L'amour à l'ère du numérique

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L’amour à l’ère du numérique


Sommaire

Introduction

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De la fascination à la propagande : les figures ambigües de la conception occidentale de l’amour

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L’amour transcendantal : s’élever vers un idéal magnifié

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L’amour passionnel : révéler le mystère et la magie du sentiment

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L’amour romantique : contenir le bonheur dans l’idéal fusionnel

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L’amour publicitaire : asseoir la propagande du plus jamais seul

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Du consumérisme à la sensibilité : les enjeux foisonnants de l’expérience amoureuse contemporaine

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L’aliénation par le consumérisme : désenchanter l’idylle magnifiée

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La logique rationnelle : analyser les mécanismes amoureux

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à l’encontre du stéréotype : révéler la multiplicité des amours

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Les relations numériques : exacerber l’expression de la sensibilité

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Vers une nouvelle approche : l’exploration poétique de la relation amoureuse à l’ère des interfaces

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Aimer aujourd’hui : imaginaire décadent et réalité déboussolée

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Révéler la complexité des nouveaux enjeux amoureux

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Diffuser une nouvelle pensée de l'amour

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Retranscrire des expériences amoureuses singulières

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Conclusion

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Bibliographie

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Introduction

s’intéresser à l’individu, à la société, à une culture particulière : en l’occurence la culture occidentale. Même si parler d’amour tend à l’universalité, l'idée est profondément liée à notre culture. La variation culturelle permet de dégager des formes de vies amoureuses spécifiques, liées à l’idée de vie en société. à la frontière de la sociologie, philosophie et psychologie, définir l’amour devient alors un enjeu considérable à une époque où émergent de nouveaux rapports sociaux, de nouvelles façons d’être ensemble : alors “Ce fut comme une apparition.”1 que l’amour est influencé par l’image du couple homme L’amour est par essence et femme, le célibat comme mode indéfinissable : tout un chacun de vie choisi entre dans les moeurs. peut s’approprier ce thème On assiste à une forme de crise pour en proposer sa propre de la conjugalité traditionnelle interprétation, de la plus triviale comme résultante d’une évolution à la plus poétique. Il apparaît des modèles sociaux affectifs. souvent pour les artistes, L’amour a en effet souffert écrivains ou cinéastes comme d’avoir été lié à une morale, un gouffre inépuisable voire à une idéologie, définissant de questionnements à explorer. une bonne et une mauvaise éblouissement, émerveillement manière d’aimer : cette manière des sens, irréductibilité du sentiment occidentale de penser l’amour qui ne peut que se vivre, l’amour est à l’origine d’une forme de chaos possède en lui un caractère sentimental aujourd’hui, qui résulte à la fois inexplicable et inexprimable, du choc idéologique d’un conflit une expérience sensible indépassable entre la morale et subjective. Il est souvent conjugale et l’antimorale libertaire. caractérisé par un bouleversement Face à cet éclatement, la relation profond des sens, un emportement amoureuse elle-même connait irrésistible. “L’amour a toujours également de nouvelles formes : été pour moi la plus grande elle se trouve de plus en plus des affaires, ou plutôt la seule.”2 dématérialisée sur les supports S’intéresser à l’amour, c’est numériques, ce qui engendre 6


l’émergence de nouveaux questionnements par rapport à son essence même. à travers l’apparition des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, de nouvelles manières de communiquer s’instaurent et font aujourd’hui partie inhérente de notre société. Les relations amoureuses semblent alors technicisées par l’avènement des sites de rencontre : faire la bonne rencontre devient l’enjeu de l’homme contemporain. Faire le bon choix, remplir les bons critères, se parler avant de se voir... Autant de données qui semblent se heurter violemment à l’éblouissement du sentiment qui échappe à tout contrôle. Une forme de parallèle inquiétant émerge entre la relation amoureuse et le consumérisme propre à notre époque individualiste. Le mythe de la passion amoureuse immuable se positionne face à la revendication d’une société individualiste centrée sur la rentabilité. De quelle manière s’articulent le fantasme puissant de l’exaltation des sens comme abandon de soi et les modèles rationnels d’autorégulation et de choix optimal ?

1. L’éducation sentimentale, Flaubert, 1869.

Il s’agit tout d’abord de mettre au clair les composantes de l’amour influencé par les mythes puissants du sentiment amoureux et de comprendre l’exactitude des variations culturelles auxquelles l’amour est soumis car elles participent de notre vision idéale contemporaine et elles l’orientent. Notre façon de rêver l’amour est guidée à la fois par notre expérience mais surtout par des modèles amoureux : de l’amour idéaliste à l’amour romantique, en passant par l’amour courtois, l’amour passion mais aussi l’amour chrétien. Dans une seconde partie, il est essentiel de repérer comment ces différents modèles viennent se heurter à l’expérience amoureuse dans la société contemporaine, celle du zapping émotionnel, des bouleversements sociétaux et des échanges de plus en plus dématérialisés. Il s’agit de partir d’un constat pessimiste de décadence sentimentale pour essayer progressivement de dégager de nouvelles formes du rapport amoureux dans l’objectif de valoriser une poétique amoureuse à l’ère de l’interface.

2. Vie de Henry Brulard, Stendhal, 1835.

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De la fascination à la propagande : les figures ambigües de la conception occidentale de l’amour

“Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient entendu parler de l’amour.”3 Notre conception occidentale de l’amour est soumise à un héritage puissant de modèles ambivalents qui participent de la constitution d’un véritable mythe de la passion amoureuse, aujourd’hui plus que jamais omniprésent. Quelles sont les images qui nous influencent et comment leurs natures ambigües coexistent-elles ? Il s’agit de montrer la décadence progressive de notre perception de l’amour, d’une forme de fascination idéale jusqu’à une image factice qui mélange les codes. L’amour transcendantal : s’élever vers un idéal magnifié Le concept de l’âme soeur : combler un manque existentiel Le concept de l’âme soeur est une des composantes fondamentales de notre conception de l’amour. Il consiste en la croyance d’une forme de compatibilité amoureuse qui serait parfaite entre deux individus uniques, perçus comme deux âmes prédestinées à se rencontrer. • 1 Le mythe d’Aristophane4 cherche à en définir l’origine. L’humanité primitive comprenait trois genres : la femme, l’homme et l’androgyne. Ces êtres étaient parfaits, tout puissants, pareils à leurs créateurs. Cette perfection primitive engendrant orgueil et narcissisme, les hommes ont alors cherché à rivaliser avec les Dieux. Pour les punir de leur audace, Zeus décida de scinder en deux ces êtres parfaits dans leur forme afin qu’ils reportent leur désir sur la recherche de leur moitié manquante. Ce mythe fait référence à la nature imparfaite de l’homme comme

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source du désir amoureux et sexuel. La scission opérée par les Dieux lors de la séparation des êtres amène la nostalgie d’une puissance perdue, d’une complétude perdue, qui nous aurait caractérisés à un moment précis. Le concept d’âme soeur émerge comme la recherche d’une âme unique anciennement liée à la nôtre et avec pour objectif de s’établir dans la fusion avec cette dernière. • 2 Trouver son âme soeur dans ce monde, telle serait la quête de l’être humain. La dimension poétique de ce mythe est immense et propice à la narration d’histoires d’amour aux destins liés. La recherche de l’âme soeur permet de combler un manque existentiel, l’amour est perçu comme une force positive qui pousse au dépassement de soi et à la recherche de perfection. La quête amoureuse : donner un accès à l’immortalité L’amour est donc le fruit d’une recherche et en ce sens peut être perçu comme une véritable quête, un chemin à parcourir pour trouver plénitude et sérénité. La notion de quête amoureuse se développe alors comme une forme de modèle à suivre, tout en faisant une expérience personnelle et unique de sa propre quête. “La vraie voie de l’amour, c’est de partir des beautés sensibles et de monter sans cesse vers cette beauté surnaturelle.”4 éros dans la mythologie grecque est le dieu de l’Amour • 3 et de la puissance créatrice4. En tant que fils de Pénia (la pauvreté) et de Poros (la richesse), il symbolise une forme de désir total qui pousse l’homme vers la quête du Bien, s’approchant ainsi de la démarche du philosophe. éros devient donc l’objet d’une ascension vers la connaissance, avec plusieurs paliers : trouver un seul corps et l’aimer, apprécier la beauté de tous les corps, apprécier la beauté des âmes, trouver la beauté dans les lois et enfin dans la connaissance. L’amour constitue, dans la vie humaine, le pont entre l’immanence et la transcendance, entre le sensible et l’intelligible, entre la nature (sexualité, sensibilité, affects, sentiments, besoin) et le suprasensible, l’idéal, le vrai, le bien, le beau en soi. Il permet l’accès au monde intelligible, et donc par conséquent l’accès par excellence à l’immortalité. Il y a donc une ascension du sensible (les beaux corps) vers l’intelligible (l’idée du Beau). L’amour est une expérience positive pour le philosophe car elle permet de se tourner vers le monde de la connaissance et de la sagesse.

3. Maximes et réflexions diverses, La Rochefoucauld, 1665.

4. Le Banquet, Platon, 380 av. J-C.

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•1 Le Baiser, Constantin Brâncusi, 1910. Les deux parties d’un tout, enlacées dans la pierre comme gravées à jamais.

•2 Le Baiser, Gustav Klimt, 1909. La beauté de la fusion des amants en une forme unique harmonieuse.

•3 Psychée ranimée par le baiser de l’amour, Antonio Canova, 1793. La puissance de l’amour ramène la bien aimée à la vie.

•4 La carte du tendre, Madeleine de Scudéry, 1883. La quête amoureuse représentée par la cartographie.

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La quête amoureuse • 4 est donc orientée chez Platon vers le monde intelligible, elle se rapproche de la quête philosophique, en partant du corps pour s’achever dans une plénitude de l’esprit, liée à l’idée de connaissance. L’amour se révèle être le plus beau des sentiments puisqu’il nous permet d’accéder à l’immortalité. La passion chrétienne : révéler l’essence divine de l’amour “Ses flammes sont des flammes de feu, Un coup de foudre sacré. Les grandes eaux ne sauraient éteindre l’amour ; Et les fleuves ne le submergeraient pas.” 5 Cet extrait d’un cantique de l’Ancien Testament apparaît comme une véritable ode à l’amour. • 5 Il est important d’en observer son intensité et la poésie qui s’en dégage, inspirée par une conception de l’amour comme étroitement liée à Dieu. Le christianisme joue en effet un rôle déterminant pour notre conception occidentale de l’amour comme idéal. D’après Maître Eckhart6, l’amour comme transcendance se voit glorifié et trouve son origine même dans Dieu. Selon lui, l’amour est une volonté de l’ordre de l’opération, et pas seulement un sentiment qui nous plonge dans un état de passivité. Ainsi, l’amour se réalise par les actes : il est dépendant de l’idée de charité et de confiance. En ce sens, Dieu représente le paradigme suprême de l’être en qui on peut avoir à la fois confiance et dans lequel on peut placer l’espoir. Il apparaît comme la réalité de l’amour : aimer, c’est toujours aimer Dieu. Il s’agit donc du sentiment pur par excellence, l’église le détache complètement du rapport au corps et à la chair pour l’orienter vers Dieu, d’où la maxime “Dieu est amour” : toutes les définitions chrétiennes de l’amour sont en corrélation immédiate avec Dieu. Les origines religieuses chrétiennes de l’amour apparaîssent comme magnifiques et idéales, seul amour qui soit véritable est porté vers Dieu. Selon cette logique, il n’existe donc qu’une seule et bonne manière d’aimer qui est tournée vers Dieu, cet amour amène l’être humain à travers ses actions à dépasser sa propre condition pour tendre vers la nature divine. L’amour possède une puissance transcendantale qui questionne la nature même de l’être humain pour l’orienter vers une signification métaphysique, que ce soit le monde intelligible platonicien ou Dieu selon les principes chrétiens. Notre fascination pour ce sentiment est donc liée à cette idée que l’amour nous ouvre les portes d’un paradis, nous pousse à trouver la perfection et à dépasser notre condition de simple mortel. L’objet même de notre amour est supplanté par cette transcendance qui le dépasse.

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5. Cantique, La Sainte Bible, Ancien Testament, traduction L. Segond.

6. Entretiens spirituels, Maître Eckhart, 1303.

•5 L’extase de Sainte Thérèse, Le Bernin, 1652. Adoration divine, polémique à la frontière du désir sexuel.

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Par la suite, en se recentrant sur l’être humain, l’hyperbolisme du sentiment se retrouve sous une forme nouvelle : l’amour passion, qui amène intrinsèquement souffrance, jusqu’à la mort. L’amour passionnel : révéler le mystère et la magie du sentiment L’origine de la passion : trouver la plénitude dans une destinée tragique Le terme passion est par essence tiré du verbe latin patior, qui signifie souffrir, éprouver, endurer. évoquer l’amour comme passion, c’est donc lier inévitablement le terme à une forme de souffrance. “Parmi tant de facilités, de raffinements intellectuels ou voluptueux, de satiétés, l’un des besoins les plus profonds de l’homme demeure privé d’assouvissements, et c’est le besoin de souffrir.”7 La naissance de l’amour passion trouve son origine dans le Roman de Tristan et Iseut 6 qui s’impose comme véritable mythe constitutif. Datant du XIIe siècle, il est considéré comme une valorisation de l’amour courtois, ou cortezia. Ce dernier est vécu comme la seule forme d’amour véritable, alors que le mariage au sens chrétien n’est que le résultat d’un arrangement économique. Les caractéristiques de la cortezia, héritées de la chevalerie, sont multiples mais tournent autour de la conception d’un amour adultère, réciproque et malheureux. Son origine s’oppose

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de manière directe à la doctrine religieuse issue du christianisme qui rejette les émois de la passion entre les hommes, et le lyrisme omniprésent dans l’amour courtois est hérité des chants des troubadours cathares. Ainsi, selon le mythe, les amants sont sans cesse soumis à des obstacles qui les empêchent de vivre ensemble et de connaître un bonheur paisible, leur amour ne peut s’accomplir que dans l’union mortelle • 6. Cette séparation constante résulte même de leur passion et traduit le besoin de l’absence de l’autre plus que de sa présence.

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L’amour passionnel selon le mythe est un amour réciproque malheureux, dans l’intérêt romanesque de l’ouvrage, qui engage tout l’être. Il est souvent matérialisé par le philtre d’amour qui a une double caractéristique de promettre un bonheur certain aux amants tout en les condamnant à la souffrance. L’amour passion se caractérise principalement par sa destinée tragique. • 7 La figure des grands amants : se réapproprier l’amour entre les hommes L’amour entame alors une sorte de révolution psychique de l’être humain dès le XIIe siècle qui permet la naissance d’une nouvelle forme de poésie dite lyrique chantée par les poètes : c’est le culte de l’amant transit qui chante une ode à la femme idéalisée. La figure de l’amant et celle de la Belle vont alors se matérialiser et se soumettre aux lois de l’Amour selon la courtoisie : Mesure, Service, Prouesse, Longue Attente, Chasteté, Secret, Merci. L’amant en tant que troubadour idéalise une figure de la femme comme Dame des pensées, qui est la source de son amour. La Belle quant à elle se voit attribuer des métaphores métaphysiques qui marquent le détournement du langage passionnel chrétien divin vers cette figure de Dame des pensées • 8. La dimension narrative de ces chants est importante et se trouve à l’origine de la déclaration d’amour. On peut se référer à l’oeuvre de Shakespeare Roméo et Juliette qui propose une mise en scène célèbre de cette soumission de l’amant à sa belle avec la scène du balcon. “Oh, parle encore, ange lumineux, car tu es ; Aussi resplendissante, au‑dessus de moi dans la nuit ; Que l’aile d’un messager du Paradis.”8 On retrouve la glorification de la Dame avec l’influence des paroles religieuses : Juliette est comparée à un ange qui ouvre les portes du Paradis. Elle représente une forme de lumière divine qui guide l’amant et le pousse au dépassement de soi. L’amour passionnel se caractérise donc par une valorisation de la figure des amants, que tout semble opposer, à défaut du mari qu’elle a tendance à ridiculiser. Le sentiment amoureux se trouve imprégné du lyrisme des poètes troubadours et l’objet du désir se tourne non plus vers la transcendance mais vers la femme qui devient le support de l’idéalisation propice au déchainement des passions.

7. L’Amour et l’Occident, Denis de Rougemont, 1939.

8. Roméo et Juliette, Shakespeare, 1597.

•6 Tristan e Isolda (la muerte), Rogelio de Egusquiza, 1910. La fusion magnifiée dans la représentation de la mort.

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•7 Titanic, James Cameron, 1997. Figure passionnelle glorifiée en même temps que la passion est vouée à l’échec.

•8 La Naissance de Vénus, Sandro Botticelli, 1486. Vision narrative, culte de la Beauté de l’amour à travers la femme idéalisée.

•9 Big Fish, Tim Burton, 2003. Coup de foudre au cinéma : suspension du temps lors de la rencontre.

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“Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue, Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler Je sentis tout mon corps, et transir, et brûler...” Acte I, Phèdre, Racine, 1677.

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Le topos de la rencontre : le coup de foudre comme étape obligatoire Dans la pièce de théâtre tragique Phèdre, Racine donne corps à l’idée de fatalisme passionnel. Phèdre en tant que fille de Minos, est femme de Thésée, roi d’Athènes, mais se languit d’amour pour son beau fils, Hippolyte. Son mari étant annoncé comme mort, elle décide de dévoiler ses sentiments et de lui avouer sa passion longtemps tue. Hélas, Hippolyte lui préfère la jeune Aricie, ce qui plonge Phèdre dans la rage et le désespoir, et la pousse au suicide. Racine compare dans cette oeuvre l’amour à une fureur, une folie, une puissance écrasante contre laquelle on ne peut lutter. L’amour comme passion est décrit comme une force irrésistible, une souffrance correspondant à une forme de “cruelle destinée”. On retrouve ici le lien omniprésent de la passion liée à l’idée de souffrance : l’image du coup de foudre apparaît comme une “damnation prédestinée” face à laquelle toute forme de lutte est impossible, et qui accentue le caractère tragique de la pièce et l’élan lyrique passionnel. La relation amoureuse passionnelle, diffusée à travers la littérature et le cinéma, participe des attentes que l’on a de la rencontre à nous faire vivre un véritable bouleversement des sens, une puissance émotionnelle qui dépasse notre entendement. Ainsi le coup de foudre est une image forte de cette beauté passionnelle mystique qui nous emporte et nous fait vivre des instants de bonheur inégalables. Le coup de foudre apparaît comme une étape à vivre presque obligatoire de l’amour passionnel. • 9 à travers l’amour passion se développe un véritable mythe occidental puissant qui nous influence considérablement. Notre conception du sentiment se trouve empreinte d’une tradition artistique et littéraire immense, le thème apparaît comme source de création inépuisable, en même temps qu’il réutilise des figures majeures comme les amants, le coup de foudre, la destinée, allant même jusqu’à la mort. L’amour est inévitablement voué à une fin tragique, ne peut-on pas pour autant espérer de trouver une forme de bonheur avant l’heure fatale ? Tout en gardant ses caractéristiques qui magnifient le sentiment amoureux, le mythe de la passion évolue progressivement vers ce que l’on nomme couramment aujourd’hui l’amour romantique. L’amour romantique : contenir le bonheur dans l’idéal fusionnel L’idéalisme romantique : le modèle de l’union heureuse, fidèle et stable L’idéologie de l’amour se transforme progressivement depuis l’amour courtois jusqu’à ce que l’on appelle plus couramment aujourd’hui l’amour romantique. Le terme de romantique est directement issu du roman 19


et de la romance : il évoque à la fois un rappel à l’imagination, aux poèmes et aux romans. Le concept d’amour romantique fait référence à une forme d’enchantement de l’amour, à l’image du lyrisme que l’on trouve dans la passion. L’amour romantique possède effectivement des caractéristiques héritées du mythe passionnel : une idôlatrie vouée à l’être aimé, un excès dans la passion, une démarche quasi mystique et une exclusivité du couple. Il assure la protection et permet de donner le meilleur de l’être. Cette vision est constitutive du modèle de l’art d’aimer qui a forgé les imaginaires, et les pratiques également. Cependant, contrairement au fatalisme et à la passion souffrante, l’union se trouve influencée par les dogmes de la religion chrétienne : elle se doit d’être heureuse, monogame, fidèle et durable. L’amour romantique se positionne comme idéal par excellence car il se trouve dans une forme de synthèse entre la passion incontrôlable et la morale chrétienne, il est propice à tous les rêves de bonheur immense. • 10 La vision romantique de l’amour, bien qu’elle hérite de caractères propres à la passion, se doit non plus de tendre vers la mort, mais bien au contraire, de s’établir dans une vie heureuse et prospère. C’est la glorification de l’union heureuse des contes de fées, et du “Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant.” Le couple fusionnel : un fantasme unique et figé de l’amour L’amour romantique propose ce que le sociologue Serge Chaumier9 appelle une vision fusionnelle du couple, qui s’appuie sur le principe du un plus un égale un. Influencée par le manque existentiel de l’âme soeur, la relation fusionnelle possède cependant des caractéristiques très précises. Cela commence par une exclusivité du couple : les deux conjoints se trouvent dans une phase d’isolement et d’autarcie qui les déconnecte totalement avec le monde réel. On retrouve alors la rencontre merveilleuse passionnelle, avec cependant l’avènement du mythe du prince et de la princesse par excellence : les deux êtres possèdent des affinités de pensées, ils se ressemblent et ont les mêmes goûts. Ainsi à travers la fusion, ils doivent se trouver sur la même longueur d’onde pour pouvoir ne faire qu’un. La différence essentielle avec la passion se trouve également dans la valorisation d’une intensité de la relation qui doit être vécue comme un bonheur constant, non plus comme une relation faite de souffrance. Cette façon de rêver l’amour va guider nos rapports réels et orienter notre expérience de l’amour, avec plusieurs risques comme la perte de son identité dans la fusion avec l’autre, l’éloignement social ou encore l’émergence d’une forme d’auto-centrisme. • 11 Le modèle du couple fusionnel est à la fois un fantasme puissant de bonheur absolu tout en sachant qu’un tel bonheur n’existe pas, et même serait néfaste

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9. La déliaison amoureuse, Serge Chaumier, 1999.

• 10 Blanche Neige, David Hand, Studios Disney, 1938. Figure du prince et de la princesse symbole de l’amour parfait et heureux.

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pour l’individu car privé de son autonomie. Le modèle fusionnel établit donc une forme de vie de couple idéalisée et romantique par excellence. Notre conception de l’amour ne peut s’abstraire complètement de ce modèle qui nous influence : il est inhérent de notre manière de concevoir nos rapports amoureux. Cependant, ce modèle possède des limites qui participent de sa progressive obsolescence aujourd’hui. • 12 couple fusionnel +

=

perfection

unité

isolement

autocentrisme • 11

Le mariage d’amour : enfermer la passion dans un contrat L’avènement du mariage d’amour apparaît comme le paroxysme de la volonté romantique de combiner les contraires dans un idéal magnifié. “Ce qu’on demande à l’amour est total, absolu, permanent, alors que tout évolue, s’use, se désenchante.”10 Par essence, le mariage est un pacte d’ordre économique qui s’envisage uniquement dans le cadre d’un arrangement entre familles pour un bien être moral. Or, avec le mariage d’amour, toutes les composantes même de l’amour passion se trouvent dans l’exigence de se concentrer au sein même de ce pacte qu’est le mariage : se marier sans amour n’est pas envisageable aujourd’hui, tout comme se marier par amour était un acte irresponsable selon les principes de la morale sociale

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il y a quelques siècles. En effet, à l’heure du divorce de masse dans notre société, la philosophe Olivia Gazalé11 développe l’idée d’une crise moderne du mariage liée à la décadence du mythe de la passion amoureuse. Dans notre société contemporaine, le mariage et la passion amoureuse se trouvent non plus opposés mais totalement imbriqués, comme si l’un n’était pas possible sans l’autre. On peut également reprendre les propos de Denis de Rougemont12 qui souligne ici une idée moderne du bonheur qui fonde le mariage sur des déterminations individuelles. Le culte de la romance agit donc comme une des causes de la crise du mariage. Les images du mariage parfait et de la famille accomplie n’ont de cesse d’alimenter notre société. On peut prendre l’exemple de la photographie du mariage de Kate et William • 13, qui se présente comme le modèle de la famille parfaite, heureuse et épanouie, celui dont tout le monde rêve. Il est difficile de croire aux contes de fée dans la vie réelle, et pourtant le modèle du couple fusionnel et de la famille parfaite est omniprésent dans notre quotidien. L’amour romantique tente donc une difficile synthèse à travers le mariage d’amour : celle de comprendre la passion incontrôlable au sein même d’un contrat normé, comme si l’un n’était pas possible sans l’autre. L’amour devient donc l’exigence même de la valeur du mariage : on peut parler d’une forme de décadence du mythe passionnel. • 14 L’essence même du mariage se trouve donc à repenser aujourd’hui. Les caractéristiques de l’amour romantique possèdent une nature double : à la fois elles exacerbent la beauté passionnelle et mettent en avant l’exigence de trouver le bonheur par l’amour, mais elles enferment notre conception du sentiment dans une vision très normée, écrasante et figée. Les contradictions mêmes du sentiment sont donc poussées à leur paroxysme, notamment renforcées par la multiplication des médias à l’époque contemporaine qui permettent de diffuser cette image idéale à grande échelle et de la glorifier : c’est ce que l’on peut appeler l’amour publicitaire, vendu idéal par la publicité mais qui a totalement perdu de sa superbe mystique.

10. Amour, Poésie, Sagesse, Edgar Morin, 1997.

11. Je t’aime à la philo, Olivia Gazalé, 2012.

12. Ibid.

• 11 Le couple fusionnel, 1999. Source : Serge Chaumier.

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• 12 Breathing in - Breathing out, Abramovic et Ulay, 1977. Autocentrisme : épuisement des réserves d’oxygène de chacun dans un baiser de 20 minutes.

• 13 Mariage de Kate Middleton et William de Cambridge, 2011. Poids et norme du mariage romantique idéal sur la société : attentes irréalisables dans le couple parfait.

• 14 Mariage de Kim Kardashian et Kanye West, Instagram, 2014. La photo la plus likée sur le réseau social : passion pour l’amour à l’américaine.

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13. Pourquoi l’amour fait mal, Eva Illouz, 2012.

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• 15 Jacky, prétendant Qui Veut Epouser mon Fils, 2012. Excessivité de la mise en scène et du jeu stéréotypé.

• 16 Guillaume, prétendant L’amour est dans le pré, 2015. Scénariser monsieur tout le monde pour mieux s’identifier.

• 17 Beyoncé et Jay-Z, 2012. Figure du couple contemporain qui utilise et vend son image qui devient marketing.


L’amour publicitaire : asseoir la propagande du plus jamais seul La propagande publicitaire : des clichés qui révèlent une décadence Il existe une relation directe entre l’émotion amoureuse et son inscription dans des imaginaires fabriqués par la culture de masse. Cela soulève la question de l’impact émotionnel des technologies de l’imagination sur nos relations amoureuses. La culture de la notion de désir et de fantasme est au fondement de notre action et de notre volonté, qui se réalise dans les biens de consommation. Eva Illouz13 définit quatre médias qui permettent de créer ces mécanismes cognitifs du désir : les biens de consommation (publicité et image de marque), les intrigues narratives (histoire d’amour au bonheur éternel), les images (aventures amoureuses) et les sites internet (simulation d’expériences réelles et projection du moi). Ces médias permettent de faire de l’individu un sujet désirant, de vivre des expériences sur un mode imaginaire et virtuel. On peut prendre l’exemple de l’utilisation de la télé-réalité pour mettre en scène les relations amoureuses : alors que certaines comme Qui Veut épouser Mon Fils • 15 revendiquent la diffusion de clichés sous forme de caricatures et de personnages stéréotypés qui jouent parfois des rôles dans l’unique but de se mettre en scène, d’autres comme L’amour est dans le pré • 16 se définissent plus proche de l’auditeur en tant que plus représentatives d’une vision réaliste de la rencontre amoureuse entre deux personnes auxquelles tout le monde peut s’identifier. Entre inauthenticité assumée et télé-réalité presque documentaire, les modèles de diffusion du couple sont nombreux et brouillent les pistes. La désillusion devient une véritable pratique culturelle, un va et vient perpétuel entre l’imagination et la réalité, accentué par les diffusions médiatiques qui laissent une place plus importante au fantasme et qui sont décisives pour l’ensemble de la société. Le mythe se trouve décliné, transformé et même vulgarisé par ces représentations éloignées des caractéristiques originelles de la passion. • 17

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Les interfaces de rencontre : compartimenter des profils amoureux Les sites de rencontre, et plus largement les interfaces de rencontre, sont de plus en plus utilisés, et omniprésents dans notre société. Pour Pascal Lardellier14, ils sont issus d’enjeux économiques énormes, en augmentation croissante. Cela commence par un élargissement du public visé. Des études quantitatives récentes14 montrent que l’inscription sur un site de rencontre n’est plus réservée à une élite jeune et technophile, ce qui était le cas lors de leur émergence, mais aujourd’hui un français sur cinq l’a déjà été. De plus, l’élite de jeune se tourne plutôt vers les applications smartphones, en pleine émergence, et qui connaissent un véritable succès. L’âge de 30 ans est le cap symbolique, selon les spécialistes, pour une inscription motivée à des fins réellement sentimentales, alors que deux tiers des français pensent que ce sont des aventures sans lendemain que l’on cherche sur le net. Les sites sont nombreux : parmi eux, les incontournables comme Meetic par exemple. • 18 Mais le marché tend à évoluer de manière considérable, et chaque site est poussé à définir ses spécificités face à la concurrence. • 19 Ainsi, ils se mettent à viser un type de clientèle précis, des catégories d’âge et socioprofessionnelles. On trouve des sites spécialisés pour les végétariens, ou des sites qui prônent l’union dans une même communauté. Selon le sociologue Jean Claude Kaufmann15, loin de l’idée d’une ouverture, on retrouve ici l’apparition des marchés matrimoniaux et la tendance à l’homogamie comme conception de l’amour : on va chercher la personne qui nous ressemble, qui est prête à accepter notre mode de vie. • 20 Pour reprendre les propos de Pascal Lardellier14, on peut évoquer le syndrome des “bonnes croix dans les bonnes cases” : les sites de rencontre se présentent comme un moyen efficace de faire la bonne rencontre, et sous entendent la nécessité de la complémentarité des deux partenaires. Ils reposent sur une conception rigide du sentiment amoureux qui serait de pousser deux êtres identiques l’un vers l’autre. Le problème majeur de ces réseaux est donc d’effectuer un classement qui met de côté la richesse psychologique de l’individu, par souci de simplification et d’adaptation. L’affichage personnel : édulcorer et afficher sa vie amoureuse Les réseaux sociaux jouent un rôle majeur sur la perception que l’on a de soi-même, et la manière dont nous pouvons jouer avec notre propre image, et être ainsi vecteurs d’une forme de propagande amoureuse personnelle. On a tendance à s’aimer soi-même sur les réseaux : l’individu est mis au centre de la relation. Une fiche ou un profil personnel, une vision

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• 18

14. Les réseaux du coeur, Pascal Lardellier, 2012.

15. Sociologie du couple, Jean Claude Kaufmann, 1993.

• 18 Love your imperfections, Campagne Meetic, 2015. Stéréotyper une rencontre.

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Les sites de rencontre Enjeux économiques

2006

2011

243

550

millions d’euros

millions d’euros

1/5 français inscrits en 2012

Les plus connus

Meetic

eDarling

Attractive World 2/3 des français estiment que ce sont des rencontres sans lendemain

23

17

18-24

35

38

25-35

34

25

Pourcentages parmi les inscrits

• 19

30

Total


Petite typologie non exhaustive des sites de rencontre Elitistes

Coquins

€€€ Ton élitiste Club privé Forme luxe

“célibataires exigeants”

“sympa et rapide”

Ton léger Temporaire Plaisir

Elite rencontres Attractive World

Gleden Edenflirt

Idéologiques

Farfelus

Fédérateur Communauté Mode de vie

“qui se ressemble s’assemble”

Décomplexé Ludique Affinités

Mektoube Vegan rencontres

“le 1er dans le genre”

Geek me more Glut’aime • 20

• 19 Les sites de rencontre en chiffres, 2012. Source : Pascal Lardellier.

• 20 Petite typologie des sites de rencontre, 2015. Source : DatingLand.fr.

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de moi est présentée, qui n’est pas forcément la vision réelle. Ma vie est présentée sur ma page, mon avis est donné en nombre de j’aime, mes passions sont exhibées par le suivi de mon activité, mes opinions sont partagées librement en laissant un simple commentaire. L’intimité est exhibée, théâtralisée, commentée en direct live, comme les trophées d’une époque. Le réseau social Facebook est présenté comme une véritable chambre d’ego, avec les travers que cela engendre : on peut devenir qui l’on veut derrière un écran. • 21

• 21

Pascal Lardellier16 évoque les trois faces de l’identité numérique : l’identité “déclarative”, lorsque l’on regarde la fiche personnelle, l’identité “agissante” lorsque l’on est face à des échanges autour du moi numérique avec des amis, et l’identité “calculée” qui concerne les traces laissées derrière soi. Ces différentes faces sont décomposées sur le réseau social et participent de notre moi numérique amoureux : on arrive à l’élaboration de relations partielles et désengagées, une forme de zapping relationnel. L’amour se trouve donc à la fois exacerbé par la mise en scène tout autant que menacé par une forme d’exposition du sentiment • 22, qui peut parfois ressembler à un étalage de vie personnelle, plus scénarisée que vécue, aux yeux d’une communauté. Face à la revalorisation du moi, le réseau social Facebook apparaît autant comme l’ouverture d’un monde de possible aussi bien que le façonneur d’une image artificielle et éloignée de la réalité : la mise en scène du couple ou de son potentiel amoureux y est aussi aisée qu’artificielle. On observe une manière toute nouvelle de manipuler son image, qui devient presque plus importante que de vivre la relation elle-même.

• 22

32


Parmi des figures miroitantes et décadentes, on peut remarquer que notre conception de l’amour à l’époque contemporaine possède une nature profondément ambigüe. Depuis l’amour transcendantal jusqu’à l’amour publicitaire, les contrastes sont nombreux et les synthèses parfois difficiles entre des éléments contradictoires. Les archétypes de la passion se trouvent vulgarisés, jusqu’à être utilisés comme argument marketing imparable, en même temps que l’idéal du couple est posé comme norme suprême vers laquelle nos relations amoureuses doivent tendre. Ce paradoxe va orienter notre manière de vivre nos propres histoires : il s’agit à présent de révéler de quelle manière, face aux fourmillantes facettes de l’amour, nous faisons différentes expériences du sentiment, à l’ère du numérique et des révolutions libertaires de l’individu. “Il est de la nature même de l’amour de réunir en lui les contradictions de l’existence, la contradiction entre le Moi et le Toi, entre le temps qui flétrit et le désir d’éternité, entre le sentiment de notre infime particularité et notre aspiration à tout embrasser, entre l’individu et la société, entre l’absolu et le relatif, entre la vie et la mort, Eros et Thanatos. Les temps modernes exaspèrent, intensifient ces contradictions en même temps que l’amour lui-même se trouve intensifié, exaspéré et soumis plus intensément aux forces désagrégatives.”17

16. Le coeur net, Pascal Lardellier, 2004.

17. Le complexe d’amour, Edgar Morin, 1990.

• 21 Déclaration d’amour, Statut Facebook, 2015. Exposer son amour pour mettre en scène son histoire de façon merveilleuse.

• 22 Smileys, Emojis Iphone, 2015. Normer le vocabulaire amoureux et l’enfermer dans le signe.

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Du consumérisme à la sensibilité : les enjeux foisonnants de l’expérience amoureuse contemporaine

Face à un héritage culturel ambigu à l’oeuvre dans notre société, le fantasme puissant de l’abandon de soi et de la fusion, un autre modèle se développe alors : celui de l’autorégulation émotionnelle et du choix optimal. Aimer à l’ère du numérique soulève de nouveaux enjeux qui bouleversent le modèle figé et fusionnel du sentiment : Comment se matérialisent ces enjeux et qu’impliquent-ils ? Pourquoi la promesse de n’être plus jamais seul est-elle vouée à l’échec ? Il s’agit de révéler la manière dont nous vivons nos relations amoureuses, de l’attitude consumériste au besoin profond d’exprimer ses émotions. L’aliénation par le consumérisme : désenchanter l’idylle magnifiée Le libéralisme de l’amour : acceptation de la marchandisation Selon Pascal Lardellier18, Internet a technicisé des pratiques qui existaient déjà, mais au regard de l’explosion du nombre de célibataires et de l’avènement d’une “société individualiste de masse”, il est perçu comme un véritable “eldorado relationnel”. “Ainsi, la détresse propre à l’homme contemporain, c’est de vivre comme tout le monde, en consommant, y compris de l’amour et du sexe, tout en pensant, également comme tout le monde, que le consumérisme est une aliénation.”19 Les sites de rencontre apportent ainsi un important capital médiatique et une vraie visibilité sur le marché amoureux. Il suffit d’un clic pour

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choisir, d’un clic pour supprimer : leur dimension ludique et décomplexée renforce ce caractère. La prise de contact à distance offre en effet un confort incommensurable, on est tranquille chez soi alors qu’un monde de possibilités s’ouvre devant nous. On peut dire que l’on assiste à l’apparition de véritables hypermarchés de l’amour. • 23 La nécessité de rendement est primordiale : les fiches persos doivent être vendeuses

• 23

et impactantes. On voit bien que le vocabulaire du marketing envahit l’espace de la relation intime. Le Speed Dating devient l’emblême de cette tendance réductrice du sentiment : le premier contact amoureux prend l’allure d’un véritable entretien d’embauche. “On aime encore, bien sûr, mais différemment : en CDD et sous condition.”18 Les interfaces de rencontre participent de l’accentuation du consumérisme amoureux : par une technicisation extrême visant à l’artificialisation, le choix du partenaire devient comparable à l’économie de marché. Ce rapprochement possède l’avantage pragmatique de trouver rapidement ce que l’on cherche, mais se heurte violemment à la conception idéaliste de l’amour. Les vitrines humaines : revendiquer l’amour consommé Face à la prise de conscience de l’entrée d’une logique consumériste dans la recherche de l’amour, certains sites jouent du concept en proposant une logique de communication marchande totalement assumée et revendiquée.

18. Ibid, Pascal Lardellier.

19. Ibid, Olivia Gazalé.

• 23 Ikéa vs Meetic, Fiches produits, 2015. Comparaison et similitudes.

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• 24

• 25

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• 26

• 26

• 24 Adopteunmec.com, Logotype, 2015. Signe impactant, féministe, provocateur.

• 25 Adopteunmec. com, Campagnes publicitaires, 2015. L’ironie et l’humour à travers l’exagération de l’homme produit.

• 26 Adopteunmec.com, Pop Up Store, 2014. Ouverture d’une boutique éphémère décalée, polémique.

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Le site de rencontre Adopteunmec.com exploite la métaphore commerciale de manière à dédramatiser la nécessité de l’engagement dans la rencontre amoureuse, qui peut paraître comme pesante, par l’utilisation de l’humour et de l’ironie • 24. Le site internet, ainsi que la récente application mobile, reprennent directement les codes des sites de shopping en ligne : la mise en rayon des hommes à disposition des femmes qui les mettent littéralement dans leur panier, les annonces publicitaires sous forme d’encarts avec des thématiques précises • 25 (produits régionaux, âge, style, bonus pack). Ici, le second degré et l’orientation féministe sont de rigueur et permettent de faire passer la pilule, le concept a même été prolongé avec un évènement sous forme de pop up store parisien. “Au départ, ça devait être une blague de premier avril. Mais cette année ça tombait un dimanche, les journalistes ont lu sur leur boîte mail le communiqué le lundi et y ont cru. Presque personne ne nous a appelés pour nous demander si c’était vrai et devant le succès et l’attente, on a finalement décidé de se lancer vraiment” déclare Thomas Pawloswki, directeur marketing du site Adopteunmec. C’est l’ouverture d’un magasin dans lequel on pouvait retrouver des hommes présentés dans des boîtes comme de nombreux Ken • 26, chacun sa qualité particulière : plutôt surfer ou rocker ? Le directeur marketing défend l’idée en énonçant une volonté de concept un peu fou, mais qui reste totalement bon enfant sans aucune envie de se prendre au sérieux. On est bien loin de l’image idéaliste de l’amour, plutôt dans une forme de jeu décomplexé de la rencontre amoureuse. L’ironie de l’histoire est qu’un tel concept est totalement accepté par les utilisateurs : une forme de dédramatisation de la rencontre, qui reflète cependant un fond d’amertume et de pauvreté sentimentale. Est-ce qu’on parle toujours d’amour ? “Car même cyniques ou désillusionnés, bien des internautes célibataires gardent l’intuition qu’une personne unique est tapie juste derrière l’écran, et qu’elles seront enfin mises en contact.”20 L’ironie possède donc une place centrale dans la nouvelle sensibilité amoureuse par le développement des technologies de choix et la conscience de l’interchangeabilité des partenaires. L’amour comme produit de consommation est totalement assumé et intégré dans l’imaginaire collectif, ce qui peut amener à dénaturer la puissance même du sentiment. On sait très bien que l’on ne cherche pas le grand amour sur Adpoteunmec, mais une part de doute subsiste, “on ne sait jamais”. L’instrumentalisation : vendre de l’amour et expérimenter du plan cul L’outil numérique peut se révéler comme un véritable outil d’appauvrissement du sentiment. Lorsque l’être humain est perçu

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comme un objet à essayer, un objet que l’on peut échanger, il est facile de se prendre au jeu. “On prend, on profite, on jouit, on jette.”20 Le reportage21 Love Me Tinder a été réalisé par deux journalistes, France Ortelli et Thomas Bornot. Au cours de l’expérience, ils se présentent en phase de test de l’application Tinder, dans une idée d’expérimentation. Cette dernière est une application gratuite qui utilise la photo de l’utilisateur, son nom, son âge et sa situation géographique. Ainsi chacun se trouve face à un catalogue de personnes disponibles à proximité, qu’il choisit de faire défiler et lorsque qu’une personne semble lui plaire, il n’a qu’à valider et attendre en retour une confirmation. Si l’élu confirme : c’est un match ! • 27 Les deux personnes entrent en discussion et généralement se fixent un rendez-vous pour mieux apprendre à se connaître.

• 27

“Ce qu’on a pu vérifier pendant notre enquête, c’est que c’est une appli de plans cul. Coucher, ça devient un phénomène marketing comme acheter des Chocapic, de la consommation pure.”21 L’idée de consommer des individus est omniprésente : les rencontres s’enchaînent avec facilité et de manière décomplexée, c’est l’heure du zapping émotionnel. L’application possède une dimension très addictive, presque comme une drogue. La relation entre sexe et sentiment est tout autant interrogée à travers une application qui se revendique comme idéale pour

20. Ibid, Pascal Lardellier.

21. Love Me Tinder, France Ortelli, 2014.

• 27 Love Me Tinder, Extrait du reportage, 2014. La rencontre amoureuse : le match.

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les rencontres d’un soir. Enchaîner les rencontres nous plonge dans une espèce d’aporie du sentiment, comme s’il se percutait de plein fouet à la trivialité quotidienne, qui n’est faite que de rencontres brèves et d’individus interchangeables. On remarque bien à travers le reportage que l’utilisation de l’application révèle une morosité latente et un comportement proche de l’addiction. • 28

• 28

La beauté de l’amour et de ses composantes passionnelles se heurte directement dans les faits avec une forme de marchandisation amoureuse : les idéaux s’entremêlent, et c’est précisement l’entrechoc qui nous amène à nous questionner sur la nature même de nos relations. Nous croyons fortement au grand amour, pour autant nous sommes conscients de cette attitude consumériste qui participe de sa destruction. Cette double vision est dûe à une forme de rationalisation qui opère depuis plusieurs siècles et dont nous résultons, qui vient à responsabiliser le sentiment amoureux et en faire un véritable objet d’étude et de questionnements. La logique rationnelle : analyser les mécanismes amoureux La justification de l’amour : s’auto-réguler pour éviter la souffrance Alors que l’on tend à vivre la magie du coup de foudre, des chercheurs démontrent aujourd’hui que l’amour n’est autre que le résultat de logiques particulières qui sont biologiquement explicables par des schémas universels. “Nos goûts et nos inclinations sont gouvernées par un calcul génétique inconscient.”22 Le philosophe Schopenhauer23 se pose le premier comme un grand

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Hémisphère gauche

Hémisphère droit lobe pariétal

lobe frontal

lobe frontal

cervelet Les zones du cerveau stimulées par L’amour

Le désir

• 29

démystificateur de l’amour : il s’agit d’un piège que nous tend la nature pour nous conduire à la reproduction. C’est ainsi qu’il ouvre la voie à une approche chimique du sentiment amoureux : ce dernier nous dupe en nous laissant miroiter qu’il travaille pour lui même alors qu’il ne fait qu’obéir à une nécessité universelle. Il réduit donc le sentiment amoureux au pur désir sexuel, et condamne l’idée du choix arbitraire dans ce domaine, choix qui en réalité est orienté selon les besoins de l’espèce. Il n’y a aucun mystère de la passion, mais bel et bien un déterminisme à son origine. • 29 Lucy Vincent22 en tant que spécialiste de la neurobiologie de l’amour évoque l’idée de “programmation comportementale” à l’origine du couple. Cette vision s’appuie sur les différences essentielles entre l’homme, qui a besoin de se parer de richesse et de puissance pour séduire la femme, qui quant à elle se doit de mettre en avant ses atouts de fertilité. Biologiquement, la reproduction est régulée chez l’être humain pour que chaque partenaire trouve son antagoniste par des bouleversements hormonaux stupéfiants. L’élévation de notre taux de dopamine nous amène à affirmer que la personne est l’être parfait et unique à nos yeux, la fluctuation du taux de stérotonine nous pousse à penser à elle

22. L’Amour de A à XY, Lucy Vincent, 2010.

23. Métaphysique de l’amour, métaphysique de la mort, Schopenhauer, publication PUF 1966.

• 28 La fabrique des sentiments, Jean-Marc Moutout, 2008. Révéler une forme d’ultra moderne solitude.

• 29 L’amour et le désir dans notre cerveau, Source : JP Fauss, 2010. étroitesse du lien entre amour et désir sexuel dans le cerveau.

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de manière obsessionnelle. Contrairement à la puissance mystique passionnelle et la notion de destin, l’amour est aujourd’hui étudié comme résultat de bouleversements hormonaux d’ordre physiologiques : la science nous protège en nous présentant la désillusion comme inévitable et programmée. Cette approche possède un aspect tout à fait fascinant, mais elle a tendance à mélanger désir amoureux et désir sexuel, comme si l’un n’était pas possible sans l’autre : l’amour relève d’un apprentissage, et non uniquement de géniteurs potentiels. Les degrés émotionnels : s’approprier le sentiment amoureux

engagement amour hollywood

amour affection

amour consommé passion

amour romantique

intimité

• 30

La théorie triangulaire de l’amour développée par Robert Sternberg résume différents degrés d’émotion • 30, développant trois principales caractéristiques qui englobent nos différentes manières d’aimer : l’intimité comme composante affective, la passion comme composante motivationnelle, ainsi que l’engagement comme composante cognitive. L’assemblage de ses différents sentiments permet de situer la nature particulière de nos relations amoureuses, à la croisée entre ces trois grandes caractéristiques. Jean Claude Kaufmann24 s’intéresse également à définir deux formes essentielles du sentiment : le choc amoureux et l’attachement profond. Alors que le choc amoureux oscille entre le grand bouleversement passionnel et les petites décharges électriques,

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l’attachement se fait sur la durée, il possède une forme régulière, presque cumulative. Cette forme sentimentale est plus discrète, mais plus constante et liée à un attachement mutuel. Elle est très différente des tumultes émotionnels du sexe-amour, elle peut apparaître comme discrète et diffuse, presque invisible, et pourtant intense et profondément structurante. On remarque que ces méthodes cherchent à décomposer la nature d’une relation : elles sont issues d’une démarche de type sociologique qui appréhende le sentiment de manière analytique, tout en gardant la particularité des individus. La sociologie nous amène à mieux comprendre nos relations pour mieux les vivre en décomposant les formes de l’amour et leur incarnation dans la durée, afin de nous permettre de mieux s’approprier ce sentiment. La notion de culture de sentiment émerge alors face au coup de foudre : le sentiment amoureux dépend entièrement de l’individu et non plus d’une forme de mystère irrésistible. Bien au contraire, l’amour se responsabilise pour mieux se contrôler dans le but de réguler son bonheur. • 31 Le bonheur personnel : rehausser l’estime de soi apportée par l’amour L’univers de Jane Austen peut être lu comme un reflet de l’organisation de la société anglaise au XVIIIe siècle25. à cette époque, il s’agit d’une société de classes très hiérarchisée, où l’individu a un statut social assigné. Chez les héroïnes, un certain nombre de postulats culturels organisent donc l’identité de la personne : ainsi la dimension affective n’est pas séparée de la dimension morale, ce qui les amène à mettre entre parenthèses leurs désirs personnels pour appliquer des principes moraux. Ces principes poussent à faire croire qu’il n’existe qu’une seule et unique manière d’aimer, qui serait la bonne façon : sentimentale et exclusive. Or la mauvaise manière d’aimer serait intéressée, libertine et purement sexuelle. Ainsi les désirs personnels sont orientés vers ce qui pour la morale issue de la religion est décrété comme la bonne manière d’aimer. Aujourd’hui, les individus revendiquent leur besoin d’autonomie, la liberté devient une pratique culturelle institutionnelle. Le choix du partenaire est donc placé au coeur même de nos relations amoureuses, il est lié à cette idée de liberté de l’évaluation personnelle du partenaire. Le mode d’évaluation de l’individu ne dépend plus du cadre commun, le choix devient d’après les propos de Eva Illouz la “marque de fabrique” culturelle déterminante de notre époque25. Il incarne la rationalité et l’autonomie.

24. Ibid.

25. Ibid, Eva Illouz.

• 30 Triangular theorie of Love, Sternberg, 2008. Etudier et analyser des formes d’amour.

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Moins de 2 ans

Phase de désillsuion

Pic des espérances

Explosion exubérante n

ira tio

Ad m

e ut

Do

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Espéra nce

Attentes

Première Cristallisation

2 à 5 ans


5 à 10 ans

Plateau de productivité

Pente d’éclaircissement

Seconde Cristallisation

Plus de 10 ans

Temps

• 31 • 31 Les étapes de la relation amoureuse d’après la cristallisation de Stendhal, De l’amour, 1980.

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La diminution de l’impératif moral dans notre société amène l’amour à occuper une place centrale dans la reconnaissance et la valeur du moi, il rehausse l’estime que l’on a de soi, et par extension la nécessité d’un équilibre entre autonomie et reconnaissance. “Dans la société traditionnelle, se voir rejeté comme conjoint potentiel ne tenait pas à l’essence même du moi mais à la position que l’on occupait dans la hiérarchie sociale. Aujourd’hui, l’amour est défini comme s’adressant à l’essence la plus intime de la personne et non à sa position sociale. Un rejet devient un rejet du moi.”26 Notre exigence d’amour devient une véritable priorité pour trouver un équilibre qui tend vers le bonheur : la revendication d’amour est plus forte et devient la morale. Le processus de rationalisation perturbe les différentes croyances, en même temps qu’elle responsabilise l’individu. Le sentiment amoureux se voit alors placé au centre des préoccupations contemporaines, comme une condition sine qua non de l’épanouissement personnel de l’individu. L’amour n’est plus à comprendre comme un modèle figé issu du fantasme romantique : l’individualisation de la société amène chacun à défendre ses intérêts et à affirmer sa personnalité, ce qui provoque de puissants bouleversements sociaux à l’encontre d’une vision stéréotypée du couple ou d’un comportement normé auquel se soumettre. L’amour est poussé plus que jamais à la revendication de son caractère mouvant et insaisissable. à l’encontre des stéréotypes : révéler la multiplicité des amours La durée inconnue du sentiment : des amours mouvants et inventifs L’amour ne peut se réduire à l’unique étape de la rencontre, qui fait partie du processus, mais la relation amoureuse elle-même se trouve positionnée au centre de nos réflexions et implique la notion de durée. “Dans les contes, on dit : Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Oui, mais bon, l’amour, est ce que c’est se marier ? Est-ce que c’est avoir beaucoup d’enfants ?”27 Alain Badiou dénonce le problème de la conception fusionnelle de l’amour qui réside dans sa tendance à réduire l’amour à la rencontre amoureuse27. Cette rencontre est vécue comme un moment d’extériorité au monde, une forme de miracle et d’intensité de l’existence. Pour lui, cette conception doit tenir sa position de mythe d’une beauté artistique

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• 32

26. Ibid, Eva Illouz.

27. Eloge de l’amour, Alain Badiou, 2009.

• 32 Le Baiser de l’hotêl de ville, Robert Doisneau, 1950. Ancrer la relation dans le temps et l’instant du baiser.

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extraordinaire, mais ne peut pas être une véritable philosophie de l’amour puisqu’elle possède un inconvénient existentiel. Comme toutes les choses du monde, l’amour est un évènement du monde, qu’il est difficile d’anticiper même à l’heure des sites de rencontre. Justement parce qu’il ne se réduit pas à cette rencontre mais il est une véritable construction qui matérialise la question de la durée qui s’accomplit. • 32 Ainsi selon ses propos, l’amour ne dure pas toujours, mais il invente une façon différente de durer dans la vie. Il est le désir d’une durée inconnue. Cette pensée est prolongée par la philosophe contemporaine Olivia Gazalé28 qui met en évidence la nature mouvante du sentiment amoureux en s’appuyant sur des exemples de lettres d’amour comme déclarations enflammées entre des couples âgés, atteints de maladies, et qui s’aiment par la force d’un attachement profond. “Tu viens juste d’avoir quatrevingt-deux ans. Tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Récemment je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide dévorant que ne comble que ton corps serré contre le mien.”29 L’amour est un sentiment qui évolue, épouse le mouvement de la vie pour trouver son juste équilibre entre sa double nature contradictoire. Ainsi, les paliers de la relation amoureuse permettent de réinventer le sentiment pour chaque cas. L’amour relève de l’expérimentation, de l’être plus que de l’avoir. La révolution sexuelle : des amours identitaires, égalitaires et actifs Alors que le modèle de l’amour fusionnel impose la fusion des deux partenaires dans une seule et même entité, cela entraine l’effacement de la part d’une personnalité, historiquement celle de la femme qui doit se soumettre à son mari. La révolution sexuelle et notamment le rôle du mouvement féministe permet donc de revendiquer les droits de la femme dans un objectif égalitaire, et chamboule le modèle de la fusion.

• 33

La conception exclusive de l’amour fusionnel permet en effet d’affirmer

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la supériorité de l’homme (donc du mari) sur la femme : selon les principes religieux, cette dernière doit réserver ses élans passionnels dits naturels à l’adoration de Dieu, tout en se soumettant de manière totale à son mari en se contentant de ce qu’elle possède sans jamais montrer de signe d’affection. Le mouvement féministe vient critiquer cette conception qui renforce les inégalités homme femme : en effet, la mission naturelle de la femme serait l’amour car il s’agit d’un “sentiment naturel” pour elle, un amour dévoué, soumis, serviable et enthousiaste. La finalité d’une femme accomplie serait donc la famille et le ménage réussi. Le militantisme va faire évoluer la société et les moeurs vers les notions d’égalité et de symétrie qui tendent à devenir les nouvelles normes d’équilibre du pouvoir. Ainsi ce militantisme se traduit par une conquête progressive du monde du travail, une lutte pour le contrôle des naissances, un respect du corps et le partage des tâches domestiques et de l’éducation des enfants. • 33

• 34

Le discours égalitaire prédomine aujourd’hui : pour autant, des enquêtes sociologiques prouvent que dans la réalité des faits, on a souvent une répartition sexuée du travail. On observe alors une mise en tension entre des actes de volonté politique d’émancipation et des symboles traditionnels. L’enjeu du rapport homme femme se trouve dans une nécessité de repenser la relation amoureuse tout autant que les identités de genre elles mêmes. • 34 Le couple fissionnel : des amours flexibles, ouverts et subjectifs Du couple fusionnel vers le couple fissionnel : ces termes sont utilisés par le sociologue Serge Chaumier. Le modèle un plus un égale un ne peut se réaliser et se trouve trop réducteur, malgré sa beauté artistique :

28. Ibid, Olivia Gazalé.

29. Lettre à D : histoire d’un amour, André Gorz, 2006.

• 33 Manifestation pour le droit des femmes, états Unis, 1979. Premières manifestations pour l’égalité des droits.

• 34 Manifestation pour l’égalité des salaires, Paris, 2009. Manifestation récente qui révèle les inégalités subsistantes.

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c’est l’avènement du modèle un plus un égale deux, voir trois.30 L’amour est une forme sociale en mutation constante : le concept d’amour fissionnel est spécifique dans son adaptabilité aux situations nouvelles. Le couple fissionnel • 35 est différent selon les individus et repose sur un contrat implicite lors de la mise en couple. Il est à comprendre comme une ligne sur laquelle chacun se positionne, entre le couple à autonomie limitée et le couple open. L’autonomie limitée est l’idéal dominant, il s’agit d’un contrat implicite de confiance entre les partenaires qui permet une forme d’autonomie tout en faisant la promesse de l’exclusivité sexuelle et affective. Le couple open quant à lui met en avant la fidelité exprimée dans le temps et non à travers le rapport physique : l’expérience avec le tiers est totalement autorisée à partir du moment où chacun des partenaires en est bien conscient et au courant. Le couple fissionnel se fonde donc sur une forme d’alternance entre des phases de vies communes et une forme d’autonomie : il y a le moi, le toi, et puis le nous. • 36 C’est l’émergence d’une histoire supplémentaire, celle du couple, qui vient s’ajouter à l’histoire de chacun. L’importance de ces trois entités développe une extrême polyvalence sociale et permet au couple de plus être enfermé sur lui-même, tout en possédant une forme de moments privilégiés à deux. De plus, la structure familiale à notre époque est caractérisée par la multiplicité de ses formes et l’absence de référent unique. On assiste à une crise de la conjugalité traditionnelle comme résultante d’une évolution des modèles socio-affectifs : la sexualité possède des formes diverses. • 37 couple fissionnel +

= open

autonomie limitée

confiance

fidélité dans le temps

fidelité affective • 35

50


Le principe du couple fissionnel montre ainsi de quelle manière s’équilibre la synthèse entre désir de fusion et besoin de liberté. L’amour est à comprendre non comme une conformité à un modèle particulier, mais bien comme une richesse d’une société qui se veut tolérante, élargie, vers une ouverture de la structure familiale. Le tiers n’est plus totalement exclu, il apparaît comme un enrichissement nécessaire à la stabilité de la relation. Il s’agit d’une forme de pansement face à la conception idéale rigide de l’amour. Notre société est issue de bouleversements sociaux qui visent à plus de tolérance dans les comportements et une acceptation plus grande de la différence. Ces perturbations ont des conséquences sur nos relations amoureuses car elles s’opposent à une vision normée traditionnelle pour ouvrir vers une définition nouvelle du couple mais aussi de la nature même d’une relation. Face à ces nouvelles formes conjugales, l’outil numérique se révèle être propice à de nouveaux types de relations et un bouleversement du rapport à autrui. On peut s’appuyer sur l’exemple du texto, que Pascal Lardellier31 définit comme “la novlang du coeur” dont les fonctions premières d’informations sont détournées pour un nouveau mode de communication interpersonnelle, ludique et aussi profondément romantique. Les relations numériques : exacerber l’expression de la sensibilité La médiation de l’écran : créer un microcosme intimiste Les outils numériques peuvent être perçus comme des nouveaux moyens de communication de l’information, qui permettent entre autre de transmettre un message simple et direct. Pour autant, Pascal Lardellier développe l’idée que ces outils nous mettent à distance avec la réalité, pour proposer une nouvelle manière de l’appréhender : leur usage s’étend au delà de la simple transmission d’un message pour aller vers un véritable échange, jusqu’à l’échange amoureux.31 Les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) sont en plein essor dans notre société. Différentes formes de communication se développent alors sur les réseaux : l’échange par mail, la messagerie instantanée, les réseaux sociaux, les applications spécialisées comme Skype • 38, les forums de discussion ou encore

30. Ibid, Serge Chaumier.

31. Ibid, Pascal Lardellier.

• 35 Le couple fissionnel, 1999. Source : Serge Chaumier.

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• 36

• 37

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• 38

• 36 Les amours imaginaires, Xavier Dolan, 2010. Interroger les décalages entre idéalisation et réalité amoureuse.

• 37 Laurence Anyways, Xavier Dolan, 2012. Questionner l’identité sexuelle et les nouvelles normes du couple.

• 38 Tea Time Club, Caroline Gillet, 2015. Utilisation de Skype pour rentrer en contact avec une personne à l’autre bout de la planète.

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les textos jouent un rôle essentiel dans nos échanges amoureux. Ces nouveaux modes de connexion • 39 apparaîssent comme un nouvel espace détaché du lieu physique : celui de l’expressivité, à la fois décomplexée et ludique. Il permet la “toute puissance expressive” propice aux confidences et aux épanchements : on a l’impression de s’exprimer sans être jugé par le regard d’autrui ou entravé par la parole de l’autre. Révéler ses sentiments devient ainsi plus facile face à la plateforme. De plus, la dimension ludique de l’outil permet de concevoir le rapport que nous entretenons avec l’autre comme une forme de jeu, qui se matérialise par la technique, le langage et l’image. Il permet alors d’établir une distance intime qui forme des raccourcis relationnels étonnants : les aspirations romantiques et désirs charnels s’expriment sans tabou.

Les différentes NTIC écrit

oral

passif

email

téléphone

réseaux sociaux

texto messagerie instantannée tchats divers

vidéoconférence sites de rencontre Facetime

Blogs

Skype

forums • 39

“C’est parce qu’il relève d’un jeu que le chat a réussi cette spectaculaire percée, en dépit du mécanisme télégraphique le caractérisant a priori.”32 On observe une forme de dilatation du rapport à l’espace et au temps : accélération, rapprochement, fluidité, autant de paramètres qui modifient notre expérience de l’amour. Le jeu sur internet se matérialise également avec un rapport à la machine qui passe par la vibration du message, les clignotements lumineux. Le smartphone rend ces échanges encore plus nomades, et le rythme frénétique du chat rapide, simultané va même jusqu’à produire une forme de tension nerveuse qui peut s’apparenter à la tension amoureuse de l’attente, ou celle de la rencontre.

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Par la ludicité du procédé, l’outil numérique renforce le caractère intime de la relation amoureuse qui s’exprime à travers lui. Il s’agit certes d’une technicisation de pratiques qui ont toujours existé, mais une technicisation qui produit une forme nouvelle d’accessibilité, avec des caractéristiques étonnament propices au langage amoureux. • 40

• 40

La relation épistolaire : intensifier la puissance du langage amoureux La relation numérique s’exprime essentiellement par l’écrit. Le plaisir de la relation épistolaire est une composante puissante de la relation amoureuse : à l’ère du numérique, c’est l’avènement d’un “néoromantisme technologique”. L’écrit prédomine par rapport à la voix, et parfois même par rapport aux images. Alors que s’ouvre un nouveau royaume du billet doux, internet devient le moyen d’investir la langue de manière différente et inédite, de composer de nouveaux codes amoureux : on peut parler d’une forme de triomphe du genre épistolaire et l’émergence d’une forme de techno-poésie qui est valorisée. Le roman de Daniel Glattauer33 met en scène une correspondance de mails entre deux protagonistes, Emmi et Léo, qui tombent peu à peu amoureux l’un de l’autre. à partir d’une erreur d’adresse, Léo envoie un premier message à Emmi, qui démarre les échanges. On peut remarquer le plaisir intangible du texte qui se développe dans les propos des deux protagonistes : allusions, sous entendus, implicite... L’imagination se trouve attisée par ce que l’on peut écrire et lire. Cet ouvrage soulève de nombreux questionnements sur la nature de la relation numérique exclusive elle-même : a-t-on intérêt à se rencontrer dans la vie réelle, physiquement, quand la relation ne tient qu’à un échange immatériel ? Sera-t-on forcément déçu de la personne que l’on découvrira ? Cette personne sera-t-elle totalement différente

32. Ibid, Pascal Lardellier.

33. Quand souffle le vent du nord, Daniel Glattauer, 2010.

• 39 Les NTIC, 2011. Source : www.anthedesign.fr.

• 40 Vous avez un message, Nora Ephron, 1998. Découvrir la vraie personnalité sur les réseaux. Revisite de la comédie romantique.

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“Avez-vous remarqué que nous ne savons absolument rien l’un de l’autre ? Nous créons des personnages virtuels, imaginaires, nous dessinons l’un de l’autre des portraits robots illusoires, nous posons des questions dont le charme est de ne pas obtenir de réponse.” Léo, Quand souffle le vent du nord, Daniel Glattauer, 2010.

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de celle qu’on s’imaginait ? Est-ce être infidèle que d’entretenir une relation épistolaire sans jamais passer à l’acte physique ? Jusqu’à quel point peut-on se livrer à un(e) inconnu(e) ? Est-il ou elle vraiment toujours un(e) inconnu(e) quand on lui écrit depuis des mois ? L’expression “faire de cette histoire un roman” prend alors tout son sens. • 41 “écrire, c’est embrasser mais sans les lèvres. écrire, c’est embrasser avec l’esprit.”34 Le royaume de l’écrit est propice aux épanchements amoureux : la relation numérique possède une potentialité romantique forte et étonnante, qui accentue la force du langage de l’amour en même temps qu’elle interroge la nature même de la relation amoureuse. L’échange semble comme suspendu hors du temps, dans une forme écrite à la fois ambigüe et poétique.

• 41

L’engagement du corps : pallier à l’absence physique “Notre corps n’est pas virtuel et ne peut jamais l’être. Le corps n’est ni un symbole ni un symptôme. Il est une condition essentielle de notre expérience, qu’elle soit réelle ou virtuelle. On ne peut jamais s’en abstraire, même dans le rêve. Les mondes virtuels sont des non-lieux. Mais nos corps ne peuvent être des non-corps.”35 Le corps se dématérialise

34. Ibid, Daniel Glattauer.

35. Le virtuel, Philippe Quéau, 1993.

• 41 Tx.to, Martin Daniel, 2015. Matérialiser l’échange par SMS en donnant une valeur à l’éphémère.

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à travers la relation numérique : il peut sembler absent, oublié, comme remplacé par une image édulcorée ou par les mots. Pour autant le corps ne disparaît pas face à l’écran, il s’engage tout autant malgré la médiation technique.

• 42

La dématérialisation du corps est une particularité paradoxale des relations numériques : une médiation technique lourde et complexe • 42 parvient à se faire oublier pour donner l’impression que la relation est directe, une forme de communication d’esprit à esprit. Pascal Lardellier36 évoque le principe de l’hyperception qui se développe à travers la dialectique du caché dévoilé : le fait de ni voir, ni sentir nécessite le développement d’autres sens qui participent de la reconstruction mentale de l’interlocuteur fantasmique. L’hyperception mobilise les corps au plus haut degré. Le film Her de Spike Jonze propose une vision futuriste d’une relation exclusivement numérique, et questionne par là même l’engagement du corps. Le personnage de Théodore tombe amoureux de Samantha, une voix féminine intelligente, intuitive et étonnament drôle : à travers l’expression d’une relation suprenante, le ton à la fois novateur et sentimental du film ouvre la réflexion sur l’attachement au corps et le besoin d’amour qui nous est propre et qui surmonte toute révolution technologique. • 43 Les interfaces bouleversent notre rapport au temps et à l’espace : loin d’oublier le corps, elles permettent de le concevoir sous une forme dématérialisée, et révèlent ainsi un besoin affectif inhérent à l’être humain. Envisager une relation entre un homme et un système d’exploitation conduit, selon la belle métaphore de Spike Jonze, inévitablement à une forme de souffrance profonde : une belle et impossible relation, qui résonne en nous comme une réminiscence des fondements même de la passion amoureuse. “Je crois au grand amour, tu sais ? Je ne crois pas au fait que tout le monde garde ses yeux ou ne tombe jamais malade, ou je ne sais quoi. Mais je crois que tout le monde a droit au grand amour, et que le grand amour doit durer toute une vie.”37

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Notre conception occidentale de l’amour se trouve donc tiraillée entre deux modèles à la fois imbriqués et totalement opposés : les figures atemporelles occidentales de la passion issues d’un héritage historique, philosophique et artistique puissant face au cynisme d’une société postmoderne qui revendique l’individualisme. Questionner le concept d’amour, c’est pressentir des paradoxes fondamentaux insolubles par essence, poussés à leur paroxysme à l’ère de la fluidité et de la rapidité des échanges. Alors qu’un constat pessimiste de la décadence semble latent, le thème de la passion amoureuse est pour autant source de création inépuisable. Plutôt que de l’appauvrir et de le réduire, il s’agit de se recentrer sur la valorisation de l’expérience, en jouant sur une nouvelle forme de poétique à l’ère du numérique.

36. Ibid.

37. Nos étoiles contraires, Josh Boone, 2014.

• 42 Le Baiser, Ange Leccia, 1985. Puissance suggestive du sentiment qui dépasse l’objet, représentation technique du corps.

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• 43

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• 43 Her, Spike Jonze, 2014. Dépendance affective et poésie de la détresse amoureuse.

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Vers une nouvelle approche : l’exploration poétique de la relation amoureuse à l’ère des interfaces

Aimer aujourd’hui : imaginaire décadent et réalité déboussolée Augmentation des divorces et crise de la conjugalité : une perte d’amour ? à l’heure des nouvelles technologies et du zapping émotionnel, nos relations amoureuses connaissent des mutations considérables liées à de nombreux facteurs sociétaux. En effet, le célibat est aujourd’hui un véritable phénomène : en 1999, les ménages composés d’une seule personne représentaient 12,6% de la population française, à savoir deux fois plus qu’en 196238. Le nombre de divorce est en augmentation croissante en France. On dénombre aujourd’hui environ 130 000 divorces par an, contre seulement 44 738 en 197239. à l’origine de cette augmentation se trouve des évolutions sociétales comme l’augmentation de l’espérance de vie, la valorisation de la carrière professionnelle au profit de la famille, la révolution sexuelle et féministe etc... La structure familiale à notre époque est caractérisée par la multiplicité de ses formes et l’absence de référent unique. On assiste à une crise de la conjugalité traditionnelle comme résultante d’une évolution des modèles socio-affectifs. Revendication d’une exigence d’amour : un idéal plus qu’une réalité ? Pour autant, la cause de l’augmentation des divorces est-elle synonyme d’une société où l’amour est dégradé ? Après avoir fait sa révolution, l’amour s’emprisonne lui-même dans un nouveau conformisme : celui du devoir d’amour. L’exigence d’amour prime sur le mariage lui-même :

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progressivement, ce dernier n’est plus une décision imposée, mais devient un choix individuel. “Cette forme culturelle occidentale de modernité a provoqué des formes de misère affective, de destructions sans précédent des univers de vie traditionnels”, souligne Eva Illouz40. Le divorce de masse, dans notre culture occidentale, n’est donc pas causé par une perte de croyance en la relation amoureuse heureuse, bien au contraire : il est dû à une exigence d’amour qui est beaucoup plus forte. Si je ne t’aime plus, autant que nous nous séparions, je te trahis si je reste avec toi au nom du devoir conjugal. Le pragmatisme et l’individualisme sont valorisés dans une société où nous croyons avec force que le bonheur est guidé par l’amour lui-même. Notre rapport individualiste au sentiment, bien qu’il soit source de liberté et de bien être personnel, entre en contradiction violente avec le modèle traditionnel amoureux pourtant placé au centre de notre épanouissement personnel. Cette contradiction profonde engendre bon nombre de désamours. La rencontre, enjeu marketing : vers une forme de chaos sentimental ? Faire la bonne rencontre devient alors un enjeu considérable : l’amour entre dans une logique marchande où l’émotionnel s’articule de plus en plus avec l’économique. L’apparition des sites de rencontre propose une utilisation de l’outil numérique qui renforce cette logique consumériste : la mise en contact par le biais de ces sites spécialisés apparaît comme le paroxysme de la métaphore économique car il met sur le devant de la scène la loi de l’offre et de la demande. L’objectif est de comparer les produits pour trouver celui qui correspondra parfaitement à mes attentes. On assiste donc à une forme de chaos sentimental aujourd’hui. Le désir de fusion et de conformisme à un idéal amoureux, construit par de puissants modèles culturels, entre en conflit avec la revendication d’autonomie et de liberté de l’individu. L’homme contemporain est héritier déboussolé de trois systèmes de valeurs : la morale chrétienne, le moralisme républicain et l’idéologie libertaire. La tradition, l’ordre stable et le bonheur pérenne se trouvent bouleversés par la nouveauté, le changement, le plaisir immédiat : la “déliaison amoureuse” est-elle inéluctable ? La désillusion est un phénomène inhérent au sentiment amoureux. Comment révéler la complexité des nouveaux enjeux amoureux à l’ère du numérique face à une image souvent stéréotypée ?

38. Enquête réalisée par l’INSEE, 2014.

39. Enquête réalisée par L’INED, 2015.

40. Ibid.

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Révéler la complexité des enjeux amoureux à l’ère du numérique Sans pour autant dénaturer l’essence du sentiment, il s’agit de trouver une autre voie qui révèle un potentiel amoureux latent à l’ère des interfaces pour : • Sensibiliser au paradoxe amoureux qui anime les individus de manière implicite, pour permettre une forme d’épanouissement dans la quête amoureuse. • Révéler une forme contemporaine de la relation amoureuse s’apppuyant sur la pluralité et la flexibilité de l’expérience concrète de l’individu pour lutter contre la souffrance de l’idéalisme. • Mettre à jour le potentiel d’enrichissiment de l’interface dans la relation pour s’opposer à l’articulation marchande de la relation amoureuse. Diffuser une nouvelle pensée de l’amour Freins et motivations du projet La vision romantique de l’amour est ancrée en nous comme une sorte d’image figée qui renvoie souvent à des codes à la frontière du kitsch à l’eau de rose. Cette vision du sentiment amoureux peut constituer un frein face à un projet dont le sujet principal est centré sur l’amour. Le cynisme du spectateur contemporain tend à s’appuyer sur une forme de l’amour très réductrice, en écho avec des récits d’amours naïfs. Cependant, l’amour est un questionnement essentiel et existentiel qui participe de la définition de l’individu lui-même. Se recentrer sur l’amour aujourd’hui s’avère un besoin d’autant plus intense à l’heure du zapping émotionnel et de la marchandisation des individus. Proposer une revisite amoureuse profondément ancrée dans les conditions de notre époque peut permettre au récepteur de trouver une forme d’accord avec son temps. La Brigade de l’Amour : l’amour comme style de vie La Brigade de l’Amour est un collectif associatif qui s’est développé sur les réseaux sociaux avec un seul objectif : parler d’amour en utilisant le réseau social dans un objectif de partage de pensées et d’images. Il revendique son opposition directe aux sites de rencontres en ouvrant le dialogue vers les individus, en les invitant à partager leurs histoires d’amour. Récemment, le collectif propose de lancer des opérations comme l’organisation d’apéros de l’amour, un évènement libre et festif auquel tout le monde est convié. Ils revendiquent le concept de slow dating par opposition au speed dating, en invitant les personnes à prendre leur temps dans la relation afin d’éviter le jugement rapide de l’autre pour

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prendre le temps de mieux se connaître. Une autre démarche engagée par le collectif est le rassemblement d’une communauté à travers une collection de sweats de brigadiers • 44, qui véhicule la revendication de l’amour comme guide de vie, en jouant sur une forme d’amour romantique assumé au grand jour. Une collaboration avec La Brigade de l’Amour pourrait permettre au projet d’avoir une liberté de ton et de support assez grande pour un projet expérimental.

• 44

Récepteurs La cible potentielle envisagée peut être centrée autour de jeunes adultes en confrontation aux nouvelles technologies et au questionnement amoureux, à savoir 18-25 ans et 25-35 ans, mais le projet possède la capacité d’ouverture à une large cible en proie à des questionnements sur les formes de l’amour aujourd’hui, avec une certaine forme de maturité émotionnelle. Retranscrire des expériences amoureuses singulières L’amour à l’ère du numérique se caractérise par de nombreux facteurs qui oscillent entre un imaginaire amoureux de plus en plus vulgarisé et décadent, face à une réalité du vécu amoureux totalement déboussolée à l’ère du numérique. Cet écart entre imaginaire et réalité est d’autant plus inextricable que l’un et l’autre s’influencent mutuellement. L’aspect expérimental du projet est donc essentiel pour proposer une véritable exploration de la relation amoureuse. Il est primordial de se détacher du rapport consumériste accentué par l’utilisation des sites de rencontre

• 44 La Brigade de l'amour, 2014. Lancement de la marque de sweats.

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pour proposer une réflexion, un dialogue autour de la relation amoureuse de manière plus générale. La promesse plus jamais seul ne peut pas être entretenue, mais au contraire, il s’agit de s’orienter vers la possibilité d’une meilleure compréhension pour accepter la souffrance amoureuse inhérente à la relation elle même. Une posture orientée vers la projection est préférable dans ce contexte plutôt que la conception d’un outil de rencontre. Une expérience sensible humaine Interroger l’humain à travers la narration de vie Le besoin de se recentrer sur ses sentiments et son corps est essentiel pour s’épanouir dans un rapport amoureux. La notion d’expérience sensible est positionnée au coeur de la relation amoureuse elle-même : l’amour relève d’une part de pratique et d’apprentissage qui engage l’individu. Il existe alors deux temps dans l’approche de la relation, celui du mythe qui propose des modèles amoureux fantasmés et celui de l’expérience amoureuse inscrite dans le monde réel. à l’ère du numérique et du mythe vulgarisé, se recentrer sur l’expérience à travers l’expression de la sensibilité est un enjeu primordial du projet. Les scénarios possibles peuvent alors jouer sur plusieurs tableaux, oscillant entre démarche analytique et approche sensible propre au questionnement de l’amour à l’ère du numérique. Le projet peut alors prendre comme point d’appui la forme du reportage, par exemple à travers le récit, les paroles et les bribes écrites de relations amoureuses recomposées, un contenu peut se dégager qui s’appuie sur des histoires de proches, comme témoins de bouleversements qui nous touchent plus ou moins directement.

• 45

Le reportage ASV STP s’inscrit dans cette logique : documentaire à l’état de prototype, il prend une allure de débat entre amis • 45 interrogeant la génération Internet et son rapport au couple. L’objectif est de sensibiliser aux questionnements de la révolution numérique en recréant un contexte de discussion libre et ouverte par l’utilisation de la narration transmédia. La transmédialité est une méthode qui permet notamment de combiner

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plusieurs médias sur lesquels se déclinent des univers narratifs, chaque média étant employé pour un contenu différent, en s’opposant ainsi à un schéma de narration classique. Une posture documentaire pour instaurer un microcosme intimiste Une démarche orientée sur le documentaire me semble intéressante pour le projet dans le sens où il propose une vision qui se veut proche de la réalité : il s’oppose traditionnellement au mensonge de la fiction, tout en laissant au spectateur les moyens de reconstruire le réel par lui‑même. Cette posture peut permettre de capter la réalité amoureuse dont la particularité est de tendre vers l’universalité. Pour autant, loin d’images analytiques austères, le documentaire ne doit pour autant être totalement didactique : en effet, diffuser des modèles qui se veulent objectifs de l’amour me semble une démarche non seulement ambitieuse et difficilement réalisable, mais allant à l’encontre de l’idée de mouvance et de flexibilité du sentiment qui s’appuie sur l’expérience de la relation amoureuse plutôt que sur les modèles de l’amour. Une expérience immersive ludique Matérialiser les nouvelles potentalités amoureuses La relation amoureuse nécessite un engagement de la part des partenaires, et engendre la notion d’apprentissage au contact de l’autre. Proposer une expérience ludique et initiatique s’avère une possibilité pour matérialiser la problématique amoureuse car elle peut permettre d’engager le spectateur, en lui montrant qu’il est acteur de nouvelles potentialités de la relation amoureuse. La dimension ludique propre aux nouvelles technologies peut ainsi participer d’une redécouverte des enjeux amoureux de manière décomplexée. La notion d’immersion est essentielle pour permettre un réel engagement et faire vivre une expérience inédite qui amène à soulever des problématiques profondes qui résonnent en chacun. Selon les attentes multiples, une mise en forme évolutive du projet peut aussi être envisagée, en s’appuyant sur les différentes étapes de la relation amoureuse. Le projet peut par exemple se matérialiser sous la forme d’une exposition immersive dans laquelle l’utilisateur évolue et se déplace. La notion de quête amoureuse peut donner naissance

• 45 ASV STP, Ariane Picoche, Florian Delhomme, prévu 2016.

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à une forme de nouvelle éducation sentimentale à l’heure des nouvelles technologies. On peut penser ici à des expériences comme l’exposition The Happy Show de Stefan Sagmeister • 46 réalisée à la Gaîté Lyrique : en s’appuyant sur sa propre expérience et son vécu, le graphiste tente d’immerger le visiteur dans un univers positif pour proposer une forme de quête du bonheur et de réflexion globale sur le potentiel des visiteurs à être heureux à travers l’exploration d’un bonheur à la fois sensoriel et intellectuel. La dimension initiatique et la proposition de petites expériences ludiques permettent d’appuyer les questionnements et d’engager le spectateur, tout en révélant une forme complexe et très humaine de la recherche du bonheur qui engage une quête personnelle.

• 46

Une posture fictionnelle pour faire appel à l’imaginaire Introduire une part fictionnelle dans le projet s’avère une posture qui singularise et ouvre à l’imaginaire collectif. On peut envisager faire découvrir à partir de réels possibles et anticipés ce à quoi peut ressembler la société amoureuse de demain, en s’appuyant sur des images figées de l’amour récupérées par les nouvelles technologies et la science pour nous promettre une forme de bonheur aseptisé et formé dans les laboratoires. Cette hypothèse peut s’avérer séductrice et porteuse d’un prolongement de la décadence amoureuse dénoncée. Cependant, se limiter à une telle démarche serait réducteur par rapport aux potentialités de l’amour qui se renouvelle et se loge dans l’expérience de l’individu. De plus, la fascination pour le sentiment amoureux et le besoin de croire en une forme de puissance de l’amour est une composante inhérente dans notre société, même désabusée et consumériste. La fiction se doit d’être dosée dans le projet, pour permettre de faire appel à l’imaginaire sans pour autant dénaturer l’essence du sentiment amoureux.

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Une expérience enrichissante participative Mettre à jour des données complexes et tangibles Le sentiment amoureux s’appuie sur la notion de partage : il possède la qualité d’être en perpétuelle évolution et mouvance, il se façonne à deux, avec une forme non figée et déterminée par les individus. Un autre type de scénario envisageable peut alors s’appuyer sur une démarche analytique afin de dévoiler la mise en place d’un nouveau paysage amoureux qui se dessine à l’ère contemporaine. Une démarche peut être envisagée comme la mise en forme de données révéler le tangible. La notion de participatif se révèle alors essentielle pour faire un état des lieux de relations amoureuses difficiles à saisir et à figer, afin d’aboutir à un projet au plus proche de l’individu et de son ressenti personnel. La relation amoureuse implique l’engagement de la personne, le projet peut s’avérer révéler des données universelles qui partent de la subjectivité. Le projet We Feel Fine développé en 2006 aux Etats Unis est une plateforme collaborative • 47 collectant des données à propos des sentiments des visiteurs afin de proposer une exploration des émotions humaines, à travers une interprétation poétique de la base de donnée au coeur de laquelle le visiteur peut naviguer et raconter sa propre histoire. L’importance de la mise en forme de ses données qui s’enrichissent au fil des entrées permet d’englober une réalité mouvante, à l’image des sentiments qui sont difficiles à palper et à cloisonner. La donnée participative renforce l’idée de partage et de collecte sensible, qui s’avèrent des caractéristiques essentielles de la relation amoureuse.

• 47

• 46 The Happy Show, Stefan Sagmeister, 2014.

• 47 We feel fine, Jonathan Harris et Sep Kamvar, 2006.

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Une posture hybride : revisiter le docu-fiction Interroger plus précisement le docu-fiction peut se révéler un moyen de retranscription efficace des relations amoureuses contemporaines : il possède à la fois une visée didactique, mais laisse également une place à la subjectivité et l’intervention artistique. La relation amoureuse possède en effet une part de réalité difficile à saisir, c’est le vécu de l’amour, mais également une forme de rêve de l’amour qui façonne notre rapport à l’autre, influencée par les figures culturelles amoureuses, et accentuée par les nouvelles technologies qui laissent de plus en plus de place à l’interprétation. Le docu-fiction semble donc un moyen adapté pour la retranscription de relations à la fois vécues et rêvées, retranscrites partiellement, décousues dans leur forme et leur matière. Le docu-fiction Les Bureaux de Dieu de Claire Simon s’intéresse à la vie des femmes à travers l’espace du Planning Familial. La présence d’actrices connues pose en premier lieu l’appartenance à l’univers fictionnel de l’artifice, en même temps que celles de figurantes étrangères au monde du cinéma et dont l’histoire s’appuie sur des faits réels brouille les codes. Fiction poignante de réalisme, le film évite l’écueil de la sensiblerie et ou du voyeurisme pour proposer un point de vue singulier. Interroger la transversalité et la multiplicité L’ensemble de ces démarches ne vise pas à l’objectivité totale : l’aspect collaboratif et la mise en exergue de différentes relations, imparfaites mais en même temps qui reflètent une réalité mouvante de l’amour et non une image figée de l’amour, est important. Le projet ne s’adresse pas à des spécialistes psychologues ou sociologues, même s’il trouve dans ces méthodes un appui nécessaire pour sa réalisation : le ton s’ouvre à la poésie contemporaine, à trouver dans le sensible une forme d’universalité sous jacente que chacun se doit de sentir, et non de se voir imposer. Des supports complémentaires peuvent alors être envisagés pour mener le projet : projet éditorial hybride • 48, scénographie immersive ou encore interface évolutive. Toujours dans l’idée de multiplicité et d’hybridation de la relation amoureuse pour évoquer sa diversité de forme et participer à la reconstitution d’un tout à travers un projet graphique transversal.

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• 48

• 48 • 48 Hyperlinks Book, Maria Fischer, 2008. Matérialiser le lien hypertexte à travers une édition hybride.

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Conclusion

La problématique amoureuse est, pour se réapproprier les propos de Stendhal, une “affaire” qui me paraît essentielle non seulement dans notre société de désillusionnés, mais aussi en tant que questionnement personnel, au coeur de l’humain. à la lumière des multiples facteurs dégagés à travers ce mémoire de recherche, l’amour aujourd’hui se doit d’apparaître sous une nouvelle forme, celle de la relation amoureuse riche et mouvante, sans pour autant affaiblir la puissance poétique des modèles qui le constituent. Face à un bilan de la décadence, la relation amoureuse se trouve donc à comprendre avec un nouveau regard, afin d’accepter l’articulation entre réalité pragmatique et puissance de l’imaginaire.

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Mon projet graphique a pour objectif de valoriser cette nature de la relation amoureuse comme expérience de vie, afin que chacun puisse se réapproprier ce sentiment. Il s'agit de prendre du recul sur la manière dont nous vivons nos relations pour permettre de dégager une poésie amoureuse nouvelle, singulière, contemporaine.



Bibliographie

Livres

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Périodiques

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En ligne

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Conférences

Entretiens

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Reportage

France Ortelli, avec Thomas Bornot Love Me Tinder, 2014.

Films

Xavier Dolan, Les Amours Imaginaires, 2010. Xavier Dolan, Laurence Anyways, 2012. Nora Ephron, Vous avez un message, 1998. Spike Jonze, Her, 2014. Yorgos Lanthimos, The Lobster, 2015. Jean-marc Moutout, La Fabrique des sentiments, 2008.

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Enquêtes

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Formulaire en ligne : “L'Amour avec un grand A”, 2015. Enquête terrain : “Une image de l'amour ?”, 2015. Rencontre avec Jean-Maxime, La Brigade de l'Amour, octobre 2015.

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Merci Roxane Sussi et Bruno Sussi, mes tuteurs pour leur suivi précieux et les lectures. Laurence Hétier, pour ses conseils avisés et ses relectures. Yorel Cayla, pour son aide sur la conception graphique. La TEAM BPI pour les milliers d'heures ensemble. Les DSAA16 pour cette belle collection. Ma maman, pour ses corrections orthographiques. Ma famille pour les discussions interminables. Alexandre, pour son soutien quotidien.

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/18 DSAA Créateur Concepteur Graphisme 2016 Impressions : Launay Imprimerie — Riso Presto Papiers : Olin Regular 100g — Munken Lynx 250g Typographie : Agipo, Radim Pesko — Bell Rédaction et mise en page : Camille Pagotto — Janvier 2016 Toute reproduction interdite sans autorisation.


École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art 63 rue Olivier de Serres 75015 Paris Académie de Paris



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