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La fabrication de logements sous le prisme de la promotion immobilière privée

LA FABRICATION DE LOGEMENT

SOUS LE PRISME DE LA PROMOTION IMMOBILIÈRE PRIVÉE

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PRÉAMBULE

« Fonds d’investissements privés, promoteurs immobiliers, exploitants, investisseurs, et j’en passe. Depuis plus d’un an que je suis ce projet, il m’est toujours difficile de trouver ces termes parfaitement intelligibles. Ils pourraient être au moins séduisants phonétiquement! Mais c’est justement ce flou qui éveille ma curiosité. Pourquoi autant d’acteurs gravitent-ils autour d’un projet de 120 logements ? Qui sont les acteurs qui participent à cette grande mise en scène de la promotion immobilière ? Et nous, architectes, quel rôle avons-nous à jouer ? J’ai l’intuition que les logements que l’on nous demande de dessiner aujourd’hui sont des logements « sans habitant » ».

Extrait de carnet personnel, octobre 2017

Ma première intuition, sur ce sujet de mémoire nait d’un sentiment d’incompréhension face aux logiques à l’œuvre dans la fabrication des logements aujourd’hui. Plusieurs facteurs entrent en jeu : le fonctionnement du type d’agence dans laquelle je travaille, la pluralité d’acteurs impliqués, et la complexité du montage financier et législatif de l’opération que je peux suivre quotidiennement. Ces éléments, qui fondent mon intuition, se rejoignent en un point commun : ils attestent tous une division maximale des tâches à effectuer pour mener à bien l’opération, afin de conférer à chacun un rôle bien spécifique. Mon ambition serait alors de comprendre le monde de la maîtrise d’ouvrage privée, et plus précisément la promotion immobilière dans le secteur privé, pour mieux lui répondre - ou du moins tenter d’en saisir les logiques afin d’y faire face - en tant que future professionnelle.

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« En marché privé c’e st un pe u la loi de la jungle . » 1

Entretien avec Etienne Chevreuil, associé dans l’agence Tectone, Paris 13e.

INTRODUCTION

Aujourd’hui, le constat qui s’impose concernant la fabrication de logements en France, c’est que la commande privée a pris le pas sur la commande publique, de l’Etat ou des collectivités. Les acteurs qui régissent le monde de la promotion immobilière s’érigent comme les principaux interlocuteurs des architectes. Mais connaissons-nous réellement la diversité et la complexité des facettes de cette profession qui incarne pourtant un acteur incontournable dans le marché du logement en France ? Répondre à cette question c’est aussi comprendre avec qui nous travaillons. Les logiques sous-jacentes portées par la promotion immobilière privées induisent souvent une perte qualitative importante pour l’offre de logements. Certains promoteurs limitent le rôle des architectes aux dessins de façades, les privant de la conception de l’espace intérieur et du suivi de chantier, au détriment de la qualité des espaces intérieurs et des espaces publics souvent. La profession déplore cet état de fait, puisqu’elle voudrait continuer à défendre l’intérêt général contre des raisonnements purement financiers. Or, très souvent, l’objectif de rentabilité prend le pas sur la qualité architecturale et cela se ressent sur les formes de l’habiter.

Ce mémoire cherche à analyser un type de construction bien particulier : les logements collectifs. Ce choix d’étude n’est pas le fruit du hasard : premièrement, dans le milieu professionnel au sein duquel j’évolue, mon quotidien est de concevoir des logements en VEFA 3 , et deuxièmement, parce que les logements sont un reflet des modes d’habiter contemporains, et un objet d’étude pertinent pour penser la ou les manières de faire la ville aujourd’hui, etc. La réflexion autour du logement sous le prisme de la promotion immobilière questionne la façon de concevoir les logements et tout le système qui le fabrique. L’émergence de la promotion immobilière comme un acteur central dans la production de logements invite à étudier les interactions qui façonnent et régissent le marché du logement en France, et la place que les architectes sont désormais en mesure de tenir au sein de ce marché. Dans ce contexte, les tenants et les aboutissants des objectifs que se fixent les promoteurs, leurs outils pour créer des logements en masse, etc. sont des points sur lesquels chaque architecte devrait se pencher. Ouvrir le dialogue entre les architectes et les promoteurs, afin de mieux répondre aux attentes de ces derniers, ne serait-ce pas un élément essentiel afin de suivre un programme dicté, tout en préservant les intérêts de chacun ? Une bonne compréhension de nos clients, aussi complexes soient-ils, serait peut-être la clé pour répondre au mieux aux commandes souvent rigides des promoteurs tout en essayant de concevoir une architecture responsable, qualitative et durable 4 .

Dans un premier temps, il s’agira donc de faire un état des lieux de la promotion immobilière. Il semble essentiel de savoir d’où et dans quel contexte elle prend naissance, tout en ré-interrogeant la place du promoteur dans l’histoire de la production de logement en France. Le contexte historique dans lequel la promotion immobilière s’est peu à peu érigée comme un acteur majeur est primordial pour notre étude, dans le but de comprendre l’évolution à la fois du rôle attribué aux pouvoirs publics et de la législation concernant ces groupes immobiliers, bien implantés dans le monde de la construction en France. Nous nous intéresserons également aux acteurs gravitant autour de la promotion immobilière qui permettent le bon fonctionnement de cet appareil de production de logement. La fabrication des logements en France est un processus de production ou des moyens

3 (Pour tous les sigles et vocabulaire spécifique, un lexique est à retrouver en fin de mémoire.) VEFA : vente en l’état de futur d’achèvement, représente une manière de construire et de vendre des logements pour la promotion immobilière. Elle représente un marché privé, appelé aussi communément le marché gré à gré, du diffus, etc. Ces notions sont retrouvées plus tard dans ce mémoire. 4 La notion de durabilité d’un bâtiment est développée plus tard dans ce mémoire. Nous utiliserons ce terme selon l’acception qu’en donne Aurélien Taburet, in Promoteurs immobiliers privés et problématiques de développement durable urbain, Thèse de doctorat pour l’obtention du diplôme de doctorat « Géographie sociale et régionale, sous la direction de Jacques CHEVALIER et Cyria EMELIANOFF (Université du Maine Espaces et Sociétés (ESO-Le Mans) – UMR 6590 CNRS), d’après Peuportier Bruno, Éco-conception des bâtiments et des quartiers. Paris : Presses des Mines ParisTech, 331p. (Sciences de la terre et de l’environnement), 2008.

divers sont souvent mis en œuvre afin d’arriver à dégager d’importants bénéfices. Les moyens humains (constellation d’acteurs) ainsi que les moyens juridiques (loi Pinel, loi Cellier, loi ELAN, etc.) ou encore les moyens techniques (bilan financier par exemple) sont des tremplins idoines pour favoriser l’essor de la construction de logements en masse, et contribuent à transformer le logement en un produit financier, selon la vision portée par les acteurs de la promotion immobilière privée et ainsi décrite par Jean-François Dhuys : « Qu’importe la quantité, pourvu qu’on ait le bénéfice ! Mais alors c’est le mythe et le mystère. Le bénéfice des promoteurs fait d’autant plus rêver qu’on ne le connaît pas. » 5

Dans un second temps, nous nous pencherons sur l’état des logements construits par la promotion immobilière en France. L’évolution des modes d’habiter nous interroge sur la façon de construire des logements lorsqu’on travaille pour la promotion immobilière dans le marché privé. La question de la qualité, de la pérennité d’une opération, de la notion d’habiter, étaient des sujets récurrents lors des entretiens menés, mais malheureusement, directement mis au second plan. En essayant de définir les contours de la promotion immobilière et de sa manière de fabriquer du logement collectif, c’est aussi la question de l’architecture qu’il nous est possible de promouvoir qu’il convient d’interroger. Dans la mesure où les promoteurs et les architectes n’ont pas les mêmes intérêts, ils peuvent rencontrer des difficultés pour se comprendre. Il paraissait alors essentiel de comprendre la vision que les promoteurs se font du logement pour mieux la confronter à la notre par la suite.

De fil en aiguille, une question sous-jacente est née de ces interrogations : qui doit-on tenir responsable de la dégradation du logement en France ? Le promoteur ne travaillant pas seul, il me paraissait essentiel d’étudier le jeu d’acteurs gravitant autour du promoteur et du montage d’une opération de logements, tout en mettant en perspective le rôle et la place de l’architecte dans cette réflexion. La maîtrise d’ouvrage fait référence à des relations complexes entre acteurs, qui m’étaient inconnues et que je souhaitais appréhender pour comprendre pour qui, et dans quel but, nous concevons les bâtiment. Cette démultiplication des tâches due aux acteurs variés et multiples autour d’un dossier, re-questionne la place de l’architecte et de sa responsabilité à concevoir un bien d’intérêt général. Quelle réelle réflexivité avons-nous sur les montages complexes opérés par la maîtrise d’ouvrage privée ? Quelle marge nous est laissée face aux promoteurs immobiliers, chef d’orchestre à multiples casquettes d’une opération ? Le promoteur étant finalement loin d’être le seul acteur de la production de logements en France, la place que les architectes doivent défendre dans ce montage d’opération peut-elle est ré-interrogée ?

Alors, quel serait notre avenir en tant qu’architecte ? Inévitablement, cet appareil de production de logement est prépondérant dans la façon de construire des logements en France. : devrions-nous fatalement nous y résigner ? Dans cette perspective, la plupart des avis d’architectes rencontrés lors de cette année ont été hétéroclites. Beaucoup se faisaient à l’idée, d’autres étaient plus combatifs. Ces questionnements sont au centre du quotidien des agences, de la façon dont on voit notre profession. 5 DHUYS Jean-François, Les promoteurs, Editions du Seuil, 1975, 190 p.

Il me semblait essentiel de me poser de bonnes questions et de m’attarder sur ces sujets, au début de mon parcours professionnel.

Après avoir étudier la façon de produire du logement collectif sous la logique de rentabilité de la promotion immobilière, il semblait important d’étudier de possibles alternatives. Porter un autre regard sur ce que la promotion immobilière peut construire permet de prendre du recul sur ce système. Certaines formes de promotion immobilière essayent de voir le logement non pas seulement comme un produit financier mais en lui conférant une valeur plus sensible et humaine. D’autres modèles de fabrication de logement existent également, hors du cadre de la promotion immobilière « classique ». La façon de faire du logement peut bien heureusement se traduire hors de la logique foncière libérale. L’habitat participatif est un exemple permettant de réaliser des logements sans passer par la promotion immobilière privée, mais n’est pas le seul modèle, et c’est ce que nous aborderons en dernier lieu.

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