Mémoire Marie Casseli

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VIVRE L’ARCHITECTURE DE L’HABITAT SUPPORT DE L’INCLUSION SOCIALE DE L’HOMME AU CORPS ABIMÉ MARIE CASSELI

SOUS LA DIRECTION DE CAROLINE MAZEL ET ADRIEN GONZALES BORDEAUX JUIN 2017

École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux


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REMERC IEMEN TS

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REMERCIEMENTS J'adresse mes remerciements à l’ensemble des personnes ayant, de près ou de loin, accompagné ma démarche de recherche durant mon cycle de Master.

Je remercie aussi les professionnels et les particuliers ayant accepté de répondre à mes questions lors de longs échanges : Edhy Mennaie, infirmier libéral, qui a accepté ma présence comme observatrice durant toute une journée de travail, David Miet, architecte de l'agence Ville Vivante, pour son parler vrai lors de notre entretien, Sans oublier Françoise Holzer, pour avoir accepté de répondre avec patience et sincérité à mes questions, parfois intrusives, autour de mon sujet d'étude. Je souhaite également remercier mes parents, tant pour leur soutien inébranlable dans cette démarche, que dans leur rôle de relecteurs assidus. Ils m'ont été d'un grand secours à chaque étape de ce projet. Un merci également à mes amis et soutiens de toujours, Mathieu, Coralie, et plus spécifiquement Camille. Elle a, avec talent et patience, mis ses compétences de graphiste au service de la valorisation de cet écrit jusqu’aux derniers instants.

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R EMERC IEMEN TS

En premier lieu, je remercie mes Directeurs de Mémoire, Caroline Mazel et Adrien Gonzales, pour m'avoir guidée dans mon travail et aidée à trouver les solutions lorsque les difficultés apparaissaient.


AVA N T-PROPOS

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P O R

P T N

A V A


Une première interrogation sur le logement s’est imposée à moi après avoir intégré le domaine de l’Habitat en quatrième année : comment faire de l’architecture pour tous dans l’espace du logement ? Que signifie ce terme générique du « logement pour tous » ? Plus tard s’est posée la question de la relation qui existe entre une personne handicapée et son lieu de vie. Ce questionnement est lié à ma vie de famille et à une préoccupation d’étudiante en architecture.

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AVA N T-PROPOS

AVANT-PROPOS Étudier l’architecture sous le prisme de la personne handicapée et de la personne âgée n’est pas un choix fait au hasard. J’ai débuté mes études d’architecture en me demandant constamment comment prendre en compte l’Homme dans ma manière de faire projet.


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IN TR OD U C TION

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IN TR OD U C TION

INTRODUCTION Il m’est vite apparu, au cours de mes études, qu’apprendre à construire des logements pour des personnes en pleine possession de tous leurs moyens, avec les particularités de chacun, constituait déjà une difficulté importante. En effet, notre métier ne nous amène pas systématiquement à côtoyer les futurs pratiquants des espaces que nous concevons. Qu’en est-il donc de cette volonté de faire un espace de vie de qualité regardé sous le prisme du handicap ? Pour l’étudiante en architecture, la personne handicapée se définit dans mon projet, selon deux éléments « codés » : un cercle de cent cinquante centimètres devant un évier de cuisine ou de salle de bain et une place rectangulaire de cent trente centimètres de long par soixante-dix centimètres de large à côté des toilettes. Personnellement, cette vision me rapproche des deux sœurs handicapées mentales de ma mère, des « copines » de coloriage lorsque j’étais enfant, devenues des enfants à mon arrivée à l’âge adulte. Elles et moi n’appartenons pas au même monde, pourtant nous vivons dans le même lieu, dans le même espace, celui de notre société qui classe les personnes en situation de handicap comme « étranges et différentes ». Cette ambiguïté m'a interpellée et m'a donné l'envie d’analyser le handicap et l’espace du logement à travers mon mémoire.


Ma première recherche s’oriente vers l’Histoire du handicap. L’explorer m’a permis de situer dans le temps les conditions de vie, le jugement porté sur les handicapés, l’évolution de la perception de la personne handicapée vers son identité de citoyen et de faire émerger l’arrivée tardive de leurs droits et des devoirs de la société française envers eux. C’est aussi l’histoire de la stigmatisation des personnes handicapées à travers les époques jusqu’à notre société. D’abord c’est le réflexe d’enfermement, puis vient l’hébergement spécifique des handicapés, depuis la Renaissance jusqu’à notre époque. Une logique nécessaire dans certains cas, mais qui montre aujourd’hui ses limites dans la capacité d’accueil et d’hébergement, dans le souci de la santé des occupants, de la localisation des établissements, et de l’impact économique et des coûts sur les ressources des familles. IN TR OD U C TION

Aujourd’hui, le handicap est toujours une problèmatique dans la structuration des villes, des quartiers, des logements. Et comme l’explique la psychologue et philosophe Julia Kristeva : « Le handicap représente la face moderne du tragique en ce qu’il nous confronte à la mortalité (individuelle et sociale), qu’aujourd’hui encore nous sommes incapables de penser ». Confronté à cette réalité, comment penser et construire l’avenir autour de l’Homme âgé, de l’Homme handicapé ? Le second axe de recherche, en relation directe avec ma formation en architecture, est l’étude de la question de la norme, de son existence et de sa pertinence. Je mets en doute sa logique, sa capacité à prendre en considération la dimension humaine de l’acte de construire, sa crédibilité, tout en considérant son utilité comme un « garde-fou ». Au cours de mes recherches, la norme s’est révélée être la première étape d’une 8 | 158


Les étapes de la définition de la « situation de handicap » sont : — La maladie, « incluant les accidents et les autres traumatismes moraux ou physiques, ainsi que les conséquences des complications de grossesses 9 | 158

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prise de conscience sociétale essentielle envers les personnes handicapées. Elle reste cependant criticable. Emmanuelle Colboc le souligne dans son Rapport sur l’impact des règles d'accessibilité dans la construction du logement neuf. Ce document montre la nécessité mais aussi la complexité de créer une norme et d’en critiquer justement les failles : la rédaction de la norme oublie la mission des créatifs du bâtiment, se préoccupe d’un seul objet le « fauteuil roulant », met en avant son aspect palliatif et peu anticipatif. Mais critiquer la norme n’est pas nécessairement la refuser, plutôt engager une discussion pour amener son évolution. Cette évolution, selon Emmanuelle Colboc, se concentre autour du concept d’adaptabilité du logement et de la réécriture de la norme avec les acteurs du bâtiment, pas uniquement par l’intervention du législateur. Le troisième axe de recherche consiste à donner une juste définition de la situation du handicap et du vieillissement afin que ces deux termes explicitent leur enjeu commun : mieux vivre, c’est peut-être vivre en « habitat ordinaire ». Cette étape m’a conduite à la lecture de plusieurs rapports d’enquêtes sociales sur la population âgée et handicapée, publiés par l’I.N.S.E.E. (Institut National de la Statistique et des Études Économiques) et par le Rapport sur la Santé à l’Échelle Mondiale rédigé par l’O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé). Grâce à ces institutions, la notion de handicap apparait comme la résultante d’une chaîne d’événements partant de la notion de maladie et incluant de fait la vieillesse à l’origine de certaines pathologies.


ou d’accouchements, et les malformations ». Cette définition posée, la maladie entraîne la déficience, l’incapacité et le désavantage. Ces principes sont développés dans la suite de mon étude. Précision à nouveau que pour l’O.M.S., le handicap regroupe, en plus de la maladie les trois derniers maillons de la chaîne : déficiences, incapacités et désavantages. Pour l’I.N.S.E.E., la vieilliesse regroupe au moins le premier maillon, la maladie, et peut mener aux trois autres. Cette définition étant actée comme « référence » dans le déroulé de mon mémoire, sa problèmatique s’oriente ainsi :

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EN QUOI L'ARCHITECTURE DE L'HABITAT PEUT-ELLE ÊTRE SUPPORT DE L'INCLUSION SOCIALE DE L'HOMME AU CORPS ABÎMÉ ? Trois hypothèses, élaborées à partir de mes lectures, s’éfforcent de répondre à cette interrogation : — Le concept d’adaptabilité considéré comme soutient apporté aux régles édictées dans la norme handicapé de 2005. Le principe développé par Emmanuelle Colboc porte l’idée de mettre l’Homme au centre du projet architectural en anticipant la possibilité de mutation d’un bâtiment dès l’étape du gros oeuvre. Principe utopique ou manière de réformer et de repenser la réglementation ? Ce concept, me semble-til, complète le principe d’accessibilité, déjà ancré dans la construction. Il permet à l’homme d’évoluer dans l’environnement extérieur à son domicile, jusqu’aux abords de l’habitation. 10 | 158


— Les nouveaux modes de construire porteurs d’une nouvelle manière de vivre ensemble observés à travers le prisme de la co-construction et du phènomène du Bimby. Les fondements de ces modes de construire reposent sur des valeurs sociales et sur l’adaptation au cas par cas de l’acte d’habiter. Font-ils échos aux situations particulières des personnes âgées et handicapées ? Les personnes âgées et handicapées sont-elles intéressées par cette manière de concevoir leur habitat ? — La ville comme ancrage social des personnes âgées et handicapées. Lors de mes lectures, il a toujours été question de faire du maintien à domicile une « chaîne des possibles » dans la ville pour ces personnes. Dans quelle mesure « le vivre en ville », l’ancrage du logement dans un quartier, participe-t-il ou non à cette possibilité de rester chez soi ? Dans une volonté de répondre à ces hypothèses, j’ai choisi de développer la technique de l’entretien comme outil méthodologique. J’ai constitué des grilles d’entretien à destination de plusieurs personnes à interroger : — Le personnel soignant se déplaçant à domicile comme les infirmières, les aides soignantes et les kinésithérapeutes. Je cherche à comprendre comment ces hommes et ces femmes qui sont en situation de travail parviennent à « s’inviter » dans l’intimité de leur patients. également comprendre les pratiques de ces professionnels de santé à domicile, connaître leur point de vue sur l’espace du logement comme lieu de soins, prendre conscience de la realité de la pratique 11 | 158

1 - « Vivre dans un chez soi », terme retenu par l’auteure de ce mémoire pour expliciter l’ensemble des condicitions favorables au confort d’habiter.

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Il est également accompagné de la démarche d’appropriation des habitants : faire d’un habitat un « vivre chez soi » 1.


à domicile et de l’état des personnes concernées par les soins. — Les personnes âgées et handicapées vivant à domicile, afin de comprendre ce choix ou non de vie, les difficultés ou non qu’elles rencontrent, leur opinion sur la vieillesse et la perte d’autonomie possible dans le futur, le rapport intime qu’elles entretiennent avec leur logement, les aménagements ou non qu’elles ont dû faire pour y rester. Je souhaite connaître leurs habitudes de vie en dehors du logement pour mieux comprendre les schémas de déplacement dans leur quartier.

IN TR OD U C TION

— Les professionnels du bâtiment, connaître leur approche sur la question conjointe du handicap et du vieillissement. Pour cette question, interroger un responsable de la co-construction et de l’Habitat participatif à Bordeaux Métropole. Complétant l'approche documentaire, l'entretien me permet de prendre en compte l'humain dans la problématique que j'ai choisi de traiter. Je souhaite avant tout comprendre comment un être fragile peut se maintenir dans la société, si son logement lui permet de conserver ces interactions avec son environnement social et urbain.

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SOMMA IRE


M M

R A

E I SOMMA IRE

S O


P. 6 - 12

P. 4 - 5

1. QUELLE IDENTITÉ DONNER AUX CORPS ABÎMÉS ?

P. 19  -  32

Introduction

Avant-propos

Remerciements

P. 2 - 3

2.1 Identifier le « vivre chez soi »

33 - 42

2. UNE INADÉQUATION ENTRE LE CORPS ABÎMÉ ET L'HABITAT ?

P. 33  -  56

SOMMA IRE

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60 - 63

3.1.1 ─ Vivre dans son jardin 3.1.2 ─ Inviter l'autre dans son jardin 3.1.3 ─ Vivre dans le jardin de ses enfants

64 - 66

63 - 64

57 - 66 3.1 B.I.M.B.Y. : Vivre dans un environnement connu

3. D'AUTRES MODES D'HABITER POUR MIEUX RESTER CHEZ-SOI ?

P. 57  -  74


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26 - 28

1.2.1 ─ Évolution d'une pensée scientifique 1.2.2 ─ L'augmentation des aînés en France

28 - 32

26 - 32

23 - 26

21 - 22

19 - 21

19 - 26

1.2 Vers une définition englobant vieillesse et handicap

1.1.1 ─ L’idéal physique antique ; l’obscurantisme du Moyen-Âge 1.1.2 ─ L’enfermement de la Renaissance ; l’ouverture d’esprit des Lumières 1.1.3 ─ La régréssion du XXe siècle ; l'avancée sociale du XXIe siècle

1.1 Vieillesse et handicap : une histoire commune

SOMMA IRE

2.2.1 ─  La norme, un code nécéssaire 2.2.2 ─ L’adaptabilité, pour de l’habitat pour tous 2.2.3 ─ La domotique, banalisation d'un outil médical

2.2 Réfuter une normalisation du corps dans l'habitat

2.1.1 ─ Le « business » autour du corps abimé 2.1.2 ─ « Vivre dans un chez-soi » le plus longtemps possible

53 - 56

47 - 53

43 - 47

43 - 56

37 - 42

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Colophon

Annexes

Bibliographie

Conclusion

3.2.1 ─ Co-construire, un principe communautaire 3.2.2 ─ Vieillir autrement : La maison des Babayagas

3.2 Faire communauté

P. 158

P. 91 - 157

P. 82 - 88

P. 76 - 81

68 - 74

67 - 68

66 - 74



1.

1.1 VIEILLESSE ET HANDICAP : UNE HISTOIRE COMMUNE 1.1.1 — L’IDÉAL PHYSIQUE ANTIQUE ; L’OBSCURANTISME DU MOYEN-ÂGE Remonter dans le temps, c’est permettre à la société de comprendre son comportement actuel à travers la lecture du passé et connaître la perception de la personne handicapée dans notre société par l’Histoire depuis l’antiquité jusqu’à notre temps. Cette démarche nous permet de comprendre la genèse de la ségrégation particulière subie par les personnes hadicapées, de faire un bilan de la situation actuelle au regard du chemin parcouru. L’Antiquité valorise le corps « sain », réelle incarnation de l’idée du beau et de la liberté. Elle refuse l’existence de la différence. À cette époque, naître difforme, c’est naître hors de cette perception esthétique de l’être humain calquée sur la représentation des Dieux. Réparer ce tort se traduit par des comportements 19 | 158

QUE L LE IDEN TITÉ D ON N ER AU X C O R PS AB Î M ÉS ?

QUELLE IDENTITÉ DONNER AUX CORPS ABÎMÉS


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radicaux : le rejet, l’exclusion, l’abandon, jusqu’à l’exécution de l’être né différent afin d’apaiser la colère des Dieux et de chasser le mauvais œil qui pèse sur la famille. Un comportement qui s’explique par la logique dominante du « muthos », la gouvernance de la société par les mythes, les Dieux et les Déesses. Les sociétés antiques grecques et romaines, premières formes de démocraties, se construisent sur ces préceptes : l’homme participe à la vie de la cité, à sa protection et à sa gouvernance, le comportement tiré du logos, c’est-à-dire la raison. Mais cette raison est limitée par l’influence des mythes et bannit la différence, au même titre qu’elle exclut les femmes et les esclaves. Au Moyen-Âge, apparait l’obscurantisme et l’emprise de la religion catholique : la situation de handicap est à la foi perçue comme une manifestation du Diable et une épreuve divine, deux perceptions ambivalentes rappellant la condition de l’être humain. Une épreuve divine, mais les infirmes étonnent par leurs capacités à vivre malgré leur handicap et font preuve d’inventivité pour dépasser les difficultés du quotidien. Ils développent une capacité à prendre une place dans la société : écrivains sans bras, musiciens aveugles, clowns unijambistes, peintres sourdsmuets. La répartition du travail à cette époque permet principalement aux impotents d’occuper une place d’artiste ou d’artisans, un statut leur permettant de gagner honnêtement leur vie. Les autres formes de handicap sont alors, soit à la charge de la collectivité, soit à la charge de l’église sous la forme de la charité chrétienne par l’aumône. Dans ce dernier cas, une « lettre de mendicité » atteste officiellement le statut de la personne handicapée. Exhibant leur difformité, les personnes lourdement handicapées pratiquent l’aumône auprès des nobles 20 | 158


et des bourgeois dans les foires, sur les places des marchés ou à la cour du roi. En ce sens, le MoyenÂge apporte la première reconnaissance officielle, du handicap à travers la mendicité et la « lettre de mendicité ».

À la Renaissance, le droit à la mendicité, seul moyen de subsistance des personnes handicapées, est remis en cause par les autorités. Elles tentent de « débarrasser » les villes des indigents, de vider les rues de leurs pauvres et de leurs mendiants en les incitant à travailler ou en optant pour l’enfermement hospitalier. C’est le début de la ségrégation caractérisée par l’enfermement des personnes dites « différentes ». L’Hôpital Général de la Salpétrière, créé en 1656, a pour tâche de nourrir et d’héberger les populations identifiées comme pauvres et mendiantes. Un amalgame entre les populations s’opère : la Renaissance mélange les gens du voyage, les handicapés, les malades, les pauvres et les mendiants. Tous doivent quitter les rues de Paris et des autres villes de France pour les hôpitaux. C’est le début de l’enfermement des personnes différentes. Les frais d’hospitalisation sont d’abord imputés aux familles, qui doivent payer le gîte et le couvert fournis par ces institutions. Si les parents ne peuvent assumer cette prise en charge, c’est la Commune qui assure cette assistance par la distribution de repas ou de vivres ou l’attribution d’un lit d’hôpital. Jusqu’au XVIIIe siècle, on assiste à l’accroissement de la situation d’enfermement et d’abandon pour les handicapés 21 | 158

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1.1.2 — L’ENFERMEMENT DE LA RENAISSANCE ; L’OUVERTURE D’ESPRIT DES LUMIÈRES


physiques et mentaux, et leur placement dans des hospices et des hopitaux généraux où ils sont pris en charge par les Soeurs de la Charité. Le Temps des Lumières est une rupture avec la vision passée du handicap. Longtemps lié à la cause caritative et à la religion, le XVIIIe siècle jette les bases de notre vision plus démocratique du handicap moderne.

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« LES LUMIÈRES POSENT LE PRINCIPE DE L’ÉGALITÉ ENTRE LES HOMMES, PARCE QU’ILS SONT HOMMES ET QU’ILS ONT DE CE FAIT LES MÊMES DROITS. » 2

De grands hommes prennent parti sur la question du handicap et mettent au centre de l’humanité ces personnes, trop longtemps oubliées. Diderot publie sa Lettre sur les Aveugles à l’usage de ceux qui voient en 1749, l’Abbé de l’Epée s’engage envers les personnes atteintes de surdité, Valentin Haüy et son brillant élève Louis Braille mettent leur intelligence au service des aveugles. Le siècle des Lumières fait alors apparaître des nouveaux courants de pensée consacrés par la raison, la science et le respect de l’humanité. Les personnes handicapées entrevoient enfin la possibilité d’accéder au savoir et à la culture, également à des droits. En 1790, le principe du devoir d’assistance par la Nation est pour la première fois affirmé devant l’Assemblée Constituante, par le Comité de Mendicité présidé par La Rochefoucault-Liancourt. Cette date marque la première législation en faveur des personnes en situation de handicap.

2 - www.droitausavoir. asso.fr, Histoire des politiques du handicap.

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L’époque moderne, c’est d’abord la régression des avancées sur la perception du handicap avec au début, la montée du fascisme, du nazisme, et des pensées radicales qui font rétrograder la société dans sa perception et dans sa législation en faveur de la citoyenneté et de l’humanité des personnes handicapées. A la sortie de la Première et de la Deuxième Guerre Mondiale, le XXe siècle prend violemment conscience du handicap à travers le visage des « gueules cassées ». Face à cette réalité, en 1920 puis en 1957, des lois sont mises en place pour réserver des emplois aux « dépendants et infirmes » de guerre. Dans ce contexte aussi, les handicapés, hors infirmes ou dépendants issus de la guerre, tentent d’amener une prise en compte de leur propre situation auprès des pouvoirs publics, en constituant des associations. Ces lois parachèvent la prise de conscience de l'État initiée en 1790 avec la « lettre de mendicité », en insistant sur la valeur du travail comme facteur d’inclusion sociale. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle que le terme de handicapé s’impose pour désigner des personnes atteintes dans leurs capacités physiques, sensorielles, intellectuelles ou psychiques. Cette dénomination accompagne la création d’associations militantes pour les droits des personnes handicapées. L’A.P.F. (Association des Paralysés de France) voit le jour en 1933 3 et reste toujours très active. L’époque contemporaine considère la personne handicapée comme un malade dont le problème est la santé et représente donc un enjeu médical. Les mythes 23 | 158

3 - A.P.F., Présentation de l’A.P.F., www.apf. asso.fr/qui-sommesnous, consulté le 24 novembre 2016.

QUE L LE IDEN TITÉ D ON N ER AU X C O R PS AB Î M ÉS ?

1.1.3 — LA RÉGRÉSSION DU XX SIÈCLE ; L'AVANCÉE SOCIALE DU XXIE SIÈCLE E


4 - Julia Kristeave, Conférence retranscrite, Le tragique et la chance : encore des handicaps. www.kristeav.fr 5 - Informations tiré du site www.fondshs.fr/viequotidienne/accessibilite/ origines-et-histoire-duhandicap-partie-2

et les croyances ne sont plus la justification d’un état physique, mental ou social dégradé. Comme le dit Julia Kristeva 4, le monde moderne a rejeté Dieu et la religion. Les sciences de l’homme ont remplacé la parole divine et lui ont substitué, s’appropriant ses apports incontournables, la laïcité.

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Cette avancée dans les mentalités aboutit en France à la première Loi d’Orientation en Faveur des Personnes Handicapées en 1975. Première loi dont les destinataires sont pleinement désignés : les personnes en situation de handicap. Elle fixe le cadre juridique de l’action des pouvoirs publics 5 au bénéfice des personnes handicapées à travers quatre enjeux : l’importance de la prévention et du dépistage des handicaps, l’obligation éducative pour les enfants et adolescents handicapés, l’accès des personnes handicapées aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population dénommées établissements Recevant du Public ou E.R.P., et leur maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie autant que possible. L’année 1975 change donc la donne : le pays développe une politique d’accompagnement des personnes handicapées et assimile leur prise en charge à un devoir médical et moral, lié aux valeurs de la solidarité à l’échelle de la société française. Concrètement, cette solidarité cible prioritairement les espaces de la ville, l’urbain : administrations, commerces, parcs, jardins, écoles sont alors conçus, dans leur architecture, selon les premières réglementations. Cette législation reconnaît également des droits aux personnes handicapées, et les devoirs de la société envers ces personnes, leurs confère un statut de citoyen dont ils étaient dépourvus jusque-là. En 1980, le domaine du logement s’ouvre aux personnes en situation de handicap avec la 24 | 158


Elle donne la définition actuelle et légale du handicap : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant » 8. Durant les vingt dernières années, la France a consacré le droit de chacun à la différence. L’accueil de la différence physique, psychique, sociale ou mentale concerne l’ensemble des représentations que nous nous faisons de la fragilité, du pouvoir de créer et de rassembler dans notre société occidentale. A l’observation du passé, nous comprenons que certaines barrières restent encore à surmonter : la difficile participation à la vie de la cité par les personnes handicapées et la discrimination physique de l’Antiquité. Une illustration donné par Julia Kristeva dans La Haine et le Pardon 9, avec le témoignage filmé d’une mère, nommée Claire, venant avouer devant les caméras son 25 | 158

6 - Nadia Sahim, Citation tiré de l’interview vidéo de www.youtube.com/ watch?v=Qp9-nJbBWWE 7 - Nadia Sahmi, La chaîne de déplacement, 1997.

QUE L LE IDEN TITÉ D ON N ER AU X C O R PS AB Î M ÉS ?

réglementation relative à l’accessibilité des bâtiments collectifs d’habitation. Précédemment, le logement collectif constituait un facteur d’exclusion car impraticable par les personnes en situation de handicap. Aux yeux des professionnels compétents, tout homme était considéré dans un bon état physique et mental, à l’image du « Modulor » de Le Corbusier : un jeune homme de 29 ans, d’environ 1m80 et « hyper-valide » 6, comme le mentionne Nadi Sahmi, une architecte spécialisée en accessibilité. Son livre, La chaîne de déplacement 7, paru en 1997 contribue à l’élaboration de la loi n° 2005-102 : « Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », de 2005, dernière loi promulguée en la matière.

8 - Définition tirée du Mémoire pratique à l’usage des entreprises du bâtiment, rendre accessible mes bâtiments d’habitation – Collection recherche développement métier – Éditeur des métiers du bâtiment SEBTP – Édition 2011 9 - Julia Kristeva, La haine et le pardon, édition Fayard, 2005.


échec de ne pas avoir un enfant « normal », illustration de sa puissance parentale bafouée, de son manque de l’enfant « normal », image de Dieu, frustration de « la belle nature » incréée, l’absence du modèle du « beau ». A surmonter encore l’enfermement « médicalisé » hérité du Moyen-Âge et de la Renaissance, mais aussi la ségrégation spatiale, que connait encore la personne handicapée au XXIe siècle.

Q U ELLE I D EN TI TÉ D ON N ER AU X C OR PS ABÎMÉS ?

Toutefois la volonté d’avancer sur cette question de société ne cesse de s’affirmer : une preuve de cette ténacité est illustrée en 2006 par le handicap déclaré « Grande Cause Nationale » en France. C’est un moment fondateur dans l’Histoire de notre pays, qui place cette préoccupation légitime au centre des réflexions juridiques, intellectuelles, politiques, sociales et médicales, tout à la fois. Dans ce contexte de réflexion générale sur la situation de handicap et du vieillissement de la population française, définir la situation de handicap est une réelle difficulté mais aussi un acte plus que jamais nécessaire dans une société en mouvement, et soucieuse des plus faibles.

1.2 VERS UNE DÉFINITION ENGLOBANT VIEILLESSE ET HANDICAP 1.2.1 — ÉVOLUTION D'UNE PENSÉE SCIENTIFIQUE

10 - O.M.S. : Organisation Mondiale de la Santé www.who.int/fr

L’O.M.S. 10 s’efforce de définir la situation de handicap, avec pour principale difficulté la prise en compte de tous les handicaps, sans distinction d’origine, de nature, de gravité ou du moment de leurs apparitions. 26 | 158


Dans cette volonté de définition, l’Organisation Mondiale de la Santé instaure d’abord la Classification Internationale des Maladies (C.I.M.), une grille d’analyse médicale faisant autorité dans le monde. Sa force réside dans sa capacité à évoluer en fonction des avancées de la médecine. Puis, pour le handicap, l’O.M.S. publie en 1976 la Classification Internationale des Handicaps (C.I.H.), qui suit et complète la C.I.M. Dès 1980 ce modèle montre ses limites : une mauvaise prise en compte des symptômes liés aux maladies dites « à long terme ». 11 Tenter d’appliquer un même modèle de définition est ardu, comme nous l’expliquent les auteurs Gérard Bouvier, Liliane Lincot, Chantal Rebiscoul : « Les classifications sont complexes et recueillent plus difficilement l’assentiment général. » 12 En 1980, le schéma de Wood 13, du nom de son auteur, esquisse une définition objective du handicap. Il le définit comme la résultante d’une chaîne linéaire d’événements, partant d’une définition plus large de la maladie, incluant : « les accidents et les autres traumatismes moraux ou physiques, ainsi que les conséquences des complications de grossesses ou d’accouchements, et les malformations ». 14 Les enchaînements qui en découlent sont : — Les déficiences, pertes ou dysfonctionnements des diverses parties du corps ou du cerveau résultant d’une maladie comme défini plus haut, — Les incapacités, difficultés ou impossibilités de réaliser des actes élémentaires comme se tenir debout, s’habiller, parler... en fait un état lié à une ou plusieurs déficiences. — Les désavantages, désignant les difficultés ou 27 | 158

11 - François Chapireau, La classification internationale du fonctionnement du handicap et de la santé. Sources : https://www.cairn. info/revue-geronto logie-et-societe12001-4-page-37.htm 12 - Sources : Gérard Bouvier, Liliane Lincot, Chantal Rebiscoul, Vivre à domicile ou en institution : effet d’âge, de santé, mais aussi d’entourage familial, I.N.S.E.E., France, portail social, dité en 2011.

13 - Auteur du Manuel de classification des conséquences des maladies, sous-titre du C.I.H. (Classification Internationale des Handicaps) qui suit et complète le C.I.M. (Classification Internationale des Maladies). Philip Wood était rhumatologue et professeur de santé publique à Manchester. Il est désormais courant d’appeler le C.I.H. Classification de Wood. Souces : www.cairn.info/ revue-gerontologie-etsociete1-2001-4-page37.htm Consulté le 07.12.2016 09h53 14 - Pierre Mormiche, Le handicap se conjugue au pluriel, Division des Enquêtes et études démographiques, Insee et le Groupe de Projet HID, n° 742, octobre 2000.


15 - Gérard Bouvier, Liliane Lincot, Chantal Rebiscoul, Vivre à domicile ou en institution : effet d’âge, de santé, mais aussi d’entourage familial, I.N.S.E.E., France, portail social, édité en 2011.

impossibilités que rencontre une personne à remplir les rôles sociaux auxquels elle peut aspirer ou que la société attend d’elle. A partir de cette définition, l’O.M.S. considère que le handicap regroupe les trois derniers paramètres : déficiences, incapacités et désavantages. Ainsi, « Une personne peut tomber malade ou avoir un accident : dans les deux cas, cela peut conduire à des déficiences. Les déficiences peuvent à leur tour être causes d’incapacités, c’est-à-dire de restrictions dans ce que les personnes sont capables de faire. Dernière étape, les incapacités peuvent être telles qu’elles placent la personne en situation de désavantage comme la dépendance. Enfin, un environnement au sens large (équipements, organisations sociales, politiques publiques) permettra à des personnes ayant des incapacités d’être peu ou moins dépendantes, de ne pas être désavantagées. » 15 Cette classification devient alors définition, la perception sociale du handicap et sa mesure évoluent avec le regard de la société.

16 - O.M.S. C.I.F., Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, 2001. http://apps.who.int/ iris/bitstr 17 - François Chapireau, La classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Sources : https:// www.cairn.info/revuegerontologie-et-societe12001-4-page-37.htm

En 2000 est actée La Classification Internationale du Fonctionnement (C.I.F.) : elle reprend le principe de chaîne médicale proposé par Philip Wood mais apporte un regard plus large qui participe à la définition d’une situation de handicap en prennant en considération autant l’état de santé que les conséquences de cet état de santé, bon ou mauvais. Les domaines couverts par la C.I.F. se résument en deux notions : les « domaines de la santé », liés à la biologie humaine et les « domaines connexes de la santé » liés au travail, à l’éducation ou à la participation sociale 16 par exemple. Trois dimensions au moins la composent 17, résumées par François Chapireau, chercheur associé au centre collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé : 28 | 158


Ces classifications du handicap, très techniques et normées, sont les témoins évidents de la volonté de faire avancer les mentalités dans la définition, la perception et l’inclusion sociale des personnes handicapées dans notre société moderne. Lorsqu’on compare le C.I.H. de 1980 et la C.I.F. écrite en 2001 ces deux notions témoignent du regard porté sur le handicap. La C.I.F. traduit le handicap comme un fait de santé mais également la résultante d’une situation handicapante comme les discriminations liées à l’environnement. L’espace inadapté devient l’origine d’un handicap. On peut prendre comme illustration la maman avec une poussette face à des escaliers. « Le handicapé » est ici l’espace inadapté, et non la personne qui le pratique. La C.I.F. accentue également l’importance de la place accordée ou non à la personne handicapée dans le fait social, tel que la participation à la société. L’état de discrimination est ici perçu comme un « handicap en soi » et non la résultante directe de la situation de la personne. 29 | 158

18 - Gérard Bouvier, Liliane Lincot, Chantal Rebiscoul, Vivre à domicile ou en institution : effet d’âge, de santé, mais aussi d’entourage familial, I.N.S.E.E., France, portail social, 2011.

QUE L LE IDEN TITÉ D ON N ER AU X C O R PS AB Î M ÉS ?

— L’état fonctionnel de la personne, se rapportant aux fonctions organiques de celle-ci, incluant les maladies, les déficiences, les limitations fonctionnelles (réinterprétation plus générique de l’incapacité proposée par P. Wood), qu’elles soient modérées, fortes, absolues. — Les aides techniques, les aides humaines, les aménagements du logement, l’accessibilité des lieux, c’est-à-dire l’environnement et les attitudes discriminantes des autres personnes. — La dernière dimension est la participation sociale, comme par exemple les actes élémentaires de la vie au quotidien, jusqu’aux actes les plus « sophistiqués » . Citons : accéder à la formation, avoir un travail, participer à la vie culturelle et sociale de la société, avoir des amis et une famille, une activité associative ou politique. 18


Ces deux critères sont oubliés ou minimisés par la C.I.H. qui conforte, malgré le cadre académique et scientifique de la Classification des Handicaps, une volonté évidente de replacer l’Homme au centre de la société, à l’image des humanistes qui situaient l’Homme au centre de l’univers. Les critères de la C.I.F. posés, cette définition à volonté plus générale définit la personne âgée comme une personne potentiellement handicapée et donc s’inscrit à l’évidence dans le cadre de mon étude. Q U ELLE I D EN TI TÉ D ON N ER AU X C OR PS ABÎMÉS ?

19 - I.N.S.E.E. : Institut National de la Statistique et des Études Économiques. 20 - I.N.S.E.E., Rapport 9.5 : Personnes âgées dépendantes, collection « Insee Références », édition 2016 - Santé Handicap - Dépendance, donnée datant de 2014.

Pour aller plus loin, les études menées par l’I.N.S.E.E. 19 situent définitivement la personne âgée comme une population concernée aussi par mon sujet d’étude : elles réunissent toutes les conditions du handicap comme défini par la C.I.F. L’Institut National de la Statistique et des Études Économiques définit une personne âgée et sa dépendance en ces termes : « La dépendance d’une personne âgée est définie, par analogie avec le handicap, comme un état durable de la personnes entrainant des incapacités et requérant des aides pour réaliser des actes de la vie quotidienne. Le degré de dépendance d’une personne âgée dépend du niveau des limitations fonctionnelles et des restrictions d’activité qu’elle subit, et non directement de son état de santé ». 20

1.2.2 — L'AUGMENTATION DES AÎNÉS EN FRANCE Une problématique qui s’inscrit dans une réalité tangible : depuis quelques années, la France voit sa population vieillir. Selon les projections de l’I.N.S.E.E., nous sommes 66,63 millions d’habitants en France et nous serons 73,6 millions vers 2060. 30 | 158


Ce « fait social » est le résultat de deux événements issus de notre passé : — Au XXe siècle les grands conflits mondiaux ont vu des générations entières être décimées sur le front pendant les guerres de 1914-1918 et 1939-1945. — Avec le retour durable de la paix, une période de forte natalité a commencé, entraînant une forte hausse du solde naturel : les naissances deviennent très supérieures au décès. Une deuxième poussée de forte natalité accompagne les années 1960. Cette période de 1945 à 1975 est appelée « Génération baby-boomers » en référence à l’accroissement des naissances. Ainsi ce sont deux périodes à forte natalité sans égales dans notre histoire qui participent à l’accroissement soudain des naissances et dont on connaît aujourd’hui les conséquences : ces baby-boomers, jeunes hommes et femmes d’environs vingt ans dans les années 1980 à 1990 sont devenus les papys boomers des années 2000. Ainsi se manifeste l’empreinte des grands chocs démographiques passés : la jeune génération des années 1980 est aujourd’hui la population âgée qui profite de l’augmentation significative de l’espérance de vie, passant de 75 ans en 1975 à 85 ans 21 en 2013, et de l’avancée fulgurante des techniques médicales. À partir de ce fait de société essentiel et nouveau, la proportion de personnes âgées de 60 ans ou plus augmentera fortement, indépendamment d’autres facteurs comme le seuil migratoire ou l’indicateur conjoncturel de fécondité. Et cela, jusqu’en 2035. Selon la prospective de l’I.N.S.E.E. le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus pourrait augmenter de 80 % jusqu’en 2035, une période de 31 | 158

QUE L LE IDEN TITÉ D ON N ER AU X C O R PS AB Î M ÉS ?

Parmi ces 73,6 millions de personnes, celles de 60 ans et plus représenteront un tiers de la population totale.

21 - I.N.S.E.E., Espérance de vie et mortalité, publié le 19.04.2014, consulté le 28.12.2016 à 12h00 : www.insee.fr/fr/statistiques/ 1288328?sommaire= 1288404.


forte augmentation dite « transitoire, correspondant au passage à ces âges, des générations du baby-boom » 22. Après 2035, la part des 60 ans et plus continuerait modérément à progresser et représenterait, en moyenne, 30 % de la population française. Auc­une variable démographique ne remet à ce jour en cause la forte augmentation des plus de 60 ans dans la population sur cette période. Q U ELLE I D EN TI TÉ D ON N ER AU X C OR PS ABÎMÉS ?

22 - I.N.S.E.E., Espérance de vie et mortalité, publié le 19.04.2014, consulté le 28.12.2016 à 12h00 : www.insee.fr/fr/statisti ques/1288328?sommaire =1288404.

Quelques chiffres sur le handicap appellent notre attention : 650 millions de personnes en situation de handicap dans le monde, 50 millions de personnes en situation de handicap en Europe, 4 millions de personnes déficientes mentales en France, 3,1 millions de personnes déficientes auditives en France, 4 millions de personnes déficientes visuelles en France. On notera que la science est la première à définir l'homme au corps abîmé non comme une identité propre à un individu mais comme un état qui peut atteindre tout un chacun. À noter toutefois que la science protocolaire oublie la dimension humaine de la question. L'I.N.S.E.E. participe au rapprochement de la question de la vieillesse et du handicap en inscrivant la question dans le futur : l'augmentation du nombre de personnes au corps abîmés brutalement croissant dans le futur.

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