LA PAUSA, UN JARDIN DANS LA PENTE Hymne à la topographie de Roquebrune Cap-Martin
Camille Benoit Rapport de PFE 2020
Fig. 1. Paysages PercĂŠe depuis la chapelle St Roch
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Sauf indication contraire, les iilustrations utilisĂŠes sont personnelles
La Pausa, un jardin dans la pente Hymne à la topographie de Roquebrune Cap-Martin
Camille BENOIT Rapport de projet de fin d’études Sous la direction de monsieur Laurent BEAUDOUIN DE 1 - A-lto Architecture - laboratoire des territoires ouverts Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris Val de Seine 2020 3-
Fig. 2. Paysages depuis l'escalier de la Torraca
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Table des matières
- Avant-propos
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- Etablir un socle de travail
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Prologue
- I. Un séjour à Roquebrune
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Récit d’une démarche sensible
- II. La Pausa: faire émerger l’identité du lieu
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A. La Pausa, un palier dans l'ascension entre Menton et Roquebrune-Cap-Martin B. Un sol aménagé, socle de l'architecture dans le
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paysage
- III. Vers une matérialisation du parcours
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A. Une exploration en 3 temps...
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B. ...génératrice d'intetions architecturales
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C. L'arpentage sensible du site, un tournant
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- Conclusion
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- Remerciements
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Fig. 3. Paysages depuis l'escalier de la Torraca
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Avant - propos
Marquant le crépuscule de mes études à l’ENSAPVS, ce rapport se présente comme la concrétisation de ces cinq ans d’apprentissage. Il a pour objet de rendre compte et d’expliciter factuellement la genèse et la maturation de ce projet de fin d’étude. Plutôt qu’une consécration, ce PFE représente une étape importante vers de nouveaux horizons, toujours avec un regard porté vers l'arrière. La présentation qui va suivre prend en considération ces deux aspects, mettant ainsi à l’honneur une démarche projectuelle cohérente. Elle est le fruit d'un croisement d'outils pratiques et théoriques, digérés tant individuellement que collectivement.
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Fig. 4. Jorn Utzon, coupes schĂŠma dessins personnels issus du mĂŠmoire
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Établir un socle de travail Prologue
La démarche de projet présentée ci-après s’inscrit dans la continuité du travail de mémoire initié en début de S9, portant sur l’expression de la pesanteur chez Jorn Utzon. A l’occasion de cette recherche, il fut question d’analyser et de rendre compte de l’opposition quasi omniprésente dans l’œuvre de l’architecte danois. Opposition entre sol faisant plateforme d’un côté, et toiture en lévitation de l’autre, qui découlait d’une maîtrise extrêmement habile de la pesanteur et surtout de son expression. La direction du travail visait à apporter des éléments de réponse à la problématique suivante : Dans quelle mesure l’expression de la pesanteur intervient-elle dans la fabrication d’espace chez Utzon? Pour ce faire, la démonstration s’est construite autour de trois projets distincts composant le corpus principal : - L’Opéra de Sydney (1957-1973) - L’église de Bagsvaerd (1968 -1976) - La Maison Can Lis à Majorque (1971-1972) 9-
Parmi les nombreuses notions et thématiques qui se dégageaient de ce mémoire (pesanteur, sol, toit, creux, géométrie...), j’ai souhaité que certaines entrent en résonnance avec le travail de projet de PFE, et viennent l’enrichir. J’ai ainsi dégagé deux thèmes principaux de recherche. Il s’agit de fondamentaux constitutifs d’architecture qui prennent sens grâce à leur association : le socle, le toit.
Le travail initié dans le mémoire l’ayant démontré, l’approche
d’Utzon
vis-à-vis
du
site
consiste
à en extraire une force venant du sol, qu’il considère comme un appui. Sa façon d’employer volontairement le terme “plateforme” dénote un rejet de la seule connotation sculpturale, qui ne l’intéresse pas. Ainsi, il touche une dimension plus symbolique, étroitement liée à la configuration géographique du site, et à ce qu’elle induit en matière de paysage. En ce sens, un site avec une forte identité topographique offre une base solide, propice pour exploiter au maximum le potentiel du lieu. C’est par exemple le cas de l’emplacement de sa maison à Majorque, qui prend place sur un plateau rocheux, situé au sommet d'une falaise - 10
Fig. 5. Jorn Utzon, Can Lis Torben Eskerod, Utzon Foundation
Fig. 6. Michael Heizer, Dissipate
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accidentée se jetant à pic dans la mer. Quelques photos de ses visites préliminaires témoignent de son attrait pour la géologie, alors qu’il observe les nombreuses grottes et cavités situées en contrebas. C’est aussi l’observation de ces phénomènes géologiques naturels, qui lui permet de proposer une réponse cohérente par rapport au site. A savoir surmonter la falaise, se fondre dans la masse végétale. Il parvient ainsi à s’inscrire discrètement dans le paysage, à le révéler, lui conférant de ce fait davantage de force. Il fabrique un lieu unique, des points de vue. On assiste là à une démonstration sur le thème même de l’exercice de projet : Habiter le paysage.
En début de S10, j’ai ensuite été amené à me pencher plus spécifiquement sur cette notion même de paysage, par le biais d’une étude consacrée au land artiste Michael Heizer. A cette occasion, j’ai choisi d’étudier l’une des principales réalisations, sobrement intitulée Dissipate. Il s’agit de 5 minuscules tranchées creusées dans le sol de l’immense étendue qu’est le désert Black Rock au Nevada. Ce choix d’œuvre n’était pas anodin, puisque Heizer touchait ici à des notions communes à celles - 12
Fig. 5. Jorn Utzon explorant la falaise Utzon Archives
Fig. 6. Michael Heizer mesurant un rocher, 1970 Gianfranco Gorgoni Š
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évoquées plus tôt dans le mémoire : trace dans le sol, géologie, géométrie mais aussi l’aléatoire dans la composition. Fils d'archéologue, sa démarche artistique présente des points de concordance avec ce que j’avais pu relever chez Utzon, qui lui parvenait à les retransmettre dans l’architecture. A savoir un intérêt pour la terre, la roche, le sol et sa force pesante naturelle. On note aisément que ce qui les rapproche, c’est le choix du contexte géographique et paysager au sein duquel on intervient. En somme, quel socle choisit-on pour implanter le projet, et quelles qualités uniques présente-t-il, en adéquation avec le programme et les intentions architecturales recherchées ?
Fig. 7. Jorn Utzon Croquis tirés de "Platforms and plateaus, ideas of a danish architect"
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DAVODEAU Hervé, 2008. Le « socle », matériau du projet de paysage https://hal-agrocampus-ouest.archives-ouvertes.fr/hal-00729881/document 1
Fig. 8. Roche photographiée par Jorn Utzon Utzon archives
Au plan paysager le terme socle a aussi une connotation tout à fait particulière, qui là aussi va plus loin que la dimension artistique. Précisément : “[…] la signification donnée au « socle » par les paysagistes n’est pas à chercher du côté des arts. Sa valeur est de trois ordres : le socle est naturel, permanent, spécifique. Naturel car il est le produit combiné des forces de la nature. Permanent car ces forces s’inscrivent dans le temps long (géologique). Spécifique car le socle donne sa singularité au site.”1 C’est cette constante, à la croisée des disciplines, que j’ai alors cherché à questionner au sein de ce PFE à Roquebrune-Cap-Martin, ville érigée sur 15 -
la roche, les pieds dans la mer méditerranée. En somme, un lieu rêvé. Il était donc question selon moi de choisir une forme de paysage liée au sol pour ensuite l’inscrire dans une interdépendance avec la proposition architecturale y prenant place. Au fond, j’ai perçu cet exercice comme une recherche de complémentarité entre architecture et paysage, donnant lieu à un enrichissement réciproque, et ce à partir de l’existant. Pour mener à bien ce travail, j’étais alors en quête d’un programme pouvant assumer à la fois ces problématiques, et de surcroit s’inscrire dans la continuité de l’héritage patrimonial et paysager de Roquebrune-Cap-Martin. Comme le montre la carte ci-contre, le projet prend place au cœur d’une culture très riche tant sur le plan architectural que botanique. Faisant écho à cet héritage, le projet de musée suggéré par les encadrants m’a de suite intéressée. En effet, il permet de s’inscrire dans une démarche de valorisation du patrimoine d’envergure territoriale, tout en gravitant autour d’un thème choisi, en - 16
Fig. 9. Eileen Gray Villa E-1027 Extrait du cours de Laurent Beaudoin
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Fig. 10. Un immense hĂŠritage architectural et botanique 1. La citronneraie
2.Serre de la Madone
3. Villa La Pausa
4. Cap Moderne
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l’occurrence le sol. En revanche, ce seul programme me semblait encore trop faible pour engager un réel dialogue entre architecture et paysage. Peut-être fallait-il y annexer un programme plus léger, d’ordre botanique, capable d’assurer cette symbiose. C’est en me remémorant ma visite du musée Louisiana
au début du mois décembre dernier
que j’ai obtenu les dernières clés pour cristalliser le programme. Cette visite s’était présentée à mes yeux comme une leçon d’architecture au service du paysage, la réciproque étant évidemment de mise. J’ai à cet instant compris que le traitement paysager
extrêmement
soigné
mis
en
place
dans le jardin enrichissait considérablement le parcours architectural. Là encore, le choix d’un site exceptionnel permettait à ce conciliabule d’avoir lieu. J’ai alors pris la mesure du potentiel projectuel que cette association laissait jaillir. C’est en premier lieu ces données qui ont conditionné le choix du programme, puis du site. Le musée, consacré lui à l’exposition des meubles d’Eileen Gray, prendrait donc place au sein d’un jardin méditerranéen, entre tradition et quête de renouveau. Ce projet questionnerait donc le - 18
Fig. 11 et 12. MusĂŠe Louisiana Vilhem Wolhert Danemark Photographies Juliette Le Bars
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rapport entre architecture, nature, végétation et paysage, autour d’un thème principal, étudié en profondeur : le sol comme socle. La problématique suivante, dont l’élaboration sera explicitée au cours du développement, a permis de guider le travail tout au long de sa maturation : Comment différents rapports au sol peuvent-ils être générateurs de la promenade architecturale et paysagère ? Le semestre de projet s’est déroulé dans des conditions inédites, qui m’ont poussé à mettre davantage l’accent sur la cohérence et l’originalité de la démarche collective et personnelle, plus que sur le produit final. Celle-ci a suivi un ordre, au départ subi, qui une fois accepté, a eu pour effet de me recentrer sur l’essence même de ce qui à mon sens, fait la beauté du projet d’architecture, ici débuté à 4. D’abord, des intentions de travail autour de thématiques propres à chacun. Puis, une analyse territoriale collective, qui, croisée aux premières intentions ainsi qu’aux enjeux urbains identifiés, conditionne le choix des sites respectifs. Enfin, des intentions architecturales personnelles, plus concrètes, adaptées aux besoins du site et du - 20
programme, qui permettent de matérialiser par l’architecture les volontés initiales. C’est donc dans cet ordre précis que ce rapport prend forme. A l'instar de la méthode, l’emploi de supports de travail variés (maquettes toutes échelles, croquis, aquarelles, plans, coupes) a permis d’enrichir la recherche projectuelle.
Fig. 13. Musée Louisiana Dialogue avec le paysage photographie personnelle
21 -
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I. Un séjour à Roquebrune Récit d’une démarche sensible
Fig. 14. Photographie du littoral et des différents flux - Routiers - Maritimes - Automobiles - Piéton
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Via Julia Augusta -13 Via Julia Augusta
970
Construction du château 970 Construction du château 1082 Rassemblement des terres qui formeront la commune de Roquebrune 1082 Rassemblement des terres qui formeront la commune de Roquebrune 1355
Roquebrune et Menton passe sous la tutelle des Grimaldi, famille princière monégasque. 1355 Roquebrune et Menton passe sous la tutelle des Grimaldi, famille princière monégasque.
1793 - 1848 En quelques décennies, Roquebrune devient successivement francaise, 1793 - 1848 avant de redevenir monégasque puis sous tutelle du roi de Sardaigne. En quelques décennies, Roquebrune devient successivement francaise, 1861 avant de redevenir monégasque puis sous tutelle du roi de Sardaigne. Roquebrune et Menton reviennent à la France 1861 1869 Roquebrune et Menton reviennent à la France Le chemin de fer arrive à Roquebrune. 1869 1890de fer arrive à Roquebrune. Le chemin Villégature méditerranéenne : 1890Aménagement du Cap Martin par Hans Georg Tersling Villégature méditerranéenne : Aménagement du Cap Martin par Hans Georg Tersling 1926-1957 Le Cap Moderne: 1926-1957 Construction de la villa E-1027, de l’étoile de mer, Lecabanon, Cap Moderne: QUELQUES DATES CLES DE L’HISTOIRE DE ROQUEBRUNE CAP-MARTIN du des unités de camping. Construction de la villa E-1027, de l’étoile de mer, QUELQUES DATES CLES DE L’HISTOIRE DE ROQUEBRUNE CAP-MARTIN du cabanon, des unités de camping.
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1890Via Julia Augusta Villégature méditerranéenne : Aménagement du Cap Martin par Hans Georg Tersling 1904 Construction des Villas Cypris et Torre Clementina 970 1920 -1927 Construction du château Ferdinand Bac construit les Colombières à Menton
1926 -1929 Eileen Gray et Jean Badovici construisent la villa E-1027 Rassemblement des terres qui formeront la commune de Roquebrune 1932 -1934 Eileen Gray construit la villa Tempe a Païa à Menton
1082
1355
Roquebrune et Menton passe sous la tutelle des Grimaldi, famille princière monégasque.
1948-1950 Projet de Le Corbusier Roq 1952 Le Corbusier construit le Cabanon 1952-1955
1793 - 1848 Projet de Le Corbusier Rob En quelques décennies, Roquebrune devient successivement francaise, 1957 avant de redevenir monégasque puis sous tutelle du roi de Sardaigne. 1861
Construction des 5 unités de camping
1954 -1958 Roquebrune et Menton reviennent à la France 1869
Eileen Gray réhabilite et agrandit de Villa Lou Pérou à Saint-Tropez
Le chemin de fer arrive à Roquebrune. 1890
Villégature méditerranéenne : 1997 Aménagement du Cap Martin par Hans Georg Tersling Extension du cimetière St. Pancrace par Marc Barani
CAP MODERNE
1926-1957
« Roquebrune, cette oasis artistique » André Gide, 1947
QUELQUES DATES CLES DE L’HISTOIRE DE ROQUEBRUNE CAP-MARTIN
2015 Le Cap Moderne: Restauration la Villa de E-1027 Construction de la villa E-1027, de de l’étoile mer, du cabanon, des unités de camping.
Fig. 15. Quelques dates clés de Roquebrune Cap-Martin
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Les premiers mois d’analyses et de recherches sont le fruit d’un travail commun effectué par 4 étudiants en amont du développement personnel du projet Nous avons ainsi choisi de rendre cette 1ère partie commune pour restituer au mieux les faits de ce travail de groupe.
Les
premiers
éléments
fondateurs
quant
aux
choix des sites résultent d’une proposition des encadrants visant à engager une réflexion sur la ville de Roquebrune-Cap-Martin, en côte d’Azur. Ville fétiche de nombreux grands artistes et personnalités des XIXe et XXe siècle (Monet, Coco Chanel, Churchill, Eileen Gray, Le Corbusier...), elle est pour nous, étudiants en 2020, le lieu rêvé pour un projet de fin d’études. Le relief très marqué, le riche patrimoine architectural, ainsi que la beauté et la variété des paysages présentèrent tout de suite un intérêt projectuel, en accord avec le thème même de l’enseignement : “Habiter le paysage”. En effet, en moins de 6km, le relief culminant à 1000m plonge vers la mer. En conséquence, les vues proposées y sont très riches. De plus, le développement de ville s’est étendu sur plusieurs périodes, offrant en conséquence un large héritage architectural sur 25 -
Fig.16 Roquebrune CapMartin, Cap moderne Š internet
Fig .17 Fresque de Le Corbusier, Cap moderne Š internet
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lequel s’appuyer. A contrario, cette urbanisation saccadée eut pour conséquence de scinder la ville en deux bords, le relief du cap n’arrangeant pas les tentatives de liaison. C’est ainsi qu’un groupe de 4 étudiants s’est formé, pour tenter d’amener une proposition forte, à la hauteur des problématiques urbaines et paysagères identifiées. D’un point de vue purement programmatique, la “commande” prévue pour les 4 architectes en devenir impliqués concernait à l’origine la valorisation du site du Cap Moderne, qui regroupe les interventions successives d’Eileen Gray puis de Le Corbusier à Roquebrune. Il s’agissait notamment de penser une petite salle consacrée à l’exposition des meubles de la villa d’Eileen Gray, au bénéfice de l’association gérant le Cap Moderne. De plus, il était question de repenser l’accès au site depuis le chemin des douaniers, serpentant jusqu’à la gare, qui reliait jadis Monaco. En ce lieu précis, il était entendu d’aménager un espace d’accueil et de conférence pour les visiteurs, aujourd’hui inexistant. Bien que très fréquenté, le sentier des douaniers souffre aujourd’hui des divers aménagements qu’il fut amené à subir. Il reliait à l’origine Monaco à Menton, en suivant strictement 27 -
Fig. 18. Plan de Hans Georg Tersling pour le Cap Martin
Gare de CabbĂŠ 1 Cap Moderne 2 Pointe du cap 3 Fig. 19 Roquebrune CapMartin, Plan du sentier des douaniers
1
- 28
2
3
la côte, et servait aux douaniers pour lutter face à la contrebande de marchandises. Aujourd’hui, il fait office de promenade côtière. Entre les deux, de nombreux remaniements ont contribué à altérer son tracé d’origine : interruptions, déviations,
privatisations,
manque
d’entretien.
L’exemple le plus notable est visible dès l’arrivée à Roquebrune, par le train. Jadis longeant le chemin de fer sur cette section, le sentier est aujourd’hui interrompu pour répondre aux besoins de stationnement aux abords de la gare. Pire, sa trace a totalement disparu, rendant l’accès difficile, discret, et peu qualitatif au vu du potentiel. Le sentier se retrouve fortement enclavé entre d’un côté la voie ferrée, et de l’autre la présence de nombreuses propriétés privées en bordure du sentier qui rompent toute relation entre l’usager et la côte. Plus généralement entre l’Homme et le paysage. Ce lieu étant la première image de Roquebrune affichée depuis le chemin de fer, nous avons de suite eu l’intuition qu’il était capital de repenser totalement cette séquence. Au fond, il s’agissait de fabriquer un réel point de départ du sentier vers le Cap Moderne, mettant en exergue les qualités 29 -
Fig. 20 Sentier des douaniers
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de la promenade. Les faibles pentes du sentier, la nature qui se mêle à l’artifice du béton coulé au sol, l’ouverture sur la mer, les compressions d’espaces, les perspectives sur Menton et Monaco, la vue sur le Mont Agel... Autant de caractéristiques qui rendent ce lieu si particulier. Son potentiel n’avait d’ailleurs pas échappé à Claude Monet, qui a capté quelques instants de ses promenades côtières en 1884. La vue depuis la pointe du cap, dégagée à 360°, présente également un potentiel unique. En quittant la gare en direction du Cap moderne, le parcours du sentier se libère progressivement de ses entraves, énoncées plus tôt. L’usager est amené progressivement à traverser une multitude de situations intéressantes, découlant du rapport voie ferrée/sentier/côte. Il devient alors acteur du paysage, caractérisé par le tumultueux dialogue nature/infrastructures. Intervient alors une véritable promenade qui est enrichie par ces variations, découlant du rapport tumultueux entre infrastructures et relief qui fabrique le paysage. Il nous a dès lors paru envisageable d’intervenir en lien avec ce sentier, en définissant plusieurs interventions dont le rôle serait 31 -
d’accompagner ce sentier jusqu’au Cap Moderne, voire davantage. L’idée d’un travail d’acupuncture enrichissant le paysage a ainsi fait son apparition. En parallèle, il fut très vite nécessaire de travailler en volume pour se rendre compte concrètement de l’importance du relief. De plus, il était capital d’appréhender au mieux le tracé de la ligne de côte, pour pouvoir ensuite choisir de façon stratégique et méthodique les lieux d’intervention : espacements, vues... Nous avons alors pris l’initiative de réaliser une maquette de site à grande échelle dès la première semaine de réflexion, pour étudier chaque possibilité. Travaillant au 1:10 000, nous avons choisi de représenter les courbes de niveaux tous les 10m pour rendre compte de la forte déclivité que nous serions amenés par la suite à maîtriser. Dans l’optique de développer un réel projet de PFE, il nous a rapidement paru plus opportun de mettre en place un programme plus conséquent, d’échelle territoriale, basé autour d’un récit mettant en scène plusieurs interventions implantées sur le littoral. La question fondamentale qui nous a semblé évidente et d’actualité était de savoir comment - 32
révéler le(s) patrimoine(s) de Roquebrune-CapMartin en participant à son développement ? En effet, il s’agit ici, par ces interventions, de s’inscrire dans une démarche de valorisation du patrimoine, en s’appuyant en premier lieu sur un cheminement piéton à travers le(s) paysage(s) du chemin des douaniers. Le partage et l’échange de nos premières impressions avec monsieur Jean Michel Bossu nous a permis d’ouvrir les yeux sur de nombreux points. En effet, il nous a été soumis l’idée d’aller encore plus loin dans cette démarche en étendant finalement la zone d’intervention à la ville entière, et donc plus uniquement au littoral. Le fait de s’adresser dès lors également au flanc est du Cap induit de fait une tentative d’établir davantage de connexion entre vieux village au nord-ouest, et urbanisation nouvelle, côté Carnolès. C’est à cet instant que le projet change de statut. Ainsi, les différentes villas, les jardins, le vieux village, le cap moderne, le chemin de fer, la falaise, les chemins qui serpentent, le relief et son traitement artificiel... nous offraient un large panel d’un patrimoine à exposer aux yeux de tous. Toutes ces données furent explorées et synthétisées en une série de coupes mettant l’accent sur la déclivité de la ville. 33 -
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L
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H I
Fig. 21. Localisation des coupes
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Une ville dans la pente... En témoigne cette carte postale envoyée par Le Corbusier à ses proches lors de l’élaboration de ses projets dans la ville.
Fig . 22 Carte postale de Le Corbusier
Fig. 23 Claude Monet La corniche 1884
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Fig. 24 Coupe 1
Fig. 25 Coupe 2
Fig. 26 Coupe 3
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REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Fig. 27 Coupe AA
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Fig. 28 Coupe BB REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Fig. 29 Coupe CC
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REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Fig. 30 Coupe DD
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Fig. 31 Coupe EE
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
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Fig. 32 Coupe FF
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REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
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Fig. 33 Coupe GG REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Fig. 34 Coupe HH
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Fig. 35 Coupe II
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REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Fig. 36 Coupe JJ
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Fig. 37 Coupe KK
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT m5
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Fig. 38 Coupe LL © COSTA Valério, «Gravité(s)», 2020
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Si ce travail de valorisation touche évidement à la dimension touristique, il s’adresse premièrement aux habitants permanents de Roquebrune, qui souffrent notamment du manque d’accessibilité, et subissent les difficultés de stationnement. Ainsi, les interventions sont alors déployées à échelle territoriale et sont, autant que faire se peut, d’intérêt public. Nous avons donc été amenés à questionner l’échelle des projets, leur nature et leur statut véritable au sein de la ville de RoquebruneCap-Martin. Une question capitale consistait à établir une hiérarchie entre les différentes interventions, tout en visant cohérence et complémentarité. Chacune d’elle est alors pensée pour intervenir à un moment précis de la promenade. D’abord, quatre projets principaux, qui prendront place en des lieux marquants, aux problématiques manifestes. Puis, des interventions ponctuelles, plus discrètes, amenées de façon à rythmer les promenades, et apporter du liant entre les projets principaux. Enfin, un travail plus fin encore, résidant dans la signalétique, déjà initié de manière plus ou moins volontaire et habile à Roquebrune, qui permettra alors d’obtenir la cohérence totale souhaitée. - 42
Pour ce faire nous avons instinctivement commencé à travailler à partir de l’existant. Le sentier des douaniers restant notre point de départ, il nous a donc paru opportun et stratégique d’installer deux de nos projets de part et d’autre de la promenade. Le parti pris fondamental des projets allait au plus “simple” et résidait dans le développement d’une promenade piétonne débutant à la gare de Roquebrune avec une requalification de celle-ci et la création d’un restaurant attenant (1 - fig 33). Cette promenade se poursuit avec comme point d’aboutissement la pointe du Cap et la création d’un lieu qui constitue la sortie de la ville (côté terre) mais également l’entrée (côté mer). D’un point de vue programmatique, il s’agit d’un lieu de détente comprenant une piscine et un restaurant (2 - fig 34 et 35). Toujours dans la recherche d’une continuité d’un projet à l’autre, le chemin de Menton, lui plus en retrait, joue le même rôle que le chemin des douaniers. Historiquement, il s’agit d’un chemin emprunté lors des processions religieuses entre les nombreuses chapelles et églises. Il permet une ascension directe depuis Menton jusqu’au centre historique de Roquebrune. Ainsi, c’est naturellement que nous avons choix d’installer les deux autres projets principaux le long du sentier, avec pour 43 -
chacun un rôle particulier, répondant aux besoins identifiés : Le premier, comme moment de pause dans l’ascension, aux abords de la Villa de plaisance de Coco Chanel (3 - fig 36 et 37). Le second comme lieu d’arrivée, qui surmonte le village historique (4 fig 32 ). Le rôle de relais dans l’ascension est assuré par un musée, au cœur d’un jardin méditerranéen qui reprend les caractéristiques évoquées en amont. La séquence d’arrivée développe elle des espaces publiques ouverts sur la ville et un centre de maisons d’hôtes qui donne une cohérence au récit initial. De manière logique, le récit de la promenade débute à la gare et aboutit en haut de la ville, en favorisant le parcours piéton, dans une ville où le flux automobile prend une place bien trop conséquente. Chacun des projets répond à sa manière aux problèmes de stationnement, de manière à crédible et en accord avec le récit initial.
En parallèle, un parcours nautique autour du Cap propose une alternative à la visite piétonne. Ainsi, le positionnement de deux débarcadères de part et d’autre du chemin côtier intervient également dans la démarche territoriale. Ces endroits stratégiques - 44
d’intervention s’accrochent ainsi à chaque fois à un contexte environnant très fort. La présence de la gare, l’inflexion du cap, la villa de Chanel et son jardin ainsi que le centre historique justifient nos présences et placent le Cap Moderne en plein centre de gravité des projets.
4
3
Fig. 39 Roquebrune CapMartin, Plan des zones d’interventions Chemin de Menton Sentier des douaniers
1
Cap Moderne
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Fig. 40 Localisation du jardin de la Villa La Pausa, en vert vers Monaco 1. Carnolès 2. La Pausa
3. Vieux village
vers Menton
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
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Fig. 41. Situation géographique du site sur le Cap
- 46
II. La Pausa : faire émerger l'identité du lieu A) La Pausa, un palier dans l’ascension entre Menton et Roquebrune-Cap-Martin Comme évoqué plus tôt, une partie primordiale du travail consistait à débusquer un site avec une identité forte, mais également caractéristique de la ville de Roquebrune. En feuilletant le PLU de la commune, quelques lignes m’ont interpelé : “Ainsi, le PLU retient notamment les dispositions suivantes : […] - La création d’un jardin méditerranéen en continuité du parc de la villa La Pausa. “ A partir de là, c’est assez naturellement que le choix du site a commencé à se dessiner. La Villa La Pausa, construite en 1928, avait appartenu à la couturière Coco Chanel qui l’avait fait ériger par les soins de l’architecte Robert Streiz. Elle resta en sa possession jusqu’en 1953, avant d’être revendue au journaliste et collectionneur américain Emery Reves. Elle est située en plein cœur d’un dense jardin
méditerranéen,
aujourd’hui
classé
EBC,
composé en majorité d’oliviers et d’agrumes. Relativement méconnue, cette part culturelle non 47 -
négligeable méritait selon moi que l’on s’y intéresse. Ainsi, on touchait pleinement à la volonté initiale de valorisation du patrimoine oublié de RoquebruneCap-Martin. Le potentiel du lieu restait alors à établir, pour affirmer le statut du projet. La Pausa, littéralement “La Pause” en italien : un lieudit étonnant sur lequel j’ai décidé d’en apprendre davantage.
Pourquoi
cette
appellation,
que
signifie-t-elle, et à quoi fait elle référence ? Plusieurs hypothèses existent. La première est d’ordre religieux. Selon la légende, Marie Madeleine aurait fait une pause dans les environs. On fait alors le lien avec la présence des deux chapelles Saint Roch et La Pausa, à proximité. La seconde hypothèse, d’ordre topographique, mais intimement liée, permet d’y voir plus clair. En effet, le lieu-dit La Pausa prend place au sommet de la crète que forme le Cap Martin, dans les hauteurs de la Torraca. Un chemin raide et sinueux, qui relie directement Menton au vieux village de Roquebrune dessert les lieux et longe justement la bordure nord du site, sur la portion reliant la chapelle La Pausa à la chapelle Saint Roch. (Voir carte). Accueillant traditionnellement les processions religieuses du - 48
5 août entre les différentes chapelles, le chemin de Menton est aujourd’hui prisé des touristes et randonneurs qui souhaitent rejoindre le vieux village à pied. De plus, de nombreux habitants l’empruntent quotidiennement.
Fig. 42. Procession du 5 août 1920, empruntant le chemin de Menton
49 -
L’ascension complète prend près de 45min. Environ aux deux tiers, on arrive à la chapelle La Pausa, premier évènement marquant venant égailler une montée éprouvante, monotone, sans réelle interruption. A cet instant précis, on atteint le sommet de la crête. Le relief escarpé du flanc est laisse alors place à un replat, propice pour marquer un temps d’arrêt avant de reprendre l’ascension. En somme, c’est un palier naturel dans l’ascension qui est fabriqué à cet endroit. Le caractère géographique du lieu permet, à la fois d’être vu de loin, mais surtout de voir loin. Ainsi, la vue y est étonnement dégagée, et ce de part et d’autre de la crête. De quoi justifier une pause prolongée, qui donna son nom au lieu.
Fig. 43. Vue sur Menton depuis la chapelle La Pausa (4)
- 50
Vieux village Carnolès Villa La Pausa
Fig. 44. TracĂŠ du chemin de Menton
51 -
5
6
Vers vieux village 7 9
- 52
8
(1) Vue sur Menton
(2) Aperçu de la chapelle La Pausa
(3) Chapelle La Pausa
(5) Vue dégagée sur la mer
Vers Menton 3 4 2
1
Fig. 45. Zoom sur la portion du chemin de Menton longeant le site en limite nord
(6) Aperçu de la chapelle Saint-Roch (7) Villa La Pausa
(8) Vue sur les hauteurs de Menton
(9) PercĂŠe depuis la chapelle
53 -
B) Un sol aménagé, socle de l’architecture dans le paysage La villa s'implante dans le site selon l’axe suivant l’arrête du cap, la vue dans cette direction étant jadis plus dégagée qu'aujourd'hui. Le terrain suit une forte pente: le dénivelé entre les limites basse et haute de parcelle dépasse 31m. La villa s’implante environ à mi-hauteur, sur un plateau aménagé. En aval, la pente suit son cours naturel. En amont en revanche, la pente saccadée laisse apparaitre les traces plus ou moins nettes d’un aménagement en restanques, ces terrasses artificielles, typiquement provençales, qui permettent la culture d’olives et d’agrumes. Cela se présente sous la forme de murets en pierre sèche érigés de sorte à retenir la terre cultivable. Cette technique est d’autant plus nécessaire que le sol est ici à forte dominante rocheuse. Ainsi, la terre est répartie de façon la plus rentable sur la totalité du terrain, qui devient plus facilement exploitable. D’un point de vue esthétique, cette muralité donne une certaine poétique à la topographie, qui est ainsi mise en valeur. On ressent une volonté de marquer de l’empreinte de l’Homme le territoire, et ce avec - 54
Fig. 46. Vue aérienne du site En jaune: emprise des parcelles complémentaires prises en compte
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
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Fig. 47 et 48. Coupes montrant les différents traitements de la pente sur le site avant intervention
55 -
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
un certain respect. En témoigne par exemple le soin tout particulier que l’on peut relever dans la disposition des pierres : fondation / soutènement /couronnement. Affirmer ces traces historiques, fragiles témoins d’une activité humaine d’un autre temps, est à mon sens de l’ordre du devoir de mémoire. D’ailleurs, comme le stipule le PLU, l’un des souhaits majeurs de la commune consiste justement à réaffirmer les restanques. Comme un symbole, celui une identité perdue. Sur le plan architectural, cette stratification de la pente présente également des qualités qui ont suscité mon intérêt. D’abord, simplement des qualités d’accessibilité. En effet, à l’inverse d’une pente naturelle que l’on subit, cette succession de terrassements permet de travailler à partir de bases horizontales, ce qui est capital dans ces régions. A cela s’ajoutent, des qualités plus fines, en harmonie avec le programme. Tout d’abord le fait que chaque niveau de référence offre des vues radicalement différentes du précédent, ce qui de fait enrichit considérablement le parcours architectural et paysager, et invite à s’arrêter. Chaque palier est un univers, source - 56
1
2 4
5
3
Fig. 49. Coupe détail d'une restanque
1. Pierre de couronnement
3. Pierre de fondation
2. Pierre de parement
4. Remplissage
5. Drain
Fig. 50. Restanques à Evenos, région PACA
57 -
de
découvertes,
d’interrogations
et
surtout
d’observation. On ressent pleinement le passage de l’un à l’autre. De fait, les transitions seront à traiter avec soin. On touche au registre de l’immersion dans une topographie maitrisée dont on n’est plus seulement spectateur, mais aussi acteur. Le second point concerne le rapport entretenu entre le visiteur et le sol, au fil du parcours. J’ai rapidement compris que l’enjeu principal du projet découlait de la manière de traiter le socle, pour fabriquer une promenade architecturale et paysagère riche exclusivement adaptée à ce site. J’avais finalement le sentiment que cette base de travail, initiée sans le savoir des décennies auparavant, allait devenir le point fort du projet. Comme si toute l’histoire racontée par ce sol ne demandait qu’à être transmise à l’architecture, l’offrant au paysage sur un piédestal. C’est donc dans cette direction que les premières intentions architecturales se sont orientées. Cette recherche de l’identité, l’essence d’un lieu fait d'ailleurs partie de ma démarche de projet depuis le début de mon cursus. Déjà en L2, j’avais centré mon travail autour de ces questions. Le projet prenant place en lisière du parc de la Villette, j’avais choisi de mettre en valeur des éléments forts du - 58
Fig. 51. Axe de symétrie de la villa La Pausa
Fig. 52. Situation géologique du Cap Martin
59 -
site, tant historiques que géographiques. Je m'étais donc appuyé sur la présence d’un ancien mur en brique, ainsi que sur la relation directe avec la darse prolongeant le canal Saint-Denis. Ces éléments forts dans le paysage permettaient de le caractériser. C’est selon moi ce rapport entre histoire et géographie qui compose le socle du projet. Et c’est donc cela qu’il faut à tout prix révéler pour retrouver ou magnifier l'identité du lieu. Il était donc capital ici de composer avec l’intégralité de l’existant: bâti, murs d'enceinte, réservoirs d'eau, tracé des restanques...
Bâti existant Restanque principale Restanques Limites de la parcelle
Fig. 53. Traces composant le socle du projet
- 60
Fig. 54. Mise en valeur du mur en brique et de la darse Projet de L2 S4
Fig. 55. Mise en ĂŠvidence du mur d'enceinte du jardin de la villa La Pausa
61 -
Fig. 56. Vue du site depuis le cimetière et son extension
Fig. 57. Alfred Hitchock Storyboard pour le film "Les Oiseaux" 1963
- 62
III. Vers une matérialisation du parcours A. Une exploration en 3 temps ... Le projet a lui débuté sur des bases instables. En effet, l’annonce du confinement général intervenue début mars a drastiquement perturbé l’organisation classique qui aurait dû être respectée au long du développement du PFE. A commencer par l’impossibilité de se rendre en amont sur le site, ce qui obligea à avancer des hypothèses sans avoir pu s’appuyer sur un ressenti développé sur place. Ensuite, il a fallu pallier le manque de moyens, (matériel, impressions, salles de maquettes) qui aurait pu être un frein à la productivité sur le long terme. La principale difficulté fut de s’adapter à ces contraintes pour en faire une force bénéfique au développement du projet. De ce fait, la méthode de travail s’est elle-même retrouvée bouleversée, mêlant rigueur, originalité, mais
aussi
doutes
et
parfois
lassitude.
Ainsi,
j’apparente davantage la démarche globale à une série de tests et de recherches sans forcément de lien direct, qui à la fin font projet, plutôt qu’à un développement linéaire planifié jusqu’à l’obtention d’un produit final. Elle s’est déroulée en trois étapes distinctes. 63 -
1) La maquette, outil d’analyse topographique Topographie, nf du grec topos, lieu et graphein, dessiner
1. ”Technique de représentation graphique d’un terrain et de ses caractéristiques.” 2. ”Relief, forme, configuration d’un lieu.”
Dans un premier temps, il m’a donc paru capital de m’imprégner au maximum de la configuration topographique actuelle du site. D’abord à partir de nombreuses coupes pour mesurer précisément la déclivité et ses variations à l’échelle du terrain. Puis en plan, pour mettre en évidence l’emprise des différents paliers formés par les restanques. Cela permettait de comprendre les relations entretenues par chaque terrasse l’une par rapport à l’autre. Il s'agissait également de rendre lisible au plus vite cette succession de plans horizontaux qui formeraient le terrain d’assise, ainsi que leur rapport au paysage lointain. Mais
rapidement,
ces
descriptions
en
deux
dimensions se sont avérées insuffisantes. Il fallait une représentation précise, capable de matérialiser en - 64
volume les relevés que j’avais effectué. J’espérais fabriquer la une base à partir de laquelle il serait possible de travailler. J’ai alors entrepris de réaliser une maquette au 1:1000, représentant uniquement l’état actuel du socle. Très vite, cela m’a permis d’identifier
les
premières
questions
à
clarifier
concernant le rapport entre la pente laissée à l'état naturel, et la stratification horizontale artificielle. Selon moi, la rencontre fortuite entre les deux situations était incompatible, et faisait perdre de la force au dispositif, déjà fortement fragilisé aujourd’hui.
Fig. 58. Maquette du site dans son état d'origine
65 -
En effet, une importante partie du terrain étant à
l'abandon,
les
murs
de
restanques
jadis
caractéristiques ont pour la plupart fléchi. Certains ont même disparu sous la végétation. La terre s’est affaissée. De fait, cet entre-deux donne au traitement de la pente un statut flou incompatible avec la rigueur souhaitée à ce sujet. J’ai alors compris que revenir à l’état artificiel d’origine du socle était pour commencer le seul moyen d'établir une hiérarchie claire. S’en est alors suivi un travail que je pourrais presque qualifier d’ordre archéologique pour retrouver et mettre en évidence les traces malmenées de ces restanques. 2) Choix de Thèmes : leçons de la géologie Je n’ai pas tout de suite ressenti la totalité du potentiel offerte par ce traitement si particulier de la pente. Je me suis longtemps questionné sur la place du bâti par rapport au sol. Fallait-il se poser dessus, s’y ancrer solidement, s’y adosser, ou encore s’y dresser très légèrement ? Ma seule certitude à ce moment-là était de fragmenter le programme en plusieurs entités, de manière à exploiter la totalité du terrain, et donc des vues possibles. Au fil des discussions avec les encadrants, il m’a été - 66
suggéré d’utiliser cette fragmentation pour explorer plusieurs thématiques, qui découleraient du rapport entretenu entre l’architecture et le sol. Le décalage entre ces fragiles murs de soutènement, et la poussée considérable qu’ils expriment, confère à ce socle une puissance innée. De quoi former une assise à même d’assumer et de magnifier la présence de l’architecture dans le paysage. Ainsi, par un travail schématique en coupe, j’ai d’abord cherché à faire émerger plusieurs possibilités d’implantation, au-dessus, sur et sous la surface du sol. Au fond cela consistait seulement à placer des plans horizontaux les uns par rapport aux autres, correspondants aux deux éléments principaux constitutifs d’architecture: le toit / le sol. La complexité résidait dans le fait que selon la position des différents curseurs, le toit devient un sol, le sol devient toit. Il s’agissait alors d’étudier un maximum de combinaisons pour ensuite en dégager des qualités et thèmes communs, à explorer en profondeur. Pour autant, j’ai décidé de rester assez ouvert dans mes choix pour pouvoir offrir aux visiteurs un parcours varié à la fois dans le musée et le jardin. Ainsi, j’ai finalement choisi de 67 -
concentrer ma recherche autour de trois thèmes principaux, radicalement opposés dans leur nature, mais chacun se répondant tout de même : Surmonter - Etre placé au-dessus de. - Couronner, surplomber, dominer. Révéler - Faire connaître, dévoiler. Creuser - Ôter de la matière à un objet, de telle sorte qu’un creux, une cavité se forme. Cette exploration fut guidée par la problématique suivante : Comment différents rapports au sol peuvent-ils être générateurs de la promenade architecturale et paysagère ? Pour
être
plus
pertinent,
chaque
thème
se
devait d’imprégner ponctuellement le parcours architectural. L’idée est finalement d’imaginer que la promenade s’apparente en fait une immersion totale sur mais aussi dans le sol : ses failles, ses creux, sa matérialité mais aussi sa puissance, son obscurité, - 68
sa fraicheur. La qualité du parcours est alors obtenue grâce une diversité de séquences bien distinctes découlant uniquement du rapport entretenu entre l’Homme et la surface du sol. La variété thématique permet alors d’animer la promenade en perturbant la vision de l’espace du visiteur. Chaque thème se retranscrit dans la spatialité crée, et ce jusque dans les détails.
Fig. 59. Recherche thématique sur les différents rapports au sol
69 -
*
Pli d'une couche géologique de forme convexe
Évidemment,
chaque
pavillon
se
doit
d’être
suffisamment spécifique tout en respectant la cohérence globale du projet. L’identité
propre
de
chaque
pavillon
étant
intimement liée au socle et à sa composition, j’ai cherché à en apprendre un peu plus à ce sujet. Après avoir contacté un géologue de la région, et mené mes recherches en parallèle, j’ai compris qu'une bonne connaissance de la géologie allait être ici d’une importance capitale. Le site étant situé sur l’arrête de l’anticlinal*, plusieurs strates rocheuses habituellement enfouies affleurent en surface. La terre peu stable répartie par l’aménagement en restanques ne représente qu’une fine couche. Aussi, en creusant quelques mètres, on atteint des couches rocheuses nettement plus solides et durables. On trouve ainsi : - du poudingue, roche sédimentaire détritique conglomérée dont les éléments sont des galets plus ou moins arrondis réunis par un ciment, de couleur brune - du calcaire jurassique, roche sédimentaire, couleur blanc cassé à gris en passant par des teintes légèrement orangées - 70
Fig. 60. Poudigue, texture
Fig. 61. Calcaire, texture
71 -
La découverte de la présence de ces roches si près de la surface du sol représente une plus-value pour les thèmes d’origine comme pour le statut du projet. En effet, surmonter une base rocheuse solide et non plus seulement de la terre remblayée confère davantage d’intensité. De même, l’idée d’être en mesure de révéler la présence de ces roches aux yeux de tous présente un intérêt, tant dans le musée que dans le jardin. Enfin, l’action de creuser prend un tout autre sens lorsqu’on ressent la pesanteur de la matière que l’on évide. En conséquence, la spécificité des thèmes choisis devenait plus perceptible. La prochaine étape consista à réunir une sélection de références en rapport direct avec ces sujets, pour élargir le champ des possibles. J’ai choisi ici d’en présenter deux, qui résument selon moi correctement les premières intentions qui commençaient à émerger. Ces références digérés et croisées avec la réalité du site, il restait alors à définir clairement le parcours à travers les différents thèmes. La question principale était alors de trouver comment manifester, ordonner et relier les différentes séquences ? Et surtout, comment faire de ces fragments un projet ? - 72
Fig. 62 et 63 Eduardo Souto de Moura, Casa en Moledo, 1991-98 https://www. atlasofplaces. com/
73 -
3) Le storyboard comme approche du parcours Pour y répondre, l’enjeu suivant fut de visualiser le parcours par le dessin. J’ai alors opté pour une série de croquis en perspective réunis pour former un storyboard. J’ai compris qu’il s’agissait d’une étape incontournable pour voir le projet, étape par étape, comme s’y l’on s’y promenait. J’ai choisi un mode de représentation simple, en noir et blanc, pour exprimer clairement les contrastes : lumière / ombre, plein / creux... J’ai par la suite fragmenté le storyboard en plusieurs séquences que j’ai organisé méthodiquement à partir de mots clés se rapportant aux thèmes. La réflexion sur le parcours débute par l’approche depuis un véhicule jusqu’au stationnement, temps qui correspond au début de la séquence d’entrée. Puis, elle met en évidence l’approche piétonne avant d’entrer dans le musée, le parcours du visiteur à travers celui-ci, et l’arrivée à un point d’aboutissement marquant la transition entre parcours privé dans le musée, et parcours paysager public dans le jardin. Pour traiter du parcours paysager, j’ai également eu recours au storyboard. L’étude de références proches - 74
comme
le
Jardin
des
Colombières
Fig. 64. Extrait du storyboard dĂŠfinissant le parcours
75 -
dessiné par Ferdinand Bac à Menton, ainsi que les enseignements tirés du projet de parc habité suivi en S8 m’auront démontré une chose : il est nécessaire de penser le jardin à partir de points de vue choisis, et non pas seulement en plan. J’ai donc choisi de produire une série de croquis en couleur mettant en lumière les percées visuelles créées, la densité de la végétation, sa forme, ses teintes, ou encore les points d’accompagnement du cheminement. L’apport de la couleur permettant ici de témoigner de la richesse amenée par la nature au profit du parcours architectural. Là encore, il était question d’associer les bonnes teintes, de chercher des constates intéressants, de cadrer certaines vues sur la montagne, la mer ou encore le ciel. Enfin, il s’agissait d’un début de réflexion sur ce qui allait être vu du jardin depuis les pavillons d'exposition.
- 76
Fig. 65. Points de vue dans le jardin
77 -
B. ...génératrice d'intentions architecturales Faisant état des qualités et des problématiques initiales identifiées durant l’analyse de site, le projet tente d’apporter plusieurs éléments de réponse, d’échelles et portées variées. En effet, il fallait allier à la fois des enjeux urbains, paysagers, architecturaux et constructifs. Ces pistes préliminaires de travail étudiées en parallèle ont permis la genèse des premières résolutions architecturales. 1. Affirmer les restanques Dans l’optique de réintroduire les restanques sur le site, une première partie du travail consiste à remblayer, consolider et prolonger les terrasses, notamment sur la portion est où leurs traces sont peu visibles. Pour ce faire, c’est en premier lieu la terre et la roche extraites pour les besoins du projet qui seront utilisées pour ces taches de remblai. 2. Favoriser l’accès piéton depuis le chemin de Menton Pour retrouver l’identité du lieu-dit La Pausa, il me semblait important de concentrer mes efforts sur - 78
l’approche piétonne depuis le chemin de Menton. Il fallait faire en sorte que l’on soit invité à s’arrêter, au lieu de simplement poursuivre un chemin tangent. Naturellement, j’ai choisi de positionner l’entrée du musée à ce niveau-là. A cela s’ajoute une esplanade publique en balcon sur le paysage que l’on découvre progressivement en arrivant. 3. Résoudre les problèmes de stationnement Comme partout à Roquebrune, le stationnement pose problème dans le périmètre du site. Plusieurs véhicules y stationnent, parfois directement sur le chemin de Menton. Cela induit un flux inopportun de véhicules, certes léger, mais suffisant pour perturber l’harmonie du lieu. J’ai donc cherché à contenir ce flux en limite basse de parcelle en créant un parking public de 30 places en contrebas, dans le prolongement de l’avenue de la Torraca. Un fois délestés de leur véhicule, les piétons rejoignent librement l’entrée du musée. 4. Créer un jardin public pour les habitants de Roquebrune J’ai choisi de rendre le jardin public dans sa grande 79 -
majorité. Ce n’est plus seulement le jardin d’agrément du musée, mais un vaste parc offert aux habitants de Roquebrune-Cap-Martin. Des entrées au niveaux bas et haut assurent une fréquentation quotidienne du lieu, ne serait-ce que pour le traverser et relier les niveaux haut et bas, aujourd’hui difficilement joints. L’idée est de fabriquer un lieu à part, coupé du bruit et de la ville. 5. Générer une figure fragmentée La configuration du site, le positionnement et la géométrie des bâtiments existants ainsi que la variété de points de vue possibles ne justifiaient pas selon moi de choisir une géométrie dominante. Plutôt que de m’efforcer à chercher l’orthogonalité, j’ai décidé de m’appuyer sur les traces historiques présentes sur le terrain. La limite initiale du jardin, fabriquée par le tracé de la restanque principale, représentait pour moi l’un des éléments forts du site. J’ai donc choisi d’extraire de cette ligne brisée 4 repères principaux qui dicteraient l’orientation et la géométrie des pavillons. Ce sont ces repères, croisés avec les vues recherchées qui ont matérialisé la figure du projet. Cette tension entre plusieurs géométries se retrouve notamment dans les œuvres d'Eileen Gray. - 80
Fig. 66. Repères géométriques définissant la composition
Fig. 67. Figure du projet au 10.04
81 -
Par la suite, la maquette de figure a permis d’étudier le déploiement des pavillons à l’échelle du parc et du paysage lointain. Par leur disposition, les pavillons établissent le parcours et tentent d’apporter plusieurs types de relation avec le(s) paysage(s). Des maquettes à plus grande échelle ont alors permis de déterminer plus précisément l’organisation spatiale du parcours à travers les pavillons d’exposition.
Fig. 68. Eileen Gray, 1929 Dessin pour le tapis "Marine d'abord" Extrait du cours de Laurent Beaudoin
Fig. 69. Maquette au 1:200 du 22.05
- 82
Les points suivants explicitent brièvement la matérialisation du parcours thématisé par le traitement architectural et paysager
1. Séquence d’entrée : SURMONTER LE PAYSAGE De par sa situation, l’entrée domine la totalité du site et s’ouvre sur le lointain. La séquence d’entrée se décompose en trois phases : - L’approche piétonne depuis le chemin de Menton, en balcon sur le paysage - La disparition progressive du paysage derrière une succession de murs, qui dirigent le visiteur vers le pavillon d’accueil - La redécouverte brutale du paysage, via un cadrage sur la mer et l’horizon, dès que l’on quitte la billetterie. On surmonte alors le site, en dominant la surface des arbres. La tension entre ces différentes phases donne à mon sens toute sa symbolique à l’entrée : une porte vers le paysage. L’immersion débute dès lors qu’on la franchit. 2. Premier pavillon d’exposition : REVELER LA TOPOGRAPHIE Se déployant sur trois niveaux de référence, on ne perçoit depuis l'extérieur que les toits praticables qui 83 -
forment alors un nouveau sol. La surface du pavillon se veut comme un prolongement de la topographie initiale. On lit alors trois plans horizontaux distincts, flottant légèrement au-dessus de la surface du sol naturel. Ces plans, qui se projettent vers l’horizon, se veulent lisses et immaculés. Ainsi toute émergence prend une dimension sculpturale, qui imprègne le traitement des gardes corps d’escaliers et des puits de lumière. L’idée ici est de mettre en scène la descente en exploitant au maximum la gradation de niveau. Par une succession de dispositifs, je cherche à obtenir une lente transition entre une ouverture totale sur le paysage lointain jusqu’à un rempli complet sur un paysage proche, intériorisé. 3. Second pavillon d’exposition : CREUSER LA ROCHE Ce second pavillon d’exposition traite lui aussi le thème du creux, avec la volonté d’aller encore plus loin dans la recherche, avec comme but la mise en valeur d’un paysage invisible : celui du sol et la roche. L’espace d’exposition est en étroit dialogue avec ce paysage sorti de terre. Le développement architectural et constructif est enrichi par les outils issus du mémoire. Ainsi, j’essaye de faire en sorte que la structure forme l’espace, et conduise la lumière. - 84
4. Traitement du parcours paysager: accompagner le cheminement dans le jardin L’exposition prend fin alors qu’on accède à l’ultime plateau aménagé. On est alors invité à se retourner. Au pied d’un long mur en pierre existant prend place un vaste plan d’eau. Un arbre évènement majestueux, lui aussi existant, est mis en valeur par sa position au centre du bassin. Cette touche de nature colorée contribue à sacraliser ce lieu, qui fait alors la transition entre le parcours privé dans le musée et le parcours public dans le parc. J’ai cherché à mettre en place un cheminement à travers le jardin, qui viendrait être accompagné par des évènements architecturaux. Pour rester dans une thématique propre au projet, j’ai choisi de composer et de représenter ces interventions à la manière de tapis d’Eileen Gray.
Fig. 70 L'un des points d'accompagnement du parcours dans le jardin
85 -
C. L’arpentage sensible du site, un tournant dans l’amélioration du projet La visite de site, début juin, n’a fait que confirmer les différentes hypothèses de travail prononcées. J’étais assez satisfait de me rendre compte que les relevés topographiques et les hypothétiques vues prises en compte correspondaient. Je pense que le choix de prendre beaucoup de temps sur l’analyse était le bon. Cela aura permis de mettre en place une base de travail solide et surtout de développer des
intentions
architecturales
appropriées
et
cohérentes. Pour autant, la visite à fait émerger trois points de réflexion supplémentaires, nécessaires au bon aboutissement du projet. 1. Approche piétonne : une découverte sensible du paysage C’est tout d’abord, en empruntant le chemin de Menton, que j’ai pleinement pris conscience du caractère unique de ce lieu, seulement perceptible en l’arpentant personnellement. Le basculement d’un flanc à l’autre de la crète produit un phénomène frappant. En quelques mètres, on passe d’une vue vers Menton, à large dominante artificielle, à un - 86
CORAJOUD Michel, 2010. Le paysage, c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent, Actes Sud, ENSP, 224p. 2
Fig. 71. Croquis réalisés in situ
paysage naturel totalement immaculé. J’ai été surpris par l’intensité du dialogue terre-ciel, enrichit par l’omniprésence de la végétation et de la mer. Michel Corajoud écrivait : “le paysage, c’est l'endroit où le ciel et la terre se touchent”. ² C’est cela dont il est question ici, et ce dialogue est sublime, harmonieux. Du fait que l’on approche en marchant, le paysage se dévoile progressivement au spectateur, jusqu’à l’apothéose : le passage audessus de la canopée. Le mouvement provoque un glissement latéral des premiers et seconds plans, qui laissent alors entrevoir la mer. La villa de 87 -
Chanel prend place au sein de ce décors théâtral. Elle-même est mise en scène. On l’aperçoit une première fois au début de l’ascension, puis par touches très fines, une fois arrivés à la Pausa, jusqu’à l’apparition soudaine du toit, flottant au-dessus de la cime des arbres. J’ai tout de suite compris que cette séquence magique, se devait d’être mise à l’honneur par le projet, et qu’il fallait donc allonger l’emprise de l’intervention. Inspiré par ce spectacle, une planche vient faire état de quelques-unes de ces séquences, sensiblement choisies. Pourtant, ce moment vient être totalement gâché par de nombreux problèmes résultant du manque de considération pour le site. Tout d’abord, une clôture, qui vient mettre une terrible distance entre le chemin et le paysage. Je me souviens avoir ressenti une grande frustration de ne pas pouvoir accéder au site depuis cet endroit. De ce fait, je comprends que personne n’est amené à s’arrêter dans ces conditions. De surcroit, le manque cruel d’ombre et d’eau, surtout après l’ascension, pousse quiconque à poursuivre sa route, en s’affranchissant d’une pause nécessaire. C’est donc l’essence même du lieu que ces problèmes viennent ébranler, et que je m’efforcerai à retrouver et magnifier. - 88
Fig. 72 Mise en scène du paysage depuis le chemin de Menton Storyboard inspiré par la visite du site (1) Premier aperçu de la villa
(2) La mer à travers les feuillages
(3) Apparition de la cheminée
(4) Vue sur la mer entrecoupée
(5) Vue dégagée sur la mer
(6) Apparition du toit de la villa
(7) Le toit émerge de la canopée
(8) Dialogue Terre/Mer/Ciel immaculé
(2-8) Glissement latéral des premiers et second plans suivant le mouvement
89 -
2. Variété de paysages Focalisé sur la mer avant la visite, j’ai été frappé par-là présence d’autres formes de paysages tout aussi intéressants en définitive. La végétation omniprésente,
la
succession
de
montagnes
imposantes, la brutalité de la falaise, sont tout autant de sources de points de vue uniques, à intégrer dans le parcours. C’est en somme le fait de prêter attention à toute chose, aussi discrète soit-elle, qui fera la beauté de l'expérience sensible. En ce sens, cette quête de variété ne pourra qu’être bénéfique au projet. 3. Nécessité d’émerger Comme évoqué précédemment j'ai été surpris par la densité de la végétation. Davantage que le sol, c’est cette masse luxuriante qui captive le regard, au même titre que la forte présence du ciel et de la mer. De fait, un problème auquel je n’avais pas suffisamment réfléchi s’est présenté. En effet, si la discrétion des pavillons dans le jardin permet de mettre en valeur le paysage, il ne faut pas non plus que le bâtiment passe inaperçu. Ce constat, déjà évoqué par les encadrants, m’a convaincu de la - 90
nécessité d’émerger pour signaler la présence du musée. Faut-il alors le faire ponctuellement ? De quelle nature cette émergence peut-elle être ? Quel sera son statut dans le projet ? Comment ne pas perturber l’harmonie du site ? Autant de pistes de réflexions qui amènent à faire évoluer encore le projet. Il est vrai que l’idée de faire du projet un point de repère dans Roquebrune parait
séduisante.
En
arpentant
la
ville,
j’ai
remarqué que certaines verticales jouaient déja ce rôle, fonctionnant comme des balises indiquant le chemin à suivre. C’est notamment le cas de l’hôtel restaurant Vista Ero, sur les hauteurs de Monaco, qui est visible de partout, et fait partie intégrante du paysage. Plus modestement, le château médiéval de Roquebrune ainsi que l’église Sainte Marguerite jouent également ce rôle. Mieux encore, ces verticales semblent se répondre, l’une annonçant l’autre. J’ai alors en tête la vision des tours génoises qui habitent le littoral méditerranéen. Peut-être est-ce dans ce registre qu’il faudrait creuser, pour installer une verticale qui serve de relai parmi une chaine. Ainsi peut être, ce travail viendra au profit de l’accroche du projet à l’échelle territoriale qui lie les quatre PFE de Roquebrune-Cap-Martin. 91 -
Fig. 73 L'hôtel restaurant Vistaero depuis le chemin des douaniers
Fig. 74. Percée visuelle sur l'église Ste Marguerite et le château depuis La Pausa
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Fig. 75. Muralité Vue du pavillon d'entrée du musée depuis St Roch
Fig. 76 Emergence des cyprès du parc la Pausa après intervention
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Fig. 77. Cadrage sur la végétation Mur attenant à la chapelle La Pausa
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CONCLUSION
Débuté à 4 puis poursuivi individuellement, le cheminement de projet qui vient d’être présenté atteste de l’importance de la réflexion à l’échelle territoriale. Ici, c’est bien la connaissance large d’un territoire, puis d’un lieu, qui ont permis la
genèse
d’une
proposition
architecturale
cohérente, au service du paysage. Profondément réfléchis, les choix du site et du programme auront permis de travailler à plusieurs échelles, et de toucher à la symbolique d’un paysage sublime. Ainsi, j’aurais été en mesure de travailler à la croisée entre deux disciplines qui me tiennent de plus en plus à cœur : l’architecture et le paysagisme. Cette ouverture du champ des possibles m’aura alors permis d’élargir ma culture au profit du projet et de sa longue mise en forme. Ancrée sur des bases théoriques et pratiques ciblées, l’exploration menée ce semestre aura permis d’identifier le socle du projet. Caractérisé par des critères géographiques et historiques, ce socle définit l’identité du lieu. Les qualités paysagères du site choisi reposent sur la configuration topographique singulière
de
Roquebrune-Cap-Martin,
croisée
aux aménagements successifs du sol de La Pausa. 95 -
La démarche mise en œuvre ces derniers mois aura démontré que c’est en adoptant une attitude sensible vis-à-vis de ce socle que l’on permet au projet d’habiter le paysage. De plus, elle m’aura prouvé l’importance de la maîtrise dessin à la main dans la pratique d’un architecte, qui permet de développer ses sens et de décupler son inventivité. Cette discipline se raréfiant, il est désormais capital de se la réapproprier pour rester dans ce qui compose l’essence même de l’architecture. Pour finir, ce travail aura mis en lumière la nécessité d’arpenter rigoureusement le territoire pour en comprendre
et
maitriser
toutes
les
facettes.
Poursuivie malgré une période incertaine, cette recherche aura finalement été consolidée par le cours des évènements. Peut-être est-ce cela qui lui a apporté le caractère honnête et personnel qu’il m’a parfois manqué par le passé. Quoiqu'il en soit j’ai acquis pour le futur la conviction que c’est seulement en développant une démarche projectuelle expérimentale rigoureuse que l’on aboutit à une production architecturale cohérente. C’est cette quête perpétuelle d’innovation, cette curiosité, appuyées par une culture riche qui - 96
permettent selon moi à certains grands architectes de sortir du lot. C’est donc en connaissance de cause que je m’efforcerai à rechercher cette singularité.
“ l’architecture est l’amusante combinatoire entre précision et fantaisie ”.3
3
PIANO Renzo, 2018. Extrait d’une vidéo conférence Louisiana Channel, Louisiana Museum of Modern Art, 2018
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Remerciements
Ce projet de PFE ainsi que sa trajectoire découlent d’un suivi attentif et régulier de la part des directeurs d’étude, malgré une période compliquée et incertaine. Ainsi, je tiens en premier lieu à remercier Laurent Beaudoin, Cyrille Faivre Aublin et Emmanuelle Sarrazin pour leur investissement et leurs conseils avisés au cours de la mise en forme du projet et de son processus de réflexion. Enfin, j'adresse ma gratitude à Marc Barani et Jean Michel Bossu, qui ont su, au cours de leurs interventions, entrevoir les potentiels du projet et guider son évolution.
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Fig. 78. Au dos Croquis depuis la chapelle St Roch réalisé in situ
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