Le langage opérationnel à Air France
Air France, ce sont environ 50000 employés qui font voler chaque jour plus de 250 avions dans le monde entier. Au contact direct des clients et des avions se trouvent les personnels « opérationnels » : pilotes, hôtesses et stewards, agents aéroportuaires dits du « passage », mécaniciens, agents chargés de l’activité cargo. Dans un monde de haute technologie, ces 30 à 40000 personnes ont développé un langage professionnel de terrain très particulier, qu’ils utilisent souvent sans même s’en rendre compte !
Pour se faire une petite idée de ce langage, il convient de s’intéresser à ce qui, dans l’histoire de la compagnie, a contribué à le créer et l’enrichir.
Origines des mots Formes rencontrées Qui dit quoi ? Des destins divers pour tous ces termes Cas particulier des rapports à l’anglais
Cette richesse se traduit par une grande variété dans la forme des mots mais aussi par de grandes variations selon les métiers de ceux qui les emploient. Enfin, le temps qui passe (Air France va bientôt fêter les 80 ans de sa fondation) amène au déclin, à l’avènement, ou parfois à la pérennisation de chacun de ces termes. Evidemment, l’influence de l’anglais dans ce milieu est très intéressante à observer.
80 ans d’une histoire marquée dès la création de la compagnie par une accumulation d’influences diverses : cet « arbre généalogique » n’est pas rigoureusement celui d’Air France, mais illustre les grands courants d’apport en personnels, et donc ceux des mots qu’ils ont amenés avec eux. Aujourd’hui………
2000……
Avant 1990
UTA
Air France
Air Liberté
KLM
AOM
SkyTeam
Aéropostale
Air Inter Marine Armée de l’Air
Aux origines, la marine (marchande ou militaire) a naturellement marqué ce nouveau mode de navigation. A ce titre, on ne parle que de personnel « navigant », non de personnel volant ! Après la fusion fondatrice des premières compagnies aériennes françaises en 1933 (dont la mythique Aéropostale), entreprises qui avaient profité de l’expérience acquise en aviation sur les fronts de la Grande Guerre, ce sont plusieurs grands transporteurs qui ont intégré Air France au cours du XXème siècle (UTA et Air Inter). D’autres, qui ont disparu dans les années 2000, ont également vu leur personnel se tourner vers la compagnie nationale pour continuer leur carrière. Aujourd’hui dans un monde globalisé, Air France qui est membre de l’alliance SkyTeam et dont le destin économique est lié à la néerlandaise KLM, voit surgir de nouvelles influences.
Aux origines donc, la Marine. Mais aussi tous ceux qui ont travaillé dans une autre compagnie aérienne ou dans l’armée de l’air et qui ont amené avec eux un certain vocabulaire. Le cadre réglementaire alimente également fortement le jargon, que ce soit la Direction de l’entreprise toujours féconde en nouvelles appellations, ou l’autorité de tutelle nationale (DGAC), européenne (EASA) ou mondiale (OACI).
Aux origines, la Marine Les autres « Aviations » Direction, Autorités de tutelle Technologie L’industrie de l’aérien L’informatique Lieux et infrastructures Evénements et personnages
navigant, roulis choc chaleur JAR ops, GEN ops Eicas, Ecam BIQ, PUF, cunimb PAC, SAD Edac, DO les Mermoz
La technologie joue un grand rôle également : Airbus, Boeing (chacun avec ses propres termes) mais aussi tous les équipementiers. L’industrie de l’aérien au sens large : standards mondiaux, contexte théorique comme la météorologie ou l’aérodynamique par exemple. Les services d’informatique de la compagnie, qui sont un état dans l’état, amènent à l’utilisation d’un grand nombre de termes issus des applications électroniques internes ou externes à l’entreprise. Les lieux, les bâtiments, les services, les structures de la compagnie fournissent nombre de mots. Enfin, les événements et les personnages qui s’y rattachent dans cette grande aventure industrielle génèrent, jour après jour, une multitude de noms et de surnoms, l’exemple le plus emblématique étant de continuer à appeler les pilotes des « Mermoz ».
Toutes les formes grammaticales sont rencontrées.
Mots:
- français remplissage - étrangers (anglais, japonais…) oshibori, favela
Verbes Expressions Surnoms, Marques Acronymes Abréviations
initer, transpondre passer à gauche lièvre, pinon
ouatose, cunimb PNC, GP
A noter que parmi elles, un grand nombre vient de langues étrangères et, plus curieusement, de langues autres que l’anglais. En tête : japonais, espagnol et brésilien… mais aussi tahitien ! De savoureux acronymes côtoient les abréviations qui sont tellement utilisées sur le terrain qu’elles finissent par en perdre leur sècheresse intrinsèque.
Intéressons-nous un instant à la structure de la compagnie qui nous permettra, en comprenant qui fait quoi, de décortiquer les rapports entre les différents sous-langages rattachés à chaque métier. PNC
CONTRÔLE AERIEN
CLIENT
Passage
Pilotes
Mécanos
La raison d’être d’Air France est de transporter des clients. Pour ce faire, l’entreprise fournit à ceux qui sont en première ligne toute une infrastructure appelée « support ». Le contrôle aérien, et avec lui toutes les autorités régissant le cadre réglementaire, complètent le décor. Pour l’activité proprement dite (voler !), il faut des pilotes ! Ils sont chargés directement par le président de la compagnie de mener à bien la mission, le commandant de bord étant le responsable juridique du vol en tout point du globe. Il est entouré de PNC (hôtesses et stewards), de mécaniciens qui veillent au bon état du matériel, d’agents chargés au sol soit du fret (le cargo), soit des passagers qu’il faut enregistrer, embarquer et débarquer (le passage).
Cargo
SUPPORT
Prenons chacun de ces métiers qui gravitent autour des pilotes, et nous constatons qu’ils possèdent tous leur propre part de langage, avec des mots qui ne sont pas compréhensibles pour les autres employés.
Ouatose
Pilotes
Préparation Cabine
Cabine
Hôtesses Stewards
PASSAGERS
Personnel au sol Pac
Pour certains des termes, il y a une communauté entre plusieurs (deux ou plus) ou la totalité des métiers : par exemple la ouatose qui signifie une serviette en papier pour tous les navigants. Cependant, certains mots ou termes identiques ont des sens différents selon le métier qui l’emploie : la préparation cabine, signifiant une situation d’urgence chez les navigants, alors qu’il ne s’agit que du nettoyage routinier de la cabine d’un avion pour les agents du passage. Enfin, il est amusant de découvrir qu’entre un terme employé en interne et le sens plus commun, dont notamment celui que comprendra ou utilisera un passager, il y a parfois divergence voire opposition ! La cabine pour tous les employés désigne uniquement l’espace dans lequel voyagent les passagers à bord de l’avion, alors que ceux-ci rêveront souvent de pouvoir visiter, pendant le vol, la cabine… celle où travaillent les pilotes de ligne, c’est-à-dire le cockpit !
Si nous nous penchons maintenant sur une classification selon les grandes époques traversées par la compagnie depuis 1945, nous remarquons que chaque période a amené l’apparition de mots nouveaux, marqueurs souvent fragiles d’un moment précis. Il y eut l’ère glorieuse des grands avions long-courriers à hélices, quand passer la ligne, c’est-à-dire franchir l’équateur pour la première fois, donnait encore lieu à des cérémonies mémorables. 1930-1960
1970-1990
2000-…
• PASSER LA LIGNE
• COMMODI
• PILOTPAD
• ŒIL PEINTURLURE
• PAC
• NEOLITHIQUE
COURRIER
Epoque fantastique, celle des avions à réaction dont le mythique Concorde. Elle vit apparaître et se développer le transport de masse, mais aussi l’informatique qui envahit définitivement tous les domaines d’activité, du commercial au technique. De nos jours, internet et la révolution numérique amènent de nouveaux concepts et de nouveaux termes. Certains de ces mots traversent cependant tous les âges. Le courrier, que transportaient Mermoz et ses compagnons, est toujours le mot désignant la rotation qu’effectuent les navigants actuels. 80 ans plus tard, ces derniers ne partent toujours pas en voyage… mais « en courrier » !
Pour terminer, il nous faut évoquer les relations particulières qui lient le français à l’anglais, ce qui dans l’aviation est à l’image de ce qui s’est produit au cours de l’Histoire de ces deux grands voisins. Ce n’est en effet un secret pour personne que leurs langues se sont enrichies mutuellement au cours des siècles.
• M’aider
Anglais
• Mayday
• Volmet
• May Day
• Squawker
• Fuselage
• Volmet
• Booker
Français
• Squawk
Français
Pour ce qui est de notre mode de transport, la contribution lexicologique est le reflet du rayonnement national et de la contribution technologique de ces deux grands inspirateurs de l’aviation depuis ses débuts. Jusqu’à la seconde Guerre Mondiale, le français faisait pratiquement jeu égal. Des termes importants datant de cette époque sont passés du français à l’anglais comme le fuselage. La mondialisation qui s’est initialement affirmée dans le transport aérien après 1945, a placé l’anglais en position de domination. Aujourd’hui, de nombreux termes sont issus directement de l’anglais, employés assez souvent sous une forme francisée et parfois revenus de termes d’origine française. Que dire à ce titre d’un Concord polémique, devenu le cordial et consensuel Concorde à l’issue d’une bataille épique entre lexicologues, ingénieurs et diplomates des deux pays ?
Il apparaît donc un déséquilibre de plus en plus important de la contribution du français face à l’anglais. L’industrie aéronautique est très largement mondialisée et standardisée. Cela passe forcément par un usage intensif de termes issus d’une langue commune : l’anglais. Français
Anglais
Air France, leader mondial de ce secteur, voit l’importance de son emprise économique liée étroitement à sa participation à des conglomérats internationaux dans lesquels l’anglais est une langue incontournable. Avec nos partenaires hollandais de KLM, il ne fait pas de doute que l’anglais est le moyen le plus aisé de communiquer instantanément. Dans le cadre de l’alliance SkyTeam, ce problème est plus évident encore entre plus de 10 partenaires planétaires. On peut tout de même se rassurer en constatant que, sur le terrain, dans les avions ou dans les hangars, dans les escales -même à l’étranger- la majorité des employés restant Français ou francophones, nombre de termes sont inventés en français ou francisés à l’envi, faisant du langage quotidien des personnels d’Air France un jargon fleuri et étonnant. En conclusion, le parler des agents opérationnels d’Air France reste, à l’image de cette industrie de pointe, vivant, inventif et évolutif.
Le jargon professionnel d’Air France est vivant, inventif et évolutif. Issu d’une vieille histoire, il absorbe constamment les nouveautés.
Il est propre à chaque métier, à chaque escale. L’anglais s’impose dans le technique, mais le français se maintient au quotidien.
Héritier d’une histoire ancienne de navigation maritime puis aérienne, ce jargon a la particularité d’absorber constamment avec une singulière aisance les mots et termes nouveaux, fruits des changements permanents, parfois radicaux, que subit le transport aérien. Une étude attentive montre que chaque métier et chaque escale (les différences entre Roissy et Orly sont d’ailleurs symptomatiques) utilise ses propres codes linguistiques, en plus de ceux répandus communément. A l’étranger, nos personnels non Français vont même jusqu’à utiliser bien des mots français au milieu d’un jargon issu de leur propre langue ! Témoin naturel de l’influence mondiale de l’anglais, la langue de Shakespeare alimente fortement le jargon technique, mais on peut se féliciter de constater la vigueur et l’enthousiasme d’un langage professionnel français dans le quotidien des employés.