Gaëlle Josse
Venue à l’écriture par la poésie, Gaëlle Josse est l’auteur de plusieurs romans très remarqués par les lecteurs et par la presse : Les heures silencieuses, Nos vies désaccordées (Prix Alain-Fournier, Prix national de l’Audiolecture), Noces de neige, Le dernier gardien d’Ellis Island (Prix de Littérature de l’Union européenne), L’ombre de nos nuits (Prix France Bleu/Page des Libraires) … Tous parus en édition de poche, ces titres sont traduits dans plusieurs langues et étudiés dans de nombreux lycées. Gaëlle Josse est diplômée en droit, en journalisme et en psychologie clinique. Après quelques années passées en Nouvelle-Calédonie, elle travaille à Paris et vit en région parisienne. Dans une langue épurée et poétique, au lyrisme maîtrisé, son travail d’écrivain interroge les passions humaines, la mémoire, l’identité, l’exil, les interdits sociaux, en cherchant les instants de basculements de nos vies et leurs lignes de faille.
Les heures silencieuses Éd. Autrement, 2011 Prix Lavinal/Librairie Mollat, Finaliste du Prix Orange 2011
Le mot de l’éditeur : Delft, novembre 1667. Magdalena Van Beyeren se confie à son journal intime. Mariée très jeune, elle a dû renoncer à ses rêves d'aventure sur les bateaux de son père, administrateur de la Compagnie des Indes orientales. Là n'est pas la place d'une femme... L'évocation de son enfance, de sa vie d'épouse et de mère va lui permettre l'aveu d'un lourd secret et de ses désirs interdits. Inspiré par un tableau d'Emmanuel De Witte, ce premier roman lumineux, coup de cœur des lecteurs et de la presse, dessine le beau portrait d'une femme droite et courageuse dans le peu d'espace qui lui est accordé.
Extrait : « À terre, la vie se montre clémente. Nos provinces offrent l’asile à ceux qui ne peuvent vivre en paix dans leur pays. Juifs, catholiques ou réformés demeurent ici en bonne intelligence, et chacun apporte sa pierre à l’édifice commun. L’ordre, la mesure et le travail sont des remparts contre les embarras de l’existence. C’est ce qu’on apprend dès l’enfance. Vanité de croire cela. Chaque jour qui passe me rappelle, si besoin était, que la conduite d’une vie n’est en rien semblable à celle d’un stock d’épices ou de porcelaine. Ce que nous tentons de bâtir autour de nous ressemble aux digues que les hommes construisent pour empêcher la mer de nous submerger. Ce sont des édifices fragiles dont se jouent les éléments. Elles restent toujours à consolider ou à refaire. Le cœur des hommes est d’une moindre résistance, je le crains. »
Intérieur avec une femme jouant du virginal, Emmanuel de Witte, vers 1660-1667 Huile sur toile, 97,5 x 109,7 cm, Musée des Beaux-Arts de Montréal, Canada
Nos vies désaccordées Éd. Autrement, 2012 Prix Alain-Fournier Prix national de l’Audiolecture
Le mot de l’éditeur : François Vallier, célèbre pianiste entraîné dans une vie de triomphes, découvre brutalement que Sophie, la jeune femme qu'il a passionnément aimée puis abandonnée dans des circonstances dramatiques, est internée depuis plusieurs années. Elle écoute, inlassablement, ses enregistrements de Schumann. Il quitte tout pour la retrouver. Confronté à un univers inconnu, il va revivre le drame de leur rupture et la beauté de leur histoire. La musique de nos vies parfois nous échappe. Comment la retrouver ?
Extrait : « Aujourd’hui encore, je réalise combien ces terres ingrates me sont pénibles à traverser. Ce sont des terres où pendant des siècles les hommes se sont pendus de désespoir dans des granges sombres comme des ventres, et où les femmes, vaincues par l’épuisement, les grossesses sans fin et l’absence d’amour, ont un jour préféré le creux d’un puits ou d’un étang. Du jour où j’ai pu vivre ailleurs, j’ai choisi des lieux où la vie ne s’arrête jamais, rassuré par la disponibilité, l’abondance des êtres et des choses, par l’illusion des innombrables possibles à portée de main, et par l’irremplaçable liberté de l’anonymat. »
Noces de neige Éd. Autrement, 2013
Le mot de l’éditeur : Plus d'un siècle les sépare, mais leurs histoires sont liées à jamais. Anna, jeune aristocrate russe, rebelle, souffre du peu d'amour que sa famille lui témoigne. Quand, en mars 1881, elle prend le train à Nice pour regagner Saint-Pétersbourg, elle rêve de retrouver Dimitri, le jeune officier dont elle est éprise. En mars 2012, Irina prend le Riviera Express, en sens inverse, pour fuir un destin misérable. Sur la Côte d'Azur l'attend Enzo, un jeune banquier rencontré par internet. Deux huis clos où les passions vont s'exacerber et remettre en cause les projets de chacune...
Extrait : « Étrange sensation, celle de se réveiller le matin, quelque part, sans savoir où. Un curieux flottement, mon corps semble détaché de ses repères, de ses habitudes, de ses gestes. Comme une vie nouvelle qui commencerait, et soudain une pensée, un détail, un objet sur lequel le regard vient se poser, me font comprendre que non, tout est identique, on reprend la vie habituelle à la façon dont on saisit un vêtement abandonné la veille sur une chaise. »
Le dernier gardien d’Ellis Island Éd Noir sur Blanc, 2014 Prix de Littérature de l’Union européenne 2015, Prix des Clubs Rotary Francophones, Prix de l’Académie de Bretagne-Pays de Loire, Prix du Grand Livre du Mois, nombreux prix de lecteurs et de médiathèques, sélection du Prix Fnac.
Le mot de l’éditeur : New York, 3 novembre 1954. Dans quelques jours, le centre d'immigration d'Ellis Island va fermer. John Mitchell, son directeur, resté seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l'épouse aimée, et Nella, l'immigrante sarde porteuse d'un très étrange passé. Un moment de vérité où il fait l'expérience de ses défaillances et se sent coupable à la suite d'événements tragiques. Même s'il sait que l'homme n'est pas maître de son destin, il tente d'en saisir le sens jusqu'au vertige. À travers ce récit résonne une histoire d'exil, de transgression, de passion amoureuse, et de complexité d'un homme face à ses choix les plus terribles.
Extrait : « Le vaste hall n’accueillait plus que les courants d’air et les mouettes égarées. Dans les espaces du dernier étage demeuraient quelques vestiges du passé, objets ou vêtements abandonnés, malles éventrées, couvertures déchirées, outils inutilisables ou instruments de musique brisés. Un piano droit se trouvait là, je crois l’avoir toujours vu, et je me souviens de soirées où j’en entendais les sonorités à travers les murs, comme un écho incertain. Qu’emporte-t-on dans l’exil ? Si peu, et tant d’essentiel. Le souvenir de quelques musiques, le goût de certaines nourritures, des façons de prier ou de saluer ses voisins. Parfois un accordéon ou une guitare se joignait au piano, on entendait jouer tard dans la nuit, comme si les immigrants parvenaient à faire ressurgir, dans ces momentslà, pour quelques heures fugitives, des fragments de leurs terres natales. »
L’ombre de nos nuits Éd Noir sur Blanc, 2016 Prix France Bleu/Page des Libraires
Le mot de l’éditeur : Deux récits se dessinent dans L’ombre de nos nuits, avec au centre un tableau de Georges de La Tour. En 1639, plongé dans les tourments de la guerre de Trente Ans en Lorraine, le peintre crée son Saint Sébastien soigné par Irène. De nos jours, une femme, dont nous ne saurons pas le nom, déambule dans un musée et se trouve saisie par la tendresse et la compassion qui se dégagent de l’attitude d’Irène dans la toile. Elle va alors revivre son histoire avec un homme qu’elle a aimé, jusque dans tous ses errements, et lui adresser enfin les mots qu’elle n’a jamais pu lui dire. Que cherche-t-on qui se dérobe constamment derrière le désir et la passion ? En croisant ces histoires qui se chevauchent et se complètent dans l’entrelacement de deux époques, Gaëlle Josse met au cœur de son roman l’aveuglement amoureux et ses jeux d’ombre qui varient à l’infini. Extrait : « La main, le geste, le visage. Tout ce que je peins tient là, dans cette mystérieuse trinité. Car c’est à cela que nos jours se résument, en fin de compte. On m’a fait remarquer un jour que mes visages ignorent celui qui regarde la toile, comme indifférents à sa présence ou à son absence. Peut-être est-ce la vérité, après tout. Je n’éprouve aucun intérêt à représenter des êtres qui vous dévisagent du haut de leur cadre. Des airs altiers, décidés, autoritaires, comme le demandent les nobles pour leurs portraits, ou réfléchis, attentifs, pleins de bonté vraie ou feinte, la main posée sur quelque livre pieux, comme le désirent les ecclésiastiques. Je peins le ravissement, l’oubli du monde, dans un bras tendu, une main posée. Je peins l’être qui se laisse atteindre dans des régions de lui-même ignorées. Sa meilleure part. »
Saint Sébastien soigné par Irène (dit « à la lanterne »), Georges de La Tour, vers 1649 Huile sur toile, 109 x 142 cm, Musée des Beaux-Arts de Rouen, France
De vives voix Éd. Le temps qu’il fait, 2016
Le mot de l’éditeur : La voix. Quelle voix ? Celle qui parvient à nos oreilles distraites, agressées, saturées ? Ou celle qui nous parle, au-delà des mots qu’elle prononce ? Comment entend-on ? Et qu’entendon ? Quelle voix perdue poursuivons-nous ? Quelle place pour elle dans un environnement où les images traquent chacun d’entre nous sans répit ? Ni essai, ni récit, ni roman, ni autobiographie, simplement quelques perceptions, personnelles, intimes, de la voix humaine. Autour du motif central de la voix qui donne au texte son unité, c’est un ensemble de variations, de modulations. Polyphonie. Les voix et les silhouettes se croisent, se mêlent, s’écoutent ou se fuient, en offrant la lecture sonore d’un univers personnel. Évocation d’instants saisis, d’émotions, que les mots prolongent. Et dans chaque voix, écouter le monde. Extrait :
« Dans le plaisir, dans la douleur, le gémissement, le cri. Ce qui nous échappe, ce qui nous est arraché. Nous voilà objets, toute résistance abolie. À un moment donné, il nous faut céder. Cet homme à la voix haut perchée, posée au-dessus du nœud papillon, comme un objet précieux dans une vitrine. Elle se veut raffinée, nuancée, chatoyante, nacrée. Trop haute, indiscutablement trop haute. Sa voix n’est qu’intonations théâtrales, effets, soupirs, demi-soupirs, silences, pauses et demi-pauses. Peu de volume, pas de coffre, tout dans le gosier. Cela monte et s’étrangle de façon incontrôlée. Il s’égosille. C’est une voix étudiée dans la glace, comme les gestes qui l’accompagnent, la façon de replacer une mèche, de glisser une main dans la poche, d’enfiler un imperméable, d’allumer une cigarette. Mauvais théâtre. Pourquoi me met-il aussi mal à l’aise ? Il est éprouvant de revoir en photo un proche disparu, mais entendre sa voix, fut-ce une seule exclamation dans une mauvaise vidéo, est insoutenable. Douleur de reconnaître une voix aimée qui ne peut nous entendre; illusion de croire, un instant, revenu quelqu’un qui nous a été cher. Trop de présence, trop d’absence. »
Vermeer, entre deux songes Éd. Invenit, 2017
Le mot de l’éditeur : Au Metropolitan Museum de New York, Gaëlle Josse s'interroge devant l'énigmatique Jeune Fille assoupie de Vermeer et tente de déchiffrer tous les possibles qu'elle suggère. Mais c'est au cours d'une errance urbaine dans cette ville de New York que l'œuvre va prendre tout son sens, en trouvant un écho troublant et inattendu au cœur de la cité. L'art et la vie. L'art dans la vie. Et toujours cette question qui poursuit l'auteur : qu'est-ce qu'une œuvre d'art a à nous dire, de nos vies, par-delà les siècles ? Et pourquoi celle-ci, parmi tant d'autres, vient-elle nous obséder ? Ici, l'art du peintre, fait de silence, d'instant arrêté et de geste suspendu, est au centre d'un mystère, celui du rapport unique entre l'œuvre et celui qui la reçoit.
Extrait : « C’est la clé, peut-être, de ce portrait, la pièce de mosaïque manquante. Mais résolument supprimée. Trop explicite, peut-on penser. Une leçon de morale trop appuyée affadit l’œuvre et la relègue à une scène de genre sentencieuse, à du pittoresque, de l’anecdote. Elle réduit l’élan, le souffle, la portée. Il en va de même en littérature, en terre d’écriture. Gommer le détail s’il n’a de sens, s’il ne grandit, n’éclaire l’histoire. Ne pas trop expliquer, montrer. Laisser de l’espace pour que le lecteur y même sa respiration, son souffle. Son histoire. Ses désirs et ses rêves. Ses regrets et ses souvenirs. Et à mon tour, je m’aperçois que je détiens peut-être là une des raisons de mon inconditionnelle fascination pour le maître de Delft. Vermeer, un idéal d’écriture ? De narration ? L’essentiel. Le geste. L’épure. La place pour rêver. Il faut parfois s’arrêter au bord de. » « Je comprends alors pourquoi j’écris. J’écris pour dire des histoires d’égarés, de démunis, de perdus, d’abandonnés. Des histoires d’errants qui marchent au bord de leurs gouffres, qui s’égarent dans leur labyrinthe, des histoires de quel amour blessé, des histoires de mal-aimés, de maladroits, d’enfants solitaires, d’humains trop humains, de désarçonnés. »
Jeune fille assoupie, Johannes Vermeer, 1657 Huile sur toile, 87, 6 x 76,5 cm, Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis
Un été à quatre mains Éd HD ateliers henry dougier, 2017
Le mot de l’éditeur : Parfois, il suffit de quelques jours pour dire toute une vie... Franz Schubert, compositeur déjà reconnu mais désargenté, a été invité comme maître de musique de deux jeunes filles de la haute aristocratie viennoise, dans leur somptueuse résidence d'été en Hongrie. Franz reconnaît bientôt en l'une des deux comtesses, Caroline, la plus jeune et la plus talentueuse, son âme sœur. Cet amour, cependant, va se briser sur les conventions et les interdits de caste. Cette passion fut-elle partagée ? Certains gestes, même les plus ténus, ne sont-ils pas, parfois, des aveux ? Un été à quatre mains explore les invisibles mouvements du cœur, et le mystère d'une histoire entre deux êtres qui rêvent d'un monde où ils trouveraient enfin leur place. Extrait : « La soirée suit son cours. Il a déjà joué, chanté, comme ont joué et chanté Cardine et Marie. Leur duo a été particulièrement applaudi. Il reste à donner le morceau le plus attendu, qui conclura la soirée, ce divertissement à quatre mains qu’il travaille avec sa jeune élève. Tellement heureux à l’idée de l’entendre encore, avec son joli toucher sensible. Ils jouent, et pour Franz, le temps s’arrête. Les croisements de mains multipliés sont propices aux frôlements. Il ne peut renoncer à s’enivrer de ce tendre trouble lorsqu’il effleure le bras ou la main de sa partenaire. Caroline joue, concentrée, heureuse, les joues rosies par la chaleur, l’attention, l’émotion. Elle a affronté sans difficulté le passage qu’elle redoutait tant. Son corps se détend, son jeu se libère. À la dernière note, les applaudissements de tous éclatent avec enthousiasme. Eux sont encore assis et clignent des yeux comme au sortir d’un rêve. Le visage grave et doux de Caroline irradie de joie. Elle a laissé sa main tiède et légère sur celle de Franz, posée, comme abandonnée. »
Schubert au piano, Gustav Klimt, 1899 Œuvre détruite par le feu en mai 1945 (détail)