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Quel bilan au Luxembourg?
TÉLÉTRAVAIL
TEXTE Nicolas Liebgott, Affaires économiques, Chambre de Commerce PHOTO Jacky Chiu/Unsplash
Présent dans le débat public depuis de nombreuses années, le télétravail a connu un essor soudain et forcé au printemps 2020, accompagné de la mise en place de nombreux outils digitaux au moment de la crise sanitaire. D’ordinaire limité au niveau du nombre de jours par la règlementation européenne en la matière et les accords bilatéraux conclus entre le Luxembourg et ses 3 pays voisins – la France, la Belgique et l’Allemagne -, le télétravail étendu a été rendu possible pour les frontaliers grâce à la conclusion d’accords exceptionnels. Pour les travailleurs résidents en revanche, travailler de chez soi ne requiert bien souvent que l’accord de l’employeur car cela n’implique aucune incidence fiscale quant à l’imposition sur le revenu dans le pays de travail ou de résidence. Alors que les accords bilatéraux exceptionnels ont pris fin le 30 juin 2022, l’heure est au bilan et à la réflexion quant aux perspectives de ce nouveau mode de travail. Que retenir de ces deux ans de travail à distance et quelles leçons en tirer pour l’avenir ?
Par la structure de son économie, orientée autour des services, le Luxembourg dispose d’une large part d’emplois compatibles avec le télétravail. Le passage rapide du bureau à la maison a permis au pays de montrer une résilience plus forte que la plupart des autres pays européens.
Les travailleurs y ont vu un avantage certain. Meilleure conciliation des vies privée et professionnelle, mais surtout une réduction du temps de trajet pour les résidents et les travailleurs frontaliers. Ainsi, Tomtom affirme dans son index trafic qu’un automobiliste au Luxembourg a passé 44h de moins en moyenne dans les bouchons en 2021 qu’en 2019. Etant donné la progression de l’emploi salarié qui se confirme d’après les dernières analyses du STATEC, et notamment de l’emploi de salariés frontaliers, l’enjeu est de taille pour le Luxembourg. Le retour à la «normale» au 1er juillet 2022 couplé à un nombre croissant d’automobilistes sur les routes, il s’agira pour le pays de conserver son attractivité malgré des temps de trajet qui risquent encore de s’allonger.
Il faut ajouter à cela des bénéfices induits pour l’ensemble de la société: moins de risque de contamination durant les vagues épidémiques de la Covid-19, réduction des émissions de gaz à effet de serre et un coût d’entretien des infrastructures de transport moins important.
Mais malgré ces quelques points positifs non négligeables, le télétravail pose aussi beaucoup de questions, notamment au Luxembourg où le marché de l’emploi est assez atypique.
Un télétravail à plusieurs vitesses
Le premier aspect non négligeable à prendre en compte lorsqu’il s’agit du home-office reste la cohésion d’équipe. Télétravailler induit un temps au bureau réduit et risque d’impacter les échanges entre collègues et le mode de management.
De plus, si certains secteurs ne voient aucun inconvénient à ce mode de fonctionnement ce n’est pas le cas pour tous les pans de l’économie. Ainsi, le milieu de l’évènementiel, les commerces ou encore l’HORECA craignent une perte d’activité liée à la pérennisation du télétravail. C’est d’ailleurs ce qu’avait estimé le CES dans un avis de septembre 2020 où il chiffrait le manque à gagner à hauteur de 350 millions d’euros pour le secteur du commerce et de l’HORECA,
«Il reste impossible aujourd’hui d’assurer l’équité concernant les jours télétravaillés entre un résident belge, français, allemand et luxembourgeois.»
Si de nombreux salariés se disent satisfaits de pouvoir travailler depuis chez eux, il n’en reste pas moins que la pratique du télétravail soulève de nombreuses questions.
pour un jour par semaine de travail à la maison. Plus précisément, ces pertes s’élèveraient à près de 217 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel pour le secteur de l’HORECA et à près de 130 millions pour le commerce.
Avec près d’un salarié sur deux qui est non-résident, le télétravail reste aussi un véritable casse-tête juridique au Luxembourg. Sous réserve d’accord de l’employeur, il reste tout de même impossible aujourd’hui d’assurer une équité concernant les jours télétravaillés entre un résident belge, français, allemand et luxembourgeois. Alors qu’un frontalier allemand peut actuellement travailler uniquement 19 jours de chez lui sans voir son régime d’imposition changer, un salarié vivant en Belgique peut le faire à hauteur de 34 jours et un salarié venant de France peut aller jusqu’à 29 jours actuellement même si un accord inter-gouvernemental d’octobre 2021, signé entre la France et le Luxembourg prévoit d’augmenter ce seuil de tolérance à 34 jours également. Cela ne va pas sans poser de soucis aux employeurs qui doivent donc jongler avec 4 systèmes de règlementation différents. Même si le seuil de tolérance venait à être homogénéisé pour les 3 pays voisins, le droit européen prévoit que le salarié ne peut effectuer plus de 25% de son temps de travail effectif en dehors du Luxembourg, sous peine d’être obligé à s’affilier au régime de sécurité sociale de son pays de résidence, ce qui engendre, en raison de niveaux de cotisations sociales plus importantes dans les pays voisins, un coût plus élevé pour l’employé mais aussi pour l’employeur.
Sujet clivant dans beaucoup de pays, le télétravail l’est peut-être encore plus au Luxembourg. En plus de l’inégalité induite entre les métiers pour lequel il est possible de télétravailler et ceux pour lesquels ce n’est pas possible, la dimension transfrontalière du pays cause donc des problématiques supplémentaires.
Quelles solutions à long terme ?
Une des réponses possibles et envisagée par les acteurs publics et privés est de rapprocher le lieu de travail du lieu de résidence du salarié. Ainsi, plusieurs entreprises réfléchissent d’ores et déjà à créer des antennes de leurs bureaux proches des frontières afin de raccourcir le temps de trajet des salariés. Cette solution, si elle n’a pas d’incidence sur le télétravail en lui-même au sein de la Grande Région, pourrait avoir un impact positif sur la mobilité au Luxembourg et permettre de limiter les effets néfastes de cette nouvelle forme de travail sur l’HORECA et les commerces.
Une autre solution envisagée est la création d’un statut européen du travailleur frontalier. C’est le dossier que s’attache à faire avancer le député français Xavier Paluszkiewicz en produisant un rapport autour d’une proposition de résolution européenne concernant ce statut.
Si le télétravail semble avoir de beaux jours devant lui, les débats qui l’entourent aussi.