Les biais cognitifs dans notre rapport au conflit-Abder AIT OUALI

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Le monde a besoin de médiateurs

Les biais cognitifs dans notre rapport au conflit – Texte de la chanson éponyme

Parmi les nombreux concepts contenus dans la chanson « Le monde a besoin de médiateurs », ce texte qui explore notre rapport au conflit en développe les biais cognitifs, l'identification, la projection, l'ego, l'ajustement conservateur et l'ajustement créateur. Une chanson pour un monde en tensions qui, au lieu d’affronter sa peur du changement, préfère rester dans sa zone d’inconfort dans un perpétuel ajustement conservateur. Un ajustement qui, loin de représenter la stabilité, est devenu, par sa passivité, une source d’instabilité et de conflits. À travers de nombreux biais cognitifs, qui agissent comme filtres, pour biaiser notre représentation du monde. Un monde, où les identifications à des croyances aveugles, qui ont du mal à s’écouter et à s’entendre, sont des racines si ancrées dans les mentalités qu'elles empêchent de voir la lumière de l'altérité. Un monde où nos projections-miroirs, par illusion d’optique, voient dans l’autre la partie sombre de nous-mêmes. Où l’ego dysfonctionnel – le plus grand frein à l’esprit même de la médiation – vient renforcer ces murs en béton, armés pour imposer les vertus d’une cage de l’entre-soi.

Ces messagers de l’ombre, en piégeant notre cerveau, nous font miroiter une zone de confort illusoire, en nous manipulant dans notre relation à l'autre : différent → étrange(r) → menace → ennemi → exclusion. Ces contaminations sont aussi à l'origine des pires fléaux de l’humanité, notamment des préjugés, avec pour corollaire de renforcer le sentiment d'insécurité en plus d'entretenir la paranoïa – la seule maladie mentale qui soit réellement contagieuse – pour alimenter le cycle infernal de la violence : Biais cognitifs → Identification → Sentiment d’insécurité → Peur → Projection → Défense → Attaque. Et pour cause ; la meilleure défense, c’est l’attaque. Avec, entre autres stratégies, le DARVO (Deny, Attack, and Reverse Victim and Offender) qui vise à nier, attaquer et redéfinir la réalité en inversant les rôles, victime et agresseur. C’est la tactique utilisée par les gens de pouvoir quand ils sont accusés. Elle consiste non seulement à se faire passer pour victime mais aussi à blâmer la vraie victime afin de justifier l’attaque. Attaque, boostée par un ego, manipulateur et surdimensionné, qui n’a d’égal que la toute-puissance du syndrome d’Hubris.

Ce cycle-pattern est applicable à toutes sortes de conflits où deux parties ou plus se déchirent, avec une violence plus ou moins invisible selon le degré de manipulation de la vérité Sachant que plus le monde se divise, plus la vérité se perd dans les abîmes de ses déchirements. La recherche de la vérité étant déjà une plongée dans l’Abîme en soi. Où chacun trouve sa vérité, aussi bien que sa réalité, biais cognitifs à l’appui. Il en est de même pour l’idée que nous nous faisons du bien et du mal, dans la mesure où ces notions ne sont que le résultat de ces biais. Autrement dit, notre cerveau –censé représenter notre perception de la réalité – nous offre une vision biaisée de notre perception du monde. Derrière les conflits : les biais cognitifs, c’est le postulat de base de ce texte.

Aux antipodes de l’empathie, de l’altérité, et de la paix, ces mécanismes de défense du moi – et donc de l’ego – sont le « pourquoi » du problème, en biaisant notre raisonnement et, de fait, nos décisions. Ce sont les pires générateurs de conflits dans le monde, par leur puissance inconsciente. Ils font appel au cerveau reptilien dont le fonctionnement alimente la phobie de l'autre jusqu'à en faire une question de sécurité, voire de survie. C’est ainsi que la peur du cerveau reptilien – après avoir colonisé le limbique et neutralisé par manipulation la raison du néocortex – l’emporte pour former la cage de l’entre-soi.

Plus l’identification à un groupe d’appartenance à cette cage est extrême, plus on projette une antipathie irrévocable pour qui n’en fait pas partie. Cela induit de rejeter l’autre, non seulement pour ce qu’il a dit ou fait, ad hominem, mais en plus, ad personam, pour ce qu’il est : autre. Une escalade qui peut aller jusqu’à attaquer l’autre pour ce qu’il pourrait faire – en tant que stéréotype – présumé graine de violence. Dès lors, on ne pense plus, sinon avec un seul postulat en tête : puisque l’enfer, c’est l’autre, je vais lui faire vivre l’enfer pour être en sécurité. Dans un conflit où l'idéal de sécurité se substitue systématiquement à l'idéal de justice et du droit. Où le culte du pouvoir de la force, sous toutes ses formes, prime sur le droit. Comme la violence appelle la violence, cette spirale infernale s’applique à tous types de menace, conflit ou guerre, notamment asymétrique.

C’est ainsi que pour un même conflit, on peut avoir deux points de vue totalement opposés. Selon que l’on s’identifie à l’idéal du camp de la victime ou à celui de l’agresseur, on prend parti de camper et de peser, de tout son poids, sur une position intangible. Deux prises de positions sans recul qui, de fait, ne sont pas de nature à proposer une solution pérenne. Mais de nature à entraîner le monde dans un processus inéluctable, une escalade de violence, où il importe peu que l’une des parties perde un œil, du moment que l’autre en perd deux. Avec l’idée qu’être borgne, c’est toujours mieux qu’être aveugle.

Une victoire à la Pyrrhus, perdant-perdant, où le plus grand perdant, c’est le monde, qui devient plus petit que la somme de ses parties. D’autant plus petit que ce processus d’aveuglement s’accompagne le plus souvent de la stratégie du diviser pour mieux régner

La stratégie du "diviser pour mieux régner" repose sur plusieurs biais cognitifs pour manipuler et contrôler des groupes aussi bien que des individus. Par exemple, un leader peut utiliser le biais de confirmation, où l’on a tendance à chercher et à se souvenir des informations qui confirment nos croyances, pour diviser un groupe en encourageant les sous-groupes à se concentrer sur des informations qui soulignent leurs différences plutôt que leurs similarités. Le biais d'appartenance, qui nous pousse à favoriser les membres de notre propre groupe au détriment des autres, est également exploité pour créer des divisions. De plus, le biais de confirmation réciproque se manifeste lorsque deux groupes en conflit renforcent mutuellement leurs croyances hostiles, exacerbant ainsi la division. Le biais d'ancrage, où l’on se fie trop à la première information reçue, permet à un leader de présenter des informations initiales biaisées pour ancrer des perceptions négatives.

Le biais de statu quo, qui nous pousse à préférer que les choses restent inchangées, est utilisé pour rendre le changement perçu comme risqué et inciter les groupes à se retrancher dans leurs positions. Le biais de contraste accentue les différences perçues entre deux choses présentées successivement, augmentant ainsi la perception de différences importantes entre les groupes. Le biais de négativité, qui nous amène à accorder plus d'importance aux informations négatives qu'aux positives, intensifie les sentiments de méfiance et d'hostilité. Enfin, le biais de représentativité, où l’on juge la probabilité d'un événement en fonction de sa similarité à des prototypes existants, est exploité pour stéréotyper les membres des groupes, renforçant les préjugés et les divisions.

Ces biais ont été utilisés dans divers contextes historiques. Par exemple, les colonisateurs ont exploité les tensions entre communautés locales pour affaiblir les mouvements nationalistes en favorisant une communauté contre l'autre. En politique d'entreprise, certains dirigeants favorisent la compétition interne pour maintenir le contrôle et prévenir les alliances qui pourraient remettre en question leur autorité. La stratégie du "diviser pour mieux régner" s'appuie sur divers biais cognitifs pour fragmenter les groupes et maintenir le contrôle. Cette méthode a été utilisée à travers l'histoire dans divers contextes, de la colonisation aux dynamiques politiques internes, montrant comment les biais cognitifs peuvent être manipulés pour créer et exploiter des divisions. Changer de regard et positiver dans notre rapport au conflit, sans biais ni préjugés est une vision qui, à elle seule, suffirait à changer le monde.

Quitte à aller au plus profond d’un soi fermé – ancré dans une position d’éternelle victime – pour ressortir dans un ajustement créateur d’un soi ouvert. Oser contacter son ombre pour aller vers sa lumière. Se réconcilier avec soi pour se réconcilier avec l’autre. Laisser tomber son armure pour guérir de ses blessures. Entrer en résilience pour se libérer de ses résistances, en laissant le passé au passé pour se dépasser. Ce sont autant d’antidotes pour ne pas se laisser piéger par les biais cognitifs qui conduisent à des jugements erronés. Et pour cause ; nous sommes tous et toutes plus ou moins biaisé(e)s dans nos relations aux autres. Notamment par les biais de confirmation qui – en exerçant une influence considérable sur nos décisions et nos interactions – alimentent et entretiennent les conflits dans le monde, à tous les niveaux de la société. Individus et organisations. On retrouve ce pattern même parmi les personnes qui sont censées être des modèles, en tant que garants d’une certaine éthique, mais qui, dans l’ombre, sont des pompiers pyromanes en puissance.

Ces biais nous poussent à interpréter sélectivement les informations pour confirmer nos propres croyances préexistantes, qu'elles soient positives ou négatives. Lorsque nos croyances sont positives, elles entraînent des biais de confirmation positifs, favorisant une plus grande empathie et compréhension de l'autre, renforçant ainsi les liens interpersonnels. En revanche, des croyances négatives engendrent des biais de confirmation négatifs, alimentant les malentendus et les conflits par le biais de projections qui renforcent les préjugés et les stéréotypes.

C’est encore les biais cognitifs de confirmation qui nous incitent à rechercher et à interpréter sélectivement les informations qui soutiennent nos points de vue, ignorant ou minimisant celles qui les contredisent. Cela explique pourquoi les personnes de pouvoir sont souvent entourées d'individus qui, par autocensure, ne leur disent que ce qu'ils veulent entendre : flatter leur ego. De plus, ces leaders ont tendance à écarter ou censurer toute personne qui pense de manière indépendante, au lieu de suivre la pensée unique du groupe. Le clou qui dépasse finit toujours par rencontrer le marteau.

On retrouve ce cas de figure dans tous les milieux, y compris de la médiation, où le besoin de reconnaissance est proportionnel à celui d’exister, comme s’il s’agissait d’une question de survie. Le prix de la liberté se traduit par une sécurité coûteuse obtenue au prix du silence. Se taire par peur du rejet. Comprendre comment les biais cognitifs, liés à l'identification et à la projection, influencent nos perceptions et attitudes dans nos relations peut nous rendre plus conscients de nos comportements. Idem pour les biais de conformité sociale, la peur du risque, le cadrage et la dissonance cognitive qui sont autant de facteurs qui peuvent influencer nos décisions de manière inconsciente.

Sous le signe du lien, les modes amiables représentent un pont vers l’avenir incontournable pour transcender les dualités et les polarités, dans ce monde en permanente mutation, r/évolution. Pour ne pas dire en perpétuel conflit, tant ces termes révolution et évolution sont étroitement liés à la peur du changement. À travers des mécanismes de défense, érigés en remparts pour préserver l’idée aveugle que l’on se fait de ce qui nous est étranger. Des mécanismes qui diffèrent de l’empathie, du lâcher prise et de l’amour qui, eux, sont ouverts à la différence. La frontière entre l’identification et l’empathie est aussi mince que celle entre l’amour et la haine. Idem entre le lâcher prise de l’ajustement créateur de changement et le biais de résistance au changement de l’ajustement conservateur. L'humilité, telle l'antidote à l'ego, agit comme l'amour face à la haine. Le besoin de contrôle, la haine, et l'ego sont tous étroitement liés à un besoin profond d'amour pour les libérer de leur prison phobique. Il est frappant de constater que la peur sous-tend les mécanismes de défense qui se cachent derrière les barrières des biais, de l'identification, de la projection, de l'ego et de l'ajustement conservateur. Étant intrinsèquement liée à l'amour, la peur devient, paradoxalement, un catalyseur ; une clé de contact fondamentale pour unir des forces opposées.

Derrière les murs : la peur. Une émotion aussi primale que primaire, derrière une zone d’intérêt aveugle. C’est à cette frontière paradoxale – lieu des dualités où tout peut basculer d’une polarité à l’autre – que se trouve le siège des émotions : au niveau du cerveau limbique. C'est là, à cette frontière-contact entre l'individu et son environnement, que tout se joue dans le réel. Dans l’ici et maintenant. Basculer du cerveau reptilien au néocortex pour les prises de décisions. Passer du mode mental automatique au mode mental adaptatif. Autrement dit, on passe de l’ajustement conservateur à l’ajustement créateur. Dans un processus qui consiste à revoir les prises de décisions erronées. Un moment crucial pour revoir notre rapport au conflit. Dans une grande remise en cause de soi à travers ses biais cognitifs. Que l’on pose sur la table des négociations en vue d’un processus de décontamination

Exit le biais du point aveugle où on a plus tendance à voir les biais chez l’autre que chez soi-même. Exit les biais d’attribution où chacun croit qu’il a plus raison que l’autre en toute logique Idem pour le bais de l'illusion de force asymétrique où chaque partie croit posséder un avantage en force, en pouvoir ou en légitimité sur l'autre. Exit ces biais de supériorité illusoire. Exit le biais d'attribution hostile qui consiste à interpréter les actions de l’autre de manière négative, en attribuant des intentions hostiles ou malveillantes à son comportement, sans pour autant apporter des preuves objectives à l’appui. Exit les biais de stéréotypes qui consistent à percevoir l’autre, l’opposé, à travers des filtres et préjugés.

Exit les biais de passivité qui consistent à éviter de résoudre le problème en passant par l’abstention, la suradaptation, l’agitation ou la violence. En déconstruisant ces biais au fur et à mesure du processus, le médiateur amène les parties dans une remise en question profonde vis-à-vis de leur rapport au conflit. Dans une auto-conscience qui permet de voir comment les biais cognitifs alimentent une vision biaisée du rapport à l’autre. Dans une prise de conscience où chaque partie est autre pour l’autre. Pas seulement une idée de l’esprit que chacun se faisait de l’autre avant la rencontre. Mais une personne présente – ici, là, devant, face à face – avec toute sa dimension humaine où, dans sa complexité, aucun être n’est binaire.

Le monde n’est pas en noir et blanc. C’est aussi là, que le cerveau binaire –responsable du conflit en présence – passe le relais au cœur ternaire – en phase avec le rythme de la vie – pour sortir de l’impasse. Dans une approche ternaire où les biais et autres mécanismes de défense, se révéleront inadaptés au fur et mesure du déroulement du processus de médiation. Dans un dispositif étudié pour revoir ses positions dans ce lieu de recadrage des précédentes décisions biaisées. Dans une confrontation – fondée sur le respect – où la notion d’agression prend tout son sens, originel, étymologique, qui vient du latin « adgredi », qui signifie « aller vers », « aller de l’avant ». À l’opposé du terme régression, emprunté du latin « retour » et dérivé de « regredi », qui veut dire « revenir en arrière ». L’adage qui n’avance pas recule se rapporte à l’ajustement conservateur, qui fait référence au passé ; tandis qu’aller de l’avant est du ressort de l’ajustement créateur, tourné vers l’avenir.

Une confrontation à l’autre qui se révélera être le miroir de notre ombre. L’identification projective, ou effet miroir, est un mécanisme de défense qui fusionne identification et projection. Autrement dit, un miroir qui nous renvoie que le comportement que nous reprochons à l’autre n’est rien d’autre que le reflet de notre propre comportement, de violence plus ou moins refoulée. D’où l’intérêt d’utiliser le je/jeu de rôle – dans un jeu ou l’autre est je – en travaillant sur les polarités, en mettant l'empathie au cœur d’un processus d’ajustement créateur de solutions.

Se mettre à la place de l'autre est un facteur puissant pour transmettre son message à l'autre, et recevoir le message de l'autre en retour. C'est aussi là, dans l’ici et maintenant, que la neuroplasticité du médiateur peut intervenir pour élargir le champ des possibles, afin de créer de l’espace dans les mentalités. Etablir ou rétablir, dans une écoute empathique, un pont catalyseur de liens, pour la reconnexion des parties en conflits. En les aidant à se focaliser sur l’objectif qu’ils se sont fixés : trouver leur solution. Dans un recentrage, focus, sur l’instant présent. C'est ainsi que le processus de médiation, par son système de prise de décision constructive, consiste, le plus souvent, à faire le chemin inverse du cycle infernal de la violence.

En dissociant les parties de leurs biais cognitifs elles seraient à même de développer une flexibilité mentale qui leur permet de se dissocier du conflit qui les oppose. Il suffirait juste que les parties doutent de leur raisonnement antérieur pour ouvrir la voie à la résolution du conflit. Tant le doute ne profite pas aux biais. Cette alternative constructive d’aborder autrement les déclencheurs de violence est un premier pas, et, aussi vrai qu’il n’y a que le premier pas qui coute, c’est une opportunité. Un pattern de choix, de résolution de conflits, pour aller sur le chemin vers l'autonomie.

Tout l'art du médiateur revient à guider les parties pas à pas dans ce chemin. Pour qu'elles trouvent des options autres que celles prises par le passé. Les mécanismes de défense qui ont mené à l'impasse n'étant plus une option dans le processus. Un retour vers un futur avec la possibilité de réécrire l’histoire du conflit qui les oppose. Ce qui revient à faire autre chose, autrement, dans un esprit progressif. Plutôt que faire encore plus de la même chose, dans un esprit de conservation. Ajustement et création sont les deux pôles d’un même processus, comme le mot crise en chinois, constitué de deux idéogrammes : danger et opportunité. La médiation est un processus d’ajustement créateur de solutions dans un processus d’ajustement conservateur de conflits Elle est composée d’une structure (squelette) dont l’ajustement créateur en définit la posture du corps et de l’état d’esprit du processus de médiation. L’ajustement créateur est à la médiation ce que l’ajustement conservateur est à la zone de (d’in)confort. Les deux faces d’une même pièce. Yin et yang. L’ajustement créateur – par son approche systémique et humaniste, gagnant-gagnant – est un atout indissociable pour transcender les dualités et les polarités afin de sortir de l’impasse due aux dérives de l’ajustement conservateur.

L’ajustement créateur est à la pensée divergente ce que l’ajustement conservateur est à la pensée convergente. L’un tend à penser par soi-même et l’autre par le biais de la pensée de groupe. Un ajustement conservateur qui reprend toujours sa place une fois sorti de l’impasse, pour respecter l’équilibre entre les deux types d’ajustement/parties, quelles que soient leurs op/positions. L’ajustement créateur étant le garde-fou des dérives de l’ajustement conservateur. Et vice versa. Ce qui donne tout son sens au rôle de catalyseur du médiateur. Il ne s’agit pas de jeter les bébés – frères jumeaux, plongés dans l’effet miroir – avec les eaux troubles du bain. On peut toujours se contenter de rester dans la zone d’inconfort et continuer à pratiquer la culture du contentieux. Pour autant, lorsque le monde est contaminé par ces sources conservatrices de dysfonctionnements, il serait peut-être temps de revoir les modes de résolutions conservateurs de conflits actuels si l’on veut préserver l’avenir de tous nos enfants, sans aucune discrimination.

Pour déraciner les conflits, latents et larvés, présents et à venir : osons cultiver les droits de l’enfant pour récolter les droits de l’homme. Si tant est que l’on veut couper court à la violence.

L’ajustement conservateur est une posture et un état d’esprit fixes, limité par les représentations de ses limites ; son cadre de référence. L’ajustement créateur – qui est également un atout de la métacommunication, de la communication non violente et autres modes alternatifs/amiables de résolution de conflits – est une posture et un état d’esprit de croissance, d’ouverture aux autres, qui agit dans le respect sur le « comment » en catalyseur de solutions positives. L’ajustement créateur fait appel aux outils clés illimités de la plasticité cérébrale pour créer de l’espace dans les mentalités, afin de créer un rapport avec l’autre aussi différent soit-il. Parler « à » plutôt que parler « de » : face à face plutôt que dans le dos. Un postulat qui devrait être étendu au-delà du processus de médiation. À commencer par ses représentants. Ne serait-ce que pour donner l’exemple. Au nom d’une certaine éthique. C’est sans compter sur une certaine complexité de la nature humaine, qui préfère avancer masquée à dessein. Notamment dans des relations de jeux de pouvoir, qui sont autant de portes ouvertes au conflit Dans un monde où le tout est communication est détourné de sa finalité pour devenir tout est manipulation, et où le postulat on ne peut pas ne pas communiquer devient, de fait, on ne peut pas ne pas manipuler. Un postulat qui en plus de mettre à mal la communication entre les parties, met la neutralité du médiateur à rude épreuve.

Une neutralité qui se résume en un postulat : le médiateur est aussi neutre que le sont ses biais cognitifs. Autrement dit, il faut avoir bien du talent pour rester libre, indépendant, impartial et surtout neutre dans le processus de médiation. Où il s’agit de naviguer d’une extrême à l’autre sans être contaminé par des biais cognitifs, jeux de pouvoir et autre conflit interne et/ou d’intérêt. Être en contact avec les parties, en étant libre, pour donner à chaque partie la possibilité d’exprimer sa liberté. En créant un rapport authentique avec chaque partie sans pour autant prendre parti. Surtout quand chacune d’elle tend à tirer du côté des extrêmes : le côté obscur de la force.

Ce qui implique un courage et une remise en cause de chacune des parties, notamment du médiateur en tant que garant d’un processus visant à s’ouvrir au dialogue dans une écoute active. Tant la quête de la paix et de l’entente mutuelle réclame un engagement constant et une bonne dose de résilience face aux conflits qui font partie de la nature humaine. Avec l'idée que toute transformation sociale nécessite une liberté d’expression dans une participation active de chacun de nous. Dans un esprit libre ; libre d’esprit. La liberté d’expression est à la médiation ce que l’oxygène est à l’eau : vitale.

C’est cette liberté qui donne à l’accord de médiation son oxygène. De la même façon que le cerveau a besoin d’oxygène pour fonctionner efficacement, le cœur en a besoin pour battre, et le corps pour respirer et vivre Sans cet oxygène, un accord de médiation serait comme une molécule d’eau (H2O) privée d’oxygène, et dont il ne resterait que deux hydrogènes. Deux bombes à retardement, visant à dénoncer l’accord basé sur les non-dits. Il en est de même pour les sujets sensibles et tabous : le médiateur est un catalyseur d’expression libre qui permet au processus de médiation de respirer.

C’est cette liberté qui engage les parties à trouver leur solution. Avec l’assurance qu’aucune solution ne leur sera imposée, quelle qu’en soit l’origine. Et pour cause : La médiation - en tant que méthode amiable de résolution des conflits - n’est pas binaire. Elle ne se situe pas du côté de la force, que cette force soit obscure ou pas. Etant ternaire, elle ne se situe pas non plus du côté des extrêmes, mais dans la voie du milieu, comme c’est écrit dans son ADN – en latin « médiare » – être au milieu. C’est ainsi que, dans le processus de médiation, le médiateur aplanit les difficultés en étant facilitateur pour relier les extrêmes.

Être médiateur dans l’âme tant la médiation est un art. C’est ainsi qu’être médiateur est bien plus une posture et un état d’esprit, plutôt qu’un titre. Un titre qui n’est pas forcément la fonction. Il va de soi que, moins le médiateur est contaminé – par des biais cognitifs et autres mécanismes de défense du moi – plus il est à même de décontaminer les parties en cause dans le processus de médiation. Pour les amener à se remettre en question, afin de les aider à sortir du conflit qui les oppose. Est-ce à dire que le diplôme de médiateur est un gage de cette décontamination ? La question se pose, non seulement dans le processus de médiation, mais également dans la vie de tous les jours, où le savoir-être est plus important que le savoir-faire. Le monde a bien plus besoin de modèles que de diplômes, ou de titres. D’où l’intérêt d’une remise en cause, ensemble, dans notre rapport au conflit ; au regard des biais cognitifs et autres contaminations responsables des dysfonctionnements du moi, de nous, et par conséquent, du monde.

À moins d’éluder toute remise en question du système par la méconnaissance du problème. Ce qui aurait pour effet d’alimenter le biais de résistance au changement/statut quo, qui impose la politique des trois singes : « ne pas voir le mal, ne pas entendre le mal, ne pas dire le mal ». L’objectif étant d’entretenir un système coupable où personne n’est responsable. Dans l’indifférence générale.

Ce à quoi l’esprit libre de l’ajustement créateur dirait, dans sa liberté de penser : « Mais que fait la police » quand le monde est embourbé dans des conflits géopolitiques constants ? « Cui bono ? » : « À qui cela profite-t-il ? »

Puis, n’ayant pas de réponse – et face à la passivité ambiante des quatre grands pouvoirs qui dirigent le monde – imagine une option ouverte sur l’avenir, une porte de sortie sous forme d’un constat d’alerte : « Le monde a besoin de médiateurs » pour donner une chance à la colombe de s’envoler loin de cette cage où elle est prise en otage.

Au regard de ce qui se passe – ici et là-bas dans le monde, où l’on se bat toujours quelque part – d’aucuns diront que ma ballade musicale est une cause perdue d'avance, voire une incantation symbolique. Mais c'est ma contribution. Ma part d'ajustement créateur, sous forme d'une chanson pour la paix dans le monde, "Le monde a besoin de médiateurs", où l’esprit de la médiation et ses principaux concepts sont développés à travers deux langages universels : la musique et la danse. Union du corps et de l’esprit. Pour rendre la culture de l’amiable en général, de la médiation et du tajmaât en particulier, dans une réalité accessible à tous. Tant c’est primaire – de l’accouchement aux Ehpad – sous le signe du lien entre les générations. La musique pour adoucir les mœurs de nos trois cerveaux : reptilien, limbique et néocortex. La danse pour que cette carte du tendre reflète, au rythme de nos accords, l’union du territoire des cinq continents du monde Pour composer un hymne universel d’amour et de paix : les deux seuls états au monde qui ont le pouvoir d’en assurer la sécurité.

Comme tout finit en chansons, quoi donc de plus rassembleur que la musique !? Pour que ce monde en interdépendance puisse s’écouter et s’entendre à travers une symphonie, un mouvement musical où chaque être est compris comme une note de musique, avec un bémol à la clé sur notre ego. Un mouvement où l’unité dans la diversité bat dans un chœur plus grand que celui de l’uniformité. Un chœur où toutes les parties responsables sont volontaires pour offrir au monde ce concert. Ensemble. En harmonie porteuse d’espoir, pour donner naissance aux ajustements créateurs d’un monde meilleur. Plus grand que la somme de ses parties. À travers l’émergence de toutes les expressions artistiques, plurielles et multiculturelles. Une vision holistique, inspirée par un rêve éveillé dans une réalité où il y a autant de place pour la diversité qu'il y a d'espace dans les mentalités.

Abder AIT OUALI – Libre

Expert analyste – Magistrat – Médiateur – Membre du CA de GEMME-France

Membre du CA de l’AME – Association des Médiateurs Européens

Auteur compositeur interprète – Président de l’association « Atout diversité »

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