Magazine CED: Autour de 1830

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constamment le niveau de qualité scientifique, scénaristique et artistique de ses vidéos pour fédérer talents et financements au service de l’éducation. • Une communauté : audelà d’une équipe réduite basée à Paris, le CED est un projet à l’écoute de sa communauté d’inscrits et donateurs et ouvert aux nouveaux talents.

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Canal Educatif s’adresse à tous les curieux, mais il offre des possibilités d’utilisation très souples en lien avec la classe : • Consultation gratuite des

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Présentation du document ... et ce dossier pour nourrir votre curiosité en lien avec la vidéo. Pourquoi ?

Ce complément historique vise à prolonger le contenu de la vidéo disponible en ligne, en approfondissant tout particulièrement les enjeux de la révolution de 1830. • Quelles idées sont véhiculées par 1830 ? • Pourquoi aboutit-elle à une nouvelle monarchie constitutionnelle ? • Pourquoi le souvenir des Trois Glorieuses est-il si embarrassant ? Le champ historique choisi (1814-1848), volontairement large, permet de situer l’événement dans un siècle de lent apprentissage de la démocratie en France.

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Avec le symbole de la pellicule retrouvez les images qui apparaissent dans la vidéo et leur minutage !

Par qui ?

Deux auteurs : • Aude Lecouturier, enseignante d’histoire en collège. • Côme Fabre, historien de l’art, responsable éditorial arts du Canal Educatif. Leurs partis-pris : • Revoir plus en profondeur de nombreuses images d’époque présentes dans la vidéo : portraits, tableaux d’histoire, gravures satiriques, monuments publics (dont certains difficilement visibles par le public pour des raisons d’accrochage ou de conservation). • Traiter les images comme des sources historiques critiquées en tant que telles et non comme de simples illustrations.

Et après ?

La vidéo Delacroix permet bien d’autres prolongements : • La philosophie : Tocqueville et Leibniz. • La littérature : le drame romantique. Si vous vous sentez l’âme d’un passeur de culture désireux d’écrire de futurs compléments de ce genre, n’hésitez pas à nous contacter.

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Sommaire 3

Ancien 1ère

1er

Régime République

Empire

Chap. 1 : La Restauration Louis XVIII

Charles X

p.6 Un fragile équilibre p.7 Deux conceptions du pouvoir p.9 Le temps de la critique p. 13 Le bras de fer

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Chap. 2 :

27, 28,


Les Trois Glorieuses Chap. 3 : La monarchie de Juillet

, 29 juillet 1830 p. 19 Echec au roi p. 21 Dans les coulisses

2nde République

Louis-Philippe Ier

p. 26 A qui profite la Révolution ? p. 29 1830, un héritage embarrassant p. 32 Pourquoi les républicains font-ils peur ? p. 35 Le conservatisme au pouvoir p. 37 Que reste-t-il de 1830 ? Conclusion

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La Restauration 1814 - 1830

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Un fragile équilibre Deux frères, deux conceptions du pouvoir

A

La Charte de 1814

u lendemain de la chute de l’empereur Napoléon Ier, battu par l’ensemble des souverains coalisés d’Europe, la place est libre pour le retour des Bourbons, c’est-à-dire les deux frères cadets de Louis XVI qui retrouvent le trône après plus de quinze ans d’exil.

1814 : une monarchie à l’anglaise

Or depuis 1789, l’ordre politique et social en France a totalement changé. Par conséquent il n’est pas question de rétablir la monarchie absolue. Les acquis fondamentaux de la Révolution, formulés dans la déclaration des droits de l’homme, sont conservés. Sur le plan politique, on opte pour une monarchie « à l’anglaise », où le pouvoir royal est tempéré par deux chambres de représentants de la nation, élus par les propriétaires fonciers les plus riches. La répartition des pouvoirs est codifiée par une constitution appelée « la Charte », un terme médiéval qui convient bien à l’esprit passéiste du régime. Mais l’équilibre est fragile : tout l’enjeu de la Restauration tient dans l’interprétation de la Charte. Dans quelle mesure le roi, qui seul a l’initiative des lois et possède les moyens de les faire passer de force, doit-il tenir compte des désirs de la nation ?

Premier des deux frères revenus d’exil, Louis XVIII est un chef d’Etat lucide, attaché au respect de la monarchie mais conscient des évolutions inéluctables de l’Histoire. Il travaille à réconcilier les Français avec l’idée de monarchie en acceptant les principes fondamentaux de la Révolution : égalité civile des hommes, prise en compte de la souveraineté nationale à travers le parlement. Il s’efforce de contenir la pression exercée par les ultra-royalistes menés par son frère Charles, qui souhaitent redonner un pouvoir politique à l’aristocratie et à l’Eglise. Or en 1824, Louis XVIII meurt sans descendance, c’est donc Charles qui lui succède.

Les « gaffes » de Charles X

Dès son accession au trône, Charles X entend bien relire la Charte dans un sens beaucoup plus monarchiste. Il persiste à garder une vision cyclique de l’Histoire : pour lui, la Révolution n’a été qu’une crise passagère, la monarchie reste le seul régime qui convienne à la « France éternelle ». Afin que la monarchie se rétablisse pour plusieurs siècles, il faut que les Français réapprennent à la respecter comme un phénomène sacré et intangible. Pour cela, Charles X prend

appui sur l’Eglise et les grands propriétaires fonciers, pivots de l’ordre social. Des lois visent à leur donner davantage d’influence : Il fait voter la modification du système électoral : un double vote est octroyé aux plus riches des imposés ; Une indemnité de près d’un milliard de francs est versée aux anciens aristocrates émigrés dont les biens avaient été confisqués pendant la Révolution : c’est le « milliard des émigrés », voté le 23 mars 1825 par le parlement ; Le roi prend des mesures favorables à l’Eglise catholique redevenue « religion d’Etat » et fait voter en janvier 1825 « la loi du sacrilège » punissant sévèrement tout vol d’objet de culte.

Mais la décision la plus spectaculaire est celle du sacre : Charles X tient beaucoup à la notion de droit divin : il reste persuadé que c’est directement de Dieu, et non des hommes, qu’il détient son pouvoir politique. Il est donc logique pour lui de se faire sacrer à Reims, comme ses ancêtres. Alors que Louis XVIII avait préféré éviter cette cérémonie que l’opinion libérale aurait pu prendre comme une provocation, son frère prend le risque d’ignorer l’anachronisme flagrant. ■

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Louis XVIII, le réconciliateur La mise en scène donne l’illusion d’entrer comme par effraction dans le bureau, lieu intime du souverain. Au centre de la bibliothèque fournie, un régulateur, pendule extrêmement précise. Des journaux et des plans sur les chaises. Erudition, précision, information et travail : Louis XVIII se présente comme un chef d’Etat moderne, gestionnaire et administrateur. Un air de déjà vu… Le peintre connaissait très bien le portrait de Napoléon dans son bureau (ci-dessous) peint par David : Gérard est l’élève de David et a été un portraitiste apprécié de l’empereur. Le décor rend avec exactitude l’aspect du bureau privé du roi aux Tuileries, qui n’est autre que l’ancien bureau de Napoléon Ier. A part la table, le roi n’a rien changé au mobilier style Empire : avec cynisme et esprit, Louis XVIII admettait volontiers que l’empereur avait été « un bon locataire » qui avait du goût.

Le portrait féminin très flou est peut-être une évocation de la comtesse Zoé du Cayla, maîtresse du roi et commanditaire de ce portrait. Le tableau plaît tellement au roi qu’il est abondamment copié et gravé : Louis XVIII a compris qu’un tel portrait popularise son image bien plus efficacement que l’autre où il porte l’antique manteau royal.

Le roi choisit d’apparaître en uniforme noir à épaulettes : la Restauration, régime né de la défaite militaire de la France impériale, souhaite montrer qu’elle est capable de relever la gloire perdue du pays, grâce à de hauts faits militaires. L’année même où ce portrait est peint, la France mène une expédition militaire victorieuse en Espagne.

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Louis XVIII porte à la fois l’ordre royal du Saint-Esprit créé au XVIe siècle par Henri III, et l’ordre nouveau de la Légion d’honneur créé par Napoléon en 1802. Procédé simple pour concilier l’ancienne France avec la nouvelle, l’aristocratie et la méritocratie. François Gérard, Louis XVIII dans son bureau, 1823, musée national du château de Versailles © RMN

La petite table en pin nordique est un souvenir personnel. Elle a accompagné le souverain durant son long exil en Russie puis en Angleterre. Elle démontre les goûts simples du roi, de rigueur alors que la France doit verser de lourdes réparations de guerre aux puissances alliées.

Le titre complet est « Louis XVIII dans son bureau aux Tuileries, méditant la Charte ». Il n’a jamais rédigé ce texte, il l’a seulement approuvé et signé. Mais le tableau insiste sur l’implication du souverain et son respect du principe constitutionnel de la monarchie.

Louis XVIII est obèse et impotent. Paralysé par la goutte, il ne peut se montrer qu’assis. La maladie est le prétexte invoqué officiellement pour ne pas organiser de sacre. Mais la vraie raison est politique: un sacre, cérémonie coûteuse et archaïque, rendrait le régime impopulaire aux yeux de l’opinion française libérale. Son frère Charles ne fera pas ce calcul… « Vous vous plaignez d’avoir un roi sans jambes », aurait dit Louis XVIII un jour, « mais vous verrez lorsque vous aurez un roi sans tête ! »

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Charles X, le réactionnaire ´3 min 15

Dais rouge, colonne, estrade, trône, autant d’attributs archaïques du pouvoir politique, pour la plupart hérités de l’Antiquité. Le portrait réalisé en 1824 par François Gérard applique scrupuleusement le schéma défini depuis plus d’un siècle par le prototype absolu en la matière : le portrait de Louis XIV par Rigaud, peint en 1701 (ci-dessous). Comme si rien n’avait changé, Charles X se glisse dans la peau de son trisaïeul.

Le palais à l’architecture classique – voûte en berceaux à caissons – peut évoquer certains lieux du palais des Tuileries. En réalité, il est largement imaginaire. La perspective fuyante et sombre de l’arrière-plan sert à mettre en valeur le visage illuminé et la collerette éclatante du roi.

Contrairement à Louis XVIII, pas de trace de la Légion d’honneur. Le cordon du Saint-Esprit seul peut apparaître sur le manteau royal : le respect rigoureux de la tradition monarchique est bien incompatible avec l’acceptation des acquis de la Révolution. A noter aussi : l’absence totale de la Charte…

8 Unique adaptation à l’air du temps : le style du mobilier, fidèle au néoclassicisme en vogue depuis la fin du XVIIIe siècle. Concession bien maigre au monde contemporain…

La couronne et la main de justice sur le tabouret, le sceptre à la main. Tout comme le manteau d’hermine à fleurs de lys d’or, ces « regalia » – en latin, insignes royaux – sont des reconstitutions : tous les originaux ont été détruits par les révolutionnaires en 1792. La couronne que l’on voit est virtuelle : celle qui a été utilisée lors du sacre de Charles X était une pseudo couronne de Charlemagne (ci-dessous, Louvre) fabriquée sur ordre de Napoléon ! François Gérard, Charles X en costume de sacre, 1824, musée national du château de Versailles © RMN L’estrade affirme la supériorité naturelle du roi. Contrairement à son frère aîné, Charles X a choisi de se faire sacrer : c’est « l’oint du Seigneur », lieutenant de Dieu sur terre. Pourtant, la légendaire sainte Ampoule contenant l’huile sacrée avait été détruite sous la Révolution. Enfin, le procès et l’exécution en 1793 de Louis XVI, au préalable ravalé au rang de« citoyen Louis Capet », avaient largement désacralisé la personne royale aux yeux de l’opinion.

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Sacre et sarcasmes Comment Charles X perd la bataille de l’image Chateaubriand

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Chateaubriand : un regard amer et ironique sur le sacre

Issu d’une ancienne famille aristocratique bretonne, chrétien fervent, François-René de Chateaubriand avait accueilli avec enthousiasme le retour des Bourbons en 1814. Pourtant, selon lui, le sacre est un fiasco. Il faut toutefois avouer que sa vision n’est pas exempte de ressentiment personnel : d’abord très proche de Louis XVIII, devenu pair de France et plusieurs fois ministre, Chateaubriand entre rapidement en conflit avec les gouvernements suivants et finit par tomber définitivement en disgrâce lorsque Charles X monte sur le trône. Il rejoindra par la suite le parti libéral dans son combat pour la liberté de la presse. Mais son témoignage montre qu’il est capable d’une analyse beaucoup plus profonde du problème.

« Reims, 26 mai 1825, J’écris cette page de mes Mémoires dans la chambre où je suis oublié au milieu du bruit. J’ai visité ce matin Saint-Rémi et la cathédrale décorée de papier peint. […] Le sacre de Charles X vient immédiatement après celui de Louis XVI. Charles X assista au couronnement de son frère ; […]. Sous quels heureux auspices Louis XVI ne montait-il pas au trône ? Comme il était populaire en succédant à Louis XV ! Et pourtant qu’est-il devenu ? Le sacre actuel sera la représentation d’un sacre, non un sacre : nous verrons le maréchal Moncey, acteur au sacre de Napoléon, ce maréchal qui jadis célébra dans son armée la mort du tyran Louis XVI, nous le verrons brandir l’épée royale à Reims […]. A qui cette parade pourrait-elle faire illusion ? Je n’aurais voulu aujourd’hui aucune pompe : le Roi à cheval, l’église nue, ornée seulement de ses vieilles voûtes et de ses vieux tombeaux, les deux Chambres présentes, le serment de fidélité à la Charte prononcé à haute voix sur l’Evangile. C’était ici le renouvellement de la monarchie !

[…] Le peuple a été amené à penser qu’un rite pieux ne dédiait personne au trône, ou rendait indifférent le choix du front auquel s’appliquait l’huile sainte. Les figurants à Notre-Dame de Paris, jouant pareillement dans la cathédrale de Reims, ne seront plus que les personnages obligés d’une scène devenue vulgaire : l’avantage demeurera à Napoléon qui envoie ses comparses à Charles X. La figure de l’Empereur domine tout désormais. Elle apparaît au fond des événements et des idées ». « Reims, samedi, veille du sacre. J’ai vu entrer le Roi ; j’ai vu passer les carrosses dorés du monarque qui naguère n’avait pas une monture ; j’ai vu rouler ces voitures pleines de courtisans qui n’ont pas su défendre leur maître. Cette tourbe est allée à l’église chanter le Te Deum, et moi je suis allé voir une ruine romaine et me promener seul dans un bois d’ormeaux appelé le bois d’Amour. J’entendais de loin la jubilation des cloches, je regardais les tours de la cathédrale, témoins séculaires de cette cérémonie toujours la même et pourtant si diverse

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Analyse Une mise en scène qui fait toc La cathédrale de Reims, lieu de sacre depuis Clovis, mutilée et abandonnée sous la Révolution, a été restaurée pour l’occasion. Mais certains critiques ironisent sur les « papiers peints » et autres décors à bas prix qui peinent à donner l’illusion du faste. Les fenêtres gothiques de la cathédrale apparaissent dans la pénombre : parfum de mystère médiéval, décor idéal pour un rite immémorial. La Restauration favorise le « gothic revival » que l’on appelle « style troubadour » en France.

Cousin du roi. le duc Louis-Philippe d’Orléans doit assister à la cérémonie. Mais c’est un frère ennemi : non seulement Louis-Philippe affecte d’être d’opinion libérale et progressiste mais son propre père, sympathisant révolutionnaire, avait voté la mort de Louis XVI.

En pleine lumière (divine), Mgr de Latil, archevêque de Reims, clame « Vivat rex in aeternum » (Vive le roi pour l’éternité ) en adressant sa prière au ciel : c’est bien de Dieu, et non de la Charte que le roi pense tenir son pouvoir.

En haut de la pyramide de lumière, Charles X, « lieutenant de Dieu » sur terre. Une fois couronné et oint avec l’huile sacrée, il a pris place sur le trône : c’est l’intronisation. Le tableau est l’occasion de célébrer la continuité dynastique : le roi embrasse son fils aîné le dauphin, héritier du trône.

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François Gérard, Le sacre de Charles X à Reims, le 29 mai 1825, huile sur toile, 1825, Reims, musée de l’Oeuvre Le costume pittoresque du hallebardier évoque de manière très fantaisiste l’aspect des gardes du XVIe siècle : pourpoint brodé aux manches à crevés, collants, panache blanc. Du point de vue pictural, ce personnage nous prend à témoin et sert à nous introduire dans l’image. Notre œil, attiré par la lumière, grimpe les marches de l’estrade avant de suivre la grande oblique ascendante qui mène jusqu’au somment où apparaît le roi.

Les pairs c’est-à-dire les plus grands propriétaires fonciers royaume, acclament le nouveau roi et jurent de le défendre. Pourtant, par le passé, nombre d’entre eux ont servi l’Empire avec tout autant de ferveur…

Les vénérables cardinaux ont droit de siéger près du trône, au premier plan. Charles X considère l’Eglise comme un appui essentiel à sa politique réactionnaire et prône l’obéissance totale au pape : cest l’ultramontanisme

Gérard ajoute beaucoup de mouvement aux figurants pour traduire l’enthousiasme de l’assistance galvanisée, mais aussi , plus pragmatiquement, pour animer son tableau : broderies chatoyantes, capes virevoltantes, épées tournoyantes, froufrou de plumes, etc. Au-delà de ces problèmes pratiques, l’intention de Gérard est de se distinguer de son maître David qui a peint le modèle absolu en matière de peinture de sacre : Le sacre de Napoléon (1807, Louvre). Par ses effets d’animation et de clair-obscur, Gérard veut s’opposer au calme olympien choisi par David ; mais il ne parvient pas à trouver une composition originale, ce qui explique que son tableau fut critiqué comme une pâle imitation du maître. L’ombre de l’empereur est décidément inévitable…

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par l’histoire, les temps, les idées, les mœurs, les usages et les coutumes. La monarchie a péri, et la cathédrale a pendant quelques années été changée en écurie. Charles X, qui la revoit aujourd’hui se souvient-il qu’il a vu Louis XVI recevoir l’onction aux mêmes lieux où il va la recevoir à son tour ? Croirat-il qu’un sacre mette à l’abri du malheur ? Il n’y a plus de main assez vertueuse pour guérir les écrouelles, plus de sainte ampoule assez salutaire pour rendre les rois inviolables. » (François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre tombe, 1849-1850, Livre XXVIII, chapitreV)

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Chateaubriand analyse parfaitement la naïveté politique de Charles X, accusé d’avoir oublié les leçons de l’Histoire : non seulement le mémorialiste signale que depuis l’exécution de Louis XVI, la personne royale est largement désacralisée dans l’opinion, mais il rappelle aussi que pour la majorité des Français, la notion de sacre est désormais liée à Napoléon. En quête de légitimité politique, Napoléon avait en effet réussi à utiliser cette antique cérémonie à son profit en organisant son propre sacre le 2 décembre 1804. Mais il avait préalablement pris soin de délocaliser le sacre (à Notre Dame de Paris) et de l’actualiser en renonçant à certains rites trop surannés. En comparaison, le sacre de Charles X, qui veut respecter à la lettre la tradition médiévale, n’est qu’une mascarade ridicule et funeste. ■

Analyse Charles X sous le feu de la caricature

´3 min 30 Sur la hampe à fleur de lys, un drapeau parfaitement blanc, couleur du roi. Pas question d’introduire le rouge et le bleu, couleurs de Paris : le drapeau tricolore né sous la Révolution est interdit par la Restauration. Cette censure établit une véritable fracture au sein de la société : les royalistes et anciens émigrés regardent le drapeau tricolore comme le signe de ralliement d’une petite fraction politique (les républicains et les partisans de Napoléon), alors que ce drapeau est adopté depuis longtemps par une large partie de la société comme le symbole de la patrie et de la nation française libre face à une Europe monarchique et aristocratique. Censurer le drapeau, c’est ignorer le patriotisme et l’attachement aux valeurs de 1789. Cette incompréhension provient de l’émigration et du long exil des Bourbons sous la Révolution et l’Empire. Ils se verront toujours reprocher leur alliance avec les puissances étrangères contre la France pendant cette période, ainsi que leur retour « dans les fourgons de l’ennemi » en 1814.

Langlumé, Caricature contre Charles X

Ecrit à l’encre par Langlumé, dessinateur de cette lithographie : « Certifié conforme à l’édition, ce 30 août 1830 ». Le régime de Charles X vient de s’effondrer il y a quelques heures à peine, ce qui permet de s’en moquer impunément.

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Collerette de prêtre et chapelet : Charles X, « roi bigot » est critiqué pour sa piété jugée ostentatoire. Il favorise le retour des Jésuites et la formation de congrégations considérées par l’opinion libérale comme des agents occultes du pape et partisans de l’obscurantisme.

Normandie, mai 1830 : des incendies d’origine inconnue terrorisent la population. Les différents partis se rejettent la faute, ce qui finit d’électriser les tensions dans le peuple, déjà inquiet pour l’avenir : les récoltes s’annoncent très mauvaises, le prix du pain augmente chaque jour.

La Charte est piétinée, bafouée. Le roi a une lecture très autoritaire du texte. Il ne se sent nullement responsable devant le Parlement instrumentalisé en docile serviteur tout juste bon à valider les lois sans discuter. Le 25 juillet 1830, le roi profite de l’article 14 pour légiférer sans l’aval des députés. Et comme la part croissante de libéraux à la Chambre ne lui plaît pas, il la dissout avant même qu’elle ait pu se réunir.

lithographie, 1830, Paris, musée Carnavalet

Les maréchaux Ney , Brune et le général Mouton-Duvernet, grands militaires de l’Empire, victimes de la « Terreur blanche » : c’est le nom que l’on a donné à l’épuration qu’effectue l’administration royaliste après les Cent Jours. Tous les traîtres ayant servi « l’usurpateur » Napoléon en 1815 sont poursuivis. Arrêtés et jugés sommairement, ces trois anciennes gloires de l’Empire sont fusillées : Ney dès décembre 1815, Brune et Mouton-Duvernet en juillet 1816. Ces exécutions sont une revanche contre Napoléon qui, en 1804, avait ordonné l’exécution du duc d’Enghien soupçonné de fomenter un complot royaliste.

« Imité d’une caricature faite contre Napoléon » : Les royalistes avaient fustigé Napoléon, présenté comme « l’ogre » sanguinaire qui fit de l’Europe une boucherie. C’est au tour de Charles X de devenir ici la cible du caricaturiste Langlumé manifestement très attaché à l’Empire.

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Le bras de fer mars-juillet 1830 Des remontrances à la crise de régime L’adresse des 221

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F

ace à cette monarchie en rupture avec la société nouvelle attachée aux idéaux de 1789, une part croissante de la population se mobilise et les libéraux progressent rapidement aux élections.

Conflit avec le parlement

L’attitude méprisante du roi à l’égard du Parlement mène au conflit ouvert en mars 1830 : 221 députés libéraux remettent au roi une plainte. Sans remettre en cause la monarchie et en gardant un ton très poli, ils reprochent cependant la dérive réactionnaire du régime et réclament une application de la Charte qui soit plus respectueuse envers la nation. C’est la réponse cassante du roi qui transforme une simple crise politique en crise de régime : il refuse que l’on critique son gouvernement. Pour la première fois depuis 1815, le pouvoir royal essaie de maintenir un gouvernement contre l’avis explicite

Les ordonnances du 25 juillet

des représentants de la nation. Le brasde-fer commence : Charles X, mécontent, dissout la Chambre des députés le 16 mai ; …mais la nouvelle Chambre réélue début juillet compte encore plus de libéraux résistants qu’auparavant ! Excédé, le roi opte pour la solution la plus autoritaire : poussé par son fidèle ami Polignac qui dirige le gouvernement depuis un an, il considère que la sûreté de l’Etat est en danger. Le roi fait jouer l’article 14 de la Charte qui l’autorise exceptionnellement à concevoir et exécuter des mesures importantes sans demander l’avis du Parlement : ces textes ne portent pas le nom de loi, ce sont des « ordonnances ».

3. Une modification de la loi électorale. Le calcul de l’impôt est modifié dans le but de diminuer le nombre d’électeurs : 25 000 propriétaires terriens peuvent toujours voter, mais de nombreux commerçants et bourgeois d’affaires sont écartés. En outre, le vote n’est pas secret, ce qui laisse la place à toutes les formes de pression. 4. Les nouvelles élections sont fixées en septembre. C’est l’été, il fait très chaud, les députés sont pour la plupart en congé à la campagne. Le roi, hors de Paris, à l’abri en son château de Saint-Cloud, considère qu’il a les mains libres et que la résistance sera molle. Effectivement, la protestation des quelques députés et intellectuels qui se trouvent à Paris ne joue aucun rôle : ils se réunissent de nombreuses fois mais sont Les ordonnances du 25 juillet incapables de prendre une décision. Elles annoncent : Là où Charles X fait erreur, c’est 1. La censure totale de la presse ; qu’il a oublié la réactivité d’un ac2. La dissolution de la Chambre teur historique resté muet depuis 35 qui vient d’être élue ; ans : le peuple de Paris. ■

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Analyse Attention trône glissant...

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Un ministre du gouvernement Polignac, tenant son portefeuille. Il porte l’habit de cour, veste brodée, culotte, bas de soie et souliers vernis, selon un style proche de l’Ancien régime. Derrière lui, un prêtre jésuite, en soutane noire et tricorne. Noblesse et Eglise sont les deux piliers sur lesquels Charles X appuyait son pouvoir.

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Lemercier, Cette canaille de peuple fait quelquefois des plaisanterie de bien mauvais ton !, lithographie, 1830, Paris, musée Carnavalet

Le peuple qui fait basculer Charles X de son trône, est représenté par trois hommes arborant la cocarde tricolore. De gauche à droite : un bourgeois libéral, en redingote et haut-de-forme; un garde national en uniforme ; et un artisan en manche de chemise, gilet, pantalon rapiécé et savates.

Charles X, tiré par le peuple, s’accroche au trône. Il est retenu par ses partisans au moyen d’une banderole sur laquelle figure « ordonnances du 25 juillet » : à force de le retenir, elle finit par l’étrangler… Cette caricature a été réalisée au lendemain de la révolution de 1830.

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Les Trois Glorieuses

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Analyse Une bataille en plein Paris !

Depuis le matin du 28 juillet, le drapeau tricolore flotte à nouveau, après 15 ans d’interdiction. Il symbolise la liberté de la nation souveraine. C’est un signal fort qui galvanise et mobilise la population. La solidarité des Parisiens des quartiers populaires est visible : de nombreux habitants jettent tout ce qu’ils peuvent pour arrêter l’avancée des troupes du roi : pots, meubles, tuiles…

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Une charge de cavalerie royale tente d’encercler la porte Saint-Martin. Hippolyte Lecomte, bien oublié aujourd’hui, était un peintre spécialisé dans les batailles et avait commencé sa carrière sous l’Empire, période faste en matière militaire. Il adapte ici son expérience au service d’une bataille inédite dans les rues de Paris. Au Salon de 1831 où il expose ce tableau, le public se passionne pour les multiples anecdotes et la précision documentaire des costumes.

Hippolyte Lecomte, Combats de la porte Saint-Denis, 28 juillet 1830, huile sur toile, 1830-31, Paris, musée Carnavalet

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En fort contraste avec les rangs ordonnés des troupes royales, les insurgés tirent dans le désordre. Ils sont au premier plan, de dos, alors que l’adversaire est au loin, en marge du tableau : en nous plongeant dans les rangs des insurgés, le peintre nous fait partager leur point de vue et prendre parti pour eux.

Comment les 10 000 insurgés se sont-ils procurés des armes ? Baïonnettes et besaces à bandoulière blanche ont été pillées par la foule dans les arsenaux la veille, ou bien volées sur des cadavres de soldats royaux. La baïonnette modèle 1816 que tient cet homme est exactement celle que tient la Liberté dans le tableau de Delacroix.

Un élève de l’Ecole Polytechnique, en uniforme et bicorne. Souvent fidèles à Napoléon qui a donné un statut militaire à leur école, près de 70 polytechniciens ont participé aux combats. Leur connaissance du génie militaire et des techniques de combat en font souvent les chefs de bataillons improvisés.

Les barricades, amas de pierres, tonneaux, poutres et chariots qui entravent les rues, ont été construites dans la nuit du 27 au 28 juillet. L’été 1830 correspond à une période de crise économique, Paris compte de nombreux ouvriers souvent issus du secteur du bâtiment mis au chômage après interruption des chantiers : autant de matériaux disponibles et de main-d’oeuvre capable d’édifier des barricades en peu de temps !

Qui sont ces hommes en chemise et tablier ? On peut le savoir en examinant la condition sociale des morts de 1830 : plus des 2/3 sont artisans, ouvriers d’ateliers et de manufactures. En leur laissant la part belle au détriment des bourgeois en haut-de-forme, le peintre traduit fidèlement le rôle majoritaire du petit peuple dans les combats.

<- Léon Cogniet, Les drapeaux, 1830, huile sur toile, Orléans, musée des Beaux-Arts

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Echec au roi Une fédération spontanée entre ouvriers et petite bourgeoisie

T

rois journées - les 27, 28 et 29 juillet 1830 - appelées « Trois Glorieuses » ont suffi pour renverser Charles X. Une révolution que personne ne pouvait encore prévoir le 26 juillet.

La presse, instigatrice des Trois Glorieuses 17

Le mouvement prend naissance dans les bureaux de rédaction de journaux et des ateliers d’imprimerie. Les journalistes, directement touchés par la censure se réunissent dans les bureaux du journal Le National le 26 juillet. Journaliste libéral, Adolphe Thiers rédige une protestation collective signée par 44 collègues. Sans remettre toutefois en cause le pouvoir royal, ils dénoncent « un coup d’état » et décident de continuer les parutions malgré l’interdiction. Le 27 juillet au matin, le préfet de police punit les contrevenants : il fait confisquer les épreuves, briser les presses, et lance des mandats contre les journalistes. Des incidents se produisent, on recueille les premiers morts : c’est le début des « Trois Glorieuses ».

L’agitation des journalistes fait des émules parmi les ouvriers typographes, au chômage depuis la suspension de la liberté de la presse. À leur tour, ils influencent le milieu ouvrier parisien résidant dans les quartiers populaires du Centre, de l’Est et du NordEst de Paris, inquiets pour leur avenir. En effet, leur colère prend d’autant plus facilement d’ampleur qu’une forte récession touche l’économie après

dix ans de relative prospérité. Depuis 1828, les salaires moyens dans l’industrie baissent. L’été 1830 correspond à une forte hausse du prix du pain et une recrudescence du chômage (voir schéma ci-contre). Mais le phénomène déterminant est l’alliance de la petite bourgeoisie. Artisans, patrons d’ateliers, commerçants et manufacturiers pactisent avec leurs employés. En effet, cette classe

Le feu aux poudres

On peut s’étonner du fait qu’une crise concernant le parlement et le milieu de la presse prenne autant d’ampleur et provoque en quelques heures le soulèvement de près de 10 000 insurgés.

Hippolyte Lecomte, Combats rue de Rohan, 29 juillet 1830, huile sur toile, 1831, Paris, musée Carnavale

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qui a développé son activité et sa fortune grâce à la Révolution, est excédée par le manque de libertés et par le fait que la Restauration semble leur refuser toute existence sur l’échiquier politique. Les commerçants par exemple, sont les premiers écartés par la modification du système électoral fixée par les ordonnances du 25 juillet. Encouragés, les ouvriers se joignent alors à la foule des émeutiers, qui se répandent dans les rues de Paris aux cris de « Vive la Charte, à bas les minis-

et ´3 min 40

tres ! », pourtant mot d’ordre de l’élite libérale. Des étudiants, lassés du carcan moral et religieux dans lequel l’enseignement supérieur est enfermé, les rejoignent. Les insurgés s’organisent et comptent sur la solidarité des Parisiens. Dans les immeubles, on distribue par exemple ce genre de papillon : « Français, Tous moyens de défense sont légitimes. Dépaver les rues, jeter les pavés çà et là à un pied environ de distance, afin de ralentir la marche de la cavalerie et de l’infanterie, monter au premier, deuxième et tous étages supérieurs autant de pavés que possible, au moins vingt à trente pavés par croisée, attendre tranquillement que les bataillons soient engagés au milieu des rues avant de faire aucune décharge. Que tous les Français laissent leurs portes, couloirs et allées ouverts pour le refuge de nos tirailleurs, et porter aide; que les habitants soient de sang-froid et sans crainte. La troupe n’osera jamais y pénétrer, trop assurée d’y trouver la mort. Il serait bien qu’il restât un individu à chaque porte, pour protéger l’entrée et la sortie de nos tirailleurs. Français, notre salut est dans nos mains, voudrions-nous l’abandonner ? Qui de nous préfère la mort à l’esclavage ! »

re les émeutiers. Le 27 juillet aprèsmidi, l’insurrection est déclenchée : quelques républicains et des élèves de l’Ecole Polytechnique nostalgiques de l’Empire prennent spontanément la tête des insurgés. Dans la nuit du 27 au 28 juillet, les barricades s’érigent. Au matin du 28 juillet, les rues étroites du vieux centre de Paris sont hérissées de barricades ; le drapeau tricolore, symbole de la Révolution française, flotte sur Notre-Dame. Les combats font rage toute la journée. A midi, les insurgés parviennent à s’emparer de l’hôtel-de-ville. Le 29 juillet, les émeutiers sont maîtres du Louvre et du palais des Tuileries. Le gouvernement se replie à Saint-Cloud où le roi réside avec sa cour. Le peuple parisien a payé un lourd tribut : on estime le nombre de tués à un millier, parmi lesquels 800 insurgés (dont les deux tiers travaillaient dans les ateliers artisanaux ) et 200 soldats. Le nombre des blessés s’élève à près de 5000. Mais le résultat est aussi spectaculaire qu’imprévu : c’est bien le peuple parisien qui a précipité la chute de Charles X, renouant ainsi avec les journées d’émeutes de 1792 qui avaient fait la force des sans-culottes.

Une révolution ratée ?

Dépossédé de sa capitale, Charles X n’a pourtant pas conscience de la gravité des événements. Il pense qu’il suffit d’annuler les ordonnances et de former un nouveau gouvernement pour calmer le peuple ; alors que c’est un changement complet de régime que réclament les insurgés rassemblés devant l’hôtel-de-ville. Mais quel doit être ce régime ? Et qui figurera à sa tête ? Alors qu’une minorité s’agite pour réclamer la république, c’est finalement à une nouvelle monarchie constitutionnelle qu’aboutit la révolution : la Charte de 1814 Résumé des combats Le gouvernement confie le com- est réaménagée et c’est un cousin de mandement des troupes militaires de Charles X qui monte sur le trône. Les Paris au maréchal Marmont, person- Trois Glorieuses sont-elles un échec ? nage très impopulaire, ce qui exaspè- Qui en a décidé l’issue ? ■ Le supplément historique de la vidéo à voir gratuitement sur www.canal-educatif.fr - Acheter/imprimer ce document ?

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Une révolution escamotée ? Comment la solution Louis-Philippe s’impose....

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a mobilisation du petit peuple de Paris ne contient pas, en elle-même, de solution politique. Mais à partir du 28 juillet, un nombre croissant d’émeutiers défile au cri de « Vive la République ! ». La perspective d’un tel régime, synonyme de Terreur dans

les mémoires, fait frémir nombre de députés libéraux et de banquiers réunis à l’Hôtel-de-ville. Ils comprennent que le régime de Charles X est irrémédiablement tombé, mais hésitent sur le nouveau chef à choisir pour que le pouvoir ne leur échappe pas.

La Fayette, espoir déçu

Les plus progressistes se tournent vers La Fayette, pourtant espoir des républicains, mais qui a traversé les différents régimes — Révolution, Empire, Restauration — et derrière qui l’unanimité peut se faire. Mais La Fayette hésite : d’une part, il craint de possi-

Eugène Devéria, Louis-Philippe prête serment, le 9 août 1830, huile sur toile (détail), musée national du château de Versailles ´13 min 32

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bles représailles royalistes et d’autre part, peine à prendre la direction d’un mouvement qui le dépasse. Pendant ce temps, les députés libéraux attachés au principe monarchique prennent discrètement contact avec le duc

d’Orléans, cousin de l’ex-roi. La solution orléaniste profite ainsi de l’immaturité du mouvement républicain, et réussit grâce à la détermination des grands banquiers parisiens. Elle tient aussi au volte-face

de La Fayette, espoir des républicains, qui, le 31 juillet, devant la foule rassemblée face à l’Hôtel de Ville, apporte au duc d’Orléans la caution de l’héritage révolutionnaire. ■

Date

Evénements

26 juillet au matin

Publication des ordonnances royales à Paris.

26 juillet au soir

Réunions de journalistes, avocats et députés libéraux qui rédigent des protestations. Quelques attroupements.

27 juillet au matin

Publication des protestations bravant les ordonnances. Le préfet de police ordonne la saisie des presses et l’arrestation des protestataires.

27 juillet après-midi

Heurts avec la police, manifestations. Les députés libéraux se réunissent encore mais n’arrivent pas à se décider pour une opposition claire contre le gouvernement.

27 juillet au soir

Premiers tirs venant des troupes royales. Premiers manifestants morts, l’insurrection populaire commence.

Nuit du 27 au 28 juillet

Des barricades sont élevées dans le centre et l’est de Paris.

28 juillet au matin

Le drapeau tricolore sort de la clandestinité, les armureries sont pillées par les émeutiers. Charles X met Paris en état de siège, le gouverneur de Paris déploie ses troupes pour détruire les barricades.

28 juillet à midi

Les émeutiers prennent l’Hôtel-de-Ville, contrôlent le centre et l’est de Paris.

28 juillet au soir

Une négociation de paix entre une délégation de députés et le gouverneur de Paris échoue. Les troupes se replient sur le Louvre et les Tuileries.

Nuit du 28 au 29 juillet

De nouvelles barricades s’élèvent. Certains députés libéraux prennent contact avec Louis-Philippe d’Orléans, cousin de Charles X, résidant à Neuilly.

29 juillet au matin

Les combats reprennent, les troupes royales perdent le contrôle du Louvre et des Tuileries. Les insurgés sont maîtres de Paris. Le roi retire les ordonnances.

29 juillet après-midi

Rassemblés devant l’hôtel-de-ville, les insurgés acclament La Fayette et réclament une république. Plutôt qu’un gouvernement républicain, les députés libéraux désignent une Commission municipale dont les principaux membres sont deux banquiers (Jacques Laffitte et Casimir Périer) et nomment La Fayette commandant de la garde nationale. La Commission et La Fayette s’installent à l’Hôtel de Ville.

30 juillet au matin

Un groupe de députés libéraux fait placarder dans Paris une proclamation en faveur du duc d’Orléans.

30 juillet dans la journée

Quelques républicains, forts de la victoire du peuple, envisagent, à l’Hôtel de Ville, de nommer un gouvernement provisoire avec La Fayette à sa tête, ainsi que l’élection d’une assemblée constituante. La Fayette hésite.

30 juillet au soir

Le duc d’Orléans caché dans son château du Raincy, accepte la proposition des députés libéraux et rentre discrètement dans Paris.

31 juillet au matin

Charles X cède à la panique, quitte Saint-Cloud et se réfugie à Rambouillet. Le duc d’Orléans accepte d’être nommé lieutenant général du royaume. Colère des républicains.

31 juillet après-midi

Louis-Philippe se montre pour la 1 fois au public à l’Hôtel-de-Ville. La Fayette se rallie à lui, tous deux apparaissent au balcon. La tentative républicaine est définitivement écartée.

2 août

Charles X abdique à Rambouillet au profit de son petit-fils, le duc de Bordeaux qui devient Henri V. Le duc d’Orléans est nommé régent en attenant la majorité du jeune Henri. Louis-Philippe rejette cette proposition et déclare s’en remettre à la décision des Chambres qui lui sont toutes acquises.

3 août

La Charte de 1814 est révisée par les Chambres.

7 août

La Charte révisée est adoptée par un vote à la Chambre des députés puis à la Chambre des Pairs.

9 août

Louis-Philippe Ier prête serment : « En présence de Dieu, je jure d’observer fidèlement la Charte constitutionnelle, avec les changements et modifications exprimés dans la déclaration de la chambre des députés, de ne gouverner que par les lois et selon les lois, de faire rendre bonne et entière justice à chacun selon son droit, et d’agir en toutes choses dans les seules vues de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. ». Par un vote, et devient « roi des Français » par un vote des députés.

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La Monarchie de Juillet

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Analyse Un prince passe, un autre le remplace´12 min 39 Labastide et Fonrouge, S.A.R. Mgr le Duc d’Orléans embrassant le général Lafayette..., lithographie, 1830, Paris, musée Carnavalet

Sur les drapeaux tricolores, apparaissent les mots « Liberté »,« ordre public », ainsi qu’un coq gaulois. Après les désordres de la révolution, c’est le retour au calme, à l’union d’un peuple autour des principes de liberté et de patriotisme.

Le général Lafayette embrasse LouisPhilippe en déclarant au peuple : « Voilà le prince qu’il nous fallait ». Du haut de ses 73 ans, Lafayette est considéré comme le patriarche de la démocratie française. Il s’était illustré dans les années 1780 à la guerre d’indépendance américaine; il joua un rôle important au début de la Révolution française en dirigeant la garde nationale. Activiste libéral et républicain sous la Restauration, il apparaît en 1830 comme l’homme providentiel, le sage en qui reposent notamment les espoirs républicains. Mais Lafayette reste prudent et préfère accepter la monarchie constitutionnelle de LouisPhilippe.

Article Wikipédia La Fayette

Louis-Philippe d’Orléans, 57 ans, cousin de Charles X, porte l’uniforme de hussard. Malgré cette apparence militaire, il n’a pas participé aux combats révolutionnaires et n’apparaît sur le devant de la scène politique qu’au lendemain des Trois Glorieuses : c’est dans la nuit du 30 au 31 juillet qu’il quitte son château de Neuilly et arrive à Paris. Prudent, il a attendu que les députés libéraux, effrayés à l’idée d’un coup d’Etat des républicains, l’invitent à prendre le pouvoir.

« ...sur la terrasse de son palais le 30 juillet 1830 ». Date et lieu sont erronés : Louis-Philippe n’était pas à Paris le 30 juillet. Sa première rencontre avec Lafayette eut lieu le lendemain, à l’Hôtel-de-ville ; c’est seulement le 7 août qu’ils apparurent de nouveau en public sur la terrasse du Palais-royal, résidence du duc d’Orléans. L’éditeur de cette gravure populaire a antidaté cet événement pour davantage impliquer le duc dans la révolution. Vus l’obséquiosité de la formule employée pour le désigner (« Son Altesse Royale Monseigneur... »), l’éditeur a sans doute le désir de plaire au nouveau souverain, à moins que ne lui ait commandé cette estampe.

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A qui profite la révolution ? La Charte : un contrat de garantie pour la bourgeoisie...

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L

La Charte de 1830

es Trois Glorieuses ont rendu nécessaire une révision constitutionnelle, ne seraitce que pour retirer au roi le droit de faire des ordonnances. Le principe de monarchie constitutionnelle bicamériste « à l’anglaise » n’est pas remis en cause. Le 3 août 1830, les deux Chambres estiment donc suffi-

Les libertés

Pouvoir exécutif

Pouvoir législatif

Système électoral

Pour Guizot, principal théoricien du nouveau régime, il est en effet impossible de nier l’existence d’une société nouvelle issue de la Révolution française et fondée sur l’égalité civile, de même que le gouvernement doit Des progrès incontestables être fondé sur le principe représenDe prime abord, le nouveau texte tatif. semble s’inspirer des idées de 1789. Le titre de roi de France est supprisant d’aménager la Charte de 1814 selon une orientation plus libérale; la nouvelle Charte est promulguée le 14 août 1830. Comparaison :

Charte de 1814

Charte de 1830

Liberté de pensée et de la presse (en réalité, censure)

Suppression de la censure - Liberté de pensée et de la presse

Liberté religieuse, mais la religion catholique est « religion de l’Etat »

Liberté religieuse. Le catholicisme est la religion « de la majorité des Français »

Egalité devant la loi

Egalité devant la loi

« Roi de France » par la grâce de Dieu

« Roi des Français » par la volonté de la nation

La Charte est octroyée par le Roi à son peuple.

Le roi est reconnu héréditaire mais doit prêter serment d’observer la Charte pour devenir roi.

« Le Roi fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’Etat . »

Le recours aux ordonnances est limité.

« La puissance législative est exercée collectivement par le Roi, la Chambre des pairs et la Chambre des députés des départements. »

« La puissance législative est exercée collectivement par le Roi, la Chambre des pairs et la Chambre des députés des départements. »

« Le Roi propose la loi. »

« La proposition des lois appartient au roi, à la Chambre des pairs et à la Chambre des députés. »

Les lois sont votées par les deux Chambres.

Les lois sont votées par les deux Chambres.

Les députés (40 ans minimum) sont élus pour cinq ans.

L’âge minimum est abaissé à 30 ans.

Suffrage censitaire masculin

Suffrage censitaire masculin

Un électeur doit avoir plus de 30 ans et payer le cens (+ de 300 francs d’impôts)

Le cens est abaissé à 200 francs, de même que l’âge (25 ans).

= 90 000 hommes concernés

Le nombre d’électeurs est porté à 170 000.

NB : En 1830, on compte 30 millions d’habitants en France.

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mé au profit de celui de roi des Français. L’Ancien Régime ne peut plus être restauré : le roi n’est plus sacré, la souveraineté appartient donc à la nation, qui la lui délègue. La Charte devient un contrat entre la nation et le roi. Ceci souligne la volonté de Louis-Philippe d’incarner la figure d’un roi-citoyen, volonté symbolisée par le rétablissement du drapeau tricolore. Les prérogatives du pouvoir législatif sont un peu étendues. Les grandes libertés sont confortées. Le droit de vote, enfin, semble s’étendre.

par les députés, ni les légitimistes qui méprisent ce lointain cousin des Bourbons, vulgaire « roi des barricades ». La préoccupation essentielle du nouveau régime sera d’acquérir prestige et légitimité. Les débuts de la monarchie de Juillet sont difficiles. Sans réelle assise populaire, sans légitimité historique, le régime n’a que deux atouts : l’aspiration de la bourgeoisie à la stabilité institutionnelle et sociale d’une part, et d’autre part, quoi qu’on ait pu en dire, l’intelligence politique de LouisPhilippe.

Victoire de la bourgeoisie

Qui est Louis-Philippe ?

Néanmoins, le changement institutionnel reste mince. Les Chambres, élues au suffrage censitaire, ne représentent pas la nation, mais sont formées d’hommes jugés supérieurs par la fortune ou l’éducation, que la propriété rend capables d’agir selon la raison, pense-t-on alors. La composition de la Chambre des députés n’évolue que modestement. Si le poids des propriétaires a reculé, le nombre de ceux qui appartiennent aux professions libérales s’est sensiblement renforcé. Rien à voir par conséquent avec la démocratie espérée par certains lors des Trois Glorieuses. L’esprit de 1789 est rétabli, celui d’une révolution bourgeoise qui exclut désormais que l’aristocratie monopolise les fonctions politiques, ce qui est encore la règle dans le reste de l’Europe. La monarchie de Juillet marque donc sans conteste le triomphe de la bourgeoisie.

de la Charte et soutien de la bourgeoisie.

Stratégie de séduction

Mais il cherche rapidement à rallier d’autres camps à sa cause, dans un souci de réconciliation nationale : Il tend d’abord la main aux bonapartistes devenus inoffensifs politiquement depuis la mort de l’Aiglon en 1832. Louis-Philippe ordonne en 1840 de rapatrier les cendres de Napoléon, transférées en grande pompe de l’île de Sainte-Hélène jusqu’aux Invalides à Paris. Auparavant, en 1833, une nouvelle statue de Napoléon avait été placée en haut de la colonne Vendôme. Louis-Philippe veut également séduire les monarchistes légitimistes, attachés à la branche aînée des Bourbons et qui le méprisent : il fait restaurer le château de Versailles, rend hommage à l’ancienneté et à la valeur de l’aristocratie en créant la salle des Croisades. Ce rassemblement de diverses tendances a pour principal but d’isoler l’ennemi le plus dangereux de la monarchie de Juillet : le camp républicain. ■

Rien, en effet, ne destine le duc d’Orléans au pouvoir. Fils de Philippe-Egalité qui vota la mort de Louis XVI, soldat dans les armées révolutionnaires jusqu’en 1792, il demeure suspect aux monarchistes et ne peut se réclamer d’aucune légitimité dans la succession au trône. Durant la Restauration toutefois, la vie simple de rentier aisé qu’il affecte de mener lui attire les sympathies de la bourgeoisie libérale. Vêtu en bourgeois, redingote noire, chapeau gris, parapluie à la mode anglaise, sa simplicité vestimentaire, par delà les moqueries qu’elle suscite, contribue à sa réputation de « duc-citoyen ». Cette attitude suffit, en juillet 1830, pour que les députés libéraux, effrayés par la perspective républicaine, voient en lui un recours providentiel. Le principal allié du roi est la bourgeoisie libérale à qui Louis-Philippe rappelle, dès le début de son règne, son souci de défendre ses intérêts. Au début de son règne, le roi apparaît souUn démarrage périlleux vent en uniforme de la garde nationale. Le nouveau régime s’apparente à La garde nationale, milice citoyenne et une monarchie élective, bien qu’elle dont le peuple est le plus souvent exsoit aussi héréditaire, ce qui est contra- clu car il faut payer son équipement, dictoire et qui illustre les incertitudes soutient Louis-Philippe et le nouveau sur la légitimité du pouvoir. Cette mo- régime dès juillet 1830. D’un recrutenarchie, qu’on appelle « de juillet » ment très bourgeois, elle garantit l’orfaute de définition précise, ne rallie dre dans la capitale en dispersant les en définitive ni les élites dirigeantes, rassemblements les plus tumultueux. effrayées par la souveraineté du peu- Louis-Philippe se veut donc à la fois ple, ni les ouvriers républicains ignorés héritier de la Révolution, défenseur Le supplément historique de la vidéo à voir gratuitement sur www.canal-educatif.fr - Acheter/imprimer ce document ?

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Louis-Philippe, roi de tous Analyse d’une opération séduction… ´11 min 02 et 13 min 13 Le roi-citoyen arbore fièrement le grand cordon de la Légion d’Honneur – créée par le consul Bonaparte en 1802 – sur son uniforme bleu-blanc-rouge de lieutenant général de la garde nationale – milice bourgeoise créée en 1789. Il réunit ainsi l’héritage de la Révolution et de l’Empire. Dans sa jeunesse, il a servi dans les armées révolutionnaires, contribuant aux victoires de Valmy et Jemmapes en 1792.

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Le roi mime le serment qu’il a prêté le 9 août 1830 devant les députés et les pairs réunis. Pour Louis-Philippe, pas de couronnement ni de sacre, aucune cérémonie religieuse, seulement une courte cérémonie laïque : le serment solennel de respecter la Charte, suivi d’un vote des Chambres accordant le titre de roi des Français.

La Charte de 1830, posée bien en évidence sur un coussin, remplace les attributs royaux archaïques : couronne, sceptre et main de justice n’apparaissent que de manière très discrète et symbolique, au fond de l’image, surmontant le dossier du trône.

François Gérard, Louis-Philippe Ier, roi des Français, prêtant serment sur la Charte de 1830, huile sur toile, 1833, musée national du château de Versailles

Un palais imaginaire, de facture néoclassique, rideau rouge et colonne : attributs traditionnels des portraits de souverain. Mais le trône ne porte plus de fleurs de lys sur fond bleu : le dossier rond, les initiales et la couronne de lauriers brodées sur le velours rouge du dossier évoquent plutôt le trône de Napoléon. Le peintre Gérard, âgé de 63 ans, a traversé tous les régimes tout en restant portraitiste officiel de Napoléon, Louis XVIII et Charles X. Louis-Philippe le reprend à son compte et lui demande un portrait qui fusionne l’héritage révolutionnaire, impérial et royal en une synthèse inédite.

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les Français ? Ce palais n’a rien d’imaginaire : il s’agit du château de Versailles, que Louis-Philippe fait considérablement réaménager à partir de 1833 afin d’installer un musée dédié à « toutes les gloires de France ». La galerie des Batailles, centre névralgique du musée, rassemble toutes les victoires françaises, de Clovis à Napoléon. Elle rivalise d’ampleur avec la Galerie des Glaces qui exaltait les victoires de Louis XIV.

Le plan déroulé montre la galerie des Batailles, inaugurée en 1837. A côté, des esquisses de tableaux de batailles et une statue de Jeanne d’Arc. Ce personnage historique qui a droit à la place d’honneur au centre de la galerie: c’est un modèle de chef de guerre pieux et patriote à la fois. Cette statue est d’autant plus chère au roi qu’elle a été sculptée par sa propre fille, la princesse Marie d’Orléans, décédée trois ans auparavant. Louis-Philippe se considère lui-même comme architecte et principal mécène des arts de son temps. Il démontre ici le rôle artistique de la dynastie des Orléans.

Le roi n’arbore plus l’uniforme bleu-blanc-rouge de la garde nationale, mais celui de chef des armées: noir, rouge et or. Louis-Philippe prend ses distances avec la révolution de 1830 et les symboles de 1789.

Franz-Xaver Winterhalter, Louis-Philippe Ier dans la galerie des batailles, huile sur toile, 1841, musée national du château de Versailles A la place du trône, un fauteuil en bois doré style Louis XIV, évocation directe du roi-Soleil dont Louis-Philippe admire la grandeur et le talent de chef d’Etat. Il s’agit de prouver que les Orléans sont capables de réalisations aussi grandes et prestigieuses que leurs aînés, les Bourbons. Louis-Philippe souhaite faire oublier que son règne est né sur les barricades d’une révolution populaire.

La signature du peintre : Winterhalter, un jeune artiste allemand choisi pour remplacer le vieux Gérard, mort en 1837. Louis-Philippe le privilégie car Winterhalter est le portraitiste préféré des têtes couronnées européennes, notamment de la reine Victoria d’Angleterre avec laquelle la France établit l’Entente cordiale en 1834. Ce portrait illustre la politique de prestige du roi qui se tourne vers l’idéal aristocratique et les valeurs militaires : son principal souci est de défendre sa dynastie et de l’imposer parmi les plus grandes familles régnantes d’Europe, notamment grâce aux alliances matrimoniales de ses enfants.

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1830, un héritage devenu embarrassa

Analyse Exemple d’une reconstruction de l’événement ´10 min 30

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Amédée Bourgeois, Prise de l’Hôtel-de-Ville, le 28 juillet 1830, huile sur toile, 1831, musée national du château de Versailles. © RMN

Un gamin de Paris à béret et gilet tirant au pistolet : plus soigné que celui peint par Delacroix. On assimile souvent ces gamins au personnage que Victor Hugo décrit dans Les Misérables, : Gavroche qui se bat et qui meurt sur les barricades. Toutefois, il ne s’agit pas des barricades de 1830: ce sont celles de l’insurrection populaire de 1832.

Au premier plan, en pleine lumière, un blessé léger, pansé par un médecin dont la trousse ouverte est posée par terre. Une image de solidarité entre un homme du peuple et un bourgeois : au-delà de leurs différences vestimentaires, ils portent tous deux la cocarde tricolore: le tableau célèbre les vertus du patriotisme, ferment d’une société unie. Cette petite scène émouvante fait oublier les deux cadavres qui se trouvent juste derrière.

Ce soldat est issu des troupes royales mais s’est rallié aux insurgés. Sa présence permet de démontrer que Charles X faisait presque l’unanimité contre lui. Il apprend aux insurgés comment charger une baïonnette. Derrière lui, un garde national, issu de la milice bourgeoise que Charles X avait voulu dissoudre en 1827.

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Au centre exact du tableau, pas d’allégorie mais un homme qui brandit un drapeau tricolore. Il s’agit d’un fait véridique : le 28 juillet, vers 11h, la bataille fait rage, le peuple de Paris cherche à s’emparer de l’hôtel-de-ville, sa « maison ». Il y parviendra à midi, en suivant l’assaut courageux d’un jeune polytechnicien qui s’élance seul et se sacrifie. On le surnomme « Arcole » : c’est le nom d’une célèbre victoire remportée en 1796 en Italie par le général Bonaparte qui, selon la légende, s’était lancé à la tête de ses troupes sur le pont d’Arcole, muni du même étendard. Quinze ans après sa chute et neuf ans après sa mort, la légende napoléonienne, redevenue populaire, plane dans beaucoup d’esprits…

Un guerrier en armure : blague du peintre qui s’amuse à glisser des « erreurs » dans l’image ? Non, il s’agit là aussi d’un fait avéré : pris par le temps et le manque d’équipement moderne, certains insurgés ont improvisé en revêtant des antiquités trouvées dans les greniers. Une touche d’humour destinée à donner un caractère bon enfant au conflit.

Comme chez Delacroix, une seule femme dans le tableau : mais celle-ci est coiffée, convenablement habillée et calme ! Après avoir apporté des provisions dans un panier, elle porte secours au blessé, ce qui la place dans le rôle traditionnel de la femme, nourricière et infirmière, agissant à l’arrière du front comme les cantinières dans les armées. Corsage bleu, tablier blanc et jupe rouge donnent un accent patriote à son dévouement.

A part ces deux cadavres, les morts sont peu visibles, cachés ou plongés dans l’ombre. Les traces de sang restent discrètes. Par rapport au tableau de Delacroix, la mort est ici bien moins présente, et les cadavres parfaitement propres et décents. Le peintre évite soigneusement de choquer le spectateur par des détails désagréables.

Le peintre choisit de mettre en évidence cet homme armé, en manche de chemise mais avec un chapeau haut-de-forme noir ceinturé d’un ruban tricolore. Ni ouvrier ni grand bourgeois, sans doute un petit patron ou chef d’atelier : le modèle du petit propriétaire responsable, patriote et citoyen. Il incarne la classe sociale sur laquelle Louis-Philippe compte appuyer sa popularité.

Une reprise inversée de la scène touchante du premier plan : cette fois-ci, c’est l’homme du peuple qui porte secours au jeune bourgeois en redingote et cravate noires qui tient un sabre. Derrière eux, en veste verte, gibecière et fusil, un bourgeois utilise ses accessoires de chasse pour participer à la bataille. Par le grand nombre de chapeaux hauts-de-forme disséminés à travers l’image, le peintre semble insister sur un fort engagement de bourgeoisie. Les statistiques des victimes montrent pourtant que les bourgeois n’étaient qu’en minorité sur les barricades. L’enjeu du tableau est de montrer que 1830 est moins un sauvage soulèvement ouvrier qu’un légitime sursaut de la bourgeoisie pour l’idéal de liberté.

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es messages cryptés qui parsèment cette image ne sont pas dus au hasard car le tableau est une commande de Louis-Philippe d’Orléans, le vainqueur politique des Trois Glorieuses. Plus qu’une reconstitution, il s’agit d’une reconstruction de l’événement, telle que la souhaite l’élite du gouvernement. Tout en multipliant les effets de réel, le peintre parvient à faire oublier la violence et le désordre. Sous le ciel radieux de juillet, seuls comptent l’unité de la nation autour du drapeau et le désir de paix sociale. Cette adéquation parfaite aux souhaits du nouveau dirigeant vaudra au tableau d’Amédée Bourgeois le privilège d’entrer au château de Versailles. Destin qui sera toujours refusé à La Liberté de Delacroix.

Comment terminer 1830 ?

L’état de grâce du nouveau régime prend rapidement fin et un malaise s’installe durablement pendant les trois premières années. Le principal problème du gouvernement est de mettre enfin un terme à la révolution. En effet, dans les mois qui suivent les Trois Glorieuses, le désordre est permanent à Paris. Grâce à la levée de la censure, les journaux se multiplient, les révolutionnaires forment des clubs populaires se réclamant des clubs de la révolution de 1789. Le gouvernement est assailli de réclamations : les journaux de gauche demandent d’urgentes réformes sociales, un soutien aux mouvements révolutionnaires qui naissent en Belgique et en Pologne, et surtout la condamnation à mort des quatre ministres de Charles X responsables des ordonnances du 25 juillet. Les circonstances agitées de leur procès montre l’embarras du nouveau régime et l’atmosphère électrique qui règne au lendemain de la révolution.

Le procès des ministres

Les ex-ministres de Charles X ont été arrêtés fin août alors qu’ils cherchaient à quitter la France. Alors que Le supplément historique de la vidéo à voir gratuitement sur www.canal-educatif.fr - Acheter/imprimer ce document ?

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les républicains réclament leur tête, LouisPhilippe veut éviter toute peine capitale qui entraînerait selon lui une spirale de violence politique similaire à laTerreur de 1793. Alors qu’à la mi-octobre 1830, il propose l’abolition de la peine de mort pour raison politique, les républicains se soulèvent, l’intervention des forces de l’ordre est nécessaire pour empêcher les émeutiers de lyncher les ministres à Vincennes ou de mettre à sac le Palais-royal, résidence de Louis-Philippe. Les grèves, les manifestations se multiplient et aggravent le marasme économique. Malgré le vote d’un crédit de 5 millions pour relancer l’économie grâce aux travaux publics, le pays s’enfonce dans la crise. Lorsqu’au printemps 1832, une épidémie de choléra venue d’Asie s’abat sur Paris, la situation sociale est dramatique.

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En haut de la colonne, le Génie de la liberté, sculpté par Augustin Dumont. Nu, le font étoilé, il survole une sphère symbolisant le monde. Il tient d’une main le flambeau de la Vérité et de la Civilisation, et de l’autre, les chaînes brisées de la tyrannie. La liberté est donc représentée de manière inédite par une figure masculine, en rupture avec l’allégorie de la Liberté traditionnellement féminine telle que Delacroix l’avait reprise dans son tableau. En réalité, cette rupture est voulue par le pouvoir afin d’éviter toute confusion avec Marianne, personnification de la République. La monarchie de Juillet souhaite ainsi empêcher toute récupération révolutionnaire et républicaine de la commémoration de 1830. En vain, car la colonne de la Bastille est devenue ensuite un lieu de rassemblement populaire et républicain, d’où partent encore aujourd’hui de nombreuses manifestations.

Le Génie de Dumont au Louvre

Une colonne comme point final ?

Sous la pression de l’opinion, le gouvernement de Louis-Philippe ordonne la construction d’un monument rendant hommage aux combattants de 1830 morts pour la liberté. Après de multiples tergiversations, on choisit la place de la Bastille, lieu par excellence de combat pour la liberté depuis la prise de la forteresse du même nom en 1789. L’architecte Louis Duc conçoit une imposante colonne en bronze de 46m de hauteur, inspirée de la colonne Vendôme. Le chantier dure 7 ans, de 1833 à 1840. Mais le monument pose problème : d’un côté Louis-Philippe doit satisfaire le désir de reconnaissance du peuple qui lui a facilité l’accès au trône; toutefois, le gouvernement souhaite aussi surveiller étroitement le programme iconographique du monument. ■

La colonne est aussi un monument funéraire. Sur le fût figurent en lettres d’or le nom des héros morts. Sur la plaque du socle, au-dessus d’un lion sculpté par Antoine-Louis Barye, symbole du pouvoir du peuple, il est écrit : « A la gloire des citoyens français qui s’armèrent et combattirent pour la défense des libertés publiques dans les mémorables journées des 27, 28 et 29 juillet 1830. » Un escalier permet d’accéder à deux cryptes où sont inhumées 504 victimes de l’insurrection. On y déposera plus tard les victimes de la Révolution de 1848.

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Pourquoi les républicains font-ils peur ? Terrorisme, agitation : les républicains deviennent hors-la-loi

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es républicains ont fait partie des meneurs de 1830 mais, minoritaires, peu préparés et surpris par le volte-face de leur chef occulte Lafayette, ils ont dû accepter l’installation de Louis-Philippe. Ce qui ne les empêche pas de considérer qu’on leur a confisqué et détourné « leur révolution ». Les républicains se rangent donc d’emblée dans l’opposition de gauche.

Fauteurs de trouble

D’abord tolérés par le pouvoir, ils sont rapidement considérés comme subversifs. Le gouvernement retient contre eux les nombreuses émeutes où les républicains sont impliqués : en juin 1832, les obsèques du mathématicien Gallois, et surtout celles du général Lamarque sont l’occasion de rassemblements républicains qui tournent à une vaste émeute. Paris est mis en état de siège, l’armée intervient et fait 800 morts. A partir de cette date, l’étau se resserre : en 1833, le principal groupe républicain, l’Association des droits de l’homme, est officiellement dissout ; tout comme la Société des Amis du peuple fermée en 1832, elle devient société secrète. L’attentat raté du ré-

publicain corse Fieschi contre le roi lors du cinquième anniversaire des Trois Glorieuses provoque le coup de grâce : le 9 septembre 1835, la censure est rétablie et le républicanisme devient hors-la-loi. Il est désormais interdit de se dire « républicain ». Dès lors, l’opposition républicaine s’enterre dans la résistance clandestine et les coups de force comme en 1839, lorsque les plus extrémistes, Barbès et Blanqui, tentent un coup d’état, en vain. Les meneurs sont arrêtés et emprisonnés à vie, les sociétés traquées. Pourquoi une telle persécution ?

La question sociale

Les républicains ne forment pas un parti uni, nombreuses sont les associations et sociétés dirigées par des personnalités plus ou moins proches des idéaux socialistes, voire communistes : Raspail, Blanqui, Barbès. Mais tous ont pour point commun de souligner les contradictions de la monarchie de Juillet et son refus de prendre compte des nouvelles réalités sociales. Alors que les citoyens sont égaux en droit, pourquoi n’ont-ils pas tous le droit de voter leurs représentants nationaux ? Le combat pour le suffrage

universel masculin est fondamental pour tous les républicains. A une époque où les conditions de travail sont dramatiques pour les ouvriers, les républicains demandent des réformes sociales face à l’inertie totale des gouvernements successifs : l’unique loi sociale que la monarchie concède est, en 1841, l’interdiction de faire travailler les enfants de moins de 8 ans (moins de 13 ans pour le travail de nuit).

Un problème d’image

Les républicains auront toutefois du mal à se faire entendre : d’une part parce qu’ils sont un phénomène urbain, quasi inexistant dans les campagnes. D’autre part parce qu’ils ont une réputation négative d’émeutiers irresponsables, de meneurs de foule et comploteurs. Ce n’est qu’à la fin des années 1840 que réapparaît une frange républicaine parlementaire souvent issue des professions libérales (avocats, médecins), au programme social modéré. Ce sont Ledru-Rollin, Arago et Lamartine, qui deviendront les fondateurs de la Seconde République en 1848. ■

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Louis-Philippe et la Lib Analyse Le divorce est prononcé

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Honoré Daumier, Encore une fois, Madame,…, lithographie parue dans La Caricature n°57, 1832.

Pour être encore tolérée, dame Liberté a dû se calmer et se ranger : elle garde encore son bonnet phrygien mais s’habille convenablement comme une bourgeoise et vit enfermée dans un petit appartement cossu. Que reste-t-il de la glorieuse révolution de 1830 ? Sombrant peu à peu dans l’oubli, elle se résume à quelques reliques dérisoires (un pavé conservé sous globe) et autres petits objets-souvenirs kitsch à souhait : un porte-cartes avec les dates des Trois Glorieuses, une pendule Hôtel-de-ville, un éventail peint d’une scène de barricades.

La violence de Louis-Philippe, armé d’un gourdin, n’a pas de limite. Il vient de mettre à bas les journaux libéraux qui critiquent sa politique : La Tribune, Némésis et La Caricature. L’encrier renversé symbolise la liberté d’expression bafouée. Parmi les décombres, un buste en plâtre brisé : il s’agit du général La Fayette, doyen de la démocratie française, républicain convaincu, qui avait accepté l’accession de Louis-Philippe au pouvoir en échange d’un engagement pour le respect des principes de libertés de 1789.

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berté « Encore une fois, madame, voulez-vous ou ne voulez-vous pas divorcer, vous êtes parfaitement libre ! » Scène de ménage entre le roi-bourgeois Louis-Philippe et Mme Liberté, son épouse éplorée… Le mari la menace de son gourdin et lui impose le divorce. Daumier signifie ainsi que le roi ne respecte pas ses engagements formulés dans la Charte de 1830, sorte de contrat de mariage entre Louis-Philippe et la nation.

A

près Charles X, c’est au tour de Louis-Philippe de passer sous le crible des caricaturistes. Parmi eux, Honoré Daumier est resté le plus connu. Jeune dessinateur indépendant, Daumier est entré en décembre 1831 à la rédaction de La Caricature, principal organe d’opposition à Louis-Philippe.

phie. Le directeur sait également attirer de jeunes dessinateurs de talent qui savent prendre des risques et créer des images frappantes. Rapidement, ils doivent déployer des trésors d’ingéniosité pour échapper au pouvoir qui réprime sévèrement les atteintes à la personne du roi. Pour avoir brocardé Louis-Philippe en Gargantua, Daumier est emprisonné en 1832. Sa trouvaille la plus célèbre est celle de la poire Un adversaire efficace dont la forme évoque le visage du roi. La Caricature est le prototype du Utilisé par Daumier dès son arrivée à journal satirique engagé. Né de la li- La Caricature, ce motif sera décliné sans berté retrouvée pour la presse, il paraît relâche, comme dans cette planche de à partir de novembre 1830. L’origina- 1834, époque à laquelle Louis-Philippe lité de ce journal dirigé par Charles est au comble de l’impopularité. ■ Philipon réside dans le rôle central donné à l’image, grâce à l’emploi d’un procédé rapide et économique de production à grande échelle : la lithogra-

Le coq gaulois, symbole d’indépendance et de patriotisme, est enchaîné à un perchoir comme un vulgaire perroquet d’appartement.

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Au mur, des peintures de batailles: Valmy et Jemmapes, grandes victoires de la jeune république de 1792… auxquelles le tout jeune Louis-Philippe d’Orléans avaient participé ! Les patriotes de 1830 ont espéré que le nouveau régime renouerait avec la politique offensive de la Révolution : ils jugent que l’heure est venue pour la France, fer-delance de la liberté, de diffuser à nouveau les principes de 1789 à travers toute l’Europe, et de prendre sa revanche sur les humiliations subies en 1815. Mais la politique étrangère de Louis-Philippe est bien plus pragmatique : la France doit rester prudente et ne pas s’attirer la colère des autres puissances européennes coalisées.

Honoré Daumier, Le passé, le présent, l’avenir, lithographie parue dans La Caricature n°166, 1834. ´14 min 35

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Le conservatisme au pouvoir Enrichissez-vous pour voter ! 33

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ouis-Philippe oscille sans cesse entre le parti du « mouvement » qui plaide pour un élargissement progressif du droit de vote,une extension des réformes libérales et un soutien aux mouvements nationaux qui se développent en Europe, et le parti de la « résistance », attaché à la conservation de l’ordre et incarné par François Guizot (1787-1874). C’est rapidement ce parti qui l’emporte.

Guizot, la « résistance » face aux revendications sociales

François Guizot

« Enrichissez-vous par le travail et à choisir et si le duc d’Orléans n’avait pas par l’épargne, et vous deviendrez été l’homme unique et nécessaire ! ». électeurs ! ». Dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps publiés à partir de 1858, il revient sur cette pé- « La France s’ennuie » riode : Par sa politique de résistance, Guizot refuse d’entreprendre une quel « Une révolution [1830] venait de conque intervention de l’Etat dans le s’accomplir; […] Il fallait dégager ce grand domaine social. Il en résulte une léévénement des éléments révolutionnaires thargie telle qu’un député lui adresse à qui s’y étaient mêlés et dans lesquels tant la Chambre cette phrase célèbre : « La de gens s’efforçaient de le retenir et même France s’ennuie ». de l’enfoncer. Le peuple, ou pour parler plus Guizot n’a jamais remis en cause sa vrai, ce chaos d’hommes qu’on appelle le politique ouvertement conservatrice. peuple, investi du droit souverain et perma- C’est pourtant elle qui provoque la rénent de faire et défaire son gouvernement volution de 1848 et le renversement au nom de sa seule volonté, et l’élection de la monarchie de Juillet. En effet, populaire donnée comme seule base de la lorsqu’une forte crise touche de nounouvelle monarchie, étaient deux idées faus- veau l’économie rurale et industrielle ses et contradictoires. Je niais la souverai- à partir de 1846, il suffit de quelques neté du peuple, c’est-à-dire du nombre, et jours d’émeute, du 22 au 24 février le droit permanent d’insurrection. Et j’étais 1848, pour balayer le régime de Louistoujours tenté de sourire quand j’entendais Philippe et installer la République. ■ dire, du roi Louis-Philippe, « le roi de notre choix », comme si, en 1830, nous avions eu

Professeur d’histoire à la Sorbonne, Guizot devient l’homme-clé du régime entre 1840 et 1848. Il porte les ambitions de la classe bourgeoise possédante qui estime que l’élargissement des droits politiques ne peut venir que de l’enrichissement des individus par le travail, l’épargne et les progrès de l’éducation. D’où le slogan célèbre : Le supplément historique de la vidéo à voir gratuitement sur www.canal-educatif.fr - Acheter/imprimer ce document ?


Synthèse Une lente dégradation des idéaux de 1830 Date 1831

Législation libérale

Contestation

15 février 21 mars

Loi municipale augmente à 2 millions le nombre d’électeurs aux élections municipales

Loi élargit le droit d’élection des députés. Le cens est abaissé; le double vote supprimé

20-22 nov

29 déc

Abolition de l’hérédité de la pairie

19 avril

Répression

Manifestation anticléricale : l’archevêché de Paris est mis à sac.

Révolte des « canuts », ouvriers de l’industrie textile, à Lyon

36 000 soldats investissent la ville. 600 tués dont 360 soldats

1832 Attentat légitimiste contre LouisPhilippe

27 fév

Complot légitimiste : débarquement raté de la duchesse de Berry en Provence puis en Vendée.

28-29 avril

Insurrection républicaine à Paris lors des obsèques du général Lamarque, député de l’opposition républicaine.

5-6 juin

Arrestation de la duchesse et des complices.

70 morts parmi la garde nationale, 200 tués parmi les républicains + exécutions sommaires

Un journaliste est accusé d’avoir tiré sur le roi sur le Pont-Royal

19 nov

La Liberté guidant le peuple est décrochée des cimaises du musée du Luxembourg

1833 22 juin 28 juin

Loi sur l’élection des conseils généraux Loi Guizot sur l’Instruction Primaire : une école dans chaque commune.

1834 Loi interdisant les associations de plus de 20 personnes

Mars

9-13 avril

Insurrection républicaine à Lyon

12-14 avril

Insurrection républicaine à Paris

13 000 hommes de troupe envoyés : 192 civils et 129 militaires tués 40 000 soldats envoyés : 800 arrestations, 164 procès. Le 14 avril, « massacre de la rue Transnonain » à Paris : bavure de l’armée qui tue tous les habitants d’un immeuble.

1835 28 juillet 9 sept

Attentat contre le roi boulevard du Temple par le républicain Fieschi : 18 morts, le roi en réchappe Lois de répression des délits politiques et de l’opposition républicaine ; rétablissement de la censure

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Analyse Que reste-t-il de 1830 ? Cette satire politique est la dernière que publie La Caricature, dans le n°251 du 27 août 1835. Malgré les multiples condamnations, amendes et arrestations prononcées par le pouvoir contre le journal, ce dernier avait maintenu son engagement prorépublicain hostile à Louis-Philippe. Mais à partir de septembre 1835, les lois de censure sont si fortes que le journal n’est plus en mesure de lutter ; il cesse de paraître pendant trois ans.

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Honoré Daumier, C’était vraiment bien la peine…, lithographie parue dans La Caricature, août 1835. Le caricaturiste Honoré Daumier fait ressusciter les combattants de juillet 1830, surgissant de leur tombe. Derrière la dalle soulevée, une croix porte l’inscription « Morts pour la liberté » tandis qu’à gauche, un fût évoque la Colonne de Juillet dont les travaux ont commencé depuis deux ans. Daumier délaisse sa verve comique pour donner de la grandeur au peuple dont les espoirs sont déçus.

« C’était vraiment bien la peine de nous faire tuer ! ». Les héros ressuscités sont consternés par ce qu’ils voient : à gauche la renaissance du cléricalisme, visible à travers la procession religieuse; à droite, la répression sanglante des insurrections populaires. Cinq ans après 1830, il leur semble que la France a régressé pour revenir à l’époque bigote et autoritaire de Charles X. Il est vrai qu’à partir de 1835, la monarchie de Louis-Philippe rétablit la censure, interdit tout rassemblement et revendication sociale. Mais le principe de laïcité de l’Etat, effectif depuis août 1830, reste inchangé.

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Une pierre au cou, un ancien combattant des Trois Glorieuses est sur le point de se suicider en se jetant dans la Seine. Privé de l’usage d’une jambe après une blessure reçue sur les barricades, il ne peut sans doute plus travailler et se retrouve au chômage. A part quelques indemnités éphémères versées aux blessés au lendemain des Trois Glorieuses, il n’existe aucune couverture sociale à cette époque.

Conclusion désenchantée ? R

arement un régime aura suscité tant de mépris, à l’instar du terme « louisphilippard » qui désigne tout ce que la bourgeoisie peut avoir d’étriqué et de terre à terre. Avec le recul, la monarchie de Juillet semble se résumer à une parenthèse régressiste, un ultime obstacle au développement inexorable de la république.

Un bilan à nuancer

Honoré Daumier, Un héros de juillet, lithographie parue dans La Caricature en mai 1831. A la place du manteau, un patchwork de papiers sur lesquels revient toujours le titre « Mont-de-piété ». L’ancien héros a dû mettre en gage l’ensemble de ses effets pour survivre – « matelas, montre, habit, chemise, couverts ». Daumier insiste sur la misère et l’oubli total dans lequel est plongé celui qui participa pourtant à libérer le pays.

Le lieu est symbolique : sur le pont de la « Concorde », devant la Chambre des députés. On souligne ainsi l’ingratitude du nouveau pouvoir dominé par la bourgeoisie hostile aux revendications sociales du peuple.

Cet excès d’indignité est pourtant injustifié. Si la monarchie de Juillet a déçu certaines attentes, ce sont principalement celles des républicains qui s’empareront du pouvoir par la suite et qui ne manqueront pas de forger une légende noire de la monarchie de Juillet, « régime des banquiers ». Notre perception de cette époque est également largement déformée par la notoriété des caricatures extrêmement efficaces d’Honoré Daumier. Le succès toujours croissant de cet artiste républicain érigé en martyr de la censure politique, a simultanément renforcé dans les mentalités le mépris pour la monarchie de Juillet. Après des débuts difficiles, le règne de LouisPhilippe finit pourtant par trouver les conditions nécessaires à un véritable décollage économique et fixe définitivement les règles du jeu parlementaire. La longueur même du règne en fait un moment rare de stabilisation institutionnelle et de pratique régulière d’un système politique qui devient, sans le dire, parlementaire. C’est à cette époque que la France acquiert définitivement ses habitudes démocratiques. ■

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