Les charpentes à petits bois en sarthe CANY Léo

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LES CHARPENTES À PETITS BOIS EN SARTHE ENTRE OUBLI ET RENAISSANCE Léo Cany

Séminaire histoire et pratiques des transformations du cadre bâti Amandine Diener, Anne Bondon, Karen Bowie, Marie Gaimard et Valérie Nègre


Château de Rivesarthe, Noyen-sur-Sarthe (Image personnelle, 2017)


agritecture2 permet de comprendre qu'il existe un lien lisible entre architecture savante et savoir-faire populaire. Cette architecture rurale savante fut parfois portée par des architectes qui nous laissent à lire encore aujourd'hui bien des travaux. Les archives sont nombreuses, elles vont des premiers dessins produits par Claude Nicolas Ledoux3 jusqu’à des projets du Corbusier4 d'une ferme et d’un village radieux à Piacé, en Sarthe5. Cependant, malgré la quantité de ces écrits je peux penser qu’il est difficile d’en mesurer la répercussion matérielle.

AVANT-PROPOS « Rural : qui concerne la campagne, les paysans, l’agriculture. »

Le dictionnaire Larousse

A l’heure où les regards des architectes se tournent vers la ville, vers ses multiples transformations depuis l'ère industrielle, je me suis demandé quel regard porter sur l’architecture rurale. « On est aujourd’hui dans l’urbain, que tirer de la campagne ? » se demandait ironiquement en 2011 lors d’une conférence donnée à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine Bernard Toulier1. Cette phrase entendue lors d’un cours public a pu marquer par la dichotomie assumée qu’elle comporte. Curieux de comprendre le manque de rapport entre les projets étudiés au sein de l’école d’architecture et les lieux où j'ai pu évoluer en dehors des milieux urbains, j'ai pensé trouver alors un élément de réponse : la séparation conceptuelle de deux territoires donnés, la ville et la campagne. Les conférences menées à la Cité de l’Architecture m’ont alors ouvert la voie vers un domaine de recherche vaste où l’architecte praticien est rarement présent, en témoigne le peu de professionnels participant aux séances.

Afin de mesurer l’impact de l'architecture savante sur le monde rural il serait trop vaste d’étudier l’architecture dans son ensemble, celle-ci constitue une quantité conséquente du bâti français. Ainsi, au sein de ce corpus souvent décrit comme vernaculaire ou bien fruit de l’industrialisation j'ai trouvé un sujet d’étude évocateur de certaines influences qui ont pu dessiner les édifices en question : les charpentes à petits bois. GARRIC, Jean-Philippe, Vers une agritecture. Architecture des constructions agricoles (1789-1950), Bruxelles, ed. Mardaga, 2014

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LEDOUX, Claude Nicolas, L’Architecture considérée, ed. Ramée, 1804 3

Parmi les auteurs qui m’ont marqué lors des conférences auxquelles j'ai assisté, Jean-Philippe Garric occupe une place importante. En effet, son ouvrage intitulé Vers une

RAGOT, Gilles, La Ferme et le Village radieux de Le Corbusier. Nouvelle déclinaison du principe d’équilibre entre l’individuel et le collectif, In Situ, 2013

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Association Piacé le radieux, Bézard - Le Corbusier, Piacé le radieux Bézard - Le Corbusier, 4 décembre 2017, www.piaceleradieux.com

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TOULIER, Bernard, L’invention de la campagne et la fonction du régionalisme, Paris, Cité de l’Architecture et du patrimoine, 2011 1

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SOMMAIRE Avant-propos 1 Introduction 4 - 13 I. Du XVIe au XVIIIe siècle, de l’abandon au rétablissement

14 - 47

14 - 33 34 - 41 42 - 47

- La charpenterie selon Philibert De l’Orme (1514 - 1570) - Le siècle des Lumières en héritage - L’émergence de nouveaux savants en Sarthe

II. Cinq décennies constructrices 48 - 89 - Insertion dans le territoire considéré 48 - 65 - Rapports entretenus avec les constructions voisines 66 - 70 - Formes générales et dimensions 70 - 79 - Matériaux employés 80 - 84 - Artisans, architectes, etc. Qui fait quoi ? 85 - 89 III. Un patrimoine bâti de plus en plus difficile à entretenir

90 - 103

90 - 97 98 - 103

- Diagnostic de l’existant, le patrimoine comme renaissance - Les prémices d'une intervention

Conclusion

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Glossaire

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Sources / Bibliographie 112 - 116 Annexes 118 - 135 3


INTRODUCTION Les charpentes à petits bois* en Sarthe Arbalétrier

Nos nombreuses pérégrinations en France nous laissent l’impérissable souvenir d’un pays couvert de charpentes triangulaires, souvent hautes. Or, il est des paysages singuliers où des charpentes de forme courbe interpellent le regard. Ainsi, nous avons choisi dans le cadre de notre mémoire de fin d’étude d’étudier les charpentes dites à petits bois en Sarthe.

Coyau

▲ Charpente à petits bois

Les toitures à petits bois, dites aussi à la Philibert De l’Orme6, sont constituées d'éléments de bois de faible dimension (1,5 mètre maximum environ) assemblés entre eux. Les arbalétriers sont de cette manière le fruit d'une succession de plusieurs épaisseurs de bois fixées de chant par des chevilles. En outre, les charpentes ainsi faites présentent des portées conséquentes (jusqu'à plusieurs dizaines de mètres), le plus souvent sans qu'aucun élément structurel ne vient entraver l'espace couvert. Les ouvrages ont aussi la qualité de ne pas requérir des quantités de bois semblables à celles nécessaires dans l'élaboration d'une charpente traditionnelle.

Chevron

Poinçon Panne intermédiaire

Faux entrait

Arbalétrier Panne sablière

▲ Charpente traditionnelle (apparition au XVIIIe siècle)

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Panne faîtière

Philibert De l’Orme (1510 - 1570), architecte français

*Terme employé pour la première fois au XVIe siècle par P. De l'Orme 4

Entrait


▲ Église Saint-Barthelemy, Jauzé (Image personnelle, 2017)

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Selon un article7 publié dans la revue Monumental en 2016, il n'y aurait pour la France qu'une trentaine de charpentes à petits bois datées du XVIIIe ou du XIXe siècle dont nous disposerions de traces. Or, cette information semble erronée au vu des 48 charpentes que nous considérons pour le seul département de la Sarthe (annexe 1). D'autre part, il ressort de nos recherches que les charpentes étudiées correspondent à une période allant du début des années 1790 jusqu'aux années 1830. En outre, la concentration de charpentes que nous mettrons en évidence semble se limiter aux frontières du département de la Sarthe, c’est pour cette raison et aussi à cause du temps dédié à nos recherches que nous avons choisi de limiter notre terrain d’étude à ce département.

FÉRAULT, Marie-Agnès, « Les charpentes à la Philibert de l'Orme et les charpentes à petits bois du XVIe au XXe siècle », Monumental, Semestriel 1, juin 2016, p. 80-93 7

▲ Chapelle Saint-Roch, Le Grand Villiers, Fontenay-sur-Vègre (Image personnelle, 2017)

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de Georges Joseph Augustin Menjot d’Elbenne9. Dans cet ouvrage, l'auteur se révèle être un savant qui explique les différentes expérimentations de construction qu'il a pu faire et communique les données scientifiques liées à ce travail. Comment justifier l'importance de cet ouvrage, sa date de publication et son lien avec des édifices agricoles ?

État de l’art D’après nos recherches préliminaires il apparaît que seuls Julien Hardy et François Pasquier, l’un chargé de mission pour un inventaire du patrimoine dans le Perche et l'autre professeur d'histoire dans un collège, ont écrit de façon spécifique au sujet des charpentes à petits bois en Sarthe. En effet, les deux hommes ont publié pour la revue Maisons Paysannes de France un article8 de deux pages faisant état d'un nombre conséquent de ces charpentes dans le département et rappelant quelques faits historiques liés à celles-ci. Une cartographie fut aussi publiée. Une mise à jour des connaissances exposées par l'article nous semble nécessaire afin d’en cerner l’exhaustivité. Par exemple, nous pouvons remettre en question la cartographie tant elle nous laisse penser que seules certaines parties de la Sarthe présenteraient des charpentes.

Enfin, par le biais de l'article précité nous savons que les deux rédacteurs ont mis à jour des informations historiques concernant les sites où se trouvent des charpentes. Certains sites semblent alors avoir appartenu à des membres de sociétés savantes telles que la Société d'Agriculture de la Sarthe. Aussi, nous remarquons grâce aux noms des sites mentionnés et à notre connaissance personnelle du territoire que ces propriétés concernent bien souvent des châteaux ou manoirs. Par conséquent nous retrouverons des informations quant aux charpentes dans des archives relatives à certains propriétaires. Notons que par leur bienveillance, J. Hardy et F. Pasquier nous ont transmis leurs recherches sous la forme d’un document informatique où chaque charpente trouvée est recensée. Nous trouvons aussi grâce à ce travail des informations quant aux matériaux visibles, dates de constructions, etc.

L'article nous permet aussi de dire que la typologie de charpente concerne souvent d'anciens bâtiments agricoles et semble s’étendre en Sarthe de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la moitié du XIXe siècle. D'après ce que nous lisons, ces édifices seraient pour certains liés à un écrit majeur pour la région : Constructions rurales, moyens de perfectionner les toits et de les rendre plus commodes, plus économiques, en conciliant l'élégance et la solidité

Bien que le travail mené par les deux Sarthois soit le seul concernant notre sujet, nous pouvons nous raccrocher à MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, Constructions rurales, moyens de perfectionner les toits et de les rendre plus commodes, plus économiques, en conciliant l'élégance et la solidité, Paris, ed. chez Colas et Delaunay, 1808. Médiathèque du Mans, Le Mans, côte SA 4* 1572 (04)

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PASQUIER, François, HARDY, Julien, « De l'utilisation des charpentes à la Philibert Delorme en Sarthe », maisons paysannes de france, 188, juin 2013, p. 20-21

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Le corpus et les sources

des travaux concernant d’autres régions. Un bilan de la connaissance de la conservation des charpentes à la Philibert De l’Orme en région Centre-Val de Loire10 a par exemple été publié en 2015. Ce travail est l'occasion pour nous de découvrir des faits vraisemblablement analogues aux faits sarthois. Bien que la Sarthe puisse faire figure d’exception, nous formons l'hypothèse que des influences architecturales aient pu y être les mêmes que dans des régions voisines.

Le corpus dont nous proposons de comprendre les tenants est composé de plusieurs charpentes. Ces ouvrages diffèrent tous de par leurs histoires mais aussi leurs apparences. L’aspect matériel de la plupart des objets en question nous permet de les appréhender physiquement, de les visiter. De cette façon nous serons en mesure de donner des informations sur le bâti dans son état actuel et de trouver des traces du passé. En complément de cette étude pratique des sources écrites nous aideront.

Enfin, de manière particulière il a pu arriver que des charpentes aient été étudiées. La région Pays-de-la-Loire, qui depuis 2007 a pour mission d’inventorier le patrimoine culturel a parfois décrit des objets d’étude sous un angle historique. Nous pourrons nous nourrir de ces productions. Cependant, la Direction Régionale des Affaires Culturelles est une source limitée. En effet, deux seules charpentes étudiées sont inscrites au titre des Monuments Historiques11 et rares sont celles inventoriées. Nous verrons par ailleurs s'il en va de même dans les autres régions françaises.

Nous l'avons dit, Menjot d'Elbenne et son ouvrage Constructions rurales constitueront des éléments notables. Nous devrons analyser précisément cet écrit, comprendre qui était son auteur et tenter de définir ses répercussions. Les archives personnelles de l'écrivain ont été léguées aux archives départementales de la Sarthe, le fond Menjot d’Elbenne devra donc être étudié précisément. Nous comprendrons que l'histoire des propriétés où s'inscrivent les charpentes est essentielle à la connaissance de ces dernières. Dès que cela nous sera rendu possible nous nous rendrons sur les sites des différentes charpentes pour établir une description précise des objets, nous serons par exemple attentifs à des dispositions matérielles mais aussi à des informations transmises de façon orale par les propriétaires. Pour confirmer les informations reçues sur le terrain ou pour les contextualiser nous nous aiderons d’archives. Les archives départementales ou bien la

AUBANTON, Frédéric, Les charpentes à la Philibert De l’Orme en région Centre-Val de Loire : état des lieux et perspectives, Collectif, Philibert De l'Orme - Un architecte dans l’histoire, Turhout, Brepols, 2015, p. 219-229 10

Décret n°2007-487 du 30 mars 2007 relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, Legifrance, 5 décembre 2017, www.legifrance.gouv.fr 11

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Bibliothèque Nationale de France seront dans ce cadre des structures essentielles. C'est là qu'il nous sera possible de comprendre l’histoire de certaines propriétés. Les bulletins de la Société d’agriculture de la Sarthe présents aux archives du département seront aussi là pour nous offrir un panorama sur le monde rural contemporain de la construction des charpentes. Ces écrits nous rapportent les propos tenus lors de rencontres entre propriétaires au sujet de l'agriculture. Nous verrons que les propriétaires concernés sont souvent de grands propriétaires terriens. C’est-à-dire qu'ils possèdent souvent de nombreuses fermes et appartiennent à la noblesse12. Enfin, des ouvrages spécifiques viendront aussi alimenter notre propos. L’édition Flohic et sa description du patrimoine des communes de la Sarthe13 ou le Dictionnaire topographique historique et statistique de la Sarthe14 de Julien-Remy Pesche pourront par exemple nous aider à mieux comprendre des contextes à la fois départementaux et locaux. Ces écrits sont aussi l’occasion d’un premier contact théorique avec nos objets d'études, ils apportent des AMALFITANO, Franck, Nobles et titrés de la Sarthe, de 1789 à la « république des ducs », Enracinement d'une aristocratie provinciale et parisienne, Thèse de doctorat en histoire, sous la direction deJeanMarie Constant, Le Mans, Le Mans Université, 2010

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FLOHIC, Jean-Luc, Le patrimoine des communes de la Sarthe, ed. Flohic, 2001, Paris 13

PESCHE, Julien Rémy, Dictionnaire topographique historique et statistique de la Sarthe, Le Mans, ed. Bond, 1829 14

▲ La Fontaine, Saint-Mars-d'Outillé (Image personnelle, 2017)

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informations généralistes.

à mieux comprendre comment, d’après les datations que nous mettrons à jour, le procédé a pu passer successivement de l'oubli à la renaissance.

Méthodes Les 48 charpentes à petits bois en Sarthe que nous connaissons à ce jour ont été l'objet d'un travail d’enquête approfondie sur le terrain. Notons que c'est suite à de très nombreuses prises de contact auprès de responsables locaux liés de près ou de loin au patrimoine (chargé d'étude, maires, artisans, etc) que nous avons pu former le corpus. Le fait d'inventorier fut un prérequis à l’analyse.

L’aspect équivoque des charpentes que nous constaterons nous poussera aussi à chercher pourquoi le procédé dont nous parlons n’est pas toujours exactement le même. La place occupée par les artisans, la recherche permanente de progrès et les adaptations constructives liées à des contextes pratiques ou environnementaux nous aideront à répondre à cette interrogation. Nous verrons alors que la constance est rare au travers par exemple des plans d’exécution.

Parallèlement à notre travail de terrain nous nous intéresserons à la charpente à petits bois dans son ensemble, à une échelle large. Il nous paraît primordial de comprendre pourquoi le nom de Philibert De l'Orme semble tant lié à notre étude. La lecture de l’ouvrage principal de cet architecte relatif aux charpentes à petits bois : Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz15 est nécessaire. Par ailleurs nous tenterons d'expliquer si la paternité du modèle originel est sujette à discussions.

Un bilan spatio-temporel sera utile pour comprendre comment les charpentes ont évolué dans le département. En nous basant sur différentes caractéristiques matérielles ou historiques (emplacements, données techniques, origines historiques, usages, etc.) nous pourrons dire quels sont les éléments qui ont influencé l’évolution des charpentes. Les techniques employées dans l'édification des charpentes devront être étudiées par le biais des traces archéologiques. Nous proposons dans ce cas d’utiliser les charpentes que nous connaissons afin d’illustrer les multiples aspects formels ou matériels qui ont pu avoir cours. Nous formerons aussi des hypothèses pour tenter de mieux cerner la forme que prenait le patrimoine dans son état initial.

En outre, nous essaierons de comprendre comment des logiques historiques ont pu rendre possible la construction de plusieurs charpentes selon un procédé décrit au XVIe siècle. Georges Duby16 ou d'autres auteurs pourront nous aider DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz / trouvées n'a guères par Philibert De l'Orme, Paris, ed. F. Morel, 1561, Bibliothèque Nationale de France 15

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Malgré les caractéristiques pratiques évidentes, les travaux

DUBY, Georges, WALLON, Armand, Histoire de la France rurale,

Paris, ed. du Seuil, 1976 10


toutes les charpentes considérées, nous souhaitons avant tout par notre travail éclairer les esprits quant à une forme de charpente aux propriétés méconnues et comprendre pourquoi elle est apparue. Certes, il peut s’agir de mettre en avant un intérêt historique et esthétique, mais nous nous attacherons aussi à donner de la visibilité à une logique sociale et à une certaine vision de la maîtrise d’oeuvre.

de recherche auxquels nous avons accès n’attribuent que rarement une importance technique au sujet étudié. Nous proposerons alors au travers de notre étude un travail de relevé et une méthode d'analyse permettant concrètement de rendre compte d’une réalité matérielle. Aucun document ne nous permet aujourd'hui de visualiser en plan et en coupe une charpente sarthoise dans son état actuel. Ainsi nous choisirons de relever la charpente du lieu-dit La Fontaine (Saint-Mars-d’Outillé). Ce choix de lieu se justifie par son accessibilité pour la pratique du relevé et par son état de conservation assez représentatif du corpus. Grâce aux dessins produits nous pourrons disposer d’une représentation scientifique d'un état actuel et mettre en avant une méthode de diagnostic pouvant s'étendre aux autres objets d’étude. Ce travail s'inscrira dans une logique prospective afin que peut-être d’autres personnes puissent s'investir dans la compréhension des charpentes.

A l’heure où le rural semble détaché de l’architecture ou bien se cantonner au domaine du patrimoine17, nous voudrions faire de notre travail une réflexion nouvelle. Les charpentes que nous étudions offrent la possibilité d’un face-à-face qui nous est insolite entre le praticien et la notion de modèle rural, cela peut certainement élargir nos connaissances. De surcroît, nous trouverons durant nos recherches au travers des ressources documentaires mais aussi grâce à des acteurs locaux l’ambition d’un devenir. Il nous appartient alors à nous, architectes, de travailler afin que nos savoirs spécifiques soient utilisés et que les objets d'études puissent faire l’objet de projets.

Par ailleurs, nous tenterons de donner un regard général sur la prise en compte des charpentes dans le paysage architectural actuel. Au-delà des publications contemporaines sur le sujet, nous commenterons la mise en oeuvre matérielle d’interventions visant à conserver l’intérêt patrimonial des charpentes, leur position de témoignages. Le manque de savoirs techniques ou bien la méconnaissance historique peuvent alors avoir pour conséquence un certain abandon. Nous donnerons alors des propositions de solutions afin de parer à cela. Loin de vouloir faire entrer dans le champ de la conservation

HEINICH, Nathalie, La fabrique du patrimoine : "De la cathédrale à la petite cuillère", Paris, ed. Maison des Sciences de l'Homme, 2009 17

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Exposé du plan

Dans un second temps, notre discours sera lié à l'étude spécifique de la majeure partie des charpentes sur le territoire de la Sarthe. Nous verrons alors selon quelles modalités les constructions sont apparues dans le département et comment elles ont pu s'étendre au sein de propriétés aux usages divers. De plus, nous étudierons les traces construites et écrites dans le but de comprendre comment étaient utilisées les charpentes. Ensuite, nous aborderons successivement les caractéristiques matérielles et formelles des objets d'études, nous verrons alors que des doutes sont encore nombreux quant à l'état de conservation des charpentes vis-à-vis de leur état primitif. Enfin, nous exposerons les rôles des différents acteurs de la construction, de quelles manières ceux-ci ont pu encourager ou freiner la construction à petits bois.

Face au constat préliminaire de plusieurs dizaines de charpentes à petits bois, comment expliquer l’exception architecturale ? Pour répondre à cette problématique nous vous proposons une déambulation historique en Sarthe. Au fil des pages de notre étude nous tenterons de conjuguer la charpente à tous les temps, nous verrons comment elle a pu se développer, de quelle façon, et nous essaierons de distinguer un futur. Nous soulignerons la valeur d'un héritage bâti afin que peut-être celle-ci puisse être reconnue. Notre travail s'articulera autours de trois grandes parties. La première sera dédiée à la question des origines théoriques des charpentes étudiées. Nous essaierons de comprendre pourquoi le nom de Philibert De l'Orme est si souvent mentionné au cours de nos recherches et si l’architecte du XVIe siècle a pu voir son travail repris en Sarthe à son époque. Aussi, nous mettrons en avant comment entre le XVIe et le XVIIIe siècle les charpentes à petits bois ont pu passer de l'oubli à un engouement qui influencera jusqu'à la construction en Sarthe. Des publications et des constructions emblématiques comme celles du dôme de la halle aux grains de Paris18 viendront étayer la thèse d’une renaissance. Nous essaierons de comprendre pourquoi la Sarthe peut faire figure d’exception.

Ainsi, c’est après avoir permis une meilleure compréhension des raisons qui ont abouti à la création des charpentes considérées que nous tenterons de proposer des pistes de travail applicables au champ de la pratique architecturale. Nous développerons dans ce cas une méthode d’analyse qui peut être appliquée aux différents objets d’études de façon particulière. De plus, nous commenterons la direction que semblent prendre les charpentes à l’avenir, le plus souvent nous nous baserons sur les propos recueillis auprès des propriétaires actuels. Enfin, nous clôturerons notre travail par les limites que peuvent rencontrer les projets liés aux charpentes, qu’ils concernent l’analyse de ces dernières ou leurs modifications matérielles.

Notes des opérations successivement faites pour la construction de la calotte de la halle aux grains suivant la méthode de Philibert De l’Orme commencée le 17 juillet 1782 par Legrand et Molinos architectes. Bibliothèque historique de la ville de Paris 18

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â–˛ La Fontaine, Saint-Mars-d'OutillĂŠ (Image personnelle, 2017)

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difficilement en quoi un édifice postérieur à P. De l'Orme peut constituer un argument recevable. De plus, Valérie Nègre souligne aussi cette phrase de F. Cointeraux : «J’étais alors bien éloigné de Paris, à Grenoble; et visitant la bibliothèque publique de cette ville, j’y rencontrait un vieux livre, petit in-40, couvert de parchemin, en mauvais état : il contenait cette charpente de Delorme. J’avoue qu’à la vue de ce qu’il expliquait, je me sentis un frisson qui s’empara de tout mon être. Je conçus dès-lors que l’on ne pourrait [jamais] me croire l’inventeur de ce procédé»20. Le savant pensait être l’auteur du procédé mais reconnut finalement la qualité d'auteur de P. De l'Orme.

I. DU XVIe au XIXe SIÈCLE, DE L'ABANDON AU RÉTABLISSEMENT La charpenterie selon Philibert De l’Orme (1514-1570) Nous l'avons dit, les charpentes à petits bois sont communément nommées charpentes à la Philibert De l'Orme, il nous faut donc comprendre comment l’architecte de la Renaissance a pu être associé au procédé et pourquoi son nom est-il encore cité de nos jours. Tout d'abord, nous pouvons questionner le fait que Philibert De l'Orme soit l'inventeur du procédé éponyme. Par exemple, un article de 1830 italien déclare : « ce système proprement italien d’armatures cintrées, composé de planches superposées [...] fut employé non seulement à la coupole de la Salute de Venise, postérieure à Delorme, mais aussi dans les très anciennes coupoles de SaintMarc de cette même ville; Palladio, Veranzio, Ferracina et d’autres l’employèrent dans d’autres sortes de charpentes [...]. Delorme (par ailleurs très habile architecte), eut seulement le mérite de l’introduire dans sa patrie en France »19. Néanmoins, le discours laisse songeur, nous voyons

D'après nos recherches, les Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz de Philibert De l’Orme constituent l'ouvrage le plus ancien concernant le procédé de charpente que nous exposerons. Cet écrit est aussi le plus exhaustif que nous puissions lire. Ainsi, nous partirons du postulat de merito d’averlo introdotto in Francia sua patria », Collectif, « Dell’arte pratica del Carpentiere esposta dagli architetti Felice Pizzagalli e Giulio Alvisetti...» Biblioteca italiana ossia Giornale di letteratura scienze ed arti, t. LX, octobre-décembre 1830, Milan, p. 387, d'après .V. Nègre COINTERAUX, François, La Bonne et Unique méthode pour faire les toits des bâtimens; par Cointeraux; approuvée par l’Institut. Avec ces toits l'on se préserve d’Incendie, et s'il étoit furieux, on retarde au moins l’effet; avec ces toits l’on ne craindra plus les orages, les tempètes; l’on étayera plus les maisons pour supporter les neiges amoncelées, l'on convertira à volonté les greniers en chambre, etc., [suivi de] Rapport fait à l’Institut impérial sur le nouveau toit du sieur Cointeraux; par M. (Gaspard) Monge, Sénateur, et par M. [Gaspard de Prony] Directeur des Ecoles physiques et mathématiques, Paris, l’auteur, 1806 20

« Ci spiace poi che gli autori intitolino ancora sistema di Filiberto Delorme quel sistema tutto italiano di armature a centine composte di tavoloni sovrapposti. Questo fu impiegato non solo nella cupola della Salute in Venezia, posteriore al Delorme, ma ravvisasi nelle antichissime cupole di S. Marco nella medesima città ; Palladio poi, Veranzio, Ferracina ed altri o lo impiegaron in altra sorte d’armatura, o lo proposero. Il Delorme (d’altronde abilissimo architetto) ebbe soltanto il 19

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base que si l'architecte français n'est pas l'inventeur, il est au moins celui qui théorisa et fabriqua le procédé jusqu'à lui donner un retentissement important. Les Nouvelles Inventions sont essentielles pour comprendre l'héritage laissé par l’architecte, celui-ci le concevait d'ailleurs comme un travail fondateur puisqu’il l'écrira dans les dernières années de sa vie. La publication eut lieu en 1561 et l'architecte mourra en 1570. De plus, la carrière de P. De l'Orme nous aide à comprendre les formes des charpentes qui portent son nom et le retentissement que put avoir la publication d'un architecte qui aujourd'hui encore fait figure parfois de mythe. Jean-Marie Pérouse de Montclos, qui est l’auteur à notre connaissance du travail de recherche le plus conséquent concernant l’architecte, situe, grâce à des éléments iconographiques, la naissance de l’architecte en 1514 à Lyon21. Les origines familiales de P. De l'Orme sont floues, néanmoins, nous savons que le père de celui-ci fut maçon « Dans le premier tome de l’Architecture, publié par De l’Orme en 1567, le bandeau courant la tête des livres et leur titre, où se retrouve l’énoncé des qualités de l’auteur « lyonnois », dry une sorte d’emblème : la sphère armillaire avec le zodiaque arrêté sur le signe des Gémeaux et, discrètement insérés pour que le message ne parvienne qu'aux initiés, les symboles de Mercure, de Jupiter, du Soleil et de Vénus. Aux deux extrémités, Mercure et Vénus sont également représentés par une figure. La conjonction de ces éléments permet de situer la date de naissance de Philibert entre le 3 et le 9 juin 1514. Par raisonnement, d'après quelques sources scripturaires on situait cette naissance entre 1505 et 1515. » PÉROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, Philibert De l'Orme. Architecte du roi (1514–1570), Paris, ed. Mengès, 2001, p 19 21

▲ Hôtel Bullioud, Lyon (Image personnelle, 2011)

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et que ses aïeuls les plus proches étaient pour la plupart artisans22. Le père a sans doute beaucoup influencé la carrière de Philibert. Par exemple, nous reviendrons sur des dessins d'assemblages en bois de l'architecte qui ne sont pas sans rappeler des travaux de maçonnerie.

En outre, l'influence italienne donnera lieu à de multiples voyages dont des mentions sont présentes dans les divers écrits de l’architecte du XVIe siècle. Il est difficile de connaître tous les voyages faits en Italie, ainsi que les déroulés de ceux-ci. Si nous pouvons faire l'hypothèse de voyages d'apprentissage à l'image de ceux des artistes du XIXe siècle durant lesquels le futur praticien relève des objets antiques par exemple24, il nous faut aussi prendre en compte des motifs militaires ou d'affaires qui ont pu motiver ces voyages. Il est vrai que P. De l'Orme présente dans le Premier Tome des relevés, cependant nous pouvons discuter l'origine de ces travaux dans la mesure où l'architecte emploie parfois un discours à la limite de la vraisemblance25 (comme le souligne Pérouse de Montclos, il serait par exemple question du relevé presque intégral du Colisée à Rome). D'autre part, dans ses écrits, P. De l'Orme cite des travaux de maçonnerie et d'ingénierie militaires effectués en Italie, ainsi que des rencontres regilieuses d'ordres protocolaire. L'auteur n'est en effet pas avare lorsqu'il mentionne des moments glorieux de son existence, lui-même se forge l'image qui restera de lui : celle d'un architecte hors du commun26.

La ville de Lyon où est établie la famille De l'Orme, au début du XVIe siècle, est au coeur de très nombreux échanges commerciaux entre la France et l’Italie, en témoignent les présences de grandes familles commerçantes telles que la famille Bullioud. C’est par ailleurs cette famille qui commandera à P. De l'Orme la modification d’une maison que nous pouvons encore observer aujourd’hui23 (cette construction, de 1536, est jusqu'à présent la plus ancienne que nous connaissons dessinée par P. De l’Orme). D'autre part, cet édifice de style Renaissance témoigne d’une influence italienne importante. Au delà d’une affluence de denrées transalpines, nous assistons à la venue depuis la fin du XIIIe siècle d’un mode de pensée nouveau qui influencera les arts. La ville de Lyon constitue donc à l'époque un territoire tout à fait propice à la naissance d'un architecte mythique.

CHESSEX, Pierre, Images of the Grand Tour : Louis Ducros 17481810, Paris, ed. Editions du Tricorne, 1985 24

« Son père, Jean De l’Orme, était fils de Matthieu, tisserand, et petitfils de Guillaume, panetier; il a été le premier maçon de la famille», Ibid., p 21 22

DE L’ORME, Philibert, Le premier tome de l'architecture de Philibert De l’Orme conseillier et aumosnier ordinaire du Roy, & abbé de S. Serge lez Angiers, Paris, ed. F. Morel, 1567, Bibliothèque Nationale de France 25

Maison Bullioud, rue Juiverie, Lyon. Créations de deux galeries (une seule aujourd'hui) superposées. Voir BONNET SAINT-GEORGES, Dominique, Philibert De l'Orme Lyonnais, Lyon, Archives Municipales, 1993 23

«Et oultre les grandes inventions que trouvoys tous les jours, d'architecture, je me repnoys garde si dilligemment aux maisons du Roy, 26

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Parmi les grandes figures de l'architecture présentes en Italie à cette époque nous comptons Serlio, Marcello Cervini, San Gallo le Jeune, etc. Nul doute que ces contemporains de P. De l’Orme ont eu une grande influence sur le travail de celui-ci, tout comme sur son discours artistique. Ce discours forgé sur une grande admiration de l’Italie notamment antique nourrira la coopération entre Philibert De l'Orme et Catherine de Medicis. Notons que cet engouement pour l'Italie transparaît par exemple dans la dédicace que fait P. De l’Orme dans son Premier Tome à la reine et l'éloge qu'il livre quant à la ville de Florence. Le lien qui unit Philibert De l'Orme et l'Italie n'est pas sans rapport avec un certain goût que nous retrouverons au début du XIXe siècle. A ces époques, des élites s’attachent à certains modèles italiens, nous assistons en quelque sorte à une dynamique que Jean-Philippe Garric qualifie de conforme «au goût néoclassique». Jean Charles Krafft ou Jean Nicolas Louis Durand furent des architectes importants quant à ce mouvement, ils dessinèrent par exemple de nombreux projets de bâtiments agricoles rappelant la Toscane27. Ainsi, il y a à l'époque où furent construites les charpentes Sarthoises un enthousiasme vis-à-vis de pour les ruynes et maulvaises façons que je y trouvoys, que si je n'eusse faict telle dilligence, souvent le Roy, les princes et aultres eussent esté acablez et en extrêmes dangiers de leurs personnes, pour les poultres et planchiers qu'il a fallu souvent retenir et abbatre.», cité dans BERTY, Adolphe, Les Grands architectes français de la Renaissance, Paris, ed. Auguste Aubry, 1860

▲ Relevé, Philibert De l'Orme

(DE L’ORME, Philibert, Le premier tome de l'architecture de Philibert De l’Orme conseillier et aumosnier ordinaire du Roy, & abbé de S. Serge lez Angiers, Paris, ed. F. Morel, 1567, Bibliothèque Nationale de France, fol. 183)

DURAND, Jean-Nicolas-Louis, Précis des leçons d'architecture, Paris, l’auteur, 1805 27

17


l'antiquité relativement semblable à celui mis en avant par Philibert De l’Orme. Une proximité intellectuelle a pu être observée par ceux qui ont construit les charpentes.

grands, la cohérence des travaux encore visibles de P. De l'Orme pour le domaine royal le montre bien. C'est la liberté créatrice de l'architecte qui lui a permis de mettre au point le procédé que nous étudions.

Ensuite, si les premières dizaines d'années de vie de P. De l'Orme nous laissent des questions, à partir de la fin des années 1540, les évènements sont plus clairs. Agé d’une trentaine d’années, l'architecte lyonnais est alors «architecteur de Monseigneur le Dauphin et général des fortifications de Bretaigne»28. Aussi, le lyonnais se lie au début des années 1540 avec Jean Du Bellay (entre autres, évêque de Paris) qui lui commandera à cette époque un château à Saint-Maur. Notons qu'au gré de nos pérégrinations et de nos lectures nous avons aussi remarqué que la tombe du frère de Jean Du Bellay, Guillaume du Bellay, a été mise en oeuvre par P. De l’Orme dans la cathédrale du Mans (Sarthe).

Nous comptons parmi les oeuvres de P. De L’Orme pour le roi Henri II des travaux pour Fontainebleau, le Palais de la Cité à Paris, Vincennes (chapelle royale), le Louvre, les châteaux de La Muette (Saint-Germain-en-Laye) ou de Madrid (Paris), etc. Un des plus illustres chef-d’oeuvres appartenant au domaine royal est sans nul doute le palais des Tuileries dont le projet naît en 1564 à l’initiative de la reine Catherine de Médicis. P. De l’Orme, qui entre en disgrâce à la mort du roi en 1559 et meurt en 1570 ne pourra terminer les travaux des Tuileries, néanmoins il a pu au travers de cet édifice laisser parler son talent et marquer les esprits. Les colonnes dites «à la De l’Orme» qui étaient présentes au sein de ce palais sont devenues par exemple très célèbres et reprises durant les siècles successifs29. Les modèles de P. De l'Orme, qu'ils concernent des colonnes ou des partitions d'espaces par exemple, ont souvent été repris. Par exemple, le manoir de Verdigné30, où nous trouvons une sablière

En 1547, à la mort du roi François Ier, Henri II devient roi de France. P. De l'Orme travaillait déjà pour le nouveau roi puisque, comme nous l'avons noté précédemment, la fonction d’ «architecteur du Dauphin» lui était déjà attribuée. Le 3 avril 1548, P. De l'Orme reçoit la surintendance des bâtiments royaux (à l'exception du Louvre, réservé à Lescot). S’opère à ce moment-là un tournant dans la création architecturale de la commande royale. Au préalable, François Ier faisait intervenir de nombreux constructeurs sur ses chantiers, allant jusqu’à laisser penser aujourd'hui qu’il était lui- même architecte. A l'inverse, Henri II attribuera à son surintendant une liberté et un pouvoir beaucoup plus 28

Le château de la Punta (Corse) fut construit au XIXe siècle en grande partie grâce aux ruines du château des Tuileries incendié en 1871, des colonnes de Philibert De l'Orme pour le palais parisiens y sont visibles. Voir MOULIN, Jacques, Le château de La Punta, à Alata, Collectif, Philibert De l'Orme - Un architecte dans l’histoire, Turhout, Brepols, 2015, p. 243-258

29

DELAVAL, Alain, « Manoir de Verdigné », Base Mérimée, 12 décembre 2017, www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr ou LEDUC, Christine, « Manoir de Verdigné », Patrimoine des Pays de 30

PÉROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, op. cit., p 47 18


▲ Manoir de Verdigné, Avesnes-en-Saosnois

(Conseil général de la Sarthe, «Manoir de Verdigné», Sarthe développement, 12 décembre 2017, www.tourisme-en-sarthe.com/patrimoine-culturel/ manoir-de-verdigne)

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▲ Élévation du Manoir de Verdigné (Lucyna Gautier-Zielinska)


vraisemblabement héritée d'une ancienne charpente à petits bois, fut édifié «sur des plans influencés par les modèles de P. De L’Orme»31. L'architecte est aussi connu pour avoir oeuvré au château d’Anet (projet initié en 1547, Eure-et-Loir), propriété de Diane de Poitiers, favorite d'Henri II. Contrairement aux Tuileries qui se révèlent être un palais d’inspiration florentine aux ordonnancements rigoureux, le château d’Anet est lui doté d’une liberté ornementale unique. Ne restent aujourd’hui à Anet de l’architecte que le cryptoportique, la chapelle et le corps d’entrée. Bien que le château regorge d’éléments forts intéressants à étudier, nous ne parlerons dans le cadre de notre étude que des charpentes dites à la Philibert de L'Orme qui s'y trouvaient. Figuraient à Anet des pavillons dont les couvertures étaient assurées par des charpentes pour lesquelles nous retrouvons un dessin dans les Nouvelles Inventions. Les charpentes à petits bois surmontent là «la salle devant les baigneries près des galleries du grand parterre du jardin»32 (les baigneries étant des bassins en plein-air destinés aux divertissements), deux pavillons bastionnés aux angles des galeries ainsi que des pavillons situés dans le parc (d'après le dessin de Du

▲ Des oeuvres selon ladicte Invention nouvelle qui ont esté faictes au Chasteau d'Annet, Philibert De l'Orme

(DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz / trouvées n'a guères par Philibert De l'Orme, Paris, ed. F. Morel, 1561, Bibliothèque Nationale de France, fol. 29)

la Loire, 12 décembre 2017, www.patrimoine.paysdelaloire.fr (voir « Peinture murale ») LEDUC, Christine, «Manoir de Verdigné», Patrimoine des Pays de la Loire, 12 décembre 2017, www.patrimoine.paysdelaloire.fr 31

HAUTECOEUR, Louis, Histoire de l'architecture classique en France, Paris, ed. Picard, 1969, p. 150 32

20


▲ Château d'Anet, Jacques Androuet Du Cerceau (différents bâtiments couverts à petits bois remarquables) (ANDROUET DU CERCEAU, Jacques, Les plus excellents bastiments de France, Paris, 1576)

21


Cerceau33). De cette manière, à Anet le procédé à petits bois est employé pour couvrir des bâtiments annexes.

la difficulté de trouver de grandes pièces de bois. D’ailleurs, quand l'architecte fait référence au château de La Muette dans l’épître au roi de ses Nouvelles Inventions, c’est pour rappeler un manque en matière de bois : « Pour autant que je voyois leurs excellences, désirer grands et excellets édifices (comme il est raisonnnable) pour leur grandeur et multitude de gentilzhommes & serviteurs qui les suivet & ont affaires avec eux fin de leur faire treshumble service : aussi que je considerois la nocessité & peine qui est aujourdhuy, & sera

De plus, souvent cité dans les Nouvelles Inventions, le château de La Muette est une propriété du domaine royal où Henri II entreprit de nombreuses modifications. Si le château de chasse est souvent nommé dans l'ouvrage c’est parcequ’il a reçu la première charpente éponyme. La raison de l’invention reposerait selon son auteur sur des contraintes matérielles liées à l’édifice : « L‘on eust trouvé si long boys et si gros qu’il falloyt. Et quant ils en eussent encores peu trouver et l’assembler de pièces, les murailles ne l’eussent sceu porter, et encores moings si l’on eust voullu faire couvrir de pierre de taille, principalement le milieu qui a douzee toyses de long et diz de large. Quant aux pavillyons, j'en ay faict couvrir deux de pierre de taille et quant l’on eust peu tout faire de charpentier. Et quant tout fust faict, l’on y print si grand pleisir que le feu Roy et la Royne mère (...) me commandarent de faire couvrir encore deux pavillyons en telle façon, qui estoient couverts de pierre de taille.»34. C’est donc une contrainte structurelle qui aurait amené P. De l’Orme à mettre au point son innovation. Si l’objectif premier de la charpente est la légèreté, nous voyons au travers des exemples ultérieurs à La Muette que d'autres motivations apparaissent. C'est le cas lorsque P. De l’Orme au travers de la citation précédente fait mention de ANDROUET DU CERCEAU, Jacques, Les plus excellents bastiments de France, Paris, 1576 33

34

▲ Dessin, Philibert De l'Orme

(DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz / trouvées n'a guères par Philibert De l'Orme, Paris, ed. F. Morel, 1561, Bibliothèque Nationale de France, fol. 17)

PÉROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, op. cit., p 53 22


desormais, pour trouver si grands arbres qu’il fault pour faire poutres (...) doncques j'enfis l’epreuve au chasteau de la Muette, ainsi que plusieurs ont eue, & en autres divers lieux selon la façon que j’escris en ce present livre »35. En outre, nous pouvons aussi apprendre grâce aux Nouvelles Inventions des principes de base quant à l'exploitation des bois. Nous ne déterminerons pas si ces principes ont encore cours aujourd'hui mais nous pouvons dire qu'ils sont pour l’architecte d'une importance évidente. Grâce au chapitre premier nous lisons par exemple que le bois se coupe en fonction de son orientation, de certaines périodes de l’année et du positionnement de la lune. D'autre part, différentes recommandations sont mises en avant comme celle de «saigner» l'arbre au pied ou de placer de l'argile au niveau de la tête du tronc pour la protéger. L’ouvrage commence par exemple par ces mots : «En premier lieu il fault cognoistre les quatre angles du Ciel, autrement, les quatre parties du Monde»36. En commençant son explication par ces données techniques il nous paraît certain que l'architecte met en avant un savoir-faire, une science. Cette démonstration ne manque pas de légitimer le discours de son auteur. La dialectique des sociétés savantes que nous avons évoquée se révèle très similaire.

▲ Château d'Anet, Jacques Androuet Du Cerceau (ANDROUET DU CERCEAU, Jacques, Les plus excellents bastiments de France, Paris, 1576)

la Muette, ni même par quel processus créatif il aurait pu imaginer cette charpente. Cependant, nous pouvons affirmer que ce processus a reposé sur une grande connaissance des matériaux et des savoirs artisanaux. Rappelons que pour P. De l'Orme, être architecte est l'aboutissement d'un apprentissage long qui le définit d'abord comme un artisan. Outre les savoir-faire généraux que mobilisés, P. De l’Orme, précise également dans son livre Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz des données spécifiques à respecter ainsi que les possibilités laissées par la création d'une charpente. Il est alors dit que de nombreuses essences de bois peuvent être employées, telles que le peuplier (que nous retrouverons souvent dans nos recherches), le frêne, le pin, le châtaignier, etc.

Nous ne savons pas si P. De l'Orme a mis en oeuvre des prototypes avant de construire la charpente du château de 35

DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions, op. cit., fol. 4

36

Ibid., fol. 14 23


La prise en compte du matériau qui est, nous l'avons dit, une des raisons premières des charpentes que nous étudions, pousse P. De l’Orme à réfléchir aux ressources. Nous ne parlerons pas ici de l’importance des matériaux locaux en architecture mais nous devons noter que l’auteur pense à différentes zones géographiques lorsqu'il définit son invention : « pour la Provence & Languedoc; & ailleurs, ou y a faulte de bois, qu’o y mette de l’Olivier sauvage ou dômestique, du Noyer, & d’autres, selo la commodite des pais »37. Bien que cette diversité de matériaux implique des ligatures et des assemblages variables, nous pouvons dire qu'elle rend les charpentes largement diffusables.

La statique tient aussi une place importante. Effectivement, étant constituées de nombreuses pièces assemblées, les charpentes peuvent subir des déformations sans que leur résistance ne soit remise en cause et il est aussi possible de changer ces pièces en vue d'un entretien sans beaucoup

Afin de permettre un certain essor de son invention, l'architecte a la volonté de poser les bases théoriques et pratiques de la construction des charpentes. Effectivement, après avoir nommé les composants, P. De l’Orme nous parle d'économies et de travail. Pour lui, le travail de l'artisan, quand il est bien fait, ne s'apparente pas à une charge. Bien avant les logiques physiocratiques38 que nous étudierons plus tard, P. De l'Orme propose déjà dans son écrit une certaine vision sociétale : « louange au Roy d’avoir faict un si grand bien à son Royaume, faisant esprouver telle invention : laquelle sera non seulement profitable aux grands Seigneurs, mais aussi à tout le peuple »39. 37

Ibid., fol. 14

▲ Dessin, Philibert De l'Orme

littéralement, le gouvernement par la nature. grec. Physis (la Nature) et kratos (gouverner) 38

39

(DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz / trouvées n'a guères par Philibert De l'Orme, Paris, ed. F. Morel, 1561, Bibliothèque Nationale de France, fol. 13)

DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions, op. cit., fol. 21 24


de difficultés. Quant aux assemblages, nous observons que les dessins proposés par l'architecte mettent en évidence un système d’arbalétriers courbes et segmentés liés entre eux (verticalement et horizontalement) grâce à un système de liernes et de chevilles clavetées40.

Tous ceux qui ont eu à effectuer des travaux de charpente peuvent savoir que le trait est essentiel au dessin des différents ouvrages. Ce trait de charpente s'apparente en architecture à des épures et permet de dessiner en plan différentes pièces mises ultérieurement en volume. Nous pouvons retrouver des illustrations dans les Nouvelles Inventions qui ont un lien avec ce trait. De cette manière, P. De l'Orme aborde une fois encore de manière globale son invention. La prise en compte du trait de charpente est d'autant plus importante que l'architecte met en avant différents schémas qui parfois peuvent se révéler complexes (cette complexité est relative si nous prenons en compte les dimensions employées). Nous voyons alors que la création d'arêtes implique une attention particulière dans le dessin. Les conseils de P. De l'Orme quant aux détails et aux adaptations qu'il peut y avoir sont nombreux et souvent accompagnés de mesures indicatives (en pouces) et d'images. Des exemples illustrés nous permettent de comprendre que les longueurs des sections d'arbalétriers dépendront relativement de la portée totale par exemple. Les détails constructifs mettent aussi en avant des préoccupations d'ordre général. Par exemple, le dessin du complexe coyau/sablière illustre une volonté de solidité et une réflexion liée à l'écoulement des eaux pluviales. De plus, nous lisons dans le chapitre XIIII que les éléments de charpentes répondent à un dialogue constant entre les diverses dimensions. Par exemple, si la portée est

▲ Trait de charpente, Philibert De l'Orme

(DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz / trouvées n'a guères par Philibert De l'Orme, Paris, ed. F. Morel, 1561, Bibliothèque Nationale de France, fol. 15)

40

Ibid., fol. 32 25


importante, P. De l’Orme cite notamment une longueur de 10 toises (soit environ 19,5 mètres), alors les pièces seront de sections plus larges ou dédoublées, la concordance des deux étant envisageable. S’agissant de la couverture des ouvrages précités, P. De l’Orme, là encore, explique la nécessité d’un dialogue entre formes et objectifs. Si nous choisissons par exemple une courbe prononcée, alors seule une couverture en ardoise sera possible. Vis-à-vis de la couverture il est intéressant que pour parer à des problèmes d’étanchéité l’architecte nous propose un système de faîtage ayant un rôle ornemental. C’est cette formidable plasticité de la charpente « à la De L’Orme » qui rend les propositions d’applications de l’architecte intéressantes. En effet, l’invention repose à la base sur un module (arbalétrier/lierne) reproductible, cette découverte permet alors un champ de création très large. Bien que P. De l’Orme n’atteigne pas l’utopisme de Richard Buckminster Fuller avec ses dômes géodésiques, il propose différentes mises en forme basées là aussi sur un détail constructif reproductible. C’est avec intérêt que nous pouvons, entre autres, lire que les arbalétriers peuvent prendre la forme d’un arc brisé. Motivée par des résistances structurelles plus importantes et la possibilité d’un faîtage, cette vision laisse songeur au regard du contexte dans lequel s’insère de travail de P. De l’Orme. ▲ Dessin, Philibert De l'Orme

(DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz / trouvées n'a guères par Philibert De l'Orme, Paris, ed. F. Morel, 1561, Bibliothèque Nationale de France, fol. 22)

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L’architecte est en effet un constructeur majeur du XVIe siècle, une période durant laquelle le passage de l'époque


médiévale à la Renaissance, de l’arc brisé au plein-cintre, n'a pas atteint son terme. Le dessin d’une double structure portante mêlant dans un même axe un plein-cintre et un arc brisé illustre peut-être bien le type de dessin qui fait encore aujourd’hui de leur auteur une figure de passeur d’histoire en architecture.

du savoir des charpentiers : la coupe et l’assemblage des gros bois »41. En se passant du savoir des charpentiers, Philibert De l'Orme a pu ouvrir la voie de la préfabrication en architecture. Nul doute que cette méthode de travail a pu trouver un écho à la fin du XVIIIe siècle, à l'aube de la révolution industrielle.

L’extraordinaire inventivité de P. De l’Orme le pousse à proposer dans son ouvrage bien des applications qui vont au-delà des simples adaptations applicables à la charpente elle-même. En effet, nous trouvons dans le second livre des Nouvelles Inventions des dessins de planchers ou de plafonds basés sur le même module. Là encore, l’auteur n’est pas avare de conseils sur les techniques à adopter.

Enfin, il est aussi question dans l’ouvrage des conséquences négatives que peuvent porter les charpentes et autres inventions basées sur le module arbalétrier/lierne. Bien que soit défendue la résistance structurelle du procédé, les ouvrages peuvent par exemple s’affaisser. Ce fut le cas d’après ce que nous pouvons lire au château d’Anet par exemple. Ce désagrément peut-être dû à l’humidité qui fait travailler les bois, P. De l’Orme cite alors le château de Fontainebleau : « la chambre du Roy qui est au pavillon sur l’eftang à Fontainebleau : ou i’ay faict faire aussi un petit cabinet tout aupres sur la terrasse, qui a fort bonne grace. Mais ie ne me trouveray iamais foubz planchers quarrez ou droictz, ausquelz y ait lambriz de menuiserie, que ie n’aie peur, pour le grad dager & l’experience que i’en ay eue ». De plus, l’auteur met aussi en garde vis-à-vis de la présence d’un lambris ou d'un platelage qui pourrait rendre invisible une quelconque déformation ou la présence de moisissure. Notons qu'il est aussi déconseillé de placer des pièces de bois en contact direct avec du mortier ou du plâtre, au contraire

Il est d’autre part curieux de noter que les inventions de planchers qui figurent dans le livre ne sont pas sans rappeler par exemple les ponts maçonnés qui traversent la Seine par exemple. N’y-a-t’il pas au travers du projet de P. De l’Orme une réflexion héritée de son savoir-faire de maçon ? Les théories peuvent être nombreuses mais pour les étudiants en architecture que nous sommes il est étrange de n'utiliser le bois qu'en compression, comme nous le ferions avec de la pierre par obligation. Valérie Nègre dit à propos du rapport ambigu entre maçonnerie et charpente qu' « on sait que Philibert De l’Orme avait reçu une formation de tailleur de pierre, mais que son invention portait sur la charpente. Il faut remarquer cependant qu’en remplaçant les grandes pièces de bois par de petites planches assemblées, l’architecte proposait de se passer de la partie la plus sophistiquée

NÈGRE, Valérie, La contribution des artisans au rétablissement de la charpente de Philibert De l'Orme au XVIIIe siècle, Collectif, Philibert De l'Orme - Un architecte dans l’histoire, Turhout, Brepols, 2015, p. 232 41

27


de l’argile, ces composants «échauffent» le bois42. Peutêtre pouvons-nous nous inspirer de ces recommandations encore aujourd'hui afin de sauvegarder certains édifices.

maisons »43. Ainsi, nous comprenons là que l’invention et le discours ont pour visée une diffusion à tous les types de bâtiments, à couvrir tous les usages. De plus, l’auteur assimile des attributs pratiques («quelques galerie ou pavillon») à l'opportunité d’un décor («decorer le lieu»).

Dans ses Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz, l’architecte rappelle de grandes idées qui ont guidé son invention : la beauté, l’absence de fer, l’économie de grands éléments, la facilité de mise en oeuvre, la facilité de réparation, la possibilité d’isoler... Ces idées peuvent faire figure de poncifs mais nous pouvons néanmoins être frappés par l’écho qu’elles trouvent encore aujourd’hui lorsqu'il s’agit de mettre en oeuvre des formes bâties. Une réflexion quant à l'esthétique est aussi présente au XVIe siècle. Pour Philibert De l'Orme le procédé peut s'accompagner de décors. A la lecture des Nouvelles inventions nous pouvons certes remarquer par exemple l'importance des détails techniques, mais il est aussi intéressant d'observer la place qu'accorde l'architecte aux formes et aux ornementations. Le chapitre XIX nous laisse lire par exemple : « I’ay faict encores cy apres une autre petite figure de comble qui n’est hemicycle ne à tiers poinct, & ne fera telle façon moins forte qu'une autre pour servir à quelque galerie ou pavillon pour decorer le lieu (...) Il me semble que toutes les figures & discours que i’ay faict iufques icy, sont suffisans pour entendre la façon de toutes sortes de courbes & couvertures, soient pour esglises, Palais, Chasteaux & autres fortes 42

▲ Projet de dortoir, Philibert De l'Orme

(DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz / trouvées n'a guères par Philibert De l'Orme, Paris, ed. F. Morel, 1561, Bibliothèque Nationale de France, fol. 34)

DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions, op. cit., fol. 122

43

28

Ibid., fol. 67


Par ailleurs, notons que les charpentes et les inventions de l’auteur remettent en cause les formes architecturales présentes en France à l’époque. Nous pouvons imaginer par exemple que le projet de dortoirs pour l'abbaye de Montmartre à pu être observé comme étant novateur. Le projet dont nous trouvons des descriptions aux chapitres XXIII à XXV des Nouvelles Inventions correspond à un édifice aux dimensions très importantes. Nous y retrouvons une série de cellules pour les soeurs formant un cercle autour d'un cloître lui aussi rond. De plus, la charpente que P. De l’Orme souhaitait effectuer là devait selon ses plans couvrir l’ensemble du bâti (cellules et cloître). L’abbaye selon P. De l’Orme ne correspond pas aux autres plans d'abbayes que nous connaissons de l’époque (par exemple, le grand dortoir de l’abbaye Notre-Dame de Fontevraud). Cependant, nous pouvons voir là une référence à l’antique. D’ailleurs, P. De l'Orme écrit « Au plus haut eust esté faicte une ouverture toute rode, ainsi qu’à la Rotonde de Rome, ou un pronau en façon de lanterne, comme nous le mostre ledict deseing, & eust esté faict de petites pieces selon nostre Invention nouvelle »44. Par conséquent, l'influence italienne est vérifiée bien que l'architecte apporte des éléments de projet qui lui sont propres. Certains peut-être verront là l'image d’un compromis entre deux architectures, l'une française et l'autre italienne.

même, cette charpenterie suscitera un engouement, duquel résulteront différents ouvrages (annexe 2). En 1557, P. De l'Orme adresse une lettre45 au Connétable de Montmorency qui est cette année-là contrôleur des bâtiments du roi. Le document d'archives ne manque pas de nous faire partager l’attachement personnel de l'architecte pour son invention. Le lyonnais dit par exemple à Anne de Montmorency avoir « bien grand regret que ne pouvez veoir a ceste heure la belle invention de charpenterie qui est parachevée a la Muette, que se treuve une infinité de foys plus belle et encore meilleure que je n’eusse pensé et de bien grande espargne. Et aujourd’huy, chacun qui veult bastir en veult faire »46. Néanmoins nous pouvons nous questionner quant à la réalité matérielle d'un certain engouement pour l'invention de P. De l’Orme. Les charpentes à petits bois semblent rares au XVIe siècle et quasi absentes au XVIIe siècle47. En Sarthe, deux charpentes encore visibles peuvent selon nous être datées de ces périodes : la première d'entre elles est située au lieu-dit le Pont de Vaiges à Sablé-sur-Sarthe, là ce sont LE CLECH-CHARTON, Sylvie, L'invention d'une nouvelle technique de charpente par Philibert De l'Orme, à travers l'édition d'une lettre adressée au Connétable de Montmorency, Collectif, Philibert De l'Orme - Un architecte dans l’histoire, Turhout, Brepols, 2015, p. 215217 45

Ainsi, au fil de son écriture, l'auteur ne manque pas de préciser des réactions souvent vives que ses charpentes ont reçues. Par ailleurs, comme l'architecte le souligne lui44

DE L’ORME, Philibert, lettre n°31, 1557, Archives Condé, Chantilly (Institut de France), série L, registre 23, d'après Sylvie Le ClechCharton 46

Ibid., fol. 77

47

29

FÉRAULT, Marie-Agnès, loc. cit.


les éléments architecturaux de l'ensemble du bâti couvert à petits bois qui peuvent laisser penser à une datation ancienne. Cependant, cette théorie peut être remise en cause par l'absence de lierne et les correspondances avec d'autres charpentes de la même époque. L'autre bâtiment qui nous interpelle concerne une grange au château du Maurier à la Fontaine-Saint-Martin. Le bâtiment agricole ainsi couvert est décrit par les services en charge de l'inscription au titre des Monuments Historiques comme daté du XVIe siècle48.

Peut-être est-ce le caractère universel du procédé de Philibert De l’Orme qui n'a pas toujours fait écho aux volontés des propriétaires. Effectivement, quand l’architecte explique ce pourquoi le procédé peut être utile il ne fait pas de distinction entre différents usages. L’apparat vient toujours en ajout du procédé mais n’est jamais un facteur déterminant dans l’usage ou non de celui-ci. Contrairement à d’autres formes de charpentes souvent réservées à des usages précis, comme la coupole par exemple, la charpente selon P. De l’Orme s’applique à tous les types de projets, qu’ils soient monumentaux ou ordinaires. Notons que P. De l’Orme appliqua par le dessin son procédé aussi bien à des projets de communs qu’à un projet de basilique à l’hôtel des Tournelles. Ce projet de basilique faisant plus de 50 mètres de large est tel que si nous le remettons dans le contexte du XVIe siècle, il peut s'apparenter en partie à une architecture de papier comme celle que dessinera Etienne-Louis Boullée à la fin du XVIIIe siècle49.

Enfin, d'après des travaux de l'historienne C. Toulier, un ouvrage apparaît comme potentiellement antérieure à la fin du XVIIIe siècle : celui d'une ancienne galerie au château du Lude. Ce sont des éléments d'archives qui nous ont été rapportés qui justifieraient cette datation, cependant nous ne pouvons à ce jour confirmer une appartenance au XVIIe siècle. Notons que l'historienne a aussi pu nous aider durant nos recherches quant au château de Bocé. L'édifice a pu nous interroger tant la forme de la couverture de sa galerie correspond aux dessins de P. De l’Orme. Finalement il s’est avéré que cette charpente à chevrons formant ferme n’est pas à petits bois. Ainsi, aux vue des rares possibles exemples que nous avons en Sarthe antérieurs au XVIIIe siècle nous pouvons dire que la position d'architecte du roi qu'occupe Philibert De l’Orme mêlée à l'originalité de ses travaux a encouragé sans aucun doute un certain récit historique qui n'a pas pour autant toujours porté des ambitions constructrices.

Ainsi nous allons voir comment Philibert De l'Orme fît l'objet entre autres grâce à son procédé, de nombreuses récupérations. L'usage de ce procédé est certes révélateur de recherches en matière de solidité, ou de fonctionnalité, mais il est aussi question là d'une revendication d'un certain humanisme. La figure de P. De l'Orme a su des siècles après la mort de l'architecte se révéler charismatique pour ceux Étienne-Louis Boullée conduisit d'ailleurs en 1788 un projet utilisant le procédé que nous étudions, ETH Zürich, « Plans, coupes et élévations de diverses productions de l'art de la charpente exécutées tant en France que dans les pays étrangers / recueillis et publiés par J. Ch. Krafft », erara, 12 décembre 2017, www.e-rara.ch/zut/content/titleinfo/1615945 49

« Château du Maurier », Base Mérimée, 12 décembre 2017, www. mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr 48

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â–˛ Château du Maurier, La Fontaine-Saint-Martin (Image personnelle, 2017)

31


qui l’étudient et il a pu s'avérer tentant de copier certaines mises en oeuvre. La Sarthe n'est pas exsangue de cette revendication tant des savants ont su s'intéresser au procédé et le faire perdurer, bien des années après qu'il ait fait l'objet d'une première publication.

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▲ Château de l'Ardoise, Pithiviers Charpente à petits bois

▲ Château de Bocé, Aubigné-Racan Charpente à chervrons formant ferme

(DENEUX, Henri, « Château de l’Ardoise », Base Mérimée, 12 décembre 2017, www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr)

(TOULIER, Christine, « Château de Bocé », Patrimoine des Pays de la Loire, 12 décembre 2017, www.patrimoine.paysdelaloire.fr)

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Valérie Nègre choisit en 2015 de parler du cas particulier de la Halle aux Blés de Paris51, construite de septembre 1782 à juin 1783. L'historienne, rappèle que l'édifice est pour Thomas Jefferson « the most superb thing on earth ! »52 et pour Quatremère de Quincy «un diamètre presque égal à celui du Panthéon de Rome», «une légèreté prodigieuse»53. Le diamètre de l’édifice, presque 68 mètres, subjugue les visiteurs, beaucoup sont fascinés par la charpente colossale. Les architectes, Legrand et Molinos, pensent à l’époque que le procédé qu'ils emploient pour cette superstructure est une invention de l’architecte lyonnais. Un médaillon à l'effigie de P. De l'Orme fut d'ailleurs commandé à Philippe-Laurent Roland en 1782.

wLe siècle des Lumières en héritage Face aux charpentes traditionnelles, l'ampleur de la diffusion du procédé est difficile à déterminer pour les périodes successives à la création des charpentes que nous avons citées. C’est cependant durant la seconde moitié du XVIIIe siècle que les charpentes dites à la De l'Orme réapparaissent sans que nous ne sachions si cela s'est fait sur la base d’une réédition des Nouvelles Inventions. Bien que P. De l'Orme soit cité par les constructeurs du XVIIIe siècle, nous ne savons pas qui sont les pionniers qui ont pu conduire au rétablissement du procédé. Du reste, ce nouvel essor s'illustre par exemple par deux constructions emblématiques, celles des Halles aux blés (1783) et aux draps (1786) de Paris50.

Cependant, un débat quant à la paternité du procédé va animer les esprits à l'époque de la construction de la Halle. Bien que le procédé soit utilisé depuis le XVIe siècle, un commerçant tourangeau va accuser en 1783 Legrand et Molinos d'avoir volé leur idée de construction54. Pour Louis51

NÈGRE, Valérie, op. cit., p. 231

ADAMS, William Howard, The Paris Years of Thomas Jefferson, New Haven, ed. Yale university press, 1997 52

« Cette coupole, écrivait Quatremère, d’un diamètre presque égal à celui du Panthéon de Rome, produisait le plus grand effet, et paraissait d’une légèreté prodigieuse. L’œil parcourait une voûte immense [...] », article « Voûter », DE QUINCY, Quatremère, t. II, 1832, p. 706, d'après NÈGRE, Valérie, op. cit., p. 11 et 19 53

▲ « Moyen de construire une couverture mis en pratique à l’ancienne halle aux draps de Paris »

« Devis estimatif d’une ferme de charpente de 22 pieds d’ouverture à l’instar de Philibert de l’orme conformément au Model », Tours le 30 avril 1780. Bibliothèque historique de la ville de Paris, côte CP 4823. Les architectes répondent en écrivant « On exécutait déjà la coupole 54

(Paris, musée des arts et métiers, d'après Valérie Nègre)

Collectif, L'urbanisme parisien au siècle des Lumières, ed. Action Artistique De Paris, 1997 50

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Auguste Boileau, architecte, la paternité de la charpente revient à André Jacob Roubo, le menuisier qui a construit la charpente55. Nous retiendrons de ces débats quant à l'invention des charpentes à la De l'Orme un perpétuel flou, certains considérant De l'Orme comme un nom commun, d'autre comme un nom propre uniquement.

Au XVIIIe siècle, ce genre de débats entre spécialistes n'est pas rare, cela est dû au contexte intellectuel. Des savants européens de l’époque, représentés entre autres par Jean-Jacques Rousseau ou Jean le Rond d’Alembert, promeuvent la connaissance et l'humanisme. Ce siècle que nous appelons des «Lumières» va en effet permettre des recherches scientifiques ou philosophiques radicalement nouvelles. Le monde est alors pensé dans sa globalité comme en témoigne cette fameuse citation de François Quesnay «Pauvres paysans, pauvre royaume»56. Dans cette recherche permanente de nouveaux procédés l'architecture n'est pas en reste. Les charpentes à petits bois connues déjà à l'époque sous le nom de «charpentes à la De l’Orme» font figures d’expérimentations.

Les débats dont nous trouvons des traces écrites sont intimement liés à la renaissance du procédé. En effet, nous savons grâce à nos recherches que les charpentes dites à la De l'Orme ont toujours été marginales, quels que soient les territoires. De plus, les exemples de charpente que nous constatons concernent des typologies très diverses allant des monuments parisiens jusqu’à l'architecture sans architecte. La rareté et l'hétérogénéité favorisent ainsi la réappropriation et par voie de conséquence un débat quant à la paternité.

Effectivement, les savants se tournent vers des domaines peu explorés par la théorie. Par exemple, il est intéressant de noter, grâce à Valérie Nègre, que dans Émile ou De l'éducation57, Jean-Jacques Rousseau choisit d'attribuer le métier de menuisier à son héros. Or, le menuisier de la Halle aux blés semble être une parfaite illustration des principes prônés par le philosophe. Par exemple, André Jacob Roubo a écrit de 1769 à 1777 La Description des arts et métiers : l’Art du menuisier58, grâce au soutien du duc de Chaulnes.

de la halle lorsque nous apprîmes de Mr Simon lui-même l’histoire de sa couverture et de son procès ». Il précisent aussi qu’avant cela : « La renommée nous avait appris alors qu’un sous-ingénieur des ponts et chaussées en avait usé pour couvrir des granges de Touraine et qu’il avait aussi dirigé la toiture de la maison d’un négociant suivant cette méthode ». Bibliothèque historique de la ville de Paris, côte CP 4823, d'après NÈGRE, Valérie, op. cit., p. 12

QUESNAY, François, Maximes générales économique d'un royaume agricole, Paris, 1767 56

« La plupart des historiens de Paris taisent le nom de l’habile constructeur de cette coupole ; d’autres en attribuent tout l’honneur aux architectes Legrand et Molinos. Nous allons rectifier les faits, et rendre justice à qui de droit. Il s’agit d’un travail trop admirable pour que l’omission du nom de son auteur puisse être excusable », FOUCAULT, 1841, p. 169-170, d’après NÈGRE, Valérie, op. cit., p. 13 55

du

gouvernement

ROUSSEAU, Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation, Canton de Genève, 1762 57

ROUBO, André Jacob, La Description des arts et métiers : l’Art du menuisier, Paris, Cellot & Jombert, 1769-1777 58

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La frontière entre savant et ouvrier s’amincit. L’ouvrage Vers une agritecture de Jean-Philippe Garric nous propose une série d’illustrations quant à ce nouvel engouement des savants pour des milieux longtemps éloignés de la théorie. De cette façon nous comprenons que l’Essai sur l'architecture de l'abbé Laugier59 est le premier travail depuis Vitruve dont un des thèmes abordés est l'architecture «agricole vernaculaire». Les approches des auteurs et architectes à partir du règne de Louis XV visà-vis d'une architecture rurale varient selon les personnes. Pour Jacques-François Blondel, il s’agit d'une architecture « qui paraît relative à l’utilité de l’Agriculture, par les différentes manières de sa construction, par la simplicité de son ordonnance, par ses ornements de Sculpture symbolisés avec les attributs de Flore, de Pomone, ou autres Divinités des forêts & des bois»60. Loin de cette vision essentiellement esthétique de l'architecture rurale, d'autres savants proches des idées physiocratiques vont porter des projets liés à une vision globale du monde, notamment économique et politique. Dans sa présentation de l'oeuvre Physiocratie61 de François Quesnay, Jean Cartelier nous expose un LAUGIER, Marc-Antoine, Essai sur l’architecture, Paris, Duchesne, 1753 59

BLONDEL, Jacques-François, Cours d'architecture ou traité de la décoration, distribution et construction des bâtiments, Paris, Desaint, 1771-1777, t. 1, p. 417, d’après Jean-Philippe Garric 60

QUESNAY, François, Physiocratie, ou Constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain, Paris, Flammarion, 2008, présentation de Jean Cartelier 61

▲ Essai sur l’architecture, Marc-Antoine Laugier (LAUGIER, Marc-Antoine, Essai sur l’architecture, Paris, Duchesne, 1753) 36


projet économique radical visant à stopper un délitement du pouvoir aristocratique en France. En effet, le projet utopique de F. Quesnay dans les années 1750 est celui d'une France où la propriété et l’agriculture seraient profitables à tous, l'auteur conseille alors aux propriétaires de s’invertir massivement dans leurs exploitations, aux dépens de l’industrie croissante. Le théoricien nous parle d'un «luxe de subsistance» contre un «luxe de décoration»62.

d'autant plus mises en avant qu’elles permettent de forger un discours national et qu’elles occupent parfois le quotidien de propriétaires aristocratiques ayant quitté la ville pour des raisons politiques. Le calendrier républicain offre une bonne illustration de ce que représente l'agriculture à l'époque, ses périodes aux noms évocateurs furent d’ailleurs en partie choisies par le jardinier du muséum d'histoire naturelle et du jardin des plantes André Thouin.

De cette manière, à la fin de l'ancien régime et au début du XIXe siècle naîtront des projets nouveaux souvent portés par des propriétaires terriens soucieux du contexte dans lequel ils évoluent. Nous citerons alors par exemple le projet de Claude Nicolas Ledoux d’une bergerie à la Roche-Bernard63, ce projet n'appartient pas à la famille de ceux du Hameau de la Reine à Versailles ou du Hameau de Chantilly. A l’inverse des projets emblématiques menés pour la reine Marie-Antoinette ou le Prince de Condé, le projet de Ledoux est tourné vers les activités agricoles et leurs fonctionnements.

Afin d’abriter les pensées nouvelles, des structures vont être créées. En 1761 naîtra par exemple la Société royale d’agriculture. Les sociétés, à l'image des savants précités, ont pour ambition de promouvoir la connaissance et le développement de différentes économies. Après la Révolution, de nombreuses structures perdureront. En 1789, la Société d'agriculture de Paris publie par exemple un mémoire nommé « La Ferme »64. Une des figures éminentes de ce courant de pensée lié à l'architecture rurale est François Cointeraux (1740-1830). L'inventeur et architecte de la région Lyonnaise va publier de nombreux fascicules illustrant aussi bien des techniques ancestrales que des dispositions innovantes destinées à favoriser des constructions rurales de valeur. L’hygiène est notamment très présente au travers des projets qu’il décrit. F. Cointeraux est avant tout connu pour ses travaux quant au pisé, plus de soixante-dix écrits concerneront le procédé65.

Au lendemain de la Révolution, les activités agricoles seront « Les 600 livres de revenu sont dépensées par le propriétaire, moitié à la classe des dépenses productives en pain, vin, viandes, etc.et, l’autre moitié à la classe des dépenses stériles en vêtements, emmeublements, ustensiles, etc. Ces dépenses peuvent se porter plus ou moins d'un côté ou de l’autre, selon que celui qui les fait se livre plus ou moins au luxe de subsistance, ou au luxe de décoration. », Ibid., p. 91 62

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LEDOUX, Claude Nicolas, « Maison des bergers », op. cit., pl. 299, d’après Jean-Philippe Garric

GARRIC, Jean-Philippe, op. cit., p. 54

JOFFROY, Thierry, La construction en terre crue marque le paysage de France : habitat rural et urbain, public ou privé, églises, manufactures,

63

65

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Néanmoins, le créateur s’est aussi intéressé aux charpentes. En 1803, F. Cointeraux propose une planche66 visant à donner les différentes inclinaisons de toits en fonction des différentes positions géographiques dans le monde. JeanPhilippe Garric nous rapporte aussi qu'entre 1806 et 1807 l'auteur publie des propositions de couvertures alors que durant la même période, la Halle aux blés de Paris est en construction à la suite d'un incendie. Cointeraux rédigera plusieurs textes liés à la Halle et plus largement aux incendies mis en rapport avec les charpentes, par exemple. Nous pouvons citer La Bonne et Unique méthode pour faire les toits des bâtimens67, l'Application de la charpente incombustible de Cointeraux à la couverture de la halle au blé de Paris, ou encore la Description exacte et raisonnée du nouveau toit, Depuis l'orage ou la tempète du 18 février 1807. L’auteur a établi des plans de charpente utilisant le procédé déjà employé par P. De l'Orme. Effectivement, il défend alors les charpentes à petits bois entre autres pour ses qualités géométriques, il parle d'une « figure symbolique de la perfection »68. Valérie Nègre explique dans son article La monuments historiques, déclinent son utilisation séculaire sur l’ensemble du territoire national., Paris, Cité de l’Architecture et du patrimoine, 2011 COINTERAUX, François, Nouveau principe pour les pentes de toits, 1803 66

COINTERAUX, François, La Bonne et Unique méthode pour faire les toits des bâtimens, op. cit., d'après Jean-Philippe Garric 67

▲ Coupe, François Cointeraux

(COINTERAUX, François, Description exacte et raisonnée du nouveau toit, Paris, l'auteur, 1807)

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COINTERAUX, François, Des Nouvelles bergeries, de ce qui les


▲ Schéma de différentes pentes de toîts, François Cointeraux (COINTERAUX, François, Nouveau principe pour les pentes de toits, 1803) 39


XIXe siècle marque un moment fort dans la construction. Nous connaissons 74 charpentes (détruites ou non) datées d’une période allant des années 1780 jusqu’au années 1890, contre une trentaine pour toutes les autres périodes confondues. Parmi ceux ayant utilisé le procédé nous pouvons citer Victor Louis (Hôtel de la Motte-Sanguin, 1788-1892, Orléans), Pierre-Adrien Pâris (Cathédrale d’Orléans, 1791, Orléans) ou encore Léon Vaudoyer (Musée des Arts et Métiers, 1860 environ, Paris).

contribution des artisans au rétablissement de la charpente de Philibert De l’Orme au XVIIIe siècle que Cointeraux aurait même pensé être l'inventeur du procédé. Ainsi, la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle constituent une période où le monde rural occupe une place importante. Des procédés sont alors diffusés par le biais de publications et d'institutions telles que les sociétés d’agriculture. De cette manière, bon nombre de propriétaires peuvent s'approprier les procédés et ainsi favoriser une certaine modernisation de leur outil de production. Les charpentes dites à la De l’Orme ne sont alors pas en reste, leurs caractéristiques déjà mises en avant au XVIe siècle (facilité de mise en oeuvre, coût matériel, forme...) représentent un intérêt pour les savants de l’époque. L’ouvrage que Philibert de l’Orme publia au sujet des charpentes, Nouvelles inventions, peut s’apparenter à un recueil technique semblable à ceux qui trouveront leur essor aux XVIIIe et XIXe siècle. Tant la forme que le contenu de l’écrit peuvent avoir trouvé un écho. De plus, la figure même de De l’Orme à laquelle est liée le mode de construction a pu susciter, comme nous l'avons dit, de la fascination. Il est difficile de proposer un panorama complet des charpentes en France ou en Europe tant le lien entre médias et commanditaires peut s’avérer difficile à établir. Cependant nous remarquons grâce à différentes recherches que la période allant de la fin du XVIIIe jusqu’au milieu du constitue bonnes et très salubres, Paris, l'auteur, 1805 40


▲ Comble et un plancher réalisés selon le procédé de Philibert De l’Orme, Jean-Jacques Lequeu (Paris, Bibliothèque nationale de France, d'après Valérie Nègre)

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de contribution, soit la deuxième plus forte proportion de très gros propriétaires de l'ouest de la France70. De plus, en 1830 les personnes titrées représentent 24,13% des propriétaires de terres cultivables71.

L’émergence de nouveaux savants en Sarthe C’est au travers de travaux de savants que furent rétablies les charpentes à petits bois au siècle des Lumières. Or, il apparaît qu’une concentration de charpentes ait vu le jour en Sarthe, pouvons-nous alors penser que la Sarthe fut un terrain d’application singulier ? Pour répondre à cette question il nous faut nous plonger dans la Sarthe telle qu’elle fut à l’aube de la Révolution, au moment où les charpentes les plus anciennes de notre corpus virent le jour.

Avant la Révolution, la noblesse Sarthoise a tendance à délaisser la province pour Paris, l'historien Paul Bois parle même d’un «absentéisme total de la haute noblesse». Après 1789 cette tendance s'inverse. Les propriétaires sont ainsi amenés à retourner sur leurs propriétés agricoles et à constater l'état de celles-ci. Louis-Alexandre-Marie De Musset écrit en 1788 au procureur de l’Assemblée provinciale qu’ « une des grandes causes du peu de succès de l’agriculture et de la misère des cultivateurs est l’absence des plus grands propriétaires qui y livrent leurs terres à des fermiers-généraux.»72. Certains propriétaires comprennent donc qu'ils peuvent agir dans un contexte rural afin de maintenir certains acquis et parfois promouvoir une améliorations générales des conditions de vie.

Le département sarthois est à la fin de l’Ancien Régime un territoire où les travaux agricoles prédominent. Or, comme l'ont rappelé les Physiocrates, c'est sur la propriété foncière que repose cette activité. Dans ce cadre la noblesse tient un rôle très important puisque c'est souvent elle qui détient les terres nécessaires aux cultivateurs. Avant 1789, la noblesse est présente en Sarthe au même titre que dans d’autres zones françaises voisines69. Cependant, une fois la Révolution passée, la démographie de cette catégorie sociale reste stable. Les confiscations révolutionnaires n'ont pas à long terme bouleversé la structure foncière. Les titrés sont après cette période souvent nommés propriétaires et représentent les plus grandes fortunes. En 1840 par exemple, la Sarthe compte 17 châtelains payant plus de 3 000 francs

Cet engagement est remarquable par bien des aspects. Par exemple, des résultats électoraux nous laissent voir souvent au début du XIXe siècle des noms nobles prenant partie73. 70

AMALFITANO, Franck, op. cit., p. 23

BOIS, Paul, Paysans de l'Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l'époque révolutionnaire dans la Sarthe, Paris, ed. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1960 71

DE MUSSET, Louis-Alexandre-Marie, lettre, 1788, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte C. 82

72

TUDESQ, André-Jean, Les grands notables en France (1840-1849). Etude historique d'une psychologie sociale, Bordeaux, imp. Delmas, 1964 69

73

42

AMALFITANO, Franck, op. cit., p. 198


▲ Physiocratie, François Quesnay

(QUESNAY, François, Physiocratie, ou Constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain, Paris, Merlin, 1768, Bibliothèque Nationale de France)

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Des nobles vont aussi se lier à des idées d’industrie. Déjà au XVIIIe siècle, dans la généralité d’Alençon (à la frontière avec la Sarthe) les nobles représentaient entre 82,5% et 84% des maîtres de forge74 par exemple. Néanmoins, dans bien des cas un lien au foncier existe. Le noble progressiste en Sarthe tente d’utiliser l’industrie afin de valoriser son patrimoine préexistant. La position de noble-industriel permit de favoriser l’émergence de nouvelles recherches savantes. Afin que ne périclite par son activité créatrice de toiles de chanvres et que la condition ouvrière s'améliore, Max de Perrochel va ainsi dans les années 1840 imaginer différentes dispositions pour ses ateliers. Cet homme est issu de l'aristocratie et dispose entre autres de deux châteaux en Sarthe et de 30 000 francs de revenus sous l’Empire75. Grâce à ses découvertes en matière de tissage et ses connaissances économique l'homme va permettre de maintenir l'activité économique durant quelques années76.

▲ Société d'Agrilculture, Sciences et Arts de la Sarthe

(Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts et la Sarthe, 1835, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte 1 Mi 151, p. 88)

base de ses observations77 proposer un nouvel équilibre alimentaire destiné à améliorer la condition de tous.

Outre un intérêt financier, l'ancienne noblesse sarthoise peut aussi trouver dans l'artisanat et l'industrie un moyen de favoriser le progrès social. Dans un contexte parfois difficile pour le prolétariat, des nobles tentent de proposer de nouveaux schémas durant tout le XIXe siècle. Le marquis Édouard de Sarcé va par exemple en 1862 sur la 74

Ibid., p. 344

75

Ibid., p. 347

La Société d’agriculture de la Sarthe, fondée en 1761, illustre bien la multiplicité des motifs qui poussent les grands propriétaires sarthois vers le progrès. Au sein de cette structure, la modernisation du monde agricole et son rapport « Le bœuf n'est servi qu'une dizaine de fois, seulement en temps de récolte et aux fêtes patronales. Le veau paraît aussi une vingtaine de fois, mais seulement au printemps. La consommation de ces dernières viandes peut être évaluée à 150 gr par jour et par homme. » , Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts et la Sarthe, 1835, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte 1 Mi 151, p. 88 77

DE PERROCHEL, Maximilien, Nouvel encollage des chaînes de tissus, Le Mans, ed. de Monnoyer , 1832 76

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à l’industrie passionne. Ses membres « remplissent le rôle de catalyseurs, de diffuseurs de l'agriculture moderne»78. Néanmoins, il a pu arriver que les volontés des savants se heurtent à certaines limites. Le travail de la société reposait en effet sur des personnalités sans lesquelles des zones restaient encore éloignées du progrès. La géographie est essentielle pour comprendre le dynamisme savant en Sarthe. Le Mans est en effet avant la venue du train en 1854 à 24 heures de Paris. Cette proximité permet à des personnes fortunées d’allier vie parisienne et vie à la campagne. Ainsi, les échanges économiques et culturels sont favorisés. D’ailleurs, lors de l’exposition industrielle de 1836 la Société d’Agriculture se positionne clairement pour la centralisation parisienne, elle déclare : « Nous ne sommes pas de ceux qui font le procès de la centralisation, et qui portent envie à l'éclat que Paris lui doit.»79. Cet attachement à la capitale s’explique par les progrès que la ville promulgue sur les campagnes alors en pleine modernisation. En outre, nous remarquons le caractère personnel des travaux liant nobles et agriculture. Ce caractère individuel a pu parfois créer un lien fort entre des travailleurs appartenant à différentes classes sociales. Les différents acteurs du AGHULON, Maurice, 1848 ou l’apprentissage de la République, Paris, éd. Seuil, 1973 78

Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts et la Sarthe, 1836, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, PER 1128, p. 128 79

▲ Château Perrochel, Saint-Aubin-de-Locquenay (www.perche-gouet.net)

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monde paysan sont interdépendants, leurs épanouissements ne peuvent exister aux dépens des autres. Pour l'historien Franck Amalfitano, « beaucoup de nobles se considèrent plus proches des ruraux que des gens des villes. Lors des crises, ils sont les premiers à sentir les difficultés des paysans qui viennent les supplier d’échelonner la rentrée des fermages »80. Des innovations permettent par ailleurs d'améliorer les conditions de travail de bien des travailleurs au-delà de la seule propriété noble. Nous sommes alors loin de l'attitude du duc Louis de La Châtre, propriétaire parisien qui au XVIIIe siècle vend son domaine de Malicorne-surSarthe pour éponger ses dettes émises pour subvenir à des fastes81. Le temps est venu pour beaucoup de propriétaires de s'investir dans la production des richesses.

Bel Air (sur un des communs subsistants, Jauzé)82, à l'ancien prieuré de Saint-Symphorien (boulangerie, Marolles-lesBraults)83, à La Besnerie (four à pain, Saint-Aignan)84 et à Launay (remise, Saint-Georges-du-Rosay)85. Même l'église de Jauzé vit son transept surmonté par une charpente à petits bois sous l'impulsion de la famille86. Bien que réintroduites dans le langage architectural à Paris vers les années 1780 comme nous l'avons vu, les charpentes à petits bois vont trouver leur essor en Sarthe grâce en quelque sorte à l’exode citadin. Nous allons voir dans la partie suivante que c’est un riche propriétaire issu de la noblesse d’Ancien Régime qui depuis sa propriété de l’est de la Sarthe va promouvoir la construction de plusieurs charpentes « plus commodes, plus économiques, en conciliant l'élégance et la solidité »87.

Le procédé à petits bois peut correspondre aux idées héritées des Encyclopédistes des grands propriétaires en Sarthe. Effectivement, le procédé peut être utile tant à l'industrie qu'à l’agriculture. La capacité de stockage, la possibilité d’une préfabrication ou par exemple l’usage de ressources locales sont autant d’éléments qui peuvent trouver écho chez les propriétaires sarthois de la fin du XVIIIe siècle. Notons d’ailleurs que le procédé fut appliqué à tous type d’immeubles ruraux, comme du temps de Philibert De l’Orme. Par exemple, nous avons pu découvrir que la famille Desson de Saint-Aignan mit en oeuvre des charpentes à petits bois sur plusieurs de ses constructions, au château de 80

HARDY, Julien, « Château, actuellement maison », Patrimoine des Pays de la Loire, 12 décembre 2017, www.patrimoine.paysdelaloire.fr 82

PESCHE, Julien Rémy, Dictionnaire topographique historique et statistique de la Sarthe, Le Mans, ed. Bond, 1836 83

HARDY, Julien, Inventaire des charpentes à la Philibert de l'Orme en Sarthe, 2011 84

AMALFITANO, Franck, op. cit., p. 365

CHOISEUL-PRASLIN, Félix, Notes, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte 13 F 2455 81

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FLOHIC, Jean-Luc, op. cit., p. 262

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FLOHIC, Jean-Luc, op. cit., p. 242

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MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, op. cit.


â–˛ Saint-Symphorien, Marolles-les-Braults (Image personnelle, 2017)

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Nos recherches aussi bien généalogiques que documentaires ne nous ont pas permis de savoir ce qui a pu pousser Menjot d’Elbenne plus qu’un autre à s’intéresser aux charpentes. Nous avons déjà mis en avant la présence en Sarthe de charpentes certainement antérieures à la renaissance du procédé à petits bois à la fin du XVIIIe siècle. Peut-être Menjot d’Elbenne s’est-il inspiré d'exemples construits comme ceux de la Fontaine-Saint-Martin ou du Pont de Vaiges pour se lancer dans son travail. D’autre part, il est aussi possible que le savant ait été guidé par des lectures nouvellement publiées, comme celles de François Cointeraux. Notons que le nom même de «d’Elbenne» a peut-être encouragé le Sarthois à s’intéresser aux travaux de Philibert De l’Orme dans la mesure où une des connaissances de l’architecte royal portait elle aussi ce nom88.

II. CINQ DÉCENNIES CONSTRUCTRICES Insertion dans le territoire considéré D'après notre inventaire (annexe 1), les 48 charpentes recensées concernent une époque de construction allant de la fin des années 1780 jusqu'aux années 1830. La période constitue donc celle pour laquelle les traces de charpentes à petits bois sont les plus nombreuses. Voyons dans cette partie quelle forme prit le caractère prolifique de ces cinq décennies. D’après nos recherches un ouvrage semble largement témoigner de la renaissance du procédé en Sarthe à la fin du XVIIIe siècle : Constructions rurales, moyens de perfectionner les toits et de les rendre plus commodes, plus économiques, en conciliant l'élégance et la solidité. L'opuscule fut écrit par Georges Joseph Augustin Menjot d’Elbenne (15 novembre 1748, Blois - 17 décembre 1821, La Chapelle-Saint-Remy) et publié en 1808, à une époque où plusieurs charpentes furent construites. Notons aussi que la date de publication coïncide avec des dynamiques savantes que nous avons exposées dans la partie précédente.

En outre, il nous est difficile de dire quelle diffusion précise « Il n'est pas de preuve que, avant les années parisiennes, De l'Orme ait eu des rapports avec ces Italiens. dont il a naturellement suivi la migration. Ses relations avec les Del Bene ou d'Elbene sont peu consistantes. Il est possible que les travaux faits à Saint-André-des-Arts de Paris par Jean De l'Orme soient relatifs à la sépulture de Ricciardo del Bene, arrivé à Paris en 1527. En 1559, le banquier Thomas d'Elbene se chargeait d'obtenir de Rome l'expédition des bulles de confirmation de la nomination de De l'Orme comme abbé de Saint-Serge d'Angers. Les nominations aux bénéfices ecclésiastiques faites par le roi devaient être confirmées par des bulles pontificales, dont l'obtention coûtait fort cher. Les "banquiers d'expédition apostolique" (une spécialité des banquiers lyonnais) assuraient le transport des documents et acquittaient le prix à Rome. Le service rendu par d'Elbene avait un caractère strictement technique et ne témoignait pas de relations plus suivies.», PÉROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, op. cit., p 24-25 88

La forme du travail écrit est celle d'un recueil d'échanges épistolaires effectués avec les Sociétés d'agriculture de la Sarthe ou du Rhône. De plus, l’auteur est un acteur principal dans la pratique de la construction puisque son ouvrage relate des expérimentations personnelles dans l'édification de plusieurs charpentes à petits bois. 48


le livre a connue, cependant nous observons qu'il est cité par plusieurs sociétés d'agriculture en France à l'époque et qu'il a été publié dans des régions extérieures à la Sarthe89. De plus, Constructions rurales est aujourd'hui présent dans plusieurs bibliothèques90. En Sarthe la répercussion théorique d’un tel ouvrage peut être débattue car il n'y a pas à notre connaissance des constructeurs qui citent précisément l’ouvrage. Toutefois nous allons voir que les constructions qui sont décrites sont précurseurs. Menjot d’Elbenne fut un homme doué d’une grande influence en Sarthe de par sa position d'homme public. Après une carrière militaire, l'auteur a été entre autres député. De plus, le Sarthois était aussi détenteur de nombreuses propriétés91. La résidence principale de l’auteur prend le nom de Couléon et est située à la Chapelle-SaintRemy. Nous notons que l’édifice, avec son fronton et ses ouvertures, est représentatif de l'architecture du début du XIXe siècle, au même titre que les fermes rattachées au château à l’époque dont nous savons l’existence. De cette «M. Menjot d'Elbenne ayant eu occasion d'aller cet été en Berry, a fait construire à Argy des fours à chaux et à tuiles, suivant sa méthode. La Société d'agriculture de l'Indre a nommé des commissaires pour visiter ces nouvelles constructions, et les comparer avec les anciennes», Société de savants et de propriétaires, Bibliothèque des propriétaires ruraux, Paris, ed. Colas, 1809 89

Personnellement nous avons consulté l'ouvrage de Georges Joseph Augustin Menjot d'Elbenne à la Médiathèque du Mans, à la Bibliothèque Nationale de France et au Muséum National d'Histoire Naturelle 90

«Georges, Joseph, Augustin Menjot-Delbenne», Assemblée Nationale, 12 décembre 2017, www2.assemblee-nationale.fr

91

▲ Couléon, La Chapelle-Saint-Remy (Image personnelle, 2017)

49


manière, l'environnement architectural dans lequel s'inscrit l'auteur correspond à l'époque de construction des charpentes que nous étudions, cela est évocateur d’une dynamique de construction de la part du propriétaire. Voilà comment est décrit Menjot d’Elbenne sur la liste fiscale du département : «Célibataire, il quitte peu la campagne, grand agriculteur, mécanicien habile. Âgé de 62 ans, il a conservé toute la vigueur de son esprit et de son caractère. Il a perfectionné les charpentes de Philibert Delorme ; son nouveau système de construction est un bienfait pour son pays et ceux qui en font usage»92. Nous avons donc parfaitement à faire à la figure du propriétaire savant. L'ouvrage de Menjot d’Elbenne, Constructions rurales (1808) est important car il décrit une approche expérimentale liée au procédé de construction à petits bois et cite des lieux d'applications en Sarthe. Par son titre l’ouvrage permet déjà de comprendre quels types d'édifices sont concernés. D’ailleurs, l'écrit livre une explication de ce que veut dire pour l’auteur «constructions rurales». Pour lui cela concerne «les bâtimens qui servent à l'exploitation de la terre, comme grange, bergerie, écurie, étable, etc.», il ajoute aussi que «nous croyons qu'on doit encore comprendre dans cette dénomination la maison du Propriétaire, Io. parce que dans sa distribution elle peut avoir des parties consacrées à quelque branche de l'économie rurale; 2o. parce qu'elle doit être en harmonie avec les fabriques d'exploitation qui en dépendent: 3o. parce qu'elle doit avoir un ordre d'architecture

▲ Constructions rurales, G. Menjot d'Elbenne

(MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, Constructions rurales, moyens de perfectionner les toits et de les rendre plus commodes, plus économiques, en conciliant l'élégance et la solidité, Paris, ed. chez Colas et Delaunay, 1808)

DORNIC, François, Grands notables du Premier Empire, Paris, ed. Centre national de la recherche scientifique, 1978, p. 119 92

50


particulier qui la distingue des hôtels d'une cité, des palais, etc.»93. Cette citation dont le mot «propriétaire» prend un «P» majuscule est très démonstrative du lectorat formé de grands propriétaires fonciers auquel s'adresse Menjot d’Elbenne.

ce dernier fait le constat de «connaissance de l'art de la charpente [sont encore] concentrées dans les ateliers des grandes villes, et lorsqu'on s'éloigne on retrouve bientôt un art tel qu'il était il y a un siècle»94. Le mode de penser dans Constructions rurales est inexorablement global. En partant des charpentes l'auteur souhaite promouvoir une économie et l’essor du monde rural. Dans sa première lettre à la Société d'agriculture de la Sarthe, Menjot d’Elbenne met en avant une faiblesse de la production du bois en grande partie due aux charpentes, à la marine, au charronnage, au chauffage95. Pour le département de la Sarthe, le savant nous parle de nombreuses couvertures en bardeaux qui ne seraient pas remplaçables par des tuiles par exemple car la légèreté des charpentes ne le permettrait pas. De plus, les tuiles du département sont décrites comme étant de mauvaise qualité de par leur teneur en calcaire et leur dimensionnement. Néanmoins, bien des tuileries auraient vu le jour sur le territoire suite à un accroissement du prix des bardeaux. Dans sa lettre aux membres de la société d'agriculture96, le Sarthois décrit un projet de four

D’autre part, les expérimentations lisibles dans les textes partent d’un bilan critique quant aux constructions en Sarthe. Est fait le constat de charpentes trop souvent lourdes, onéreuses ou peu pratiques. Ainsi, l'ouvrage publié par Menjot d'Elbenne est un livre destiné à orienter le lecteur vers des choix de construction vertueux. Selon l'auteur le problème majeur auquel fait face la charpenterie à cette époque concerne un manque de grands éléments de bois disponibles pour la construction. Dans le cadre de notre étude nous n'avons pas pu confirmer les propos tenus par Menjot d’Elbenne, nous ne pouvons alors pas confirmer que la question des ressources fut fondatrice du travail mené. Bien que nous ne puissions dire s'il a existé une origine matérielle à la publication à laquelle nous avons accès, l'auteur s'inscrit dans une dynamique expérimentale liée à la mise en oeuvre de constructions à petits bois. La halle au blé de Paris est mentionnée comme présentant un mode de construction assimilable à celui qui est exposé. Notons qu’une critique est alors émise quand à un procédé qui n'aurait pas encore assez gagné les campagnes, le rapport entre ville et campagne motive le propos. Des mots de Léon de Perthuis de Laillevault sont notamment repris alors que 93

94

Ibid., p. 12

95

Ibid., p. 17

«Si la Société des Arts reconnaissait un avantage pour le département dans la fabrication des tuiles, sur les modèles que je lui présente, ne faudrait-il pas engager les propriétaires de tuileries à faire des essais de leurs terres ? Il en est qui arriveraient au but proposé, et qui nous donneraient, pour suppléer au bardeau, des tuiles de grès qui ne pèseraient qu'une demi-livre, et dont la toise carrée, n’aurait que 150 livres de poids, au lieu de 750 qu'elle pèse aujourd'hui. Le four que j'ai construit me procure le double avantage de me fournir à bas prix de la 96

MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, op. cit., p. 1 51


qu'il a réalisé. Ce four destiné à la création de chaux et de tuiles permettrait grâce à ses caractéristiques mêlées aux propriétés de certaines argiles de réduire par exemple de 80% le poids d'une tuile. Nul doute que les considérations lisibles dans l’ouvrage de Menjot d’Elbenne quant à la production de tuiles sont liées au procédé de charpente mis en avant. Le savant démontre alors une vision globale de l’architecture pour laquelle il entend participer aux expériences.

1804 et 1805»99. Les lieux cités sont tous situés en Sarthe, cela nous donne donc une première indication quant à la création de certaines charpentes. L’investissement du savant vis-à- vis du procédé qu'il met en avant est aussi quantifié, nous savons qu’il aurait construit quatre charpentes avant 1806. Menjot d'Elbenne partage avec nous au fil de son ouvrage les lettres qu'il a pu envoyer au sujet de ses constructions de charpentes. Dans une lettre à la Société libre des Arts séantes au Mans, l’auteur expose des tableaux de prix liés à la production de tuiles et dit que sa charpente est «exécutée à la manière de Philibert Delorme, mais elle est perfectionnée; elle est on ne peut plus élégante et commode»100. L'adaptation dont il est question là est certainement celle souvent encore visible aujourd’hui au travers des exemples. Il s'agit de charpentes à petits bois dont les liernes sont supprimées au profit de pannes transversales. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette innovation.

Le texte, tiré du procès-verbal des séances de la Société des Sciences et Arts du département du 27 mars 180697, nous parle avec précision des travaux de Menjot d’Elbenne quant à des charpentes «dans la manière de Philibert Delorme» (une note est rédigée sur la vie de l'architecte du roi non sans quelques désaccords vis-à-vis de ce que nous lisons dans les ouvrages dédiés à l'architecte tels que Philibert De l'Orme. Architecte du roi98). La première création du Sarthois qui est citée concerne une halle de 44 pieds sur 26 (env. 14 x 8 mètres) couverte par 1600 tuiles provenant du four exposé au préalable. Cette halle est d'après le texte la quatrième du genre qui est effectuée sous les ordres de Menjot d’Elbenne, les premières étant «au château de Cogners, en 1789; à la Gavolerie près de Bessé-sur-Braye, en 1792; à Couléon, en

A partir du moment où Menjot d’Elbenne met en oeuvre une adaptation qui apparaît comme étant de son chef, il tente de diffuser sa découverte à d'autres savants. Un rapport101 de la Société d'agriculture du Rhône daté de 1807 confirme cette tentative d'émulation. Comment expliquer l'envoi à cette société lyonnaise précisément ? Peut-être est-ce le rapport

chaux, pour remplacer les engrais dans les terres froides et humides; j’ai le projet d’y réduire de la tourbe en cendre. » Ibid., p. 21 97

99

Ibid., p. 22

Philibert De l'Orme est par exemple décrit comme ayant été l'auteur du « fer à cheval de Fontainebleau » Ibid., p. 23 98

52

Ibid.

100

Ibid., p. 27

101

Ibid., p. 29


â–˛ La Gavolerie, BessĂŠ-sur-Braye (Image personnelle, 2017)

53


qui unit l’architecte d'Henri II et la ville lyonnaise qui peut justifier cet envoi. Notons que Philibert De l'Orme est né à Lyon et que certains de ses travaux y sont encore visibles. De plus, F. Cointeraux, figure savante importante dans la construction rurale, fut lui aussi originaire d'une région proche de Lyon. D'ailleurs ce dernier disait avoir déjà vu le type de charpente que nous étudions dans cette zone. Dans Constructions rurales l'auteur publie la réponse reçue par la Société lyonnaise. Cette réponse de M. le Roy et J-M. Raymond à Lyon est très critique vis-à-vis des créations que nous pouvons lire dans l’ouvrage de 1808. Les Rhodaniens disent alors que les tuiles de Menjot d’Elbenne sont semblables à d'autres de la région du Rhône bien qu'elles présentent des défauts. De plus, ils pensent que le plan de four est calqué sur celui de M. De Rumfort pour un «four à chaux perpétuel» dans le Jardin-Parc de Munich102. Par rapport aux charpentes, les savants expliquent qu'un retour à l'"invention de Philibert Delorme" est impossible à Lyon à cause du coût de la main-d’oeuvre, la création des divers assemblages coûterait trop cher103. En outre, par la lecture 102

Ibid., p. 30

« Il est à croire qu'une dépense aussi modique a pour principe, en grande partie, dans le canton qu'habite M. Menjot, le bas prix des bois et celui de la main- d'oeuvre, parce qu'il est à peu près certain que la main-d'oeuvre nécessaire pour établir des couverts à l'instar de ceux inventés par Philibert Delorme, s'élèverait dans cette ville (Lyon) à un prix très-considérable, à cause de la précision et de la grande quantité de la précision et de la grande quantité des assemblages qu'on est obligé de faire pour former les cintres », Ibid. 103

▲ La Gavolerie, Bessé-sur-Braye (Relevé, 2017)

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du compte rendu104 complet de la séance durant laquelle furent abordés à Lyon les travaux de Menjot d’Elbenne nous apprenons également qu'un dénommé M. de Faissolle a émis un commentaire quant aux travaux de Menjot d’Elbenne. Pour ce savant les travaux ne sont pas «inintéressants». L'auteur pointe du doigt des différences économiques entre la région lyonnaise et la Sarthe, il fait aussi un lien avec des projets d'autres savants. Ainsi, si nous en croyons les différents retours reçus par Menjot d'Elbenne nous pouvons penser que la spécificité architecturale sarthoise trouve son origine dans une singularité économique. Cette théorie peut être encouragée par des travaux de recherches récents quant aux structures sociales en Sarthe. La thèse de Franck Amalfitano, Nobles et titrés de la Sarthe105, met en évidence des fortunes immobilières issues de la noblesse encore très présentes en Sarthe au XIXe siècle combinées à un contexte industriel en déclin106. Ce phénomène a été porteur d'une main-d'oeuvre bon marché.

malgré la réception globalement négative de son envoi à la société du Rhône, le savant continuera ses expérimentations et envoie au Mans en août 1807 des plans que nous avons pu en partie observer (annexe 3). Ces plans sont très précis et permettent de visualiser les expérimentations décrites dans le texte. Nous pouvons voir par exemple que la construction à petits bois selon Menjot d'Elbenne peut prendre des formes diverses et que pourrait même être envisagée la substitution du bois par des briques dans la création d'une couverture. Globalement le livre publié est fort de ses données mais aussi du récit personnel qu'il propose. Les lecteurs ont ainsi la possibilité de suivre les péripéties expérimentales d'un savant. L'auteur conclut son propos par ces phrases lourdes de sens vis-à-vis de son implication : «j'ai construit chez moi, cet hiver, la charpente d'un bâtiment de 58 pieds de longueur sur 24 de largeur, pour la sous-préfecture de Mamers. Bois et main-d'oeuvre, elle ne coûte que 289 fr. J'en fais construire une autre de 80 pieds pour un de mes voisins, qui ne lui coûtera, dans la même proportion, que 398 fr. Il n'entre pas dans ces deux charpentes une pièce de bois qui ait plus de 3 pieds de longueur, sur 4 et 3 d'épaisseur. Les propriétaires de ce pays reconnaissent l'utilité de ce nouveau genre. Mon atelier est devenu une école de charpentiers. J'ai formé six élèves cet hiver, dont deux m'avaient été envoyés par le Commissaire impérial du département de la Sarthe»107.

La Sarthe a donc économiquement pu être un terrain propice aux expérimentations de Menjot d'Elbenne. D’ailleurs, Bibliothèque municipale de Lyon, « Compte rendu de la société d’agriculture de Lyon, depuis le mois de Décembre 1807, jusqu’au mois de Septembre 1808, ed. Pitrat, 1808 », Google books, 12 décembre 2017 104

105

AMALFITANO, Franck, op. cit.

«Dans un contexte de désindustrialisation de l'Ouest, on a vu le comte Max de Perrochel se démener pour améliorer la compétitivité et le confort de ses voisins tisserands. [...] la crise et l'abandon progressif du textile provoquent le recours au développement de l'élevage combiné à l'arboriculture du pommier à cidre, véritable solution de rechange pour bon nombre de chômeurs ruraux. », Ibid., p. 368 106

Société d'agriculture, histoire naturelle et arts utiles de Lyon, op. cit., p. 61 107

55


Après avoir démontré l’implication que put avoir Menjot d'Elbenne dans la construction à petits bois, il nous faut donc maintenant en préciser les répercussions. Grâce à des recherches historiques nous pouvons dire que la quarantaine de charpentes considérées en Sarthe illustre en partie l’héritage de l'auteur dans le département. Nous confirmons cette information déjà donnée dans Constructions rurales grâce au lien que nous avons pu établir entre le savant et différents propriétaires.

et la Société des Arts du Mans. Bien que nous apprenons que l’intérêt du marquis pour la société fut intermittent, il nous est possible de lire ces mots : «Je me rappelle cependant avoir en 1817 et 1818 présenté plusieurs fois une série de questions relatives à la culture des arbres résineux conifères et toujours verds. Je désirois obtenir une réponse de la Société sur ces questions afin de la communiquer à M. de la Marre. Ce propriétaire se désespérant, ainsi que moi, du silence qu’on a gardé envers nous, est venu dans le Maine ; il y a consulté M. le chevalier Menjot d’Elbenne, M. Le Marchand de Foulogne, M. de Thoré; il y a visité les bois dépendant de la terre de Montfort-le-Rotrou, ceux de Couléon, et de retour à Paris, après avoir passé quelque temps sur son domaine d’Harcourt, département de l'Eure, il a fait imprimer, au nombre de cent exemplaires seulement, un ouvrage dont j'ai essayé de faire une courte analyse; je vous prie, mon cher collègue, de le présenter à la Société»110. Ainsi il est avéré que Louis de Musset connaissait Menjot d’Elbenne et qu’il était intéressé par la sylviculture. Probablement cette culture était-elle mise en relation avec la création de charpentes dans une certaine mesure. En effet, Cogners où vivait le marquis est cité par Menjot d'Elbenne et nous retrouvons de nos jours aux alentours de SaintCalais, dont Louis de Musset était le représentant de district, pas moins de trois charpentes. Une autre charpente est aussi citée dans Constructions rurales, d’après ce que nous pouvons lire celle-ci aurait été bâtie en 1789 au château de

Effectivement, parmi les grands propriétaires ayant construit des charpentes nous pouvons citer le marquis Louis-Alexandre-Marie de Musset (1753-1839)108. Le marquis fut le propriétaire du château de Cogners et de bien d’autres localités du département. Parmi les biens dont le noble hérite à la mort de son père109 nous pouvons d’ailleurs remarquer qu’est noté le lieu-dit de la Tuffellière sur la même commune de Cogners et où nous pouvons encore observer aujourd’hui une charpente à la De l’Orme. De plus, l'ouvrage que nous pouvons lire du marquis de Beauchesne dédié à la vie des De Musset dans la région n'omet pas de faire référence au lien entre Louis de Musset 108

Grand-oncle et parrain du poète Alfred de Musset

« La terre de Cogners, consistant en maison, bâtiment d'exploitation, cours, jardins, terres labourables, prés et bois, les corps de ferme du domaine de Bonnefay, de Champvernaux, de l’Etang de la Hermonière, de la Forêt, de la Crosnerie, du Perray, le bordage de la Roche, la maison du Fouleret, les métairies de la Germinière, dela Bourgerie et de la Tuffelière [...] », DE BEAUCHESNE, Adelstan, Les Musset au Maine, Paris et La Flèche, ed. Honoré Champion et Eugène Besnier, 1912, Médiathèque du Mans, p. 30 109

Archives de la Société des Arts, communication de M. Gentil, d’après Adelstan de Beauchesne, Les Musset au Maine, Paris et La Flèche, ed. Honoré Champion et Eugène Besnier, 1912, Médiathèque du Mans, p.

110

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â–˛ La MĂŠtairie (par la famille de Musset), Sainte-Osmane (Image personnelle, 2017)

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Cogners111. Malheureusement aucune trace encore visible ne peut attester cette dernière information. De plus, parmi les ouvrages encore visibles nous trouvons entre autres celui de la Gavolerie (Bessé-sur-Braye), déjà mentionné dans Constructions rurales. Cette charpente est par ailleurs l'unique encore visible avec des liernes, elle ne correspond pas aux adaptations dont fait part l'auteur à ses homologues du Rhône ou de la Sarthe. Nous pouvons penser que cet ouvrage décrit comme étant de 1792112 dans Construction rurales est le plus ancien encore visible visà-vis duquel est intervenu Menjot d'Elbenne. D’après les recherches de Julien Hardy, le château en question prend place sur le site d’un ancien couvent Camaldule113 acheté en 1791 par Adélaïde Marie Penot de Tournière, épouse en seconde noces d'un certain Bordet, administrateur du district de Saint-Calais comme le fut Louis de Musset114. Le rapport entre les deux hommes expliquerait pourquoi c'est à Cogners (propriété de De Musset) et à la Gavolerie (propriété d'un homologue de De Musset) que Menjot d'Elbenne fit ses premières armes. Les personnes que nous avons citées précédemment appartiennent le plus souvent à l'aristocratie et son liées à 111

MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, op. cit., p. 23

112

Ibid.

113

L’ordre Camaldule est un ordre fondé en Toscane (Italie) vers 1023

Adjudication de biens nationaux, 10 février 1791, retranscription de Julien Hardy, mars 2014

114

▲ 2 rue du Général Gallieni, Noyen-sur-Sarthe (Image personnelle, 2017)

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de grands domaines fonciers. Il paraît donc logique que les charpentes aient pu servir une activité agricole très importante en Sarthe. Parmi les 41 charpentes visibles ou détruites que nous connaissons en Sarthe, nous pouvons estimer de par les typologies concernées qu’environ 25, disséminées sur les trois quarts du département, ont été construites pour un usage agricole. Environ 18 de ces ouvrages sont par ailleurs de façon certaine liés aux histoires de grands propriétaires terriens. Nous ne savons pas si tous ces propriétaires ont fait partie d’une société savante, néanmoins, cette hypothèse est vraisemblable.

ouvrages selon le procédé étudié. Du reste, de rares charpentes appartiennent aussi au domaine religieux. Ces constructions se situent dans des sites aléatoirement répartis et témoignent certainement d'une histoire particulière. Par exemple, au Pont de Vaige (Sablé-sur-Sarthe) nous pouvons voir une charpente couvrant un espace où fut retrouvée une dalle funéraire datée de la première moitié du XVIe siècle115 et représentant un religieux. Ainsi, nous pouvons formuler l’hypothèse d'un caractère religieux pour le site sans savoir si celuici est avéré ou si la charpente a été contemporaine de ce caractère. De plus, La communauté de Soeurs présente à Ruillé-sur-Loir possède par exemple deux charpentes à des adresses différentes de la commune. Ces charpentes datées du début du XIXe siècle nous interrogent vis-à-vis de leurs dimensions et du rapport qu'elles entretiennent avec le bâti voisin. D’après les coyaux que nous avons observés il peut apparaître que l’ouvrage situé au lieu-dit La Petite Providence ait été orienté différemment par le passé. Nous formons l’hypothèse que ces charpentes du sud du département aient pu faire l’objet d'un réemploi. Cette hypothèse pourrait par ailleurs être aussi mise en avant pour la charpente du Pont de Vaiges dans la mesure où nous savons grâce aux missions de l'Inventaire qu'une charpente était présente dans la même commune (Sablé-sur-Sarthe), à l’emplacement d'un couvent fondé en 1631, devenu après

Outre les charpentes directement liées aux usages de la ferme, d’autres se situent dans des bourgs ou d’anciens sites industriels. Il est alors souvent plus difficile de déterminer les profils des propriétaires ayant mis en oeuvre les ouvrages. Nous pouvons certes faire l’hypothèse d’artisans ou de savants influencés par les écrits de la Société d'agriculture ou par ce qu'ils ont pu voir ailleurs mais ces théories ne sont pas vérifiables. De plus, les dimensions des charpentes sont souvent modestes, par exemple à Noyen-sur-Sarthe nous pouvons observer une charpente d’environ 4 x 4 mètres en plan. Notons aussi que les caractéristiques architecturales de ces ouvrages telles que les modes de couverture ou l’aspect des façades qu'elles couvrent nous laissent penser que les charpentes effectuées en milieu urbain à l'ouest de la Sarthe sont plus tardives que celles globalement construites dans les campagnes. Nous situons ces charpentes urbaines aux alentours des années 1830 alors que dès la fin du XVIIIe siècle des propriétaires terriens mettent déjà en oeuvre des

LE BOEUF, François, DAVY, François, « Le Pont de Vaiges », Base Mérimée, 12 décembre 2017, www.mediatheque-patrimoine.culture. gouv.fr

115

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des destructions au XIXe siècle successivement le lieu d'un immeuble de rapport puis d'une gendarmerie116. Si les différents réemplois étaient confirmés nous pourrions penser qu'une dynamique générale quant à la réutilisation des biens a pu concerner les organisations religieuses sarthoises du XIXe siècle. Comme le souligne à de nombreuses reprises au travers de ses publications l’association Maisons Paysannes de France, il n’est pas rare avant le XXe siècle de déplacer des charpentes ou de les modifier117. Ainsi, les positions géographiques des objets que nous étudions pourraient être remises en cause. Les domaines d’utilisation auxquels étaient liés les objets d’étude ont pu changer au cours du temps. De plus, une lettre retrouvée dans un département voisin de la Sarthe peut aussi nous inviter à réfléchir à une autre hypothèse pour justifier des charpentes à petits bois dans un cadre religieux. En effet, un rapport conservé aux archives départementales du Loir-et-Cher concernant l'église de Saint-Bohaire (41) nous parle d’une reconstruction de charpente. Il est alors question de reconstruire une charpente qui à la suite d'un ouragan le 3 août 1783 tua une personne par son effondrement. L'auteur du rapport LE BOEUF, François, DAVY, François, « 29 à 45 rue Saint Nicolas », Base Mérimée, 12 décembre 2017, www.mediatheque-patrimoine. culture.gouv.fr

116

Collectif, Recueil techniques Charpentes - Pans de bois, Les dossiers, Maisons Paysannes de France, 2015

117

▲ La Petite Providence, Ruillé-sur-Loir (Image personnelle, 2017)

60


â–˛ La Pont de Vaiges, SablĂŠ-sur-Sarthe (Image personnelle, 2017)

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est François Simon, «ancien controlleur des bâtiments du Roy - inspecteur des Ponts et Chaussées de la généralité d’Orléans du Département de Blois» et il dit que «Le bois de l'ancienne charpente de la nef étant usé de vétusté, mutilé de par sa chute et par conséquent hors d'état de servir, pourquoy il sera construit une nouvelle charpente suivant le procédé de Philibert de Lorme, c’est à dire avec des cintres formés de planches jointes ensemble ainsi qu’il suit»118. Ainsi, les ingénieurs peuvent avoir eu une influence sur l'architecture religieuse. Cela pourrait nous laisser penser que les charpentes Sarthoises ont pu certes être l'affaire d'un réemploi, mais aussi d'ingénieurs formés à Paris et sensibilisés à des idées semblables à celles des grands propriétaires. Nous avons tenté de contacter des spécialistes du patrimoine religieux et ceux-ci ne nous ont pas confirmé la présence d'ingénieurs aux profils comparables à celui de Louis Simon pour la Sarthe.

mises en avant par Georges Duby120 et d'autres auteurs peuvent orienter notre réflexion vers des logiques globales. L’influence savante dont le coeur était à Paris a pu être plus tardive dans les zones (de par les voies de communications entre les grands foyers urbains notamment). D'après les recherches que nous avons exposées au préalable il semble que les théoriciens parisiens et le propriétaire Menjot d'Elbenne aient eu une influence considérable sur la création des charpentes, or ces deux éléments moteurs ont certainement entretenu moins de rapport avec le nordouest et le sud du département qu'avec les autres parties. L’historien Luc Grosbois met en avant le fait que la noblesse à l’ouest du département a été moins impliquée dans le développement de ses propriétés121. Or nous avons observé que c’est l’engagement de propriétaires éclairés qui a pu souvent faire naître des charpentes.

Enfin, nous remarquons grâce à la cartographie établie119 (voir p. 64) que le quart nord-ouest et l'extrême sud de la Sarthe n’abritent pas d’objets d’étude. Cette absence peut être justifiée par le fait que ces zones soient moins bâties. De plus, les dynamiques socio-économiques de la région SIMON, François, Archives de l’Intendance, côte 1C51a, d'après Frédéric Aubanton

118

Afin de localiser de manière évolutive les charpentes pendant nos recherches nous avons établi une carte virtuelle. CANYLéo, «Charpentes à petits bois en Sarthe», Google Maps, 12 décembre 2017, www.drive.google. com/open?id=186BVF3vRIbg4uCUDxNWGP8dCgxM&usp=sharing

119

120

DUBY, Georges, WALLON, Armand, op. cit.

GROSBOIS, Luc, Les nobles sarthois au XIX siècle. (1805-1872), Mémoire de Maîtrise, Le Mans, Le Mans Université, 1972 121

62


â–˛ Couvent de la Providence, RuillĂŠ-sur-Loir (Image personnelle, 2017)

63


SARTHE

LE MANS

Cartographie Charpente à petits bois 64


LE MANS

LE MANS

Site lié à une activité agricole

Site lié à une activité industrielle

Commanditaire aristocrate Commanditaire indéfini

LE MANS

LE MANS

Site lié à une activité religieuse

Site situé dans un bourg

65


L’originalité de l’édifice tient à sa disposition, celui-ci est situé dans un champ, à proximité du manoir du GrandVilliers. De plus, la chapelle est d'après ses propriétaires actuels le fruit de la volonté d’un ancien propriétaire. Par conséquent, il s’agirait là d’un propriétaire mettant en oeuvre une charpente sur ses terres dans un but religieux, délié d’un quelconque caractère agricole.

Rapports entretenus avec les constructions voisines Les charpentes qui sont présentes dans notre répertoire font partie de différentes familles que nous avons énoncées précédemment : agricole, religieuse ou urbaine. Ainsi, les typologies d’édifices considérées ne sont pas toujours les mêmes. Dans certains cas la charpente à la manière de De l’Orme concerne la couverture d'un château, dans d'autres une étable par exemple. De manière générale la plupart des ouvrages couvrent des dépendances, néanmoins il existe des exceptions.

Au-delà des charpentes précitées, la majorité des autres ouvrages concernent comme nous l'avons dit des dépendances. Ces dépendances, souvent proches des logis ou habitations servaient le plus souvent aux travaux de la ferme, à entreposer des denrées par exemple. À La Métairie, à Sainte-Osmane, nous pouvons par exemple penser que la grange couverte par le procédé servait à entreposer les récoltes ainsi qu’à abriter des animaux. Le contexte dans lequel s’inscrivent les constructions que nous étudions correspond à une période où l’élevage croît, surtout dans l’ouest de la France124. Les éleveurs ont alors besoin de nouveaux abris pour le bétail notamment.

La Gavolerie à Bessé-sur-Braye fait partie de ces cas à part. Outre le fait que l’édifice serait parmi les plus ancien encore visible, il s’agit d’un logis couvert par le procédé. Contrairement par exemple au Château de Bel-Air qui voit certains de ses communs couverts par des charpentes obéissant au procédé, à la Gavolerie c’est le corps principal de la propriété qui est couvert de la sorte. Autre édifice étonnant de par le lien qu'il entretient avec les édifices avoisinants : la chapelle Saint-Roch de Fontenaysur-Vègre. La construction « coiffée d'une étonnante toiture mouvementée »122 n’a pas été datée, cependant, nous avons pu voir qu’elle est déjà présente sur un cadastre de 1826123.

A Noyen-sur-Sarthe, les granges du château de Rivesarthe, accompagnées d'un château d'eau et d'autres annexes, servaient aux travaux de la ferme. Ces édifices sont par ailleurs disposés de façon presque orthogonale par rapport aux autres édifices du lieu-dit. Cette organisation spatiale se retrouve dans bien des exemples que nous traitons. Nous pouvons certainement voir au travers de ces dispositions une

CHAUDUN, Nicolas, DURAND, Jean-Louis, DE GALARD, Gilles, Répertoire des manoirs de la Sarthe : XVe et XVIe siècles, ed. Nicolas Chaudun, 2013 122

123

de la Sarthe, côte PC\139\002

Cadastre de Fontenay-sur-Vègre, 1826, Archives départementales

124

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TOULIER, Bernard, op. cit.


â–˛ Rivesarthe, Noyen-sur-Sarthe (Image personnelle, 2017)

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certaine rationalisation des bâtiments ruraux. Bien que nous n’ayons pas encore à faire aux plans qui seront dessinés à la fin du XIXe siècle pour des fermes modèles et repris par de nombreux agriculteurs, déjà les édifices s’organisent afin de faciliter la production et la manipulation d’outils techniques comme les charrettes par exemple. La mise à l’abri des récoltes nécessite souvent de grands espaces, les charpentes à la manière de De l’Orme offrent alors la possibilité de disposer d'une surface qui n'est pas recoupée par des entraits par exemple. Il est alors plus facile d’entreposer du fourrage ou d'autres produits. Les charpentes couvrent parfois d’autres parties que la grange, à La Besnerie (Saint-Aignan) nous trouvons de cette façon un four à pain couvert par le procédé. Au château d’AillièresBeauvoir c’est une orangerie qui a été couverte par une charpente du même type125. Le réemploi a aussi pu tenir une place importante, comme nous l’avons aussi évoqué dans le cas d’une chapelle à Ruillé-sur-Loir. Nous soulignons ici la capacité modulaire des charpentes à petits bois. Il n'est pas dispendieux par exemple pour un propriétaire de pratiquer un découpage d'une charpente préexistante dans la mesure où il s'agit simplement de supprimer des arbalétriers. La fonction même de la charpente a aussi pu parfois changer depuis sa création. M. Caillard d'Aillières, propriétaire du château d'Aillières-Beauvoir fut membre de la Société d'Agriculture de la Sarthe dans les années 1840, Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts et la Sarthe, 1843, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, PER 1128 125

▲ Le Grand l'Hommas, La Bazoge (Image personnelle, 2017)

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En effet, la plupart des espaces directement couverts par les ouvrages étaient destinés aux récoltes (exemple de la ferme du Grand l'Hommas), ou à être ouverts sur un intérieur (exemple de l'église Saint Barthelemy de Jauzé). Mais ce fait peut être remis en cause par des modifications architecturales dont nous n'avons pas trouvé de traces. Une fois encore, la charpente de la Gavolerie constitue un cas à part car étant donné les lucarnes présentes dès le XVIIIe siècle, nous pouvons penser que les combles étaient là rendus utiles depuis la naissance de la charpente. Ainsi, il est généralement difficile de décrire précisément les usages qui furent couverts. Il apparaît aussi que les charpentes ne sont pas toutes visuellement mises en avant de la même façon. Nous avons cité le cas du château de la Gavolerie, cependant, d'autres lieux placent les charpentes comme éléments importants du paysage architectural. Effectivement, l’église paroissiale de Saint-Barthélemy de Jauzé arbore un transept très visible dont les deux parties édifiées durant les années 1823-1824 sont couvertes à la De l’Orme. De plus, à Ruillé-sur-Loir, les chapelles de La Petite Providence ou du couvent de la Providence constituent des symboles de l'origine de la communauté. Les deux édifices sont d'ailleurs aujourd'hui destinés à commémorer l’histoire de la communauté. Enfin, la destination du site dans lequel s'inscrit l'objet a aussi parfois changé. Grâce à des caractéristiques morphologiques et à une histoire transmise de façon verbale, nous pouvons penser par exemple que La Petite Fontaine à Sceaux-sur-

▲ La Petite Providence au début du XIXe siècle (aujourd'hui musée), Ruillé-sur-Loir (Soeurs de la Providence)

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Huisne abritait au préalable une chapelle. Effectivement, la présence sur un pignon d'un emmarchement pyramidal et d'une tablette en partie sommitale nous font dire qu'il est probable qu'une chapelle était présente à ce lieu-dit. D'ailleurs, peut-être cette chapelle avait-elle un lien avec le manoir du Vivier voisin.

la coupe d'une charpente traditionnelle est hétérogène. Les courbes mises en oeuvre diffèrent en effet selon les objets d’étude. Cette dissemblance est justifiée par le schéma des éléments structurels mais aussi certainement par des savoirfaire. Grâce aux dessins127 (annexe 3) accompagnant Constructions rurales et aux écrits présents dans l'ouvrage nous pouvons visualiser les formes que Menjot d’Elbenne expérimenta. Les deux charpentes bois que nous voyons sont alors très différentes puisque l'une respecte une certaine courbure et l'autre est quant à elle de l’extérieur semblable à une charpente traditionnelle. Le premier dessin utilise l'arc brisé alors que le second le plein-cintre.

Ainsi, chaque site abrite une histoire particulière que la charpente à petit bois a su plus ou moins accompagner. Les ouvrages aujourd'hui désaffectés ou remaniés portent souvent des interrogations. Il est certain que l’agriculture fut la destination principale des constructions. Néanmoins nous ne négligeons pas des charpentes liées à des usages religieux ainsi que d'autres servant à couvrir des constructions nobles. Il y a au travers de l'usage des charpentes à petits bois en Sarthe une multiplicité d’usages aux XVIIIe et XIXe siècle. Cette hétérogénéité était déjà visible chez De l’Orme pour qui le procédé pouvait couvrir aussi bien un logis que ses annexes.

De plus, au sein d’un même objet d’étude, il nous faut en préambule dire que certaines charpentes ne sont pas symétriques en fonction de leurs pans. Cette donnée qui nous a longtemps laissé songeurs a très certainement été justifiée grâce à l’aide de M. Philippe Lambron. Ce charpentier de Bessé-sur-Braye128 qui est intervenu lors de la restauration de la charpente de la Gavolerie nous a proposé son hypothèse selon laquelle la dissymétrie serait due à des différences de couvertures. Ce point de vue nous

Formes générales et dimensions François Cointeraux, savant qui publia des dizaines de recueils au XIXe siècle, défendait dans ses écrits la beauté du triangle contenu dans le dessin de ses charpentes à petits bois126. Au regard des charpentes présentes en Sarthe nous pouvons remarquer que le rapport à ce triangle présent dans 126

Les dessins qui accompagnent Constructions rurales ont été trouvés à la Médiathèque du Mans au sein de l’ouvrage grâce à l'aide de Julien Hardy. Nous ne savons pas si Menjot d'Elbenne en est le dessinateur bien qu'il en décrive les dessins dans l'ouvrage, peut-être le savant a-t-il délégué le dessin. 127

GARRIC, Jean-Philippe, op. cit., p. 62

128

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Charpente de la Couarde à Bessé-sur-Braye


semble tout à fait plausible au regard des édifices pour lesquels souvent la dissymétrie concerne un rapport entre façade principale et façade secondaire. A la Gavolerie notamment, la courbure du pan surmontant la façade arrière du château présente un degré moins important que celui de l'autre versant, or il n'est pas rare que la façade principale soit couverte d'ardoises là où la façade arrière est couverte de tuiles. Par conséquent, le poids porté par les charpentes et les matériaux de couverture seraient à l'origine de leur forme. Lorsque le matériau de couverture est léger et lisse, la pente mise en oeuvre peut être plus raide. Déjà dans les écrits de P. De l'Orme nous retrouvions cette prérogative129. D'ailleurs, les courbures mises en avant par l'architecte couvraient un spectre large, à la manière des ouvrages que nous pouvons encore voir dans notre zone d’étude. La charpente de la Gavolerie et celles présentes dans la plupart des fermes ne sont pas les mêmes, la Gavolerie ayant une structure très similaire à celle dessinée à plusieurs reprise par l'architecte du XVIe siècle. Néanmoins, les formes issues de ces objets appartiennent à la même famille. Il est intéressant de noter d'ailleurs que les habitants ne parlent pas pour toutes les charpentes de carènes de bateau comme c'est souvent le cas par inadvertance. Les courbes sont alors peu prononcées. D'autre part, les charpentes les plus récentes en Sarthe ne sont par exemple contreventées que grâce à leurs liteaux ou à des pannes. Il n’y a alors plus

▲ Rivesarthe, Noyen-sur-Sarthe

129

(Image personnelle, 2017)

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DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions, op. cit., fol. 59


de liernes comme chez De l’Orme ou à la Gavolerie. Ce manque est d’ailleurs parfois visible de par la déformation visible, c’est le cas à Saint-Mars-d’Outillé ou une des charpentes à petits bois de la commune forme une figure oblique en élévation.

de ses créations. Au château de Riversarthe, à Noyen-surSarthe, ou encore à Fontenay-sur-Vègre, nous trouvons ainsi des faîtages très prononcés qui peuvent nous amener à parler de toits à l’impériale. Dans les cas précités, le faîtage fait l’objet d'un assemblage particulier, il ne s’agit pas comme pour les autres charpentes d’une pièce de bois d’un seul cours de planche130 prenant une forme triangulaire. L'élévation de la chapelle Saint-Roch ou celle d'un bâtiment dans le bourg de Bouloire peuvent nous éclairer quant à ces assemblages. Nous voyons alors que le faîtage est rapporté et qu'il permet un positionnement des matériaux de couverture. Sur l'un des dessins de Menjot d’Elbenne un faîtage rapporté se lit et correspond parfaitement au pignon présent à Bouloire. Notons que Menjot d'Elbenne parle pour ce mode de charpente alliant plein-cintre et faîtage rapporté d'une «charpente à la Philibert Delorme perfectionnée».

Grâce aux charpentes que nous avons observées en Sarthe nous avons pu voir que celles présentes à l'est du département sont souvent moins arrondies que celles à l'ouest. Par exemple, la charpente de La Métairie à SainteOsmane présente une courbe moins prononcée que celle des communs du château de Rivesarthe (Noyen-sur-Sarthe). Outre, ce que nous pourrions appeler un effet de style comme raison aux différentes formes, nous pouvons aussi émettre l’hypothèse d'une évolution des savoir-faire. En effet, les charpentes les plus anciennes que nous avons pu voir sont souvent plus en accord avec les dessins de Menjotd’Elbenne et donc moins cintrées. En revanche, d’autres ouvrages plus récents, comme au Pont de Vaige où dans le bourg de Noyen-sur-Sarthe, sont plus arrondis. Par ailleurs, cette différence de forme peut nous amener à penser que deux foyers de mise en oeuvre ont existé, l’un étant né dès la fin du XVIIIe siècle à l'est de la Sarthe et l’autre vers les années 1820 à l’ouest. Le premier foyer ayant donné des formes plutôt triangulaires et l'autre des ouvrages cintrés.

Les coyaux forment eux-aussi des différences de formes entre les édifices. A Saint-Mars-d'Outillé des coyaux très allongés et courbes nous ont marqué de par leur originalité. Cependant, ces éléments de bois à la base des chevrons servant à rejeter les eaux de pluie n'existent pas partout (contrairement aux deux coupes visibles dans Constructions rurales). Peut-être les maîtres d'ouvrage qui se sont succédés dans le temps n'ont-ils pas tous conserver l'entièreté de leurs ouvrages. Par exemple, il est possible que l'absence de coyaux à La Petite Fontaine de Sceaux-sur-Huisne soit due à différentes campagnes de restauration. Il n'est pas

Les différences de pente entre les différentes charpentes impliquent souvent aussi une différence de faîtage. Une fois de plus cela nous rappelle les écrits de P. De l’Orme qui proposait parfois la création d’une galerie haute au faîtage

Dans la mesure où un arbalétrier est composé de plusieurs planches juxtaposées, nous nommons « cours de planche » une épaisseur. 130

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â–˛ Chapelle Saint-Roch, Le Grand Villiers, Fontenay-sur-Vègre (Image personnelle, 2017)

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rare dans le département que les propriétaires pratiquent un doublage des liteaux en partie basse de la couverture afin que les eaux de pluie soient rejetées. A l'inverse des coyaux qui ont pu subir parfois les aléas du temps, il est un des artefacts des charpentes qui est resté inchangé : le chevron (ou arbalétrier dans le cas présent) de rive. En Sarthe les chevrons de rives sont historiquement situés à l’affleurement de la maçonnerie131. Les pignons que nous avons pu observer respectent cette tradition. De plus, cette disposition est le plus souvent restée inchangée car la structure «à la manière de De l’Orme» l’encourage. En effet, il y a au travers de ces ouvrages une confusion entre chevron et arbalétrier, de cette manière les débords de toit ou l’inscription des éléments de charpente dans la maçonnerie est rendue difficile en parties latérales. Malgré le maintien des éléments en bois à l’affleurement, le traitement des rives peut aujourd'hui différer selon les objets d’étude. A la Gavolerie nous remarquons une mise en oeuvre singulière qui démontre une fois de plus la particularité du dessin de l'édifice. En effet, les rives de la charpente sont là recouvertes d’une mouluration vraisemblablement en mortier de chaux. De plus, certaines charpentes restaurées ont vu leurs rives recouvertes de tuiles ou d’ardoises. L’église Saint-Barthélemy (Jauzé) a par exemple des rives couvertes par de la tuile et La Petite Providence (Ruillé-surLoir) par de l’ardoise. Nous pensons que ces couvertures Association des Petites Cités de Caractère de la Sarthe, Charte qualité restauration, Le Mans, ed. Petites Cités de Caractère de la Sarthe, 2004 131

▲ Charpente à plein cintre, Bouloire (Image personelle, 2017)

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de rives sont l’affaire d'erreurs d’appréciations lors des différentes campagne d'entretien. D’ailleurs, il n’est pas rare de remarquer que ce sont les édifices les plus entretenus qui sont ainsi couverts. Outre l’aspect extérieur souvent remarquable que mettent en avant les charpentes il est aussi important de remarquer les dispositions intérieures. Un des intérêts premiers du procédé est la possibilité de ne pas diviser l’espace couvert. Nous lisons à ce propos dans Constructions rurales ces mots de Menjot d’Elbenne : «Elle (la charpente) présente une forme élégante extérieurement. En y posant un plafond, on peut y faire toutes espèces de distributions qu'exigent des appartements agréables et commodes. L'artiste ne sera point gêné par les filières, jambes de force, etc. et elle ne doit pas être mise en comparaison pour la solidité, avec nos charpentes ordinaires, puisque tous les bois qui entrent dans sa composition sont placés debout sans tenons ni mortaises, et qu'on est encore à même de goujonner le bout des pièces à la manière du charron pour l'assemblage et la liaison des jantes»132. De cette manière, les ouvrages que nous avons pu visiter ne présentent pas d’entraits afin de prévenir l’affaissement des arbalétriers. Néanmoins, des tirants métalliques ont parfois été mis en oeuvre. Souvent ces tirants prennent place là où une déformation d’un mur a été observée. Le mur forme alors une courbe en son axe. Nous pensons que la déformation est la conséquence de poussées latérales des fermes en pignons provoquant l’élargissement des fermes centrales. Nous notons que les tirants ont parfois

▲ Détail de coyau, La Fontaine, Saint-Mars-d'Outillé

132

(Image personnelle, 2017)

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MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, op. cit., p. 50-51


â–˛ Rivesarthe, Noyen-sur-Sarthe (Image personnelle, 2017)

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été positionnés récemment. A Bel- Air (Jauzé), ce sont par exemple les propriétaires actuels qui ont placé un tirant afin que les maçonneries ne se déforment pas.

Les dimensions des charpentes connues couvrent en plan des surfaces très variables. La charpente la plus petite (Chantenay- Villedieu) couvre une surface d'environ 5,5m2 et la plus grande (Rivesarthe, Sablé-sur-Sarthe) une surface d’environ 325m2 133. Nous ne pouvons pas trouver de corrélation entre les maîtres d’ouvrage, les localisations ou encore les datations et les surfaces couvertes. Effectivement, les charpentes à petits bois utilisent des modules de faibles dimensions qui liés entre eux peuvent couvrir des surfaces indifféremment larges. Une charpente «à la De l’Orme» longue de plusieurs kilomètres serait théoriquement envisageable.

Les déformations que nous avons vues concernent indifféremment les dimensions des édifices couverts. Ce n’est pas parce qu’un édifice est grand que sa déformation le sera, l’aspect modulaire du procédé explique certainement cela. État initial :

En Sarthe, la possibilité de longueurs très variables à été vérifiée, en effet les distances longitudinales vont de 2,5m à 42m. Cependant, la portée transversale de la charpente est elle assez constante (environ 5m à 7m). Cette différence de rapport entre largeur et longueur s'explique par la résistance de forme du procédé134.

État dégradé :

De par leurs dimensions les charpentes selon le procédé étudié présentent une grande liberté d’aménagement. Par exemple, le cloisonnement des espaces couverts n'est pas soumis à la position de certains éléments de charpentes. D'autre part, le prolongement d'une charpente est facilement envisageable dans la mesure où cela consiste à rajouter des modules. Modifier la longueur d'une charpente est simple.

Fissures

Dimensions déterminées grâce au portail d’informations Géoportail, Géoportail, 12 décembre 2017, www.geoportail.gouv.fr 133

▲ Schéma d'une déformation souvent observable

134

(Dessin personnel)

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SALVADORI, Mario, Comment ça tient ?, ed. Parenthèses, 2005


A Bel-Air, une partie de la charpente a été ravagée par un incendie, pourtant, la partie restante est encore viable. La possibilité de prolongement ou de taille de la charpente correspond aussi à une possibilité d'entretien. Le remplacement d'un élément est plus simple dans le cas d'une charpente comme celles dessinées par Menjot-d'Elbenne que dans le cas d'une charpente dite traditionnelle. Philippe Lambron nous a par exemple dit avoir observé des liernes certainement de différentes époques au sein de la charpente de la Gavolerie. Nous avons pu nous-même voir des traces de différentes campagnes d'entretien au château de Rivesarthe (Noyen-sur-Sarthe), par exemple nous observons là-bas deux types de chevilles différentes. Les chevilles les plus anciennes (que nous pensons contemporaines de la charpente édifiée vers les années 1830) sont de bois et ont des têtes carrées, mais elles ont parfois été substituées par des chevilles similaires à celles que nous trouvons souvent dans la construction de charpentes traditionnelles. Les charpentes existantes que nous avons étudiées ont ainsi pu être modifiées sans que cela ne remette en question leur durabilité. Cependant, il est des cas pour lesquels des modifications ont été préjudiciables. A Launay (SaintGeorge-sur-Rosay) j'ai pu apprendre grâce au propriétaire que la création d'une ouverture en façade pour un accès aux combles a remis en cause la résistance structurelle de l'ouvrage. Cette ouverture pratiquée des années après la mise en oeuvre de la charpente pour des raisons pratiques (l'ouverture en pignon était devenue impraticable) a

▲ 14 rue du Tertre, Chantenay-Villedieu (Image personnelle, 2017)

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modifié l'équilibre des forces. De plus, La pratique du trait de charpente est rendue plus difficile par la forme des ouvrages, créer des ouvertures ou des interpénétrations de charpente demande donc un savoir-faire conséquent. Durant notre relevé de la charpente du lieu dit La Fontaine à Saint-Mars-d'Outillé (annexe 4), nous avons pu remarquer que tous les éléments ayant une même fonction ont une dimension identique. De plus, la taille des bois est uniforme et fut l’affaire certainement d’un même outil. Ces informations nous permettent de dire que les charpentes ont été préfabriquées. De cette façon, nous envisageons que la création des charpentes à petits bois a pu être rationalisée. Il était alors plus facile d’oeuvrer pour une charpente uniforme que pour une autre irrégulière ou modifiée comme celle de la charpente de Launay. Les formes et dimensions qui sont données à voir dans notre étude sont très variables. A cet égard la malléabilité du procédé à petits bois est très importante, il n'est pas impossible de faire des projets de couvertures de très grandes envergures ou d'opérer des modifications sur une charpente préexistante. Notons aussi que les caractéristiques techniques ou physiques des charpentes ne dépendent pas de la destination de l’édifice mais plutôt de différentes périodes de construction.

▲ Cheville et numéro de charpente, Rivesarthe, Noyen-sur-Sarthe (Image personnelle, 2017)

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Matériaux employés Pour fabriquer les charpentes que nous étudions, les ouvriers et maîtres d’ouvrage utilisaient des essences de bois semblables à celles données par l’architecte du roi (voir p. 23). Durant nos recherches nous avons le plus souvent observé des éléments faits de peuplier ou de chêne. La sylviculture sarthoise a depuis des siècles présenté ces essences, nous pouvons donc penser que les bois employés furent d'origines locales. Dans Constructions rurales il est souvent fait état d'une certaine rareté du bois et d’un coût élevé, nous ne pouvons attester la véracité de ces informations car nous ne connaissons pas à ce jour l’évolution des prix à l'époque. L'intérêt économique des charpentes réside peutêtre avant tout dans le coût de la main-d’oeuvre qui pouvait ne pas appartenir à la corporation des charpentiers. Bien que la plupart des essences employées que nous avons pu observer ne proviennent pas de résineux, nous pouvons penser que le pin par exemple a pu être utilisé. Les sols sarthois sont très divers (grès cambriens, argile à silex, etc). Une partie non négligeable du département voit son sol composé essentiellement de sables et grès cénomaniens, l'exploitation du pin sur cette zone n'est pas négligeable. Nous savons que parmi les exploitants de cette ressource forestière se trouvait Lefebvre des Allayx, propriétaire du château du Maurier à la Fontaine-Saint-Martin où encore aujourd'hui nous pouvons observer une charpente. Dans des lettres adressées à la Société d’Agriculture du Mans,

▲ Restauration des arbalétriers, La Gavolerie, Bessé-sur-Braye (Isabelle Martin)

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l’exploitant partage ses observations quant à l'extraction de la résine des pins maritimes dont il était propriétaire135. Rappelons-nous que Menjot d'Elbenne fut intéressé par l'exploitation du bois, notamment de par son lien avec la construction. Constructions rurales et la lettre que nous avons déjà transcrite du marquis de Musset témoignent de cet intérêt. Aussi, dans son écrit le savant défend l'idée d'utiliser des résineux pour les charpentes afin de limiter les coûts mais surtout de diminuer le poids. Ainsi, l'hypothèse selon laquelle Lefevre d’Allayx ait pu utiliser ses pins pour mettre en oeuvre des charpentes peut être émise136. De plus, dans Constructions rurales l’auteur nous parle d'une charpente effectuée en sapin137 de son propre chef ainsi que de la Halle au Blé de Paris elle-même faite avec des « planches de sapin d'un pied de largeur, d'un pouce d'épaisseur et d’environ quatre pieds de longueur »138. L'emploi de résineux peut alors être en partie confirmé. Il est tout à fait plausible que les propriétaires utilisent leur propre bois afin de bâtir leurs édifices. D’après les charpentiers que nous avons pu contacter les Communication de M. Lefebvre des Allayx, 1840, Archives de la Société d’Agriculture du Mans, Le Mans 135

Durant nos recherches nous n'avons pas pu nous rendre sur place fin de vérifier l'usage du pin pour la grange couverte selon le procédé. 136

137

MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, op. cit., p. 38

« La coupole de la Halle aux farines, brûlée depuis peu, n'était formée qu'avec des planches de sapin d'un pied de largeur, d'un pouce d'épaisseur, et d'environ quatre pieds de longueur », Ibid., p. 23 138

▲ Restauration des coyaux avec changement de materiau, La Gavolerie, Bessé-sur-Braye (Isabelle Martin)

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préceptes de Philibert De l’Orme dans Nouvelles Inventions sont possibles. Les essences peuvent effectivement être plurielles dans la création des charpentes. Néanmoins, toutes n'auront pas la même résistance et ne supporteront pas les mêmes charges, le choix du mode de couverture est alors important. Vis-à-vis des 48 charpentes dont nous savons l’existence passée ou présente, la répartition de l’ardoise et de la tuile semble situer les deux matériaux d’égal à égal. En effet, il n’y a pas aujourd'hui de matériaux prédominant en Sarthe dans la couverture des charpentes à petits bois. Cependant, à la fin du XVIIIe siècle, l’ardoise n'est pas très présente en Sarthe, d'autant plus à l’est du département (l'est du département est la zone la plus éloignée du Maine-etLoire, le département où se trouvait le gisement d'ardoises le plus important du pays). D'ailleurs la tuile est toujours très présente au travers des exemples dans cette zone. Par conséquent nous pouvons imaginer que des couvertures aient changé durant le temps. Dans son ouvrage, Menjot d’Elbenne nous parle d'une Sarthe où bien des édifices sont couverts par des bardeaux139. Philippe Lambron, auteur d'un travail de mémoire sur le bardeau comme matériau de couverture140, nous a exprimé « Il existe dans ce département, une quantité considérable de bâtimens couverts en bardeau. La légèreté de la charpente, ainsi que le peu de solidité des murs ne permet pas de remplacer ce genre de couverture », Ibid., p. 18 139

▲ Arbalétrier et sablière, La Fontaine, Saint-Mars-d'Outillé

140

(Image personnelle, 2017)

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LAMBRON, Philippe, Le bardeau de châtaignier aux confins du


son avis quant à la charpente de La Métairie à SainteOsmane. Pour le charpentier l’édifice était couvert à l'origine par des bardeaux, cet avis étant fondé grâce aux entraxes des arbalétriers. Pour M. Lambron, un entraxe de plus de 60cm ne rend possible que la couverture par bardeaux dans le cas évoqué. Par ailleurs, la disposition actuelle de l’édifice peut tout à fait vérifier ce point de vue dans la mesure où nous observons des pièces rapportées entre les arbalétriers. Ces éléments sont nécessaires aujourd'hui à la couverture en ardoises.

ardoises. Nous avons déjà évoqué l’intérêt de Menjot d’Elbenne pour la production de tuiles, celui-ci disant par exemple que le nombre de tuileries est croissant dans le département141. Luimême fabricant d'objets en terres cuites, l’auteur accorde une place très importante au travail de l’argile dans son ouvrage, nous pouvons par exemple lire qu’il possède deux fours142 à tuiles et à briques. Par ailleurs, c’est certainement sa production qui a poussé Menjot d'Elbenne à proposer un dessin de couverture en briques dont nous pouvons voir une coupe parmi les dessins de Constructions rurales.

Comme nous l'avons dit, les courbures des différentes charpentes sont aussi de bons indices afin de déceler le matériau de couverture initialement prévu. A la Gavolerie nous pouvons penser que le pan arrière était au préalable couvert en tuiles par exemple. A l’inverse, la courbure prononcée du Pont de Vaiges nous indique une couverture déjà initialement en ardoises tant la forme ne permettrait pas la pose de tuiles.

Avec la même verve que lorsqu’il parle de ses charpentes, Menjot d’Elbenne partage dans son ouvrage ses expérimentations quant à la création de briques ou de tuiles. Toujours le savant tente de trouver des moyens afin de fabriquer des objets lisses et imperméables. De plus, l’aspect visuel de ces tuiles n’est pas délaissé, Menjot d’Elbenne dit par exemple « j'ai mis sur cinquante tuiles, une couverte pareille à celle des potiers, j'ai obtenu une jolie couleur jaune-jonquille. Je n'ai couvert que la partie de la tuile qui doit être vue. (...). L'ouvrier pourrait donner la couleur qu'on lui demanderait, et, en satisfaisant le goût

La couverture de la charpente présente à ChantenayVilledieu est quant a elle intéressante de par le dessin de l'ardoise que nous y trouvons. En effet, les alternances d’ardoises losangées et rondes (appelées aussi « en écailles») y sont particulières. Etant donné leur âge ces éléments de couverture ont aujourd'hui tendance à présenter une déclivité importante (leur direction tend à être perpendiculaire au chevron), ce phénomène témoigne certainement du travail du bois mêlé à la forte pente sur laquelle sont fixées les

« De tous côtés il s'établie des tuileries, mais toutes les argiles ne sont pas propres à réunir la légèreté avec la solidité », MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, op. cit., p. 19 141

« J'ai deux fours en activité, de formes ovales. L'air extérieur communique au centre des foyers, et répand le feu avec égalité dans toute la capacité des fours », Ibid., p. 24 142

Loir et de la Braye, IUT Génie civil – Développement Durable, Rennes 83


des particuliers, on augmenterait la solidité et la durée de la tuile. Des toits bigarrés de toutes couleurs, offriraient à l’oeil un spectacle aussi singulier qu’agréable. Il ne serait même pas impossible d'y tracer des lettres, des figures, etc.»143.

replace sur le dessus du fourneau »146. Enfin, bien qu'au fil de ses expérimentations Menjot d'Elbenne réfléchisse à la place du fer, les traces de ce matériau sont très rares et difficilement assimilables à une époque contemporaine de l'auteur. Par le biais de tableaux de prix et de dimensions comparés Menjot d'Elbenne tente de prouver que l'usage de fer pour créer des tirants est intéressant. Notons que pour l'élément fer comme pour les autres matériaux, le savant utilise l’argument financier comme faire-valoir. En comparant les différentes typologies, l'auteur nous laisse à voir par exemple qu'une charpente de 40 pieds sur 21 (13 x 7 mètres) à la « manière de Philibert Delorme » coûterait 628 livres (928 livres si gouttière en cuivre) pour un poids de 5200 livres, là où une charpente traditionnelle coûterait 884 livres pour un poids de 17500 livres.

Pour fabriquer des tuiles, la matière première est importante, de la même façon que dans le choix des essences d’arbre pour la création des charpentes. Le savant revient donc dans son livre sur la nécessité d’employer des argiles de qualité. Notons que la Sarthe est en grande partie couverte d’argile, il n’est alors pas difficile pour les tuileries de se procurer la matière première dont elles ont besoin. Des questions présentes dans le post-scriptum de l’Editeur144 nous permettent d’éclaircir certains aspects liés à l’argile privilégiée par le savant. Ainsi nous savons que les matériaux à l'origine des tuiles et des briques de Menjot d’Elbenne sont vitrifiables145 et crées grâce à un mélange de trois argiles. De plus, pour colorer ses tuiles l’auteur nous explique un savant mélange : « argile blanche séchée et pulvérisée, un quart pesant ou moitié mesure; caillou pulvérisé, un douzième mesuré ou pesé; manganèse, un douzième: une bonne poignée de farine de froment; le tout mêlé dans de l’eau, répandu sur la tuile à demi-cuite, qui se 143

Ibid., p. 58

144

Ibid., p. 59

Nul doute que la précision que nous retrouvons au travers des explications démontre une nouvelle fois un travail de recherche important. Les matériaux employés aussi bien dans la charpente que dans la couverture sont le fruit de réflexions alliant bien des aspects de l’architecture.

Est dit vitrifiable un matériau susceptible d'être changé en verre, dans le cas de la brique cela correspond à donner une surface relativement imperméable au moyen de la cuisson. 145

146

84

Ibid., p. 60


Artisans, architectes, etc. Qui fait quoi ? Maîtrise d’oeuvre et Maîtrise d’ouvrage semblent souvent être synonymes au regard de notre corpus. Néanmoins, nous ne devons pas penser que la figure de Menjot d’Elbenne est semblable à tous les propriétaires sarthois de l’époque. Comment dans ce cas le savant a-t-il pu transmettre les fruits de son travail expérimental ? Au travers de Constructions rurales le Sarthois semble s’être investit pleinement dans la construction de nombreuses charpentes, il emploie par exemple souvent l’expression «j’ai construit»147 et décrit précisément les moyens nécessaires. Qui sont ceux qui ont pu utiliser ce savoir ? La personne de Menjot d’Elbenne, d’après la lecture de divers rapports de la Société d’Agriculture de la Sarthe, est tout à fait particulière de par l’impulsion qu’elle donne à diverses recherches. Le savant est par exemple l’auteur de nombreuses publications liées à l’histoire de communes proches de La Chapelle-Saint-Remy (où vivait le savant). D’après ce que nous pouvons lire dans les divers rapports, il apparaît que Menjot d’Elbenne ait eu une énergie et un engouement tels vis-à-vis des charpentes qu’il put engager certains de ses homologues de la Société dans une dynamique constructive. Quand bien même les ouvrages effectués concernent autrui, Menjot d’Elbenne s'implique et analyse pleinement, nous pouvons même nous demander qui fut le financier des divers projets cités dans l’ouvrage.

▲ Liste de prix, Constructions rurales, G. Menjot d'Elbenne

(MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, Constructions rurales, Paris, ed. chez Colas et Delaunay, 1808)

147

85

MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, op. cit., p. 61


Le propriétaire, selon Menjot d’Elbenne, est aussi bien maître d’ouvrage que maître d’oeuvre. Néanmoins, la réalité nous fait dire qu'il peut aussi s’avérer simple client. Afin de déterminer le degré d’implication des propriétaires nous avons par exemple tenté de trouver si ceux-ci faisaient partie de la Société d’Agriculture ou d’une quelconque société savante. Dans bien des cas nos recherches furent infructueuses. Par exemple, le propriétaire qui a pu faire construire la charpente de Chantenay-Villedieu, RenéJean Lemort (ancien maire)148, n’apparaît dans aucun registre savant. De plus, lorsque l'appartenance à un cercle intellectuel est confirmée, aucun écrit ne vient créer un lien entre les commanditaires et les charpentes susnommées. Par exemple, la famille Caillard d'Aillières (château d’AillièresBeauvoir) a oeuvré au sein de la Société d’Agriculture149 sans qu'une allusion aux charpentes ne soit lisible. Bien que les charpentes aient souvent été édifiées par des individus appartenant à un cercle d'initiés, la fonction de maître d'oeuvre ne peut pas toujours être appliquée à ces derniers. Les commanditaires sont pluriels.

constituent les charpentes sur une carte, il est certain que les ouvrages ont fait l'objet d'un dialogue entre des propriétaires. Par exemple, deux grands propriétaires voisins ont pu échanger quant au procédé qu’ils firent mettre en oeuvre. D’autre part, des ponts furent certainement créés entre ces foyers par le biais des artisans, le tout formant une matrice propice à l'établissement de charpentes sur le territoire de la Sarthe. En outre, l’emploi d’une charpente à petits bois peut relever d’un simple travail d’entretien. Il est d’ailleurs parfois difficile aujourd’hui de déterminer si les parties maçonnées qui supportent la charpente sont contemporaines de cette dernière. Ainsi, toutes les créations de charpente ne concernent pas un travail global visant à proposer un ensemble architectural. Dans ce contexte, faire appel à un architecte peut se révéler moins évident, de la même façon qu’aujourd’hui lorsqu’un propriétaire refait sa toiture. La maîtrise d’oeuvre est dans notre étude assurée par des personnes qui s’emparent de l’architecture. Que ce soit par le biais des recueils ou des constructions elles-mêmes, la figure de l’architecte diffère de celle que nous connaissons de nos jours, elle se confond dans nos exemples avec l’ingénieur, le maître d’ouvrage, etc. Le métier d’architecte à l’époque des constructions n’est pas entouré de formes normatives, chacun est donc en droit de proposer des formes architecturales et de construire.

La seule donnée qui puisse être constante lorsque nous étudions les charpentes est la présence d'une dynamique locale. Celle-ci est encore visible de par des caractéristiques matérielles appliquées à un territoire restreint. Bien que nous ne puissions pas délimiter clairement les foyers que Nom trouvé grâce à des recherches menées par le propriétaire actuel du bien 148

Des personnalités comme François Cointeraux illustrent

Communication de M. L Caillard d'Aillières, 1840, Archives de la Société d’Agriculture du Mans, Le Mans

149

86


par exemple le rapport parfois intime qu’entretenaient les fonctions d’ingénieur et d’architecte. Les seuls personnages que nous avons cités qui peuvent s’apparenter à des architectes tels que nous nous les figurons de nos jours sont Legrand et Molinos, architectes de la Halle au Blé de Paris. Cependant, il n’est pas vraisemblable de penser que de tels professionnels aient agi en Sarthe tant les projets que nous observons sont de moins grande envergure.

répondait précisément. De plus, nous avons pu lire dans un ouvrage au sujet de la famille De Musset qu’un charpentier nommé Charles Crosnier à pu faire une charpente à SainteCérotte, cependant nous n’en savons pas plus sur le parcours de cet artisan. Il nous faut par conséquent nous concentrer sur les indices donnés par les diverses archives que nous avons trouvées. De manière générale nous savons que des artisans menuisiers ont été à l’oeuvre au temps de Philibert De l’Orme ou lors de la construction de la Halle au Blé.

Les similitudes que nous pouvons voir entre les projets sarthois peuvent nous amener à penser que des artisans ont été au coeur du développement du procédé de charpente. Valérie Nègre confirme cette pensée en accordant à ces acteurs un article : La contribution des artisans au rétablissement de la charpente de Philibert De l'Orme au XVIIIe siècle150.

En Sarthe, les artisans employés ne semblent pas être qualifiés de menuisiers contrairement à ce que nous aurions pu penser suite à la lecture des cas précités. L'unique écrit concernant les artisans dont nous disposons met en effet en avant des charpentiers, Menjot d’Elbenne dit à la fin de son ouvrage avoir formé des « charpentiers ». L'ouvrage du savant est par ailleurs introduit par un texte de l'éditeur intitulé « Supplément à l'art du charpentier »152.

Contrairement aux travaux d’architectes pour lesquels les documents d'archives peuvent être nombreux, les documents rédigés par des artisans s’avèrent plus rares. Menjot d'Elbenne nous parle de formations qu'il a pu mener : « Mon atelier devenu une école de charpentiers. J’ai formé six élèves cet hiver, dont deux m’avaient été envoyés par le Commissaire impérial du département de la Sarthe »151. Cependant nous n'avons pas trouvé de document nous aidant à cerner le profil de ces élèves et leurs parcours. De même, l'atelier dont parle l'auteur n'est pas décrit, nous ne savons pas quelle forme il a pris et à quelles commandes il 150

NÈGRE, Valérie, op. cit.

151

MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, loc. cit.

Nous expliquons l’hétérogénéité des appellations des différents constructeurs par la singularité du procédé mis en oeuvre. En effet, si nous nous attardons sur l'étymologie du mot menuisier153 nous découvrons alors que celui-ci provient du mot latin minitarus qui désigne la fabrication de menus ouvrages. Cette origine du mot semble adaptée au fait d’assembler des pièces de bois qui ne sont pas de grandes dimensions (environ 1,5m maximum). Ainsi, nous 152

Ibid., première de couverture

Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRTL, 4 décembre 2017, www.cnrtl.fr

153

87


pouvons nous questionner quant à la capacité des différents corps de métiers dans la mise en oeuvre des charpentes considérées. A la lecture de l’Art du menuisier154 d’André Jacob Roubo, comme à celle des différents textes de François Cointeraux où le mot menuisier est utilisé, il n'apparaît pas que les savoir-faire mobilisés ne puissent pas être à l'origine des charpentes. Nous pensons donc qu'un travailleur se disant menuisier, comme un autre se disant charpentier, à la fin du XVIIIe siècle, ait pu construire une charpente à petits bois. Valérie Nègre revient dans son article sur les «intérêts divers» dans la création de la charpente à petits bois de la Halle au Blé155. L’historienne cite notamment l’importance du corps des charpentiers à l'époque de la construction. Cet 154

ROUBO, André Jacob, op. cit.

« Dans sa charpente, seuls les échafaudages et l’opération de levage des arcs demeuraient de leur ressort, le reste (sciage, corroyage des bois à la varlope et au rabot, assemblage des planches, serrage des coins) relevait de la menuiserie c’est-à-dire – comme l’indique le mot – de « menus ouvrages ». On se doute que ces questions n’étaient pas secondaires dans des temps où le corps des charpentiers était avec celui des maçons tailleurs de pierre le plus puissant du bâtiment, c’està-dire non seulement au moment de l’invention, mais encore lors de son rétablissement au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Cette remarque incite à prêter une attention particulière aux savoirs et au savoir-faire des différents artisans « interprètes » de son système : charpentiers et menuisiers en particulier qui n’avaient pas les mêmes intérêts dans cette affaire. Il faut se demander quels furent leurs rôles respectifs et quelles étaient leurs intentions par rapport à celles des architectes et des ingénieurs. », NÈGRE, Valérie, op. cit., p. 232 155

▲ Restauration intérieure, La Gavolerie, Bessé-sur-Braye (Isabelle Martin)

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élément d'analyse nous permet de comprendre que bien des arguments ne nous permettent pas de faire entrer les charpentes dans le champ d’un corps de métier précis.

La ferveur qui s’est épanouie durant plusieurs décennies fut alors à l’origine d’un corpus architectural dont nous trouvons une trace significative aujourd’hui.

Peut-être est-ce Menjot d’Elbenne qui dans un passage de son texte est le plus juste, il dit en effet avoir transmis ses plans à un ouvrier156. Ce terme d’ouvrier peut être évocateur de l’impossibilité de cantonner la création des charpentes à un seul corps de l’artisanat. D’autre part, les artisans dont nous parlons étaient-ils à l’origine des dessins des charpentes ou uniquement les exécutants ? Les premières charpentes établies en Sarthe ont certainement été dessinées par Menjot d’Elbenne, néanmoins, qu’en est-il des autres plus récentes ? L'écrivain nous parle d'un atelier, il est alors vraisemblable que les premiers éléments de charpente aient été préfabriqués au sein d'un lieu où l'échange de connaissances était rendu possible. Des artisans ont ainsi pu apprendre à construire et bâtir par la suite. Cette théorie expliquerait les grandes familles de charpentes qui se répartissent sur le département sans que le lien à des propriétaires ne soit total. Nous remarquons par exemple des charpentes relativement similaires près de Sablé-sur-Sarthe (ouest du département) ou de Saint-Calais (au sud). Ainsi, nous pensons désormais que c’est suite à un travail expérimental mené de pair avec des artisans que Menjot d’Elbenne a pu porter des ambitions constructives en Sarthe. 156

MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, op. cit., p. 28 89


liée à une relative responsabilité de conservation. Pour les autres charpentes du corpus les niveaux de protection sont plus bas ou inexistants158. La volonté des propriétaires est donc essentielle à la préservation du patrimoine.

III. UN PATRIMOINE BÂTI DE PLUS EN PLUS DIFFICILE À ENTRETENIR Diagnostic de l’existant, le patrimoine comme renaissance

De surcroît, notre travail s'inspire du bilan de la connaissance de la conservation des charpentes à la Philibert De l’Orme en région Centre-Val de Loire rédigé en 2015159 par Frédéric Aubanton. Contrairement à la région Pays-de-la-Loire où les recherches sur les charpentes n'ont été qu’empiriques, dans la région Centre-Val de Loire un recensement a été fait ainsi que des études documentaires et des campagnes de datation. Des études dendrochronologiques ont été réalisées, c’est ce qui a permis par exemple de savoir que le château de l’Ardoise a une charpente contemporaine des écrits de P. De l’Orme. Pour la Sarthe la précision quant aux datations n'a pas fait l'objet d'un projet. Certains édifices soulèvent par exemple des débats quant au fait qu'ils aient pu être réalisés au XVIe siècle.

Nous avons démontré que les charpentes que nous étudions sont le fruit de contextes et de mises en oeuvre particulières. Ainsi, ces ouvrages présentent des valeurs157 par exemple historiques qui peuvent être sauvegardées afin de maintenir, entre autres, une bonne connaissance du passé ou des qualités esthétiques. Parmi les 48 charpentes de notre corpus plusieurs ne sont plus visibles. D’après les informations que nous avons recueillies, 8 charpentes seraient détruites. Ces destructions sont intervenues à la suite d’un abandon ou plus rarement d'une catastrophe. D’autre part nous allons voir que bien qu'encore visibles, certaines charpentes ont un état de conservation critique. Face à ce constat, voyons comment les charpentes sont considérées du point de vue de leur préservation.

D’autre part, à la lecture du travail de F. Aubanton pour la région Centre-Val de Loire, nous pouvons percevoir une prise en compte administrative de la préservation des toitures. Sur les 18 ouvrages à petits bois que compte la région, 7 sont inscrits « Monuments Historiques » et 5 sont classés. Par ailleurs, plusieurs des 6 charpentes non

A l'échelle départementale, une charpente de notre recensement est inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, il s’agit de la couverture d'une grange au château du Maurier à La-Fontaine-Saint-Martin. De cette façon, cette charpente est la seule directement

Plusieurs charpentes sont situées aux abords d'un monument historique et les travaux liés peuvent donc être soumis à l'avis de l'Architecte des Bâtiments de France. 158

RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, 1903, Editions Allia, 2016

157

159

90

AUBANTON, Frédéric, op. cit., p. 219-229


protégées sont situées dans des périmètres soumis à avis de l'architecte des bâtiments de France. Nous sommes alors loin de la prise en compte institutionnelle qui a cours en Sarthe vis-à-vis de notre sujet d’étude. Durant nos recherches sur le terrain sarthois nous nous sommes aperçus parfois que des charpentes étaient en voie de destruction sans qu'aucun responsable public ne le sache. C'est ainsi que certaines charpentes ont par exemple été partiellement ou entièrement détruites depuis seulement quelques années. Au lieu-dit Bel-Air, à Jauzé, un incendie en 2013 a par exemple ravagé une grande partie de la toiture et a laissé depuis un ouvrage dans en mauvais état. Ce type de catastrophe soudaine a atteint plusieurs charpentes puisque nous savons aussi qu'une charpente de Mamers fut anéantie à cause d'un orage le 7 juin 1904. Outre ces évènements dévastateurs il y a aussi des charpentes qui disparaissent après que des propriétaires n’aient pas assuré leur entretien durant plusieurs années. Dans ce cas le délitement est lent mais souvent tout aussi prégnant quant à l’héritage bâti. A terme, l’oeil contemporain ne peut plus appréhender la valeur historique de l’objet. Sur le terrain, les charpentes aux bois pourris, assemblages défaits ou parties manquantes ne sont pas rares. A Saint-Mars-d’Outillé comme ailleurs ce sont par exemple les éléments de rives qui présentent un état de pourrissement des plus avancés. Pourtant, étant donné l’âge avancé des charpentes, nombreuses sont celles qui ont déjà subi des travaux

▲ Charpente désormais incendiée, Bel-Air, Jauzé (Pascal Girod)

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▲ Charpente détruite L'abattoir, Mamers

(Archives départementales de la Sarthe)

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d’entretien. Soulignons d’ailleurs à nouveau que les structures des charpentes à petits bois sont souvent plus faciles à entretenir que des charpentes traditionnelles car il s’agit alors de remplacer des éléments de petites dimensions. Les travaux effectués récemment par des artisans ou des propriétaires ont souvent consisté en de simples substitutions. Par exemple, à Sceaux-sur-Huisne c’est de cette façon que le propriétaire nous a relaté être intervenu sur sa charpente. Les travaux d’entretien que nous observons sur le terrain ont concerné le remplacement de la couverture ou d’un ou plusieurs éléments structurels. Lors de ces travaux, bien que la pérennité globale de la charpente soit assurée, des éléments ont pu être mis en oeuvre sans cohérence architecturale. Par exemple, nous remarquons que plusieurs charpentes, comme celle de la Métairie à Sainte-Osmane, ont vu leurs rives se couvrir. D’autre part, il arrive parfois que les éléments en bois remplacés ne présentent pas la même essence que le reste de la charpente. Toutes ces modifications par rapport au modèle originel ont certes l’avantage de préserver l’édifice, néanmoins ils troublent notre perception et notre connaissance future de l'objet. Les charpentes semblent être avant tout l’affaire de l’autoconstruction. Cependant, dès lors que des travaux de plus grande ampleur sont nécessaires, comme après une catastrophe par exemple, ce choix de l'auto-construction s'avère moins évident. Les propriétaires doivent se tourner alors vers des professionnels. La question du savoir-faire est

▲ Rive recouverte, La Métairie, Sainte-Osmane (Image personnelle, 2017)

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alors plus prégnante car il faut souvent pouvoir reconstituer au moins de façon partielle la charpente. Le propriétaire de la charpente calcinée de Bel-Air nous a appris dans ce cadre qu’après avoir fait faire un devis à un charpentier il a été étonné du coût que cela représenterait de reconstituer la charpente. De plus, le charpentier Monsieur Lambron nous a expliqué de pas avoir appris à créer une charpente à petits bois durant son parcours professionnel. Nous faisons alors l’hypothèse qu’une carence du savoir-faire des artisans peut freiner la conservation. Ceci est d’autant plus vrai que le modèle économique mis en avant par Menjot d’Elbenne et qui pouvait justifier l’emploi de la charpente n’est plus viable aujourd’hui. Les propriétaires doivent donc actuellement investir des sommes selon eux conséquentes s’ils veulent restituer une charpente détruite.

déjà pauvre. L’importance de cette liste n’est pas purement historique, en effet, les charpentes sont aussi intéressantes car elles proposent une nouvelle manière d’appréhender l’espace, d’habiter les paysages. Les aspects pratiques des charpentes sont aussi notables, grâce à la capacité de stockage du type de charpente il n’est par exemple pas rare que des propriétaires aménagent des combles sans que des éléments structurels ne viennent entraver le projet d’aménagement. L’aménagement des combles a été souvent pratiqué ces dernières décennies. Motivés par un désir de plus d'espace habitable, les propriétaires ont parfois converti des combles destinés aux usages de la ferme en des pièces nouvelles pour la maison. Le cas le plus emblématique de transformation des usages est probablement celui du Vivier à Sceaux-surHuisne. Au début des années 2000, lors d'une campagne de rénovation, le propriétaire a modifié sa charpente dite "à la De l'Orme" et à aménagé des chambres dans ce qui devait être la partie haute d'une salle de prière. Bien que largement pratiqué, l’aménagement des combles peut lui aussi être porteur de dégâts quant à la charpente. Une connaissance approfondie de l’édifice est alors utile pour ne pas bouleverser la bonne tenue de l’ouvrage ou son apparence.

Pour beaucoup des propriétaires que nous avons rencontré, la charpente à petits bois qu’ils possèdent est rare. Ainsi, l’exception architecturale est comprise de tous. Par ailleurs, beaucoup souhaitent que leur édifice conserve toute sa qualité patrimoniale. Néanmoins, quand des travaux s’imposent le défi peut se révéler de taille. L’importance des coûts ou la méconnaissance historique peuvent aller jusqu’à la destruction du bien. Lorsque nous sommes arrivés sur le site de La Brulonnière nous avons ainsi été frappés d’apprendre que la charpente que nous venions voir avait été démontée quelques années auparavant. Ce choix de la destruction peut être condamnable tant il vient amputer une liste des charpentes de ce type

La cohérence paysagère est un élément à prendre en compte. Les Tuffelières ou les dépendances du château de Rivesarthe font parties de ces lieux où bien que les charpentes soient globalement préservées, des interventions parallèles ont 94


â–˛ Les Tuffelières, Cogners (Image personnelle, 2017)

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réduit la valeur de celles-ci. Les modifications de l’édifice couvert (création de nouvelles baies, pratique de certains revêtements muraux, etc) ou des abords peuvent parfois changer drastiquement l’aspect de la charpente. Se pose alors la question du diagnostic pratique du bâti sur lequel une intervention est choisie. Il peut être important de bien connaître les répercussions des travaux entrepris. Pour ce faire, l’observation attentive du bâti dans sa forme actuelle est utile. Cette attention consiste le plus souvent en architecture dans l’établissement d’un relevé. C’est grâce en effet au dessin précis de l’existant que les acteurs de la construction pourront prendre conscience de toutes les spécificités. Lorsque nous nous sommes rendus à SaintMars-d’Outillé pour effectuer le relevé d’une charpente nous avons pu enregistrer certains détails. Par exemple, un chronogramme gravé dans le mur à été mis à jour ainsi que des symboles ayant servi à compter des sacs de céréales entreposés par le passé. Grâce à ces détails nous avons désormais une meilleure connaissance du lieu, de son histoire. De plus, le relevé permet aussi de garder une trace écrite d’un état existant et de servir de base à l’élaboration d’un projet réfléchi. C’est par exemple sur la base de ce travail que des incohérences structurelles pourront être remarquées. Aucun relevé avant le nôtre n’avait jusqu’à présent été effectué pour les charpentes à petits bois en Sarthe. Seuls les dessins d'exécution de Menjot d’Elbenne ou de Guyot160 ▲ Graffiti, La Fontaine, Saint-Mars-d'Outillé

160

(Image personnelle, 2017)

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GUYOT, Plan, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte


nous sont parvenus. Cela pose un problème historique car nous n'avons alors pas de moyen exhaustif de savoir comment se présentaient les charpentes dans le passé. Cette absence de trace écrite atteint nos connaissances dans l’élaboration de projets.

L’éducation, l’économie, l’artisanat, la politique, etc, sont autant de piliers sur lesquels repose la préservation des charpentes et plus largement du patrimoine.

Au fil de nos rencontres avec les propriétaires nous nous sommes souvent rendus compte que ceux-ci n’étaient pas accompagnés. Rares étaient ceux connaissant l'origine et les caractéristiques du procédé à petits bois. Et bien que certains propriétaires aient déjà été approchés au sujet de leur charpente, le contact établi fut rarement au sujet de l’état de leur bien. De plus, comme les charpentes concernent souvent des bâtiments annexes, leur conservation est souvent reléguée au second plan. Ce n’est que par un travail mêlant propriétaires, historiens, artisans et architectes que nous serons globalement en mesure de travailler sur des projets liés aux charpentes. Il ressort de nos observations récentes que quand bien même une volonté de sauvegarde du patrimoine existe, les réponses ne sont pas toujours adaptées. Nous avons mis en avant les défis auxquels doivent répondre les projets liés aux charpentes de façon spécifique. Cependant, il est évident que ces projets font face à des problématiques plus globales quant au patrimoine rural. Rappelons-nous que les travaux de Menjot d’Elbenne qui ont initié la création de nombreuses charpentes furent basés sur une réflexion généraliste. 3 V 23, 1809. Projet de séminaire à l'emplacement de l’actuel Hôtel de Tessé au Mans.

▲ Projet pour l'ancien hôtel de Tessé, Le Mans (Archives départementales de la Sarthe)

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de cet historien ne put aboutir car aucun grand projet thématique n'avait été lancé.

Les prémices d'une intervention Face à l’état des lieux que nous avons dressé nous pouvons désormais évoquer des perspectives pour le corpus. Quelles sont les interventions futures dont les charpentes peuvent faire l’objet ?

D’autre part, grâce à l’intervention de professionnels qualifiés nous pouvons être capables d’attribuer des datations précises. Verdigné ou la grange du château du Maurier peuvent ainsi constituer des priorités dans la mesure où ces charpentes pourraient être contemporaines de Philibert De l’Orme163. Toutes ces campagnes de datation peuvent être soutenues par la dendrochronologie. Cette technique souvent utilisée permet grâce aux anneaux de croissance du bois de savoir quand celui-ci a été coupé. Patrick Hoffsummer, éminent spécialiste des charpentes en France, a souvent recourt à cette méthode164. De plus, un travail monographique serait aussi une aide dans la compréhension historique des charpentes, l’histoire spécifique de chaque édifice concerné par notre étude n’ayant souvent pas été très approfondie.

A une échelle régionale, la généralisation d’un recensement comme celui que nous avons voulu mettre en avant peut être envisageable. En effet, un travail similaire à celui fait dans la région Centre-Val de Loire rend possible le fait de donner une lecture fidèle du passé et de véritablement justifier la rareté du procédé que nous avons exposé. Un travail régional d’inventaire permet aussi un dialogue avec des régions voisines. Des charpentes à petits bois ont été repérées en Normandie161, en Bretagne ou en région Centre. N’est-il pas étonnant que ces charpentes recensées ne soient pas mises en relation avec les charpentes sarthoises situées parfois à peu de kilomètres ? Alain Delaval, ancien salarié de la Direction Régionale des Affaires Culturelles des Pays de la Loire, a déjà initié un travail d’inventaire pour la région. Cependant, ce travail s’est finalement avant tout concentré sur le département de la Vendée162. Le travail

Outre la datation, l’intégration paysagère des charpentes et le degré d’authenticité de celles-ci peuvent aussi être étudiés. Les objets d’études présentent parfois de nombreuses périodes de construction, leurs éléments peuvent par exemple et pour lesquelles la date la plus ancienne de construction était 1812.

161

Service territorial de l'architecture et du patrimoine, «PHILIBERT DE L’ORME. Des toitures pas comme les autres», Les services de l'État dans le Calvados, publications, 12 décembre 2017, www.calvados. gouv.fr/IMG/pdf/philibert.pdf

Les analyses des historiens dissonent pour cette charpente. Effectivement, pour Julien Hardy et nous-même la charpente serait du début du XIXe siècle alors qu’elle est décrite par les services de la DRAC comme étant du XVIe siècle

Nous avons contacté Alain Delaval par téléphone, celui-ci nous a dit n'avoir mentionné des charpentes que pour le département de la Vendée

HOFFSUMMER, Patrick, Monumental, Semestriel 1, juin 2016, p. 80-93

163

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correspondre jusqu’à trois phases de travaux. De plus, les sites dans lesquels s’inscrivent les monuments ont parfois beaucoup été remaniés. Ces paramètres permettront peutêtre alors de fixer des critères dans le degré de responsabilité à appliquer pour la sauvegarde des charpentes. Il nous paraîtrait utile de hiérarchiser les familles de charpentes pour permettre une protection efficace et cohérente vis-àvis de l’intérêt général. Bien que presque tous les édifices à petits bois reposent sur des propriétés privées il peut être important que les propriétaires comprennent tous l’intérêt de leur bien vis-à-vis de notre connaissance partagée de l’architecture. Une meilleure connaissance des charpentes à titre individuel permettrait à tous de mieux comprendre une certaine histoire de l’architecture. De plus, des propriétaires peuvent s’emparer de cette connaissance pour nourrir des projets en cohérence avec la valeur historique de leur bien. Ce faisant, des architectes pourront être utiles afin de penser des projets. A l’heure actuelle aucun architecte n’a eu à travailler sur un site présentant une charpente à petits bois, or nous pouvons penser que cela aurait évité des désordres comme ceux que nous avons évoqués au préalable. De plus, l’architecte peut aussi grâce à ses savoirs proposer des projets novateurs. Étant donné les caractéristiques des charpentes que nous étudions les usages par exemple peuvent ne pas être les mêmes que dans le cas d’une charpente traditionnelle. Au château de Rivesarthe, après que la Société Nationale des Chemins de fer Français soit devenue propriétaire et ait fait du lieu un centre de vacances, des combles de l’une des

▲ Inventaire de la région Centre-Val de Loire

(AUBANTON, Frédéric, Les charpentes à la Philibert De l’Orme en région Centre-Val de Loire : état des lieux et perspectives, Collectif, Philibert De l'Orme - Un architecte dans l’histoire, Turhout, Brepols, 2015)

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granges ont servi à la projection de films pour les enfants. Ce type de projet a été rendu possible par l’absence d’éléments structurels barrant la vision.

de trouver la trace d’une charpente à Torcé-en-Vallée. Il est de cette façon plus facile pour un citoyen de prendre conscience du patrimoine qui l’entoure. Cela permet de mettre en avant des paysages, des points de vue particuliers.

Bien que les charpentes soient globalement entretenues, il peut être demandé aux propriétaires de ne pas faire de cet entretien une source d’incohérence. Notons qu’il en va de même pour les parties annexes : quel sens cela aurait-il de préserver une charpente s’il n’en va pas de même pour les murs qu’elle couvre ? De plus, nous notons que parfois des propriétaires, pour conserver leur bien, ne feront que reproduire ce qu’ils voient. Le propriétaire d’une charpente à Chantenay-Villedieu nous a par exemple dit vouloir reproduire lors d’une prochaine campagne de restauration les motifs des ardoises qui existent aujourd’hui. Cette attitude est certainement souvent cohérente avec la volonté de conserver. Néanmoins dans la sauvegarde du patrimoine, les différents acteurs peuvent parfois ne pas savoir quels choix faire, ne sachant parfois pas si le bien a été modifié ou non. Pour ce faire des structures peuvent aider grâce à leurs publications ou aux services qu'elles proposent. Les architectes du patrimoine ou des associations spécialisées telles que les Pays d’art et d’histoire165, les Petites Cités de Caractères ou Maisons Paysannes de France peuvent accompagner. Ces acteurs peuvent aussi s’investir dans une dynamique touristique ou de sensibilisation. Le Pays du Perche Sarthois, par le biais de ses publications nous a permis par exemple

Les limites à tous ces projets que nous évoquons sont nombreuses. Nous l’avons dit, la plupart des propriétaires ne sont pas réticents à la préservation de leurs édifices, néanmoins nous savons aussi que certaines constructions de notre corpus vont être amenées à disparaître selon toutes probabilités dans les années à venir. La première de ces contraintes est savante : la rareté du procédé conjugué aux savoirs parfois lacunaires de certains professionnels du bâtiment peuvent encourager des erreurs d’appréciation comme nous l’avons déjà dit. Dans ce cadre il advient alors d’envisager une mise à jour des connaissances pour les professionnels. En outre, des prix pratiqués élevés peuvent aussi freiner la conservation du bâti. Des aides financières pourraient donc exister comme c’est le cas pour des chantiers de restauration fréquemment. Le corpus dont nous disposons en Sarthe n'est composé que d’une dizaine de charpentes dont le maintien est remis en cause, peut-être pourrions-nous considérer ce patrimoine en danger comme un défi possible à relever. Gardons à l’esprit que si nous poussons notre raisonnement prospectif vers le long terme, nous pouvons estimer que la sauvegarde des charpentes pourra se révéler d’autant plus difficile dans quelques années. En effet, la plupart des ouvrages concernent des sites agricoles où encore

La Sarthe dispose de deux zones labélisées Pays d’Art et d’Histoire : Le Pays du Perche Sarthois et la Vallée du Loir 165

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aujourd’hui l’entretien est pratiqué par des agriculteurs. Si le nombre de ces professionnels continue de décroître comme depuis plusieurs décennies166 cela peut remettre en question la pérennité des charpentes. Les facteurs conjoncturels liés au monde rural peuvent avoir une incidence sur le patrimoine.

les mêmes, nous sommes donc en mesure de proposer des travaux de préservation applicables à différentes charpentes. Enfin, notre corpus peut aussi concerner une démarche prospective tant le procédé qu'il met en avant peut présenter des qualités. Les caractéristiques formelles ne sont pas les seules qui peuvent encore représenter un intérêt aujourd’hui. Effectivement, il y a derrière les charpentes à petits bois une logique liée à l’utilisation des ressources naturelles qui peut être cohérente vis-à-vis des attentes environnementales actuelles. Nombreux sont les professionnels qui plaident pour une plus grande utilisation du matériau bois dans l’architecture168, il peut donc être intéressant d’observer les charpentes à petits bois comme synonyme d’un emploi des ressources naturelles raisonné. Une des motivations première des charpentes que nous avons exposée est la possibilité laissée de n’employer que des éléments de petites dimensions. En Sarthe à l’heure actuelle, les surfaces boisées représente 104 307 hectares (soit 17,2% du territoire) et 37,6% de cette surface est peuplée de résineux169 dont l’usage peut être privilégié dans la création des charpentes. Les résineux sont plus intéressants que les feuillus car leur emploi dans la création de matériaux de construction n’est

Enfin, la position de l’architecte face aux charpentes à petits bois et dans le contexte que nous avons mis en avant peut être discutée. Effectivement, étant donné l’échelle des objets d’études il peut nous sembler opportun de nous inspirer des travaux qui ont permis de les créer. Nous voulons souligner là que les charpentes ont été faites sur la base de recueils dont chacun pouvait s’approprier le contenu : les architectes peuvent oeuvrer de la même façon dans la conservation. L’association Petites Cités de Caractère a publié en 2004 une charte qualité restauration167, celleci permet à des propriétaires de s’emparer de certains modèles. De plus, l’association propose des services de conseils grâce à des architectes du patrimoine. Cette notion de conseil ou de recueil en architecture directement mise en lien avec des propriétaires permet alors d’outrepasser le travail sur le temps long. Le conseil ou le recueil offrent aussi l'occasion d’une réponse adaptée à une intervention sur une construction basée sur un modèle. Lorsque nous avons visité les charpentes, nos observations ont parfois été

BERTHIER, Stéphane, Création architecturale et industrialisation de la filière bois : l'architecture comme milieu d'expérimentation des innovations techniques, Thèse de doctorat en Aménagement, architecture, sous la direction de Jean-Jacques Terrin, Versailles, ENSA Versailles, 2017 168

Ministère de l'agriculture et de l’alimentation, « Graphagri France 2017», Agreste, 12 décembre 2017, www.agreste.agriculture.gouv.fr/ publications/graphagri/ article/graphagri-france-2017 166

167

Préfecture de la Sarthe, «État des lieux de la forêt et de la filière bois en Sarthe», Les services de l'État dans la Sarthe, publications, 12 décembre 2017, www.sarthe.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_foret_cle091735.pdf 169

Association des Petites Cités de Caractère de la Sarthe, op. cit. 101


pas concurrencé par d’autres usages (bois de chauffage par exemple). Notons aussi que des procédés proches de celui étudié peuvent aussi exister. Le lamellé-collé est par exemple une méthode d’utilisation du bois proche de celle à petits bois. Une analyse comparative des procédés et des travaux récents réalisés en des matériaux divers comme le métal, le carton ou le plastique est une piste de travail.

professionnel a en effet substitué les petits bois par des éléments préfabriqués en ciment armés lorsqu’il intervint sur la nouvelle charpente de la cathédrale de Reims (19241927). Ce travail est sans nul doute synonyme de vastes possibilités laissées une fois encore par le procédé à petits bois.

Le procédé à petits bois peut aussi à l’avenir être la base d’un travail de recherche novateur dans la création de nouvelles techniques en architecture. Par exemple, la malléabilité du procédé permet une adaptation à de nombreux sites et n’est pas sans rappeler des projets basés sur des modules que nous avons pu voir être construits récemment. Les projet de Shigeru Ban avec des éléments en cartons ou en plastique170 reposent sur une logique proche de celle déjà créée par P. De l’Orme. En France, la réappropriation la plus récente du procédé de De l’Orme fut menée par l’architecte en chef des Monuments historiques Henri Deneux171. Ce Shigeru Ban Architects, «PLASTIC BOTTLE STRUCTURE», Shigeru Ban Architects, 12 décembre 2017, www.shigerubanarchitects. com/works/2002_plastic- bottle-structure/index.html 170

« Le projet initial de travaux sur la cathédrale prévoyait la restauration intérieure de l’édifice, la restitution des combles inférieurs et la réalisation d'une terrasse provisoire en ciment armé sur la nef et le choeur. Grâce à la générosité de la donation Rockfeller, Henri Deneux rétablit les parties hautes de la cathédrale dans leur aspect primitif et conçoit, comme il l’avait déjà fait plus modestement en 1920 à l’église Saint-Jacques, une charpente du type « à la Philibert de l'Orme » en béton armé, constituée de planches de ciment moulées sur place de 20 x 4 cm, assemblées par un système de mortaises et de clés en ciment, 171

de clavettes en bois et de cavaliers en fer galvanisé. », MAYER, Jannie, «Henri Deneux (1874-1969) Un précurseur», Base Palissy, 12 décembre 2017, www.culture.gouv.fr/documentation/ palissy/ DeneuxMayer2002.pdf 102


▲ Cathédrale, Reims, 1926, Projet de restauration par Henri Deneux

(Base Mérimée, 12 décembre 2017, www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr)

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propriétaires issus de la noblesse de l’Ancien Régime. Ces personnes se sont souvent investies pleinement dans une activité qui jusqu’à aujourd’hui constitue le dynamisme économique du territoire sarthois : l’agriculture. Les propriétaires, unis en assemblées grâce à des structures telles que la Société d’agriculture de la Sarthe, vont alors promouvoir de nouvelles façons de construire.

CONCLUSION Au travers de notre mémoire nous avons voulu mettre en avant l’architecture rurale par le biais de l’un des sujets d’étude qu’elle propose. Les charpentes à petits bois se sont alors révélées riches d’enseignements. Elles nous ont permis de découvrir que le patrimoine en question était de façon alternée l’héritage ou la cause de travaux théoriques et pratiques.

La renaissance du procédé à petits bois avait déjà lieu dans d’autres parties de la France lorsqu’un propriétaire sarthois nommé Georges Menjot d’Elbenne décida de publier un opuscule au sujet du procédé et une adaptation de celui-ci. L’homme s’engagea aussi personnellement dans la construction de nombreuses charpentes, souvent chez des homologues qu’il côtoyait. L’écrit eut alors un retentissement important dans le département puisque suite à celui-ci nous vîmes apparaître en Sarthe un nombre important de charpentes au regard de la marginalité dans laquelle le procédé se cantonnait jusqu’alors. Les charpentes nouvellement construites sont le plus souvent différentes de celles dessinées par Philibert de l’Orme. Elles présentent en effet des caractéristiques structurelles nouvelles et plus simples. Au total, notre travail permit de mettre en avant la présence de 48 charpentes détruites ou visibles en Sarthe. Pour réaliser ce corpus et comprendre dans quels contextes il a pu se former nous avons dû arpenter le territoire, contacter toutes les personnes susceptibles d’avoir repéré des édifices pouvant correspondre à notre étude et interroger les archives.

Dans un premier temps, nous avons découvert que le procédé à petits bois était issu de travaux d’un architecte éminemment connu de la Renaissance : Philibert De l’Orme (1514 - 1570). Cette information nous a poussé à comprendre quel a été le parcours de l’architecte du roi Henri II, comment celui-ci put constituer un travail encore étudié aujourd’hui. Nous avons alors compris que l’ouvrage intitulé Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz constituait l’écrit grâce auquel bien des années plus tard des constructeurs ont pu remettre au goût du jour un mode de construction. Cependant, nous avons aussi vu qu’après une période contemporaine de De l’Orme durant laquelle des charpentes à petits bois furent construites, le procédé tomba dans l’oubli. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que poussés par des théories savantes et économiques les travaux de De l’Orme furent repris. A ce moment de l’histoire les élites opèrent un retour à la terre, ils reviennent dans les campagnes. La Sarthe fait alors figure de cas d’école par la présence noble que nous y trouvons. Effectivement, il y a dans le département une présence forte de grands 104


Sur la base de notre travail de recherche nous avons enfin pu mettre à jour un état des lieux et des perspectives. Les charpentes que nous avons étudiées sont aujourd’hui l’objet d’une véritable volonté de conservation, or nous avons pu observer que tous les outils n’étaient pas en place pour assurer celle-ci. De cette manière, nous avons évoqué des pistes de travail possibles afin de préserver le patrimoine ou d’utiliser celui-ci comme la base de nouvelles inventions.

toujours su trouver l’influence d’une certaine fascination pour l’architecte du roi. Il est aujourd’hui difficile de dire si les charpentes à petits bois ont subi une renaissance par goût pour le XVIe siècle ou bien à cause d’un intérêt par exemple économique. Les travaux de Menjot d’Elbenne tendent vers la seconde hypothèse, néanmoins le fait que les charpentes aient été avant tout utilisées par l’ancienne noblesse peut vouloir dire le contraire.

Notre travail de mémoire, que nous espérons le plus complet possible, s’est pourtant parfois heurté à des limites. Au cours de nos approfondissements il a été question de restituer à différentes échelles spatiales et temporelles des édifices. Ce travail s’est appuyé sur de nombreuses sources. Néanmoins, nous avons parfois rencontré un manque patent d’informations. Il a alors été nécéssaire de nous baser sur nos connaissances personnelles et d’observer attentivement les traces visibles lorsqu’elles existaient. Par la quantité de charpentes que notre corpus contient nous n’avons pas toujours eu les moyens pratiques de visiter les sites concernés. Ainsi, il manque aujourd’hui à notre travail quelquefois des précisions. Le château du Maurier par exemple constitue un des regrets que nous avons car nous n’avons pu visiter cet ensemble architectural et la charpente très ancienne qu’il abrite certainement.

Le lien qui unit les grands propriétaires et nos charpentes s’est révélé parfois ambigü. Effectivement, nous passons à l’époque où furent édifiées les constructions d’une société de classes à une nouvelle plus mouvante. Ainsi, il a souvent été difficile de cerner le profil des propriétaires et l’importance que ce lien peut avoir sur l’évolution des objets d’études. Nous avons dans un premier temps voulu pratiquer une analyse systématique des édifices, or nous avons vite vu que chaque bien présente des spécificités. Des détails parfois subtils font de chaque charpente un ouvrage unique, ceci a pu créer dans notre étude une certaine abstraction quant aux cas particuliers. Il nous semble alors important de souligner que chaque charpente peut faire l’objet d’une recherche monographique. C’est d’ailleurs en prenant en compte les particularités qu’abrite le corpus que nous avons formé des hypothèses de travail diverses quant aux futurs projets.

Ensuite, il a parfois été complexe de cerner l’importance de la figure « De l’Ormienne ». Ainsi, quand nous avons tenté de comprendre par quels moyens le nom de De l’Orme avaitil pu être tant cité à la fin du XVIIIe siècle nous n’avons pas

Les projets dont feront l’objet les charpentes sont incertains. A l’heure actuelle nous pouvons prévoir que des destructions auront lieu. Ainsi, nous voudrions faire de notre travail un 105


appel à discussions. Il nous paraît opportun de créer un dialogue entre propriétaires, professionnels du patrimoine et plus largement avec tous ceux qui peuvent s’intéresser au procédé à petits bois. La forme du mémoire que nous avons rédigé peut constituer une limite à un retentissement. De cette façon nous comptons sur des lecteurs avisés afin que puisse être mis en lumière notre sujet d’étude et que peutêtre d’autres s’en emparent.

architectes peuvent s’interroger sur les qualités du procédé. De cette façon peuvent être mises à jour des techniques de conservation où les bases d’une renaissance du procédé. Notons que Philippe Lambron, artisan charpentier que nous avons rencontré au cours de nos travaux, s’est montré très intéressé. De plus, les architectes connaissent peu l’histoire du procédé. Par une refondation de la place de l’histoire des techniques du bâti dans les écoles d’architecture peut-être pourrions-nous parvenir à créer de nouvelles réflexions.

Nous ne sommes pas les premiers à nous intéresser aux charpentes à petits bois. De plus, le sujet a aussi été étudié dans d’autres endroits de la France que la Sarthe. Nous pensons donc que notre travail peut être mis en lien avec des travaux rédigés ou futurs. A l’échelle régionale, notre travail peut être joint à des projets de préservation. Les chantiers entrepris par d’autres régions comme celui d’un état des lieux produit par la région Centre-Val de Loire pourraient être reproduit pour la région Pays-de-la-Loire. De cette façon la préservation des ouvrages encore existants pourrait certainement être encouragée. Cette préservation peut prendre une forme pratique ou écrite. Effectivement, il peut être intéressant de mener des campagnes de relevés afin que quand bien même les charpentes disparaîtraient toutes, une trace de celles-ci serait gardée.

L’architecture rurale est aujourd'hui au coeur de préoccupations interdisciplinaires. Le mémoire d’Emmanuel Gaudin Faire [la] Campagne172 illustre bien ce fait. Le procédé à petits bois peut donc être étudié comme un moyen de poser les bases d’un nouveau métier pour l’architecte. Faisons-nous l’architecture de la même façon en milieu rural ? Voilà un questionnement qui intéresse sociologues, architectes et historiens et qui n’est pas sans lien avec des travaux de savants tels que ceux de Menjot d’Elbenne. Nous avons vu que la renaissance du procédé à petits bois est née d’une analyse quant au milieu dans lequel il s’inscrit. Par conséquent, nous pourrions nous interroger sur la capacité actuelle du procédé à répondre à certaines attentes. Peut-être y a-t-il des situations dans le monde où construire à petits bois serait viable. L’architecture en bois est très

En outre, localement des structures peuvent se pencher sur les charpentes à petits bois pour créer un écho. Le Pays d’Art et d’Histoire du Perche Sarthois propose très régulièrement des focus sur certaines thématiques, le procédé hérité de De l’Orme peut faire l’objet de l’un d’eux. De plus, les artisans et

GAUDIN, Emmanuel, «Faire [la] Campagne. Engagements d’architectes sur leurs territoires», Fondation Remy Butler, 12 décembre 2017, www.http:// fondationremybutler.fr/media/M--moire-EmmanuelGaudin-Faire-la-campagne.pdf 172

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étudiée, cependant une impasse semble exister quant à notre sujet d’étude. Dominique Gauzin-Müller173 est l’auteur de plusieurs publications sur les formes d’architecture réflexives quant à leurs milieux et sur le matériau bois en architecture, une relecture de ces travaux sous l’angle de la construction à petits bois est possible.

mais leur maintien dans le temps n’est pas toujours remis en question. C’est donc un regard mitigé que nous portons désormais sur ces charpentes tant se mêlent volonté d’agir et défauts d’appréciation à l’égard du corpus. Le monde rural que nous avons pensé inapte à conserver la richesse patrimoniale de ses charpentes s’est en fait montré plus dynamique qu’escompté. Les structures qui existent au sein du milieu sont parfois très dynamiques et peuvent être porteuses de bons outils dans la préservation du patrimoine bâti.

Grâce au fait de croiser des lectures, même si celles-ci peuvent être éloignées de notre sujet nous pouvons jalonner notre parcours de futur architecte de questionnements nouveaux et personnels. C’est cette démarche qui nous a guidé durant notre rédaction. La liberté intellectuelle nous a parfois poussé vers des hypothèses qui se sont révélées fausses. Par exemple, en voyant de prime abord la charpente du château de Bocé nous pensions être face à une charpente à petits bois, or ce diagnostic était faux. Nous formions cette hypothèse inexacte suite à notre lecture de divers écrits liés à Philibert De l’Orme pour qui les charpentes prenaient parfois une forme courbe comme celle précitée. Cependant, même fausses, les hypothèses que nous avons pu formuler nous ont éclairé et poussé à sans cesse mettre en doute ce que nous avancions.

Une médiation de l’architecture avec son contexte a donc déjà cours grâce à la volonté de certains, à la manière de Menjot d’Elbenne deux siècles plus tôt. Libre à nous de nous inspirer de cette démarche afin d’agir.

Enfin, nous pensions trouver en commençant notre travail des charpentes abandonnées, synonymes d’un délaissement du monde rural. Mais en réalité nous avons le plus souvent trouvé des édifices en assez bon état. Les charpentes présentent certes régulièrement des détails incohérents GAUZIN-MÜLLER, Dominique, Le bois dans la construction, Paris, éd. du Moniteur, 1990 173

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Pensant la rédaction d’un mémoire comme bénéfique dans le parcours d’un étudiant en architecture, je veux en premier lieu remercier l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-La Villette. Une école qui grâce à son corps enseignant a pu être la source d’échanges riches qui ont contribué à la création de mon travail. J’adresse aussi des remerciements à tous ces propriétaires sarthois qui m’ont ouvert leurs portes et permis d’observer les charpentes qui ont animé mes journées durant plusieurs mois. Ces visites n’auraient pas été possibles sans les mairies, les historiens ou encore les membres d’associations qui m’ont aidé à repérer les objets d’étude, merci à eux. François Pasquier et Julien Hardy occupent dans le cadre de mes recherches une place à part grâce à leur bienveillance et à leur attachement pour le patrimoine. En acceptant de partager avec moi leurs résultats d’enquête ils ont rendu mon sujet de mémoire plus abordable et ont su me motiver. Je remercie aussi chaleureusement l’agence d’architecture Laurent Cohin et le Pays d’Art et d’Histoire du Pays du Perche Sarthois qui depuis des années m’ont permis d’acquérir des connaissances précises sur le territoire de la Sarthe. Les relations de longue durée que j’entretiens avec ces structures me permettent de forger une meilleure connaissance du patrimoine au travers de ses chantiers et de ses acteurs. Enfin, j’ai aussi une pensée particulière pour deux personnes qui m’ont soutenu dans l’écriture de mon mémoire : Paulette Bizieux et Anne-Marie Cany. 108


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GLOSSAIRE1 ARBALÉTRIER : Pièce de charpente inclinée qui, dans une ferme, s'assemble à son extrémité inférieure sur l'entrait, et à son extrémité supérieure au sommet du poinçon CHARPENTE À CHEVRONS FORMANT FERME : Charpente sans grandes pièces, faite de chevrons rapprochés, le lattis permettant de tenir les fermes entre elles CHEVILLE : Tige de bois ou de métal servant à assembler les pièces d'un assemblage et, par extension, à boucher un trou CHEVRON : Pièce de bois équarrie sur laquelle sont fixées les lattes soutenant la couverture d'un bâtiment, et généralement opposée à une pièce semblable CLAVETTE : Petite cheville généralement métallique, conique ou prismatique, qui permet l'assemblage de deux pièces COYAU : Petite pièce de bois posée dans une toiture à la base des chevrons afin d'éloigner les eaux pluviales des murs ENTRAIT : Poutre horizontale d'une charpente qui forme la base de la ferme de comble et qui empêche l'écartement des arbalétriers LATTE : Morceau de bois long, mince et étroit, refendu selon son fil, et utilisé notamment en charpenterie et en menuiserie LATTIS : Ouvrage de lattes LIERNE : Pièce de bois ou de métal servant à relier d'autres pièces (solives d'un plancher, chevrons courbes d'un dôme, pieux d'une palée) pour consolider l'assemblage MORTAISE : Entaille généralement rectangulaire pratiquée dans une pièce de bois ou de métal pour recevoir le tenon d'une autre pièce de l'assemblage PANNE : Poutre horizontale reliant les fermes d'un comble PANNE FAÎTIÈRE : Poutre qui unit les sommets de toutes les fermes d'un comble PANNE SABLIÈRE : Longue poutre horizontale, sur laquelle s'appuient les autres pièces d'une charpente PLATELAGE : Plancher de charpente; assemblage de tôles, de plaques métalliques POINÇON : Pièce de charpente verticale qui reçoit les extrémités supérieures des arbalétriers d'une ferme ou les arétiers d'un pavillon et d'une flèche VOLIGE : Mince latte de bois sur laquelle sont fixées les ardoises ou les tuiles d'un toit

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d'après le Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRTL, 4 décembre 2017, www.cnrtl.fr 110


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SOURCES / BIBLIOGRAPHIE SOURCES : MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, Constructions rurales, moyens de perfectionner les toits et de les rendre plus commodes, plus économiques, en conciliant l'élégance et la solidité, Paris, ed. chez Colas et Delaunay, 1808. Médiathèque du Mans, Le Mans, côte SA 4* 1572 (04) Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts et la Sarthe, 1835, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte 1 Mi 151 Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts et la Sarthe, 1836, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, PER 1128 Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts et la Sarthe, 1843, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, PER 1128 Cadastre de Fontenay-sur-Vègre, 1826, Archives départementales de la Sarthe, côte PC\139\002 CHOISEUL-PRASLIN, Félix, Notes, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte 13 F 2455 DE L’ORME, Philibert, Le premier tome de l'architecture de Philibert De l’Orme conseillier et aumosnier ordinaire du Roy, & abbé de S. Serge lez Angiers, Paris, ed. F. Morel, 1567, Bibliothèque Nationale de France DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz / trouvées n'a guères par Philibert De l'Orme, Paris, ed. F. Morel, 1561, Bibliothèque Nationale de France DE MUSSET, Louis-Alexandre-Marie, lettre, 1788, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte C. 82 GUYOT, Plan, Archives départementales de la Sarthe, Le Mans, côte 3 V 23, 1809. Projet de séminaire à l'emplacement de l’actuel Hôtel de Téssé au Mans. Communication de M. Lefebvre des Allayx, 1840, Archives de la Société d’Agriculture du Mans, Le Mans Communication de M. L Caillard d'Aillières, 1840, Archives de la Société d’Agriculture du Mans, Le Mans DE L’ORME, Philibert, lettre n°31, 1557, Archives Condé, Chantilly (Institut de France), série L, registre 23 Bibliothèque municipale de Lyon, « Compte rendu de la société d’agriculture de Lyon, depuis le mois de Décembre 1807, jusqu’au mois de Septembre 1808, ed. Pitrat, 1808 », Google books, 12 décembre 2017, www.https://books.google.fr/books?id=vx70bKtctyIC&pg=PA1&lpg=PA1&dq=Compte +rendu+de+la+société+d’agriculture+de+Lyon,+depuis+le+mois+de+Décembre +1807&source=bl&ots=WH_JVI5EXb&sig=1f97bhpU5xLGQUdv_ Omo7M_UPsc&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiVhPPvnrzYAhWqA8AKHVyyCq YQ6AEILjAB#v=onepage&q=Compte%20rendu%20de%20la%20 société%20d’agriculture%20de%20Lyon%2C%20depuis%20le%20mois%20de %20Décembre%201807&f=false

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ANNEXE 1 : Recensement

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sur ce chantier. En effet, le 29 janvier 1557 fut signé avec Jehan Le Breton175 le marché de couverture et de plomberie, puis le 22 décembre 1558 un artisan nommé Georges Vaubertrand176 signe un contrat concernant la construction d'une voûte à petits bois sur la chapelle haute. Aujourd’hui, il ne subsiste aucun élément de ces charpentes faites à La Muette. Au XVIIe siècle le château de chasse est détruit au profit d'une nouvelle construction dans le parc. Ce nouveau château, remanié sous Louis XV par Jacques V Gabriel et Ange-Jacques Gabriel, est désormais le siège de l’OCDE177.

ANNEXE 2 - Liste des charpentes à petits bois faites par Philibert de l'Orme Grâce aux Nouvelles Inventions, il semble que P. De l'Orme ait construit lui-même des charpentes portant aujourd'hui son nom sur quatre sites. Intéressons-nous donc à ces objets dont certains ont pu s'inspirer. LA MUETTE Comme nous l'avons déjà dit, l'auteur écrit avoir mis en oeuvre la première charpente suivant le procédé qu'il expose au château de La Muette à Saint-Germain-en-Laye. Ce premier pas vers la création d'un modèle de charpente transposable fut motivé par des défauts structurels. Après que Pierre Chambiges, premier architecte de La Muette dès 1542, décède en 1544 et que les travaux soient repris par Guillaume Guillain et Jean Langeois, il est prévu la création de terrasses174. Cependant, en 1577, P. De l’Orme décide en tant qu’architecte du roi (cela depuis dix années) que le château de chasse situé dans la forêt de Saint-Germain-enLaye sera surmonté d'une charpente. Face aux ressources disponibles en matière de grands bois et au mauvais état des maçonneries, il est alors décidé de faire une charpente à petits bois. Nous avons, grâce aux recherches de Catherine Grodecki, des indications quant aux artisans qui ont travaillé

ANET En second lieu, nous trouvons aussi grâce aux archives des traces de charpentes à petits bois au château d’Anet. Ce monument fut bâti dès le Xe siècle par Charles le Mauvais, comte d’Évreux et roi de Navarre. Néanmoins, en 1378, Charles V aurait détruit le château primitif178 dont le site sera donné par Charles VII en 1444 à Pierre de Brezé. Après différents aléas successoraux, en 1483, le château revient à Louis de Brezé, grand sénéchal de Normandie qui en 1515 épouse Diane de Poitiers. L'histoire aurait pu attribuer au château d'Anet un destin plutôt semblable à celui d’autres CIPRUT, Édouard-Jacques, « Notes sur un grand architecte parisien, Jean Androuet du Cerceau », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 113, avril-juin 1967, p. 175, d’après JeanMarie Pérouse de Montclos 175

GRODECKI, Catherine, Les travaux de Philibert Delorme pour Henri II et son entourage : Documents inédits recueillis dans les actes des notaires parisiens (1547-1566), Paris, ed. Arts et Métiers, 2000, Minutier Central, XIX 182 174

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176

GRODECKI, Catherine, op. cit., XIX 210

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Organisation de Coopération et de Développement Économique

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PÉROUSE DE MONTCLOS, op. cit., p 256


maisons de la région si en 1531 Louis de Brezé n'était pas mort. En effet, la mort de celui-ci rend possesseur de la demeure Diane de Poitiers, maitresse du roi Henri II. Dès 1532, le parlement de Paris ordonne que le domaine d'Anet revienne au roi, bien que Diane de Poitiers et ses deux filles puissent en garder la jouissance. Il est difficile de déterminer le commencement des grands travaux que Diane de Poitiers décida. Nous savons uniquement par exemple que dès son avènement en 1547, Henri II multiplie les faveurs envers sa favorite. De plus, d’après Pérouse de Montclos179, une grande partie des travaux commandés par la favorite eurent lieu entre 1548 et 1553. Ainsi, nous pouvons penser que P. De l'Orme a été l'auteur de tous les travaux entrepris (même si ces travaux ont pu s'étaler sur une période plus longue de quelques années). Concernant les charpentes, la gravure de Androuet du Cerceau met en évidence des charpentes "à la De L’Orme" au niveau de certains bâtiments secondaires. Par ailleurs, étant donné les différentes datations des travaux à Anet, il est possible que les charpentes à petits bois de ce château soient contemporaines de celle du château de La Muette (1556 environ). Néanmoins, il n'est pas rare de pouvoir mettre en doute les dessins de Du Cerceau180, Pérouse de Montclos propose qu'un des édifices couverts à petits bois dans la cour arrière fut le cellier qui servit en période estivale de salle de jeu de paume (les « trente

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huit piedz de large, & vingt toises de long »181 cités par P. De L’Orme dans Nouvelles Inventions peuvent confirmer cette hypothèse). S’ajoute à cet édifice les baigneries et des pavillons dans le parc, eux aussi couverts d'une charpente spécifique. Cependant, là encore il ne subsiste plus aucune trace matérielle des charpentes. LIMOURS Comme pour les sites précédents, les travaux de P. De l'Orme au château de Limours (Essonne) ne sont plus visibles. L'édifice, qui fut la propriété de Anne de Pisseuleu, duchesse d’Étampes, avant qu'il se soit confisqué pour Diane de Poitiers, constitue une nouvelle image des faveurs royales envers la favorite. En 1555, P. De l’Orme construit pour cette propriété une salle de bal. L’historienne Catherine Grodecki nous donne à lire des devis du 2 mai et du 18 novembre 1555 mentionnant un toit qui est « par son dehors à demy rond et dedans euvre à ance de panyer »182. D'après un autre devis, du 2 novembre 1557183,il semble cette fois que la charpente à petits bois initialement prévue ait été remplacée par une autre disposant en partie sommitale d'une galerie (du même type que celle d’Anet représentée dans Nouvelles Inventions). Notons que les artisans cités par les devis sont les mêmes que ceux de La Muette, nous retrouvons les noms par exemple de Jean Le

Ibid., p 258.

Collectif, Le relevé en architecture ou l'éternelle quête du vrai, Paris, ed. Lieux Dits, 2011

180

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181

DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions, op. cit., fol. 68

182

GRODECKI, Catherine, op. cit., XIX 198 et 107

183

Ibid., XIX 205, d’après Jean-Marie Pérouse de Montclos


Breton (plomberie) et de Geroges Vaubertrand (menuiserie). Quant à cette charpente de Limours, en plus des arguments esthétiques ou structurels que nous pouvons lire, l'architecte dit « le tout si bien conduict, que ce qui couftoit trois mil francz, tant bois que façon, n'est revenu à mil »184.

confidentielle»187. D'AUTRES TRAVAUX DE P. DE L'ORME ? Outre les quatre sites cités par P. De L’Orme dans son écrit, les historiens nous font part d’autres lieux où l'architecte lui-même aurait pu mettre en oeuvre son procédé.

FONTAINEBLEAU Pour Fontainebleau (Seine-et-Marne) les Nouvelles Inventions font référence à la voûte de la Chapelle du Roi185 du Pavillon des Poêles. Pour cet ouvrage l'architecte nous parle d'une structure en plein- cintre, du même type que celle employée au château d’Anet pour les pavillons du parc (d'après dessins). De plus, il n'est pas possible de donner une date précise à cette création dans la mesure où P. De l’Orme est intervenu sur le pavillon dès les années 1555. Nous notons néanmoins que la couverture de la charpente en ardoises fut une nouvelle fois le travail de Jean Le Breton et date de 1556. La richesse et l'importance du travail de P. De l’Orme vis-à-vis de l’édifice prirent la forme de planchers eux aussi construits à petits bois comme le montrent Nouvelles Inventions. L’abbé Guilbert, qui nous offre un éminent témoignage du château de Fontainebleau au XVIIIe siècle186 nous livre une description des décors riches du pavillon, cet «espace retranché du monde, propice à la promenade solitaire, la méditation, la rêverie, l’entrevue 184

DE L’ORME, Philibert, Nouvelles inventions, op. cit., fol. 57

185

Ibid., fol. 65

Pérouse de Montclos met en avant le château des Marets (Seine-et- Marne) et sa chapelle Saint-Hubert. Nous apprenons alors que Pierre Dauvet, héritier en 1559 de la seigneurie des Marets décide en 1560 d’agrandir les fossés du château et de détruire en partie la chapelle Saint-Hubert primitive. Le projet d’une nouvelle chapelle voit ainsi le jour. L'actuelle église paroissiale (Sainte-Trinité) semble être en partie le fruit de la modification de la chapelle primitive. De plus, nous retrouvons des inscriptions faisant référence aux années 1597, 1607 (nef) et 1744 (choeur). D'après Pérouse de Montclos, le bâtiment actuel rappellerait la chapelle Saint-Michel de Saint- Germain-en-Laye et le portail mettrait en avant des caractéristiques propres à P. De l’Orme. Enfin, d'après l’historique, il paraît plausible que la charpente à petits bois qui surmonte actuellement l’édifice soit de 1560 et que l’architecte du roi en soit l’auteur. A Pithiviers (Loiret), le château de l’Ardoise semble là aussi appartenir à la famille des oeuvres de P. De l’Orme. Cette conviction repose en premier lieu sur le lien qu’aurait

GUILBERT, Pierre, Description historique des château, bourg et forest de Fontainebleau, Paris, ed. Cailleau, 1731

JESTAZ, Yvonne, Henri IV à Fontainebleau - Un grand bâtisseur, Paris, ed. Artlys, 2002

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pu entretenir le propriétaire et l’architecte. Gouault Archambault, propriétaire, qui fait construire vers 1561 son château est en effet cité à de nombreuses reprises comme haut responsable des finances du royaume (par exemple, il est cité comme receveur général des tailles et des aides à Étampes en 1556)188. De par cette fonction, il se peut que l'architecte l'ait côtoyé. En second lieu, comme aux Marets, l'ornementation et la présence de charpentes à petits bois, en partie centrale et sur deux pavillons (un a été détruit), démontreraient l'implication de l’architecte. Nous pouvons mettre en doute cette hypothèse car les Nouvelles Inventions ne mentionnent pas cette création alors que leur écriture est contemporaine. Cependant l’étude dendrochronologique menée en 2002 par P. Hoffsummer a permis de confirmer l’année 1561 comme année de création de la charpente189.

la rue de la Ceriseraie à Paris. Bien que ces informations soient fondées sur des documents d'archives nous pouvons émettre un doute quant à leur précision, il n'est par exemple par toujours évident de savoir si les travaux effectués concernent des charpentes ou des planchers191. Grâce à nos recherches nous savons qu'il y a en France d'autres charpentes qui parfois sont contemporaines de l'architecte. Par exemple, le château de Bonnemare (Eure), construit au XVIe siècle, dispose de deux pavillons d’angles couverts « à la De l’Orme »192, mais là encore nous ne savons dire si l'architecte du roi en est l'auteur. A l'exception des deux ouvrages publiés et de la lettre à Anne de Montmorency, nous n'avons pas à notre connaissance d'archives écrites concernant directement P. De l'Orme, ainsi, il est possible que les quelques charpentes à petits

Bien que les charpentes datées de la seconde moitié du XVIe siècle soient rares, des doutes subsistent quant à la mise en oeuvre de certaines charpentes par P. De l’Orme directement. Nous l'avons dit, Pithiviers et Les Marets sont deux lieux où d’après Pérouse de Montclos l'hypothèse d'une intervention de l'architecte est vraisemblable. De plus, dans un article de 2016190 nous pouvons lire que Philibert De l'Orme aurait mis en oeuvre des charpentes à petits bois au château de Saint-Léger-en-Yvelines ou dans sa propre propriété de

« Le 20 août 1555, Guillaume Vaillant, maître charpentier à Paris, signe les marchés et devis de charpente pour l'aile gauche (du château de Saint-Léger-en- Yvelines), celle de la galerie et de la chapelle. Ces actes font ressortir quelques traits qui semblent en contradiction avec les dessins d'Androuet Du Cerceau, mais qui, à notre avis, ne le sont pas. Il est dit que la charpente sera en anse de panier : mais s'agit-il de la forme du toit ou seulement de la forme du lambris intérieur couvrant la galerie ? Le texte dit aussi qu'il "fault faire la charpenterie de la chapelle en facon de pavillon à ung espy et faire une lanterne" : ce pavillon à une pointe n'est-il pas celui qui recouvre l'un et l'autre des deux clochers et la lanterne n'est-elle pas le lanternon qui coiffe la coupole ? Ce serait les seules nommées parce que les seules qui devaient être en bois ? L'engagement portait aussi sur la charpente de divers pavillons. », PÉROUSE DE MONTCLOS, op. cit., p 337 191

Communications entre Pérouse de Montclos et l'abbé R. Moufflet, conservateur du musée de Pithiviers, le 2 octobre 1955. Recherches issues d'archives notariales 188

189

AUBANTON, Frédéric, op. cit., p. 222

190

FÉRAULT, Marie-Agnès, loc. cit.

« Domaine de Bonnemare », Base Mérimée, 12 décembre 2017, www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr 192

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bois que nous connaissons de lui ne constituent pas une liste exhaustive. Néanmoins, ces édifices sont les rares traces du travail de P. De l’Orme au XVIe siècle. Malgré nos recherches nous ne savons pas quelle ampleur prit la diffusion des Nouvelles Inventions et de quelle manière les artisans et commanditaires de l’époque ont pu s’approprier l’écrit. L'unique exemple dont nous disposons pour illustrer une appropriation contemporaine de P. De l'Orme est la charpente de l'hôtel du Lion Ferré à Blois193.

193

AUBANTON, Frédéric, op. cit., p. 221 126


ANNEXE 3 : Plans, G. Menjot d'Elbenne

MENJOT D’ELBENNE, Georges Joseph Augustin, Constructions rurales, moyens de perfectionner les toits et de les rendre plus commodes, plus économiques, en conciliant l'élégance et la solidité, Paris, ed. chez Colas et Delaunay, 1808. Médiathèque du Mans, Le Mans, côte SA 4* 1572 (04)

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ANNEXE 4 : Relevé, La Fontaine, Saint-Mars-d'Outillé CANY Léo, Novembre 2017

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Détail d'assemblage de l'arbalétrier Épaisseurs de bois fixées de chant par des chevilles 134


Arbalétrier

Cheville

Tuiles

Coyau

Panne sablière Tomettes

Détail du complexe coyau / arbalétrier

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Allégorie du bon architecte, Philibert De l'Orme

(DE L’ORME, Philibert, Le premier tome de l'architecture de Philibert De l’Orme conseillier et aumosnier ordinaire du Roy, & abbé de S. Serge lez Angiers, Paris, ed. F. Morel, 1567, Bibliothèque Nationale de France, fol. 183)



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