Form Follows Process
Camille Dunaigre
dans ce petit bout de muscle que l’on appelle Mémoire, BIENVENUE
extrait papier de mes réflexions d’origines encéphaliques ; j’ai cherché ici à vous donner un aperçu de ma pensée FOISONNANTE Il y a beaucoup. Trop peut être, fort heureusement tout cela est à partager. J’ai essayé de rendre le tout le plus appétissant possible, pour vous inviter à y entrer avec gourmandise et curiosité ENTHOUSIASTE Je le suis beaucoup ! J’ai voulu transposer dans ce mémoire un peu de cet élan créateur qui me porte et me transporte – parfois me téléporte, mais ça c’est une autre histoire À RACONTER C’est ce que j’ai cherché à faire, relater mon voyage de la création, sur les chemin des méthodologie de travail : les processus CRÉATIFS Car c’est tout de même ce que l’on cherche à être : des designers qui souhaitent donner corps à leur vision du monde COMPLEXE Mais pas compliqué, car ce sont les formes simples qui permettent de construire le mieux. J’ai donc essayé de rendre le tout le plus clair possible, sans le rendre transparent ; j’ai souhaité conserver cette part de mystère et de flou qui font les meilleurs catalyseurs de l’imagination ACTIVE C’est ce qui définit tout ce que je défend, une dynamique en mouvement, présente à tous les temps de la production, de la réflexion à la réception DE MON TRAVAIL Nous allons parler! Par ce petit exergue, brièvement, je me suis présentée, mais là n’est pas le plus intéressant, vous pouvez maintenant alors commencer à entrer dans ce livre, qui, de mémoire, rend compte des miennes assez justement.
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Form Follows Cette expression Process engage ma démarche de designer. J’ai une pensée des systèmes qui me pousse à in-
terroger les processus avant les formes. Et je dirais même plus, à penser les formes du processus : je cherche à rendre compte, à travers mes productions, de la matérialité du processus et de son pouvoir matriciel. Partant d’une analyse de mes manières (de penser, de faire et d’échanger), j’ai cherché à mettre au jour des méthodologies de travail propres au sytème de la création. Je suis attachée à celle-ci, mais j’interroge aussi ce qu’il y au delà. Au delà, c’est en amont et en aval. Avant et après la création. Peut-on créer l’avant-création ? Et l’après-création? Comment rendre compte de ces temps de préparation et de réception, parts intégrantes de la création ?
Penser le processus, c’est penser la forme avant la forme.
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Je me suis donc intéressée aux trois temps de la création, cherchant à les matérialiser par des espaces composés de mes productions ; des espaces pour prendre le temps et où prendre le temps. Ce sont des lieux pour les temps différent de la création : En amont de celle-ci : l’abri à penser, espace de la réflexion et de la rêverie active, sans obligation de production ; c’est l’espace du temps pour soi, pour se nourrir et se construire. Le temps même de la création : l’atelier à créer, le lieu de la production, foisonnant et abondant. C’est le lieu pour le temps de la création, qui comprend : l’installation de l’espace de travail, le temps de la réflexion active (une production de la pensée sous la forme d’écriture dessinée) et le temps de l’exploration créative à travers des expérimentations de la forme. Le temps après la création : l’aire de la relation, le lieu de l’échange et de l’interaction, le temps de la pensée en lien, de la collaboration et la réception du travail, inscrit dans la relation. On peut passer de l’un à l’autre de ces espaces-temps particuliers en une seconde comme en plusieurs mois. Prendre le temps, c’est prendre son temps. Les espaces que je crée sont comme des extensions de moi-même, des éléments organiques spatialisés. Lorsque je réalise des formes, du vêtement à l’objet, je crée en réalité des jalons, des repères symboliques avec lesquels je situe mes espaces-temps. Ceux-ci ne sont donc pas des constructions à proprement parler, ils ne sont pas cloisonnés. Ces espaces s’apparentent plus à des atmosphères, induites par mes productions et par mes manières de faire ; des ambiances particulières qui invitent à prendre le temps de penser, de créer et d’échanger. Je cherche à créer des lieux comme des boites de Petri : favorables à la naissance toujours de nouvelles formes, des espaces riches de l’avenir.
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L’ABRI À PENSER L’ESPACE DU TEMPS POUR SOI Un abri à penser : première recherche de forme ............. 21 Matières familières ........................................................... 22 Précarité nécessaire ..........................................................23 LE TEMPS POUR SOI Pour se nourrir ...................................................................27 Pour avoir accès à ses réserves ........................................ 53 Pour digérer ! .................................................................... 57 LA RÊVERIE ACTIVE La rêverie active de Bachelard ......................................... 61 Les productions de la rêverie ........................................... 63 Le terreau riche de la rêverie ............................................ 77
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L’ATELIER À CRÉER L’INSTALLATION Délimiter la zone de travail ...............................................85 Placer les repères ............................................................. 91 Encadrer la production .....................................................97 LA REFLEXION ACTIVE Les images de pensées .................................................... 107 Prise de notes ....................................................................109 Pensée schématique ........................................................ 111 Cartes heuristiques .........................................................127 L’EXPLORATION CRÉATIVE « Form Follows Process » ...................................................143 Manipulation : éprouver la matière .................................. 147 Les manières de la matière ...............................................155
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L’AIRE DE LA RELATION LA COLLABORATION La pensée des liens du groupe ...................................... 169 Quand l’aire de la relation est l’atelier de production ......................................................................173 L’ ÈRE DE LA RELATION Esthétique relationnelle ..................................................201 L’échange et le dialogue, catalyseurs de la réflexion ........ 203 Faiseuse de liens ............................................................ 205 ESTHÉTIQUE DE LA RÉCEPTION Se donner à lire .............................................................. 225 Invitation à la manipulation .............................................227 Matière à scénographier ................................................ 231 Ce qui se relate ...............................................................239
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L’ABRI À PENSER L’ESPACE DU TEMPS POUR SOI
Un abri à penser : première recherche de forme Matières familières Précarité nécessaire
LE TEMPS POUR SOI
Pour se nourrir Pour avoir accès à ses réserves Pour digérer !
LA RÊVERIE ACTIVE
La rêverie active de Bachelard Les productions de la rêverie Le terreau riche de la rêverie
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L’ESPACE DU TEMPS POUR SOI L’espace pour penser n’est pas défini par des coordonnées géographiques, mais par sa nature. Il est fondamentalement accueillant et invite au lâcher-prise du corps pour une meilleure liberté de l’esprit. L’abri à penser est un espace qui comprend, qui englobe le corps. Il est à l’image d’un corps amplifié, dans lequel on serait compris. Ses formes, visibles et palpables, témoignent d’une intériorité : c’est un espace organique. Dans l’espace à penser, tout est orienté vers et pour soi : non pas pour posséder, mais pour construire. C’est un espace pour le temps de la construction de soi, de l’élaboration de l’espace intérieur. Les productions qui créent et habitent l’espace à penser sont issues de celui-ci, mais sont réalisées dans un autre temps : celui de la réalisation. L’espace du temps pour soi est celui de l’activité rêveuse, sans signe apparent de construction tangible.
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Ernesto Neto, HumanoĂŻdes, 2001 20
Un abri à penser: première recherche de forme Ce qui est visé ici, c’est l’état de conscience, la disposition du corps et de l’esprit qui permet l’émergence d’une pensée active. Mais pour accéder à cet espace personnel de la pensée active, il faut se mettre en condition, se contenir, s’envelopper, se comprendre pour mieux penser. Mes premières recherches ont donc été orientées vers la création d’un abri pour le corps, qui permettrait ainsi de mieux déployer la pensée. Mais avec quoi créer l’abri ? Si tout le dispositif est dirigé vers l’intérieur, le matériau le plus proche, en contact direct avec le corps, est l’habit. J’entretiens avec l’habit une relation de confiance absolue, une des relations les plus intimes que je puisse avoir avec des éléments du monde extérieur. J’ai donc interrogé les manières de matérialiser l’abri à partir de l’habit, créant donc des Habits-Abris. Par l’accumulation de vêtements, la forme autour du corps gagne en épaisseur, et, par là-même, en espace. Le vêtement se spatialise, d’habit, en couche mince, il devient espace habité. Ernesto Neto, Humanoïdes, 2001. Le travail d’Ernesto Neto est profondément organique. Il place le corps humain – et par cela, l’humain – au centre de ses installations et de ses préoccupations. Il crée des atmosphères puissamment accueillantes par les formes et les matières qu’il emploie. Dans son ensemble de travaux intitulée Humanoïdes, Ernesto Neto propose une oeuvre qui s’essaie, qui fait appel aux sens et au plaisir de la découverte physique. Ce sont des sculptures que l’on revêt. Ces structures souples sont donc des espace que l’on habite comme on s’habille. Neto matérialise ainsi un espace autour du corps, un espace plein dans lequel le corps est compris.
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Les Habits-Abris retrouvent ces silhouettes pleines qui habitent l’espace en des volumes qui comprennent le corps. Mais ces espace, à la différence des Humanoïdes de Neto, sont créés par strates, par enveloppes accumulées. L’habit est créé à même le corps. Le corps est la matrice de l’abri et devient donc la condition sine qua non de son existence. Cela appuie et met en avant la spécificité de l’abri à penser : il est profondément personnel, puisqu’il est fait par et sur le corps de celui qui le fait. L’abri à penser est un espace qui prend forme à partir de soi, littéralement et spatialement.
Matières familières Les éléments constitutifs de l’abri à penser sont intrinsèquement liés à une histoire personnelle : j’ai une relation particulière aux éléments qui la compose. Les vêtements utilisés pour la constitution de l’abri du corps, sont issus d’un vestiaire personnel, créé précédemment, que je connais donc ; des habits dont j’ai l’habitude. Ils renvoient à un espace familier, connu, que je sais être accueillant. Les matières renvoient, elles aussi, à ce caractère amène : douces, laineuses et duveteuses, ce sont des matières à poils, qui rappellent l’animal, les toisons des premiers habits. Les couleurs sont celles des carnations originelles des matières ; des tons paisibles de beige et blanc. Mais on voit aussi apparaître le jaune solaire qui apporte la lumière, alors que les autres couleurs se contentent de la prendre. En trait, il surligne ; en tâche, il rayonne. Une éclaboussure d’or qui dynamise, il est et représente l’incident fécond. A l’image du jaune solaire rayonnant, les formes indiquent toutes la possibilité du déploiement. La souplesse est un caractère propre de l’abri à penser. Mailles nouées entre elles, qui s’étendent pour mieux contenir ; surfaces qui se contorsionnent pour mieux s’agrandir ; jupe à plis soleil qui s’ouvre en rayons lumineux.
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Précarité nécessaire L’abri est précaire. La silhouette est composée, construite par assemblage et doit sa stabilité aux liens fragiles qui se nouent autour d’elle. Le caractère précaire de ces constructions souples est lié au fait qu’elles prennent forme à même le corps et sont donc à son image : mobiles et mouvantes. En outre, l’abri pour penser est une étape dans le temps de la réflexion, il faut donc pouvoir à tout moment s’en séparer pour passer à la suivante…
Sortie du bâti, 2015
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LE TEMPS POUR SOI Ces abris à penser sont des espaces pour prendre du temps pour soi. Mais qu’est-ce que le temps pour soi ? C’est un temps hors de la vie sociale, tourné vers soi et dédié à la création de l’espace personnel. C’est un temps d’enrichissement et de constitution de soi, sans obligation de production. Il s’oppose à la cadence folle des impératifs de production et de consommation de la société actuelle et se place, non pas en dehors du temps, mais dans une autre temporalité – un temps en marge – qui dispose de ses propres valeurs de mesure : celles de la réalisation personnelle. Prendre du temps pour soi, c’est donc déjà prendre le temps de se nourrir pour s’enrichir.
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Pour se nourrir Le temps pour soi c’est donc le temps pris pour se nourrir, pour engranger ; c’est le temps de l’ingestion. La nature des nourritures varie selon chacun, pour moi, ce sont les nourritures intellectuelles mais aussi sensibles qui priment : la lecture, les nourritures tactiles et les images.
La lecture comme première nourriture Dans l’ordre des plaisir gustatifs, la lecture est ma première nourriture. Complète et riche, toutes ses parties seront réemployées, assimilées, métabolisées. Prendre le temps de se nourrir, c’est donc déjà, pour moi, prendre le temps de lire. La lecture est une activité manifeste, elle marque et représente le temps pris pour soi ; un temps hors de la vie sociale, en contre-temps du rythme effréné de la productivité obligatoire. Mais il n’y a pas pour autant la lecture d’un coté et, de l’autre, la vie ; mais bien, la lecture au sein de celle-ci. Marielle Macé développe cette vision dans son essai Façons de lire, manières d’être. Elle y place la lecture comme une pratique au coeur de la vie, qui permet une « stylisation de l’existence », une pensée des conduites et des modes de faire, mise en avant par les styles de l’écriture, et qui nous offre alors la visibilité des possibilités d’être. « La lecture n’est pas une activité séparée, qui serait uniquement en concurrence avec la vie ; c’est l’une de ces conduites par lesquelles, quotidiennement, nous donnons une forme, une saveur et même un style à notre existence » . Une vie au sein de laquelle il faut donc « faire rayonner les livres ». La lecture pensée comme « art de lire » comprend ici trois temps : l’installation du corps, la sélection du livre, la compréhension par l’esprit.
Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être Gallimard, 2011
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Bruno Munari, Ricerca della comoditĂ in una poltrona scomoda, 1944
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S’installer « Un livre est un lit habité à sa façon par chacun de nous » Bruno Munari
Pour lire, il convient de s’installer et de prendre le temps de trouver la bonne position du corps, celle qui permet une lecture fluide. Lorsqu’on lit, on est absorbé, le livre nous aspire. En s’abandonnant au livre, le corps se détend donc naturellement, il se relâche et s’amollit : lorsque la lecture est fluide, le corps se fluidifie. La recherche de la bonne position pour lire consiste alors à trouver le rapport adéquat avec le support du corps, de manière à ce que celui-ci puisse réceptionner et contenir le corps. L’installation prend donc les traits d’une gymnastique physique, entre tensions dues aux mouvement et détente, conséquence de l’absorption : on éprouve le support du corps. Bruno Munari, dans son travail Ricerca della comodità in una poltrona scomoda, 1944 – [Recherche du confort dans un fauteuil inconfortable], une série photographique qui a été reprise dans un article de la revue Domus (n°202, Octobre 1944), interroge avec humour toutes les manières de trouver du confort à partir d’un fauteuil inconfortable. M’inspirant de cette série de travaux, j’ai voulu capter en images la danse du corps qui cherche sa place, à partir d’un fauteuil, de coussins et d’une pile de livres. Cette série de photos interroge le sens de lecture du corps : on ne sait si le corps est aimanté par le fauteuil ou s’il le retient de tomber. Ces brouillages de la lecture de la position du corps rappellent le jeu Twister, qui se joue à partir d’un cadran à girouette. En tournant, il nous indique où placer nos mains et nos pieds. Le but du jeu étant de tenir le plus longtemps possible dans des positions contorsionnées, où tous les membres se mêlent et où, forcément, ils s’emmêlent.
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Ces photographies de postures de lecture deviennent alors un jeu de positions ; sur le cadran du sens de lecture, il faudra tourner la girouette pour dĂŠterminer la prochaine posture de lecture.
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Choisir, sélectionner Pour se nourrir, il faut, bien sûr, prendre le temps de choisir sa nourriture : prendre le temps de choisir les livres. Choisir le livre c’est en réalité choisir les livres. Choisir un ensemble de livres que l’on viendra lire successivement – ou en même temps. Une pratique (manie) de lecteur : toujours avoir le choix – juste au cas où… Pour choisir mes livres, je fais des familles. Je réunis des livres prélevés de différentes sources (provenance et auteurs divers) et de différentes natures, de manière à ce que tous puissent cohabiter sans s’affronter, à ce qu’il ne pâtissent pas de leur trop grande ressemblance. Ce qui fait famille est souvent un thème, un sujet que j’ai en tête, parfois une question, pour lesquelles je cherche des éléments de réponse ou des voies d’exploration. Je cerne alors le sujet en cernant les livres : je rassemble, créant des mini-bibliothèques thématiques. Ce qui oriente mes préférences dans le choix d’un ouvrage, c’est aussi sa matérialité – au delà du contenu, évidemment. Ce sont les dimensions sensibles du livre qui me le font choisir plutôt qu’un autre : le grain particulier du papier, la douceur de la couverture, la lumière apaisée de la couleur des pages, un titre boursouflé. Le temps du choix des livres, c’est donc le temps du parcours, de la découverte sensible de la matière-livre : contenu et support ; le temps de les inspecter, de les manipuler, de les feuilleter, de les passer en revue.
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La famille de livres présente sur les pages suivantes est réunie sous le thème « La nostalgie des origines ». Ce thème parcourt mon travail sur l’abri à penser. Grâce à des recommandations, des découvertes, des hasards heureux, j’ai sélectionné et prélevé à d’autres bibliothèques cet ensemble de livres, qui individuellement renvoient partiellement au thème, mais qui collectivement créent le thème, le matérialisent. Ils expriment tous différents aspects de « la nostalgie des origines ». Les cercles concentriques, de Klee aux images de pensée de Kostas Axelos, font écho aux schémas originel, celui de l’enfant compris dans le ventre de sa mère. Les descriptions chorégraphiques de la danse du corps dans le ventre maternel de Quignard. La planche de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg sur la représentation du monde à l’échelle du corps. Les Nourritures Terrestres – ou utérines – de Gide répondent aux formes de nid d’un livre prenant le lit pour sujet. Au sein de cette famille se sont glissées des productions qui participent par leur matérialité à ce thème. On trouve notamment un livre enveloppé, pensé et créé comme un support à idées, dont les termes viennent se broder sur la couverture en images-objets. Il matérialise le thème qui unit ces livres, c’est un objet-métonymique.
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Paul Klee. Écrits sur l’Art/1 La pensée créatrice Editions Dessain et Toira, Paris, 1980
Ouvert à la page 6 : « Processus de naissance de la forme »
Marie-Haude Caraës et Nicole Marchand-Zanartu, Images de pensée, RMN, 2011 Ouvert à la page 46 : Kostas Axelos, Le Jeu du Monde
Collection d’outils Doux-D’où
André Gide Les nourritures terrestres, Folio, 1974
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Pascal Quignard L’origine de la danse, Galilée, 2013
« Dans l’eau du ventre ils se dépliaient, ils touchaient, ils exploraient, appuyant le pied sur un point d’élan ils gravitaient, ils tournaient et se retournaient, dans l’ombre, ils dansaient presque. Tout à coup ils dansent vraiment - tout à coup ils surgissent dans la lumière, dans le froid, dans l’air, et là ils tombent. Ils s’effondrent dans la décoordination, dans la non motricité, dans la défaillance musculaire. Ils ne sont plus des foetus, ils sont devenus des enfants envahis de souffle, immergés dans l’air lumineux et l’audition d’une langue parlée dont ils n’ont pas le maniement. Ils ne nagent plus dans l’eau nourrissante de Celle-qui-est-sans-nomdans-leur-mère-avant-d’être-leur-mère. »
Thierry Bouët & Isabelle Moltzer Deslits, Aubanel, 2007 Livre-support à idée : La nostalgie des origines
Aby Warburg Atlas Mnémosyne, L’écarquillé, 2012
Coussins à pousser, remplis de germes d’avenir
Ouvert à la page 66 : « Différents degrés de projection du système cosmique sur l’homme. Correspondance harmonique. Plus tard, réduction de l’harmonie à la géométrie abstraite et non plus cosmique (Léonard de Vinci) »
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La nostalgie des origines Une fausse-fourrure à vraie-douceur calfeutre de part et d’autre ce livre-ci. Une toison de cheveux blancs invite à y perdre ses doigts dans des jeux de caresses. En son centre, comme un dessin de bois de ventre plein, un tambour à broder s’est logé. Un ruban de laine mèche, comme une rivière de cheveux soyeux, fraie son chemin le long du livre, coule dans le ventre rond du tambour et s’échappe par le côté droit, celui qui donne sur le flanc du livre. Le long du cours d’eau duveteux, au sein du ventre de bois, positionnées en son centre, se lovent deux petits ambassadeurs du règne minéral. L’une est de pierre : galet poli par les caresses de la mer, il porte en lui l’histoire des fusions et du mélange ; grisé de nature, lorsqu’on le touche, le rose lui monte aux joues. À ses côtés, c’est un morceau de corail qui est venu s’installer, un minéranimal qui témoigne, quant à lui, des processus de transformation, du mouvant à la cristallisation.
Des douceurs duveteuses On retrouve ici des matières douces, des toisons animales recréées ou prélevées qui cohabitent : l’une venant accueillir l’autre. Elles se font écho dans des tons paisibles de beige tranquille, des couleurs originelles. Ces surfaces laineuses rappellent les premières découvertes du monde, velouteuses et soyeuses, lorsque ma main plongeait dans les fourrures de ceux que j’enlaçais. Des souvenirs tactiles, comme des empreintes du textile en creux dans les paumes de mes mains.
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Cernée de bois Au sein de ces tendresses textiles, se profile la vision d’un ventre de face. Un tambour - ce qui tend la peau - ventral. Les contours sont faits de bois. Une structure douce de bois poli et arrondi, qui, par sa forme, est en tension : sans bouger, le bois travaille. Une pièce dorée, comme un trésor de quincaillerie, vient fermer, sceller ce rond de bois. Fermoir qui devient aussi ouvroir : dans son interstice, là où manque de se toucher les bouts du même bois, une toison blanche coule en cascade dans un mince filet de poil. Une chute d’eau soyeuse, comme un nombril ventral : la marque de l’origine. Ce tambour circulaire, met en avant et en lumière ce qui se trame à l’intérieur : une loupe, comme un regard centré sur nos origines.
Passage soyeux Sur cette toison de livre, un cercle est dessiné. Il dessine les limites d’une scène où se joue un passage immobile. Un ventre central perpétuellement traversé. Il donne à voir un mouvement stationnaire, continu : comme s’il allait tellement vite qu’on ne pouvait discerner ses passages. Il donne à voir le geste-stationnaire, la maturation. Il accueille en son sein deux germes, des gemmes en devenir. Les deux rappellent la mer, origine universelle, l’un parce qu’il est né en son sein, l’autre parce que les bras de la mer lui ont donné sa forme. Le corail ici symbolise l’idée, les concepts de la pensée. Lové ainsi, il raconte son évolution dans le ventre chevelu. Le galet, poli et aimable, rappelle les trésors d’enfant relevés sur les plages de la matrice aquatique. Des bijoux bruts au creux du corps.
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Lire En amont du temps dédié à la lecture il y a bien celui de l’installation du corps et de la sélection du livre, néanmoins, l’essentiel de ce temps est consacré à l’acte de lire. C’est le temps consacré à comprendre, temps où il faut pouvoir faire de l’extériorité du livre une intériorité propre, où il faut pouvoir faire siennes des idées venues d’ailleurs, s’approprier des connaissances, les ingérer. Mais comment rendre compte de cela ? Désirant matérialiser certaines des thématiques inhérentes à mon travail, j’ai travaillé des couvertures de livres comme des enveloppes, pour leur donner corps. J’ai considéré les livres comme des présentoirs, des supports à idées – littéralement. Sur certains, un titre particulier vient se broder en images et en volume sur le ventre de la couverture. Dans cet autre temps que celui de la lecture, j’ai donc cherché à redonner corps à cette temporalité de l’acte de lire, à la symboliser par une enveloppe de livre, comme dans l’exemple suivant intitulé « L’appropriation des savoirs ». Ce livre, support à idées, donne à voir et à comprendre un processus propre à l’appropriation des savoirs – savoirs qui s’offrent, mais qu’il faut desépingler pour se les approprier. Il témoigne de la complexité de l’appropriation de l’idée en jeu dans la lecture qui est, avant tout, compréhension d’un texte écrit, d’une pensée solidifiée.
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L’appropriation des savoirs Sur un velours à la douceur grisée, est posé un coussin, coussinet royal, d’or tissé, dont les angles sont attachés au plat qui le soutient par un point blanc. Ce petit tambour de chair dorée accueille en son sein un trésor : un délicat corail blanc. Celui-ci n’est pas seulement posé sur son lit rembourré, il y est épinglé. C’est une longue aiguille à tête de culture : une perle nacrée orne le sommet de sa tige. Le livre est ficelé le long de sa tranche ; une laine en cheveux d’anges fait trois fois le tour de son long. Il est prêt à s’offrir. Le livre est en soi une invitation à s’en saisir, à s’approprier les savoirs.
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Le corail, petit objet symbolique Le corail convoque en lui-même, par son histoire, les trois règnes – animal, minéral et végétal – et par sa géographie, les éléments naturels. Né dans l’eau, dans le liquide qui voit naître tous les êtres, il garde sa mobilité, sa fluidité dans son milieu naturel. Mais dès qu’il est ôté à son milieu nourricier, il se pétrifie alors. Dans la mythologie grecque, on raconte que le corail est né du sang de la tête coupée de la Méduse répandue dans les eaux, qui a alors médusé les algues dansantes du fond des mers. Sa constitution poreuse rappelle celle des organes et sa forme amassée et arborescente, celle plus particulière de l’encéphale. Le corail est ici une image d’un petit morceau de cerveau prélevé, qui se serait alors figé. Il illustre une matérialité de l’idée : dans l’espace de la pensée, celle-ci est mouvante et libre, presque dansante, mais une fois saisie, elle est extraite du monde immatérielle et pétrifiée dans une forme réelle – le livre par exemple. Ici, le corail devient donc une forme symbolique de l’idée. De la connaissance et des savoirs par l’idée.
Idée se fera mienne Mais cette idée n’est pas seulement présentée : elle est offerte sur un coussin garni de nuages cotonnés. Offerte dans le luxe du confort qui abrite les matières précieuses, elle se donne à voir et à prendre, tout en en mettant déjà en garde contre sa fragilité. Elle est mise en avant, en valeur, sur le devant de la scène capitonnée. Et épinglée. Comme une invitation à ôter l’épine qui la retient amarrée. Elle est faite pour que l’on s’en saisisse. Rarement on ose le faire, tout cela semble beaucoup trop précieux. En réalité, ce n’est qu’un extrait de monde ramassé, qui appartient à tout le monde en n’appartenant à personne. Il sera toujours disponible, libre et offert, alors autant le déclarer. Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas s’en emparer ?
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Comme ta maison est le lieu où tu lis, elle peut nous dire la place que les livres occupent dans ta vie, s’il s’agit d’une défense que tu mets en avant pour tenir le monde à distance, d’un rêve dans lequel tu t’enfonces comme dans une drogue, ou si au contraire, il s’agit de ponts que tu jettes vers l’extérieur, vers le monde qui t’intéresse tant, que tu voudrais en dilater et en multiplier les dimensions à travers les livres. Pour le comprendre, le Lecteur sait que la première chose à faire est de visiter la cuisine.
»
Italo Calvino Si par une nuit d’hiver un voyageur
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PAUSE LECTURE
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Ces trois temps – installation du corps, sélection du livre, lecture-compréhension – constituent le temps de la lecture. Ils sont des temps nécessaires pour se nourrir abondamment des livres. Mais la lecture n’est pas la seule nourriture, bien évidemment. Prendre le temps pour soi, c’est aussi prendre le temps de se nourrir par les sens.
Les nourritures sensibles Sensations, perceptions sensibles, toutes concourent à enrichir le temps de la maturation.
Nourritures tactiles Chez moi, les nourritures sensibles sont d’abord tactiles. Je suis touche-à-tout. Je cherche à retrouver des sensations imprimées en creux dans mes mains, comme si j’avais des réminiscences de l’enfance qui étaient devenues des manies de mains, des envies de manier et manipuler. Mes mains ne sont jamais rassasiées, elles ont toujours faim de perceptions. En manipulant, je me nourris alors de sensations qui s’impriment au creux du corps, dans tout mon être. La matérialité de l’espace à penser est en résonance avec ma manière d’être. Tout ce que je crée pour l’abri à penser est donc propre à la manipulation ; à commencer par les supports du corps, les coussins galets-garnis. Ceux-ci recueillent le corps et accueillent aussi en leur sein des corps variés, ingérés. On pourrait voir en eux de petits organismes qui auraient trop mangé. Chaque coussin-galet est garni d’une matière particulière, bonne à manipuler.
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I l y a les coussins-nuages, emplis de ouate-à-rêver, qui amortissent le poids des songes. Il y a les oreillers pour voler, bourrés de plumes, qui viennent parfois piquer, des poches d’évasion pour l’Icare-en-devenir des jours non-ensoleillés. Il y aussi des coussins à pousser, remplis de germes d’avenir. Des graines séchées en attente de se déployer – dans les terres ou les intériorités – qui donnent aux coussins un poids et une densité. Ils font penser aux poches pleines de galets des enfants– des–plages. On s’applique à les manipuler, à les faire couler d’une main à l’autre, dans une danse fuyante et bruitée, on est sensible à ces individualités mises en sac. Les garnitures sont toutes incluses dans un jeu de maille qui permet leur manipulation par son extensibilité. Toutes ces sensations provoquées par le répertoire tactile que déploient ces coussins-galets-garnis, participent à nourrir l’espace intérieur d’impressions sensibles. C’est le temps de la manipulation nourricière. Ces formes organiques rappellent celles des installations d’Ernesto Neto, notamment ses structures suspendues qui donnent à voir une matérialité de la pesanteur.
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Ernesto Neto, installation au musÊe d’art contemporain de San-Diego, 2015
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La liseuse à la couronne de fleurs Jean- Baptiste Corot 1845
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Manger les images Le temps pour se nourrir, c’est aussi le temps pour contempler et engranger les images : pour les manger. Dans notre société de l’image, beaucoup d’entres-elles sont survolées. Mais certaines retiennent mon attention, m’ouvrent l’appétit. Et, alors, toute entière s’offrent à moi. Mais pour les trouver encore faut-il prendre le temps de les chercher. Découvrir, c’est ouvrir les possibilités de la rencontre. Dans mon travail, les images sont issues de sources multiples. Elles viennent d’abord et surtout des livres imprimés, des tableaux admirés, des photographies, des catalogues d’expositions, etc. Ces images ont une densité du fait de leur matérialité. La contemplation des images s’associe à la découverte tactile du support – quand cela est possible –, rendant encore plus riche la nature de cette nourriture. La recherche de l’image par des supports informatiques arrive dans un second temps, pour retrouver certaines images dont je n’ai plus le support et que je souhaite présenter. Manger les images, c’est donc les engranger, se laisser aspirer par une image pour en saisir l’essence, puis, l’ingérer. J’ai donc dans mon ventre mental toutes ces images, qui immédiatement s’organisent en familles, par affinités.
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Corps abandonné, pour cause d’inventaire des réserves internes.
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Pour avoir accès à ses réserves En me nourrissant, j’engrange, je fais des réserves de sens, d’images et de concepts. Le temps pour soi est donc un temps nécessaire qui me permet par la suite d’avoir accès à mes réserves.
Le retour sur soi Le temps du retour sur soi, c’est un temps pour revoir, relire, repasser – et donc réactiver – les connaissances anciennes, précédemment engrangées, que je retrouve lorsque je me retrouve moi. Mon espace mental est à l’image des bibliothèques : tout est là mais tout n’est pas visible. Pour avoir accès à ce qui ne se voit pas, ne se trouve pas à première vue, il me faut rentrer en moi-même comme on descend à la réserve, m’enfoncer un peu plus, dans des intériorités profondes. Je perds en lumière, mais à force d’y aller, je fais confiance à mes sens de l’habitude. Ces pérégrinations en moi-même m’absorbent de l’intérieur. Le corps, alors abandonné, se doit d’être enveloppé, protégé par les épaisseurs de l’abri à penser. Avoir accès à ses réserves par le retour sur soi est une activité intérieure, mais toujours consciente. Mais le retour sur soi peut être encore plus obscur et moins maîtrisé que l’accès à la réserve consciente.
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Felice Casorati Raja 1925
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Le réservoir inconscient Prendre le temps du retour sur soi, c’est parfois s’enfoncer très lointainement dans ses intériorités, à la limite du monde conscient. Le retour sur soi c’est donc aussi pouvoir accéder au réservoir inconscient. On n’accède pas au réservoir inconscient comme on accède aux réserves conscientes. Le glissement du mot marque la différence : je connais le contenu de ma réserve, je connais les formes des éléments qui la composent. Mais du réservoir, je ne connais que sa fonction : celle de contenir et de retenir. Je devine sa forme : celle d’un bassin, mais son contenu – fluide selon sa définition – est par nature insaisissable. Passé au moulin de mon intériorité, il est le limon enrichissant les eaux de l’inconscient. Pour avoir accès au contenu du réservoir inconscient, il me faut donc descendre en moi, m’enfoncer dans mon intériorité, dépasser les réserves, continuer dans les couloirs aveugles, jusqu’aux limites de la conscience. Ici se trouve la surface du réservoir inconscient, les rives du bassin qu’on ne peut pénétrer. Il faut alors attendre les remous qui créent des vagues, dont les franges viennent se briser en images sur les rochers de la conscience. Trempée par les eaux inconscientes, je reconnais alors les images fluidifiées qui imprègnent mon corps, les formes moulinées par l’inconscient des nourritures engrangées en d’autres temps. Ces départs pour le soi-profond requièrent une réelle assurance quant à la protection du corps. Ils soulignent une fois de plus la nécessité de le mettre à l’abri lorsque je m’en vais en moi.
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Pour digérer! C’est lorsque l’on prend et se donne ce temps pour soi que l’on peut se nourrir, engranger, constituer ses réserves et y avoir accès. Mais toutes ces nourritures ingérées ne sont pas réemployées immédiatement ; elles sont d’abord digérées : c’est le temps de l’assimilation. Ces nourritures sensibles et conceptuelles sont alors transformées, métabolisées par l’organisme au complet. Les éléments sont dilués, organisés et rangés, constituant ainsi le monde de ma pensée. Le temps de la digestion, c’est le temps de l‘installation intérieure : toutes les choses se mettent en place. Lorsque tout est assimilé et disposé à la bonne place, la rêverie peut alors commencer. Car tous ces temps pris pour la constitution et la construction de soi ne sont pas des temps de la rêverie ! Ils se trouvent en amont de celle-ci, lui préparant le terrain.
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LA RÊVERIE ACTIVE Lorsque tout est en place, que tout a été ingéré puis digéré, que l’espace intérieur a été activé, alors on peut s’adonner aux jeux de l’esprit. C’est le temps de la rêverie active et de ce que Bachelard nomme « la pensée créante ».
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La rêverie active de Gaston Bachelard La rêverie active selon Gaston Bachelard est la rêverie de l’image poétique – germe de monde – qui se vit au grand jour. Car la rêverie n’est ni le rêve nocturne ni la rêverie somnolente, mais la rêverie diurne, qui se vit dans un état de bien-être indolent de l’extérieur et intérieurement « créant ». Cette rêverie poétique est la rêverie féconde, c’est une ouverture « aux mondes beaux ». Elle débute par une absorption de tout l’être dans une image – au sens poétique du terme –, qui est activée par tous les sens, bien au delà de l’unique vision ; absorption qui va éveiller en nous des sensations primitives. Celles-ci ouvrent alors de nouvelles portes dans l’épaisseur de la pensée, ce qui nous amène à créer des mondes imaginaires. La rêverie est donc créatrice, elle mêle réel et irréel dans des jeux d’entrelacements propices à la conception de mondes nouveaux. L’esprit vogue entre ce que l’on perçoit du monde et les images que ces perceptions créent en nous. La rêverie active est une activité intérieure qui a besoin du corps, organe de perception, mais c’est surtout un espace mouvant, un vent vivifiant et enrichissant qui s’installe en nous et qui, de ses caresses fluides, insuffle l’énergie créative. La rêverie met en mouvement nos intériorités en profondeur.
Gaston Bachelard La poétique de la rêverie, P.U.F., Paris, 1960
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Les productions de la rêverie Variations poétiques
Les productions de la rêverie témoignent souvent du lien étroit qui existe entre la plasticité du verbe et la création matérielle. Les créations issues de la rêverie sont donc souvent hybrides, entre texte et image. Ce sont des objets à histoires qui racontent les relations qu’ils ont entretenues avec toutes les formes de la réalisation dans le ventre nourricier, le bouillon de culture de la rêverie. Ces productions de la rêverie, réalisées dans un autre temps que celui du temps pour soi, sont issues de celle-ci et deviennent, par un retour cyclique, de nouveaux supports à songer qui viennent prendre leur place dans l’abri à penser.
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COLLECTION D’OUTILS DOUX-D’OÙ, RELEVANT DE LA TRADITION BRETON
NDRÉ
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Rêverie sur la rêverie Parler de la rêverie, c’est faire l’éloge de l’incertain, de l’insaisissable, propre aux images poétiques, images à la fois précises et ambivalentes, pour lesquelles l’ambiguïté est créatrice. Les formes issues de la rêverie conservent donc son caractère mouvant et équivoque, se prêtent volontiers aux jeux des sens. Dans mon travail, les images issues de la rêverie prennent formes – dans le temps ultérieur de la réalisation – par la création plastique et textuelle, les deux s’alliant souvent pour proposer un ensemble qui s’adresse aux sens et à la pensée imaginante. Ci-contre se trouve une famille d’objets issue de la rêverie sur la rêverie. C’est une collection d’outils Doux-D’où, faits de matériaux collectés au gré de mes promenades rêvantes et qui ont emprunté aux objets surréalistes leur caractère flottant et magique. Cette collection d’outils de la rêverie, se joue des sens qu’elle déploie dans ses formes plastiques, jeu qui se retrouve dans ses légendes. Ces productions de la rêverie, alliant le verbe et l’objet, font références au travail d’André Breton et ses poèmes-objets, qu’il définit ainsi : « le poème-objet est une composition qui tend à combiner les ressources de la poésie et de la plastique et à spéculer sur leur pouvoir d’exaltation réciproque ». Je vois J’imagine Poème-objet d’André Breton, 1935. Photographie de Man Ray.
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AMULETTE À CHEVEUX DE CHARME
RECEPTACLE SATELLITAIRE
SCEPTRE BUCCAL
GRI-GRIS BEIGE LANGUETTE À INCANTATIONS
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Les légendes : l’écriture de la rêverie Il y a donc les créations plastiques de la rêverie, mais il y a aussi les mots écrits, les mots encrés, ancrés dans le papier. Les Titres et les Légendes, qui méritent leur capitale, au regard de celui qu’ils ont gagné. Les uns au-dessus, qui chapeautent, les autres en deçà ou à côté, qui font les liens avec le regardeur. Ils sont des ponts suspendus de l’objet à soi, mais aussi des socles qui donnent de l’appui à l’objet qui porte le poids de sa rêverie : la pesanteur des nuages. Les mots le lestent alors, le lient à son contexte. Mais déjà, au sein des légendes on en entend de belles… Les noms déployés dans ces légendes sont en eux-même des histoires : ils se déploient comme des chemins qui déjà nous mènent ailleurs. Ce ne sont pas des chemins linéaires et délimités, ce sont des chemins-carrefours, où se croisent sens, sons et significations. Des mots polysémiques qui se jouent d’eux-mêmes. Des jeux de mots qui nous font tomber dans les panneaux. Des mots-croisés qui nous font glisser ailleurs sans que l’on se rende compte que l’on dérive. Mais déjà tout semble un peu différent, comme une vision trouble. On pourrait alors facilement croire à l’erreur. La multiplicité des sens double les mots, les triple, les quadruple. Les mots les uns sur les autres se brouillent, s’agitent ; ils donnent à voir une image fixe du mouvement. C’est comme essayer de dessiner à plat un carrefour des chemins croisés. On lit moins bien, mais alors on peut choisir. Les jeux de mots, c’est déjà dans la manipulation de leur forme, une spatialisation des sens. Les fictions déployées viennent alors envelopper ceux qui se reposent au-dessus d’elles. Elles tissent des liens avec les productions comme des toiles de sens – étoiles d’essences – et rendent la lecture du tout dynamique. Elles donnent à voir la nature insaisissable de la rêverie. On cherche la solution comme s’il n’y en avait qu’une, comme s’il y en avait une. J’aime jouer de ces légendes, j’ai le sens du mot.
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BOITE-ABRI DE PETRI-REVÊRIE
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Le terreau riche de la rêverie La rêverie active est un bouillon de culture effervescent et foisonnant qui brasse les nutriments de la pensée. L’espace pour soi – l’abri à penser – est donc tout entier tourné vers – et pensé pour – le temps de la rêverie active. Ses formes, ses matières et ses couleurs sont des supports à songer. Ils font fonction d’accroches à penser. L’espace devient donc un milieu accueillant, favorable à la plasticité de l’esprit : c’est le lieu et le temps de la maturation de la pensée. Dans le bouillon de culture actif de la rêverie, il y a donc création de l’esprit, qui plus tard – arrivée à maturité – enclenche la création par le corps.
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L’ATELIER À CRÉER L’INSTALLATION
Délimiter la zone de travail Placer les repères Encadrer la production
LA REFLEXION ACTIVE Les images de pensées Prise de notes Pensée schématique Cartes heuristiques
L’EXPLORATION CRÉATIVE
« Form Follows Process » Manipulation : éprouver la matière Les manières de la matière L’atelier de création
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L’atelier à créer L’atelier à créer ne définit par un lieu fixe, mais un espace et un temps de la création. De même que je prends le temps pour penser dans mon abri propice à la rêverie, je prends le temps de créer, le temps pour produire. Car ce temps de la création ne comprend pas que le temps de la réalisation d’une forme, mais tous les stades qui participent à sa production. L’atelier à créer commence tout d’abord par son installation. Pour cela, nul besoin d’ériger des cloisons, il faut plutôt placer les repères qui matérialiseront, pour un temps, le lieu de création. La scène déployée, le théâtre d’expérimentations formelles et dessinées peut alors commencer : c’est le temps de la réflexion active et de l’exploration créative. L’atelier à créer est le lieu foisonnant de la production en marche.
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INSTALLATION : RITUELS DE LA MISE AU TRAVAIL Pour travailler, il convient de s’installer. Il me faut créer mon espace à produire, mon endroit pour faire. Pour cela, je définis d’abord le lieu. Une fois que le territoire à conquérir est en vue, commence alors l’installation. C’est ainsi que tout commence : la mise au travail comme part intégrante du travail.
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Délimiter la zone de travail : l’aire de la couverture L’espace de travail se définit souvent au sol : il est marqué par une zone surélevée, matelassée. C’est l’aire du tapis-couverture. Pour m’installer, j’étends de grandes couvertures à même le sol, qui définissent alors la zone de travail. Les délimitations qu’elles créent ne sont pas seulement horizontales, elles marquent dans l’espace les limites verticales de la cabane à créer. Ces cloisons invisibles témoignent des liens directs que j’entretiens avec le monde extérieur lorsque je crée. Ces kakémonos transparents sont comme de larges fenêtres ouvertes sur le monde, elles semblent tissées de verre. Ces délimitations symboliques verticales sont donc matérialisées au sol par la couverture. La couverture, c’est cette étoffe étendue à terre qui vient accueillir le corps, qui joue le rôle d’intermédiaire entre moi et le monde. Elle offre cette strate de monde supplémentaire telle l’ultime couche de matelassage du sol – la seule dont j’aurais vraiment besoin. Plus que d’amortir véritablement, sa fonction est de signifier le confort, puisqu’elle est née du lit. Mais son rôle est double : sous couvert de feutrer ma rencontre avec le monde, elle marque aussi la conquête du territoire. Aussitôt déployée, elle délimite déjà l’espace connu, l’espace intime, l’aire dans laquelle je peux évoluer sereinement, travailler efficacement, et surtout, celle qui m’est propre. La couverture, c’est donc aussi le symbole de l’appropriation des territoires, de l’adoubement des espaces. Elle est l’outil de la délimitation de la zone de travail.
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La délimitation au sol par une couche matelassée définit aussi un passage de la mise en condition, de la préparation : il faut ôter ses chaussures pour y entrer, comme sur un tatami. Ce geste dit beaucoup de mon rapport à la couverture. Il signifie à ce point l’intime. En effet, marcher avec ses chaussures sur des couvertures est un outrage, c’est piétiner l’espace familier. En revanche, de mes pieds nus ou juste en chaussettes, je peux fouler le sol aveuglement. C’est dire la confiance que je place en cet espace ! On ne marche pas pieds nus partout, seulement dans les espaces apprivoisés. Mon évolution dans la zone de travail, pieds nus, témoigne aussi d’un rapport au monde particulier. Se mettre pieds nus est un geste manifeste, équivalent peut-être aux têtes nues, sans chapeau du XIXème siècle. Je sors « en pieds » comme on sortait autrefois « en cheveux ». C’est un geste régressif, irrévérencieux, une caractéristique d’enfant qui chez l’adulte rappelle les attitudes adolescentes, le refus du système. Les pieds nus sont souvent l’apanage des sauvages et des marginaux, ceux qui n’ont que faire des codes sociétaux. Les pieds nus disent aussi une certaine attention portée aux sensations du sol, aux liens avec le dessous-nous. Ils sont une connexion au monde, une manipulation pédestre.
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Placer les repères : déployer les matériaux Il faut de la matière pour créer. C’est un des premiers commandements de mes manières de travailler. Lorsque l’aire de travail est définie, commence alors l’ère des matériaux.
Tables des matières Les matières que j’utilise pour créer sont de différentes natures : matières textiles – parfois laineuses, souvent poilues –, matériaux collectés, objets de curiosité ou familiers. Toutes sont des matières pour créer – sont matières à créer.
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PIERRES, ROCHES ET GALETS
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Les pierres sont pour moi des matières à penser. Cristallisée, elles sont issues d’un processus de formation lent, complexe et particulier ; elles témoignent de l’action des forces naturelles sur elles-même, telluriques ou maritimes. Les pierres renvoient toujours ailleurs. Elles sont les témoins d’anciens mondes appartenant à d’autres temps.
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COQUILLAGES
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Les coquillages, ces « phénix des eaux » selon Gaston Bachelard, symbolisent la naissance nouvelle, la régenerescence. En tant qu’emblèmes de la matrice universelle, ils possèdent la puissance créatrice et évocatrice dans laquelle Bachelard aime à se perdre en contemplations. Enroulés, enveloppés sur eux-même, ils symbolisent, à travers leur formes striées ou spiralées, la conception et la régénération : euxmêmes naissent du ventre de la mer, système structural qu’ils reproduisent en leur sein en donnant naissance à la perle.
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CORAIL
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Le corail est un animal dont la forme revient régulièrement dans mes productions. La nature animale du corail fut attestée tardivement, auparavant on pensait qu’il appartenait à la famille des minéraux ou des végétaux. S’il fallait définir un animal-emblème, je dirais alors que le corail est le mien. De par sa ressemblance avec la forme encéphalique, je l’associe souvent à une image de l’idée, il est donc, dans mon travail, le symbole de la pensée.
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LAINES
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La laine est le matériau de base de toute mes productions souples. Tricotée ou tissée, c’est à partir de ces fils que je crée des surfaces – à habiter ou dont s’habiller. Les laines utilisées dans mes projets sont naturelles et de grandes qualité : mohair (chèvre angora), angora (lapin), mérinos (mouton), alpaga et laine mèche. Elles ont toutes été gracieusement offertes par les entreprises françaises Plassard et Fonty. Ces laines produisent des textiles à la douceur accueillante, des aimants à caresse qui invitent à se lover dedans.
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CUIRS ET PEAUX
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Les cuirs et les peaux utilisés dans mes projets sont des matières récupérées, collectées ou empruntées. Les cuirs sont transformés, colorés et vernis, bien qu’ils gardent leurs formes originales. J’emploie ces matériaux dans le cadre de mes expérimentations et parfois dans les constructions de mes vêtements. Je cherche à avoir un usage responsable de ces matières, limitant leurs utilisations dans mes projets et veillant à ne jamais les acheter neuves, mais toujours en seconde main.
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LIVRES
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Les livres ne sont pas seulement des matériaux de construction de soi, ils sont aussi de la matière pour créer. Dans ma réserve de livres, les uns sont dédiés aux nourritures intérieures tandis que d’autres constituent un fond de matière à transformer, à réemployer. Ces livres sont souvent issus de la collecte. Certains avaient été abandonnés, d’autres ont été trouvés, d’autres achetés en raison d’une couverture ou d’une texture particulière qui invitait à l’utiliser.
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Vue de l'exposition When attitudes become form, Kunsthalle, Bern, 1969 Curateur : Harald Szeemann (1933 - 2005)
Matériauthèque adossée au mur, en attente de construire une cabane à créer.
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Disposition des matériaux Pour travailler, il me faut collecter. De même que j’ai muni l’abri à penser de nourritures intellectuelles. J’engrange des matériaux, je me fais des réserves de matières accumulées, qui composent mon espace de travail. Placer mes matériaux, c’est placer mes repères : ils définissent la propriété de mon atelierà-créer. Pour débuter un travail, je commence toujours par aller chercher les matériaux nécessaires. Idéalement, chez moi, dans mon atelier de vie, toutes mes matières et matériaux sont triés, organisés et rangés en hauteur sur le front de mon bureau : c’est ma matériauthèque. Lorsque je dois créer ailleurs, j’en prends des extraits, je me fais des emprunts. Le travail débute alors par l’installation de mes matériaux. Je les dispose de manière à avoir une vue d’ensemble de ce que je possède : on ne crée qu’avec ce que l’on a. Cet arrangement s’organise selon une recherche de composition d’un espace fonctionnel et harmonieux : je me crée des tableaux dans lesquels j’aurais envie d’entrer. Je me tends des pièges-à-travailler. Je développe ainsi une esthétique de l’installation de l’espace de travail. Des espaces inspirants, dont les modalités plastiques se retrouvent dans mes productions : accumulation et collection.
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Cadre initial d’une recherche de construction de l’abri à partir d’habits.
Suspension métallique supportant des peaux colorées, scène initiale de construction d’un abri-épidermique.
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Encadrer la production : se donner des structures de travail Le cadre est différent de la zone de travail : l’un est carré et structurant, l’autre est mouvant bien que délimité. La structure est présente dans mon travail, mais ne le définit pas. Le cadre est compris dans la zone de travail et, souvent, dépassé. Il instaure un environnement initial de travail, mais est amené à évoluer au cours de celui-ci. Les éléments qui le composent sont alors transformés, régulièrement utilisés intégralement : le cadre a été digéré.
Cadre-support Placer le cadre, c’est placer l’ossature initiale qui délimite, non pas l’espace pour produire, mais la production même. Une partie de mon travail interroge les manières de faire. Mes recherches prennent alors la forme de workshops filmés, que j’analyse par la suite. Pour réaliser ces exercices, je me donne un cadre de travail : je définis un protocole de base. Le cadre de l’exercice est autant matériel et réel, qu’immatériel : en plaçant les matériaux sélectionnés dans l’aire de travail, à même le sol ou sur des structures surélevées, je définis déjà une orientation précise de l’exercice : je l’encadre. Ainsi, dans une recherche de création de l’abri à penser, j’interroge les manières de le construire à partir de différents matériaux. Sur la zone de travail, dans l’aire, sont disposés des supports à matières qui seront eux-aussi utilisés. Ces structures du fond de la scène définissent une manière d’encadrer l’exercice, tout en exposant les matières. Celles-ci, présentées à plat au début de l’exercice – suspendues ou pliées – sont mise en volume au fur et à mesure de celui-ci. L’exercice ne s’arrête que lorsque le cadre est épuisé.
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Se jouer des règles du jeu Donner un cadre fait donc partie des rituels de la mise au travail. Pour produire je produis un cadre ou, plus justement, je produis des règles du jeu qui encadrent mes productions. Mais je me plais aussi et surtout à me jouer de celles-ci. Dans mon travail, le cadre est une donnée initiale. Il est toujours transformé. les forces créatives le bousculent par le mouvement qu’elles lui insufflent. Le cadre ébranlé, parfois s’effondre d’être épuisé, mais d’autres fois, il est tellement intégré qu’il devient lui-même support de création. Je crée alors des lois-à-créer, des règles du jeu qui se jouent d’elles-même, telles que les Décrets du Chez-Nous. Ces décrets du Chez-Nous, écrits en collaboration avec Geoffroy Nicolaï, sont des lois qui statuent la nature des différents espaces-temps du Chez-Soi.
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LA REFLEXION ACTIVE : L’ÉCRITURE DESSINÉE Lorsque la zone de travail est délimitée, que l’atelier à créer est déployé, commence le temps de la réflexion active. C’est un temps pour penser qui diffère de celui de l’abri à penser. Alors que l’abri est le lieu et le temps de la rêverie active et de la pensée « créante », l’atelier à créer abrite, quant à lui, le début de la production. Cette réflexion active est une pensée dirigée et orientée vers une réalisation ; elle découle sur une production. Elle est matérialisée, inscrite sur des pages, annotées, griffonnées brièvement ou commentée longuement. C’est le temps de ce que j’appelle les « images de pensées », le temps de l’écriture dessinée.
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Images de pensĂŠe Marie-Haude CaraĂŤs et Nicole Marchand-Zanartu
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Les images de pensées Les images de pensées désignent les formes que crée la main lorsque les mots ne peuvent exprimer la pensée. Naît alors par le geste le dessin d’une image, souvent schématique, qui, s’alliant avec le verbe, donne alors à voir une image de la pensée. Si penser le mouvement c’est dessiner, alors représenter des formes dynamiques – en interactions les unes avec les autres –, c’est forcément créer des images de pensée. C’est ainsi que j’écris, dans un tissage de mots et de dessins qui viennent se jouer les uns des autres, des images comme des espaces de feuilles qui abritent deux espèces, ou plus justement une espèce hybride : l’écriture dessinée. L’image de pensée est donc une écriture organique et vivante, d’où naît des expérimentations du dessin et de la lettre. Elle donne à voir un surgissement de la pensée, comme une vague débordante et abondante échappée du bouillonnement de la réflexion, qui se serait alors – comme une tache – imprimée sur le papier. L’image de pensée est une tentative : c’est tenter de cristalliser un instant une vision à la clarté fugace ou bien d’essayer de transcrire une organisation du monde de la pensée. Elle s’attache toujours à essayer de rendre compte, elle témoigne d’une imagination graphique en recherche.
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Carnet - Prise de notes
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Prise de notes « L'image est écrite et l'écriture forme des images… On peut dire qu'il y a écriture, une graphologie dans toute image de même que dans toute écriture se trouve une image » Asger Jorn, membre du mouvement CoBrA L’écriture est, selon Gaston Bachelard, la production de la pensée active, car « pour la communiquer, il faut l’écrire ». La réflexion active aboutit donc sur l’écriture et, au sein de mon travail prend la forme de prises de notes. C’est l’écriture de la réflexion. Mon système de prise de notes se construit par vagues successives : je réécris sans cesse les mêmes contenus, sous des tournures différentes, affinant ainsi chaque fois les mots, les expressions, mais aussi la forme de la prise de notes. L’écriture est la première étape de mon processus créatif. Au sein de ces prises de notes, cohabitant avec la flore de l’écriture, vit une faune de dessins. Un complexe riche aux parties solidaires, une niche plastique à défaut d’être écologique. Ces dessins sont une continuité de l’écriture, un prolongement de la pensée écrite dans une forme pleine : une écriture dessinée.
Christian Dotremont & Asger Jorn, Mon Imagination, 1949 Gaston Bachelard La poétique de la rêverie, P.U.F., Paris, 1960, p7
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Carnet - Recherche de formes schĂŠmatiques
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Pensée schématique Les dessins associés à la prise de notes fonctionnent comme une écriture dessinée. Plus encore que de dessins, cette écriture du mouvement s’accompagne de schémas. Les schémas interviennent lorsque l’écriture ne peut rendre compte d’une image de la pensée, mais elle vient tout de même les encadrer, les entourer. Ils sont toujours annotés. Ces schémas rendent compte d’un mode de pensée : une pensée en images schématiques. Ils sont l’expression chez moi d’une recherche constante de la structure globale qui trame toute chose ainsi que toute création et qui est le squelette protéiforme constitutif. C’est une recherche des archétypes. L’archétype pour Carl Gustav Jung est une forme symbolique primitive et universelle appartenant à l’inconscient collectif de l’humanité, qui se concrétise dans les contes, les mythes et les rites des peuples les plus divers. Chercher l’archétype, c’est donc toujours chercher à analyser le squelette jusqu’à la moelle, pour essayer de voir plus que la structure, le schéma qui organise les forces qui l’animent. Dans mon travail, lors de la prise de notes, je construis déjà par l’écriture un organisme : je produis un ensemble d’éléments qui cohabitent dans un échange et une fluctuation de forces – formelles, signifiantes et symboliques. Cet organisme possède donc un schéma qui l’ordonne, qui régit l’orientation du mouvement en son sein. Dans ce cas-là, le schéma dessiné vient donner une lecture différente de celle qui est décrite par le texte, elle donne à voir une lecture de fond, une vue de la trame. Le mode d’écriture du schéma est le même que celui du texte : il est fait d’étapes successives, qui affinent la représentation. Dans toute ma ressource de notes, on retrouve les mêmes schémas présentés différemment. Au sein de cette grande famille, les schémas se déclinent de l’ébauche à l’esquisse.
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Carnet - Recherche des formes schĂŠmatiques qui sous-tendent mes projets. 112
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The Five Skins Theory, Friedensreich Hundertwasser,1998
1. Epiderme 2. Vêtements 3. Maison 4. Identité 5. Terre
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Déploiement concentrique Dans mes schémas, le corps est toujours au centre : c’est l’axis mundi. Une structure y revient de manière obsessionnelle, celle du déploiement concentrique à partir du corps. Cette structure trouve une résonance dans le travail de Friedensreich Hundertwasser, référence récurrente dans mon propre travail, notamment en ce qui concerne sa théorie des cinq peaux, The Five Skins Theory. Hundertwasser interroge dans toute son oeuvre la relation que l’homme entretient avec la réalité extérieure. Il représente ces différents niveaux de relation par trois enveloppes successives, qu’il nomme « peaux ». Pierre Restany, son biographe, lui a fait prendre conscience de l’existence de deux peaux supplémentaires reliant l’homme à l’univers. En découvrant le travail d’Hundertwasser, en particulier ses schémas, j’ai trouvé une représentation du monde qui a fait écho en moi, une organisation structurelle de la relation du corps à son milieu, que je partage. Ce schéma en particulier m’a permis d’affiner les miens. Il m’a permis de dénombrer et nommer les enveloppes successives que je percevais sans les différencier aussi précisément. Cette figure du déploiement concentrique est l’ossature de la majorité de mes productions. La vision du monde d’Hundertwasser entre en tout cas en cohérence avec la mienne.
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Carnet - Ebauche de schéma pour l’Habit-Abri
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Évolution des schémas : de l’ébauche à l’esquisse La complexité des schémas varie selon leur degré de maturité. Fraîchement sorti de mes pensées, le schéma prend la forme d’une ébauche, d’un squelette simplifié, souvent d’une figure géométrique. Une légende prend en place en bordure mais reste le plus souvent en dehors de la figure proprement dite. De même la figure n’est pas mêlée à l’écriture, elle reste isolée.
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Ce schéma représente la structuration de mes premières recherches, autour d’une mise en condition pour penser. J’interrogeais alors déjà les manières d’accéder à l’espace personnel et la mise à l’abri du corps à travers trois enveloppes successives qui sont reprises de la théorie des cinq peaux d’Hundertwasser. Ces schémas témoignent d’une certaine réflexion autour de l’organisation des enveloppes, mais restent des ébauches, des structures dénudées de schémas. Par la suite ils apparaissent maintes et maintes fois, évoluant de l’ébauche à l’esquisse. L’intégration du corps dessiné dans les schémas témoigne, chez moi, de leur maturité. Les figures géométriques des structures schématiques sont alors mises en chair.
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La forme intermédiaire des schémas, entre ébauche et esquisse, rend compte du processus de maturation. Le corps est présent mais replié sur lui-même en position foetale. Il donne à voir l’image d’un corps compris dans l’espace utérin, dans le temps de la gestation. Le stade adolescent de mes schémas est donc la régression ultime, le retour au ventre maternel – à noter que ces enfants de ventre ont déjà des livres en mains. Dans cette forme intermédiaire, on voit aussi les mots se mêler au dessin qui gagnent en complexité et nécessitent alors un support textuel.
Carnet - Schémas en voie de maturation : stade adolescent
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Le schéma arrivé à maturité donne à voir une représentation plus complexe et plus fidèle à la réalité du mouvement. La présence du corps debout est le témoin et le référent de sa maturité. La couleur vient aussi s’en mêler.
Carnet - Schémas presque arrivé à maturité
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Le stade de maturité ultime du schéma est sa représentation en volume. Le corps gagne aussi en détails, on voit apparaitre des mains, ce qui définit déjà une possibilité de faire, une maturité propice à l’action. Ces esquisses se rapprochent des dessins, ce sont des complexes, des groupements dynamiques de mots dessinés et d’images écrites. À ce stade, le corps se schématise de nouveau. Il prend la forme d’un cylindre continu que des forces viennent traverser. Le dispositif d’enveloppes se présente alors en une organisation de sphères concentriques. On retrouve les figures géométriques des premières ébauches, mais cette fois, mises en volume. Ces représentations schématiques des idées sont donc les témoins de la réflexion active et le premier stade de la production : l’écriture dessinée. (Voir pages suivantes)
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Carnet - SchĂŠmas matures : reprĂŠsentation en volume
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Carnet - SchĂŠmas matures : prĂŠsence du corps
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Carte heuristique - Le chemin de la mÊthode – stade mature
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La difficulté du schéma vient, en partie, de la complexité de la représentation à plat d’une structure en 3D. Car cette pensée schématique s’associe, chez moi, à une représentation spatiale des idées. Toute la difficulté est alors de trouver une manière de mettre à plat les idées. C’est alors qu’arrivent les cartographies de pensées.
Cartes heuristiques J’ai une pensée spatialisée. Mes idées se déploient dans toutes les directions de l’espace conceptuel abstrait. Chaque noeud d’idées est relié à un ensemble d’autres noeuds. Ces ensembles créent un réseau filaire, une toile de pensée comme un filet arachnéen, que ma pensée vient tisser continuellement. L’ensemble est une organisation rhizomatique. Le rhizome – concept emprunté à la botanique – désigne une forme de croissance végétale sans début ni fin, possédant juste un milieu à partir duquel il grandit. Ce concept a été développé dans le champ de la philosophie par Gilles Deleuze et Felix Guattari, notamment dans Mille Plateaux. Le mot désigne alors une mise en perspective horizontale et omnisciente des idées, dont les parties hétérogènes et multiples peuvent se lire sous une multitude de points d’entrée. La rhizo-pensée se différencie de la pensée hiérarchisée pyramidale ; c’est une structure de pensée arborescente, dynamique. Une de ces particularité est que les arborescences ne sont pas uniquement dirigées dans un seul sens particulier prédéfini, mais se recoupent entre elles.
Deleuze & Guattari Mille Plateaux, Minuit, 1980
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Ce système de pensée dynamique spatialisée pose la question de la représentation de l’évolution de l’idée dans la production de la réflexion active : comment donner à voir une organisation des recherches correspondant à la pensée ? Cela prend la forme, chez moi, de cartographies de pensées, aussi appelées cartes heuristiques, du grec eurêka : « je trouve ». Ces représentations ont un double avantage : elles donnent à voir une image au plus juste de celle de mes pensées, puisqu’elles sont par définition une représentation à plat d’un espace en trois dimensions ; elles permettent également de rendre compte d’une pensée en recherche – pensée vivante et vivace, en recherche constante puisqu’elle ne s’arrête jamais de pousser, cherchant des nourritures mais aussi de nouvelles ramifications auxquelles se raccrocher ; le dessein étant de toujours plus se déployer. Les cartes heuristiques ne sont pas des reproductions du schéma de pensée total, car on ne peut représenter le rhizome en entier. Elles sont donc des extraits thématisés de la pensée rhizomatique. Pour en saisir un extrait en coupe, je pars toujours d’un mot-clé ou mot-idée, qui définit un axe central de la carte de pensée. En extrayant le mot de mon réseau filaire interne, je dois redoubler de vigilance pour ne pas tout emporter, puisque tout est lié ; de là une grande difficulté à faire des choix.
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Ces cartes heuristiques sont créées selon le même schéma que la prise de notes, par étapes successives, qui donnent chacune à voir un stade de l’avancée de la pensée. Ce sont des paliers de compréhension. De même que pour les schémas – et l’on pourrait dire que les cartes heuristiques sont des schémas hyper-complexe – les cartes de pensée prennent différentes formes selon leur degré de maturité. Pour mes cartographies, l’indice de maturité n’est pas cette fois la représentation du corps, mais plutôt une certaine grandeur, une taille plus importante du support qui permet l’annotation de nombreuses idées. Il y a aussi la présence de dessins et de schémas, qui viennent recréer des complexes écriture-dessins – ou écriture dessinée – au sein même de ces cartes. Celles-ci deviennent alors des forêts arborescentes, qui abritent en leur sein une faune et une flore d’idées, des organismes de la pensée aux représentations variées. Tout cet ensemble foisonnant et grouillant, rappelle l’un de mes matériaux emblématiques : le corail. Cet ensemble témoigne aussi d’une pensée qui s’inscrit dans le geste, plus que dans une forme résultante du geste. En effet les idées prennent des formes matérielles les plus variées, de la construction en volume – par broderie sur livres par exemple – aux cartographies de pensée. La carte heuristique étant la première forme d’accouchement des idées. C’est une mise à plat et en images – textuelles ou dessinées – d’un terreau fertile et rhizomatique de la pensée.
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Ces productions de la réflexion active engagent déjà une réalisation future : elles ouvrent les possibilités de la création – d’abord par la pensée – qui découleront ensuite sur une production plastique formelle. Ces gestes de l’écriture dessinée sont les premiers mouvements de la création. Prenant de l’ampleur et de l’élan ils font basculer alors la production à plat vers la réalisation en volume. Ils témoignent d’une recherche active de la forme par la pensée. Jérôme Bosch, Le Jardin des délices,1503
« Il y a aussi la présence de dessins et de schémas, qui viennent recréer des complexes écriture-dessins – ou écriture dessinée – au sein même de ces cartes. Celles-ci deviennent alors des forêts arborescentes, qui abritent en leur sein une faune et une flore d’idées, des organismes de la pensée aux représentations variées.»
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Carte heuristique - Le chemin de la méthode – stade intermédiaire
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Cartes heuristiques - La Générosité – Différents stades d’évolution
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Cartes heuristiques - La Poche – Différents stades d’évolution
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L ’EXPLORATION CRÉATIVE La production de formes commence dans le temps de la réflexion active, avec les productions de l’écriture dessinée. Elle se déploie ensuite entièrement dans le temps de la réalisation qui est le temps de l’exploration créative.
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« Form Follows Process »* Le processus a une place primordiale dans ma pratique. Mes productions ne sont pas pensées comme finies en amont. Elles découlent de l’expérimentation : le processus détermine leurs formes. Ces créations prennent donc des formes multiples, de l’objet poétique au vêtement à construire (habit-abri). Le processus se fait matrice. C’est donc à lui que je m’intéresse. J’interroge les modalités de création, les manières de faire. Penser les procédés, c’est penser la forme en amont, tout en laissant à la spontanéité sa part de création. Dans ce temps de la recherche créative et foisonnante, j’explore les formes nées de mes manières de faire.
* Citation empruntée aux Fonctionnalistes : « Form Follows Function ».
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Mon travail de ces dernières années s’est axé sur la recherche de création d’espaces. J’ai interrogé et j’interroge encore les modalités de construction d’un lieu à soi, ma recherche de la forme des abris à penser se fait à partir du corps. Je n’envisage pas une forme finale ; j’explore plutôt les manières de les créer. En variant les procédés, j’observe alors les variations de forme de construction. Toutes ces recherches constituent un répertoire plastique et formelle, que je réemploie pour donner naissance à une forme « finale » et finie, figée pour un instant, comme sur une photographie. Tout ce que je crée n’est pas immobile et encore moins immuable, les formes « finies » ne sont en réalité que des formes en sursis. J’ai un système de production cyclique : il n’y a jamais de fin aux explorations, uniquement des finalités : des fins momentanées, comme les grains disposés sur les épis de blé. Tout est toujours à réemployer. Toute forme est matière à créer, peu importe son degré de finalité. Ce système fait écho à mon mode de pensée rhizomatique : sans réelle fin jamais, toujours plus étendu, plus ramifié. A l’image de mes extraits en coupe de pensées que sont mes cartes heuristiques, je crée des formes en cherchant avant tout à donner à voir un mode de pensée. C’est aussi en cela que le processus est primordial dans mon travail : j’explore la force matricielle de mes modes de faire et de penser.
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Franz Erhard Walther, Work Set, 1964
Franz Erhard Walther, The Body Decides, vue de la galerie Wiels, Suisse, 2004
Franz Erhard Walther, First Work Set, 1964
Franz Erhard Walther, The Body Decides, 1964 145
Manipulation accumulatoire de matÊriaux durs.
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Manipulation : éprouver la matière Mes premières recherches autour de l’abri à penser se sont dirigées vers les matières et plus particulièrement leur manipulation. Je me suis interrogée sur les comportements particuliers engendrés par la manipulation de matériaux particuliers. Quelles manières de manier la matière ? Pour y répondre, j’ai cherché à éprouver la matière par la manipulation, m’attachant à deux grandes famille de matériaux : les souples et les durs.
Matériaux « durs » Les matériaux durs désignent les petits objets, le plus souvent collectés. Ce sont des pierres, des cailloux, des coquillages, des perles, des os transformés, des branchages séchés. Leur nombre fait leur présence : ils n’existent qu’en communauté. Leur accumulation permet la création de surfaces. Plus ils sont petits, plus ils ont besoin de multiplier pour exister. Pour créer de la matière à construire à partir de ces matériaux, il faut donc les associer, les accumuler. Ainsi assemblés, ils créent un type particulier de structure, un abri-dur : une carapace. Pour créer de la matière à partir de ces matériaux, je compose. Ces fragments de monde sont comme les pièces d’un puzzle à issues multiples. Ils invitent à l’assemblage, à la recherche d’une cohabitation harmonieuse, ils sont les diplomates des règnes minéral, animal et végétal. Je compose alors, cherchant les formes de l’harmonie heureuse, les associations fécondes qui mèneront à la création de nouveaux dessins d’agencements.
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Ces matériaux durs interrogent surtout les manières de créer des surfaces à construire : comment les travailler, les faire tenir ? C’est par le biais de la broderie que je travaille ces fragments collectés. Je crée des dessins d’objets collectés sur des matières souples. Je les fixe suite par des points brodés, par des fils qui enserrent les pierres puis plongent s’attacher dans la chair du textile. Ces broderies de la collecte arment la surface, créant ainsi de la matière à protéger, des broderies-carapaces.
Hubert Duprat, Sept tubes de trichoptères, 1980-1997
Une collaboration entre l’artiste Duprat et les joailliers trichoptères. Ces constructions brodées rappellent les carapace des trichoptères d’Hubert Duprat. Les larves de Phryganes – ou trichoptères – ont la particularité de créer des fourreaux-mobiles à partir d’éléments présents autour d’elles. Leur carapace témoigne donc de la nature de leur contexte. Hubert Duprat s’intéresse alors à leur capacité créative et constructrice. Il les place dans un environnement composé uniquement de matériaux précieux, les obligeant à construire des carapaces-bijoux. On retrouve dans ces constructions l’expression d’un grouillement propre à la vie, une accumulation créatrice de surfaces-carapace pour abri à protéger.
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Manipulations de matières animales
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Matériaux souples Les matériaux souples désignent principalement les matériaux textiles ou utilisés comme les textiles. La plupart de ces matières sont d’origine animale : laines, lainages, cuirs et fourrures. Ces matières invitent à la manipulation, à la relation tactile. La caresse de ces toisons animales me ramène au temps où mes mains découvraient le monde. Entrer en contact avec des peaux animales crée toujours chez moi un mélange de crainte et d’appréhension, mêlé à une attirance presque aimantée. Caresser une fourrure ramène automatiquement à une conscience de la vie ; elle garde ce quelque chose d’une vie passée, comme une empreinte de l’animé. C’est en réalité une matière de la non-vie. Elle rappelle la vie par son absence et porte dans son immobilité la marque de la mort. Les peaux animales portent donc ces forces particulières, elles matérialisent l’animé de l’animal dans une forme inerte. Lorsque je manipule cette matière animale je perds les repères de la différence. Les formes animales et humaines ne se distinguent plus que par leurs textures, les frontières s’abolissent.
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Je cherche donc à éprouver la matière souple par la manipulation, l’apprivoiser par le passage de ma main, apprendre à connaitre sa douceur et ses irrégularités. Je les travaille comme on travaille un cuir, par le geste cent fois répété, pour toujours plus l’assouplir ; je le fais de ma main. Ces manipulations voient le jour dans des jeux d’ensevelissement du corps par la matière : je cherche des manières de construire par l’accumulation. Ces jeux manipulatoires des matériaux souples créent un répertoire de rencontres, un vocabulaire de textures. Les différentes matières ainsi rassemblées produisent de nouvelles toisons hybridées. Ces manipulations de matériaux souples et durs ont été le point de départ de mes recherches sur la construction d’un abri. En éprouvant la matière, j’ai pu me faire une idée de ses qualités. C’est une manie que j’ai, de toujours vouloir aller voir par moi-même, sentir la matière pour connaitre ses capacités. En éprouvant la matière, j’éprouve ses possibilités.
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Les manières de la matière : expérimentations de la construction Après avoir pu éprouver les matières, j’ai voulu penser leur utilisation dans l’optique de créer un abri à penser. J’ai donc exploré les manières de construire un abri, à partir de la matière ; les manières de la matière. Reprenant l’organisation schématique d’Hundertwasser dans sa Théorie des cinq peaux, j’ai interrogé, en collaboration avec Geoffroy Nicolaï, les manières de construire un abri à même le corps, à partir de la première et de la seconde enveloppe : la peau et l’habit. Ces explorations ont pris la forme de workshops, d’exercices filmés et photographiés au sein d’un laboratoire créatif de l’expérimentation.
Friedensreich Hundertwasser, Five Skins Theory, 1998
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Construction épidermique La première peau définie par Hundertwasser est l’épiderme. La question rencontrée au début de l’élaboration de mon processus a été de savoir ce qui pour moi était épiderme. Que pouvais-je utiliser comme matière à construire pour la représenter ? J’ai donc fait le choix de la peau animale : cuir et fourrure. Partant de ces matières, j’ai exploré la construction d’un abri par stratification et accumulation. Les peaux animales utilisées ont été transformées, les cuirs tannés et colorés, les fourrures travaillées et doublées. Ce ne sont pas des matières brutes, mais déjà retravaillées. Les cuirs ont malgré tout conservé leur forme organique : ils ne sont pas découpés. Construire avec du cuir crée un rapport inter-dermique : c’est s’habiller de la peau de l’autre. L’abri de cuir interroge la question de la seconde peau, qui s’ajoute aux habits. Les vêtements sont alors enserrés entre deux strates épidermiques : ma peau et celle du cuir. Le contact avec le cuir est froid du fait de son apprêt glacé et verni. Les cuirs glissent lorsqu’ils se superposent, leur souplesse est limitée. Il est donc difficile de construire un espace autour du corps avec le cuir sans finir enseveli sous des strates de peaux animales vernies. Sous l’accumulation de cuir, le corps disparaît, créant ainsi un répertoire de formes hybrides, entre bête et homme, entre abri et peau.
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Collection Nomadisme, juin 2014
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Les abris de l’habits Avec la construction d’un abri, je cherche à matérialiser les limites de la sphère intime et, ce faisant, je crée déjà deux espaces : l’un, au plus près de soi, qui est l’espace connu, l’autre qui reste le monde extérieur, étranger à soi. Dans cette volonté de matérialiser l’espace-refuge, j’ai choisi d’interroger la construction de l’abri à partir de matériaux appartenant déjà à la sphère familière, prélevés dans mon habitat : les habits. J’explore donc ici la construction de l’abri à partir de l’habit. Les matières textiles deviennent alors des matières souples pour construire et concevoir des espaces abritant. A la différence du cuir, les habits se laissent facilement apprivoiser grâce à leur malléabilité. Les habits utilisés ici proviennent de mon vestiaire personnel : c’est une collection de vêtements, réalisée les années précédentes, sur le thème du nomadisme. Les matières naturelles de ces habits évoquent le confort et la douceur ; des lainages, du mohair, de l’angora, de la laine mèche et du mérinos.
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r Alo de m s,
e av , do ail nt la .
Travailler l’habit, c’est travailler de manière sensible la matière souple. Avec l’habit les abris prennent la forme de protubérances moelleuses, deviennent des abris aux remparts souples et aux épaisseurs de douceurs. En travaillant l’Abri-Habit, j’enregistre alors des modes de faire particuliers. En rejouant les gestes de la construction, j’apprends à mieux créer, toujours plus justement. Je rejoue la même scène, chaque fois plus maîtrisée, toujours un peu plus différente. Je refais, comme on répète une pièce de théâtre, travaillant la construction dans un double mouvement : pour moi – je veille au grain de mon bien-être – et pour la forme. Le support vidéo permet de dédoubler la vision et la position : d’acteur « expérimentateur » qui éprouve la construction, je passe au statut de metteur en scène a posteriori, analysant les formes créées et les manières de faire.
no èn at uve sc tr ér e n d ial au, je me e mo isa r u t e s v o ê c t s m on tion d tre se jou e sur le théâ
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L’AIRE DE LA RELATION LA COLLABORATION
La pensée des liens du groupe Quand l’aire de la relation est l’atelier de production
L’ ÈRE DE LA RELATION
Esthétique relationnelle L’échange et le dialogue, catalyseurs de la réflexion Faiseuse de liens
ESTHÉTIQUE DE LA RÉCEPTION Se donner à lire Invitation à la manipulation Matière à scénographier Ce qui se relate
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L A COLLABORATION L’aire de la relation commence par la relation : elles démarre donc par la préséntation de mes pratiques collaboratives, qui interviennent à tous les stades de la création : de la réflexion à la réception.
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Esquisses pour un jeu de liens
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La pensée des liens du groupe Je travaille de concert : sonorités collaboratives, musique de chambre et poésie des canons. Je travaille le plus souvent en collaboration, dans de petits ou larges groupes, je me crée des familles de travail. Au sein du groupe, j’ai souvent le rôle de planificatrice, de celle qui fait les plans. J’orchestre, je pense l’ensemble. Plus que d’attribuer à chacun un rôle qu’il endosserait, j’indique les places, je donne les emplacements, les lieux adéquats qui appartiennent à chacun. Pour cela, je n’ai qu’à remonter les fils des liens qui unissent les uns avec les autres, je pars des branches de l’étoile pour en arriver au coeur. Penser le groupe, c’est veiller à ce que tous les liens soient à la bonne distance. Liens courts comme longs, il leur faut garder leur ressort, leur vivacité : ni trop relâchés, ni trop tendus. Une harmonie des tensions, c’est cela pour moi « orchestrer ». Mais comment garder trace de cela ? Peut-on dessiner les liens ? Faire des plans de tensions ? Tout est mouvant, flou, insaisissable et pourtant palpable. L’esquisse seule peut alors en témoigner. Metteuse en scène et lieuse d’orchestre, « orchestreuse », c’est-à-dire celle qui fait manier les choeurs ; c’est déjà étymologiquement « faire danser ». Orchestrer les liens du groupe, c’est donc laisser le jeu nécessaire à la danse, aux mouvements créateurs.
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Quand l’aire de la relation est l’atelier de production Mon travail de cette dernière année a été mené en collaboration avec Geoffroy Nicolaï, personnage à la sympathieproportionnelle à sa taille. Nous nous sommes rapprochés au regard de centres d’intérêts similaires, en effet nous explorions la même question : comment construire des espaces à partir de matériaux collectés ? Sous le titre tonitruant de PROJET CABANES, nous avons démarré notre collaboration, en acquérant de l’expérience sans rien perdre de notre spontanéité. Le Projet Cabane eut tôt fait d’être renommé PROJET ABRIS et nous étions partis… La plupart des expérimentations autour de l’abri ont donc été réalisées ensemble. Nous nous sommes créé notre laboratoire de recherches exploratoires et créatives, véritable atelier de production d’où une multitude de formes est née. Travailler à deux, c’est produire deux fois mieux.
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Marina Abramovic - Human Nest
Etienne Martin - Manteau
le bien-être. Mais aussi tout ce qui assure le bien-être de l’esprit et sa tranquillité.
CONFORT: Ensemble des commodités matérielles qui procurent
COMFORT ZONE
Ernesto Neto
TAKE SHELTER
Extrait issue de La Tentation de l’Ermitage, un article de Carole Boulbès pour Artpress
‘‘L’objectif premier était de questionner les motivations d’un retrait du monde, d’un désir de mise à l’écart ou d’une mise à l’écart forcée. Que signifie aujourd’hui cette tentation d’un ermitage ? Expériences mystiques ou écologiques, défiance ou saturation du monde, épreuve initiatique ou exploratoire, les raisons sont multiples. Hervé Robbe évoque aussi les abris de fortune, les habitats précaires, et, plus largement, tout l’imaginaire lié à l’idée de cabane. Pour lui, les questions de l’intérieur/ extérieur ou de l’intime/ extime sont essentielles. Vivre dans une cabane, choisir un abri de fortune sans fondation n’est pas qu’un plaisir sylvestre. C’est peut-être plutôt s’inventer un lieu de repli, un habitacle singulier en prise parfois directe avec la nature pour s’interroger sur la place que l’on occupe dans le monde, et questionner notre rapport aux autres. Choisir la marge n’est pas toujours un renoncement ou une exclusion, c’est aussi se mettre en opposition et parfois en tension avec son environnement. L’expérience de la cabane convoque l’exploration, le nomadisme, la marche. C’est une sorte de rite initiatique où l’on revisite ses archaïsmes. La vie en cabane est rarement un rituel confortable, il y a parfois de la violence à revenir à l’essentiel et à jauger ses limites. Dans toutes les expériences de forte altérité où l’on engage son instinct de survie, il y a du péril et du risque.’’
PROJET ABRIS
Joseph Beuys- I love America
Bill & CO - Geoffrey Cottenceau
Une situation dans laquelle on se sent confortablement installé, et où notre habilité et notre détermination ne sont pas testées. Position dans laquelle une personne se sent en sécurité, et où elle a le contrôle de son environnement.
«Comfort Zone»
Danica Pistekova - Quote The Future
Europe Wild Men - Charles Fréger
Riitta Ikonen - Form Eyes as Big as Plates
Nick Cave - Sound Suits
Wolfgang Laib - Pollen
Organiser dans un environnement donné des éléments instictifs et primitifs pour en faire surgir des modalités de systèmes complexes issue de la nature.
CONSTRUIRE DU SAUVAGE
Extrait issue du Bio-Mimétisme de Janine M.Benyus
‘‘Les matériaux se divisaient en deux groupes: les mineraux (les «durs») et les organiques (les «mous»). Dans la nature, les matériaux minéraux, solides, sont utilisés pour la structure du squelette ou les carapaces, pour les coquilles, les os, les épines et les dents. Ce sont des versions cristallisées de matières issues de la Terre : craie, phosphate, manganèse, silice, et même fer. Les organismes ne produisant pas ces minéraux dans leur propres corps doivent trouver un moyen d’attirer et de dompter les particules de la Terre afin qu’elles s’installent et se cristallisent juste au bon endroit.’’
LE BIOMIMÉTISME EST UNE NOUVELLE SCIENCE QUI ÉTUDIE LES MODÈLES DE LA NATURE, PUIS IMITE OU S’INSPIRE DE CES IDÉES ET PROCÉDÉS POUR RÉSOUDRE DES PROBLÈMES HUMAINS. LE BIOMIMÉTISME EST UNE NOUVELLE FAÇON DE CONSIDÉRER ET D’APPRÉCIER LA NATURE.
BIO-MIMÉTISME
Selon Hundertwasser l’homme possède 5 peaux, directement en contact les unes avec les autres, organisées en cercles concentriques à partir de l’épiderme.
H U N D E RT WA S S E R
Ernesto Neto
Ă€ deux, chacun est une jambe
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Avancer à deux Tout part de soi, la démarche émane de l’individu, en pensée d’abord, image encéphalique à laquelle chacun viendra donner corps. La production est la mise en forme d’une immatérialité propre à la pensée. À deux, il y a une extériorité plus marquée. On se doit d’extraire, d’exporter ses idées, de leur donner une existence par l’énonciation. On exprime sa pensée, s’efforçant de lui donner de la clarté, d’accélérer sa décantation. Celle-ci est reçue : c’est une vision nouvelle. Après analyse et réflexion, il y a renvoi sous une nouvelle version. C’est un jeu de miroirs en apparence, mais un jeu de rebonds en réalité ; un jeu où l’on recréerait la balle à chaque envoi. La dualité amène donc une matérialité plus forte : elle entraîne la nécessité de l’accouchement des idées. Là où le dialogue intérieur est un échange de faisceaux lumineux à vitesse éclair, le fonctionnement à deux c’est le dialogue extérieur, la passation de l’idée-fille à sa forme mutante. Travailler à deux, c’est comme jouer au tennis avec une balle en pâte à modeler. Le travail à deux, c’est donc l’échange, l’entretien, la conversation, c’est l’avancée induite par la dualité. À l’image des jambes : l’une fait avancer l’autre. Il y a un temps pour chaque jambe, il y le moment où l’une assure la stabilité pour permettre à l’autre de prendre de l’élan. Les changements fondamentaux qu’induisent le travail à deux sont : la nécessité de l’accouchement des idées et le pouvoir de mutation multiplié. La conséquence est l’avancée.
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Construction d’un Abri-Habit sur Maeva Prigent
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L’abri-habit d’autrui Les explorations formelles menées autour de l’abri-habit, ont permis de dégager des manières de faire particulières, que nous avons repris plusieurs fois dans différents contextes, apprivoisant alors les gestes qui construisent. De s’habiller soi, nous sommes passés à habiller un autre. Questionnant alors les modes de construire des abris sur et pour autrui. Les premières formes de ces expérimentations ont donné naissance à de nouvelles modalités de faire – multiplication des gestes, complexité des productions – ce qui a poussé à chaque fois plus loin la recherche de la forme. Les formes créées par ces expérimentations étaient souvent plus complexes du fait d’être à deux à construire dans le même temps et aussi d’avoir le seul rôle de metteur en scène de l’abri. Ces expérimentations sur autrui, reprises de nos premières recherches plastiques, ont été le nouveau point de départ d’une série d’explorations formelles.
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Épuiser les possibles Grâce aux recherches formelles explorées lors des construction d’Abris-Habits, nous avons pris conscience de la force matricielle de ces expérimentations. Les formes nées de nos pratiques, de nos manières de faire possèdent des qualités plastiques qui nous ont intéressés, d’un point de vue stylistique plus particulièrement. Nous avons répété l’exercice, avec les mêmes matériaux (la réunion de nos collections de vêtements), mais en ayant pour objectif, cette fois, de décliner les silhouettes pour arriver à la réalisation d’une collection de vêtements. Nous avons donc cherché à épuiser les possibles de la forme, par l’agencement des habits superposés, créant ainsi un répertoire de combinaisons formelles, des silhouettes composées dont nous pourrions nous inspirer ultérieurement.
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Plan de collection Les Batisseurs
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Décliner les dessins En partant des photographies et des vidéos, les recherches formelles se sont poursuivies par le dessin : croquis de compositions et de jeux de combinaisons. Ces premiers dessins ont ensuite été déclinés en silhouettes pour un plan de collection. Dans cette collection, nous avons pensé les formes comme des parties de vêtements, des habits-modules qui viendraient en s’assemblant composer la silhouette. On retrouve alors les jeux de combinaisons et d’assemblages que nous avions expérimentés précédemment à travers nos recherches plastiques sur l’Habit-Abri.
Dessins préparatoires de composition de la silhouette, réalisés par Geoffroy
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Formes finales : habit & mythologie Afin de concrétiser toutes ces recherches exploratoires, menées dans le cadre du laboratoire de création avec Geoffroy Nicolaï, nous avons donc souhaité réaliser une collection. Cette collection de vêtements est bien le témoin de nos explorations créatives, une forme finalisée, un des épis de nos recherches. Ses formes sont celles de nos Abris-Habits, des pièces de vêtements souples et garnis. Ce sont des habits-modules. Ils invitent tout un chacun au jeu créatif de la composition ou de la recomposition sur soi. Les pièces sont de formes simples et incitent à chercher des manières ludiques et plastiques de s’en habiller. Ils sont une invitation à se jouer de nos habits habituels, à disparaitre sous les formes épaisses qui rappellent le nid.
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Réalisation : Geoffroy & Camille Aide réalisation : Quentin Gautier Modèle : Maéva Prigent & Eliot Nasrallah Photographie (argentique) : Anouk Maupu Prototypes réalisés avec les laines Plassard & Fonty
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Les Bâtisseurs Pour finaliser ces recherches exploratoires, nous avons souhaité travaillé une autre forme de production qui viendrait accompagner la collection. Nous avons développé une histoire autour de nos créations, une mythologie personnelle née des formes de nos recherches. Nous sommes donc devenus Les Bâtisseurs. En partant de notre fascination pour la cabane, pour l’abri-ressource, nous avons créé un univers tout entier dédié à sa création. Nous sommes devenus des mythologues de l’abri à penser, des bâtisseurs d’espaces, des créateurs de sens, des architectes du vêtement pour nids souples à transporter. Nos constructions sont devenues des fenêtres ouvertes sur les strates de mondes, des abris qui exposent la matière beige de la pensée. Une panoplie d’histoires se déploient autour de nos abris. Des légendes viennent gonfler les ventres de nos habits. Notre monde se veut accueillant et englobant, un espace plein comme une outre, mais poreux comme un filet de maille soyeux. On répète, on rejoue la création de nouveaux mythes, de nouvelles formes. Plus tard ceux-ci en créeront d’autres, à partir desquelles nous construirons de nouveau… C’est en bâtissant, que nous sommes devenus Bâtisseurs.
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Les Chahuteurs De Bâtisseurs nous devenons en un instant des Chahuteurs, des enfants qui n’ont pour codes que les leurs. Nous jouant de tout et surtout du reste, nous avons travaillé en cherchant avant tout le plaisir de faire. La joie de créer et d’expérimenter. Des designers qui n’ont rien perdu de leurs spontanéité, mais qui au contraire, s’en servent pour créer. Armés de nos rires et de notre complicité, nous avons construit un monde à notre mesure, des espaces à vivre qui empruntent leur simplicité généreuse aux cabanes d’enfants. Un univers-abri pour chahuteurs-ingénus.
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L ‘ÈRE DE LA RELATION Je ne conçois la vie et donc ma pratique, que dans, pour et par la relation. La relation est pour moi la condition de base de toute évolution. La relation est la terre riche dans laquelle toute forme prend racine, le canal de distribution de la nourriture dont tout élément a besoin pour grandir, elle est l’ouverture au monde qui permet l’inspiration inépuisable. La relation c’est la rencontre féconde déjà dirigée vers une forme de réalisation, plastique, conceptuelle, abstraite ou matérielle, c’est le lien orienté vers une création nouvelle. Les espaces que je crée sont des lieux de la relation : relation au monde, relations humaines. Ce sont des Abris-àpenser pour s’isoler sans s’enfermer, des Ateliers-à-créer aux structures poreuses. Je matérialise donc par mes productions des aires de la relation, des zones d’échanges et d’interactions. Cette nécessité de la relation vient de mon histoire personnelle et s’inscrit dans un positionnement créatif en refus d’un fonctionnement actuel tourné vers la communication et l’échange comme valeur marchande. La relation dont je parle, c’est celle qui m’a formée, celle, foisonnante et grouillante, de la vie d’une famille nombreuse et démultipliée et moi au milieu, plongée dans ce bain de culture bouillonnant, nourrie à l’échange et à l’amour du dialogue. Je suis faite de matière relationnelle ; je vis pour la relation et la relation me fait vivre.
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Esthétique relationnelle L’esthétique relationnelle, concept développé par Nicolas Bourriaud met en avant la nature de productions artistiques contemporaines basées sur l’échange et la relation. L’activité artistique « s’efforce d’effectuer de modestes branchements, d’ouvrir quelques passages obstrués, de mettre en contact des niveaux de réalité tenus éloignés les uns des autres ». Dans l’art relationnel l’expérience sociale est privilégiée. Les créations artistiques, de l’ordre de la « performance interactionnelle », peuvent prendre a postériori la forme « d’objets d’art » qui sont alors des témoignages de ces moments de rencontre. Nicolas Bourriaud considère l’art comme « un état de rencontre », qui dépasse la forme simple de l’interactivité. L’art relationnel ne devient plus seulement « un espace à parcourir, mais une durée à éprouver » ; il n’est plus la création d’une forme unique, mais la production d’un cadre de rencontre. C’est ce cadre de rencontre que je cherche à matérialiser à travers mes productions. Créer un espace propre à l’échange, une aire de la relation. Plus qu’une installation engageant une simple interaction, je pense mes productions comme les repères d’un lieu de rencontre, que chacun est invité à pénétrer pour y échanger. Cette aire de la relation est définie par les éléments agencés en son sein, de manière à créer des espaces accueillants. Mes espaces ne sont pas des « constructions » à proprement parler, mais des lieux propices à la rencontre, des aires qui définissent et induisent une ère de la relation. Je ne crée pas de murs, ne souhaitant pas cloisonner ; je cherche plutôt à matérialiser des espaces par les repères que sont mes productions. En définitive, la relation est présente dans mon travail à tous les stades de la création : de l’échange, comme catalyseur de la réflexion, aux dialogues et aux discours de présentation autour d’un objet qui se raconte.
Nicolas Bourriaud Esthérique Relationnelle, Les presses du réel, 1998.
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L’échange et le dialogue, catalyseurs de la réflexion Je fais des liens en créant du lien. C’est un fonctionnement que j’ai depuis que je suis toute petite : consensuelle parfois, surtout dans ma manière d’être, moins dans mes productions. Car le consensus est pour moi comme le confort : il ne devrait être qu’une conséquence du meilleur déroulement possible des événements. Plus précisément, dans mon travail, je ne cherche pas le confort pour le confort. Ce n’est pas une fin en soi. C’est plutôt une conséquence de la recherche du bienêtre, avec pour but le « mieux penser ». Il en va de même pour le consensus : il est préférable au conflit, mais ce n’est pas lui que je vise quand je cherche à entrer en relation, j’ai pour but l’échange sous toutes ses formes. La relation, c’est d’abord l’interaction. Chez moi, l’échange est souverain (« chez moi » désigne aussi bien là d’où je viens, que mon fonctionnement). La forme d’échange qui me plaît le plus est le dialogue. J’aime jouer des mots et des phrases lorsque j’échange et j’aime entendre dans les voix les intonations particulières qui marquent les individualités. Je me nourris de conversations, de ces mots prononcés, riches de tant de savoirs. On apprend des gens, sur les gens, par les gens, en les écoutant. Echanger, c’est réceptionner mais aussi faire passer d’un côté à l’autre. Dans le dialogue, il y a donc transaction de connaissances, de savoirs et d’énergies. L’échange est un transfert calorifique : lorsqu’on discute, souvent, on s’échauffe. L’échange est d’abord une de mes nourritures. Mais c’est aussi pour moi le catalyseur de la réflexion. Dialoguer m’oblige à extraire de mes réflexions des idées-claires, des penséesd’eau-de-roche, des formes plus abouties que les rameaux à peine bourgeonnant de mon esprit. Ces extraits de pensée sont, à l’image de mes productions, des formes à la finalité temporaire, des photographies de pensées. Quand je dialogue, j’échange en paroles et en images (comparaisons, métaphores, références à des schémas,…).
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Maille retissĂŠe
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Faiseuse de liens La matière du lien Dans ma pratique, toutes mes productions sont tournées vers la relation, créées pour la relation. Déjà au sein de mon travail, mes productions se déploient en familles. Je crée toujours des séries d’objets ou d’expérimentations, des répertoires, qui permettent aux formes de dialoguer entre elles au sein d’un ensemble. Je fais toujours les liens : c’est un trait de ma pratique. Les liens sont d’ailleurs omniprésents dans mes productions. Déjà par la matière textile, filaire. Je travaille des fils de laine, que je lie pour créer des surface ; maille ou tissage, dans l’un les fils font des noeuds, dans l’autre ils s’entrecroisent. Par la broderie, je viens également lier au textile les matériaux collectés, dans un jeu de points qui assure le maintien. Je crée donc déjà de la matière par le lien.
Échantillon de maille - mohair et laine mèche
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Habits noués Dans mes explorations formelles autour de la création d’un espace à habiter, j’utilise des matériaux faits de la matière du lien : des vêtements tricotés ou tissés. Mais ces habits sont aussi noués entre eux pour créer l’abri. C’est par leurs liens que s’épaississent les murs de l’abri souple, c’est sur eux que repose le bon maintien de la structure. Ces modes d’attache sont précaires, ils témoignent d’une volonté d’inscrire mes productions dans une temporalité particulière, non définie et non pérenne. Ils racontent aussi une manière d’être et d’être-enfant ; on pourrait croire à des noeuds de cabanes d’enfants.
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La pensée en lien Faiseuse de liens ; c’est aussi une manière de voir les connexions entre tous les éléments. Cela me vient évidemment de ma pensée rhizomatique, qui déjà définit un mode de réflexion basé sur le lien, sur la relation entre toutes les composantes du monde. Penser en rhizome, c’est voir le monde comme une toile, un filet de sens qui relie chaque chose, à l’image de mes cartographies qui se déploient dans tous les sens, reliant les concepts, les formes et les images.
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Capture vidéo La Chasse. On retrouve la forme archétypale du corail, voir carte ci-après
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Rapprochements par archétypes Ma pensée « liante » vient aussi de ma pensée schématique ; penser en schéma, c’est retrouver les ossatures qui structurent les formes, c’est chercher les archétypes. Or l’archétype a pour nature d’être le fond immuable des formes mouvantes. On retrouve donc les mêmes familles d’archétypes dans des images différentes. En distinguant les schémas structurants, je peux donc faire des rapprochements. Je rassemble alors des formes qui partagent le même fond, des images qui racontent la même histoire. Car les histoires ont un rôle primordiale dans la reconnaissance des archétypes. C’est souvent à travers elles qu’ils se dévoilent. C’est en m’intéressant aux mythes fondateurs – de la mythologie grecque, des récits bibliques ou du folklore populaire – que je suis à même de reconnaître dans les formes actuelles les liens qu’elles entretiennent avec celles du passé. Cette pensée en recherche des archétypes permet donc les liens entre archaïsme et monde contemporain. Dans mon travail, je reviens souvent, dans des jeux d’aller-retours, aux formes archaïques pour les déployer au présent. D’où une présence infuse d’inspiration mythique dans mes projets.
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Dessins de l’imagination active
Livre d’horizo
L’imaginatio a c t i v
On retrouve aussi la form du corail dans les dessins sus de l’imagination activ concept développé par C Gustav Jung, qui permet donner libre cours aux imag de l’inconscient ; une métho à rapprocher des dessins au matiques.
La Chasse, captures vidéo
Symbole De La pensée Active
Le corail convoque en lui-même, par son histoire, les trois règnes – animal, minéral et végétal – et par sa géographie, les éléments naturels. Né dans l’eau, dans le liquide qui voit naître tous les tres il arde sa obilit sa uidit dans son milieu naturel. Mais dès qu’il est ôté son ilieu nourricier il est alors trifi . Sa constitution poreuse rappelle celle des organes et sa forme amassée et arborescente, celle plus particulière de l’encéphale. Le corail est donc pour moi l’image d’un petit morceau de cerveau r le qui se serait alors fi . l illustre une matérialité de l’idée : dans l’espace de la pensée, celle-ci est mouvante et libre, presque dansante, mais une fois saisie, elle est extraite du monde immat riel et trifi dans une or e r elle. e corail dans mon travail devient donc une forme symbolique de l’idée, d’un extrait de la pensée.
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Corallo, Giuseppe Caccavale, 2009
Cette vidéo, La Chasse, est une mise en images de l’acte de com-prendre, « saisir par l’esprit . Ces doigts gantés de cheveux de Méduse, sont des filets id es des attrape-pensée, qui viennent se saisir du corail-idée.
forme
cor
Corail épinglé sur coussin doré Daphné – Wenzel Jamnitzer 1570-1575
Madonna Della Vittoria, détail Andrea Mantegna, 1496
Pala di Brera - Pierro Della Francesca,1472 d
MAILLE
Déroulé d’une l’idée
COMMENT L’ON CRÉE FILM MATIÈRES
AVEC QUOI L’ON CRÉE
Alexander Calder, 1961 Cerveau coralique
PRODUCTION
OÙ L’ON CRÉE L’ESPACE DE CRÉATION
on
PHOTOGRAPHIES
CE QUE L’ON CRÉE MANA
VOLUME
CE QUE CELA PRODUIT COMPOSITION STRATES
on e
Mode de pensée en réseau Arborescence des cartes heuristiques
me isve, Carl de ges ode uto-
La structure arborescente du corail fait écho à mes cartographies de pensées, qui peuvent être vues comme des coraux vue de haut.
Corail Costa Brava, Hubert Duprat, 1994
En route pour l'infini, Etienne meneau, 1995
structure
histoire S y m b o l e A r c h a ï q u e
Les coraux de Darwin Images de pensée
O r i g i n e M y t h o l o g i q u e Cora il e t
Le corail était réputé pour ses propriétés protectrices, il calmait les émotions et rétablissait la paix intérieure. Il était le garant des récoltes fertiles et de la fécondité. Au moyen-âge il était broyé et mélangé au lait du nourrisson pour accroitre ses forces, porté autour du coup des en ants our se aire les dents ou encore dans les bourses des adultes comme talisman contre la sorcellerie. Sa nature, à la rencontre des trois règnes, animal, végétal et minéral, a fait de lui un symbole mythique et enveloppé de mystère. Le corail est également un symbole visionnaire : il est précurseur de la crucifi ion ar sa couleur il annonce le sang que le Christ versera sur la croix. Dans ce détails de tableau, porté autour du coup du Christ endormi, il est le signe de sa mort prochaine.
Phylogénétique
S c h é m a de P e n s é e
rail
détail
ATTITUDES MOUVEMENT
Gestuelle
ro les b p er
dés
Méduse – Caravage, 1596-1598
L’histoire du corail, dans la mythologie grecque, nous vient d’Ovide : Persée, qui est parti tuer Méduse, l’une des trois Gorgones, revient triomphant. En chemin il aperçoit une jeune femme d’une grande beauté, enchaînée un roc er o erte en sacrifice un onstre arin. Persée tombant immédiatement amoureux d’Andromède s’en va combattre le monstre des mers. Celui-ci vaincu, Persée puise alors de l’eau pour s’y laver les mains, avant d’étreindre Andromède. Pour ne pas endommager la tête de Méduse pendue à sa ceinture, il la dépose sur un nid d’algues. Ces feuilles des mers, au contact de la chair ensanglantée de Méduse, acquièrent une rigidité d’un genre inconnu. Les nymphes de la mer s’amusant du spectacle, le reproduisent alors, ensemençant l’eau de fragments détachés de ces tiges. Ovide conclut en disant : « aujourd’hui encore, les coraux ont conservé cette même propriété qu’ils durcissent au contact de l’air et que la ti e e ible dans l’eau se trifie au dessus de l’eau . [Les Métamorphoses, IV/725-761]
La structure du corail pour rendre compte des liens de parenté En 1836, Charles Darwin voyage. Il étudie le corail sur l’île Beagle. À son retour, dans son journal, il écrit et accompagne ces textes de schémas. Il note : « L’arbre de la vie devrait peut-être s’appeler le corail de la vie, la base des branches étant morte ; de telle manière à ce que les passages ne puissent être vus ». Pour rendre compte du développement phylogénétique, il préfère à l’arborescence de l’arbre, celle du corail. En effet les branches pétrifiées des coraux font référence aux fossiles des espèces mortes.
Persée & Andromède Giorgio Vasari, 1572
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Mes familles Dans mon travail, je crée toujours des séries ; je multiplie les formes de façon à créer des répertoires. Mais cette manière de faire n’est pas toujours pensée en amont et contrôlée, c’est plutôt un geste spontané, comme si, dans le mouvement de la création, j’avais trop d’élan pour m’arrêter. En interrogeant plus encore ce fonctionnement, je me suis rendu compte que les séries que je réalisais n’étaient pas de simples déclinaisons, mais fonctionnaient ensemble. C’est à ce moment-là que je me suis aperçue que je créais constamment des familles. La famille, c’est le lieu de la relation, puisque c’est elle qui la définit. Chez moi, la famille tient lieu de terreau, c’est mon bouillon de culture ; c’est en lui que je plonge pour me ressourcer mais aussi pour me nourrir. Ma famille, ce sont des familles, des ensembles de personnes multiples, de multiples ensembles de personnes. Tout est toujours démultiplié, tout est toujours partagé. Au sein de mon travail, je reproduis ces fonctionnements-là, je crée des familles de productions, qui se définissent alors par leur nombre, mais aussi par les relations qu’elles entretiennent entre elles.
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Famille des Livres d’horizon Cette famille de livres compte une vingtaine de membres. En les installant, je cherche à les faire cohabiter harmonieusement, jouant des formes et des couleurs. Tous sont constitués selon le même schéma : assemblage d’un livres et d’objets collectés, mis en lien par un fil qui les enlace. Ces objets-composés témoignent d’une volonté consciente et maîtrisée de marquer les liens entre ces fragments de monde. C’est un processus de mise en lien semblable à celui du réveil-aprèsle-rêve : les images symboliques de l’inconscient déployées dans le rêve sont attrapées par la conscience, qui, pour pouvoir comprendre, crée de la cohérence en créant du lien. Ces liens artificiels permettent à la conscience de créer des histoires à partir de ces fragments de rêves. Ici, c’est donc une famille de livres-du-réveil : les matières et matériaux, parce qu’ils sont liés, racontent des histoires particulières. Celles-ci s’inscrivent à la fois sur la couverture (titre, graphie, chromies), dans le texte (histoire et protagonistes), et en partie dans leurs légendes qui jouent de leurs titres, leur récit, leurs personnage et leur nom de famille.
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Série Livres d’horizon
Ouvrage Narval Echantillon de récif cosmique Recueil Insulaire Fragment topographique
Pierre des Mots Débris d’orbite Sartrunienne
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Ode à Breton Extrait de curiosité
Cette famille de livres se nomme Livres d’Horizon, car lorsqu’ils sont tous alignés, la ligne centrale horizontale fait le lien de l’un à l’autre, créant ainsi un horizon de livres.
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E STHÉTIQUE DE LA RÉCEPTION « C’est le regardeur qui fait le tableau » Marcel Duchamp. Pour Marcel Duchamp, toute création comporte deux pôles : « Il y a le pôle de celui qui fait une œuvre et le pôle de celui qui la regarde. Je donne à celui qui la regarde autant d’importance qu’à celui qui la fait » Je cherche à mettre en oeuvre une esthétique de la création et de la réception. Ces étapes, en amont et en aval, sont celles qui permettent le point culminant de la réalisation. En amont, c’est l’abri à penser, l’espace pour soi, le lieu de la rêverie active, mais c’est aussi la réflexion exploratoire de l’écriture dessinée. Je m’intéresse aussi et surtout à ce qui vient après le temps de la création : la réception des productions.
Marcel Duchamp Ingénieur du temps perdu, Belfond, 1976.
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Mon travail se donne Ă lire : livre-support au titre brodĂŠ.
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Se donner à lire Je produis comme je fais à manger : je prends plaisir à créer, à composer avec mes ingrédients assemblés, mais ce que j’aime surtout, c’est partager, faire goûter. Offrir ce que j’ai créé à d’autres. Une générosité qui ne se cherche pas comme finalité, mais qui est plutôt un trait caractéristique de ma pratique. De même que je ne nourris pas mes invités à la petite cuillère, je laisse aux réceptionneurs de mes productions leur liberté d’emploi. Mes productions se pensent comme des cadeaux, sans attendre quelque chose en retour, mais bien pour le plaisir de donner autour de moi un peu de ces nourritures qui m’ont tant bercées. Je cherche à partager cette joie que j’ai de faire, de créer, cette chance inouïe qui m’a été donnée de pouvoir m’exprimer. Le caractère ambigüe et incertain de mes productions – le flou propre à la rêverie dont elles sont issues – facilite l’appropriation par les sens du « regardeur ». Même les légendes – pourtant symboles de la médiation canalisée – se jouent de leurs mots dans des cabrioles poétiques qui déploient plusieurs sens : libre à chacun de choisir le sien.
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Recherches autour de la plasticité, module de silicone et bois composite. Travail mené en collaboration avec Agathe Derycke, Océane Marchesini & Maéva Prigent
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Invitation à la manipulation Je me nourris et je travaille par manipulations. Mes mains sont mes outils de création avant tout prolongement technique, ce sont mes « pinces universelles ». Organe de préhension du monde, la main est un « flair tactile » selon Henri Focillon : « La possession du monde exige une sorte de flair tactile. La vue glisse le long de l’univers. La main sait que l’objet est habité par le poids, qu’il est lisse ou rugueux, qu’il n’est pas soudé au fond de ciel ou de terre avec lequel il semble faire corps ». Mais c’est aussi l’organe de création de son propre monde : « Et prenant dans sa main quelques déchets du monde, l’homme a pu en inventer un autre qui est tout de lui ». La main est donc l’outil de la transformation, l’organe nécessaire au cycle de la reconstruction. C’est elle qui permet la création de nouveaux mondes à partir des versions d’autres monde. L’appropriation des savoirs et des connaissances passe donc avant tout par la main, elle est celle qui permet de com-prendre. Mes productions, parcequ’elles sont nées de la manipulation, cherchent à retourner à leur première nature : elles se pensent comme des invitations à la manipulation. Loin de l’approche hygiéniste de la création, en offrant mon travail à la vue du regardeur, j’invite aussi le touche-à-tout, qui est en lui, à se saisir des formes, à se nourrir par les sens.
Eloge de la main, P.U.F, 1943. Henri Focillon
Nelson Goodman Manières de faire des mondes, Jacqueline Chambon, 1992.
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Prière de toucher, Marcel Duchamp, 1947. Sein sur velours, présenté sous-verre, emboîtage pour l'édition de luxe du catalogue de l'exposition « Le Surréalisme en 1947 ».
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Assemblage spontanĂŠ
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Matière à scénographier Mes productions sont des repères qui définissent dans l’espace et dans le temps un mode d’être ; abri-à-penser, atelier-à-créer, aire de la relation. Je crée de la matière à s’installer, les objets prennent donc leur place dans ces espaces. C’est en étant installées que mes productions trouvent leur finalité. J’ai besoin d’un lieu pour les « aboutir ». Elles conservent leur caractère instable jusqu'à ce qu’elles aient trouvé leur place. Elles appartiennent à un endroit précis pour un temps ; sûrement aussi à un autre endroit, mais dans un autre temps. Elles sont d’abord ici et maintenant dans leur étendue. Les objets se déploient donc spatialement lorsqu’ils sont « posés ». Une fois qu’ils sont à leur place – cherchée, sentie et enfin trouvée – c’est comme si je n’avais plus qu’à les délier. Alors ils s’ancrent et se déploient. Ils habitent l’espace autour d’eux. C’est une dimension de travail in situ, pas dans la construction de la production, mais dans son installation comme part de la production. La scénographie nécessaire à la lisibilité du travail : transportée, c’est une esquisse, installée, elle se dessine « en plein ». Scéno-graphier c’est, pour moi, écrire l’histoire de mes objets sur la scène du lieu qu’il leur est donné d’habiter.
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Dans le cadre d’une soirée singulière au Musée de la Chasse et de la Nature j’ai pu exposer – ainsi que toute la classe de DSAA – mes productions réalisées à partir d’un texte de Pascal Quignard sur la chasse. Pour cet événement, j’ai notamment présenté une vidéo intitulée « La Chasse », laquelle présente un corail se faisant attraper par un gant frangé – filet sur mesure pour corail ensauvagé. Cette vidéo était présentée sur deux écrans installés perpendiculairement, marquant ainsi le passage du corail d’un espace à l’autre lors de son enlèvement – son ravissement – par le gant. Le sens de la vidéo ayant été basculé, le gant semble attirer le corail horizontalement, une lévitation aimantée défiant les lois de la gravité. Cette vidéo nécessitait donc son installation pour être lue dans son intégralité. Mais j’ai également présenté les protagonistes de cette scène dans une autre pièce du musée, comme un rappel qui, dans le parcours de la soirée, invitait à rejouer l’histoire à l’aide de la mémoire. Ces deux personnages – Gant-filet et Corail – étaient simplement posés sur de grands meubles de bois dans la salle dite « des Armes », accompagnés d’une légende les présentant : Ravis naturalisés: Couple Ravisseur-Ravissé Extrait encéphallique de la Grande Barrière de désir, relevé à proximité des archipels freudiennes.
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Protagonistes de la vidéo La Capture, présentés à la soirée singulière du musée de la Chasse et de la Nature dans la « salle des Armes ».
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Installation vidéo La Capture, à la soirée singulière du musée de la Chasse et de la Nature dans le « cabinet de la licorne ».
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Je suis atteinte d’une curiosité pathologique pour les histoires. Je veux savoir ce qu’il se passe, ce qu’il va
advenir d’eux, de quoi est fait ce monde, com-
ment sont-ils arrivés là, pourquoi n’ont
ils pas pensé à s’échapper, alors c’est
comme cela que ça se passe dans cet univers ?
Elevée aux contes, aux récits mythologiques que l’on me racontait deux fois : une version d’Ovide, taillée et complexe, dans laquelle résonnait encore les coups de maillet sculptant la chair du marbre, et une version habillée de mots d’enfant, la même histoire, mais comme enveloppée, pour ne se pas blesser sur les paroles saillantes. Toutes deux étaient pour moi. Elles m’appartenaient. J’étais riche de ces histoires que je me répétais sans cesse pour ne pas les perdre. Je m’imaginais en personnage double, à la fois prolixe Shéhérazade et insatiable sultan ; constituant mon trésor, amassant pièce par pièce les morceaux d’histoires, comme autant de scènes jouées dans l’espace d’un théâtre. Je voulais savoir, encore, toujours plus, et en détails ! Finalement, les adultes se lassèrent. Il faut dire qu’ils ont toujours bien joué le jeu, mais que mon exigence l’était trop, justement. Ils m’ont alors invitée à découvrir par moi même. Tiens, va te nourrir toute seule. C’est ainsi que j’ai appris à devenir ma propre conteuse.
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Ce qui se relate La relation, étymologiquement, c’est ce qui se relate. Ce qui se raconte. Cette part – la petite brillante, non pas la grande imposante – donnée à l’histoire a une place non négligeable dans mon travail. J’aime raconter des histoires. Elles sont les véhicules des nourritures intérieures ; l’histoire c’est la relation qui prend forme en images. Eduquée aux histoires, je cherche à partager ces nourritures qui m’ont élevée. Ce désir de partager la création par l’histoire se retrouve dans une tendance contemporain que l’on nomme storytelling, mais qui elle, utilise l’histoire à des fins commerciales. Je ne me place pas dans cette visée d’utilisation, mais je note tout de même le besoin marqué dans cette tendance de la mise en récit. On cherche des histoires qui s’inscrivent dans la grande ; à défaut d’en posséder, on veut connaître celles des autres. Partager les histoires c’est aussi chercher à participer à une remagification du réel. Dans mon travail, je cherche à raconter les histoires des objets, les miens autant que ce que je recueille. Pour cela, nul besoin d’inventer de toutes pièces : c’est un travail de composition. Chaque élément présent dans les objets renvoie à une histoire qui lui est propre ; ils sont à l’image de mes Livres-support-à-idées qui déploient leurs histoires sur leur couverture, à travers des objets brodés. Dans mon travail, le texte a une place de choix. Des légendes aux discours enveloppants, il est celui qui permet la transmission et le partage.
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La poétique des formes de la main Un livre qui déambulait dans une forêt de menhirs levés – ces jardins de sages que l’on nomme bibliothèque – se fit un jour attraper. Ravi, son enlèvement fit grand bruit. Ne sachant quel sort lui réservait l’avenir, il eut assez de présence d’esprit pour se tenir à carreaux, histoire d’arrondir les angles. Il eut tôt fait de se rendre compte qu’il avait pris la plus sage des décisions : celle de ne pas fuir devant son destin, qui déjà se tissait à ses pieds. Il avait été choisi pour devenir le Roi-nouveau de nouvelles-idées. En guise d’intronisation, il fut enveloppé d’un vêtement d’apparat. Sa robe couleur soleil, dont l’éclatante lumière fut empruntée à un livre voisin – un livre dans lequel se tramait une histoire complexe de robes, de roi, de fille et de peau d’âne –, fut tissée par les artisans qui firent des habits neufs de l’empereur une réalité.
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Sur son manteau d’or solaire, baignant dans la lumière, se déployaient les insignes de sa royauté : des animaux marins exposés au grand jour. Nées de la nuit éternelle du fond des océans, ces coquilles avaient été modelées par les caresses fluides et insistantes de leur mère originelle. Des mains de la mer, ces courants d’eau semblables à l’air, ces blasons royaux avaient vu, pour les uns, leur silhouette s’allonger, pour les autres, leur ventre se déployer. Depuis tous donnent à voir un répertoire poétique des formes de la main. Des coquillages comme créés par le tournage, comme dessinés par l’union sensible et spiralée de la main et de l’argile. Ces blasons de mer sont des bijoux pour écrin-de-mains ; tenus aux creux de nos paumes, épousant leur forme et sommeillant sur ces tambours ventraux, ils sont comme des perles dans le coquillage de nos mains. Ce Livre-Roi règne donc sur le royaume de l’idée dont le nom est inscrit sur le front de sa pensée. Un cheveu de laine de lapin blanc est venu inscrire son dessein, dans un jeu de points liant surface et intériorité, manteau royal et chair du texte. L’intitulé exact du nouveau roi, bien aimé de ses sujets de mer, se donne à voir aux regards curieux et émerveillés, brodé comme un chapelet de rochers au milieu d’une mer de lumière dorée :
La Poétique des Formes de la Main.
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Son manteau est fermé d’une ceinture tressée de cheveux d’enfants, de douceur des prés. Trois fois, elle fait le tour de sa taille, délimitant déjà au sein de son royaume les domaines féodaux des insignes royaux. Mais ce livre régnant sur la poétique des formes de la main ne serait pas seigneur incontesté et reconnu, s’il ne tenait dans ses mains le sceptre princier qui assoit sa souveraineté. Cette languette royale – marque-page ou chevalier – se voit orné d’un bijou complexe fait d’or-bureautique : des attaches précieuses extraites des mines parisiennes. Celles-ci embrassent et enserrent un galet, né des mers – une pierre précieuse de sa douceur – et son acolyte arborescent et bourgeonnant, un corail de pensée. Cet extrait du cerveau océanique voit une mèche de cheveux cotonneuse prolonger les rameaux de ses idées. Jaloux de la venue au monde spectaculaire de la Beauté des mers, ce corail voulut reproduire la naissance botticellienne : émergeant de l’eau matricielle, emporté par son enthousiasme, il s’envola si haut qu’il s’accrocha à un nuage encore ébouriffé de rêves, qui depuis trône sur son front en une nuée de laine de mouton céleste. Ce Livre-Roi, représentant terrestre d’un Olympe du texte, fier de ses insignes et de ses vêtements d’apparat, règne désormais, grâce à son titre royal, d’une main de maître sur le royaume Poétique des Formes de la Main.
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L’aire de la relation La relation au coeur de mon fonctionnement. La relation comme fonctionnement. Mes productions témoignant de la relation. Mes productions comme des invitations à la relation. Un déploiement de jeux de relations entre les mots, entre les sens. À croire que je ne peux m’arrêter. Partage, partage. Maître-mot de mes objets-à-s’installer. J’ai ici tout relaté. Tout dit, tout raconté. Tissant de mes mots les seuils de l’aire-à-échanger. Je conclurai en disant seulement que vous êtes bien sûr invités à y entrer.
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CECI N’EST PAS
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UNE CONCLUSION Ainsi je dois conclure. Momentanément fermer ces portes que vous avez ouvertes en ouvrant ce livre, pour vous permettre de le fermer. À l’image de mon travail, rien n’est jamais fini, ceci n’est pas une conclusion, je ferme ici seulement un cycle, je boucle la boucle à l’étage du dessus. J’ai été ravie de vous accompagner, j’espère que par cette fenêtre de monde, le mien vous a plu. Que dire sinon que je continuerai à créer comme on vit, à lire comme on mange, à échanger comme on respire. Des activités de la vie, des pratiques dynamiques qui insufflent l’énergie. Mon design, c’est la construction obsessionnelle de ces abris mobiles capables de voguer sur les mers de pensées et les nuages de la relation. Dans mes voiles, le vent de la recherche qui toujours me poussera plus loin. Pour un temps je me suis arrêtée. J’ai fait escale dans ce pays de l’écriture qui porte le nom de notre muscle le plus précieux : Mémoire. Je reprends aujourd’hui la route. À l’instant où je vous parle, je fais mes bagages. Je dois rapatrier les objets que j’ai déployés, dans les poches que forment mes habits noués. Il me faut tout empaqueter, tout emmailloter : je fais alors des sacs en pulls tressés, j’y bourre mes capes roulées, je glisse mes coussins enrobés et mes livres de poches dans celles de mes manteaux. Ma cabane-barque, mon vaisseau en tricot, mon avion de laines aux ailes molles, bref, mon abri-mobile est prêt à reprendre la route ; je chausse alors mes plus beaux pieds nus et me voilà partie : cap sur Production-City.
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MENU
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Mise en bouche Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être, Gallimard, 2011
Hors d’oeuvre Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913
Relevé Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, P.U.F., 1960
Antipasti Italo Calvino, Si une nuit d’hiver un voyageur, Seuil, 1979
Entrée Pascal Quignard, L’origine de la danse, Galilée, 2013
Plat de résistance Marcel Duchamp, Ingénieur du temps perdu, Belfond, 1976
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Entremet Nelson Goodman, Manières de faire des mondes, Jacqueline Chambon, 1992
Rince-doigts Henri Focillon, Eloge de la main, P.U.F, 1943
Dessert Marie-Haude Caraës et Nicole Marchand-Zanartu, Images de pensée, RMN, 2011
Café gourmand Nicolas Bourriaud, Esthérique Relationnelle, Les presses du réel, 1998
Digestif André Gide, Les Nourritures terrestres, 1924
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Camille Dunaigre Camille.dunaigre@gmail.com camille.dunaigre.com
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Imprimerie Launay Papier Pure Coton CocaĂŻne Couverture Keaykolour Particules Blanc 300gr Typographie Avenir Next & Baskerville
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