrémentés de petites billes d’émail blanc opaque marquées au centre d’un point rouge. Les trous visibles au centre de chacun de ces médaillons ainsi que sur celui de la partie inférieure devaient permettre de fixer la statuette du Christ. Ce type de montage où le Christ est fixé directement sur les médaillons d’émail translucide se retrouve notamment sur la croix autrefois conservée dans l’église de Soses (province de Lleida)2 . Le médaillon situé sur le haut de la croix montre le pélican se perçant la poitrine pour nourrir ses petits de son sang, symbole du sacrifice du Christ. Au revers, la croisée abrite une plaque figurant le Christ en majesté, bénissant de la main droite et tenant le globe terrestre de la main gauche sur un fond émaillé de bleu translucide et parsemé d’étoiles réservées et dorées. Les médaillons sertis sur les bras de la croix présentent les symboles des évangélistes, chacun d’eux portant le phylactère sur lequel s’inscrit son nom. Les bras lisses de la croix sont à l’avers comme au revers recouvert de délicats rinceaux réalisés en fins pointillés.

Outre la présence du poinçon de Barcelone placé sur la hampe, de nombreux éléments nous permettent de rattacher cette croix reliquaire à l’orfèvrerie catalane de la fin du xive siècle. On peut ainsi relever, au-delà de la conception même de la forme de la croix, le dessin très caractéristique ainsi que la palette des émaux sur les médaillons d’émail translucide. De même, certains détails confirment une origine catalane tels que l’inscription figurant sur le phylactère du taureau de saint Luc et qui recourt à la forme rare de « LUCH » au lieu de « LUCAS ». Cette formulation se retrouve sur un médaillon conservé au musée de Cluny ainsi que sur la croix « des confréries » du trésor de Gérone3

104
34

La plupart des croix réalisées à Barcelone à la fin du xive ou au début du xve siècle qui nous sont parvenues sont de grandes croix, probablement de procession, fabriquées à partir de feuilles d’argent montées sur une âme de bois et qui sont généralement, comme ici, accompagnées de médaillons d’émail translucide. Cette croix se distingue de ces différents exemples par son caractère éminemment plus précieux lié à sa fonction de reliquaire4 . Sa réalisation en argent plein, le sertissage des médaillons – alors qu’ils sont généralement simplement fixés – ainsi que les épaisses feuilles d’argent façonnées en fleur de lys aux extrémités des bras de la croix contribuent à faire de cette pièce un exemple exceptionnel dans l’orfèvrerie catalane de la fin du xive et du début du xve siècle.

1. Database of Art Objects of the Jeu de Paume. ERR Inventory n o Sel.383.

2. Cf. Dalmases , 1992, n o 5, p. 179-181.

3. Cf. TaB uret-D elahaye, 1989, n o 83, p. 207-208.

4. La croix reliquaire de la Vraie Croix, conservée au musée national d’art catalan (Barcelone), portant un poinçon de Barcelone vers 1350, est également toute en argent doré et présente des dimensions plus comparables à celle-ci (41,4 x 23,6 cm), cf. Dalmases , 1992, n o 7, p. 186-187. On peut également citer la croix reliquaire de l’église de Santa Pau (province de Girona). Ibidem, n o 8, p. 188-189.

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TABLEAU D’OR

DIEU LE PÈRE, L’ANNONCIATION, LA CRUCIFIXION, SAINTE ANNE ET SAINT GEORGES, LE COMMANDITAIRE

(PROBABLEMENT JEAN DE LANCASTRE, DUC DE BEDFORD)

ENTOURÉ DE SAINTE CATHERINE, SAINT CHRISTOPHE, SAINTE BARBE ET SAINT ÉTIENNE

Paris, vers 1423-1430

HISTORIQUE

Baron Alphonse de Rothschild (1827-1905), Paris ; baron Édouard de Rothschild (1868-1949), Paris1 ; baronne Batsheva de Rothschild (1914-1999), Tel Aviv.

La mince plaque en or offre une mise en page complexe composée d’une multitude de scènes et de figures d’émail translucide. Au sommet, Dieu le Père apparaît émergeant d’un arc de cercle émaillé de rouge rayonnant. Il tient la sphère surmontée d’une croix dans la main gauche et bénit de la main droite. De part et d’autre, l’ange Gabriel et la Vierge constituent une scène de l’Annonciation. Au centre de la composition, au niveau médian, est figurée la Crucifixion accompagnée de tous les instruments de la Passion. Sainte Anne, dans une représentation de l’éducation de la Vierge, et saint Georges terrassant le dragon se tiennent de chaque côté de la croix comme en substitution de la Vierge et de saint Jean traditionnellement représentés à cette place. Au niveau inférieur, sont figurés de gauche à droite sainte Catherine d’Alexandrie, saint Christophe, saint Étienne et sainte Barbe, entourant, par couple, le commanditaire représenté à genoux en prière au pied de la croix. Outre la multiplication des figures, la complexité de la mise en page se révèle également par une composition sur trois niveaux étagés. Le niveau supérieur, céleste, se détache entièrement sur le fond d’or, tandis que les intervenants des deux autres niveaux se tiennent sur un sol au naturel, émaillé de brun et bosselé sur lequel apparaissent trois petits arbres dans le lointain.

Cette petite plaque en or se place incontestablement parmi les exemples les plus raffinés et les plus aboutis de l’émaillerie médiévale. Cependant, dans le corpus des œuvres en émail translucide, elle ne se laisse véritablement rapprocher d’aucun groupe constitué ni d’aucune œuvre isolée. La technique et les dimensions invitent bien sûr à la comparer à d’autres petits tableaux d’émail sur métal précieux réalisés à l’extrême fin du xive siècle tels que les tableaux reliquaires de sainte Catherine2 et

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Or, émaux translucides sur or de basse-taille
35
H.  6,7 cm ; L. 4,8 cm

Tableau reliquaire de sainte Catherine, Paris, vers 1380-1390.

Argent poinçonné et doré, émaux translucides sur argent de basse-taille. Londres, Victoria and Albert Museum.

Tableau reliquaire de sainte Geneviève, Paris, vers 1380-1390.

Argent poinçonné et doré, émaux translucides sur argent de basse-taille. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge.

de sainte Geneviève3 conservés respectivement à Londres et à Paris, ou encore la plaque de la prédication de saint Jean Baptiste conservée au musée du Louvre4 . Par rapport à ces différentes œuvres, la gamme colorée apparaît ici d’une plus grande richesse. On retrouve évidement les couleurs traditionnelles dans l’émaillerie translucide : le bleu, le vert, le jaune et le rouge, mais aussi des nuances plus rares comme le gris argenté, le gris bleu, le brun et le pourpre. Sur le plan stylistique, le type des figures et le traitement des drapés, qui se prolongent au sol, se rattachent pleinement à l’art parisien des premières décennies du xve siècle. Le style des figures et certains aspects de la composition trouvent de forts échos dans le milieu des enlumineurs parisiens de l’époque, et principalement dans les œuvres du Maître de Boucicaut ainsi que dans celles du Maître de Bedford 5 . On retrouve notamment chez ces deux artistes des modèles proches, par exemple, pour la figure de Dieu le Père ou la scène de l’Annonciation. Le style des visages offre également de nombreuses comparaisons possibles, que ce soit pour les figures féminines au cou gracile, au visage doux et arrondis dont l’épaisse chevelure est coiffée en arrière, ou encore pour l’aspect presque triangulaire du visage de saint Christophe.

Maître de Boucicaut. Marie Madeleine, Heures du maréchal de Boucicaut , vers 1408. Paris, musée Jacquemart-André (ms. 2, fol. 41v).

Maître de Boucicaut. L’Annonciation, Heures du  maréchal de Boucicaut , vers 1408. Paris, musée Jacquemart-André (ms. 2, fol. 53v).

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La complexité de l’espace, avec d’une part un espace divin et d’autre part ce sol au naturel qui s’élève en formant une sorte de pic escarpé et qui adopte à l’arrière-plan presque la forme d’un « I » majuscule, trouve un certain écho dans la scène de l’Ascension du Bréviaire de Salisbury réalisée par le Maître de Bedford pour Jean de Lancastre vers 1424-14356

De la même manière, cette composition étagée qui distingue un monde céleste d’un monde terrestre, en multipliant les représentations des saints, se retrouve également dans les deux médaillons d’ivoire ajouré et polychrome conservés au Metropolitan Museum et traditionnellement attribués au milieu parisien vers 14207.

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Maître de Bedford, Bréviaire de Salisbury , L’Ascension , vers 1424-1435. Paris, Bibliothèque nationale (ms. lat. 17294, fol. 261v). Deux médaillons, Paris, vers 1420. Ivoire ajouré et polychromé. New York, The Metropolitan Museum of Art.

Ces différentes comparaisons possibles permettent de situer avec assurance cette plaque dans le milieu parisien des années 1420. Pour le premier quart du xve siècle, les exemples d’émaux translucides en bassetaille de métal précieux sont extrêmement rares, peut-être en raison du développement important de la production des émaux sur ronde-bosse d’or durant le règne de Charles VI8 (1380-1422). On peut bien sûr citer les médaillons d’émail translucide présents sur le calice d’argent doré offert par Charles VI en 1411 au monastère de Sainte-Catherine du Sinaï9, mais leur qualité ne fournit que très peu de comparaisons possibles avec la plaque à l’étude. On peut par ailleurs évoquer le petit livre d’heures en argent émaillé conservé au musée de Rouen, daté vers 1410-1420 mais dont la facture apparaît bien moins précieuse10

Les quatre médaillons circulaires provenant de l’ancienne collection Durand, conservés au musée du Louvre et datés vers 1415-1425, montrent une tout autre direction stylistique dans l’émaillerie de cette période11

Les médaillons sont ici entièrement recouverts d’émail translucide, selon un principe que l’on retrouve également sur d’autres pièces d’orfèvrerie datées du début du règne de Charles VI telles que les valves de miroir de Louis d’Anjou12 , la croix émaillée du reliquaire de la Vraie Croix du Trésor de la cathédrale de Pampelune13 ou les volets intérieurs du triptyque de Chocques14 . Sur la plaque présentée ici au contraire la place importante laissée à l’or sur lequel se détache chacune des figures émaillées apparaît presque comme une réminiscence du style de la coupe de sainte Agnès réalisée à Paris vers 1375-138015 .

Triptyque de Chocques, Paris, vers 1390-1400. Or émaillé, repoussé et ciselé, émaux translucides sur or de basse-taille. Amsterdam, Rijksmuseum.

Coupe de sainte Agnès, Paris, vers 1375-1380. Émail translucide sur or de basse-taille. Londres, The British Museum.

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La Crucifixion , Paris, vers 1415-1425. Émail translucide sur or de basse-taille. Paris, musée du Louvre.

La taille de la plaque, le nombre de saints qui l’occupent et la représentation du commanditaire ne laisse pas beaucoup de doute quant à la destination originale de l’œuvre, probablement un petit tableau reliquaire. Celui-ci pouvait adopter une forme soit relativement simple, du type des tableaux reliquaires de sainte Catherine et de sainte Geneviève déjà mentionnés16 , soit un peu plus complexe, articulant éventuellement plusieurs volets tels que le livret d’argent du musée de Rouen17 ou encore le Libretto fait à la commande de Charles V et aujourd’hui conservé à Florence18 Quelle qu’ait été la forme originale de ce tableau reliquaire, l’iconographie semble ici trop personnelle et choisie pour qu’il n’ait pas été destiné à être porté au bout d’une chaîne en « pentacol ».

Ce caractère très privé de l’objet est encore renforcé par la présence du commanditaire figuré au pied de la croix, au centre de la composition. L’homme, coiffé à la mode du premier quart du xve siècle, est vêtu d’une armure, couverte d’un surcot pourpre court. Ce costume militaire, associé aux éperons dorés et à l’épée qu’il porte à la ceinture dont le pommeau est rehaussé de vert clair, invite à penser qu’il s’agit d’un homme élevé à l’une des charges les plus honorifiques de commandement, celle de maréchal ou de connétable.

En l’absence de signes héraldiques sur le vêtement ou alentour, seul le choix particulier du regroupement des différents saints et la place qu’ils occupent dans la composition peuvent donner une indication quant à l’identité du commanditaire. Tous les saints représentés appartiennent au répertoire des saints les plus populaires de la période. Cependant, l’association de certains d’entre eux et leur emplacement traduisent un sens particulier déterminé par le commanditaire. Ainsi, on doit relever la place extrêmement atypique et de première importance accordée, ici, à sainte Anne et à saint Georges qui sont associés de part et d’autre de la croix. L’association de ces deux saints au niveau central de la composition ainsi que les caractéristiques de la représentation du commanditaire en militaire de haute importance permettent de proposer de reconnaître dans ce dernier Jean de Lancastre, 1er duc de Bedford.

Troisième fils du roi Henri IV d’Angleterre, devenu connétable d’Angleterre en 1403 et duc de Bedford en 1414, il accède à la régence de France pour le compte de son neveu Henri VI en 1422. En 1423, il épouse Anne de Bourgogne, fille de Jean sans Peur et de Marguerite de Bavière. Cette union faisait écho à l’alliance scellée entre les Anglais et les Bourguignons peu après le traité de Troyes (1420) qui destituait Charles VI en mettant le royaume de France sous la régence de la couronne d’Angleterre. Ainsi, l’association, comme sur la plaque, de saint Georges, l’un des saints patrons principaux du duc de Bedford, et de sainte Anne, sainte patronne de son épouse, se retrouve notamment dans les deux pleines pages des Heures du duc de Bedford , où le régent et son épouse sont tous deux figurés devant ces saints qui leur sont propres.

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Heures de Jean de Lancastre, duc de Bedford, Le duc de Bedford en prière devant saint Georges. Londres, British Library (adds. ms. 18850, fol. 256v).

Heures de Jean de Lancastre, duc de Bedford, La duchesse de Bedford en prière devant sainte Anne. Londres, British Library (adds. ms. 18850, fol. 256v).

Sainte Catherine, saint Christophe, sainte Barbe et saint Étienne, figurés au niveau inférieur, font partie des saints les plus honorés à cette période dans l’Occident médiéval ; rien ne s’oppose à leur présence sur un objet commandé par Jean de Lancastre, bien au contraire. Si l’iconographie peut parfaitement correspondre à une commande du duc de Bedford, il est en revanche impossible de reconnaître, dans les traits du commanditaire figuré, le portrait du régent. Sa représentation faite dans les Heures de Bedford montre un visage au menton fuyant qui trahit certainement un véritable portrait. Ici, l’homme en armure présente au contraire une mâchoire carrée qui inspire puissance et détermination. Toutefois, la taille de la plaque permet de penser qu’il s’agit sans doute ici plutôt de la représentation prototypique d’un commanditaire de haut rang. D’ailleurs, ce visage n’est pas sans rappeler celui du maréchal de Boucicaut tel qu’il apparaît dans ses Heures réalisées par le Maître de Boucicaut, dont le style a visiblement influencé l’orfèvre auteur de cette plaque. Aucun tableau d’or pouvant correspondre à cette plaque ne figure dans l’un des inventaires ou testaments du duc de Bedford. Mais le silence des inventaires n’est pas rare concernant les joyaux. Récemment, par exemple, François Avril a pu relever la mention dans les archives d’un joyau provenant du duc de Bedford qui n’apparaissait dans aucun de ses inventaires19. Cette absence des inventaires est d’autant moins surprenante si l’on considère la fonction très personnelle que pouvait avoir cette

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œuvre  : elle recouvrait probablement un caractère très privé, peut-être même de talisman personnel, à l’instar du reliquaire de Charles V perdu par Charles VIII à Fornoue, qui est également absent de l’inventaire de Charles V 20

Par conséquent, le fait que ce tableau d’or ne figure pas dans les inventaires du duc de Bedford n’exclut en aucun cas qu’il ait été réalisé pour lui. Bien au contraire, la date et l’iconographie semblent laisser peu de doute sur cette identification. De plus, le style mis en œuvre ici correspond parfaitement à ce que nous savons du goût de Jean de Lancastre. Grand commanditaire et collectionneur d’orfèvrerie et de manuscrits21 , le duc de Bedford a pu lui-même souhaiter que cette œuvre réponde en orfèvrerie au style des enlumineurs de l’époque, autant pour les figures que pour la mise en page de la composition. Par ailleurs le caractère très atypique de la large part laissée ici au fond en or, sur lequel se détache les figures émaillées, pourrait être une référence volontaire au style de la coupe de sainte Agnès qui fut offerte à Charles VI par Jean de Berry en 1391, puis passa dans les collections du duc de Bedford probablement durant sa régence22

1. Spolié par les nazis après mai 1940 et transféré au Jeu de Paume (ERR n o R2478) ; rapatrié en France le 11 juillet 1946 et restitué à la collection Rothschild.

2. Londres, Victoria and Albert Museum (M 350-1912), cf. TaB uret-D elahaye, 2004, n o 21 A, p. 60-61.

3. Paris, musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny (Inv. CL. 23314), cf. G authier, 1991, 2, p. 15-31 ; TaB uret-D elahaye, 2004, n o 21 B, p. 60-61.

4. Paris, musée du Louvre (Inv. MR 2679). Cf. TaB uret-D elahaye, 2004, n o 23, p. 62.

5. Sur le Maître de Bedford, voir KöniG , 2007.

6. Cf. SPen Cer, 1966, p. 606-612.

7. New York, The Metropolitan Museum of Art (Inv. 17.190.877 A et B). Cf. TaB uretD elahaye, 2004, n o 123, p. 211.

8. Cf. TaB uret-D elahaye, 2004, p. 165-180 ; KoVáC s , 2004.

9. Cf. D urand, 2004, p. 56-65.

10. Rouen, musée des Antiquités de la Seine-Maritime. Cf. TaB uret-D elahaye, 2004, p. 367-368, n o 228.

11. Quatre médaillons des scènes de la Vie et de la Passion du Christ : Baptême, Flagellation, Mise en croix, Crucifixion. Paris, musée du Louvre (Inv. MR 2590,2604,2505, 2606). Cf. TaB uret-D elahaye, 2004, n o 224, p. 356-359 ; TaB uret-D elahaye, 2004 (2), p. 66-75.

12. Paris, musée du Louvre (Inv. MR 2608, 2609). Cf. B aron , 1981, n o 212, p. 262 ; TaB uret-D elahaye, 2004, n o 20, p. 59-60.

13. Cf. TaB uret-D elahaye, 2004 (2), p. 74.

14. Amsterdam, Rijksmuseum (Inv. RBK 17045). Cf. TaB uret-D elahaye, 2004, n o 90, p. 170-171.

15. Londres, The British Museum (92,5-1,1). Cf. B aron , 1981, n° 213, p. 263-265 ; Stratord, 2022.

16. Cf. TaB uret-D elahaye, 2004, n o 21, p. 60-61.

17. Rouen, musée des Antiquités de la Seine-Maritime. Cf. TaB uret-D elahaye, 2004, n o 228, p. 367-368.

18. Reliquaire réalisé à Paris avant 1380, don de Charles V à Louis d’Anjou. Cf. B aron , 1981, n o 211, p. 260-262.

19. Cf. AVril, 2004, p. 76-79.

20. Cf. J estaz, 1989, p. 9.

21. Voir « Bedford as patron and collector » dans StratFord, 1993 (2), p. 105-126. Outre ses Heures et son Bréviaire commandé au Maître de Bedford, on peut rappeler que Jean de Lancastre en 1425 achète différents manuscrits provenant de la Librairie du Roi.

22. L’histoire de la coupe de sainte Agnès n’est pas totalement connue dans la mesure où celle-ci ne figure pas dans les inventaires de Charles VI, mais apparaît dans l’inventaire de 1434 du duc de Bedford, cf. StratFord, 1993, p. 319-325, B 158.

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Le Maréchal de Boucicaut en prière devant sainte Catherine. Heures du maréchal de Boucicaut , vers 1408. Paris, musée Jacquemart-André (ms 2, fol. 38v).

TROIS FEUILLETS EN OR ÉMAILLÉ PROVENANT D’UN LIVRE D’OR DESTINÉ À ANNE DE FRANCE

L’OFFRANDE DE JOACHIM REFUSÉE, LA RENCONTRE À LA PORTE DORÉE ; L’ANNONCIATION, LA NATIVITÉ ; L’ADORATION

DES MAGES, LE COURONNEMENT DE LA VIERGE

Paris ou Moulins, vers 1498-1500

Émail translucide sur or de basse-taille [Cadres en argent doré modernes]

H. 4,4 cm ; L. 3,3 cm

HISTORIQUE

Ancienne collection Charles-HenryLionel Widdrington Standish of Standish (1823-1883) ; puis dans la famille Noailles Widdrington Standish par descendance.

BIBLIOGRAPHIE

CréPin-leBlond, T., « Anne de France, une princesse entre deux mondes » dans LonGo, G. et DaVid -ChaPy, A. (sous la direction de), Anne de France (1522-2022)

Femme de pouvoir, princesse des arts, cat. expo. (Moulins, musée Anne-de-Beaujeu, 18 mars18 septembre 2022), Dijon, 2022, p. 20-21.

Les trois petites plaques en or, ornées au recto et au verso d’émail translucide sur or de basse-taille, sont aujourd’hui montées dans des cadres d’argent doré, de toute évidence plus tardifs. La première plaque montre au recto la scène de l’Offrande de Joachim refusée tirée du cycle d’Anne et de Joachim. Dans le Temple, Joachim à droite, l’agneau dans les bras, se voit refuser son offrande par le Grand Prêtre en raison de sa stérilité, considérée comme une malédiction divine. Le Grand Prêtre, coiffé d’une tiare, est représenté à l’intérieur de l’équivalent d’une chaire, orné d’un luxueux damas émaillé de vert. À ses côtés apparaît un serviteur et, à l’arrière-plan, une sculpture de Moïse figurée comme en grisaille d’émail translucide. Derrière Joachim, une suite de femmes voilées se prolonge jusque sous un arc menant au-delà de la salle du Temple dont l’architecture, directement gravée sur l’or, occupe tout l’espace du fond.

Au revers, la scène émaillée se tient dans un cadre plus réduit. Au lieu de s’étendre sur toute la hauteur de la plaque, la scène s’inscrit dans un rectangle moins haut, une large bande étant laissée en réserve dans la partie inférieure. Sur celle-ci, on peut lire l’inscription, sans doute plus tardive : « LA PORTE DORÉE II1 ». La scène se déroule à l’extérieur, sur un tapis d’herbe verte. À droite, l’ange annonce à Joachim, retiré au milieu des bergers, que sa femme enfantera une fille d’où naîtra le Messie. Un berger est figuré plus petit à l’arrière-plan. À gauche de la scène, Anne et Joachim se rencontrent devant la Porte dorée de Jérusalem et s’embrassent tendrement.

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La deuxième plaque présente, au recto, l’Annonciation. Comme la scène précédente, elle s’inscrit dans un rectangle plus petit que la première scène et porte l’inscription « LANUCIACIO V ». La numérotation interrompue nous permet de savoir qu’une plaque, montrant les tableaux III et IV, manque dans la série. La scène se déroule dans l’intérieur d’un palais richement décoré d’étoffes précieuses. La Vierge s’est levée du trône figuré derrière elle et se tient à genoux devant le prie-Dieu recouvert d’un luxueux damas émaillé de vert sur lequel repose le Livre ouvert. Elle est vêtue d’une robe rouge couverte d’un manteau bleu. Ses cheveux longs sont maintenus par un diadème orné sur son front d’un rubis. Face à elle, l’ange Gabriel, dont la robe grise est recouverte d’un manteau rouge agrémenté d’un voile vert noué en travers de son buste, tient le phylactère inscrit et pointe l’index de sa main droite en signe d’annonce. Ses ailes sont émaillées d’ocre jaune et de vert. Entre les deux figures, un haut lys repose dans un vase. Au sommet de la scène, une sorte d’oculus ouvrant sur le ciel bleu profond laisse apercevoir Dieu le Père.

Au revers, la scène de la Nativité montre la Vierge et Joseph, de part et d’autre du berceau d’osier dans lequel repose l’Enfant Jésus. Derrière celui-ci, trois anges à genoux, les mains jointes, sont en adoration devant l’Enfant. Au-delà d’une palissade, sous le toit en bois de l’étable, deux bergers assistent également à la scène. À droite, derrière la Vierge et devant une architecture de pierre, deux anges volent dans le ciel, au-dessus de la tête de l’âne et du bœuf qui apparaissent sortant du côté droit.

La troisième plaque, qui porte l’inscription « LES TROIS ROIS VII », montre la scène de l’Adoration des Mages. À droite, sous un arc de pierre et à côté d’un mur en ruine, se tiennent la Vierge et Joseph. La Vierge, assise et vêtue toujours de la robe rouge couverte d’un ample manteau bleu, est coiffée d’un voile gris court. Elle tient l’Enfant nu sur ses genoux. Devant eux, le premier des Rois mages est agenouillé, les mains jointes, en adoration devant l’Enfant. Les deux autres Rois mages, couronnés et portant les vases d’or, se tiennent derrière lui, sous un auvent fait de bois, rappelant exactement la composition de la scène précédente.

La dernière scène montre le Couronnement de la Vierge. Comme pour l’Offrande refusée à Joachim, elle occupe toute la hauteur de la page. Sur un tapis de nuage, la Vierge se tient à genoux, de dos et légèrement de trois quarts. À ses côtés, quatre anges sont figurés agenouillés, les mains jointes, à l’exception de celui qui porte le bas du manteau de la Vierge. Devant elle est représenté la Sainte Trinité, avec au milieu Dieu le Père qui s’apprête à la couronner. Du centre de la composition partent des rayons incisés dans l’or qui occupent l’ensemble du fond laissé en réserve. Au sommet, dans les écoinçons, deux anges, vêtus de robes rouges et aux ailes vert translucide, apparaissent sur le bleu profond du ciel.

La qualité de composition et d’exécution de chaque scène est époustouflante. Chaque visage offre des traits particulièrement soignés et bien définis. Les visages de la Vierge et de l’ange Gabriel dans la scène de l’Annonciation sont très impressionnants par leur beauté et leur grâce. De la même manière, on peut relever les très beaux visages du Grand Prêtre

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et de Joachim dans la première scène où les joues de Joachim sont légèrement rehaussées d’émail rouge.

Stylistiquement, les compositions des scènes et le style des figures se rattachent parfaitement à l’art français aux alentours de 1500. Cet aspect constitue un point assez exceptionnel dans la mesure où la grande époque de l’émaillerie translucide sur or ou argent de basse-taille se situe plutôt au xive siècle et jusqu’aux alentours de 1400-1425, au plus tard.

Parmi les très rares exemples d’émailleries translucides réalisées aux alentours de 1500, on peut citer les deux petites plaques en or émaillé conservées à la Wallace Collection à Londres qui proviennent de la collection Debruge-Duménil2 . Ces deux plaques, également émaillées sur les deux faces, ont fait l’objet d’un remaniement important et sont aujourd’hui présentées côte à côte dans une monture du xix e siècle. Leur étude technique réalisée il y a quelques années, au-delà de la confirmation de la datation, a permis de révéler qu’elles ont toutes deux été recoupées dans la partie supérieure qui apparaît désormais cintrée, et probablement aussi sur, au moins, l’un des côtés3 . Les dimensions de ces deux fragments pourraient permettre d’envisager une origine commune avec les trois plaques décrites ici4 .

Les deux plaques de la Wallace Collection montrent, pour l’une, Charlemagne et au revers Anne de France présentée par sainte Anne, et, pour l’autre, Saint Louis avec au revers Pierre II de Bourbon présenté par saint Pierre. On retrouve sur l’ensemble des plaques la même gamme chromatique composée de bleu, de bleu-gris, de gris, de rouge, de jaune ambré, de blanc et de vert. Seul le brun apparaît en plus sur nos plaques tandis que le noir, très présent sur les plaques de Londres, n’apparaît ici que sur le phylactère de l’ange de l’Annonciation. Le style des visages ainsi que le traitement des drapés sont également très proches. On peut aussi relever la présence du même type d’ornementation pour figurer les étoffes précieuses, émaillées de blanc sur les plaques de Londres, et de vert ou de bleu sur nos plaques. Un autre détail particulier que nous retrouvons sur l’ensemble des plaques se situe au niveau du rendu de l’herbe au sol. Celle-ci est précédée par une sorte de bande plus foncée, comme si l’émailleur voulait représenter un plan de coupe du sol. Ce détail se retrouve sous les figures de Charlemagne et de Saint Louis sur les plaques de la Wallace Collection et dans les scènes de la Rencontre à la Porte dorée et de la Nativité.

L’iconographie des plaques de la Wallace Collection semble parfaitement s’accorder avec l’iconographie mise en œuvre sur la série des trois plaques présentées ici, et l’ensemble s’inscrit parfaitement dans le milieu de la cour des Bourbons des années 1490.

Les deux plaques de la Wallace Collection ont depuis longtemps été identifiées comme figurant Anne et Pierre II de Bourbon et, au revers, Charlemagne et Saint Louis5 . Ce choix iconographique montre qu’Anne se fait représenter en tant qu’Anne de France, fille de Louis XI6 , Charlemagne étant ici inclus comme saint patron de la monarchie française. Saint Louis était lui honoré par les Bourbons comme le fondateur de leur dynastie7

L’association des figures de Charlemagne et de Saint Louis au couple d’Anne et de Pierre II de Bourbon n’est pas unique. On la retrouve dans un

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Anne de France présentée par sainte Anne et Pierre II de Bourbon présenté par saint Pierre ; Charlemagne et Saint Louis , Paris ou Moulins, vers 1498-1500. Londres, Wallace Collection.

retable peint par le peintre le plus important de la cour de Moulins, Jean Hey, dans les années 1490. Deux panneaux de ce retable nous sont parvenus : la Rencontre de saint Joachim et de sainte Anne à la Porte dorée, conservée à la National Gallery de Londres, et l’Annonciation , conservée à l’Art Institute de Chicago 8

Les études récentes de ces deux panneaux, notamment réalisées par Martha Wolff, ont révélé que le panneau de l’Annonciation devait montrer originellement, à droite de la scène, une figure de Saint Louis faisant pendant à celle de Charlemagne présente sur le panneau de Londres9. La partie centrale du retable aujourd’hui manquante pouvait représenter la Vierge à l’Enfant sur un trône, l’Éducation de la Vierge par sainte Anne, ou sainte Anne trinitaire10 . Ainsi, ce retable, vraisemblablement commandé par Anne et Pierre II de Bourbon à Jean Hey dans les années 1490-1495, présente une cohérence iconographique évidente avec la réunion des plaques de la Wallace Collection et de nos trois plaques.

Le rapport entre ces plaques émaillées et l’œuvre de Jean Hey est par ailleurs frappant au niveau du style des figures et des compositions. Il l’est encore plus si l’on rapproche les représentations d’Anne et de Pierre II de Bourbon sur les plaques de Londres et celles visibles sur les panneaux latéraux du triptyque de Moulins , réalisé par Jean Hey probablement vers 1498. Les représentations des figures y sont extrêmement similaires et permettent par conséquent de proposer de dater l’ensemble de ces plaques en or émaillé également vers 1498-1500.

Jean Hey, La Rencontre de saint Joachim et de sainte Anne à la Porte dorée, 1490-1495. Londres, The National Gallery.

Jean Hey, L’Annonciation , 1490-1495. Chicago, The Art Institute of Chicago.

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Jusqu’à présent les deux plaques de la Wallace Collection passaient pour être probablement les volets d’un petit triptyque11 . La découverte de ces trois feuillets, de dimensions comparables, et la possibilité que l’ensemble provienne d’un même objet invitent à reconsidérer cette hypothèse. En effet, seul un livre d’or, constitué des plaques de la Wallace Collection en guise de reliure et de nos trois plaques, auxquelles il faut ajouter celle manquante, pour former les pages, permettrait de justifier l’organisation des différentes scènes et leur succession.

Les plaques de la Wallace Collection, aujourd’hui fortement remaniées, pourraient avoir constitué la couverture de ce livre joyau mesurant moins de 5 centimètres. Le plat supérieur de ce livre d’or montrait ainsi la figure en pied de Saint Louis. En ouvrant celui-ci, la figure de Pierre II de Bourbon présenté par saint Pierre figurait en regard de la scène de l’Offrande refusée de Joachim, scène qui apparaît, contrairement aux suivantes, en pleine page. La double page suivante devait se composer de la scène de la Rencontre d’Anne et de Joachim à la Porte dorée vraisemblablement en

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Jean Hey, triptyque : La Vierge en gloire entourée d’anges , vers 1498-1500. Moulins, cathédrale Notre-Dame. Essai de reconstitution du déroulé du livre d’or.
L’Éducation
La Présentation de la Vierge au Temple (?) de la Vierge par sainte Anne (?)

vis-à-vis d’une scène de la Présentation de la Vierge au Temple qui devait figurer sur la plaque aujourd’hui manquante. Au revers de celle-ci, une Éducation de la Vierge par sainte Anne pouvait faire face à la scène de l’Annonciation qui est présente sur la deuxième de nos plaques. Viennent ensuite, face à face, les scènes de la Nativité et de l’Adoration des Mages dont les compositions semblent bien avoir été conçues pour être mises en regard. Enfin, le livre s’achevait sur la représentation du Couronnement de la Vierge, à nouveau en pleine page, face à Anne de France en prière présentée par sainte Anne. Le livre une fois refermé montrait, au dos, la figure de Charlemagne.

Si nous retenons cette hypothèse, ce livre joyau peut être considéré comme l’une des réalisations d’orfèvrerie les plus raffinées et les plus complexes, commanditées par Anne de France durant la période ducale.

Aucun autre exemple de petit livre réalisé entièrement en or et émail translucide émaillé ne nous est parvenu. Néanmoins, le petit livre en argent doré, nielle et émail, daté de la seconde moitié du xve siècle et conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne12 , constitue une comparaison intéressante et démontre l’existence de ce type de livre miniature en orfèvrerie. L’objet se compose de deux pages recto-verso composant la reliure du livre et de trois pages intérieures. On peut constater que les pages qui constituent la reliure de ce livre miniature sont un peu plus grandes que les pages intérieures. Ceci peut nous laisser penser que les plaques conservées à la Wallace Collection, aujourd’hui recoupées, étaient peut-être également légèrement plus grandes que les trois feuillets présentés ici.

Anne de France a été perçue par ses contemporains comme une véritable souveraine. Fille de Louis XI, elle épouse Pierre de Beaujeu en 1473. Devenue Anne de Beaujeu, avant de devenir Anne de Bourbon quand son mari hérite du duché de Bourbon en 1488, elle va assurer par deux fois la régence du royaume. Une première fois lors de la minorité de son frère, le futur Charles VIII, de 1483 à 1491, et une seconde fois lors de l’absence du roi, pendant la première guerre d’Italie en 1494-1495. Ni avant elle ni après elle, aucune sœur de roi n’accéda aux responsabilités qui furent les siennes. Son intelligence fit merveille lors des premières années du règne de Charles VIII, notamment aux États généraux de 148413 . Anne de France marque également son époque par son rôle reconnu d’éducatrice des jeunes princes et princesses, parmi lesquels figurent bien sûr son

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Livre d’orfèvrerie : scènes de la Passion, France, seconde moitié du xve siècle. Argent doré, nielle et émail (H. 3,9 cm). Vienne, Kunsthistorisches Museum.

frère Charles VIII mais aussi Louise de Savoie et Diane de Poitiers. Dotée d’une grande capacité politique et d’une véritable finesse diplomatique, elle inaugure un mode de gouvernement au féminin inédit et va être la première d’une série de femmes de pouvoir qui porteront, dès Louise de Savoie, le titre de régente14 . Comme nous l’avons dit précédemment, toute l’iconographie de ce livre d’or correspond parfaitement au milieu de la cour d’Anne et de Pierre II de Bourbon à Moulins. Les commanditaires de l’œuvre sont ici incontestablement à la source de l’iconographie. Les scènes des premières pages illustrant le cycle d’Anne et de Joachim prennent d’ailleurs au regard de ces commanditaires un sens très particulier. Outre la dévotion d’Anne de France pour sainte Anne, son histoire personnelle a pu également être signifiante. À l’époque de la réalisation probable de l’œuvre, vers 1498-1500, le couple des Bourbons n’a plus qu’une fille unique, née après presque vingt ans de mariage, Suzanne, qui est alors la seule héritière du duché de Bourbon. Par ailleurs, ce cycle se rapporte au thème de l’Immaculée Conception, qui était l’objet d’une dévotion déjà toute particulière de la part des Bourbons15 . Enfin, la présence des deux époux avec leurs saints patrons, Charlemagne et Saint Louis, achève d’inscrire l’œuvre dans une sorte de programme visant à la glorification symbolique d’Anne de France et de Pierre II de Bourbon.

Le caractère de joyau d’un tel objet correspond en outre à ce que nous connaissons du goût d’Anne de France16 . Sur ces deux portraits réalisés par Jean Hey – celui figurant sur le volet gauche du triptyque de Moulins et celui conservé au musée du Louvre17 –, elle arbore de somptueux bijoux alliant perles et rubis montés en or. Elle est la seule dans les portraits peints par Jean Hey à bénéficier d’une telle opulence.

La reconstitution de ce petit livre d’or n’est d’ailleurs sans doute pas l’unique vestige de ce goût particulier d’Anne de France pour les objets précieux. Le Cleveland Museum of Art conserve un exceptionnel triptyque dont le centre est composé d’un camée du xiiie siècle, encadré par des volets d’émail translucide sur or de basse-taille illustrant des scènes de la Vie de la Vierge et dont le dos est pareillement composé d’une plaque émaillée sur or montrant une Éducation de la Vierge par sainte Anne18

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Triptyque : scènes de la Vie de la Vierge, émail translucide sur or de basse-taille, Paris ou Moulins, vers 1495-1500. À l’intérieur, camé en onyx, La Nativité, Italie, xiii e siècle. Camé en onyx. Cleveland, The Cleveland Museum of Art.

Les émaux ont été, un temps, considérés comme issus de la période du gothique international avant d’être reconnus comme datant de la dernière décennie du xve siècle. Bill Wixom rapproche le premier ce triptyque des deux plaques de la Wallace Collection19. Si des comparaisons avaient déjà été faites entre la plaque du dos et l’œuvre de Jean Bourdichon20 , Bill Wixom établit également des parallèles pour les figures des prophètes et les scènes de la Vie de la Vierge avec les œuvres du Maître de Moulins, c’est-à-dire Jean Hey21 . Martha Wolff considère à sa suite que le triptyque de Cleveland et les plaques de la Wallace Collection pourraient émaner d’un même milieu de commanditaires22

La redécouverte de ces trois exceptionnels feuillets d’un livre en or destiné à Anne de France vient confirmer que la cour de Moulins sous sa gouvernance, au tournant du siècle, semble bien avoir remis au goût du jour cette technique de l’émail translucide sur or et les réalisations d’objets de dévotion privée extrêmement raffinés et luxueux.

1. Sous chaque scène, une inscription et un numéro sont gravés. Sous certaines scènes, par exemple la première et la dernière, le titre n’est plus lisible, mais on devine encore le numéro en chiffre romain.

2. Cf. L aBarte, 1847, n o 686, p. 583. Wallace Collection (W.34).

3. Cf. M eek , H ood et Warren , 2013, p. 185-187.

4. Les plaques sont publiées comme mesurant 4,5 centimètres de hauteur et 3,7 centimètres de largeur, mais il semble que la hauteur exacte se situe plutôt entre 4,2 et 4,3 centimètres. Pour nos plaques, la présence des encadrements d’argent doré rend impossible une mesure très précise, mais celle-ci est de toute évidence inférieure à 4,5 centimètres.

5. Déjà dans le catalogue de la collection Debruge-Duménil, les quatre figures sont parfaitement identifiées, une simple erreur de prénom apparaît puisque le catalogue mentionne Jeanne de France comme fille de Louis XI, cf. L aBarte, 1847, p. 583.

6. Visiblement Anne de Bourbon ne signait jamais de son nom d’épouse et mettait clairement en avant sa filiation royale en signant Anne de France, cf. CréPin -LeB lond et Chatenet, 2014, p. 16 ; p. 209 et p. 211, fig. 1.

7. Les ducs de Bourbon descendent du mariage en 1276 d’Agnès de Bourbon et de Robert de Clermont, le plus jeune fils de Saint Louis qui régna comme Louis IX de France.

8. Londres, The National Gallery, NG 4092 ; Chicago, The Art Institute of Chicago, Mr. & Mrs. Martin A. Ryerson Collection, 1933.1062.

9. Cf. WolFF, 2008, p. 15-23 ; B resC-Bautier, CréPin -LeB lond, TaB uret-D elahaye et WolFF, 2010, n o 67, p. 166-167 ; WolFF, 2011, n o 59, p. 128-129 ; WolFF, 2014, p. 133-144.

10. Albert Châtelet avait envisagé que la partie centrale pouvait représenter l’Assomption de la Vierge, mais, comme le souligne Martha Wolff, la présence d’un trône et celle du jardin clos suggèrent un sujet plus terrestre, cf. WolFF, 2014, p. 135.

11. Ibidem, p. 141.

12. H. 3,9 cm ; L. 3,3 cm. Kunsthistorisches Museum Wien, Kunstkammer (Inv. KK 9023).

13. Cf. DaVid -ChaPy, 2014, p. 30-31.

14. Ibidem, p. 27-36.

15. Voir notamment Feydy, 1938, p. 111-118 ; Châtelet, 2001, p. 69-72 ; WolFF, 2014, p. 135.

16. Cf. CréPin -LeB lond et Chatenet, 2014, p. 23 et p. 214.

17. Musée du Louvre (Inv. RF 535) ; cf. B resC-B autier, CréPin -LeB lond

TaB uret-D elahaye et WolFF, 2010, n o 69a, p. 170-172.

18. The Cleveland Museum of Art (1947.508), cf. Wixom , 1967, VII 15, p. 322-323, p. 385.

19. Ibidem

20. Voir le panneau central du triptyque de la Vierge à l’Enfant par Jean Bourdichon, Naples, Museo di Capodimonte, en dépôt à la chartreuse de San Martino, cf. B resC-B autier, CréPin -LeB lond, TaB uret-D elahaye et WolFF, 2010, p. 129, fig. 45.

21. Cf. Sterlin G , 1968, p. 26-33 ; Reynaud, 1968, p. 34-37.

22. Cf. WolFF, 2014, p. 141.

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REMERCIEMENTS

Guillaume Benoit, Isabelle Chemin, Frank Dabell, Hugues Dubois, Claire Ledoux, Sabrina Morel, Fabienne Texier-Pinson, Édouard Vatinel.

Tous droits réservés © BRIMO DE LAROUSSILHE, 2023

Crédits photographiques : Photos © Hugues Dubois, Bruxelles, Paris

À l’exception de :

p. 13 et 128 : Photo © Creative Commons License, The Cleveland Museum of Art.

p. 17, 21, 63 et 112 : Photo ©The Trustees of the British Museum.

p. 20, 29, 79 et 101 : Photo © The Walters Art Museum, Baltimore. Photo ©MRAH,Bruxelles.

p. 27, 29, 91, 96 et 111 : Photo © Creative Commons License, The Metropolitan Museum, New York.

p. 35 : Photo © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Jean-Gilles Berizzi.

p. 40 : Photo © Musée national suisse, Inv. LM-70547, DIG-7411.

p. 48 : Photo ©The Swedish National Heritage Board.

p. 63 et 112 : Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet.

p. 79 : Photo © Jaubert French Collection / Alamy Banque D’Images.

p. 80 : Photo © Musée-Métropole-Rouen-Normandie / Clichés Yohann Deslandes.

p. 94 : Photo © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Thierry Ollivier.

p. 96 : Photo © Creative Commons License, Nationalmuseet, Copenhague.

p. 98 : Photo © The State Hermitage Museum. Photo by Svetlana Suetova, Konstantin Sinyavsky, Saint Petersbourg.

p. 103 : Photo © RMN (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola.

p. 109, 111, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 126 et 127 : Photo © Guillaume Benoit, Paris.

p. 110 : Photo © Victoria and Albert Museum, London / Photo © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado ; Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz.

p. 111 : Photo ©Bibliothèque nationale de France.

p. 112 : Photo © Rijksmuseum, Amsterdam.

p. 114 : Photo ©The British Library Board / Leemage, Londres-Paris.

p. 115 : Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz.

p. 124, 126 et 127 : Photo © Wallace Collection, London, UK / Bridgeman Images.

p. 125 : Photo © The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department.

Conception graphique : Isabelle Chemin - isabellechemin.com

Imprimé en Belgique par Cassochrome, 2023

ISBN : 978-2-9555925-4-0

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