Désinhibition, de la création à l'émancipation.

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Camille

Hautreux

DiplĂ´mes 2017



DĂŠsinhibition crĂŠatrice


Camille Hautreux Mémoire fin d’étude, sous la direction d’Antoine Dufeu Strate, école de design


Feuille blanche, pliĂŠ en 4


Désinhibition De la création à l’émancipation


Avant-propos

Introduction La désinhibition, une puissance créatrice

Relation entre art et désinhibition Frustration Dialectique de la désinhibition

La désinhibition rime avec émancipation S’émanciper des contraintes À la recherche d’un autre réel Au delà de l’individu

10

15

18

29

30

49

50

63

66

79

80

93

94

107

[ Rencontre avec Raj ]

La désinhibition rime avec transgression Désinhibition limitée Le tabou et le désinhibition

108 122

121 129

Conclusion

130

135

glossaire



Le monde nous inhibe, par les règles, l’argent, les codes, l’éducation, la méthode, le physique, la morale, nos devoirs, nos capacités, le temps, la peur, le réel, car chacun voit les choses de sa propre manière, leur donnant un certains sens … Le monde nous désinhibe, par l’ivresse, la confiance, le courage, l’amour, la danse, la musique, l’art, le voyage, la volonté, l’anticonformisme, la victoire, la connaissance, un lieu, une personne …


Introduction

INTRODUCTION

10


La créativité est partout et nous façonne. Processus paradoxal

mais néanmoins nécessaire à l’existence de l’homme, c’est une faculté nourrie d’obstacles et de contraintes. La création fait écho à la folie et au génie dans nos imaginaires collectifs. En cela, la créativité fraternise avec la désinhibition. Lorsque nous associons ces deux termes, l’Histoire nous révèle une complicité et un besoin mutuel de l’autre. Au-delà des drogues et des ivresses, la désinhibition rime avec émancipation et nous révèle sous bien des aspects : de notre anticonformisme à nos réactions cognitives, de nos contraintes à notre individualité, questionnant la recherche d’autre réel, jusqu’à nos transgressions.

INTRODUCTION

11


À la fois mystérieuse et mystique, la créativité interroge. À travers

les âges et les siècles, la perception de celle-ci est différente. Tantôt oubliée, dévalorisée, réservée ou reconnue, l’homme de notre ère, l’a perçu différemment tout au long de son histoire. Indéniablement liée à l’art, la créativité tire ses racines de l’étymologie de poésie : «poíêsis » (« action de faire, création »). Parallèlement ce sont les poètes qui ont depuis toujours travaillé à la retranscription des émotions, et ont été ainsi les premiers à explorer la désinhibition.

S’agit-il de se désinhiber pour créer ? À travers ce mémoire il s’agira de décrypter cette notion, sous ses formes scientifiques, philosophiques ou émotionnelles, afin de comprendre la force qu’elle porte. Par le biais d’exemples, d’études et d’observations, nous tenterons de mettre en lumière l’impact de la désinhibition sur notre volonté perpétuelle d’émancipation. Au delà de ses relations aux arts, cet état d’esprit permet d’innover et de réinventer en déstabilisant les systèmes pour mieux se les approprier; de se découvrir soi-même pour assumer notre individualité plurielle.

La

désinhibition

questionne

également la transgression et le tabou qui les accompagnent. L’excès qui ne mène nulle part, annihile cette puissance créatrice, dérivant ainsi vers l’addiction et l’extase. L’Homme

INTRODUCTION

12


rationnel et la nécessité du savoir remettent en question l’énergie créatrice d’une désinhibition, sous n’importe laquelle de ses formes car la création nécessite une rigueur pour transformer nos connaissances. La désinhibition favorise la libération et la spontanéité, à la fois technique et morale. Elle nous demande de nous pencher sur sa capacité à passer outre, ayant pour risque la banalisation du danger, traduit par le terme de « désinhibition moderne ».

Depuis l’élaboration des attendus, il a

paru nécessaire, dans un premier temps, de commencer cette recherche par une immersion dans la culture des arts drogués et d’artistes sous influence. Cet état des lieux s’est fait à travers différentes découvertes ou reprises de lectures et réinterprétation d’oeuvres marquantes, qui nous ont surement guidé jusqu’ici. À travers la littérature de la Beat Generation, suivant les histoires de Jack Kerouac à travers l’Amérique ou encore William Burroughs de Paris à Tangers, nous avons observé les travers et les excès cristallisés par une remarquable biographie américaine. La littérature française n’en démérite par pour autant. Baudelaire et ses paradis artificiels nous ont guidé tous le long de nos recherches, de même pour la musique et l’art de la fête. L’exposition The

INTRODUCTION

13


Velvet Underground à la Philharmonie de Paris, durant l’été 2016 nous ont également permis de regarder avec un éventail plus large, le monde de l’artiste et les influences d’état psychotonique. Paris

regorge

d’ailleurs lieux qui

de

d’expositions ont

laissé

traces, celle drogué,

des

notamment de

«

Art

expérience

psychotonique [exposition Velvet Underground New York Extravagnaza, Philarmonie de Paris mars/août 2016]

mille

et

création artistique » à la maison rouge. Le collectif d’organisation a laissé au travers de cette exposition, une multitude

d’informations

questionnant

l’approche artistique de la drogue . Ceci nous permet de poser plus facilement des mots sur les motivations artistiques d’un tel comportement. Par ailleurs la désinhibition créatrice défendue dans ce mémoire nous pousse à poser une réflexion sur les mécanismes et actions des désinhibitieurs. La mise en ligne sur internet de colloques dédiés à l’étude des drogues et réaction du cerveau nous ont permis d’accéder aux

connaissances

de

Jean-Pol

Tassin,

neurobiologiste. L’étude de l’émancipation en relation avec un désinhibition positive, nous a poussé à diversifier nos recherches. Tout d’abord c’est avec Clement Rosset, que nous avons observé le rapport à la réalité qu’entretien l’homme desinhibé. L’étude du réel et de la

INTRODUCTION

14


détermination nous ont guidé vers Descartes. Au contraire, l’indétermination et l’incertitude nous ont guidé vers Alain Ehrenberg, qui nous dévoile les frustrations de l’homme et son désir de fuite. À travers l’art, la science et l’individu, nous avons défini notre approche de l’émancipation. De la même manière, nous avons sonder les limites de la désinhibition, notamment grâce à JeanLouis Poitevin, cherchant à comprendre où nous mènent l’addiction et l’extase, de l’ivresse ou du savoir.

Dans un premier temps nous allons

étudier les relations qu’entretiennent création et désinhibition, l’art se révèle nécessaire à l’homme, soulevant en lui frustration par manque de créativité. La désinhibition est caractérisée par plusieurs mécanismes. Dans un deuxième temps nous étudierons la volonté d‘émancipation à travers trois axes, l’art, l’innovation et l’individu. Comment l’homme, à travers une multitude de contraintes, trouve la capacité à s’émanciper ? La compréhension du réel et la construction de soi constituent d’autres motivations à la désinhibition qui tendront vers la création d’expériences valorisantes. Enfin nous nous pencherons sur les limites de la désinhibition, conduisant vers la transgression, à la foi de soi même et des autres et comment l’homme peut y remédier à travers la catharsis. Nous terminerons sur la rationalité de l’homme, l’empêchant de se libérer ou au contraire, sur la désinhibition moderne, source de nouveaux problèmes actuels.

INTRODUCTION

15


DÉFORMATION FORME PHOTOSHOP

16


A) relation entre art et désinhibition besoin : créativité et art Une théorie chamanique L’image de l’artiste

B) Frustration La difficulté de créer « le retour de la drogue » L’anticonformisme

B) Dialectique de la désinhibition Vers une définition La mécanique de désinhibition Désinhibition cognitive

17


« .. la essentielle de l’image « ..nouveauté la nouveauté essentielle de l’image

poétique poétique le problème de de la l’être parlant. pose lepose problème de la créativité créativité de créativité, l’être parlant. Par cette imaginante se Par cette la conscience créativité, conscience imaginante trouve la être, très simplement, maissetrès purement, trouve très simplement, très cette valeur uneêtre, origine. C’est à mais dégager purement, une C’est à dégager d’origine deorigine. diverses images poétiques que doit cette valeur d’origine de diverses s’attacher, dans une étude de l’imagination, une images poétiques que s’attacher,poétique. » 1 phénoménologie dedoit l’imagination dans une étude de l’imagination, une phénoménologie de l’imagination poétique. »

1 BACHELARD, La Poétique de l’espace, 1957, p. 8

ART ET DÉSINHIBITION

18


« L’art rend à chacun ses racines » 2 Ben

besoin : créativité et art

La créativité est

un mystère, qui a conduit l’homme à vouloir la comprendre, à l’analyser sous différentes perspectives afin d’en tirer les secrets pour les mettre à profit.

Philosophes et scientifiques

ont cherché les réponses qui découlaient de leurs questions sur ce sujet. Certains se posent la question de son utilité ? D’autres de sa provenance. Enfin la créativité est-elle innée chez l’Homme ? Dans ce chapitre nous tenterons d’observer et analyser ce qui se dit à ce sujet.

Tout d’abord, il faut bien comprendre la

légère nuance entre création et créativité. La création est un mot qui a une forte connotation religieuse, un phénomène mythique, voire miraculeux, qui est associé, dans plusieurs cultures, à l’origine du monde et aux capacités divines des dieux.

La création que nous

abordons ici est celle de l’homme, elle représente l’aboutissement d’une pensée, d’une idée. La première définition du dictionnaire CNRTL, en accord avec cette introduction, définit 2 VAUTIER Ben, artiste Fluxus, 18 juillet 1935 (81 ans)

ART ET DÉSINHIBITION

19

la


création comme « L’acte, le fait de

créer - Acte consistant à produire et à former un être ou une chose qui n’existait pas auparavant. »3 La création un acte, qui ne dépend pas d’autre chose, elle est le résultat, ou une traduction comme le dit A. Musset : « sous une forme neuve et

originale, un projet conçu à la fois par l’intelligence et la sensibilité.

l’Académie française, c’est au cours

Créer des formes, des types; créer

du XXe siècle qu’il a été adopté.

un personnage, des atmosphères,

Lors de la séance de l’année 1971

une danse. Les musiciens créent

c’est Louis Armand qui a défendu la

la mélodie »4, or, l’acte de créer

notion « d’imagination appliquée »,

se décline en fonction de chaque

défendant

individu et de ceci naît une nuance,

de l’association de la création

cette chose qui différencie les

et de la productivité : « C’était la

créations de chacun, la créativité.

capacité à créer des idées grâce à

recherches

l’imagination »5. C’est effectivement

effectuées à la rédaction de ce

quelque chose qui se passe dans

mémoire, il a été nécessaire de

notre

commencer par la définition du

phénomène

terme « créativité » et la recherche

historique qui s’accorde à nous et

de son origine. Cela est peut-

que nous exprimons. La création

être

terme

est l’acte de créer alors que la

« créativité » est récent. Selon

créativité est le pouvoir de créer.

Lors

étonnant,

des

mais

le

l’idée

esprit,

la

qu’il

s’agissait

résultante

psychologique

de et

C’est une capacité qui constitue 3 Dictionnaire CNRTL recherche

5 RONA Georges, dans l’avertissement de L’Imagination constructive, édition puf, p. 10.

« CRÉATION »

4 MUSSET A, Confession d’un enfant du siècle, Gallimard, 1836, p. 48

ART ET DÉSINHIBITION

20


l’un des traits qui nous distingue le

et éveille nos besoins.

mieux des autres espèces vivantes,

une capacité qui s’inscrit à la source

Maslow a élaboré une pyramide des

même de notre humanité et notre

besoins humains (La pyramide de

culture.

Maslow)7, indiquant les différents

Or, même si nous ne la

niveaux de besoins primaires. Cette

stimulons pas dans notre quotidien,

théorie classe les besoins selon une

elle, « la créativité », se manifeste

hiérarchie qui indique leur niveau

quand même, à notre insu. Elle

de difficulté. L’ordre croissant est le

est présente en « toute formation,

suivant : Tout d’abord le besoin de

substitutive

symptôme,

survie, puis le besoin de sécurité,

un rêve, un lapsus, c’est une

le sentiment d’appartenance, le

expression symbolique d’un désir

besoin de reconnaissance, et enfin

ou d’un conflit défensif. » Malgré

la réalisation de soi, le plus difficile.

le fait que ce sont des concepts que

Ces besoins reflètent notre désir

nous ne maîtrisons pas et qui nous

d’être pour autrui, notre désir

surprennent, ce sont des créations

d’être comblé. Pour cela ne faut-il

riches de sens. Le rêve est une réelle

pas faire preuve de créativité ? Pour

extériorisation de notre conscience

accomplir nos besoins, il s’agit de

6 C. MOY, Envie d’école, n°61

7 MASLOW Abraham, Devenir le meilleur

:

un

6

ART ET DÉSINHIBITION

21

En 1943, le psychologue

de soi, besoins fondamentaux, motivation et personnalité, édition Eyrolles, 2008


faire des choix « que ce soit dans la

défendus par Meslow11, p. Être créa-

manière de transformer le monde

tif c’est donc oser se confronter aux

ou dans la manière de l’assumer. »8

autres et braver sa peur. L’artiste se

nous dit Maurice Merleau-Ponty,

sent obligé de partager son oeuvre,

philosophe français.

seul ou à plusieurs (Club des Has-

hischins), il est cet humain dont la

Selon Françoise Dolto, psy-

chanalyste

française,

reconnue

créativité est le fil conducteur, le be-

pour son travail sur l’image in-

soin fondamental . Mais pour Dolto,

consciente du corps, « le désir est

le désir est toujours « une angoisse,

cette force qui nous anime et nous

car il nous pousse vers l’incon-

pousse à accomplir. »9 Ici la notion de

nu. »12 La créativité se nourrit de ces

désir rentre en corrélation avec le

angoisses, développant notre capa-

besoin, car « l’Homme est une créa-

cité de communication. Jean Paul

tion du désir, non pas une création

Sartre complète en affirmant que :

du besoin »10. Alors le désir permet

« c’est dans l’angoisse que l’homme

de satisfaire les besoins primaires,

prend conscience de sa liberté 13. »

8 MERLEAU-PONTY Maurice, Signes. Paris, Les Éditions Gallimard, 1960, p. 438.

11 MASLOW Abraham, Devenir le meilleur de soi, op. cit.

9 DOLTO Françoise, Au jeu du désir, éd. du Seuil (1981).

12 DOLTO Françoise, Au jeu du désir, op. cit.

10 BACHELARD, La psychanalyse du feu, 1949.

ART ET DÉSINHIBITION

13 SARTE Jean Paul, L’être et le néant, édition Gallimard, 1943, p.64.

22


« le principe d‘où l’art tire son origine est celui en vertu duquel l’homme est un être qui pense, qui a conscience de lui, c’est a dire qui non seulement existe, mais existe pour lui. Être soi et pour soi, se reprendre soi-même, se prendre pour objet de ça propre pensé (…) tel est le principe de toute action et tout savoir, l’Art trouve en lui son

Ce qui pose la question, suivante :

Sans la présence des autres, serionsnous autant créatifs ? D’autre

part,

origine nécessaire » 14

Par nécessité d’accomplir

ses besoins primaires, l’Homme développe

l’anthropologie

donc

le

besoin

de

créativité, s’appliquant à toute ses

défend la théorie que l’homme a une

tâches quotidiennes, lui permettant

conscience, l’Homme pense, car il a un

d’exister. L’Art est cette faculté

esprit. C’est à travers l’art que l’homme

sensible de l’homme, exprimant ses

prend réellement conscience de lui

désirs, dans laquelle se reconnaît la

même. Il a besoin de s’exprimer avant

société, permettant aux humains

tout et l’art est la traduction de son soi.

de prendre conscience qu’ils sont.

C’est à travers les oeuvres qu’il produit

Atteignant ainsi le dernier étage de

qu’il est capable de se reconnaître. C’est

la pyramide de Malsow, la réalisation

en créant qu’il utilise et matérialise sa

de soi, accomplissant le besoin de

pensée, à travers ses productions il se

s’affirmer de manière personnelle

perçoit comme être pensant. Ainsi la

son caractère unique, de réaliser

créativité aurait un rôle de réalisation

ses potentialités, ses dons.

de nos besoins. Hegel défend que :

14 HEGEL, Esthétique, édition Poche, 1997, p. 75

ART ET DÉSINHIBITION

23


[Vénus de Willendorf (déesse mère) 23 000 ans AVJC statuette en calcaire du Paléolithique]

ART ET DÉSINHIBITION

24


« Ce n’est pas l’artiste moderne qui est primitif. C’est le premier homme qui était un artiste »15 Barnett Newman

Une théorie chamanique

À partir de ce que nous avons

étudié précédemment, nous pouvons en déduire que la créativité est un facteur inné chez l’homme et elle ne demande qu’à être cultivée. Ernest Gombrich16 explore l’histoire de l’art à la recherche des premières formes de création, en considérant la créativité comme force de création d’images, considérée ou non comme agréable à regarder. Pour cela, il s’intéresse au début mystérieux dans les peuples primitifs, qui marquerait l’ère paléolithique, comme possible période d’apparition « des premières formes d’expression identifiée comme artistiques. »17 Une hypothèse récente rattache les débuts de la créativité artistique à l’expérience chamanique.18 Cette théorie met en relief une notion intéressante, mettant en avant une relation profonde entre l’expression artistique et la consommation de psychotrope pour atteindre des états psychologiques particuliers. Aujourd’hui cette hypothèse est vivement critiquée par certains archéologues. Cette vision, controversée dans le 15 « Barnett Newman est un peintre américain. Il est l’un des représentants les plus importants de l’expressionnisme abstrait et l’un des premiers peintres de la Colorfield Painting. » Wikipédia 16 GOMBRICH Ernst Hans, Histoire de l’art, Phaidon, 2001 17 Ibid. 18 CLOTTES Jean et LEWIS-WILLIAMS David, les Chamanes de la préhistoire : transe et magie dans les grottes ornées, Paris, édition du Seuil, 2007

ART ET DÉSINHIBITION

25


monde scientifique (le débat est ouvert) met en avant une connivence sur les fondements de l’art et la relation de notre culture aux drogues et expériences psychotropiques. Soutenue par des artistes contemporains comme Carsten Höller, Wim Delvoye, Fancis Alÿs ou même Jan Kounen, qui affirm dans une interview accordée à la chaîne Arte, en 2015 : « Ce qui est vertigineux c’est de se dire que nous vivions dans une culture dont les fondements sont psychédéliques, religieux et philosophiques et qu’aujourd’hui c’est quelque chose que nous rejetons »19 L’art Chamanique est une production créative se basant sur une imagination qualifiée de « visionnaire »20. Le chaman a la capacité de « dialoguer avec le monde »21, c’est à dire avec la nature. Le chamanisme s’encre dans une création basée sur les rites et transes, provoqués par des agents modificateurs. Ainsi ils s’élèvent et entre en connexion « Ça parle dans ma tête »22 ou « je vois les yeux fermés »23. Les formes primitives de la créativité auraient eu un rapport privilégié avec des formes de désinhibition avancées, comme nécessaire aux connexions divines. Qui sont ses premiers artistes ? Était ce les chamans sous l’influence d’hallucinations ? Cette question met en exergue l’image que nous avons du créateur, de sa liberté d’expression que nous lui accordons et de sa place dans la société, en tant que marginal. 19 Drogues et création - Une histoire des paradis artificiels (1/2) La quête d’un autre monde. KOUNEN Jan interview, Arte diffusé le 09 janv 2014. 20 PERRIN Michel, Le chamanisme: « Que sais-je ? » n° 2968, Presse Universitaire de France, 1995, p. 116. 21 Ibid. p. 116. 22 Ibid. p. 116. 23 Ibid. p. 116.

ART ET DÉSINHIBITION

26


[Carsten Hรถller, Upside Down Mushroom Room, 2000]

ART ET Dร SINHIBITION

27


[Velvet Goldmine, Todd Haynes, 1998]

L’image de l’artiste

La figure de l’artiste est souvent

en décalage avec les dogmes de notre société. « Dans l’imaginaire collectif, l’artiste est souvent ce marginal qui ose tout ou à qui on laisse oser. »24 le spectateur aime le fait qu’il soit différent, aime percevoir l’interdit, voir ce que lui a vu à travers les drogues, cet autre monde. Il se donne ainsi une place privilégiée, constituant son mythe, « son fils d’Ariane d’un imaginaire qui lui donne un si beau rôle »25

Mais l’artiste est un créateur avant tout, il entretient une relation

avec la désinhibition évidente. C’est un fait historique et comportemental que nous allons explorer. Ce qui est important de noter c’est que cette compatibilité existe, car l’artiste a une volonté d’expression, ce qui l’autorise c’est sa détermination. Certaines œuvres , fruit de désinhibition ont bouleversé les tendances artistiques, comme William Burroughs, avec le « festin nu », qui constitue aujourd’hui la figure la plus emblématique de l’artiste drogué… D’autant plus, le recueil Les Poètes maudits (1884)26 de Verlaine, rend compte de la nouvelle position des artistes de la modernité, le romantisme, rejetant la société bourgeoise, en manque de symboles. L’artiste a une personnalité sensible au monde, le propre de l’acte créatif, vu précédemment. Aujourd’hui notre vision de l’artiste le place comme 24 EGANA Miguel, Arts drogués, expériences psychotoniques et création artistique, Presse Universitaire Paris Ouest, 2013, p. 14. 25 Ibid. p. 14. 26 VERLAINE Paul, Les Poètes maudits, Paris, L.Maillet, 2008 (1884).

ART ET DÉSINHIBITION

28


« Cause it makes me feel like I’m a man When I put a spike into my vein. » Lou Reed [Heroin 1974]

une personnalité en rejet des valeurs matérielles. Prenez par exemple Jeff Koons27, n’avez vous pas questionné sa légitimité en temps qu’artiste ? Lors de son exposition au Centre Pompidou en novembre 2014, la presse française ne cessait de questionner son image. « Artiste ou homme d’affaires? Imposteur ou génie? On s’interroge sur Jeff Koons »28 titrait le magazine Challenge’s. Le mythe de l’artiste torturé est également renforcé par le portrait réalisé par Paul Gauguin de Vincent Van Gogh, illustrant une nouvelle crise de folie. Cet état de spontanéité contribue à donner une place supérieure aux artistes, devenant à part. « Depuis

elle n’a cessé de façonner l’imaginaire des artistes et du public, en créant l’attente d’une mort prématurée à la hauteur de la souffrance divinisée »29. Ainsi les milieux artistiques deviennent des lieux de transgression et d’autodestruction où la recherche de la sensation extrême est privilégiée. Sartre s’accorde à dire que l’œuvre d’art engage « l’Être »30 tout entier. L’œuvre exprime l’angoisse « profonde condition de l’Être, mais aussi

l’angoisse, possibilité de ne pas Être »31. Finalement, la torture de ne pas être est renvoyé sur la toile, exprimant cette difficulté de « formuler ce qui est »32. 27 KOONS Jeff, né le 21 janvier 1955, artiste américain, mouvement Pop Art. 28 RIVEAUD Francine, Jeff Koons, artiste ou homme d’affaires ?, Challenge’s, 27.11.2014 29 EGANA Miguel, Arts drogués. Op. cit. p. 109 30 SARTRE Jean-Paul, SICARD Michel, « penser l’art », Galilée, 1989, p. 16. 31 Ibid. 32 BAUER George Howard, Sartre and the artist, University of Chicago Press, 1969,

ART ET DÉSINHIBITION

29


La difficulté de créer

Si nous nous

appuyons sur ce que nous avons vu plus en amont, la création est le reflet de l’homme et de sa réalité. L’art est là pour aider l’Homme à comprendre son monde, à la fois pour les artistes qui s’expriment, mais aussi pour le spectateur qui se projette dans l’oeuvre.

L’Homme s’exprime sur le

réel, mais le réel est un mystère, parfois

mystifié.

philosophe

de

Hegel la

est

le

signification

du réel et soutient que « ce qui est rationnel est réel, ce qui est réel est rationnel »33. Mais Hegel affirme également que le réel a un langage compliqué, à l’instar p.152. 33 HEGEL. GWF, Principes de la philosophie du Droit, 1820

FRUSTRATION

30


des

mathématiques,

domaine

une réponse à la compréhension

34

qu’il méprise au plus haut point.

du monde en proposant autre

« La réalité la plus proche de

chose. »36 C’est dans cette difficulté

l’oeuvre, nous l’avons vu, c’est le

de comprendre le monde que la

soubassement chosique. Mais pour

frustration naît.

saisir cet élément chosique, les

concepts traditionnels de chose

que nous ressentons lorsqu’il est

sont insuffisants, car eux-mêmes

difficile de créer. Notre vision du

passent à côté de la choséité. »35

réel est limitée et nous avons du

La

mais

mal à saisir tout ce qu’elle englobe.

fastidieuse. Facile, car il s’agit de

Pour créer, il n’est cependant pas

communiquer et avec un peu de

nécessaire de tout comprendre, cela

technique il est possible de tout

serait bien évidemment impossible.

accomplir, mais fastidieux, car cela

Ce qui est important c’est de se

implique de savoir quoi créer en le

rapprocher de l’idiotie et d’accéder

comprenant. « L’art est justement

à la simplicité des choses pour en

création

est

facile,

En réalité c’est ce phénomène

comprendre le sens. C’est cette frustration à vouloir comprendre

34 ROSSET Clément, Le Réel, traité de l’idiotie, p. 54, édition de minuit, 1977

et explorer le monde qui pousse à la

35 BROKMEIR.W, « L’origine de l’oeuvre d’art » dans Chemin qui ne mène nulle part, p. 28.

FRUSTRATION

36 ROSSET Clément, Le Réel, Op. cit.

31


création. « Dans la détresse, le moindre des êtres accède à la force du mot : il peut écouter, il peut parler. Les grands artistes sont toujours en détresse. »37 L’imagination était autrefois considérée comme une inspiration divine. Platon disait que « l’inspiration du poète sont les champs magnétiques du divins »38, le dieu parle par sa bouche et le poète est un prophète. Pour être poète, il suffisait d’être en symbiose avec un monde qui de lui-même parlait. L’émission de France culture39, les cheminées la connaissance, fait intervenir Jacques Darriulat40, qui décrit la frustration des artistes ayant vécu l’entrée dans la modernité, un monde où les dieux ne nous parlent plus, un monde où il n’y a plus de correspondance, de symbole. Le poète erre dans ce monde mélancoliquement s’interrogeant sur ce qui pourrait lui donner l’inspiration, et si le monde ne le rend plus ivre, c’est lui-même qui doit s’enivrer. Entrés dans une ère industrielle, les artistes du romantisme ont perdu leurs repères légués par leurs anciens. Le monde dans lequel ils 37 LUDWIG HOHUL, Notes, traduit de l’allemand par BARLIER Etienne, Edition L’Age d’Homme, Lausanne, 1989 38 MATTEI Jean Francois, L’inspiration de la poésie et de la philosophie chez Platon, noesis. revues.org 39 France culture, Les Nouveaux chemins de la connaissance, L’ivresse poétique (1/4) : Baudelaire, présentatrice : Adèle Van Reeth, 00:06:23. 40 DARRIULAT Jacques, Professeur en philosophie de l’art à la Sorbonne

FRUSTRATION

32


vivent est rempli de savoir, ivre de savoir. Le réel se complexifie et se densifie, c’est un brouillard où les artistes errent en quête de réponse. Ainsi troublé, désormais se pose la question : « Comment être poète dans un monde sans idéal ? »41

Pour Baudelaire, la poésie doit être ivresse42, mais cela ne veut pas

dire que cette ivresse est une évasion, il ne s’agit pas de s’évader du réel, de proposer un monde de fiction qui nous permet d’oublier le désespoir de vivre. Mais qu’en est-il des autres artistes ? De toutes les expérimentations qui ont contribué à former l’image de l’artiste toxicomane ? Quelles ont été les questions qui les ont poussés ? Et quelles ont été les réponses … ?

Il est difficile de réussir à exprimer ses besoins, de trouver sa place

pour se réaliser, ainsi les artistes sont poussés dans leurs retranchements. Nous nous disons nous même qu’il est plus facile de créer lorsque nous souffrons, car nos émotions sont plus fortes. Les artistes explorent leurs caractères, leurs consciences et désirs. Ils sont à la recherche de créativité et de déclencheurs, les guidant ainsi vers la désinhibition et des comportements divergents, pour expérimenter et vivre plus fort. 41 DARRIULAT Jacques, La Crise de la modernité, cours rédigé pour des étudiants de troisième année (Paris 4), en 2004. en ligne sur le site se son auteur : http://www.jdarriulat.net/ Auteurs/Baudelaire/Baudbeautemod/Crisemod.html 42 BAUDELAIRE Charles, Enivrez-vous, Le Spleen de Paris, XXXIII

FRUSTRATION

33


« Les artistes ont recours aux drogues pour provoquer une schizophrénie expérimentale et limitée dans le temps pour sortir de soi et se déshabituer des normes sociales et des codes culturels » Jean Jacques Lebel43.

« le retour de la drogue »

Qu’apporte la drogue à la création artistique ?

Tout d’abord il ne s’agit pas de parler de « la »

drogue, mais bien « des » drogues. Les produits qui existent sont tous très différents. Les opiacés qui diminuent le seuil de la conscience, qui diminuent les souffrances. Les stimulants, comme la cocaïne qui active le consommateur l’incitant à produire, en quantité, mais pas forcement en qualité. Les hallucinogènes qui « font faire un pas de côté, qui ouvrent les fenêtres »44.

Depuis toujours, c’est à dire dès l’aube de

l’humanité, des produits existent dans la nature et l’homme en a croisé à maintes reprises les chemins. Il est même allé jusqu’à les synthétiser, dans un but thérapeutique premièrement. 43 LEBEL Jean-Jacques, né à Paris en 1936, est un artiste plasticien, écrivain, créateur de manifestations artistiques, mouvement surréaliste. 44 PERPERE Antoine, chef de service éducatif au Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie de l’association Charonne à Paris

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Les artistes ont toujours eu vocation à tester les limites, que ça soit les limites de leur propre médium, ou de leur époque et sont toujours à la recherche d’accès à la création. Ils cherchent des passages, des capacités d’expression, des routes vers des imaginaires transmissibles. « Il ne pouvait guère éviter d’en tenter les effets » affirme Antoine Perpère, commissaire de l’exposition Sous influences45. Il s’avère que certains produits permettent de « lâcher les freins » disait Henry Michaux, qui font des effets que l’artiste peut avoir envie de transmettre. En particulier chez les hallucinogènes, où artistes va avoir des visions, des changements de couleur, etc. … La restitution est difficile à transmettre. Chaque artiste fait ces expériences et essais le plus honnêtement possible, le plus radicalement, en essayant d’inventer des formes, de retranscrire ce qu’il a vu sous l’effet d’un produit. Nous pouvons également considérer l’état second comme d’autre réalité que l’artiste explore. Toute création vient d’une contrainte. L’art, comme vu précédemment, a vocation à représenter, traduire et simuler. La drogue apporte de nouvelles réalités que nous pouvons considérer comme source

45 Sous influences, arts plastiques et psychotropes, du 15 février au 19 mai 2013 la Maison Rouge – Fondation Antoine de Galbert, Paris

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[Kids, 1995, Larry Clark, New York]

de création, car source de nouvelles contraintes. Henri Michaux disait lui même : « Toute science crée une nouvelle ignorance. Tout contient un nouvel inconscient. Tout apport nouveau crée un nouveau néant. »46 La frustration de la créativité a conduit l’Homme à chercher des chemins de travers, stimulant de nouvelles perceptions, mais sans donner de nouvelle réponse, « Les drogues nous ennuient avec leur paradis. Qu’elles nous donnent plutôt un peu de savoir. » nous confesse Henri Michaux. Les drogues n’ont pas pour vocation à nous rendre plus créatif en augmentant nos capacités, la plupart du temps limitées, mais nous ouvrent d’autres mondes et réalités qui constituent de nouvelles contraintes et défis pour les artistes.

L’art qui représente est un positionnement de l’artiste face aux

drogues. Il consiste à témoigner de l’extérieur des produits, de l’état, des comportements, du mode de vie. Il s’agit de nous montrer que ce monde fait aussi partie de notre monde. Quelques artistes adoptent cette position : Larry Clark, Nan Goldin, Gianfranco Rossi, Fiorenza Menini. Cependant ce qui nous intéresse ici est la faculté de traduire et de simuler l’état second, qui pousse l’artiste à se remémorer son expérience et à faire preuve de créativité. La traduction est la volonté de créer l’image qui a été vue, de la partager et permettre ainsi la mise en image de ce qui a été ressenti, ce qui a 46 MICHAUX Henri, Plume, Paris, Gallimard, 2009, p 220.

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[Larry Clark Jack & Lynn Johnson, Oklahoma City, 1973 Edition of 25 Black and white photograph 11 X 14 inches (27.94 X 35.56 cm)]

été compris, comme un témoignage de cette autre réalité. Beaucoup d’artistes s’y sont essayés, tentant une

transcription

différée,

exercice

de

donnant

naissance

un

retranscription, à

une

contrainte basée sur le souvenir de l’expérience. L’art plastique a beaucoup travaillé à redonner vie aux

couleurs

permettant

et la

hallucinations, manipulation

de l’image; contrairement à la sculpture qui semble avoir des difficultés à traduire ces sensations. A

contrario,

l’écriture

excelle

dans ce domaine. C’est dans cet art là que nous retrouvons le plus d’artistes talentueux ayant joués des mots pour nous exposer ces

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autres mondes particuliers. Cette approche a été adoptée par (tout style confondu) : Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Théophile Gautier, Alexandre Dumas ( Club des Hashischins ) André Breton, Aldous Huxley, William Burroughs, Allan Ginsberg, Jean Cocteau, Stanislaw Ignacy Witklievicz, Jean Jacques Lebel, Henri Michaux, Jean-Michel Basquiat, Bryan Lewis Saunders et bien d’autres …

[Jean-Michel Basquiat – Boy and Dog in a Johnnypump, 1982]

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[Sans titre, encre de chine Henri Michaux, 1961, Dessin sous mescaline]

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[Look Now, See Forever, Yayoi Kusama]

D’autres artistes, considérant que la représentation graphique était trop limitée, ont recours à des dispositifs, afin de donner une perception de cet autre monde. Le recours aux sens cinesthésie47 et synesthésie48, des perceptions multidimensionnelles, impliquent le spectateur, le rendant acteur, dans une démarche de participation et d’interaction avec l’oeuvre. Ainsi certains artistes cinétiques et contemporains s’inscrivent dans cette démarche comme le cas de Carsten Holler, Yayoi Kusama, Henri Foucault. C’est aussi le cas de la musique, notamment la musique psychédélique, Miles Davis, Jimi Hendricks, Velevet Underground, Pink floyd, Roxy Music…. Nombreux sont les chanteurs et groupes qui réalisent des performances sous l’influence de psychotropes. Ils jouent et s’expriment devant leur public. À travers leurs voix ou leurs instruments, leurs émotions nous atteignent et celles-ci sont empreintes de leurs rêves, puisés dans leurs plaisirs et extases de leur corps sous influence.

47 « Sens du mouvement; forme de sensibilité qui, indépendamment de la vue et du toucher, renseigne d’une manière spécifique sur la position et les déplacements des différentes parties du corps. » Définition CNRTL 48 « Trouble de la perception sensorielle dans lequel une sensation normale s’accompagne automatiquement d’une sensation complémentaire simultanée dans une région du corps différente de celle où se produit l’excitation ou dans un domaine sensoriel différent. » Définition CNRTL

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[Miles Davis, Bitches Brew, 1970,

[Jimi Hendricks, Are You Experienced,

Album artwork by Mati Klarwein.]

1967]

[ Velevet Underground, with Lou Reed,

[ Roxy Music, Single Love is the

1969]

drug, 1975]

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41


[Swinging corridor, Carten Holler, 2005 2012]

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42


Les

drogues

monde. C’est l’esprit de l’art et le

appelées :

désir de création qui transforment

-trope « qui agit, qui donne une

ces états seconds en puissance

direction », psycho- « à l’esprit ou

créatrice. La drogue ne crée pas,

au comportement ». Les drogues

c’est la volonté qui le permet,

ont sans aucun doute influencé

notamment celle de l’artiste, qui est

l’art, dévoilant d’autres facettes de

cet homme qui doit s’exprimer et

notre société et de l’esprit humain.

qui ne peut exister qu’à travers ces

L’artiste cherche des réponses à

créations. Il est cet homme qui ne

son incompréhension du monde

se conforme pas et qui transgresse,

et à la difficulté de trouver la

questionnant les autres réalités,

créativité. Nous avons vu que la

mais aussi notre monde, celui dans

drogue à réussi à s’imposer comme

lequel nous vivons.

psychotropes

une

réponse,

signifient

mais

pas

d’une

manière attendue. La drogue a créé de nouvelles contraintes et ne nous augmente pas. Cette fuite de la réalité s’accompagne d’une détermination,

d’un

caractère

qui permet de revenir dans notre

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43


L’anticonformisme

L’individu en société

qui s’écarte de la norme est considéré comme une personne anormale, à caractère déviant. L’anticonformisme

est

non

conforme

aux

normes, aux ordres établis. Parallèlement il est intéressant de relever l’étymologie du mot « monstre » : celui qui est montré, non pas parce qu’il fait peur, mais parce qu’il est différent des normes49. Ainsi, André Gide écrit « Toute pensée non conforme est suspecte. » Ce comportement paraît suspect aux yeux qui justement se conforment aux normes de pensée. Le désir de mimétisme, et d’imitation est un facteur du désir d’intégration où tout le monde fini par se ressembler. (Repensons ici aux besoins primaires

de

Maslow50)

L’anticonformiste,

lui, est individualiste, tirant ses racines du latin dividere, qui signifie « diviser », « séparer ».

49 CNRTL, étymologie : Monstre. 50MASLOW Abraham, Devenir le meilleur de soi, op. cit.

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44


La majorité édite des modèles de comportement et de pensée auxquels l’individu refuse de se conformer, il se sépare ainsi de la masse. En revendiquant son originalité, il refuse d’être ce qu’il convient d’être. Cette originalité lui confère ce désir d’innover et de se réinventer.

L’anticonformisme est le refus de rester dans un contexte inhibiteur

normé. L’impressionnisme, ou encore le romantisme se caractérisent par une démarche de liberté créative rejetant les normes esthétiques de la peinture académique. Plus proches de nous, les années 1920-1930 sont profondément marquées par le surréalisme qui cherche à transcender la logique et la pensée ordinaire dans le but d’atteindre des strates de signification profonde et inconsciente. «Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. » André Breton51.

Cet anticonformisme n’est pas évident et difficile à atteindre.

Eugène Ionesco publie en 1960 Rhinocéros, dans lequel il souligne cette difficulté. Le refus de « penser comme les autres » ou d’être fidèle à soi même est source de douleur. Ainsi l’anti-héro, Bérenger, refuse le conformisme et perçoit le danger de la « Rhinocérite », allégorie des 51 BRETON André, Second Manifeste du Surréalisme, 1929

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45


idéologies totalitaires, affectant comportement, pensée et langage. Il devient alors cet être marginal, aux yeux d’autrui. D’où son cri : « Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme […] Je ne capitule pas. »52

Le refus de nouvelles normes provoque

frustration et indignation, ici le cri de final de Bérenger, ou, pour prendre un exemple plus concret, la dénonciation politique de Picasso lorsqu’il représentera le désastre de Guernica. Picasso incarne l’anticonformisme à la foi esthétique, créatif et politique. Sa volonté de rupture le pousse à créer en 1912 une œuvre majeure de l’histoire de l’art, La Guitare, incorporant carton découpé, papier collé, ficelle, huile et traits de crayons sur une toile.

52 IONESCO Eugène, Rhinocéros, acte III, tirade finale de Bérenger. Édition Bordas, 2005

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46


[Pablo Picasso “Verre, journal et violon” 1912, collage mixte, 18 1/2 x 24 5/8», Moderna Museet, Stockholm]

[Pablo Picasso “Guitare”, 1912, carton, papaier

[Pablo Picasso “Toujours avec la gui-

ficelle, 25 3/4 x 13 x 7 1/2» MoMA]

tare”, carton, papaier ficelle, 1913, 30 x 20 1/2 x 7 3/4» MoMA]

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47


Également, la musique a largement contribué a ce genre de

mouvement anticonformisme, comme le jazz, né au sein des communautés afro-américaine, exprimant une nouvelle identité d’un peuple mis en marge. Le jazz est également un moteur d’écriture, et influence la vie de certains auteurs. Notamment Jack Kerouac, personnage emblématique de la Beat Generation. « Cette mouvance mêlant drogue, sexe, alcool et littérature dans Greenwich Village, ne s’inspire pas d’une quelconque idéologie politique : révolte individualiste qui rejette les conventions sociales (prise de drogue, refus du travail régulier, de la famille, homosexualité). Ils sont des rebelles sans cause qui désirent créer un homme nouveau : le beat(nik), vagabond libre pour qui le voyage sous toutes ses formes est essentiel. »53

Cette vie marginale a également favorisé une créativité, donnant

naissance à ce courant qui influence l’Amérique entière. Les auteurs utilisent de nouvelles techniques, comme l’écriture spontanée et le cutup, permettant de dynamiser le récit et d’insuffler une impression d’état drogué. Cette expérience à la marge leur provoque le désir d’écriture, fondé sur la souffrance et le plaisir de l’inconnu. 53 MACAUX Olivier, La Beat Generation : un mouvement artistique contestataire et visionnaire, Compte rendu conférence, à UTL DU PAYS DE MORLAIX, 27 mai 2016.

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« Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents…tous ceux qui voient les choses différemment, qui ne respectent pas les règles. Vous pouvez les admirez ou les désapprouver, les glorifiez ou les dénigrer. Mais vous ne pouvez pas les ignorer. Car ils changent les choses. Ils inventent, ils imaginent, ils explorent. Ils créent, ils inspirent. Ils font avancer l’humanité. Là où certains ne voient que [Peter Orlovsky et Allen Ginsberg

folie, nous voyons du génie. Car seuls

dans leur chambre du Beat Hotel

ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils

(quartier Saint Michel, Paris 5e).]

peuvent changer le monde y parviennent » .1

1 KEROUAC Jack, Sur la route, Gallimard, juillet 1976

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49


« Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondra, il est l’heure de s’enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrezvous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.» Charles Baudelaire - Enivrez-vous - Le Spleen de Paris, XXXIII

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

50


Vers une définition

On

parle

souvent

de

désinhibition avec un aspect négatif, relié à un caractère trop divergent dont les comportements dérangent. Les termes scientifiques de cette notion sont la plupart du temps attribués à des références sexuelles et comportementales du langage dans le cas de la maladie d’alzheimer.

Dans le langage ordinaire, on attribue la

désinhibition comme un effet d’un produit, tel que l’alcool ou d’autres drogues. Il est vrai que l’ivresse est une représentation de la désinhibition. Après tout, cette boisson a été décrite à plusieurs reprises. Notamment Baudelaire qui explore l’ivresse poétique. Nous disons que l’ivrogne voit double, que la superposition de ce qu’il aperçoit se fait mal, que deux verres se baladent devant lui, juste sous son nez. Cette duplication du réel est bien vraie, mais simplement somatique54. Elle n’engage pas la perception véritable, tout au contraire, l’ivrogne perçoit simple. Il est hébété de ce qu’il voit, surpris et en admiration de la présence sous ses yeux d’une chose singulière. La désinhibition c’est parfois lorsqu’on se trouve avec soi même sans s’en rendre compte. C’est ce moment de liberté absolue. La liberté du corps ou 54 dictionnaire CNRTL : Qui concerne le corps; qui est organique, qui provient de causes physiques.

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

51


de l’âme, peu importe. On lâche prise, on s’exprime, sans retenue, «je fais ce que je veux ». Rien ne nous empêche, nous allons vers qui nous voulons, spontanément, hyper spontanément. Le sentiment qui envahit votre corps est un sentiment heureux, vous rend heureux. Mais la désinhibition n’est pas le bonheur. Déjà elle ne dure que l’espace d’un instant. Elle peut être forcée, naturellement ou chimiquement. L’amour, la victoire, etc … nous lance vers l’autre naturellement, nous décuple nos capacités. L’artiste comédien, le chanteur forcent sa désinhibition pour rentrer dans son personnage et partager. L’artiste peintre, le jeune homme en boîte ou l’écrivain se stimulent, pour voir le monde autrement, ressentir plus et s’exprimer davantage, différemment en atteignant des stades grâce aux drogues, pour voir au-delà du réel, et de ce qui nous est « permis ».

La désinhibition, selon le Larousse est une suppression d’une

inhibition. D’un point de vue global, il est question d’ôter ses réserves, ses peurs, ses préjugés etc .. C’est la culture de la spontanéité, nous sommes donc actifs et stimulés, prédisposée à nous exprimer, cela nous permet de valoriser notre estime de soi et notre confiance en nous, en nous rendant plus entrepreneurs. Dans ce mémoire, il s’agit d’aborder la désinhibition sous différents angles. La suppression de l’inhibition implique la suppression de la limite. Mais

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

52


dans ce cas, nous parlons d’un cadre où la consommation de substances psycho actives est avérée, ou de maladie mentale. Ici nous abordons la désinhibition, comme une faculté créative, permettant donc de se réaliser.

Pour illustrer notre approche, différente des termes scientifiques,

l’associant à la vulgarité ou au manque de pudeur, prenons l’exemple du théâtre et plus particulièrement de l’improvisation. Cela apporte confiance aux timides, leur permettant de mieux assumer leur voix et leur présence. La timidité est un agent inhibiteur qui peut être ôté grâce à un travail sur soi, en se positionnant dans un contexte désinhibiteur. L’Expresse Entreprise site, dans son article à propos de ce sujet, un témoignage révélateur. «J’étais affectée par une timidité légère dite de premier abord. J’ai raté dans ma vie tous les oraux d’examen ou d’entretiens d’embauche et professionnels. Je faisais un blocage !»55

55 GLESS Etienne, l’Expresse, l’Entreprise, publié le 04/01/2005 http://lentreprise.lexpress.fr/creation-entreprise/idees-business/une-alternative-se-desinhiber-par-l-improvisation-et-le-theatre_1524502.html

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

53


[Hallucinations mescaliques, Camille Hautreux & Valentin Grandi, 2016]

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

54


La mécanique de désinhibition

La

perception

de

nos modifications comportementale est notable, à la fois sur nous même et sur les autres. Celleci est engendrée à cause d’un élément tiers, qui nous pousse à agir. Cette conception nous permet d’éclairer la conjonction entre nos comportements cérébraux dits normaux et les anormaux. Le fait que de telles modifications existent insinue qu’il existe un mécanisme. Précédemment, nous avons mis en lumière la complicité entre créativité et désinhibition. Bien qu’il est difficile de mettre en évidence les fonctionnements de la créativité et que celle-ci n’a pas de dynamique mécanique, comme un langage binaire (0 . 1) qui permet de l’activé (on - off), la désinhibition est quant à elle réceptive à un mécanisme cérébral.

L’étude de la neurobiologie démontre

les effets de nos émotions sur le cerveau. Comment les modifications se forment et

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

55


s’organisent. La désinhibition peut

s’expliquer rationnellement. Les

est

recherches de Jean-Pol Tassin56,

neurones. Notre corps réagit grâce

neurobiologiste, démontrent que

aux informations que les neurones

ce que nous percevons, par nos

nous envoient. Il est nécessaire

entrées sensorielles, est intégré

de

par notre système psychique, qui

neuro-cellulaires pour observer la

dirige nos sorties motrices, qui

mécanique de désinhibition afin

elles même influencent nos entrées

de ne pas rester totalement dans

sensorielles. C’est-à-dire que c’est

le mystère que peuvent évoquer les

bien au niveau du mécanisme

états seconds.

psychique que les modifications s’effectuent et qu’il peut y avoir plusieurs fonction

sorties des

motrices

individus.

en (Voir

Schéma). 56 TASSIN Jean-Pol, neurobiologiste, directeur de recherches à l’Inserm, spécialiste de l’addiction, dirige un groupe sur La physiopathologie de la dépendance et de la rechute à l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

56

Ce une

niveau

de

interaction

s’intéresser

aux

la

psyché

entre

nos

réactions


« Il y 2 grands types de circuits, le premier est appelé « point à point » et représente 99% des neurones. Ils fonctionnent en communiquant par contact, comme des téléphones par exemple. Cela constitue les « réseaux » et guide tous nos sens. Le deuxième type de circuit, qui nous intéressent beaucoup plus ici, qui représente moins de 1% et fonctionne selon un système « diffus », comme un émetteur d’onde radio. Ceux-ci sont des modulateurs qui influencent tous les « réseaux ». Les modulateurs sont particulièrement importants et comme vous l’avez deviné, les produits psychotropes n’agissent pas sur les réseaux, mais sur les modulateurs. »57

Si les modifications sont des processus chimiques, les réactions

dépendent toujours de nos conditions affectives (stress, motivation…) et cela offre un résultat varié. Toutes nos réactions sont le produit de notre cerveau. Face à une situation, notre cerveau crée des molécules (enzyme, etc.) qui sont interprétées par nos neurones. Les modulateurs vont guider les réseaux et déterminer nos réactions psychiques ou mécaniques. Les molécules que nous assimilons sont transmises à nos neurones. Ces molécules se fixent sur les modulateurs et permettent ainsi de changer nos réactions psychiques et mécaniques. Ce ne sont donc pas nos mécanismes habituels qui sont modifiés, mais de nouveaux mécanismes qui sont créés. Les états de désinhibition, dans ce cas là les états seconds, actionnent des choses en nous, provoquant l’illusion d’une créativité. Les agents désinhibiteurs les plus efficaces sont les drogues, dites psychotropiques. Pour éclairer l’idée selon laquelle il existe une multitude de mécanismes, basons-nous sur les suivantes. On s’accorde à distinguer les psychotropes en trois grandes catégories selon l’effet qu’ils produisent sur la conscience : 57      Intervention de TASSIN Jean-Pol, à l’occasion d’un table ronde dans le carde d’un colloque organisé par le Laboratoire espace cerveau, à l’invitation de l’association des Amis de la maison rouge, l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, http://www.dailymotion.com/video/xz58z4_laboratoire-espace-cerveau-station-9_creation

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

57


« - Les psycholeptiques, qui abaissent le niveau de conscience et d’activité et qui procurent un apaisement des sensations douloureuses, physiques et psychiques, associé à une composante onirique importante. Ces substances, principalement de la famille pharmaceutique des dérivés opiacés (opium, morphine, héroïne…) sont très addictogènes et le surdosage peut entraîner le décès. - Les psychoanaleptiques, qui stimulent le niveau de conscience sans en modifier la qualité (cocaïne, crack, amphétamines, café…). Produits de la performance, du dopage, de l’excitation psychique et physique, ils sont eux aussi très addictogènes, plus sur un plan psychologique que somatique, et leur usage régulier entraîne un épuisement psychosomatique caractérisé. - Les psychodysleptiques, qui perturbent qualitativement la conscience. Quasiment synonymes d’« hallucinogènes », ils entraînent des « états modifiés de conscience » (plantes et champignons hallucinogènes, cannabis, molécules de synthèse, LSD…). Ils ne sont que très peu addictogènes, mais peuvent révéler des troubles mentaux sous-jacents. La plupart des drogues n’ont pas de caractéristiques aussi tranchées. L’alcool en est le plus évident exemple, qui peut être tour à tour et selon le dosage, désinhibiteur, excitant, calmant, onirogène, voire hypnotique. L’effet de tel ou tel psychotrope est étroitement lié à la personnalité de l’usager, à son état physique, à ce qu’il attend ou présume pouvoir attendre de son absorption, au contexte historique et social et, bien sûr, aux éventuelles autres substances associées. »58 58 PERPÈRE Antoine, Catalogue exposition Sous Influence, édition Fage, 2013, http://archives.lamaisonrouge.org/IMG/pdfDossier_de_presse_sous_influences__15_fevrier_19_mai_2013_.pdf

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

58


Les

mécanismes

de

désinhibition

sont

conditionnés par un apport extérieur. Ces apports extérieurs, ici intégrés par nos entrées sensorielles,

conditionnent

notre

psyché,

notre manière d’agir et de percevoir. Les prises de drogues intentionnelles, mais parfois incontrôlées nous désinhibent volontairement. Cependant notre contexte de vie le fait à notre insu. Des événements peuvent nous inhiber, comme le stress, ou des traits de personnalité, comme la timidité. Au contraire, il existe des contextes désinhibant, comme le théâtre, pour s’exprimer, ou les lieux de fêtes, pour danser. Néanmoins les mécanismes que nous décrivons ici sont paradoxalement inhibiteurs à leur tour. En effet, les drogues nous modulent, change notre vision, mais nous coupe d’une réalité, donc nous inhibent. Dans les autres contextes, de désinhibition positive, notre cerveau inhibe naturellement d’autres paramètres. C’est ce que nous appelons l’inhibition latente, dite aussi effet Lubow59. Ce fonctionnement inhibe certains de nos cinq sens pour nous permettre de mieux nous concentrer sur une tâche. Par exemple lorsque nous regardons un film, nous nous concentrons dessus et ferons abstraction du reste. Une désinhibition totale lèverait ainsi l’effet Lubow. 59 R. E. Lubow Latent Inhibition and Conditioned Attention Theory, Tel Aviv University, p. 281.

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

59


Désinhibition cognitive

La désinhibition

est aussi la capacité d’ouvrir son esprit et de mettre en connexion des données et des éléments que nous percevons. Comme l’ivrogne qui est en admiration devant la fleur, il nous suffit d’accepter que tout puisse être intéressant et utile à la réflexion. Ce que nous appelons ici

désinhibition,

d’autres

l’appelle

liberté

d’expression, de pensée ou de perception. Des méthodes de créativité insistent justement sur cet aspect. Le Brainstorming par exemple est un moment où tous les dire sont permis, et justement valorisés. Il est justement conseillé de lâcher les bêtises qui hantent notre esprit, car elles nous « bloquent » et nous butons dessus. Une fois sortie, le sujet est libéré de sa pensé et accède plus rapidement à d’autres niveaux de réflexion plus intéressante. Il sera même capable de rebondir et inspiré de la bêtise d’un de ses camarades pour avoir une réflexion et une idée qui sort de l’ordinaire. La désinhibition aide

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

60


[Hallucinations mescaliques, Camille Hautreux & Valentin Grandi, 2016]

à l’innovation.

nous. Nous sommes tous dotés de

Ceci s’appuie effectivement sur

capacité d’inhibition, notre cerveau

des

ignore naturellement des milliers

observations

menées

par

le

scientifiques60, Dr

Carson

à

d’informations. Par exemple lorsque

Harvard, qui ont tenté d’étudier

vous êtes dans un restaurant et

les

à

que vous discutez avec quelqu’un,

la créativité. La notion clé à cet

vous ignorez le bruit des voitures,

égard est celle de la désinhibition

vous ne faites pas attention au

cognitive.

mécanismes

garçon qui passe, ou de la lumière

cognitifs seraient sous-jacents à la

de la salle. Vous avez décidé de

créativité.

vous concentrer que sur votre

La désinhibition est d’un point

interlocuteur. Votre cerveau perçoit

de vue technique la capacité de

toutes ses informations, mais vous

ne se limiter à rien, de n’avoir

avez un filtre mis en place par votre

aucune inhibition. La désinhibition

capacité inhibitrice.

comportements

Certains

adéquats

cognitive est la faculté de ne rien ignorer,

L’incapacité

d’ignorer

l’information qui est autour de

La désinhibition cognitive

permet de ne pas se concentrer sur quelque chose. Cela est essentiel

60 Dr. CARSON Shelley, chercheuse, à l’université d’Harvard, en psychopathologie sur la créativité.

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

dans un processus de créativité, car

61


une trop forte concentration ne permet pas de nous mettre en perspective et de faire des connexions intéressantes. Ce que nous appelons comme phénomène d’illumination est en réalité un moment de désinhibition cognitive. Lorsque nous cherchons un problème, nos filtres d’inhibition se relâchent et nous permettent de mettre en liens des idées ou des observations d’un second degré et de les faire émerger de notre conscience. «Une émotion positive, qui élargit l’attention, est bénéfique pour la créativité alors que les pensées anxieuses, en rétrécissant le champ attentionnel, sont délétères”, note John Kounios61. Certains croient que cet état d’activité cérébrale favorisé est accessible via certaines substances. Une petite dose d’alcool entraînerait une légère désinhibition qui entraînerait l’émergence d’idée. En revanche cette étude affirme aussi que la consommation de cocaïne et autre drogue ne rendent pas créatif, car cette consommation entraînerait le sujet à trop se focaliser sur un élément ou les éléments les plus évidents d’une situation or c’est une attention étendue qui mène à la créativité. Serait-il alors possible de forcer cette désinhibition cognitive ? Cette volonté de tout percevoir a été étudiée par Georges Perec, dans un texte, désormais élevé au rang de classique, « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien »62. Cet exercice la force à regarder sans préjugement tout ce qui l’entoure : « plusieurs dizaines, plusieurs centaines d’actions simultanées, de micro-évènements dont chacun implique des postures, des actes moteurs, des dépenses d’énergie spécifique. »63 61 KOUNIOS John, étude, édition Jarosz, 2012 p. 6. 62 PEREC Georges, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Éditeur : Christian Bourgeois, 2008. 63 Ibid. p. 15.

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

62


[Abstract Bird Photography by Thomas Lohr, 2015]

DIALECTIQUE DE LA DÉSINHIBITION

63


64


A) s’émanciper des contraintes Un travail artistique Désinhibition et innovation Un travail analogique

B) à la recherche d’un autre réel Les chemins qui nous guident Se trouver soi-même Temporalité de la désinhibition

C) Au delà de l’individu Partage et expériences communes Dire oui c’est dire non [interview avec Raj]

65


La contrainte peut prendre plusieurs

formes, telles que l’accès au savoir ou les règles nécessaires à respecter, néanmoins la volonté d’émancipation est différente selon nos personnalités et nos buts. L’émancipation qui veut s’affranchir d’un état de dépendance questionne également notre indépendance spirituelle et comportementale en tant qu’individu.

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

66


« Nous cédons au mensonge de la beauté dans un processus de création » Michael McClure64

Un travail artistique

Les créations dans

les domaines artistiques ont connu un renouveau sans précédent à l’apparition de l’art moderne. L’art avait pour vocation la représentation de la nature et son idéalisation. L’art était et demeure toujours

une

fonction

de

communication

historique pour instaurer un dialogue avec la société. Lorsque cette perception de l’art a changé, le rôle de l’art et la vocation de l’artiste ont également changé. Les arts étaient régis par une esthétique rationnelle, qui laissait peu de place aux nouveaux styles. Chaque mouvement avant-gardiste de l’art était perçu comme un scandale. On se rend compte que l’homme a toujours voulu améliorer sa technique pour être le plus fidèle possible à ce qu’il percevait, ainsi, nous sommes passés d’une représentation difforme de l’homme dans des grottes, à une 64 MCCLURE Michael, Poète, essayiste et dramaturge américain, Mouvement : Beat Generation.

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

67


représentation anatomique, donnant naissance aux canons de beauté grecques, ou par exemple la maîtrise de la perspective durant les siècles. Ces codes esthétiques qui formataient des compositions artistiques ne sont plus de rigueur. Aujourd’hui, l’art ne s’ancre pas dans une esthétique rationnelle et l’artiste accède à une autonomie créative. Repousser les limites de la perception et du réel a permis de créer différemment. L’Histoire est riche de courants artistiques qui nous montrent facilement la capacité que nous avons à percevoir le monde différemment et à nous désinhiber de notre réalité. L’impressionnisme marque la première étape de ce détachement « libéré des conventions artistiques traditionnelles65 ». S’en suivent d’autre mouvements en rupture, comme l’art cinétique ou plus largement l’art moderne (Dada, surréalisme, fauvisme, cubisme, etc.) qui ont également contribué à ce basculement. Grâce à ce bouleversement, il a été possible de jouer sur différents critères. Pendant les années soixante, l’art conceptuel s’impose et revendique la puissance de l’idée, redéfinissant complètement le statut de l’art (art as idea as idea 66). En effet la réalisation ne compte plus. Marcel Duchamp en 1914, à Paris, nous le prouve, en signant un porte-bouteille, affirmant que cela est de l’art. C’est 65 CNRTL, définition Impressionnisme. 66 KOSUTH Joseph, « Art after philosophy », I et II, Studio International , octobre et novembre,1969, traduit dans Artpress , n° 1 décembre-janvier 1973.

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

68


[Marcel Duchamp, Ready Made n°1, le porte bouteille, 1914]

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

69


ainsi qu’est né le premier Ready

de notre vie quotidienne70 ». En

made, résidant sur une volonté de

réalité les conventions esthétiques

« réaction d’indifférence visuelle,

et les définitions trop formatées

assortie au même moment à une

de l’art n’ont fait que l’enfermer

absence totale de bon ou mauvais

sur lui-même. Alors que si nous

goût…

regardons au-delà de ses frontières

en

fait

une

anesthésie

complète »67.

académiques,

Désormais

«

l’art

est

Nous

nous

philosophiques rendons

compte

… à

expérience68 », l’art se désinhibe

quel point l’art peut être vaste,

et

de

et comme le dit si bien Arthur

notre quotidien. Allan Kaprow69

Danto, mais de manière négative,

revendique un art qui repose sur le

« l’extraordinaire profusion de

fait « nous préoccuper, et même [d’]

formes d’art qui se sont développées

être éblouis par l’espace et les objets

tels des bidonvilles à la périphérie

traite

de

la

simplicité

de ce qui était habituellement considéré comme les limites de l’art »71.

67 Duchamp Marcel, Duchamp du signe, Flammarion, 1975, rééd. 1994, p. 191. 68 DEWEY John, L’art comme expérience, Collection Folio essais (n° 534), Gallimard, 2010.

70 KAPROW Allan, L’Art et la vie confondus, Centre Georges-Pompidou, 1996, p. 38, p. 268.

69 KAPROW Allan, 1927-2006 , artiste américain, mouvement Fluxus.

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

71 CHARLES Daniel Charles, CAQUELON

70


Or, de notre point de vue,

l’art doit se désinhiber pour se réinventer, il est par excellence le lieu de l’expérience. Ce caractère lui confère un pouvoir d’exploration, lui donnant l’habilité d’explorer le monde et de le représenter sans aucune retenue. Il devient alors possible de trouver une pépite d’or dans la boue.

[Yves Klein, Anthopometries, 1960-1]

Anne, Revue d’esthétique, Union générale d’éditions, 2003, p. 11

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

71


Désinhibition et innovation

La créativité

s’élargit à bien d’autres domaines que l’art. Les domaines scientifiques et technologiques doivent également faire preuve de créativité pour innover, c’est à dire, trouver un nouveau champ d’action qui est en rupture avec ce qui se fait actuellement, c’est ce qu’on appelle les innovations disruptives72. Philippe Lambert affirme que « depuis les années 80, les chercheurs pensent que la créativité est multidimensionnelle »73 Cette conception met en évidence les caractéristiques de la créativité dans les champs de la conception. Les traits de personnalités, les facteurs cognitifs (à savoir les connaissances et les opérations mentales sous-tendant les capacités cognitives) et l’environnement sont des facteurs sous-jacents à notre capacité de création. « La société dans 72 Cf Annexe 73 LAMBERT Philippe, article: Les quatre sources de la créativité, parus dans le magazine : Le Cercle psy (N.11 Décembre 2013-Janvier-Février 2014) pp.74-77

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

72


[Séquence ADN]

laquelle on évolue, les conditions

permis de déclencher l’émergence

de travail, etc, influencent non

de nouvelle idée. « De même, si

seulement la personne qui essaie

nous

de créer, mais également celles qui

tâche que celle qui nous occupait

observent la production qui leur

ou simplement si nous laissons

est soumise et l’évaluent », précise

aller nos idées sans but dans un

Emmanuelle Volle74. Ceci souligne

vagabondage mental, nos chances

les

sont aussi meilleures. C’est dans

relations

qu’entretiennent

accomplissons

un

désinhibition. Ces facteurs, cités

Jean Dausset trouva le chaînon

ci-dessus, peuvent être appelés ici

manquant de sa théorie du complexe

désinhibiteurs.

majeur d’histocompatibilité – qui

permet de connaître la compatibilité

de

phénomènes

désinhibiteurs

favorisant

la

recherche.

nombreux

cas

dans

des

sciences

l’environnement

le

professeur

entre donneur et receveur d’une

De

greffe d’organe – qui lui valut le

l’histoire

prix Nobel de médecine en 1980… »

montrent de

que

autre

les travaux scientifiques avec la

Prenons quelques exemples

cinéma

une

travail

que

ajoute

a

Emmanuelle

Volle.

Les

environnements propices au travail mêlant décontraction et lieux de vie

74 VOLLE Emmanuelle, chercheuse Inserm à l’Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière (ICM - Paris)

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

sont une tendance qui aujourd’hui

73


porte ses fruits. Ce sont les Nord-Américains, et plus précisément les Californiens de la Silicon Valley qui se sont le mieux appropriés cette notion. Cette liberté du cadre de travail et la multiciplicté des actions possibles par les salariés renforcent leur confiance et leur productivité. Cette forme de désinhibition productive a pris un nouveau souffle en Europe, et particulièrement en France, qui a vu apparaître sur son territoire un nombre grandissant d’espaces de coworking, de fablabs et de lieux consacrés aux entrepreneurs, qui n’ont aujourd’hui plus aucun raison de ne pas retravailler, maître, et tester de nouveau. De plus l’émergence des plateformes de crowdfunding a agi comme un désinhibiteur puissant pour les créateurs d’entreprises, grâce à sa simplicité.

Ainsi comme vu dans le cas de Jean Dausset, l’ouverture d’esprit

et le vagabondage sont des solutions qui trouvent leur place lorsque toutes les issues sont fermées. De manière générale, il semblerait que le relâchement d’une concentration trop importante favorise les connexions de savoir. Il est donc plus facile d’associer de nouvelles idées entre elles, et de réaliser des convergences sortant de l’ordinaire. De plus, les facilités d’accès aux connaissances et au savoir donnent une réelle liberté pour les créateurs, comme l’open source ou les fablabs. De même, le crowdfunding démultiplie les accès aux entrepreneurs à des financements pour leurs

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

74


projets et leur permet de se lancer avec moins de retenue dans une aventure entrepreneuriale.

[Hallucinations mescaliques, Camille Hautreux & Valentin Grandi, 2016]

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

75


Un travail analogique

De la même

manière que la qualité des conditions du travail peut nous influencer, nous sentons l’influence que notre environnement a sur nous au quotidien. La façon dont certaines personnes peuvent moduler nos humeurs, la façon dont nos sentiments changent notre manière de voir le monde. Cela affecte aussi bien notre productivité que

notre

créativité.

Les

événements

de

notre vie nous inhibent ou nous désinhibent. Précédemment, nous avons vu l’importance d’activités

ou

contextes

déshinhibiteurs

aidant le processus de création dans un cadre d’innovation. Désormais, nous allons définir au niveau de l’individu l’importance de laisser vagabonder son esprit et de faire confiance à ses capacités analogiques dans le processus de création.

Au cours du processus créatif, la solution

peut s’imposer par des itérations qui nous

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

76


guident jusqu’au résultat voulu ou bien apparaître sous forme de « flash » comme une manifestation soudaine de l’esprit. C’est alors l’eurêka, comme nous l’avons vu dans l’exemple du professeur Jean Dausset. Cette phase si particulière de jaillissement d’idée qui nous est racontée dans la légende du savant grec Archimède75, apparaît après une phase de réflexion qui aurait été contrainte. C’est en accomplissant une autre tâche qui nous occupait, ou en laissant vagabonder son esprit, laisser aller ses idées, que nos capacités d’associations deviennent meilleures. Sans pouvoir expliquer pourquoi, nous sentons nous-mêmes que nos idées et pensées rebondissent les unes sur les autres, que notre cerveau opère des connexions très rapides et met en lumière des solutions. Emmanuelle Volle éclaircit ces propos à ce sujet en disant : « Il a été proposé que pendant cette phase, le cerveau, sans qu’on en soit conscient, réalise des associations d’idées et opère un tri entre ces dernières. Il est également possible que cette phase soit assimilable à une phase de repos ou de distraction diminuant la fatigue liée à la tâche, ou encore que la rencontre de stimulations diverses non liées à la tâche fournisse des indices aidant à résoudre le problème » 75 «L’eurêka est le cri que savant grec Archimède aurait lancé au moment où il comprit les lois qui régissent les objets par leurs densités révélées par la poussée qu’ils subissent en les plongeant dans l’eau ou tout autre liquide, dite la poussée d’Archimède. » Wikipedia.

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

77


Cependant, on remarque que l’association d’idées ne vient pas non

plus de nulle part. En réalité, elle prend source dans notre traitement cognitif. La neurobiologie, notamment les études de Jean-Pol Tassin, nous montre qu’il y’a deux genres distincts de comportements cérébraux pour traiter l’information (ce qui est essentiel, car cela implique la restitution de celle-ci, la créativité). Certaines personnes sont plus cognitives et d’autres sont plus analogiques. Éclairons à nouveau, cette fois-ci en détail, la signification de ces termes. Le cerveau fonctionne grâce deux modes de transmission qui sont en interaction. Le traitement rapide est le système analogique. Nous n’avons pas accès consciemment à ces capacités. Nous ne réalisons pas ce que fait notre cerveau, nous sommes capables de traiter une image toutes les soixante millisecondes. En revanche, le traitement cognitif est beaucoup plus lent et permet de retenir l’information. De manière éveillée, ces deux traits fonctionnent ensemble et nous permettent de prendre conscience de ce qui nous entoure. Lorsque nous dormons, le système s’endort et utilise exclusivement le traitement analogique. Le cerveau travaille seul, sans que nous nous en rendions compte. C’est ainsi que nos rêves apparaissent, laissant notre imagination prendre le dessus. Ceci est le résultat d’un travail exclusivement analogique, qui nous montre qu’il peut être considéré comme un facteur non inhibiteur.

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

78


Selon cette théorie, la créativité viendrait de notre traitement analogique puisant les connaissances de nos traitements cognitifs. Prenons comme métaphore « les puits de savoir » associés au cognitif. Dans ces puits se trouvent nos connaissances. Partons du postulat que la créativité est la capacité de sortir ses connaissances ou de faire communiquer ses puits. L’analogique est cet élément qui communique entre nos puits, qui puise en eux et les associe.

Si la créativité consiste bien à s’inspirer de solutions préexistantes

que l’on transfère dans un domaine où elles n’avaient pas été exploitées jusque-là, c’est la pensée par analogie qui joue un rôle capital dans ce processus créatif.

S’ÉMANCIPER DES CONTRAINTES

79


Les chemins qui nous guident

Le monde

dans lequel nous vivons serait-il toujours identique ? L’usage des drogues laisse penser que dans un premier temps nous essayons de rompre avec nos savoirs et de donner une nouvelle signification à ce que l’on envoie au cerveau. D’un autre côté, c’est une manière de fonder son expérience ou son travail intellectuel plus sur l’analogique que sur le cognitif, autrement dit nous donnons une plus grande importance à tout ce qui relève d’une relation sensible au monde contrairement à la rationalité. « L’artiste serait quelqu’un qui imagine qu’il y a un ailleurs au monde, qui pense voir le monde autrement et qui a le désir ou éprouve le besoin de mettre en forme son ressenti et ses pensées pour les communiquer à autrui. »76 nous confesse Antoine Perpère. La recherche d’un autre réel, ce désir

76 PERPÈRE Antoine, Catalogue exposition Sous Influence, Op cit.

À LE RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

80


qui appelle particulièrement les artistes, questionne notre rapport à la réalité. Cette quête de l’émancipation est une aventure vers la vérité, la vérité que nous voulons vivre et exprimer. L’art s’attelle à exprimer le soubassement des choses, avec lesquelles nous vivons, ce qui constitue notre réalité, retranscrire une autre réalité, celle d’un ailleurs vu et connu de l’artiste, qui n’est donc pas notre réalité collective. Clément Rosset, philosophe français, a travaillé sur le concept du réel. Ses observations démontrent : « la condition d’existence de toute chose étant d’être, en tant qu’elle existe, déterminée, il s’ensuit qu’il n’est rien de quelconque qui ne soit déterminé, ni rien de déterminé qui ne soit, pour la même raison, quelconque.77 » Ainsi chaque chemin que nous empruntons nous rapproche du réel et de la vérité d’une certaine manière.

En somme, même ce qui ne semble pas posséder de détermination

est en réalité déterminé, car elle est déterminée à ne pas avoir de détermination. La réalité est donc nécessairement quelconque « En effet, la détermination nécessaire est en même temps une marque du fortuit : elle n’est pas nécessaire en ce qu’elle est ceci et non cela, ni en ce qu’elle est ceci ou cela, mais en ce qu’elle ne peut échapper à la nécessité d’être

77 ROSSET Clément, Le Réel, Op. cit. p 77

À LA RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

81


quelque chose, c’est-à-dire d’être quelconque.78 »

Accéder à la réalité c’est comprendre simplement. Pour cela,

nous devons nous débarrasser de nos préjugés, qui déguisent la réalité quelconque, nos filtres, notre intellect qui formate la vision de notre monde. L’accès à d’autres sphères, transformant notre regard, s’atteint par l’état de conscience. Les états de conscience modifiés provoqués par certaines drogues ne seraient qu’une transfiguration du réel, hors ce qui est nécessaire, c’est de percevoir le monde comme quelconque. L’idiotie, au premier sens du terme, désigne ce qui est simple, singulier, sans reflet ni double. Gustave Flaubert, le met en image avec Madame Bovary qui va régulièrement à Pont-L’évêque pour tromper ce pauvre Charles. Elle y croise tout le temps un handicapé, bossu, qui lui fait peur. Un idiot. Il représente sa conscience, qui lui a un autre accès à la vérité, à sa vérité.79

78 Ibid, p 78 79 FLAUBERT Gustave, Madame Bovary, édition Gallimard, Folio Classique, numéro 3512, 2001.

À LE RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

82


À LA RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

83


Se trouver soi-même

Aujourd’hui la

revendication d’une identité singularisante est incertaine, alors que nous vivons dans une époque de revendication identitaire En effet, Claude Levi-Strauss cite en 1960 : « tout se passe comme si chaque individu avait sa propre personnalité pour totem 80» . Nous sommes dans une société occidentale qui fait appel à l’initiative et la définition de soi. Michel Foucault81 affirmait que « la socialisation consiste à discipliner les corps » hors aujourd’hui la socialisation produit une individualité capable d’agir et de décider par ellemême. Certains individus éprouvent culpabilité et renoncement, se tournant alors vers une consommation de modulateurs désinhibiteurs (alcool, drogues et médicaments). Dans une société actuelle où il est important de définir son 80 LEVI-STRAUSS Claude, La pensée sauvage, Éditeur Pocket, 1990, p. 289. 81 FOUCAULT Michel « Surveiller punir » 1975.

À LE RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

84


identité, le jugement n’a jamais été

initiatives de la société civile et de la

aussi présent, il est devenu urgent

représentation politique. »83

de

se

définir

soi-même.

Alain

L’identité au pluriel, c’est

Ehrenberg82, sociologue, développe

ainsi que notre société se construit

dans son livre « l’individu incertain »

aujourd’hui. Nous partageons nos

cette

l’individualité

caractéristiques sociales à travers

moderne : « L’individu conquérant

nos critiques, nos avis; en ayant

de la mythologie hexagonale était

une « personnalité ». L’individu

l’analogue

incertain de Alain Ehrenberg se

vision

de

du

self-made-man

américain, un des traits de mode de

tourne

vers

les

vie et de la culture d’Indépendance

qui aident à oser, à accomplir, à

(…), La rapide montée en puissance

socialiser. « Une société d’initiative

du thème de l’individualisme, au

individuelle

cours des années quatre-vingt,

totale, qui nous oblige à agir et

s’est construite à la fois comme

décider en permanence, encourage

le symbole de la valorisation des

des pratiques de modification de

et

désinhibiteurs

d’émancipation

soi en tout genre » continue Alain Ehrenberg.

82 EHRENBERG Alain, sociologue, chercheur au Centre Edgar-Morin, codirecteur du groupement de recherche « Psychotropes, politique, société » au CNRS, directeur du Centre de recherche Psychotropes, Santé mentale, Société.

À LA RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

83 EHRENBERG Alain, L’Individu incertain, texte d’introduction, éd. Hachette, coll. « Pluriel », 1995.

85


Dans cette dynamique, l’individu qui

cherche

à

s’exprimer

pleinement

est

en

recherche de désinhibiteurs. Ceux-ci prennent différentes formes, des pratiques extrêmes, d’ordre

sportives

par

exemple,

jusqu’à

la

consommation de modulateurs, provoquant ivresse ou expériences psychotoniques. Si nous prenons le cas de l’ivresse, nous observons que l’alcool est un formidable lubrifiant social, c’est un moteur de communication. Boire ensemble n’est pas quelque chose mal, du moins dans notre société française, il s’agit d’un moment de sociabilité, boire ensemble est un moment fraternel, qui enlève les angoisses et la timidité. L’ivresse gaie et bon enfant désinhibe, permettant de se dévoiler et de montrer sa personnalité sans la peur du jugement de l’autre; du moins telle est notre impression. Néanmoins, « lorsque deux boissons se partagent la sphère des échanges, l’analyse en est sans doute facilitée; doit-on

À LE RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

86


ajouter qu’elle est souvent sans grande originalité ? »84 Claudine FabreVassas constate que cet usage, dans un contexte « informel », attribue à la boisson même le caractère socialisant, devenant peut-être un « peu trop simple »85. Nous reviendrons plus tard sur cette notion.

L’alcool est donc un élément qui rassemble. L’exemple des dockers du

Havre de Jean-Pierre Castelain appuie notre propos. Il y décrit les pratiques d’alcoolisation où la consommation d’alcool révèle être « un élément constitutif du groupe, symbole d’une solidarité virile, l’appartenance à la confrérie » 86. L’ivresse et les désinhibtieurs psychotropiques, sont ancrés dans un « quotidien façonné par le chômage et le repli insulaire, écrasés par l’image des glorieux ancêtres de la grande pêche, activité qui a cessé de fournir des emplois à partir de la seconde moitié du xxe siècle. »87. Ici l’image de soi est difficile à assumer et constitue un élément ralliant dans un « sous groupe social »88.

84 FABRE-VASSAS Claudine, La boisson des ethnologues, Paru dans Terrain, 1989, http://terrain.revues.org/2944. 85 Ibid. 86 BECKDU François, OBRADOVIC Ivana, FAUFFREY-ROUSTIDE Marie,  LEGLEYE Stéphane, Regards sur les addictions des jeunes en France, https://www.cairn.info/revue-sociologie-2010-4-page-517.htm 87 Ibid. 88 Ibid.

À LA RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

87


En dehors des consommations menant aux ivresses ou états

psychotropes, il existe d’autres situations, menant à la formation de son identité. Certains contextes nous poussent à agir, révélant ce que nous sommes. Ces situations difficiles à définir sont exagérées dans les films ou séries. Basons nous donc sur un exemple révélateur. La récente série « Westworld » nous montre des humains interagissant dans un parc d’attractions futuriste recréant l’univers de l’Ouest américain (Far West) du XIXe siècle. Les visiteurs peuvent y faire ce qu’ils veulent sans aucune conséquence. En effet, ils interagissent avec des robots (extrêmement réalistes), programmés pour ne pas tuer les visiteurs. Le parc crée des scénarii poussant le visiteur à interagir dans cet univers, créant des situations réelles qui conduisent des prises de décision, souvent menant vers la débauche ou l’aventure. Les personnages témoignent tout le long de la série que cet endroit leur permet de révéler la vraie personne qui est en eux. « Dolores, I’v been pretending my whole life, but then I came here. And I get the glitch for a second of a life I don’t have to pretend, a life where I can be truly alive. » avoue William, un visiteur du parc. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, cette scène nous révèle un comportement humain, une découverte de soi, grâce à une émancipation provoquée par un contexte désinhibiteur.

À LE RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

88


[Westworld, HBO, Jonathan Nolan, J.J. Abrams, Jerry Weintraub, Bryan Burk, 2016]

À LA RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

89


Temporalité de la désinhibition

La réalité se trouve

aussi dans le moment. L’homme émancipé qui se sent vivre vit dans une réalité. La désinhibition entretient un rapport avec la temporalité de deux manières différentes. Premièrement, les désinhibiteurs agissent pendant une certaine durée, établissant un début et une fin de l’état de conscience modifiée. Deuxièmement, il est plus facile de se désinhiber lorsque nous savons que ceci aura une limite temporelle. L’ivresse conduit à certains comportements mal venus ou non conventionnels, ceux-ci étant mis sur le dos de l’alcool, justifiant une déviance qui se déroule durant une temporalité définie. Si nous regardons la société japonaise, où les règles de conduite strictes sont liées à la politesse, il semble difficile de s’affranchir des règles. « Il y a peu de place dans la société japonaise pour l’individualisme au sens occidental du terme, où les droits priment sur le devoir, individualisme

À LE RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

90


qui se confond avec une notion de liberté totalement égocentrique, nuisible au bon fonctionnement social. »89 Après le travail, il est de coutume d’aller boire entre collègues. Cela crée un moment particulier où il est permis de transgresser les règles. « Ces règles n’encouragent pas à exprimer sa pensée, son désaccord, ni même souvent son simple point de vue. Arrive alors la bière à la fin de la journée qui permet de réchauffer l’atmosphère, de s’affranchir de certaines règles, et de s’ouvrir plus aux autres. »90 Ceci permet d’acquérir une certaine vie sociable en entreprise. Tous les excès sont permis et le lendemain tout est oublié.91

Cette temporalité peut s’espacer et durer plus jours, comme le cas

des festivals. Le Burning Man est un lieu décrit comme une croisière dans l’imaginaire. Arte consacre en septembre 2015 un reportage sur le festival, décrivant ce lieu comme une radicale expression de soi-même sous toutes ses formes, une semaine où chacun s’exprime à sa façon. Là-bas, l’expression non censurée de soi est mise sur « un piédestal de beauté », en tant que festivalier. Il s’agit donc d’une expérience permettant une liberté 89 SMOLARZ Bruno, «De l’individualisme des japonais», Les cahiers psychologie politique [En ligne], numéro 18, Janvier 2011. URL : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1758 90 TEV, AU JAPON, L’ALCOOL C’EST BIEN ! (?), http://www.ici-japon.com/13975-au-japon-lalcool-cest-bien, 23 août 2013 91 Ibid.

À LA RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

91


absolue où il est permis de se lâcher et de s’exposer, car elle a un début et une fin. D’une autre manière, il en va de même avec la musique et la danse. Pédro Bendetowicz, médecin psychiatre et psychanalyste, et Fabrice Hatem, danseur de tango, dévoilent dans leur essai le tango, un chemin pour mieux comprendre l’autre, comment la danse est un « désinhibiteur relationnel »92. La temporalité de la danse permet le rapprochement naturel des corps, permettant de montrer notre expression vis-à-vis de l’autre.

92 HATEM Fabrice, Le tango, un chemin pour mieux comprendre l’autre, éditeur : La Salida, numéro 65, septembre 2009. URL : http://fabrice.hatem.free.fr/index.phpoption=com_content&task=view&id=1023&Itemid=46

À LE RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

92


« En encadrant le contact physique proche

entre

deux

personnes

dans des règles précises et donc sécurisantes, cette danse permet aux partenaires d’apprendre à oser se regarder droit dans les yeux , à se toucher, à s’éteindre, et finalement à exprimer de manière directe des sentiments très intimes vis-à-vis de celui ou celle qui n’est parfois encore qu’un inconnu » 1

1 Ibid.

À LA RECHERCHE D’AUTRE RÉEL

93


« À la fin des années 1960 et au début des années 1970, les gens ont commencé à écouter de la musique de manière différente. Les gens se sont de plus en plus intéressés à la texture du son, à son atmosphère. Et c’est bien sûr de là que la musique psychédélique est sortie. La musique psychédélique est le premier style de pop music qui s’intéresse vraiment au son. Ce qui a commencé à se produire, c’est que les gens écoutaient moins les paroles et les mélodies que l’atmosphère de la musique. » 93

Brian Eno

93 ENO Brian interview mené par REUSSER Jean-Michel et le public du Virgin Megastore des Chps Elysées, Paris, le 5 novembre 1998

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

94


Lorsque nous parlons d’expérience artistique, il est nécessaire

de prendre en compte le « créateur » (l’artiste) et le « récepteur » (le spectateur). « Dans quelle mesure la qualité du récepteur est-elle affectée par l’état dans lequel il se trouve ? »94 Prenons le cas de la musique. La musique a subi à plusieurs reprises des « mutations »95 tout le long de son histoire. « Tandis que le monde s’est transformé en un océan d’information, la musique s’est faite immersion. Les auditeurs flottent dans leur océan »96. En effet vers la fin des années soixante, la « mutation techno-instrumentale »97 favorise le développement d’une musique basée sur la répétition, suscitant les impressions « d’univers sonore en mutation »98. Revenant à des racines chamaniques, les répétitions tribales sont hypnotiques (Miles Davis, de sa période Bitches jusqu’à ses derniers concerts en 1975). L’artiste se met donc à son tour à créer de nouveaux univers, devenant une drogue à son tour, pour ses spectateurs en proposant des « ailleurs » psychédéliques. 94 EGANA Miguel, Arts drogués, Op. cit. p. 11.

95 SALLERIN Olivier, De l’électronique à l’acid. Une histoire des musiques-drogues, Arts drogués, Op. cit. p.95 96 BURGER Rodolphe, STIEGLER Bernard, Électricité, scène et studio (dialogue) p. 101 97 Ibid. 98 SALLERIN Olivier, De l’électronique à l’acid. Une histoire des musiques-drogues, Arts drogués, Op. cit. p.100

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

95


[Joe Coocker, Woodstock music festival, 1969]

Terry Riley, compositeur contemporain américain, considéré comme un des fondateurs de la musique minimaliste, confesse à David Toop : « On peut planer en entrant dans une grotte; on peut planer en restant sur une note, mais c’est véritablement une voie vers l’extase. C’est un besoin de ressentir la musique d’une manière plus profonde, plus continue.99 » Ici la musique n’est donc plus une musique de drogué, mais bien une « musiquedrogue »100. De plus, si nous prenons en compte toutes les musiques, ne sont-elles pas des armes de rassemblement, transcendant l’homme, les chants grégoriens, les messes, les hymnes. Ainsi, à juste titre, le groupe de rock Spaceman 3 nomme avec une étonnante justesse, son album sorti en 2003, Deamweapon, « une arme-de-rêve ».

Le partage de l’expérience est également prédominant dans

l’art performance. Cécile Croce, maître de conférences en sciences de l’art, introduit la performance comme une « action »101, à la différence d’une « œuvre »102. Donc la performance est différente de l’art optique, qui provoque notre oeil, le faisant vibrer comme sur les oeuvres de 99 TOOP David, Ocean of Sound, éditeur : Édition de l’éclat, p. 55. 100 SALLERIN Olivier, De l’électronique à l’acid. Une histoire des musiques-drogues, Arts drogués, Op. cit. p.95. 101 CROCE Cécile, Performance et psychanalyse : expérimenter et (de)signer nos vies, édition l’Harmattan, 2015, p. 25. 102 Ibid. p 25.

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

96


Victor Vasarely, ou encore les installations de Yaacom Agam, incitant le spectateur à se mouvoir pour découvrir l’illusion optique. De plus rajoute Cécile Croce, la performance se différencie également du théâtre, en point particulier, « le perfomeur ne joue pas un rôle, sinon le sien propre103 ». C’est le cas de Marina Abramović, femme artiste de l’ex-Yougoslavie, dans une performance réalisée avec son ex-conjoint Ulay : The Lovers, the Great Wall Walk en 1990. Tous les deux marchent sur la Grande Muraille de Chine, chacun commençant à un extrémité, pour se retrouver au centre, symbolisant leur rupture.

Cette intervention corporelle permet un renouveau et une nouvelle

infinité de possibilités dans l’art, comme « un matin incessamment renouvelé104 » La performance s’inscrit dans une démarche artistique qui consiste à se rapprocher du spectateur, à intervenir directement dans son quotidien, réduisant ainsi une frontière qui pousserait à une incompréhension de l’art. C’est dans ce moment privilégié que l’art peut émanciper son spectateur. En réduisant la passivité de celui observe, l’artiste a « la volonté de supprimer la distance qui crée la distance105 ».

103 Ibid. p 27. 104 Ibid. p. 29. 105 RANCIÈRE Jacques, Le spectateur émancipé, édition La Fabrique, 145 p. 13.

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

97


Selon Jacques Rancière, le « spectateur contemporain106 » ne reste pas inactif et « compose son propre poème avec les éléments du poème en face de lui ».

Le partage et les expériences communes favorisent l’émancipation

du groupe. Les « spectateurs contemporains » sont aujourd’hui bien plus impliqués dans la participation collective d’expérience. Comme la temporalité, cela fait écho à des déclencheurs, des prédispositions que nous avons à accepter de nous désinhiber pour explorer d’autre possibilité. Ces circonstances libératrices stimulent notre personnalité, l’enrichissant d’expérience, nécessaire à la créativité.

106 Ibid. p. 13.

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

98


[Marina Abramović, The Artist Is Present, 2010]

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

99


dire oui, c’est dire non « Lâcher prise, c’est dire oui à ce qui est vrai en nous, acquiescer à nos aspirations profondes. C’est souvent dire non aux conventions sociales, dire non aux attentes et projections d’autrui, dire non aux habitudes et aux sécurités »107. Se désinhiber pour s’émanciper suggère de prendre conscience de notre liberté pour savoir faire nos choix. Cela implique de prendre une certaine distance visà-vis du discours ambiant. Ceci fait écho avec l’anticonformisme et la connaissance de soi vu précédemment. Il s’agit de faire preuve d’une démarche d’ouverture, d’accueillir à bras ouverts les différents événements de notre vie. Que ce soit de bonne ou mauvaise expérience, il ne faut pas les laisser passer. Nos expériences laissent une trace en nous, et modifient notre personna107 FILLIOZAT Isabelle, psychothérapeute diplômée en analyse transactionnelle, interview accordé dans psychologie.com URL : http://www.psychologies.com/Moi/Moi-etles-autres/Relationnel/Articles-et-Dossiers/Savoir-direoui-apprendre-a-dire-non/Oui-a-la-vie-!

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

100


lité. Nous savons, car vus dans la

« l’individu incertain », cette « pres-

première partie, que la créativi-

sion sociale d’exister individuelle-

té se nourrit de connaissances

ment »109. De ce point de vue là, ne

et d’expériences empreintes de

serait-il pas intéressant de rester

notre personnalité. Dire oui c’est

le plus souvent ouvert face aux ap-

laisser place à l’imprévisible,

paritions imprévisibles. Ainsi pour

à l’inconnu. En effet, François

se construire pleinement, à travers

Ansermet et Pierre Magistret-

nos expériences, jour après jour,

ti énoncent la place de « l’im-

rencontre après rencontre. Ainsi

prévisible dans la construction

pour François Ansermet et Pierre

de l’individualité »108. Il semble

Magistretti,

donc difficile de refuser l’idée

notre inconscient »110 permet de ne

symbolique selon laquelle nous

plus nous enfermer dans nos fan-

sommes le résultat de la somme

tasmes, mais bien au contraire, de

de nos expériences. De plus, ici

vivre pleinement.

nous pouvons rejoindre ce que

« À travers une liberté nouvellement

« l’investigation

de

Alain Ehrenberg décrivait dans 109 EHRENBERG Alain, L’Individu incertain, Op. cit.

108 ANSERMET François et MAGISTRETTI Pierre, À chacun son cerveau, Plasticité neuronale et inconscient, édition Odile Jacob, 2004, p. 24.

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

110 ANSERMET François et MAGISTRETTI Pierre, À chacun son cerveau, Op, Cit. p. 203.

101


acquise, par rapport aux contraintes du fantasme, le parcours d’une psychanalyse devrait permettre au sujet d’aborder une réalité sous un angle nouveau, de passer de la contrainte d’une réalité interne inconsciente, à un accès aux potentialités offertes par toute éventualité111. » Et si nous disions réellement oui dans notre quotient? Un oui sans limite, donc un oui radical qui revoit à d’infinies possibilités. Quelles en seraient les conséquences ? C’est l’exercice que s’est adonné un jeune youtuber français au nom de Raj.

111 Ibid. p. 223.

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

102


Entretien Raj - Autodisciple Youtuber Nous avons rencontrez Raj, un youtuber Parisien de 32 ans, pour discuter de son expérience de «oui radical». Sa chaine «Autodisciple» traite de développement personnel. Raj s’inspire de livres «qui questionnent» et les met en image à travers ses vidéos. «Parfois, j’essaie de faire en sorte que les gens ne se rendent pas compte que mes vidéos sont des résumés de livres.» Durant l’été 2016, Raj entame un nouveau défis, celui de dire «oui» à tout. C’est dans ce contexte qu’il publie plusieurs vidéo durant l’été. Nous avons rencontrez Raj à coté de Rambuteau, dans Paris.

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

103


Quelle a été ton idée ? Pendant trente jours, j’ai dit oui à tout sans aucune exception et c’était le mois le plus chargé, le plus rempli d’aventures, le plus dingue que j’ai jamais eu de ma vie. À la base, c’était un défi «Yes Man», et comme personne n’a compris la blague, je l’ai fait sérieusement pendant un mois. Qu’est-ce qui est surprenant quand on dit oui à tout ? Dans l’ensemble, ce qui m’a le plus surpris, c’est que les gens n’ont pas du tout essayé d’abuser de moi, au contraire. On m’a proposé plein de choses positives et on m’a beaucoup aidé dans mes défis. Globalement j’ai donné pas mal d’argent à des SDF, mais ce n’était jamais beaucoup. Par contre, j’ai prêté à mes amis des grosses sommes et à chaque fois ils se débrouillaient pour le rendre rapidement . Sinon il y a pas mal de gens qui m’ont demandé de grands services ou des choses limites, mais quand ils voyaient que j’étais vraiment sincère et que je disais oui, ils n’assumaient plus. Les gens changent d’avis et ne te font rien du tout. Vers le fin, je disais vraiment à tout le monde, tous ceux que je rencontrais, que je disais oui à tout pour vivre des choses plus fortes. Qu’est-il arrivé de vraiment incroyable ? J’ai rencontré un gars qui m’a invité à Barcelone et j’y suis allé. Il m’a laissé les clés de son appartement et j’y suis resté. Je suis allé à Bruxelles avec une amie. Je l’ai accompagné pour qu’elle interview le président de la Commission Européenne. En disant oui à plusieurs choses, je me suis retrouvé dans cette situation incroyable. J’ai également dit oui pour chanter sur scène et je me suis préparé pendant trois jours pour apprendre à chanter. (rires)

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

104


Que se passe-t-il quand tu sors de ta zone de confort ? J’ai du faire pas mal de choses où je suis sorti de ma zone de confort et j’ai énormément appris, je suis beaucoup sorti, à plein de soirées et dînés. Souvent, je n’avais pas du tout envie d’y aller, mais au final ça se passait bien et je ne regrettais pas du tout. Cela me fait beaucoup remettre en cause la manière dont je dis non à plein de choses parce que je prévois à l’avance que ça ne va pas être intéressant. Alors que la vérité c’est qu’on est incapable de déterminer si ça va être mal à l’avance. Ce que j’ai appris, c’est que c’est le moyen le plus efficace d’être heureux et bien dans sa peau. Je crois que si tu dis oui à tout, tu es obligé de devenir quelqu’un de positif. Quand tu te retrouve vraiment dans une situation ou tu n’as pas de volonté, les gens ne vont pas en profiter. En majorité les gens ont eu envie de m’aider. Est-ce que cela a changé ton rapport à toi même ? Quand tu dis oui à tout, tu réfléchis plus. Tu dis oui, tu fais des choses, spontanément, et c’est tout. J’apprends à dire non au bon moment et dire oui quand c’est intéressant, à saisir les opportunités. Le trucs fou c’est qu’à force de dire oui aux autres, j’ai beaucoup plus envie de me dire oui à moi même, d’être plus ambitieux, plus aventurier, j’ai cette dynamique de dire oui. Je suis convaincu que la manière dont on interagit avec les autres c’est directement liée avec la manière dont on se comporte avec soi même.

AU DELÀ DE L’INDIVIDU

105


106


A) Désinhibition limitée Addiction et extase La nécessité du savoir L’homme rationnel

B) Le tabou et le désinhibition Catharsis Désinhibition moderne

107


« La planète suivante était habitée par un buveur. Cette visite fut très courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mélancolie: - Que fais-tu là? Dit-il au buveur, qu’il trouva installé en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines. - Je bois, répondit le buveur d’un air lugubre. - Pourquoi bois-tu, lui demanda le Petit Prince. - pour oublier, répondit le buveur. - Pour oublier quoi ? S’enquit le Petit Prince qui déjà le plaignait. - Pour oublier que j’ai honte, avoua le buveur en baissant la tête. - Honte de quoi ? S’informa le Petit Prince qui désirait le secourir. - Honte de boire !acheva le buveur qui s’enferma définitivement dans le silence. Et le Petit Prince s’en fut, perplexe. Les grandes personnes sont décidément très, très bizarres, se disait-il en lui-même durant le voyage. »112 Le Petit Prince

112 De SAINT EXUPÉRY Antoine, Le Petit Prince, Éditeur : Gallimard, 1999, Chapitre XII.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

108


addiction et extase

Tout le long de ce mémoire, nous avons

exploré la quête de la prise de drogue à l’usage duquel elles sont supposées conduire. Mais quelle est cette chose en nous qui nous pousse ou nous conduit vers l’extase ? L’extase est une élévation qui ne peut être connue ad vitam æternam. Elle nous amène à la chute. Il y a la « une relation entre élévation et déclin113 », comme nous dit le philosophe critique d’art, Jean-Louis Poitevin. Baudelaire en témoigne dans les Paradis Artificiels, « c’est une béatitude calme et, mais immobile (…) toute contradiction est devenue unité, l’homme est passé dieu.114 » La drogue ou l’alcool sont des moyens de parvenir à l’extase par la seule absorption de produit chimique, c’est dire sans passer par des exercices spirituels. L’extase par laquelle la grande unité de la vie et de l’univers peut être trouvée, se double d’une révélation plus sombre, Thomas de Quincey, cité par Baudelaire à la fin des Paradis Artificiels, « si la vie pouvait magiquement s’ouvrir devant nous, (…) nous reculerions frémissant d’horreur. Nous pouvons regarder la mort en face, mais sachant comme quelques-uns d’entre nous le savent aujourd’hui ce qu’est vraiment la vie humaine, qui 113 Intervention de POITEVIN Jean-Louis, à l’occasion d’un table ronde dans le carde d’un colloque organisé par le Laboratoire espace cerveau, à l’invitation de l’association des Amis de la maison rouge, Op. Cit. 114 BAUDELAIRE Charles, Les Paradis artificiels, Michel Lévy frères, 1869, p. 81.

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109


pourrait sans frissonnement, en supposant qu’il en fut averti, regarder en face l’heure de sa naissance. »115 La prise de drogue de « l’individu incertain116 » s’accompagne de l’oubli et l’extase d’une révélation. Ceci révèle « une ironie profonde des drogués vis-à-vis de l’existence117 », en effet l’addiction conduit à adopter un comportement marginal, le plus souvent « antisociale118 » et à l’opposé de la morale.

Les prises

volontaires et contrôlées des drogues peuvent se révéler involontaires et incontrôlables. Lorsque les substances ne se déprennent pas de nous, nous entrons de manière irréversible dans la « sphère de l’addiction119 ». Au vingtième siècle, nul mieux que l’un des pratiquants les plus constants de la consommation d’héroïne pour nous dire le piège de constitue non pas l’addiction en tant que telle, mais des chemins chimiques vers une possible extase : William Burroughs. Dans sa préface, Le Festin Nu, récit implacable de ses années sous drogue, nous donne l’explication, en tout cas la sienne, mais la plus radicale, du phénomène de l’addiction aux drogues dures. « Ces quinze années de sujétion m’ont permis d’observer 115 Ibid. p. 345. 116 EHRENBERG Alain, L’Individu incertain, Op. Cit. 117 POITEVIN Jean-Louis, le Laboratoire espace cerveau, Op. Cit. 118 Ibid. 119 bid.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

110


minutieusement la façon dont le virus prend racine. L’univers de la drogue ressemble à une pyramide dont chaque étage grignoterait celui dessous (…) et ainsi de suite jusqu’au sommet. »120 La drogue soumet le « camé », le confrontant au « visage du Diable121 », aux désirs absolus. Si la quête vers la créativité peut légitimiter l’acte, le pas de coté peut se transformer en pacte avec le diable qui contraint à l’enfermement de soimême. Des doses trop importantes anéantissent tout effet créatif : l’alcool entraîne une perte de contrôle, l’état de conscience jusqu’à l’incohérence. Le désir de l’accomplissement artistique, vu précédemment, conduit jusqu’à la transgression et à la fuite de réalité, dans le but de proposer une « métaphore au prix du réel122 ».

120 BURROUGHS William, Le Festin Nu, édition Gallimard, 2002, préface, p. 10. 121 Ibid. p. 11. 122 POITEVIN Jean-Louis, métaphore au prix du réel, Littérature, drogue, ivresse. TK21 LaRevue, n° 23, juin 2013. URL : http://www.tk-21.com/La-metaphore-au-prix-du-reel

DÉSINHIBITION LIMITÉE

111


la nécessité du savoir

Les

désinhibiteurs

psychotoniques (alcool et drogues)

rendent

dépendant et rendent incohérent lorsque la prise est excessive. Ces injections de produits stupéfiants rendraient même inapte à toute production.

Effectivement,

rares

sont

les

artistes qui produisent sous influence, nous avons vu qu’ils cherchaient plus à restituer leurs expériences. Cette fuite de la réalité tendrait même vers immobilisation du sujet. Burroughs l’exprime dans Le Festin Nu, après une prise d’héroïne : « il peut contempler sa chaussure pendant huit heures d’horloge, et ne se remet en activité que lorsque le sablier de la came s’est vidé. 123»

Précédemment nous avons vu que ce qui

importe c’est la détermination de l’artiste à créer. L’artiste cherche, explore et se questionne. Il emmagasine ses réflexions et crée pour y 123 BURROUGHS William, Le Festin Nu, Op. cit. p. 58

DÉSINHIBITION LIMITÉE

112


répondre. Or, les drogues sont créatrices d’images, car nos perceptions sensorielles sont changées. Les drogues n’apportent pas le savoir, elles sont justes là pour permettre de mettre à nu nos envies, nos pulsions et révéler une face cachée. Donc tout doit déjà être là, quelque part en nous. Jean-Pol Tassin appuie nos propos. « Notre cerveau ne va pas créer de lui-même un contenu, il sera créatif que s’il est prédisposé à se servir de ses capacités pour atteindre un but. Mon cerveau doit être bourré de références, nourri par ce que je vais faire. Ce n’est qu’à cette condition que les effets d’une modification seront bénéfiques et que j’utiliserai mon savoir différemment 124 ».

Cependant il ne s’agit pas de croire que la drogue nous « mettrait

des bâtons dans les roues ». À travers une anecdote personnelle, JeanPol Tassin nous raconte comment une altération chimique a su le rendre plus efficace. Sa mère l’avait envoyé chez le médecin pour lui donner un médicament pour la concentration, de peur qu’il n’oublie de rendre sa copie le jour du baccalauréat. Jean-Pol, sur les conseils du médecin, suit son traitement en prenant une pilule par jour. Le jour du baccalauréat, se sentant stressé, Jean-Pol consomme quatre pilules d’un coup, avant de passer son examen de physique. C’est alors que les éléments chimiques 124 Intervention de TASSIN Jean-Pol, le Laboratoire espace cerveau, Op. cit.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

113


ont fait effet. Il rendit sa copie une

le moteur de sa créativité ne sera

heure en avance, en chantant,

pas multiplié. En réalité « même

l’esprit libre et en annonçant à ses

les drogues qui augmentent la

parents que c’était la plus grande

pensée créative vont plutôt affaiblir

réussite de sa vie. Il obtient 19,5/20.

la possibilité de quelque chose

« j’étais complément éclaté, car

de

c’était de l’amphétamine. Le produit

n’émerge.126 » D’après Miles Davis

m’a rendu meilleur pendant un

« la plupart des joueurs de be-bop

moment. C’est une molécule qui

étaient accros à l’héroïne »127 et Art

remplace la dopamine donc ça

Blakey disait lui même « l’héroïne

m’a excité et dans ce cas-là elle

ne permet a personne de mieux

était

jouer, mais elle vous fait mieux

extrêmement

productrice;

vraiment

créatif

ou

génial

mais une pilule en plus et j’étais à

entendre. »128

l’hôpital. 125»

Il est cependant nécessaire ici de

Dans

le

une

multitude

cas

multisensorielles consommateur.

de

drogue,

mentionner le fait que tous les

d’informations

musiciens de Jazz n’étaient pas

inondent Celui-ci

le

pourra

126 Ibid.

certe penser différemment, mais

127 BEUZEN Jean-Noël, La Musique, entre génie créateur et vertu thérapeutique, édition Odile Jacob, 2015, p. 134

125 Ibid.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

128 Ibid. p 135.

114


toxicomanes, citons par exemple

Les drogues font planer,

Dizzy Gillepsie ou Clifford Brown.

comme dans un rêve. Cependant si nous évitions les pièges de l’addiction et le désir fréquent de l’extase, il est possible de profiter de cette désinhibition comme expérience constructrice ou révélatrice. L’acte volontaire et contrôlé doit s’affirmer dans une démarche déterminé à la création, pour ne pas éloigner l’artiste de son but. Ceux sont ici des chemins périlleux, où l’abysse suscite le vertige et le vertige l’envie de plonger. Par peur de se prendre, l’homme n’est naturellement pas attiré à explorer les aux-delà de sa conscience, ses limbes, car l’homme est rationnel.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

115


l’homme rationnel

Denis Cerclet129 soutient

l‘idée que le comportement de l’individu est en quelque sorte routinisé par le cerveau et à l’échelle d’un collectif. À l’échelle de l’apprentissage, nous synchronisons nos réactions et perceptions. L’homme est un être qui fait appel à la raison, comme nous le dit Raymond Bourdon dans son étude sur l’objectivité des valeurs et de la connaissance130. Cela entend que l’homme se base sur des justifications propres à la raison, par rapport a son désir de rationaliser le monde qui l’entoure, dans le but de la comprendre.

Les consommations de désinhibiteurs,

psychotropes ou modulateurs sont des fuites de collectif contre le dogme de la rationalité. De la même façon, le « oui radical », vu avec Raj, 129 Denis Cerclet Maitre de conférences, Anthropologie Centre de recherches et d’ études anthropologiques Université Lumière-Lyon 2 130 BOURDON Raymond, Le Juste et le vrai: Etudes sur l’objectivité des valeurs et de la connaissance, Éditeur Hachette Littératures, 2009

DÉSINHIBITION LIMITÉE

116


est également un comportement inverse, car ouvert sur l’inconnu et à l’opposé de la raison. Rien ne justifie l’acte de dire « oui » à tout, dans un comportement normé.

Notre monde actuel, celui basé sur les mathématiques, la physique

et bien plus, est un monde rationnel. La plupart des sociétés occidentales ne se basent plus sur les religions, par exemple (En France, l’église et l’état sont séparés depuis 1905). Notre société base la vérité sur un raisonnement scientifique, nécessaire, car irréfutable. Friedrich Nietzsche appuie nos propos : « L’homme ne pourrait pas vivre sans se rallier aux fictions de la logique, sans rapporter la réalité au monde purement imaginaire de l’absolu et de l’identique, sans fausser continuellement le monde en y introduisant le nombre. Car renoncer aux jugements faux serait renoncer à la vie même, équivaudrait à nier la vie »131. Néanmoins, à l’échelle personnelle ce point de vue n’est plus valable. La quête du sens et de l’accomplissement de soi à travers notre créativité a du mal à s’expliquer scientifiquement. Précédemment nous avons observé comment l’expérience est un moteur essentiel. Un comportement rationnel est donc inhibiteur. Si nous basons nos connaissances exclusivement sur le rationnel, nous vivons

131 NIETZSCHE Friedrich, Par-delà bien et mal, traduit par L. Weiscopf et G. Art, édité par Henri Albert, 1898, § 4.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

117


nos vies basées sur une fenêtre

pas souvent brisée d’elle-même

d’observation

Notre

? Combien de jeunes étudiants

perception s’en trouve limitée. «Les

ont changé d’études, ou font un

vérités sont des illusions dont on a

travail qui ne correspond pas du

oublié qu’elles le sont »132.

tout à leur carrière initiale ? Une

comportements

pensée rationnelle ne prend pas

rationnels admis dans nos sociétés

compte des expériences futures,

occidentales sont présents à tous

déterminantes

les niveaux. La rationalisation est

Comme

de rigueur dans les écoles. Dans le

François

bulletin, à côté de chaque matière

Magistretti confirment ce propos

est juxtaposé un numéro. Ces

: « la réalité du sujet est différente

chiffres sont enregistrés dans un

: potentiellement, il reste soumis

dossier, qui déterminera notre place

à tout instant à l’imprévisibilité

dans

radicale de son devenir.133 »

Les

restreinte.

l’enseignement

supérieur,

vu

aux

caractères.

précédemment,

Ansermet

et

Pierre

nous conduisant lui-même à notre

futur emploi. Telle est la logique…

se dirige vers une désinhibition

Mais cette logique ne s’est elle

émancipatrice. Ce que nous venons

132 NIETZSCHE Friedrich, Vérité et mensonge au sens extra-moral, édition Gallimard, 2009.

133 ANSERMET François et MAGISTRETTI Pierre, À chacun son cerveau, Op, Cit. p. 171.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

118

Notre point de vue initial


d’observer freine cette émancipation. Pourquoi donc ? Parce que l’homme rationalise son monde (dans un premier temps avec la religion, puis avec les sciences) pour se rassurer. Ce qui est dénué de sens est frustrant pour l’homme. Carl Gustav Jung exprime cette nécessité de « l’homme occidental » selon ses propres mots, « nous sommes si accoutumés à la nature apparemment rationnelle de notre monde que nous pouvons à peine imaginer qu’il s’y produise quelque chose dont le bon sens ne suffise pas à expliquer »134. Jung affirme que l’occident est peu enclin à l’ouverture et que la rationalisation rassure. L’homme occidental se rassure notamment avec les chiffres et les notes. Effectivement, beaucoup de systèmes de référencement sont basés sur les notes : Pour acheter nos livres, pour sélectionner une recette sur internet, un film, une série, pour noter notre chauffeur Uber etc. Cette idée de rationalisation de notre vie est en fait un formatage, un contexte inhibiteurs qui nous freine ou nous discipline selon une bien convenance. La série Black Mirror imagine un scénario où chaque personne peut noter les autres de 0 à 5. Les moins bien notés, ceux qui ne conviennent pas à une certaine bienséance, sont dévalorisés et n’accèdent pas aux meilleurs

134 JUNG Carl Gustav, Essai de l’exploration de l’inconscient, édition Denoel Folio Essai, Paris, p. 70.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

119


services. C’est une nouvelle discrimination, obligeant à se conformer, pour être respectueux. Les personnes bien notées ont quant à elle accès à tous les meilleurs services et peuvent réaliser leur rêve, cependant, elles semblent lisses et sans originalité. Elles sont devenues des machines, sourient à tout inconnu, ayant l’air fausses et formatées. Jung fait écho à la série en affirmant que « l’homme moderne ne comprend pas à quel point son « rationalisme » ( qui détruit sa faculté de réagir à des idées et symboles lumineux) l’a mis à la merci de ce monde psychique souterrain »135.

La richesse des expériences laisse des traces et sont les sources

de nos convictions. La rationalisation est un frein à une vision ouverte du monde. La volonté de contrôle pour se rassurer, en opposition une vie riche d’aventure, est parfois vide de sens.

135 JUNG Carl Gustav, Essai de l’exploration de l’inconscient, Op. cit. p. 161.

DÉSINHIBITION LIMITÉE

120


DÉSINHIBITION LIMITÉE

121


Les comportements désinhibés dans le

langage commun, comme la vulgarité, la violence ou la sexualité, reluisent pour raison évidente d’une mauvaise image. La nature étant ce qu’elle est, elle se révèle sans jugement lorsque le corps est sous l’emprise de désinhibiteurs. Ainsi ces actions sont tabous et peu conformes à la société soumise à des règles sociales. L’homme a mis en place des dispositifs visant à permettre certains actes de transgression. La catharsis lui permet d’évacuer ses pulsions et de sens débarrasser. En revanche, la puissance qu’il a acquise grâce aux technologies pour maîtriser la nature lui a conféré un pouvoir de domination. Il renoue avec ses pulsions et n’en voyant lui-même plus la limite, donnant ainsi naissance à une « désinhibition moderne ».

LE TABOU ET LA DÉSINHIBITION

122


catharsis

Précédemment, nous avons

étudié à quels points, une désinhibition peut être positive dans la construction d’expérience, permettant la construction de soi, la liberté de choisir, etc. Cependant, la désinhibition, qui induit également l’idée d’une transgression, souvent négative, comme la vulgarité, la violence ou la sexualité, a su trouver un moyen de se réguler. En quoi la catharsis «éduque» les peuples ?

Dans un premier temps, définissions

la catharsis : Chez Aristote, il s’agit d’une « purification de l’âme du spectateur par le spectacle du châtiment du coupable136 ». Selon les auteurs, la catharsis est une « purgation », faisant référence à l’âme qui se purge de ses émotions excessives à travers le spectacle. À l’époque de la Grèce Antique, c’était le rôle du théâtre. Ainsi, la tragédie est par excellence le lieu de catharsis. Le fait de voir sur scène les pires maux et de 136 CNRTL, definition : Catharsis.

LE TABOU ET LA DÉSINHIBITION

123


voir le héros braver les interdits,

vivre. Se purger de ses bas instincts.

cela donne des règles morales, car

on s’en fait une représentation.

également un pouvoir de groupe,

Prenons l’exemple d’Oedipe Roi137.

on se retrouve, c’est un évènement

Oedipe est l’antihéros par excellence,

fédérateur, on partage avec nos

le bouc émissaire. Oedipe tue son

pairs. Nous nous revendiquons d’un

père et épouse sa mère. Il est accusé

mouvement, partageons ses valeurs

d’inceste et de parricide, les deux

et les images, sans pour autant

pires choses dans la Grèce Antique.

devoir le prouver par des actes, qui

Il se crève les yeux et finit par se

sembleraient mal veillants.

faire guider par sa fille Antigone.

Le public en se représentant ces

déroule dans les matchs de foot,

passions interdites sur scènes et

les concerts, etc. Si la catharsis

en les expulsant via le héros s’en

est aujourd’hui de plus en plus

débarrasse. D’où le côté «éducatif»

déconnectée avec l’art, elle entretient

du théâtre à cette époque, pas au

toujours sa fonction thérapeutique;

niveau culturel, mais bel et bien au

elle

niveau des passions et du savoir-

moyen de refouler ses blessures,

La

catharsis

possède

La catharsis moderne se

est

entendue

comme

un

comme lorsque nous écoutons de la

137 SOPHOCLE, Oedipe Roi, 430 et 420 av. J.-C.

LE TABOU ET LA DÉSINHIBITION

124

musique

mélancolique,

pour


partager avec l’artiste, nos douleurs sentimentales, nous construit une certaine forme d’identification et d’empathie.

LE TABOU ET LA DÉSINHIBITION

125


Désinhibition moderne « Il apparaît que le mot de désinhibition présente le grand avantage de rassembler les deux temps du passage à l’acte modernes : celui de la réflexivité bien sûr, mais aussi celui du passer outre, celui de la prise en compte du danger et celui de sa normalisation138 ».

Jean-Baptiste Fressoz, analyse dans son

livre l’Apocalypse Joyeuse, un nouveau genre de transgression. L’homme, à travers sa maîtrise et domination de la science, n’a pas su voir les limites et conséquences de ses créations. Certain dirait que l’exemple le plus évident est Tchernobyl, d’autre de l’utilisation de la bombe atomique, d’autre des avancés sur la génétique et le clonage d’animaux. Fressoz s’efforce de 138 GIREL Mathias, Désinhibition moderne et agnotologie, Mars 2013, URL : https://mathiasgirel.com/2013/03/13/ jean-baptiste-fressoz-17-mai-2013/ à propos de FRESSOZ Jean-Baptiste, L’apocalypse Joyeuse, édition Seuil, 2013.

LE TABOU ET LA DÉSINHIBITION

126


[Inside, Mattis Dovier, Random Acts / Channel 4, 2016]

nous montrer à quel point «  la technique a façonné sa régulation bien plus que l’inverse »139. La course vers l’innovation à poussé l’homme à chercher plus loin, au-delà de sa planète, et au-delà de la nature. L’homme s’est définitivement affranchi de dieu. Tous les films, toutes les séries de prédiction, science-fiction, s’accordent à montrer un futur où l’intelligence artificielle sera présente. Le danger devient normalisé à travers une justification scientifique. L’homme ivre de connaissance de Baudelaire devient ici avide de savoir où la réalisation du moindre fantasme semble désormais possible ou du moins imitable, incitant à son accomplissement.

Ce futur évoqué est le concept de la série, citée précédemment,

Black Mirror. « Les épisodes sont liés par le thème commun de la mise en œuvre d’une technologie dystopique, le « Black Mirror » du titre faisant référence aux écrans omniprésents qui nous renvoient notre reflet. Sous un angle noir et souvent satirique, la série envisage un futur proche, voire immédiat. Elle interroge les conséquences inattendues que pourraient avoir les nouvelles technologies, et comment ces dernières influent sur la nature humaine de ses utilisateurs, et inversement. »140

139 FRESSOZ Jean-Baptiste, L’apocalypse Joyeuse, Op. cit, p 53. 140 https://fr.wikipedia.org/wiki/Black_Mirror

LE TABOU ET LA DÉSINHIBITION

127


La désinhibition rencontre des freins sur son chemin vers

l’émancipation. L’extase mène à la fuite de la réalité et laisse planer au dessus des nuages, sans contacte avec la terre. L’addiction est quant à elle une chute sans fin, enfonçant le consommateur au fond de l’abysse. Si le créateur ne cède pas à la perte de contrôle non productrice, restant fidèle à sa détermination, il se rendra compte que la drogue n’est pas savoir, mais que perception. Les psychotropes ne sont que des clés, faut-il encore connaître les portes.

Nos sociétés ordonnées fuient le désordre et la transgression. Ainsi

l’homme se protège de ses désirs les plus infâmes et malsains, à travers une catharsis, permettant de purifier et d’éduquer son comportement. Malheureusement lorsque le pouvoir est entre ses mains, l’homme ne peut s’empêcher d’en abuser et de se prendre pour un dieu. La désinhibition moderne est une réelle question d’actualité, surtout mis en évidence grâce à aux nouvelles technologies, guidant nos comportements et interactions.

LE TABOU ET LA DÉSINHIBITION

128


[Inside, Mattis Dovier, Random Acts / Channel 4, 2016]

129


CONCLUSION

130


Comment définir un mot qui n’en est

pas un ? Oui, effectivement « Désinhibition » ne figure pas sur le site CNRTL, outils de référence et de ressource de la langue française. Mais alors qu’en est-il ? Comment se baser sur un mot qui est le fruit d’une impression collective ? C’est à travers la quête vers un processus de création et finalement d’émancipation que nous nous efforçons à dévoiler les faces abstraites de ce mot. Comment, dans un rationalisme moderne, ou toute chose a une note, un critère de sélection, peut on encore vivre avec une liberté de choix et décider de nous accomplir, sous le poids de la société occidentale favorisant la responsabilité et le développement de nos identités plurielles ?

CONCLUSION

L’homme, désinhibé de sa condition

131


humaine, s’exprime et se reconnaît à travers son art. La créativité nous apparait ici comme un besoin qui doit satisfaire notre besoin de reconnaissance. Les origines des premiers arts sont reliées avec l’expérience chamanique. Cette hypothèse intéressante, mais très controversée a pour le moins l’avantage de mettre en relation la quête de créativité et l’état second. Ainsi le monde de l’art reluit désormais d’une image particulière, l’image du marginal, constituant une mythologie de l’artiste qui lui est bénéfique. Il est alors légitime qu’il puisse avoir un rapport différent au monde. L’artiste torturé exprime le sentiment de l’être. Sa création vient de l’expérience, et l’expérience se créer lorsque nous vivons. Faut-il donc vivre plus intensément ? En perte de repère, dans un monde qu’il ne comprend plus, l’artiste se tourne vers la drogue. C’est à deux reprises que la drogue influence largement le monde artistique : au début de la modernité, donnant naissance au romantisme et durant les années soixante, avec l’art psychédélique, héritier de la Beat Generation. La drogue a réussi à s’imposer comme une réponse, grâce à ses différents prismes du réel, mais sans pour autant porter plus de savoir. La figure de l’anticonformiste est alors lancée. L’art ne se conforme plus et questionne tout, ils cherchent à s’émanciper et à transgresser. Le refus de nouvelles normes provoque frustration et indignation, stimulant une créativité qui s’émancipe des contraintes,

CONCLUSION

132


permettant de se réinventer.

Ces comportements marginaux peuvent

être amorcés de différente façon. C’est pourquoi il est intéressant de comprendre leur mécanique. Pour cela nous nous sommes basés sur la neurobiologie, qui nous permet de mettre en lumière une notion essentielle. En effet, le réel est reconstruit, c’est un réel différent mais pas nouveau. Il s’agit donc de notion de perception. Au-delà des drogues, la désinhibition est également perçue comme l’incapacité à ignorer. Une désinhibition cognitive, qui favoriserait la connexion entre nos différentes connaissances, stimulant ainsi la créativité. Cette quête vers la perception tendra vers l’usage de drogues développant surtout un sens commun à l’artiste, sa capacité d’observation.

L’homme s’émancipe donc à travers un

comportement désinhibé, qu’il peut retranscrire dans les domaines artistiques, s’affranchissant des règles académiques et développant une esthétique autonome. Également au niveau de l’innovation, la légèreté et le vagabondage de l’esprit peuvent se révéler fructueux. L’innovation se désinhibe avant tout grâce à de nouvelles manières d’aborder le travail et l’entrepreneuriat, notamment grâce aux crowdfunding, l’open source et lieu de création collectif comme les fablabs.

L’homme cherche également à s’émanciper

du réel. À travers son art, il explore d’autre réel qui le guide vers d’autres chemins, lui permettant de trouver une direction. Il s’agit également de se

CONCLUSION

133


trouver soit même. L’homme d’aujourd’hui est incertain et la pression de la société occidentale, le poussant à s’affirmer et exister de manière individuelle, le conduit peu à peu vers des comportements où il trouve refuge et confiance. C’est d’ailleurs parce que la désinhibition implique un début et une fin, une temporalité, qu’il est plus facile pour lui de lâcher prise. L’émancipation va donc au-delà de l’individu et s’exprime à travers une émancipation collective. À travers l’art, notamment de la performance, qui crée un lien particulier avec le spectateur. Il s’agit également d’accepter les évènements qui se déroulent à côté de nous et de choisir de les vivre également. Une vie remplie d’expérience permet de prendre conscience de ce qui nous entoure, permettant ainsi l’élévation de l’individu vers une vie de richesse et de créativité.

La désinhibition inclut également la notion de transgression.

L’homme peut se perdre dans l’addiction et l’extase ou au contraire refuser toute expérience désinhibée, prôner par un rationalisme. L’homme se débarrasse également de ses transgressions de l’âme, émotions impures à travers une catharsis éducatrice. En revanche, ivre de savoir, la puissance qu’il a acquise grâce aux technologies pour maîtriser la nature lui a conféré un pouvoir de domination. Il renoue avec ses pulsions et n’en voyant lui-même plus la limite, il donne ainsi naissance à une « désinhibition moderne ». Phénomène dangereux et actuel qui consiste à ne plus se rendre compte des limites à ne pas franchir. Certains thèmes sont aujourd’hui discutés, comme le transhumanisme ou les dérives possibles de nos relations humaines dues aux nouvelles technologies. Ce mémoire nous a permis d’explorer notre vision de la désinhibition, nous questionnant sur sa nécessité. Nous avons vu à quel point elle pouvait augmenter notre vie. Vivre ne serait-il donc pas l’expérience extatique absolue ? Car cela nous guiderait peut être vers le réel au prix de la métaphore et non la métaphore au prix du réel.

CONCLUSION

134


Ce mémoire nous permet de formuler ici trois problématiques possibles qui font suite à la réflexion apportée à cette conclusion :

Comment, en tant que designer, puis-je valoriser la richesse de l’inconnu et de l’expérience au quotidien ? Champs d’action : dans un contexte ou l’individu doit s’épanouir, il s’agit de valoriser l’expérience du quotidien pour provoquer un nouveau rapport au monde, basé sur l’ouverture et la spontanéité.

Comment, en tant que designer, puis-je accompagner un projet d’abstinence, pour vaincre l’addiction ? Champs d’action : nous ne somme pas des saints, c’est un fait. L’homme a besoin de d’évasion mais certains comportement peuvent mener à l’addiction. À travers la technologie, revenir dans le monde auquel nous avons pu être coupé, en mettant en place des solutions médicales et personnalisées.

Comment, en tant que designer, puis-je proposer à l’utilisateur, une expérience technologique vivable ? Champs d’action : La désinhibition moderne a poussé l’innovation jusqu’à proposer des produits incitant à de «mauvais» comportements. Notre monde vit sur l’addiction technologique. Se baser sur la technologie bienveillante dans un contexte urbain.

CONCLUSION

135


[ Toutes les illustrations et textures de ce mémoire ont été réalisé par mes soins. Les photographies on été retouchées et sont sourcées dans des légendes qui leurs sont associées. ]

136


137


GLOSSAIRE.

Addiction : D’un point de vu neurobiologique : qui se base sur les sensations et les émotions. traitment rapide du cerveau

Analogique : D’un point de vu neurobiologique : qui se base sur les sensations et les émotions. traitment rapide du cerveau

Art performance : mode d’expression artistique contemporain,

dans lequel l’oeuvre est le déroulement temporel d’une mise en scène, d’un ensemble de gestes, d’actes, d’attitudes, d’événements, comportant une part d’improvisation

Beat Generation : mouvement littéraire et artistique né dans les années 1950, aux États-Unis. avant tout un groupe d’amis avides d’anticonformisme et de révolte face à une société de consommation américaine qu’ils trouvent absurde

Brainstorming : technique formalisée de résolution créative de

problème par itération successive. Le principe est de dire tout ce qui nous passe par la tête.

Burning Man : Le festival Burning Man est une grande rencontre

artistique qui se tient chaque année dans le désert de Black Rock au Nevada. Elle a lieu la dernière semaine d’août, le premier lundi de septembre étant férié aux États-Unis

Catharis : Purification de l’âme ou purgation des passions du spectateur par la terreur et la pitié qu’il éprouve devant le spectacle d’une destinée tragique

138


Chaman :

Prêtre-sorcier qu’on rencontre dans les sociétés primitives des autres continents. Être en connexion avec les dieux.

Cognitif : Qui concerne les moyens et mécanismes d’acquisition des connaissances

Crowdfunding : Source de finalcement participatif sur plateforme

Désinhiber : processus

S’affranchir, le ver une inhibition, ne plus freiner le

Désinhibiteur : Acteur, facteur qui permet de ne plus freiner un processus.

Désinhibition cognitive : Incapacité a ignorer (opposé

d’inhibition latente)

Désinhibition moderne : Action prise contre le principe de la morale, sur le prétexte de l’innovation, de la science, ou de la sécurité.

139


Émanciper : morale ou sociale.

Libérer d’un état de dépendance, d’une sujétion juridique,

Eurêka : Solution d’un problème qui se présente soudainement

Extase : État de plaisir particulier dans lequel une personne, se trouvant comme transportée hors d’elle-même

Fablab : lieu ouvert au public où il est mis à sa disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets

Hallucination : Phénomène psychique par lequel un sujet en état de

veille éprouve des perceptions ou des sensations sans qu’aucun objet extérieur les fasse naître et qui apparaît au cours de certaines maladies ou sous l’effet de la drogue

Idiotie : qui est simple, qui est singulière Inhiber : Défendre, empêcher, prohiber, qui est de nature à ralentir ou à arrêter une fonction

Inhibition latente : désigne un concept de psychologie expérimentale décrivant la capacité à filtrer les stimuli, c’est-à-dire prêter moins d’attention à ce à quoi on est habitué.

140


Innovation : brisé un monopôle de procédé pour proposer une nouvelle valeur

Peuples primitifs : Premiers groupes humains qui ont peuplé la terre.

Psychédélique : Qui est provoqué par l’absorption de drogues

hallucinogènes et consiste en un débordement délirant des idées et une distorsion des faits et des images réels

Psychotrope : substance qui modifie le psychisme et le comportement Rationnel :

Qui est fondé sur la raison, qui provient de la raison; qui procède par un raisonnement logique indépendant de l’expérience

Schizophrénie : dissociation de la personnalité, se manifestant

principalement par la perte de contact avec le réel, le ralentissement des activités, l’inertie, le repli sur soi, la stéréotypie de la pensée

141


BIBLIOGRAPHIE.

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Émission Radio : France culture, Les Nouveaux chemins de la connaissance, L’ivresse poétique (1/4) : Baudelaire, présentatrice : Adèle Van Reeth, 00:06:23. https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/livresse-poetique-14-baudelaire

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Filmographie : Drogues et création - Une histoire des paradis artificiels (1/2) La quête d’un autre monde. KOUNEN Jan interview, Arte diffusé le 09 janv 2014. Black Mirror, Netflix, Charlie Brooker, 60 min, 2016 Westword, HBO, Jonathan Nolan, J.J. Abrams, Jerry Weintraub, Bryan Burk, 2016

Conférences : Intervention de TASSIN Jean-Pol, à l’occasion d’un table ronde dans le carde d’un colloque organisé par le Laboratoire espace cerveau, à l’invitation de l’association des Amis de la maison rouge, l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, http://www.dailymotion.com/video/xz58z4_laboratoire-espace-cerveau-station-9_creation

Expositions : Arts drogués, expériences psychotoniques et création artistique, Sous influences, arts plastiques et psychotropes, du 15 février au 19 mai 2013 la Maison Rouge – Fondation Antoine de Galbert, Paris The Velvet Underground, New York Extravagnaza, Philarmonie de Paris mars/août 2016

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REMERCIEMENTS.

Je tiens avant tout a remercier les bibliothécaires de la BPI, du Centre Pompidou pour leur patience et précieux conseils d’ouvrages nécessaire à réalisation de ce mémoire. Je tiens à remercier Raj, de m’avoir donné de son temps pour une interview et ses conseils avisés autour d’un café. Merci à Antoie Dufeu pour la supervision de nos mémoires. Je remercie tout particulièrement mes amis, pour leurs aides et regards extérieurs : Manon Latgé pour ses relectures et précieuses attentions ainsi qu’a Marine Choquet. Merci à Audrey Spaulding pour son accompagnement morale et dynamique. Enfin merci à mon père, qui s’est révélé indispensable dans les derniers jours afin de finaliser ce mémoire.

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Diplômes 2017 Camille HAUTREUX

Désinhibition, de la création vers l’émancipation À travers ce mémoire il s’agira de décrypter notion de désinhibition, sous ses formes scientifiques, philosophiques ou émotionnelles, afin de comprendre la force qu’elle porte. Par le biais d’exemples, d’études et d’observations, nous tenterons de mettre en lumière l’impact de la désinhibition sur notre volonté perpétuelle d’émancipation. Au delà de ses relations aux arts, cet état d’esprit permet d’innover et de réinventer en déstabilisant les systèmes pour mieux se les approprier; de se découvrir soi-même pour assumer notre individualité plurielle. La désinhibition questionne également la transgression et le tabou qui les accompagnent. L’excès qui ne mène nulle part, annihile cette puissance créatrice, dérivant ainsi vers l’addiction et l’extase. L’homme rationnel et la nécessité du savoir remettent en question l’énergie créatrice d’une désinhibition, sous n’importe laquelle de ses formes. La désinhibition favorise la libération et la spontanéité, à la fois technique et morale. Elle nous demande de nous pencher sur sa capacité à passer outre, ayant pour risque la banalisation du danger, traduit par le terme de « désinhibition moderne ».

Ecole de Design

Établissement privé d’enseignement supérieur technique www.strate.design


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