D'aujourd'hui : 15 poètes camerounais

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D’aujourd’hui 15 poètes camerounais

Recueil subjectif concocté par Bruno Essard-Budail avec la complicité de Fernando d’Alméida et d’Anne Cillon Perri

© Edition du CCF Baise Cendrars de Douala/Cameroun et éditions Les cahiers de l’estuaire BP 01 Douala/Cameroun

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Sommaire Note infra paginale

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Fernando d’Almeida

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Edimomèné bonanyaka

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Angéline Solange Bonono

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Anne Cillon Perri

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Marie-Claire Dati

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Kolyang Dina Taïwé

101

Valère Epée

112

Fernand Nathan Evina

133

Joseph Fumtim

155

Gabriel Haïpam

165

Edouard Kimgué

175

Lionel Manga

187

Dili Palaï

199

Vicky Simeu

208

Hervé Yamguen

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Extraduction

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Merci à Koko Komégné Pour son œuvre reproduite en couverture Merci à Cyrille Buffet pour la conception de l’ouvrage.

Le livre en version papier est en vente auprès des éditeurs, au Cameroun

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Note infra-paginale Riches et foisonnantes de thématiques diverses relevant de la réalité complexe, mouvante, les œuvres ici produites offrent la densité d’une vie naturellement plurielle. Enrobées par un imaginaire multiforme, ces poésies sont un florilège d’instants saisis, de miroitements discontinus d’une vie que scandent les délires, les névroses, les espoirs de leurs auteurs, rompus à l’exercice solitaire du poème. A la vérité, l’ensemble que voici n’a guère été conçu pour agglomérer les mimiques ou les voix gutturales de tous les poètes camerounais. Nous avons été conduit à dessiner les traits d’une préférence, à trier au sein de la multitude en laissant à la fourrière, d’autres textes qui ne manquent pourtant pas d’intérêt. Nous ne donnons qu’un relevé de ce qui s’écrit dans le domaine de la poésie camerounaise d’expression française. Des voix singulières s’imposent dans le cliquetis des images hardies. Par leurs sténographies de la réalité, les poètes camerounais prêtent leurs oreilles aux grammaires identitaires, anthropologiques qui soulèvent leur existence méditante. Ce sont des écrivains toujours capables de rentrer dans le répertoire oral tout en s’ancrant dans la modernité bavarde. Ils sont prompts à fédérer l’antan et l’anthume en faisant rentrer l’œuvre produite sous la loi du merveilleux, en participant à l’écriture du monde. L’intention éloquente de cet échantillonnage : dire l’essentiel de l’universel en faisant jouer une subversivité à l’intérieur de thèmes se succédant, alternant ou se superposant. Saisies abruptes de soi et de l’entour, ces paroles écrites que nous mettons en grappes imposent l’insolite, l’inattendu. Elles sont belles parce qu’elles permettent à chaque lecteur de piocher au hasard des pages à la découverte d’œuvres fortes. En ce lieu syllabique où s’écrit/s’écrie la poésie camerounaise de l’heure, nous apprenons à la lire, par le biais de paroles généreuses. Les poètes rassemblés dans cette livraison, disent l’inexprimable tension de l’existence. Travaillant en eux-mêmes pour mieux s’approcher du monde qui les entretient de ses propres malentendus et discordances, ces poètes rendent pleinement justice à la logique de l’illogique qui fonde toute poésie authentique.

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Poésies audacieuses en transit vers l’imaginaire réalisé, ces œuvres donnent accès à des déchirements existentiels. Se vouant à une sorte de subjectivité collective, elles embraient sur la complexité de notre immédiateté. Naissant d’un lieu multiple où se constitue la lucidité de l’absurde, D’aujourd’hui lexicalise la réalité et jette par le bastingage, toute approche que norme l’appris. Saignant de l’absurdité du quotidien, ces paroles fictionnelles font rouler jusqu’à nous des pépites de vies stylisées, dévergondées rêvées. D’aujourd’hui disloque les mots-signes de quinze logophores (porteurs de parole) camerounais levant le lyrisme aussi bien vers l’intelligence que vers la sensibilité. Avec ou sans guillemets, des emprunts sont opérés comme nécessaires, indispensables à l’œuvre en train de se faire. La surdétermination des voix, le refus constant de tout durcissement formel, prouvent à souhait que quelque chose s’inédite de ce côté du littoral camerounais pour le triomphe de la beauté convulsive (André Breton). Il y a lieu d’affirmer, une fois pour toutes, qu’à partir des totalisations que distillent le rêve et la réalité, la poésie camerounaise, s’efforce de prendre demeure en elle-même, dans la réconciliation de l’anodin et du transcendant créatif. Une écriture d’écartèlement certes, mais généreuse afin de permettre à ces poètes de franchir la ligne qui les sépare du vaste monde. Un dernier mot discret sur l’opération : Elle s’est voulue d’emblée en rupture avec le conformisme ambiant. Nos choix, pleinement assumés, montrent l’urgence de publier des poètes qui disent la vie dans ses horreurs et ses espoirs et sont pleinement inscrits dans notre démarche éditoriale. A un de ces jours, donc ! Par Fernando d’ALMEIDA (Université de Douala) Douala, Cité de Bonamoussadi (La Roseraie du Goyavier) Deux Avril Deux mille sept

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Fernando d’Alméida A l’extrême du même

Pour Nadia Derrar et Bruno Essard-Budail cette poésie écrite pour redonner splendeur à l’être de l’étant

Le matin paraît vain Lorsque la vie préside Au reflet du jour sur la nuit À chaque épiphanie du rien Le verbe répond au chaos Le rêve déblaie le réel Tandis que glapit À l’oued du langage Le Temps aux longs cils 7


(Tourné vers le sahel Le jour labialise sans fin) L’instant s’étrange fragile Et salue l’illogique Après l’expiation du vent Qui remonte vers l’ouest Sous les défroques des syllabes 8


Le soir bégaie Aux fouilles des mots Qui mènent au gai savoir Où s’échine l’étrange La durée concasse l’être Aux agglomérations du jour Sous l’étreinte des collines L’être élucide l’ineffable Du côté écervelé de l’éternité 9


(Ici où les jours courent vers La réconciliation des contraires La pensée se pose sur l’if Et met un tarif sur ce qui À jamais nous dénude) Il te faudra un jour Tenir en laisse l’équivoque Et passer à l’encre ta vie Prenant mesure de l’implicite À chaque résonance des choses Que fait déraper Toute langue dans l’imaginaire taillée 10


Nous posons notre rage d’être Sur l’omoplate des comètes Aux fastes des déraisons La merveille renaît enfin Le néant sent le bois frais Lorsque paraît vain le matin L’écriture consent À l’aride sillon du langage Nous défaisons les choses À cet endroit presque érodé Qui cherche à nous rétablir Dans la joie hargneuse Quand le langage en escapade Parvient aux rades du numineux 11


La vie contient l’être Aux troncs des arbres Tout au plus on devra dire Que la vie arrive à peine À mettre en gerbes les signes Qui toujours Disent autre chose En contre-jour des miroirs (Il ne s’est pas agi De mettre fin à l’absolu Mais de comprendre l’absurde Qui d’un bruit sec referme Les battants du Temps) 12


(Incisés dans le signifiant Les mots font proliférer La pensée Qui du rien provient) Des débris d’énoncés Déblaient la réalité Que résorbent les mots Qui pour nous refont La genèse des matins salants 13


Enchevêtrée d’absolus La pensée mène à l’être Qui du jour relève Désormais tortueux le vent S’inscrit dans la brisure Et par les sentiers rejoint La pensée extrême 14


(Le gris du jour s’agrippe À l’objet et pendant que Nous plaidons en faveur De la vie la mort Nous déleste du comment vivre) Le quai de l’être s’observe À partir de la vie Qui se lézarde lorsque Nous prenons au soleil Ce qui nous fait défaut 15


Palmée (autrement dit En guenilles) la réalité Parcourt tout ce qui Tourne à l’envers Dans les flaques de mots Pas un jour sans rêver Au clitoris de l’éclaircie Que plagie le langage Aux réverbères des bers 16


La vie en croix File vers la détresse Elle s’affaisse dans l’ornière Qui soutient le ciel La mélodie des rafales Flotte au flanc du jour Qui passe en ronflant (Plus bas que l’arc-en-ciel L’essentiel régit nos énigmes) 17


Lorsque le sahel rentre Dans la ville enneigée L’équivoque se maintient Dans l’écriture et donne Quitus à ce qui s’éloigne D’un bout à l’autre du matin Le Temps Nous parle dans le malentendu Ainsi prend forme l’ornière Qu’il faut Par le détour atteindre

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(Pour saisir l’impossible Nous retournons À l’oblicité du rien Quand fulmine le langage Qui s’invente sans une cesse Pour dire Le mal-dingue de l’existence) 19


La pensée suzeraine Donne créance à l’illogique Quand s’alite l’infini En vue du rien S’opacifie tout lieu Ecchymosé le réel Fait apparaître Les croûtes de l’imaginaire Sous l’averse de l’être 20


(Des bris de lumière Pour quelle fixité des choses) L’horizon s’engouffre Dans le haut-mal Le ciel passe sous silence La parole sans pensée Nous sommes pressés De rejoindre l’indispensable Quand s’écrie la vie Qui conduit À la morphologie des stases 21


Disons autrement : Tout est métastase quand Bruit autour de nous L’éternité ouverte sur la cendre Lorsque gongonne le jour La pensée tourne la meule Des choses sur le vif prises Quand le langage Nous circonscrit à l’intérieur D’une vie riveraine de l’anodin Disons ce qui hante l’être Chaque fois que se dérobe La réalité que nous profanons Assis à l’avant d’un langage Qui ne cesse d’advenir Des lieux ruinant tout code

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Aux moisissures des syllabes Vont les dogmes Qui percent la gale du jour Lorsque la vie Nous retient dans sa gangue Quel lieu vérace Pour quel langage vorace ? (Accordé aux pensers bâtis À la pointe de l’hivernage Le village – au vieil âge Des mythologies-traîne l’être Vers la vie Qui rit de toutes ses dents) Dents d’albâtre dit-on Pour nidifier dans le cliché Et ramener à soi La pelote défaite des mots hongres

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Tout est simplicité contondante Quand nous subvertit L’andante des choses (Lorsque s’incurve le ciel Aux croisements des astres L’écriture ravive le mystère Et met en pièces l’ordinaire Dédié aux névroses des mangliers) Tout est pensée rapatriante Qu’éperonne l’ambivalence En ce lieu analogique Où s’orchestre la merveille À hauteur des paysages vécus Tout est diffraction quand La lumière s’adosse à la ténèbre Douala (Cité de Bonamoussadi ) La Roseraie du Goyavier Février Deux mille sept

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Edimomènè Bonanyaka Ville morte Comme exhumé Enrubanné enrhumé en falbalas en oripeaux Le jour Comme un enclos en érosion en dérision éructent couleurs faisandées purulences pestilences ô paysages affamés de volupté contrariée années années bourrées d’accents circonflexes Le sel à la tignasse granulée agraferait-il encor la langue aux déclamations soutenues napalm vermine mines dans les yeux pâles enchâssées d’arabesques le piment écrase la poitrine dans ses basques le trottoir comme un dimanche exigeant de la soutane de ses lèpres empale charognes charabia suinte de vomissures de moisissures

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comment mesure garder aux pieds du mur de la main tenir l’espace à encenser sur les versants abrupts toutes ces girouettes toutes ces brouettes à portée de raison à portée de poitrine gémissant de solitude généreuse de multitude tant de poèmes à portée de décombres tant de manèges en jachère en retour de souche Camerounitique De retour de l’exil L’existentiel mien en quête en enseigne lumineuse en émeute plurilatérale de grâce fraternelle en travers du Gilbratar là-bas le bateau en partance et dedans la brisure

l’absence

de la gérance des heures dérision à quel enclos malformé me suis-je coincé 26


pour quelle tranchée de heurts de pleurs harassé comment toucher le parvis pascal des tagines des targettes (survivre à l’addition de la mer) prendre possession de la terre pour longtemps sur l’ardoise scarifiée de ma main des jumelles de girafes dressées carafe arabe de Babel en chapelle de souris elles portent l’écume des instants à la grotte des bouches branchées en fauves là-bas les mèches soufrées de la poisse de la soif la grossière chair de l’affliction et tout de même la foudre reptile du don de soi au bar du coin la narcolepsie de mes sourires en comptine en canitie précoce classée claudicante Tam-tam insondable in sondé 27


Birbe O bisbille Le calendrier intérieur en bananes blettes L’asphalte mongolise les images épinglées aux piquets de tourments en linceuls la foi reptile s’effrite Eh du péage ! ces fjords portés avec ivresse veillés avec crocs la cécité des discours pistonnent aussi mon intériorité il est midi à peine midi j’arrive d’une terre d’hommes où les frontières articulées sur des profondeurs insondables chiffrent l’Amour aux ligatures des sables mouvants déglutis les ancêtres veillés toute la nuit ma mère morte entre mes bras un peu d’eau s’il vous plaît un peu d’eau

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d’ici ces sanctuaires où « la parole essentielle » (F. d’Almeida) cigalise le rude métier de bègue les païennes fidélités aux lampadaires fixés de guingois d’ici le quai la kola mémoire à vif entonnoir à pic ta case à rebâtir Ces yeux défoncés Transfusés de pets comme une vallée Sous les flancs comiques De vos fronts subversifs Présagent une démesure apatride De mendiants d’esprit Qu’importe ce sang qui suinte de ma bouche votre quête schismatique de rhétorique fétichiste s’abreuve au cratère fumant des masques des mensonges « zéro mort » dira l’autre Passé la prose incendiaire L’asphalte récite l’épopée des forcenés Sous les hauteurs exsangues des verbes Les égouts s’épurent des fleurs défraîchies 29


La bêtise à la deuxième personne du singulier Incandescente comme un prêt à danser Avec ses rondeurs de papaye mûre Regarde Nos talismans s’abîmer à force de courbatures À force de colère Sur les miroirs Les perchoirs Sur les réservoirs Les entonnoirs De nos pouvoirs rachitiques Regarde s’en aller le vent S’en aller les chimères et leurs ampères Regarde comme un cours d’eau roule L’humaine condition Partout Des pans de la longue robe de la mer à retrousser Des cerfs volants Et ces étincelles qui n’arriveront jamais à bon port S’il n’y avait pas de lacunes Dans nos yeux Qui serait… De borne en termitière Moi Gueux migrant par révérence Les poulies de la main laminé au chalumeau De transfusions sanguines chaussé J’ouvre l’œil sur le macadam de l’amertume Les poings fermés 30


Elle dort Elle dort Elle cogne à l’aorte adipeuse des flèches de midi Quel récif héler Qui soit plus maternel plus femelle Après les marais Le mutisme des droits La violence des croix Elle ne viendra plus Ma mouette Ma cruche de lait là-bas Lorsque au galop de l’eczéma La longue robe cadette des hublots M’effarait Elle ne viendra plus Le désert alentour La peur à perte de vue Un fossile oblique du nez D’épaisses ronces égrènent sa quête J’avance J’avance N’y plus penser Pourquoi ces oiseaux dans le sang Pourquoi ces oiseaux sur la peau Des assiettes des dominos L’anathème des hoquets

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Les moustiques lassent la main Un soir de douze Saperde enfouie dans les haillons de l’ivresse Ma main a effeuillé des copeaux En dentelle En rempart Pour arrimer le copal de tes yeux À la part À la rumeur convulsive Des lucioles Tu disais De flottilles vénielles Venir Et moi de la mer floricole Flibustier Ton cri arrimé à l’évidence crocodile des méandres À la dérision des bateaux en partance Offense encore De mon souffrir qu’il me suffise de nommer tes îles recroquevillées près des fontaines d’un soir de douze et ma pomme d’Adam ébranlée et mon désir refoulé Que peut la poubelle À portée des mouches Abîme échoué

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Jusqu’à la prochaine remorque de la lune Jusqu’au prochain agrégat des minéraux Saugrenue La greffe des cavales païennes Vers l’altérité Sans un sévère enclos des bois mythiques Sans l’agape rituelle Pour épiler les frontières Des sourcils Des mercenaires de la luxure L’ardoise de ma main Porte deux girafes comme une carafe arabe De Babel en chapelle de souris Elle porte l’écuelle la plus sensuelle À la grotte des bouches tendues en fauves J’ai touché là-bas Les mèches soufrées de la poisse Mes mains brûlent de créances contenues Un troupeau d’étincelles En sangsue médicinale m’accroche à la margelle des mots mais la luxure du jour l’éclipse annulaire des négociations maculent de larmes mon odyssée de l’horizon déferle mon lignage ligature fiévreuse sur les pistes des interrogations ma vantardise de batifoler sur le basalte du néant 33


adossé au basilique des vertiges à polir et repolir les marchandages Je parle Je parle Pour contenir l’échine poussiéreuse De l’ombre en avance sur l’orgueil d’être D’être du même voyage Que les hirondelles même même s’ils disaient là-bas les hiboux des dominos l’anathème des hoquets les hoquets lassaient la voix Tu disais qu’après le vent d’ouest La crasse des cendres Ceindrait les reins du soleil Ta houe ta lime sous le lit Ta joue tes livres et leurs couleurs en berne La friable stature de nos délires Adossée à la fragile durée J’entends se liguer en pirate Le couteau des verres d’eau Le margouillat des regrets dodeliner de la tête Sous les volutes de rire de la lumière La ville muette bavarde m’étreint M’étreignent 34


lévitations spartiates murs de lamentations écarlates de n’être pas assez debout mais à la renverse folie en joue mais ivre de sortilèges tel le crépuscule en cortège de pustules la terre à même la jambe les vertèbres flambant vieux Veiller la mer est douloureux et longue l’attente des retours en souche après le feu de brousse Le tocsin dans le bec L’épervier vole haut La ville muette – bavarde m’avilit Muette comme un amour en perte de sentier muette comme le jour dépouillé de ses pigeons la main tendue à l’ardoise qui croise ses doigts pour s’affranchir en vain du ragot des enseignes lumineuses Muette Ville Bavarde cavale de sarcasmes rentrés 35


de rancoeurs tissées de plaies plantées hypothèque demain tuent sur la route les sauterelles l’enfant aux trousses des chimères la faim est un versant abrupt étoile morte Morte trois fois avant le chant du coq avec sa cohorte d’épingles à faire chanter la foi en christ à conjurer ma remise en sexe à attendre les autoroutes en zèbre Quelle passion avouerai-je qui ne tapisse déjà dans la prunelle des fruits quelle voyance dont ne se darde déjà les diacres sur le dos de l’église D’autres métaux nous tombent dessus déjà le soleil se fait peur trinquent les casseroles trinquent les aquarelles le pain rompu éparpille ses pièces La pierre est lourde l’entrée de grotte lacérée plus vierge plus brutale que l’amour emmuré dans l’énigme 36


L’aigle vole haut L’érection des yeux veilleuse de immeubles du firmament On dit le pacte chakaien à distance respectueuse de la main à distance paresseuse des images accrochées au mur Tam-tam dont les phalanges du temps n’ont pas battu la mesure à travers fleuves à travers rivières la bière coule à flots là-bas Indépendance voilà notre chœur de chevet Et les vertiges déjà Devant la porte se tiennent des volailles d’étranges cailloux pactisent avec un tourbillon de l’absence ils disent le hoquet tandis qu’au loin une femme brave tempête et anophèles

Des nœuds lacèrent le visage de l’estuaire l’errance lui brûle les doigts de ce que les fables survivent aux couleurs de l’instant elle cherche un parc où reposer ses négritudes dévoyées elle alléchante comme un mythe elle 37


brûlante comme la vérité dans mon cœur elle cette île de servitude entourée faïence les vitrines de ma mémoire illuminée les réminiscences portées avec appétit les masques du ciel le sang bavard de courir après le pain des fièvres elle porte en elle ce jour que je cherche De Maroua Caresse brûlante sur une caisse Éperviers altiers alentour Tours drapées d’arcs-en-ciel O friable durée Fuyante entre les doigts Mais annexée ici Aux grenouilles des griots

Quelle girafe de passage Il suffirait d’un rien Aux pustules acceptées Pour témoigner de l’éternité Aux abois Quand le silence tance les cors Et convois de quelque orgueil 38


De sauterelle Des cases tôlées Comme une pyramide d’Egypte Des gisements de patience Entrevus Où mènent Ces mornes décharnés De quelle chanson sont-ils Le sanglot ennobli Terre d’hommes Repère d’ombres Le vent escorte ici De longues tiges de manioc Partout La longue robe des dunes détroussées En haleine Et le soleil en quête D’une côte arable À décharner à empoussiérer Te dénoncent le fardeau des sébiles d’aveugles Les scissures dans le pain rassis des créances Les fétides exhalaisons aux aguets Te serais-tu prise dans un corsage de détritus Sur les versants abrupts des querelles fratricides Des sacerdoces sans gilet pare Baal Nègre comme le frère aîné d’Hélène Et l’haleine clocharde des crabes Comme si les dérobades refont les fleurs À notre mesure 39


J’arrive en ce lieu où Le soleil des accolades est scarifié Le jour vêtu du drap de la peur Arpente les sentiers du doute Le cœur saigne L’horizon s’enfuit Les balafons uniformes depuis des lustres Et la ville morte Morte Le feu suinte de sa bouche Mère Le sommeil à l’enfant assoupi Arrache sa galette Tu disais les vertus des flaques d’eau Quand les rots de la terre Au grand matin Nous jettent à demi soi en face du cœur L’ouragan des portes closes Que peut la poubelle à portée de fourmis Toutes ces brouettes à longueur de file indienne À longueur de cartons rouges J’ai perdu ma route Par obsession des fraternités Pour faire famille unique Pour faire foule balle J’ai perdu ma route Combien puissamment empoigner la porte pour exister 40


pour emmurer les fourmis en ourdis en escorte sur la porte le vent batifolant devant le rivage des non-dits de veiller une lune trop forte devant la porte de vouloir le Fako image nuptiale parole initiale de marbre où reposer toutes ces fleurs en fraîchies sur le parvis le miel en offrande la lime en partance attendre que traversent les oiseaux du ciel la ville en attente du temps des dinosaures et des eaux incolores le jour s’éveillait les poux s’effrayaient le marteau à portée de bras l’enclume à portée de pas le miel en offrande la lime en partance l’homme le rein vert à la croisée des sentiers la langue ayant conservé la succulence du sel du temps des eaux sans odeur 41


l’amour habite le bosquet des ablutions le pain des paysages de l’ouest pour faire famille nombreuse racines heureuses le tam-tam battant les tempes les flammes un flamboyant à l’envergure immense

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Angeline Solange BONONO. Le sang en détresse

Que la poésie soit avec vous. A Pabé Mongo. Des youyous pétillants de vers magiques Pour sanctifier les noces De l'image et de l'idée Hourra ! Aux amants flamboyants qui festivalent le jardin du cœur. A toi poète, fou, assoiffé d'azur A toi les végétales délices de la fragrance Tonique des robes infroissables des divines lumineuses aussi magnifiques que des Ronsardes. A toi la splendeur des froids aigus et phosphorescences raffinées des sens. Toi le vertige du verbe Yaoundé Cameroun, neuvième colline, Décembre 2002

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Perle Demain Je perlerai la mate acrylique Des jumeaux dans ma croix Je lupanarderai dru car chaque perle doit ensemencer la terre de son âcreté et faire germer un souffle coloré de gaîté nourri de lourds Effluves d'un passé dysphonique.

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Souffle Eh ! Les filles ! Nos onirismes de ranis, Vous en souvenez-vous ? Nous faufilions les entrelacs d’herbes folles Nous étions tendres et pastels Nous étions zestes de fraîcheur. Nous étions évanescences. Nous étions luminaires. Nous voulions être les filles d'Apollon Nous avons naufragé. Aujourd'hui nos cœurs Furonclés, Comme des cabosses d’affreux cacaos, ulcèrent le saumâtre. La terre crapule a cramé Nos arc-en-ciels. Il ne nous reste plus que les fumerolles rictus répulsifs, de La hantise des gerçures des vénus canoniques. 45


Exquis Pour toi ! Je gris-grise. Je croquemitaine. J’incinère. Des cierges à Mamon Des abraxas à Bacchus Des totems à Vénus Des phylactères à tous les Dieux de mon enfer. 46


Madrigal A Fernando d’Améida

Ton verbe sarabande des éclats du Mvet comme des chérubins insouciants et heureux sous une ondée aurifère. Tes cantates fernandotent d’ambroisie les arcanes d’une langoustine de la forêt. Ta Plume de feu et d’acier. calcine mes fanfaronnades.

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Nausée A tous les cons Allégorie dévoratrice L'homme soupe l'homme Putréfactions ! Conneries ! Morves ! Charognes hachées puantes Bravo ! Pour tes infectes et visqueuses homéries, tes déraisons gangrenées, tes dégueulasseries, tes curées, tes conneries, tes ignominies. Bon appétit ! 48


Un serpent qui vous aime Boule de chagrin recroquevillé dans une Couverture curative J’y reste sept jours Pour caraméliser mes nécroses intérieures avec des vapeurs cathartiques Maugréant des logorrhées magiques et purgatives. Mon hibernal se solde par de vaines tentatives d'émergence Le huitième jour… Le neuvième jour... Le centième jour… Ce matin Blues Je bois la fêlure absinthe. Le millième jour, Un serpent noir viendra me pignocher de son venin pariade. 49


Noces d’enfer A l’arsouille qui me crapulera Je serai lémure à la tête d'une armée de lémures. Des morts inquiétants grouillant de rage. Je reviendrai outre-tombe Je reviendrai, Te torrider. Te… Et rien n'apaisera Mes alcools de toi Mes volcaniques étreintes. Rien ! Tu boiras la camarde Et Mon âme coïtera ton cocktail acidulé. 50


Ataraxie A Hervé Jérôme Bonono Je frotterai mon cœur contre un rocher pour que Mes audaces brisent le ressac du typhon et légifèrent le bonheur. 51


Minus habens. Au reptile Des yeux glauques de morve et de sueur. Il a choisi les fadeurs d'une existence ratée il se complait dans les orgueils stupides et s'invente des armoiries. Des abîmes de son moi. Il cherche à s'accrocher à un lambeau de ventricule malade et officiant dans la chair de son cortex taré en flots en ravages et en agonies Sa bouche mythomane s'empêtre Dans les bafouillis cafouilliques de ses néants. 52


Le cénacle

J'ai marché Longtemps Partout Flânerie Dans les nuages Cohue ! Des énoncés. Tableau or et diamant La main sur le robert gauche Des rognures Des décombres de moi Des fragments de vie Des débris de tendresse Des épaves d'amour Des loquettes de tristesse Des lambeaux de cœurs Des misanthropies Des infinis de morts Des riens des vides des absences Des aposiopèses des néants Vacuités humaines" "Cristaux brisées Gueules de maux 53


Cassées de phrases Brisures éternelles Déchiquetés incurables Guérisons divines Je monte l'escalier glissant des Gluances de ma vie Je retombe sur mes hantises et mes répulsions Se dénuder "Badiaga, ta bague" Un dizainier connectait Ave Maria Et Pater Noster. Bout des cirrus univers de pureté. Mot de passe : « Il ne faut tenir son équilibre de personne, ni de rien » « Métonymies rhapsodiques.» Cénacle des scribes de génie : Nerval, Baudelaire, Césaire, Philombe, Brassens, Nelligan, Pabé Mongo Hugo, Villon, Rimbaud, Mongo Béti, Verlaine, Séverin Cécile Abega, Aragon, Prévert, Ferdinand Oyono... Tous. Breton, Beyala, Mveng,Tchicaya U Tamsi, Effa, Sony Labou Tansi, Niangouna… Tous Pas un ne manque Anne Cillon Perry, Fernando d’Almeida, Awono, Dati... Dieu ! A quel Sublime me vouer ? Un toast ! « A la race des Dieux ! des assoiffés d'azur » Des codes de la séduction des muses, donnez-m’en, Saints scribes. 54


Pepita Il est temps de suspendre ! Le sang en détresse, je m’en irai Etriller le pavé de mes veines. L’amour aux tripes Je nostalgiquerai notre belle aventure Et mon âme dira la romance du vent Je ruminerai la sémillance De la saveur afritude D’une négresse de lait Pépita ! Flamboyance d’une pépite d’or Je garderai de mes errances Le fiévreux ressac des rires de vie. Grand-Bassam, Côte d’Ivoire, Juin 2005. 55


Matines A Anne Cillon Perry Là-bas, à l’horizon, Je vois émerger Une félicité. Là-bas sur la colline de Jouvence. L’assoumière. Le poète bouffe la vie, dans une explosion en magnifiques phrasées nèantisantes du poèmeprétexte. Le poème-objet se trame joliment. Marie-Claire, la pâquerette de Picco bourgeonne dans l’exubérance d’une explosion langoureuse. Là-bas A l’horizon, Une papilionacée d’humains s’azure.

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Sucrance A José Pliya L’air se gonfle de la fragrance des rires voluptueux des saccharum Nanas Benz. Le goût crypté des Vénus d’ébène Aux fesses poétiques doucifiant les motos vrombissantes des rues de Cotonou Le temps s’arrête sur une onctueuse poupée Ashanti café offrant aux gourmets sa pulpeuse plastique Sublime rêve corossol. Cotonou, Août 2004

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Anne Cillon Perri L’adieu aux lucioles

A cette heure de la nuit A cette heure de la nuit La lune a dans le regard Un Sempiternel Souvenir Quelque chose de nostalgique Qui rappelle les trésors pélagiques Qu’en réponse à nos disettes Nous avons mangé en silence Comme une salade de raiponce Le ciel fantasme sur la magie des étoiles À L’orée D’une Nébulosité Qu’alourdit L’inexploré La lune approuve l’essoufflement des songes Pour 58


Chaque Vrai Don De Soi Les diaprures de son dos Racontent le soleil Et toutes les merveilles hauturières A cette heure de la nuit Ma Bourgeoise Comme Un Ange S’oublie A L’induction Sacrificielle Du Lieu Et répète sans le dire clairement La vulgate hystérique de la prochaine sieste La lune colporte l’anecdote des désirs Et Le Délire Qui Foisonne À l’endroit précis où frissonne le rêve Un silence peuplé Répète L’impatience 59


Limpide D’une Nuit Où survit l’évidence de la déchirure Dans la paix incommencée Des alpages du sommeil L’essor rose de la grive se rive Sur la liesse des prochaines vacances Et l’immense brièveté d’une ébriété Assumée à sa juste proportion La maisonnée moissonnée Parmi les songes les plus échevelés Sursaute soudain Et jette une jatte d’espoir en ville Comme Un Printemps Ambulant A cette heure de la nuit L’inépuisable songe Éponge le devoir de patience Et ronge son frein dans l’herbe Cousue de leurres Un ange équivoque Inscrit son fiasco En marge de la mise en bière Et vaticine un discours obtus Pour conjoindre Trombe et tombe En une même virulence 60


Excessive Telle l’éternelle étincelle du rire Qui toujours éteint celle qui S’est teinte de désespoir L’angoisse Du Sens Surgit au cœur du beau Comme si le monde en avait un La lune étale ses pétales Sur le mirage exsangue de la distance Au soulane d’une vallée Où la broussaille Indique l’instant voué à la chair Tandis qu’à l’ubac Le merveilleux crie à tue-tête Et tous azimuts Pour réveiller le ciel A cette heure de la nuit L’estuaire redit le néant La trogne éphéméride D’une étoile repue d’oubli Etrange manquement Qu’un trou de mémoire A pareille enseigne Lorsque La Fête Franchit Le 61


Seuil Fertile Du Songe Fougueux DOUALA, Boulevard de la liberté, immeuble du CCF, 15 février 2007

Après la pluie à Douala Le ciel a bouclé sa braguette Pour ne pas pisser davantage Mais la ville est couverte De détritus et de flaques nauséeuses Après la pluie à Douala Commence le mauvais temps De la boue noire partout Et les fosses sceptiques qui débordent

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La ville est gorgée d’eau Elle est un bouillon de culture Microbienne Tel un fruit tout talé Le trottoir étale ses pavés Comme une vieille horreur

Douala, le 03 novembre 2006

Nuit en ville La nuit est tombée sur une ville rebelle Les lampadaires s’allument Et offrent leur fraîcheur enfantine Aux camionneurs et cambrioleurs Les filles flânent fièrement dans la rue Il y a plein de conneries à la télé Pour tuer le temps je lis une BD Ma fille feint de lire son cours de philo Elle ferme les yeux de temps en temps Et se voit à la plage avec son amant Maman est couchée depuis longtemps Elle dort les poings serrés avec son époque Les brigands tentent un cambriolage chez Richard J’appelle la police qui tarde à venir C’est cela notre époque Tout le monde est insomniaque Sauf la police

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La nuit est tombée sur une ville rebelle La ville se lève et la nuit reste tombée Il y a des bruits dans la chambre de mon fils Il regarde un film incommode Ma présence le dérange et il change de chaîne Je remonte dans ma chambre et allume la télé Il y a la forêt du Congo qui fout le camp Il y a des OGM dans toutes les assiettes Il y a la terre qui se réchauffe davantage Il y a des essais nucléaires dans un pays d’Asie Il y a des grèves dans l’aviation civile Il y a l’Amérique du sud qui a viré à gauche Il y a un kamikaze qui s’est fait sauter Il y a un coup d’Etat en Afrique noire Il y a des émeutes post-électorales Il y a un garçon qui embrasse un garçon Ils sont tout gais et se tiennent par la main Ma femme se retourne et je change de chaîne Un pays de proie s’acharne sur un Etat pétrolifère Les boys américains massacrent les arabes

L’Assoumière, mercredi 25 novembre 2006

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La mémoire blessée Pour mieux m’arrimer aux merveilles du lieu Une espérance saugrenue M’a antéposé au frontispice du fleuve Comme une rutilante mandragore Maintenant que l’instant nous éloigne Que faut-il retenir de ces belles berges Où nous avons pu nous aimer à loisir Tu m’as appris à aimer la vitesse Dans l’exigence de la solitude à outrance Et parce que nous n’avions plus de temps à tuer C’est nous qui nous tuions dans la turbidité du désir Tu as jailli de l’imposture comme un joli joyau Je me souviendrai longtemps de l’instant Où j’ai organisé ma résurrection comme une fête 65


Jusqu’au débarcadère d’un rêve tyrannique Nous avons exercé l’amour et le métier de plaire Le fleuve s’en souciait si peu que j’en étais médusé Et toi pour me rassurer tu me disais de t’aimer plus vite Comment fais-tu Pour oublier ces moments En fermant tout juste tes beaux yeux Quand seul je revisite à vêpres Le lieu évanescent où le fleuve Nous a construit un gigantesque gîte Moi je pleure en silence comme un môme Suis-je donc assez homme ou trop bête D’aimer à ce point la pluie et les fleurs Seule toi le sais car tu es fleur issue de la pluie

Au jour le jour Au jour le jour Dire la mort avec les mots de la vie Pour guérir de la fêlure d’exister Traverser les ronces du souci En tête de convoi Comme un éclaireur O Dieu de mon cœur Comment cacher ma peine aux oiseaux de passage 66


Et la douleur d’une si longue attente Le fleuve qui coule sous ma fenêtre Passe avec mon Enfance dans la poche Mon enfance volée Au onzième étage d’un immeuble sans ascenseur Puant le pipi et le moisi Ce matin d’airain intervient Avec dans la main un lourd gourdin Pour achever l’homme qui persiste en moi Je regarde le Wouri Dans la transparence des détresses Et la névrose d’un poème lamentable comme l’oubli

Douala, le 12 octobre 2006

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Depuis Que La Vie A Mon Egard Se Permet Tous Les Coups Je me demande Pourquoi les cons sont toujours les mêmes Et les mêmes ceux qui pardonnent L’Assoumière 19 septembre 2006, 23 heures 42

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Improvisation en sol majeur En bute à l’inférence de la zone Les vents jouent sur le silence Un concerto dont rien de concret ne peut se tirer A part la bile noire du triste violon Au vrai La mort n’est plus ce qu’elle était C’est pourquoi la vie se vit A la hâte comme au cinéma La rue transpire Comme un étudiant Qui a oublié sa leçon Et peine à s’en souvenir Elle pisse soudain Comme un libertin Et fonde de grandes espérances Dans l’absinthe et le cannabis Le mois d’août cogne toute sa hargne Sur le tarmac de la joie Et s’amuse à fond Avec les regards distraits Que vient faire le soleil dans ces jeux d’enfant Seul le chagrin le sait Le jour a sommeil ce matin d’été Et pâture dans l’écœurement un fantasme idiot

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Les draps ne diront jamais assez clairement Le souvenir puissant des vertiges vespéraux Ni l’orgasme rapide des appels téléphoniques Ni la joie d’écrire le verbe aimer Les yeux bandés La ville tâtonne dans le silence de la peur Tandis que l’orage exténué éternue d’impatience Et piaffe d‘agacement Dès lors qu’au quai du désir L’alphabet du doute se laisse saisir La vie des femmes se fait plus secrète Et plus mystérieuse Dans la rigole où toussote le torrent Le vent passe sur un condom fleurant les fruits Et la prudence à peine voilée C’est cela la chanson en vogue Sans égards protocolaires Un vent pouilleux passe Au carrefour d’une joie incertaine Pour ne pas déconstruire le logos Mais que vient faire le soleil dans ces jeux d’enfant Dont la virulence émascule l’aurore Pour d’autres hardiesses insoupçonnées Rien ni personne ne le dira sans doute Il convient hélas de se cacher quand même Pour donner concordance A la grammaire de ce jeu Où la tautologie du fiasco n’émeut personne 70


De précipice en précipice se précipite La mémoire aux entrelacs des songes Où les crêpes crépues se croquent Par les seules caroncules des incertitudes Ici le rêve se prend Au lasso des soupçons Inscrits en morse Aux sémaphores des sourires Beau marché de dupes Pour vendre au rabais les trésors de l’enfance Sans songer au merdier des prochaines vacances Sans saveur ni sauveur ni faveur ni ferveur Que vient faire le soleil dans ces jeux d’enfant Ces petits riens où de temps à autre Tant de scolopendres se laissent prendre Au piège des rires comme des idiots Les dieux émouvants des sables mouvants Hourdent à l’envi un monde qui ne ressemble Qu’à eux-mêmes dans la virgule de la paix Une paix injuste tatouée de peurs et rancoeurs Aux thalwegs de la déloyauté Où se camoufle l’amitié malveillante des myriapodes La famille s’éclate se casse et s’efface Comme un objet de peu de valeur

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La mode du divorce où rouit le cœur Parle la langue vernaculaire des égouts Et s’emporte amplement Jusqu’au doux friselis des hautes trahisons Tout juste à côté de l’île du bonheur Un propulseur d’étrave s’abîme Au pertuis étroit de l’amour en dérive Où la paix s’horripile comme un vieux birbe Appendu à la margelle d’un gouffre infini Le monde s’empoussière Comme une vieille vétille Harnachée de peurs Car l’amour est sorti de vogue pour longtemps La fongosité des marchands S’abrite à l’ombelle des progrès techniques Comme un beau et brave giton Peut-on cueillir l’oubli Avec la seule faucille du sexe Et les doux baisers de l’ingratitude Enfouis dans le sol du ressentiment Seuls vous le direz Vous qui savez avec les aigles glatir Et vous donner un cœur de pierre Dans ce monde maffieux

L’Assoumière 19 septembre 2006 23 heures 42

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Whisky sur des glaçons Whisky Sur Des Glaçons L’étonnant Est Que C’est Bon Whisky Sur Des Glaçons Un café à l’hémistiche d’un verre Un peu trop rempli Comme ma vie de vagabond Qui se vide Se remplit Et se vide Et s’emplit Et s’amplifie à l’amplitude des égarements Whisky Sur Des Glaçons Comme Si La Nuit 73


Était Inépuisable Whisky Sur Des Glaçons Ma tête conquise à la fête Comme lorsqu’on a seize ans Et Je Chante En même temps que la contrebasse Et je danse avec les bulles de chant Et je deviens une note de jazz bleue Qui flotte dans les lumières tamisées Où les femmes sont si surprenantes La vie une merveille irremplaçable Et je danse Avec un présent qui indique l’extase Et toutes les choses qui ne chantent Que quand la coupe est pleine Whisky Sur Des Glaçons Je deviens une banquise en plein désert Et toute une coupe de plaisir Irriguée par le soleil du soliste Au gré des vents cuivres et percussions Whisky Sur Des 74


Glaçons La Guitare Basse Me Secoue Les Viscères Comme le grand nègre qui crie au micro Et écrit En rut majeur Le récit de sa galère Whisky Sur Des Glaçons Je me demande la main sur les couilles Comment on peut rendre Avec les bombes et les risques nucléaires Avec la boue des avions de guerre Un si beau monde inhabitable Whisky Sur Des Glaçons 75


C’ Est Si Bon Je pense au temps qu’il fera demain Lorsqu’au feu des marchands de Davos J’irai m’immoler malgré moi Whisky Sur Des Glaçons C’ Est Vraiment Très Bon Je monte les marches du paradis Avec vents et cuivres et une basse très forte Avec une négresse qui chante comme un ange Avec la peur dans le ventre Avec les capotes qui préservent à peine Avec la m o n d i a l i s 76


a t i o n en travers de la gorge Et Bruno Essard-Budail qui n’a plus de cigarette Yaoundé, le 27-avril-2006

Comme la vie Avec un parfum métaphorique Qui n’est que l’allégorie du feu Une salope galope en très courte culotte Le long d’une avenue mal éclairée Elle est la sale coulure D’un monde mercantilisé à outrance Elle va et vient et se met en exergue

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Comme une marchandise à la télé Le titre d’un texte ne ferait pas mieux Elle propose aux dadais de tous acabits Une allégresse virulente et très intense Le corps voyez-vous se marchande aussi Comme la vie comme l’amour Comme du pain comme la paix Yaoundé, le 22-avril-2006

Tu m’as poignardé Tu m’as poignardé Avec la simple alacrité De tes yeux Phosphorescents Et La Lame Est Entrée Si vaguement Que je me demande encore Comment j’ai pu survivre Avec ton regard Léché de subversion

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Tu m’as Je ne sais plus Et ne sais même pas Comment glisser Un point de suspension ici Moi qui depuis toujours Ne ponctue Ni ma vie Ni aucune allégresse Comme Un Quartier Mal Chevillé à la ville J’ai survécu sans rémittence Et tu me voulais plus enjoué Sur la partition de tes dents Et l’espoir qui débutait N’était qu’une erreur Logée dans la caresse de ton regard Paré d’oubli A mesure que s’exclame la virgule des doutes Sur la chatière de mes nuits blanches Je me délecte D’une vague solitude En empruntant la route de la soute Comme un épouvantable voyou Et c’est là C’est précisément là Qu’en faisant chanter le vent sur tes cils de charme Tes cheveux châtains Chuchotent chaque chose 79


Avec un accent qui me met en charpie Ton cœur atroce affûte Ma parole cousue de mots sordides Glanés à la plaine de ma peine Tu foules à la foulée la foule De nos souvenirs Sans savoir où tu vas si vite Et moi aussi je ne sais pas Avec une telle chiée d’embûches La fable si affable de ta langue délectable Exacerbe le malaise Où tu gagnes tous les combats Irriguée du magma De tant d’offenses Ma parole sismique Me venge enfin De ton sale venin C’est pour cela qu’à ta Face Farfelue je Frappe le Feu Fantastique de mes Fétiches Fantoches Comme si j’étais une bête à abattre Tu m’as en faisant la chattemite Criblé comme un pur félin 80


Et tu souhaitais Qu’avec un souvenir pareil Je t’apporte mon cœur Sur un plateau d’ébène Yaoundé, le 27-avril-2006

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Marie-Claire Dati passionement femmement (extraits)

Adieu l’étoile Adieu toi, ton souvenir est-il ma nuit ou mon ami ? Adieu toi, besoin d’amour commué en duel toute une vie Adieu toi, c’était mon cœur, passionnément, jeunement Adieu toi, c’était mon trône, jalousiment, femmement Adieu toi, quand on y croit, les rêves les plus beaux sont la vie Tu m’avais dit qu’on étendrait notre amour en un paradis Mais le temps use les plus beaux serments Ils ne sont plus, les jours des princes charmants Adieu l’étoile solitaire et stoïque De ton éclat rends les nuits magiques De ton éclat rends mes nuits magiques Et la Terre féerique Adieu toi, qu’est-ce que j’avais de plus joli que ta jeunesse ? Adieu toi, nos lunes de miel se sont assoupies dans la presse Adieu l’étoile, tout le ciel te suffit-il ? Toute ma vie et tout mon cœur y sont-ils ? Adieu, l’amour, qu’aurai-je dû être pour te garder ? 82


Une ange t’attend pour t’apprendre à aimer Adieu toi, le mot papa pleuvait sur nous tant de détresse Peut-être que couché là-bas t’auras pour nous de la tendresse ? Souvenirs lucifuges, ce que font tes fils m’étonne Ils embrassent mes rides pour me rendre heureuse Adieu, l’amour des promesses fougueuses Sur papier glacé elles sont douloureuses Adieu l’étoile qui voulait effacer Désordonnément l’ombre jamais oubliée Adieu l’artiste, tu n’as pas fermé ta porte : Tes Amours Fantômes t’ont pris ta Reine Captive ! Adieu l’étoile, j’ai eu mal, femmement J’ai encore plus mal, j’ai mal insensément Mais, moi, c’est pas l’essentiel, regarde droit devant toi Toujours plus loin toujours plus haut devant toi Adieu l’étoile que les pierres deviennent mousse La voix de mon cœur comme à vingt ans te soit douce Comme à vingt ans te soit douce Comme à vingt ans, te soit douce ! Adieu l’amour des vagues douloureuses L’eau et le galet sur la plage s’amusent.

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Rois de coeur Lorsque la confiance s’est brisée mercenaire je suis devenue je t’ai consolé toutes les fois que j’ai pu sans retrouver l’enfant, le doux enfant à qui confier de nouveau mes fardeaux Si j’ai servi à t’aimer comme aucune autre n’a pu ni avant ni après notre histoire Si là-bas tu raconteras que l’amour, et quel amour, fou, total, azur…Même si tu l’as perdu mais au moins que tu l’as eu, vécu, tenu, manié, tordu, ou joué Si là-bas tu ne ressembles pas à quelqu’un qui n’a rien vu que prostitution, mendicité des femmes suspendues à ton pouvoir d’achat et un peu plus loin, la Terre saignant de tous flancs toujours plus trouée au rostre hydrique de l’aigle impérialiste Si tu arrives comme un enfant, que l’amour a fait roi et qui t’es grisé sous ta couronne un peu, un instant et qui as cru comme vous les rois Tu vois bien combien vous êtes que la fidélité d’un peuple est un état qui dure toujours et par lui-même comme si votre gloire ne peut que vous brûler les cerveaux et vous faire mourir tout petits

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Si les soins d’une femme d’amour Si l’aise faite heure, l’aise donnée à vivre Si toute une femme toujours ta femme Enfin, si tu dis là-bas qu’elle t’a aimé, mais alors, comme comme ce n’est qu’après l’amour que tu as compris que c’était de l’amour Ne regrette pas, ne sanglote point, ne te mets pas mal Je suis en fête Parce que j’ai donné Aimé, je le proclame, t’aimé ! Si bien que tu ne rentres pas bredouille De ton voyage sur terre Si bien que tu as touché de cet iris de Dieu Tu as été heureux ! Je suis en fête Tant c’est le bonheur qui compte Et non sa durée Et non s’il est arrivé au début ou à la fin ou au milieu de la vie Tu as connu la la la merveille Je veux être en fête Parce que je sais J’ai aimé Et tu l’emportes C’est le soleil, c’est la chaleur De l’élan de toutes les beautés de mes soins Qui t’accompagnent ! O que je te caressais, et de mes doigts 85


Et de ma voix et de mes yeux A toi, j’ai donné tout ce que j’avais à donner J’ai raclé mes pensées pour voir s’il y avait lieu de donner mieux, plus, pour toi ô que tu as souffert que tu as souffert mais la confiance que je n’avais plus la brûlure qui me transportait de vengeances en poubelles et finalement en regrets en plus rien en attente d’un miracle qui est même arrivé dans le visage que tu as vu les esprits du monde eux-mêmes ont consacré la fourche de nos destins Une joie secrète Que je garde pour toi et moi Te regarde partir Dans le serrement incolore du silence du temps Je ne veux pas, pas, entendre le frou-frou du vent dans ces arbres mes yeux, je fixe la fête il faut, la fête me voici toute et… J’ai déposé entre tes mains Ne regarde plus ce que tu en as fait Tu le sais, c’est bien, tu le reconnais J’ai déposé entre tes mains Toute ma pompe de vie Sans en garder un peu pour les jours sans Sans savoir, sans soupçonner, entre toi et moi, un jour sans 86


C’était trop beau Si après notre histoire tu es allé de désert à rage à chien Comme la bousillée dans mon cœur Emportée, suffocant agonisant par l’intolérable morsure de ton injure, paria Si tu as vu, m’as vue gouvernée par les spasmes douloureux de l’expiration saignée d’amour Si tu sais Je veux bien te dire merci Pour la hauteur d’où j’ai chuté sans restes Pour le rêve, pour le ciel, l’illusion où j’ai été Un peu, un instant, avant Je veux bien me taire et rester mercenaire dans ma fête geôlière de la peur de la honte jusqu’à ton retour Je veux bien croire que seul l’amour est éternel Et rend éternelle l’âme qui aime plus que l’être aimé Je veux bien me dire que c’est du passé et être bête de t’aider jusqu’à faire encore bon usage aujourd’hui de tes conneries et saloperies et haines de moi et pleurs, et souffrances de moi et legs comme une amie secrète ne pas voir pourrir tes ombres, tes projets, ton avenir Et continuer d’aimer la vie et de susciter mes rois de cœur Sait-on jamais, à force d’amour, on peut lever dans ce pays Un, deux, dix…un, déjà merveilleux Un immortel d’aujourd’hui Quelqu’un 87


qui ne pense pas à enfoncer des enfants dans la misère, qui ne soit pas l’entrave à l’éducation d’un enfant devant moi, pour que j’éprouve mon impuissance mon peu de chose, mon désespoir de n’y arriver jamais Quelqu’un qui ne lutte pas de toutes ses forces pour m’enlever tout espoir d’avenir toutes les miennes forces pour se sentir ivre de vie seulement quand je n’arrive à rien Ô les intellectuels de mon pays Ô malades mentaux ! Quand on a confisqué tous les rêves d’une jeunesse Quand on a pris pour soi tous les moyens de ses enfants Comme tout l’argent de son pays Comme l’espérance d’un peuple On est très fort et exempté de mort !

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Éclipse Tu voulais quoi ? Tu me mets en colère ! Tu pars où ? Comme ça tu pars… Juste quand je convole… Terrible Terrible Et ton cinéma ? Juste quand je menais ! C’est bien du toi 89


Valeur ajoutée L’amour c’était mon boulot Vivre d’aimer Faite pour aimer jusqu’au chaos Jusqu’à ce que l’avenir s’en suive Jusqu’à ce qu’il trouve belle la vie Et la célèbre Et se lève pour vivre Et faire vivre L’amour, c’était mon boulot Et j’aime A me finir à la tache Avec mes sueurs et persévérances 90


Tant que je vis je n’aurai pas assez aimé J’ai un grenier à remplir d’amour C’est la terre, c’est vous Vite, le remplirai-je jamais Qu’est-ce que je vais laisser à la terre ? L’amour, c’est mon boulot C’est ce que j’ai bien compris C’est ce que j’ai Toujours, intarissablement, et prêt Je veux aimer jusque dans vos cœurs Quand tu as donné de l’amour Et qu’un cœur en est surpris, ému, heureux enfin tu ne sais pas que tu as Ajouté un petit morceau D’éternité joyeuse, sereine à l’éternité du temps c’est ce que j’ai compris On a tout en Afrique sauf l’amour Ceux qui viennent exploiter n’aiment pas cette terre et son peuple Le peuple n’aime pas les dirigeants Et le pouvoir n’aime pas l’alternance Même les voleurs n’aiment pas ce qu’ils volent Ils le volent pour le jeter le plus loin possible Personne ne profite de rien Et chacun est prêt à corrompre tout le monde Je n’ai pas encore assez bien travaillé Ils ne connaissent pas l’amour

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Parle-leur de Nelson Mandela Ils disent : quel grand homme ! Ils aimeraient être des Nobel de quelque chose L’Afrique noire a besoin de grandes figures Il faut bien que quelqu’un en sculpte Il faut ici aimer un homme Jusqu’à ce qu’il ait honte De se montrer tout petit à ses propres yeux Jusqu’à ce qu’il ait des yeux Et les yeux dans lesquels le monde le regarde Honte de te tendre un argent douteux Honte d’apparaître sans honneur Un homme ne vaut rien sans amour C’est ce que j’ai trouvé comme matière première à fournir à celui-là Jusqu’à ce qu’il sache que ce n’est point le fait de la bêtise Jusqu’à ce qu’il se convainc qu’il y a du bien en lui s’oublie pour aimer tout ce qui n’est pas lui lui, lui, tout pour lui, à tout prix, chieur de corruption Jusqu’à ce qu’il transforme sa vie en service A pourvoir à l’agresseur, courroucé et drogué, suicidaire Triste acteur de sketches d’épateur surchargé d’inepties médiatisées Jusqu’à ce qu’il transforme sa vie en grâce A insuffler au déshérité découragé enclin à se laisser gâcher sa vie par ces aigles du pillage, très pauvres très endettés Les miséreux, générations de condamnés à l’indigence Douleur et désespoir, la masse des victimes Jusqu’à ce qu’il transforme sa vie en joie

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Éternité Touriste, va donc au Congo Des milliards de cfa pour offrir du marbre à Savorgnan malgré lui Au mépris des millions d’enfants nus sans école et sans espoir Mais va voir Tunis, va voir Carthage Ce sont les vestiges du passé qui enrichissent le pays Et le peuple les entretient comme la prunelle de leurs yeux En Afrique noire, ce sont les ruines du passé honteux qui engloutissent nos impôts et notre dignité En Ethiopie, on fait revenir l’Obélisque chérie Sur le dos de l’Italie Au Congo, on a fait revenir le colon Sur le dos des populations Pendant que la colonisation demande pardon d’avoir été 93


Colon noir exhume colon blanc pour nous écraser plus d’une fois tandem : revenant et revenu C’est notre fête Reproche-t-on à Savorgnan d’avoir quitté les affaires Enseigne-t-on à Savorgnan l’éternité au pouvoir A y rester même après la mort, par marbre interposé Comme certains y demeurent par fils superposé. Les taxis passent vite sans regarder Il faudra qu’ils se déchaussent pour y poser leurs pieds Que de contre investissements, que de contre progrès Quel étalage de l’orgueil nègre qui fait rire l’Occident Ils ne savent pas que ce n’est pas le marbre qui rend éternel Le marbre, le bronze, faites même vos statues en diamants C’est le service du peuple C’est jusqu’où vous êtes entré dans le cœur du peuple Déposer votre petit morceau d’éternité Qui imagine Nelson Mandela frayant le chemin des déchets fatals vers son pays, contre deux milliards de cfa ? Qui imagine Thabo Mbeki ? Qui imagine Graça Machel ? Pour que des hommes soient aussi choses, aussi excrément Il faut qu’ils ne sachent pas qu’ils sont comme nous Il faut aimer ces ordures jusqu’à leur donner une humanité Il faut aimer, ils ont été tendres en Côte d’Ivoire ! Baliser l’imagination errante des décideurs De ce genre de puissants Que véreux ! Que ténébreux ! Que d’insignifiance élevée ! Faire du compost de tant de déchets humains Qui désespérément empêchent les peuples de devenir, de vivre En faire du compost pour fertiliser nos lendemains Les former A aimer les gens 94


comme expression de l’amour d’eux-mêmes et de leurs vies Le peuple se lève en quête de paix, de vie C’est la jeunesse d’Afrique noire, chair à canons, pâté à requins Désespérément récidiviste, Jusqu’à impliquer la communauté internationale Jusqu’à ce que l’Europe aimée ait honte et se mette à parler Des voies et moyens de leur redonner ce qu’on leur a pris chez eux Les richesses, de l’argent, une école développante La dignité un emploi décent et durable

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Espoir Ils sont grands,les peuples qui disent non Comme en Guinée,ils obtiennent raison Comme chez nous,ce forçat qui aux blancs, a dit "Assez, je ne ferai pas un pas de plus, ma ke nene!" Il est mort à cet endroit là Nous a donné Makenene, ravissante escale touristique Aux parfums de mille tentations rôtissant Entre soleil et charbons ardants Et les Français, grand peuple de coeur et de valeurs Que je vous ai aimés Non, au joker menteur des Nations unies ? C'est à vous pardonner votre gestion de l'Afrique noire C'est vous, non? nos démoncraties forestières? Il y en a de grands, et de grands de temps en temps Ils sont grands, les Américains qui disent non Ils avaient déjà dit non au Cambodge J'aime les Américains J'étais faite pour aimer

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Refrain de la ronde Aimer la paix La cultiver La protéger Vivre de paix Et la partager C’est mon boulot Je sers A remplir partout d’amour Jusqu’à ce que les holocaustes ne puissent plus trouver d’espace Jusqu’à ce que les piétinés, annihilés, invisibles, sans valeur S’aiment tous ensemble et obtiennent respect. Pour que la vie en Afrique soit favorable à la jeunesse

Tes cheveux comme toi-même Les cheveux de la noire Sont devenus rares ! Qui a dit que les mèches Etaient de l’élégance ! Celle qui est à moitié chauve De mère aux trois quarts chauve De grand - père complètement chauve Use et abuse des mèches et perruques Qui sont ses appareils pour handicapée Ta part de mèche a vraiment quel sens Ma petite fille 97


Il faut maintenant sauver la femme noire La beauté noire, de la mèche ? Qui fabrique les mèches A qui profite cette industrie ? A quoi ressemblent-elles, les mèches Aux cheveux des blancs A qui profite Que tu ressembles au blanc ? Qui a dit que tu es belle A ressembler à autre que toi La mondialisation ? Et tu deviens n’importe qui N’importe quoi surtout Blafardisée par quel gourou de l’image encore ! A cinquante ans passés Quand ton crâne ira se dégarnissant Tu ajouteras les mèches, peut-être ! Mais à 16 ans, à 20 ans ! A 30 ans quand la femme Est glorieuse ! Les faux cheveux, c’était pour les vieilles Les « has been » beautiful, les blanchies, dépareillées Les chauves Mais maintenant on t’apprend à tricher au sortir de l’œuf ! Et quelle triche, camoufler le naturel flamboyant par ces poils de morts ? Ces fils de plastique et toutes ces ternissures ? Qui y croit ? Personne On te regarde avec désolation 98


C’est le fabriquant qui rigole, il te tient bien ! Et moi de ramer pour toi à contre courant Pour mes cheveux les plus indémodables : Ta radiance, que tu sois bien dans ta peau Une forte toi-même, fière, altière dans le monde Laisse tes cheveux Petite fille des lycées exprimer ta santé Laisse tes cheveux Jeune fille en fleur exprimer ta beauté Use de tes cheveux, femme accomplie ! Laisse tes cheveux séduire, belle et jolie tombeuse inoubliable, séduire et exprimer ton savoir faire Ton niveau de l’art d’être femme Fais voir tes cheveux dans la chambre O rêve de promesse de volupté instantanée ! Que tes cheveux appellent au romantisme que ses doigts ne résistent pas à les toucher et de les toucher, à effleurer ta nuque à masser ton cuir chevelu, à te faire naître des frissons à t’implorer par cette voix de chef vaincu Quelle parure magique que des cheveux exubérants ! Laisse parler tes cheveux pour toi Sur les podiums de l’éclat Qui a dit que tu n’es pas la plus lumineuse la plus désirable ? 99


Quand tu marches, ta croupe en tour du monde… bouge délicatement et fait danser les regards, la rue, le marché, le bureau l’hôpital, au champ, en classe, dans l’avion… Partout est podium de l’éclat Laisse tes cheveux triompher Compte sur eux Si tu es sortie de chez toi Pour être l’astre étincelant Qui doit conduire le monde Aime tes cheveux comme toi-même Je suis chauve Ma mère aussi Son père l’était Je ne peux pas bénir les mèches en paix ? Je ne peux pas me dépanner à la mèche sans que tu me copies ? Est-ce qu’on copie ce qui est mauvais Ma petite fille ! Est-ce qu’on copie les larmes ?

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Kolyang Dina Taïwé Grains de haine

Cœur brisé Des tessons de cœur rouges sur le trottoir de la vie Perdus dans les ravins malsains et pourris Sous des pluies diluviennes et des déferlements boueux Quand dans les rires ternis Ton sourire se perd Dans les laves des promesses dans les pleurs des hommes dans les sarcasmes des visions éhontées Le cœur brisé broyé transpercé malade Calciné par les lourdeurs des lois sociales Brûlé par les mauvais augures d’une promesse 101


D’un bonheur que les liasses de la société refusent Dans ton sourire perdu Dans les laves des promesses Dans les pleurs des hommes Dans les maladies des vies couvertes de honte Cœur brisé dans les tessons bordeaux Coagulé dans un sang irriguant les artères du monde Coulées de peines et de haine Coulées de pleurs et de douleurs Mes promesses de bonheur se sont évanouies Dans les plus profondes lourdeurs des mots Ton sourire se perd Dans les laves des promesses Dans les pleurs des hommes Dans les maladies des vies éhontées

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Croire à l’amour J’ai cru à l’amour J’ai cru au bonheur J’ai cru au respect J’ai récolté la déception J’ai engrangé la haine J’ai trouvé la honte J’ai fui pour chercher l’amour J’ai erré croyant au bonheur J’ai refusé le secours pour le respect J’ai obtenu des hommes la déception J’ai été certifiée de folle par la haine J’ai eu la peur et la honte comme prix J’ai perdu ma mère J’ai perdu mon mari J’ai perdu mes frères Je suis devenue une hère Perchée sur un mirador En sentinelle à mes sœurs pour qu’elle ne croient plus jamais au bonheur au respect à l’amour à cette géhenne. 103


Les larmes Salées les eaux me coulent au visage Rivant mes espoirs éteints Les fleuves de perles larmoyantes Sur mes rondelles de joues m’écrasent Me noyant dans les pleurs calmes Salées mes larmes pleurent leur sort Quand noyant mes prunelles blanches Elles me font couler le nez Dans des douleurs retenues Dans une poitrine qui éclate Sous les sanglots retenus dans la honte Salées mes larmes ne coulent plus Elles stagnent et rongent mes joies Elles coulent et noient mes rêves Elles sont des forces de ma jalousie Elles sont la puissance de ma peine Elles sont la royauté de mon amour Et dans la peine Et dans la force Elles coulent Et le matin Et le soir Et dans la nuit Elles couleront toujours 104


Tendances Tendu notre esprit a échoué sur les rochers épars dans un désert de tendances dans un mélange de vues myopes Tendancieuses nos actions ont porté des dards dans une mer de douleurs tues dans un océan gourmand et agité Tendues nos mains malades sont croupies du silence nos genoux fléchis malades et tordus nos pleurs acide set acidulés perdus Tendu notre crâne ne porte pas le monde notre cou allongé dans un calme notre corps blanchi malade et vivace

Nos tendances saugrenues, maussades, malades et profondes dans des mers agitées 105


Grains Grains de larme de sang de mots Grains de sable de poussière de calme Grains de plaies de sperme d’ovules Grains d’espoirs de déceptions de contradictions Grains pleurs granulés chapelets de sang maladies tues Dans des socles fermés des greniers brûlés des champs ravagés des essaims serrés 106


Serpentages Sinueux dans les herbes hautes Tordus dans les arbres rabougris Serpentant dans les bois verts La route grise asphalte malade crie et porte les hommes Malade et longue dans les villages nouveaux Pauvre et sale dans les monts Distinguée et vertigineuse la distance La route grise asphalte malade se tord du poids des hommes Du fond des âmes en serré sardines Du fond des carrosseries Pète et pue le moteur d’une vieillerie qui nous porte vers nos destinées à tous 107


Le choix

J'ai choisi Je t'ai choisi J'ai choisi de vivre une expérience silencieuse J'ai choisi le cœur des sentiments profonds mais malmenés J'ai choisi le choeur en symphonie des voix pour une nouvelle vie J'ai choisi de vivre le cœur en choeur des profondeurs et des rires acidulés Avec toi En te choisissant, je découvre une déesse derrière une femme Dans un amour aussi délirant, Enseigne-moi de te tenir Pour l'éternité de nos cœurs En chœur de notre commun choix. 108


Une envie maladive J'ai envie de sentir ton odeur, ta proximité, ta force, tes rires, tes sourires ... J'ai envie de t'observer sans que tu me voies, de t’espionner, de savourer ta démarche dansante, de contempler tes pas qui se suivent, de convoiter la danse de ta croupe, de savourer ta marche rythmique ... J'ai envie de te regarder dans les yeux, de poser mon front sur le tien, de fermer les yeux comme tu le fais souvent quand tu colles ton front au mien, de passer ma main autour de ta taille sans trop te serrer ... J'ai envie d'être là silencieux, serein, éloigné, lourd mais à côté de la déesse ... J'ai envie de reposer ma tête sur ton épaule, pour ressentir ta force, ton coeur, le sang chaud et posé créneler dans tes veines et tes couleuvres ... J'ai envie de savoir que tu aimes ... J'ai envie de te sentir proche de moi, tout proche, collé à un corps que la médecine a torturé en voulant le réparer, de sentir ta silhouette nue se coller au corps meurtri par les peines des autres ... J'ai envie de te parler, de porter tes maux et tes cris, tes joies et tes délires, tes envolées lyriques et tes fuites philosophiques... J'ai envie de toi, de tes mots, de ton puits, de ta forêt ... J'ai envie de puiser à la source de ton anthropologie, de sa nouvelle sociabilité, de ta profonde interrogation du nouvel être ... J'ai envie de t'aimer en barrières et en obstacles ... J'ai envie que tu te laisses choir dans mes bras. Enfin, la folle et maladive envie de te posséder sans t’écraser 109


Intègre amour

Aimer sans trahir Multiplier sans perdre Dire sans trahir Garder sans posséder Etre moi-même au plus secret de toi. M'aimer sans me trahir Me multiplier sans me perdre Me dire sans te trahir Me garder sans me posséder Etre toi-même au plus secret de moi. T'aimer sans te trahir Te multiplier sans te perdre Te dire sans me trahir Te garder sans te posséder Etre moi-même au plus secret de toi.

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L’attente L’attente acidulée brûle les yeux rouges Au fond des cœurs les couleuvres Egrènent le sang surchauffé L’attente acidulée pétille dans les âmes Au carrefour du poing qui pompe le jus vital L’attente acidulée aguerrit les rides sagaces L’attente dans les artères du corps Toutes gonflées de jus Au carrefour des vies qui attentent Dans la communication avec les autres Les griffes de l’attente sont gluantes Les simagrées d’une coquette âme (attend aussi les autres) Une âme qui attend est toujours Une ânesse en gésine Une nuit ouatée Un glas étoilé Une toile de noirceur transparente Mon âme attend Mon cœur bâtit chaque jour sa tour Et sur ce piton solitaire Tu bâtiras ta vie Comme une étage Dont le mortier est le sang Et les briques sont des os. 111


Valère Epée Les Lucioles Vertes

Moi l’écolière Berceuse préférée de Maïco et Dodoy

Je suis la gaîté gentille qu’on baptisa Mayéla, fille aînée d’une famille de rieurs de Douala. Je chante, je danse, je joue, donc je suis : sourire d’enfance, une aube qui luit ! Lorsque je vais à l’école sur le dos de mon papa, jamais cheval n’est plus drôle dans son trot ou son grand pas. Il court, il galope sous tous les regards ; jamais je n’écope du moindre retard. Et sur une grande feuille j’écris ma petite vie

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et mon gros cahier accueille mes secrets et mes envies. Les lettres, les chiffres sont mes bons amis : j’épelle et déchiffre le monde à l’envi ! «Lisez donc, nous dit le pâtre, et comptez bien, mes brebis ! » A B C, un, deux, trois, quatre… D E F, cinq, six, sept, huit. Le pâtre est le maître ; les brebis, c’est nous. Grâce à lui peut-être nous serons debout ! Yaoundé, le 17 juillet 1969

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Le coin des papillons Il est dit chez nous qu’un vol de papillons clairs, même d’un seul exemplaire, est une bénédiction ancestrale pour celui qui le voit, et surtout si votre maison s’en trouve un soir l’hôtesse. Car en matière de valeurs symboliques, il n’est point de hasard ni d’équivoque, et tout papillon est le symbole des couleurs qu’il porte. Or tout symbole est un message à décrypter. Connais-tu la signification des couleurs dans ta Tradition ? Sinon, apprends-la vite et ta vie ne sera sans doute plus la même. A bon entendeur, salut !

Papillon d’or A Mang’a Mang’a Bel’a Lembe

Les ors clairs d’un butineur qui s’égare sous ton toit sont toujours porteurs d’émois mais souvent de vrais bonheurs. Ouvre donc l’œil de ton cœur et sens battre l’amitié dans l’oracle ailé, conteur du Fleuve des Initiés !

Jaune papillon, divin carillon ! A Lemb’a Mang’a Bel’a Lembe

Quelle est la couleur du pouls ou de la fièvre amicale ? La distance d’un vœu fou 114


à vol de papillon pâle ? Pâle ou d’or, mon papillon n’a d’espace que ton cœur ; ouvre-le-lui, frère, sœur : c’est ton divin carillon ! Porteur d’augures Epouse le Vent, enfant du Soleil Papillon d’Ondins dont l’or messager monte bénissant du Fleuve en éveil portant les neuf mots d’augures sacrés. Vole en douce esquive et point ne te pose que pour coltiner le pollen fécond du Cœur de l’Estuaire au sel flambant rose et porte à l’ami ma grâce en flocons !

Long distance butterfly Qui vole loin est né des Profondeurs. Qui vole un cœur nous vient souvent de loin. Mon cœur est né volé par la saveur de l’amitié, son délicieux besoin. Mais l’amitié ne se décrète guère : quel doux émoi n’en défie la raison ! Ma main, ami, est ce papillon clair volant vers toi. Prends-le dans ta maison.

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La mangue, ce démon A toi, Ngando’a Mang’a Bele Tiens, prends celle-là : elle est bien « murte »

A chaque fruit sa saveur, sa magie et son histoire, mais à l’arbre géniteur l’héritage de ces gloires ! Si nul ne vit point enfant donner son nom à son père, de nos fruits le cas patent est l’exception débonnaire. Ô magie des grands délices, attrait du fruit défendu !

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!


quel démon a donc tendu au manguier son plus beau vice ? La mangue que cueillit Eve au plus tentant de l’aurore, nous la savourons encore chaque soir au coin du rêve ! Sa saison approche à peine que corbeilles et paniers vous bâillent à perdre haleine au seuil de désirs déniés. Plus tôt se vide l’école plus tard s’emplit le foyer : « c’est la faute à l’herbe folle qui rend si long le sentier ! » Mensonges que ces excuses d’écoliers de sous-manguiers ! mais quel parent se refuse à s’y reconnaître entier ? Car aux champs comme à la ville, du fruit tombé le seul bruit fait de l’homme le plus fui un polisson bien fébrile. « TUM ! » et l’on bondit et court parmi concurrents complices et maîtres noirs d’avarice : « tu la tiens ? c’est bien ton jour ! » Si c’est le mois le moins sage qui fait tant claquer de langues, c’est que mars enceint d’orages est surtout le mois des mangues !

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Epilogue Fin gourmet, devine un peu… sortie ce matin bien ceinte, (4) ventre creux et teint anxieux, ma serviette aux humeurs feintes rentre au soir d’un pas pompeux, panse lourde et cœur sans crainte. De quoi donc est-elle enceinte ? De récits ? d’échos matheux ? De mangues, mon bon monsieur !

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La banane et l’ananas (Hymne à l’amour intertribal) A Nana,pour l’éternité

“Toc toc toc !” --- Hola ! hola ! qui frappe à ma porte? --- Un étranger de Ngola. --- Entre, me voilà. --- Bonjour ! je suis Onana ; tout mon cœur j’apporte et je viens jusqu’à Bana chercher la nana Candeur brandie à contre-jour… qu’il est fou, l’amour ! mais cœur épris n’a de recours 119


que foi sans détours . « Ainsi donc, mon ananas est ton eau de vie ? » ---L’«ananas» s’appelle Anna : c’est une nana ! ---Tiens donc, monsieur Banana… te fait-il envie de voir mon champ d’ananas ? Eh bien, le voilà ! De l’ananas à la nana, Dieu, quel embarras ! et d’Onana à Banana il n’y a qu’un faux-pas ! --- Je ne suis pas «Banana» ; tu blaguais, je pense ? Car j’ai bien dit O-na-na du pays Ngola. --- Onana ou Banana… Quelle différence ? Dès lors que mon ananas mène ici tes pas ? Ô quiproquo sur fond d’humour… qu’il est gai, l’amour ! même un sentier à cent détours aboutit toujours. Bientôt notre « banana » au pays des fèves emmena son « Ananas » et se l’enchaîna. 120


L’exhibant à sa Mama il conta son rêve et ses grâces quémanda qu’il ne reçut pas. O tribalisme de grand jour… qu’il est dur, l’amour ! devra-t-on sans fin dans la cour traîner des cœurs lourds ? « Mais Bana n’a-t-il donc pas ses propres bananes ? » Ainsi le vitupéra sa sombre Mama. --- La banane de Bana ne vaut point, madame, l’amour café d’Onana, lui rendit Anna. Passion, jeunesse aux mille atours… qu’il est beau, l’amour ! que la raison vous joue des tours, le cœur bat toujours. La passion de l’Ananas pour une Banane le plus grand éclat donna à la douce Anna ; et le bonheur d’Onana aux couleurs profanes dans le cœur de sa Mama gagna le combat. Si notre peur de l’inconnu 121


donne la berlue, le mal ne gît point dans le sang. Il est dans l’élan !

Le plaisir et l’amour À Patricia et Philippe, for ever…

Pris entre « don de joie » et « joie du don de soi », le plaisir et l’amour se confondront toujours. Pourtant les tons rieurs de leur semblable essence ne sont jamais crieurs que de leur différence. «Je t’aime »… « tu me plais ! » ô volupté gourmande, 122


ô délectable offrande de deux cœurs accouplés ! « Je te plais » ou « tu m’aimes ? » il faut ma foi choisir : à trop vague désir virulent anathème ! Le plaisir sans amour tient de la corde raide : danse dessus, bipède, tu tomberas toujours… à moins que de là-haut tu tombes… a-mou-reux ; car alors, quel chaos ! les sens et l’âme en feu, c’est le délire à table : le laid s’y boit, le beau s’y croque et verse à chaud ses larmes désirables. Mais l’amour sans plaisir n’est qu’élan sans son zèle : bien bel envol sans ailes pour qui ne veut moisir ! Or si la moisissure est le Sida de l’âme, nulle survie n’est sûre qu’au prix de quelque flamme ! Du plaisir au virus franchir le pas retors ne rapproche un peu plus la vie que de la mort ; oui, ce germe du mal 123


aux airs de carnaval est la mort de l’amour et du rêve qui court. Mais dans les bras radieux des sentiers sans détours, quel syndrome amoureux condamnerait l’amour ? Si l’amour est clarté est-il ombre ou nuage pour occulter la rage qui en fait la santé ? Laisse-toi donc ravir par son grand festival qui ne te peut trahir sans prendre un coup fatal : l’amour n’est jamais traître ; seul l’amoureux peut l’être qui confond « don de joie » et « joie du don de soi » ! mais crains tous les hasards dont la vie se revête et fuis l’éclat des fêtes sans barrière et sans art. Animale est la source des plaisirs de la cour ; divine la ressource infinie de l’amour. Toi que brûle l’envie de plaire et d’être aimé, commence par semer le bonheur d’être en vie ! 124


qui donc voudrait puiser à la source du doute ces frissons déguisés de l’ultime déroute ? Qu’on prenne son plaisir où et quand on le peut, l’amour vous vient cueillir où et quand il le veut !

Filles interdites Amène-toi, bébé, tiens la piste et attrape les rythmes éclatés que te dédie mon rap ; si t’es pas dégonflée, lâche un peu tes soupapes et laisse-toi glisser vers mon cœur qui dérape. Je sais, t’es super avec le body couvert 125


par cet imper à l’envers et ces regards de travers... Et tous ces décibels que mon beat te débite épellent à mots couverts la fièvre qui m’habite : des mots qui crissent et craquent sur des pensées non dites, mais qui traquent et matraquent les filles interdites. Et mon cas s’aggrave sitôt que ton look me brave : quel boum-boum de cœur esclave ne s’y perd et se déprave ! Quand j’esquisse un clin d’œil, te voilà qui débloques comme si tu craignais que mon regard te croque : le tempo de ton corps rappelle encor le Rock… mais qu’as-tu donc, petite, pour qu’ainsi tu te bloques ?

Si jamais tu frimes pour me filer la déprime, apprends que rien ne m’opprime : un mec, ça se sublime ! Mais dis-toi bien, bébé, qu’on ne s’éclate pas sur la piste de rap en décomptant ses pas comme qui en toussant savoure son repas… Des fureurs de ton corps ouvre donc le débat ! La passion sans zèle est un envol sans ailes. alors petite gazelle, oublie que t’es demoiselle !

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Et rape et frappe et te défonce ! à sac en vrac et en quinconce ! Cric-crac ! détraque l’âpre semonce du trac qui traque ton corps de bronze. Et rape et frappe et te défonce à sac en vrac et en quinconce !

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Eva negra A Edouard Maunick

Lippe ardente, œil sauvage aux élans ivres-fous de feu de brousse en cage dans un tam-tam vaudou, elle était arrivée le sac enflé de rêves mais loin de se douter du rêve en cul-de-sac. Elle abordait à peine la berge citadine qu’une onde souveraine lui assaillit l’échine ; et comme elle avançait le regard vers demain la gloutonne dansait la fête au creux des reins ! La pêche aux illusions opium de son village l’avait en tourbillon portée sur mon sillage. J’étais jeune il est vrai et mes ardeurs debout et elle avait l’attrait des paradis tabous : senteurs fauves et vertes

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de fruits vénéneux cambrure toute offerte aux rythmes épineux de passions interdites en mal d’exorciser mais surtout, inédite, la soif de pactiser. Elle enfila clip clap le sentier de ma vie se rivant à mon pas haletante et ravie ; ravie mais haletante au carrefour des songes et ses jupes ardentes éventant le mensonge elle courait, courait au-devant d’elle-même (pardi demain flairait la griserie suprême !) elle courait gaîment le cœur ivre d’envies étreignant à tout vent le vide de la vie… Un soir que je mordis dedans son saint tabou dont le frisson maudit pût rendre un dieu jaloux elle enlaça goulue ma fureur déchaînée sa volupté fondue dans mes vertes années.

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Ses yeux soudain ouverts sur le mal de la ville découvrirent l’enfer des paradis faciles et folle elle devint des nuits ensorcelées et de plaisirs malins fut toute possédée : Sous l’emprise immanente de démons enragés la voilà frémissante, éperdue, ravagée, qui lançait à la lune ses abois vifs et bruts pétrissant ses chairs brunes dans les appels du rut. Fumées crues des néons, alcools et décibels, cent feux caméléons la prirent sans appel. Or s’offrant en repas aux lubies de vautours elle ne comprit pas qu’on dévorait ses jours… A tous les coins de vie la guettait un tourment, à chaque heure une envie dictait son châtiment ; la fureur dévoyée d’Eva (c’était son nom) s’allait-elle noyer 130


dans un râle sans fond ? La vierge des forêts n’était plus qu’un délire, qu’un vol démesuré sur les mâles empires, vampire s’il en fût suçant le sang des saints --- ô orgasme invaincu à l’aube de la fin ! J’étais moins vif déjà moi Adam, moi la banque et ne tendis donc pas la pomme à tant de manque : l’âme chauve, l’œil vide de braise et le cœur las, de cette course avide je m’extirpai hélas. Sans son rêve ingénu découvrit-elle alors le cauchemar du nu ? car cent spots sur son corps ne l’habillèrent plus et les rires retors du verre et du Jazz cru furent son seul décor. « Que n’étais-je pas morte avant que d’être née ! » Mais derrière la porte en mille accents damnés le remords se fendait sur des lèvres pâlies 131


psalmodiant le regret de la Forêt trahie. Piètre étoile étendue sur sa natte chauvine, l’héroïne se tut tuée par l’héroïne : la veine en overdose sans haine, sans pardon, mais l’âme en ménopause à l’heure des bourgeons… Epilogue : Toi qui un jour rêvas de péché salutaire, ne vois-tu en Eva cette féconde mère qui aux déserts marâtres sut offrir l’arc-en-ciel, aux rivages saumâtres douze lunes de miel et des pluies de manne aux savanes mitées ? Son ardeur vélomane si vite manitée ne sut-elle iriser d’albinos, de mulâtres, de zambos et de câpres la grise humanité !

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Fernand Nathan Evina

À notre age ! Je sonde quelques Mètres carrés de pensée A la recherche du lieu simple. Une superficie d’exil trop grande Les défunts sols Plantés de tant d’hectares de lassitude, Arrosés de quelques habitants pétrifiés, Tombés sur leurs propres jambes Comme des gouttelettes de vie moribondes. Nos pays sommes comme nos mères, Las de nous langer ; Même après trois douzaines d’années, Nous macérons encore Dans notre immaturité pouponne, Avec nos joues de goinfres Que râpent désormais les rasoirs On part, les bébés ! On s’en va, ailleurs que chez nous A la recherche de notre sevrage Sur les pas de l’esclavage. Le prix de notre errance Ne coûte qu’une aube de damnation Et une ruine éternelle. On s’en va les mioches !

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C’est normal Laissez les poubelles sans balaie S’emballer De leur étau d’odeurs, De leurs viscères à mouches Et de leurs flatulences viscérales ; Mais où est le problème ? C’est normal ! Laissez-moi les asticots là Ceinturer le rythme des fosses, De leur aisance sensuelle De danseuses du ventre. Oui, Laissez-nous dans nos cageots orduriers, Dans nos ghettos de misère, Telles des tomates pourries sans décence, Avec nos petits orgueils De têtards mazoutés Faire le deuil de notre humanité ; C’est normal… Pour vous, Nous, Nous sommes la vomissure De vos nausées, Le peuple impopulaire De vos réunions pasteurisées, Le peuple soucieux de partager ses odeurs, Car bientôt nous proclamerons L’empire du dépotoir. Laissez nous prendre, Sans mendier, Ce qui nous appartient aussi ; 134


Car voyez-vous C’est tout à fait normal : Mais où est le problème ?

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Harcèlement Il m’arrive de perdre mon sang Froid Mon sang Froid abandon de gecko fixé au plafond ; En dehors du cycle lunaire De ma bâtardise d’enfant épileptique. Il m’arrive dénué de tout, de tomber : Tantôt dans le feu Tantôt dans les flots Tantôt dans les fous Mais de tomber quand même, Même pour un rien de spirale. Tout m’est devenu occasion de lutte Occasion de chute en cascade Au bord du gouffre de la démence : Assez… Assez ! Assez !! Rassasiez-moi mes tripes, De la manducation de l’arbre de vie… 136


Je pense à toi Je pense souvent à toi En lisant dans ma main En souffrant entre les maux. D’ailleurs, Qui me dira autre chose que toi ? La calebasse sur ma tête Est pleine de l’eau de mes larmes Et c’est une onction de nuisance A la frêle paix de mon cœur avarié. Je suis devenu le buisson ardant Qui brûle encore aujourd’hui De la flamme étrange de cet amour pyromane. Ma joie se meurt Comme un jour parti trop tôt, Ma peine est une nuit Une ombre carnivore Une cape féline Qui rôde en silence Autour de mes sentiments ensanglantés. Je transporte ma déception au creux de ma paume, Entre l’étang des bons souvenirs 137


Et le désert des désillusions. Mais je pense souvent à toi En passant, en chantant, Et ma voix se fait radeau médusé Qui se trémousse sans avirons Sur le ventre mou de la molécule bleue. Qui me dira autre chose que toi Sous l’arbre à palabres J’ai bu les conseils de l’oubli Amers comme un remède de milles ans ; Mai quand j’ai guéri Je ne pensais qu’à toi. Qui, Qui me sera autre chose comme toi ?

Litanies Manducation Arêtes Ingestion Digestion Indigestion gestion Rumeurs létales Diarrhées Indigestion 138


Echos Rôt Pet Huis clos Bidet Haute voix Tue-tête Chant Antique Cantique Procession des mots De mots longs De mots courts De mots tout court Tout concourt au bien de ceux qui sont vieux De ceux de ces vieux mots Si vieux qu’on les prononce le dos voûté A tort ou à raison Et qu’on les dit vecteurs Vecteurs de chimères ; Amour Rêves Passions Mort Misère Solitude Percussions… d’émois De mots Sons des mois ingrats Danse des temps chacals Tanières à charognes Raison, folie Tueuse ! Vie … 139


Espoir Amour Projet Avenir Soleil Contre toute attente C’est ici la fin.

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Me voici Me voici, Mère ; Lourd de stigmates Sourd d’humiliations, Mur de pénitencier Construit dans la dureté Elevé dans la haine Fondement d’amertume : Regarde-moi ; Assis Ici A califourchon Sur le gouffre des siècles Comme j’ai changé ! C’est vrai, J’ai troqué mon visage d’incirconcis Contre la ressemblance taboue Des icônes du sanctuaire. Je me suis fait relique, Douloureuse immortalité Des noms que l’on invoque A tort et à midi, Me voici femme. Comme j’ai changé ! C’est vrai, depuis que j’écris.

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Mort que je suis ! Mort que je suis Thorax épluché de lumière Humeur dégénérée de doberman Vie lanière de cuire Tu me tiens encore en laisse Traîtresse tu lis en moi Moins qu’un élément limace C’est moi le type ahuri de mépris Le type d’autrui le type d’ailleurs Un type de méprise légère Portée par la solitude des pleureuses crépusculaires Lumière en terre battue Qui gicle contre la charpente De ce corps échalas que je loge Tel un baiseur d’idole C’est l’esprit qui parle de ces choses Que ma bouche révèle à tort. Je n’écoute plus les conseils Des bruits de glaise Soufflés de braise ; Echos tout n’est qu’échos Reflet troublant De l’invisible présent Silence ! Mort que tu es.

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Vingt ans (déjà) Vingt ans n’étaient pas là Entre toi et moi A portée de main Comme hier seulement. Empreinte de mon parfum Sur ta joue d’avant Avec ma bouche d’antan ; Moiteur timide De mes baisers d’enfant Vieillesse aux reflets de souvenirs Yeux clos de l’iris du temps Qui tient l’oubli par la main. L’appel de ton nom Poursuit les arbres et les pares disparus De ses jambes de vent et d’automne Et pourtant… Vingt ans déjà. Et pourtant… Nos âges n’ont pas grandi … Ils n’ont que Vingt ans. Yarou Je t’admire YAROU, Mon oreille posée sur ton cœur Epie les noms sans Nombre de ta grandeur, 143


Je t’admire mon frère. Frère – RWANDA Frère – BOSNIE Frère – BAGHDAD Que grêle ni grêle n’ébranle ; Frère affamé famélique Jouant mille tam-tams d’une main … D’une main, demain demie, éparse Mains et pieds hier ; moignons aujourd’hui, Charcutés par les mines Sombres des champs austères. Je te vois YAROU, Moins homme que pingouin Manchot Claudicant Brinqueballant Un peu dégât collatéral Mal douleur justifiée par la croix et le croissant, Digne qui n’accepte ni ne mendie l’aumône. Je te crois YAROU, Langue maçonne Bâtissant des miradors de la grandeur des âmes, Voyant plus haut que la couleur des peaux. Je te crois Je t’admire Je te vois ouvrant la porte de demain, D’une voix qui ne feint pas l’espoir Oh, YAROU, Mon frère…

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Au revoir Au revoir Mangrove sacrée Les pieds dans l’eau de là Je trempe un bout de moi Dans le calice des adieux ; Déjà le brouillard sylvestre Enfume les traces de mon passage : Je m’en vais. Au revoir joies d’ici Enfants d’ailleurs, Pères et mères des samedis de fête Toujours à nous surveiller Du coin de l’œil. Au revoir, Terre que j’ai aimé sans le savoir. Les pieds dans l’eau, Le soleil se mouille Ma lampe s’éteint Je m’en vais.

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Combat Course ! M’accrocher à toi Train de la vie Tu dégoulines Sur les rides des âges Comme une vieille sueur Par un temps de frayeur torride. Wagons de rêves mal réalisés Mal huilés Tu grinces comme ma conscience Livrée à la vitesse du remords Je cours Je risque Accroché A l’existence Dangereux d’être vivant Embarqué pour rien Dans un voyage qui m’obsède. Vie, Ma vie Vis ta vie En passant par la fenêtre En fuyant 146


Paysage de plages et de mers Voilier fantôme Dont la coque déchire la peau des océans Je somnole Quand tu t’arrêtes. Course ! Pour rien… Parfois pour rien Paresse des brumes éternelles Salut à l’arrache – couilles Dents des enfers C’est ça ma vie C’est ça mon combat.

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L’enfant L’enfant Orage L’enfant violent L’enfant blême C’est celui qui me ressemble. Il picore d’un doigt résigné Quelques grains d’espoir Tombés du nid de sa vie ; Son silence est un ouragan Et son calme une chevauchée. Il parle pour se taire Mais il parle quand même. De sa plume migratrice Il dessine un vœu ailé, Qui s’envole aussitôt sans sentir le vent. Son ardoise est pleine du vide Des images toujours parties, Mais il n’est qu’un enfant. Alors quelque part, Sans le vouloir, Sans le savoir, Il colorie des tristesses d’automne De son petit rire innocent. L’enfant Orange L’enfant violet L’enfant bleu C’est celui qui me ressemble.

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Mauvais sort SEIGNEUR, Depuis l’histoire de l’arche De Noé et de Cham J’écris des sables de genoux J’invente des mers de prières Je verse des déluges d’intercessions Je vais à la distance des temps d’innocence Pour voir la nudité de la justice Dans le tourbillon des genèses confuses Des malédictions qui étourdissent Canaan. SEIGNEUR, Je n’y vois rien Dieu est un jour Qui est une nuit pour l’homme ; Que je suis. Et depuis l’histoire de ces histoires Je ne demande Ni l’enfer Ni le Paradis Mais la clé du séjour des noirs Pour atteindre En paix Mes morts et mes vies Inutiles. 149


Mon opinion Apportez à ma table, Des gigots de belles paroles Rôtis au feu du mensonge ; Je meurs de faim Paraît-il. Mais je n’ai plus soif. J’ai bu d’un seul trait L’iguane de tant de promesses venimeuses, Versé dans le vert douteux De vos campagnes marécageuses. Vous, Parlez seulement. Je ne me fie plus à l’allure clocharde De vos mots délinquants, Travestis de quelques lambeaux de vérité Et se prostituant sur les trottoirs De la franchise. Donnez vos leçons aux chiens, A vos chiens ! Chiens poilus de vestes, Vêtus de flatteries comme d’un sac à puces Remuant quelques intrigues puantes De leurs flasques queues à orgies. Pour moi, Posez mes miettes ici Et allez au diable !

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Musique Musique dans mes veines Sang de givre et de souffre Feu des cloaques Reniant l’ulcère D’un repas de piment Sève électrique des bois Couchés sur le flanc Silences et frémissements Sous les talons des fromagers Vol silencieux de la foudre Ailes du tonnerre Crépitement de l’irréel Sous les paumes bouillantes Des joueurs de mystères. Musique jumelle des corps de transe Chose en nous En toi En moi Sillons d’extases Terre d’ivresse Labour de corps à corps Maison de liberté : Oh ! Musique… 151


Temps d’adultère Je verse mon cœur Dans les trous des puits d’amour, Ne m’attendez pas demain. Je mêle les nuits aux nuits, Les jours aux jours, Les nuits d’un jour, Aux éclipses d’aujourd’hui : Ne m’assoiffez pas de vous Mon impériale débauchée… Je fixe tes yeux cernés d’adultère, Et je sens le moulin des doutes Moudre lentement, Le seul grain de ma foi crétine. Dans la tiédeur blanchâtre De tes draps de marbre et de coton, Mon cœur a la tête libre Mais le corps coupable ; Ne m’accusez pas étrangers. Je mouille mes yeux de mer et de prière : Eteindre l’image incandescente De tes danses de feu et d’indécence Je suis… Tu es… Nous sommes ; Unis pour l’instant Ne m’attendez pas demain. 152


Vision Je suis une vision Entre les lignes de ma main Vision possédée Fantasme superstitieux Des choses que l’on aime Et que l’on craint. Vision Qui ne veut pas être vue Trop âgée Trop disparue, trop méprisée 153


Pour bâtir de nos temps L’histoire d’un jeune destin. Vision du diable ! Me dit-on Mais comme l’aime ma diablesse. Démente passion Prise au dépourvu Par l’infaillible corps Des amours élémentaires Prophétie de garce Sur l’imminence Des orgasmes mécaniques. Vision immortelle Nom maudit Qui ne s’appellera pas politique Cri qui s’écrit à gorge déployée Et qui n’est, ni INDEPENDANCE, ni Démocratie, ni Gouvernance… Je suis une vision Une pauvre petite vision Et je ne m’appelle que LIBERTE.

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Joseph Fumtim Murmures et chants d’hommes vivants

Premier feuillet

I Je veux de cette boule diaphane, cette boule de neige, un visage de grâce, un visage couleur d’Egypte. De cette haleine apprivoisée trempée de grands joncs d’hydrocarbure et recoupé à fort arguments nucléaires, une brise matinale empreinte de parole de salut maritime. Car les bardes véreux ont trahi le pacte d’éternité scellé entre le verbe et le principe, entre l’éclat des mots et la vague mentale. Car les bardes malhabiles, ont trahi le pacte d’éternité, calomniant des divinités dans les sarabandes de l’or et la saga des renommées. La clarté matinale vient d’occire mes doigts indigents et par moment saisis dans les griffes des interdictions, mes doigts parfois confinés entre l’enfer et l’Eden. Sur le chemin du Damas, mes tentacules de pieuvre à la diligence de caméléon, mais drapées dans la prudence d’araignée, ensablées dans la prévenance de la tortue. Que de papyrus ouverts, reprenant les plumes brisées, résonnant l’écho d’une crête arrachée, Que de parchemins promenés hurlant à cor les plumes desséchées à force de feux et à cris les capuchons rompus, Mimant le dernier soupir d’un sang s’en allant, les cordons sonores rompus entre la main et son revers. 155


II C’est une caracole de billets perchés sur le figuier des âges nocturnes et relevé sur ses contreforts de spéculation C’est une caracole de billets mûrs froufroutant leur colère de crotale d’Inde, sous l’empire des bandes et des sceaux. Et les roseaux pointus se livrent à la bataille des coqs pour les lingots d’or et des virgules monétaires. L’émotion est à son comble, la ruse à son pinacle, Chaque fois que le message ardu recrute rires et applaudissements. (…) mais quelle indifférence chaque fois que les dépêches humaines- faites de sang coulé, cou rompu- traversent la scène du pupitre boursier sans distraire. Ainsi donc, des Brahim Bouaram gaulés au faîte de leur dignité, des Kensarowiwa flagellés hachées et cintrés Ainsi donc, des peuples tout entier qui s’entre mordent les chairs et s’échangent les flèches. Et la somme des pleurs et des cris s’élèvent à Gitéga… 156


III J’entends des sons de glas au lieu de chuchotements de carillons de joie matinale soutenus de gazouillis d’oiseaux naïfs et de confidences de la brise. Je veux de ce chant de cygne une tirelire bleu poussé du fond des entrailles des gringalets au regard tourné vers l’Azur. Or, je veux de ce chant de cygne l’ensemencement d’un rocher dur sur calqué sur les dessins célestes Le sang affolé dans sa course fougueuse gicle d’aorte et les coups de pugiliste essaiment partout marquant au compteur douze sons de cloche Douze sons de sang bien sonnés comme un tambour d’appel pour la fête de la moisson terminale Car, les parages des anges secoués par les vents protecteurs et giclées par l’écume de la canaille glapissante, douze sons de cloche sonnant l’hallali de ma paix. Et depuis lors l’antre des sages en fournaise des eaux- troubles, sarcle la ripaille des mendigots Et la tornade achevant de souffler dans le roseau des obscénités aux affinités chaotiques La tornade de la gorge des Andes à multiple facettes secouant fort le joug primordial. 157


IV Dans les marais salants s’érigent les roucoulements de mes grenouilles boudant l’amère saveur de la liberté, les roucoulements de mon cerveau jauni à force d’huile de graissage et de conjugaison, Mon cerveau jauni- ô ce peuple jadis gris formant la ronde vitale- fumant un défi contre diesel amorçant sa montée, Mon cerveau au gloutonnement interminable de chenilles sur les feuilles autodafés. Les roucoulements sarcastiques de ses billes en flammes, les billes rongées par les dents du temps et les pignons domptées par le poids de la démesure. Les roucoulements de pignons sadiques mordant à belles dent la chair ferme de métal. Or ces murmures de sécheresse qui s’attardent sur les dentitions des cartilages sevrées de synovie, ces murmures confus, ces souvenirs, tronqués par des musiques saugrenues de beuglements métalliques Et ces éclats sobres de rocher qui s’alarment sur des perspectives cavalières aux fuyantes fuyant les rebords frottant fors la quadrature Et les alambics distillant en vain les haleines intraitables, âpres en toute vérité, véridiques dans toute l’envergure.

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Deuxième feuillet I Nous avons nos jazz et nous les sifflons sur les routes anthropophages et giboyeuses du Congo et du moyen Congo, nos jazz chantés à la lisière des slows et des spirituals glanés sur des chemins du Midi. Nous avons nos jazz dont nous battons le rappel à force blues et au cœur de ces prodiges de cœur triturés, raturés et configurés dans des carcans idéologiques, repris dans les ruelles fades. Et les marrons sous la terre et sous l’or répondant en chœur et les cafards séniles dans les camps de Boïro vrillent leurs ailes dans le silence, réchappant du néant les anciens marrons sous l’orgue et sous l’ombre et les cafards géants aux ailes dures Ils battent le rappel des chants liturgiques scandés en silence dans les Interhawés pour le ménage entre Hutu et Tutsi, relisant les maximes célèbres jadis gravées sur les frontons audacieux des temples Ils battent le rappel des révisions : la géométrie des architectures séculaires et pluriséculaires, la rondeur de la joue des statues et l’étroitesse de leur frontal et la rectitude de leur phallus. Le rappel de l’ambiance et du multiplex, le rappel des messages abrégés dans les signes inaudibles, le rappel de la ronde des vers et de versets, Car nous avons nos jazz et nous les sifflons à tous les sons et à toutes les longueurs agrées par les olifants et les trombones, et nous les sifflons dans toute la magnificence de leur puissance contenue dans leur éclat d’or et leurs rayures diamantées.

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II A force de courage, à force de patience certains retrouvent la clause d’une peine enchaînée et sondent les secrets du nœud du fétiche Et voici, à force de trémolo, les délices primordiaux jadis ambiantes aux heures nostalgiques, aux heures de l’âge d’Eden. Et voici les cèdres de préjugés brisés et les clichés rompus, les cidres en otage de gui sauvages, les cidres rompus à leurs racines brisant au passage les clichés à demie peau livrant au grand jour ses propres turpitudes. Et voici, à force de souffler sur les cendres rêches, de diminuer les parois muqueuses de pacification tissées à force doigts, à force d’entonner, Voici la chanson du ralliement buvant l’hymne légendaire des cadences catholiques, aidé d’un roseau dur taillé au son doux d’un olifant dur. 160


Troisième feuillet I J’ai écouté ô mer ton chant debout ton champ accordé avec ma voix de poète de silence savourant la rythmique de tes vagues répondant aux doums-doums de mon tambour intérieur. Que m’ébrèchent les oreilles, les crécelles de tes insectes, tes poissons qui susurrent leurs gazouillis aquatiques, tes algues qui déjouent les courants, que m’ébrèchent ô mer, les coassements de tes batraciens en liesse. Cédant aux avances des sirènes, tombant des nues devant les chansons des divinités. Jubilation pour jubilations ! Que non ! Voici que mes baguettes se révoltent, trahissant ma dextérité de Mandrill et la virtuosité de Bala Féséké, légendaire balafoniste du Sun Jata. Maintenant, les lamantins déploient leur gorge de rires profanes, vrillent leur poumons de sanglots primitifs et sarclent la douleur de l’ineffable. Maintenant, les lamantins baptisent mon chemin cahoteux et le sacre dans l’éternelle douleur. 161


II Mer des offrandes innocentes ! Mer sans répit balançant les palmes riveraines imbues de leurs rires profanes, mer sans répit bravant les rires et pipis des industries, Les saudades retournent leurs proies à l’eau et pirouettent dans les ultra confins du golfe ; Les capitaines se décapitent de leur trop plein de moisson onctueuses pourléchant leur barbes, moisson onctueuses pourléchant leur bronchites émancipées ; Et les algues dans leurs courses folles, échouent aux larges! Mer des offrandes innocentes ô mer sans répit rompue aux renouvellements, mer sans retour toujours en quêtes des hautes cimes, mer des rétributions encore en révision de la mappemonde, J’admire ta solitude de grands anges, ta solitude calquée sur l’amour du réel et le partage, celle des grands qui se retouchent, celle des anges qui se ramènent Renoue le dialogue avec les huîtres. Reprends la langue des algues, perdues dans les quinconces des huiles et les tourbillons du pétrole brut, O mer des offrandes innocentes ! Mer sans répit brouillant le calice retroussant les fougères pour retrouver l’unité des rêves, l’unité du réel, l’unité primordial.

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Quatrième feuillet I Je salue le bourgeon fidèle à la racine et au tronc placé hors-champs de tout scepticisme Je salue le chant liturgique, je salue, debout comme un officiant, ce chant de triomphe pour un nom Je salue le cabri gambadant ses fiançailles à la paix, mais sommé d’épouser la gloire, le cabri sommé pour son courage de fer et son échine d’acier,

Buti Mandela Madiba ! Voici un halo encadrant ta tête comme les cannelures du scribe. Les quatre points cardinaux raffolent les paroles de Rédemption, exaltant les prouesses d’un cœur fort, Et voici l’éclat du verbe résonnant comme l’os dur reprennent les échos internes d’un cœur pur exempt de toute souillure. Le verbe du chantre à la flore pariétale répandu dans les mangroves, repris en échos dans les temples des retrouvailles. Je salue l’aube au vent qui caresse le sourire de l’espoir du sourire et le soupir de l’angoisse Car voici venue le temps du sourire sans rire, le temps des guenonades, le temps de l’aube dans les Kraals.

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II

Rompant jonc feuilles fleurs pour traduire le langage de l’Irréel, fumée flamme feu pour transcrire la rotondité du cosmos, L’aube s’éclaire où le génie frappe les lobes du frontal, s’éclaire où le message en colimaçon gicle les bordures des cauchemars, L’aube lève le voile sur la terre des hommes, lève l’embargo sur les piétés meurtries juchées dans ses ultimes retranchements, Je salue le Maître à la parole de miel et au poing levé saluant le ciel, le Maître semant dans les cœurs les pépins de l’espérance. Opiniâtre à sa seule conscience de nègre, sa seule raison de vivre et d’espérer Je salue le Maître se dérobant de la fin de la légende comme le fruit mûrit sans se blettir, le Maître aux aguets de l’histoire sucrant à chaque fois le pont final, le Maître à l’haleine d’ange, distillant la ration des agneaux innocents. (…) 164


Gabriel Haïpam Changeons la donne (extraits) Hécatombe (publié à compte d’auteur aux éditions de la lune, Levallois-Perret, France, 2007) Monde (tiré de Sur tes bords !) Changeons la donne Changeons la donne Un jour nouveau commence Au détour des rubriques Un nouvel peuple s’avance Et avec lui sa nouvelle nouvelle C’est la joie sur les cœurs C’est la joie sur les visages Cachés dans le noir verdâtre Et commence aussi la fuite En avant graduée, montée Sous l’effet du soleil de la renaissance Sous l’effet des cris des monts Mandara Sur les vallées de Marienberg Sur les décombres que l’on surnomme Sur les pistes des bœufs, à la limite des paysages du Grand Nord A Mokolo les Mafa et leurs tapis de lianes Vers les mangroves Tu es cette Afrique des miniatures D’Ebolowa à Ekounou en passant par Ndikiniméki Pays de Nga Augustine mon amie Changeons la donne Abraham Finis les pleurs Voici ton nom gravé

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Oui changeons la donne, Enlevons les écailles des crevettes Qui nous injectèrent ce malade poison Et scellèrent pour un temps notre devenir Nous pouvons le changer En changeant la donne du vendredi Lundi ou mardi C’est mercredi qui dit merci (…) Changeons la donne Peuple du rivage des sagaies Peuple des crevettes antiques Tu es historique Et voici la globalisation de nos contes Et de nos fables Un nouvel élan s’ébranle qui dit bonjour à la plaine Aux eaux boueuses des sécheresses Qui dit bonjour à la colline Au loin des plaintes les complaintes Arrachant quelques bribes d’éclats de mains ! Ce n’est plus le temps des semailles, Nous avons depuis longtemps semé de la bonne semence Sur une bonne terre. Ce ne fut point une stérile terre sans vie, sans enfant Enfant revendiquant sa part du républicain pain Cette terre on a toujours cru en elle depuis les ères de nos ancêtres O Cameroun berceau de nos ancêtres de Foulassi Ils ont comme nous chanté l’hymne du ralliement À l’unité du peuple sorti de l’étendue des idées Ils ont comme nous prêtés serment de fidélité devant Dieu 166


Et juré de servir en toute quiétude notre terre Cette terre de notre diversité culturelle Cette terre du sanglier, du hérisson, Cette terre de l’effort du culte de l’héroïsme Et de la paix sur toutes les haies des athlètes Et de nos champions millénaires Cette terre du cacao, du coton, Des arachides, des concombres, Du plantain, de la canne à sucre, De la banane, O banane as-tu vu mon âne ? Cette richissime terre refabriquant les cotylédons de la vie Richesse jamais consommée ! Cette riche terre d’une jeunesse insatisfaite ! Ah ! Changeons la donne (…) Changeons la donne en pardonnant En rendant justice au peuple Dans sa totalité Que tombent les chaînes de la souffrance Dans le sectarisme Et que le peuple marche Dans la liberté de la patrie Et que marche la nation princière Ce n’est plus la période des semailles C’est celle de la récolte après la pluie De cette récolte qui ne se peut faire en rangs dispersés De cette récolte qui se moque du clientélisme, du copinage, De la compromission, de la familiarité des financements Et du laborieux labeur assassiné Ce n’est plus le temps des semailles 167


Le temps des Fonds monétaires budgétivores Le temps des Banques mondiaux C’est le temps de la récolte Changeons la donne Qui enfin doit espérer En plus d’équité, de droiture, De travail dans le mérite Si ce n’est mon peuple ! Qui doit enfin espérer en plus d’humanisme, d’égalité, De santé et d’éducation Si ce n’est le peuple au sortir des recensements et des enquêtes pilotes Qui enfin doit espérer En plus de Paix En plus de Travail En plus de Patrie Mon peuple, Peuple triangulaire plongé dans sa surface mondiale ! Vu en bordure du Bec de Canard ! Ô Bec, no bek me! Mais honte frappe à nos portes Entreprenant d’entrer et de faire de nous ses trophées Pour dicter ses lois et faire sa joie Souhaitant que les pratiques lointaines convolent en douce fusion Pour fusiller nos enfants et boire de l’eau des avaries Pour réduire à néant nos sacrifices Soyons vigilants à ses actes et postures ! Que la maladie soit endiguée sur les hémicycles des hôpitaux Ainsi avons-nous besoin de manger les bienveillants mets emplis du pays De notre pays promis qui est à nous

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Il y coule du lait de vache, Du bon lait de Camlait Il y coule de la bonne eau, De la bonne eau de Camwater C’est la source de la viande charnue, Du bovin viandé au sourire magnan Il y coule du bon grain foot, Du football mvêtique marque Lions Indomptables Marque déposée. Afrique en miniature À toi la verve patriotique Et l’héroïque souvenir Changeons la donne (…) En moi je porte la honte de mon peuple De mes ancêtres Massa cloîtrés Dans le ventre du cercueil En moi je porte leur courage, leur bravoure, Leur lutte, leur coup de bâton et leur hésitation En moi je porte la honte du sourire et du rire De la jeune fiancée regimbant dans la case Je porte et sa souffrance et ses transes et sa prison A l’entrée des amants ! En moi je porte la honte des chemins caillouteux De Guéré Je porte la honte des Coupeurs de route Roucoulant à l’entrée des marchés périodiques Je porte la honte de la démission Après la mission de soumission A Guéré changeons la donne 169


En moi je porte La honte de la vache Marchant sans caleçon En moi je porte la honte des fontes des fonds publics En moi la honte des fonds routiers Regardant dans la bouche de la corruption Regardant dans la bouche de l’épreuve En moi je porte la honte De l’inachevé, des crevettes Au détour des noctambules En moi je porte la honte De l’immigration Et de ma noire peau En moi je porte La honte des crises, des cerises, La honte du manque de dialogue En moi je porte la honte des enfants soldats, Des enfants orphelins livrés Au bonjour des félins Influençant les redoutes fournies Changeons la donne du pays des rivières Du pays des crevettes Du pays du Char des dieux Changeons, Ô CHANGEONS LA DONNE ! Changeons la donne en toute fierté Avec amour et unité Pour ouvrir la voie du voyage A travers le vaste paysage Aux habitants de la terre entière 170


Donnons la main bien faîtière Que la cloche sonne, sonne, sonne « Changeons, Ô CHANGEONS LA DONNE ! » Changeons la donne Les perles sont rares Rares rares rares Changeons la donne Les perles sont rares Rares rares rares Ouvrons la porte…

Hécatombe… Hécatombe, hécatombe, Accident de parcours, Accident de détours, Hécatombe des écosystèmes. Tes nerfs craquèlent, Les cratères sur les hémisphères, Tes cordes épidermiques, Provoquent les tumultes. Rapsodies parmi les tourbillons, D’Ebombé – les tourterelles, Dégagent le macadam, Qu’a semé le vieux colon Allemand. Hier tu as emboîté, Le pas au chauffard, Qui tentait de doubler, 171


Son condisciple. A l’entrée de la grande, Ville portuaire camerounaise, La voie O combien voilée, De concert désemparée ! La voie déséquilibrée ! Avait fini son marathon, Eperdue dans l’abîme, Où bientôt une masse de sang affluait. A toi voie déshéritée, Dévergondée. Les rythmiques, Forestières et savanicoles, Sautillent sous les toits raphiales. Nitrifiant la voie des hommes, Nitrifiant la voie des femmes, Nitrifiant la voie des enfants, Nitrifiant la voie de l’humanité ! A quand le nivellement ? A quand l’exécution pragmatique ? A quand les fonds routiers ? A quand l’humanisation de la vie ? Hécatombe, la vie, Est légère, délétère, Dans ta cacaoyère, Par tes hélicoptères ! La vie, Est initiation, 172


Injonction dans, La jointure des lions. Voie jonchée, A la magistrature des serpents, Voie jonchée, A la sucrerie des volcans. Hécatombe ! A quand le dévoilement ! Hécatombe ! A quand le développement !

Monde Enchevêtrement d’ennuis Mystère monde Tes yeux de soleil J’étais sur tes bords Ta gourde de plomb que cache Les réverbères des pierres tombales Refuse d’échiner les refrains Des satrapes de l’Ouest J’étais sur tes bords 173


Les parallèles de ma mémoire Au demeurant des mourants Virevoltaient sans coup frémir J’étais sur tes bords Aux abords des reliefs Cadenassés par les mimiques Abécédaires de la jeune demoiselle J’étais sur tes bords Tandis que les naufragés Pouffaient de rire Eberlués par les mascottes Qui s’approchaient de la rive J’étais sur tes bords Sagesse savait sous-estimer Les étoiles ombrageuses Des courants de vent

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Edouard Kingué Banlieues de l’exil

Banlieues de l’exil 1 Au seuil de la cité plane Le crépuscule permanent Sombre sommeil des bêtes Les oiseaux déjà ronflent Les fleurs ferment leurs pétales Un vent mauvais hante les rayures du ciel. De l’autre coté de l’océan Dansent les rivages virtuels Mirage du lointain oasis Bordures calmes de l’inconnu Obstacles comme un défi Le feuillage se vêt de sombre A l’angoisse des cités castrées 2 Les vagues hissent le mât Blanc des graciles colombes La mer ouvrira ses bras Aux grimpeurs de la montagne Paysans et ouvriers de la cité De la désespérance viendra La guitare d’une autre rive

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Guitare espagnole ou bantoue Cordes sensibles du vaudou Sur les rivages de la tourmente Où chaloupe la vague espérance Chaque visage d’amphore Est la promesse d’un autre port Quand chancellent les âmes… 3 Sur la ligne de feu Les êtres pétrifiés gigotent Les crapauds trapus bafouillent Engrossés par la mer debout Les nuages desserrent leur vessie Le peuple rêve de traverser La barrière de l’horizon Guitare espagnole ou bantoue Cordes sensibles du vaudou Sur les rivages de la tourmente Où chaloupe la vague espérance Chaque visage d’amphore Est la promesse d’un autre port Quand chancellent les âmes… 4 Sur la ligne de feu Les êtres pétrifiés gigotent Les crapauds trapus bafouillent Engrossés par la mer debout Les nuages desserrent leur vessie Le peuple rêve de traverser 176


La barrière de l’horizon Fluide intérieur Volcans endormis Tremblements de cœur Au rythme de l’errance Aujourd’hui encore continuelle De nos cités-continents… 5 Il pleut Longtemps Il pleut toute l’eau des océans Des fleuves et des torrents Combien de comètes Ont frappé le fonds des volcans Charriant de vivantes molécules Sous la feuillée des arbres Près des sources primitives… Mots tus 1 Faut-il Les accents tuer Pour les mots ressusciter Doucement Aprement Des mots-repères Aucunement 177


Des mots tus Des mots-évangiles Ergotantes Bouches d’incendies Percluses d’arthrose Erotiquement éclatés … 2 Les mots épincetés Silencieusement épars Impunément perdus Saignant sur des échardes Les mots diront-ils Ces maux de la cité Désamarrée Seulement Dis-moi Le point focal Du silence Désemparé Immolé Incandescent Flamboyant…

Dérive Ciel d’Afrique Ciel sauvage 178


Ciel de douleur et de silence Sous la dérive du jour Le continent se terre Ni le soleil ni la lune Ne couvrent tes flétrissures

Dialogue (par sms) Moi Le ciel parle… …le ciel pleure cercles de lumières Boule des eaux… …De miel et de fiel Affluents de l’amer La cité étend… …Ses séides Roulis en cascade

Lui Drôle de demi-siècle… …Je ne t’envie plus Ayant mâché les ans Cinq ans déjà pourtant… …Pourtant passés en revue Et s’envasent les âges… 179


Étalon Je voudrais excaver des côtes la roche stérile De larges encoches où macère la pénurie Une outre sans fin gorgée de sang et de rides Où s’enferment au quotidien nos rêves arides Comment vibrer de ferveur à l’orée de toi Entrer en transes, m’élever jusqu’au beffroi Planter ma foi dans les serrures de ta contrée Et chanter le credo pour ma terre désolée Donne-moi des graines pour engrosser cette terre Ensemencer les oblongs sillons de misère Transmets-moi la fougue ombrageuse du sorcier A chaque étreinte autour de tes reins embrasés

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Féroce cité (À E.T. du Sunnugal) Ô nuit noire d’Akwa Sous les spots des lucioles Nuit d’encre Sur l’échine de ma vie Nuit de jais Délestage et déluge Le ciel pique une colère Sous l’œil des lampadaires Nuit d’aube promise De nos peurs trempées De soleil demain

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Floraison (À Toco Ndedi, par delà le temps et l’espace) Sur les ailes de Beethoven Flânent des notes cristallines En petites foulées Danse l’angoisse Crescendo pour nuit enfiévrée Tout doit sur terre fleurir Muse musique zamour Vis : Lumière

Frontons Repeints les frontons de la vie De vert de rouge de jaune De jacinthe d’eau aussi Rase les murs peints de gris Où transpire la laideur Efface les griffures Des poèmes autodafés Des roses lilas fragrances Volutes d’amour toujours

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Rallume les torches éteintes Feux des strates de la cité Repeints les murs Avant l’aurore de janvier Pour redonner vie à nos étreintes

Ilot Femme, Ma mer intérieure Je brûle encore Du feu de ta fièvre A la fin des ébats Ferme mes yeux De la cire la plus dure Plombe mon cœur Scelle ma douleur Ô femme, ma mère

L’agonie du fleuve Les flots sans rivages expirent Les bâtisseurs de châteaux de sable Ont fait le siège de l’estuaire Le fleuve se meurt en silence Les pirogues se sont ensablés Les rameurs ne chantent plus Les poissons immigrent ailleurs 183


Les crocodiles gémissent Sur le viol de la mangrove Chaque jour plus profond S’enfoncent les sexes de fer Dans le vagin fécondant du Wouri Qui mourra de vos morts programmés Le dernier adieu Ah ! Si tu pouvais palper Les griffures de ma passion Mon âme grêlée d’amour Si tu pouvais venir dès l’aube Scruter mes portes focales Ah ! si tu pouvais M’enlacer comme une liane Une ficelle tropicale Un lacet de soulier éventré Dans la poubelle de la vie Offre-moi avant ton départ Une alvéole de souvenirs Un tunnel à l’allongée de l’enfer Requiem pour amour évaporé Ticket pour un dernier adieu Ci-gît le rhapsode Aède de l’errance Le barde du mal-être Qui porta son âme équarrie Aux bancs du cosmos

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Moi, Dogon ! Honni Mali oublieux de Moussa Traoré Pauvre hères dans des incantations perdues Des nonces apostasiques embrasent l’Afrique Ma terre brûle des dieux de la Baule M’évader de ce linceul Au-dessus des montagnes ensorcelées M’initier aux rites tabous des aïeuls Dogon Derrière les buissons Ou flambent les vents atlantiques

Oraison Je vous salue Marie Je vous marie Salut Marie Salut chez vous Salut Je vous marie Marie Je vous salue Chez vous salut Marie

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Sabot éternel Je suis la houle de montagne Ciel plombé d’ergots Bouc émissaire du moissonneur J’habite au versant nord Du sud de l’âme du monde Une case sans toi, sans moi J’ai rebâti l’arche, la goutte de rosée Le sourire du masque, la verge du sorcier Le silence au commencement de la parole Je suis le compas du dernier jour Guerrier de lumière Qui au matin invente l’amour Ilots, marigots, sceaux d’eaux Archets, pinces, Monseigneur ! En combien d’effluves as-tu crée l’artiste Tocsin Joli soir Filtre des orages Soir si calme Sous les palmiers nains Le tocsin Sonne le glas De notre trame Sans fin 186


Lionel Manga

Dévissage Sur le toboggan sinueux des jours rêches Sa glissade à ciel ouvert semblait sans fin, Inexorable descente vers une apocalypse entrevue, Comme une mouche dépourvue de ventouses Dévalent une paroi lisse J’ai longtemps, espéré, désiré, Au bout de la nuit blanche, Que le soleil reste enfoui dans son trou Et ne se montre pas Aux ocelles d’un papillon désenchanté, Fourvoyé en contrée d’incandeur, Et dont l’iridescence se dissimulait Dans les fronces du temps 187


18/02/78 Jour seuil jour sans jour guillotine Amertume puissance mille Jour indélébile gravé au laser Dans le marbre du temps Jour de liesse et de bière en dictature naguère Un jour de gloire en ce temps-là du Père de la Nation Férié et chômé sur toute l'étendue du territoire Jour relevé au petit piment rouge Un jour glacial fiché dans une vie tronquée Comme la lame d'un couteau entre les omoplates Jour de suie ignominieuse Un sale jour glauque jusqu'à la moelle Epouvantable jeudi noir Lanceur d'inconsolation au long cours Sur la fréquence dissidence et insoumission La docilité a fait fausse route ce jour-là Un jeudi de crue de merde Flanquée d'un pâtre estampillé et prestigieux Chargé de ramener dans la volière un ara égaré Et mission accomplie L'oiseau est dans la cage et sous clé Au grand soulagement du Binôme Le trio trinque aux dépens du rapatrié Leur conspiration odieuse mutile une vie Mais nul d'eux n'en aura cure Ni non plus de la souffrance qui l'essore en permanence Dans une constriction étouffante Qui manque de le pulvériser Une page de sa vie est tournée à mi chemin Brutal inachèvement Le rêveur a longé et contemplé le précipice de la haine Sans céder au vertige enivrant du meurtre Blotti dans une bulle lumineuse de mansuétude 188


Détresse 1 Bruit dedans bruit dehors Tumulte ici tumulte ailleurs Fracas par ci fracas par là Tapage en haut tapage en bas Charivari au sud charivari au nord Boucan à l'est boucan à l'ouest Vacarme devant vacarme derrière Noise en long noise en large Clameurs à l'aube clameurs au crépuscule Tintamarre au centre tintamarre en diagonale Cacophonie de jour cacophonie de nuit Raffut à droite raffut à gauche Au voisinage nord de la latitude zéro Dans la galerie fractale du Fiasco Lassitude cherche en vain cavité de silence 189


2 Zizanie dedans zizanie dehors Rixe en haut rixe en bas Querelle pour un oui querelle pour un non Fâcherie à l'aube fâcherie au crépuscule Discorde au sud discorde au nord Rancune à l'ouest rancune à l'est Brouille de jour brouille de nuit Esbroufe devant esbroufe derrière Rivalité à gauche rivalité à droite Loi du talion ici loi du talion ailleurs Traquenard au centre traquenard en diagonale Mines en long mines en large Au voisinage nord de la latitude zéro Dans la galerie fractale du Fiasco Candeur cherche en vain écrin de douceur 3 Hyènes à gauche hyènes à droite Vautours en long vautours en large Crotales dedans crotales dehors Scorpions devant scorpions derrière Squales à l'aube squales au crépuscule Frelons à l'ouest frelons à l'est Murènes au sud murènes au nord Magnans ici magnans ailleurs Tarentules au centre tarentules en diagonale Piranhas en haut piranhas en bas Guêpes pour un oui guêpes pour un non Chacals dedans chacals dehors Au voisinage nord de la latitude zéro Dans la galerie fractale du Fiasco Utopie cherche en vain site viable 190


Show aérien Elle déboule, Dans la transparence lumineuse du jour, Fusant sur sa lancée en zigzags, Elle part en piqué soudain, Et se redresse au ras du sable, Elle monte en chandelle, décroche Et virevolte, elle s’éclate Dans un bain de photons, Esquissant un graphe incalculable, Fille de l’air, Demoiselle diaphane aux yeux globuleux, Elle cabriole dans des figures étourdissantes, A couper le souffle Du plus chevronné des pilotes, Elle disparaît tout à coup en altitude, Parmi les hirondelles qui mènent un ballet similaire, Puis la revoilà, si c’est bien elle, La même, frétillante, Vol stationnaire, Et la voilà reparti pour la haute voltige, Ivre de lumière, Au-dessus de la cour cernée de murs moussus, Elle batifole sur tous les paliers, A fond le battement d’ailes translucides, Elle ne s’arrête pas, Elle fait son numéro de libellule, Un dimanche au bord de midi Et de solitude ensoleillée, Au fond de Bonabéri

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Elle Hier encore Pas si loin Elle Si rieuse insouciance Radieuse grâce Câline candeur Effrontée Elle Enjôleuse splendeur Un éclat anthracite Fragment de diamant Etincelante Elle Aujourd’hui Porcelaine fracassée Fleur flétrie Folle presque Sur la souffrance recroquevillée Elle A des soudards livrée Pour cause de tracts séditieux Sur le perron de l’adolescence Bousillée Défoncée Malmenée A la guise des bourreaux De nuit et de jour soumise Elle Qui se cache Qui se terre Recluse dans une infinie solitude En attendant de la mort La délivrance rédemptrice 192


Sans lune Certaines nuits sans lune, Le ressac ininterrompu de l’océan Ressasse une plainte douloureuse, Certaines nuits sans lune Le mugissement immense de la houle Murmure une confidence ancienne, Certaines nuits sans lune Les risées interminables qui frisent l’onde Résident en boucle une odyssée tragique Certaines nuits sans lune, Le ressac ininterrompu de l’océan Ressasse une protestation infinie Certaines nuits sans lune Le mugissement immense de la houle Murmure un déchirement atroce Certaines nuits sans lune Les risées interminables qui frisent l’onde Redisent en boucle l’épouvante des esclaves, Certaines nuits sans lune, Le ressac ininterrompu de l’océan Ressasse le cliquetis de leurs chaînes, Certaines nuits sans lune Le mugissement immense de la houle Murmure la terreur froide des captifs, Certaines nuits sans lune Les risées interminables qui frisent l’onde Redisent en boucle une amère malédiction 193


Brasero blues Au-delà des lueurs du crépuscule, entre mangrove et macadam, la nuit a évincé le jour maintenant et la trépidation urbaine passe sur une autre fréquence, au fil rouge des minutes qui scandent la ronde des heures à l'horloge transparente du fiasco en couleurs acides, fauteur de suffocation locale, la lice de la frime est ouverte, la mise en bière passe à la phase vespérale dans les rues sans cachet de la joie concave, et le conclave de la résignation bat son plein dans la nuit anthracite de l'amnésie historique, la dissipation est lancée et déboule à tombeau ouvert sur les boulevards lisses d'un doux leurre fluo, la fraîcheur se pavane dans des miasmes ammoniaques, dolce & gabbana, diesel, kenzo, armani, gucci, céline, hermés, gap, ralph laureen, façonnable, von dutch and co, la clique griffue de têtes à claques vert rouge jaune, membres périphériques de la global glamour society, escortes de leurs émules de croupes et de seins, parties prenantes et prenables du bal des masques, au son des crécelles et des castagnettes de l'illusion en 3d, haute dentition garantie pour fiction non remboursable et cuisante est la morsure du feu de braises rougeoyantes sous un bar un bossu un capitaine un maquereau un brochet une daurade une carpe une sole un brochet, au menu du festin sans modération des sacripants, et des experts de la navigation en eaux saumâtres, qui montent, qui descendent, turbides, 194


faiseurs émérites de remous et de rumeurs sur le méridien tropical du vide assourdissant, et au grand dam des scintillantes stars qui balisent le firmament encre de chine, côté sud de la planète qui part total patraque, et le climat déglingué par la déraison capitaliste qui s’réchauffe, qui s'réchauffe, qui s'réchauffe…

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Chagrin, étoiles et agapes la fanfare se fait de plus en plus proche, sur le boum boum intermittent de la grosse caisse qui bouscule la quiétude huppée, et des aigrettes blanches effarouchées, décampent à tire d'ailes, dans le crépuscule paisible, vers une destination inconnue, cap éventuel sur le printemps qui revient, tandis que dans les manguiers a l'entour, batifolent des chauves-souris piaillantes, et le fracas d'un zinc qui passe va decrescendo, dans le crépuscule paisible, une onde de chagrin se propage, et bientôt monte dans l'air turbulent, portée par un chœur composite de femmes, une poignante mélopée vernaculaire, qui se hisse mezzo voce, au-dessus de l'opulence urbaine en deuil, jusqu'au voisinage du mince croissant de lune suspendu dans le ciel où quelques étoiles déjà, palpitent et scintillent, pour le bonheur des rêveurs invétérés, et la vie venue de loin continuera, puis l'absence sans bruit cicatrisera, mais pour l'heure dans maint esprit avide, 196


se profile une formidable collation, des agapes post-inhumation, une dĂŠflagration de victuailles annoncĂŠe vins fins, liqueurs et champagne en vue, pour gosiers vertigineux et estomacs sans fond, en mal de ripaille aux frais de dame mort.

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Effroi des spectres divaguent en cohortes pâles, sur le plateau lunaire criblé de soleil, parmi des débris de rêves et des tessons d'espérance, formes incertaines dans la réverbération éblouissante, quelques mirages fluorescents vibrent sur l'horizon, des chimères tourbillonnent dans le vent mauvais, pléiade dantesque jaillie des abysses infernales, leurs hurlements d'apocalypse lacèrent la puanteur, couvrant le cliquetis des squelettes sous le ciel de feu, longue procession chaotique clopinant vers le néant

Nymphettes dans le labyrinthe fractal de la nuit urbaine venue, des nymphettes graciles, explosives, sillonnent les rues précaires de la joie fragile, poupes et proues houleuses en promotion lascive, au supermarché de la concupiscence a tout vent, gladiatrices cuirassées de désillusions corsées, elles ferraillent avec des jongleurs de liasses interlopes sur le méridien acide et sans cœur du froid cynisme. 198


Dili Palaï On n’a pas fini de pleurer 1. On n’a pas fini de pleurer On n’a pas fini de pleurer Hier nous étions en grève Hier nous croyions bien faire Mais on n’a pas fini de pleurer Nous avons escaladé des épines des ronces Nous avons déménagé pour toujours Nous avons aussi jugé des malfrats Mais on n’a pas fini de pleurer Pourquoi m’apprendre à me baigner Dans les larmes usées de plusieurs visages ridées aujourd’hui Pourquoi ne pas s’abstenir De me faire toujours pleurer Bon gré mal gré sur mon chemin Se trouve une boule toute rouillée Que je m’empresserai de rouler Au feu qui me fera toujours pleurer 2. L’école en pleurs L’école d’hier m’a fait pleurer La charmante maîtresse m’a donné à penser Le maître du champ m’a fait chaud aux fesses Mais on n’a pas fini de pleurer L’école d’hier c’était un caméléon Qui avalait des arachides grillées 199


Que des vendeuses affamées distribuaient Elles n’ont pas fini de pleurer L’école d’hier c’était des balles perdues Dans le dressage des canards tordus Dans de la nivaquine au soir Mais qui a fini de pleurer J’ai été à l’école hier et y retourne aujourd’hui Car l’école hier étouffe aujourd’hui Avec sa ruse et ses faux fuyants Devant les incongruités de ce monde L’école hier a dépravé les consciences L’école d’hier que l’on brandit tant L’école d’hier que l’on chasse aujourd’hui Dans les tribunaux de la République Nous avons fait nôtres à tout vent Les indices de l’école d’hier Mais la trahison du triomphe Nous rend coupables de notre culot L’école d’hier nous fait pleurer Car elle met mal à propos À l’épreuve des bonnes gouvernances Et on ne finira pas de pleurer Parfois à des dizaines de milliers de kilomètres Il fallait chercher son bonheur Qui s’écrasait dans des accidents Une nouvelle occasion de pleurer

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3. Pour tous ceux qui aiment pleurer Ce poème je l’écris Pour tous ceux qui aiment pleurer Pour tous ceux que la douleur phagocyte Dans ce monde de mœurs épars Ce poème viendra à coup sûr Ôter les intentions de joie à ceux qui aiment oublier Que beaucoup parmi nous pleurent Et ne s’empêcheront pas de périr en pleurs Ces vers qui chantent hantent et déchantent Se noieront j’en suis sûr Et buteront contre le roc Des âmes qui ne finiront d’essuyer les larmes 4. Illusion Un bureau douillet N’accueille pas que les bons chefs Une automobile scintillante N’a pas toujours un bon conducteur Des biens matériels en abondance Ne sont pas toujours synonyme de vie heureuse Une saison de pluies abondante N’annonce pas forcément de bonnes récoltes Une lune apparue le bon jour N’est pas toujours signe de fête Un bon cultivateur Ne se reconnaît pas qu’à sa houe Un bon maître N’est pas toujours couvert de craie Un bon martyr 201


Ne fait pas toujours plaisir à tout le monde Un bon député N’est pas toujours honorable Une bonne odeur de cuisine N’emplit pas toujours le ventre du pauvre Une bonne tempête Ne présage pas que des malheurs Tout ce que nous savons vivons connaissons pensons touchons voyons N’est que le reflet de toute vie Tout n’est qu’illusion ici-bas Et Dieu l’a voulu ainsi… 5. Mon monde à moi Mon monde à moi je le veux enfantin Mon monde à moi je le veux gentil Mon monde à moi je le veux vivable Mon monde à moi je le veux candide Mon monde à moi je le veux horizontal Mon monde à moi je le veux juste Mon monde à moi je le veux divin Je ne veux pas d’un monde violent Je ne veux pas d’un monde rigoriste Je ne veux pas d’un monde puissant Je ne veux pas d’un monde en feu Je ne veux pas d’un monde truqué Je ne veux pas d’un monde trop corrompu Je ne veux pas d’un monde fanatique Je ne veux pas d’un monde obtus Je ne veux pas d’un monde doré Je ne veux pas d’un monde mécréant Qui nous fait larmoyer tous les jours 202


Car je ne le dirai jamais assez On n’a pas fini de pleurer… 6. Toujours en sang Des meneurs d’images Toujours en sang Montrent le sang répandu Des meneurs d’images Toujours en sang Occultent les plaies de la cité Images de sang Pleines sous les tropiques Verser des horreurs c’est bien beau Égrener des fureurs c’est adroit Mais nos consciences affaiblies Répugnent de malaise Rien n’est beau tristesse et folie Rien n’est beau violences infernales Si toujours de sang vous êtes On ne finira jamais de pleurer… 7. Prière Mon Dieu J’espère vivre mes funérailles Avant ma mort Mes frères Donnez-moi un grand bol de bouillie Quand je vous regarde encore Faites-mois danser 203


Pendant que je tiens sur es deux jambes Offrez-moi le sourire Chaque fois que je vous salue Que la décoration que j’attends Rime avec mes problèmes de chaque jour Car on l’a toujours pensé Les funérailles d’outre-tombe Seront futiles pour moi Mais futiles pour ceux qui restent

8. Dépotoir Chez nous le dépotoir est roi Chez nous les ordures ont pignon sur rue Chez nous le dépotoir garantit son règne Chez nous le dépotoir est noble ornement Chantons les louanges des ordures Qui n’ont pas de colère Et qui restent la fierté des villes Tant pis pour les villages Qui ne connaissent point de dépotoir Et qui pleureront toujours… Chez nous le dépotoir est roi Chez nous les ordures ont pignon sur rue Chez nous le dépotoir garantit son règne Chez nous le dépotoir est noble ornement Chez nous le dépotoir est roi Chez nous le roi est ordure…

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9. Dés(espoir) Je ne vais pas parler du droit d’auteur Qui n’a plus de valeur Qui ronge les cœurs Qui puise plus qu’il ne donne Qui arrose les plus nantis Qui écrase les démunis Qui n’aime pas les lettres Je n’aime pas parler du droit d’auteur Car les artistes meurent de leur art Les écrivains les vrais pleurent Et la musique gère l’écrivain Et la politique mange l’écrivain Ô Bonté divine veille sur nous Afin que nous puissions garder haute La barre que la muse a bien voulu hisser Aux cimes de la nature créatrice Ô Valeurs immortelles nous vous implorons Aidez-nous à toujours pleurer dans la dignité Car le monde des écrivains chez nous Cherche encore repères loin des vipères 10. Écologiques La savane de mes ancêtres rumine de colère Le karal[1] le soleil l’a brûlé vif Le cassia je l’ai assommé L’acacia je l’ai dévasté Le tebakamé[2] je l’ai mis en quarantaine Le dattier je l’ai insulté 205


A la lisière du bec de canard La steppe de mes aïeux pleure Ses rizières sèches asséchées desséchés Ses pluies loin des chaumières Ses lions éléphants girafes victimes d’injustice Ses hyènes et panthères royales devenus parias Ses hippopotames rhinocéros en grève de la faim Ses oiseaux criquets et sauterelles mouvants Ses pirogues de poissons renversées Par la rigidité des doigts maléfiques Aux abords du Logone Le désert de mes pairs m’inquiète À la couche d’ozone renversée Au règne du réchauffement terrestre À la sauvagerie moderne Trop de désert bientôt dans mon hameau Fera tomber la lune claire toute ronde Au secours des griots affamés sans espoir de renaissance Sous les tropiques dévastés et en quête d’identité réelle 11. Reste en terre Dans mon jardin de misère Je rirai je crierai Dans mon Eden de disette Je tordrai mes risibles boyaux Dans ma veste de fer au réveil des âmes meurtries Je cueillerai les calebasses allongées Dans ma rivière des temps anciens J’abattrai les gourdes en terre Pour le reste 206


Je mettrai sous une terre de béton Ceux qui brandissent le mal bien-aimé Ceux qui égorgent le sang caillé Et ceux qui aiment frapper à la porte de bonne heure de gaieté de cœur Trouveront une terre légère De germination paisible

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Vicky Simeu Chaire et Chœur

Regarder Il s’agit de regarder Regardez ce ventre ! Pas une seule loi Pas une seule oie De soie Ne s’invente Plutôt engluer dans l’œil d’aucun soleil. Regardez cette terre ! Cette terre faite pour haïr les abeilles Elle ne danse qu’au son de communs tourteaux S’accompagnant de serrure définitive La ferme stérile de grumes. Ce ventre que vous voyez là N’est pas mien Mon ventre est fait de vergetures De boursouflures très convoitées Lorsque Monsieur s’en va en boîte sans zèle Mon ventre beau coup d’une maturité sans bu 208


N’en a cure du lisse Il vole Il vole Il garantie ses lices Cette taire que voyez-là N’est pas mienne Quand la mienne apparaîtra au frontispice Du miroir La Patrie vivante tournera en boîte Vers de nouvelles bêtes à livrer en pâture. Elle grattera toujours Telle une immortelle puce.

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Mardi : Le chèque Une main passée par une fenêtre Apporte un semblant de jour Car nos promesses tiennent Entre exil et affrontement. L’amitié est un bond de prise en charge Et l’amour un travail sans pain.

Mardi Aurore s’en va La réponse est fosse C2 laisse passer la boxe Elle s’est présentée sur l’estuaire de la désert Ses billons en amont sont seuls Sur une 33 vie d’un Sion Je suis Seuil, le livre paraît bien tôt Et me met en demeure de toux rats contés

Il saigne l’horizon Il souffre le vent dans le cœur de l’euphorbe Le rire de complainte de Marie dans le monde ceint L’arrivée incomprise de la Cigale parmi les Djins 210


Mercredi, d’enfantement Je me suis levée très tôt Pour le spectacle Le soleil dormait encore. Il est venu beau, droit, souriant Quand l’actrice agonisait sur le podium. Il n’y a pourtant que bonheur Car la fortune vient en dormant. Alors le feu de l’unisson brille en moi Pour avoir réconcilié Une partie de moi En dehors de moi. Soleil après soleil Je me suture Tell un pull over qui tisse son existence En présence d’une main mystérieuse. De mon regard s’éclate De nouvelles prémisses En parfaite équilibre Avec l’univers épuisé vidé de se la donne Epuisement et thérapie pour des lendemains nu des coup de capotes.

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Monsieur incognito Une croisière éternelle Arrivé en milieu de la nuit. Son rire ayant déjà inscrit mes contrés Sur une carte postale des tropiques. L’aventure de ses mots, Un transport d’information en mélodie, Font danser mes yeux Ils valsent vers la découverte De son impertinente expédition. Lui, auteur de ma poésie nostalgique Et moi fan de son mélange de son Etonnement troublant succombons A destination aux rythmes de nos ébènes. Son phallus bien tôt attisé Par le feu matinal de la rosée Lance ce bonheur curatif Sur mes bases avares et loyales. Ses bras, belle plaisanterie d’un client Des parties de chassent draguent L’odyssée avide de mes hyperboles Plus pour leurs splendeurs Que pour notre nectar ressourcé. De mon corps s’échappe un soupir mensonger. Ma grande gueule, assise sur l’air de son cou Tente de soumettre cette offrande A une mort prématurée dont 212


Le glas sonnera dès le plein ciel. Mais sa résistance étoffe mes ardeurs Son sprint happe à tout instant Mes cendres m’empêchant ainsi De quitter la piste précocement. Après de nombreux moments de recherche Je parviens à son goût amer Je parviens à son puissant goût amer Ovationnée de l’emblème d’un amour infini Goûter son puissant goût amer Quels épuisements !

Le Fou fou de ma tante Le bois donne aux bois La confiance d’un bon soleil Le feu donne à la marmite de l’eau L’os de la viande a déjà connu son sort Ses doigts fins sur le filet de bœuf Promettent à la soupe un délicieux futur Ne partageant avec elle que les moments Du fou fou La cuisine cesse d’être un art Du fou fou ? Le fou fou de ma tante Un régale A y songer, ma langue meure d’impatience Elle ouvre ouvre 213


Elle referme referme Sa marmite d’eau de fou fou tamisé Ses doigts fins qui n’ont rien De son grand corps On aurait dit qu’elle a été faite De dieux différents Ses doigts fins disais-je Décapite de nouveau Le filet de bœuf Après l’avoir nettoyé elle le range Près des condiments apprêtés De la pareille délicatesse. Je ne pense qu’à son fou fou Que je déguste. Aïe ! Quelle impatience ! Elle attise le feu Un soleil dont l’âge a terni le sourire La vapeur monte au ciel Pour affronter ce soleil Monte Faufile Se dresse Et disparaît Réapparaît Se dresse Faufile S’éteint avalé par le ciel Le fou fou remue son pilon J’adore son fou fou Un régale Un égale 214


Un régale jamais égalé Rien qu’à y penser J’ai des idées ! Elle verse son fou fou dans l’eau virile Raccourci au trois quart Le fou fou remue malicieusement son pilon Elle s’obstine devant le foyer Qui jaloux fait basculer Tantôt à gauche Tantôt à droite La marmite. Le foyer aussi remue Vigoureusement le fou fou. Elle s’offre maintenant à son pilon Qui remue durement le fou fou Ses mouvements un étendu de sueur Dans la marmite de fou fou. Le beau pilon Tire, tire Soulève, soulève Fond, fond Aïe ! Quel fou fou Le pilon remue le fou fou Il remue Et remue Et retourne Le fou fou à ses tourments La marmite s’accommode à ce choix Du moment où le foyer Ne veut rien de cette chute.

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Le fou fou devient une patte Une vraie patte homogène Oh quelle patte ! Quelle délicieuse patte ! A présent elle partage son fou fou Un plat pour moi Un autre pour moi Un autre pour moi Un autre pour moi Un autre pour moi Un autre pour moi Un encore pour moi Un encore pour moi Toujours un pour moi Oui, ce fou fou de tous les délices Toutes les paroles Ce fou fou de toutes les folies Il est à moi et fait ma mire.

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Il s’agit maintenant de poser l’être et l’être Plein du vide Que mon regard soit de gauche Que mon regard soit de droite Que cela peut-il bien faire Etre de gauche, être de droite Avoir la gauche, avoir la droite Etre de gauche et de droite Avoir le rouge de la gauche Etre de vert au rouge de la droite Sourire jaune et rouge Avoir l’équilibre Ne pas avoir d’équilibriste Spiritualisme contre spiritisme Que cela peut-il bien faire Etre une femme en majuscule Etre un homme en minuscule C’est moi et moi Moi c’est moi Et mon toit n’est pas le tien Tiens ! Il est de toi En moi et sans moi Que le modèle soit en face Devant Derrière 217


A côté En bas En haut Il n’y a pas de modèle Il n’y a que eux Eux en toi Il n’y a que toi Toi en moi Et je me suis déchirée pour mieux me défier Je me suis reposée pour mieux me poser Le repos s’est fait haine des matinées Pour ceux qui ont des questions de rédaction. Quelle décision ! Nourrir de douleur Mystère de la ville Débrouillement Mangement Chiement Trêve de colère Merci pour toutes ces compréhensions. Et l’on mit beaucoup d’ardeur A faire choir mes rêves Choir ceux que je suis Ceux que je ne suis pas Ce que je suis Ce que je ne suis pas Trêve de colère Qui cherche trouve Qui trouve s’engage Qui s’engage lutte Qui lutte réussit.

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Bienvenue dans mon boutiquier Eau Cameroun mon beau pily Eau Cameroun berceau de nos enceintes Va debout et jean loup de ta liberté Comme un soleil ton drap pot Fier doigt être un sème bol Agent de foi et d’unité Que tous tes an fans Du Nord au Sud De l’est à l’Ouest Soie tout amour Te servir que ce soit seul bu Pour remplir leurs deux voies (voix) Tout jour Cher patrie Taire chérie Tu es notre seuil et vraie bonne heure Notre joie, notre Vicky A toit l’amour et le grand bonheur. Fin de série. Retrouvez-moi sur mon blog ! VickySimeu.com

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L'ombre de la ville A feu T. FOKA Léger-Noël Je regarde autour de moi Les affects de la ville en émoi Ville glorieuse des temps jadis Ville tumultueuse de ramassis Qui ne cesse de me réduire Me réduire Je regarde autour de toit Les affamés qui se taisent Sur les tessons ils se croient à l'aise Malgré les venins enchantés des putois Dans les maisons plates des lèses Je regarde autours de nouilles Les hommes que l'électricité électrocute Les joueurs qui saignent d'uppercut Les présidents radins voleurs de rêves Et les marabouts inventent les pages de trêve Je regarde autour de vous En cravates de soie les voyous Qui font de nos vies de champs ternes Les pasteurs en tenue de western Aux côtés des enfants font Bam! Bam! Je regarde autour de îles Les os engloutis des âmes pieuses Formant les cônes de vagues sinueuses Qui s'écrasent sur la façade de Port-Gentil 220


Hervé YAMGUEN Portraits de nuit

I Je regarde les traits de mon corps, j’écoute les bruits de mon sang en silence comme faisant face à un paysage brumeux de nuit qui me donne à voir mille couleurs de terre et de ciel, des odeurs de creux de regards, de la poussière répandue Comme du riz sur une file d’ombres devant une grande pendule bruyante dans l’obscurité. 221


II J’ai cherché les chemins où boire chaque trait de ma nudité afin de me recracher et de semer mes odeurs dans les mots qui m’inventent. Se reconstruire au fond des silences et se tenir face aux vents du quotidien donnent du goût à se nourrir avec les mots et la musique du monde comme si l’on écrivait soi-même un partition de jazz dans une pénombre. III Ici, partout la solitude dans la nuit reste vertigineuse avec ses présences de chairs, de regrets, d’oublis , de maux de visages et de souvenirs posés dans le temps comme des lanternes. IV Mon souffle se confond aux bruits des corps de terre et de sable que je traîne dans la cité de ma colère . Je porte une écharpe colorée de veilleur dans un pays qui veut me dire son nom en suffoquant. V Entre brume et cratère, je cherche la trame juste pour tisser l’armature 222


de mon chant et faire signe à ma ville, à mon pays, aux arbres, à mes aïeux de venir danser sous le soleil pour tenir la mort à distance de nos cauchemars nocturnes. VI Il fait froid dans cette chaleur folle. Il fait nuit dans cette chapelle de trous de ferrailles rouillées. Des monticules de cendres dressent leurs territoires de grisaille contre ceux qui veulent semer le beauté en marchant et en faisant de leur corps un serment à la terre. VII L’orage m’annonce la venue d’un abîme à combler. Mon pays se creuse au fond d’une ruine. Je reste sur le flanc de l’ombre. Les empreintes de mes pas se couvrent de lanternes. Je remue les cendres. Je retrouve la couleur opaque du silence. La nuit est présente dans les mots que j’adresse aux étoiles. Je sais maintenant que quand on dit qu’on a peur, c’est qu’on est déjà foutu.

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VIII Ma chair se mêle aux odeurs de terre, aux monticules de cendres, aux bruits et aux voix des radios, aux douceurs et aux rugosités des mains qui me palpent. Ils moulent en moi de grandes formes silencieuses dorées. J’apprends à rester vivant avec les bruits tendus des silences qui habitent mes peurs et mes doutes. IX La nuit surgit et rentre en scène. Elle projette les mots violents hors de la cage de vertiges qui la rendent prisonnière. En criant, elle a fait que le soleil se couche sur lui même et s’enferme entre des mûrs d’éclairs et de boules noires sculptées. La nuit de souffrance et le soleil de peur ouvrent de grands creux sur les boulevards de la cité. Maintenant, il faut semer de bonnes graines dans ces creux pour dormir sans secousse sur les cheveux de l’aube quand le pays se réveillera X Une lueur sur mon front tombe dans un paysage pluvieux et serein . A notre terre, je demande ma part d’empreinte de chairs et de paroles 224


humaines pour me refaire un visage neuf dans l’orage de cendre qui se dessine déjà dans le lointain et sur le ventre de notre pays renversé comme un cafard. XI Avec des lanternes dressées sur des chemins tracés avec des mots cousus sur des toiles composées de courbes et de gestes d’offrandes. C’est avec la nuit, sous les ailes du silence que j’épouse mille visages et des silhouettes de femmes crispées dans mon abri nocturne. XII La nuit, les gouffres et le dénouement me disent que malgré les écorchures, il faut trouver l’ancrage d’une terre fertile pour se tenir debout dans les vacarmes. XIII C’est la tempête qui dit où est la rive. XIV Les ombres couchées dans le vacarme des décombres me donnent mille raisons pour nommer et repeindre les espaces et les silences avec la lumière folle de la lune.

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XV Portes ouvertes, traces sur les murs, murailles de brume, traces de lumières , portes des astres. La nuit balance sa queue devant les portes ouvertes. La lune apparaît et la tempête tombe. On dirait un chant d’oiseaux ivres qui se couchent. La nuit se calme. Il faut partir se coucher avant que l’orage ne revienne pâlir le temps des semences et de l’amour.

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Extraduction

Au terme du parcours que vous venez d’effectuer en poétique compagnie avec ceux que le Cameroun compte en ce moment, soit comme acteurs majeurs dans ce domaine, soit alors, comme acteurs de demain, il importe de souligner que deux grandes écoles dominent le paysage poétique national : il s’agit d’une part, de l’école du poème objet et d’autre part, de l’école du poème prétexte. Pour les partisans de la première approche, le poème est avant tout un objet littéraire identifiable soit de manière empirique, soit alors par l’intention poétique. Le poème a en effet un ensemble de caractères somatiques qui constituent sa marque diacritique et le distinguent d’un texte en prose. C’est par exemple l’alinéa, la majuscule initiale, l’homophonie désinentielle des vers, la segmentation strophique, la distribution spatiale du texte dans la page, le rythme, la mesure, etc. D’autres caractères plus subtils permettent également cette différenciation. Il s’agit, au-delà même du souffle émotionnel mystérieux et enchanteur créateur de l’impression poétique, d’un travail objectif sur la langue. Un travail de décoration qui, par-delà sa dimension figurative et imaginaire, permet l’embellissement du texte. Quant aux tenants de la seconde approche, le poème n’est qu’un prétexte qui permet de dire court et de penser bref. Voilà pourquoi ils accordent un primat souverain au sens plutôt qu’au travail sur la langue. Pour eux, le poème n’est pas fait pour étonner. Il suffit parfois d’aller à la ligne. Au demeurant, tout ce qui n’est pas sémantiquement accessible rapidement doit être banni. C’est la raison pour laquelle, par divers procédés comme la théâtralisation et le diaporama, ces poètes s’efforcent de vulgariser le message de leurs textes qui du reste sont très proches de la prose. Le travail de figuration et d’imagination est quasiment inexistant ici. Car pour eux, le poème doit absolument se comprendre et non se laisser ressentir comme c’est le cas pour les tenants de l’approche intentionnaliste. En papotant abondamment sur des sujets à la mode comme le SIDA, dans un contexte où l’invective contre le régime politique apparaît de plus en plus comme un certificat de poéticité, ces poètes ont du mal à tourner la page de la négritude et à transcender l’appris. Ils cherchent à plaire à tout prix en revisitant les sentiers battus qui leur permettent de rester dans l’art officiel en disant ce que la critique aime entendre. Si l’approche intentionnaliste correspond à peu près à l’école de Douala, la deuxième quant à elle correspond à l’école sémantiste de Yaoundé. Quand il a dit son nom, exposé ses tripes et ses névroses, que reste-t-il, par-delà le silence, à l’écrivant dont l’intention est de dire poétiquement le réel ? Tel est le pari qui est parfois celui du poète. Car il convient de se souvenir que la poésie commence par la fièvre d’un étonnement qui retourne les viscères et conduit nécessairement à un cri. Elle est, soit le cri même, c’est-à-dire, une vaste exclamation, soit alors, le vertige logorrhéique qui est le résultat d’un mal-être que parfois, même le bien-être peut provoquer lorsqu’on a définitivement enfourché Pégase. Il importe toutefois de mettre en relief le fait que ce n’est nullement pas en inondant son texte de points d’exclamation que ce dernier parvient à la hauteur poétique. L’exclamation est dans le regard que le poète pose sur la vie et qui reflue dans son dire poétique, soit en gerbes colorées, soit alors en laves ignifères. L’école de Douala, reconnaissable dans ce livre par un certain entêtement dans la 227


direction de l’art contemporain et une liberté portée à son point culminant ouvre ce livre avec en frontispice, le peintre Koko Komégné qui est, de toute évidence, le pape de cet idéal dans l’art plastique au Cameroun. Sans revendiquer ouvertement l’appartenance à l’idéal de Douala, certains poètes comme Joseph Fumtim défendent et illustrent parfaitement les audaces scripturaires de l’estuaire avec beaucoup de bonheur. Et c’est à juste titre qu’ils figurent en bonne place ici. Il y a enfin les indépendants qui viennent du Nord et dont les figures les plus représentatives sont Kolyan Dina Taïwe et Dili Palaï. Poètes profondément pudiques et réservés, ils ont chacun en ce qui le concerne, l’élégance de l’intellectuel discret et le charme du poète portés au summum. Tous les auteurs de ce livre ne se reconnaissent pas dans la vision poétique de l’estuaire. D’aujourd’hui se veut seulement une fenêtre ouverte sur l’activité poétique camerounaise d’orientation contemporaine et souligne le fait que dans cette mouvance, quelque chose de différent se fait à Douala.

Anne Cillon Perri Yaoundé, l’Assoumière, 08 avril 2007

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