COUPLE RÊVÉ, COUPLE RÉEL De l’état amoureux à l’amour
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Fait à Bruxelles, Belgique Janvier 2016
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TABLE DES MATIÈRES PRÉAM BULE ----------------------------------------------------------------------------------- 4 ÉGALITÉ HOM M ES - FEM M ES ------------------------------------------------------------- 6 LE COUPLE RÊVÉ: UNE CRÉATION CULTURELLE ------------------------------------- 7 Les débuts de la relation : la lune de miel, l’état amoureux -------------------------------------- 9 LE COUPLE RÉEL ---------------------------------------------------------------------------- 11 Les composantes du choix du partenaire ------------------------------------------------------------- 11 L'ENGAGEM ENT ----------------------------------------------------------------------------- 13 S’engager oui, mais pour 60 ans ? ----------------------------------------------------------------------- 13 Les résistances à l’engagement : notre exemple personnel ------------------------------------ 16 S’engager oui, mais à quoi ? -------------------------------------------------------------------------------- 18 Quelle place donner au romantisme ? ----------------------------------------------------------------- 20 Le besoin fusionnel dans le couple ---------------------------------------------------------------------- 21 Qualités et compétences pour un engagement réussi ------------------------------------------- 25 LA SEXUALITÉ ------------------------------------------------------------------------------- 31 La sexualité du couple rêvé -------------------------------------------------------------------------------- 31 La sexualité du couple réel --------------------------------------------------------------------------------- 31 La liberté : fantasmes et réalité --------------------------------------------------------------------------- 32 La communication sexuelle -------------------------------------------------------------------------------- 34 Conclusion – et quelques questions -------------------------------------------------------------------- 56 LA GESTION DES CONFLITS -------------------------------------------------------------- 57 Le rapport de force-------------------------------------------------------------------------------------------- 57 Où il est question du pouvoir ----------------------------------------------------------------------------- 60 Jeux et luttes de pouvoir ------------------------------------------------------------------------------------ 67 Comment faire l’économie de certains conflits ? --------------------------------------------------- 75 L’évitement systématique des conflits ----------------------------------------------------------------- 80 Deux personnalités qui se retrouvent souvent en couple: l’agressif-défensif et le passif-agressif --------------------------------------------------------------------------------------------------- 81 Conclusion et quelques questions ----------------------------------------------------------------------- 84 CONCLUSION -------------------------------------------------------------------------------- 85 ANNEXE --------------------------------------------------------------------------------------- 86 L’écoute silencieuse ------------------------------------------------------------------------------------------- 86 Les auteurs ---------------------------------------------------------------------------------- 90 Des m êm es auteurs ----------------------------------------------------------------------- 91
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PRÉAMBULE Nous avons accompagné des centaines de couples en tant que psychothérapeutes et nous vivons en couple depuis trente ans. Aujourd’hui, nous avons envie de partager les fruits de nos réflexions professionnelles et de nos expériences personnelles sur les enjeux du couple à long terme. Nous souhaitons tous vivre heureux en couple. Tous, au fil de nos années d’enfance et d’adolescence, nous avons construit une image de couple rêvé. Lorsque, devenus jeunes adultes, nous nous lançons dans l’aventure de la vie à deux, notre rêve se heurte à la réalité. La confrontation entre le rêve et la réalité est très souvent douloureuse même si le début d’une relation conservera toujours sa part de rêve : la période magique de la lune de miel, de l’état amoureux. Cet état, pour des raisons biologiques et psychologiques, ne dure pas. Mais l’amour peut succéder à l’état amoureux. Vivre aux côtés d’un partenaire d’amour, dans la durée, fait émerger trois cadeaux magnifiques : • le miroir : quel que soit le nombre d’années partagées, on continue à voir l’autre comme s’il avait encore l’âge auquel on l’a rencontré. Ce regard est délicieux à voir dans les yeux de l’autre, ça donne du « peps », c’est vivifiant. • le témoin : chacun a connu l’autre jeune, naïf, ambitieux et… arrogant ! Petit à petit, au fil des années, on le découvre plus sage et plus doux. Le couple est l’espace au sein duquel on peut à la fois s’adoucir et se tonifier. • le compagnon : la vie n’est pas toujours facile, ni avec soi-même ni avec les autres. Avoir un compagnon dans la durée aide à persévérer dans la recherche du bien-être et à se bonifier. Le couple permet de passer du bonheur à la joie. On continue, bien sûr, à vivre des moments de bonheur mais on découvre la joie profonde. Bref, nous vous disons avec enthousiasme : ça vaut le coup d’essayer malgré le choc de la réalité ! 4
Nous souhaitons que ce livre vous apporte un éclairage pour vous aider à construire une relation aimante et durable. L’un des fils conducteurs de ce livre est la conviction de l’utilité de se mettre au travail pour vivre un couple durable et surtout satisfaisant. Il est indispensable d’avoir la volonté de se remettre en question et de désirer élever son niveau de conscience. Un couple satisfaisant pour les deux partenaires sur le long terme ne tombe pas du ciel. Réussir une vie à deux est un réel investissement en temps (le temps consacré à la communication, à se parler, à s’écouter) et en argent (livres, conférences, séminaires, parfois thérapies). La volonté commune de mettre les difficultés au travail est indispensable pour traverser les crises. Nous souhaitons, dans ce livre, aider les couples à surmonter la déception qui survient lorsque le couple réel émerge. Nous allons aborder les thèmes qui nous ont paru les plus significatifs quant à l’écart qui existe entre le couple rêvé et le couple réel. Trois domaines sont particulièrement responsables de cette déception : L’engagement alors que pendant la lune de miel la question ne se posait pas. La sexualité dans le quotidien qui succède à une sexualité d’amants qui ne vivaient pas ensemble. Les conflits et les disputes qui n’avaient évidemment pas leur place dans le couple rêvé. Notre ambition, dans ces trois domaines, est de transmettre des pistes très concrètes pour être mieux préparé à affronter la réalité et à faire, en douceur, le deuil du couple rêvé.
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ÉGALITÉ HOMMES -‐ FEMMES Dans la plupart des cas, les femmes sont le moteur de l’évolution du couple. Dans le public de nos conférences, nous voyons toujours une majorité de femmes. Ce n'est pas un hasard. La plupart du temps, les femmes sont le moteur de l’évolution de la relation. Il semble y avoir, chez beaucoup d’hommes, une tendance à se contenter d’accepter les choses telle qu’elles sont. Les femmes sont plus convaincues que pour durer il faut que quelque chose change dans la manière d’être ensemble. Pour les hommes, il n’est généralement pas facile d’accepter la nécessité d’une remise en question. Cela touche chez eux la conviction, très inconfortable, que pour leur femme, « ce n’est jamais bien ». Mais les hommes peuvent aussi être reconnaissants aux femmes d’être moteur du changement. Rôle important, difficile et qui demande du courage et de la persévérance. Ce n'est donc pas par hasard, si vous êtes, mesdames, celles qui avez acheté ce livre et que vous, messieurs, avez été invités à le lire. À chacun ses points forts et ses apports au sein du couple.
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LE COUPLE RÊVÉ: UNE CRÉATION CULTURELLE De quels imaginaires notre idéal de couple se nourrit-il dès notre plus tendre enfance ? À la fin du 17ème siècle, Charles Perrault transmet les valeurs de l’époque à travers les contes populaires traditionnels : La Belle au Bois Dormant, Cendrillon. Au début du 19ème siècle, les frères Grimm reprennent le flambeau : Blanche Neige, le Petit Chaperon rouge. Au 20ème siècle, Walt Disney y fait incontestablement référence dans la manière de rêver le couple. Que cela nous plaise ou non, nous avons tous été influencés par les personnages de ces dessins animés qui peuplent encore l’imaginaire des générations de ce début du 21ème siècle. Le Prince Charmant doit être valeureux, protecteur et fidèle. La Princesse Charmante doit évidemment être jeune et jolie mais, en plus, elle doit être capable de « tenir » un foyer. Les jouets destinés aux petites filles – aspirateurs et machines à laver – l’illustrent encore de nos jours. À côté des contes de fées, les scénarios de films, les paroles de chansons et les images de clips véhiculent un modèle irréaliste du couple. Il ne vous aura pas échappé que la plupart des médias nous abreuvent de recettes miracles et de conseils d’ « experts » quant à la bonne manière de vivre en couple « pour toujours » et de faire passionnément l’amour quel que soit son âge. Pour couronner le tout, notre rêve de couple idéal se nourrit de nos modèles familiaux. Enfant, nous avons pu observer le fonctionnement du couple de nos parents et de quelques couples de leur entourage. Que le couple de nos parents nous ait semblé harmonieux ou que nous ayons été témoins des dysfonctionnements de leur relation, ce modèle ou cet antimodèle a contribué à forger notre image de couple rêvé.
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Si nous n’en sommes pas à notre première expérience de couple, deux cas de figures sont possibles. Dans le meilleur des cas, la rupture que nous avons vécue a été l’occasion d’un vrai travail d’introspection grâce auquel nous avons compris les mécanismes psychologiques responsables de l’échec. Notre prochain couple bénéficiera de cette prise de conscience. Malheureusement, le plus souvent, la rupture n’aura pas été l’occasion d’un retour sur soi et nous nous lancerons dans une nouvelle relation sur le même schéma névrotique, avec une sincère envie de réussir et un naïf étonnement de voir que le même scénario se répète. Tout cela – les contes de fées, le romantisme des films et des chansons, le matraquage médiatique, l’exemple parental, les expériences déjà vécues constitue un joli mélange que nous espérons unique et personnel mais qui, en réalité, s’inspire de la culture dominante dans laquelle nous baignons tous en permanence.
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Les débuts de la relation : la lune de miel, l’état amoureux Les débuts d’une relation amoureuse ressemblent furieusement au couple rêvé : on est euphorique et on est sincèrement convaincu que « c’est pour la vie. » On a enfin trouvé le Prince Charmant, la Princesse Charmante. Il n’y a pas de questionnement. Les amoureux sont réellement dans un état de conscience modifié. Dans un jeu de miroirs, chacun renvoie à l’autre une image émerveillée. Les deux partenaires, renforcés narcissiquement, se trouvent beaux, intelligents et plein d’humour. Quand on est amoureux, on se sent bien, on pétille, tout est source de joie et le monde environnant participe à la fête : On arrive à l'arrêt de bus et … justement, le bus arrive ! On arrive sur une terrasse bondée et … c'est la meilleure place au soleil qui se libère ! L’univers entre en résonance avec l’état amoureux. Les deux partenaires sont toujours contents de se voir. À chaque rencontre, ils cherchent à se montrer sous leur meilleur jour. Tout est nouveau, ils se découvrent, sont passionnés, curieux l’un de l’autre. Ils se renvoient une image idyllique d’eux-mêmes et de leur relation. Si quelque chose crispe, gêne, embarrasse, on l’occulte: ce qui fait dire que l’amour est aveugle alors que c’est seulement l’état amoureux qui rend aveugle. Les circonstances de la rencontre, quelles qu’elles soient, deviennent remarquables : une belle histoire qui rendra la relation unique. C’est ce que les psychothérapeutes appellent le mythe fondateur du couple. Cet émerveillement fait dire aux amoureux : « Nous sommes des âmes soeurs » « Nous étions faits pour nous rencontrer »
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« Nous nous sommes déjà connus dans une vie antérieure, ce n’est pas possible autrement, il y a tellement d'aisance entre nous » Toutes ces belles histoires font partie du rêve mais, attention, elles sont importantes et nécessaires. Le mythe fondateur du couple crée un lien très puissant qui aidera plus tard à traverser les inévitables crises que le couple rencontrera sur sa route.
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LE COUPLE RÉEL Les composantes du choix du partenaire Au niveau du couple réel, la rencontre procède surtout de facteurs inconscients. Les scientifiques nous ont, ces dernières années, familiarisés avec les hormones. Elles sont un moteur biologique qui nous pousse à trouver un partenaire pour nous reproduire. Le message biologique - on peut dire animal - de nos hormones est différent que nous soyons un homme ou une femme. Une femme est responsable de l’amélioration de l’espèce et un homme de sa continuation. Ces objectifs différents conduiront hommes et femmes à adopter des comportements différents dans la recherche d’un partenaire. L’apparence physique sera un autre critère de choix important et partiellement inconscient. Les sociologues, les anthropologues nous le disent : nous serons attirés par des personnes qui nous ressemblent physiquement. La taille, la couleur des yeux, la forme du visage… Nos sens, eux aussi, joueront un rôle important dans le choix du partenaire. La vue, bien sûr, opérera rapidement un premier tri entre celles et ceux qui provoquent une attirance physique et les autres. En arrivant dans un endroit, si nous sommes à la recherche d’un partenaire, nous allons « voir » les personnes qui nous attirent. Les vêtements vont nous donner beaucoup d’informations sur la personne qu'on va « choisir ». En effet, les habits que nous portons parlent de nos valeurs, de nos intérêts et de notre style. Par exemple, un homme très sophistiqué sera rarement attiré par une femme habillée en jogging… L’ouïe nous donnera envie d’entrer en relation avec une personne dont les tonalités de la voix nous plaisent. 11
Plus nous allons nous rapprocher de l’autre, plus les sens intimes - l’odorat, le goût et le toucher - vont devenir importants. Aimer l’odeur de l’autre est primordial. Le goût d’un premier baiser est une source précieuse informations. Quant au toucher, on évoque fréquemment le miracle de la chimie de certains corps qui se touchent. Un large confort sensoriel entre les partenaires – avec ses conséquences positives sur la vie sexuelle – est un bon indicateur pour décider de s’engager.
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L'ENGAGEMENT Abordons maintenant ce premier sujet de l’engagement, si important dans le désir de construire un couple à long terme.
S’engager oui, mais pour 60 ans ? Il nous semble que la « culture conjugale » contemporaine n’a pas encore intégré les conséquences d’une bouleversante nouveauté : l’allongement de la durée de vie. Cette nouvelle donne – l’augmentation de l’espérance de vie - rend l’engagement d’autant plus inquiétant pour les jeunes. Si des partenaires âgés de 25 ans s’engagent aujourd’hui avec une espérance de vie de 85 ans, ils s’engagent pour soixante ans. Cela peut faire peur. Jusqu'au début du 20ème siècle, l'espérance de vie était de 50 ans. Elle a donc presque doublé en un siècle, ce qui est énorme. Cette brève espérance de vie, il y a 100 ans, avait pour conséquence que la durée de vie des couples était brève aussi. Les historiens nous apprennent que les couples, jusqu’au début du 20ème siècle avaient une durée moyenne de vie de 10 ans seulement. La cause principale qui mettait fin à la relation était la mort due à la guerre, à la maladie et aux accouchements. On entend souvent dire que « dans le temps, les gens vivaient ensemble pour la vie ». C’est vrai mais leur vie était courte ! Ils n’avaient donc pas à faire face à une vie de couple quotidienne dans la très longue durée. Aujourd'hui, surprise, la durée moyenne de vie des couples est toujours de… 10 ans. Mais la cause des ruptures est très différente : ce sont principalement les séparations qui mettent fin à la relation et l’adultère reste le motif majoritairement invoqué. Par ailleurs, se marier plus d’une fois est en train de devenir la norme et les familles recomposées - en ville et dans certains milieux - deviennent majoritaires. 13
Notons que les familles recomposées ont toujours existé sauf que c’était la mort et non la séparation qui entrainait le remariage. Contrairement à ce que l’on pense parfois, les familles recomposées sont une vieille histoire. La preuve en est que les contes de fées, déjà évoqués, fourmillent d’histoires de belles-mères haïes et de beaux-pères incestueux. Avec l’allongement de la vie, une profonde réflexion sur le bien-être physique, mais aussi psychique - le fameux bonheur - se développe tout au long du 20ème siècle. Jusqu’à il y a peu, les couples avaient très peu d’outils de réflexion ou de communication à propos de leurs sentiments, de leurs émotions et de leurs désirs. Il n’était pas rare que la conjugalité devienne invivable mais le dictat culturel et religieux interdisait de se séparer. Il fallait rester ensemble pour le meilleur et pour le pire et, parfois, malgré l'enfer. Jusqu’au milieu du 20ème siècle, de nombreux jeunes regardaient vivre leurs parents qui restaient ensemble parce qu'ils le devaient. Après 1968, le bouleversement sociologique déjà entrepris passe à la vitesse supérieure, grâce notamment à une contraception enfin efficace et à un mouvement féministe ambitieux. La nouvelle génération décide d’innover. Elle rejette catégoriquement le couple « raisonnable » et décide de le remplacer par le couple amoureux : « si nous devons rester ensemble 50 ou 60 ans, il est indispensable que nous nous aimions et si possible passionnément ! » Malheureusement, cet ambitieux modèle n’a guère mieux fonctionné que le précédent. Cette génération d’après guerre a beaucoup divorcé, s’est beaucoup séparée. La cause principale de cet échec nous semble être la confusion entre le désir et l’amour, entre l’état amoureux et l’amour. Plus personne aujourd’hui ne remet en cause les résultats de nombreuses études scientifiques qui nous confirment une évidence : les hormones de l’état amoureux et de l’intense désir sexuel qui l’accompagne se dissipent avec le temps. Combien de temps ? L’état amoureux peut durer quelques semaines et, au mieux, durer deux ans. Disons, en moyenne, une année…
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Il faut donc oser l’affirmer : rester « pour la vie » dans l’état amoureux qui caractérise le début d’une relation est un projet complètement utopique. Aujourd’hui, les couples sont souvent dans la confusion entre l’état amoureux et l’amour. Ils ont caressé le rêve de rester ensemble « pour toujours » mais éprouvent un sentiment d’échec puisqu’inévitablement ils s’avèrent incapables de maintenir la passion amoureuse dans la durée. Déçus, ils décident de se séparer. Ces séparations rapides sont, à notre avis, très tristes puisque, de toute évidence, même les plus jeunes générations continuent à rechercher le partenaire avec lequel il leur sera possible et agréable d’élever les enfants et de vieillir: un compagnon, une compagne pour la vie, même si elle est longue. Une fois l’étape de l’état amoureux franchie, le temps de l’amour peut commencer. Une toute autre histoire. Et pour sortir de la confusion entre état amoureux et amour, il va falloir inventer, communiquer, travailler.
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Les résistances à l’engagement : notre exemple personnel Après avoir l’un et l’autre divorcé, après avoir tous deux essayé l'amour passion avec des partenaires successifs, nous nous sommes rencontré en 1987 avec l’envie simultanée de, peut-être, oser nous lancer à nouveau dans l’aventure du couple à long terme. Peut-être… Comme tout le monde, nous avons commencé par une période de lune de miel. Le rêve donc. Serge vivait à Bruxelles et Carolle à Genève. Pendant les deux premières années de notre relation, nous nous rencontrions une semaine tous les deux ou trois mois. Dans ces conditions, cette semaine partagée ne pouvait être qu’extraordinaire. Quand Serge allait voir Carolle, elle avait nettoyé son appartement, fait les courses, été chez le coiffeur et chez l'esthéticienne. Chaque heure de cette semaine était exclusivement consacrée au bonheur de la rencontre : être à deux, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre. De même, quand Carolle allait voir Serge, il n’avait rien d’autre à faire que d’être avec elle. Nous étions complètement immergés dans le couple rêvé. Le rythme des rencontres s’est peu à peu intensifié. Après quatre ans de cette vie, fatigués des allers et retours entre nos deux pays, nous avons pris la décision de vivre ensemble. Cela nous faisait peur et nous avons choisi de partager nos peurs plutôt que de faire comme si de rien n’était. Peur de perdre notre liberté, peur de se tromper dans le choix du partenaire, peur de souffrir en cas de nouvel échec. L'atterrissage dans la réalité de la vie quotidienne partagée - plus pour une ou deux semaines mais « pour toujours » - a été mouvementé. Il a fallu se décoller du conte de fées. Serge a quitté Bruxelles pour s’installer dans l’appartement de Carolle à Genève. Il nous a fallu, notamment, apprendre à partager un territoire. 16
Première constatation intéressante : Carolle n’avait pas fait de place pour les affaires de Serge dans ses armoires. C’est un détail mais qui illustre bien la différence entre couple rêvé et couple réel. De plus, du jour au lendemain, nous ne ressentions plus la sensation de manque liée à l’absence de l’autre. Il nous a fallu apprendre à nous aimer et à nous désirer sans les longues séparations auxquels nous étions habitués. La sexualité est progressivement devenue plus routinière puisqu’elle était dorénavant possible tous les jours. Pour passer du couple rêvé au couple réel, nous avons dû nous mettre au travail. Nous avions à faire le deuil du couple rêvé, merveilleux et fondateur, que nous avions vécu pendant quatre ans. Si nous voulions durer, il nous fallait nous confronter au couple réel. Nous n’étions décidément plus dans cette irréalité où chacun est toujours en pleine forme, totalement disponible et heureux de rencontrer l’autre. Notre vie de couple n’a pas été un long fleuve tranquille : elle a été jalonnée de plusieurs crises qui nous ont, à plusieurs reprises, menés au bord de la rupture. Pour nous aider dans cette aventure, nous avons bénéficié des outils de communication que nous avions acquis au fil de nos formations de thérapeutes de couples et que nous avons pu mettre en pratique. Les partager avec vous est une des raisons d’être de ce livre. Aujourd’hui, au moment d’écrire ce livre, après quelques décennies, nous sommes aussi étonnés que ravis de partager notre vie quotidienne. Et nous continuons à explorer passionnément l’aventure de l’engagement dans la durée.
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S’engager oui, mais à quoi ? La notion même d’engagement est floue et subjective. Chacun a la sienne. Raison de plus pour prendre le temps de partager avec son partenaire à quoi on s‘engage. Plus précisément à quoi on s’engage à chaque stade de la relation. Il ne faut pas perdre de vue que le contenu de l’engagement va devoir être redéfini aux différentes étapes de la vie commune, pratiquement à chaque fois qu’un grand changement interviendra dans la vie du couple : l’arrivée des enfants, leur départ de la maison, les changements professionnels de l’un et de l’autre, le décès des parents, la maladie, la retraite… Après un certain temps de relation amoureuse, même sans encore vivre sous le même toit, les deux partenaires trouvent un modus vivendi pour leur couple. Ils se connaissent de mieux en mieux, ils ont éprouvé leurs sentiments et ils se sont assurés de leurs affinités. Ils se sont déjà présentés comme un couple à leurs familles et à leurs amis. Ils ont établi les règles de fonctionnement de leur relation, notamment le rythme de leurs rencontres, la manière de prendre les décisions qui les concernent et la répartition des dépenses lors des sorties. Il est intéressant de réaliser que, dans la très grande majorité des cas, ces règles ont été établies de manière implicite, sans véritable négociation, sans conscience même, comme si tout allait de soi. Dans l’état amoureux, tout va de soi. Le plus souvent, l’étape suivante du processus d’engagement se concrétisera par une décision tangible : vivre ensemble, acheter un appartement, faire un enfant, se pacser ou se marier. Dès que la décision de vivre ensemble est prise, les partenaires partagent les activités liées au fonctionnement du ménage et bâtissent ensemble une vie sociale commune. À côté de ces objectifs très concrets, ils peuvent développer des comportements liés aux principales valeurs humaines : la solidarité réciproque, le soutien aux projets communs, l'acceptation de l'autre tel qu’il est, la tolérance face aux « défauts » du partenaire, la bienveillance, la confiance, la volonté de se rendre mutuellement la vie plus agréable. 18
Toutes ces qualités humaines peuvent se développer très intensément dans la vie de couple. C’est ce qui rend la vie à deux si riche de développement personnel. Un véritable laboratoire. Répétons-le, si on veut que le couple dure, il faudra aussi s’engager à mettre au travail les difficultés qui ne manqueront pas d’apparaitre. Encore et encore. Cette mise au travail – c’est à dire la volonté commune de nommer les difficultés, de partager les émotions qu’elles génèrent, d’essayer ensemble par le dialogue de les surmonter - ne sera jamais finie. Elle durera aussi longtemps que durera la relation. Il sera indispensable d’accepter les changements, les mouvements, les évolutions de la relation.
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Quelle place donner au romantisme ? Nous posons souvent aux couples qui nous consultent une question importante: « D’après vous, quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour qu’un couple dure de façon satisfaisante ? » Nous recevons, presque toujours, des réponses très romantiques. D'un romantisme époustouflant même. Il est nécessaire, nous dit-on par exemple, d’avoir confiance dans l’autre et d’être capable d’une grande sincérité. On nous dit aussi qu’il est important de passer du temps ensemble, d’avoir une sexualité épanouissante, d’avoir de l’humour, une bonne communication, les mêmes attentes, les mêmes valeurs, un sentiment global de sécurité et d’être curieux de l’autre, de son histoire et de ses croyances. C'est formidable ! Tout cela est vrai bien sûr. Il est utile et important qu’un couple possède toutes ces qualités ou, à tout le moins, quelques unes d’entre elles. Mais cela ne suffit pas. Dans ces réponses, aucune place n’est faite à l’indispensable compétence à acquérir pour gérer les moments difficiles, pour traverser les crises et les défis auxquels le couple va être confronté dans de nombreux domaines : l’éducation des enfants, la gestion du budget, la baisse du désir sexuel, les relations avec les familles d’origine, la répartition des tâches ménagères, l’achat éventuel de biens communs, les atteintes à la santé. Il ne s’agit pas de diaboliser le romantisme. Au contraire, ses formes les plus classiques - offrir des fleurs, préparer un dîner aux chandelles, s’écrire des lettres (aujourd’hui plutôt des SMS ou des courriels) d’amour, multiplier les attentions – nourrissent très positivement la relation. Ce dont il s’agit, c’est de se faire à l’idée que le romantisme ne suffit pas et que le rêve ne peut pas durer toujours.
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Le besoin fusionnel dans le couple Pour le couple rêvé Faire un maximum d’activités ensemble, passer le plus de temps possible ensemble, prendre ses vacances ensemble, sortir ensemble, dormir ensemble : la vision idéale de la plupart des couples est une vision fusionnelle. Culturellement, cette idée est encore dominante et valorisée. C’est le modèle qu’on nous présente dans les films romantiques, les romans et même les histoires qu’on raconte aux enfants. Dans l’imaginaire collectif il s’agirait donc d’un « must » pour réussir son couple. Les « jeunes » amoureux, en lune de miel, vivent la fusion comme une évidence : ils font tout ensemble et en éprouvent énormément de plaisir. Quand l’autre n'est pas là, il manque. Dans la première phase de la relation, la fusion s’installe donc tout naturellement. Cela ne devient problématique que lorsqu’on pense que cette forme de relation doit se maintenir dans la durée... et que si ce n’est pas le cas, c’est qu’on a cessé de s’aimer.
Pour le couple réel Dans une vie de couple à long terme, vivre une fusion permanente est difficilement viable. Il y a un sérieux risque d’étouffement. Dans notre vision, une vie de couple peut se comparer à une respiration. Dans toute respiration, il y a alternance entre l’inspiration et l’expiration. Cette alternance naturelle est indispensable à la survie de l’organisme. On ne peut pas inspirer tout le temps, ni expirer tout le temps. Il en de même pour la relation de couple. Les moments d’inspiration sont les moments partagés, les moments de fusion. Les moments d’expiration sont les moments où chacun se retrouve seul, sans l'autre. Moments pour prendre du temps pour soi, pour avoir des activités de son côté, pour voir des amis en tête-à-tête. L’intensité du besoin de solitude varie sensiblement d’une personne à l’autre. Certains auront besoin de beaucoup de moment de solitude, d’autres auront un besoin de solitude plus limité. Se « retirer dans leur grotte », sans devoir
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quitter le lieu de vie commune pourra suffire à ces derniers. Leur besoin d’activités sans la présence de l’autre se manifestera rarement. Il n’y a pas de norme dans ce domaine. Il appartient à chaque couple de trouver le rythme « d’inspiration-fusion » et « d’expiration-solitude » qui lui conviendra. Il ne s’agit pas de choisir entre l’une et l’autre forme. Il s’agit de réfléchir à la manière de les concilier, d’alterner harmonieusement les moments de fusion et les moments de solitude. Cette question de l’équilibre entre fusion et solitude nous parait essentielle. Sans conscience, certains couples vont multiplier les ruptures - réconciliations - ruptures - réconciliations avec le même partenaire pour vivre cette alternance. Souvent aussi, les couples vont se servir de la dispute pour s’octroyer des moments d’éloignement. La dispute devient un prétexte pour l’objectif inconscient de se retrouver un moment sans l’autre. Il est dommage de devoir partir en claquant la porte pour respecter son besoin d’être un moment seul. Pourquoi est-il si difficile de s’autoriser ces moments de « défusion » ? La principale raison est, encore une fois, l’intensité de la pression culturelle : on associe, à tort, le besoin de solitude à une diminution du sentiment d’amour. Bien sûr, l’émergence du besoin de solitude peut signifier la fin de la lune de miel, mais il nous parait indispensable d’accueillir le désir légitime d’avoir parfois des activités sans l’autre. Il est vrai qu’il n’est pas si facile de partager à son partenaire le besoin de passer du temps sans lui. Cela reste souvent délicat à dire. On craint de dire : « J'aimerais bien passer une soirée avec mes copains » par peur que l'expression de ce besoin soit entendue comme « je t’aime moins », ou pire « je ne t’aime plus ». Cela n'a strictement rien à voir. Pour nous, le besoin de se retrouver seul, d'avoir des activités séparées, est essentiel, positif, car il donne de l’espace à la relation, il la nourrit. Chacun pourra rapporter de « l’extérieur » des impressions, des expériences personnelles qui enrichiront le couple. 22
La fusion
La distance excessive
La respiration
Les deux cercles l'un sur l'autre illustrent la fusion, le « tout ensemble ». Les deux cercles complètement séparés l'un de l'autre, illustrent la situation de partenaires qui ne partagent plus rien sauf le lieu de vie. Les deux cercles partiellement superposés l'un à l'autre illustrent la situation où certaines activités sont communes et d’autres ne le sont pas.
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La répartition entre les activités communes et les autres varie d'un couple à l'autre. L’important est de négocier cette répartition, d’en faire une question ouverte. L’équilibre entre les deux pôles a besoin d’être réévalué régulièrement en fonction des besoins du couple et de la famille. Remarquons que les rôles vont souvent se partager au sein du couple. L’un des partenaires sera plus fusionnel et l’autre plus solitaire. Chacun sera dès lors responsable de nourrir la polarité qui lui sera plus familière.
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Qualités et compétences pour un engagement réussi Qualités souhaitables pour préparer le couple à affronter la réalité Il nous paraît souhaitable, nous l’avons déjà dit, d’avoir des valeurs communes. Avoir au moins un projet commun est aussi important : créer une famille, travailler ensemble, acheter une maison commune, voyager ensemble, pratiquer un hobby commun… Les projets communs vont devoir évoluer avec le temps et ce n’est pas toujours facile. Se sentir en sécurité est nécessaire. Une insécurité permanente est insupportable mais trop de sécurité endort la relation. Il s’agit de ne pas considérer l’autre comme acquis pour toujours. Un zeste d’insécurité nous paraît positif pour rester vigilant. Sentir une large aisance dans la vie quotidienne facilitera la vie commune qui devrait être ressentie comme plus facile à deux que seul. Une complémentarité des personnalités – un conflictuel avec une paisible, une aventurière avec un casanier - est une richesse. Ceci est compatible avec l’évidence qu’il ne faut pas non plus être trop différents. « La réalité est relative et les vérités sont subjectives » Lorsque les couples se convainquent petit à petit que cette croyance est … vraie, ils en tirent un grand profit. Le point de vue de chacun peut être différent sans pour autant que l’un ait raison et l’autre tort. Il est plus important d’être aimé que d’avoir raison. C’est facile à comprendre mais lorsqu’un couple est en crise c’est plus difficile à admettre.
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Bien des couples pratiquent une communication « ping-pong » : « Oui – Non – Oui – Non » etc. « Je n’ai pas dit ça. - Si, tu l’as dit » etc. Malheureusement, en restant à ce niveau, ils n’abordent jamais le problème de fond, quel qu’il soit. Apprendre à faire face aux déceptions, aux ressentiments, aux ombres de chacun (nos sentiments « négatifs » tels que la possessivité, la jalousie, le désir de vengeance, le mensonge, etc.) va se révéler très utile pour affronter la réalité. Espérer un conjoint sans ombre est une utopie. Acceptez la gestion du rapport de forces qui s’installe dans toute relation, y compris la relation amoureuse. Il s’agira de vivre ce rapport avec le moins de hiérarchie possible. Dans un couple, cet équilibre fluctue sans cesse. Le plus important est de ne pas le rigidifier. Ces qualités vont être plus faciles à mettre en oeuvre si les partenaires du couple se ressemblent. Pas seulement la ressemblance physique dont nous parlions plus haut, mais aussi une ressemblance intellectuelle et sociale (les valeurs, les études, le milieu social), voire spirituelle. Les couples se disputent rarement sur leurs points communs, mais souvent sur leurs différences. Plus les deux partenaires du couple vont être différents - sans pour autant qu’il soit souhaitable d’être absolument identiques comme nous l’avons vu plus les défis à affronter vont être nombreux. Un vieux dicton suisse dit : « Si tu peux, marie-toi dans ton village et mieux encore dans ta rue. » Il est certain que vivre avec un partenaire qui a une culture proche de la sienne facilite la vie quotidienne. Il reste que les différences sont intéressantes, riches d’épanouissement. Elles font progresser, elles élargissent la conscience.
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Notre histoire personnelle : beaucoup de ressemblances et de sérieuses différences aussi Nous venons du même milieu social et nous avons le même niveau d'études. Il est très rare nous nous affrontions sur le thème des valeurs (opinions politiques, valeurs morales, comportements sociaux, etc.). Nous avons une certaine ressemblance physique (taille, poids, couleur des cheveux...). Serge a une forme de visage et les mêmes yeux bleus que le père de Carolle. Celle-ci a quelque chose dans la forme du visage et dans la silhouette qui peut rappeler les sœurs de Serge. Par contre, nous n’avons pas grandi dans le même pays. Si la Suisse et la Belgique partagent une même langue et n’ont pas une culture très différente, il y a pourtant des différences entre ces deux pays. Des différences que nous avons dû assimiler et harmoniser. Le Belge est beaucoup plus rebelle que le Suisse. Le Suisse est beaucoup plus ponctuel que le Belge. Il a fallu, très prosaïquement, composer avec la « maniaquerie » suisse de la propreté et avec la mentalité belge très rebelle au respect des règles. Et cela n’a pas toujours été facile. Nous avons une vraie différence d’âge : Serge a 12 ans de plus que Carolle. Au début de la relation, cette différence n’avait aucune importance. Plus tard, nous avons dû nous accommoder de cette différence. Nous étions à des étapes de vie, à des niveaux d'énergie et d’attentes différents. Nous avons dû - et devons encore - y être attentifs. Nous avons parfois l’impression, inconfortable, d’être de deux générations différentes. Nos goûts musicaux, par exemple, sont très différents : Carolle écoute volontiers les tubes des années 70 alors que Serge se retrouve plutôt dans les années 60. Cette différence de génération nous a obligés à être conscients des projections paternelles de Carolle et des tendances paternalistes de Serge… Certaines différences se sont estompées avec les années : nous avons établi un consensus pour le niveau d’hygiène et le respect – ou l’irrespect – des règles. La différence d’âge est une question qui reste ouverte entre nous et que nous revisitons régulièrement. 27
La négociation et le compromis: deux compétences utiles à mettre en œuvre pour durer La relation de couple offre un terrain de jeu très intéressant pour apprendre la pratique de la négociation et du compromis. Pendant l’état amoureux, au début de la relation, nous avons vu qu’on se sent en permanence sur la même longueur d’ondes. Avec le temps, les ondes ont tendance à se brouiller… Petit à petit, on va se rendre compte que l’autre est différent, qu’il n’a pas forcément toujours les mêmes goûts, les mêmes désirs, le même rythme, les mêmes valeurs. Dans le concret de la vie quotidienne, il va donc falloir apprendre à communiquer, à se monter tolérant, à négocier et à faire des compromis. Aujourd'hui, le mot compromis a mauvaise presse. Nous entendons souvent dire : « Non, non, il ne faut pas faire de compromis. Faire des compromis, c’est perdre son identité. » Une négociation qui débouche sur un compromis est mal vue, car on ne peut l’imaginer qu’avec un gagnant et un perdant. Et bien sûr, celui ou celle qui se projette dans la position du perdant, n’a pas envie d’entamer une négociation. Dans un couple, c’est souvent le même partenaire – celui qui est porté à éviter les conflits - qui évite la négociation et se contente de s’en remettre au désir de l’autre : « si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir ». Dans le couple rêvé, cela ne pose aucun problème. Mais dans le couple réel, celui qui prend systématiquement la position basse finit par s’en lasser, par en éprouver du ressentiment qui se transforme, au fil du temps, en conflits ouverts ou larvés. Le couple réel est donc l’espace idéal pour apprendre à négocier des compromis « gagnant-gagnant » comme on dit aujourd’hui. Un bon compromis a deux gagnants. Mais pour une véritable négociation, il est indispensable que chacun exprime clairement ses désirs, même s’ils sont, au départ, très éloignés l’un de l’autre : « Voilà, moi, ce que je veux. Voilà, toi, ce que tu veux. ».
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Ce n’est qu’ensuite, lorsque les deux désirs sont clairement identifiés, qu’il est possible d’entamer la négociation. Chacun doit alors évaluer ce qu’il veut bien « lâcher », ce qu’il va laisser tomber de son désir initial pour faire émerger, si possible, un désir commun. Au début, cela prend du temps d’apprendre à négocier. Plus la relation dure longtemps, plus on se connaît et plus il devient facile de négocier. Parfois, par amour, on peut laisser complètement tomber son désir et se couler dans le désir de l’autre, par exemple pour le programme de la soirée, pour le choix du film ou du restaurant. On s’adapte. Et pourquoi pas ? Ce qui est important, c’est que ce ne soit pas toujours le même partenaire qui s’adapte à l’autre, au risque de créer des tensions nuisibles à la santé d’une relation. Puisque dans la vie de couple, les conflits sont inévitables, nous devons apprendre à les gérer. Les compromis, après négociations, sont une bonne forme de résolution des conflits. Le couple est un espace formidable pour apprendre à sortir de la polémique, pour apprendre à s’écouter, à être conciliant. Et, cerise sur le gâteau, ces compétences acquises au sein du couple, vont servir dans d’autres relations : dans l’éducation des enfants, dans les rapports avec les familles, les amis et dans les relations professionnelles. Le couple est un remarquable banc d’essai où chacun peut approfondir sa capacité à la bienveillance, apprendre à se rendre la vie plus agréable, à devenir plus aimant, à s’ouvrir au monde et à faire confiance. Mais n’oubliez pas : dans la durée, le couple est un océan de compromis ! Exemple personnel Après avoir décidé de s’engager dans une vie commune à long terme, nous avons dû apprendre à sortir de la bulle dans laquelle nous avions pris l’habitude de nous retrancher. Nous avions vécu seuls pendant plusieurs années et dotés d’un fort tempérament, nous avions développé une manière très individualiste de vivre... Et nous avons rapidement réalisé que nous avions une manière parfois différente d’aborder la vie. 29
Carolle était, à cette époque, quelqu'un de conflictuel et sans compromis. Serge s'adaptait trop et évitait les conflits. Cela ne pouvait pas marcher. Serge a dû apprendre à être plus confrontant, plus « disputeur ». Carolle a dû apprendre à être plus conciliante. Cela nous a pris des années. Si chacun a vraiment la volonté d'avancer, de grandir et de se remettre en cause, non seulement la relation évolue positivement mais, en plus, chacun des partenaires se déploie et s’épanouit individuellement. Conclusion et quelques questions Finalement, pour accomplir ce grand saut de l’engagement, nous en revenons encore et toujours à la même suggestion : parlez-vous, établissez un dialogue pour comprendre les enjeux de l’engagement et en définir les limites et pour partager les désirs et les peurs que la perspective de l’engagement fait naître. Que signifie pour nous l’engagement ? Sommes-nous prêts à nous engager ? Avons-nous un désir de couple qui dure ? Avons-nous des valeurs communes ? Avons-nous des projets communs ? Nous ressemblons-nous dans nos besoins de fusion et de solitude ? Sommes nous prêts à confronter les problèmes lorsqu’ils surgiront ? Que pensons-nous de la pratique des compromis ? Sommes-nous d’accord sur l’importance d’un dialogue régulier ?
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LA SEXUALITÉ La sexualité du couple rêvé La sexualité du couple rêvé, dans sa phase fusionnelle, est facile. Le désir et l’excitation sexuelle sont permanents. S’il y a un problème au niveau de la sexualité - par exemple, anorgasmie ou éjaculation précoce - on n'en parle pas. La difficulté est mise de côté et les amants se persuadent que « ce n'est pas si grave », que « cela s’arrangera, qu’avec le temps cela va s'améliorer ». Chacun fait comme si tout allait bien et d’ailleurs, d’un certain point de vue, tout va réellement bien puisque le couple en lune de miel se contente pleinement de ce qu’il vit. C’est une période euphorique au cours de laquelle la sexualité est généralement très intense.
La sexualité du couple réel Tous les couples, sans exception, sont confrontés à la réalité: avec le temps, la passion - et surtout la passion sexuelle - diminue. Le désir d'être proche de l'autre, de le toucher, d’être dans ses bras reste. L'amour pour l'autre est toujours là mais il y a moins d'excitation sexuelle. Cette distinction entre le désir et l’excitation sexuelle est importante. Le taux d’hormones produites pendant la période de lune de miel baisse, les corps ne réagissent plus aussi rapidement C'est à ce moment là que la routine s'installe. Beaucoup de couples se plaignent - surtout les femmes - de la manière trop prévisible, trop répétitive de faire l’amour. Il y a un début, un milieu et une fin. Toujours les mêmes. Cela se passe au même moment, au même endroit. La créativité disparaît. L’ennui s’installe. On se met à regretter les débuts de la relation - éventuellement à regarder ailleurs - et surtout on déplore la liberté perdue. 31
La liberté : fantasmes et réalité Parfois, un être humain engagé dans une relation de couple dit qu’il regrette sa liberté. Il nous semble qu’il serait plus exact de dire qu’il regrette l’état amoureux, cette période exquise où chacun se sent en harmonie avec son partenaire et avec le monde. Il regrette la vibration intense propre à cette période. Ne nous cachons pas la réalité : l’engagement dans une vie de couple et à fortiori lorsque surviennent les enfants, entraine une forte diminution d’une certaine forme de liberté : la liberté de faire ce que l’on veut, quand on veut, où on veut, avec qui on veut. Cette forme de liberté qu’on pourrait qualifier d’adolescente, est difficilement compatible avec la réalité du nouvel environnement, résultat de l’engagement. Être en couple et parents engendre des responsabilités qui limitent une certaine forme de liberté. Il n’est plus possible de décider spontanément de rester manger chez des amis, sans au moins en informer l’autre ; il n’est plus possible de rester boire un verre après le sport si on s’est engagé à aller chercher les enfants à la sortie de l’école; il n’est plus possible de rentrer à six heures du matin s’il faut conduire les enfants à leurs activités le lendemain à neuf heures. Cette nouvelle réalité est une des raisons pour laquelle il est important de définir les respirations du couple dont nous avons parlé plus haut. Cela permet à certains moments, bien définis et en accord avec l’autre, de prendre du temps pour soi, de faire ce dont on a envie sans contrainte. À côté de cette liberté très concrète, très événementielle, il existe une autre forme de liberté : une sensation intérieure. Un sentiment d'être libéré des automatismes, des « je dois » et des « il faut ». Une liberté où les choix que l’on a fait sont assumés et en harmonie avec le ressenti intérieur. Dans la sexualité, c’est précisément cette liberté-là qui permet de rester créatif. Être libre, c’est sortir des répétitions automatiques. Cette liberté-là est difficile à atteindre dans une sexualité à long terme.
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Il s’agit d’y « travailler ». Cela peut sembler antinomique de parler de travail à propos de sexualité. Pourtant, nous sommes convaincus que travail et conscience sont indispensables pour échapper à la routine. Garder une créativité ouverte, rester désirant, continuer à explorer ensemble, nécessite une volonté et une réelle implication des deux partenaires. Et nous revoilà devant l’incontournable communication. Après la lune de miel, il va falloir se mettre à communiquer verbalement et très concrètement sur la sexualité, pour pouvoir continuer à s’épanouir ensemble dans ce domaine. Garder le silence est souvent une voie de résignation.
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La communication sexuelle Vaste sujet. Il nous semble indispensable, une fois installés dans une relation d’amour à long terme, d'apprendre à communiquer en général et dans le domaine de la sexualité en particulier. Un autre de nos livres, "Mais tu ne m'avais jamais dit ça », est totalement consacré à la communication sexuelle d'un couple sur le long terme. Nous avons choisi ce titre, car lors des consultations que nous donnions à deux, il arrivait très souvent que l’un des partenaires dise à l’autre : « Mais tu ne m’avais jamais dit ça ». La très grande présence de la sexualité dans les médias n’a guère facilité la communication intime dans le couple. Si parler de LA sexualité est sans doute devenu plus facile, parler de SA sexualité de façon concrète et précise reste, pour une majorité de couples, difficile.
Quand dire ? À quel moment parler de la sexualité de son couple ? À quel moment communiquer ? Nous faisons la différence entre ce que nous appelons « la communication dans le lit » et « la communication hors du lit. »
Communiquer dans le lit La communication pendant la rencontre sexuelle nous semble devoir se limiter au strict minimum. Ce n'est pas le moment d'avoir des grands débats de fond sur la sexualité. Par exemple, nous pensons qu’il n’est pas judicieux de dire dans le lit : « Je voudrais te parler de notre manière de faire l'amour. Elle ne me convient plus. » Dans cet espace d’intimité, chacun est très fragile et les grandes remises en question risquent de blesser, d’insécuriser plutôt que de stimuler. 34
Dans le lit, la communication devrait se limiter aux informations très concrètes de l'ici et maintenant, en particulier à propos du confort. Son confort personnel est un cadeau que l’on fait à son partenaire. Si l’un ou l’autre a une jambe coincée ou un bras qui s'endort, une bonne idée est de le dire : "J'aimerais qu’on bouge parce que je ne suis pas tout à fait confortable". Cela semble évident, mais cela ne l’est pas toujours. Un certain nombre de femmes et d’hommes n’osent rien dire et se convainquent que « ce n’est pas la peine, cela ne va plus durer. Je ne vais pas casser l’ambiance en disant que mon bras s’endort: je tiens bon. » Dans l’idéal d’une rencontre amoureuse, le mental devrait avoir le moins de place possible et les sensations corporelles devraient dominer. Or, dire « mon bras s’endort », c’est réactiver le mental et la plupart des amants craignent qu’ensuite, il soit difficile de retourner dans l’énergie physique des sensations corporelles. Mais de toute façon, la gêne du bras endolori sera hyperprésente. C’est donc une illusion de penser qu’il vaut mieux ne rien dire. Dans le lit, en faisant l’amour, la communication devrait se limiter à des paroles simples qui expriment les sentiments amoureux, les désirs et des informations très concrètes pour assurer son confort.
Hors du lit : l’écoute silencieuse Par ailleurs, il nous paraît fondamental de communiquer hors du lit à propos de la sexualité. C’est important, complexe et encore rare. Il reste beaucoup de pudeur autour de ce sujet. Peu de couples prennent le temps d’avoir de véritables échanges à propos de leur sexualité. Cela se passe généralement sur le mode du conflit, à l’occasion d’une frustration de l’un ou de l’autre. L'écoute silencieuse est un petit bijou de communication qui nous est très cher. Tous les couples qui ont bien voulu nous partager leur expérience de l’écoute silencieuse, nous ont dit à quel point cet outil de communication leur était utile. L’essentiel de cette forme de communication consiste à ce que, pendant que l'un parle, l'autre ne fait absolument rien d'autre qu'écouter. Cela peut 35
sembler simpliste, mais cela améliore considérablement les bienfaits de la communication. L’écoute silencieuse est une manière de communiquer, où le couple décide ensemble lequel des deux parle le premier. Une fois l’un, une fois l’autre. Il est important d’installer un cadre pour cette écoute. Il s’agit de ne pas être interrompus – ni téléphones ni Internet – et d’avoir du temps devant soi. Ce n’est pas à faire entre deux portes. Très concrètement, une fois installés, pendant que l'un des deux parle, l'autre ne l'interrompt pas, ne lui pose pas de question, ne fait pas de commentaire, n’intervient pas en disant : « Oui, mais... » ou « Ce n’est pas vrai… » ou encore « Je ne comprends pas ce que tu cherches à me dire » Non, non ! Rien, rien, rien. Seulement écouter. Ecouter jusqu’à ce que celui qui a la parole dise : « J’ai fini. » Les effets positifs sont considérables. D'abord, cela permet de faire l'expérience tout à fait passionnante d'une écoute de qualité. La plupart du temps, dans une conversation, pendant que l'un parle, une partie de l’attention de son partenaire est occupée à préparer une réponse que l’on espère intelligente. Pendant ce temps-là, évidemment, on écoute moins bien. S’installer pendant un long moment dans une position d’écoute est vraiment très enrichissant. On quitte petit à petit le côté « ping-pong » qui souvent caractérise un échange sur un sujet délicat. « Je voudrais te dire que l'autre jour quand tu as dit que... » « Non, j'ai pas dit ça. » « Si, tu l’as dit. » Etc. Et voilà repartie la polémique, niveau de communication totalement inintéressant pour aborder les problématiques de fond auxquels le couple se confronte. Dans une écoute silencieuse, on ne cherche pas LA VÉRITÉ, parce qu'il n'y a pas UNE vérité. On cherche à entendre la vérité de l'autre. 36
C’est UNE vérité, pas LA vérité. Il ne s’agit pas de se mettre d'accord sur ce qui est vrai ou sur ce qui ne l’est pas. Il s’agit de découvrir le vécu de son partenaire dans un moment particulier de la vie commune. Il est intéressant de réaliser la manière dont son partenaire a vécu une situation qui se différencie de la perception que l’on a soi-même du même événement. La perspective est différente et les émotions provoquées par l’événement aussi. Enfin, cela autorise - et c’est important - des moments de silence pour celui qui parle. Tant qu’il a la parole et n'a pas dit « j’ai fini », il est dans son temps de parole et peut donc se permettre toutes les pauses silencieuses qu’il désire. Généralement, dans une discussion « normale », quand une personne s'arrête de parler, son interlocuteur s'empare immédiatement de la parole. Dans l’écoute silencieuse, les moments sans paroles font partie de l’exercice. Grâce aux silences, il est possible pour celui qui parle de « descendre plus profondément en lui-même ». Lorsqu’on choisit d’aborder un sujet qui tient à cœur, il y a d’abord ce que le mental a décidé de dire. Lorsque c’est chose faite et qu’il y a encore du temps de parole, Il est possible d’accéder à un niveau très intéressant : celui de la vulnérabilité, des émotions. Ce qui apparaissait, dans un premier temps comme un reproche, apparaît petit à petit comme un moment générateur de souffrance, qu'on peut, dans ce cadre particulier, partager émotionellement avec son partenaire. Quand le premier qui a pris la parole estime avoir terminé, il le dit et c’est à l’autre de prendre la parole. Pour celui qui prend la parole en second, il ne s’agit pas de répondre tout de suite à ce qu’il a entendu. Dans un premier temps, il est important qu’il parle de lui, de ce qu’il veut dire sur l'état de la relation, comme s'il parlait le premier. Une fois que chacun a parlé, il peut y avoir un moment d'échange plus traditionnel, sur le mode habituel d’une conversation.
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Les modalités de fonctionnement de l’écoute silencieuse peuvent être flexibles quant au rythme, aux sujets abordés et à la durée de l’échange mais sans toucher à la règle d’or de la non interruption de celui qui parle. Nos suggestions aident à mettre cette technique en place mais c’est à chaque couple d’aménager l’outil en fonction de ses besoins. Les partenaires, au début de cette pratique, sont souvent confrontés à l’envie d’interrompre l’autre pour se justifier. Nous avons observé qu’il est essentiel de pratiquer l’écoute silencieuse de manière régulière pour s’habituer à ce mode de communication. Une suggestion importante : après chaque écoute silencieuse, fixez la date de la suivante - quinze jours, un mois, six semaines plus tard, peu importe - mais fixez immédiatement la date dans l’agenda. Sans cela, le temps passe et le risque est grand qu’il faille une crise pour repenser à l’opportunité d’une écoute silencieuse. La pratique régulière et systématique de l’écoute silencieuse permet que certaines de ces rencontres se placent dans une période où tout va bien. Cela sera alors l'occasion de se dire le bonheur de vivre ensemble, de s’être choisis comme partenaires et d’être de joyeux amants. C’est essentiel parce que si on attend que surviennent les problèmes pour communiquer, la communication ne sera associée qu’à de la lourdeur. Au contraire, en prenant l’habitude de communiquer aussi pendant les périodes harmonieuses, l’écoute silencieuse sera aussi associée à de la légèreté. Et les expériences acquises quand tout va bien seront bien utiles quand cela ira moins bien ou plus bien du tout. Le couple aura apprivoisé le cadre, le vocabulaire et la structure de l’écoute silencieuse. Ils s’écouteront mieux, se comprendront mieux, et seront outillés pour traverser la crise. La pratique régulière de l’écoute silencieuse permet aussi de mieux connaître son partenaire : informé des gestes et des paroles qui l’aident à se sentir aimé, il sera plus facile de les lui offrir. L'écoute silencieuse peut ne pas se limiter au thème de la sexualité. Elle peut aussi être l'occasion d’aborder beaucoup d'autres sujets : • l'état de la relation au niveau affectif • les enfants 38
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l'argent les vacances les relations avec les familles d'origine etc.
Tous ces sujets délicats seront abordés d’une manière beaucoup plus satisfaisante grâce à cet outil merveilleux qu'est l'écoute silencieuse. Notre pratique de l’écoute silencieuse Nous pratiquons chaque mois une écoute silencieuse depuis que nous vivons ensemble, depuis plusieurs décennies. À force de pratiquer l’écoute silencieuse, nous nous sommes petit à petit déshabitués du mode polémique. Les conversations - entre nous, mais aussi avec d’autres - deviennent plus intéressantes. Les relations s‘approfondissent grâce au fait que l’écoute devient plus respectueuse. Il ne nous paraît pas exagéré d’affirmer que la pratique régulière de l’écoute silencieuse rejaillit sur notre manière d'être en général.
Quoi dire à propos de la sexualité ? Il nous paraît important de communiquer sur deux sujets : les désirs et les peurs. Cela paraît simple et pourtant dans la réalité, ça ne l'est pas du tout. À notre époque, les médias diffusent beaucoup d’informations sur ce thème mais, répétons-le, si parler de la sexualité est devenu plus facile, parler de sa sexualité reste délicat. Il s’agit de commencer à oser parler intimement de soi.
Les désirs Parler de ses désirs semble simple et pourtant il n’est pas si facile d’oser exprimer précisément ce qu’on aime ? « Quels sont mes désirs ? Quelles sont mes limites ? Qu'est-ce qui me convient ? Qu'est-ce qui ne me convient pas ? Qu’est-ce que j’ai envie d’explorer ? » Nous vous invitons à partager tous ces sujets aussi simplement et clairement que possible avec votre partenaire. 39
Les peurs Les mêmes questions se posent vis-à-vis des peurs. Quelles sont mes peurs ? L’idée d’une sexualité sans peur nous paraît illusoire. Nous avons animé pendant des années des groupes de couples, d'hommes et de femmes sur le thème de la sexualité et nous en avons conclu que tout le monde, d'une façon ou d'une autre, se confronte à la peur. LES PEURS PRINCIPALES DES HOMMES ? Ne pas bander, éjaculer trop vite, ne pas être à la hauteur, ne pas être un amant adéquat, ne pas caresser sa partenaire « comme il faut », ne pas réussir à la faire jouir... Sans oublier : « J'ai un sexe trop petit, trop long, trop gros, enfin... de toute façon, je n’ai pas le sexe dont je rêve... » LES PEURS PRINCIPALES DES FEMMES ? Devoir « passer à la casserole », devoir faire des « choses » dont elles n’ont pas envie, en particulier une fellation - à fortiori devoir avaler le sperme -, ne pas lubrifier assez, ne pas satisfaire son partenaire, ne pas avoir assez souvent envie de faire l'amour, ne pas avoir d’orgasme… Pourquoi pensons-nous qu’il est important de partager désirs et peurs ? Parce qu’oser exprimer clairement ses désirs enrichit non seulement la relation sexuelle, mais aussi la relation de confiance entre les partenaires. Et parce que taire une peur lui donne de plus en plus d'ampleur. Au contraire, une peur acceptée et partagée diminue en intensité. Nommer les peurs les dédramatise. Partager ses désirs et ses peurs permet à chacun de s’exposer dans sa vulnérabilité. La confiance et le respect grandissent, la relation s’approfondit. Il est souhaitable de refaire le point régulièrement, tant de ses désirs que de ses peurs puisque la sexualité se transforme avec les années. Elle n’est pas du tout la même à 30 ou à 65 ans. Elle est différente au début de la relation et après 10 ans de vie commune. Elle se transforme pendant une grossesse et pendant l’année qui suit un accouchement.
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Les rendez-vous d’amour Pour maintenir une sexualité vivante, enrichissante et épanouissante, il est important de faire régulièrement l’amour. Mais aujourd’hui, la vie déborde d’activités multiples et « faire l’amour » est souvent très bas dans la liste des choses à faire. De plus, la plupart des adultes sont encore marqués par l’injonction éducative de « d’abord finir ses devoirs avant de pouvoir aller jouer ». Une fois adulte, il y a tellement de « devoirs » qu’ils ne sont jamais finis. Le résultat, c’est que plus personne n’a le temps « d’aller jouer ». Bien souvent, les couples se retrouvent au lit à 23h et commencent à faire l’amour à cette heure tardive alors que leurs corps n’ont qu’une envie : dormir. Ils font l’amour parce qu’ils sont nus ou presque nus dans un lit. Il est tard, ils sont fatigués, mais ils font l’amour. Parce que cela fait longtemps qu’ils ne l’ont pas fait, parce qu’il faut bien le faire. Mais demain matin, ils se lèvent tôt et il ne faut pas que cela dure trop longtemps. Résultat : la rencontre dure entre 5 et 10 minutes. Finalement, la sexualité devient une activité obligatoire qui manque de temps et d’imagination. La routine s’installe, le rapport se passe toujours de la même manière, sans beaucoup de fantaisie. Les rencontres s’espacent. Pour atténuer les effets de cette réalité frustrante, nous proposons les rendezvous d'amour. À priori, cela semble bizarre de prendre rendez-vous pour faire l'amour. Pourtant, quand les amoureux ne vivent pas encore sous le même toit, ils n’hésitent pas à prendre rendez-vous pour faire l'amour. Pour prendre rendez-vous, il suffit de trouver un moment dans la semaine un matin, un après-midi, un soir - où les deux partenaires sont libres. Cela peut être émoustillant de se dire qu’on a rendez-vous pour faire l’amour. Cela permet à chacun de s’y préparer, psychologiquement et physiquement. On peut être encore plus attentifs ces jours-là que d’habitude à être « propre sur soi » et à bien choisir ses vêtements et sous-vêtements. Mais, rassurez-vous, avoir rendez-vous pour faire l’amour ne veut pas dire qu’on sache à l’avance comment cela va se passer. Le cadre est fixé mais à l’intérieur de ce cadre, rien n’est défini, tout est possible.
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Et, il y a bien des manières d’agrémenter la rencontre. Une fois, c’est l’un qui décide le contenu de la rencontre, la fois suivante, c’est l’autre. On peut commencer par prendre un bain ou une douche ensemble. On peut échanger un massage sensuel. On peut mettre des petits papiers dans un chapeau avec des suggestions « sexuelles » et en tirer une ou deux au hasard. On peut utiliser des accessoires. Il y a - et tant mieux - de nombreux livres remplis de suggestions créatives dans le domaine sexuel. Exemple de suggestion du contenu d’un rendez-vous d’amour : après avoir mangé - et bu « avec modération » - au lieu d’allumer la télévision (puisqu’on a rendez-vous), on se met au lit vers 21 heures, nus dans les bras l'un de l'autre et on voit ce qui se passe. S’il n’y a que de la tendresse, des baisers et que ça s'arrête là, c'est bien. Il ne faut pas brusquer les choses ou se contraindre à plus. Si l’un des deux seulement est excité, il est possible qu’il ou elle se masturbe ou se fasse masturber, dans une proximité aimante et pourquoi pas sensuelle. Et bien sûr, le rendez-vous peut être l’occasion de faire délicieusement l’amour en prenant tout son temps puisqu’il n’est pas tard. Tout est possible. Il s‘agit de poser le cadre mais de permettre que ce qui s’y passe soit spontané. Grâce à la prise de rendez-vous pour faire l’amour, beaucoup de tensions disparaissent parce que les partenaires ne se sentent plus sous pression. Pression pour la majorité des femmes lorsque les demandes de leur partenaire pour faire l’amour se multiplient. Pression pour la majorité des hommes qui vivent sans cesse dans l’espoir que cela se passe. Finie la culpabilité de ceux ou celles qui disent souvent « non ». 42
Finies les frustrations de celles ou ceux qui guettent les signes que « peut-être ce sera pour ce soir ». Grâce aux rendez-vous chacun sait à quoi s’en tenir et peut se détendre le reste du temps. Cela parait bizarre au début - cela ne fait clairement pas partie de l’image du couple rêvé - mais ça vaut vraiment la peine d'essayer. Parfois, pour commencer, il est nécessaire de dépasser les résistances – « devoir prendre rendez-vous pour faire l’amour, c’est nul ! » - mais quand on y arrive, il en résulte de beaux moments d’intimité dans de bien meilleures conditions que si l’on compte sur une hypothétique spontanéité.
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Le désir dans le long terme Qu'est-ce qui maintient le désir sexuel dans une relation à long terme? Une certaine insécurité, répondent les sexologues. Cette inconfortable constatation met les couples face à un dilemme. Si un couple désire vivre une relation dans le long terme, créer une famille, avoir des projets ensemble, le besoin de sécurité est parfaitement légitime. La sécurité est nécessaire pour construire le nid familial, pour que les enfants puissent y grandir et, plus généralement, pour mener les projets communs à bien. Mais plus une relation est sûre, plus chacun s’installe dans la conviction que l’autre est définitivement acquis et plus le désir s’estompe. Les relations sexuelles deviennent épisodiques et sont de moins en moins satisfaisantes. Et même - plus souvent qu’on ne pense - les couples s’installent dans une vie sans aucune sexualité ou seulement quelques rares fois par an. Pour continuer à désirer son partenaire, il semble donc nécessaire de créer, au sein du couple, une certaine distance et même un sentiment de manque. On désire son partenaire lorsqu’on le voit de loin, jouer avec les enfants dans le jardin ou parler au milieu d’un groupe d’amis au cours d’une soirée. L’attirance se réveille. La distance crée donc un zeste de saine insécurité. Le manque de l’autre génère aussi du désir. Inconfortable constatation qui vient en contradiction avec l’idéalisation du couple fusionnel. Les couples qui se séparent après s’être beaucoup disputés en font l’expérience inattendue : après le soulagement des premiers temps de la séparation, l'autre commence à manquer. On ne voit plus que ses bons côtés. On a, à nouveau, envie de faire l'amour avec lui ou elle. Et que dire des couples qui se réconcilient sur l’oreiller. Convenons que tout ceci est subtil et complexe : il s’agit de créer un équilibre entre la sécurité nécessaire pour mener à bien les projets du couple et l'insécurité nécessaire pour maintenir le désir éveillé. 44
Pas évident. Ne pas penser que l'autre est acquis, ni se sentir acquis à l’autre. Continuer à se sentir désirable, non seulement par et pour son partenaire, mais aussi par et pour le monde. Regarder ailleurs, un peu, mais pas trop… Bien sûr, un couple peut décider de ne plus avoir de vie sexuelle et sembler s’en accommoder. Mais c’est une décision difficile à prendre, vu d’une part le risque de ressentiment que cela peut créer et d’autre part l’intensité de la pression culturelle qui valorise une sexualité vivante. Les scientifiques nous incitent d’ailleurs à vivre une sexualité active qui nous maintient, disent-ils, en meilleure santé. À chaque couple d’ouvrir la discussion sur la manière d’installer la juste dose d’insécurité dans la relation.
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Regarder ailleurs mais pas trop Aujourd’hui, une vie de couple peut durer 50 ou 60 ans. Comment peut-on imaginer, sur une aussi longue durée, ne pas désirer quelqu'un d'autre que sa compagne ou son compagnon de vie ? C'est irréaliste. Éprouver du désir pour un tiers est naturel. Cela prouve que l’on est vivant. Ce n’est pas un choix, c'est un processus naturel et qu’on ne décide pas. Tout à coup, sans crier gare, on vibre pour quelqu'un d'autre que son partenaire. Souvent ce ne sera qu’un événement léger et passager, un signe qui viendra confirmer qu’on est vivant et désirant. Mais parfois cette émergence d’un désir « extérieur » pourra être l’occasion de se questionner quant à l’état de la relation. Est-elle satisfaisante ? Y a-t-il une accumulation de ressentiment pour son partenaire qui donne envie d’aller « voir ailleurs » ? Est-ce le signe que le couple traverse une crise qui signale que quelque chose doit changer dans la façon de vivre ensemble ? Est-ce une envie de recommencer une nouvelle histoire, sans tout un passé qui diminue le désir pour son partenaire ? Si nous n’avons pas le choix d’éprouver du désir, nous avons bien sûr le choix quant à la concrétisation ou non de ce désir. Y aura-t-il passage à l'acte ou pas ? Passer à l'acte, c'est à dire décider de faire l'amour avec un tiers est un choix. Il est possible de dire oui. Il est possible de dire non.
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L’exclusivité sexuelle Nous préférons parler d’exclusivité sexuelle plutôt que de fidélité. Une personne peut se sentir fidèle tout en ayant des relations sexuelles en dehors de son couple. Fidèle de coeur, fidèle à ses valeurs, fidèle à son couple. L’exclusivité sexuelle est une question très importante à aborder franchement en couple. Trop souvent, l’exclusivité semble une évidence qui ne mériterait même pas qu’on en parle. S’il est pratiquement impossible d’être en couple pendant des décennies sans ressentir du désir pour un tiers, il est d’autant plus judicieux de fixer un cadre, de se mettre d’accord sur « les frontières sexuelles » de son couple. En général, dans les premiers temps d'un couple, l'exclusivité sexuelle est une évidence. Nous avons vu que, dans le long terme, la sexualité risque, passé la lune de miel, de devenir routinière. C’est un bon moment pour redéfinir ensemble les attentes de chacun : « En ce moment de ma vie, qu’est-ce que j’attends de ma vie sexuelle? » Et aussi pour clarifier explicitement les limites dans le domaine sexuel. Par exemple, avons-nous le droit – ou non - sur base de ce que nous avons décidé d’un commun accord : de jouer le jeu de la séduction pour se sentir désiré-e ? de masser quelqu’un d’autre ? d’embrasser un tiers sur la bouche ? d’avoir une relation sexuelle avec un tiers mais à condition de pratiquer le « safe sex » ? • etc. • • • •
Ces clarifications sont possibles si le couple a le courage d’aborder ces questions délicates, d’accueillir les émotions qu’elles génèrent, de pratiquer l’écoute silencieuse, de se parler, de se reparler, de se reparler encore.
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L’ouverture du couple Certains choisissent « d’ouvrir » leur couple. Ils acceptent d’un commun accord d'avoir un ou plusieurs partenaires sexuels et/ou amoureux en dehors du couple. Ce n’est pas une infidélité puisque ce choix est négocié et accepté. Cette option nécessite, selon les nombreux témoignages que nous avons recueillis, que le couple « premier », le couple de base, soit fort. Pour pouvoir, de commun accord, s'ouvrir à d'autres relations intimes, il convient d’avoir confiance en soi et en l'amour de l’autre, d’avoir construit ensemble une relation solide, satisfaisante, belle et aimante. Ce qui ne veut pas dire une relation sans crises traversées. Il s’agit - et ce n’est pas évident - d’être largement convaincu que ces relations « secondes » ne vont pas mettre en danger le couple premier. Mais il est clair que, quelles que soient les précautions prises et les engagements exprimés, le risque existe. « Ouvrir » son couple est un choix nouveau, contrairement à l’adultère caché qui a toujours existé. C'est un choix qui peut faire peur car tout ce qui est nouveau fait peur. L'adultère « classique » reste de loin la première cause des séparations. Il nous semble donc légitime de poser la question: « Est-il juste que tant de couples décident immédiatement de se séparer suite à « une aventure extra conjugale» vécue par l’un ou par l’autre? » De nombreux couples semblent, plus tard, le regretter. Bien sûr, le choix du couple ouvert ne sera pas un long fleuve tranquille. De fortes émotions seront au rendez-vous : la jalousie, la possessivité, l’image de soi narcissiquement perturbée, la peur de faire un mauvais choix, les jugements négatifs de la famille et de l’entourage. Mais le choix de l'ouverture peut aussi ouvrir de très beaux espaces et approfondir l’amour qui unit le couple premier. Tous les modèles sont possibles mais nous sommes convaincus de la justesse d’aborder courageusement les questions d'exclusivité sexuelle, de jalousie, de possessivité, de peur de l’abandon, bref de toutes les peurs - et de tous les désirs ! - que ces questions font naître. 48
Considérer que l’exclusivité va de soi, au point qu’il ne serait même pas nécessaire d’en parler, nous parait une erreur. Il est nécessaire d’en parler et d’en reparler régulièrement au fil des ans et de s’autoriser à changer de point de vue. Selon sa personnalité, ses valeurs, son âge, la durée de vie du couple, chacun va trouver la manière particulière et originale de combiner ces deux polarités nécessaires à l’équilibre du couple : sécurité / insécurité. Il s’agit de faire du « tiers », c’est-à-dire de « l’autre », qu’il soit réel ou fantasmé, une question ouverte. Nous sommes conscients du poids de la norme culturelle forte qui valorise la « fidélité ». Mais oser aborder explicitement le choix que le couple souhaite faire est d’une passionnante audace.
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Un exemple parmi des dizaines de possibilités : Jules et Julie Jules et Julie, en faisant le choix du long terme, se sont demandés ce qui leur conviendrait comme forme de relation sensuelle, sexuelle ou amoureuse avec les tiers. Ils ont conclu un contrat d'exclusivité sexuelle d’une durée d’un mois, renouvelable ou non chaque mois, à l’occasion de leur soirée d’écoute silencieuse. Ils renouvellent cet engagement d’exclusivité, tous les mois, depuis près de dix ans. Ils s’autorisent l'un l'autre à sortir seul, à se sentir désiré et désirant mais ils ont négocié des limites très précises : pas de sexe oral ni de pénétration avec un tiers. Tout le reste est permis. Ils pratiquent régulièrement des massages très sensuels avec d'autres partenaires, ce qui leur donne l'occasion de toucher d'autres corps, d'autres peaux, d’autres sexes et de découvrir d'autres sensibilités. Cette possibilité d’explorer sensuellement d’autres corps a contribué, disentils, à ce que leur sexualité reste très vivante. Concluons comme d’habitude cette passionnante question du désir dans le long terme par : quel que soit votre choix, parlez-en !
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La différence de rythme dans le désir, l'anorgasmie et l'éjaculation précoce : les 3 thèmes qui reviennent le plus souvent comme difficultés à propos de la sexualité Nous allons aborder ces trois sujets de manière succincte. Si cela vous intéresse, vous trouverez plus d’explications et de précisions à ce sujet dans notre livre « Mais tu ne m’avais jamais dit ça » déjà mentionné. LA DIFFERENCE DE RYTHME Répétons-le : les couples se confrontent pratiquement tous à la difficulté que l'un a plus souvent envie de faire l'amour que l'autre. Statistiquement, ce sont les hommes qui ont plus souvent envie de faire l'amour que les femmes. Il y a aussi de nombreux couples où c'est l'inverse. Que faire par rapport à cette différence de rythme ? Une fois encore, ne pas faire comme si de rien n'était. En mettant les problèmes sous le tapis, ils ne font que s’accumuler et un jour, pour garder l’image du tapis, on se prend les pieds dedans. On tombe et ça fait mal. Ensuite, chercher à créer des situations concrètes qui diminuent la souffrance née de cette différence de rythme. La situation la plus classique consiste à ce que chacun fasse un effort vers l’autre. Monsieur a envie tous les deux jours et Madame tous les 15 jours. Ils trouvent un compromis et le font une fois par semaine. Les rendez-vous d’amour sont là pour agrémenter ce compromis. D’autres pistes sont possibles : La masturbation est une alternative intéressante. Personne n’a attendu notre autorisation pour se masturber. Cependant, il semble encore nécessaire de dédramatiser cette pratique. Il n'y a pas si longtemps, une majorité de psychologues soutenaient que la masturbation était une pratique réservée à l’adolescence. C’était soi-disant une étape nécessaire pour évoluer vers une sexualité adulte, dont la masturbation ne faisait plus partie.
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Nous ne sommes pas du tout d’accord avec cette théorie qui trouve d’ailleurs de moins en moins de défenseurs. Presque tout le monde se masturbe. Et cela tout au long de sa vie. Il n’y a aucune raison de se sentir coupable de se masturber adulte. La masturbation peut diminuer la souffrance née de la différence de rythme dans le désir. Surtout si on l’intègre joyeusement au sein de la vie sexuelle du couple. Plutôt que de la pratiquer dans la solitude - dans la salle de bains, en l’absence du partenaire ou seulement lorsqu’il semble endormi n’est-il pas plus confortable et plus amusant de la pratiquer ensemble ? Il y a plusieurs cas de figure avec lesquels jouer : se masturber ensemble ou se masturber l’un après l’autre et ainsi se « montrer » l’un à l’autre comment on s’y prend. On peut aussi se masturber dans le lit en présence de l'autre qui, s’il n'a pas envie de faire l'amour ce jour-là, peut néanmoins être présent, attentif et affectueux. Il n’a pas besoin de participer à l'excitation sexuelle, mais il peut très amoureusement être présent. Cette piste ne conviendra pas à tout le monde. Le secret, comme toujours, c’est d’en parler et de voir si cela convient ou non à tous les deux comme alternative à une relation sexuelle plus classique. Les quickies - petits coups rapides - sont une autre piste. Quand un homme a plus souvent envie de faire l'amour que sa partenaire, il est possible que celle-ci soit tout à fait disposée à accueillir son homme avec amour, à le laisser la pénétrer, mais à la condition de ne pas devoir participer à l'excitation sexuelle. « Je suis d’accord de t'accueillir en moi, que tu éjacules, que tu aies un moment de plaisir, mais ne me demande pas de participer. Je t'accueille avec tout mon coeur, mais ne me demande pas plus ». C’est une solution qui ne peut être qu’occasionnelle car une relation sexuelle complète, avec du désir et du plaisir chez les deux partenaires, est nécessaire à une bonne entente sexuelle. La pratique exclusive des quickies risque d’ailleurs de faire naître du ressentiment et de la frustration chez les deux partenaires. Les quickies sont là pour atténuer les effets inconfortables de la 52
différence de rythme et ne sont pas destinés à se substituer à une vie sexuelle complète. L’ANORGASMIE CHEZ LES FEMMES Depuis des décennies, on parle et on écrit beaucoup à propos de l'orgasme féminin, sans vraiment savoir ce qu’il en est réellement. Le temps est maintenant venu, pour les femmes, de se sentir complètement détendues par rapport à ce sujet. Oublions les articles, les congrès de sexologues qui se demandent si un orgasme clitoridien est mieux ou moins bien qu’un orgasme vaginal. Inutile aussi de se torturer l’esprit si on n’a pas trouvé son point G. L’essentiel est de connaître son corps et d’être dans la conscience de la manière unique dont il réagit. Et d’en jouir ! Se relaxer par rapport aux idées reçues. Vivre son corps comme un espace d'expérience en lui mettant le moins de pression possible. Car, finalement, c’est cette pression qui crée la souffrance née de la distance entre ce qu’une femme ressent et ce qu’elle croit devoir ressentir. Une femme peut être en paix avec ce qu’elle ressent. Elle peut en profiter pleinement. Ce qui n’empêche pas de chercher à s’épanouir, en partant de ce qu’elle ressent et en essayant de l’élargir plutôt que de courir derrière une sensation qu’elle imagine devoir exister et qu’elle ne connait pas. Les chiffres des statistiques sont étonnants : 80% des femmes disent simuler toujours, souvent ou occasionnellement - l'orgasme lors des rapports sexuels. Il faut dire et redire que beaucoup de femmes pensent qu’elles n’ont pas d’orgasme simplement parce qu’elles n’en ont pas pendant la pénétration. Hors pénétration, par stimulation manuelle ou orale du clitoris, elles ont un orgasme et font partie de ce groupe, très majoritaire des femmes, qui n'ont pas d'orgasme pendant la pénétration. Et c’est normal puisque, répétons-le encore une fois, la grande majorité des femmes ont besoin d’une stimulation manuelle ou buccale directement sur le clitoris pour avoir un orgasme. Il est important que les femmes entendent cela.
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Et il est tout aussi important que les hommes comprennent que la pression qu’ils font peser sur leur partenaire pour qu'elle ait un orgasme est inefficace et même contre-productive. Il n’y a rien à « guérir » si en pénétrant une femme, un homme ne lui donne pas d’orgasme. Cela n’a rien à voir avec sa virilité. Cela ne remet pas en cause sa « compétence sexuelle ». C’est simplement une réalité physique : la pénétration est rarement une condition suffisante pour provoquer un orgasme chez la femme. En simulant souvent l’orgasme pendant la pénétration, les femmes se rendent complices de cette ignorance. Elles sont sans doute soucieuses de ne pas fragiliser leur homme en les mettant face à la réalité - « Je n’ai pas d’orgasme quand tu me pénètres et c’est normal » -. Refrain : Osez aborder ces questions entre vous clairement et simplement. L’EJACULATION PRECOCE L’éjaculation précoce est une question considérable. Dans notre livre sur la communication sexuelle « Mais tu ne m’avais jamais dit ça », nous avons intitulé un chapitre « Tous les hommes ou presque sont des éjaculateurs précoces ». Qu'avons-nous voulu exprimer par ce titre provocateur ? Nous pensons que beaucoup d'hommes arrivent à contrôler leur éjaculation, mais à un prix regrettable. Ils freinent leur excitation. Ils serrent les dents. Ils ne se laissent pas complètement aller. Ils font durer les préliminaires ou système classique – ils pensent à des choses désagréables. Nous sommes persuadés que l’éjaculation précoce crée une vraie souffrance dans la vie de beaucoup de couples. Elle provoque souvent une véritable détérioration de la sexualité. Au fur et à mesure que le couple se confronte à ce qu’il vit comme un échec, il entre dans un cercle vicieux. La peur s’intensifie à la perspective de la prochaine rencontre sexuelle, ce qui augmente le risque d’être à nouveau confronté à une éjaculation précoce. Plus on a peur, plus on est tendu. Plus on est tendu, plus l'éjaculation est difficile à contrôler.
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La première chose à faire, pour les hommes, s’ils vivent cette souffrance, c’est d'abord de le reconnaître vis-à-vis d’eux-mêmes et c’est peut-être le plus difficile. Deuxième pas, en faire une question ouverte, en parler avec sa partenaire sans penser qu’elle va apprendre quelque chose puisque, presque toujours, elle en est consciente. Souvent elle aurait bien voulu en parler, mais elle a eu peur de fragiliser son homme en prenant l'initiative d’aborder cette question sensible. Une fois que cet état de fait est reconnu et nommé, il est tout à fait possible d’y remédier. Il est possible d'arriver à un état de détente telle qui fait que la question ne se pose plus. Comment ? La question de la respiration est fondamentale. D’autres solutions peuvent être trouvées, mais ce n’est pas le sujet de ce livre-ci. Mais tant que cette réalité n'est pas reconnue et nommée, les choses ne peuvent pas évoluer positivement.
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Conclusion – et quelques questions Dans une vie de couple à long terme, communiquer à propos de la sexualité est primordial. Il est illusoire de vouloir garder « une sexualité lune de miel » pendant des dizaines d’années. Pour rester satisfaisante dans la durée, la sexualité doit être une histoire écrite à deux. En parlant. En cherchant. En dépassant les crises douloureuses. En inventant. Et, si possible, en riant. Parlons-nous facilement de notre sexualité ensemble? Connaissons-nous nos désirs et nos peurs en matière de sexualité ? Est-ce que nous arrivons à les partager ? Avons-nous des fantasmes ? Et avons-nous envie de les partager ? Que pensons-nous de la masturbation ? Quelles sont nos idées en matière d’exclusivité sexuelle ? Quelles sont les limites, en matière de sexualité, que nous désirons mettre à notre couple ? Quel est notre point de vue sur l’opportunité d’avoir on non un jardin secret ? Si nous rencontrons des difficultés dans notre vie sexuelle, osons-nous en parler ? Avons-nous envie de pratiquer régulièrement une écoute silencieuse à propos de notre vie sexuelle ? Qu’avons-nous envie de mettre en place pour garder une sexualité vivante à travers les différentes périodes de la vie ?
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LA GESTION DES CONFLITS Le rapport de force Lorsque deux entités sont en relation, un rapport de force émerge. Entre deux personnes mais aussi entre deux groupes, deux entreprises, deux clubs sportifs, deux partis politiques, deux pays. Le rapport de force est le résultat de la rencontre de deux puissances à l’intérieur d’un système. Ce n’est ni bien ni mal : c’est un fait. Le couple est un système. Les partenaires qui le composent ont chacun leurs valeurs, leurs habitudes de vie, leurs qualités et leurs défauts. En formant un couple, ils vont générer un rapport de force. Comment ce rapport de force va-t-il se concrétiser ? Comment ces deux forces vont-elles interagir ? Quelles seront les initiatives, les décisions, les responsabilités que chacun assumera au sein du couple ? Quelle liberté, quelle autonomie chacun des partenaires conservera-t-il dans la relation ? Autant de questions intéressantes à se poser. Rares sont ceux qui évoquent explicitement le rapport de force au sein de leur couple. Déjà les mots utilisés - force, pouvoir, puissance, lutte - ont mauvaise réputation. La plupart des personnes interrogées affirment ne pas vivre de rapport de force dans leur couple « puisqu’elles s’aiment. » C’est une idée aussi répandue que fausse. Amour et rapport de force sont non seulement compatibles mais l’un ne peut pas exister sans l’autre. La reconnaissance de cette réalité n’est en aucune façon le signe que la relation d’amour ne serait pas solide et profonde. 57
Le rapport de force est souvent confondu avec un bras de fer, une compétition ou même une bagarre. A tort, à nouveau, puisque le rapport de force n’est rien d’autre qu’un fait, une réalité. Nous verrons plus loin les modalités conflictuelles du rapport de force : les jeux et les luttes de pouvoir. Une chose est sûre : c’est un sujet complexe et délicat. Une précision : nous ne parlons pas ici de couples dysfonctionnels, notamment ceux dont la relation est caractérisée par la perversion ou la maltraitance.
L’idéal du couple égalitaire La majorité des couples contemporains, dans nos pays, souhaitent instaurer un modus vivendi harmonieux où la responsabilité des tâches et des activités communes est partagée à parité. L’objectif égalitaire du couple dans notre culture illustre une nouvelle valeur : l’évolution vers une égalité entre hommes et femmes. D’autres couples, moins nombreux, se satisfont d'un système constitué d’une locomotive et d’un suiveur. Pour autant que les deux partenaires soient d'accord de vivre sur base de ce schéma, cela ne pose pas de problème. D’ailleurs, même au sein d’un couple qui souhaite une répartition égalitaire des tâches, il arrivera que l’un des partenaires - une fois l’un, une fois l’autre prenne seul une décision qui les concerne tous les deux et qui sera acceptée sans discussion par l’autre. Mais, le plus souvent, les prises de décisions seront partagées, après discussion, négociation et accord. La conduite d’une voiture permet d’illustrer ces différentes modalités. Soit le conducteur a la maîtrise des décisions - vitesse, itinéraire et manière de conduire - et le passager n’intervient pas du tout. Le conducteur est la locomotive et le passager le suiveur. Soit le passager se mêle de la conduite en donnant des indications sur la route à prendre ou la manière de conduire et le conducteur l’accepte comme une contribution positive. Dans ce cas, il s’instaure un rapport de forces où le pouvoir se partage puisque tant le conducteur que le passager ont leur mot à dire. 58
Couple rêvé Comme déjà dit, dans le couple rêvé qui dure ce que dure la lune de miel, tout est facile. Le rapport de force ne fait naître aucun conflit, il n’y a pas de dispute. Les deux partenaires sont toujours d'accord. Et même si ce n’est pas le cas, l’un des deux, plus conciliant, se rangera sans effort à l’avis de l’autre. Le couple peut croire que grâce à leur amour ils ne se disputeront « jamais » et que cela durera « toujours ». Tout le monde a le droit de rêver.
Couple réel Dans un couple réel, le rapport de force prendra à certains moments, inévitablement, le chemin du conflit. Il nous parait en effet illusoire de penser qu’il est possible de passer des dizaines d’années ensemble sans qu’émergent des conflits. Les disputes, les oppositions, les confrontations font partie de la vie. La plupart des conflits trouveront leur origine dans la manière de gérer le quotidien et de répartir les multiples tâches dont la vie de famille est émaillée. Nous reviendrons sur une distinction fondamentale pour la suite de nos propos : les conflits prendront la forme soit de jeux de pouvoir soit de luttes de pouvoir. Mais d’abord arrêtons-nous sur la notion même de pouvoir.
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Où il est question du pouvoir Le mot « pouvoir » a encore plus mauvaise presse que les mots « rapport de force ». Cela s’explique par le fait que le pouvoir est très souvent confondu avec l’abus de pouvoir. Ce sont pourtant deux réalités très différentes. L’abus de pouvoir implique une domination autoritaire qui génère de la peur chez celui qui subit cette domination. L’abus de pouvoir utilise les paroles blessantes, l’humiliation ou encore les cris, les menaces et, au pire, la violence physique. Au contraire, le pouvoir peut être utilisé dans une intention positive : les compétences, les capacités et les forces de chacun des partenaires du couple sont mises au service d’un projet commun. C’est une forme positive de l’exercice du pouvoir. Le pouvoir est alors la capacité d’assumer des responsabilités et de prendre des décisions dans l’intérêt supérieur du couple et de la famille. Le pouvoir se partage au sein du couple et, dans la perspective égalitaire idéale, chacun exerce le pouvoir dans les domaines où il ou elle se sent compétent. Mais comment se crée la répartition des tâches et du pouvoir qui en découle?
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Répartition des tâches et du pouvoir qui en découle Au début de la relation, les amoureux font tout ensemble. Ils font à manger ensemble, ils font les courses et le ménage ensemble, ils regardent la télé ensemble. Si l’un des deux prend une initiative avec laquelle l’autre n’est pas tout à fait d’accord, ce dernier ne va rien dire. Il est dans l’état amoureux et laisse aller. Sur la durée, cet état de grâce ne dure pas. Il existe bien certains couples qui continuent à tout faire ensemble mais ils sont très minoritaires. Tout faire ensemble ne veut d’ailleurs pas dire que tout a été décidé ensemble. Petit à petit, au cours de la vie commune, la plupart des couples vont se répartir les tâches. Il est plus efficace de partager les multiples activités qu’un couple - surtout avec enfants - doit gérer. La répartition des tâches se fait généralement de manière implicite, sans discussion ni négociation entre les partenaires. Souvent, la responsabilité de tel ou tel domaine sera choisie selon ce qu’un homme aura vu faire par son père et selon ce qu’une femme aura vu faire par sa mère. Quelques uns prendront le contre pied du rôle du parent, mais cette attitude ne change pas le paradigme : la référence reste le parent. La culture dominante pèsera aussi inconsciemment sur la répartition : les stéréotypes des rôles des femmes et des hommes. Un exemple très classique : l’entretien de la voiture pour les hommes et la lessive pour les femmes. Il nous semble préférable que la répartition se fasse selon les compétences et le plaisir - « j’aime jardiner » ou « j’aime m’occuper de l’administration » plutôt que par devoir. Il restera toujours l’une ou l’autre tâche dont aucun des deux n’aura envie de prendre la responsabilité. Il ne restera plus alors qu’à tirer à la courte paille.
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Quelles sont les tâches qui doivent être réparties au sein du couple ? Les tâches terre à terre et les multiples activités qui composent la vie concrète de tous les jours sont à répartir au sein du couple. La vie de couple et de famille oblige à se confronter avec la matière, avec le quotidien tel qu’il est : routinier, ordinaire, répétitif. LE MENAGE Les courses, la préparation des repas, la vaisselle Le rangement, le nettoyage La lessive Le bricolage L'ADMINISTRATION ET L’ARGENT Le paiement des factures La gestion du budget et de l’épargne L’argent gagné est-il mis sur un compte commun ou sur des comptes séparés ? Une différence de salaire est-elle prise en compte pour la prise en charge des dépenses communes ? Les dettes sont-elles communes ou restent-elles propres ? LA SEXUALITE Qui prend l’initiative d’une rencontre sexuelle ? Qui dit oui ? Qui dit non ? Qui
participe
à
la
rencontre
avec
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plaisir
?
Sans
plaisir ?
Les loisirs Comment se prennent les décisions relatives aux loisirs, aux vacances ? LES RAPPORTS AVEC LES FAMILLES D'ORIGINE Qui décide de la fréquence des visites aux familles d’origine ? LA VIE SOCIALE Qui est responsable des invitations et des sorties avec les amis ? Des activités culturelles ? Des activités sportives ? LA SPIRITUALITE, LA RELIGION L’un des partenaires entraine-t-il l’autre sur une voie spirituelle ou dans une pratique religieuse ? LA COMMUNICATION Qui prend l’initiative d’un échange à propos des sentiments ou des difficultés que traverse le couple Et bien sûr… LES ENFANTS …domaine générateur de tant d’activités et de responsabilités. Qui amène les enfants à l’école, à la leçon de piano, au stage de foot ? Qui surveille leurs devoirs ? Qui assiste aux réunions de parents ? Qui détermine les règles de vie et de politesse que les enfants doivent respecter ?
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PAR EXEMPLE Nous avons choisi une répartition « classique » des tâches et des activités qui, pensons-nous, reste d’application pour une majorité de couples. Dans le domaine des courses Madame est responsable de la gestion des courses. C’est elle qui les fait le plus souvent mais elle demande parfois à Monsieur de les faire aussi. Dans ce cas, elle lui fournit une liste. Monsieur peut prendre l’initiative d’ajouter quelques achats qui ne sont pas sur la liste mais il doit principalement s’en tenir à la liste de Madame. On peut dire que dans le domaine des courses, Madame est responsable à 80 % et Monsieur à 20 %. Dans le domaine de la sexualité Monsieur, et lui seul, est à l’initiative des rencontres amoureuses. Madame est « suiveuse » dans ce domaine. Parfois, elle dit non, mais c’est plutôt rare. Elle participe activement aux rencontres amoureuses. On peut dire que dans ce domaine, Monsieur est responsable à 80 % et Madame à 20 %. Dans le domaine des vacances Monsieur et Madame choisissent ensemble leurs lieux de vacances. Ils se répartissent les recherches et les démarches de réservation à faire. Dans ce domaine, ils sont responsables à 50 % chacun. Dans le domaine de l’administration Monsieur s’occupe seul de payer les factures, d’écrire aux administrations, de négocier les contrats d'assurance, de suivre les dossiers en cours. Il se contente d’informer Madame des décisions qu’il prend. Monsieur est responsable de ce domaine à 90 %. Dans la majorité des cas, chacun détient environ 70 % du pouvoir dans les domaines dont il est responsable, les 30 % restants étant réservés au partenaire. Les 30% de pouvoir consistent soit à donner un avis ou à prodiguer des conseils lorsqu’ils sont demandés, soit à offrir spontanément aide et soutien. C’est un pouvoir complémentaire.
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Dans les domaines où les responsabilités se partagent également - 50% du pouvoir chacun - il sera souvent nécessaire de négocier, parfois conflictuellement. Par contre, dans les domaines où l’un des partenaires détient 70 ou 80 % du pouvoir, il y aura moins de négociations et moins de conflits puisque l’autre, suiveur ou aidant, ne remettra que rarement en question les décisions prises. Un équilibre satisfaisant des pouvoirs sera trouvé dans une répartition globale des responsabilités et non dans un objectif inatteignable de 50% de responsabilités dans tous les domaines.
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Certaines composantes du rapport de force ne sont pas négociables Il existe des composantes à propos desquels les partenaires n’ont pas ou peu de marge de manoeuvre. Elles pèsent néanmoins sur le rapport de force. C’est le cas d’une importante différence de pouvoir économique. Ou, pour dire les choses plus simplement, l’un des partenaires est beaucoup plus riche que l’autre. Soit par une différence de fortune « de famille » soit parce que l’un des deux a des revenus professionnels beaucoup plus élevés que l’autre. C’est aussi le cas d’une différence d’âge. Avoir dix ou vingt de plus que son partenaire donne un pouvoir supplémentaire, né d’une plus grande expérience de la vie. Le ou la plus jeune aura tendance à adopter une position basse générale. Concrètement, cela signifie que le partenaire plus âgé aura tendance à adopter un comportement parental à l’égard du partenaire plus jeune. Généralement, ce dernier se rebellera après un certain nombre d’années de vie commune. Ces exemples confirment qu’il existe, au sein du rapport de force, des paramètres impossibles ou difficiles à modifier. Les partenaires seront cependant bien inspirés de ne pas faire comme si de rien n’était et au contraire d’échanger régulièrement et aussi sincèrement que possible à ce propos
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Jeux et luttes de pouvoir Revenons aux deux formes de rapports de force conflictuels : • si les conflits sont larvés, il s’agira de jeux de pouvoir. • si les conflits sont explicites, il s’agira de luttes de pouvoir qui se concrétiseront par des disputes.
Les jeux de pouvoir Qu’est ce qu’un jeu de pouvoir ? C’est un affrontement sournois, non reconnu, implicite. Vu de l’extérieur, il n’y a pas de conflit, pas de cri, pas de dispute. On est dans une lutte à fleurets mouchetés ou dans un bras de fer souriant. Au risque de sourire jaune. Quelques exemples de jeux de pouvoir : « Tu serais vraiment gentille de débarrasser la table et de sortir le chien. » « Si tu veux me faire plaisir, pense à fermer la porte des toilettes. » « Puisque, contrairement à moi, mon chéri, tu as fait la grasse matinée aujourd’hui, je trouverais normal que tu prépares le dîner. » « Dis-moi, ma chérie, je me trompe ou ça fait déjà longtemps que nous n’avons plus fait l’amour. » Quelque chose de plus élaboré, mais très courant aussi : Le matin... Elle : « Tu te souviens que je sors ce soir. J’insiste pour que tu rentres à 19h au plus tard. » Le soir, 19H15. Elle, au téléphone : « Tu te souviens que je t’avais demandé d’être là à 19h au plus tard. Il est déjà 19h15... »
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Lui, en plein jeu de pouvoir : « Ah mince, désolé, j’ai tellement de travail au bureau que je n’ai pas vu le temps passer. J’ai complètement oublié. Tu sais comme je peux être distrait. » Un rien plus agressif, mais encore feutré : « J’aimerais bien que dimanche tu viennes avec moi manger chez mes parents. Si, une fois de plus, tu ne viens pas, je vais être obligé de leur dire que tu ne les aimes pas. » Et enfin le très classique : « TA fille pleure, est-ce qu’ON ne devrait pas se lever pour aller la changer? » En décortiquant ces jeux de pouvoir, ces petites phrases de la vie conjugale, on y trouve notamment: • du chantage affectif • de la culpabilisation • des menaces plus ou moins voilées Mais tout ça sans hausser le ton, sans dispute ouverte, sans affrontement explicite.
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Les luttes de pouvoir Qu’est-ce qu’une lutte de pouvoir? C’est un conflit ouvert. Il y a des disputes, les colères s’expriment, le ton monte et parfois les portes claquent. Lorsque les luttes de pouvoir sont éphémères, elles ne remettent pas en question le rapport de force du couple. Quand un désaccord surgit à propos d’une décision à prendre, d’une manière de faire ou sur une règle de vie, une dispute peut survenir. Ce sont des moments ordinaires de la vie quotidienne qui font naître ces « petites disputes » inhérentes à la vie en commun et sans conséquences pour l’avenir du couple. Par exemple, les partenaires peuvent se disputer à propos de l’itinéraire à choisir pour se rendre en voiture à une destination nouvelle. Mais lorsque les luttes de pouvoir sont récurrentes, qu’elles deviennent quasiquotidiennes, une profonde remise en question du rapport de force s’impose. La répartition du pouvoir actualise le rapport de force dans le couple. Or, il arrive fréquemment, après quelques années – souvent une dizaine d’années lorsque les enfants sont devenus plus autonomes et que les carrières professionnelles ont pris leur vitesse de croisière - que le rapport de force global, tel qu’il s’est établi implicitement au début de la relation, crée des frustrations chez l’un ou l’autre. L’un des partenaires trouve qu'il en fait trop ou n'a plus aucun plaisir à effectuer les tâches qui lui sont dévolues ou encore se lasse de la répétition routinière de ces tâches. Par exemple, celui ou celle à qui incombe la responsabilité de préparer quotidiennement les repas de la famille peut, à un certain moment, en avoir assez et désirer un changement. L’un ou l’autre peut aussi souhaiter plus de pouvoir dans tel ou tel domaine de la vie de couple, par exemple dans le domaine de la sexualité ou encore de l’éducation des enfants. Ou encore être insatisfait de sa position globalement haute ou basse. Dans tous ces cas de frustration et de mécontentement, le temps est venu de redéfinir explicitement le rapport de force. Le passage de l'implicite à l'explicite n’est pas facile. En effet, la plupart des couples empêtrés dans des 69
disputes à répétition, n’auront pas conscience que le véritable enjeu de ce climat conflictuel est la remise en cause du rapport de force. Comment les partenaires peuvent-ils prendre conscience de ce véritable enjeu ? En constatant qu’ils se disputent « sur tout et sur rien, tout le temps et pour des bêtises ». Redéfinir le rapport de force de son couple prend du temps. Il s’agit d’y réfléchir profondément, peut-être séparément dans un premier temps. De dresser la liste des responsabilités de chacun et de se demander ce qu’il y a lieu de changer. Sans oublier, si nécessaire, une remise en question du rapport de force dans sa globalité. « Suis-je plutôt l’initiateur ou le suiveur ? » Ensuite, confronter les réflexions élaborées par chacun des partenaires pour dégager ensemble un nouveau rapport de force harmonieux et qui convienne aux deux. Enfin, il faut veiller à ce que ces décisions deviennent réalité. Cela prend du temps et ce n’est pas facile : les habitudes sont puissantes et les résistances aux changements aussi.
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Les disputes Nous faisons la différence entre un conflit et une dispute. Un conflit peut exister sans que cela devienne une dispute. Un conflit est un désaccord. Une dispute est un conflit auquel vient s’ajouter l’aspect émotionnel. On parle alors de conflit ouvert. Le ton monte, la discussion s’enflamme. Parfois l’un des partenaires, presque toujours le même, quitte la pièce et part en claquant la porte. Les disputes surviennent chez tous les couples (ou presque tous, nous y reviendrons). C'est « normal » ! Il y a dans toutes les relations de longue durée des jeux et/ou des luttes de pouvoir. Plutôt que de nier cette réalité, il est plus intelligent de la regarder lucidement et de chercher à la comprendre. Notre approche tend à limiter les disputes plutôt qu’à les éviter à tout prix. Se disputer n’est pas le signe d’un désamour ou d’un dysfonctionnement du couple. Le savoir et l’accepter est salutaire. « Comment bien se disputer en couple ? », pour reprendre le titre d'un autre de nos livres. C’est un objectif réaliste. Et plus judicieux que de chercher à atteindre un objectif complètement inatteignable celui-là : ne jamais se disputer. Revenons un instant aux couples qui ne se disputent jamais. La croyance qu’il serait possible de ne jamais se disputer génère beaucoup de souffrance. Il arrive - pas seulement dans les romans et dans les films - que l’un des partenaires, sans avertissement préalable, laisse une lettre sur la table pour annoncer son départ définitif. Nous faisons l’hypothèse qu’il s'agit de couples qui ne se sont jamais disputés. Notre suggestion : accepter que les disputes sont inévitables et tout mettre en oeuvre pour qu’elles se passent « bien ». « Bien se disputer », pour nous, signifie sans violence et brièvement.
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SANS VIOLENCE : NE CONFONDONS PAS LA COLERE ET LA VIOLENCE Être en conflit ouvert, se disputer, implique une dimension émotionnelle : la colère. Il est essentiel – c’est le thème principal de notre livre : « La colère, cette émotion mal-aimée » - de faire la différence entre la colère et la violence. Si colère et violence sont confondues, on jette le « bébé colère » avec « l’eau du bain violence ». La violence, qu’elle soit physique ou verbale (les injures, les humiliations, les menaces) est inacceptable. Personne n’a envie d’être violent ou de subir la violence de son partenaire. La colère, au contraire de la violence, est une magnifique énergie de vie, de feu, une émotion qui permet à celui qui l’exprime de dire « stop », « je ne suis pas d’accord », « ça ne me convient pas. » Et de le dire avec force, avec intensité, avec puissance. C’est une émotion qui permet à celui qui l’exprime de se sentir exister. LES SUJETS DE DISPUTES Comme nous l’avons vu, la répartition des tâches dans le ménage peut être une source illimitée de conflits, notamment la façon de ranger le contenu du lave-vaisselle. Nous avions d’ailleurs pensé intituler notre livre sur les disputes : « Tu as encore oublié de sortir les poubelles ! » L’argent et la sexualité - deux sujets souvent très « chauds » - les principes d’éducation des enfants, le choix des programmes télé, la place plus ou moins grande occupée par les familles d’origine sont autant de sources potentielles de conflits. Il est tout à fait normal d’avoir des disputes sur tous ces sujets. Ce qui est important, c’est que cela ne dégénère pas en violence et que cela ne s’éternise pas en mauvaise humeur, en bouderie.
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RENONCER A LA BOUDERIE La bouderie est une forme de jeu de pouvoir. Le boudeur ne va pas dans le conflit explicite, mais pendant quelques heures ou quelques jours, il ne parle plus à son partenaire. Il fait comme s’il n’était pas là, comme s’il n’existait pas. C’est un jeu de pouvoir redoutable. Bouder, c’est refuser d’aborder ouvertement le conflit et c’est renoncer à exprimer ses besoins. La bouderie est aussi une souffrance pour une autre raison : celui qui pâtit le plus de cet état, c’est le boudeur. Il se punit aussi sévèrement - sinon plus qu’il ne punit son partenaire. Autant se disputer est nécessaire pour nettoyer la relation au fur et à mesure de ce qui se passe, autant il est inutile que cela dure longtemps. REVENIR SUR LES DISPUTES Ce qui est difficile mais très important pour « bien » se disputer, c'est aussi de revenir sur la dispute une fois l’émotion apaisée. Ne pas reparler de la dispute engendre l’éloignement des partenaires. Le couple devient distant émotionellement, s’ignore pendant quelques jours, parfois plus. Ensuite, petit à petit, la relation reprend comme si de rien n’était. On ne reparle pas du problème qui a déclenché la dispute et rien n’est résolu. Les raisons profondes du conflit n’étant pas abordées, le problème resurgira inévitablement. D’autres couples craignent de revenir sur le sujet conflictuel par peur que cela engendre une nouvelle dispute. C’est parfois le cas : l’émotionnel revient au galop, chacun attaque l’autre, la relation elle-même est insultée et le sujet qui a déclenché la dispute n’est toujours pas abordé. Nous insistons sur l’importance de creuser, d’aller au fond des choses. En ne revenant pas sur les conflits, aucune résolution satisfaisante pour les deux n’est trouvée. Le ressentiment s’accumule, de grosses bulles de colère intérieure se créent. Réaborder le sujet conflictuel permet de trouver un compromis, où chacun, comme nous l’avons déjà suggéré plus haut, entend
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les besoins et les désirs de l’autre et exprime les siens. Le couple peut alors négocier et trouver une solution acceptable pour les deux. Nous disons, de manière un peu provocatrice, que certains couples ne se disputent pas assez profondément. Ils restent au niveau émotionnel, ne prennent pas le temps de revenir sur le fond du conflit et d’élaborer un compromis. Une dernière bonne raison de revenir sur les disputes, une fois la phase émotionnelle apaisée : cela peut être l’occasion de s’excuser pour d’éventuelles violences verbales.
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Comment faire l’économie de certains conflits ? Si les conflits font inévitablement partie de la vie de couple, il ne s’agit pas de vouloir les multiplier. Certains conflits - et tant mieux - peuvent être évités. Voici trois propositions pour atteindre cet objectif légitime.
Être conscient de son besoin de solitude Le conflit est parfois utilisé pour atteindre un objectif caché : satisfaire son besoin légitime de solitude. Rappelons notre croyance de la nécessité des respirations dans le couple : une alternance de moments de fusion et de moments de solitude. Lorsque le besoin d’avoir des activités sans l’autre n’est pas respecté, certains couples vont se servir de la dispute pour créer de la distance entre eux. Provoquer une dispute devient un prétexte pour s’offrir un moment pour soi : on s'en va en claquant la porte alors que le véritable objectif est de se retrouver un moment seul. Il nous parait dommage d’utiliser la dispute pour satisfaire le besoin légitime de solitude.
Pratiquer la reconnaissance émotionnelle Nous appelons reconnaissance émotionnelle l’accueil explicite de l’expression d’une émotion: « J’entends ta colère, ta tristesse, ta peur. » Il s’agit d’accueillir l’émotion exprimée sans donner de conseils, sans proposer de solutions. Il est utile aussi de prendre l’habitude d’être plus clair dans l’expression de ses besoins en disant par exemple : « J’ai besoin de me plaindre, pas que tu me proposes des solutions ». La pratique de la reconnaissance émotionnelle évitera souvent bien des conflits.
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Utiliser l’anticipation-négociation. En anticipant une situation conflictuelle et en négociant à l’avance un compromis satisfaisant pour les deux partenaires, de nombreuses disputes peuvent être évitées. EXEMPLE PERSONNEL D’ANTICIPATION-NEGOCIATION Serge n’a aucun plaisir à faire des courses pour s’acheter des vêtements. Si nous décidons d'aller faire ces courses-là ensemble, il a besoin de savoir le temps que nous allons y consacrer, de déterminer précisément le type de vêtements que nous allons chercher, voire même le nombre de magasins que nous allons visiter! Les : « Tiens, si on allait aussi voir ce autre magasin... » ou « Ah, puisqu'on est là, on pourrait en profiter pour... » ne lui conviennent pas du tout. Nous avons donc appris à anticiper ce moment délicat, à négocier le programme et à ne pas le modifier. Sinon cela se passe mal, nous nous disputons et passons un mauvais moment. En prenant nos précautions, nous en faisons un bon moment. Serge n’est pas pris au dépourvu et Carolle n’est pas frustrée. Parfois, malgré l’attention que nous y mettons, une dispute éclate. Ce n’est pas si grave. AUTRE EXEMPLE DE L’UTILITE DE L’ANTICIPATION-NEGOCIATION. Patrick et Françoise sont mariés, ils ont deux ados. Ils ont décidé de consacrer tout le prochain dimanche à mettre de l’ordre dans leur garage qui en a bien besoin. Mais voila que, vendredi soir, Patrick annonce à Françoise qu’il a pris rendezvous pour une partie de tennis...le dimanche matin. Première phase : la dispute Vendredi soir. Patrick, l’air faussement détendu : « Tiens je voulais te dire, Michel m’a appelé au bureau et m’a proposé une partie de tennis dimanche matin. » Françoise, tendue : « Et tu as accepté ? » 76
Patrick, mal à l’aise : « Oui, cela fait longtemps qu’on a envie de jouer ensemble et ça ne s’arrangeait jamais; là, je n’ai pas pu refuser. » Françoise, un peu abasourdie : « Mais on avait décidé de ranger le garage dimanche ! » Patrick, de plus en plus mal à l’aise : « Je sais, mais je me suis dit qu’on s’arrangerait. Tu peux déjà commencer le matin, sans moi et je te rejoins l’après-midi. » Françoise, fâchée : « Non seulement, tu me fais faux bond, mais en plus, tu me proposes de commencer sans toi. Tu te moques de qui, là ? » Patrick, maladroit : « Ne le prends pas comme ça, c’est pas si grave. » Françoise, criant : « Comment ça, pas si grave ? Et en plus, tu ne rentres que l’après-midi ? J’imagine que tu vas vouloir manger et boire des verres avec tes copains et pendant ce temps là, moi, je me tape tout le boulot. Et tu as fait ça derrière mon dos. C’est vraiment dégoutant ! » Patrick : « Bon, on peut en parler calmement ? » Françoise : « Non, maintenant, je suis hors de moi, on en reparlera plus tard. » Deuxième phase : la négociation. Quelques minutes ou quelques heures plus tard, selon les tempéraments… En l’occurrence, samedi midi. Françoise : « Bon maintenant, je suis prête à parler de dimanche. Je me suis sentie très mal que tu aies pris la décision de changer nos plans sans m’en parler. D’autant que ce n’est pas une partie de plaisir de ranger le garage. Le faire à deux facilite la tâche. Je trouve très cavalier de me refiler le boulot pendant que tu vas te faire plaisir. En même temps, je comprends très bien que tu aies envie d’aller jouer au tennis avec Michel. Je sais que cela fait un moment que vous essayiez de trouver une date et que ce n’est pas facile. Je suis curieuse de savoir ce que tu vas me proposer ? » Patrick : « D’abord, je voudrais m’excuser. Je suis désolé d’avoir pris cet engagement sans te consulter. Je pense que j’avais très peur de ta réaction, que tu ne sois pas d’accord et que je doive encore remettre mon rendez-vous avec Michel. Cela me touche que tu comprennes mon désir de jouer avec Michel. 77
Je vois plusieurs possibilités : je renonce au tennis ou nous repoussons le rangement du garage. Ou encore nous trouvons une solution pour faire les deux. Comme c’est toi qui a été lésée, à toi de choisir. » Françoise : « Je suis heureuse que tu imagines pouvoir renoncer au tennis. Mais je pense qu’on peut trouver une solution pour garder les deux. Si tu es d’accord, tu vas au tennis juste pour jouer, pas « d’after ». Quand tu rentres, on s’y met et le soir, comme on aura fini tard, tu nous invites au resto. » Patrick : « Cela me convient. Je t’invite volontiers au restaurant pour me faire pardonner ma désinvolture ! » Anticiper et négocier, prend du temps c’est vrai. Mais nous sommes persuadés que ça en vaut la peine. Si Patrick et Françoise avaient anticipé et négocié, c’est tout un week-end qui aurait pu bien se passer au lieu d’un vendredi conflictuel et un samedi tendu jusqu’à l’ouverture de la négociation. Comme nous l’avons dit dans un autre chapitre, il arrive que l’un des deux partenaires redoute la négociation parce qu’il est convaincu qu’il en sortira perdant. Pourquoi ? Parce qu’il s’exprime avec moins de facilité, parce qu’il a besoin de temps pour exprimer ses pensées - et notamment de moments de silence pour voir clair en lui ou en elle -, parce qu’il ou elle n’arrive pas à empêcher son partenaire de lui couper la parole. Il est important de partager ce ressenti pour pouvoir accéder à une vraie négociation. Et, bien sûr, la pratique de l’écoute silencieuse aide à surmonter ces craintes. Bien se disputer, répétons-le, c’est se disputer sans violence et brièvement Il est primordial d’éviter la violence. La violence physique, évidemment, mais également limiter la violence verbale. Est-il possible de se disputer avec colère sans violence verbale aucune ? Parler exclusivement en utilisant le « je » nous semble un objectif très difficile. Il est illusoire de ne jamais se faire de reproches. Nous estimons qu’il est plus réaliste de tendre vers une communication au « je » sans se culpabiliser si parfois, les disputes dérapent et que le « tu » émerge. Il est tout à fait possible que la dispute soit courte. Eviter qu’elle dure toute la journée, tout le weekend ou, pire encore, des semaines. Une dispute bien menée, avec l’intensité voulue, avec une dimension émotionnelle, où ce qui doit se dire se dit, ne doit pas durer longtemps. Elle peut souvent se limiter à quelques minutes et, au maximum, à quelques heures. 78
En rÊussissant à se disputer sans violence et sans que cela ne prenne trop de temps, on fait deux grands pas en avant dans l’art de la dispute.
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L’évitement systématique des conflits Beaucoup d’hommes et de femmes ont très peur des conflits. Ils sont plus ou moins systématiquement dans ce qu’il est convenu d’appeler l’évitement des conflits. Le conflit leur fait peur parce qu’ils l’associent, souvent inconsciemment, à la rupture de la relation et donc à la peur de l’abandon, de la solitude, peurs profondes et archaïques s’il en est. Dans ces conditions, ils sont prêts à tout pour éviter les conflits, les disputes, les affrontements. Prêts à tout, c’est à dire ? C’est à dire, prêts à renoncer à exprimer leurs besoins et a fortiori prêts à renoncer à les satisfaire ce qui crée une frustration, un ressentiment de plus en plus intense. Prêts aussi à adopter un profil bas, une attitude de soumission, une énergie de victime. Se résigner à cette attitude est très dommageable. La croyance qu’une vie de couple peut - doit même - se passer sans conflits, a pour résultat que l’on renonce à communiquer à l’autre ses besoins, qu’on accumule les frustrations et qu’on devient un parfait candidat à la pratique des jeux de pouvoir. Il est intéressant d’observer que nombreux parmi ceux qui évitent les conflits par peur de la rupture définitive de la relation, n’hésitent pourtant pas à entrer en conflit et à exprimer leurs colères à leurs enfants. Pour la raison évidente qu’avec les enfants – jusqu’à un certain âge en tous cas - il n’y a pas de risque de rupture de la relation.
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Deux personnalités qui se retrouvent souvent en couple: l’agressif-‐défensif et le passif-‐agressif Les couples sont le plus souvent formés d’un colérique et d’un « apaisant. » Parfois les deux partenaires sont colériques. C’est fatiguant car le climat risque d’être très souvent tendu. Les couples formés de deux « apaisants » évitent systématiquement les conflits et finalement s’éloignent l’un de l’autre. Un de nos collègues psychothérapeutes l’exprime métaphoriquement. « Un tel couple », dit-il, « nage entouré de mines flottantes : chacune de ces mines est un sujet conflictuel que le couple n’ose pas aborder sous peine d’explosion. Si les sujets tabous se multiplient, on « nage de plus en plus petit », il y a de moins en moins d’intimité et même d’amitié entre les partenaires. » Heureusement, une grande majorité de couples est formé d’un colérique et d’un apaisant. Chacun joue son rôle. L’un se met très facilement en colère et l'autre calme le jeu. L’un est responsable de mettre les problèmes sur la table et l’autre de temporiser. Dans notre jargon de psy, le colérique est appelé l’agressif-défensif. Il est sensible, souvent susceptible, et se sent très vite attaqué. Pour se défendre, il se met en colère. C’est lui qui va initier les disputes dans le couple. L'autre, l’apaisant, nous l’appelons le passif-agressif. Il n’est pas frontal dans sa manière d’aborder les conflits. Plutôt que de dire clairement ce qui ne lui plait pas en face, il va le faire par la bande. La distraction, la maladresse, l’oubli et les retards sont ses armes favorites. Il agresse son partenaire de manière passive. Le passif-agressif est « le gentil garçon », « la gentille fille », toujours d’accord. Celui ou celle qui dit : « Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir », « Si c’est bien pour toi, c’est bien pour moi »; et souvent : « Ça m’est égal ». Celui ou celle qui laisse toujours l’autre choisir l’émission de télé, le film, le restaurant ou le lieu de vacances. Il peut sembler que vivre avec une telle personne est formidable. En fait, cela ne l’est pas vraiment. Au début d’une relation, c’est agréable mais sur le long terme, cela complique la vie. Pourquoi ? Parce que le gentil ou la gentille font payer très cher cette apparente gentillesse en faisant usage de leurs outils préférés déjà mentionnés - la distraction, la maladresse, les oublis et le retard - mais 81
toujours assorti d’un « Oh, je suis désolé, je ne l’ai pas fait exprès ». C’est une manière insidieuse de mettre l’autre en colère à sa place sans se priver de l’en blâmer : « Calme-toi, dans quel état tu te mets, tu as vu comme tu es » dira le passif-agressif! Si vous vivez avec un passif agressif, confrontez-le, ne vous laissez pas faire pas sa gentillesse apparente. Il n’est pas aussi gentil qu’il en a l’air. EXEMPLE Monsieur aime bien être très à l’heure aux rendez-vous. Il insiste souvent auprès de Madame pour qu’elle respecte son besoin de ponctualité. Néanmoins Madame a très souvent une « bonne raison » d’être en retard : les embarras de circulation, un appel téléphonique très urgent. Elle en est désolée, dit-elle. Il n’en est rien. Ces comportements, à la limite de la conscience, sont une manière d’être agressive sans en assumer la responsabilité. Si Madame était honnête, elle dirait: « Je sais bien que c’est important pour toi d’être à l’heure. Justement, mes retards sont une manière de t’emmerder sans me contraindre à être ouvertement agressive. Et si mes retards te mettent en colère, tant mieux ! Cela me permettra de te reprocher ton fichu caractère. » EXEMPLE PERSONNEL Carolle était, au début de leur relation, l'agressive-défensive et Serge le passifagressif. Quand Carolle était fâchée, elle le disait haut et fort et souvent avec violence. Elle cassait des objets. Le ton montait très vite et elle partait en claquant la porte, laissant Serge se débrouiller avec les méchancetés qu’elle lui avait dites. Petit à petit, elle a appris à exprimer ses colères sans violence. Serge, fâché, ne le disait pas. Il trouvait des moyens indirects pour manifester son mécontentement. Il était « normalement » distrait. Mais si Carolle avait dit ou fait quelque chose qui le fâchait, il devenait excessivement distrait. Dix fois par jour, il « oubliait » ce qui avait été convenu ou renversait des objets par mégarde... Inconsciemment, il savait que son comportement allait énerver Carolle, qu’en bonne agressive-défensive elle allait exploser et qu’il pourrait alors lui reprocher son caractère difficile.
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C'était sa manière de se débarrasser du ressentiment qu'il éprouvait vis à vis de Carolle - pour de multiples raisons liées au « vivre ensemble » - sans lui dire explicitement ce dont il s’agissait. En initiant la dispute, Carolle se mettait en colère à sa place. Petit à petit, il est devenu plus conscient de ses besoins et de la nécessité de les exprimer clairement. Nous avons donc dû travailler l’un et l’autre la manière de nous disputer : Carolle a dû apprendre à être moins susceptible, à ne pas toujours se sentir attaquée à la moindre remarque, à accepter de s’excuser, à exprimer ses colères sans violence verbale et sans rien casser. Serge a dû apprendre à être plus frontal, à confronter clairement Carolle et à s'autoriser à exprimer ses colères à sa manière, sans hurler mais avec fermeté. Si vous voulez plus de détails sur ce genre de profil, nous vous renvoyons à notre livre : « Comment bien se disputer en couple
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Conclusion et quelques questions Le rapport de force et l’amour sont compatibles. Nous vous invitons à parler du rapport de force dans votre couple. Cherchez à clarifier la répartition des responsabilités et la manière dont vous prenez les décisions. Cherchez aussi à mettre à jour les jeux et les luttes de pouvoir, sans culpabilité puisque, nous espérons vous en avoir convaincus, ils se retrouvent dans tous les couples. Souvenez-vous aussi que le rapport de force se transforme en fonction de l'âge des partenaires, de la durée de la relation et aussi des événements de la vie : parentalité, maladies, chocs de vie, décès de proches… À chaque étape, il est possible d’évaluer, avec conscience, le pouvoir de chacun dans la relation et d’y apporter les changements nécessaires. Que pensez-vous de la notion de pouvoir ? Que pensez-vous de l’existence de conflits dans un couple ? Etes-vous plutôt agressif/défensif ou plutôt passif/agressif ? Que pensez-vous des négociations ? Etes-vous satisfaits de la répartition des tâches dans votre couple ? Sinon, êtes-vous prêts à en discuter?
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CONCLUSION Les trois sujets abordés, engagement, sexualité et conflits, sont pour nous, ceux qui marquent le plus la différence entre le couple rêvé et le couple réel. Ces trois thèmes créent des crises. Les crises font partie de la vie de couple. Nous avons eu des crises profondes. Nous avons plusieurs fois été au bord de la rupture. Il est important de réfléchir à la justesse de traverser une crise. Sans aller jusqu'à penser qu'il faut faire tenir un couple à tout prix. Il y a des séparations qui sont absolument justifiées et qu'il n'y a pas lieu de regretter. Mais il y a un équilibre à trouver. La crise peut être une occasion de grandir, de développer plus de conscience, de passer à une autre forme de relation amoureuse. Nous avons fait bon usage des crises. La première grosse crise est la plus périlleuse, c’est quitte ou double. Après, plus il y a de crises traversées, plus la confiance dans la possibilité de traverser la crise existe. Après plusieurs crises, il devient possible de se dire : « Notre couple va passer à une prochaine étape. On remonte les manches et on se met au travail». La crise est là pour nous dire qu’il faut que quelque chose change. Nous pensons qu’il est passionnant de vivre le couple comme un laboratoire d’évolution personnelle. Une fois terminée la lune de miel, tous les comportements relationnels habituels se remettent en place. C’est une occasion formidable de conscientiser ces réactions égotiques et de les dépasser. Les couples installés dans la durée ne retrouveront que rarement les sensations de l’état amoureux. Mais il leur arrivera de ressentir des bouffées d’amour. Elles ne seront pas aussi euphoriques que l’état amoureux, mais elles seront là pour confirmer aux partenaires combien leur amour est profond et ancré dans le corps et l’esprit. Ils accéderont à cette vibration si belle et si profonde de l’amour. Faire de son partenaire son meilleur ami et son compagnon pour traverser toutes les étapes de la vie est un cadeau. 85
ANNEXE L’écoute silencieuse Cette forme particulière de rendez-vous périodique est, pour un couple engagé dans la durée, un outil de communication affective et sexuelle essentiel. Il permet de créer le meilleur cadre possible pour une écoute réciproque et profonde. Il permet de prendre le temps de se dire, l’un à l’autre, ce qui va et ce qui ne va pas. Il permet, grâce à la régularité des rendez-vous - par exemple, une soirée tous les mois - d’éviter que le non-dit s’installe dans la relation. Il permet au couple de vivre sa relation avec plus de conscience. D’abord, il convient de « créer le cadre» de ce rendez-vous.
Le cadre de l’écoute silencieuse Chaque couple va créer le cadre qui lui convient. Voici des idées pour vous inspirer : Assurez-vous de ne pas être dérangé (téléphone, internet, enfants). Définissiez le lieu et l’heure du rendez-vous, (éventuellement, mettez-vous d’accord sur la durée). Installez vous confortablement. Le premier qui a la parole commence (il peut y avoir une alternance d’une fois à l’autre). L’autre s’installe dans une position d’écoutant : il prend l’engagement formel de ne rien faire d’autre que d’écouter. Il s’engage à ne pas interrompre celui qui parle, à ne pas poser de questions, à ne pas faire de commentaires ou de suggestions (il peut prendre des notes s’il en a envie ou besoin). 86
Il s’oblige à respecter cet engagement jusqu’à ce que celui qui parle dise : « J’ai fini, j’ai dit ce que j’avais à dire. » Ce respect du temps de parole est fondamental. Il permet à celui qui parle de prendre tout son temps, de ne pas devoir se battre pour conserver la parole. Il lui permet de suivre son rythme, le fil de sa pensée, de faire toutes les pauses qu’il souhaite. Ce mode d’échange donne de la place aux silences. Lorsque celui qui parle communique en profondeur, il a besoin de moments de silence pour permettre à des images et à des émotions d’émerger, pour permettre aux idées qu’il veut transmettre de se clarifier. Si l’écoutant prend l’engagement de ne pas parler, c’est pour ne pas profiter des moments de silence pour répondre, pour polémiquer, pour se justifier. Écouter sans devoir préparer une réponse permet d’être beaucoup plus profondément présent à l’autre. Il s’agit donc d’apprendre à ne rien faire d’autre qu’écouter. Se laisser toucher par la parole de l’autre. Écouter sa parole comme l’expression de SA vérité et non de LA vérité. Dépasser cette tendance si fréquente à se dire : « Ce n’est pas vrai ce qu’il-elle dit », pour lui préférer : « Tiens ! Moi j’ai vécu les choses autrement, nous sommes décidément différents. » Lorsque ce sera au tour de l’écoutant de parler, il s’abstiendra de concevoir son temps de parole comme une réponse à ce qu’il a entendu. Il s’agit de partager ce qu’il a à dire et non de réagir à ce qu’il vient d’entendre. Le rendez-vous périodique est un échange et non pas une conversation. Il ne s’agit pas de savoir si l’un a raison et l’autre tort. Il s’agit de partager un ressenti, un vécu à propos de la relation amoureuse et sexuelle. La pratique régulière du rendez-vous mensuel développe cette précieuse compétence d’écoute dans toutes les circonstances de la vie : avec les enfants, au travail, avec les amis.
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Trois remarques pour clore la mise en place du cadre Lorsque le besoin s’en fait sentir (en cas de crise notamment), il est judicieux de convenir d’un rendez-vous supplémentaire ou même de prévoir, pendant un certain temps, de changer le rythme, un rendez-vous tous les quinze jours au lieu de tous les mois par exemple. Rien n’empêche évidemment de communiquer spontanément, sans rendez-vous. Les rendez-vous mensuels sont là pour éviter que, pris par le tourbillon de la vie quotidienne, le couple oublie de se dire son amour, ses doutes, ses joies, ses mises au point. S’il est primordial de ne pas interrompre celui qui parle et s’il convient de ne pas se préoccuper de « répondre » à son partenaire, il est possible, lorsque chacun est arrivé au bout de son temps de parole, de décider d’un commun accord, d’un temps d’échange à propos de telle ou telle question particulière.
« J’aimerais t’entendre à propos de… » pourra dire l’un des partenaires à l’autre. Notre expérience nous a appris à fixer, à la fin de chaque rendez-vous mensuel, la date exacte du rendez-vous suivant. Autrement le temps passe et nous ne prenons pas rendez-vous…
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Les questions abordées lors d’une écoute silencieuse Pour le fond comme pour la forme, c’est à chaque couple qu’il appartient de déterminer les questions qui lui paraissent devoir être abordées lors du rendez-vous périodique. Il est possible d’aborder les questions suivantes : • • • • • • • •
L’état de la vie affective (sentimentale, amoureuse, émotionnelle) L’état de la vie sexuelle Les enfants L’argent dans le ménage La vie professionnelle La vie intérieure La famille au sens plus large etc.
Le but est de nourrir la relation en mettant des mots sur ce qui s’est passé : les moments agréables tout comme les moments douloureux. Dire les moments agréables permet de nourrir la relation. Dire les moments douloureux permet de nettoyer la relation.
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Les auteurs
Carolle & Serge Vidal-Graf…
Carolle et Serge Vidal-Graf sont universitaires formés à la psychothérapie et spécialisés dans le travail sur la communication. Ils sont les auteurs de La colère, cette émotion mal-aimée et Comment bien se disputer en couple , parus aux Editions Jouvence.
Les contacter carolle&serge@gmail.com http://www.facebook.com/carolle.serge.vidal.graf
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Des mêmes auteurs Mais tu ne m’avais jamais dit ça - Ed. Jouvence (Bruxelles), 2008 Comment bien se disputer en couple – Ed. Jouvence (Bruxelles), 2014 La colère, cette émotion mal-aimée – Ed. Jouvence (Bruxelles), 2008
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