UrBain Sauvage - Éprouver, concevoir et revoir le territoire selon les lois de la Loire

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sauvage Éprouver, concevoir et revoir le territoire selon les lois de la Loire caroline wypychowski notice de pfe - studio borderline 2020





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sauvage Éprouver, concevoir et revoir le territoire selon les lois de la Loire

caroline wypychowski notice de pfe - studio borderline 2020



REMERCIEMENTS Je remercie, très chaleureusement, les enseignants du studio Borderline, et en particulier Sabine Guth et Petra Marguc, qui ont su relever le défi de l’enseignement à distance avec audace et panache et qui se sont montrés compréhensifs et inventifs face à la situation d’une «école» confinée. Je remercie encore mes directeurs de mémoire, Frédéric Barbe et Margaux Vigne, sans qui mon mémoire et donc l’idée de ce projet n’aurait jamais émergé. Merci à mes six colocataires et mes amis, de m’avoir épaulé, écouté et supporté pendant ces longs mois, et d’avoir accepté que la colocation se transforme en studio de projet le temps d’un semestre. Merci aussi aux étudiants de l’option Borderline et aux PFE, pour toutes ces discussions, à distance ou en présence, avec qui j’ai traversé cette crise inédite. Enfin je tiens à remercier ma mère pour son soutien, ses connaissances sur les sciences de la vie et de la terre, et sa relecture. Ma dernière pensée revient à mon grand-père, marin de métier et de cœur, qui a été le premier à me transmettre le goût de l’immersion parmi les mondes aquatiques.


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sommaire

introduction

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la loire et ses mondes les protagonistes de l'histoire

2 l'île de nantes parmi les îles de loire

3 méthode d'action de l'architecte immersif et submersif au service des relations entre les mondes

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perspectives

récit d'immersion


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Studio Borderline

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De l'immersion à la submersion

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Mon histoire avec la Loire

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One small step for human [Récit d’immersion]

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Se glisser dans la peau de la Loire

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Évolution de la relation entre humain et Loire

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La Loire, une personnalité juridique ?

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La Loire, un paysage en commun

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Lexique de la Loire

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Ensauvageons l’éléphant

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Histoire d’îles

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L'invention d'une île

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Les rives de l’île

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12//

Des réfugiés actifs nichés dans les interface

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13//

La force d’une idée

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14//

La baignade, un levier éco-systémique

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15//

Gouvernance inter-acteur, inter-espèce

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d’un paysage en commun 16//

Les temps d’application des lois de la Loire

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Faire école de la Loire

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Jour de sociabilisation entre le Loire et les nantais

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19//

Trajet d’un ragondin à travers les îles de Nantes

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Médiagraphie

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BORDERLINE - Le projet architectural comme posture 00// critique et recherche en action Contexte pédagogique Le studio de projet Borderline a pour visée d’offrir le goût et les moyens d’une pratique de la conception architecturale et urbaine émancipée, consciente et engagée. Son assise méthodologique est constituée par le domaine d'étude Espaces critiques : architectures et urbanités à l'épreuve de la métropolisation, dont l'un des principaux enjeux est l’élaboration d’une approche critique du conditionnement des acteurs, des logiques de projet et des formes architecturales et urbaines, qui sont à l’œuvre aujourd'hui (cultures professionnelles, banalisation des enjeux sociétaux, ségrégations...). Dans ce cadre sont imaginés et expérimentés des processus de projet capables de saisir et dépasser ces conditionnements, pour appréhender les enjeux de rupture et de transition qui animent et modèlent le monde contemporain. Objectifs pédagogiques L'objet de son enseignement est le projet architectural, dont il s'agit de construire non seulement les attendus et la nature des transformations visées mais aussi les moyens et les outils qui soutiennent et servent son action. Travaillé dans sa capacité à condenser des échelles multiples et des questions parfois contradictoires, il est exploré et développé dans un état d'esprit de dévoilement des modes de productions actuels de l'architecture et de la ville. En ce sens, il ne s'agit pas de répondre explicitement à une demande de type professionnalisant ou de type agence, mais plutôt de mener une investigation prospective à court terme : le projet comme recherche et expérimentation permanente. Selon cette hypothèse peuvent être proposées des formes de recherche expérimentales, mobilisant des méthodologies d’écriture, d’enquête, de restitution du savoir

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introduction

et de formalisation issues d'autres disciplines, empruntant aussi bien à des démarches artistiques que scientifiques. C'est pourquoi cet enseignement repose sur une équipe associant des représentants des différents champs de l’enseignement, et intégrant des profils et des compétences rares dans une école d'architecture : Loïc Touzé, artiste chorégraphe, et Kantuta Quiros, critique d'art et commissaire d'exposition. Méthode Le point de départ du travail de projet est le mémoire de master : qu'il soit déjà réalisé par l'étudiant en Master 2, ou en cours d'élaboration pour l'étudiant en Master 1 ; et quelque soit sa filiation disciplinaire d'origine et le séminaire de mémoire dans lequel il prend ou a pris place. Cette matière donne lieu à la formulation d'une question de projet, qu'il s'agit d'inscrire dans le territoire nantais ; ce qui oblige à l'énoncé d'une pensée problématisée et au décentrement des références du mémoire qui seraient ellesmêmes situées (mais ailleurs). Développée dans un état d'esprit d'élargissement du champ des possibles, impliquant la relecture des composants classiques du processus de conception du projet, cette approche prend appui sur un triple protocole d'interrogation, qui incite au déplacement du regard et au choix de son propre positionnement : - La frontière comme méthode : Décentrer le regard, donc le questionnement. Etre borderline de sa discipline pour travailler avec les autres, ou envisager la frontière comme un espace physique et imaginé, comme un lieu de passage, de traduction, d’entre-deux, et comme une occasion singulière de production de savoirs et de formes.

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- Penser l’impensé : S’intéresser aux situations qui apparaissent négligées ou en creux de la fabrication de la ville - angles morts de l’architecture et de l’urbanisme, hors champs des habitudes de production du projet, de ses règlementations, de son cadre marketing... - Désobéir à la limite : Remettre en cause les cadres juridiques pour revenir à l’esprit de la loi, inventer des ruses et des détournements, jouer l’ambiguïté, hybrider le générique et le théorique. Tout au long du studio, l’étudiant.e se voit proposer une succession d’étapes comme autant de tests ou retours sur la démarche en cours. Il/elle fait ainsi l’expérience d’une série de mise à l’épreuve : d’un travail déjà réalisé par l’étudiant.e / de la dimension projective d’une question issue du travail de mémoire / et enfin d’un positionnement de l’étudiant.e dans le travail de projet. Organisation du studio de projet : Le studio intègre plusieurs temps forts. Phase 1 : À partir du travail de mémoire en cours ou réalisé, déploiement de manière individuelle d’une question (une problématique et une programmation comme objet d’étude de cette problématique). Cette phase comprend en particulier une immersion dans le festival Dansfabrik, à Brest. Phase 2 : À partir de la double approche d’un état de l’art précis et documenté et de premières intuitions formelles, le programme/question est mis à l’épreuve du protocole

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d’interrogation du studio de projet : La frontière comme méthode / Penser l’impensé / Désobéir à la limite. Phase 3 : Reformulation critique de la problématique dans la projection d’un dispositif / d’une forme architecturale qui puisse condenser dans le détail les diverses occurrences de la question posée. L’articulation des positionnements théoriques, critiques et formels issus de la problématique déployée constitue le travail de PFE pour les étudiants de S10. Attendus À la fin du studio de projet l’étudiant.e aura su mobiliser son travail de mémoire vers une problématique de projet. Il/elle aura su identifier et proposer un territoire d’étude en cohérence avec sa problématique de projet. Il/elle aura su articuler de manière critique les acquis du mémoire, la définition de son territoire d’étude et les questions architecturales et urbaines contemporaines. Il/elle aura su initier un travail de recherche-action par le projet d’architecture.

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introduction

01// DE L’IMMERSION À LA SUBMERSION Connaître les lieux comme ma poche, les user jusqu’à la corne, me fondre en eux jusqu’à m’y perdre, m’orienter grâce aux éléments marquants qui les constituent, les humer pour ressentir leur air au plus profond de mon être, les écouter se mouvoir jusqu’à penser qu’il me parle, partir intrépide à leur rencontre même s’il me faut transgresser les règles, voici ce dont vous avez besoin pour me cerner ! Voilà maintenant six ans que je suis à Nantes, que j’arpente, en long, en large et en travers -dans tous les sens du termeses cours d’eau, avec la même curiosité bouillonnante. Depuis ma fraîche jeunesse, que j’ai passé dans un village breton tout près de la mer et qui a été mon lieu de vie et de vacances jusqu’à mes 18 ans, j’ai appris que l’aventure se trouvait au pas de ma porte. J’ai appris qu’il fallait acquérir une légitimité à pouvoir s’immerger dans un territoire, qu’il fallait en avoir fait la connaissance et tisser une relation de confiance avec lui. Ma relation à la Loire et ses affluents a ainsi substitué ma relation à la mer et ses grèves, ou plutôt, elle en a été l’écho. Il y a quelque chose d’analogue dans le comportement de ces deux territoires aquatiques, dont j’ai acquis un niveau de connaissance égal. Tous deux soumis à l’effet saisissant de la marée, ils laissent à voir, chacun à leur manière, les dessous du monde aquatique. Se dévoile alors un sol incertain1, humide, vaseux, sédimentaire, où l’eau, en quelques heures seulement, reviendra et reprendra ses droits. Rien ne viendra l’empêcher d’occuper son territoire. Il faudra l’accepter, et cohabiter avec elle. Ces terrains, tantôt hors d’eau, tantôt en eau, se laissent pratiquer tantôt à pied, tantôt à la nage, 1 DUPERREX Matthieu, Voyages en sol incertain: Enquête dans les deltas du Rhône et du Mississippi, Wildproject Editions, 2019

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introduction

à divers niveaux allant de 0 à 8 m si on en croit les données du marnage2. C’est en s’attachant à un territoire de la manière la plus profonde qu’il soit qu’on pourra adopter une posture de soignant du territoire. L’architecte immersif est l’architecte qui connait, qui s’attache et qui, de fait, prend soin de son environnement, du milieu qu’il habite et du milieu dans lequel il va construire pour les humains mais aussi pour les non-humains. Après l’immersion vient la submersion. Tout comme l’architecte lui-même, une architecture, lorsqu’elle est immergée, se fait envahir par ce qui l’entoure et vit au gré de lui. Rien ne vit sans l’autre, c’est ce que Gilles Clément appelle la préséance du vivant. Se faire submerger par les éléments de notre environnement, ne serait-ce pas là une idée intéressante pour se placer sur un même pied d’égalité avec eux, comprendre qu’ils nous entourent et servent à notre vie comme la gravité joue ce rôle. L’architecte submersif accepte l’idée que son architecture fasse partie d’un écosystème qui la fera évoluer et s’éloigner de son état d’origine. Flotter dans un milieu plutôt que de s’imposer à lui, voilà le parti pris que j’engage à travers ce rapport.

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Définition dans le Lexique de la Loire p.60

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la loire et ses mondes les protagonistes de l'histoire

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la loire et ses mondes

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la loire et ses mondes

02 // MON HISTOIRE AVEC LA LOIRE C’est la relation personnelle que j’entretiens avec la Loire qui a principalement guidé ma démarche de projet. En effet je me sens appartenir aux mondes de la Loire. Chaque jour, je l’observe attentivement, je l’écoute assidûment, je prends de ses nouvelles en d’autres termes. Il y a deux ans, voici ce que je me suis dit : « Quand on aime bien le ruisseau, on ne se contente pas de le regarder, de l’étudier, de cheminer sur ses bords, on fait aussi connaissance plus intime avec lui en plongeant dans son eau. On redevient triton comme l’étaient nos ancêtres.»1 Ces mots ne sont pas les miens mais ceux d’Elisée Reclus mis sur le papier il y a deux siècles, preuve que la baignade n’a ni d’âge, ni frontière. C’est donc en juin 2018, lors d’une chaude journée d’été, que je m’immerge pour la première fois dans les eaux de la Loire. Je suis alors à Trentemoult. Dans la forêt luxuriante de ses berges, se cache une petite plage de sable blanc ou se mêle les roselières et les saules. Depuis l’eau, on a une vue imprenable et inédite sur la ville : la pointe de l’île de Nantes fait figure de proue tandis que la butte Saint-Anne nous surplombe. Face à moi une étendue d’eau plate qui reflète le bleu du ciel et réfléchit la puissance du soleil de cette fin d’après midi. Mes sens sont décuplés, aux aguets : odeurs d’eau douce et de pollen, bruits de la ville cachés derrière le chant incessant d’oiseaux des berges, sensation d’agilité d’un corps qui flotte, vision curieuse en ébullition vers l’amont, vers l’aval, vers le fond, vers le ciel. Un contact fusionnel avec la Loire et ses mondes qui l’entourent s’opère. Je suis seule à profiter de ce spectacle. Ce plaisir, trop fort pour moi, se devait d’être partagé. 1

RECLUS Elisée, Histoire d’un ruisseau

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Baignade collective aoรปt 2018

Baignade collective mai 2020

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la loire et ses mondes

«C’est en été, pendant les tièdes journées où l’air est immobile, qu’il est agréable de se faire triton. D’ailleurs, il n’est pas indispensable d’avoir douze ou quinze ans pour s’ébattre avec bonheur dans l’eau comme dans son élément; chacun de nous, si les conventions et les faussetés de la vie ne l’ont pas entièrement corrompu, peut retrouver les joies de sa jeunesse en laissant ses habits sur la berge. Quant à moi, je l’avoue, je suis encore enfant quand je m’élance dans le ruisseau bien-aimé.»2

Et c’est ainsi que commença ma relation intime avec la Loire et c’est ainsi que, dans le but de partager ces folles expériences, débuta l’aventure des «Baignades Nantaises». À travers la construction, la transmission et la diffusion d’un mémoire, ma démarche se veut complète. Grâce aux connaissances que j’ai acquises sur le terrain et en rencontrant de nombreux «acteurs des cours d’eau», mon but est d’informer le grand public sur ce que la baignade à Nantes peut nous dire sur les relations (passées ou actuelles) que nous tissons avec les cours d’eau. L’objectif aussi est de prouver que, même si elle peut paraître anecdotique, la baignade est teintée d’enjeux politiques, sociaux et écologiques - dans un contexte de réchauffement climatique et dans une ère post-anthropocène. «Un des grands plaisirs du bain, plaisir dont on ne se rend point toujours compte, mais qui n’en est pas moins réel, c’est qu’on revient temporairement à la vie des ancêtres. Sans être asservis par l’ignorance comme le sauvage, nous devenons physiquement libres comme lui, en nous plongeant dans l’eau; nos membres n’ont plus à subir le contact des odieux vêtements, et avec les habits, nous laissons aussi sur le rivage au moins une partie de nos préjugés de profession ou de métier; nous ne sommes plus ni ouvriers, ni marchands, ni professeurs, ni médecins; nous oublions pour une heure outils, livres et instruments et, revenus à l’état de nature, nous pourrions être tentés de nous croire encore à ces 2

RECLUS Elisée, Histoire d’un ruisseau

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Affiche rĂŠalisĂŠe en juillet 2018

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âges de pierre ou de bronze, pendant lesquels les peuplades barbares dressaient leurs cabanes sur des pilotis au milieu des eaux. »3

C’est par la biais de ce projet de diplôme que je souhaite questionner ce que ma position de baigneuse sauvage de Loire peut engendrer sur ma posture d’architecte-ingénieur. Il est intéressant de relier mon immersion parmi les mondes non-humains et mon étude de nos interactions avec eux à la longue tradition ethnographique de l’observation participante. Un élément diffère cependant : la communauté observée et dans laquelle je m’immerge est non-humaine. Comment devenir partie prenante d’un jeu social et observateur distancé avec la Loire ? L’enjeu de l’observation participante est d’être affecté par le terrain d’étude. En envisageant cela une forme de militantisme peut naître. Dans mon cas, cet aspect à principalement motivé ma démarche. « Un engagement intellectuel (celui du militant) ou une visée appliquée (perspective de recherche-action) font du chercheur un acteur central du changement opéré et/ou espéré. [...] Ayant à cœur la réalisation d’un projet dépassant l’observation scientifique d’un objet ou d’un terrain, l’observateur ne saurait dans de pareilles circonstances être cet analyste froid, uniquement centré sur sa fonction de chercheur, qui n’est du reste a priori pas principale : il est avant tout acteur d’un événement et/ou partie prenante d’un processus en cours. »4

3 RECLUS Elisée, Histoire d’un ruisseau 4 SOULÉ Bastien, «Observation participante ou participation observante? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales» (thèse)

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ONE SMALL STEP FOR HUMAN [Récit d’immersion] Ce samedi 30 mai nous avons mis nos maillots, enfourché nos vélos et remonté la Loire le long du chemin de halage sur la rive nord. Pour aller se baigner entre amis, nous avions pour habitude d’aller jusqu’à Mauves. Mais on a eu la bonne surprise, il y a deux semaines, de découvrir qu’à cause des travaux sur le pont de Mauves, toutes les berges de la zone étaient inaccessibles, bouclées par des frontières métalliques qui avaient alors brutalement coupées notre élan. Nous nous sommes donc résignés à rebrousser chemin, en gardant en tête l’idée de se baigner sur le trajet. Quelques kilomètres plus tard nous avons trouvé l’endroit idéal : une plage de cailloux ronds – avec lesquels on peut s’amuser à faire des ricochets - et la Loire qui venait leur lécher les pieds. On n’a pas hésité un instant à s’immerger, à plonger la tête la première et à nager le long de la rive. À notre sortie, on a joué aux lézards sur la plage d’herbe avoisinante. « Le lieu est idéal, on y reviendra ! » ai-je alors pensé ! C’est ce que nous fîmes lors de cette chaude après-midi de fin du mois de mai. Sur mon guide des marées, l’horaire de la marée haute à Nantes est indiqué à 13 h 18 et celui de la marée basse à 19 h 18, avec un coefficient assez bas. On est en période de mortes-eaux1. Je ne suis donc pas surprise, qu’à notre arrivée à 15 h la Loire soit plus basse que la dernière fois. Mais nous prenons partie de cet avantage pour nous aventurer au cœur de la Loire. En effet nous pouvons alors traverser, à pied, la Loire d’une rive à l’autre. La berge d’en face est une île qui, au premier abord, nous parait sauvage. Des 1 Les mortes-eaux correspondent à des marées d’amplitude inférieure à la moyenne, par opposition aux vives-eaux. Le marnage est alors minimal et la courant moins fort.

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la loire et ses mondes

Berges de Mauves, interdites au public

Lieu du replie, face à l’île de la Chenaie

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vaches blanches ont été mises là pour paître paisiblement. Il s’agit de l’île La Chenais qui, grâce à des images satellites, ne s’avère pas si sauvage puisqu’occupée par des exploitants agricoles qui y ont accès depuis le pont de Thouaré. Cependant la partie qui nous fait front, la pointe ouest de l’île, semble assez hostile à l’implantation de l’homme. Nous accédons à l’île assez facilement. Le courant est peu présent, mais le fond de la Loire est plutôt irrégulier de par sa morphologie d’un côté et sa constitution de l’autre. En effet, alors que nous foulons ses sols modelés par l’eau, sa surface nous arrive parfois aux chevilles ou aux genoux, parfois aux hanches ou aux épaules. Il est fascinant de découvrir la grande diversité des sols qui tapissent le fond de la Loire. Nous ne les voyons pas forcément mais nous les ressentons sous nos pieds ou nos mains – tout dépend de notre position. À tâtons nous traversons donc ces sols hétérogènes : cailloux fins et ronds, sable ocre, vase noire, enrochements, roselières, parmi lesquels nous trouvons des coquilles de coques noires vides. Nous cohabitons aussi avec d’autres êtres-vivants : ces vaches bruyantes que nous ferons fuir par notre curiosité en allant leur rendre visite, des oies bernaches dans le ciel, des cormorans sur l’eau, des hérons dans les roselières, et des civelles dans l’eau. On est au milieu de la Loire, le vent s’engouffre face à nous, le spectacle est vivifiant. Peu d’humains (de notre époque) ont dû fouler ces sols incertains. Quel privilège ! Quelques heures plus tard, après une partie de tarot sur l’herbe, nous retournons à l’eau. Cette fois-ci, la Loire, qui continue à descendre, a fait apparaître ses fonds,

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la loire et ses mondes

Lieu de notre baignade , entre deux épis rocheux à côté de la sablière

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dont nous faisons la connaissance visuelle. Sur notre chemin, d’explorateurs des fonds de la Loire, d’archéologues amateurs ou d’imposteurs de la stratigraphie2, nous récoltons les bois flottés qui ont été charriés par la Loire. Certains viennent peut-être de loin, tant la Loire s’étend sur le territoire français. Symboliquement, nous venons planter nos récoltes sur un banc de sable, tel Armstrong plantant son drapeau sur la Lune. Nous érigeons une sorte de monument éphémère des délaissés de la Loire, qui quand l’eau remontera, repartira avec elle. En tant qu’architecte improvisé, débrouillard et discret de la Loire, nous venons à penser : « Imagine si la Loire était comme ça à Nantes, imagine si on pouvait la traverser sans soucis à marée basse, fouler ses profondeurs de sable ou flotter à sa surface, imagine là, s’il y avait l’école d’architecture !» Avec un tel environnement, un tel contexte, comment nous, étudiants en architecture, nous nous serions formés, forgés avec la Loire et parmi les mondes de la Loire ? Comment un tel rapport à la Loire aurait modifié notre attitude face au milieu ? Dans sa descente la Loire a aussi découvert des épis rocheux3. Ils ont été dressés ici par l’homme dans le but de canaliser le lit de la Loire, ils constituent aujourd’hui un désastre pour la santé du fleuve. Dans ces roches meurtrières je retrouve, parmi les algues et la vase qui les 2 Étude de la succession chronologique et de la répartition géographique des formations sédimentaires ou d’origine sédimentaire, généralement stratifiées 3 Définition dans le Lexique de la Loire p.63

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la loire et ses mondes

Monument éphémère, une semaine après son édification

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recouvrent, une cassette audio, rongée par les alluvions. Dans mes rêveries, je m’amuse à penser : « Ne serait-elle pas posée là pour signifier un appel à l’aide de la Loire ? Et si, si on décidait de l’écouter, nous entendrions les bruits d’un fleuve qui souffre ? » La cassette, produit conçu par l’homme, sur ces enrochements, ouvrages construits par l’homme, pénétrée et grignotée par la Loire, semble être le symbole que l’homme est le responsable de la détresse d’un milieu, mais qu’il pourrait recevoir ses paroles et modifier son attitude vis-à-vis de celui-ci.

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la loire et ses mondes

Cassette des fonds de la Loire

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Plage de Trentemoult submergée Photographie prise lors d’une grande marée pré-déconfinement

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la loire et ses mondes

03// SE GLISSER DANS LA PEAU DE LA LOIRE Construire une relation tangible nécessite de pouvoir dialoguer avec la Loire. Mais comment écouter, échanger, comprendre des entités qui ne parlent pas notre langage, et qui ont une grande altérité vis-à-vis de l’humain ? Tout d’abord, passer par des savoirs de pointe, par la science de l’écologie parait être une des premières solutions. Comme Michel Serres le conçoit il faudrait donner à la science un peu plus la parole. Mais donnera-t-elle à son tour la parole à la Loire ? Les scientifiques peuvent nous fournir une première traduction du monde de la Loire vers le monde humain. Cependant les sciences pures ne semblent pas laisser de la place à l’irrationnel. Selon Baptiste Morizot, nous devons faire preuve de diplomatie1. Rappelons que l’étymologie de diplomatie -diploma- signifie plié en deux. Les diplomates, qu’il évoque, sont ces personnages pliés en deux qui se sont astreints à essayer de voir le monde comme les non-humains le voient. Le but est d’acquérir une capacité diplomatique à comprendre le langage des autres pour permettre une cohabitation plus fine et aucunement dictée par un rapport de force. À l’aide de connaissances scientifiques, observatrices, sensibles, acquises au long cours, je me suis prêtée à cet exercice de diplomatie avec la Loire. Je vous propose donc de vous laissez porter par le récit de la Loire et de la suivre dans son voyage quotidien dans l’estuaire, de l’amont vers l’aval et vice-versa. 1 Reportage France Culture «Les diplomates», par Baptiste Morizot

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Alors que le soleil se lève derrière moi, je descends vigoureusement vers l’embouchure de l’estuaire. Je charrie tout sur mon passage. À la surface de mes eaux, flottent des branches d’arbres emportées par les vents de la nuit passée et des bouts de troncs fraîchement coupés et laissés piteusement sur mes berges par ces petits êtres dénués de poils, perchés sur deux pattes, que l’on appelle humains. Plus j’avance vers Nantes, plus j’accélère. J’ignore pourquoi. J’ignore ce qui m’arrive. Je n’ai plus le temps d’abreuver mes boires, je les abandonne lâchement. J’avance donc contre ma volonté, résignée à aller toujours plus vite. Il semble bien que je ne peux rien y faire. Je garde toute mon eau pour mon seul lit principal. Il y en a trop, alors parfois je déborde, parfois je m’enfonce. Ce matin, un héron fétiche m’accompagne. Il profite de ma vitesse pour se laisser porter jusqu’aux portes de Nantes et remonter sur l’un de ces arbres qui viennent me lécher les pieds. Je le quitte. Il commence à battre des ailes. Je prends le geste pour un au revoir, lui se libère de mes eaux qui rendent ses plumes lourdes et l’empêche de voler ailleurs. C’est à cet endroit, que je me sépare en deux bras de même largeur, de même profondeur. Je m’y engouffre avec la même vitesse. Sans savoir pourquoi, je ralentis. Je me heurte à ses constructions dures qui me font tourbillonner. Le vent qui me fait face, irise ma surface qui peu à peu perd son ardeur matinale. Que se passet-il ? Serait-ce la faute de ces roches, posées là par les humains pour s’accommoder mes rives, qui entravent mon passage, qui me grignotent. À moi de riposter, à moi de grignoter leurs ouvrages et de les détériorer lentement mais sûrement Mon faible courant ne m’empêche pas d’avancer et me laisse le temps d’espionner ce qui m’entoure. Je suis plus haute que tout à l’heure, je peux voir le milieu terrestre de plus près. Les forêts

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la loire et ses mondes

Chariage vers l’aval

Interaction avec un cormoran et le début d’une île

Séparation en deux bras de Loire

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et les marais que j’avais croisés plus tôt dans ma course ont laissé la place à un paysage gris, figé. Les habitats des êtres humains, parfois plus hauts que les arbres, semblent inertes. Ils se multiplient mais ne changent pas avec le temps, si ce n’est de devenir plus gris. Sur ma rive sud les couleurs sont plus vives, elles me rappellent celles que j’ai pu croiser à ma source. Les canards et les ragondins attendent mon passage sur mes berges où se mêlent vase, roselières, roches et vivaces se nourrissant de mes alluvions. Si tôt que j’arrive à leur pattes, ils s’immergent en moi. Ils ne s’éloignent pas de la terre. Ils ne prennent pas le risque de s’aventurer en mon cœur trop profond, trop incertain et trop imprévisible. Chaque jour je chéris ces bêtes pour la sociabilisation qu’elle m’apporte. Il y a quelques décennies, il en était de même pour les êtres humains jusqu’à ce qu’ils deviennent arrogants et choisissent de me tourner le dos. Rares sont ceux qui continuent de glisser sur ma surface avec leurs embarcations et exceptionnels sont ceux qui osent plonger en moi. Les autres me longent, empruntant des chemins plats accommodés pour leur marche, ou me surplombent, traversant mes deux rives par d’imposantes constructions grises. Serait-ce parce que je suis devenue brune ? Croyez-moi, je ne suis pas sale. Je transporte simplement ce qui se trouve dans mes profondeurs. Mon flux accéléré, les arrache et les fait flotter dans mes eaux. Aujourd’hui j’ai de la chance. Le ciel d’un bleu magnifique se reflète en moi. Bleu d’apparence, je reste pourtant brune et cela ne changera pas de sitôt. Au moment précis où je me réunis en un seul bras. Je m’arrête d’un coup ! Le temps est en suspens. Un goût salé me vient en bouche. Il est de plus en plus fort. Serait-ce de l’iode ? Accompagnée des eaux marines, je comprends que j’ai atteint ma hauteur maximale.

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la loire et ses mondes

Rencontre avec la ville

Interaction physique avec la ville

Profondeurs incertaines

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Je profite de ces quelques instants pour regarder autour de moi. En face, la mer m’envahit, je la sens mais je ne la vois pas. À la place, je discerne au loin d’intrigantes constructions métalliques, des sortes d’arbres bien charpentés et une immense construction qui me survole. Celle-ci est tellement haute qu’on dirait qu’elle veut s’échapper de moi. Ma rive sud revêt encore de quelques vrais arbres qui jouxtent des petits habitats colorés alignés face à moi. À cet endroit, les humains stockent les embarcations qu’ils leur restent. J’aime y accumuler ma vase jusqu’à ce qu’elles se retrouvent immobilisées. Récemment, ils ont brutalement tout enlevé : les embarcations et ma vase. Perturbant mais pas étonnant ! Avec le temps, je me suis habituée aux changements de paysage de mes rives fluctuant au gré de leurs envies. Je les connais bien à présent, mais ce n’est pas réciproque. Pour eux, je suis sauvage, dangereuse. Pourquoi choisiraient-ils de me connaître ? Ils devraient ! Je suis utile à leur survie. Je leur offre mes eaux pour qu’ils puissent vivre. Quand ils rejettent l’eau dont ils se sont servis et dont ils n’ont plus l’utilisation, elle me revient plus ou moins propre. Si je suis sale, ça ne peut donc pas être de ma faute mais bien de la leur. Puisqu’ils ne me connaissent pas, ils ne savent pas de quoi je suis capable ! Certains ont compris que je pouvais monter haut, que je pouvais leur barrer la route mais que je pouvais aussi les amuser. Voilà la sociabilité donnant-donnant que j’attends. Derrière moi, je viens m’engouffrer dans un lieu qui plonge en moi. Lui aussi est gris, tout ce que construisent les êtres humains est gris. J’aime y faire pousser de la végétation pour rendre le lieu moins terne. Alors quand vient le printemps des herbes hautes envahissent la plateforme que je viens chatouiller avec mes eaux. Je traverse les piliers et je stagne là pendant un temps : une heure, parfois deux. Au mois de juillet dernier, chaque jour, à ce moment précis où je reste immobile et silencieuse, une humaine à la peau

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RemontĂŠes alluvailes

RepoussĂŠe par la mer

Horizons restreints

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meurtrie par le soleil venait me rendre visite. Ici, j’étais son terrain de jeu. Elle aimait sauter la tête la première depuis la plateforme, rester en profondeur puis remonter rapidement à la surface. Si elle paraissait intrépide au premier abord, elle ne s’éloignait pas trop du bord malgré l’appel du large. Souvent, d’autres êtres de son espèce l’observaient, intrigués mais ne la rejoignait pas. Avant de repartir pour ma route, j’aime me remémorer des souvenirs. À chaque trajet je m’en crée de nouveaux, ma vie est loin d’être routinière, même si elle a perdu de son animation d’antan. Je sens que l’eau marine me repousse, me forçant à rebrousser chemin. Je m’accroche tant que faire se peut à mes rives : je glisse sur les vasières au sud, je m’écorche sur les piliers et les roches au nord. Je me scinde à nouveau en deux. J’aimerais tant pénétrer cette île qui jadis me laissait le droit d’entrer. Ils m’ont laissé quelques cales que je viens occuper avec un plaisir teinté de nostalgie. Autrefois, elles ne m’étaient pas spécialement destinées. Elles étaient monopolisées par d’énormes embarcations autour desquelles et sur lesquelles grouillaient de nombreux êtres humains. Aujourd’hui désertées, j’y prends place sans gêne ni limite, marquant mon territoire, laissant le trace de mon passage. Je continue à longer cette île, quasiment artificielle. Bientôt elle sera entièrement ceinturée par des chemins blancs sur lesquelles les humains aiment flâner, se dégourdir les pattes, me contempler, ou penser à travers moi. De combien d’histoires humaines ai-je pu être le réceptacle ? Pour pouvoir se livrer, ils construisent parfois des éléments qui s’avancent timidement vers moi tout en laissant une distance de sécurité, qui fréquemment m’empêche de capter leurs mots ou leurs maux. Venez donc plus proche, je saurai vous apporter du bien, prendre soin de vous, vous divertir. Je continue ma route vers l’aval. Dans quelques heures je serai de retour vers vous, peu importe où vous vous trouvez ! Les mots et maux de la Loire en 2020

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Souvenirs de sociabilité avec l’humain

Prendre place

S’éloigner

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Baignade familiale Ă Pont Rousseau- Milieu du XXe s.

Le linge des nantais ĂŠtendu sur les quais - DĂŠbut du XXe s.

Le pont transbordeur et les quais industriel - 1912 44


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ÉVOLUTION DE LA RELATION ENTRE HUMAINS 04// ET LOIRE Si vous n’avez pas entièrement saisi ce que le Loire vous contait, si vous n’avez pas compris son comportement, c’est qu’il vous manque des informations sur l’évolution de sa relation avec le monde humain. C’est pourquoi je vous propose un bref récit de l’histoire du rapport que Nantes a entretenu avec son fleuve du 19ème siècle à nos jours. Alors qu’elle a longtemps été redoutée et sauvage, mais néanmoins source de l’implantation humaine et de richesse, la Loire apparait, au 19ème siècle, comme un fleuve domestique. Une grande partie de la vie des Nantais repose sur le fleuve qui serpente à travers les nombreuses îles de Loire et alimente ses boires. Les petites industries s’implantent sur leurs bords, les bateaux lavoirs stationnent le long des quais. Ces derniers étaient utilisés soit pour étendre et faire sécher le linge des nantais (comme on peut le voir sur de nombreuses cartes postales de l’époque), soit pour y stocker des matériaux servant à l’industrie ou la construction tel que du sable extrait du lit de la Loire. Jusqu’au milieu du 19e siècle, la Loire était un espace d’activité économique intense. Elle était à la fois une voie de circulation majeure pour la navigation commerciale, mais aussi une ressource en eaux pour les activités rurales. Ainsi ses quais étaient principalement occupés par les dépôts de marchandises et ses berges par des animaux d’élevage qui venaient s’y abreuver et s’y nourrir. Dans cette société préindustrielle, activité économique et loisir étaient beaucoup moins distincts qu’aujourd’hui, dans le temps comme dans l’espace. On n’hésitait pas non plus à se baigner dans le fleuve. On s’immergeait dans l’eau bleue de la Loire soit depuis ses berges de sable, soit au sein de bateaux bains amarrés aux côtés des bateaux lavoirs.

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Comblement de l’île Feydeau - 1930

Quai Doumergue occupé par les voitures et dont le mur de soutènement est un Hall of Fame pour les graffeurs - 2012

Estacades des cales de l’île de Nantes envasées - 2020

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Peu à peu le fleuve est passé d’un état domestique à un état industriel. De nombreuses industries plus lourdes sont venues occuper ses berges. Pour faire venir à Nantes des bateaux de plus en plus gros, on a été obligé de creuser le lit du fleuve et de le canaliser grâce à des aménagements qui ont modifié la morphologie de la Loire. Cette empreinte de l’homme sur la Loire ne s’est pas arrêtée là. Dans un troisième temps, Nantes a fait face à l’arrivée massive de l’automobile. Nantes fait alors le choix de combler ses bras de Loire. Le combler pour mieux circuler supplante le combler pour mieux naviguer. Le fleuve perd son usage fonctionnel et devient un objet sans utilité dans la ville. En parallèle une mise à distance du fleuve dans les habitudes urbaines et dans les mentalités s’installe. Même s’il «l’utilise» de moins en moins, l’humain commence à le «maîtriser» de plus en plus : la «démorphologie» de la Loire continue au profit de l’activité humaine, jusqu’à ce que l’humain cause sa propre perte. En effet la perturbation morphologique de l’estuaire a engendré une intrusion du bouchon vaseux1 jusqu’à Nantes et donc une accumulation de vase sur ses berges. Les ouvrages construits par l’humain se sont détériorés et l’industrie portuaire nantaise a été contrainte de déménager. Comme si la Loire se vengeait ou tirait la sonnette d’alarme. Son débit élevé la contraint à charrier ses profondeurs et à creuser son lit principal, l’empêchant alors d’abreuver ses boires2 qui se déconnectent peu à peu d’elle. Le fleuve qui s’envase vaudra le désintérêt des nantais qui 1 2

Définition dans le Lexique de la Loire p.61 Définition dans le Lexique de la Loire p.62

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île aride et artificielle

Loire trop basse

vase envahissante

équipement restreint et artificiel

Vision fictive de ce à quoi l’île de Nantes pourrait ressembler dans quelques décennies

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lui tournent le dos et qui oublient que quelques décennies auparavant on se baignait dedans. Dans les année 2000, une vision politique engage le pas vers une «reconquête du fleuve», vers une «réappropriation de la Loire par les nantais». La visée se place dans une logique de métropolisation et non d’écologie des cours d’eau. La Loire devient un objet phare de la ville, source d’attractivité. Des promenades et des plages vertes viennent ponctuer ses berges et font le bonheur des nantais. Aujourd’hui les politiques ne pensent pas à la baignade dans la Loire mais à des piscines artificielles et rafraîchissantes avec vue sur Loire. Avec les connaissances techniques de la société humaine, nous avons réussi à plonger la Loire dans un mauvais état de santé. Pourrions nous avec une connaissance plus fine de la Loire inverser la tendance ? Ne faudrait-il pas écouter les maux de la Loire plutôt que de la maîtriser dans le dos et les regarder de haut. «Réhabiter» la Loire pour mieux en prendre soin ne serait-elle pas une solution plausible ? Sur ce point un changement d’attitude de l’humain s’opère actuellement de manière concrète. En effet le Plan Loire Grandeur Nature, politique partenariale associant différents services de l’État, notamment les régions et l’agence de l’eau, prévoit de rééquilibrer le lit du fleuve. De nombreux aménagements nuisibles à la santé du fleuve vont être supprimés ou modifiés. Deux de ces objectifs sont de «retrouver un fonctionnement plus naturel des milieux aquatiques» et «développer, valoriser et partager la connaissance sur le bassin de la Loire.» Il s’agit donc là d’un premier tournant écologique de prise en compte de l’entité Loire, de moins en moins motivé par des intérêts humains mais plus par des intérêts nichés dans la

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Vue à vol d’oiseau de l’estuaire de la Loire et de ses nombreuses îles d’hier et d’aujourd’hui 50


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relation entre les deux mondes. Nous nous inscrivons donc dans un contexte bien particulier qui est celui d’un héritage peu glorieux et d’un début d’écoute et d’action visant, dans un premier temps, à réparer les erreurs du passé. Il est certain que ces travaux qui ont commencé en 2020 et qui vont surement perdurer dans le temps auront un impact sur notre interaction avec la Loire. Comment en tant que penseurs sur la ville, que concepteurs de la ville, pouvons nous prendre cela en considération ?

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Montage : en haut : illustration réalisée par l’association Mardiéval, acteur historique de la lutte contre le projet départemental (Loiret) de déviation et de pont sur la Loire, créant Le Village de Loire, village éphémère et autogéré ; en bas : affiche des Auditions du Parlement de Loire, photographie de Bruno Marmiroli

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05// LA LOIRE, UNE PERSONNALITÉ JURIDIQUE ? Toute ma réflexion a été ébranlée par une idée : et si la Loire devenait une personnalité juridique ? Et si pour la première fois en Europe un fleuve avait la possibilité de s’exprimer et de défendre ses intérêts à travers un système de représentation inter-espèce ? Cette idée ne vient pas de moi mais d’un projet de fiction intitulé Le parlement de Loire. Il est porté par le POLAU (pôle Art et Urbanisme) et animé par Camille de Toledo, écrivain, juriste et artiste. Depuis octobre 2019 une commission mène un travail d’enquête structuré par une série d’auditions publiques thématisées -Vers une institution potentielle; À l’écoute des non-humain; Conflits et négociation entre les espèces-, qui mettent en dialogue des penseurs et des usagers de la Loire. Le projet cherche à mettre en lumière et à apporter une discussion sur l’idée de conférer à la Loire le droit d’agir en justice pour son propre compte et d’imaginer une nouvelle institution pour une entité non-humaine Qui pourrait être les interprètes, les témoins, les avocats de sa défense ? Les auditions donnent la parole à des philosophes, des anthropologues, des chercheurs, des archéologues mais aussi des architectes, des paysagistes et des juristes. Ce mouvement de pensée, à l’écoute des non-humains, souhaitant leur donner un poids juridique, est assez récent. Il est lié à la prise de conscience par l’humain de son impact catastrophique sur les milieux qu’il occupe. Sur ce sujet, Bruno Latour a élaboré un programme d’écologie politique, à travers lequel, il souhaite que la Constitution du pays prenne en compte non seulement les humains mais aussi les nonhumains. À cette fin, il propose la création d’un « parlement des choses », dans lequel les choses seraient représentées

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L’assemblée immatérienne, Zazü, 2009, photographie de Jean Charles Boilevin

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par des scientifiques ou des personnes reconnues pour leurs compétences dans un champ particulier, au même titre que les députés traditionnels représentent aujourd’hui les citoyens. «Il ne s’agit pas de représenter les non-humains, me semble-il, même si cela reste utile comme fiction, mais de nous présenter à eux, vêtus d’un sac et couverts de cendres»1 Philippe Descola conçoit autrement le sujet, et imagine plutôt un réseau tenu par des relations « des écosystèmes, c’està-dire des rapports d’un certain type entre des êtres localisés dans des espaces plus ou moins vastes, des milieux de vie donc»2. Et ce sont ces relations qu’on imagine représenter dans le but de composer avec les non-humains et de ne plus prioriser l’un au détriment de l’autre. Quelles relations nouvelles et équilibrées pouvons nous tisser avec les non-humains ? La vision derrière cela n’est donc pas purement juridique mais concerne un décalage de nos manières de penser, de voir et de faire, de déconceptualiser notre idée de «la nature» et arrêter de croire que nous sommes autonome par rapport à elle. Dans ce contexte, comment imaginer notre relation à l’écosystème Loire ? Par quels moyens, pourrionsnous nous fondre dedans ? En tant qu’architectes, en tant qu’ingénieurs ou en tant qu’urbanistes, comment cela modifierait notre regard et nos pratiques ? Comment réinventer la manière de faire projet avec la Loire favorisant un meilleur équilibre entre la ville et elle ? 1 LATOUR Bruno, Première audition du Parlement de Loire, octobre 2019, Tours 2 DESCOLA Philippe, « Humain, trop humain ? », Esprit, décembre 2015, no 420.

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Photomontage trouvé sur la page Facebook «Mystère dans la Loire», juin 2017

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06// LA LOIRE UN PAYSAGE EN COMMUN Mon attachement indéfectible au fleuve m’oblige à me poser la question : à qui appartient-il ? De manière concrète, la gestion de la Loire à Nantes est orchestrée par les Voies Navigables de France mais de nombreux autres établissements publics, liés soit aux régions soit aux départements, sont en charge, de près ou de loin, de la Loire et de ses affluents. La Loire reste néanmoins un paysage non-délimitable, lieu de vie de multiples écosystèmes. Il est donc pertinent de partir du constat que la Loire est un paysage, un milieu voir un monde «en commun», qui n’appartient à personne mais dont l’usage est commun à tous, humains comme nonhumain. «Il faut distinguer la réalité juridique des communs et des propriétés de la réalité des usages du territoire aux sein de ces commune et de ces propriétés. Les chasseurs et les ramasseurs de champignons sont des violeurs de loi autorisés. Ils franchissent les limites de propriété sans état d’âme et, de ce fait, transforment n’importe quel territoire privé en commun.»1 Mais alors comment avoir l’usage en commun d’une telle entité, qui elle aussi a un comportement qui peut être imprévisible si on ne l’écoute pas assez. «Aborder le commun, c’est parler du partage, celui de l’espace, celui des conditions de vie.»1 Et si alors on habitait l’eau, si ce n’est pas déjà le cas. L’eau 1 CLÉMENT Gilles, «La peau de la terre : un commun découpé, saisissable et soumis au marché», paru dans Les Carnets du paysage n°33

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Berges du quai Gaston Doumergue submergées Photographie prise lors des grandes marées d’équinoxe de mars 2020

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est partout en ville. La ville est conçue pour gérer son écoulement, sa captation, sa distribution… Certes, mais est ce qu’on en prend soin, puisque le soin est aussi une dimension de l’habiter. Pouvons-nous vivre en symbiose avec la Loire et éviter d’être dans un schéma donneur-profiteur ? «Petite annonce: citoyens planétaires en quête d’oxygène cherchent EMPLOIS, espace mental polyactif d’occupation indifférenciée des sols, avec perte de temps non calculée et droit à toutes les paroles. Ce n’est pas un retour en arrière mais un tour en avant, une évolution, la conquête du commun gratuit, tout ce que le marché déteste. On commence quand ?»2 Il reste néanmoins des frontières qui peuvent nous, êtrehumains habitants des villes, nous empêcher de voir la Loire comme un espace d’usage. En effet elle reste trop souvent dans les esprits comme un objet sous une cage de verre qu’on ne peut que toucher avec les yeux. En effet, c’est du liquide, nous sommes solides, c’est un milieu aquatique, nous vivons en milieu terrestre. Elle est immense, nous sommes minuscules. Elle est mobile, nous sommes sédentaires. Comment donc, gérer ces interfaces entre les mondes, en s’accordant à dire que le monde Loire fait partie des communs, échappant à l’économie du marché ou à une gestion Étatique ?

2 CLÉMENT Gilles, «La peau de la terre : un commun découpé, saisissable et soumis au marché», paru dans Les Carnets du paysage n°33

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07// LEXIQUE DE LA LOIRE Estuaire : Il s’agit de la partie avale d’un fleuve, de son embouchure qui forme une large baie dans laquelle les effets de la marée et les courants se font sentir. Au fil de son exploitation et occupation par l’humain, la morphologie et les limites de l’estuaire ont été modifiées. En supprimant ses îles , en draguant ses fonds et en édifiant des ouvrages dans le lit du fleuve, l’estuaire s’est étiré jusqu’à Ancenis, déstructurant toute l’hydrologie du fleuve. Marnage : le marnage, ou l’amplitude verticale, est la différence entre le niveau de pleine mer, ou des vives-eaux, et celui de la basse mer, ou des mortes-eaux, suivante. L’amplitude de l’onde de marée, dans l’estuaire, varie en fonction des coefficients de marée, plus ils sont élevés plus elle est forte, et du débit du fleuve, plus il est élevé moins elle est forte. Pour favoriser la navigation, l’onde de marée a été «artificiellement» remontée jusqu’à Nantes, causant des dégâts irréversible sur le milieu. Le marnage à Nantes est aujourd’hui d’environ 6 m, supérieur à celui de Saint Nazaire.

Pointe Ouest de l’île de Nantes à marée haute

Pointe Ouest de l’île de Nantes à marée basse

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Étale : c’est le moment où la Loire est stationnaire entre deux marées, lorsqu’elle a cessé de monter et qu’elle n’a pas commencé son mouvement inverse. Le fleuve atteint alors sa hauteur maximale. Ce phénomène est cyclique et a lieu toutes les 12 heures environ. Étiage : Il s’agit du niveau minimal des eaux de la Loire. Dans l’estuaire ce niveau est atteint lorsque la marée est basse et que le fleuve a cessé de descendre. Vase et Bouchon vaseux : «Le bouchon vaseux est un phénomène naturel des estuaires marnants. Issues de l’érosion des sols du bassin versant, les particules de vases apportées par le fleuve se regroupent entre elles en présence d’eau salée. Plus les particules s’agglomèrent, plus leur poids augmente, favorisant leur décantation. Aux apports de la Loire, essentiellement lors des crues, s’ajoutent ceux de l’océan entraînés par la marée et ceux liés au ruissellement. Les sédiments déposés, mêlés de matières organiques, forment sur le fond un tapis de vase, appelé crème de vase. Sous l’action des courants de marée ou de crue, ces sédiments sont mis en suspension dans la colonne d’eau et constituent alors le bouchon vaseux.»1 Turbidité : La turbidité de la Loire est principalement du au bouchon vaseux. Ainsi elle évolue au fil des saisons, au fil de la journée, et tout le long du fleuve estuarien : on voit une nette différence entre Mauves, où la Loire est plus claire, le fond moins vaseux et peu profond et Nantes, où 1

GIP Loire Estuaire

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la Loire est chargée en particules alluviales principalement quand elle est basse et que les berges de vase se livrent à la vue de l’humain. En l’absence de courant : Dépôt de particules de vase

Sous l’action du courant : Particules de vase en suspension

Rivulaire : Relatif au biotope d’un cours d’eau, aux zones humides des rives, cet adjectif défini ce qui vit et croit dans les cours d’eau ou sur leurs bords. La ripisylve, situés dans la zone frontière entre l’eau et la terre, est la végétation rivulaire. Boire : Vous ne trouverez pas ce mot dans le dictionnaire ! D’origine spécifiquement ligérienne, son usage est propre à la vallée de la Loire et a été répandu par les mariniers naviguant sur le fleuve. Il désigne un bras mort de la Loire, souvent ensablé ou envasé lorsque le fleuve est bas (en été en amont ou à marée basse dans l’estuaire), remis en eau lorsqu’il remonte (l’hiver, lors des crues en amont, ou à marée haute dans l’estuaire). L’enfoncement du lit de la Loire, lié surtout à l’extraction de sable et aux aménagements pour la navigation, a contribué à la déconnexion de ces boires ou

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bras secondaires et entraîné l’assèchement de nombreuses zones humides essentielles au bon maintien de l’écosystème Loire. L’entrée du Boireau entre Saint Sébastien et l’île Forget à marée haute

L’entrée du Boireau entre Saint Sébastien et l’île Forget à marée basse

Épis : Un épi est un ouvrage hydraulique rigide construit au bord de l’océan ou sur une berge de rivière pour freiner les courants d’eau et limiter les mouvements de sédiments. Ceux de l’estuaire de la Loire sont construits avec des amas de roches. Ce sont plus de 700 épis qui façonnent aujourd’hui un héritage d’une Loire qu’on a voulu maîtriser pour la navigation. Au vu de leur influence néfaste sur le paysage fluviale et son état écologique, on vise, à présent, à les remodeler, voire à en supprimer certains.

Épis le long de l’île Neuve sur la rive nord et le long de la Levée de la Divatte (digue routière) sur la rive sud

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l'ĂŽle de nantes parmi les ĂŽles de loire

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l'ĂŽle de nantes parmi les ĂŽle de loire

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08// ENSAUVAGEONS L’ÉLÉPHANT Atterrissons maintenant sur un lieu «humain» qui côtoie les mondes de la Loire, tout en s’opposant et s’imposant à eux. Posons notre réflexion sur un territoire hostile à l’ensauvagement. Engageons une démarche critique et visionnaire sur un site, en rapport physique avec la Loire, représentant un intérêt pour la métropole. L’île de Nantes est d’une part un territoire habité (par l’humain essentiellement) et d’autre part le nom d’un projet urbain «marketé». Elle est au cœur de la métropole, mais aussi au cœur de l’estuaire. Physiquement, elle est une île mais ne révèle pas un paysage insulaire. Pourtant son rapport avec l’eau la conditionne et on imagine que les travaux de rééquilibrage du lit de la Loire - fait à l’échelle de l’estuaire pour détruire l’artifice dont il a fait l’objet aux deux siècles passés - auront un impact sur elle. L’île est tiraillée entre la frénésie de la ville et la Loire qui un jour, si nous choisissons de l’écouter, reprendra ses droits. Dans sa création, l’île de Nantes s’est dotée d’une icône : un éléphant . Très peu sauvage, cet animal de métal et de bois, a été conçu par l’humain comme un monument mobile mais au chemin tout tracé. Il y a deux ans, c’est cet éléphant que j’ai choisi de caricaturer pour créer l’emblème des Baignades Nantaises. Puisqu’il s’agissait d’un éléphant artificiel, je l’ai doté d’une bouée, d’un masque et d’un tuba, afin qu’il puisse se confronter à la vie réelle «en toute sécurité». En effet, les éléphants aiment l’eau et ne peuvent pas survivre sans leur bain quotidien, utile à l’hydratation de leur peau. Aujourd’hui, au vu de ma réflexion, la question d’ensauvager cet éléphant se pose et par effet boule de neige d’ensauvager, depuis l’eau, l’île de Nantes.

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Île Feydeau

Île de la Madeleine

Boire Sainte-Anne

1757

1850

1930

1998

Boire des Récollets

Boire de Toussaint

Île de Nantes

Évolution du réseau hydrographique et des dynamiques de comblements successifs pour former l’île de Nantes (Source District AURAN)

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09// HISTOIRE D’ÎLES L’île de Nantes n’a pas toujours été une seule et même île. Le quartier des ponts de la ville de Nantes dont les voies principales étaient les rues de la Grande et de la Petite Biesse, n’a plus lieu d’être puisque, dans l’immédiat après-guerre, l’asphalte a remplacé l’eau. Les comblements à Nantes avaient alors déjà été initiés, pendant l’entre-deux guerre, au nord autour de l’île Feydeau, de l’île de la Madeleine et sur le cours des 50 Otages. De la Venise de l’Ouest1, il ne restait alors plus que de maigres boires2 (le Boire de Toussaint et le Boire des Récollets) qui traversaient l’actuel territoire de l’île. «Quand je suis arrivée dans le quartier, le bras de Toussaint était comblé mais le bras des Récollets, je l’ai connu. On se baignait dedans et on l’a vu être comblé. C’était juste avant la guerre parce que quand la guerre est arrivée, c’est resté avec les remblais de sable et les tuyaux.»3 D’un côté il y avait les chantiers et de l’autre les prairies inondables. Entre les deux, des faubourgs mal famés côtoyaient les ponts et les petites industries installées au bord de l’eau. «Nos loisirs, le jeudi, c’était d’aller faire les «couillons» dans les prairies d’Amont derrière chez nous. Il y avait suffisamment de place ! On essayait de pêcher des anguilles sous les cailloux.»3 Aujourd’hui ces prairies ont laissé la place au quartier d’habitation Beaulieu où la présence de l’eau et des sols 1 Appellation tardive et nostalgique donnée à la ville de Nantes 2 Définition dans le Lexique de la Loire p.62 3 Témoignage de Mlle Laurens puis M Piveateau dans l’ouvrage Au temps des ponts, petites histoires du quartier des ponts et de Beaulieu

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Le Boire de Toussaint en 1940, séparant la rue Grande Biesse de la rue petite Biesse...

...asséché, mis en tuyau et comblé devant la savonnerie Biette en1942

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humides a été effacée. «Tout au bout de l’île, c’est encore un peu sauvageon. Il faut aller voir… c’était comme ça avant.»4. En effet seule l’extrême pointe Est, lieu du parc Crapa, de l’île résiste à l’urbanisation et se laisse volontairement inonder. L’eau qui s’engouffre transforme le paysage qui devient alors enchanteur.

4 Témoignage de M. Chapellier dans l’ouvrage Au temps des ponts, petites histoires du quartier des ponts et de Beaulieu

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1766

1990

Datation des remblais sous nos pieds, données issues d’un rapport du BRGM (Développement d’une méthodologie de gestion des terres excavées issues de l’aménagement de l’île de Nantes)

PPRI (Plan de Prévention des Risque d’inondation) - Une île insubmersible

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10// L’INVENTION D’UNE « ÎLE » «J’ai su qu’ils avaient des grands projets de surélever le terrain de six mètres avec du sable de Loire. Ils ont fait venir des dragueuses hollandaises. Ça a eu des conséquences jusqu’à Blois. Il y a eu un pont sur tour dont les piliers n’ont pas résisté au changement de niveau. On voyait des machines projeter du sable comme ça pendant des heures. Les nuits aussi. Ça travaillait tout le temps. Et ça s’est surélevé. Quand ils font des constructions ici, ils sont obligés de descendre pour trouver le sol dur à 36 mètres. Avant, on ne pouvait pas faire des constructions parce que c’était trop prêt de la Loire et une petite inondation aurait tout inondé. Maintenant, on ne craint pas d’inondation. »1 Voici donc à quel prix nous avons créé une île «en surface» pour l’humain. Une île insubmersible, qui a décidé d’ignorer la Loire et qui, malgré un ré-intérêt de la métropole pour le fleuve, continue, plus subtilement, à le faire. L’appellation «île de Nantes», nouvelle entité du territoire nantais, semble un leurre, dans le sens où elle s’est peu à peu défait d’une culture de l’eau. L’humain de l’île perd son attache avec l’eau, qu’elle soit économique ou affective. La fermeture des chantiers navals en est le point d’orgue. Nantes n’est plus une ville rivulaire2, qui croît depuis ses rives. Le renouvellement urbain de l’île, dont le dessin a été orchestré, dès 1999, par le paysagiste Alexandre Chemetoff, va tenter de renouer un lien avec le fleuve. Les berges sont restaurées et aménagées dans le but de les «rendre aux habitants». De plus la Loire semble le seul détenteur 1 Témoignage de M Chapellier, dans l’ouvrage Au temps des ponts, petites histoires du quartier des ponts et de Beaulieu 2 Définition dans le Lexique de la Loire p.62

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«Marina»

Plan Guide de l’île de Nantes- Chemetoff/Berthomieu

Finistère

Plan des transformations de l’île de Nantes- Smet/Dupuys

Boire Sainte-Anne

Plan des intentions de l’île de Nantes- Osty/Shorter

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«vivant» d’une mémoire d’un passé lié à l’eau. On va alors laisser la Loire envahir les anciens lieux de l’industrie navale et même la faire entrer sur l’île. Ce dernier point ne restera qu’à l’état de projet sur le plan guide. L’équipe d’architectes-urbanistes, dirigée par Marcel Smets et Anne-Mie Depuydt, qui lui succède, n’en tiendront pas rigueur en élaborant en 2010 leur «plan des transformations». Le lieu, initialement prévu en eau, devient un parc métropolitain au cœur d’un nouveau quartier que les urbanistes choisissent de nommer «Finistère» - une appellation à la connotation trompeuse. Dans l’une de ses significations le Finistère désigne une terre qui atteint les limites de son expansion. Était-ce pour signifier la fin de l’emprise de la ville sur l’eau ? L’équipe actuelle, rassemblée autour de Jaqueline Osty et Claire Shorter, propose un plan des intentions. Le quartier du Finistère disparaît au profit d’un nouvel élément qui nous rappelle tout autant l’eau : le Boire Saint-Anne. Il ne s’agit là que d’une appellation pour nommer une rue piétonne située à l’ancien emplacement d’un bras de Loire, aujourd’hui comblé. Nostalgie d’un temps passé, fantasme d’un territoire insulaire, envie de ne pas perdre une mémoire qui pourtant s’efface, la Loire et ses eaux n’en finissent pas d’inspirer les «concepteurs de la ville». Et si on transformait l’inspiration en réalité. Et si, plutôt qu’en nostalgique, on n’agissait pas en écologue. Et si on choisissait que la Loire reprenne ses droits sur l’île et qu’elle soit bénéfique à la vie et l’habitat des humains comme des non-humains.

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Quai Fernand Crouan et sa «plage» submergés Photo prise lors des grandes marées d’équinoxe de mars 2020

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11// LES RIVES DE L’ÎLE Malgré ce qui est dit au paragraphe précédent, fort est de constater que le profil des berges de l’île de Nantes est assez hétérogène et que cela lui confère une qualité. Bien que la plupart des berges soient juchées sur des remblais et maintenues en place par des enrochement, nos pieds qui les foulent l’ignorent. Ils peuvent même penser que ces abords sont sauvages tellement l’eau et sa richesse nutritive y fait pousser une végétation luxuriante. Lors des grandes marées, le spectacle de la Loire qui s’invite sur l’île fait toujours son effet. La ceinture piétonne quasi-continue qui longe les rives de l’île ne peut alors plus accueillir les marcheurs. Certains s’y aventurent (les enfants et les chiens échappés de leur laisse) tandis que d’autres la contemplent ébahis. Une belle ode à la Loire que sont ces aménagements qui se laissent, sans encombre, submerger par elle. Caillebotis, dalles de béton blanches, chemins de terre, prairies enherbées, estacades, cales bétonnées, vase, route de goudron, friches, voici une étendue de ce que l’humain rencontre lors de son chemin sur les rives de l’île. Cellesci nous donnent un accès à l’eau privilégié qu’un grand nombre de métropoles françaises pourraient nous envier. Pas question néanmoins d’aller la toucher. Parce qu’elle est pleine de contradictions, l’île de Nantes semble être le parfait terrain de jeu pour l’architecte, baigneuse et habitante que je suis. Afin de questionner la relation entre humain et Loire, il s’agirait, pour moi, de me servir du déjà là et du comportement de la Loire qui va et vient au sein de celui-ci, qui laisse des marques tant physiques qu’imaginaires, tant actuelles que passées.

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Remblais «suspect» Remblais «divers» Remblais «assimilable naturel» Étale 1

Étiage 1

Alluvions

Substratum

Carottage de la pointe Ouest de l’île de Nantes1 1

Définitions dans le Lexique de la Loire p.61

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DES RÉFUGIÉS ACTIFS NICHÉS DANS LES 12// INTERFACES L’île de Nantes est sèche, grise. Elle est intrinsèquement humaine et pourtant si peu «vivante». Elle est inhabitable pour de nombreuses espèces. Seules ses berges, qui font d’elle un lieu insulaire, offrent une maigre possibilité aux survivants de rester. Elles abritent des réfugiés, des délaissés, des minorités, tous vivants et actifs : des lézards ou autres bronzeurs, les canards ou autres flotteurs, les cormorans ou autres barboteurs, les ragondins ou autres nageurs, les éperlans ou autres plongeurs subaquatiques, les benthos ou autres explorateurs. C’est sur ces berges que les mondes se confrontent : un monde inerte fait de béton et de remblais successifs pollués et un monde vivant fait d’eau, d’alluvions et de roches géologiques. Ce dernier s’enfouit sous l’artifice. Il est souterrain en plein cœur de l’île et sous-jacent sur ses abords. Le carottage de la pointe Ouest de l’île de Nantes en est l’illustration. Les mondes s’entrelacent dans l’eau qui monte et descend au gré des marées mais seul le monde artificiel remonte à la surface. On y remarque les réfugiés évoqués plus haut qui s’adaptent aux différences de niveaux, et peuvent ainsi aller à l’interface des mondes. La partie immergée de l’île a été abandonnée par la communauté humaine qui l’a pourtant conçue pour ses activités économiques. C’était un territoire gagné sur l’eau, c’est aujourd’hui un territoire envahi par la Loire et ses mondes. «De façon inattendue, le commun issu du délaissement accueille les espèces chassées de partout ailleurs. [...] De la sorte, le commun des délaissé devient un trésor naturel, un bien commun.»1 2 2 CLÉMENT Gilles, «La peau de la terre : un commun découpé, saisissable et soumis au marché», paru dans Les Carnets du paysage n°33

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mĂŠthode d'action de l'architecte immersif et submersif au service des relations entre les mondes

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Photographie prise par l’association Flussbad Berlin e.V lors de son ĂŠvènement de nage dans la canal de la Spree (Flussbad Pokal 2018) leur permettant de promouvoir leur projet de rendre baignable le canal

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13// LA FORCE D’UNE IDÉE «Partout, sur tous les continents, on a besoin d’arbres ; mais pas seulement d’arbres, ce dont on a besoin c’est surtout de la force et de la forme d’une idée, à l’intérieur de laquelle le plantage d’arbres n’est qu’une mesure, même si elle s’avère d’une urgente nécessité, parmi d’autres.»1 Face à l’urgence climatique dans laquelle nous plongeons tête la première, quelle idée concrète puis-je, à ma portée, à mon échelle, apporter ? Vous l’avez donc compris au fil de ce rapport je suis, avant de devenir architecte et même ingénieure, une baigneuse sauvage de Loire. Dans la construction de ma posture, j’ai donc choisi de partir de ce point de vue à la marge, inédit et peu conventionnel dans le but d’éprouver le projet, plus que de le concevoir. À l’image de Josef Beuys qui utilise le plantage de ses 7000 chênes comme une mesure, j’envisage la baignade comme un outil puissant : un outil de mesure, de jaugeage de notre rapport à notre environnement mais aussi un outil de compréhension d’un monde inconnu voir invisible, un outil d’expérimentation et d’interaction avec lui. Empreint d’un caractère sauvage, la pratique se confronte à un milieu qui, au premier abord, est peu approprié et peu appropriable par l’humain. Le corps de l’humain se retrouve vulnérable et se place au même rang que la biodiversité du cours d’eau. Il n’est plus sur son piédestal et doit composer en équilibre avec ce qui l’entoure, avec un espace dénué de toute urbanité. «Apparemment seul un artiste tel que lui, BEUYS, pourrait mener à bien la réalisation d’une idée incontestablement d’intérêt 1 Texte de la a Free International University, écrit en l982, au sujet du projet des 7000 chênes de Josef Beuys

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Photographie de Alexandre Voyer dans le canal de l’Ourcq à Paris

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public au moyen de méthodes non conventionnelles» Si elle peut être un outil du point de vue de ma position d’architecte - qui sort d’un cadre donné et qui est susceptible de bouleverser les principes dans la manière de faire, elle en est aussi un pour le citoyen. En s’emparant de l’outilbaignade, celui-ci peut revendiquer un droit à la ville, un droit d’accès à un fleuve propre. Cet outil fantasmé pourrait créer un nouveau rapport à la ville qui s’offre toute entière à ses habitants, qui réinvente son contact avec l’eau et qui occupe à bon escient les espaces délaissés que représentent ses cours d’eau. La baignade semble donc une porte d’entrée pour parler d’urbanité et le citoyen qui s’en empare devient le moteur du changement. L’outil peut alors être repris par les politiques. On se souvient des mots de Jacques Chirac qui en 1990, promettait de «se baigner dans la Seine, devant témoins, pour montrer que la Seine est devenue un fleuve propre», et des actions de Anne Hidalgo qui, en réponse aux baignades sauvages dans la canal St Martin et à la candidature de Paris au Jeux Olympiques, propose une baignade gratuite (mais restreinte) dans l’eau du canal. Attention cependant à ne pas tomber dans un effet de mode dont le but majeur serait de concurrencer les métropoles voisines et de mettre la baignade sur le marché. À l’inverse, l’idée serait que cet outil, non soumis aux lois du marché, soit commun, profitable et utile à de nombreuses entités, humaines comme non-humaines.

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Photographie de Laurent Farges

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14// LA BAIGNADE UN LEVIER ÉCOSYSTÉMIQUE La baignade en eaux libres en France, à l’exception de celle pratiquée en mer, se heurte à de nombreux obstacles, surtout quand elle a lieu en ville. Frileuse du danger, les municipalités n’autorisent la baignade que dans des sites protégés, sécurisés et surveillés, le citoyen français n’étant pas considéré comme un être responsable. Et au vu des moyens qu’elles auraient à mettre en œuvre (contrôle de la qualité de l’eau, aménagement des berges, surveillance) si elle l’acceptait, elle préfère l’interdire. Deux choix s’offrent alors aux nageurs d’eaux vives ou autres amoureux des cours d’eau, rester dans la frustration ou rentrer dans la transgression. Si la législation réglementaire est l’un des principaux freins à la pratique de la baignade, la qualité de l’eau de nos cours d’eau anthropisés en est un autre tout comme les mentalités des habitants des villes, refusant d’aller toucher une eau qu’ils pensent dangereuse et sale. Comment donc faire bouger les lignes de front ? Comment agir sur tous les plans pour que la baignade ne devienne plus une hantise mais l’outil que j’évoque plus haut ? Comment intégrer toutes les échelles dans lesquelles la baignade intervient : celle du fleuve qui coule sur plus de mille kilomètres, si on prend le cas de la Loire, celle de la ville et de sa confrontation à lui, celle des corps-vivants et de leur immersion en lui, celle des alluvions qui le composent ? «Pour cela, il faut peut-être inventer sa commande, sans attendre qu’elle arrive d’en haut, ce qui est aussi une forme de militantisme, aller voir les communes en leur demandant les moyens de faire, mais pas forcément les moyens financiers, simplement l’autorisation de faire.» 1 1 Le per­mis de faire, l’es­prit plus que la lettre, revue Tracés n°19 . Propos de Patrick Bouchain recueillis par Stéphanie Sonnette

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Signalétique informelle réalisée en juillet 2019

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L’objectif réside donc dans la décortication des processus - citoyens, politiques, juridiques, environnementaux - qui bloquent aujourd’hui la pratique de la baignade. En les détournant, en les munissant d’autres leviers, en inscrivant en eux une démarche nouvelle, ces processus pourraient alors devenir des alliés du projet. D’abord, pour permettre la baignade, aux yeux de la loi, il faut qu’on s’y intéresse. Et aux yeux de l’humain, qui ignore la loi, c’est en voyant d’autres se baigner, qu’il le fera à son tour. La législation en vigueur en France stipule que, dès lors qu’un lieu de baignade est connu et fréquenté, une surveillance de la qualité de l’eau doit être mise en place, allant alors vers une acceptation et une reconnaissance de la pratique. Voici donc ce que propose le projet : Grâce à un activisme citoyen, dont je fais partie, on peut informer et initier le grand public à la question. L’idée est de susciter une envie et une prise de conscience de la gestion de l’eau et du respect qu’on lui doit. On imagine que cet intérêt grandissant, motivé par différents biais, légitimera et engagera des recherches et des expérimentations sur la qualité, la turbidité2 et la mouvance de l’eau. En impliquant les (futurs) baigneurs dans ces travaux, on perpétue la mission d’écoute, de dialogue et de contact de l’humain envers la Loire. Une fois cette barrière franchie on imagine faire bouger la loi, les documents réglementaires et de planification qu’ils touchent l’urbain (la Loi paysage, les SCOT et les PLU) ou l’eau (la Loi sur l’eau, le SAGE et le SDAGE). Cela entraînera alors une souplesse dans la réflexion, la création ou la transformation de lieu où le contact entre la Loire et le corps des humains comme des non-humains n’aura plus de limites. 2

Définition dans le Lexique de la Loire p.61

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informer et initier le grand public

susciter une prise de conscience sur le respect de l'eau

transformation et/ou crĂŠation de lieux d'interface

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susciter une envie


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activisme citoyen

recherche et expérimentation sur la qualité des eaux Modification de la loi, des documents réglementaires et de planification

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Juan Manuel Diaz Burgos, série photographique Razón y Sed, 2008. Système d’irrigation de la huerta de Ulea (bassins, fossés et roues à eau) à partir du fleuve Segura, mis au point à la période musulmane. Ici la forme physique du territoire sert à répartir l’eau de manière équitable.

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GOUVERNANCE INTER-ACTEURS, INTER15// ESPÈCES D’UN PAYSAGE EN COMMUN Si on revient à l’idée que la Loire est un paysage en commun qui un jour deviendra une personnalité juridique, et aura une voix que l’humain voudra bien entendre, comment imaginer une gouvernance d’un projet éprouvé et conçu pour une relation féconde entre Loire et humain ? Elinor Ostrom, politologue et économiste américaine est l’auteure de La Gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles. Pour ses travaux sur la théorie de l’action collective, la gestion des communs matériels et immatériels et le dilemme social qui en résulte, elle est la première femme à recevoir le « prix Nobel d’économie » en 2009. Pierre Calarme retient que pour gérer un commun, il faut répondre à cinq questions : «quel est le besoin à satisfaire ? Quelle est la communauté concernée ? Quelles sont les modalités d’interaction entre les membres de la communauté (concrètement, comment se gère le bien et comment sont distribués les bénéfices de sa jouissance) ? Quelle est la nature des biens et services produits ? Quelle est la forme de gouvernance adoptée (la répartition du pouvoir, la forme juridique) ?»1 En réponse, le projet semble appeler à l’instauration d’un commun au sens où la baignade libre permettrait une redéfinition du bien commun que représente l’espace du fleuve et du partage de ses eaux. Cependant, la visée n’est pas qu’humaine. S’il peut paraître profondément humain, le système des communs ne s’instaure pas n’importe où. Le territoire dans lequel il naît peut jouer un rôle important et aussi structurant qu’une gouvernance : «il peut être lui-même la 1 CALARME Pierre, « Gestion des communs et œconomie », Éthique publique

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Juan Manuel Diaz Burgos, sĂŠrie photographique RazĂłn y Sed, 2008. Puerto de Santa Maria. 2007

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ressource ou la matrice qui distribue la ressource ; il peut incarner physiquement la desserte, le droit à la ressources et/ou les rapport sociaux; et sa structuration (physique ou institutionnelle) est un outil important de résolution de conflits et donc d’instauration du commun»2 Dans notre cas, le territoire est un protagoniste déjà-là avec lequel on doit composer en équilibre. Il est à la fois le commun et le lieu d’institution du commun. Comment maintenant imaginer une gouvernance inter-espèces dont les droits seraient liés avec et par le territoire ? Le rôle des architectes et des paysagistes dans la modification radicale de nos modes de faire et de penser semble prépondérant mais est loin d’être exclusif. En effet l’importance d’une connaissance fine du territoire et/ou de la ressource est essentielle mais ne doit pas relever d’une expertise savante externe. C’est pourquoi, de son initiation à sa gestion en passant par sa conception, j’imagine de manière fictive et utopique que le projet pourrait être mené sous l’égide d’une communauté qu’on l’on nommerait «Université de Loire». Le tremplin serait instiguer par un nombre restreint de baigneurs sauvages de Loire, militants, concernés et impliqués par le territoire, qui, par leurs actions, toucheraient une sphère plus élargie. La communauté de l’Université de Loire, s’amplifierait petit à petit au gré de réflexion et d’expérimentation jusqu’à ce que la ville reconnaisse l’utilité de ses recherches et lui cède peu à peu des droits et des lieux d’interaction et d’intervention. Il va de soi que la dite communauté devrait être constituée d’autant d’humains que de non-humains. Cela sera possible 2 GROSJEAN Bénédicte, «La huitième condition : l’imbrication ; Usages du territoire dans les communs d’Elinor Ostrom», paru dans Les Carnets du paysage n°33

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La cabane de l’indien à Beauduc Plage, photographie de Paul Minvielle, mars 2004, tirée de l’ouvrage Beauduc, l’utopie des gratte-plage, ethnographie d’une communauté de cabaniers sur le littoral camarguais, de Laurence Nicolas

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grâce à des bases que le «Parlement de Loire» aura institué3. Et puisque la connaissance de l’élément Loire n’est jamais figé, il semble nécessaire que l’Université soit pérenne et prenne place, au long terme, sur la Loire et dans la ville. Bien qu’il soit fort probable qu’une communauté aussi hétérogène ait des visions et des volontés divergentes, les membres de l’Université de Loire seront réunis par un intérêt commun indéniable : un attachement à l’écosystème Loire et une envie ou un besoin qu’il devienne un chez-eux. «Ce bout de bois tout érodé, rongé par le sel est un pieux de soutènement. Il appartient à une aventure humaine formidable, les gratte-plage de Beauduc. Pas vraiment vacanciers ni plagistes ordinaires, natifs du coin ou saisonniers avaient décidés d’habiter en été le littoral camarguais, le temps que ça durerait, avec des cabanes précaires, des caravanes et des abris hybrides. Sans droit ni titre d’occupation, ils s’y retrouvaient cependant année après année au point de s’inventer en communauté utopique, contingente. Ce dont on était sûr c’était que les Beauducois n’étaient pas des «Beauduculs», des baigneurs venant simplement bronzer la journée. Ce cordon de sable que la langue administrative n’avait pas encore traduit en «service écosystémiques», on y tenait comme à un «chez-nous» » 4

3 Aller voir p.51. La fiction prospective de ce parlement réfléchi entre-autre à la communication inter-espèce et à la constitution d’institutions dédiées. 4 DUPERREX Matthieu, Voyages en sol incertain: Enquête dans les deltas du Rhône et du Mississippi, Wildproject Editions, 2019

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LES TEMPS D’APPLICATION DES LOIS DE LA 16// LOIRE On imagine fictivement que le projet puisse être régi par des lois énoncées par la Loire et ses mondes. Et si la Loire faisait sa loi, quels droits, quels devoirs et quels usages nous accorderait-elle ? « On ne robinsonne pas de la même façon face à une mer toujours plus constellée de bouées balisant un labyrinthe de chenaux réservés entre lesquels se trouvent délimités des carrés de baignade. C’est alors la ville qu’on prolonge sur les flots, avec ses espaces piétonniers, ses voies et ses couloirs à véhicules déterminés! On règle une circulation, c’est-à-dire la vie d’une cité et non plus celle d’une île. Certes, on évite querelles et accidents. Mais on trahit une utopie du rivage en raturant son image»1 Un espace comme la Loire ne peut être «aménagé» comme on le fait en ville. Il ne peut pas être transformé aussi rapidement que la ville. Il ne peut pas se pratiquer comme il est d’usage de le faire en ville. Un projet urbain qui s’intéresse à une telle entité ne pourrait se produire que dans un temps long et lent, un temps se rapprochant plus de celui de l’arbre que de celui de l’humain. Rien ne pourra se faire en un claquement de doigt fortuné, en rendant l’eau chlorée ou à coup de dragueuse. Il faudra du temps pour le que l’humain acquière une légitimité à «relationner» avec la Loire ; pour que la Loire reprenne ses droits dans l’artifice ; pour que la ville humaine accepte les non-humains et inversement. En suivant l’édification de la communauté énoncée ci-avant, le projet devra acquérir une souplesse et une adaptabilité à l’évolution de nos dialogues, aujourd’hui encore frileux, avec la Loire. 1 Urbain, J-D. (1994). Sur la plage. Mœurs et coutumes balnéaires. Paris : Payot.

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perspectives et partage d'expĂŠriences

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Dessin d’une carte postale de notre maison confinée envoyée à une personne venue un jour en tourisme à Nantes et qui a participé à ma première baignade collective. Merci Alice pour le dessin et merci Claire pour ce souvenir de bain partagé dans la Loire !

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perspectives

00// FAIRE ÉCOLE DE LA LOIRE Il y a deux ans, mon mémoire m’avait appris que la connaissance se construisait forcément à plusieurs et que sa transmission aux autres était nécessaire. Aujourd’hui ce projet de diplôme va plus loin en proposant de transmettre, non plus des connaissances brutes, mais une manière de les acquérir. Faire projet avec la Loire me permet de transformer mes expériences personnelles, de prise de connaissance du milieu, en expériences partagées. J’imagine que la Loire puisse faire école. L’Université de Loire, évoquée dans ce rapport, apparait comme un «espace» de construction de savoirs situés et d’interaction entre humain et Loire. Là où le Parlement de Loire réfléchit de manière théorique et institutionnelle, l’Université de Loire est dans l’action et se sert des discussions, élaborées en amont, pour faire corps. L’humain faisant partie de cette «école» devient alors praticien d’un milieu. En tant qu’architecte-baigneuse de Loire et militante je pose le premier jalon de cette université. Je propose d’occuper des lieux, aujourd’hui délaissés par l’humain et envahis par la Loire et ses mondes, et d’y d’expérimenter des «observations», des «déambulations» et des «immersions». En y développant des architectures écosystémiques, l’idée est que l’urbain puisse, sans encombre, se transformer en sauvage et le marcheur en baigneur. Je prône, à travers mon projet, que l’architecte ne dialogue pas qu’avec, ni ne construit que pour l’humain. Quoi qu’on en pense, les histoires humaines et non-humaines sont entremêlées. Chaque choix que nous, architectes, ferons auront un impact sur la vie d’autrui et sur un milieu tout entier. Cette responsabilité est terrifiante. Mais en sachant

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Dessin d’une carte postale de notre maison confinée envoyée à une personne que le confinement à transformé en poisson-humain. Merci Alice pour le dessin et merci Caroline pour l’inspiration !

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perspectives

cette réalité, en engageant une première démarche de projet et en donnant une réponse, à ma portée, à la fois poétique et concrète aux enjeux climatiques et sociétaux qui nous surplombe, je pense pouvoir aller au-delà de ce qui m’intrigue. Plutôt qu’un projet achevé, je propose une porte ouverte vers une posture d’architecte qui ne s’impose pas aux choses et aux vivants mais qui s’immerge parmi eux et entraine les humains avec. Et c’est ainsi que l’Université de Loire se constituera. Afin de finir votre lecture et de vous laisser emporter par les flots de la Loire, je vous soumets et partage avec vous les soupçons d’un projet, qui lui même se partage. Vous trouverez dans les pages qui suivent deux récits fictifs d’immersion dans le projet. Le premier est humain et écrit à une échéance courte. Le second est non-humain, «écrit» à une échéance plus lointaine par un ragondin, célèbre, mais tant détesté, habitant des eaux saumâtres.

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rĂŠcit d'immersion dans le projet parmi les mondes de la loire

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rĂŠcits d'immersion dans le projet

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JOUR DE SOCIABILISATION ENTRE LA LOIRE ET LES NANTAIS [Récit fictif d’immersion] «Aujourd’hui c’est le grand jour ! Je l’attendais avec une impatience semblable à celle d’un enfant la veille de son anniversaire. Aujourd’hui je participe à la première traversée de Nantes à la nage. Je fais de la natation dans la piscine de la Durantière depuis que je suis tout petit. L’été on allait avec ma mère à la piscine des Dervallières mais c’était exceptionnel. Jamais, je ne me suis baigné dans la Loire, jamais cela ne m’est venu à l’esprit mais depuis que je sais que cela va être possible, l’idée m’excite beaucoup ! Quand j’ai vu l’annonce pour cette compétition de nage dans la Loire, je n’ai pas hésité une seconde à m’inscrire, j’ai même poussé mes amis à participer avec moi ! Un événement comme ça, c’est inédit ! J’ai toujours ressenti un peu de jalousie pour les coureurs qui avaient droit à un événement en plein cœur de la ville. Aujourd’hui, j’ai enfin l’impression qu’on a pensé à nous, les nageurs ! Ça s’annonce festif et compétitif, tous ce que j’aime ! Mais j’imagine que c’est quand même un défi de nager dans la Loire. Enfin on dit que c’est un fleuve sauvage, son courant est dangereux… Je me demande bien comment les organisateurs s’y sont pris pour assurer de bonnes conditions de sécurité. Le départ est à une heure précise 15 h 36. Apparemment c’est pour se caler sur l’heure des marées, mais je n’y connais pas grand-chose. Les participants doivent venir dès le matin pour visiter les lieux, pour repérer le parcours, pour connaitre les consignes de sécurité, et pour échanger avec les autres nageurs avant le grand moment ! De bonne heure, j’enfourche donc mon vélo. Depuis le quartier Zola la pente me porte sans effort jusqu’à la

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Photographie prise par l’association Flussbad Berlin e.V lors de son Êvenement de nage dans la canal de la Spree (Flussbad Pokal 2018)

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Loire. Je la traverse et me lance à toute vitesse vers la cale, lieu du départ. J’ai déjà chaud et hâte de me rafraîchir dans l’eau. Le lieu a changé depuis l’été dernier, on dirait qu’il s’y est passé quelque chose… Un panneau rigolo m’accueille, il est intitulé « LIEU DE BAIGNADE TEST POUR LES UTOPISTES » Avant que j’entame sa lecture, une bénévole m’alpague: «Vous avez eu votre bonnet ? Vous pouvez aller vers la plateforme en bois là bas, on va s’occuper de vous !» On me donne un bonnet bleu et jaune, je remarque après qu’il y a un éléphant avec une bouée, un masque et un tuba dessus. Je dépose mes affaires dans des casiers en bois, sûrement construits pour l’événement. À 11 h on fait la visite des lieux depuis la terre ferme et on descend toucher l’eau depuis les points de départ, d’arrivée et depuis l’un des escaliers en métal disposés le long du quai des Antilles qui serviront à remonter en cas de problème au milieu du parcours. Puis on pique-nique avec les participants, les organisateurs, les bénévoles, les supporteurs. Certains sont venus de loin pour participer, de villes de bord de Loire : Tours, Blois, Saumur… La plupart sont des gens comme moi, des nantais curieux qui n’ont jamais nagé dans la Loire. Les bénévoles et les organisateurs nous disent qu’ils se sont déjà baignés ici, surtout depuis que ce lieu a été investi par l’association « Les Baignades Nantaises». Je comprends donc pourquoi le lieu me semblait avoir changé. La communication autour de la baignade s’est faite grâce au bouche-à-oreille et cet événement est l’occasion de le faire savoir au grand public et d’initier les nageurs à la baignade en eaux vives. Parmi nous, il y a des compétiteurs mais la majorité est venue pour vivre l’expérience, mon ami qui n’est pas un grand nageur est rassuré.

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L’heure du départ est arrivée, l’eau a rempli la cale. On enfile nos maillots, d’autres leurs combinaisons. On traverse les herbes hautes qui marquent l’entrée dans le plan d’eau. On a enfin les pieds dans l’eau. Je la pensais plus froide. Je descends la cale, me mouille la nuque et m’immerge entièrement dans l’eau. Je fais quelques brasses dans l’enceinte de la cale. Une fois que je me sens suffisamment à l’aise je dépasse la seconde ligne d’herbes hautes pour me retrouver au cœur de la Loire. C’est fou ! Face à moi Nantes comme je ne l’ai jamais vue. Cette vue depuis l’eau est jouissive ! L’eau est plate, je fais la planche en attendant que tous les participants me rejoignent au niveau de la ligne de départ. Le départ est lancé. D’un coup le calme de la Loire a été rompu par les remous des nageurs. Par solidarité je reste avec mes amis au début de la course, je prends le temps d’observer tout ce qui se passe autour de moi. Étonnamment, je n’ai pas l’impression que la Loire soit si sale ! Le quai des Antilles a été aménagé depuis l’eau. Sur la barge qui est amarrée et abandonnée là depuis quelques années maintenant, un groupe de musique accompagne notre nage. Tous les 100 m, une borne nous indique où on en est. À la moitié de ma course une banderole sur le quai m’interpelle « ICI, FUTURS CHANTIERS DE LA LOIRE : ET SI LE BOIRE SAINT ANNE REPRENAIT SES DROITS ? » Un kilomètre plus tard, j’arrive à la pointe de l’île où un autre groupe de musique vient fêter la fin de notre épopée. Les téméraires qui ont choisi la formule « 4 km » s’élancent dans le trajet retour, pendant que je me délecte de la musique en observant la Loire qui file vers l’estuaire.»

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LE TRAJET D’UN RAGONDIN À TRAVERS LES 00// ÎLES DE NANTES [Récit fictif d’immersion] «Quoi qu’il fasse, on trouve de toute manière cet animal plus dépensier que de raison. Il remue et fouine sans cesse, de jour comme de nuit, et parvient à engloutir quotidiennement un quart de son poids en tendres racines. En Camargue comme en Louisiane, il entre dans la liste, bien entendue, des «nuisibles». Doublé d’un «invasifs». Le bouc émissaire commode. En Camargue, on les empoisonne administrativement, avec force d’arrêtés préfectoraux. En Louisiane, les ragondins sont piégés et tirés au fusil par les chasseurs, et des primes versées pour leur abattage. [...] Sans vouloir contester l’impact de cet animal sur l’écosystème des zones humides, je me dis que le grand régulateur qui prétend équilibrer la place respective de chacun dans l’implacable hiérarchie du vivant ferait bien de jeter un œil ailleurs» Et si on se mettait à la place de ce, tant prétendu, prédateur des berges. En prenant le ragondin comme porte parole, on se penche sur la question du partage de l’espace, puisque l’humain semble autant prédateur, si ce n’est plus, des zones humides que le ragondin. « J’ai entendu dire que les ragondins de la Loire nantaise, sont les plus téméraires. Moi, je suis né dans l’Erdre mais j’ai décidé de la quitter. À peine avais-je commencé ma vie de jeune mâle, je me rendais compte que je vivais dans un espace trop restreint où pullulait beaucoup trop d’être de notre espèce. Certains d’entre nous s’étaient même fait piéger dans des cages disposées le long de nos habitats surpeuplés. Mon lieu de vie était alors devenu dangereux et invivable. Même si, habituellement, les ragondins sont sédentaires et aiment rester dans leur zone de confort, j’étais résigné à partir.

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Au fil de mon périble, je me suis rapidement retrouvé dans une immense et effrayante étendue d’eau. Je n’ai pas eu à choisir ma direction, le courant l’a fait pour moi. Lorsque celui-ci s’est soudainement arrêté, je me souviens m’être faufilé dans un lieu qui ressemblait d’avantage à mon Erdre natale. S’offrait alors à moi une berge riche, épaisse et quasiment intacte. Chassé de «là-bas», je me retrouve, ici, accueilli à bras ouverts. Une petite communauté de ragondins, que je rejoins, a déjà pris place dans ces lieux. Selon leurs dires, cette berge n’existait pas il y a quelques années. Avant, tout était inerte, et ne permettait pas l’habitat de toute cette faune et cette flore. Il y était impossible de construire nos terriers. Jour après jour j’ai appris à «apprivoiser» le comportement de ce nouveau milieu «mouvant». Quand l’eau bouge, nous restons nichés sous la berge puis quand elle s’arrête, nous pouvons sortir en sécurité. L’eau qui atteint sa hauteur maximale, inonde alors les berges et renouvelle nos habitats. On attend aussi la tombée de la nuit pour vagabonder. L’environnement y est toujours plus calme, les bruits qui nous surplombent le jour, semblent assourdis par la pénombre ! La vie en Loire est certes, plus mouvementée et incertaine mais plus vivifiante pour le corps et l’esprit. Certains se sont déjà laissés emporter par les flots mais ont sûrement du se construire un habitat ailleurs. Ici, les ragondins disent que les berges de la Loire sont devenues hospitalières.»

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Feral Atlas Collective, dessin de Feifei Zhou

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bibliographie

20// MÉDIAGRAPHIE Elisée RECLUS, Histoire d’un Ruisseau, Bibliothèque d’éducation et de récréation, 1869 - 320 pages Matthieu DUPERREX, Voyages en sol incertain: Enquête dans les deltas du Rhône et du Mississippi, Wildproject Editions, 10 mai 2019 - 203 pages Bruno LATOUR, Face à Gaïa: Huit conférences sur le nouveau régime climatique, La Découverte, 8 oct. 2015 - 368 pages Frédéric BONNET, Atout risques: des territoires exposés se réinventent, Parenthèses, 2016 - 173 pages Caroline WYPYCHOWSKI, Baignades Urbaines, plongeons dans les cours d’eau nantais, 232 pages «Sauvage» 303 TRIMESTRIEL N°153 Septembre 2018 – 96 pages «Numéro Special», Paysageur, Une revue qui pense avec les pieds, avril printemps 2020, 105 pages «Paysages en commun», Les carnets du paysage, n° 33 , Actes Sud, 2018. Les auditions du parlement de Loire, 2019-2020, POLAU [En ligne] Les conversation du parlement de Loire [En ligne] Free International University (1990). 7000 chênes. Inter, (47), 6–7.

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Couverture de la revue 303 n°143 «Sauvage», illustration du Benjamin Bachelier

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bibliographie

Gilles CLÉMENT, Aménager la nature ?. In Les Rencontre de Sophie, 8 février 2020, le Lieu Unique, [en ligne], https://www. youtube.com/watch?v=kL6qluJRv68 Les chemins de la philosophie, 2016, Épisode « «Les Diplomates», par Baptiste Morizot» par Adèle Van Reeth, Diffusé 4 novembre, France Culture. Les conversation scientifique, 2015, Épisode «Comment composer avec le monde « non-humain » ? » par Etienne Klein, Diffusé 3 janvier, France Culture. «Flussbad Berlin», Annual Review n°3, Flussbad Berlin e.V, 2018 Bastien SOULE, «Observation participante ou participation observante? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales», Recherches qualitatives [En ligne], vol. 27, n° 1, 2007. Pierre CALAME, « Gestion des communs et œconomie », Éthique publique [En ligne], vol. 17, n° 2, 2015 Cet estuaire qui n’existe pas : 66 fragments pour une déambulation littéraire dans l’estuaire de la Loire, Editions Bardane, 2012, 153 p Andreas Ruby, Yuma Shinohara, Swim City, Bâle : Merian, Christoph Verlag, 2019, 220 p.

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Partons du principe que l’humain change son attitude vis-à-vis de la Loire et ses mondes, que le fleuve est un paysage en commun, habitable, dont on doit prendre soin comme il prend soin de nous. Et si la baignade était l’outil dont nous avions besoin pour changer notre manière d’agir envers le fleuve et ainsi modifier notre relation aux entités non-humaines, notamment l’eau, qui le constitue ? Guidé par une expérience personnelle de la baignade et d’un sentiment d’appartenance aux mondes de la Loire, le projet propose d’initier les nantais au contact intime avec le fleuve jusqu’à laisser la Loire s’engouffrer sur l’île de Nantes. Par application des lois de la Loire, la baignade permettrait de s’immiscer dans les failles de l’artificialité de l’île et d’y apporter de la sauvagerie et de la transgression.


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