Mémoire de Master École Nationale Supérieure d’Architecture Paris Val de Seine Février 2022
APPLICATIONS DE RENCONTRE Bouleversement des repères spatio-temporels et (ré)appropriation des espaces de rencontre physique
Caroline Termignoni Sous la direction de Laurent Gaissad
1
REMERCIEMENT Je tiens à remercier mon directeur de mémoire,
Laurent Gaissad,
pour la
confiance qu’il a su m’accorder lors du choix et l’élaboration de mon sujet. Je le remercie pour sa disponibilité, la qualité de nos échanges, mais aussi pour la richesse de ses références littéraires et humaines. Je remercie la chercheuse, anthropologue et sociologue, Catherine Deschamps pour le temps qu’elle a su m’accorder ainsi que pour la sincérité de notre entretien. Mes remerciements vont également à toutes les personnes que j’ai interrogées. Sans eux, la rédaction de ce mémoire n’aurait pas été possible. Merci à Lamiel Sternberg, pour son accompagnement, son soutien et ses relectures
à
chaque
nouveau
projet
d’écriture. Enfin, je remercie Charlotte Lesueur pour son aide lors du développement de la
2
REMERCIEMENT
version papier de ce mémoire.
SOMMAIRE avant
propos
6
introduction
i . les une
8
révolution
rencontre révolutions
de
, de
siècle
réglementations
12
et
: l ’apparition
sexuelles
applications
la
21ème
au
i.1 restrictions
des
13
rencontre
Du Moyen Âge aux Années 80 : la sexualité à l’épreuve des normes sociales
13
Des agences matrimoniales et petites annonces au minitel et applications de rencontres : à l’écart des terrains de rencontre traditionnels
19
i.2 repérer l ’émergence
les
populations
des
touchées
applications
de
par
23
rencontre
Paris, villes des premiers usages et à la forte densité
23
De 18 à 60 ans ; plus vraiment une affaire de génération…
26
…ni de sexualité
28
i.3 aller
à
la
rencontre
des
31
utilisateurs
Questionnaire et mise en oeuvre
31
Une pratique personnelle des applications
34
ii
.
une
remise
questions
des
spatiaux
et
ii.1 l ’architecture new
SOMMAIRE
,
applications
sex
and
the
en repères
temporels de
l ’opensource
38 :
the
39
city
Les applications : 24h/24», «7j/7», « 365j/365 »
42
Usages et language : Les caractéristiques d’une ville
45
Une nouvelle maps interactive soumise aux évènements retranscrits en temps réel
54
3
sont
fin
flânerie
: les
hasard
-elles
développées en
applications au
se
détriment
de
la
61
?
ville
Le GPS met fin à la flânerie quand …
61
… le tracking défini les nouvelles règles du jeu de la rencontre en ville
63
Un tracking qui pose question
65
ii.3 une
stratégie
déplacement
qui
rencontre
de
temps
détermine
et
de
les
lieux
de
69
physique
L’impact de la géolocalisation : une stratégie de temps et de déplacements qui définissent les lieux de rencontre
69
Proximité de l’habitation et du terrain de rencontre, le défis de l’anonymat : l’entre deux parisien
75
iii
.
de
la
(ré )
appropriation ville
à
espaces iii.1 la public
de
l ’occupation
des
privatifs
80
(ré )appropriation grâce
la
aux
de
l ’espace
applications
de
81
rencontre
Les rues, parcs et places : l’impact post covid
81
Les bars et restaurant : les applications, une mine d’or pour les commerçants
87
Les boites de nuits, un goût d’antan : des lieux qui échappent en partie à la pratique des applications de rencontre
90
iii.2 vers une : philosophie
privatisation de
l ’intime
de
la
rencontre
93
.
Le logement et la rencontre au temps des applications : nouvelle hétérotopie du 21ème siècle
94
Sexualité et hospitalité : Recevoir ou être reçu, les seuils comme espaces de transitions
95
L’hypothèse d’un espace non safe.. (ou non)
101
Le chez soi : « personnification » du lieu par les objets
103
conlusion
115
bibliographie
119
4
SOMMAIRE
ii.2 la
AVANT PROPOS
5
AVANT PROPOS J’expérimente moi-même les applications de rencontre depuis maintenant cinq ans. J’ai eu l’occasion de les utiliser dans de grandes villes comme Paris et dans de plus petites comme Lille. J’ai rencontré des personnes dans des parcs, des bars, sur les quais, mais aussi chez moi. Ces rencontres avaient lieu l’après midi, le soir, parfois la nuit. J’habitais tantôt chez mes parents, tantôt dans mon propre appartement ; qu’il s’agisse d’un petit studio ou d’un appartement plus vaste disposant d’une chambre et d’une pièce de vie. J’ai eu l’occasion de croiser ces pratiques avec des rencontres que je continuais d’effectuer dans le réel, sans passer par le biais des applications de rencontre. Le covid est arrivé, les échanges via applications se sont intensifiés, raréfiés lors du déconfinement puis se sont vus de nouveau accroitre. Faisant le parallèle avec mes études d’architecture, c’est alors que je me suis questionnée sur l’impact qu’avaient ces applications dans mes déplacements, ma manière d’appréhender la ville mais aussi mon intérieur et celui
6
AVANT PROPOS
des personnes que je rencontrais.
INTRODUCTION
7
INTRODUCTION En 2015, Jérôme Monnet, Professeur d’aménagement et d’urbanisme à l’Université Paris-Est et Antoine Aubinais, co-fondateur de Bellastock 1 s’accordent à dire dans une interview pour France Culture, que l’urbanisme et les villes « laissent peu de place à la rencontre »2. Ils évoquent notamment l’absence de réflexion autour des dispositifs d’aménagements urbains mis en place et le manque de communication avec la population afin de mieux comprendre ses besoins. Pourtant, en seulement un an, alors que la pandémie de covid nous a frappés, les pratiques de l’espace public ont été bouleversées. Tantôt l’usager est privé, limité dans ses déplacements et dans ses modes d’occupation de la ville, tantôt il est relâché, libre de s’approprier l’espace à sa guise et de redécouvrir des pratiques qu’il n’envisageait pas. Guy Debord, en 1957 propose le Guide psychogéographique de Paris, Discours sur les passions de l’amour. Il explique que « les « passions » reconstruisent ainsi un espace devenu « disponible », un labyrinthe inscrit dans un temps contingent et appréhendé par l’expérience »3. Il traduit ici un usage de la ville différent laissant place à une découverte et une déambulation inconsciente. Le développement urbain et les manières d’appréhender la ville sont en constante mutation. Ils s’accompagnent du minitel avec la génération X 4 dans les années 80, puis d’internet dans les années 2000 et enfin des applications de rencontre avec
1
« Bellastock est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif d’architecture qui oeuvre pour la
valorisation des lieux et de leurs ressources en proposant des alternatives à l’acte de construire. » BELLASTOCK, (24 janvier 2022), URL : https://www.bellastock.com/a-propos/ 2 RICHIEUX Marie, (21 avril 2015), La rencontre (2/5) : « Point de rencontre » - l’urbanisme crée l’occasion, Les nouvelles vagues, France Culture, 58 minutes. URL : https://www.franceculture.
qui évolue professionnellement avec les nouvelles technologies.
8
INTRODUCTION
fr/emissions/les-nouvelles-vagues/la-rencontre-25-point-de-rencontre-l-urbanisme-cree-l-occasion 3 DEBORD Guy, (1957), Guide psychogéographique de Paris. Discours sur les passions de l’amour. 4 Population née entre 1965 et 1980. C’est une génération qui n’a pas grandi avec internet mais
les Digital natives5 dans les années 2010. Les rencontres amicales ou amoureuses dans l’espace public n’ont de cesse de se complexifier. « Alors qu’autrefois, nous, les géographes, devions apprendre que les gens migraient vers la ville pour trouver un emploi, les économistes - du moins ceux de la Vrije Universiteit d’Amsterdam - ont finalement découvert que les gens ne déménageaient pas tant en ville pour trouver un travail que pour trouver un partenaire. ».6 Selon une étude Ifop pour CAM4 Le Mag7 de 2017, 11% des Parisiens ont rencontré leur conjoint sur une appli de rencontre, contre seulement 9% dans les espaces publics comme les parcs, la rue ou les transports en commun et 4% dans une manifestation, des activités culturelles ou sportives.8 L’architecte Soline Nivet ne manque pas de nous interroger sur les infrastructures numériques qui composent nos villes. Elle questionne ces architectures qu’on ne voit pas : la fibre, les antennes, les satellites. Pour concevoir, il faut commencer par « repenser les formes de nos dialogues, de nos débats »9. Les applications de rencontre impliquent une rencontre dans le temps, qu’il soit long ou court et dans l’espace, proche ou lointain, virtuel ou réel. Par conséquent, une pratique de l’espace a nécessairement lieu. Dans ce mémoire, l’objectif est de comprendre quels impacts les applications, au début du 21ème siècle, ont sur les pratiques et la structure des lieux de rencontre urbains, voir sur l’espace architectural.
INTRODUCTION
5
« Ils ont grandi avec Internet et sont donc ultra-connectés, exigeants, étudiants pour toujours et entrepreneurs de leur propre destin. » Le projet d’agglomération, Génération Z, URL : http:// www.lafabriqueduterritoire.fr/le-projet-d-agglomeration/generation-z/ 6 HEMMEL Zef, (8 septembre 2010), The City As A Marriage Market, Pop Up City, URL : https:// popupcity.net/observations/the-city-as-a-marriage-market/ 7 Magazine crée en 2017 par le site cam4.fr 8 KRAUS François, (16 novembre 2017), Comment trouve-t-on l’amour à Paris à l’heure de Tinder ?, Sondage IFOP. 9 NIVET Soline, (2021), Dans le contre-jour de nos applis, Pavillon de l’Arsenal, Exposition Beauté d’une ville, URL : https://www.pavillon-arsenal.com/fr/actualite/la-beaute-dune-ville/12057dans-le-contre-jour-de-nos-applis.html
9
Il est d’usage de se demander en quoi, à une période où la rencontre ne cesse de se complexifier, les applications de rencontres ont un impact sur les pratiques urbaines et la structure de la ville ? Nous dirigeons-nous vers une privatisation de la rencontre nous obligeant à requestionner en partie notre relation intime aux
10
INTRODUCTION
logements ?
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
11
12
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
CHAPITRE 1
LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION ’ ’ DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE ’
I.1. RESTRICTIONS, RÉGLEMENTATIONS ET RÉVOLUTIONS SEXUELLES : L’APPARITION DES APPLICATIONS DE RENCONTRE
a. Du Moyen Âge aux Années 80 : la sexualité à l’épreuve des normes sociales
Tout d’abord, avant de parler des applications de rencontre, il est nécessaire de parler de l’histoire des rencontres amoureuses et sexuelles. Aujourd’hui, la perception qu’ont les populations occidentales des sexualités n’a cessé d’évoluer, marquée par des restrictions, des réglementations mais aussi par des révolutions. Les applications en sont l’une des résultantes. Au Moyen Âge le rapport à la sexualité est complexe. Réprimé pour les femmes, il est encouragé pour les hommes. On parle du « nécessaire plaisir masculin »1. La relation entre sexualité et religion est contradictoire. Les rapports sexuels sont interdits une grande partie de l’année en raison du calendrier chrétien, ce qui n’empêche pas pour autant les prêtres de pratiquer les maisons de plaisir. Quant au sentiment amoureux, il est regardé comme une maladie mentale.2 Nous pourrions penser que les siècles suivants seraient marqués par une sexualité plus libre . Il n’en est rien. Les croyances prennent davantage de place dans la société et la sexualité est soumise à davantage de restrictions. À l’époque moderne, du 16ème au
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
18ème siècle, la sexualité est réprimée et encadrée dans le seul objectif matrimonial. Les bordels ferment. La chasteté et la fidélité sont des idéaux. À la fin du 18ème siècle, début du 19ème siècle, les moeurs évoluent. C’est alors que nous pouvons voir apparaitre des lieux de rencontres amoureux et/ou sexuelles qui prennent place hors du cadres « privés » ou « réservés »3 comme nous les nommerions aujourd’hui. Les jardins de Vauxhall de 1780 en Angleterre en sont le parfait exemple. Auparavant, comme l’évoque Lise Antunes Simoes dans son article sur le sujet, « les
1
STEINBERG Sylvie, (14 novembre 2018) Une histoires des sexualité // la grande H, Youtube, Le média, 49,28min. URL : https://www.youtube.com/watch?v=PKysXEpUfBg 2 LEBOUVIER Théo, (11 novembre 2019) Comment se pratiquait le sexe au Moyen Age : l’expo qui nous dit tout, Néon Mag, URL : https://www.neonmag.fr/comment-se-pratiquait-le-sexe-au-moyen-age-lexpo-quinous-dit-tout-513287.html 3 BOZON Michel, HÉRAN Francois, (1988), La découverte du conjoint. II. Les scènes de rencontre dans l’espace social, Edition Population, p 121-150
13
distractions ne sont pas si courantes et se résument vite aux soupers ou aux bals privés organisés entre voisins, à des pique-niques ou des sorties à la chasse, au bord de l’eau, etc. C’est plaisant, mais pas si palpitant non plus, surtout si on y rencontre tout le temps les mêmes personnes. ».4 Le jardin des plaisirs, son deuxième nom, est un lieu où la flânerie est encouragée. Les sphères sociales (tout de même aisées) se mélangent et les rencontres s’opèrent. C’était un lieu composé de recoins et de cachettes5 où les prostituées aimaient se rendre. Ainsi, les hommes trouvaient des prostituées mais également leur potentielle épouse puisque les femmes venaient pour briser les codes de la rencontre formelle. Au même moment en France, les maisons closes ouvrent de nouveau en 1804. La loi Marthe Richard du 13 avril 19466 marque leur interdiction et leur fermeture près de 150 ans plus tard. Le 19ème siècle est alors un siècle où la sexualité se révèle tout en faisant face aux conventions et répressions. Elle se pratique en cachette et si on en parle, c’est uniquement à des fins scientifiques. La société évoluera peu et ses normes seront rattachées à des schémas plus classiques en ce qui concerne la sexualité. Dans les années 60, on observe une libération des moeurs dans le monde occidental. Mouvement social, revendication, émancipation du corps, tous ont eu un impact sur l’occupation de la ville. Déjà, le mouvement Hippie aux États-Unis par ses rencontres hasardeuses sur les routes nous donne des indications sur la notion de liberté des échanges7. En France, lors des révolutions de Mai 68 a lieu la « libération sexuelle ». Une affirmation de l’égalité des sexes s’opère. La création de la contraception pour les femmes va de pair avec l’émancipation sexuelle. C’est l’avènement
À cette époque on continue à rencontrer des personnes proches de son cercle social et donc de son lieu d’habitation. Sinon, de manière plus rare, la rencontre se fait furtivement en lieu clos comme l’explique Philippe Gargov dans son article Les applis de rencontre vont-elles sauver la ville ? , « Plus que la rue elle-même, les espaces clos du bus ou du métro offrent en effet un potentiel de rencontres démultiplié : les regards se 4
SIMOES ANTUNES Lise, (07 août 2019) Vauxhall, le jardin des plaisirs, consulté le 21 novembre 2021, URL : https://www.liseantunessimoes.com/vauxhall-le-jardin-des-plaisirs/ 5 Illustration n°1 6 « La loi tendant à la fermeture des maisons de tolérance , dite loi Marthe Richard du nom de l’ancienne prostituée et ancienne résistante qui a obtenu en décembre 1945 la fermeture des maisons closes par le conseil municipal de Paris, est adoptée le 13 avril 1946. Elle pose l’interdiction, et donc la fermeture, des maisons de tolérance en France, en même temps qu’elle réprime plus sévèrement le proxénétisme. » GOUVERNEMENT.FR, Adoption de la loi dite Marthe Richard « tendant à la fermeture des maisons de tolérance » 7 Illustration n°2
14
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
de la sexualité indépendante du mariage et de la procréation.
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
illust. 01 J.S. Muller d’après S. Wale, Mr. Handel’s Statue &c. in the South Walk of Vauxhall Gardens, Gravure, 1840 (collection de David Coke).
15
16
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
illust. 02 Keystone, Hippies In Goa, Photographie, 1970
croisent plusieurs minutes durant, contrairement à la rue où le flirt ne dure parfois que le battement d’un cil ».8 Il est néanmoins important de noter, que dans le cadre de mai 68, il s’agit d’abord d’une libération des moeurs hétérosexuelles. C’est seulement dans les années 70 qu’apparaissent des Groupes de Libération Homosexuelle afin de lutter contre l’homophobie notamment. C’est pourquoi lors de l’exposition Cruising Pavillon9 à Venise en 2016, les commissaires d’exposition avaient pour objectifs de « mettre en évidence la production hétéro-normée de l’architecture tout en célébrant les poches de liberté que sont les clubs, les parcs, les toilettes publiques ou les saunas. »10. En 1988, une étude de Michel Bozon et François Héran est publiée, dessinant « Le triangle des rencontres » dans le cadre de leur ouvrage, La découverte du conjoint. Ils y répertorient les lieux de rencontres en fonction des classes sociales. On trouvera des espaces dédiés comme les bals, les boîtes de nuits, les lieux publics ou encore le travail ou les soirées entre amis. Ils seront catégorisés comme espace « privé », « réservé » ou « public ». On comprendra que « n’importe qui ne rencontre pas son conjoint n’importe où. Une opposition majeure se dessine entre les espaces fermés ou réservés, où se rencontrent préférentiellement les classes supérieures, et les lieux publics, ouverts à tous, où se forment surtout les couples d’origine populaire »11. Malgré les révolutions, les normes
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
sont encore enracinées. Les applications sont une forme de condensé de toutes ces révolutions : il y en a pour tous les types de personnes, on y fait des rencontres amoureuses comme sexuelles. Elles brisent les frontières sociales et par conséquent elles modifient, en partie, les lieux de rencontre prédéfinis dans le triangle amoureux de 1988.
8
GARGOV Philippe, (10 mais 2016), Les applis de rencontre vont-elles sauver la ville ?, POP-UP URBAIN, Consulté le 2 décembre 2021, URL : https://www.pop-up-urbain.com/les-applis-de-rencontre-vontelles-sauver-la-ville/ 9 Illustration n°3 10 MATEOS Pierre-Alexandre, MYRUP Rasmus, PERRAULT Octave, TEYSSOU Charles, (2018), Crusing Pavillon, Venise, Italie. 11 BOZON Michel, HÉRAN Francois, (1988), op. cit p.13
17
18
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
illust. 03 Pierre-Alexandre Mateos,Charles Teyssou, Rasmus Myrup, Octave Perrault Crusing Pavillon, 2019
b. Des agences matrimoniales et petites annonces au minitel et applications de rencontres : à l’écart des terrains de rencontre traditionnels
Alors même que l’on s’attache à répertorier les lieux de rencontres physiques et que l’on observe des tendances en fonction des classes sociales, un outil s’apprête à révolutionner les échanges ; le Minitel1. Commercialisé en 1982, il apparaît au moment de la révolution numérique. On peut lire dans un article de France Inter que « un an seulement après son lancement, 30 % des connexions étaient dirigées vers les services libertins et messageries de rencontres »2. On donnera à cet outil de rencontre le nom de minitel rose. Ce sont les services de presse qui vont lancer les premières messageries instantanées car la plupart s’inquiètent de la concurrence que ces dernières pourraient faire à la presse papier. En réalité, les rencontres effectuées par le biais d’un intermédiaire, physique ou virtuel, ne sont pas chose nouvelle. Dès le Moyen Âge, la profession de courtage matrimonial existait déjà. Cette profession servait à mettre en relation deux personnes dans l’objectif d’un mariage éventuel. Plus tard, au 19ème siècle, avec l’avènement de la presse, sont apparus les journaux dédiés aux annonces matrimoniales. Cette coutume, bien qu’elle ne soit plus automatiquement destinée au mariage, perdure.3 Seulement, ces outils ne se sont jamais démocratisés à l’inverse des applications de rencontre. La révolution à l’époque du minitel, c’est l’anonymat, « On assistait à l’émergence d’un
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
nouveau protocole de rencontre sur écran, fondé sur une communication interactive et anonyme. ». Les échanges se font aux quatre coins de la France avec des personnes dont on ne connaît, au premier abord, pas l’identité. Ainsi, les milieux sociaux se mélangent et les localisations sont floues. Comme l’évoque Josiane Jouët dans cet entretien avec Jamil Dakhlia et Géraldine Poels, une personne habitant à Dunkerque pouvait communiquer avec une autre habitant à Marseille. Là où les agences matrimoniales ou les presses spécialisées restaient locales. « Cela étant, il y avait des gens capables de traverser toute la France pour rencontrer des correspondants du minitel »4.
1 2
Illustration n°4 BOUBEKEU Nacer, (28 juillet 2016), Le minitel rose : un objet oublié du numérique, France Inter,
URL : https://www.franceinter.fr/societe/minitel-rose 3 POLYGAMOU, (31 octobre 2020) Petite annonce de rencontre, Wikipédia, URL : https://fr.wikipedia. org/wiki/Petite_annonce_de_rencontre 4 DAKHLIA Jamil, POELS Géraldine, (2012), Le minitel rose : du flirt électronique... et plus, si affinités. Entretien avec Josiane Jouët, Le temps des médias, n°19 p221-228, URL : https://www.cairn. info/revue-le-temps-des-medias-2012-2-page-221.htm
19
20
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
illust. 04 EMI, Le Minitel, 2015
Josiane Jouët distingue trois types d’utilisateurs du Minitel : celui dont la recherche était explicitement pour « de pures rencontres sexuelles », l’échange était court et clair, celui dont « la motivation était le désir de rencontre », l’objectif étant la rencontre réelle qu’elle aboutisse ou non et enfin celui « de personnes qui ne voulaient surtout pas rencontrer des interlocuteurs », faisant de leurs imaginaires et de leurs fantasmes des lieux de rencontre personnels et fictifs. On retrouve ces types de profils lorsque l’on s’intéresse aux utilisateurs d’application ou de site de rencontres aujourd’hui. Les applications de rencontres ont en commun avec le Minitel leurs types d’utilisateurs mais aussi la liberté qu’elles offrent dans les échanges. Il est possible pour tout à chacun de communiquer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit via un service de communication instantanée. Néanmoins, avec les applications, deux nouveaux facteurs déterminants pour la rencontre apparaissent. D’une part l’utilisation de photographies et d’autre part la géolocalisation. Aujourd’hui, dans le cadre de la révolution digitale, la société fait face à une baisse du prix d’internet et une mise à disposition d’équipement de masse comme les smartphones ou les ordinateurs. Il est désormais possible de se connecter partout, tout le temps. Joel Simkhai, fondateur de Grindr, première application sur smartphone crée en 2009, déclare dans une interview que « Les sites [de rencontre sur Internet], ce n’est pas la vraie vie. Tu es seul chez toi, assis devant un écran d’ordinateur, tu trouves ça drôle ? Grindr
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
ça tient dans la poche, tu peux l’utiliser en marchant, au restaurant, à la salle de sport, quand tu pars à l’étranger, dans le bus, quand tu fais la queue dans un magasin, quand tu vas à un concert… Grindr t’accompagne dans ta vie de tous les jours et c’est ce qui fait la grosse différence. Pour en revenir aux sites de rencontre sur Internet, je pense qu’ils ne résolvent que 30% de la demande de base des consommateurs, à savoir rencontrer un autre mec. Avec Grindr, ce ratio est largement augmenté »5. Si tous ces outils des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ont bouleversé nos modes de rencontre, certains auteurs comme Bruce Benderson, auteur du livre Sexe et solitude, s’accordent à dire que la société, ses normes et les 5
GARGOV
(minorités),
Philippe,
POP-UP
(29
URBAIN,
octobre URL
:
2012),
Géolocalisation,
du
flirt
urbain
au
baise-en-ville
https://www.pop-up-urbain.com/du-flirt-urbain-au-baise-en-ville-
minorites/
21
évolutions technologiques ont mené à une forme de standardisation de la sexualité et des rencontres puisque « La fermeture du centre ville représente la solitude de tous. L’abandon du corps appelle l’isolement. Le triomphe du fantasme pur »6. Il est néanmoins important de noter que l’auteur effectue cette analyse à une époque où les applications de rencontre sur smartphone n’existaient pas encore. Dans son livre il évoque uniquement le minitel et les sites de rencontres. Qu’il s’agisse des profils d’utilisateurs ou de l’impact sur l’espace et le temps de la rencontre, les applications ont
6
BENDERSON Bruce, (2001), Sexe et solitude, Mirages Poche, p-13
22
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
à l’inverse bouleversé les normes établies.
I.2. REPÉRER LES POPULATIONS TOUCHÉES PAR L’ÉMERGENCE DES APPLICATIONS DE RENCONTRE.
L’ensemble de ce mémoire a été réalisé grâce à des entretiens et complété par le biais de références théoriques. Avant d’évoquer les méthodes de mise en oeuvre du questionnaire qui ont permis l’élaboration de ce mémoire, il est important de comprendre quels ont été les enjeux et les critères de sélections des personnes interrogées. Pour préserver leur anonymat, leurs prénoms ont été modifiés.
a. Paris, villes des premiers usages et à la forte densité
Tout d’abord, dans le cadre de ce mémoire en architecture, il était primordial de définir une zone géographique. Ville versus zone rurale fut le premier questionnement. J’ai choisi d’étudier la ville pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, la ville est sexuelle. La série Sex and the city diffusé pour la première fois 1998 en est, de par son titre et son contenu, l’exemple le plus populaire. Zef Hemel, géographe explique que « les gens ne déménageaient tant en ville pour trouver un travail que pour trouver un partenaire »1.
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
Dans un second temps, même si le lien entre la ville et la sexualité reste peu théorisé, il l’est davantage que le lien entre ruralité et sexualité. Enfin, les applications de rencontre et leurs usages ont d’abord vu leur popularité se développer en ville. Même si on observe aujourd’hui un bouleversement de l’ordre établi. L’étude réalisée par l’Ined en 2016, Sites de rencontres : qui les utilise en France ? Qui y trouve son conjoint ?, révèle que « alors qu’au milieu des années 2000, la fréquentation des sites de rencontres était très urbaine, et notamment parisienne, elle s’est depuis répandue à travers le pays »2.
1 2
HEMMEL Zef, (8 septembre 2010), op. cit p.9 BERGSTRÖM Marie, (Février 2016), Sites de rencontres : qui les utilise en France ? Qui y trouve
son conjoint ?, Ined, numéro 530, Population & Sociétés, bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques
23
C’est pourquoi, j’ai décidé de m’intéresser particulièrement à Paris et plus globalement l’Île de France. Étant née en banlieue parisienne et résidant à Paris intramuros depuis maintenant 2 ans, il me semblait plus simple d’obtenir des contacts pour répondre à mon enquête. Aussi, les lieux décrits lors des entretiens sont des lieux dont j’ai connaissance. Il est probable que je les ai pratiqués et il n’est pas exclu que je puisse m’y rendre un jour. L’Île de France est un cas particulier en France lorsque l’on évoque les applications de rencontre. Comme nous l’avons évoqué brièvement auparavant, les applications de rencontre sont fondées sur la géolocalisation. Les utilisateurs sont soit soumis à un périmètre, soit ils définissent eux-mêmes le périmètre maximum de recherche. C’est alors que l’on comprend que la géolocalisation est intrinsèquement liée à la question de la densité en ville. Si nous prenons le cas de Grindr, l’application propose un certain nombre de profils maximum, si les utilisateurs en veulent plus, ils doivent payer. En ville, les utilisateurs étant plus nombreux, le périmètre sera par définition plus restreint. À l’inverse, en milieu rural la densité de personnes étant moins importante au km2, l’utilisateur sera logiquement mis en relation avec des personnes plus éloignées géographiquement de lui. C’est le même principe pour les applications moins restrictives dans le nombre de profils leur cercle de localisation en ville car le nombre de profils proposés est suffisamment conséquent. En milieu rural, les utilisateurs augmenteront leur cercle de localisation afin de toucher plus de personnes. En 2018, les trente quatre premières villes les plus denses de France se situent en Île de France3. C’est pourquoi il m’a semblé cohérent de m’intéresser à ce territoire. Nous verrons au cours de ce mémoire que la diversité des territoires qu’offre l’Île de France va de pair avec la diversité des pratiques, des modes de déplacements et donc des rencontres amoureuses.
3
WIKIPEDIA, Liste des communes de France les plus denses, Consulté le 10 janvier 2022, URL :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_communes_de_France_les_plus_denses - Illustr. n°5 -
24
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
présenté, comme Tinder, Fruitz ou Bumble. Les utilisateurs auront tendance à restreindre
DENSITE DE POPULATION
Cergy
Nombre d'habitants à l'hectare
Domont
Eragny
SaintLeu-laForêt
Taverny
Villiersle-Bel ConflansSainteHonorine
Verneuilsur-Seine
TrielsurSeine
Saint-Bricesous-Forêt
Herblay MontignylèsCormeilles
Chanteloup- Andrésy les-Vignes
Eaubonne
Franconville
Sarcelles
Ermont
Achères
Cormeillesen-Parisis
Sannois
MaisonsLaffitte
CarrièressousPoissy
Saint- EnghienGratien les-Bains
Argenteuil Gennevilliers
Chatou
Dugny
10e
8e
Saint-Cloud
Fontenayle-Fleury SaintCyrl'Ecole
Bois-d'Arcy
Meudon
Viroflay
Trappes
Villemomble
Vincennes
Gentilly Le KremlinBicêtre
Le PlessisRobinson
Cachan Bourgla-Reine
Ivry-surSeine
Villejuif
Le PerreuxsurMarne
ChâtenayMalabry
ChevillyLarue
Voisins-leBretonneux
Fresnes Verrièresle-Buisson
Bry-surMarne
Thiais
Champssur-Marne
Noisiel
ChennevièressurMarne
Saint-Maurdes-Fossés
Ormessonsur-Marne
Bonneuilsur-Marne
Le PlessisTrévise
La Queueen-Brie
PontaultCombault
Roissyen-Brie
Sucy-en-Brie
Choisy-le-Roi
Ozoir-laFerrière
Valenton VilleneuveSaintGeorges
Orly
BussySaintGeorges
Lognes
ChampignysurMarne
Antony
Igny
Noisyle-Grand
Torcy
Villierssur-Marne
Joinvillele-Pont
Créteil
L'Haÿles-Roses
Sceaux
Neuillysur-Marne
Fontenaysous-Bois
MaisonsAlfort
Vitrysur-Seine
LagnysurMarne
Vairessur-Marne NeuillyPlaisance
Nogentsur-Marne
SaintMaurice
Chelles
Gagny
RosnysousBois
Bagneux Fontenayaux-Roses
Guyancourt
Charentonle-Pont
Arcueil
Châtillon Clamart
VélizyVillacoublay Montigny-leBretonneux
Maurepas
Sèvres
SaintMandé
12e
Montfermeil
Le Raincy
13e
14e Issy-lesVanves Moulineaux Malakoff Montrouge
Chaville Versailles
5e
15e BoulogneBillancourt
Clichysous-Bois
Les Pavillonssous-Bois
Montreuil
20e
11e
4e 6e
Garches
Le PréSaintGervais Les Lilas Romainville Bagnolet
3e
7e La CelleSaint-Cloud
Bondy Noisy-le-Sec
2e 1er
16e
Ville-d'Avray
19e
17e 9e
Claye-Souilly
Villeparisis
Sevran
Livry-Gargan
Bobigny Pantin
18e
Suresnes
Le Chesnay
AulnaysousBois
Aubervilliers
Saint-Ouen Clichy
LevalloisPerret
Neuillysur-Seine
Puteaux
Le BlancMesnil
Le Bourget
AsnièressurSeine
Courbevoie
Sources : Recensement de la Population (INSEE) - 2015
La Courneuve Drancy
La GarenneColombes Nanterre
RueilMalmaison
Marlyle-Roi
Elancourt
Mitry-Mory
Villepinte
Villeneuvela-Garenne
Colombes
Carrièressur-Seine Le Pecq Le Vésinet
Tremblayen-France
Gonesse
Stains
Montesson
SaintGermainen-Laye
Les Clayessous-Bois
Arnouvillelès-Gonesse
Garges-lèsGonesse
PierrefittesurSeine
Saint-Denis
Bezons
Houilles
Deuil-laBarre Montmagny
Epinaysur-Seine
Sartrouville
Poissy
Plaisir
plus de 500 de 250 à 500 de 100 à 250 de 50 à 100 de 25 à 50 moins de 25 Les emprises des principaux équipements et espaces verts, ainsi que les IRIS non significatifs apparaissent en gris.
Goussainville
Jouy-leMoutier
BoissySaintLéger
LimeilBrévannes
Villeneuvele-Roi Massy Palaiseau Gif-surYvette
Yerres ChillyMazarin
Orsay
Morangis Villebonsur-Yvette Longjumeau
Les Ulis
Savignysur-Orge
EpinaysurOrge Morsangsur-Orge
Vigneuxsur-Seine Brunoy
JuvisysurOrge
Montgeron
ViryChâtillon
SainteGenevièvedes-Bois
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
Athis-Mons
BrieComteRobert
EpinaysousSénart
Draveil
Grigny Combsla-Ville
Ris-Orangis Evry
illust. 05 APUR, Densité de population en Île de France, 2015
25
0
3Km
ASE
SaintOuenl'Aumône
Vauréal
b. De 18 à 60 ans ; plus vraiment une affaire de génération…
Selon une étude de l’Ined publiée en 2016, toutes les tranches d’âge sont touchées par l’émergence des applications de rencontre. En effet si les taux sont différents, les usagers n’en sont pas moins disparates. 29% des 26-30 ans utilise les applications quand c’est le cas pour 12% des 45-50 ans et 3% pour les 61-65 ans. Ces résultats datent de 2016 mais nous pouvons bien entendu supposer que ces chiffres n’ont cessé d’augmenter en cinq ans. La digitalisation de nos vies quotidiennes et professionnelles, la pandémie de Covid 19 y ont potentiellement participé. Comme le dit l’autrice Marie Bergstorm, les applications sont définitivement « entrées dans les moeurs »1. Dans son livre Les nouvelles lois de l’amour ; sexualité, couples et rencontre au temps du numérique2, elle explique que, malgré tout, les premières rencontres amoureuses se déroulent quant à elles hors des applications. C’est pour cette raison que j’ai choisi de ne pas interroger de personnes de moins de 18 ans et cela même si j’ai pu remarquer que ces générations ne sont pas complètement absentes des applications. Lors des entretiens réalisés, Paul, 24 ans déclare qu’il s’était inscrit sur les applications dès le lycée, soit à l’âge de 17 ans. L’usage des 18 à 25 ans est quant à lui le plus important car nous sommes nés avec ces outils3. « Il s’agit là d’une génération socialisée tôt aux pratiques numériques et avec un usage extensif d’Internet. »4. Nous verrons par la suite qu’il s’agit d’une catégorie que je
Pour les personnes de 40 ans et plus, elles sont de plus en plus représentées sur les applications même si j’ai pu établir le constat que beaucoup se référaient encore aux sites de rencontres. Nous verrons dans un second temps, qu’il a été plus compliqué d’accéder à ces populations. Ces résultats, même s’ils me semblent parfaitement représentatifs, m’ont posé question.
1 2
BERGSTRÖM Marie, (Février 2016), op. cit p.23 BERGSTRÖM Marie, (2019), Les nouvelles lois de l’amour - Sexualité, couple et rencontres au
temps du numérique, La découverte, Revue Problemes politique Et Sociaux p.228 3 4
Illustration n°6 BERGSTRÖM Marie, (Février 2016), op. cit p.23
26
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
n’ai pas eu de mal à trouver et à interroger pour mon enquête.
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
illust. 06 Babycakes Romeo, The Death Of Conversation , Photographie, 2014
27
Il est tout de même étonnant de remarquer que ce sont les jeunes, ayant pourtant le plus accès à la rencontre dans le réel, qui sont les plus grands utilisateurs d’application. Ils sont très férus des nouvelles technologies, c’est un fait. Néanmoins ils se déplacent dans les bars, les boîtes de nuit, font de nouvelles connaissances dans le cadre scolaire et rencontrent des amis d’amis. C’est bien moins le cas pour les 40 ans et plus. Cette génération née dans les années 60, à l’époque de la révolution sexuelle est également celle qui connaît le boom des divorces. C’est alors qu’ils choisissent les applications pour rencontrer des personnes hors de leur cercle social. Notamment parce qu’ils ne se déplacent plus dans les bars ou les boîtes. Marion, 48 ans déclare « Maintenant, alors c’est aussi l’âge mais quand tu es à la fac ou à l’école tu fais plein de rencontres. Quand tu débutes dans la vie active aussi mais après quand tu prends un rythme ou tu restes toujours dans la même boite, c’est toujours les même collègues… même en faisant des sorties, si tu vas au resto tu es accompagné de tes amis. On rencontre plus. Avant on rencontrait dans les boîtes quand je sortais à la limite quand t’es plus jeune. Mais après en vieillissant c’est plus compliqué ». C’est pourquoi je suis arrivée au constat que c’était principalement les usages qui différaient en fonction de l’âge et non pas nécessairement le type d’application. En effet, la recherche ne sera pas la même. Quand les 18-30 auront tendance à flirter ou à chercher des relations occasionnelles, les 40 ans et plus se tourneront vers un usage plus conventionnel afin de trouver une relation plus durable. Cela aura nécessairement rencontre physique. C’est également le cas en fonction des sexualités.
c.
…ni de sexualité
Dans son article Géolocalisation, du flirt urbain au baise-en-ville, Philippe Gargov déclare qu’on « ne vit pas la géolocalisation de la même façon selon qu’on soit homo ou hétéro, pour d’évidentes raisons d’ostracisme (de même pour les questions de genre, mais c’est une autre histoire) »1. Lorsque j’ai débuté mon mémoire j’avais pour idée de ne pas segmenter les lieux de 1
GARGOV Philippe, (29 octobre 2012), op. cit p.21
28
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
un impact sur le type d’échange dans l’espace virtuel mais également sur le lieu de la
rencontres en fonction des genres ou des sexualités. Je me suis rapidement aperçue que cela serait inévitable car, en effet, les lieux de rencontre et les pratiques de ces lieux ne sont historiquement pas les mêmes chez les personnes hétérosexuelles ou homosexuelles. Avant même l’apparition des applications de rencontre, cette différenciation avait lieu. Alors que les homosexuels avaient et ont toujours des lieux bien définis lorsqu’ils souhaitent se rencontrer, ce n’est pas le cas chez les hétérosexuels. Saunas, bars, boîtes de nuits, parcs, toilettes publiques; les lieux sont multiples, divers et connus de tous. Chez les hétérosexuels la rencontre se fait davantage dans le cadre des études, du travail ou dans un cadre « réservé »2, c’est à dire chez des amis. On ne drague pas, ou pas de manière immédiate et visible. Lorsqu’ils vont en boîte de nuit ou dans des bars, ce n’est jamais explicitement pour rencontrer quelqu’un. Les hétérosexuels sortent dans le cadre d’une soirée entre amis et cela même s’ils ont implicitement le souhait de rencontrer quelqu’un, tandis que les homosexuels partent en cruising3 . Aussi, les hétérosexuels définiront plus difficilement une rencontre comme étant purement sexuelle. Si les lieux de rencontres et/ou les usages ont toujours été différents, cette doctrine s’est confirmée avec l’utilisation des applications de rencontre. Les entretiens n’ont eu de cesse de le montrer. C’est pourquoi je prendrai soin tout au long de ce mémoire de noter les différences et similitudes. Il est important de rappeler que la première application de rencontre fut Grindr et que cette dernière est réservée à la population homosexuelle. Même si les futures applications comme Tinder feront d’autres choix en ce qui concerne la précision de la localisation afin de cibler une population plus
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
large, c’est Grindr qui imposera le modèle de base. C’est pourquoi lors de mon recrutement, j’ai eu à coeur de trouver des personnes de tous les âges, tous les genres et toutes les sexualités afin d’obtenir une vision la plus globale possible. J’ai néanmoins été confrontée à plusieurs difficultés. J’ai réalisé que j’avais facilement trouvé des hommes (nés homme) et des femmes (nées femme) hétérosexuels qui acceptaient de me parler. De même pour les hommes (nés homme) homosexuels. Cependant je n’ai pas réussi à interviewer de femmes (nées femme) lesbiennes. Je n’ai pas non plus eu la possibilité d’interroger des personnes bisexuelles, 2 3
BOZON Michel, HÉRAN Francois, (1988) op. cit p.13 « La drague foule de ses pas une ville qui la refoule à des emplacements clos et confinés, par exemple,
les établissements à guichets fermés comme ceux des « quartiers rouges » à Amsterdam ou du « milieu gay », ou plus largement les lieux publics mais policés des bars, des bals ou des discothèques. À l’inverse, le mot « cruising » évoque l’exploration désirante d’un espace ouvert au potentiel d’une rencontre hors pair et hors-cadre. » GAISSAD Laurent, 2021, «Drague entre hommes». In Kaduna-Eve DEMAILLY, Jérôme MONNET, Julie SCAPINO, et Sophie DERAEVE (Dir.), Dictionnaire pluriel de la marche en ville, Paris, L’œil d’or, p. 107-109.
29
trans, queers, intersexes ou asexuelles. Le temps court du mémoire était l’une des contraintes. Elle n’est pourtant pas la seule. Les lesbiennes ne sont pas moins représentées sur les applications. Il existe effectivement des applications qui leurs sont dédiées comme Wapa. Néanmoins, elle ne connaît pas la même expansion que Grindr pour les hommes. On voit ici que les normes de genres sont encore bien présentes. Si les hommes, qu’ils soient gays ou hétéros, parlent facilement et ouvertement de leur sexualité en société, c’est moins le cas pour les femmes. La sexualité féminine a longtemps été et reste toujours un tabou dans la société. Les lesbiennes, à défaut d’être moins représentées, se rendraient moins visibles et donc moins accessibles. Pour trouver le plus de personnes possible, j’ai pourtant tenté
30
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
d’entrer en contact par de multiples médiums.
I.3. ALLER À LA RENCONTRE DES UTILISATEURS.
C’est ainsi, après avoir défini mon terrain et les populations qui m’intéressaient, que j’ai réalisé une série d’interviews informelles fondée sur une grille d’entretien. J’ai également tiré parti de mes expériences personnelles. Dans cette partie nous ne citerons pas l’ensemble des questions mise en oeuvre dans la grille d’entretien (visible en annexe) puisque ce mémoire en est la résultante, néanmoins nous chercherons à comprendre quelles ont été les stratégies mise en oeuvre et les problématiques rencontrées pour atteindre ma cible.
a. Questionnaire et mise en oeuvre
Tabou, honte, gêne, malaise sont les sentiments que peuvent avoir certaines personnes lorsque l’on évoque la question de la sexualité. Il semble compliqué de pouvoir se livrer de manière complètement transparente. C’est pourquoi j’ai dû adopter des stratégies afin d’aborder la question, de la façon la plus légère possible. Du moins, de prime abord. Dans un premier temps, pour trouver des personnes à interroger j’ai utilisé mon cercle social « secondaire ». J’appelle mon cercle social « secondaire » celui des personnes qui ne sont pas mes amis proches. Ce sont les amis, d’amis. Autrement dit, des personnes que je ne connais pas suffisamment pour porter un quelconque jugement ou effectuer CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
de conclusions hâtives. Quant à elles, elles pourront potentiellement se livrer plus facilement à quelqu’un qu’elles ne connaissent pas. Puisqu’il s’agissait de trouver des personnes connectées et friandes de l’utilisation des smartphones, j’ai tout d’abord réalisé un post via le réseau social Instagram. Ce post pouvait être relayé en story Instagram par moi-même mais également par mes amis. Ce choix s’est porté sur Instagram car il a l’avantage de transmettre l’information rapidement. En effet, 24h après la publication de mon post, j’avais reçu une vingtaine de réponse d’amis me proposant des contacts ou de personnes que je ne connaissais pas. Il a alors fallu faire un premier tri afin de cibler les personnes habitant ou ayant habité à Paris. Le principal avantage mais aussi inconvénient de cet outil fut l’âge des personnes. En effet, sur quinze personnes interrogées pour cette enquête, 40% proviennent de ce
31
réseau. Néanmoins la totalité était âgée de 19 à 26 ans maximum. C’est alors que j’ai cherché de nouvelles manières de cibler des personnes âgées de 40 ans et plus. J’ai fait appel à mon cercle proche et utilisé le « bouche à oreille ». Ainsi certaines personnes appartenant à la famille de mes amis ou des amis de ma famille ont accepté de me répondre. À la suite de certains entretiens, certains interrogés m’ont également proposé de me mettre en contact avec d’autres personnes de leur tranche d’âge. Ainsi j’ai pu réaliser des entretiens avec des personnes de 40 à 60 ans. Au travers de ces différents médiums nous pourrions nous demander pourquoi je ne suis pas allée directement sur les applications de rencontre, mon principal terrain d’enquête. Concernant ma tranche d’âge, et nous le verrons dans une seconde partie, j’ai fait l’expérience des applications avec mon propre profil. J’ai choisi dans un dernier temps de m’inscrire sur les applications en sélectionnant un filtre de recherche pour des personnes âgées de 34 à 65 ans. J’indiquais être à la recherche de femmes comme d’hommes afin de toucher une cible la plus large possible. J’ai ainsi créé un profil spécifique sur l’application Tinder tout en notifiant que j’effectuais un travail de recherche. J’ai en partie réussi à entrer en contact avec des personnes mais cela n’a pas abouti à l’entretien final. La sécurité mise en oeuvre sur les applications est très importante. Mon profil ayant probablement été signalé et l’application m’ayant repéré comme n’étant pas un profil conforme, mon compte a été radié et c’est ainsi que
Si le recrutement de personnes fut long et laborieux, les échanges se sont avérés particulièrement intéressants. J’avais dans l’idée de réaliser un entretien semi-directif. En réalité je me suis aperçue que même si j’avais une idée des questions que j’allais poser, il était rare que je suive réellement la grille d’entretien réalisée. Au fur et à mesure des interviews mes questions se précisaient et j’abordais de nouveaux sujets. En réalité les échanges étaient le plus souvent des conversations. Patrick Bruneteaux et Corinne Lanzarini ont écrit sur ce qu’ils appellent « les entretiens informels »1. Ils les différencient des entretiens semi-directifs dans le sens où « par une méthode de conversation orientée, le sociologue s’éloigne du guide d’entretien pour se rapprocher de l’interaction ordinaire des «classes populaires» et établir une relation de commune humanité. ».
1
BRUNETEAUX Patrick, LANZARINI Corinne, (1998), Les entretiens informels, Sociétés contemporaines.
32
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
j’ai perdu les deux contacts avec lesquels j’avais entrepris des premiers échanges.
Adopter un mode d’entretien informel répond à une problématique qui est celle que j’ai déjà évoquée ; réussir à faire parler des personnes sur le sujet de la sexualité et de l’espace. D’autant plus qu’au cours de ce mémoire, nous abordons des sujets intimes lorsque l’on évoque la question de la privatisation. Aussi, j’ai pensé en démarrant cette enquête qu’il serait difficile de trouver des interlocuteurs car peu assument d’utiliser les applications de rencontre. En effet, les chiffres de l’Ined montrent que « seuls la moitié des utilisateurs disent facilement à leur entourage qu’ils s’y sont inscrits. Les autres affirment le contraire (28 %) ou déclarent que cela dépend des personnes (21 %) »2. Au cours de la réalisation de ce mémoire et même si j’ai en effet ressenti qu’il n’était pas simple pour certains de revendiquer l’utilisation des applications, j’ai remarqué que très peu s’en cachaient. Lola, 19 ans déclare par exemple « Je sais qu’il y a encore énormément de personnes de ma génération qui ont encore un blocage avec ce genre d’application mais moi je vois pas pourquoi je devrais avoir honte d’utiliser ces applis et d’être vue avec quelqu’un. » Quant à Denis 58 ans résidant à Epinay-sur-Seine dans le 93, à la question « quand tu faisais tes rendez-vous à Enghien les Bains, est-ce que tu te posais la question de l’anonymat ? Dans l’idée que sur Enghien tu pouvais croiser des gens que tu connaissais ? », il répond «
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
non non pas du tout. De mémoire non, ce n’est pas quelque chose qui m’a gêné ». J’ai d’abord pensé que les échanges avec les amis de mes parents seraient les plus complexes et qu’ils n’aboutiraient à rien de constructif. Je pensais qu’ils n’arriveraient pas à me parler ouvertement. Il n’en fut rien. En utilisant des techniques comme le tutoiement, l’appropriation, l’assimilation des histoires ou parfois en évoquant le sentiment de surprise, j’ai réussi à obtenir des informations très intéressantes, répondant parfaitement au sujet. Lors des entretiens j’ai ainsi adopté deux personnages presque opposés afin d’obtenir le plus d’informations possibles ; celui de la « bonne copine » à qui il est simple de raconter son histoire et celui de l’étudiante réalisant un mémoire permettant de donner un cadre
2
BERGSTRÖM Marie, (2019), op. cit. p.26
33
presque « scientifique » à l’échange. Aussi je me suis investie dans l’enquête en me questionnant sur mon propre personnage quotidien, celui de l’étudiante de 24 ans qui pratique les applications de rencontre.
b. Une pratique personnelle des applications
Les applications de rencontre ne sont pas un sujet nouveau en ce qui me concerne. En effet, j’ai commencé à les utiliser dès l’âge de 19 ans. Il y a un presque un an, j’ai décidé de traiter mon mémoire en architecture sur ce sujet et je savais qu’utiliser mon expérience personnelle serait un atout comme un inconvénient. Un atout car je pourrais analyser mes expériences mais un inconvénient car je me posais la question de la subjectivité. C’est alors que j’ai compris l’utilité de mon journal de terrain. Dans le chapitre Être affecté du livre Désorceler, Jeanne Favret-Saada explique que « Dans les rencontres avec les ensorcelés et les désorceleurs, je me laissais affecter, sans chercher à enquêter, ni même à comprendre et à retenir. Rentrée chez moi, je rédigeais une sorte de chronique des événements énigmatiques (il se produisait parfois des situations chargées d’une intensité telle qu’elle me rendait impossible cette prise de notes a posteriori). Ce journal de terrain qui fut longtemps mon unique matériel (…) »1. C’est en effet la position que j’ai décidé d’adopter. Après chacun des échanges ou des téléphone. En effet, cet outil qui m’accompagne partout et qui est également le support des applications me semblait être le plus accessible. Je suivais un processus dans lequel j’indiquais le nom de la personne, son âge ainsi que la date, l’heure et le lieu de notre rencontre. Par la suite je précisais les différents choix effectués lors du rendez-vous. Je notais le plus souvent les hésitations, les discussions, les choix dans notre manière de prendre place dans le lieu, le temps de la rencontre, etc. En parallèle, je notais mes stratégies personnelles et les choix que j’effectuais avant même la rencontre. J’ai également eu l’avantage d’expérimenter les applications dans deux villes : Lille et Paris. C’est en comparant l’utilisation des applications en fonction de ces deux villes que 1
FABRET-SAADA Jaenne, (2009), Désorceler, Chapitre « Être affecté », Edition de l’Olivier, p153
34
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
premiers rendez-vous que j’effectuais, j’écrivais ou j’enregistrais une note vocale sur mon
j’ai questionné le rapport entre applications de rencontre, ville et densité. Même si ce fut également le cas en vacances, l’utilisation de ces applications dans un tel cadre apparaît davantage comme un événement dans la ville, nous y reviendrons plus tard. Enfin, Jeanne Favret-Saada nous parle des anthropologues qui se contentent de faire de « l’observation participative »2. À défaut de me contenter d’une simple observation, c’est ma pratique qui m’a permis d’être objective dans mes analyses. Sans cette expérience du terrain lui-même, j’aurais probablement établi des questionnements et constats superficiels, tant sur ce que je pouvais observer dans l’espace public que dans les
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
entretiens que j’ai réalisés.
2
Ibid.
35
CHAPITRE 1 LES APPLICATIONS, UNE REVOLUTION DE LA RENCONTRE AU 21EME SIECLE.
36
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
37
’
UNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
« L’identification de ces trois registres de la perception, visualité, mouvement et temporalité, porte à penser que le terme cruising désigne à la fois une expérience de l’espace et
38
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
CHAPITRE 2
l’espace de cette expérience. » - Emmanuel Redoutey
II.1. L’ARCHITECTURE DE L’OPENSOURCE : THE NEW SEX AND THE CITY
Sex and the City est une série américaine représentant quatre femmes à la recherche de l’amour. Carry, Charlotte, Miranda et Samantha vivent à New York1. L’objectif n’est pas d’analyser l’oeuvre de Darren Star, mais de déceler les similitudes entre cette série populaire qui se déroule dans la ville dite de « tous les possibles et de tous les désirs », et l’utilisation des applications de rencontre. Pour exemple, nous avons défini précédemment les applications comme étant des espaces tirant profit de la densité d’une ville, c’est également le cas pour Manhattan puisque Rem Koolhaas2 décrit son architecture comme « le paradigme de l’exploitation de la densité »3. À l’image de la série, il s’agit, au travers des applications, de mettre en lien la géographie spatiale et la géographie psychologique comme l’explique très bien É. Chazalon dans son article Visions de la ville dans Sex and the City : topographie et typographie de l’excès publié en 2014. Elle explique que « la ville de New York et le quartier de Manhattan sont les espaces topographique et typographique de l’excès. Non pas labyrinthe, la ville est un lieu-frontière qui met en relief l’étroite relation entre géographie spatiale et géographie psychosociologique. (…) L’étude des espaces physiques et mentaux, des habitus des
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
personnages et de la trame narrative et meta-narrative (…) permettent d’analyser la ville et ses débordements en tous genres (agapes, excentricités vestimentaires, outrances langagières, prégnance des stéréotypes) comme un moyen de dépasser et de repenser les frontières spatiales, sociales, sexuelles et génériques, et de voir l’excès comme « accès a ».4 Dans la société, les noms comme Tinder, Grindr, Happn sont eux aussi catégorisés comme des lieux dédiés à des rencontres purement sexuelles où l’excès est monnaie courante. Sur les applications de rencontre comme en ville, on se met en scène, on s’approprie l’espace, on consomme. Bien au-delà de ces clichés - qui n’en sont pas toujours - ce sont également les frontières physiques et mentales qui sont remises en cause sur ces 1
Illustration n°7
2 3
Illustration n°8
320p 4
KOOLHAAS Rem, (2002), « New-York délire : Un Manifeste rétroactif pour Manhattan », Parenthèses, CHAZALON Élodie, (2014), Visions de la ville dans Sex and the City : topographie et typographie
de l’excès, URL : https://www.semanticscholar.org/paper/Visions-de-la-ville-dans-Sex-and-the-City-%3Aet-de-Chazalon/6c1c19b674261ab417c2cca82bea9d0e16f2b4f4
39
40
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 07 Sex and the City e
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 08 em ool aa , New York Délire, Co er re,
41
plateformes. Cela est notamment dû à la première rencontre qui, désormais, s’effectue virtuellement. Cet espace de l’application est la parfaite représentation de ce que Usman Haque appelle l’architecture de « l’open source », un système combinant « softspace » et « hardspace ». En effet, « si le softspace encourage les gens à devenir des interprètes dans leur propre environnement, alors le hardspace fournit un cadre pour animer ces interactions. »5. Dans Sex and the City, New York est la ville qui « marque l’avènement de l’ère hypermoderne et porte au pinacle la plasticité, l’individualité qui échappent à toute catégorisation et s’octroient à loisir le droit de s’évader »6. À l’ère contemporaine les applications de rencontres comme espace virtuel redéfinissent d’ores et déjà les frontières physique et psychologique de la ville.
a. Les applications : 24h/24», «7j/7», « 365j/365 »
Dans la série les quatre femmes sont aux aguets, prêtes à rencontrer un homme à n’importe quel coin de rue, dans n’importe quel bar ou boutique. Il suffit d’un coup de téléphone pour que les protagonistes n’hésitent pas à monter dans un taxi à n’importe
Sur les applications, c’est effectivement le même principe. Pour la plupart, les utilisateurs sont localisés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Le temps dédié à la rencontre est constant. Néanmoins, la réelle différence réside dans le fait que le lieu de rencontre se déplace avec eux. Même si la plupart des personnes déclarent utiliser les applications lors de « temps creux », c’est à dire lorsqu’ils sont dans l’attente, le système de notification a un grand impact sur l’utilisation quotidienne de ces plateformes. Plusieurs témoignages en sont l’exemple : Maxime, 19 ans : M : « En faite sur Metz j’ai eu très peu de rencontres, j’ai eu autant de rencontre en 1 an à Paris que en 3/4 ans sur Metz. Bon après, il y avait des moments de 5
HAQUE Usman, (2002-2004), Hardspace, softspace and the possibilities of open source architecture.
URL: https://haque.co.uk/papers/hardsp-softsp-open-so-arch.PDF 6 CHAZALON Élodie, (2014), op. cit. p.39
42
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
quelle heure du jour ou de la nuit afin d’aller à la rencontre de leur amant.
pause parce que c’était malsain. Tu pouvais pas rester dessus sans te dire, ok je désinstalle. » C : « Et pourtant tu revenais dessus ? » M : « Je revenais dessus parce qu’en fait je ne désinstallais pas l’application. Je désactivais juste les notifications, du coup j’avais toujours la curiosité de voir. » Romain, 44 ans : C : « En matière de temporalité, c’est une application que tu utilisais à n’importe quel moment de la journée ? Quand tu étais en déplacement ou sur un temps creux ? » R : « Alors il y a ca et le fait de recevoir des messages. Donc quand tu reçois des notifications, tu vas tout de suite voir. » De plus, l’utilisation des applications lorsqu’elle ne se fait pas dans le métro ou lors d’une pause-café, se fait le plus généralement le soir dans son logement. La rencontre s’immisce dans le quotidien mais aussi dans l’intimité de l’utilisateur1. Ce schéma est d’autant plus prégnant pour les usagers de site de rencontres car, s’ils ne l’utilisent pas la journée, ils s’emparent de leur ordinateur le soir. C’est le cas de Sandra, 54 ans, ancienne utilisatrice de Badoo et Adoptunmec. Elle déclare avoir pu utiliser les sites parfois jusqu’à
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
deux heures du matin. Si elle utilisait ces services via un ordinateur fixe présent dans son bureau, d’autres utilisent ces plateformes directement dans leur chambre sur leur ordinateur portable ou sur leur téléphone. On comprend alors qu’il est possible de rencontrer quelqu’un depuis son lit. Seulement, cette possibilité de rencontre constante qui s’apparente à une multitude de petits événements quotidiens a un impact sur la nature de la rencontre et sa potentialité à aboutir. On rencontre du monde mais on personnifie peu les échanges. En effet, dans l’espace virtuel l’utilisateur est impliqué de manière partielle dans la rencontre. Goffman pose la question « Pourquoi la fatalité est-elle si populaire du moment qu’elle est ôtée de la vie ? », à laquelle il répond « Nous l’avons indiqué : Elle met de l’animation sans inconvénient, pourvu que le consommateur puisse s’identifier au protagoniste. »2 Il 1 2
Illustration n°9 GOFFMAN Erving, (1974), Les Rites d’interaction, Les Editions de Minuit - p. 219
43
44
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 09 Tin er, Tinder Starter Pack - Level 4: se lance !, 2021
l’explique par deux facteurs. Le premier est que l’individu agit seul. Le second est que l’évènement en tant que fatalité s’effectue dans un espace et un temps limité. On est seule devant son application et lorsque l’on décide de la fermer, l’évènement se termine. Si l’individu est confronté à une fatalité, sa vie au sens général n’y est pour autant pas remise en jeu. Il peut faire le choix de bloquer une personne et de quitter l’application immédiatement. C’est en cela que les règles de la rencontre sont remises en jeu dans cet espace virtuel. On ferme une conversation comme on claquerait une porte. Or, dans la réalité il est plus difficile d’échapper à des situations dites « fatales ». Enfin, il est important de noter que l’on observe une forte tendance à utiliser les applications comme un réel espace de substitution, éliminant complètement la pratique des lieux de rencontre réels comme ceux évoqués au début de ce mémoire. Chez les jeunes hommes homosexuels notamment. Lorsque j’évoque avec Sacha 24 ans, le fait qu’il n’ait pas « réussi » à rencontrer d’hommes en vrai, il me déclare; « ce n’est pas que je n’ai pas réussi c’est que je n’ai pas essayé. ». La pratique d’un espace physique s’effectue dans un second temps. De plus, mon expérience personnelle m’a également montré que je préférais parfois ne pas me rendre dans un bar un vendredi soir au profit d’une soirée seule dans mon appart à flâner sur les applications de rencontre. Sur un temps habituellement dédié à
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
la rencontre physique dans un lieu dit traditionnel, j’ai préféré occuper un espace virtuel offrant les mêmes de potentialités de rencontre ou si ce n’est même davantage. Ici, les mots de Bruce Benderson font écho : « Pourquoi ai-je déchu et me suis-je métamorphosé, passant du personnage de courageux explorateur à celui de voyageur dans son fauteuil ? La réponse est simple. Il n’y a nulle part où aller »3. Ces propos doivent être nuancés car nous ne manquerons pas de remarquer tout au long de ce mémoire que les espaces de rencontre et les temporalités n’ont pas disparu. Les pratiques se sont accélérée en même temps qu’elles se sont complexifiées.
b. Usages et language : Les caractéristiques d’une ville
3
BENDERSON Bruce, (2001), op. cit. p.22
45
Paul Béatriz Preciado reprend les propos de Steven Marcus et défini la pornotopie comme un espace « plastique », un fantasme à la fois « familier et inavouable » qui se situe quelque part « derrière les yeux, à l’intérieur du crâne » mais qui ne peut pas être localisé dans l’espace physique ».1 Les villes virtuelles que sont les applications ne seraient elle pas les pornotopies du 21ème siècle ? La ville est composée de quartiers, constitués eux-mêmes de rues, de bars, de cafés et d’immeubles abritant des bureaux, des appartements, etc. Selon moi, les applications sont conçues de la même manière. L’application est une ville organisée en quartiers. Tous les habitants de cette ville font partie d’un quartier dont ils définissent eux-mêmes la taille en appliquant des filtres par localisation, physique ou par type de relation recherché par exemple. Les rues sont représentées par l’interface principale, c’est à dire le lieu où l’on « swipe »2. La zone de discussion sur l’application s’apparente au bar, au café ou au parc. Enfin, le passage à une autre interface comme les SMS, WhatsApp, Instagram, Messenger correspond à l’espace plus intime.3 Dans la rue on croise du monde. Lorsque l’on se plaît, on échange un regard furtif et rapide. Le plus souvent cela ne va pas plus loin mais quelquefois ce regard se transforme en un échange et donne lieu à un rendez vous dans un nouveau lieu. C’est le même fonctionnement sur les suite, on fait le choix d’entrer en contact ou non avec l’utilisateur. En réalité la grande différence entre ce que je nomme « la ville physique » et « la ville numérique » est la mise en action du corps dans un espace plus intimiste. Il s’agit là d’une nouvelle définition de la ville. Une ville plus individualiste et discrète. Plus intimiste car comme le dit Marie Bergström « accessible depuis le foyer, les sites et les applications font de la rencontre une activité à portée domestique. Ils sont à ce titre loin « d’un espace public », également parce qu’ils proposent une communication en « tête à tête », c’est à dire à l’abri des regards environnants »5. Lorsque l’on échange sur une application nous sommes seuls. 1
PRECIADO Paul B., (2011), Pornotopie, Playboy et l’invention de la sexualité multimédia,
Climats, p 116 2 Action de glisser vers la droite ou vers la gauche pour sélectionner des profils qui plaisent ou non à l’utilisateur d’applications de rencontre. 3 4 5
Illustration n°10 Évènement qui se produit lorsque deux utilisateurs ont aimé le profil de l’un et de l’autre. BERGSTRÖM Marie, (2019), op. cit p.26
46
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
applications. On « match »4 avec des personnes, ce qui correspond au fameux regard. Par la
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 10.1 Caroline Termignoni, Pas vu pas pris ! 2022
47
48
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 10.2 Caroline Termignoni, Tu bois quoi ? 2022
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 10.4 Caroline Termignoni, Passe à la maison ! 2022
49
Là où dans la rue nous sommes entourés de nos amies ou de passants qui deviennent les spectateurs de la scène. J’évoque également la mise en action du corps car habituellement les personnes qui entrent en interaction doivent occuper l’espace en effectuant l’acte de se diriger vers. Ils s’avancent, marchent, se regardent, parlent. Ainsi ils doivent faire attention, même inconsciemment, à l’environnement qui les entoure. Si les flux sont rapides comme dans une gare, dans le métro ou dans la rue, l’échange est plus complexe à mettre en oeuvre. Il sera plus simple de se diriger vers quelqu’un assis dans un bar ou à une station de bus. Mais l’individu qui entre en contact doit faire attention à ne pas trébucher, bousculer quelqu’un, parler trop fort, etc. C’est alors que l’on s’aperçoit qu’il y a une multitude de facteurs imprévisibles qui peuvent rendre la rencontre réelle complexe. Un échange avec Adam, 21 ans et utilisateur de Grindr nous le démontre implicitement : C : « Sur les applications, c’est des personnes que tu peux croiser dans la rue, dans ton quotidien. Est ce que tu en as déjà croisé ? » A : « Oui, ca m’est déjà arrivé de voir quelqu’un dans la rue et de le dire « ah lui je l’ai vu il y a 5min sur l’appli ». » C : « Pourtant tu n’irais jamais lui parler ? »
De plus sur les applications, si la rencontre peut être considérée comme prévisible, elle est surtout anticipée. En effet, les utilisateurs font attention à leur environnement sur les photos, les vidéos. Tout est prévu, calculé pour la rencontre. Le corps est mis en action en amont de l’échange. On cherchera la bonne pose ou le bon angle pour la photo. Dans le contexte de la rencontre virtuelle, c’est à dire du premier échange, le corps est statique. L’individu est dans son canapé, dans son lit et s’il est dans l’espace public, il est le plus souvent assis dans une posture d’attente. La seule action se fait par le mouvement des yeux et des mains. Il s’effectue une forme d’aliénation du corps puisque l’individu a le plus souvent tendance à faire abstraction du monde qui l’entoure. Qui n’a pas déjà vu quelqu’un absorbé par son téléphone dans le métro, ne faisant même plus attention à la station de métro à laquelle il doit sortir ? Pour ce qui concerne l’échange lui même, Marie Bergström dit que sur les applications les
50
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
A : « C’est l’application qui te fait faire ce que tu ne fais pas dans la rue. »
« les yeux sont les oreilles et les mains la voix. ». Elle reprend un extrait de livre de Valérie Beaudouin et Julia Velkovska indiquant que la webcam, les photos et les textos, éléments constitutifs du « profil » sont des outils « devenus des modes de présence compensatoires »6. Lola déclare « c’est vrai que je faisais attention à ce que les photos soient jolies, pas dans des endroits sombres, où on voyait bien la personne. Sinon, des photos de vacances, si on voyait des plages ou des montagnes. Ca me touchait plus que des photos dans un hall de bâtiment ou je sais pas. ».7 Analyser les photos permet mentalement de projeter l’espace dans lequel on aurait potentiellement rencontré la personne. De plus, dans les grandes villes comme sur les applications, la densité de population est forte. Pour cette raison, il est nécessaire de se différencier en utilisant l’image parfaite ou la description la plus drôle. Il faut être celui qui sort du lot. La théorie développée par Georg Simmel selon laquelle « l’individu est réduit à une « quantité négligeable », à un grain de poussière en face d’une énorme organisation de choses (…) »8 s’applique aussi bien aux grandes villes qu’aux applications de rencontre. Sacha quant à lui évoquera la conversation vidéo en Facetime comme « mode de présence compensatoire ». Il nous explique que « forcément ça oriente d’entendre la voix, la façon de s’exprimer de la personne… Par exemple, quand tu es sur FaceTime et que tu ne fais rien,
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
tu es juste posé devant la caméra ou alors tu as tes écouteurs, tu poses ton téléphone et tu vaques à tes occupations. ». Il donne l’exemple d’une relation virtuelle entretenue pendant la pandémie de covid 19 et déclare « pendant le confinement, j’étais dans une relation avec un gars par FaceTime et du coup, j’avais mes écouteurs, on discutait et quand je faisais de trucs dans mon appart ». 9 Finalement les applications sont peut-être de nouvelles villes virtuelles que nous devrions cesser de penser comme des espaces restrictifs mais davantage comme de nouveaux espaces à construire. Il s’agit de « penser l’architecture dans son ensemble comme un « système d’exploitation », au sein duquel les gens créent leurs propres programmes d’interaction spatiale »10. 6
7 8 9 10
Ibid. Illustration n°11 SIMMEL Georg, (1903), Métropoles et mentalités, p.75 Illustration n°12 HAQUE Usman, (2002-2004), op. cit p.42
51
52
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 11 Caroline Termignoni, Quotidien Vs Vacance reen o m le
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 12 arman er i, There are so many Ghosts at my spot, 2021
53
c. Une nouvelle maps interactive soumise aux évènements retranscrits en temps réel
Sur nos smartphones, nous sommes confrontés aux cartes en permanence. Nous avons toutes sortes d’applications qui nous permettent d’aller d’un point A à un point B, de suivre le parcours de la livraison de notre colis ou de notre repas. La carte est le mode de représentation le plus utilisé. Sur un fond cadastral on y voit les rues, les ilots, les parcs et un petit rond qui nous représente nous ou l’élément qui nous intéresse. Les cartes sont interactives et en mouvement. Pour se faire elles doivent prendre en compte plusieurs facteurs qui peuvent différer d’une application à une autre. Néanmoins elles possèdent un dénominateur commun : le temps. Maud Nÿs, dans son étude sur l’architecte Cédric Price1, identifie trois éléments-clefs qui concrétisent ce facteur temps; la mobilité, le rythme et le moment présent. Elle décrira son travail comme « des dispositifs flexibles et ouverts. Sans forme, ils se per-forment »2. Les applications sont des « Maps of Nowhere »3, en référence à Grayson Perry, dont l’entre deux entre virtuel et réel reste à dessiner. Sur les applications de rencontre, si l’utilisateur a la capacité de créer son propre quartier, il a par conséquent la possibilité de créer sa propre carte. Il existe autant de cartes que d’utilisateurs. Les utilisateurs bougent, modifient leurs critères de recherche et c’est alors que l’on fait face à ce que définit Cédric Price comme étant « l’impermanence du terrain ». Plus que jamais les cartes
Nous pourrions imaginer qu’un utilisateur peut, grâce aux applications de rencontre, savoir ou supposer l’heure à laquelle son voisin part au travail, à laquelle il revient, s’il est allé en soirée ou en vacances. Il suffit d’observer dès lors qu’il apparaît ou disparaît de la carte4. Si le principe de ces cartes reste « fantasmagorique » puisqu’il s’agit de supposition quant à leur matérialisation et quant aux potentielles activités que font les personnes lorsqu’elles sortent d’un territoire donné, elles permettent tout de même de cibler assez précisément la routine de chacun.
1 2
Illustration n°13 NŸS Maud, (2019), Architectures de l’impermanence. jeux du temps chez Cedric Price, Architecture,
aménagement de l’espace. Université Paris Saclay, URL : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02100690/ document 3
Illustration n°14
4
Illustration n°15
54
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
créées par le biais des applications de rencontre intègrent la question de la temporalité.
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 13 C ri ri e, Fun Palace, 1955
55
56
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 14 ra on err , Maps of Nowhere, 2018
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 15 eir Clar e, Grindr - A Gay Location Based Service, reen o ,
57
À l’image de Dogville du réalisateur Lars Von Trier5, les applications sont des villes sans murs apparents. Nous pouvons savoir de notre voisin qu’il est célibataire, qu’il aime le cinéma, les sushis, qu’il est parti au Venezuela et qu’il travaille de telle heure à telle heure, pourtant nous ne lui avons jamais parlé. Se pose alors la question de l’intrusion dans la vie des personnes localisées. De même que dans le film, chaque nouvelle arrivée est perçue par tous comme un événement. L’une des principales problématiques relevées sur les applications est la monotonie des profils. On croise toujours les mêmes personnes car on effectue toujours les mêmes trajets. On ne change pas constamment de lieu d’habitation ou de lieu de travail. Là encore, c’est un rapport lié au temps. Il s’agit de comprendre qui sont les utilisateurs présents dans le quartier sur un temps long ou un temps court. Qui y habite et qui y est de passage. Comme le développe Guy Debord, les cartes associée à la pratique
5 6
Illustration n°16 Illustration n°17
58
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
de l’espace urbain physique sont des systèmes de « situations urbaines mouvantes ». 6
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 16 ar on Trie , Dogville, 2003
59
60
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 17 e or , Guide psychogéographique de Paris. Discours sur les passions de l amour, 1957
II.2. LA FIN DU HASARD ; LES APPLICATIONS SE SONT-ELLES DÉVELOPPÉES AU DÉTRIMENT DE LA FLÂNERIE EN VILLE ?
L’usage des applications de rencontre ne semble pas avoir réduit l’acte de la rencontre physique. Il induit nécessairement des déplacements en ville. Cela n’est-il pas synonyme d’une digitalisation de nos vies ? Sommes-nous réduits à vivre la ville à travers un écran ? Ne devons-nous pas mettre à profit les applications de rencontre pour découvrir la ville autrement ?
a. Le GPS met fin à la flânerie quand …
Aujourd’hui l’utilisation du GPS comme outil de localisation semble faire disparaitre les actes de flânerie, de cruising et plus simplement de dérive urbaine. On veut aller vite. Si certaines personnes comme Sacha n’ont pas abandonné les « balades parisiennes inconscientes » où l’on se laisse guider par la ville et les petites rues qui la composent, d’autres semblent s’être fait happer par le GPS et l’organisation de trajets prédéfinis. Le flâneur, la flâneuse, celui qui s’emploie à la pratique du cruising ne sont-ils pas les représentants de la dérive urbaine ? À l’image de Sophie Calle qui suit des personnes CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
dans la rue juste pour le plaisir et qui finalement tombe amoureuse d’un inconnu. Inconnu qu’elle avait suivi le matin et qu’elle recroisera lors d’un vernissage le soir même. Intriguée, elle le suivra jusqu’à Venise et produira l’oeuvre Suite Vénitienne.1 Plus que la recherche d’un potentiel amant, ce sont les rues, les bâtiments, les personnes qui les composent qui nous intriguent et qui orientent nos déplacements inconscients en ville. C’est le regard, le corps en action qui nous guide et qui nous permettent d’entrer en contact avec d’autres flâneurs. Mais alors, si les applications nous ont permis de rencontrer des personnes sans sortir de chez nous, qu’advient-il de nos pratiques urbaines ? Nous ne pouvons objectivement pas dire que plus personne ne pratique la ville. Il s’agirait d’un constat erroné. Cependant l’utilisation du GPS, au-delà des applications marque un tournant dans la rencontre.
1
Illustration n°18
61
62
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 18 o ie Calle , Suite Vénitienne, 1980
Lorsque nous suivons le GPS, levons-nous encore les yeux ? Ne pouvons-nous pas détourner l’usage de la géolocalisation au profil de la rencontre ? Nous avons déjà démontré que les espaces virtuels pouvaient être associés à des « situations urbaines mouvantes » cependant il s’agit bien là de la résultante des déplacements physiques des utilisateurs. L’application Happn brandit le slogan « Retrouvez ceux que vous croisez »2 avec pour sous-titre « Au détour d’une rue, en terrasse, au boulot, en soirée… On a tous échangé un regard avec une personne qui nous a marqués. Grâce à happn, retrouvez les personnes que vous avez croisées et saisissez votre chance ! ». 3 Pourtant, il semblerait que nos déplacements se restreignent le plus souvent au trajet entre notre lieu d’habitation et notre lieu de travail. C’est pourquoi certains utilisateurs adoptent des stratégies de contournement physique autres que l’utilisation de filtres sur les applications pour agrandir leur cercle de recherche.
b. … le tracking défini les nouvelles règles du jeu de la rencontre en ville
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
« Contrairement à ce qu’on lit dans Le Monde, les apps géolocalisées ce n’est pas la fin de la sociabilité, c’est un renouveau, avec les mêmes qualités et les défauts que tout ce que fait l’humanité. »4 déclare le sociologue Laurent Chambon à Philippe Gargov. Il est intéressant d’observer les déplacements que peuvent engendrer les applications. Certains utilisateurs se voient frustrés en raison de la redondance des profils, en partie dus à leur routine quotidienne. Ils finissent par se déplacer en ville. En effet, Happn, qui recueille nos déplacements tout au long de la journée, ne va pas plus loin que 250 mètres de rayon. Mathéo, 23 ans, utilisateur de Grindr et habitant du 18ème arrondissement de Paris me raconte au détour d’une conversation qu’il lui est déjà arrivé de préférer emprunter 2
3 4
HAPPN, (15 janvier 2022), Site internet, URL : https://www.happn.com/fr/ Illustration n°19 GARGOV Philippe, (29 octobre 2012), op. cit p.21
63
64
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 19 o a ar , Happn Publicité 2013
un nouveau chemin pour rentrer chez lui car cela lui permet de croiser de nouvelles personnes. Si en réalité il ne croise pas physiquement de nouveaux amants potentiels, il les croise virtuellement. La pratique de l’espace physique et les détours en ville permettent de déjouer en partie l’algorithme imposé par les applications. Schéma que l’on retrouve chez d’autres utilisateurs comme l’explique Philippe Gragov ; « On a par exemple rencontré des usagers qui empruntent volontairement d’autres trajets pour se rendre ou rentrer du bureau, préférant par exemple rentrer à pied ou faire des détours volontaires afin de passer dans des quartiers plus animés… voire même à se déplacer dans de nouveaux quartiers de leurs villes, de préférence fortement fréquentés (…), afin de renouveler le cheptel des profils avec lesquels ils tenteront ensuite de matcher. »5 Si nous avons tendance à penser que les applications ont mis fin à la flânerie et au cruising en ville, ce n’est finalement pas le cas. Peut-être voyons-nous simplement naitre de nouvelles manières d’arpenter la ville.
c. Un tracking qui pose question
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
Les applications de rencontre font débat. La mise en place d’un tracking6 continu tout au long de la journée pose question. Nous ne pouvons le nier, les entreprises d’applications de rencontre ne sont pas les seules à utiliser ce système. Néanmoins, elles relèvent de la sphère intime et mettent en lumière les problématiques des minorités en villes. Les femmes et plus particulièrement les homosexuels sont ciblés par le danger du tracking. Les gays pour le risque d’être confrontés à des personnes cherchant à « casser du pédé », car déjà avant les applications, des actes d’agression physique sur les lieux de drague avaient lieu. Les femmes pour la vulnérabilité à laquelle on pense qu’elles doivent faire face dans l’espace public, car en réalité, on comprendra plus tard que le plus grand danger pour elles se trouve dans la sphère privée. La localisation sur ces applications transplante la notion de danger de l’espace public vers l’espace privé où s’effectue majoritairement l’utilisation des applications. Ainsi la 5 6
GARGOV Philippe, (29 octobre 2012), op. cit p.21 Mot régulièrement utilisé lorsque l’on parle de la géolocalisation, signifie suivie en français.
65
possibilité pour tout à chacun d’être repéré plus ou moins précisément pose question. En effet, la précision qu’offrent des applications comme Grindr reste une source de danger potentiel. Si l’interlocuteur ne connait pas notre position, il sait que nous sommes présents sur un rayon très précis. Il suffit pour lui de croiser les données et informations pour rapidement comprendre l’endroit vers lequel nous habitons. C’est ainsi que l’on voit des applications comme Tinder limiter la précision de la localisation à 1km et d’autres comme Blendr, laisser la possibilité aux femmes de masquer leur localisation. De plus, certains créateurs de jeux vidéo ont pris part au sujet en proposant de créer des cartes avec un « brouillard de géolocalisation »7. « Il s’agit de représenter sur la carte vue du ciel uniquement l’environnement autour du joueur et non ce qui est distant. Des cartes papiers égocentrées (donc situées dans certains lieux) pourraient ainsi appliquer ce principe. »8 Si la sécurité liée à la géolocalisation ne semble pas être une entrave à l’utilisation de ces applications pour la plupart des personnes interrogées, cette question mérite tout de même d’être soulevée afin de protéger les utilisateurs. En 2019, Christophe Broqua, Philippe Combessie, Catherine Deschamps et Vincent Rubio coordonnent le numéro spécial du Journal des anthropologues. Ils nous montrent et notamment sur « une dynamique temporelle qui introduit une phase de dette (entre le don et le contre-don) »9. Un an plus tard, Catherine Deschamps interrogera de nouveau ce triptyque en faisant le lien avec les applications dans son article Les «échanges économico-sexuels »10 à l’épreuve des plateformes et foules numériques. « Le rendu peut-il précéder le don ? ». Plus qu’une problématique de localisation, la sécurité est liée à la modification de temporalité induite par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. « Ce
7 8
Illustration n°20 GARGOV Philippe, (31 janvier 2010) Si les gamers cartographiaient le monde, POP-UP URBAIN, URL :
https://www.pop-up-urbain.com/si-les-gamers-cartographiaient-le-monde/ 9 BROQUA Christophe, COMBESSIE Philippe, DESCHAMPS Catherine, RUBIO Vincent, (2019), La sexualité au cœur des échanges intimes, Journal des anthropologues, URL : https://journals.openedition.org/ jda/7996#quotation 10 DESCHAMPS Catherine, (2020), Les « échanges économico-sexuels » à l’épreuve des plateformes et foules numériques, La Découverte, « Revue Française de Socio-Économie », p. 145 à 153
66
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
que les relations sont fondés sur un « tripityqe maussien « Donner – Recevoir – Rendre »
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 20 lian lee er, Carte expérimentale « brouillard de guerre » 2010
67
que les « affaires »11 ont fait débattre au-delà d’elles-mêmes à échelle simultanée sur tous les continents via les réseaux de communication contemporains, c’est implicitement cette tension entre le déjà-là ou le toujours-là d’une part, et les effets des acquis sociaux et des volontés de poursuivre l’émancipation d’autre part. ». En réalité, les données de géolocalisation, les images, les messages que l’on envoie ne disparaissent jamais. Si auparavant nous pouvions fuir une situation dangereuse car nous pratiquions un espace réel, cela n’est plus le cas. L’espace créé par le numérique permet de réutiliser une image à l’infini, des années plus tard, sans que nous puissions
11
Catherine Deschamps évoque trois affaires, liées à des pressions sexuelles ou des viols, ayant fait débat sur internet : Celle de Harvey Weinstein, Tariq Ramadan et Jean-Claude Arnault.
68
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
vraiment y échapper.
II.3. UNE STRATÉGIE DE TEMPS ET DE DÉPLACEMENT QUI DÉTERMINE LES LIEUX DE RENCONTRE PHYSIQUE
Dans son livre Les rites d’interactions, Erving Goffman explique que la rencontre a pour résultante la mise en oeuvre de stratégies. Nous cherchons à être dans une situation qui soit confortable pour soi comme pour l’autre. Le choix de l’espace physique où se déroule la rencontre, même s’il est inconscient, n’est jamais le fruit du hasard. Puisque les rencontres ne se font plus nécessairement avec des personnes proches de nous, préférons-nous toujours un lieu de proximité ou à l’inverse un lieu à distance de chez nous ? Devons-nous choisir de tirer une ligne qui détermine le point central que l’on nommerait le « terrain neutre » ? Quels sont les impacts sur nos modes de déplacements en ville ?
a. L’impact de la géolocalisation : une stratégie de temps et de déplacements qui définissent les lieux de rencontre
Lieu rituel ou découverte de nouveaux espaces, ce choix dépend de la préférence des utilisateurs mais pas uniquement. Il semble que le rencontre s’organise autour de
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
stratégies de temps et de déplacements différentes en fonction de la géographie, de l’âge et de la sexualité. D’une manière générale, les personnes cherchant une rencontre sans lendemain privilégieront une rencontre rapide et donc de proximité. À l’inverse, la recherche d’une rencontre plus officielle peut impliquer un élargissement du cercle de rencontre. C’est alors que la question des mobilités se pose. Des personnes proches l’une de l’autre pourront se déplacer à pied, à vélo ou en transport sans grandes difficultés. Par conséquent il n’y aura qu’un faible impact sur l’heure de la rencontre. Ils peuvent se rencontrer l’après-midi, le soir comme la nuit. C’est le cas de Mathilde, Théo, Sacha, Romain ou encore Adam, tous Parisiens/nes, ils se déplacent le plus souvent à pied ou en métro. Il est important de noter que Paris est un cas bien particulier puisque la ville s’étend
69
sur 18 km dans sa plus grande largeur est-ouest et sur 9,5 km du nord au sud. Ainsi, prenons le cas d’une personne habitant au centre de paris et définissant son rayon de rencontre à 5km. Cette personne n’aura pas de mal à se déplacer à pied car elle occupe une position centrale. Néanmoins, une personne située aux bordures de la ville avec le même rayon rencontrera potentiellement des personnes résidant en banlieue.1 Par conséquent l’accès à la rencontre ne se fait plus de la même manière car les mobilités sont différentes. Dans ce cas, le déplacement est bien organisé comme nous l’explique Mathilde : M : « Oui, moi c’est ce que je fais, je propose un café classique. Généralement, je prends son trajet, mon trajet. Je trace un point entre les deux et on se rejoins au café qu’il y a à la station de métro. » C : « Toi tu me dis que idéalement vous vous rencontrez dans des bars, de manière centrale. Est ce que tu te poses la question de comment tu vas y aller ? Par exemple si c’est un mec de banlieue parisienne, tu te dis que ça va quand même faire un peu de chemin. » M : « Généralement si il doit prendre le RER je vais le rejoindre à la gare à Paris. Par exemple, si il habite à Asnières ou dans le nord, je vais le rejoindre à St Lazare.»2
rencontre et donc la mise en oeuvre de stratégies. Lola habite en Seine-et-Marne et m’explique qu’à l’inverse de l’une de ses amies qui habite dans Paris, elle voit les garçons l’après-midi dans le centre de Paris. Elle donne rendez-vous aux garçons à Châtelet car c’est un point de convergence de beaucoup de lignes de RER et de métros. Elle ne voit jamais les garçons le soir, car elle déclare qu’elle ne se sent pas en sécurité dans le RER à partir d’une certaine heure. Lorsque je lui demande si elle verrait davantage de garçons le soir en habitant sur Paris, elle me répond « Totalement, j’ai ma meilleure amie qui habite à Paris depuis des années et elle faisait tous ses dates le soir parce qu’elle savait qu’elle pouvait rentrer chez elle sans soucis et je dirais pas que ca donne l’impression de davantage de maturité mais ça fait moins date de l’après midi où tu dois rentrer avant qu’il fasse tard. ». 1
Illustration n°21
2
Illustration n°22
70
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
C’est bien la différence de mobilité qui implique une différence de temporalité dans la
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
O
illust. 21 Caroline Termignoni, Grand Paris 5km de rayon, 2022
71 5km
O
illust. 22 Caroline Termignoni, Margaux 2022
72 5km
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
Asnière sur Seine
17ème
8ème Gare St lazare
Lola m’explique également que si les garçons sont parfois Parisiens, la plupart sont également de banlieue. Pour autant, cela ne l’empêche pas d’effectuer la première rencontre dans la capitale. Cela pose la question du déplacement vers la capitale comme nécessité car rares sont les personnes m’ayant affirmé se rencontrer en banlieue pour la première fois. Lola comme Marion ou Maxime, ventent le côté attractif de Paris. On y trouve toujours un bar, un restaurant, une activité à effectuer. Si on comprend que l’utilisation des transports est un frein à la rencontre le soir pour certaines personnes venant de la grande couronne, l’usage de la voiture s’avère être un outil de contournement pour répondre à ces problématiques. Cependant, l’usage de la voiture est étroitement lié à l’âge des utilisateurs puisqu’elle demande d’avoir le permis et les moyens de disposer d’un véhicule. Ainsi, la mobilité et le lieu de rencontre sont conditionnés également par l’âge des utilisateurs. Nous l’avons dit, la première rencontre continue de s’effectuer hors des applications de rencontre. Cependant, comme a pu le faire Théo lorsqu’il était plus jeune, l’usage des applications avec un profil mentionnant un âge erroné existe. Plus l’utilisateur est jeune, moins il dispose de moyens de mobilité donc plus il cherche des stratégies pour optimiser l’heure et l’endroit du rendez-vous. En effet, s’il est compliqué
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
de rencontrer des personnes loin de chez soi pour les plus jeunes, cela ne les en empêche pas pour autant . C’est ce que nous montre Théo : C : « En général tu vois les filles plutôt le soir ? » T : « Oui c’est tout le temps le soir. Sauf je crois mon tout premier date. Je me souviens très bien, lui c’était en aprèm. Mais j’étais jeune, c’était loin de chez moi en plus. » C : « Justement quand tu étais jeune tu habitais où ? » T : « À Fontenay-Sous-Bois en région parisienne, après Vincennes. » C : Et tu faisais comment ? Tu voyais les filles où ? T : « J’avoue que je me rappelle de 2 dates qui étaient super loin. Il y en a un, c’était Tinder, au Trocadéro, à l’autre bout de chez moi. C’était en fin d’aprèsmidi, avec une fille très jolie mais j’étais tétanisé. Au début c’était l’aprem, on avait pris un truc à boire. On s’était posé sur un banc au Champs de Mars et on avait discuté et fumé. Et un autre, c’était une fille avec qui j’avais beaucoup
73
discuté, c’était grave cool et j’étais allé super loin sur le RER A. Je me souviens plus de la station mais au bout de la ligne, vers Cergy et tout ca. C’était la forêt, il y avait plein d’arbres et là c’était marrant, elle était venu me chercher à la gare. Et je devais être arrivé vers 12h et on avait passé toute l’aprèm ensemble. » C : « Et tu trainais plus dans les parcs mais est-ce que tu avais la question de savoir comment tu allais rentrer et c’était ça qui faisait que tu les voyais aussi plus la journée que le soir ? Parce que c’était compliqué les transports ? » T : « Oui je pense. Celui à Cergy clairement je pense. Celui à Trocadero non ça allait, y’avait les métros. » On constate à nouveau que les applications ont permis à Théo, lorsqu’il était jeune, d’élargir son cercle de rencontre et donc ses modes de déplacements. À l’inverse d’aujourd’hui, Théo ne rencontrait pas de filles le soir. Si c’est une question de mobilité et de sécurité qui conditionne la rencontre en journée pour les plus jeunes, ce n’est pas le cas pour les plus âgés. La rencontre le soir est perçue comme un signe de « maturité » pour Lola. Dès lors que l’on entre dans la vie professionnelle, les rencontres s’effectuent davantage le soir ou le weekend pour des raisons pratiques mais pas uniquement. Lola associe probablement la nuit à l’interdit, le dangereux, qui laisse place au fantasme et au désir car « l’espace de d’affects collectifs (Palmer, 2000) »3. Nous l’avons évoqué précédemment, que l’on soit gays ou hétéros, les pratiques divergent. Les applications ont modifié non pas la temporalité des rencontres mais le temps du déplacement vers celle-ci. Alors que les gays avaient des lieux dédiés où ils devaient se rendre pour effectuer des rencontres amoureuses ou sexuelles, désormais ils ne se déplacent plus ou peu. C’est moins le cas pour les hétéros. En cela, le déplacement dans la ville est modifié car rendu absent, notamment chez les personnes les plus jeunes. Ils ne cherchent plus le bon endroit. Ils ne partent plus en cruising dans l’espace public mais sur les applications.
3
GWIAZDZINSKI Luc, (2020), Ce que la nuit raconte au jour, Ateliers d’anthropologie, URL :
http://journals.openedition.org/ateliers/13634 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ateliers.13634
74
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
la nuit se prête plus facilement que le jour aux formes intenses et radicales d’émotions et
Finalement tous ces facteurs associés les uns aux autres ont une résultante ; la mise en oeuvre de stratégies multiples. Stratégies qui se sont vues être altérées à l’arrivée du Covid 19 et du confinement. Nous avons été limités dans nos déplacements, imposant aux utilisateurs de modifier leurs cartes en restreignant leur cercle de rencontre à 1km. Ce n’était plus simplement des stratégies de déplacement qui étaient mise oeuvre mais des stratégies de contournement. Les personnes se sont rendues chez les unes et chez les autres avec de fausses attestations, se sont rencontrées au supermarché ou au parc d’à côté. Une chose est sûre, la limitation des déplacements dans la ville a imposé à ceux qui ne le faisaient pas déjà, de rencontrer les habitants de leur quartier ou de leur immeuble.
b. Proximité de l’habitation et du terrain de rencontre, le défis de l’anonymat ; l’entre deux parisien
Nous l’avons dit, derrière la question du proche et du lointain il y a l’idée du maintien du cadre social ou de l’émancipation de ce dernier. Doit-on le/la rencontrer vers chez soi, vers chez lui/elle ou simplement trouver un espace neutre qui soit le point médian ? En ville, acceptons-nous d’être repéré ou préférons-nous être caché ?
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
Les grandes villes comme Paris sont synonymes d’anonymat urbain mais il s’agit là davantage d’un sentiment. Plus que de l’invisibilité, il produit de l’individualité permettant au citadin de gagner en liberté. Pour Georg Simmel « L’habitant de la grande ville est « libre » (…). En effet, la réserve et l’indifférence mutuelles qui conditionnent la vie psychique des grands cercles ne sont jamais plus fortement ressenties, quant à leur conséquence pour l’indépendance de l’individu, que dans la foule très dense d’une ville, parce que la proximité corporelle et l’exiguïté rendent à plus forte raison évidente la distance mentale (…) ».1 Densité, tourisme, foule permettent aux habitants d’être invisibles au milieu de tous. Lors des entretiens réalisés, beaucoup l’ont exprimé. Maxime ancien habitant de Metz ayant migré vers Paris pour ses études déclare lorsque je l’interroge sur le rythme de ses rencontres : « Ça ne m’a pas dérangé parce que je trouve que comme je suis dans une grande ville, il y a cette notion d’anonymat où tu penses jamais croiser les mêmes 1
SIMMEL Georg, (1903), op. cit p.51
75
personnes et si tu les croises c’est un coup de chance si elles se souviennent de toi ». Pourtant, les applications et la proximité des rencontres qu’elles engendrent nous invitent à nous questionner sur ces individualités qui paraissent acquises en ville. En réalité des vies de quartiers s’organisent. Les habitants y ont leurs habitudes, se connaissent entre eux et les définissent parfois comme de « petits villages en ville », à l’image du quartier italien de Boston décrit par William Foote Whyte2. Si Maxime est nouveau à Paris, d’autres ont développé des connaissances autour de chez eux et ne souhaitent pas être repérés en compagnie de potentielles conquêtes. C’est le cas de Mathilde, 23 ans ; M: « Oui si, y’a beaucoup de garçons qui insistent pour venir chez moi en disant : « c’est moi qui viens à toi, c’est pas l’inverse ». Donc oui ça m’est arrivé et j’apprécie mais à la fois par exemple… j’ai un café qui est un peu mon QG et c’est jamais un café où je vais inviter un date parce que en gros si j’invitais tous mes dates ça serait bizarre. (…) C’est aussi parce que je connais les serveurs et ça me mettrait assez mal à l’aise qu’ils voient à chaque fois une conquête différente même si au final ça n’aboutit pas. (…) J’ai la chance de ne plus habiter dans le quartier où j’ai grandi où je connais tout le monde. Mais, à la fois, je me suis fait de nouvelles connaissances qui sont pour la plupart des garçons qui trainent. Je les connais très bien, c’est pas une relation de grand exemple j’invitais pas non plus de garçon chez moi, je vérifiais toujours s’ils étaient pas dans la rue si j’avais un garçon avec moi. Je voulais pas qu’ils me voie avec un garçon. » Parallèlement, davantage que la proximité avec le lieu d’habitation, c’est le lieu de rencontre « rituel » qui pourrait poser question. Les personnes rencontrent-elles toujours les personnes au même endroit. Le plus souvent elles fréquentent le même quartier mais pas le même bar. C’est le cas de Eugènie et Lola qui se rendent régulièrement vers Châtelet ou de Théo qui préférera le quartier de la Bibliothèque Nationale de France dans le 13ème arrondissement. Pour d’autres, comme Romain, la fréquentation des mêmes restaurants ou des mêmes bars n’a jamais été un problème puisqu’il m’explique qu’il a « des habitudes dans certains bars » et qu’il « peut y aller tous les samedis avec une personne différente ».
2
FOOTE WHYTE William,(2007), Street Corner Society, La Découverte Poche Sciences Humaines N° 126
76
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
frère petite soeur, mais un peu de protection quand même. Ce qui fait que par
On peut alors lui « coller une étiquette mais très honnêtement les gens, ils s’en fichent. ». Il précise néanmoins « dans le milieu en tout cas », faisant référence au milieu gay. Enfin, il est important de nuancer car pour Adam, l’idée de se rendre visible dans l’espace publicque n’est pas une situation avec laquelle il est à l’aise. Pour palier à la gêne de la rencontre publique, il met en place des subterfuges. A : « J’ai capté un mec sur Grinder et on avait rendez-vous sur une place publique. Je ne sais pas si tu connais place de Clichy à Paris. C’est une place mais qui est, en réalité, surtout occupée par la voiture et du coup tu te retrouves que avec des trottoirs tout autour de la place. On s’était donné rendez vous à Place de Clichy sans dire où exactement. Tu peux pas vraiment te donner rendez-vous au centre de la place. Je me rappelle que pour se donner rendez vous, on s’était dit « derrière la sortie de métro ». Justement ça aussi c’est surement un usage de l’espace public qui est poussé par les applications parce que du coup on a cherché un endroit où on était à la fois reconnaissable, type la sortie de la station de métro, mais à la fois on pouvait pas non plus … C’est des automatismes mais je lui ai pas donné rendez vous devant les escaliers mais plutôt derrière pour être à la fois repérable mais en même temps pas devant tout le monde.»3
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
C : « Tu avais l’idée d’être caché tout en étant en plein milieu de l’espace public. Peut-être aussi cette question du contact visuel qui soit ni trop rapide, ni trop long ? » A : « Oui c’est vrai. Y’avait surement ça et aussi, pour des relations homosexuelles, il y a toujours cette question où tu ne sais jamais comment te dire bonjour. Tu serres la main où tu fais la bise. En l’occurrence, il y a certains mecs que ça gêne de faire la bise à un autre gars devant tout le monde. Du coup, se positionner juste devant les escaliers ça peut être un endroit gênant. » Il m’explique par la suite que le seul endroit dans lequel il rencontre des garçons qui acceptent de lui faire la bise est le Marais. Son témoignage nous montre à la fois que le choix du lieu de rencontre n’est pas anodin et qu’il est souvent à l’origine de choix stratégiques individuels, même s’ils sont inconscients.
3
Illustration n°23
77
78
CHAPITRE 2 LES APPLICATIONS, UUNE REMISE EN QUESTION DES REPERES SPATIAUX ET TEMPORELS.
illust. 23 Caroline Termignoni, Place de Clichy, juste derrière ... 2022
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
79
’
DE LA (RE)APPROPRIATION ’ DE LA VILLE A L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
Nous l’avons compris, la rencontre dans l’espace virtuel suivi du déplacement physique vers la rencontre, sont les premières étapes imposées par les applications. Dans cette partie, c’est l’espace physique de la rencontre qui nous intéresse. Il ne s’agit pas de détailler tous les espaces de rencontre car cela n’aurait que peu de sens. Néanmoins il est intéressant de comprendre en quoi les applications impact sur le lieu de la première rencontre physique. Qu’il
CHAPITRE 3
soit public ou privé.
80
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
associées aux modifications des enjeux de société ont eu un
III.1. LA (RÉ)APPROPRIATION DE L’ESPACE PUBLIC GRÂCE AUX APPLICATIONS DE RENCONTRE
a. Les rues, parcs et places : l’impact post covid
La pandémie de Covid 19 a eu un impact sur les rencontres amoureuses et sexuelles. Les trois dernières années ont été marquées par des confinements puis des déconfinements plus ou moins restrictifs. Les applications de rencontre ont enregistré des pics de fréquentation. « Nouveaux utilisateurs, temps d’utilisation allongé… À chaque confinement, nous avons remarqué un pic d’activité +35% en moyenne »1, déclare Clémentine Lalande, fondatrice de l’appli de slow-dating2 Once. Pourtant, les lieux de rencontres physiques restaient peu accessibles. Lors du premier confinement, seuls les lieux de première nécessité étaient ouverts. Les parcs et les espaces publics extérieurs ont été accessibles lors des confinements suivants. Si les boutiques ont rouvert lors des premiers déconfinements, ce n’était pas le cas pour les bars, restaurants et autres lieux festifs. C’est alors que nous avons vu les utilisateurs mettre en place de nouvelles tactiques afin d’une part de se protéger du Covid19 et d’autre part pour détourner les interdictions mises en place.
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
Lors d’un entretien Mathilde me raconte qu’au premier déconfinement elle retrouvait un garçon tous les jours à Montmartre. M : « J’ai fréquenté un garçon qui habitait à côté. C’était un quartier que je connaissais rapidement mais que j’avais jamais vraiment exploré. Pendant une semaine je montais tous les jours à Anvers et il me faisait découvrir un endroit. (…) C’était plus comme une visite guidée de son endroit, de son espace à lui. Quand on avançait, il me disait « là c’est la maison de mon pote, là c’est là où je jouais quand j’étais petit ». C’était très personnel, comment lui
1
FERRARI Pauline, (20 mars 2021), Un an de crise sanitaire : le grand chambardement des appli de
rencontre , ELLE, URL : https://www.elle.fr/Love-Sexe/Celibataires/Articles/Un-an-de-crise-sanitairele-grand-chambardement-des-appli-de-rencontre-3921117 2
Rencontre qui s’effectue doucement en opposition aux rencontres que l’on percoit comme devenu
plus rapide à cause des applications.
81
il visualisait le quartier. Il l’a décrit comme son lieu de vie, pas comme un truc amoureux et touristique. » Elle m’explique que les cafés étaient fermés à l’époque et que c’est « pour ça qu’on se déplaçait beaucoup plus. C’était la semaine où il faisait hyper chaud en mars, c’était la semaine parfaite. On pouvait marcher, il faisait beau et chaud. On marchait beaucoup. Si les cafés avaient été ouverts, on aurait pris un café et j’aurais pas découvert tout ça. ». Enfin lorsque je lui demande si l’idée de s’installer dans un parc pouvait être une option, elle m’explique qu’ils le faisaient et qu’elle avait découvert le parc des Batignolles, qu’elle ne connaissait pas. On observe dans cet échange une personnification de la ville au travers de déplacements et d’anecdotes. Mathilde n’est pas la seule à fréquenter les parcs comme alternative aux bars. C’est également ce dont témoignent « Salomé et Philippe, qui, après quelques semaines d’échanges virtuels, se sont donnés rendez-vous dans un parc. Au menu, champagne et fraises, et, après réflexion, sans masques sur le visage »3. Dans le cas de Marion, à défaut de posséder un pass sanitaire, elle envisage de donner rendez-vous à ses potentielles rencontres sur les quais de Seine ou dans les parcs. L’occupation des parcs comme lieu de rencontre n’est pas nouvelle, notamment à l’écart du milieu gay établi et de ses établissements commerciaux, comme nous le montre sexualité secrète4 lorsqu’il évoque le parc de l’île du Ramier à Toulouse notamment. Les parcs ne sont pas uniquement réservés à l’escapade romantique. Depuis des années à Paris, le Jardin des Tuileries est un lieu de rencontre sexuel connu pour ses sous-sols et ses allées. Les applications de rencontre n’ont eu que peu d’impact sur ces lieux. En 2018, Street Press écrit « La nuit est tombée. Une cinquantaine d’hommes errent désormais dans les allées. Malgré les nombreux sites de rencontres, boîtes et bars, le « Jardin des proies » a toujours la côte »5. 3
MONNERIE Corinne, (13 mai 2021), Rendez-vous sur un banc, soirées Netflix avec une inconnue : les
célibataires à l’épreuve du Covid, Ouest-France, URL : https://www.ouest-france.fr/societe/rendez-vous-sur-un-bancsoirees-netflix-avec-une-inconnue-les-celibataires-a-l-epreuve-du-covid-a93bab92-b31e-11eb-b3ae-6871867c9135 4
GAISSAD Laurent, (2020), Hommes en chasse, Chroniques territoriales d’une sexualité secrète,
Presses universitaires de Paris Nanterre, 188p 5
STREET SCHOOL, (14 mai 2013), Dans les buissons des « jardins gay » du Louvre, Street Press,
URL : https://www.streetpress.com/sujet/89032-dans-les-buissons-des-jardins-gay-du-louvre
82
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
Laurent Gaissad dans son livre Hommes en chasse, Chroniques territoriales d’une
Le Covid a remis au centre des préoccupations la notion de « protection » dans le cadre de la sexualité comme l’explique le médecin et sexologue Gilbert Bou Jaoudé dans un entretien au média Brut. Dans la vidéo, Rendez-vous sur un banc, soirées Netflix avec une inconnue : les célibataires à l’épreuve du Covid, il précise qu’il faut « s’assurer de ne pas avoir de symptômes » mais surtout « privilégier les pièces aérées ». On comprend ici que l’espace a un rôle dans la protection face au Covid 19. Ainsi, si beaucoup d’hommes ont tendance à se donner rendez-vous pour des relations occasionnelles chez les uns ou chez les autres - nous le verrons par la suite -, il n’empêche que la fréquentation des parcs pourrait bien avoir augmenté. De plus, le temps de la rencontre étant limité par les attestations et le couvre-feu, les applications peuvent remplacer la phase de « chasse » et accélérer la rencontre physique. Cependant, il est important de préciser que se retrouver dans l’espace public lorsque l’on ne s’est jamais vu n’est pas chose aisée. Je pense à l’expérience que j’ai pu faire lors d’un rendez-vous fixé place de la République, place souvent citée lors des entretiens. Un vendredi soir, 20h30, me voilà à la sortie du métro République, au centre de la place. Veille de weekend, la place est animée. Il y a du monde. L’homme que je devais retrouver m’indique qu’il est déjà arrivé sans me préciser la sortie choisie. Nous l’appellerons Sam. C’est alors que je me retourne et que je pense trouver la bonne personne. Il n’en est rien, j’appelle Sam mais ce n’est pas l’homme que j’ai en face de moi qui me répond. Il m’indique finalement être du côté du Mac Donald’s où je le retrouve.6 Cette anecdote qui CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
peut sembler caricaturale est une bonne illustration de l’anonymat imposé par le rythme de la ville et l’urbanisme de la place. Plusieurs personnes m’ont avoué se cacher pour observer la personne arriver et pressentir si cette dernière leur plaît. C’est le cas de Maxime qui déclare « Si je reconnais la personne et qu’au final elle ne me plaît pas, c’est beaucoup plus facile de se camoufler dans la foule que dans un parc vide. Du coup généralement c’est quoi ; des places, des espaces où il y a beaucoup de densité et justement la foule te camoufle. (…) ». C’est pourquoi je lui demande s’il préfère rester statique ou en mouvement pour ne pas être repéré. Il me répond « Les espaces où je me camoufle, ce serait les trottoirs, la rue, ou juste marcher et faire comme si l’autre n’était pas là, que j’allais pas le rencontrer et que j’étais juste en train de rentrer chez moi. ».
6
Illustration n°24
83
84
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 24 Caroline Termignoni, Où est mon match ? 2022
Nous pourrions penser, comme Bruce Benderson, que « L’imminence du rendez-vous rappelle d’une façon de plus en plus pressante qu’une rencontre brutale avec une réalité physique va avoir lieu, menaçant d’éradiquer le plaisir au profit de l’anxiété »7. Par conséquent, cette action serait justifiée par l’idée de « garder la face »8 car nous aurions peur de dire à l’autre qu’il ne nous plaît pas. En réalité, ce phénomène est accentué par le développement des applications de rencontre. On parle de ghosting. Ce mot à consonance anglo-saxonne qui renvoie au fait de considérer l’autre comme un fantôme, fait référence à l’idée d’interrompre une relation virtuelle ou réelle, du jour au lendemain. 9
Dans le cas de Maxime, on ne se contente plus de ne pas répondre aux messages, on fait le choix de ne pas rencontrer quelqu’un qui s’est déjà engagé dans l’espace public. On perçoit un glissement du virtuel vers le réel. « Sous la richesse des possibilités du jeu de rôles, du fantasme et de l’exploration émotionnelle, se cache quelque chose de dur et cynique. Une brutalité aussi impitoyable que celle qui caractérise d’autres formes de sexualité hasardeuse : on sait bien qu’on manipule (…) mais le fait de pouvoir en finir instantanément donne une audace amorale »10. En 2019, Charlotte Lesueur et Melissa Pinondel développent lors de leur diplôme de licence en packaging à l’école Estienne un jeu de société appelé MAX11, « L’application de rencontre qui vous déconnecte ».12 Un jeu qui est associé à une application de rencontre. CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
Un principe : les utilisateurs ne se voient jamais jusqu’à la fin de la partie. Elles invitent chacun des joueurs à se déplacer en ville pour effectuer une série d’activités. Le jeu dure une semaine. Plus ils avancent dans le jeu, plus ils en apprennent sur les attributs physiques de l’un et de l’autre. À la fin de la semaine, si les partenaires ont apprécié toutes les activités, ils se rencontrent dans un lieu prédéfini. Si les applications sont contestées pour leur aspect superficiel, à cause du choix qui s’effectue sur le physique, Mélissa et Charlotte prennent le parti de se jouer de la controverse. Ce n’est plus le physique qui détermine le match mais la pratique de lieux 7
BENDERSON Bruce, (2001), op. cit p.22
8
Idée développée par Erving Goffman dans le livre Les rites d’interaction publié en 1974.
9
GESBERT Olivia, (27 janvier 2022), Les réseaux sociaux sonnent-ils le glas de l’amour ?, La
grande table idées, France Culture, 33min 10
BENDERSON Bruce, (2001), op. cit p.22
11
LESUEUR Charlotte, PINONDEL Mélissa,(2019), MAX, Licence - Projet de fin d’étude, Ecole Estienne.
12
Illustration n°25
85
86
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 25 Charlotte Lesueur et Mélissa Pinondel, Qui est mon Max ? 2019
et d’activités diverses. Nous allons le voir, ce ne sont pas les seules à vouloir remettre le lieu physique au coeur de la rencontre.
b. Les bars et restaurant : les applications, une mine d’or pour les commerçants.
Les bars et restaurants ont toujours été des lieux propices à la première rencontre et aujourd’hui plus que jamais. Une enquête Harris Interactive de 2019, montre que pour une première rencontre « 35% choisiront ainsi un restaurant, 34% plutôt un bar ou un café (37% chez les moins de 35 ans), 17% sélectionneront un lieu public comme une rue ou un parc, et 13% proposeront une activité plus précise ».1 Il suffit parfois de s’installer à la terrasse d’un café et d’écouter quelques conversations pour comprendre la nature de la relation qu’entretiennent les individus. Sont-ils amants depuis longtemps, vieux amis ou viennent-ils tout juste de se rencontrer ? Les bars sont des terrains d’enquête particulièrement intéressants justement parce qu’ils sont privilégiés pour les premières rencontres. Théo avoue qu’il choisit « tout le temps » des bars et ce n’est pas seulement pour l’ambiance. Il m’explique que le temps d’attendre la personne est moins gênant : « Tu
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
attends pas tout seul comme un con. Tu es à ta table avec ton verre, il y a un truc un peu réconfortant ». Les applications l’ont bien compris. Utiliser le bar comme argument pour attirer de nouveaux utilisateurs est déjà une option exploitée. C’est le cas de Whim dont le slogan est « Dites-nous quand vous êtes libres, dites-nous qui vous aimez, et on mettra en place le rendez-vous »2. La fondatrice décrit l’application étant « pour les gens qui ont sérieusement envie de connecter dans la vie réelle ». L’application n’autorise que 5 messages par personne. Si les utilisateurs veulent se rencontrer, elle définit une heure et un lieu. Whim travaille en partenariat avec plusieurs bars. On comprend qu’il est devenu plus intéressant pour les bars de financer les applications étant donné l’augmentation
1
HARRIS INTERACTIVE, (12 février 2019), (OU « DATES ») DES FRANÇAIS, Groupon, URL : https://
harris-interactive.fr/opinion_polls/les-rendez-vous-amoureux-ou-dates-des-francais/ 2
AUPROUX Agathe, (22 aout 2015), Whim, l’application qui va ringardiser Tinder, Les Inrockuptibles,
URL : https://www.lesinrocks.com/actu/whim-lapplication-qui-va-ringardiser-tinder-90084-22-08-2015/
87
du nombre de rencontres. L’idée serait de lutter contre une forme de Tinderisation, un processus de banalisation par la simplification de l’accès à la rencontre. Mais n’est ce finalement pas l’inverse qui se produit ? D’ailleurs, si les bars ne font pas volontairement appel aux applications, ce sont elles qui viennent à eux. Au cours de mes entretiens j’ai à de multiples reprises eu écho de la pratique des applications dans les bars gays de la capitale. C’est ce que j’ai pu apprendre lors d’un échange avec Romain : R : « Mais il n’empêche que la plupart des gens utilisent ces applications. La preuve c’est que quand tu vas dans les bars dans le marais, les gens continuent à aller sur les applications. » C : « Pendant qu’ils sont dans le bar ? » R : « Pendant qu’ils sont dans le bar. Là tu vois directement toutes les personnes qui sont autour de toi et qui sont sur les applications. Ça en devient presque triste parce que au lieu d’aller voir la personne et de discuter, tu te mets sur l’application (…). » C : « C’est déjà arrivé que vous soyez au même endroit, que vous vous voyez et que vous vous envoyez un message sur l’appli plutôt que de vous parler en vrai ? » R : « Oui, je trouve que c’est triste. Les applications ont fait que les gens n’osent autres. (…) Si tu veux, les gens ont tellement pris l’habitude d’échanger sur les applications que c’est vrai que c’est assez incroyable. Après c’est pas tout le temps mais les gens ont quand même pris cette habitude. »3 Cet échange nous permet d’établir un constat plus global, questionnant l’impact des smartphones sur l’usage des espaces réels. L’utilisation d’applications comme vectrices d’économie pour les commerçants ne semble désormais plus être une théorie mais un fait. Devons-nous penser le lieu différemment ? L’architecte doit-il penser l’espace en lien avec ces technologies ou à l’inverse utiliser des dispositifs architecturaux permettant de neutraliser leur utilisation ?
3
Illustration n°26
88
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
plus aller se voir et se parler, malgré le fait qu’ils soient les uns à côté des
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 26 Caroline Termignoni, Virtuel ou réel ; les fesses entre deux chaises 2022
89
c. Les boites de nuits, un goût d’antan : des lieux qui échappent en partie à la pratique des applications de rencontre
Bien que Meetingclub - Rencontre des clubbers existe, il semble que les boîtes de nuit soient les seules qui parviennent encore à s’affranchir de l’utilisation des applications de rencontre. Très peu d’utilisateurs se donnent rendez-vous en boîte de nuit. Prenons le cas de Eva, 22 ans. Elle utilise les applications depuis plusieurs années et pourtant elle continue de pratiquer les boîtes de nuit pour « rencontrer sans les applications ». Au détour d’une conversation, elle me raconte une soirée au Pachamama. Un soir de novembre 2021, elle se rend avec une de ses amies dans cette boîte Parisienne située vers Bastille. Elle me décrit ce lieu du 19ème siècle signé Gustave Eiffel. Quatre niveaux à la lumière tamisée, un atrium central, des canapés rouges ou en cuir, propices la rencontre.1 Toutes deux installées dans les canapés au deuxième étage, elles rencontrent cet homme avec lequel elles passeront une grande partie de la soirée. Eva admet que ce sont « des choses qu’on ne peut pas vivre avec les applis. Si on l’avait rencontré sur les applis et qu’on avait dû lui donner rendez-vous dans ce contexte, les choses auraient sûrement été différentes ». L’espace clos de la boite de nuit combiné à la foule, la musique et la nuit
Que l’on soit hétéro ou gay, l’espace de la boîte de nuit est le lieu de rencontre lié au désir charnel. Comme le dit Pia ; « tu rencontres un mec en boîte, tu échanges ton numéro ou Insta et là du coup il n’y a pas d’application. Tu es en soirée, tu parles pas beaucoup, à moins que ce soit une soirée plus posée mais si tu rencontres quelqu’un en boîte, en réalité tu connais pas la personne. ». Difficile de parler en boîte lorsqu’on ne s’entend pas. Le corps dans l’espace est sexualisé et la question du feeling intellectuel et mental ne se pose plus. C : « Ça t’arrive souvent de rejoindre des filles que tu as matché sur Tinder en boîte ? » T : « Non non, jamais. En vrai je trouve ça chelou. Moi les boîtes c’est un lieu où
1
Illustration n°27
90
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
participent à la rencontre physique sans application.
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 27 Pachamama Photographie
91
je vais avec des potes, ça m’intéresse pas trop de pécho2 en boite. » Si les boîtes de nuit ne sont, de toute façon, pas des lieux propices à la rencontre via les applications comme nous le déclare Théo, les organisateurs n’hésitent pas à user de stratagèmes pour limiter l’utilisation du téléphone. Peu de lumière, pas d’accès au réseau internet ou pastille sur l’appareil photo du téléphone, tout est mis en oeuvre pour permettre à tous une plus grande liberté. L’idée, nous le savons, n’est pas de réduire l’utilisation des applications de rencontre mais cela y participe. À l’inverse des bars où les hommes célibataires communiquent via leur smartphone, impossible pour eux de faire de même dans les boîtes de nuit comme le Berghain3 à Berlin ou 824h4 à Paris. En définitive, le schéma de rencontre que l’on observe sur les applications est le même que celui de la boite en nuit. Deux messages comme deux mots suffisent pour se rencontrer. Avec une différence, sur le téléphone le désir charnel passe d’abord par l’image. Le désir du corps associé à l’espace - le plus souvent de l’appartement -
2
Signifie conquérir une personne.
3
Boite de nuit située à Berlin qui est la résultante de la « reconversion du club gay Ostgut
qui ferme ses portes le 6 janvier 2003. Elle se situe dans le quartier de Friedrichshain, proche de la gare Ostbahnhof ». WIKIPEDIA, Berghain, 28 janvier 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Berghain 4
Soirée Parisienne secrète organisée par Panic Room, le Badaboum et de l’agence d’évènementielle
Bonjour Bonsoir. La première édition est organisée en 2017 suivi d’une seconde en 2019. Le groupe propose 824h de fête. À la fin du décompte l’évènement s’achève. Il prône la liberté en équipant les smartphones de pastilles sur les appareils photo.
92
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
s’effectue dans un second temps.
III.2.
VERS
UNE
PRIVATISATION DE LA RENCONTRE : PHILOSOPHIE DE L’INTIME
« Les réseaux sociaux nous permettent d’aller plus vite dans l’intimité des gens sans avoir partagé l’expérience du monde avec eux ou elles. Évidement on peut les utiliser comme on veut. Ce qui est intéressant c’est que l’ensemble des applications des réseaux sociaux ont permis de faire sauter l’opposition sur laquelle toute la modernité s’est basée ; le privé et le public, entre le domestique et l’urbain. De fait, un smartphone c’est aussi une petite maison qui nous suit partout. Ce qui fait que ce qu’on appelle maison est beaucoup moins une réalité spatiale et beaucoup plus un noyau d’intimité et de relation qu’on entretient avec d’autres gens. »1 - Emanuele Coccia Les applications de rencontre ont indéniablement accéléré la première rencontre dans l’espace privé. Acte fortement répandu chez les populations homosexuelles depuis l’arrivée des applications, c’est une tendance qui semble être observée également chez les hétérosexuels depuis quelques années. Cette pratique s’est vu croître lors de la pandémie de Covid notamment. En effet, certains n’ont pas hésité à braver les règles du confinement afin de se rendre chez leur nouveau match. C’est le cas de Sibylle, 25 ans, qui avoue s’être rendue chez une personne avec laquelle elle conversait depuis plusieurs
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
jours, au détour d’une course de première nécessité. Si la privatisation de la rencontre liée aux applications de rencontre est désormais admise, elle pose tout de même question. Quel rapport intime entretenons-nous avec notre logement ? Mettons-nous en place des stratégies lorsque nous accueillons un inconnu chez nous ? Comment sommes-nous reçus ? La question de la sécurité est-elle tout de même une préoccupation pour les utilisateurs ? Finalement, en tant qu’architecte, la conception ne doit-elle pas s’accompagner d’une réflexion autour de la philosophie du logement ?
1
BESSERIE Maylis, (28 décembre 2021), Philosophie de la maison, avec Emanuele Coccia, La grande
table idées, France Culture, 32 minutes. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-tableidees/philosophie-de-la-maison-avec-emanuele-coccia
93
a. Le logement et la rencontre au temps des applications : nouvelle hétérotopie du 21ème siècle
La pornotopie est définie comme un espace « no place »1 qui n’a pas de forme physique. A contrario, l’hétérotopie théorisée par Michel Foucault dans son ouvrage Le corps utopique, « a pour règle de juxtaposer en un lieu réel plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles »2. Les applications seraient-elles une nouvelle pornotopie qui aurait mené à la production de nouveaux espaces hétérotopiques ? Lors de notre entretien, Adam m’explique que pour lui « quand tu veux tout de suite une relation plus intime, en tout cas moi, tu vas directement dans l’espace privé et ça passait jamais par l’espace public. ». S’il ne se rend pas toujours chez les hommes, il les reçoit chez lui, dans son appartement de 9m² dans le 17ème arrondissement de Paris. Si l’hétérotopie est un lieu qui voit des usages provisoires s’alterner ou se superposer, alors l’appartement d’Adam en est une. Une si petite surface l’oblige à s’adapter. Dans son appartement, un temps de la journée est égal à une fonction. A : « Même si on est dans un petit appartement, il y a quand même une volonté de vouloir rendre l’espace plus neutre. Si j’ai de la vaisselle, je vais la faire, si elle est en train de sécher je vais la ranger. S’il y a des papiers sur mon plus neutre possible, même si c’est des trucs pas confidentiel. Une casserole, ou un plan d’archi. » il poursuit « Dans un petit espace comme ça, ranger tes plans sur le bureau, ou tes casseroles sur la kitchenette, ça fait un peu disparaitre la fonction du truc. Style, une cuisine où rien ne chauffe dessus, même si c’est dans 9m² et que techniquement c’est aussi un peu une table de chevet. Techniquement, elle perd un peu sa fonction de cuisine, mon bureau aussi si je laisse pas de travail dessus. C’est aussi une manière de rendre mon appart un peu comme une chambre, plus que comme une cuisine tu vois. »
1
PRECIADO Paul B., (2011), op. cit p.46
2
FOUCAULT Michel, (2000), Le corps Utopique, Les Hétérotopies, Lignes, Paris, p-28-29
94
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
bureau, des trucs tout cons, je vais les ranger. Je vais essayer de le rendre le
Il semble aujourd’hui que le « refuge en ville pour homme célibataire »3 ne se réduise plus au Penthouse4 imaginé par Hugh Hefner, créateur du magazine Playboy. Le petit appartement parisien, s’il n’use pas toujours des nouvelles technologies, est tout de même un lieu d’adaptation qui peut être dédié à la rencontre sexuelle. Si les applications en tant qu’espaces virtuels sont des pornotopies dont la capacité est « d’établir un rapport singulier entre espace, sexualité, plaisir et technologie, en altérant les conventions sexuelles et des genres tout en produisant la subjectivité sexuelle comme un dérivé de ces opérations spatiales »5, alors ils ont entrainé physiquement de nouvelles pratiques des espaces privés que nous pouvons nommer hétérotopie. J’insiste sur l’impact des applications en tant que pornotopie car des espaces de l’hétérotopie liés à la sexualité et à l’amusement existaient déjà avant leur création. C’est le cas de l’appartement de M. Charles de Beistegui6 dessiné par Le Corbusier et défini comme une « machine à amuser » par Wim van den Bergh7. Néanmoins si les propriétaires recevaient des invités dans leur appartement afin d’y effectuer toutes sortes d’activités de loisirs divers, cela n’était pas induit par la pratique d’un espace virtuel.
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
b. Sexualité et hospitalité : Recevoir ou être reçu, les seuils comme espaces de transitions
« Le seuil est la clé de la transition et de la connexion entre des zones soumises à des prétentions territoriales différentes, et, en tant que lieu à part entière, il constitue la condition spatiale de la rencontre et du dialogue entre des espaces d’ordres différents »8 déclare Heman Hertzbberger. Lors d’un déplacement chez un inconnu, nous passons de l’espace public de la rue à 3
PRECIADO Paul B., (2011), op. cit p.46
4
Illustration n°28
5
Ibid.
6
Illustration n°29
7
ROLLAND Édouard, (2018), L’appartement Beistegui (1929-1938) par Le Corbusier et Pierre Jean-
neret, ou la rencontre entre architecture puriste et décoration surréaliste, dans Claire Hendren, Barbara Jouves et Hadrien Viraben (dir.), Aménagement intérieur et cohabitation des styles aux époques moderne et contemporaine, actes de la journée tenue à Paris le 19 mars 2018 à l’Institut national d’histoire de l’art, Paris, site de l’HiCSA 8
HERTZBERGER Herman, (2016), Lessons for students in architecture, NAI Publishers; 7e édition,
272 pages
95
96
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 28 Hugh Hefner, Playboy Town House Mai 1962
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 29 Le Corbusier, Appartement de M. Charles de Beistegui 1929
97
l’espace intime de l’appartement. Le seuil en tant que transition n’est pas uniquement physique, il est également mental. L’utilisateur d’applications de rencontre est confronté à plusieurs seuils qui s’établissent graduellement entre public et privé ; la zone de match vs la conversation privée, son appartement vs son immeuble, son immeuble vs la rue, la rue vs l’immeuble de l’autre, l’immeuble de l’autre vs l’appartement, l’appartement de l’autre vs la chambre.9 Ainsi si l’individu fait face à des seuils virtuels comme la zone d’attente, qui représente le franchissement entre le match et la conversation, il doit également se confronter à des seuils physiques. Ces seuils physiques sont matérialisés par les portes, les digicodes, les escaliers, etc. Ces différentes étapes que doit traverser l’invité ont un impact sur la rencontre et sur le fait qu’il se sente à l’aise ou non. Maxime traduit ce sentiment lors de nos échanges. M : « C’est rare qu’ils descendent te chercher, je ne sais pas pourquoi. Généralement on me donne le digicode et on me dit « monte, c’est tel étage, telle porte » et quand j’arrive limite la porte est déjà ouverte et je rentre. C’est ce genre d’impersonnalité et de systématisme qui me dérange. » C : « Toi tu préférerais que la personne descende et t’accueille dans le hall ?» M : « Je préférerais toujours une action, un face à face, la création d’une cordiale dans quelque chose qui est très intime. Ce que j’aime pas, c’est que tu accueilles quelqu’un dans ton intimité, dans ton lit, comme tu accueilles un client dans ton bureau. C’est lui qui rentre, c’est lui qui toque, c’est lui qui vient à toi et je trouve ça assez dégradant. » En effet, la question ne se pose pas uniquement pour la personne qui est invitée mais davantage pour celle qui reçoit, puisqu’elle devra faire preuve d’hospitalité. Le seuil peut aider à définir le degré d’hospitalité de chacun. Dois-je accueillir la personne dans le hall de mon immeuble, à la porte de mon appartement ? Lorsqu’il est chez moi, nous dirigeons nous directement vers la chambre ou prenons-nous le temps de nous installer au salon ?
9
Illustration n°30
98
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
intimité, d’une relation à mettre entre soi et l’autre une sorte de distance
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 30 Caroline Termignoni, Liste de seuil non exhaustive 2022
99
Finalement, la personne qui reçoit doit appréhender la notion de seuil bien plus que celle qui est reçue. L’échelle de l’immeuble et de l’appartement peuvent obliger l’hôte à faire plus ou moins d’effort pour mettre à l’aise son convive. Adam prend pour exemple les IGH10. Ces immeubles composés de deux ascenseurs, l’un pour les étages pairs, l’autre pour les étages impairs. Il m’explique s’être rendu dans un immeuble de ce type pour rencontrer un garçon. Une fois sur place, il a pris le premier ascenseur qu’il a trouvé sans que rien ne lui ait été indiqué. Ne trouvant pas l’étage, il a été dans l’obligation de demander de l’aide à la personne chez qui il se rendait. Il s’est automatiquement retrouvé face à une personne « grave saoulée de devoir venir me chercher en bas de son immeuble ». Il explique cela par le fait qu’il « redoutait de croiser son voisin alors qu’il était avec un mec à 22h ». Il se rappelle « que le trajet a duré peut-être deux minutes entre le rez-de-chaussée de l’immeuble et son appart » et que ça « l’avait hyper saoulé ». Les normes de genre et la sexualité sont indissociables. La sexualité masculine peut apparaitre comme cruelle car elle met à distance l’acte sexuel de celui de la rencontre. Si nous avons l’habitude de conceptualiser cette idée que la sexualité occasionnelle n’est jamais plus, on comprend au travers de ce mémoire que ce n’est pas le cas. Nous pouvons observer qu’hormis quelques cas que l’on pourrait définir comme marginaux, l’importance accordée à son logement lorsque l’on reçoit un inconnu reste majoritaire.
Pour Romain, le fait qu’il descende pour accueillir la personne dépend de l’importance qu’il accorde à la relation. C : « Et du coup pourquoi selon toi tu descendais plus qu’un autre ? » R : « Parce que j’avais plus matché avec la personne et que derrière ça il y avait du sérieux donc je voulais mettre un côté un peu romantique. Si je savais que c’était juste pour profiter comme ça ou que sais-je, que ça allait être « le coup d’un soir », j’attendais la personne. Elle vient chez toi et tu fais ce que tu as à faire. Par contre s’il y a un côté un peu plus romantique, tu te fais beau, tu mets ton meilleur parfum et tu vas chercher la personne. » La question du seuil ne permet pas uniquement de gérer des problématiques d’hospitalité, 10
Immeubles de Grandes Hauteur
100
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
Ainsi, au travers de l’attention portée à l’espace, des enjeux sociaux réapparaissent.
mais également de sécurité. Si Hugh Hefner disposait de caméras pour se rendre visible aux yeux de tous, les habitants de la ville favorisent leur installation pour des questions de sécurité.
c. L’hypothèse d’un espace non safe... (ou non)
Nous l’avons vu, la précision de la géolocalisation imposée par les applications de rencontre peut remettre en question la sécurité des utilisateurs mais pas seulement. La sécurité de leurs voisins se voit aussi compromise. La privatisation de la rencontre et les accès aux immeubles par des inconnus sont sources de débat. Lors de mon enquête un phénomène m’a été rapporté. Certains utilisateurs obtiendraient les codes des copropriétés ou des immeubles lors de leur rencontre privée. Ainsi, ils disposeraient de l’accès à plusieurs propriétés privées de la ville. Il reste important de nuancer en précisant qu’il s’agit de situations exceptionnelles et qu’aucun fait officiel n’a été rapporté sur le sujet. Si les questions de sécurité se posent à l’échelle de l’immeuble, il est d’usage de se questionner sur sa propre sécurité individuelle. Dans la société, il est admis que se rendre chez un inconnu sans jamais ne l’avoir vu est « inconscient et dangereux ». C’est d’ailleurs la raison qui est évoquée par les personnes qui n’ont jamais effectué
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
de première rencontre dans l’espace privé. Cependant, lors des entretiens, beaucoup ont reconnu l’avoir fait sans s’être posés trop de questions. C’est le cas de Lola, Sacha, Adam, Pia, Mathéo, Maxime, Romain, Marion et Sandra. Ils représentent les trois quarts des entretiens effectués et ils ont tous admis ne pas avoir pensé au danger de manière immédiate. Lorsqu’il était évoqué, c’était dans un second temps. Cependant des comportements sécuritaires sont soulevés. Sandra préférait appeler la personne ou utiliser le visio avant de rencontrer la personne. Romain ne donne le code de son immeuble que lorsque la personne est en bas. Sacha quant à lui préfére donner rendez-vous aux garçons à la station de métro en bas de chez lui. Les utilisateurs semblent se sentir plus en sécurité lorsqu’ils reçoivent chez eux. Romain déclare « Oui parce que moi je sais que je suis bien et je sais ce que je veux. Quand tu vas chez quelqu’un parfois tu te dis qu’il a peut-être des mauvaises intentions ou quoi. » Il
101
définit tout de même le milieu gay comme « plutôt bienveillant ». J’évoque régulièrement lors des entretiens différents dispositifs auxquels ils ne pensent pas. En effet, le digicode équipé de caméra, l’appartement avec vue sur rue ou l’oeil de judas sont des dispositifs architecturaux qui permettent de se prémunir lors de la rencontre d’un inconnu chez soi. C’est alors qu’ils admettent que cela pourrait être une solution mais que finalement, ils ne sont tout de même pas sûrs de faire plus attention. Néanmoins, il reste important de nuancer. Si pour les hommes, rencontrer chez eux n’est pas un problème, c’est différent pour les femmes. Aujourd’hui, Sandra avoue qu’elle ne recevrait plus d’inconnu chez elle pour plusieurs raisons. Si elle était amenée à réutiliser les applications de rencontre, elle favoriserait une pratique de l’espace public. C : « Tu ne recevrais plus chez toi aujourd’hui ? » S : « Oui, pour plusieurs critères que je vais t’expliquer. D’abord il y a le respect de mon intimité. Je n’ai plus forcément envie que les gens voient où je suis ou comment je vis. Après il y a un aspect économique parce que je rinçais pas mal. Au fond tu vois je prépare l’apéro, les boissons. Pour que finalement si ça se trouve au bout de deux heures je me dis « oh putain mon dieu »… C’est con à dire mais c’est vrai qu’il y a aussi cet aspect là. Et puis surtout l’idée est de se dire, une fois qu’il est là qu’il est installé comment je m’en débarrasse. ». partir ? » S : « Oui ça m’est arrivé. » C : « Et tu faisais comment ? » S : « J’étais obligé de me montrer ferme et de dire non non, « tu es mignon, tu es sympa mais bah non ne va pas rester ». Elle poursuit « En fait, j’ai eu de la chance, c’était dangereux, j’aurais pu tomber sur un malade. Quand bien même je retournerais sur les applications, jamais je ne referais venir quelqu’un chez moi pour toutes les raisons que je t’ai évoquées. Pour l’intimité, l’économie et les raisons de sécurité. » Ce témoignage est le reflet d’une réalité. Il est important de comprendre que les femmes ont intériorisé l’idée que l’espace public, surtout le soir, était dangereux pour elle. Pourtant, Catherine Deschamps nous explique dans son article Genre et Sexe : Mécanismes de
102
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
C : « Justement, tu as déjà eu des expériences ou tu n’arrivais pas à le faire
protection et de contrôle des femmes et des hommes dans l’espace, que c’est l’espace de la sphère intime dans lequel elles sont le plus en insécurité. « Implicitement, elles représentent toujours les espaces privés comme plus cléments et libres pour les femmes, alors même que les statistiques des meurtres et des crimes prouvent le contraire : ce sont des proches, à l’abri des murs, qui le plus souvent tuent, violent et violentent. (…) Les meurtres ou les violences entre hommes se tiennent par contre fréquemment dans l’espace public ou semi-public, là même où les représentations leur assignent pourtant une place centrale »1. De cette manière, on comprend que les applications de rencontre replacent au centre des questionnements la divergence des pratiques non pas seulement en fonction de la sexualité mais aussi du genre. Enfin, comme le dit Sandra, recevoir chez soi, c’est également accepter de montrer son intimité à un inconnu. Intimité que l’on a créée. La maison ou l’appartement sont des assemblages de murs et de toits composant des espaces neutres que l’habitant devra personnifier pour se sentir chez lui.
d. Le chez soi : « personnification » du lieu par les objets
Finalement, les applications nous invitent à nous rendre chez les uns et chez les autres.
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
Pour « mettre à l’aise », l’hôte doit se trouver dans un environnement dans lequel il se sent bien. Que représente le « chez soi » ? Recevoir quelqu’un, c’est accepter de lui dévoiler une partie de nous. Mais entre quatre murs de béton, de bois ou de pierre, comment parvenons-nous à nous approprier notre logement ? Si un « bon logement » est celui où l’on se sent chez soi, l’architecte ne doit-il pas simplement être celui qui met l’habitant « hors d’eau » et « hors d’air » ? Un logement bien orienté dont les espaces maximisent les possibilités d’agencement et de personnification est-il suffisant pour une bonne appropriation ? Anthony, 47 ans, résidant dans le 18ème arrondissement à l’époque me fait part de la première rencontre avec sa femme actuelle. Il la reçoit chez lui, dans cet espace « temporaire », où il n’avait pas les « moyens de recréer un univers ». Anthony avait laissé
1
DESCHAMPS CATHERINE, (2012), Genre et Sexe ; Mécanismes de protection et de contrôle des femmes
et des hommes dans l’espace, C.N.R.S. Editions | « Hermès, La Revue »
103
à sa fille l’unique chambre de l’appartement. Lui dormait dans le salon. Il avoue ne pas avoir « 1000 photos ». Il sous-entend par là qu’à l’inverse du temporaire, le logement permanent est le lieu où l’on entrepose des photos, des objets et plus généralement des souvenirs. C : « Limite tu étais content qu’il y ait les photos ? Est ce qu’il y avait des choses de ton intérieur qui amenait à discuter ? En visio ou quand elles sont venus ? » A : « Non parce que j’avais pas 10000 photos. C’était un appartement temporaire, je m’étais séparé de ma femme d’avant donc je n’avais pas eu le temps ni les moyens de recréer un univers ni les souvenirs. Il y avait quelques choses mais ça restait assez anecdotique. » Dans ma grille d’entretien, je posais la question du « décor » de l’appartement, de la gestion des odeurs, de la lumière en lien avec l’intimité qu’elles créaient. Je demandais si chacune des personnes avait tendance à aménager son intérieur de manière particulière lorsqu’il recevait. J’ai finalement compris que le sujet n’était pas exactement là. Deux questions ont été soulevées. Est-ce les objets qui nous permettent de définir un lieu comme étant notre logement ? La taille de l’appartement a-t-elle un impact sur la manière dont nous sommes reçus et dont nous recevons ?
Philosophie de la maison, m’interpellent.1 Il déclare sur France Culture que « Pour être dans ce monde de manière heureuse, il faut transformer ce monde, le monde n’est pas d’emblée prêt à nous accueillir, il n’est pas d’emblée un chez soi. Il faut l’aménager, le transformer, le cuisiner un petit peu pour que l’on puisse y trouver un petit peu de bonheur. (…) En réalité la forme maison, le sol, les toits, les murs, est par définition l’inhabitable. Il s’agit d’une abstraction parce que au lieu de se fonder sur la réalité des gestes et du monde, de choses et de sentiments qui peuplent la vie de chacun d’entre nous, elle les réduit à un fait purement géométrique. »2 Il me semble que ces mots sont très justes car, en réalité, lors des entretiens beaucoup on fait référence à des ambiances créées par des sonorités ou des objets. Romain aime 1
Illustration n°31
2
BESSERIE Maylis, op. cit p.93
104
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
Dans un premier temps, les mots du philosophe Emanuele Coccia, auteur du livre
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 31 Emanuele Coccia, Philosophie de la maison Couverture, 2021
105
remplir son « frigos avec différentes boissons pour satisfaire la personne, mettre une bougie ou une musique d’ambiance. Un truc un peu cosy. ». L’aménagement de son logement résulte d’abord de choix personnels. Notre logement s’il a la même forme que celui de notre voisin, est pourtant bien différent. R : « Je me souviens d’un garçon qui m’a reçu et j’avais l’impression d’être entré dans un hôpital en faite. Ça m’a vraiment marqué, tout était blanc. Je ne sais pas où tu es, chez toi ou au boulot mais tu imagines que tous les objets que tu vois autour de toi qui sont colorés, en fait ils sont blancs. Du coup j’avais un peu halluciné. » En réalité, cette expérience qu’a vécue Romain est, pour moi, la résultante d’un besoin de personnification de son logement. Expérience qui fait écho au projet La chambre de ma femme Lina conçu par Adolf Loss3. Apologie de la femme indépendante et libre ou « sanctuaire mortuaire »4, cette chambre aux multiples matières mais entièrement blanche n’est-elle pas simplement la résultante des souvenirs et expériences vécues par Loss ? Qu’elle plaise ou qu’elle déplaise, il ne s’agit peut-être là que d’une représentation de l’intime qui est propre à l’architecte. De plus, il est important de comprendre que le rapport aux objets n’est pas le même pour tous. Ainsi, un élément significatif pour l’un de l’est pas forcément pour l’autre.
M : Il y en a un. J’avais été au restaurant avec lui avant. Il était très gentil, grand un peu barbus machin, mais un peu space quand même. Il m’a emmené chez lui dans une petite maison, vraiment très simple etc. Il travaillait pas, il était au chômage donc c’était vraiment très rudimentaire on va dire. C : C’était en banlieue aussi ? M : C’était en banlieue aussi, du coté de ... je ne sais plus, plus loin que Franconville parce que après le restaurant on avait un peu bu, on avait été chez lui et je m’étais dit que je n’allais pas pouvoir rentrer chez moi. Lui 3
Illustration n°32
4
GIARD Agnès, (27 juillet 2020), La chambre de Lina : conjugale ou mortuaire ?, Blog les «
400culs », Libération, URL : https://www.liberation.fr/debats/2020/07/27/la-chambre-de-lina-conjugale-ou-mortuaire_1811134/
106
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
C’est ce que nous montre l’expérience décrite par Marion.
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 32 Adolf Loss, Hubmann Vass Architekten, «We will remake this»; on the reconstruction of manifesto. Lina and Adolf Loss Bedroom 2014
107
aussi, très gentleman quand même. J’avais un peu bu, on avait mis la télé et à un moment donné il m’a montré une vidéo où il parlait d’extraterrestres. En fait, très sérieux, il me dit que les extraterrestres sont parmi nous. Le mec à la télé, la vidéo, racontait qu’il y avait une race d’extraterrestres qui était grande. Enfin qui le décrivait un petit peu lui. Il se tourne vers moi et me dit « tu vois Marion, je suis venue te chercher », et là j’ai commencé à flipper. Et en même temps il était pas .. enfin space5 quoi. Et moi j’avais bu dont je me suis dit « super ». En plus il pleuvait donc c’était pas génial. (…) Donc je suis restée souriante mais voilà. De là il me dit « ne t’inquiète pas avec l’orage et puis s’il y a quoi que ce soit qui se passe, j’ai un flingue sous le lit ». Donc là je n’ai pas beaucoup dormi de la nuit en fait. Je suis restée sur le bout du lit. Le matin je me suis réveillée vite. (…) J’avais quand même hâte de me casser parce qu’il me faisait flipper. Et puis j’allais partir et là il se penche vers moi avec un grand sourire et me fait un smack6. Je sais plus ce qu’il me dit, mais très space, il me dit « je suis vraiment trop content », il était sur un nuage. » En réalité, on comprend ici que les deux personnes n‘ont pas perçu la soirée de la même manière. Pour Marion, ce n’est pas l’aspect rudimentaire de la maison qui pose problème mais les objets, vidéos qui lui sont montrées, là où pour l’homme tout semble être normal. Malgré le caractère étonnant des éléments qui composent son logement, ce sont des biens physiques ou immatériels qui représentent son « chez lui ». Pour justifie par le biais sécuritaire. Cette expérience montre également qu’il est difficile de s’enfuir lorsque l’on est chez quelqu’un, à l’inverse de l’espace public où nous avons la possibilité de gosther. Quant à Maxime, il n’invite personne chez lui car il m’avoue n’avoir « rien qui fait que c’est mon espace. J’ai pas d’intimité, j’ai pas tous les tableaux, tous les livres, les bibelots qui vont permettre de lire qui je suis. ». En effet, il aime « quand les gens se lèvent pour aller voir, qu’ils regardent la bibliothèque pendant qu’on parle. (…) ». Ce qui m’a particulièrement interpellée lors de notre échange est l’idée que, pour lui, se rendre chez un inconnu est un moyen de connaître l’autre sans avoir besoin de parler. « Je pourrais poser la question « qu’est-ce que tu lis, tu écoutes, tu regardes » mais je 5
Signifie bizarre en français.
6
Signifie bisous en français.
108
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
cet homme, avoir une arme à feu chez lui ne semble pas être un problème puisqu’il le
trouve que l’interaction est tellement plus drôle, agréable. Quand la main caresse les bouquins que tu ouvres et tu te dis « ah il a lu ça ok ». ». Maison, appartement en famille ou en colocation, plus que les objets ce sont les personnes qui composent un lieu, qui créent le logement. Pour Maxime lorsque plusieurs personnes habitent un logement, « ça dépasse la vie privée de la personne avec qui tu interagis, ça touche la vie privée de personnes avec qui tu n’as jamais parlé du tout ». Dans un second temps et de manière générale les personnes interrogées semblent davantage associer petit logement et intimité mais s’arrêter à ce constat superficiel serait une erreur. Il est plus intéressant de comprendre en quoi la bonne conception d’un logement peut permettre une appropriation de ce dernier et donc permette à l’habitant de se sentir « chez soi ». Des architectes comme Sophie Delay tentent de réfléchir à un logement qui soit le plus modulable possible. Elle réalise à Dijon un immeuble de logements composé de plusieurs unités de 13m² - défini par la taille minimale d’une chambre selon elle7.8 L’usage de ces modules est libre. Ils peuvent devenir un salon, une chambre, une terrasse, etc. Cela permet ainsi une multitude d’assemblages et de combinaisons.
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
L’appropriation du logement est facilitée. De même pour Lacaton et Vassal qui, en 2005, réhabilitent les serres de la Cité Manifeste de Mulhouse.9 Ils créent 14 logements en réduisant au maximum les coûts « dans le seul objectif d’offrir plus d’espace »10. Ainsi les habitants ont à disposition de grands plateaux libres qu’ils sont libres d’aménager et de décorer comme ils le souhaitent. Les murs en béton sont laissés bruts et aucune cloison n’est montée. Entre autres, le choix de la couleur des murs et de la disposition des cloisons est laissé aux propriétaires. Si la mise à disposition d’espace suffisamment vaste permet une adaptation toute 7
DELHAY Sophie, (2019), Unité(s), Dijon
8
Illustration n°33
9
Illustration n°34
10
LACATON Anne (22 juin 2017), Freedom of use, The VELUX GROUPE, Youtube, 41,54min URL : https://
www.youtube.com/watch?v=swoKNNeNf5Q
109
110
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 33 Sophie Delhay, Unité(s) 2019
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
illust. 34 Lacaton & Vassal, Gerhard Hagen, Cité Manifeste Mulhouse 2005
111
particulière pour le propriétaire ou le locataire, ce n’est pas le seul avantage. Dans le cadre des applications de rencontre, l’habitant reçoit une personne qu’il n’a jamais vue chez lui. Un espace suffisamment spacieux permet de ne pas pénétrer dans l’intimité de l’autre trop rapidement. A : « Je pense que je me sens plus à l’aise dans un espace plus large, bien rangé etc, où il n’y a pas d’odeur particulière. Je te donne 2 exemples. Une fois, un appartement où je me suis sentie bien dès le premier pas. C’était une porte d’entrée qui s’ouvrait directement sur la pièce principale du studio. Donc tu avais de la place partout. Quand tu entres, tu peux te mettre un peu à distance de la personne sans être dans une proximité trop rapide ou pas désirée pour le moment. Et du coup, tu peux enlever ton blouson, tes chaussures suffisamment loin. Dans ces moments là tu te sens plutôt bien. Tandis que ça m’est déjà arrivé de capter un gars dans un petit appart et du coup l’entrée c’est aussi la cuisine, c’est tout serré. Des fois il y a même des trucs qui sont en train de chauffer donc il faut faire attention à la poêle, le machin et du coup tu es dans une proximité avec cette personne que tu ne connais pas qui est beaucoup trop importante. Tu es hyper gêné à l’entrée parce que tu es trop proche d’elle. D’un oeil d’archi, une porte qui s’ouvre en plein milieu d’un appart c’est une catastrophe. Pour autant à ce moment-là,
« Accueillir, ce n’est pas une question de mètres carrés mais d’intention ». Ces mots sont ceux de Lamiel Sternberg, ancienne professeure d’histoire qui m’a accompagnée lors de l’élaboration de ce mémoire. Qu’il s’agisse d’un studio parisien, d’un loft de banlieue ou d’une maison de campagne, l’important est que l’invité se sente bien. Les rencontres qui se déroulent dans l’espace privé sont pour la plupart occasionnelles, pourtant il semble qu’elles nécessitent plus d’attention que dans l’espace public. Des témoignages, on perçoit le soin, l’attention et la préoccupation portée par les habitants pour leur intérieur. Nos objets en tant que moyens de transition permettent l’appropriation de l’espace intime, tout comme l’importance accordée à l’hospitalité. Néanmoins, il reste que notre attention semble être de plus en plus sollicitée quotidiennement car nous l’avons vu au début de ce mémoire, l’introduction des
112
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
avoir un espace plus dégagé comme ça, c’est plus agréable. »
applications de rencontre dans notre quotidien a permis de rencontrer des personnes depuis chez soi, depuis son canapé, son lit ou même ses toilettes. La frontière qu’était la maison et qui permettait la délimitation entre espace public et espace privé est devenue poreuse. Pour Emanuele Coccia, « la maison est devenue planète » , c’est pourquoi celle du « futur devrait être cette pierre philosophale : le principe permettant à toutes les choses de se transformer entre elles et à toute vie de se savoir équivalente à toute vie »11. Les questions d’anonymat, de seuil et d’hospitalité qui semblaient être propres à la ville ou au logement semblent se confondre. Sommesnous en train de voir disparaître la notion de seuil ? Devons-nous désormais être anonyme chez nous et hospitalier en ville ? À l’ère du tout numérique, ce sont des
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
questions qui méritent d’être posées.
11
COCCIA Emanuele, (2021), Philosophie de la maison, Rivages p. 208
113
CHAPITRE 3 DE LA (RÉ)APPROPRIATION DE LA VILLE À L’OCCUPATION DES ESPACES PRIVATIFS
114
CONCLUSION Si mon sujet pouvait paraître surprenant, je n’avais pas la volonté de révolutionner la conception architecturale et urbaine. Je souhaitais d’abord poser des questions, car la pratique des applications de rencontre invite tout de même à réfléchir sur notre relation entre ville et logement, intime et extime et plus globalement, sur la notion de seuil(s). Une chose est sûre, nous continuons à nous déplacer pour rencontrer et cela peutêtre même plus qu’avant. Dans leur dimension virtuelle comme réelle, les applications de rencontre (re)questionnent nos déplacements et nos pratiques de la ville mais également notre rapport à l’intime et à l’hospitalité. Dans un premier temps, comme le dit Nicolas Boivin, « Le sexe est localisable, certes, mais il est bien plus que cela, il est à la fois créateur de lieux et les détourne aussi »1. Si les applications de rencontre semblent avoir accéléré la rencontre physique, elles sont aussi à l’origine de la création de nouvelles villes 2.0, de nouvelles cartes. Peutêtre les verrons-nous demain s’emparer des technologies comme le Métavers, ce nouvel espace virtuel infini qui semble être un prolongement d’internet ? Il permet aux personnes de se rencontrer à l’autre bout du monde, tout en étant dans leur canapé. L’ouïe, l’odora, la vue, le toucher, tous les sens sont utilisés comme dans la vraie vie, pourtant les individus sont cachés derrière un casque de réalité virtuelle. Ces cartes qui ne sont plus physiques et ces espaces qui ne sont pas faits de terre et de pierres ne doivent-ils pas être dessinés par les architectes et urbanistes ? Dans un second temps, l’outil technologique que représentent les applications semble induire et ancrer le paradoxe entre hyper-hospitalité et hyper-distanciation. On permet à des inconnus de renter dans notre intimité en accordant la plus grande importance à
1
BOIVIN Nicolas, (22 mai 2007), Géographie et sexe ; du lieu au territoire sexuel, de Sade à
Foucault, Doctorant, Université de Bordeaux, Cahiers Ades, Sexe de l’espace, Sexe dans l’espace, UMR
CONLUSION
ADES
115
notre intérieur, dans l’objectif qu’ils s’y sentent bien. Pourtant, parallèlement on refuse d’être identifié dans l’espace public et on ghoste aussi vite que l’on rencontre. Enfin, tout au long de mes études, j’ai pensé que l’altérité était fondamentale pour une bonne conception architecturale. Elle nous pousse à reconsidérer notre pratique en permanence. En architecture rien n’est acquis et ce mémoire en est, pour moi, la confirmation. Ce mémoire est la résultante de rencontres dont la sincérité m’a aidé à penser. Les rencontres avec des personnes du corps enseignant, des sociologues, des utilisateurs d’applications mais aussi, et surtout, avec des individus autonomes qui pratiquent les espaces publics et privés à des fins de rencontre, le cas échéant sexuelle, ont été capitales. L’architecte construit d’abord pour les
humains. Pour Aristote l’être humain est
d’abord « un être social ». Par conséquent, nous ne pouvons ignorer l’importance d’une réflexion, d’une production et d’un renouvellement des lieux de rencontre et de sociabilité. La liberté d’appropriation de la ville et du logement par les habitants semble constituer un premier élément de réponse. Les architectes et urbanistes doivent plus que jamais se confronter à ces questions pour produire un travail durable qui répondra aux bouleversements sociaux, économiques, culturels ou désormais épidémiques des prochaines années. Les applications nous imposent tant à re-moraliser nos pratiques, qu’à les repenser dans l’espace et le temps. « Cette séparation ou cette opposition entre le privé et le public a été complètement effacée par tout l’univers digital. On en a fait l’expérience pendant la pandémie, au fond la ville a disparu pendant quelque mois. Elle était inaccessible. On a pu ramener à la maison toutes les expériences qu’on
116
CONLUSION
faisait en ville.. le travaille, voir des amis pendant les apéros, apprendre,
aller à l’école. On a pu le faire parce qu’on avait déjà créé des petits couloirs virtuels qui passent d’appartement à appartement, de chez soi à chez soi, en by passant2 la ville. Cette pandémie nous a appris que ce qu’on appelle univers digital n’est pas un village global. Il n’est pas fondé sur un imaginaire urbain, c’est un salon global. C’est une salle à manger universelle qui permet de produire un nouveau commun, qui n’est pas un commun urbain, politique. Il efface cette opposition entre le privé, le public, la politique et l’individuel ».3 - Emanuel Coccia À l’ère du smartphone, nous sommes en contact constant avec l’extérieur. Fini les lettres postales et les coups de fil occasionnels pour échanger. Avec les applications, on rencontre dans son lit comme au bar. Les frontières entre intime et extime sont devenues floues. Alors que la rencontre induit une appropriation de l’espace public et privé, la notion de seuil semble encore y échapper. Comment l’habitant peut-il s’adapter quand tout est en mouvement permanent, et que les frontières spatiales, temporelles et morales sont constamment redéfinies ? Les architectes ne doivent-ils pas s’emparer de ces questions en pensant les seuils comme des espaces d’hospitalités modulables
CONLUSION
et appropriables par et pour tous ?
2
Expression qui signifie court-circuiter
3
BESSERIE Maylis, (28 décembre 2021), op. cit p.93
117
CONLUSION
118
BIBLIOGRAPHIE AUPROUX Agathe, (22 aout 2015), Whim, l’application qui va ringardiser Tinder, Les Inrockuptibles,
URL
:
https://www.lesinrocks.com/actu/whim-lapplication-qui-va-
ringardiser-tinder-90084-22-08-2015/ BENDERSON Bruce, (2001), Sexe et solitude, Rivages, Rivages Poche Petite Bibliothèque, numéro 335, 112 p. BERGSTRÖM Marie, (Février 2016), Sites de rencontres : qui les utilise en France ? Qui y trouve son conjoint ?, Ined, numéro 530, Population & Sociétés, bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques BERGSTRÖM Marie, (2019), Les nouvelles lois de l’amour - Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique, La découverte, Revue Problemes politique Et Sociaux, 228 p. BERTHELOT Benoît, (13 aout 2015), La géolocalisation dope le marché de la rencontre, Capital, URL : https://www.capital.fr/economie-politique/la-geolocalisation-dope-lemarche-de-la-rencontre-1063676 BESSERIE Maylis, (28 décembre 2021), Philosophie de la maison, avec Emanuele Coccia, La grande tables idées, France Culture, 32 minutes. URL : https://www.franceculture.fr/ emissions/la-grande-table-idees/philosophie-de-la-maison-avec-emanuele-coccia BOIVIN Nicolas, (22 mai 2007), Géographie et sexe ; du lieu au territoire sexuel, de Sade à Foucault, Doctorant, Université de Bordeaux, Cahiers Ades, Sexe de l’espace, Sexe dans l’espace, UMR ADES BOUBEKEU Nacer, (28 juillet 2016), Le minitel rose : un objet oublié du numérique, France
BIBLIOGRAPHIE
Inter, URL : https://www.franceinter.fr/societe/minitel-rose
119
BOZON Michel, HÉRAN Francois, (1988), La découverte du conjoint. II. Les scènes de rencontre dans l’espace social, Edition Population, p. 121-150 BROQUA Christophe, COMBESSIE Philippe, DESCHAMPS Catherine, RUBIO Vincent, (2019), La sexualité au cœur des échanges intimes, Journal des anthropologues, URL : https://journals. openedition.org/jda/7996#quotation BRUNETEAUX Patrick, LANZARINI Corinne, (1998), Les entretiens informels, Sociétés contemporaines, Sciences Po CALLE Sophie (1979). Suite vénitienne, Venise, Italie CHAZALON Élodie, (2014), Visions de la ville dans Sex and the City : topographie et typographie de l’excès, URL : https://www.semanticscholar.org/paper/Visions-de-la-ville-dans-Sex-and-the-City%3A-et-de-Chazalon/6c1c19b674261ab417c2cca82bea9d0e16f2b4f4 COCCIA Emanuele, (2021), Philosophie de la maison, Rivages 208 p. DAKHLIA Jamil, POELS Géraldine, (2012), Le minitel rose : du flirt électronique... et plus, si affinités. Entretien avec Josiane Jouët, Le temps des médias, n°19 p. 221-228 URL : https://www.cairn.info/ revue-le-temps-des-medias-2012-2-page-221.htm DEBORD Guy, (1957), Guide psychogéographique de Paris. Discours sur les passions de l’amour. DESCHAMPS Catherine, (2020), Les « échanges économico-sexuels » à l’épreuve des plateformes et foules numériques, La Découverte, « Revue Française de Socio-Économie », p. 145 à 153 DESCHAMPS Catherine, GAISSAD Laurent, (19 avril 2019), Pas de quartier pour le sexe ?,
120
BIBBLIOGRAPHIE
EchoGéo, URL : http://journals.openedition.org/echogeo/4833
DE SMET François, GOURARIER Mélanie, ROHMER Thomas, (24 février 2020), La sexualité au temps du virtuel, Table ronde, Palais de la découverte et cité des sciences, France Culture, 93 minutes. URL : https://www.franceculture.fr/conferences/palais-dela-decouverte-et-cite-des-sciences-et-de-lindustrie/la-sexualite-au-temps-du-virtuel DOREMUS Drake (2017), Newness, Etats-Unis, 117 minutes. FABRET-SAADA Jaenne Favret-Saada, (2009), Désorceler, Chapitre « Être affecté », Edition de l’Olivier, 128 p. FERRARI Pauline, (20 mars 2021), Un an de crise sanitaire : le grand chambardement des appli de rencontre, ELLE, URL : https://www.elle.fr/Love-Sexe/Celibataires/Articles/ Un-an-de-crise-sanitaire-le-grand-chambardement-des-appli-de-rencontre-3921117 FOOTE WHYTE William, (2007), Street Corner Society, La Découverte Poche Sciences Humaines N° 126 FOUCAULT Michel, (2000), Le corps Utopique, Les Hétérotopies, Lignes, Paris, p-28-29 GAISSAD Laurent, DESCHAMPS Catherine, TARAUD Christelle, (2009) Hétéros. Discours, lieux, pratiques, Paris Epe, 220 p. GAISSAD Laurent, (2020), Hommes en chasse, Chroniques territoriales d’une sexualité secrète, Presses universitaires de Paris Nanterre, 184 p. GARGOV Philippe, (10 mais 2016), Les applis de rencontre vont-elles sauver la ville ?, POP-UP URBAIN, URL : https://www.pop-up-urbain.com/les-applis-de-rencontre-vontelles-sauver-la-ville/
BIBLIOGRAPHIE
GARGOV Philippe, (29 octobre 2012), Géolocalisation, du flirt urbain au baise-en-ville
121
(minorités), POP-UP URBAIN, URL : https://www.pop-up-urbain.com/du-flirt-urbain-aubaise-en-ville-minorites/ GARGOV Philippe, (31 janvier 2010), Si les gamers cartographiaient le monde, POP-UP URBAIN, URL : https://www.pop-up-urbain.com/si-les-gamers-cartographiaient-le-monde/ GESBERT Olivia, (27 janvier 2022), Les réseaux sociaux sonnent-ils le glas de l’amour ?, La grande table idées, France Culture, 33min GIARD Agnès, (27 juillet 2020), La chambre de Lina : conjugale ou mortuaire ?, Blog les « 400culs », Libération, URL : https://www.liberation.fr/debats/2020/07/27/la-chambrede-lina-conjugale-ou-mortuaire_1811134/ GOFFMAN Erving, (1974), Les Rites d’interaction, Les Editions de Minuit, 236 p. GWIAZDZINSKI Luc, (2020), Ce que la nuit raconte au jour, Ateliers d’anthropologie, URL : http://journals.openedition.org/ateliers/13634 HAQUE Usman, (2002-2004), Hardspace, softspace and the possibilities of open source architecture, URL: https://haque.co.uk/papers/hardsp-softsp-open-so-arch.PDF HARRIS INTERACTIVE, (12 février 2019), (ou «dates») des français, Groupon, URL : https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-rendez-vous-amoureux-ou-dates-desfrancais/ HEMMEL Zef, (8 septembre 2010), The City As A Marriage Market, Pop Up City, URL : https://popupcity.net/observations/the-city-as-a-marriage-market/ HERTZBERGER Herman, (2016), Lessons for students in architecture, NAI Publishers; 7e
122
BIBBLIOGRAPHIE
édition, 272 p.
HORTONEDA Jeanine, (2010), Utopie et hétérotopie. En quête de l’intime, Empan, Cairn (n° 77), p. 69 à 78, URL : https://www.cairn.info/revue-empan-2010-1-page-69.htm JAQUE Andres, (2017), Grindr Archiurbanisme, Log 41, Working Queer, Anyone corporation, p. 75 à 84 JONZE Spike, (2013), Her, Etats-Unis, 126 minutes. KLAPISCH Cédric, (2019), Deux mois, France, 110 minutes. KOOLHAAS Rem, (2002), New-York délire : Un Manifeste rétroactif pour Manhattan, Parenthèses, 320 p. KRAUS François, (16 novembre 2017), Comment trouve-t-on l’amour à Paris à l’heure de Tinder ?, Sondage IFOP LACATON Anne (22 juin 2017), Freedom of use, The velux groupe, Youtube, 41.54 min URL : https://www.youtube.com/watch?v=swoKNNeNf5Q LEBOUVIER Théo, (27 juillet 2018), Comment se pratiquait le sexe au Moyen Age : l’expo qui nous dit tout, Néon Mag, URL : https://www.neonmag.fr/comment-se-pratiquait-lesexe-au-moyen-age-lexpo-qui-nous-dit-tout-513287.html LEBUGLE Amandine, (2017), Les violences dans les espaces publics touchent surtout les jeunes femmes des grandes villes, Population & Sociétés, URL : https://doi.org/10.3917/ popsoc.550.0001 LE GALLO Alexis, VALETTE Camille, (2020) SEX, CRUISING & BODY BUILDING, Projet de
BIBLIOGRAPHIE
fin d’étude M2, École Nationale Paris Malaquais
123
LESUEUR Charlotte, PINONDEL Mélissa, (2019), MAX, Licence, Projet de fin d’étude, Ecole Estienne. LICOPPE Christian, CAMUS Laurent, DALSTEIN Anne-Laure, ROUBBALLAY Clémence (1 janvier 2016 - 1 octobre 2018),
Sexe et amour à l’heure des applications
géolocalisées : le cas de Tinder, Forum vies mobiles, URL : https://fr.forumviesmobiles. org/projet/2018/10/15/sexe-et-amour-lheure-des-applications-geolocaliseescas-tinder-3117?utm_source=metropolitiques&utm_medium=email&utm_ campaign=2018_10_18 MATEOS Pierre-Alexandre,
MYRUP Rasmus, PERRAULT Octave, TEYSSOU Charles,
(2018), Crusing Pavillon, Venise, Italie. MONNERIE Corinne, (13 mai 2021), Rendez-vous sur un banc, soirées Netflix avec une inconnue : les célibataires à l’épreuve du Covid, Ouest-France, URL : https://www.ouestfrance.fr/societe/rendez-vous-sur-un-banc-soirees-netflix-avec-une-inconnue-lescelibataires-a-l-epreuve-du-covid-a93bab92-b31e-11eb-b3ae-6871867c9135 NIVET Soline, (2021), Dans le contre-jour de nos applis, Exposition Beauté d’une ville, Pavillon de l’Arsenal, URL : https://www.pavillon-arsenal.com/fr/actualite/la-beautedune-ville/12057-dans-le-contre-jour-de-nos-applis.html NŸS Maud, (2019), Architectures de l’impermanence : 6 jeux du temps chez Cedric Price, Architecture, aménagement de l’espace. Université Paris Saclay, URL : https://tel. archives-ouvertes.fr/tel-02100690/document PRECIADO Paul Béatriz, (2011), Pornotopie, Playboy et l’invention de la sexualité
124
BIBBLIOGRAPHIE
multimédia, Climats, 256 p.
REDOUTEY Emmanuel, (2008), Drague et cruising Géométaphores d’un mouvement exploratoire, EchoGéo, URL : https://journals.openedition.org/echogeo/3663#tocto1n1 RICHIEUX Marie, (21 avril 2015), La rencontre (2/5) : « Point de rencontre » - l’urbanisme crée l’occasion, Les nouvelles vagues, France Culture, 58 minutes, URL : https://www. franceculture.fr/emissions/les-nouvelles-vagues/la-rencontre-25-point-de-rencontrel-urbanisme-cree-l-occasion ROLLAND Édouard, (2018), L’appartement Beistegui (1929-1938) par Le Corbusier et Pierre Jeanneret, ou la rencontre entre architecture puriste et décoration surréaliste, dans Claire Hendren, Barbara Jouves et Hadrien Viraben (dir.), Paris, site de l’HiCSA SIMMEL Georg, (1903), Les grandes villes et la vie de l’esprit, Chapitre « Métropoles et mentalités », 112 p. SIMOES ANTUNES Lise, (07 août 2019) Vauxhall, le jardin des plaisirs, URL : https:// www.liseantunessimoes.com/vauxhall-le-jardin-des-plaisirs/ STEINBERG Sylvie, (14 novembre 2018) Une histoires des sexualités // la grande H, Youtube, Le média, 49.28min, URL : https://www.youtube.com/watch?v=PKysXEpUfBg STREET SCHOOL, (14 mai 2013), Dans les buissons des « jardins gay » du Louvre, Street Press, URL : https://www.streetpress.com/sujet/89032-dans-les-buissons-des-jardinsgay-du-louvre
BIBLIOGRAPHIE
VON TRIES Lars, (2003), Dogville, 177min
125
BIBBLIOGRAPHIE
126
ANNEXES
APPLICATIONS DE RENCONTRE Bouleversement des repères spatio-temporels et (ré)appropriation des espaces de rencontre physique CAROLINE TERMIGNONI
annexe 1 - index Applications de rencontre Adopte En 2021 le site de rencontre AdopteUnMec.com, créer en 2007, se renomme Adopte. « AdopteUnMec.com est un site de rencontres décalé où seules les filles peuvent aborder les mecs ! Pour que les mecs puissent parler aux filles il faut qu’elles les aient mis dans leur panier ou qu’elles leur aient déjà parlé.»
Bearwww « Bearwww est le réseau social de la communauté gay bear ». Application créée par le site de rencontre Bearwww.com créer en 2010 .
Bigger City « BiggerCity est un service de rencontre pour les hommes gais de taille (Chubs/Bears) et leurs admirateurs (Chasers). Une communauté mondiale avec des membres de plus de 160 pays ; BiggerCity offre un espace amusant et accueillant pour les grands hommes et leurs admirateurs pour flirter, se connecter et socialiser. »
Blendr Application créée par le site Badoo. L’une des premières applications de rencontre à avoir permis de cacher sa géolocalisation.
Bumble Application créée en 2014. «Lorsque des utilisateurs de sexe opposé se connectent, ce sont les femmes qui envoient le premier message et qui donnent le ton, promouvant ainsi des valeurs basées sur l’égalité la plus totale dès le début.»
Chasabl «Chasabl est site à moitié réseau social et site de rencontres pour les hommes baraqués et ceux qui les aiment : chubs, chasers, chubby bears et chuby, et tous les autres.».. Une application est
ANNEXES
disponible.
1
Fruitz Application qui prône : « Rencontrez des gens qui cherchent pour le même genre de relation que toi ». Le type de relation recherché est défini par un fruit afin de permettre aux utilisateurs d’identifier les personnes qui leur correspondent ou non.
Grindr Première application créée en 2009. « Grindr est l’application gratuite de réseau social mobile n°1 au monde permettant de connecter les homosexuels, les bisexuels et les transsexuels. »
Once Application qui propose une seule rencontre par jour. Si les utilisateurs se plaisent, ils ont 24h pour communiquer. L’idée est de limiter les swipes afin de favoriser le slowdating.
Scruff Fondée en 2010, l’application SCRUFF est dédiée à des rencontres gays, bisexuels, transsexuels et queers.
Tinder Créée en 2012, c’est l’une des applications les plus populaires aujourd’hui. Elle proclame des rencontres « avec les profils les plus variés. Des mecs et des meufs de tous horizons s’y donnent rendez-vous, s’y créent des souvenirs, y tissent des amitiés et bien plus encore.».
Wapa Application de rencontre pour les femmes lesbiennes.
Whim Application de rencontre développée en 2016 dont l’objectif est de favoriser la rencontre «dans la vraie vie». Un
2
ANNEXES
agenda virtuel est créé et des rendez vous sont organisés en fonction des hobbies des utilisateurs.
PRÉNOM *
*
DATE DE L'ENTRETIEN **
MÉTHODE DE RECRUTEMENT
ÂGE
GENRE
Mathilde
29 octobre 2021
23
Femme
Eva
2 novembre 2021
22
Femme
Pia
4 novembre 2021
26
Femme
Adam
4 novembre 2021
21
Homme
Maxime
18 novembre 2021
19
Homme
Lola
18 novembre 2021
20
Femme
Théo
30 novembre 2021
24
Homme
Sacha
2 décembre 2021
Connaissance d’amis
24
Homme
Anthony
4 décembre 2021
Connaissance de la famille
47
Homme
Sandra
6 décembre 2021
Connaissance de la famille
54
Femme
Denis
7 décembre 2021
Connaissance de la famille
58
Homme
Romain
8 décembre 2021
Connaissance d’amis
44
Homme
Marion
16 décembre 2021
Recommandé par une personne intérrogée
48
Femme
Mathéo
2 janvier 2022
Connaissance d’amis
23
Homme
Sybille
5 janvier 2022
Connaissance d’amis
25
Femme
Pour préserver l’anonymat des personnes, les prénoms ont été modifiés. Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits à l’écrit.
ANNEXES
**
4 3
annexe 2 - entretiens LIEU
LIEU D'HABITATION LORS
D'HABITATION
DE L'UTILISATION DES
ACTUEL
APPLICATIONS
Hétérosexuelle
Paris 9ème
Paris 9ème
Tinder
Bisexuelle
Paris 15ème
Marseille, Paris 15ème
Tinder, Bumble, Fruitz, Happn
Hétérosexuelle
Lille
Anger, Lille
Tinder, Bumble
Homosexuel
Paris 17ème
Paris 17ème
Tinder, Grindr
Homosexuel
Paris 14ème
Metz, Paris 14ème
Tinder, Grindr
Hétérosexuelle
Paris 14ème
Nemour
Tinder
Hétérosexuel
Ivry-sur-Seine
Fontenay-sous-Bois, Paris 13ème, Ivry-sur-Seine
Tinder, Bumble, Fruitz, Happn, Ask
Homosexuel
Fontainebleau
Paris 2ème, Ivry-sur-Seine, Fontainebleau
Grinder, Chasabl,Bearwww, Bigger City, Scruff, Happn, Tinder, Bumble, Fruitz
Hétérosexuel
Bagnolet
Paris 18ème
Meetic, Tinder
Hétérosexuelle
Menucourt
Menucourt
Badoo, AdopteUnMec.com
Hétérosexuel
Epinay-sur-Seine
Epinay-sur-Seine
Badoo, Tinder
Homosexuel
Paris 13ème
Paris 13ème
Grindr, Tinder, Scruff
Hétérosexuelle
Andrésy
Andrésy
Meetic, Amour Bio, Green Lovers, Tinder
Homosexuel
Paris 18ème
Mayenne, Paris 18ème
Tinder, Grindr
Hétérosexuelle
Margency
Margency
Tinder, Bumble
5 4
APPLICATIONS UTILISÉES
ANNEXES
SEXUALITÉ
annexe 3 grille d’entretien Première partie du questionnaire : •
Souvenir d’une rencontre qui vous a marqué ?
•
Aviez-vous rendez vous ou s’agissait-il d’une rencontre hasardeuse ?
•
Dans quel lieu s’est déroulée cette rencontre ?
•
S’agissait-il d’un lieu près de chez vous ? Quel type de mobilité avez-vous emprunté pour vous y rendre ? (Métro, voiture, vélo, marche)
•
Dans quelle temporalité cette rencontre a-t-elle eut lieu ? (Matin, midi, soir, nuit)
•
Avez-vous déambulé dans la ville ou vous êtes vous arrêté, installé ?
•
Si il y en a, avez vous pris place sur un mobilier spécifique ? Si non, où vous êtes vous installé ? (Table et chaise, banc, muret // espace vert, pelouse, quai de seine)
•
Avez-vous changé de lieu pendant la rencontre ?
Deuxiéme partie du questionnaire : •
Utilisez-vous les applications de rencontre ?
•
Si oui, racontez moi une rencontre qui vous a marqué. Dans quel lieu s’est déroulé cette rencontre ?
•
Quelle distance avez vous défini sur l’application ?
Orientation n°1 : espace public
•
Pourquoi avez-vous choisi cet endroit ? Son aménagement, sa localité, la population qui le compose ont-ils influencé votre choix ?
•
S’agissait-il d’un lieu près de chez vous ? Quel type de mobilité avez-vous emprunté pour vous y rendre ? (Métro, voiture, vélo, marche)
•
Dans quelle temporalité cette rencontre a-t-elle eut lieu ?
•
Vous êtes vous donner un point de rencontre précis, avez vous des habitudes ? Des préférences
ANNEXES
de lieu pour des questions de sécurité, d’intimité ?
5
Orientation n°2 : privé
•
Si cette rencontre s’est déroulée chez vous ou chez l’autre personne, dans quelle temporalité a-t-elle eut lieu ? (Matin, midi, soir, nuit)
•
Si il s’agit d’un appartement, avez vous accueilli ou avez-vous été accueilli, à la porte de l’appartement, dans le hall, devant l’immeuble ?
•
Avez-vous aménagé spécifiquement votre appartement/maison ou avez-vous eu la sensation que l’autre l’avait aménagé, rangé, soigné ? (Nettoyage, disposition du mobilier, lumière, odeur) Dans qu’elle partie de l’appartement/maison la rencontre s’est déroulée ? (Chambre, salon, cuisine)
6
ANNEXES
•
ANNEXES
annexe 4 annonce instagram
7
8
ANNEXES
annexe 5 annonce tinder
annexe 6 la découverte du conjoint
BOZON Michel, HÉRAN Francois, (1988), La découverte du conjoint. II. Les scènes de rencontre
ANNEXES
dans l’espace social, Edition Population, p. 121-150
9
BOZON Michel, HÉRAN Francois, (1988), La découverte du conjoint. II. Les scènes de rencontre
10
ANNEXES
dans l’espace social, Edition Population, p. 121-150
BOZON Michel, HÉRAN Francois, (1988), La découverte du conjoint. II. Les scènes de rencontre
ANNEXES
dans l’espace social, Edition Population, p. 121-150
11
annexe 6 Ined,numéro 530 Sites de rencontres : qui les utilise en France ? Qui y trouve son conjoint ?
Tableau 1. Taux d’usage des sites de rencontres par groupe d’âges, en 2006 et 2013 (%) 18-25 ans
26-30 ans
31-35 ans
36-40 ans
41-45 ans
46-50 ans
51-55 ans
56-60 ans
61-65 ans
Total 26-65 ans
Total 18-65 ans
2006
28
19
13
10
9
7
4
3
2
9
12
2013
(28-40)*
29
21
16
14
12
10
6
3
14
(16-18)*
Sources : Enquêtes CSF (Inserm-Ined, 2006) et Épic (Ined-Insee, 2013-2014). Champ : Femmes et hommes âgés de 18 à 65 ans en 2006 (N = 11 872) ; femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans en 2013 (N = 7 825). Lecture : En 2006, 19 % des personnes âgées de 26 à 30 ans s’étaient déjà connectées à un site de rencontres, proportion qui atteint 29 % en 2013. * L’enquête Épic n’a interrogé que des individus âgés de 26 ans et plus, elle ne permet donc pas d’observer les pratiques des plus jeunes. On peut penser qu’ils sont toujours de grands utilisateurs. On peut estimer une fourchette pour eux, avec une première estimation « conservatrice » selon laquelle le taux d’usage chez les 18-25 ans serait resté inchangé depuis 2006 (28 % dans ce groupe de jeunes, 16 % au total) et une deuxième estimation réaliste selon: laquelle taux d’usage chez ?lesQui 18-25 ans aurait Sitesplus de rencontres qui les le utilise en France y trouve sonaugmenté conjointà?peu près au même rythme que Sites de rencontres : qui les 18 utilise en France ? Qui y trouve son conjoint ? dans les autres groupes d’âges (40 % chez les jeunes, % au total).
Bien que l’usage des sites de rencontres 46 soitans, fréquent le taux d’usage différencie 46 ans, le taux d’usage différencie
Figure 1. Évolution du taux d’usage des sites de rencontres
en France, ce n’est pas encore une pratique totalement Figuredémesure 1. Évolution du taux d’usage des sites de rencontres peu les sexes et s’inverse même en Encadré 2. Mesure paret catégorie socioprofessionnelle entre 2006 et 2013 (%) peu les sexes et s’inverse même en par en catégorie entre Seuls 2006laetmoitié 2013 des (%) utilisateursfaveur acceptée. disent faciledes rencontres ligne socioprofessionnelle des femmes aux âges les plus faveur femmes aux âges les plus ment à leur entourage qu’ils s’y sont inscrits. Lesdes autres avancés. Plus nombreuses que les
%
% 18 rencontres avancés. nombreuses que les L’intérêt que suscitent les sites de a eu pour conséquence 16,3 16,0 affirment le contraire (28 %) ou déclarent que Plus cela 18 hommes à vivre seules à ce 16,3 16,0 16chiffres une production inflationniste de à leur hommes à vivre seules à ce 2013égard. Les tentatives 16 2006 dépend des13,3 personnes sites mettent 2006 2013 12,8(21 %). Parce que lesmoment de la vie, les femmes sont 12,6 14 12,7 13,3 pour mesurer l’ampleur du 14 phénomène sont nombreuses, 12,8 moment la vie, les femmes sont 12,6 12,7 et 11,2 au défi les imaginaires de l’amour aveugle et de lade ren12 aussi plus enclines à fréquenter les 11,2 10,0 débouchent sur des estimations12d’usage toutes plus élevées les unes aussi plus enclines à fréquenter les 9,1 10,0 parce qu’ils sont perçus contre7,7fortuite, mais aussi 10 sites dédiés à la (re)mise en couple. 8,1construction des 9,1 que les autres. Des faiblesses importantes dans la 10 sitesles dédiés à la (re)mise en couple. 8,1 8 7,7un mode de rencontre par défaut, comme utilisaLa population des usagers reflète 5,8 études limitent cependant la portée des résultats. 8 LaNombreux population des usagers reflète 6 teurs anticipent 5,8 des préjugés à leur égard. la population des célibataires et des 6 D’abord, les enquêtes sont souvent fondées sur des questionnaires 2,5 2,8 4 la population des célibataires et des sont ainsi ceux qui restent discrets sur leur usage. vivant « hors couple 2,5 4 en ligne avec un échantillon construit par 2,8 quotas. Ce procédé limite individus ». 2 individus vivant « hors couple ». 2 la représentativité de l’étude et0conduit notamment à surreprésenLoin d’être un marché parallèle Loin d’être un marché parallèle 0 Agriculteurs Artisans, Cadres & Professions Employés Ouvriers Inactifs ter les individus faisant un usage important d’Internet. Il en résulte Une démocratisation auInactifs fil du temps– où cherchent à se rencontrer des Agriculteurs Artisans, Cadres & Professions Employés Ouvriers commerçants professions intermédiaires – où cherchent à se rencontrer des qu’on surestime la fréquentation desexploitants sites de rencontres. C’estprofessions le cas exploitants commerçants personnes autrement incapables & chefs intellectuellesintermédiaires personnes autrement incapables & chefsen France intellectuelles d’un sondage réalisé en 2014 qui évalue le taux d’usage à La diffusion des sites de rencontres traduit une démod'entreprise supérieures de trouver un partenaire –, les sites d'entreprise supérieures deplus trouver un partenaire –, les sites 34 % (chez les 18 à 69 ans) [6]. L’enquête Épic, conduite à la même cratisation de leur usage. Avec le temps – et précisésont traversés par les mêmes Marie Bergström, Population et Sociétés n° 530, Ined, février 2016. sont traversés par les mêmes époque auprès d’un échantillon aléatoire et représentatif de530, la Ined, février 2016. avec l’augmentation de l’accès à Internet Marie Bergström, Population et Sociétés n° et lale marché logiques que amoureux Sources : Enquêtes CSF (Inserm-Ined, 2006) et Épicment (Ined-Insee, 2013-2014). population française, montre que la proportion est en réalité moitié logiques que le marché amoureux Sources : Enquêtes CSF (Inserm-Ined, 2006) et Épicvisibilité (Ined-Insee, 2013-2014). accrue de ces services –, la population des usaChamp : Femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans en 2006 (N = 9 690) et en 2013 (N = 7 825). et sexuel « ordinaire ». moindre (entre 16 % et 18 Champ % chez les 18 à 65 ans selon nos estimations). : Femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans en 2006 (N = 9 690) et en 2013 (N = 7 825). etcadres sexuelet « ordinaire ». s’estàdiversifiée (figure 1). 2006, les Lecture : En 2006, 6 % des ouvriers s’étaient déjà gers connectés un site de rencontres. En En 2013, ils lesLes modalités d’usage diffèrent De même, la définition Lecture large retenue des « 6rencontres en ligne » : En % des ouvriers s’étaient déjà connectés à un site de rencontres. En 2013, ils étaient 13 % à2006, l’avoir fait. modalités d’usage diffèrent personnes de professions intellectuellesLes supérieures étaient 13 %Enà 2012, l’avoirune fait.étude publiée aux également selon le sexe. Sur de amène à surestimer cette pratique. également selon le sexe. Sur de étaient deux fois plus nombreux que les ouvriers à avoir nombreux sites, les contacts entre États-Unis et abondamment citée affirme qu’Internet est devenu un nombreux sites, les contacts entre utilisé ce genre de site (13 % versus 6 %).usagers Sept anssont pluspayants et requièrent lieu de rencontres majeur dans ce pays : 22 % des couples hétérousagers sont payants et requièrent tard, l’écart s’est réduit (16 % contre 13 %). Les classes sexuels, formés à la fin des années 2000, seraient nés sur le réseau [7]. la souscription d’un abonnement. Figure 2. Taux d’usage des sites de rencontres la souscription d’un abonnement. Figure 2. Taux d’usage des sites de rencontres restent(%) donc surreprésentées parmi les ces usa-frais ne s’appliquent Les choix de codage des réponses recueillies tendent cependant Souvent, par sexe et paràgroupe supérieures d’âges, en 2013 Souvent, ces frais ne s’appliquent par sexeporte et par d’âges, en au 2013 (%)des dernières années, gonfler le phénomène étudié. Non seulement l’analyse surgroupe gers mais, cours les clivages qu’aux utilisateurs masculins. Les % qu’aux utilisateurs masculins. Les toute relation sexuelle (et non40seulement les relations de couple), sociaux se sont atténués. % hommes sont ainsi plus nombreux 40 35,7 hommes sont ainsi plus mais elle prend en compte des rencontres qui n’ont pas eu lieu iniCette démocratisation vaut également pour de à avoir nombreux quelesleslieux femmes payé pour 35 35,7 quelales femmes à avoir payé pour 35 qu’Internet soit un élément de tialement sur le réseau : il suffit Hommesmilieu Femmes résidence. Alors qu’au des années 2000, fréquenutiliser des sites de rencontres. ParHommes Femmes utiliser des sites de rencontres. contexte de la rencontre pour30 que celle-ci soit codée comme une 30 tation des sites de rencontres était très urbaine, notam- ayant fréquentéParmi lesetpersonnes ces 24,3 stricte – tenant « rencontre en ligne »(a). Avec25 une définition plus miàlestravers personnes ayant fréquenté ces 22,9 24,3 ment parisienne, elle s’est depuis répandue le hommes sites, 45 % des déclarent 25 uniquement compte des relations nouées22,9 via les sites de rencontres –, sites, 45 % des hommes déclarent 19,5 20 pays. Or, la diversification sociale des usagers n’implique avoir déjà souscrit un abonnement 17,9enquête. 19,5 Aux 16,7 on arrive à des résultats plus modestes avec la même 20 avoir déjà souscrit un abonnement 17,9 16,7 pas que contre 18 %les des femmes. Les condi15 environ 9 % des relations amou13,6forcément leur brassage. En même temps 13,0 États-Unis à la fin des années 2000, 12,1 13,6 contre 18 % des femmes. Les condi15 13,0 10,6 sites de rencontres se sont diffusés, ils se sont davantage 12,1 10,2 tions d’usage se conforment ainsi reuses et/ou sexuelles ont débuté 10,6 10,2 9,1 10 sur un site de rencontres.
tions d’usage se conforment ainsi 10 spécialisés. On9,1constate 6,2 6,5 désormais une segmentation aux codes traditionnels de la séduc6,5 aux codes traditionnels de la séduc5 2,7 3,6 forte des sites qui 6,2 s’adressent à des populations-cibles tion hétérosexuelle. En ligne 5 3,6 2,7 tion hétérosexuelle. En ligne spécifiques : personnes d’un certain âge, lieu d’habitation, (a) Par exemple, une rencontre0entre deux personnes qui se sont comme hors ligne, c’est souvent au 0 26-30 ans 31-35 ans 36-40 ans 41-45 ans 46-50 ans 51-55 ans 56-60 ans 61-65 ans comme hors ligne, c’est souvent au vues pour la première fois à l’université, et qui ont ensuite repris 26-30 ans 31-35 ans 36-40 ans 41-45 ans milieu 46-50 ans 51-55 56-60 ans 61-65 ans[8]. La démocratisation social ouansculture religieuse Années partenaire masculin de prendre en contact via Internet, était à la fois codée comme une rencontre à Années partenaire masculin de prendre en des2016. sites de rencontres est en partie une « démocratisation Marie en Bergström, l’université et une rencontre ligne. Population et Sociétés n° 530, Ined, février charge les frais liés à la rencontre. Marie Bergström, Population et Sociétés n° 530, Ined, février 2016. charge les frais liés à la rencontre. 2
numéro 530
Février 2016
Sources : : Enquête Épic (Ined-Insee, 2013-2014). ségrégée ». Sources : : Enquête Épic (Ined-Insee, 2013-2014). Champ : Femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans en 2013 (N = 7 825). Champ : Femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans en 2013 (N = 7 825). Lecture : 24 % des hommes âgés de 31 à 35 ans déclarent s’être déjà inscrits sur un site de rencontres Lecture % des hommes de âge. 31 à 35 ans déclarent s’être déjà inscrits sur un site de rencontres contre 18:&24 % des femmes deâgés même Population Sociétés contre 18 % des femmes de même âge.
Une minorité de couples Une minorité de couples sont issus des sites de sontwww.ined.fr issus des sites de rencontres rencontres
Des usages sexuellement différenciés Des usages sexuellement différenciés
numéro 530 numéro 530
Février 2016 Février 2016
Population & Sociétés Population & Sociétés
www.ined.fr www.ined.fr
ANNEXES
Si les sites de rencontres attirent Si les sites de rencontres attirent un public nombreux, ils participent encore peu à la forun public nombreux, ils participent encore peu à la forL’usage des sites de rencontres est particulièrement mation des couples. Parmi les personnes ayant rencontré L’usage des sites de rencontres est particulièrement mation des couples. Parmi les personnes ayant rencontré important chez les jeunes moins de 30 ans. Il s’agit leur partenaire actuel entre 2005 y et 2013, moins de 9 % BERGSTRÖM Marie, (Février 2016), Sitesde rencontres : quilàlàles utilise en France ? Qui son important chez les jeunes dede moins de 30 ans. Il s’agit leur partenaire actuel entre 2005 et trouve 2013, moins de 9 % d’une génération socialisée tôt aux pratiques numériques l’ont connu via ce type de service. Cela place les sites en d’une génération socialisée tôt aux pratiques numériques l’ont connu via ce type de service. Cela place les sites en et avec un usage extensif d’Internet. Surtout, c’est un cinquième position dans le palmarès des contextes de et 530, avec un Population usage extensif d’Internet. Surtout,bulletin c’est un mensuel cinquième position dans le palmarès l’Institut des contextes de conjoint ?, Ined, numéro Sociétés, d’information groupe d’âges dans lequel on&compte de nombreux célirencontre, derrière le lieu de travail,de les soirées entre amis, groupe d’âges dans lequel on compte de nombreux célirencontre, derrière le lieu de travail, les soirées entre amis, bataires. Cela est particulièrement vrai pour les hommes les lieux publics et l’espace domestique (chez soi ou chez bataires. Cela est particulièrement vrai pour les hommes les lieux publics et l’espace domestique (chez soi ou chez national d’études démographiques d’autres). Contrairement à une idée reçue, les sites de qui se mettent en couple plus tardivement que les femmes. d’autres). Contrairement à une idée reçue, les sites de qui se mettent en couple plus tardivement que les femmes. rencontres ne sont pas devenus un mode de rencontre De ce fait, les sites de rencontres comptent plus d’utilisarencontres ne sont pas devenus un mode de rencontre De ce fait, les sites de rencontres comptent plus d’utilisadominant en France à l’exception des couples de même teurs que d’utilisatrices chez les 26-30 ans. Parmi ces perdominant en France à l’exception des couples de même teurs que d’utilisatrices chez les 26-30 ans. Parmi ces persexe (encadré 3). sonnes, 36 % des hommes déclarent s’être déjà inscrits sur sexe (encadré 3). sonnes, 36 % des hommes déclarent s’être12 déjà inscrits sur Les sites donnent plus souvent lieu à des relations éphéun site contre 23 % des femmes (figure 2). Le sex-ratio Les sites donnent plus souvent lieu à des relations éphéun site contre 23 % des femmes (figure 2). Le sex-ratio mères qu’à des couples stables. Sur l’ensemble de la s’équilibre cependant lorsque l’âge augmente. À partir de mères qu’à des couples stables. Sur l’ensemble de la s’équilibre cependant lorsque l’âge augmente. À partir de 3 3