100 ANS - La vallée de la Weiss, le paysage comme outil d'identification culturelle

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LA VALLÉE DE LA WEISS LE PAYSAGE COMME OUTIL D’IDENTIFICATION CULTURELLE

CA RR ER Cami ll e - Mémoi r e per son n e l d e f i n d e d e u x i è m e c y c l e /10 0 a n s de Paysage / 2015 Form at i on paysagi st e DPLG - Éco l e N a ti o n a l e S u p é r i e u r e d ’ A r c h i te c tu r e et de Paysage de B ordeaux

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REME RCI EME NTS

Roland Carrer (viticulteur à Kientzheim et père) : pour ses précieuses indications techniques et son soutien Hervé Goulaze (vacataire au CEPAGE, étudiant à l’ENSAPBx et ami) : pour sa disponibilité et ses conseils aguerris Francis Lichtlé (ancien archiviste au service des archives de Colmar, conservateur du musée régional du vignoble et des vins d’ALsace de Kientzheim, président fondateur de la société d’histoire et d’archéologie d’Ammerschwihr) : pour la transmission d’indications historiques essentielles Roger Schmitt (ancien maire de Kientzheim et grand-père) : pour ses nombreuses anecdotes et la transmission de photos anciennes Youri Stein (pharmacien à Kaysersberg), François et Marguerite Oberlé (retraités à Ammerschwihr) ainsi que les deux habitantes anonymes de la vallée (préparatrice en pharmacie et boulangère) : pour les réponses apportées à mon questionnaire Emmanuelle Heaulmé et Didier Galop (professeurs à l’ENSAPBx) : pour m’avoir aidée à contenir mon attachement aux lieux et pour la justesse des questions posées 2


Po u r q u o i l es pa y s a g e s de l a va l lée de la Weiss ?

La vallée de la Weiss est mon berceau. Terrain de mes premières expériences, de mes premiers contacts, de mes premiers jeux, de mes premières surprises, de mon éveil à la vie, la vallée a aussi été mon premier terrain de sensibilisation au paysage. Mes parents sont viticulteurs à Kientzheim depuis 1985. Ils succèdent à mon grand père qui, comme nombre d’enfants du village au sortir de la guerre, choisit la vigne comme support de travail. Grandir dans une famille de vignerons profondément passionnés, engagés dans leur travail, et soucieux de questionner sans cesse leur place par rapport au paysage qu’ils façonnent ne laisse pas indemne. À l’âge de trois ans, je crapahute déjà entre les rangs de vigne observant ma mère avec plus ou moins d’attention effectuer l’arrachage des pampres en été. À l’âge de sept ans, je suis fière d’obtenir mon premier CDD en tant que vendangeuse en octobre. À l’âge de treize ans, me voilà au caveau expliquant à des clients allemands que le Riesling se mariera très bien avec le poisson et qu’il ne faudra pas manquer de visiter le village pittoresque de Kaysersberg. À l’âge de dix huit ans, je quitte mon nid et accroche dans mon premier appartement parisien des photographies de famille prises sur le coteau du Schlossberg en automne, non sans une certaine nostalgie. Dès mon plus jeune âge - et sans vraiment le réaliser - j’ai finalement été actrice d’un paysage sur lequel je n’ai jamais fait la lumière. En faire la promotion auprès des clients, y tailler les sarments de vigne en hiver, y récolter le raisin en automne, y peindre le crépi «sans dépasser sur le colombage»...Tout s’est déroulé naturellement, sans que je ne prenne véritablement de recul sur la réalité physique et sociale de ce territoire. Je n’ai jamais questionné mes parents, mes grands-parents, mes amis, mes voisins quant aux raisons de cet attachement commun qui semblait nous transcender. On entendait alors : «Il est important de conserver notre patrimoine et notre identité» ou encore «Qu’elle est belle notre verte vallée!», mais quelle est vraiment l’origine de cette attention permanente portée prioritairement sur le paysage du piémont viticole ? Comment expliquer le dévouement de la population locale dans des actions visant une sauvegarde absolue des formes paysagères existantes ?

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S O MMAI RE Pourquoi les paysages de la vallée de la Weiss ? Présentation du site : au coeu r d’un système étagé La vigne et les reliefs : moteurs des paysages de la vallée form ati on géo l o g i q u e Un s ystème pa y s a g e r fo n d é s u r une division du t errit oire

I. U n e va l l é e , t r o i s fa c i è s paysagers Un fond de vallée enchâssé en tre deux reliefs boisés : une déprise viticole liée à une dynamique industrielle et urbaine Le t issu i ndus t r i e l , e m b l é m a t i q ue du fond de vallée Les extensi ons d e K a y s e r s b e r g : hét érogénéit é des form es urbaines D es v er sants b o i s é s a u x p e n t e s accusées, vers une déprise vit icole

Les coteaux viticoles sous appelation : archétype du paysage alsacien La vi gne, à pe r t e d e v u e Au pi ed des c o l l i n e s , l e s ce n t r e -bourgs

La plaine sous-vosgienne : vers la fin d’un terroir viticole Une v i gne touj o u r s d o m i n a n t e Vers un étal em e n t u r b a i n a u t o u r de la Weiss D es par cel l es d e v e r g e r s e t d e cham ps : rupt ure avec la m onocult ur e viticole

Identification des dynamiques - conclusion 4


II. U n e va l l ée d a n s l e te m ps, une importante persi stance d u paysage 1872 - 1945 : Stabilité d’un paysage viticole en perpétuelle adaptation et développement parallèle de l’industrialisation Une r el ati v e s t a b i l i t é d u d o m a i n e v it icole face à la succession de crises L’éle v age au c o e u r d e l a v a l l é e de la Weiss : une prat ique int im em en t liée à l’activité viticole Un fond de v a l l é e i n d u s t r i a l i s é : l’inst allat ion durable de l’act ivit é pa petière Les com m unes d e l a v a l l é e : c o nservat ion d’un m odèle issu du Moyen -Âge

1945 - 2015 : Double processus de modernisation et de patrimoni alisation des paysages suite aux destructions de la guerre D e nouv el l es p r a t i q u e s , d e n o u v elles form es parcellaires La di spar i ti on d u c h e p t e l , d e s c onséquences physiques sur le dom aine viticole Mise en v al eur c r o i ss a n t e d ’u n vignoble Le t r aum ati sm e d e l a g u e r r e : un cham p de ruines à rebât ir Les pr em i èr es e x t e n s i o n s u r b a i n es phén omène de p a t r i m o n i a l i s a t i o n dans les cent re-bourgs

Conclusion

I. U n e va l l é e e n d e v e n i r , u ne évolution des formes pay sagères a c t u e lle s possib le ? État des lieux sur les paysages de la Weiss - identification des dynamiques et enjeux - vers l’affirmation de l’identité culturelle alsacienne à travers le paysage - scénario d’évolution tendanciel : vers une patrimonialisation à l’échelle de la vallée Conclusion Bibliographie

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Présentation du site : au coeur d’un système étagé

Plans de situation générale 6


La simple étymologie du mot «Alsace» suffit à renseigner du caractère éminemment paysager de cette région, percue selon deux axes : En celte, Alsace devient «Alisa» ou «escarpement», qui renvoie à un regard orienté d’ouest en est. En alsacien, Alsace devient «Elsass», ou «Pays de l’Ill», un affluent du Rhin qui renvoie à un regard orienté du nord au sud. MONTAGNE hautes-chaumes pâturages industries châteaux forêts

FRANCE

SUNDGAU pâturages céréales vergers

PIÉMONT villages médiévaux route des vins colombages vignoble

PLAINE industries céréales villes hardt ried

ALLEMAGNE

bloc schématique situation régionale - carnet de lecture de paysage de Sigolsheim (réalisée par le lycée horitcole de Pflisbourg en 2005)

Ainsi, la succession de l’ouest vers l’est de bandes orientées du nord vers le sud se différenciant par leur altitude et leur forme paysagère, caractérisent ce territoire de la vallée de Thann au sud, à Marlenheim au nord. Elles forment un système récurrent sur près de 200 km de long. La région est ainsi représentée selon le triptique : montagnes vosgiennes à l’ouest, piémont viticole d’une largeur n’excédant pas quatre kilomètres au centre, et grande plaine céréalière limitée par le Rhin à l’est. Le climat, le relief, le type de sol, les pratiques, les cultures agricoles, la végétation ou encore l’urbanisation sont autant de variables qui caractérisent ces différents territoires. Reconnue notamment pour la qualité de ses vins et de ses paysages patrimoniaux typiques, la vallée de Kaysersberg s’inscrit au coeur de ce système étagé, à une dizaine de kilomètres au nord de Colmar. 7


La vigne et les reliefs : moteurs des paysages de la vallée Forma t i o n g é o l o g i q u e d e l a val lée Les différentes roches métamorphiques et plutoniques (gneiss, granite) retrouvées sur le massif sont issues du socle primaire vosgien. Celui-ci s’individualise progressivement suite à l’étirement du socle granitique au Jurassique supérieur. Les nombreuses failles créées au cours de l’aire tertiaire isole le massif vosgien et la forêt noire du nouveau bassin rhénan composé d’une épaisse couche de dépots sédimentaires.

Jurassique inférieur et moyen (Secondaire)

Jurassique supérieur

(Secondaire)

Éocène inférieur et moyen

(Tertiaire)

Le champ de fracture de Ribeauvillé est crée, et compose ainsi un patchwork de territoires (calcaire, marnes, granite...) sur lesquels la vigne s’épanouit et qui confèrent à ses vins des caractères variés.

Éocène supérieur et oligocène (Tertiaire) Formations gréseuse Rhin

Faille schwartzwaldienne

Faille vosgienne Aujourd’hui

Faille rhénane Source : http ://www.mur-paien.fr

Les changements climatiques opérés au quaternaire ont engendré de grands phénomènes d’érosion. Le fond de la Weiss se remplit de dépots constitutés de sables et de petits cailloux. Ces alluvions forment un cône de déjection à l’entrée de la plaine.

Quaternaire

Alluvions caillouteuses des vallées vosgiennes

Secondaire

Poudingues Grès vosgiens

Primaire

Argiles, sables argileux et arkoses rouge violacé Gneiss perlé à grenat et cordiérite Granite porphyroblastique hétérogène à enclaves basaltiques Granite porphyroblastique hétérogène Gneiss granitiques acides hétérogènes Granite porphyroblastique à grands cristaux

Source : PLU de Kaysersberg

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Un s y s t è m e p a y s a g e r fo n dÊ sur une di visi on du territoire

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De l’entrée de Kaysersberg à l’ouest, à sa rencontre avec la Fecht à l’est, la Weiss parcourt neuf kilomètres. En neuf kilomètres seulement, la rivière traverse une palette de paysages qui paraissent ne pas s’interpénétrer. La communication entre ces espaces semble de prime abord, complexe à appréhender. L’absence de liaisons est pregnante entre chacune de ces séquences : les transitions sont rares, les ruptures sont fortes. En suivant naturellement naturellement le cours de la rivière, les séquences visuelles liées à la découverte d’un tel territoire s’enchaînent à toute vitesse :

Boisements mixtes feuillus - conifères

Le Toggenbach

Boisements rivulaires

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Vignes

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Arboriculture fruitière + champs

Kaysersberg

Prairies + Pré-vergers + Friches

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Route des vins d’Alsace

Le Klebberbach

Axes de communication principaux 8

Kientzheim

Le rehbach

Cours et étendues d’eau

Sigolsheim

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La Weiss

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Ammerschwihr

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La Fecht

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Massifs boisés Usines de fond de vallée

La succession de bandes étagées d’amont en aval qui affirment leur indépendance les unes par rapport aux autres, propose une diversité de situations paysagères régies par les reliefs et la vigne.

Extensions de Kaysersberg Vignes, prés, prés-vergers, friches

Coteaux viticoles Ammerschwihr

Kientzheim

Extensions d’Ammerschwihr Extensions de Sigolsheim Plaine viticole

Sigolsheim

Zone d’activités

Arboriculture fruitière + champs

La Weiss La Fecht

En amont, les contraintes liées aux reliefs fabriquent un paysage essentiellement urbain en fond de vallée. Sur les versants, la marquetterie dessinée par la juxtaposition de différentes parcelles suggère des mutations et un cumul de différentes pratiques au cours du temps. En aval, la Weiss émerge au coeur du vignoble. La vigne s’affirme en occupant les espaces disponibles en hauteur et sur la plaine, ne laissant aucun espace interstitiel. Le tissu urbain ainsi contraint forme des villages tenus qui n’entrent pas en concurrence avec le domaine de la vigne. De timides tentatives d’extension urbaine se profilent le long de la rivière, en évitant soigneusement de gagner les terroirs les plus prestigieux. À proximité de la confluence, la vigne se retire définitivement au profit d’une culture essentiellement arboricole, préfigurant la zone industrielle de Colmar et la plaine céréalière d’Alsace.

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I. U NE VA L L É E , T RO I S FAC I ÈS PAY S AGERS

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Un fond de vallée enchâssée entre deux reliefs boisés : une déprise viticole liée à une dynamique industrielle et urbaine

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Le t i ss u i nd u s tr i e l , e m b l ématique du fond de val lée

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Cartonnerie DS Smith toujours en activité

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Anciennes usines aujourd’hui reconverties en cité d’habitation et laboratoire pharmaceutique

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L’entrée de Kaysersberg à l’ouest par la D415 est annoncée par une unité industrielle emblématique de l’activité du fond de vallée. L’ensemble industriel compact forme une cartonnerie liée à une station d’épuration ainsi qu’un alignement d’anciennes maisons ouvrières aujourd’hui inoccupées, profitant d’une situation privilégiée en fond de vallée, occupant tout l’espace disponible.

ensemble massif boisé D415 La Weiss détournée industriel

versant viticole

en fond de vallée : une industrie toujours dominante

Il exploite ainsi les eaux de la Weiss qu’il détourne pour les besoins de son activité. Ces édifices, dont l’époque de construction est clairement identifiée (autour des années 40-50), émergent selon des lignes verticales enfumées, et laissent supposer une forte influence économique sur la ville depuis de nombreuses années. Comme sortie du temps, une petite chapelle en ruine prend place au coeur de cet ensemble. À deux kilomètres en aval, on trouve également la trace d’anciennes industries qui gardent une emprise importantes, à travers notamment la présence de grands bâtiments abritant actuellement des laboratoires pharmaceutiques. À proximité directe de ces laboratoires, la cité fleurie (reconvertie aujourd’hui en immeuble d’habitation) confirme l’existence d’un ancien coeur industriel, à travers le caractère architectural typique d’anciennes filatures.

ancienne cité ouvrière liée à la cartonnerie

chapelle d’Alspach

la cité fleurie 14


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Les e xt e n si o n s d e K a y s e r sberg : hétérogénéi té des formes u rb a ines

zone d’activités et de loisirs

D415

immeubles d’habitation récents pavillons le long de la D415 selon le shéma «village-rue»

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Le tissu résidentiel et pavillonnaire s’est inséré progressivement entre ces deux pôles industriels, le long de la D415 et de la Weiss. Les deux versants escarpés au nord et au sud constituent les limites naturelles de cette urbanisation caractérisée par son hétérogénéité. Le long de la route départementale, les résidences s’alignent, suivant ainsi le schéma type d’un village-rue. Une fine frange résidentielle à l’arrière de la route principale tente de conquérir le versant sud. Ces maisons au caractère modeste associées à des jardins privés en fond de parcelle caractérisent une typologie des années 60.

versant boisé jardin à l’arrière maison type années 60

D415

coupe : les premières extensions

du versant sud

De l’autre côté de la route, on retrouve un tissu pavillonnaire organisé en lotissement. Les formes et les typologies architecturales rencontrées ne sont pas les mêmes à mesure que l’on se rapproche du versant nord. Les résidences, parfois collectives, sorties de terre ces dix dernières années empiètent ainsi sur les dernières parcelles d’espace susceptibles d’accueillir des habitations le long d’un relief escarpé. On note également l’implantation de zones de loisirs et d’équipements publics (campings, maisons de vacances, piscine, stade, écoles...) Ainsi, au fil du temps, les possibilités d’extension ont progressivement été déportées du sud au nord, formant désormais un fond de vallée entièrement conquis par le tissu résidentiel.

au versant nord

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Des ve r s a n ts b o i s é s a u x pentes accusées, vers une dép rise vit ic o le

vignes, pré-vergers, friches, prairies humides chênaie sessiflore

douglas, mélèze, châtaignier

hêtraie-chênaie

chênaie pineraie is Br

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boisements enfrichement vignes pré-vergers

photo : le tissu résidentiel accroché au versant nord

zoom : une mosaïque de situations

Les versants pentus, opposés dessinent cet espace de manière abrupte et s’élèvent jusqu’à 550 mètres au nord et 840 mètres au sud. La sensation d’enfermement est puissante. Essentiellement occupés par les boisements, certains vallons latéraux (ceux du Toggenbach, du Brittelbach et le Bristel) ainsi que les pentes les moins accusées du versant nord de la vallée principale, brodent un patchwork de taches et de motifs différents, correspondant à des pré-vergers et à de rares prairies humides. L’enfrichement progressif de ces parcelles est identifiable à mesure qu’elles gagnent en altitude. On note parmi cette mosaïque de situations, l’implantation d’un ensemble de parcelles de vignes sans réelle structure parcellaire globale. Tout le long du versant nord, de hauts murets en pierre sèche soutenant des terrasses, forment un réseau continu perpendiculaire à la pente. Enfrichés, intégrés à des parcelles résidentielles privatives, à des parcelles de pré-vergers ou encore présents en soutènement de parcelles viticoles toujours en activité, ces murets permettent depuis plusieurs siècles de stabiliser les sols afin de faciliter le travail de la vigne. Le réseau dense des murets suggère que la vigne a pu former l’activité principale de ce versant autrefois. Le maintien des murets en pierre sèche est toutefois menacé de toute part par la déprise progressive d’une certain nombre de parcelles, notamment de pré-vergers. 18


Sur les hauteurs, les forêts ferment complètement l’espace. Elles abritent une fonction récréative à travers la mise en place d’un lacis d’itinéraires pédestres par le Club Vosgien. Ces forêts publiques, pour l’essentiel gérées en futaie par l’ONF, constituent également des réserves importantes pour la fourniture de bois de chauffage et de bois d’oeuvre.

réseau de murets en pierre sèche

Elles hébergent de nombreuses espèces faunistiques remarquables (le lynx, le chat sauvage, le cerf...) voire d’importance communautaire (avec le grand-murin et le minioptère de Schreibers).

Sur le versant nord, on retrouve essentiellement une chênaie-sessiflore surmontée d’une chênaie-pineraie, alors que sur le versant sud, la hêtraie-chênaie se combine plus haut à la présence de châtaignier, de douglas et de mélèze constituant ainsi une flore typique des forêts vosgiennes orientales.

itinéraires pédestres + fourniture de bois

palette végétale des boisements

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Les coteaux viticoles sous appelation : archétype du paysage alsacien La v i g n e , à p e r te d e v u e .

Furste

hauts coteaux rangs perpendiculaires au sens de la pente

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bas de coteaux rangs parallèles au sens de la pente

première frange boisée

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L’ultime avancée du front montagnard vosgien forme un système de collines viticoles. L’une des avancées collinaires la plus longue dans la plaine d’Alsace, dite colline de Mambourg domine Sigolsheim au nord. La vigne constitue l’élément récurrent sur ces versants aux formes douces exposées au sud-est. Elle s’implante ainsi sur toutes les surfaces disponibles. L’ensemble forme un vaste océan de vignes articulé par une géométrie variable en fonction des parcelles, de l’exposition et de l’altitude. Celle-ci s’anime de couleurs et de motifs différents au gré des saisons. Ce territoire d’appelation possède notamment trois Grands Crus : le Schlossberg entre Kientzheim et Kaysersberg, le Furstentum entre Kientzheim et Sigolsheim et le Mambourg au-dessus de Sigolsheim. Les vignes, par leur présence hégémonique sur le piémont suggèrent qu’elles génèrent ainsi une activité économique florissante et qu’elles symbolisent l’essence même de ce territoire.

rangs parallèles au sens de la pente

Le Schlossberg : rangs perpendiculaires au sens de la pente

routes bitumées

première frange boisée 21


Ce patrimoine est toutefois entretenu de différentes manières et combine à la fois des méthodes d’exploitation ancienne à des méthodes plus contemporaines. Sur les espaces les plus hauts, les rangs s’implantent perpendiculairement au relief. Le maintien des sols est assuré par un système en terrasse structuré par des murets en pierres sèches. Le maintien de contraintes d’exploitation rigoureuses s’explique par la qualité d’un terroir qui confère à ses vins l’appelation Grand Cru.

Le Schlossberg : un système en terrasses, le travail de la vigne conditionné

Ces terrasses surmontent ainsi un parcellaire plus classique, parallèle au sens de la pente. La gestion de ces vignes se veut plus traditionnelle dans le contexte actuel ou est privilégiée la mécanisation. Pour lutter contre l’érosion, des rigoles sont mises en place, menant ainsi les eaux de ruissellement vers des bassins de rétention. De même, les murets en pierre sèche sont remplacés ici par des murets en béton et l’enherbement d’un rang sur deux semble constituer un bon compromis entre gestion des eaux et rendement.

Dans ce vaste ensemble viticole, des éléments historiques, religieux et remarquables sont perceptibles. Ainsi, d’anciennes petites cabanes de viticulteurs inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques se maintiennent ici et là. Des calvaires, des crucifix et des statues représentant la Vierge s’élèvent symboliquement à la croisée de chemins de quelque importance. Quelques arbres fruitiers isolés s’affirment également par leur singularité et constituent des points de repère. La limite nette du domaine viticole est formée par les boisements qui occupent les hauteurs. La frange boisée qui surplombe le domaine viticole est essentiellement composée de châtaigniers, de chênes et d’acacias, qui sont des essences anciennement utilisées pour la fabrication d’échalas, piquets primitifs des vignes alsaciennes. Face au Furstentum : affirmation de repères au coeur d’une grande homogénéité 22


Au p i e d d e s c o l l i n e s , l e s centre- bourgs

centres-bourgs typiques : fortifactions, châteaux, densité, éléments patrimoniaux villages reconstruits après la Seconde Guerre

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Au pied des versants, la vigne s’interrompt brusquement aux portes des villages en tas. Ces villages, relativement proches les uns des autres communiquent grâce aux axes de circulation dissimulés derrière le velum de la vigne. Les villages de Kientzheim et Kaysersberg sont caractérisés par une empreinte architecturale et urbaine encore forte du Moyen-Âge et de la Renaissance. Les maisons s’alignent le long de rues et placettes pavées assurant une grande cohérence d’ensemble. L’archétype de la maison alsacienne s’y décline sous la forme d’un soubassement en pierre surmonté de deux étages droits et d’un étage sous comble en colombages. Chaque édifice est une variation de l’identité architecturale alsacienne que ses expressions ornementales permettent de rattacher à une période de construction. Au coeur de ces deux villages, la préservation des nombreuses références historiques montre un souci de mise en valeur du patrimoine resté riche. On note par exemple la conservation intégrale du mur d’enceinte de Kientzheim, flanqué de trois tours. Les destructions irréversibles de la Seconde Guerre Mondiale qui ont touché par ailleurs les villages de Sigolsheim et d’Ammerschwihr ont engendré la construction d’édifices plus récents sur les soixante dernières années. L’urbanisation récente de ces villages montre une prise en compte des activités viticoles qui s’y développent depuis toujours : les rues sont suffisamment larges pour permettre le passage d’engins et de vastes cours ont été aménagées aux abords de chaque maison. Les rares témoins historiques sont maintenus avec un grand soin (l’ancienne façade de l’hôtel de ville d’Ammerschwihr par exemple) et renforcent l’idée selon laquelle la protection de l’identité culturelle alsacienne fondée sur son patrimoine historique par les acteurs locaux est prépondérante. Des extensions urbaines limitées peuvent être relevées le long de la D28 mais aussi de part et d’autre du village de Sigolsheim.

Kientzheim : un village en tas aux limites franches

Ammerschwihr : conservation des vestiges physique du passé 24


première enceinte

pont château de Renaissance Kaysersberg

maison rues pavées Renaissance

99, rue du général de Gaulle

34, rue du général de Gaulle

2, rue des potiers

carte cadastrale du centre de Kaysersberg, village du vignoble alsacien typique

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La plaine sous-vosgienne : vers la fin d’un terroir viticole Une vi g n e t o u j o u r s d o mi n ante

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plaine viticole massifs boisés

clocher piémont viticole d’Ammerschwihr

La Weiss en rejoignant la Fecht, affirme son importance, après s’être faufilée discrètement entre les versants abrupts des montagnes vosgiennes et la densité du tissu bâti. Les ripisylves boisées d’arbres de haut-jet de ces deux cours d’eau sont les constantes linéaires de ce paysage. Seuls quelques éléments verticaux surgissent derrière les sarments : les clochers des villages de Kientzheim, Sigolsheim et Ammerschwihr, ainsi que le rythme régulier de pylônes électriques. Les villages soudés aux côteaux marquent ainsi la limite entre coteaux et plaine, mais ne matérialisent pas pour autant la fin du terroir viticole qui continue de s’étendre vers la plaine. Sur les hauts coteaux, l’entretien soigné des parcelles suppose un travail méticuleux qui semble disparaitre dans la plaine au profit d’une rationalisation liée à l’usage de la machine. La planéité du relief profite aux viticulteurs, en leur assurant un fort rendement à travers une production normalisée et efficace. Ce paysage utilitaire est toutefois nuancé par des méthodes de gestion différentes. De nombreuses parcelles de vignes biologiques jouxtent ainsi des parcelles conventionnelles, de la même façon que l’usage de piquets métallique contraste avec l’usage de piquets en bois d’une parcelle à l’autre. La variabilité des niveaux de croissance peut également être relevée. Cette hétérogénéité propose des représentatios différentes d’une même culture. Les routes goudronnées serpentent librement au coeur du parcellaire, parfois accompagnées d’un réseau de fossés de drainage qui les séparent des parcelles. Le passage des tracteurs est assuré par de petites passerelles constituées de vieilles pierres.

le temple de la mécanisation

Réseau de fossés de drainage

Diverses croissances, divers modes de gestion (piquets bois, piquet métalliques...)

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Vers u n ét a l e m e n t u r b a i n autour de la W ei ss

extensions linéaires de Sigolsheim lotissement d’Ammerschwihr étalement diffus

zone d’activités à la sortie de Sigolsheim

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cour ouverte sur la rue

bâti lotissement type années 80

jardin privé à l’arrière

route liée au passage d’engins agricoles

vignes

L’étalement urbain est facilité en plaine, car celui-ci n’est pas soumis aux contraintes du relief. Par ailleurs, la réputation et la valeur du vignoble sur les coteaux est nettement supérieure à celle du vignoble en plaine. La dynamique d’extension urbaine tend donc à former un triangle autour de la Weiss qui semble relier les villages de Sigolsheim, d’Ammerschwihr et de Kaysersberg. Des programmes d’aménagement ont déjà été entrepris, notamment avec l’installation du lotissement d’Ammerschwihr le long des eaux de la Weiss. Celui-ci forme une unité compacte et autonome qui semble décontextualisé de son paysage environnant. Cet ensemble homogène est séparé de la plaine viticole par une route au sud qui constitue une rupture franche. À Sigolsheim, le développement a lieu au sud du village, le long de la Départementale 18. Les extensions à l’est d’Ammerschwihr ont lieu de manière plus anarchique, sans planification apparente. Si elles semblent suivre le tracé viaire à Sigolsheim, elles s’implantent de manière plus aléatoire sur la commune d’Ammerschwihr, accentuant ainsi le phénomène de mitage. Les résidences affirment ainsi une certaine indépendance les unes par rapport aux autres. Une zone d’activités se développe le long de la D18 à la sortie de Sigolsheim. On y trouve des hangars, une co opérative agricole ainsi que des espaces de vente de fruits et légumes produits à proximité de la Fecht.

nouvelles constructions à l’est d’Ammerschwihr

juxtaposition d’usages à Sigolsheim

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Des p a r ce l l e s d e v e r g e r s et de champs : rupture avec la mo n o c u lt ure vit ic o le

ripisylve dense de la Fecht arboriculture fruitière espaces prairiaux

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le roseau : indicateur de milieux humides

les abords de la Fecht : lieu de promenade

vignes

rideau compact autour de la Fecht

fossés de drainage

champs de myrtilles

À proximité de la confluence entre la Weiss et la Fecht, la vigne laisse place à des parcelles arboricoles diverses, des espaces enherbés, ainsi que les premières parcelles de maïs qui préfigurent la grande plaine céréalière d’Alsace à l’est. La rupture avec la monoculture viticole est nette. Le caractère humide de ces terres explique en partie l’implantation impossible des vignes. Par ailleurs, en raison de leur caractère ponctuel sur cette plaine, les vergers et les champs de fraises, de framboises et de mûres constituent une activité subsidiaire, complétant souvent une exploitation viticole dominante. Les parcelles familiales d’arbres fruitiers (mirabelliers, quetschiers, mais aussi et plus particulièrement pommiers de diverses variétés) écoulent leur production localement par de la vente directe dans le village de Sigolsheim. Les boisements autour de la Fecht constituent un rideau dense, obscur et épais composé d’érables syconomores, d’aulnes et de nombreux robiniers. Directement sur les berges, des saules et d’autres espèces adaptées à la submersion hivernale et à un assèchement estival se font concurrence (saules blancs, peupliers...). La rivière s’écoule rapidement entre des bancs de cailloux fréquents. La dynamique des eaux générée par la confluence et la déclivité de certaines portions isole ce lieu du reste de la plaine et du tumulte des activités industrielles et viticoles en amont, en assurant une certaine tranquilité aux différents promeneurs à l’aube des beaux jours. La rivière est tour à tour tumultueuse ou calme. la Weiss

diverses variétés de pommiers

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Identification des dynamiques

Avancée possible du front viticole Pressions urbaines Extensions urbaines contrôlées Pôles de développement futur au service de l’économie touristique Pôles de développement au service de l’économie locale : industries, viticulture, vergers Mise en valeur du patrimoine ancien

Kaysersberg

Enfrichement partiel Développement croissantde l’agriculture biologique

Kientzheim

Sigolsheim

La Weiss

Ammerschwihr

La Fecht

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Conclusion

L’étude plus approfondie de ces trois structures paysagères aux formes et aux fonctions divergentes mettent en lumière les dynamiques actuelles. Il apparaît dès lors que la vigne imprime une domination foncière clairement lisible sur le territoire. Le domaine viticole occupe une place prioritaire, tant spatiale qu’économique. Le potentiel d’attraction des collines sous-vosgiennes est largement exploité. La qualité de conservation des espaces de piémont au cours du temps concentre toute l’attention des acteurs du territoire. Le soin et la minutie apportés à l’entretien des paysages agricoles et urbains assure le maintien d’une image identitaire et patrimoniale qui nourrit l’imaginaire et la fascination du spectateur. Au-delà de l’intérêt économique lié au tourisme qu’elle génère, il semblerait que la volonté commune d’oeuvrer dans le sens d’une conservation ou d’une restauration à l’identique soit également le fruit d’un attachement populaire aux lieux qu’il sera intéressant d’étudier dans la deuxième et la troisième partie. Les massifs vosgiens et la plaine constituent des espaces annexes, sur lesquels sont déportés les pratiques auxiliaires assurant le maintien des formes du piémont. Ils garantissent un développement économique complémentaire (supermarchés, industries, viticulture, arboriculture fruitière...) et la construction de logements et d’équipements publics indispensables à la population locale. L’attention portée à la gestion de ces territoires est nettement moins généreuse que sur les collines, fabriquant un paysage urbain et agricole plus ordinaire. Ce sont sur ces espaces que les possibilités d’extensions et de densifications urbaines sont encore possibles. Ils sont également un terrain propice à de nouvelles sources de développement touristique en favorisant l’attractivité des massifs boisés et des berges de la Fecht. Quelles ont alors été les étapes de la construction d’un paysage si fragmenté ? Par quels processus les formes paysagères du piémont viticoles se sont-elles maintenues au cours du temps et comment expliquer leurs valeurs actuelle?

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2. U NE VA L L É E DA N S LE TE MPS , UNE I MPORTA N TE PERSISTA N CE DU PAY S A G E

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1872 - 1945 : Stabilité d’un paysage viticole en perpétuelle adaptation et développement parallèle de l’industrialisation

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ue iq nt éa ns ha ys Pa

Lorraine (via col du Bonhomme) Sigolsheim Kaysersberg Kientzheim

Ammerschwihr Su d de l’A lle

Depuis le haut Moyen-Âge, les communes d’Ammerschwihr, de Kaysersberg, de Kientzheim et de Sigolsheim possèdent un trait commun : la viticulture. Elle constitue dès lors l’activité dominante de la vallée de la Weiss et a façonné ses paysages jusqu’à nos jours. Chaque famille possède a minima quelques ares de vignes pour répondre à des besoins autonomes, fabriquant dès lors un parcellaire extrêmement morcelé. Les terres viticoles ne sont pas seulement entre les mains des gens du peuple, mais aussi entre celles des communautés religieuses bien implantées sur le secteur, des nobles et des exploitants (à raison de deux à trois hectares en moyenne) qui en font leur source de revenus principale.

s

Un vi g n o b l e d e c o te a u x à la vei lle de l’annexion al leman d e

m ag ne + Su iss e

La vallée de la Weiss -à l’image des vallées alsaciennes voisines- connaît un développement économique d’avant-garde avec une solide organisation du marché du vin. Les vins alsaciens, jugés de qualité, sont expédiés dans le sud de l’Allemagne, mais aussi en Suisse, dans les pays hanséatiques via le Rhin et sur le territoire Lorrain en France (relié à la vallée par la route du col du Bonhomme). La juxtaposition des différents types de propriétés viticoles ne sont pas sans conséquence sur le paysage. Il n’est donc pas étonnant d’observer dès 1972 une domination de la vigne sur le territoire de la Weiss. Les parcelles s’étendent assez haut le long des collines sous-vosgiennes (jusqu’à 400m) et se déportent timidement vers la plaine autour des villages d’Ammerschwihr et de Sigolsheim avant de laisser place aux prairies et aux terres labourables à mesure que l’on s’approche de la confluence entre la Weiss et la Fecht. On note que les communes d’Ammerschwihr, de Kientzheim et de Sigolsheim sont entourées de toute part par le domaine viticole. Sur le ban de Kaysersberg en revanche, la vigne vite contrainte par le relief, profite des quelques opportunités possibles pour permettre son installation (sur le versant nord essentiellement).

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Geisbourg Couvemt d’Alspach

Vignes Villes, jardins, abbayes, châteaux, chapelles

Kaysersberg

Kientzheim

Sigolsheim

couvent du Weinbach

Prés Bois communal

Ammerschwihr

Bois privés Terres Terrains incultes avec quelques boisements Châtaigneraies Pâturages

1762 : un vignoble de coteaux Intendance d’Alsace, plan de finage - source : archives départementales du Haut-Rhin

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Une r e l a t i v e s ta b i l i t é d u domai ne viti cole face à la succe ssio n de c rises Au cours du XIXème siècle, le libéralisme économique entraine une chute du nombre de petits exploitants. On assiste à un remembrement du territoire : les exploitations s’agrandissent, les petits espaces prairiaux qui piquettent la couverture viticole disparaissent dans les hauteurs. Toutefois, la structure générale du vignoble n’évolue guère. De 956,87 hectares en 1760, la surface occupée par la vigne évolue légèrement à 1026 hectares en 1878 le long des coteaux de Kaysersberg, de Kientzheim et de Sigolsheim Deux événements viennent modifier l’économie du territoire viticole : - l’annexion à l’Allemagne en 1872 Premier vignoble en terme de qualité dans le Reichsland, le vignoble alsacien ne bénéficie pourtant d’aucun soutien pour favoriser son développement. L’Allemagne autorise les « améliorations » des différents crus (il s’agit alors de les allonger avec de l’eau et de les sucrer) ce qui est favorable pour la plupart des vins allemands, connus pour leur acidité. Les cépages alsaciens, naturellement sucrés et peu acides (Pinot Gris, Pinot Blanc, Naturé, Riesling) ne peuvent se plier à la règle et se trouvent fortement concurrencés par des vins de moindre qualité, à un taux d’alco ol supérieur et au coût inférieur. L’Alsace connait alors une mévente générale dans un premier temps. La vallée de la Weiss n’y fait pas exception mais trouve des solutions et tente de s’accomoder des nouvelles lois allemandes. Les plants nobles des coteaux sont remplacés par des cépages comme le Chasselas, le Bourger, le Knipperlé et le Lamper ayant un bon rendement et pouvant être corrigés par sucrage. Malgré les modifications apportées, les négociants, à l’écoute de leur clientèle, obligent les producteurs à vendre à perte. Les ventes ont notamment lieu en Alsace, au Luxembourg, en Allemagne et dans le pays Welche dans la haute vallée. On note également sur la carte de 1898 la légère déportation en plaine d’un nouveau vignoble de plants à gros rendement, à proximité de la confluence des deux fleuves afin d’augmenter les quantités au détriment de la qualité. - La crise du phylloxera apparue en 1907 dans la vallée D’après la carte de 1914, l’invasion du parasite ne modifie pas la structure viticole générale de la vallée. Différentes solutions sont amenées pour lutter contre la maladie, la plupart des plants de coteaux et de plaine sont à nouveau arrachés pour être remplacés par des hybrides. Les cépages traditionnels sont quant à eux greffés sur des porte-greffes américains résistants aux attaques de l’insecte.

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situation parcellaire fin XIXème

petit exploitant

situation parcellaire début XXème siècle

viticulteur - négociant

usines de la vallée

exode rural schéma de principe : remembrement de la structure viticole

Finalement, La surface du domaine n’évolue guère suite à l’annexion et à la crise phylloxerique. Les exploitants s’adaptent : de nouvelles méthodes sont mises en place. Les exploitants perdent en qualité mais augmentent leurs quantités en rachetant les parcelles de vignes des petits exploitants n’ayant pas résisté aux différentes crises. Le petit vigneron, possèdant suffisamment de champs et de prés pour subvenir aux besoins familiaux et n’ayant ainsi jamais vécu de la vigne, conserve les plus petites parcelles du domaine. On observe finalement une persistance étonnante du territoire malgré des bouleversements économiques profonds. 39


Au lendemain de la première guerre mondiale, les vins d’Alsace de qualité médiocre se trouvent désormais fortement concurrencés par des vins bien implantés sur un marché français solide. Des régions viticoles telles que le Midi ont su poursuivre le développement de leur commerce à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, lorsque l’Alsace faisait face à une crise économique sans précédent. On décide alors de réorienter la production en menant une politique de qualité. Les plants hybrides sont arrachés, et le vignoble est entièrement reconstitué avec des cépages traditionnels entre 1920 et 1940. En 1910, la vallée compte 1016,72 hectares et perd 38 hectares jusqu’en 1941. Si dans d’autres régions viticoles la superficie totale du domaine tend à réduire considérablement, elle reste sensiblement la même dans la vallée. Ce nouveau bouleversement économique ne modifie pas le visage d’un vignoble d’une remarquable permanence comme l’illustrent les cartes suivantes.

1898 : suite à l’annexion allemande, Karte der Vogesen. Blatt XVI, Kaysersberg-Münster Source : http://www.biblio.BNU.fr

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1914, suite à la crise du phylloxera Karte der Vogesen. Blatt XVI, Kaysersberg-Münster Source : http://www.biblio.BNU.fr

1931, période de replantation : les limites ne sont pas repoussées Karte der Vogesen. Blatt XVI, Kaysersberg-Münster Source : http://www.biblio.BNU.fr

Vignes Villes, jardins, chapelles, châteaux, usines Prés, prairies, terres

Bois 41


L’él e va g e a u c o e u r d e l a vallée de la W eiss : une pra t ique in t imement liée à l’a c t ivit é vitico l e D’après les cartes de 1762, de 1898 et de 1914, il apparaît que les espaces prairiaux diminuent légèrement au cours du XIXème siècle. Alors qu’en 1762, la couverture viticole des coteaux se voyait ponctuée de petites parcelles consacrées au pâturage des bêtes, celles-ci s’effacent définitivement au XIXème siècle, laissant entièrement la place au domaine viticole. L’ensemble des parcelles de prés à la fin du XIXème et au début du XXème siècle borne essentiellement les terres marécageuses de la Weiss, pour se diffuser plus largement autour de la confluence des deux fleuves. On trouve également un linéaire de parcelles le long des affluents de la Weiss en fond de vallée (Limbach, Rehbach et Toggenbach) ainsi que de petites parcelles sur la surface viticole des parties basses d’Ammerschwihr.

Travaux de débardage dans la forêt communale de Kaysersberg débt XXème

Les animaux de traction étaient également employés dans les champs pour le labour, et dans les forêts pour la descente des fûts élagués dans la vallée (une pratique nommée débardage).

Vendanges à Sigolsheim - début XXème

Les boeufs ainsi que les chevaux servent au travail de la vigne tout au long de l’année (transport des récoltes lors des vendanges, de fumier, décavaillonnage, labour des vignes généralisé après la seconde guerre mondiale...). L’élevage ne constitue donc pas une pratique isolée de l’activité viticole.

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En plus de parcelles de vignes, de vergers et de champs, chaque famille posséde également son propre cheptel pour la production de ressources complémentaires. Ce sont prioritairement les bovins, les porcs ainsi que les chevaux qui dominent dans la vallée, mais l’on retrouve également selon les époques des anes, des moutons, des chèvres, des poules, des canards et des oies. On note une stabilisation du cheptel tout au long du XIXème et au début du XXème siècle. En 1794, on compte 1835 bêtes. Les villes d’Ammerschwihr et de Kaysersberg comptabilisent à elles seules 1401 bêtes. En 1897, ce sont 1678 bêtes qui se partagent le territoire avec une répartition plus équitable du cheptel dans les quatre villages. La qualité demeure toutefois très moyenne. Les bêtes reproductrices achetées par les particuliers sont de mauvaise qualité et vendues au rabais (des économies sont faites sur le fourrage et la nourriture en général). Les pâturages sont détériorés et la vaine pâture en forêt est strictement interdite par les Eaux et Forets. Celle-ci est également réglementée sur les chemins et sentiers communaux, pour être finalement supprimée. Avec la réduction du nombre de parcelles prairiales au cours du XIXème siècle, la stabulation devient donc de plus en plus importante.

Basse-cour privée à Kientzheim - début XXème

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Un fo n d d e v a l l é e i n d u s t rial isé : l’installation durable d e l’a c t ivit é papet iè re C’est au lendemain de la Révolution que l’industrie s’installe pour la première fois dans la vallée. La branche textile parvient à s’implanter durablement dans le fond plus étroit de la vallée de Kaysersberg. Elle profite ainsi des anciens bâtiments conventuels laissés libre à la fin du XVIIIème siècle. L’activité viticole n’étant pas aussi intense à Kaysersberg que dans les communes voisines en raison d’une topographie particulière, l’industrie apporte à la ville un souffle économique nouveau. Les filatures de coton prennent un essor considérable durant la première moitié du XVIIIème siècle, connaissant une période de prospérité entre 1820 et 1860, avant de se trouver face à une profonde crise du textile. Celle ci entrainera la faillite de la plupart des entreprises présentes dans la vallée. Seules deux industries textiles maintiennent leur activité à la fin du XIXème et début XXème : Kiener & cie qui exploite deux sites et emploie deux cent vingt-six ouvriers, et la filature Stoecklin plus en aval qui emploie une centaine d’ouvriers.

Publicité publiée peu avant 1914

Halte au niveau de la cartonnerie - 1910

Une fabrique de pate à papier succédant à une grande manufacture textile s’implante en 1858, profitant des eaux de la Weiss et de la forêt communale alentour. Les corps de bâtiments émergent petit à petit, constituant une entreprise qui asseoit une puissance économique de plus en plus forte. La fabrique deviendra finalement cartonnerie à partir de 1876.

Un chemin de fer reliant Lapoutroie en amont à Colmar traverse les quatre communes de la vallée à partir de 1885. Si la ligne de chemin de fer est avant tout mise en place pour permettre la circulation des usagers, une halte est également créée au niveau de la cartonnerie (qui demeure un utilisateur majeur de la ligne) afin d’assurer le transport des marchandises. La simultanéité des transports passagers-marchandises entraîne des retards importants sur la ligne. Des convois spéciaux sont finalement mis en place en 1906.

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Usine de pate Scierie à papier Weibel

Weibel

Filature Filature de coton de coton

Kiener

Stoecklin

Scierie

Manufacture d’orgues

Mendele Rinckenbach

Manufacture d’orgues Rinckenbach - 1926

De petites industries familiales émergent timidement à Ammerschwihr. La manufacture d’orgues Rinckenbach naît à la fin du XVIIIème siècle en dehors de la ville et emploie une quinzaine d’ouvriers vers 1900. De même, une petite scierie fondée au XIXème s’installe le long des eaux de la Weiss sur le site d’un ancien moulin, profitant des nombreuses forêts alentours. Il apparait finalement que les industries occupent les espaces qui leur sont destinés (prioritairement les espaces libres du fond de vallée profitant de l’énergie hydraulique), et n’entrent jamais en concurrence avec la vigne qui demeure l’activité économique majeure sur le territoire. Tracé du chemin de fer Colmar-Lapoutroie carte - 1914

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Les c o m m un e s d e l a v a l l ée : conservati on d’un modèl e iss u du Moyen-Âg e

À la fin du 19ème siècle, les quatre communes qui composent la vallée de la Weiss possèdent chacune une forme dense et groupée. Elles sont ceinturées par d’imposantes fortifications dans les villages d’Ammerschwihr, de Kaysersberg et de Kientzheim. Le contact entre montagne et plaine façonne ces figures urbaines particulières, accrochées le long des coteaux viticoles. Cette impression de concentration se voit renforcée par le vaste espace laissé libre pour le développement de la vigne autour de ces villages. Ces formes urbaines composées au Moyen-Âge et à la Renaissance offrent peu de possibilité d’extension du tissu bâti. La trame urbaine a sans cesse tenté de s’adapter aux contraintes imposées depuis des siècles, composant désormais un enchevêtrement solide des différentes propriétés et des situations pittoresques étonnantes. La rue se construit selon des décrochés, des inflexions et des étranglements accompagnés d’une fantaisie des formes bâties qui donnent à voir un espace en mouvement. L’espace public est ainsi organisé comme un décor de théâtre, réservant son lot de surprise dans le dédale des rues. Les petites places en coeur de village sont elles aussi dessinées de manière irrégulière.

Bois pour le chauffage, la cuisine, les Logement des Terrasses de vignes piquets de vignes et la construction vignerons

Cave (pressage / stockage) Place publique (fontaine) Bloc schématique reconstitution type du village alsacien : imbrication des usages

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1

Les familles viennent y chercher de l’eau potable, les viticulteurs y lavent leurs instruments de travail et y stockent leurs tonneaux lorsque la place manque dans les caves. Elles deviennent ainsi un terrain d’animation majeure (figures 2 et 6). La maison viticole illustre la prospérité des exploitants à travers des façades singulières composées d’éléments architecturaux particuliers (tourelles, encorbellements, oriels...) et d’ornements de toute sorte (gravures, façade sculptée...) (figure 4) La normalisation de certains éléments tels que la couleur (dans les tons beige, ocres), la hauteur des étages (un soubassement et deux étages droits), l’usage des matériaux locaux (bois issu des forêts alentours pour les colombages, terre, paille, pierres de la Weiss…) ou encore la pente des toitures permettent d’assurer une cohérence d’ensemble qui éloigne l’idée d’une anarchie formelle (figure 5). On note toutefois le crépissement des maisons à colombage à la fin du XIXème siècle, jugées trop paysannes dans un contexte de révolution industrielle. Après plusieurs siècles d’adaptation et de tentatives de remaniement, le centre-bourg typique au XIXème siècle atteint ses limites. L’étroitesse des espaces publics et l’entrelacement des propriétés privées créent dès lors une situation d’ensemble encombrée et souvent insalubre (figures 1 et 3). Les possibilités de transformation intra-muros sont impossibles. La vigne, les prés et le florissement récent de l’industrie dans la vallée occupent tout l’espace disponible en dehors de la ville et limitent ainsi son extension. 2

Kaysersberg - rue du gal de Gaulle début XXème

3

Kaysersberg début XXème

4

Kaysersberg - rue du gal de Gaulle début XXème

5

Kaysersberg - rue de l’Église - 1930 6

Ammerschwihr Grand’rue - 1920

Ammerschwihr - fontaine de l’Homme sauvage - 1914

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1945 - 2015 : Double processus de modernisation des pratiques et de patrimonialisation accrue face aux destructions de la guerre

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De no u ve l l e s p r a ti q u e s , d e nouvelles formes parcellai res Si la guerre 14-18 n’a pas eu de réelle incidence sur le domaine de la vigne, la seconde guerre mondiale aura été beaucoup plus destructrice. 56% du vignoble de Sigolsheim est décimé, un chiffre qui s’élève à 40% à Kaysersberg, 37,5% à Ammerschwihr et 35% à Kientzheim. Les exploitants tentent de reconquérir un vignoble traumatisé et repartent sur des bases nouvelles. La priorité est donnée au déminage, au comblement des trous d’obus, et au remplacement des échalas, du palissage et des raidisseurs. C’est en ces temps de reconstruction que les méthodes employées se transforment progressivement, pour finalement se généraliser sur l’ensemble du territoire avec le processus de mécanisation engagé dès 1950.

aspect général d’un cep sur échala garni de ses feuilles - dépouillé de ses feuilles source : Étude des vignobles de France région Nord-Est - Jules Guyot

Jusqu’à présent, deux à trois ceps de vigne sont dressés sur de grands échalas en chêne ou en châtaignier de trois à trois mètres cinquante de haut. Le bois de ces échalas est cultivé sur les premières franges boisées qui effleurent le vignoble. Ces ceps présentent l’aspect d’un arbre taillé en quenouille lorsque les pampres sont assemblés. Le vignoble est alors identifiable à une forêt dense et désorganisée. Les différentes parcelles se juxtaposent et semblent composer une pièce d’un seul tenant. Si le viticulteur reconnait sans peine son morceau de terre, il est presque impossible pour le visiteur de discerner les différentes parties du puzzle.

Parcelles détruites - coteaux de Kientzheim - décembre 1944 Parcelles replantées, Parcelles Sigolsheim croissance en cours enfrichées

Parcelles détruites - coteaux de Kientzheim décembre 1944

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Avec la culture en quenouille, la densité à l’hectare demeure très élevée : pas loin de dis mille pieds, ce qui renforce une puissante impression de submersion.

Les vendanges dans le vignoble alsacien...

culture en quenouille, vers 1920

système palissé, vers 1980

Si cette pratique est encore quelque peu employée dans les premiers temps qui suivent la guerre, elle est rapidement remplacée par le palissage en fil de fer qui apparaît déjà dans certaines parcelles de plaine dès 1910. Les soins contre les maladies cryptogamiques est facilité, de même que le passage entre les rangs à la charrue et l’espacement entre les rangs permet une meilleure pénétration du soleil et ainsi, un meilleur développement de la végétation. Cette pratique demeure inenvisageable en 1922 comme l’indique André Lucius dans «le vignoble alsacien» en ces termes : «le rendement est plus élevé qu’avec la culture en quenouille. Mais ce développement se fait au détriment de la qualité et du bouquet. Le système ne convient qu’à la production des vins grossiers de la plaine. Il ne peut être appliqué aux vignobles à grands crus.» Toutefois, l’avènement de la mécanisation impose une rationnalisation de la structure viticole. La densité à l’hectare s’affaiblit nettement : elle n’est plus que de quatre mille pieds par hectares en moyenne. La solution en piquets et fils de fers est définitivement adoptée à partir des années soixante. 51


sol non labouré Échalas Sigolsheim

La Weiss Boeuf de trait

Prés

1920 : des méthodes culturales ancestrales

Piquets et fils de fer en plaine et sur les coteaux Sillons du tracteur Échalas sur piquets et Ammerschwihr les hauteurs fils de fer en plaine

1940 : juxtaposition de deux méthodes de cultures

Sigolsheim

Sol labouré Kientzheim

1998 : généralisation de la solution en piquets et fils de fer

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L a d i s p a r i ti o n d u c h e p t e l , des conséquences physiques sur le d o ma ine vit ic o le De la même façon, le labour se généralise après la seconde guerre mondiale. Jusqu’à présent, on préfère bêcher profondément le sol une fois dans l’année (puis deux fois superficiellement) afin de laisser pousser les mauvaises herbes qui servent de fourrage au bétail. L’apparition du tracteur bouleverse les habitudes : la production de foin n’est désormais plus utile, il s’agit désromais de retourner la terre pour empêcher la pousse des mauvaises herbes

avant la disparition du cheptel

après l’apparition du tracteur

La mécanisation entraîne inévitablement une baisse du cheptel présent dans la vallée depuis plusieurs siècles. À Kaysersberg par exemple, 150 bêtes se déplacent sur le territoire de la commune en 1945 quand celles-ci ne sont plus que 92 en 1954. Les dernières animaux sont finalement vendus au début des années 80. Les espaces de prés et de pâturages en plaine disparaissent à mesure que le cheptel s’abaisse, laissant place à de nouveaux territoires de conquête pour la vigne -désormais affranchie du travail des bêtes-. Sur les parcelles les plus à l’est, le caractère humide des terres interrompt net l’avancée de la vigne. L’arboriculture fruitière y trouve donc une place privilégiée à partir de la fin des années 50. Les familles qui se lancent dans cette nouvelle aventure sont des exploitants viticoles, qui cherchent à travers cette pratique complémentaire de nouvelles sources de revenus. Sigolsheim

1956

Sigolsheim

1972

prairies nouvelle avancée de la vigne vergers 53


Mise e n va l e u r c r o i ss a n t e d’un vignoble Kaysersberg

Avec l’apparition des premiers tracteurs arrive l’avènement des produits phytosanitaires à partir des années cinquante. C’est une révolution dans le vignoble : les vignes sont de plus en plus résistantes aux différentes maladies, le travail se veut plus efficace, moins contraignant et plus rapide. L’emploi de produits chimiques et l’automatisation des gestes n’entraîne non pas une perte de qualité dans l’esprit des exploitants, mais une véritable amélioration des crus. Le paradigme d’une vigne propre et bien entretenue s’installe durablement dans les moeurs, alors que quelques années auparavant régnait un désordre formel dans lequel chacun trouvait sa place.

Après la seconde guerre mondiale, la recherche de qualité et la valorisation des cépages reste plus que jamais à l’ordre du jour. De nombreuses campagnes de publicités et l’organisation d’événements célébrant la valeur des vins d’Alsace sont mis en place dans la région et dans la vallée (pique-nique du vigneron à la pentecôte, foire aux vins d’Ammerschwihr au mois de Mai...) En 1953 est créée la route des vins d’Alsace (plus ancienne route des vins de France), traversant les quatre communes le long des coteaux. Il ne s’agit donc pas seulement de mettre en avant les crus, mais aussi les paysages à l’origine de ces crus qui font la fierté des exploitants de la vallée. En 1962 est créée l’Appellation d’Origine Contrôlée Alsace. Quelques années plus tard, en 1975 apparaît l’Appellation Grands Crus. Sur le territoire de la Weiss, trois terroirs entrent dans l’aire d’appellation : Le Schlossberg entre Kientzheim et Kaysersberg, le Furstentum entre Kientzheim et Sigolsheim, puis le Mambourg à Sigolsheim.

Schlossberg Kientzheim ro u te d e

s vi n s

Furstentum

Kientzheim

ro u t e

des v

in s

Sigolsheim

ro u t e

des v

Sigolsheim

Mambourg

in s

Aires de répartition des différents grands crus 54


Les prescriptions indiquées dans les cahiers des charges de l’AOC Alsace et de l’AOC grands crus ne diffèrent pas grandement.

0,75m < x < 1,5m

min. 2m

min. 2,5m

0,75m < x < 1,5m

densité : min. 4500 pieds à l’hectare

AOC Grands Crus

densité : min. 4000pieds à l’hectare

AOC Alsace

La taille homologuée est la taille Guyot simple ou double.

section au sécateur sarment maintenu branche coupée

Les différences sont pourtant nettes sur le paysage. Si les vignes en bas de coteaux suivent désormais le sens de la pente afin de faciliter le travail mécanique, les vignes situées dans l’aire d’appellation Grands Crus situés en haut de coteaux conservent des rangs perpendiculaires en sens de la pente. Les murets en pierre séche constitués en bas de coteaux sont supprimés, au profit d’un réseau de murs en béton. Seuls les murets des hauts-coteaux sont conservés, et forment ainsi la clé de voute de l’ensemble, limitant l’érosion. Des travaux d’entretien réguliers sont menés de sorte à ce que celui-ci ne se dégrade pas. 55


Les coteaux sous appellation deviennent l’emblème d’un paysage viticole alsacien immuable en surplombant la route des vins d’Alsace. Une dizaine d’hectares sont gagnés sur les coteaux du Schlossberg au début des années 2000. Ces travaux sont entrepris à la force des bras et des jambes d’une petite dizaine de viticulteurs Kientzheimois, prêts à repousser les limites du domaine afin de profiter d’un terroir de grande qualité.

aire viticole gagnée sur le Schlossberg au début des années 2000

En plaine et en bas de coteaux, la culture de la vigne évolue peu à peu. On assiste à un changement de modèle cultural à partir de la fin des années 90. Progressivement, l’enherbement (qualifié d’enherbement naturel maîtrisé) d’un rang sur deux se répand dans tout le vignoble de la plaine.

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sur les hauteurs de Kientzheim : fin des années 80

enherbement naturel maîtrisé à Sigolsheim : 2015


Les idées des uns s’invitent chez les autres. Le premier viticulteur en agriculture biologique, puis biodynamique apparaît à Ammerschwihr en 1998. Considéré comme marginal à l’époque, il devient le précurseur d’une philosophie qui a su convaincre 17% viticulteurs dans la vallée en 2012. Ce chiffre est croissant. Il est important de noter que l’avènement du bio n’est pas spécifique à la vallée de la Weiss. Proportionnellement, le vignoble alsacien est devenu le premier vignoble en culture biologique de France, avec 14,2% du domaine certifié. Par ailleurs, on assiste également au retour du cheval de trait sur les dix dernières années chez certains exploitants. Il apparaît finalement que l’évolution vers un vignoble résolument moderne depuis 1950 se trouve largement ralentie depuis près de vingt ans au profit d’un retour aux pratiques ancestrales. La recherche d’une amélioration de la qualité reste toujours de mise. Pour ce faire, différentes expériences culturales sont menées et façonnent ainsi un vignoble à divers faciès mais toujours, d’une grande persistance.

vigne bio à Sigolsheim : 2015

labour au cheval sur les coteaux du Schlossberg en 2015

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Le t r a u m a t i s me d e l a g u erre : un champ de rui nes à re b â t ir

Les bombardements de la Libération de Décembre 1944 sont particulièrement destructeurs pour les communes d’Ammerschwihr et de Sigolsheim : 85% du village est détruit pour l’une, et l’intégralité du tissu bati pour l’autre. L’analyse du modèle de reconstruction d’Ammerschwihr apporte un éclairage quant aux aspects et aux orientations souhaités dans l’élaboration d’un nouveau village alsacien dans un contexte moderne. Déclarée commune sinistrée en avril 1945, Ammerschwihr fait l’objet d’importants travaux de reconstructions. Un village provisoire en bois est mis en place sur une dizaine d’hectares, abritant près de mille habitants. Gustave Stoskopf est nommé maître d’oeuvre. Dans son projet, le nouveau centre d’Ammerschwihr doit présenter des traits communs avec l’ancien. Il s’agit de conserver le caractère d’un village de vignoble alsacien, tout en l’adaptant aux problématiques actuelles et à venir. Stoskopf donne trois lignes directrices à son projet : le réseau des voies de communication, les nouveaux quartiers et les édifices publics. Les axes de communication importants encerclent la ville, permettant ainsi de ne pas créer de rupture dans le centre et de ne pas empiéter sur le domaine viticole. Dans la ville intra-muros, le tracé des voies reste sensiblement le même. La conservation du caractère pittoresque demeure une priorité à travers le maintien du tracé sinueux des chemins d’avant-guerre. Toutefois, Stoskopf -conscient des limites de l’urbanisme passé- propose un élargissement des axes, afin d’offrir aux viticulteurs la possibilité de moderniser leurs exploitations à leur guise et de faciliter leurs déplacements. Cette volonté va de paire avec la création de quartiers de compensation à l’extérieur de la vieille ville. Pour la première fois, des espaces de vigne sont supprimés au profit du logement. Ces quartiers s’installent au Nord et au Sud de la ville, permettant l’installation de petites habitations, d’exploitations moyennes et d’un groupe scolaire. À l’est, un espace ponctué de maisons individuelles d’avant-guerre est conservé. À l’intérieur des remparts, les habitations individuelles sont disposées en ordre continu. A l’extérieur, les habitations sont construites en ordre dispersé entourées de jardins et de vergers.

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La reconstruction vue par E.Noack

Les villages ne sont finalement pas reproduits à l’identique. Les architectes et urbanistes en charge de l’opération ont compris que ces bases nouvelles permettront de faire émerger des villages adaptés à leur époque et aux pratiques qui s’y déroulent. Le nouvel aménagement se situe donc à mi-chemin entre des situations urbaines d’antan et la modernisation des espaces. Plan de reconstruction prévu par Stoskopf - 1945

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Les p r e m i è r e s e x te n s i o n s urbai nes

Photographie aérienne - 1956

Photographie aérienne - 1972

Avant la seconde guerre, de rares objets bâtis disséminés en dehors de la ville affirment leur indépendance. On les retrouve sur la carte de 1956 : la scierie du Geisbourg, la scierie Mendele, le pensionnat du sacré coeur, le domaine du Weinbach ainsi que les premières extensions d’Ammerschwihr. Après la guerre, de nouveaux quartiers émergent ici et là. La tranche de construction la plus importante se situe à Kaysersberg, à proximité de la cartonnerie le long de la Départementale 415. Les habitations s’alignent suivant le schéma d’un village-rue. On aperçoit les quartiers de compensation au Nord et au Sud d’Ammerschwihr, imaginés par Stoskopf. En 1956, les villages provisoires d’Ammerschwihr et de Sigolsheim sont toujours présents. De rares maisons individuelles disséminées prennent également place le long de la route qui relie Kaysersberg à Kientzheim. On note également la naissance de timides extensions à l’est de Kientzheim et au sud de Sigolsheim. En 1972, les faubourgs de la commune de Kaysersberg continuent de se constituer à l’ouest et au sud de la ville au gré des opportunités foncières. Les villages de Kientzheim et de Sigolsheim développent de nouveaux quartiers à proximité directe du centre, constituant à l’époque les parcelles de prés. Il s’agit dès lors de conserver la même densité afin de les intégrer au noyau central.

précédentes extensions nouvelles extensions villages provisoires Photographie aérienne - 1991

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Les extensions engagées dès l’après-guerre se poursuivent, mais demeurent discrètes. Seul le fond de vallée de Kaysersberg est largement investi par l’habitat qui s’installe sur les reliquats d’une activité industrielle passée. L’ancienne scierie du Geisbourg est supprimée. Les lotissements contaminent tout l’espace disponible. La première tranche de leur développement s’interrompt au niveau des berges de la Weiss. À l’échelle des évolutions spatiales ayant eu lieu sur le territoire au cours des siècles, il s’agit d’un quartier sorti de terre de manière instantanée. Au coeur des habitations se développe le premier camping municipal de la ville, indice d’un premier essor touristique. Il apparaît d’après la carte postale suivante que ce tourisme ne correspond pas à un tourisme culturel dans un premier temps, mais à un tourisme de masse lié aux loisirs. En 1991, l’extension urbaine de Kaysersberg se poursuit au nord de la Weiss. Le tissu urbain investit finalement tout le fond de vallée. On note également la création de nouveaux espaces de loisirs et le report d’équipement publics : piscine, stade, écoles, gymnase...renforcant ainsi la mise sous cloche d’un centre ancien devenu progressivement la nouvelle carte-postale de Kaysersberg. On note à Kaysersberg un double mouvement : celui de l’évolution du tissu bâti à travers les extensions du fond de vallée et le développement des faubourgs au sud de la ville, et celui du recul de la vigne sur les coteaux, notamment sur les coteaux sud, moins exposés. en face : coteau du Bristel en 1930 en face : coteau du Bristel en 2008

faubourgs de Kaysersberg

Les dernières extensions ont lieu sur les anciens espaces de prairie le long de la Weiss, défavorables à la vigne. À l’est d’Ammerschwihr, un projet de lotissement sort de terre durant les années 80. de la même façon, un linéaire bâti cadre désormais la Départementale 18 au sud de Sigolsheim. Plus à l’est encore s’ouvre une nouvelle zone d’activités comprenant une distillerie, les points de vente des fruits et légumes produits au niveau de la Fecht, des hangars de stockage etc. Il apparaît sur les soixante dernières années que l’étalement urbain reste relativement maîtrisé dans chaque commune. Le facteur «vigne» constitue de tout temps l’entrave à cette expansion urbaine. Celle-ci se cantonne ainsi sur des terres inadaptes depuis toujours à l’accueil du domaine viticole.

carte postale - 1970 61


Phén o m è n e d e p a tr i m o n i a lisati on dans les centres- bou rg s Dans le courant d’une valorisation des paysages viticoles patrimoniaux, il semble évident que le centre-bourg -intimement lié depuis des siècles à la fonction viticole- soit inscrit dans ce même mouvement. Décrits précédemment comme des villages immuables dans lesquels toute tentative de modernisation se trouve fortement limité, les quatre communes de la vallée possèdent un morceau physique d’histoire riche (notamment en ce qui concerne les communes de Kaysersberg et de Kientzheim, épargnées par les destructions des combats de la Libération de 1944). De nombreuses opérations pour renforcer le caractère pittoresque des lieux sont mises en place. Il s’agit ici de citer quelques exemples majeurs et révélateurs d’une volonté commune de patrimonialisation des lieux sur les trente dernières années, permettant d’identifier ses enjeux. Les colombages crépis de la fin du XIXème siècle sont à nouveau mis à nus et révèlent ainsi les différentes périodes de constructions (structure en bois long représentant le MoyenÂge, structure en bois court représentant la Renaissance puis apparition des poutres moulurées au XVIIIème siècle). À partir des années 70, les pouvoirs publics mettent en place une campagne de sensibilisation quant à l’importance du maintien du patrimoine alsacien : la brochure « N’abîmons pas l’Alsace » est publiée. « L’institut Qualité Alsace » de même que « L’institut des Arts et Traditions populaires d’Alsace » sont crées. Enfin, l’ASMA (Association de sauvegarde de la maison alsacienne) est créée en 1972 dans le Bas-Rhin et se charge de sensibiliser et d’attirer l’attention des locaux et des pouvoirs publics sur l’intérêt de conserver « un patrimoine immobilier et architectural inestimable » à l’origine « de l’aspect et du charme de nos bourgades, qui font la notoriété de notre province et lui confèrent son grand attrait touristique ». Au-delà d’une volonté de mise en avant matérielle de la fierté des locaux de cette remarquable conservation du patrimoine au fil des siècles, il s’agit également de tirer parti de cette identité physique afin d’en dégager un bénéfice économique certain à travers l’activité touristique. À partir des années 70, certaines associations locales ainsi que de jeunes architectes soucieux de remettre au goût du jour l’esprit vernaculaire des lieux lancent une grande campagne de promotion en faveur d’une polychromie des façades alsaciennes.

Maison d’habitation, 11 place du lieutenant Dutilh à Kientzheim

En 1910...

...En 2004

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À l’époque, la couleur était peu employée sur les crépis. Elles étaient souvent fonction du revenu de l’habitant et se trouvaient dans des gammes bleues ou rouges. Cependant, la plupart des maisons de l’époque conservaient la couleur blanche-crème des crépis, assurant ainsi une harmonie d’ensemble. Depuis trente ans maintenant, les maisons alsaciennes traditionnelles disposées les unes à côté des autres se fardent de couleurs saturées et opposées. Ce nouveau mode d’emploi de la conservation du bâti alsacien trompe le spectateur -et même les plus jeunes habitants de la valléeassurant l’idée selon laquelle la colorisation des façades en Alsace est un procédé ancien. Il a été soulevé précédemment que l’harmonie des tons crèmes employés à l’époque représentait un élément essentiel pour assurer une cohérence d’ensemble. Ce nouveau procédé renforce ainsi la diversité des objets bâtis et accentue un certain sentiment de confusion.

Kaysersberg, rue du général de Gaulle - début XXème à aujourd’hui

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Au-delà du logement alsacien, les éléments patrimoniaux d’antan font l’objet d’importantes restaurations à partir des années 80. Deux exemples révélateurs peuvent être cités ici : L’exemple de la réfection du lavoir de la rue des Bains à Kientzheim et le pavage des rues de Kientzheim. Le long du canal des moulins à Kientzheim, trois lavoirs publics sont construits en 1863 et représentent alors un progrès social considérable. Ils sont également un lieu d’échanges et de rencontres entre ménagères du village. À partir de 1930, les eaux du canal deviennent de plus en plus pollués en raison de l’activité industrielle de la cartonnerie dans le haut de la vallée. Les premières machines à laver font leur apparition dans le village à la fin des années 40, laissant progressivement les lavoirs à l’abandon. Ceux-ci s’enfrichent petit à petit et deviennent le reliquat d’un mode de vie passée. Deux lavoirs sont alors détruits. Le lavoir de la rue des bains, envahi par les plantes grimpantes est finalement nettoyé dans un premier temps par une équipe de bénévoles en 1988. Toutefois, Les dégradations sont trop importantes pour être réparées par cette même équipe. Les bûcherons de la commune entreprennent les travaux : réfection du pavage, pierres de lavage remises en place, pièces de charpentes remplacées, couverture remplacée par des tuiles plates de récupération. Le bâtiment reprend ses forme et ses dimensions initiales au début des années 90, laissant apparaître désormais le vestige passé de pratiques villageoises ancestrales.

Réfection du lavoir - 1991

2010

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Depuis le Moyen-Âge, les rues de la ville sont intégralement pavées. Dans la rue principale deux rigoles d’eaux s’allongent sur une longueur de 550mètres. Leurs eaux sont utilisées pour éteindre les premières flammes en cas d’incendie, hydrater les bêtes au retour des vignes, laver le linge, la vaisselle ou les outils du vigneron mais aussi pour assurer fraicheur et propreté dans la ville. Suite aux vicissitudes de la guerre, le pavage se trouve en mauvais état, les rues sont macadamisées comme partout ailleurs dans les années 50. C’est au début des années 2000 que le maire de la ville oeuvre pour un projet de réfection du pavage. En 2002, la première tranche des travaux est effectuée. Le projet prend fin en 2007, avec l’installation de 550 000 pavés de porphyre du Trentin et la remise en place des rigoles de l’époque, accentuant le caractère médiéval de la cité.

Place Schwendi, ancien pavage - 1930

Place du Lieutenant Dutilh, installation du nouveau pavage - 2002

Place Schwendi, nouveau pavage - 2015

D’autres exemples peuvent être cités dans le même courant : développement d’un art de l’enseigne en fer forgé, mise sous cloche des vestiges historiques ayant échappé aux bombardements, restauration des châteaux, églises et fortifications (…). Il apparait finalement à travers ces quelques exemples que la modernisation des années soixante a trouvé sa place dans les villages alsaciens : les routes sont goudronnées, les lieux abritant les pratiques anciennes sont laissées à l’abandon. C’est à partir des années quatre-vingt qu’une crainte commune de la disparition de l’héritage physique du passé est apparue. Cette volonté de mise en valeur correspond également à la naissance d’un important tourisme culturel dans la vallée qui encourage donc pleinement à la restauration et à l’entretien de ces espaces. Retauration d’anciens pavillons de viticulteurs dans le vignoble

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III. U NE VA L L É E E N DE VENI R, U NE ÉVOLUTI ON DES FORMES PAY S A G È RES A C T U E L LES POS S I BLE?

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État des lieux sur les paysages de la Weiss identification des dynamiques et des enjeux L’analyse fine des formes paysagères et des processus passés permet de comprendre la fragmentation actuelle du territoire et les dynamiques en place. La vigne constitue depuis toujours le motif récurrent sur le territoire. La viticulture demeure l’activité économique dominante, (quel que soit le contexte économique, social ou politique) et fabrique ainsi sur le piémont une structure viticole et une structure bâtie en lien avec l’activité viticole d’une remarquable stabilité. Si les pratiques se sont modernisées après la guerre, que la vigne se déporte en plaine, que les villages engagent un processus d’extension urbaine et que les centres-bourgs gomment certaines traces du passé dans un premier temps (suppression des pavés, enfrichement des lavoirs...), une prise de conscience collective a lieu dans les années quatre-vingt. La préservation physique d’une culture alsacienne marquée est imprimée depuis toujours sur le territoire du piémont. Les formes paysagères deviennent un outil d’identification culturelle qu’il convient dès lors de mettre en scène. Cette richesse patrimoniale renforce la fierté locale et devient un lever d’action économique majeur à travers le tourisme. Le domaine viticole et les centres-bourgs se sanctuarisent et répondent essentiellement à une offre touristique qui écarte les besoins d’une population locale. Ces besoins sont alors déportés sur des espaces de moindre importance et sur lesquels de plus grandes mutations ont été opérés au cours du temps (naissance de l’industrie, développement urbain plus ordinaire, passage de la prairie à la vigne et à l’arboriculture) : le territoire est ainsi fragmenté.

Kaysersberg

Kientzheim Sigolsheim La Weiss

Ammerschwihr

Avancée du front viticole

La Fecht

Carte des dynamiques après la lecture du paysage partie 1. Pressions urbaines Extensions urbaines contrôlées Pôles de développement au service de l’économie touristique Pôles de développement au service de l’économie locale : industries, viticulture, vergers Mise en valeur du patrimoine ancien Enfrichement partiel Développement croissant de l’agriculture biologique

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Il s’agit ici de mener une réflexion plus large quant à l’avenir de ce territoire. Jusqu’à présent, les mutations au cours du temps se sont opérées lentement. Les changements les plus significatifs ont eu lieu après la seconde guerre mondiale et ont donné lieu à un double processus : celui d’une modernisation des formes paysagères, et celui, plus récent, d’une patrimonialisation concentrée sur les structures du piémont. Trois scénarios peuvent être envisagés : 1 encourager une patrimonialisation des espaces annexes 2 isoler le piémont du reste du territoire et concentrer l’attention autour de cette seule unité 3 estomper le caractère identitaire du piémont au profit d’une standardisation des espaces Depuis les années 80, le processus de mise en valeur patrimoniale des vestiges physiques du passé est mené. Il semblerait d’après les actions initiées sur le territoire - qui visent une scénographie d’un temps révolu - et le succès de ces opérations tant auprès des locaux que des visiteurs, que la marche engagée soit poursuivie à l’avenir, au-delà des structures même du piémont. La structure intercommunale de la vallée de Kaysersberg (qui s’étend au-delà des limites du site étudié), les structures de conseil et l’ensemble des documents de planification mis en place sur le territoire (PNR du Ballon des Vosges, SCOT Montagne Vignoble Ried, GERPLAN, PLUi en cours...) visent une harmonisation quant à la question patrimoniale et souhaitent gommer les fractures qui divisent aujourd’hui la vallée.

1

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Vers l’af firmation de l’identité culturelle alsacienne à l’échelle de la vallée main t e n i r un p a y s a g e i d e nti taire dans les centres- bou rgs t o u t en fa vo risant leur rev i t a l i s a t i o n

La conservation du patrimoine reste prioritaire. Les traditions alsaciennes sont ancrées dans le paysage à travers l’abondance d’éléments identitaires identifiables dans le paysage urbain au gré des saisons (enseignes en fer forgé, géraniums aux fenêtres à l’arrivée des beaux jours, décoration des façades à Pâques ou à Noël...). De nombreux événements fédérateurs cristallisent l’enthousiasme de la population locale et génèrent une activité touristique non négligeable (marchés de Noël de Kaysersberg, fêtes gastronomiques, visites guidées, promenades thématiques...). Du détail signifiant, à l’aménagement plus global des lieux (restauration des enceintes, édifices religieux, châteaux...), le paysage bâti, support d’une forte attractivité, concentre depuis de nombreuses années l’attention des acteurs (à la fois politiques et locaux). La modification de l’aspect des formes existantes ou la création d’un édifice «susceptible de créer une rupture d’échelle avec l’environnement urbain ou un point d’appel visuel de nature à concurrencer les bâtiments les plus remarquables» (P.L.U. de Kaysersberg) sont proscrits. Toute modification et tout permis de construire doit être soumis à l’avis conforme de l’Architecte des Bâtiments de France du Haut-Rhin qui possède un carnet de prescriptions particulières portant sur les bâtiments, la pente des toitures, les clotures, le traitement des façades et l’aspect des matériaux dans l’esprit des lieux. Un discours est toutefois tenu par l’intercommunalité dans le sens d’une adaptation du bâti ancien aux dispositifs d’énergie renouvelable et de performance énergétique. Si la population et certaines associations (telles que l’Association de Sauvegarde de la Maison Alsacienne) montrent un engouement certain à la restauration «en l’état» des propriétés alsaciennes, elles déplorent toutefois le manque de subventions quant à leur réalisation. La densification des centres urbains est aujourd’hui très limitée. Seule l’occupation des logements vacants permet d’offrir des réponses à la demande démographique. 69


Kaysersberg, en tant que centre-bourg du SCOT Montagne, Vignoble et Ried possède une certaine offre en commerces de proximité et en équipements dans son enceinte (bien que celle-ci soit de moindre importance face à l’offre commerciale visant le touriste). Les villages d’Ammerschwihr, de Kientzheim et de Sigolsheim en revanche ne laissent place qu’à un linéaire de caves ouvertes de viticulteurs devant lesquels les pas des touristes raisonnent sur le pavé, formant ainsi des musées à ciel ouvert. La revitalisation de ces villages passe par une réimplantation du commerce en leur sein (qui favoriserait également la production locale de fruits et légumes que l’on retrouve aux abords de la Fecht ou de viandes et produits laitiers produits sur les hauteurs vosgiennes), afin de garantir de multiples centralités au service de la population à l’échelle de la vallée.

Dens i f i e r l e s e x te n s i o n s urbai nes exi stantes en réaffirmant u n caract ère ré g ional iden t i t a i r e En 2030, le S.C.O.T. Montagne Vignoble Ried prévoit une moyenne de vingt-cinq logements à l’hectares dans les quartiers d’extension, et trente-cinq dans les centres. Pour répondre à cette demande, différentes opérations sont prévues. Les limites de l’urbanisation actuelles tendent à être maintenues. Les extensions permises se font à une échelle réduite, et ne peuvent en aucun cas entrer en concurrence avec le domaine viticole des coteaux de Kientzheim, Sigolsheim et Ammerschwihr. On vise davantage une économie de l’espace. Il s’agit surtout ici de s’appuyer sur les pôles d’étalement déjà existants en occupant les espaces interstitiels, afin de densifier l’ensemble en diversifiant l’offre locative (développement du parc collectif, logements moins grands...). Cette densification, assure également une compacité de l’ensemble dans la continuité du centre-bourg à proximité. Le COS est ainsi supprimé dans ces espaces. Pour accentuer l’effet, les documents d’urbanisme recommandent une rupture nette et franche avec les espaces agricoles alentours à travers la mise en place de chemins de ronde, de lisières végétales, de limites séparatives qui assureront une «sauvegarde des séquences rurales entre agglomérations maintenant l’identité des communes» (S.C.O.T. Montagne Vignoble Ried). Pensés comme «création d’une nouvelle interface entre l’espace bati et l’espace naturel», les extensions urbaines possèdent un enjeu nouveau. Un regard particulier est désormais porté sur les franges urbaines (en contact avec l’espace agricole) qui représentent dès lors «la vitrine» du coeur de ville. Plusieurs possibilités sont apportées pour désenclaver ces espaces. Les réflexions vont dans le sens d’une réorganisation des transports urbains pour faciliter les déplacements vers les centres ou dans la création de nouvelles centralités autour de commerces et d’espaces publics fédérateurs à l’intérieur même de ces nouveaux quartiers. Une importance toute particulière est donnée au réseau viaire de ces extensions. Les politiques publiques cherchent à conforter le caractère de «rue» vivante et animée dans les extensions récentes. Pour ce faire, une continuité avec la trame urbaine ancienne peut etre envisagée dans des espaces où le mitage a lieu de manière moins organisée actuellement (Ammerschwihr, Sigolsheim). Il convient néanmoins de ne pas reproduire les erreurs du passé (situations trop encombrées, peu aérées) et de prendre en compte les besoins et dynamiques actuels. 70


Par ailleurs, on tend à généraliser le caractère alsacien dans les constructions à venir et éviter la banalisation de ces espaces. Il s’agit de «fixer un véritable cadre d’unité paysagère (architecture, tonalité, enseignes, clôtures, végétalisation...) aux sites pour rompre avec une juxtaposition hétérogène en décalage avec la qualité patrimoniale générale du territoire» (S.C.O.T. Montagne Vignoble Ried). Le syndicat mixte Montagne Vignoble Ried, en partenariat avec les institutions spécialisées (PNRBV, CAUE, ADAUHR, ABF, Ordre des architectes...) et l’intercommunalité envisagent, la production d’un «guide local de la création architecturale» qui entre en «résonance avec le bâti traditionnel et les sites» et d’un conseil local de la création architecturale (sensibilisation, communication, conseil aux particuliers...). Si les prescriptions demeurent floues et ne donnent pas d’indications matérielles, il demeure évident que la création d’un pastiche de la maison alsacienne n’est adapté ni aux nouvelles typologies d’habitat, ni aux nouveaux usages de l’espace public, ni à la population actuelle. Le défi consiste donc à produire une architecture de qualité, reprennant des caractères patrimoniaux tout en répondant à la demande et en respectant la valeur du territoire. Il s’agit de fabriquer la maison alsacienne typique du XXIème siècle. La généralisation de la colorisation des façades -devenu nouvel outil d’identification culturel- depuis une dizaine d’années dans les espaces bâtis les plus récents correspond-elle à cette «continuité d’esprit entre architecture traditionnelle et création contemporaine» (S.C.O.T. Montagne Vignoble Ried) ?

maisons de vacances du fond de vallée de Kaysersberg

Évolu t i o n d es p r a ti q u e s e n vigne : un retour aux formes d u passé e t attra c t i vi t é to u r i s ti q u e L’entretien du vignoble demeure prioritaire depuis toujours dans la vallée. Bien que les changements de paradigmes opérés soient nombreux au cours du temps, ils ne sont pour la plupart que lisibles dans le détail. Depuis plus de dix ans maintenant, la tendance du tout chimique en réponse aux problèmes rencontrés dans la vigne s’inverse. Le domaine viticole devient le terrain d’une nouvelle biodiversité (retour d’une vie microbienne, d’insectes, d’une diversité végétale...) qui produit un paysage désormais sonore et olfactif. Mais le retour du cheval de trait sur le territoire par exemple va t-il se généraliser ? Peut-on s’attendre à la réintroduction d’espaces enherbés en plaine et donc à une mutation clairement identifiable des usages sur ce territoire ?

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Les nouvelles méthodes employées, indéniablement issues d’une philosophie réinterrogeant la place de l’homme dans son univers, n’en demeurent pas moins un puissant levier d’action économique. Si l’on peut lire sur nombre de sites internet d’exploitants de la vallée «Le vigneron n’est que locataire de ces terres», ces espaces restent quoiqu’il en soit le support d’une empreinte culturelle forte depuis les récits du Moyen-Âge. La récente valorisation de la culture biologique dans la vallée de la Weiss devient ainsi un nouvel outil identitaire sur les terres agraires, valorisé à travers des opérations de sensibilisation et différents événements de promotion dans la vallée. Par ailleurs, les éléments identitaires d’antan sont progressivement réintroduits dans le paysage viticole des coteaux et de la plaine. On assiste notamment au développement d’une structure d’arbres remarquables (noyers, pêchers...) que l’on retrouvait sur les vignobles d’antan et qui transgressent les lois de la monoculture des années soixante-dix. De même, la conservation et l’entretien des calvaires ou des pavillons de plaisance des viticulteurs occupe une place importante auprès des acteurs locaux et politiques. La création de nouveaux murêts en pierre sèche en remplacement des murêts en béton construits dans les années soixante se trouve aujourd’hui subventionnée. Ces actions, couplées à des opérations évenementielles fabriquent un vignoble d’une grande attractivité. Largement investi par le grand public, le paysage du vignoble n’est plus seulement un paysage utilitaire : il devient paysage humain.

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Scénario tendanciel : vers une patrimonialis ation à l’échelle de la vallée Kaysersberg

densification des quartiers récents mise en valeur patrimoniale développement d’un tourisme de loisir entrées de villes à valoriser Kientzheim

franges urbaines à fort enjeu paysager coupures rurales à maintenir

Sigolsheim

points de vue à aménager mise en valeur patrimoniale et environnementale du vignoble

Ammerschwihr dynamisation des vergers à l’échelle de la vallée (favoriser le commerce local)

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Conclusion

Maintien, permanence, persistance, conservation, sauvegarde...autant de synonymes avec lesquels j’ai tenté de jongler tout le long de ce développement. L’attention portée aujourd’hui sur les qualités patrimoniales du piémont trouve son origine dans une volonté d’affirmation physique et matérielle du caractère identitaire des lieux pour permettre son rayonnement. Il s’agit de refléter à travers le territoire une histoire riche et tumultueuse durant laquelle la population locale a su faire face et conserver ses fondements culturels. Aujourd’hui encore, les habitants entretiennent un rapport affectif avec leur paysage et s’investissent pleinement - chacun à sa propre échelle - à l’aménagement de ce territoire singulier. La valeur accordée à ces paysages est sans limite. C’est ainsi que l’on peut identifier à l’entrée de la ville de Kaysersberg une bannière indiquant l’entrée de la «plus belle ville du monde». De même, on peut lire dans le P.L.U de cette même ville que « Les équipements et services en place, la qualité des relations sociales et humaines, le dynamisme associatif et économique associés à un patrimoine naturel et urbain exceptionnel constituent autant d’éléments qui fondent une véritable plénitude territoriale. Vivre à KAYSERSBERG a un sens et donne un sens à sa vie (…). ». Si la volonté d’expression d’une fierté locale à travers le paysage permet de maintenir sainement l’esprit et la typicité des lieux, l’idolâtrie absolue des formes régionales ferme toute porte à l’échange et au partage de cultures et de connaissances étrangères qui permettent une remise en question L’histoire de la vallée nous montre de micro-évolutions paysagères au cours du temps, l’identification de mutations futures majeures semble hors-propos. Le défi consiste aujourd’hui à conserver les caractères particuliers du lieu et à les réinterpréter dans de nouvelles formes urbaines et paysagères qui traduisent le temps présent. L’élaboration d’un scénario utopique ne peut se poser sur un territoire dans lequel le temps semble suspendu. Toutefois il est important de rappeler que le territoire quel qu’il soit, s’inscrit dans un contexte social, économique et politique qui peut conduire à des évolutions rapides que les acteurs locaux ne maîtriseront pas toujours.

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Do ss i er s i nfor mat i q u e s

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Lucius André. Le vignoble alsacien. In: Annales de Géographie. 1922, t. 31, n°171. pp. 205-214. Tricart Jean, Dirrig , Dugrand . Le vignoble alsacien. In: L’information géographique. Volume 13 n°1, 1949. pp. 21-27. Cahier des charges de l’Appellation d’Origine Contrôlée «Alsace» ou «Vin d’Alsace» Cahier des charges des cinquante et une Appellations d’Origines Contrôlées «Alsace Grands crus»

Ouvr a g e s e t p u b l i ca ti o n s rel atifs aux enjeux paysagers Do ss i er s i nfor mat i q u e s

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Plan Local d’Urbanisme de Kaysersberg, 2013 Schéma de Cohérence Territoriale Montagne Vignoble Ried, 2011 Charte du Parc Naturel Région Ballon des Vosges, 2012-2024 Gerplan du territoire de vie Piémont Val d’Argent Pays Welche, 2013

Illust r a t i o ns -

Illustrations personnelles et familiales Photographies aériennes : Géoportail 4 sociétés d’histoire de la vallée de la Weiss, annuaire 2005 L’oeil de la vallée - la vallée de Kaysersberg photographiée par deux générations, Kuster, 2007

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