Ouvrage réalisé par Céline Stein dans le cadre du Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués créateur-concepteur, option communication visuelle, au lycée Bréquigny à Rennes, session 2012.
INTRODUCTION « Mon passe-temps favori, c’est laisser passer le temps, avoir du temps, prendre son temps, perdre son temps, vivre à contretemps. » Françoise Sagan Avoir du temps est une aspiration pour grand nombre d’entre nous. Pourtant, le laisser passer et le perdre, passe-temps favori de Françoise Sagan, s’avère tout de suite plus problématique dans notre société actuelle. En effet, le temps est envisagé comme une denrée rare et précieuse à ne surtout pas gaspiller ! Et de nos jours, cela semble se manifester dans presque tous les domaines de la vie. Les évolutions contemporaines du rapport au temps semblent affectées bon nombres de personnes pour qui l’accélération globale du rythme de vie entraine un sentiment croissant de manquer de temps. Ce sentiment influe sur les comportements des individus qui accélère la cadence. Aussi, depuis quelques années, en réponse au rythme qu’impose le fonctionnement actuel du monde, l’idée de prendre son temps, d’aller plus lentement dans certaines activités fait tout doucement son chemin et apparaît comme une aspiration de plus en plus répandu. Il ne s’agit pourtant pas de vivre à contretemps : ce changement de comportement est en effet fermement ancré dans le présent et tourné vers l’avenir. Cependant, même si le monde actuel nous renvoie en permanence l’obligation de ne pas perdre de temps, on pourrait envisager le temps libre et en particulier le temps des vacances et du voyage comme un temps de rupture pendant lequel on parvient à oublier la pression quotidienne. Mais le nouveau rapport que la société connaît peut-il vraiment être oublié le temps du voyage ? Et qu’en est-il de ce nouveau mouvement qui prône la lenteur ? Peut-il lui aussi se traduire en nouveaux comportements touristiques ? Aussi on peut se demander :
Comment les évolutions contemporaines du rapport au temps se traduisent-elles en nouveaux comportements touristiques ? Mais avant d’étudier les conséquence sur le tourisme de cette tendance majeure de la société a vouloir accélérer toujours plus, il semble primordial de s’" arrêter " un moment sur ce qui a entrainé ce culte de la vitesse et de l’urgence qui nous dirige et quelles en ont été les conséquences dans le quotidien de chacun.
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Passage d’un temps naturel à un temps mécanique « Vous les occidentaux, vous avez l’heure mais vous n’avez jamais le temps » Gandhi
D’après cette réflexion, nous aurions perdu le temps à partir du moment où nous avons décidé de le mesurer précisément. Pourtant, on ne peut pas dire que la mesure du temps soit nouvelle puisqu’elle a rapidement été l’une des préoccupations majeures de l’homme, notamment pour organiser la vie sociale, religieuse et économique des sociétés. De ce fait, bien que le but de ce mémoire ne soit pas d’analyser toute l’histoire de la mesure du temps, il paraît tout de même nécessaire, dans un premier temps, de retracer brièvement les étapes majeures de l’évolution de la conception du temps et de son influence sur la société. Cela permettra de mieux cerner notre nouvelle manière d’appréhender le temps et les nouvelles valeurs qui en ont émergées. De l’Antiquité jusqu’au Moyen-Âge, l’individu vit au rythme d’un temps naturel qui se réfère au mouvement des astres et de l’alternance jour-nuit. La vie des individus s’organise en fonction des cycles des saisons. Mais les premiers hommes auxquels on doit le souci du fractionnement de la journée sont les moines soucieux d’accomplir régulièrement leur devoir religieux. Ainsi, dans les monastères en Europe pendant le Moyen-Âge, afin de connaître les heures de prières dans la journée, il devient alors indispensable que l’écoulement du temps puisse être déterminé et contrôlé. Le cadran solaire fait office de mesure le jour et la bougie graduée, les horloges à eau, puis le sablier déterminent le temps durant la nuit. Pendant plusieurs siècles, seuls ces instruments de mesure seront disponibles. Mais petit à petit, parallèlement au temps naturel, un temps artificiel se met en place et se concrétise à travers les cloches que les moines actionnent pour marquer l’heure. À cette époque, les temps religieux rythment la collectivité. Les cloches seront par la suite utilisées pour structurer la vie urbaine et l’organisation du travail. Avec l’apparition des premières horloges, au milieu du XIIe siècle, ce temps artificiel manquant de précision évolue. L’homme élabore des instruments de plus en plus perfectionnés grâce à la mécanique et la physique qui recherchèrent la régularité et une plus grande précision. Le temps mécanique de l’horloge entraine alors de nouveaux points de référence pour organiser la vie de l’homme, remplaçant progressivement le temps naturel qui rythmait les activités humaines en cohérence avec la nature, les besoins physiologiques et psychologiques. On passe alors à une appréhension quantifiée, rationnalisée, mesurée du temps qui se généralise à tous les domaines de la vie de la société.
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Au XVIIe siècle, grâce à l’horloge à pendule, la précision s’améliore allant jusqu’à définir la seconde grâce aux oscillations du pendule qui régulent le mouvement. Et ce phénomène s’accentue encore pendant la période contemporaine (1880 à nos jours) qui est marquée par une accélération considérable des progrès techniques et scientifiques. La nouvelle source d’énergie qu’est l’électricité permet de voir apparaître les horloges électriques. Puis, avec la mise au point du transistor en 1948 et du circuit intégré en 1958, les horloges électroniques et les montres à quartz sont créées. Ces montres, que chacun d’entre nous porte aujourd’hui, atteignent une précision d’un millième de seconde par jour, c’est-à-dire qu’elles perdent environ une seconde tous les trois ans. Cette période se prête également à l’évolution de nos connaissances sur la matière et sa structure, par la mise en évidence de l’atome. C’est avec cette nouvelle connaissance que les horloges atomiques, extrêmement précises, furent créées à partir de 1947. De nos jours, le temps est donc toujours plus fractionné. Parallèlement la montre personnelle, facilement transportable et toujours à portée de main, se popularise. Le passage de la montre à gousset à la montre à bracelet n’est d’ailleurs pas qu’un épisode accessoire de la conquête du temps. Pour Jacques Attali « ce passage à la montre-bracelet est d’ailleurs, significativement, contemporain du fordisme, du moment où la loi de la valeur impose des nouvelles coupures du temps, sans chronométreur ni contremaître, sans patron visible ni horloge pointeuse. La montre n’est plus un bijou, ni l’insigne faussement modeste de la puissance, elle est portée au bras à une place commode pour un objet commode, elle devient l’outil banal, démocratisée de la soumission au Temps des Machines »1. Ainsi, la démocratisation de la montre a un caractère instrumental. Pour pouvoir parler de ponctualité par exemple, il faut que chacun ait les moyens de mesurer et de planifier ses actions futures en fonction de temps mutuellement définis. Dans son célèbre livre Éloge de la lenteur, Carl Honoré s’en amuse : « Tandis que la ponctualité envahissait peu à peu jusqu’au moindre recoin de la vie, les satires tournaient en dérision la dévotion européenne pour les cadrans. Dans Le Voyage de Gulliver de Jonathan Swift, le héros consulte si souvent sa montre que les Lilliputiens pensent qu’elle est son dieu »2. Enfin, avec l’introduction au début du XXe siècle d’un temps universel, standardisé et des fuseaux horaires, la rationalisation du temps en arrive à sa conclusion logique. On comprend bien qu’avec l’évolution de la mesure du temps et le passage à un temps mécanique dissocié du rythme naturel, l’homme se soumet maintenant à un temps artificiel et arbitraire pour organiser sa vie et faciliter la vie en collectivité. De nos jours par exemple, même si l’on ne porte pas forcément de montre, l’heure nous est en permanence rappelée par des objets comme la télévision, le téléphone portable ou encore l’ordinateur. On assiste par conséquent à une société régie par le temps de l’horloge.
1. ATTALI (Jacques), Histoire du temps, Paris, Fayard, 1982, p.238. 2. HONORÉ (Carl), Éloge de la lenteur, Paris, Marabout, 2004, p.53.
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Enfin, pour conclure, retracer historiquement toutes ces inventions qui déterminent un temps toujours plus précis et fractionné révèle qu’à chaque carrefour important dans l’histoire des civilisations, correspond une certaine manière de concevoir le temps et de le mesurer pour l’associer à la vie des hommes. Il est ainsi important de prendre en compte qu’il y a une corrélation entre la mesure du temps et l’assujettissement de l’homme à son diktat. En effet, à partir du moment où la vie a commencé à être gouvernée par un temps abstrait, invariant, linéaire, mécanique, quantitatif et extrêmenent précis, une mutation radicale du rapport au temps de la société s’est opérée. Mutation qui a affecté profondément notre manière de vivre, de travailler, de nous comporter en société et a par conséquent contribué à l’émergence de l’évolution des mentalités et d’un nouveau type d’individu avec de nouvelles valeurs.
L’industrialisation : Vers le culte de la vitesse À l’aube de l’ère industrielle, le changement a pris la forme de la fameuse affirmation de Benjamin Franklin : « le temps c’est de l’argent »1. Cette capacité à contrôler le temps et, par conséquent, à l’associer à l’argent, a été rendu possible, comme on a pu le voir précédemment, à partir du moment où le temps a été décontextualisé, dissocié des évènements et défini comme une unité universelle, neutre et abstraite.
Commence alors l’avènement du capitalisme et l’essor de l’industrie, avec la main d’œuvre payée à l’heure et non plus pour ce qu’elle produit. La course contre la montre est alors lancée : on cherche à maîtriser le temps au profit de la rentabilité. « Avoir du temps, manquer de temps, prendre son temps, perdre son temps, toutes ces métaphores indiquent que le temps est quelque chose que l’on possède ou que l’on voudrait posséder. Elles sont relativement anciennes pour nous, mais moins que celle du temps comme un fleuve qui s’écoule »2. Ainsi, si le rapport au temps était régi par le temps rituel, les fêtes religieuses, les rythmes sociaux, les saisons dans les sociétés traditionnelles ou pré-modernes, petit à petit, le temps de l’horloge s’y substitue et la vie quotidienne se voit traverser par l’exigence de la ponctualité et des disciplines d’usine. Le temps est dès lors dépensé, gagné, budgétisé…
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En 1911, l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor publie l’Organisation Scientifique du Travail (OST) dans lequel il expose une méthode d’organisation de travail plus efficace et plus productive. Cette méthode repose sur une division du travail horizontale, c’est à dire une fragmentation maximale des tâches au sein de l’atelier entre les différents postes ; et une division verticale reposant sur une séparation complète de la conception technique du produit par les ingénieurs et de son exécution par les ouvriers. À cela s’ajoute le chronométrage des actions à la fraction de seconde près pour mesurer le temps qui doit être imparti à chaque tâche pour obtenir un rendement maximum. Le souci principal de Taylor est alors de lutter contre la flânerie des ouvriers dans l’atelier et d’éviter le temps perdu afin de trouver « the one best way » (la meilleure façon), autrement dit le système productif le plus efficace. D’une mesure du temps déterminée par la tâche, on passe donc inversement à la mesure de la tâche de travail par le temps. Pour que l’ouvrier se mette à travailler à cette nouvelle cadence imposée, il met aussi en place une rémunération au mérite (« fair’s day work »), en fonction d’un rendement mesuré au nombre de pièces terminées dans un temps chronométré. L’ouvrier doit travailler de plus en plus vite pour espérer être payé suffisamment pour vivre. Par la suite, on voit apparaître le concept du fordisme, qui reprend les principes de base du taylorisme mais qui se base, en plus, sur le travail à la chaîne. Ce n’est plus l’homme qui fixe la cadence mais le convoyeur, et chacun est contraint de suivre la cadence sous peine d’être renvoyé. La société dite « fordienne » se fonde sur un temps rigide avec des heures de pointe. Le temps devient celui de la rythmicité, de la synchronisation progressive du travail aux horaires réguliers et prévisibles. Par conséquent, l’époque industrielle marque l’avènement des idées de discipline, d’accélération et de précision du temps. Dans cette logique, la majorité des inventions de la révolution industrielle ont pour but d’accroître la vitesse, les profits économiques et la productivité au travail et donc d’accroître son emprise sur les individus, les poussant à faire tout plus vite. La vitesse, l’accélération deviennent les valeurs de la société alors que la lenteur est stigmatisée et associée à la fainéantise, au manque de productivité. Cette nouvelle valeur suprême qu’est la vitesse s’insinue dans tous les domaines de la société. Aussi, pour les avant-gardes du début du XXe siècle, l’art se doit de représenter la société contemporaine. Dans cette optique, les futuristes cherchent à exprimer le dynamisme de la vie moderne. Ainsi, on peut lire dans le mani- « Nous déclarons que la splendeur feste futuriste de Marinetti de 1909 : « Nous dé- du monde s’est enrichie d’une beauté clarons que la splendeur du monde s’est enrichie nouvelle : la beauté de la vitesse » d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse »3. Filippo Tommaso Marinetti 1. FRANKLIN (Benjamin), conseil à un jeune artisan qui voulait devenir riche. 2. Conférence de Nicole Aubert reprise par Danièle Morel, revue et corrigée par Nicole Aubert – AFAPP 5.02.201. [En ligne] Consulté le 09 décembre. URL : http://www.afapp.org/images/docs/110530%20Nicole%20Aubert(2).pdf
3. MARINETTI (Filippo Tommaso), Manifeste du futurisme, 1909.
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Le mouvement et la vitesse sont à ce moment là considérés comme les phénomènes les plus significatifs de ce début de siècle et les futuristes glorifient les usines et les inventions modernes. Dans le manifeste, de nombreux indices sont révélateurs du dynamisme de la vie moderne, engendré par l’industrialisation et les technologies nouvelles comme le train et l’automobile. On retrouve aussi tout un lexique du mouvement rapide et de la vitesse (« bonds », « trépidants », « élans », « s’élancerons ») qui ancre la dimension dynamique d’une nouvelle mobilité. Ce manifeste est ainsi révélateur d’un des nouveaux fondements de la société : celui du culte de la vitesse. Le futurisme valorise l’accélération de la vie, la « cadence rapide »1. Les « la seule façon d’être suivi, écrivains, poètes, artistes de ce mouvement en font leur thème de c’est de courir plus vite prédilection et prônent l’amour de la vitesse, Apollinaire écrit par que les autres » exemple un poème intitulé Allons plus vite , Picabia affirme que « la Francis Picabia seule façon d’être suivi, c’est de courir plus vite que les autres »2… Pourtant, on peut s’interroger sur la place qu’il reste à l’homme face à cette quête de gains d’efficacité qu’exige l’industrialisation et ce culte de la vitesse. Charlie Chaplin s’en inquiète dans le film Les Temps Modernes de 1936. Il y dresse un réquisitoire contre le taylorisme et le fordisme dont il montre le fonctionnement et les rouages en insistant sur les conséquences néfastes pour l’homme de ce système d’organisation du travail à la chaîne. Le générique du film annonce le ton dès les premières secondes par un explication fournie aux spectateurs : « Ceci est l’histoire de l’industrie, de l’entreprise individuelle, de l’humanité à la conquête du bonheur ». Ainsi, ce film évoque des thèmes récurrents et d’actualité dans l’Amérique des années 1930 : la dénonciation de la société industrielle, la critique du progrès et de l’exploitation de l’homme par l’homme à travers la machine. Dès les premières minutes du film, on observe différentes manifestations de la mécanisation extrême d’une société qui semble accorder une confiance aveugle au progrès. L’horloge qui sert d’arrière plan dans le générique met en évidence la domination du temps sur la société, elle indique que le temps de l’usine mais aussi celui de l’homme est compté. Les ouvriers sortant de la bouche de métro pour se rendre à l’usine sont comparés, par juxtaposition dans le montage, avec un troupeau de mouton. Comme le déclarait Taylor, « dans le passé, l’homme venait en premier. À l’avenir, c’est le système qui viendra en premier ». L’ouvrier devient dès lors tributaire des impératifs de la productivité : pour un rendement maximum, une cadence infernale est imposée pour éviter de perdre du temps. On observe l’absence de liberté, la volonté d’encadrer ou de discipliner les corps avec un respect scrupuleux du temps chronométré. Dans cette société dominée par la machine, il ne semble plus y avoir de place pour l’homme. On retrouve ainsi dans le film, divers procédés qui figurent la « mécanisation » de l’individu : homme avalé par la machine, ingestion involontaire de boulons, communication par gramophone ou écrans vidéo interposés. La machine déshumanise les individus dont le comportement s’apparente plus à celui de robots effectuant inlassablement les mêmes tâches.
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Dans Les Temps Modernes, Charlot est incapable de tenir le rythme effréné, il finit par provoquer des catastrophes qui perturbent l’organisation de la production. Finalement, il ne semble trouver le salut et le bonheur que dans les failles de la mécanique, une liberté qu’il se crée dans sa propre temporalité et en se plaçant en dehors de la société et non en essayant de la changer. Ainsi, à partir de l’analyse de cette période qu’est l’industrialisation, on peut voir apparaître un nouveau type d’individu courant après le temps et se focalisant sur le gain qu’apporte la vitesse. Les nouvelles manières d’appréhender cette vitesse et l’accélération entrent dans les mœurs de chacun. Le temps se met dès lors à influencer nos choix, nos priorités, etc. Selon le psychologue britannique Guy Claxton, l’accélération est désormais notre deuxième nature : « Nous avons développé une intériorisation psychologique des notions de vitesse, de gain du temps et d’efficacité maximale, qui se renforce de jour en jour. »3
1. LEWIS (Wyndham), 1914 cité in WEISGERBER (Jean), Les avant-gardes littéraires au XXe siècle, John Benjamins Publishing Company, 1986, p.720. 2. PICABIA (Francis), cité in Idem. 3. CLAXTON (Guy) cité in « La maladie du temps » [En ligne], mis en ligne le 12 octobre 2011, consulté le 28 décembre 2011. URL : http://batinote.wordpress.com/2011/10/12/la-maladie-du-temps/ Image. Charlie Chaplin, Les Temps Modernes (Modern Times), 1936.
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Évolution des technologies « La vitesse est la forme d’extase dont la révolution technique a fait cadeau à l’homme » Milan Kundera
La période de l’industrialisation a définitivement ancré la vitesse au cœur des valeurs de la société. La vitesse est associée aux notions d’efficacité, de performance, de compétitivité, de compétition (ce qui est rapide a l’air efficace, performant, 1 meilleur et " forcément " le plus rapide arrive le premier et gagne la compétition…). Cette course pour aller vite et encore plus vite va logiquement se poursuivre après cette période grâce à de nouvelles inventions. Si dans un premier temps, on perçoit principalement cette accélération dans le secteur professionnel avec les nouvelles organisations du travail, de nouvelles technologies vont progressivement voir le jour et envahir tous les aspects de la vie de l’homme.
• Via les innovations domestiques : optimiser les gestes du quotidien À l’époque de la société dite « fordienne » dans les années soixante-dix, le temps hors travail est consacré aux travaux domestiques et tâches quotidiennes réduisant alors le temps pour les loisirs. Dans la sphère privée, des innovations domestiques et des technologies adaptées sont alors conçues dans le but d’optimiser le temps passé à ces tâches : première tondeuse électrique (1958), robot de cuisine multifonction (1961), sèche linge rotatif (1966), micro-onde (1971)… Ces innovations permettent d’améliorer la vie de tous les jours et le confort en optimisant et simplifiant les gestes du quotidien. La rapidité qu’apporte ces appareils permet de réduire le temps contraint pour " gagner " plus de temps libre, ce qui est très positif.
• Via la communication : gérer son temps en temps réel On retrouve aussi une évolution des technologies en matière de communication qui a provoqué de grandes modifications dans le rapport au temps de chacun. Depuis l’apparition du télégraphe, un grand nombre de technologies de télécommunication ont vu le jour au XXe siècle. On en retiendra principalement deux : le téléphone portable et Internet. Le téléphone portable a induit l’accès à la vie privée : à tout moment, l’homme moderne peut être contacté et peut en même temps se déplacer comme il l’entend. Avec sa diffusion dans les années 90 auquel s’ajoute la plus grande mobilité dans le travail et dans les temps libres, on voit apparaître une accentuation de l’individualisation des rythmes de chacun et une plus grande flexibilité. L’individu a alors dû s’adapter à réorganiser son emploi du temps heure par heure ou instant par instant. Il jongle maintenant d’une activité à l’autre et peut laisser des décisions ouvertes jusqu’à la dernière minute. Par conséquent, il vit au rythme de temps fractionnés, envisagés comme un flux d’événements géré en temps réel.
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Internet a aussi révolutionné le monde en terme de communication de l’information. Il a permis l’accès à la connaissance en temps réel, laissant place à la réaction immédiate et anéantissant la notion de distance. Ces nouveaux outils associés avec les moyens de transport plus performant ont façonné des individus qui optimisent leur temps en permanence devenant de plus en plus flexibles. Recherchant toujours plus de vitesse, de nouvelles technologies se mettent en place, on peut donner à titre d’exemple la fibre optique qui multiplie par dix la rapidité des connexions. De plus, en réponse aux nouveaux besoins de l’homme flexible, une nouvelle génération, celle des Smartphones, se développe pour accompagner l’émergence de la " culture en temps réel ". Pour cela, elle cumule les deux innovations que sont le téléphone mobile et internet pour que l’utilisateur puisse ajuster en permanence ses comportements en fonction de l’évolution du contexte au cours de la journée. De nos jours, la vitesse de la communication a rendu l’individu accessible au reste du monde, en tout lieu et à n’importe quel moment de la journée. Suite à une réflexion sur la folie du " toujours plus vite ", deux artisteschercheurs britanniques de l’université de Bournemouth, Paul Smith et Vicky Isley, se sont penchés sur l’usage que nous faisons du temps prétendument gagné grâce à la révolution numérique. Ils ont donc pris le contrepied de l’accélération croissante du nombre d’e-mails envoyés par jour (3,4 millions d’e-mails envoyés dans le monde chaque seconde, soit 107 000 milliards par an) en confiant l’acheminement d’e-mails à des escargots équipés de puce RFID fixés sur leurs coquilles. Dans leur aquarium, une fois être passés près d’une première borne radio pour récupérer les messages envoyés, ces escargots doivent ensuite croiser la seconde borne pour que ces messages puissent être envoyés dans la boîte électronique des destinataires. Ainsi, on ne sait jamais quand le message arrivera, si du moins il arrive un jour. Ces deux artistes ont mené cette expérience car ils se désolaient en voyant que la société actuelle ne sait plus prendre son temps : « Une des promesses de la technologie concerne la vitesse, l’accélération, il faut plus de tout en moins de temps. Culturellement, nous sommes obsédés par l’immédiateté. On ne prend pas son temps, on le compresse jusqu’à le faire exploser ». Paul Smith espère que l’expérience permettra de « changer, juste pour un moment, la façon dont nous appréhendons la communication pour nous permettre d’explorer la notion du temps »2.
1. KUNDERA (Milan), La Lenteur, Paris, Gallimard, 1995, p.10. 2. SMITH (Paul) et ISLEY (Vicky) cités in GÉVAUDAN (Camille) « Les e-mails à vitesse d’escargot », Écrans, [En ligne], mis en ligne le 20 juin 2008, consulté le 16 novembre 2011. URL : http://www.ecrans.fr/Les-e-mails-a-vitesse-d-escargot,4409.html Image. SMITH (Paul) et ISLEY (Vicky), projet Real Snail Mail, 2008.
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• Via les moyens de transport : vers une réduction de l’espace-temps L’évolution des technologies a aussi favorisé le développement considérable de la mobilité grâce à de nouveaux moyens de transport inventés au cours de ces derniers siècles. Ces moyens de transport ont entrainé des changements très importants dans le quotidien et les habitudes des usagers et ont modifié notre perception des distances. La révolution de l’automobile commence au XIXe siècle avec l’utilisation de la vapeur comme source d’énergie pour ensuite se tourner massivement vers le pétrole et le moteur à explosion. À partir de 1908, cette invention technologique majeure voit ses méthodes de production bouleversées par l’introduction de la standardisation et de l’assemblage des véhicules à la chaîne, ce qui va contribuer à baisser son coût et favoriser sa diffusion.
Avec la révolution des transports du XXe siècle, l’automobile s’est rapidement imposée comme le principal moyen de déplacement. À titre d’exemple, on observe qu’entre 1955 à 2005, l’augmentation du nombre de véhicules est environ trois fois plus rapide que la croissance de la population. En 2005, près de 890 millions de véhicules sillonnaient les routes dans le monde. En 2007, la barre symbolique du milliard de véhicules est dépassée ! Avec ce développement phénoménal, les réseaux de transports routiers se sont développés, notamment le réseau autoroutier qui a plus que triplé depuis 1970. Les autres moyens de transports rapides sont aussi marqués par d’importants progrès techniques. Par exemple, l’aviation est passée au cours des cinquante dernières années du temps des expérimentations de l’époque de pionniers, à une ère de consommation de masse. Aujourd’hui, un avion décolle presque toutes les secondes et il y a environ 80 000 vols commerciaux chaque jour soit 29,2 millions de vols par an. Toutes ces évolutions ont entraîné de profonds changements sociaux et ont permis un allongement de la portée de nos déplacements. Du fait du développement des moyens de transport rapides (avion, TGV), d’infrastructures adaptées (autoroutes, voies rapides…) et des moyens de télécommunication instantanés, les distances entre territoire se raccourcissent. Ces transports permettent de parcourir plus de distance avec une durée toujours plus réduite, en témoigne le TGV qui a pulvérisé le record du monde de vitesse sur rail en dépassant les 574 km/h. Si l’on prend l’exemple de l’évolution du temps de parcours Paris/Marseille, on peut constater une réduction de l’espace-temps phénoménale. Ainsi, en 1853, en voiture à che-
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val ou en diligence, Paris était à 70 heures de Marseille. Mais avec l’arrivée du chemin de fer, la durée des trajets s’est vue divisée par 10. En 1900, ce trajet ne demandait au mieux que 12 heures 18. Puis en 1937, 1962, 1969 la durée des trajets se réduisait encore passant à 9 heures, 7 heures 10 et 6 heures 35. En 1983, Marseille est encore à 4 heures 52 de Paris puis en 1994 le trajet se fait en 4 heures 08. Enfin, en juin 2011, Marseille n’est plus qu’à 3 heures de la capitale. On conclut facilement qu’aujourd’hui il nous prend moins de temps qu’avant pour parcourir la même distance grâce à l’utilisation de moyens de transport toujours plus rapides et performants. Les distances se réduisant toujours plus, le monde semble dès lors à portée de main. Hartmut Rosa renforce cette idée : « Aujourd’hui, le temps a anéanti l’espace. Avec l’accélération des transports, la consommation, la communication, je veux dire « l’accélération technique », la planète semble se rétrécir tant sur le plan spatial que matériel. Des études ont montré que la Terre nous apparaît soixante fois plus petite qu’avant la révolution des transports »1.
Ainsi, grâce à l’évolution des technologies, le quotidien et le confort de tous se sont améliorés : chacun peut maintenant communiquer rapidement avec son interlocuteur sans tenir compte des distances qui les séparent, chacun peut aussi se déplacer toujours plus loin, toujours plus vite. Le monde est à porté de main. Mais la vitesse n’a pas fini de gagner du terrain puisque la société s’est lancée dans une course à l’innovation ; ce que nous démontre l’obsolescence de nos objets quotidiens (téléphone mobile, I-Pad, ordinateur, etc.) qui est de plus en plus rapide. Aussi, avec le développement de ces technologies, l’individu ne doit plus réfléchir en terme de vitesse mais d’instant, ce qui change à nouveau sa perception du temps et par conséquent engendre de nouvelles pratiques sociales.
1. ROSA (Hartmut), propos recueillis par Frédéric Joignot, « Au secours tout va trop vite ! », Le monde Magazine, [En ligne], mis en ligne le 29 août 2010, consulté le 12 octobre 2011, URL : http://www.lemonde.fr/societe/article_interactif/2010/08/29/ le-monde-magazine-au-secours-tout-va-trop-vite_1403234_3224_4.html
Vers le temps perçu à l’échelle de l’instant « Le temps et l’Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l’absolu, puisque nous avons déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente. » Filippo Tommaso Marinetti
Déjà au début du XXe siècle, le futuriste Marinetti pressent l’importance de l’accroissement de la vitesse et témoigne d’une nouvelle perception spatio-temporelle, celle de l’espace rétréci par la vitesse et l’accélération technique : les chemins de fer gagnent en rapidité et se développent en un réseau de transport qui incite les pays à ouvrir leurs frontières, l’inven1 tion de la radio permet la transmission instantanée de la parole dans le monde. Les personnes, l’information, les connaissances, la pensée circulent de plus en plus vite et élargissent la conscience du monde. Témoin de ce temps, l’écrivain et journaliste Stephan Zweig se souvient : « Grâce au synchronisme universel de notre nouvelle organisation, nous étions constamment engagés dans notre époque. Quand les bombes réduisaient les maisons en miettes à Shanghai, nous le savions en Europe, dans nos chambres avant même que les blessés eussent été retirés des décombres »2. Ainsi, la vitesse, les délais d’attente toujours plus restreint pour obtenir une information, communiquer, voyager nous amènent au fil du temps à avoir l’impression que notre passage dans le temps s’accélère. Cependant, si l’on parle du temps objectif, il serait incorrect d’affirmer que le temps passe plus vite, puisque la longueur des jours, des mois, des années reste identique. Toutefois, la vitesse que l’on perçoit tout autour de nous, ainsi que l’accélération nous donne cette impression. Ici, ce n’est donc pas du temps objectif dont il est question, c’est-à-dire du temps mesurable par des instruments de mesure. On parle ici du temps psychologique, c’est-à-dire la perception subjective que l’on a du temps.
Cela rejoint la remarque d’Yves Lasfargue, chercheur et directeur de 3 . Selon lui, « le temps ne s’accélère pas mais l’impa« le temps ne s’accélère pas l’Obergo tience grandit ». L’impatience renvoie ici à notre perception mais l’impatience grandit » subjective du temps qui nous pousse à croire que certains Yves Lasfargue évènements ou actes ne vont pas assez vite dans un laps de temps donné. Pour illustrer son propos, on peut prendre l’exemple de la perception de la vitesse de chargement des pages Internet. De nos jours, les performances de notre connexion Internet nous paraissent évidentes ; notre impatience face au temps de chargement d’une page en témoigne car l’internaute ne tolère plus d’attendre pour trouver une information. D’après une étude récente4, les temps de chargement des pages Web considérés comme lent, incitent les internautes à quitter le site avant même d’avoir pris connaissance du contenu. Mais la lenteur est ici très relative. Toutes les études réalisées, du point de vue sensoriel, découlent de recherches sur le
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cerveau humain qui réagit au temps de chargement qu’il perçoit. Les résultats ont montré que l’action est considérée comme immédiate entre 0,1 et 0,5 seconde. Le cerveau a l’impression de contrôler directement l’outil utilisé alors qu’entre 0,5 et 1 seconde, il n’a déjà plus cette illusion. Le temps de chargement actuel des sites se situe entre 1 à 5 secondes. Pendant ce temps, il faut essayer de distraire l’internaute à l’aide de mouvement visuel pour occuper un de ses sens pour garder son attention. Enfin, à partir de 10 secondes, le cerveau n’attend plus et l’internaute n’est plus attentif. D’après cette étude réalisée en 2009, 47 % des internautes s’impatientent au delà de 2 secondes de chargement et 40 % quittent la page une fois les 3 secondes passées (alors qu’en 2006, ils patientaient 4 secondes). Et comme, ici aussi, le temps c’est de l’argent, le site Amazon fait correspondre 0,1 seconde de chargement en plus à 1 % de chiffre d’affaires en moins ! Le constat est clair, Internet a rendu l’impression de vitesse obsolète du fait que les temps de réponse ne sont désormais plus rapides, ni très rapides, ni hyper rapides, mais ils sont bien devenus immédiats. Aussi, ce comportement témoigne d’une nouvelle perception de la temporalité par l’homme. Les évolutions des moyens de communication ont démocratisé l’immédiateté devenue une nécessité et un droit revendiqué par tous. En ayant écourté au maximum certaines durées d’attente, le temps est désormais perçu à l’échelle de l’instant. L’urbaniste et essayiste Paul Virilio, auteur de nombre de travaux sur le rapport entre technologie (ou technique) et vitesse, pousse encore la réflexion sur l’instantanéité dans son livre Le futurisme de l’instant, Stop-Eject paru en 2009. Pour lui, l’accélération des événements et de l’histoire au siècle dernier, les progrès technologiques qui ont amené avec eux les nano-durées, les délais toujours plus courts et les distances réduites entraînent une globalisation de l’instantanéité à l’échelle mondiale. Cet enchainement nous conduirait d’après lui dans l’impasse de toute perspective, le progrès se trouvant désormais dans l’intensité de l’instant. Pour Paul Virilio, l’espace et le temps sont indissociables. Dans son livre La vitesse de libération5, il énonce les effets qui pourraient, selon lui, se manifester dans une future société de l’immédiateté. Dans un premier temps, il constate, comme les futuristes, l’accélération provoquée par les moyens de transport « qui effacent l’Atlantique (le Concorde), réduisent la France à un carré d’une heure trente de coté (l’Airbus), ou encore, de ce TGV qui gagne du temps sur le temps ». Pour l’auteur, « un territoire est avant tout un espace-temps constitué par les techniques de déplacement et par les techniques de communication, que ce soit le cheval ou le pigeon voyageur, le TGV, l’avion ou le minitel »6.
1. MARINETTI (Filippo Tommaso), Manifeste du futurisme, 1909. 2. ZWEIG (Stephan), Le monde d’hier : Souvenirs d’un européen, 1942. 3. Observatoire des conditions de travail et de l’ERGOstressie 4. Étude réalisée par Forrester Consulting 5. VIRILIO (Paul), La vitesse de libération, Paris, Galilée, 1995, p.21. 6. VIRILIO (Paul), « Dromologie, logique de la course », Entretien avec Giario Daghini, première publication en avril 1991, [En ligne], mis en ligne le 14 juin 2004, consulté le 10 novembre 2011, URL : http://multitudes.samizdat.net/Dromologielogique-de-la-course
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Mais pour lui, la représentation d’un territoire est donnée par le temps que l’homme met à le parcourir. Sa crainte est alors que la représentation des distances par le temps soit supprimée par l’immédiateté. Si tel était le cas, l’homme perdrait ses repères, il y aurait un « sentiment d’absence d’environnement, en un mot la mort géographique ». Dans ce monde futur où l’échelle des temps et la géographie n’existeraient plus, le voyage ne serait plus possible puisque « Tout est déjà vu ou du moins déjà exploré ». Il voit ainsi le monde s’appauvrir en perdant de sa diversité et de sa " grandeur ". Paul Virilio cite aussi le navigateur solitaire Jacques-Yves le « le monde s’est rétréci, Toumelin qui affirmait que « le monde s’est1 rétréci, terriblement on ne voyage plus on se déplace » . En clair, la proximité terriblement rétréci, rétréci, du monde entier liée à l’instantanéité annulerait le plaisir de la on ne voyage plus découverte car tout serait vu en un temps record. Viendrait alors on se déplace » l’ennui, voire pire comme l’exprime l’essayiste, avec la claustroJacques-Yves le Toumelin phobie devenue un risque majeur pour l’humanité. Ainsi, très alarmiste, Paul Virilio pense que si l’évolution des technologies se poursuit, l’homme pourrait un jour atteindre l’instantanéité dans le domaine des déplacements. Les distances n’auraient alors plus aucun sens, tout paraitrait proche et on assisterait purement et simplement à l’anéantissement de toute perception de l’espace réel. Notre passage dans le temps est donc bien caractérisée, non plus par une accélération, mais par une instantanéité dans plusieurs domaines de la vie. Il s’agit maintenant de savoir comment l’homme gère cette nouvelle donnée qu’est l’instantanéité, comment il y répond au quotidien.
Densification et compression du temps En réponse à cette accélération des temps qui se généralise dans notre vie et qui prend de plus en plus d’ampleur, on a vu que le comportement de l’homme évoluait : l’impatience grandit, tout doit être immédiat pour que ce temps si précieux soit rentabilisé au maximum… Avec les nouvelles technologies de la communication, l’homme est par exemple en droit d’exiger de quelqu’un des réponses plus rapides, voire immédiates, dans la sphère du travail, il est censé répondre dans l’immédiat à des exigences et sollicitations continuelles. Mais les craintes de Paul Virilio, tout de même un peu irrationnelles, ne se sont pas encore réalisées : l’instantanéité ne s’applique pas, pour l’instant, à tous les domaines de la vie. Cependant l’homme cherche à s’en rapprocher au maximum. Pour cela, il a commencé à densifier ou à compresser son temps. La densification permet d’augmenter le nombre de tâches à réaliser dans un temps donné et la compression permet d’effectuer le même nombre de tâches en moins de temps. Les raisons qui le poussent à agir de la sorte sont diverses et variées : " gagner du temps " avoir plus de temps pour soi, l’habitude de fonctionner de cette manière, un emploi du temps trop chargé ou qui change à la dernière minute mais aussi au travail avec la pression du client qui exige des délais toujours plus courts…
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Une agence de design graphique Hongroise, l’agence Kreativ, a d’ailleurs mené une expérience pour démontrer à ses clients que les délais qu’ils imposent ne sont pas bénéfiques, ni pour le graphiste, ni pour le client lui même. Elle a donc eu l’idée de réaliser un film avec la participation d’enfants dans une école. Ces enfants ont eu, dans un premier temps, 10 secondes pour completer un dessin faisant penser à une horloge. Les résultats de ces premiers dessins étaient tous identiques et peu créatifs. Ils relevaient tous de la représentation archétypale que l’on a d’une horloge. Ils ont ensuite reçu la même demande mais cette fois-ci avec 10 minutes pour réaliser leur dessin. Tous les dessins que l’on peut voir dans la vidéo sont différents et racontent une histoire. Ainsi, cette expérience met en évidence que le manque de temps ainsi que la pression sont des freins pour les idées et la créativité.
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Ainsi, on remarque que d’un côté, ces deux phénomènes, de densification et de compression, permettent l’accélération des différents rythmes, mathématiquement parlant, cela permet un gain de temps. Pour la plupart des personnes agir de la sorte permet d’être plus productif, mais comme on vient de le voir ce n’est pas toujours le cas. Ces phénomènes peuvent alors avoir l’effet inverse de celui qui est recherché en nous donnant le sentiment d’avoir moins de temps, ou que les choses s’accélèrent et que l’on arrive plus à les gérer. En d’autres termes, lorsque la densification ou la compression du nombre d’actions deviennent supérieures à la vitesse d’exécution des tâches, le sentiment d’urgence a alors un terrain propice pour rentrer dans nos vies.
1. LE TOUMELIN (Jacques-Yves) cité in VIRILIO (Paul), La vitesse de libération, Paris, Galilée, 1995, p.80. Images. extrait de la vidéo être créatif demande du temps de l’agence Kreativ, URL : http://www.koreus.com/video/deadlines.html 1. Dessin à compléter pour l’expérience réalisée dans une école. 2. Résultat pour le dessin fait en 10 secondes. 3. Un des résultats pour le même dessin à compléter avec cette fois 10 minutes.
Un sentiment d’urgence au quotidien Avec le rythme de notre vie qui s’accélère, nous sommes tous et toujours en retard, à nous précipiter dans tous les sens, sans savoir véritablement où nous allons, et à courir après un temps qui va de plus en plus vite. En reprenant les termes de la psychologue et sociologue Nicole Aubert, on peut dire que nous sommes « shootés » en permanence à l’urgence, « sorte d’amphétamine de l’action qui permet de vivre plus fort, plus intensément »1. L’accélération qui nous permet de vivre à cent à l’heure et le sentiment d’urgence que nous ressentons sont pourtant profondément liés. Mais dans un premier temps, il apparaît important de distinguer ce qui relève de l’accélération et de l’urgence. Lorsqu’il y a accélération cela ne relève pas obligatoirement de l’urgence. Mais à l’opposé, là où il y a urgence, il y forcément accélération. L’accélération n’est pas un mal en soi ; elle peut prendre la forme de la compression ou de la densification du temps que l’on a vu précédemment en restant quelque chose de positif. Par exemple quand on voyage en TGV on ne ressent pas obligatoirement un sentiment d’urgence. Pour ce qui est de l’urgence, elle est d’une part provoquée par le sentiment que l’on manque de temps ; d’autre part, elle se ressent quand il y a un risque, par exemple de ne pas respecter les délais. Cela rejoint la description qu’en donne Hartmut Rosa. Pour ce philosophe allemand, lorsqu’un individu multiplie le nombre de tâches au point de ne plus pouvoir toutes les faire, « cela se traduit de façon subjective par une recrudescence du sentiment d’urgence, de culpabilité, de stress, l’angoisse des horaires, la nécessité d’accélérer encore, la peur de " ne plus pouvoir suivre " »2. Avec son expérience dans le secteur de l’entreprise, Nicole Aubert complète ces observations en montrant les conséquences du sentiment d’urgence sur les individus et comment cela peut amener à l’altération du caractère de l’être humain. Elle précise tout de même que ce nouveau rapport au temps peut, pour certaines personnes, avoir un aspect positif : certaines se sentent en effet très à l’aise lorsqu’il s’agit d’improviser à la dernière minute, ou de jongler avec les différents temps de la journée. À l’inverse quand l’urgence se révèle comme une perversion du temps, l’individu peut avoir le sentiment de ne plus pouvoir faire face. À partir de ce moment, les pathologies de l’urgence se manifestent sous diverses formes plus ou moins graves : fatigue, stress, insomnies, « une grande irritabilité, une forte nervosité et une capacité à se mettre en colère de façon fréquente, injustifiée et imprévisible »3. Cela affecte donc aussi les relations que nous avons les uns avec les autres et par contagion, l’urgence investit également la sphère privée. Mais d’autres manifestations sont plus graves comme la dépression, et en poussant jusqu’à l’extrême, la mort par surmenage que les Japonais désignent par le terme karoshi4.
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Sans aller jusqu’à cet extrême, pour l’individu sous pression et hypersollicité, l’urgence semble être devenue la norme et elle se manifeste au quotidien par une course effrénée contre la montre. Le sentiment de devoir aller vite se retrouve donc dans chaque sphères de nos vies : dans la vie professionnelle avec cette fameuse expression « il me faut ça pour hier », dans les loisirs « ce film ne sera à l’affiche plus que trois semaines, courez-y », dans la consommation « plus que quelques articles avant rupture de stock » ou « offre valable pour les 1000 premiers clients, dépêchez vous »… Cette urgence pousse donc l’individu à accélérer toujours plus avec le risque de ne plus pouvoir se projeter vers l’avenir : l’éphémère, l’instant, le provisoire prenant la place du moyen ou du long terme.
Trop vite pour se souvenir Dans notre société, l’histoire semble s’être ac- « Le degré de la vitesse est directement célérée. « Il est frappant de constater combien proportionnel à l’intensité de l’oubli » des successions d’événements du mois précé- Milan Kundera1 dent, ou de quelques jours auparavant, parfois même de quelques heures, auxquels nous donnions tant d’importance, qui nous semblaient chargés de signification, disparaissent de notre mémoire »6. Avec ce constat d’Hartmut Rosa, il s’agit de s’interroger sur ce que nous retenons réellement de tout ce que l’on peut voir, entendre, lire, etc. au fil de la journée. Il est vrai que plus les événements s’enchaînent rapidement, plus il est difficile de retenir l’ensemble et la succession de tous ces épisodes. D’autant plus que « notre époque se montre extrêmement riche en événements éphémères et très pauvre en expériences collectives porteuses de sens »7. En effet, si l’on regarde de plus près un journal d’information par exemple, on se rend compte que ces news seront rapidement oubliées (aujourd’hui : coupure d’électricité après une tempête, démantèlement du cargo sur la plage du Morbihan, avalanches, prudence toujours de mise en montagne…). Ainsi, qui se souviendra encore de ces faits quelques jours plus tard, et qu’en penser lors de la lecture de ce mémoire dans quelques mois !
1. A UBERT (Nicole) cité in « Pourquoi est-on toujours débordée ? », l’Express Styles, [En ligne], mis en ligne le 10 février 2010, consulté le 15 décembre 2011, URL : http://www.lexpress.fr/styles/psycho/pourquoi-est-on-toujours-debordee_847756.html?p=2 2. ROSA (Hartmut), op. cit. 3. AUBERT (Nicole), Le Culte de l’urgence. La société malade du temps, Paris, Flammarion, 2003. 4. Ce mot désigne la mort subite de cadres ou d’employés de bureau par arrêt cardiaque suite à une charge de travail ou à un stress trop importants. Le karoshi est reconnu comme une maladie professionnelle au Japon depuis les années 1970. Il existe une équivalence, le gakurekibyo c’est à dire la « maladie du diplôme », pour les étudiants qui travaillent de façon extrême dans le but d’obtenir leur diplôme. 5. KUNDERA (Milan), La Lenteur, Paris, Gallimard, 1995. 6. ROSA (Hartmut), op. cit. 7. Ibid.
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Mais pire encore, même les événements de plus grande importance deviennent obsolètes quelques semaines, mois ou années plus tard : plus personne n’évoque la catastrophe de Fukushima par exemple, on a l’impression que cet événement appartient au passé. Si les journaux d’information venaient encore à en parler, on leur reprocherait sûrement de ne pas assez se recycler, qu’ils ne sont plus dans l’actualité. Aussi, même « des épisodes aussi importants que la disparition de l’URSS ou la première guerre d’Irak appartiennent déjà à un passé lointain. L’histoire depuis s’est encore accélérée. (…) Tous ces événements nous apparaissent déjà comme voilés par la brume de l’histoire accélérée. Ces épisodes ne semblent plus faire partie de nos vies, ils ne sont plus reliés à notre présent, encore moins à notre présence au monde. Ils ne nous disent plus rien sur ce que nous sommes, ils ne nous concernent plus ou si peu. »1 Par conséquent, l’accélération affecte notre capacité de comprendre l’époque en profondeur mais aussi le monde qui nous entoure. « Au final, nous avons tous l’impression de vivre dans une instabilité permanente, un présent court où des faits rapportés en début de journée semblent avoir perdu toute leur valeur le soir même, et dont nous ne savons plus quoi penser… »2. De plus, si l’on ne prend pas de recul sur ce que l’on voit, comment le comprendre et comment s’en souvenir. L’accélération que l’on constate dans tous les domaines altère nos souvenirs des lieux, des gens, de l’actualité, des actions réalisées dans la journée, la semaine... Si l’on prend l’exemple du touriste qui va visiter un pays en quelques jours, on peut se demander ce qu’il peut réellement retenir de son périple : comment se souvenir des personnes que l’on rencontre si l’on ne prend pas le temps de s’arrêter pour discuter avec elles, des lieux que l’on visite si l’on ne les voit que par la vitre d’un bus ? Est ce que prendre des photos est vraiment suffisant pour se remémorer une ambiance, une sensation à un moment donné ? Quel contact peut alors se produire avec le monde et les gens ?
Superficialité : vers une perte de qualité de l’instant « Inévitablement, une vie agitée peut devenir superficielle. Lorsque nous nous hâtons, nous écrémons la surface des choses et échouons à créer de vrais contacts avec les autres et le monde qui nous entoure. » Carl Honoré
Dès la première moitié du XXe siècle, Paul Morand, en visionnaire, dresse un portrait proche de l’homme contemporain, incapable de faire la différence entre l’important et l’urgent. Pierre Niox, l’homme pressé de Paul Morand « gâche tout, l’amitié, l’amour, la paternité, par sa hâte fébrile à précipiter le temps ». Par son « avidité de tout regarder et de ne rien contempler, de tout faire et de ne rien parfaire, de courir d’occasion en circonstances et de conjoncture en occurrence », il ne vit pas sa vie ; il la survole à toute allure en cherchant des 3 secondes « pour en faire des minutes ». L’attente, la patience, l’aménagement de temps de repos essentiels, la lenteur nécessaire à la maturation des idées, toutes ces vertues et occupations sont refusées par
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l’homme pressé. Ainsi, Paul Morand s’interroge : « Faut-il que la vitesse soit une étrange fée pour qu’on lui sacrifie tout, même le temps ? »4. Dans ce célèbre roman, à travers le portrait caricatural de Pierre, l’auteur critique manifestement l’évolution de toute la société. Au final, cette course effrénée pour gagner du temps sur le temps n’a rien apporté de bon à Pierre qui n’est pas parvenu à apprécier l’instant présent en voulant toujours se projeter vers l’avenir. Cela l’a d’ailleurs conduit à une fin tragique. Ce récit offre ainsi une réflexion profonde et toujours d’actualité, sur la relation de l’homme avec le temps et nous prouve qu’en voulant aller trop vite et donc en restant à la surface des choses, les moments de la vie deviennent moins profonds. Soixante-dix ans après cet avertissement, l’« extase de la vitesse »5 a pourtant touché tous les aspects de la société contemporaine, faisant de l’homme un individu en temps réel. Ainsi, encore plus gravement atteint que l’homme pressé, l’homme contemporain a perdu les repères essentiels de temps et d’espace. Avec l’accélération des différents temps de la journée et le sentiment d’urgence, l’homme s’est mis à marcher plus vite, parler plus vite (8 % de mots en plus à la minute entre l’an 2000 et 2010).… et à l’inverse, on assiste à une réduction du temps passé en famille, de la durée des repas, des moments de pause… Par la même occasion, on assiste à une régression de fond de la réflexion : en voulant aller trop vite ou par manque de temps, l’individu ne parvient plus à appréhender le sens et les conséquences de ses actions. Moins de réflexion, moins de profondeur, plus de superficialité ; c’est ce que l’on peut retrouver dans la manière de délivrer et d’assimiler les informations par exemple. On a déjà vu que la diffusion de plus en plus rapide de celles-ci avait une incidence directe sur notre capacité à les mémoriser. Mais l’accélération affecte aussi la compréhension des événements et du présent, c’est-à-dire le réel proche. Il devient difficile de comprendre notre époque en profondeur. Selon Dominique Wolton : « le premier paradoxe est la réduction de toutes les échelles du temps à celui de l’événement. (…) La domination d’un modèle de l’information marqué par l’urgence et l’événement à nécessairement un impact très lourd sur toute la conception de l’information. (…) Il y a nécessairement une contradiction entre la rapidité de l’information, la simplicité qui en résulte et la complexité de l’histoire et des problèmes de société »6. Ainsi, les différents médias tels les stations et les chaînes d’information en continu (France Info, LCI, CNN) sont réactualisés tout au long de la journée et alimentés minute par minute par les toutes dernières " news ". Avec internet en plus, et en particulier les réseaux d’information et de communication en ligne, qui délivrent en temps réel un flux incessant de données, on peut suivre l’actualité dans le monde 24 heures sur 24.
1. ROSA (Hartmut), op. cit. 2. Ibid. 3. HONORÉ (Carl), Éloge de la lenteur, Marabout, 2004, p.20. 4. MORAND (Paul), L’homme pressé, Paris, Coll. L’Imaginaire. Gallimard, 1941. 5. KUNDERA (Milan), La Lenteur, Paris, Gallimard, 1995. 6. WOLTON (Dominique), Les contradictions de l’espace publics, Hermès, n°10, p.97-98, cité in DELEU (Christophe), Médias et nouvelles technologies : le journaliste pressé, les cahiers du journalisme n°5, décembre 1998.
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Mais publiée ou diffusée trop rapidement, l’information peut tout d’abord s’avérer inexacte ou approximative. D’autre part, toutes ces dépêches sont diffusées en temps réel sans que le journaliste ait réellement pris le temps d’analyser, de confronter et d’approfondir le sujet. Or, « la vérité (…) est rétive à toute immédiateté. Elle exige patience, regroupements, interprétation, mémoire. À ses yeux, la première impression est rarement la bonne. Mieux encore, la première impression qui échappe au crible de la raison critique n’a strictement aucun sens »1. On comprend donc que la vitesse voire l’instantanéité amènent à une opinion rapide, réactive mais non fondée, partielle et superficielle. Au final, le progrès a certes permis d’aller plus vite dans tous les domaines de notre vie, mais comme l’affirme Paul Virilio, « il n’y a pas d’acquis sans perte ». L’homme pressé de Paul Morand a perdu sa vie à courir après le temps sans jamais apprécier les moments qui s’offraient à lui. L’homme pressé dans sa version du XXIe siècle court lui aussi après le temps mais avec plus de possibilités encore pour accélérer la cadence. Les médias ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres pour montrer que la vitesse ne permet pas une réelle appropriation de ce qui nous entoure. Si l’on ne prend pas le temps pour comprendre, pour réfléchir à ce que l’on voit ou entend, pour faire des rencontres, pour découvrir le monde en profondeur, comme le laisse entendre Carl Honoré, on peut passer à coté de choses importantes. Dans son best-seller Éloge de la lenteur, celui-ci se confie d’ailleurs sur sa propre expérience à vouloir accélérer la cadence et donc faire plusieurs choses en même temps. Il nous montre alors ce qu’il en retire : « il y a cette malédiction de faire plusieurs choses à la fois. Accomplir deux « il y a cette malédiction de choses en même temps nous paraît si intelligent, si efficace, faire plusieurs choses à la fois. si moderne… Et pourtant, cela équivaut souvent à faire moins Accomplir deux choses bien les deux activités. Comme beaucoup de gens, je lis le en même temps nous paraît journal tout en regardant la télévision – et je constate que je ne si intelligent, si efficace, retire pas grand-chose de l’un et l’autre de ces occupations »2. si moderne… Et pourtant, cela Ainsi, cette volonté de vouloir faire plusieurs choses en même équivaut souvent à faire moins temps pour aller plus vite est devenue un phénomène de soPourtant cela revient plutôt comme on peut le voir ici bien les deux activités. » ciété. à privilégier la quantité à la qualité. Cependant pour pouvoir Carl Honoré s’en apercevoir, il faut prendre du recul sur ce que l’on fait, chose qui n’est pas donnée à tout le monde. Pour Jean Baudrillard, la vitesse nous conduit ainsi au vide : « La vitesse est le triomphe de l’effet sur la cause, le triomphe de l’instantané sur le temps comme profondeur, le triomphe de la surface et de l’objectalité pure sur la profondeur du désir. […] Triomphe de l’oubli sur la mémoire, ivresse inculte, amnésique. Superficialité et réversibilité d’un objet pur dans la géométrie pure du désert. »3
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Aujourd’hui, on peut donc constater que le temps social est de plus en plus soumis à la pression, à l’urgence. Pour les critiques de l’époque contemporaine, que l’on parle de postmodernité ou d’hypermodernité4, la vitesse est valorisée dans le cadre de notre société et ce qui prime maintenant, c’est l’immédiat, l’urgence, l’éphémère et l’événement. La qualité de vie qui fait suite à la modification de la perception du temps a donc changé. D’une part, de manière positive, puisque toutes les évolutions technologiques facilitent et améliorent notre vie au quotidien. Cependant ces évolutions et les changements de mentalité ont aussi rendu la pression temporelle toujours plus importante. L’homme tente maintenant de rester dans la course à l’accélération quitte à perdre la qualité des moments vécus en restant dans la superficialité et en restant dans le court terme sans se projeter vers l’avenir. Pourtant, à force de rentabiliser le temps au maximum, l’homme a aussi réussi à " gagner " du temps libre. Parallèlement, des lois ont été adoptées pour améliorer les conditions de vie des salariés avec l’apparition des congés payés dans un premier temps qui a encore une fois libéré du temps libre. Aussi, il s’agit maintenant de se demander que fait-on de ce temps libre " gagné " ? La pression subie au quotidien reste-t-elle la même ou est-ce que le temps libre nous permet de compenser la pression subie au quotidien et le stress engrangé afin de retrouver du temps pour soi ? Qu’en est-il du temps des vacances ?
1. GUILLEBAUD (Jean-Claude), Écoutez-voir, Arléa, Paris, 1996, p.17. cité in DELEU (Christophe), Médias et nouvelles technologies : le journaliste pressé, les cahiers du journalisme n°5, décembre 1998. 2. HONORÉ (Carl), op. cit., p.22. 3. BAUDRILLARD (Jean), Amérique, Paris, Grasset, 1986, p.12. 4. LIPOVETSKY (Gilles), Les temps hypermodernes, Nouveau Collège de Philosophie, Paris, Grasset, 2004.
Les congés payés Au XIXe siècle et pendant une partie du XXe siècle, de nombreux conflits sociaux ont incité à une législation de plus en plus favorable à la qualité de vie des salariés. En France, quelques dates historiques ont marqué l’avènement de la réduction du temps de travail : Tout d’abord, la loi votée en 1906 pour l’instauration du repos hebdomadaire, pour la journée du dimanche. Elle devait permettre au gouvernement d’apaiser des tensions sociales mais aussi religieuses. Historiquement, le repos dominical vient de la bible. Mais la Révolution abolit celui-ci en 1789. Il fut réintroduit lors de la Restauration, puis annulé une nouvelle fois le 12 juillet 1880. Le jour chômé était depuis décidé par le patron. En 1906, on réinvente donc le dimanche dans une perspective laïque. La loi repose sur deux valeurs nouvelles, inventées au XIXe siècle : le repos et la famille. En 1921, c’est au tour de la loi limitant le travail à 8 heures par jours et à 48 heures par semaines d’être votée. Par la suite, lorsque le Front Populaire gagne les élections, le 3 mai 1936, sa victoire provoque un mouvement de revendications chez les travailleurs. Plus de 2 millions de travailleurs se lancent alors dans une lutte pour de meilleures conditions de travail et l’ouverture de négociations avec le patronat lors de mouvements de grèves et occupations pacifiques des usines. Le 7 juin 1936, Léon Blum ainsi que la Confédération générale du patronat français (CGPF) et la Confédération générale du travail (CGT) signent les accords de Matignon. L’avancée sociale est importante : les conventions collectives tendent à se généraliser, les salaires sont augmentés de 12 %. Mais ce qui a surtout marqué l’histoire reste la limitation du temps de travail à 40 heures par semaine et l’instauration de deux semaines de congés payés par an. Pourtant, Jean-Didier Urbain relativise l’importance comme la nouveauté de cette invention des congés payés dans son ouvrage intitulé Les Vacances : « Cette loi s’inscrit dans un contexte de mécontentement populaire où priment d’autres revendications, politiques, sociales et économiques. Ce sont à des demandes liées à l’emploi et au travail et non aux loisirs que s’attache à répondre en priorité le gouvernement de Léon Blum »1. Ainsi, il note que ces congés payés ne sont pas réellement au centre des préoccupations, ni même des attentes des travailleurs français des années trente. De ce fait, l’impact touristique des congés payés de 1936 ne sera pas immédiat, il faudra attendre l’après guerre, voire le début des années cinquante pour que les vacances se démocratisent, et cela ne s’explique pas uniquement par la crise économique de cette époque. Jean-Didier Urbain explique que « cela tient aussi au fait que, pas plus que le théâtre, la pratique d’un sport ou la visite d’un musée, le voyage
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d’agrément n’est, pour l’heure, une forme de loisir culturellement intégrée par les mentalités populaires »2. Comme le note la philosophe Simone Weil, alors ouvrière chez Renault : « Une loi ne suffit pas à changer les comportements »3 ; et celle de 36 sur les congés payés n’échappe pas à la règle. À cette époque, ce temps libéré est un temps envisagé comme du temps de repos pour éviter l’usure des jours de labeurs de la classe populaire. Beaucoup d’entre eux restent chez eux, mais ils travaillent aussi au noir ou partent à la campagne pour aider leur famille encore en milieu rural. Bien conscient de cette résistance des mentalités, le Front Populaire revendique de nouvelles lignes politiques et sociales qui amènent la notion de tourisme populaire. Léo Lagrange, secrétaire d’État aux loisirs et aux sports, cherchera à changer les comportements et promouvoir ce nouveau droit au temps libre, aux loisirs et par extension au tourisme par diverses mesures incitatives (développement des auberges de jeunesses, création de billet de train à tarif réduit..). Les mesures concernant la diminution du travail se sont donc accompagnées de créations d’organismes divers capables d’aider les salariés à occuper leurs nouvelles plages de temps libérés (comme les associations de tourisme social). D’autre part, en France, avant 1936, les congés payés existent déjà pour certaines catégories professionnelles minoritaires (fonctionnaires, mineurs, employés de mairie, de banques ou de magasins, etc.). Par ailleurs, en votant cette loi, la France n’a fait que combler son retard sur de nombreux autres pays industriels. Dès 1871, l’Angleterre vote le Bank Holiday Act, loi sur les jours fériés dont le succès se traduira en une génération par l’invasion des plages Britanniques. Entre 1900 et 1930, les congés payés sont instaurés en Allemagne, Norvège, Pologne mais aussi au Chili ou au Brésil. Ainsi, d’un point de vue national ou international, l’idée des congés payés n’est pas nouvelle. Cependant, si l’année 1936 et la loi sur les congés payés n’ont pas été celles des grands départs en vacances des français, ni une grande nouveauté en soi comme cela persiste dans l’imaginaire collectif, Jean-Didier Urbain relève qu’avec cette loi, « le Front Populaire amorce une mutation profonde des concepts de loisirs et de vacances. Cette transformation est non seulement sociologique et politique mais aussi psychologique, car ces concepts apparaissent (…) non seulement comme l’extension d’un droit à tous, mais aussi comme un besoin universel et, surtout, comme une liberté rendue à tout un chacun »4. Cela devient le point de départ, en France, de toute une série de lois visant au bon encadrement des pratiques et à l’élargissement des congés « Toute personne a droit au repos payés, qui constituent un droit, tout comme le et aux loisirs et notamment à une stipule la Déclaration Universelle des Droits de limitation raisonnable de la durée du l’Homme de 1948 : « Toute personne a droit au travail et à des congés payés périodiques » repos et aux loisirs et notamment à une limita- Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
1. URBAIN (Jean-Didier), Les Vacances, Paris, Le Cavalier Bleu, 2002, p.9-10. 2. Ibid, p.10. 3. WEIL (Simone) cité in Ibid, p.11. 4. Ibid, p.14-15.
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tion raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques ». Ainsi, fixés à quinze jours à l’origine, les congés payés minimum obligatoires n’ont cessé de s’allonger par l’action législative : les troisième, quatrième et cinquième semaines de congés payés vont s’imposer grâce aux lois de 1956, 1968 puis 1982. Les congés payés ont donc progressivement contribués à l’évolution de la mentalité des Français en ce qui concerne le temps libre. D’abord envisagé comme un temps de repos ou permettant d’effectuer les tâches domestiques, il devient de plus en plus important par rapport au nombre de jours travaillés. Une place dans l’emploi du temps des Français est alors laissée au loisirs et en prolongement au tourisme. Par la suite, le passage aux 35 heures amène avec l’idée selon laquelle cela aurait entrainé une société de loisirs. Mais qu’en est-il vraiment de ce nouveau temps libre créé ? On peut se demander à quoi il est employé et quelles évolutions cela a entrainé dans la vie des Français.
Les 35 heures L’instauration de la semaine de 35 heures s’inscrit dans la continuité des lois de réduction de la durée légale du travail évoquées précédemment. Mise en place par le gouvernement Jospin à partir de l’année 2000, la durée légale du temps de travail passe de 39 à 35 heures en contrepartie d’une plus grande flexibilité des horaires. Si les effets escomptés d’une telle politique concernaient en premier lieu l’emploi et la baisse du chômage, la mise en application des lois Aubry sur la réduction du temps de travail (RTT) a modifié, par de nombreux aspects, le mode de vie d’un grand nombre de ménages français. Cela s’est traduit par une évolution du temps consacré à la durée de l’exercice professionnel des salariés, mais la RTT s’est par la même occasion répercutée dans la sphère des activités non contraintes associées au temps libre. Ainsi, le passage aux 35 heures a eu des conséquences sur la vie au travail, mais aussi sur la vie sociale, familiale et personnelle des salariés. En 2002, Jean Viard reprend un certains nombres de travaux initiés par la DATAR1 pour montrer que le temps de travail n’est plus le plus important, notamment avec les chiffres de Françoise Potier de l’INRETS2. Celleci rappelle que le temps de travail sur une vie était encore de 120 000 heures en 1948 (en 1950 les grandes politiques de démocratisation de la culture et du loisir, du sport et des vacances ont été mises en œuvre). Ainsi, le temps de travail est tombé à 70 000 heures en 1988 pour atteindre 63 000 heures aujourd’hui avec la RTT alors que notre durée de vie s’est allongée de 93 000 heures. Le temps de travail depuis la guerre a donc diminué de moitié et nous n’y consacrons plus en moyenne que 11 % de notre temps de vie.
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Avec ces constats, dans le temps d’une vie, le rapport temps de travail/ temps libre s’est donc inversé : la somme des heures consacrées à la vie professionnelle est inférieure à celle des heures de temps libre. Paradoxalement, les Français sont ceux qui disent manquer le plus de temps alors même que la France est le pays où la durée légale de travail est une des plus faible dans les pays Européens, surtout évidemment depuis la mise en œuvre des lois des réductions du temps de travail. Pour ce qui est des conditions de travail, avec l’apparition de la RTT et des 35 heures, la part du travail n’a pas évolué et elle semble même s’être intensifiée pour la plupart des catégories, y compris celles qui ont la possibilité de maitriser leurs horaires de travail. Lorsque les salariés ont bénéficié d’une réduction du temps de travail, les délais ont seulement été raccourcis, les objectifs accrus et les salariés ont du s’investir autant, mais en moins de temps. Ainsi, la RTT ne s’est pas traduite par une diminution " proportionnelle " de la charge de travail en terme d’horaire. Ce n’est donc pas surprenant que la majorité des études portant sur les modifications des conditions de travail intervenues à la suite de la mise en application de la RTT convergent pour mettre en évidence une dégradation des conditions de travail, mêlant intensification ou surcroît de flexibilité. L’étude de l’Évolution des temps sociaux au travers des enquêtes Emploi du temps s’interroge sur la réduction de temps de travail et les changements qu’elle apporte dans la société. Cette enquête met en évidence que « l’organisation des horaires journaliers ne semble pas avoir été bouleversée par la RTT, les principales modalités ayant consistées en l’attribution de demi-journées ou journées de congés plutôt qu’en un raccourcissement de la journée de travail »3. Aussi, la distribution de ce nouveau temps " gagné " ne s’est pas fait à l’échelle de la journée, les horaires sont restées les mêmes qu’avant. Les heures " gagnées " se récupèrent en étant regroupées en journées. Si bien que les Français ne perçoivent pas de changements importants au quotidien si ce n’est qu’ils peuvent ressentir une pression plus forte et plus de fatigue puisque le rythme de travail a augmenté. Par conséquent, les journées de repos qu’ils obtiennent en plus sont perçues comme une compensation normale à leur investissement plus intense. Pour ce qui est du temps libre, les lois sur les 35 heures n’ont pas été élaborées dans la même optique qu’en 36. Elles ont en effet été adoptées dans un esprit très différent, celui de créer des emplois. Il n’a donc pas été prévu d’accompagner le temps " gagné " par cette réduction de temps de travail par des aménagements d’offres de loisirs. Mais de toute manière, pour la majorité des personnes concernées par la RTT, le développement de nou-
1. Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale. 2. Institut National de Recherche sur les Transports et la Sécurité. 3. l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), « Évolution des temps sociaux au travers des enquêtes Emploi du temps », Économie et statistiques, numéro 352-353 « rubrique emploi du temps », 2002.
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veaux loisirs n’est pas ressenti comme la priorité. L’utilisation des ces jours de RTT est principalement mise à profit pour se reposer et « s’occuper de soi » (47 % des salariés), réaliser des tâches domestiques (47 % également), et s’occuper de ses enfants, petits-enfants ou parents proches (43 %)1. Peu de temps après de la mise en application des 35 heures, Jean Didier Urbain écrivait qu’« il semble, dans un premier temps du moins, que l’histoire se répète et que, comme en 1936, ce supplément de temps vacant provoque d’abord une intensification des tâches quotidiennes et une augmentation des loisirs habituels et de proximités »2. Ces suppositions se révèlent être en adéquation avec les statistiques. Toujours selon lui, le temps supplémentaire libéré n’allait donc pas se porter naturellement vers le tourisme, les voyages et les vacances mais il devinait déjà que les choses pouvaient rapidement évoluer. Aussi, dans la suite de l’enquête de 2004, après le repos et les activités familiales, les voyages, courts séjours et week-ends prolongés sont cités par 39 % des salariés et constituent le loisir le plus cité en terme d’accroissement pour l’utilisation du temps libéré par les 35 heures. D’autres types d’activités se détachent aussi en étant mentionnés par un salarié sur cinq : les activités sportives et de plein air, la cuisine, le jardinage et le bricolage et, enfin, les rencontres et sorties entre amis. Ce qu’il est tout de même important de noter, c’est que la plupart des activités mise en avant par les résultats de l’enquête ne sont pas des temps qui permettent de se reposer comme le souhaitaient les Français. Bien que ces activités soient plaisantes, elles n’en demeurent pas moins intenses et ne s’apparentent par conséquent pas à un temps vacant moins fatigant. Le nouveau temps libre " gagné " n’est donc pas de tout repos. Pour conclure, le bilan de la réduction du temps de travail apparaît mitigé. En moyenne, si on retrouve un sentiment d’amélioration de la vie quotidienne hors travail (59 % des salariés pensent que les effets de la RTT sur leur vie quotidienne ont plutôt été « dans le sens d’une amélioration », 13 % plutôt « dans le sens d’une dégradation », 28 % considérant que « cela n’a rien changé »), le bilan concernant les conditions de travail est plus nuancé voir même négatif car cela a engendré une pression temporelle plus importante.
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1. PÉPIN (Michel) et MAUFROY (Myriame), « Les effets de la RTT dans les CAF, résultats d’une enquête menée auprès de salariés », Recherches et previsions n° 78, décembre 2004. 2. URBAIN (Jean-Didier), op. cit., p.83.
Porosité du temps de travail et du temps libre En s’affranchissant du temps naturel, la période de l’industrialisation avait permi de suivre une organisation temporelle se structurant autour du travail avec des temps bien définis pour l’ensemble de la société. Le temps industriel offrait une coupure nette dans les rythmes de vie, notamment entre les temps de travail et les temps libres. Mais l’uniformisation des temps individuels de travail a, avec la réduction du temps de travail, progressivement cédé sa place à des temps multiples, différents pour chacun. Cela s’est traduit par une désynchronisation des calendriers et des horaires quotidiens. La journée et la semaine de travail sont devenues plus flexibles et plus irrégulières pour les salariés et les temps sociaux plus morcelés. De nos jours, comme le souligne Simonetta Tabboni, « quelques-unes des caractéristiques les plus marquantes du temps industriel [...] sont en train de disparaître. La diminution progressive du taylorisme dans l’organisation du travail s’accomde la fin des horaires communs à tous. La multiplication « le temps de travail commence à pagne des ordres temporels provoque également la chute de cers’insinuer dans le temps libre et taines frontières réputées infranchissables entre les temps inversement, en mélangeant des sociaux : le temps de travail commence à s’insinuer dans le mondes symboliques différents. » temps libre et inversement, en mélangeant des mondes symSimonetta Tabboni boliques différents. »1 La porosité des temps se caractérise en particulier par des situations de superposition et d’interférence entre les temporalités professionnelles et personnelles. Ce débordement du travail sur la sphère privée est devenu un phénomène relativement courant et est le reflet de nouvelles tendances. On peut par exemple le voir avec les nouvelles technologies de communication qui abolissent l’obligation d’être en un lieu particulier pour travailler, ou encore avec l’utilisation de l’ordinateur professionnel à des fins personnelles, du téléphone portable qui induit l’accès à la vie privée à n’importe quel moment, etc. Durant ces dernières années, il faut aussi noter une accélération du rythme de ces évolutions technologiques et organisationnelles qui contribuent à brouiller toujours plus les frontières entre les différentes sphères d’activités (travail, famille, loisirs, formation). Il en résulte que l’individu ne doit plus uniquement gérer son temps de travail, mais aussi les articulations entre les différentes temporalités, bien souvent en contradiction (temps de la famille, de travail, horaires de crèches, etc.). Ces évolutions concourent au développement de pressions temporelles importantes.
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Dans la même logique, du fait que le temps hors-travail n’est plus imperméable au temps de travail, le stress devient alors difficile à évacuer : certains salariés confirment avoir besoin de temps pour décompresser après leur journée de travail, d’autres réfléchissent encore à leur dossier une foi rentrés chez eux, etc. De même, Jean Viard rajoute que « la durée réelle du travail est d’ailleurs de plus en plus difficile à mesurer dans nombre de métiers, et encore plus avec l’internet et le téléphone portable. Dans une enquête effectuée auprès de cadres, on leur demandait : « Quand avez-vous eu votre meilleure idée de la semaine ? » 60 % répondait : « sous la douche »2. Lors d’un entretien réalisé pour une enquête sur l’utopie du temps choisi, un salarié allait jusqu’à affirmer : « Je ne vois pas de changement suite aux 35 heures, je suis 20 jours de plus chez moi mais j’en passe peut être 10 à récupérer et le restant de l’année, je suis plus stressé, et en congé, j’ai l’esprit qui est préoccupé et ce n’est pas confortable. » Avec cet exemple, on voit que même les jours de repos ou de congés, permettant normalement aux salariés de souffler et de récupérer, ne suffisent plus à se couper du monde du travail, comme le déplore encore un autre salarié : « Même en vacances, je passe des mauvaises semaines. Si je suis à la maison, je suis en vacances mais je suis au boulot »3. Par conséquent, les préoccupations du travail qui envahissent la sphère privée mettent en évidence le problème de nombreuses personnes qui ne parviennent plus à mettre suffisamment de distance entre les différents temps et à s’affranchir de la pression vécue sur le lieu de travail pendant leurs temps libres et leurs vacances. Cette imbrication croissante des différentes temporalités associée aux pressions temporelles qui augmentent, nous conduirait même, selon Robert Rochefort, directeur-général du CRÉDOC4, vers le modèle de l’entrepreneur. En effet, chacun étant responsable de ses compétences et qualifications, mettrait à disponibilité ses temps de congés et de vacances, uniques périodes non fractionnées, pour compléter ses acquis, lire des ouvrages professionnels, ou approfondir sa formation.
1. TABBONI (Simonetta), Les temps sociaux, Paris, Armand Colin, 2006 cité in DAMHUIS (Lotte), le rapport au temps aujourd’hui, 2008. 2. VIARD (Jean), Éloge de la mobilité, essai sur le capital temps libre et la valeur du travail, Paris, Aube, 2006, p.32. 3. Lionel Jacquot et Nora Setti, « Les ambivalences des 35 heures dans un organisme de sécurité sociale ou l’utopie du temps choisi », Temporalités, [En ligne], 4 | 2006, mis en ligne le 07 juillet 2009, consulté le 04 janvier 2012. URL : http://temporalites.revues.org/324 4. Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie.
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Une société hyperactive À partir de l’enquête Emploi du temps de L’Insee, « En 13 ans, moins de temps contraints et plus de loisirs », réalisée en 1999, Françoise Dumontier et JeanLouis Pan Ké Shon, qui ont dirigés cette étude, distinguent dans leur description des activités quotidiennes, quatre temps qui rythment la journée des Français. Le temps physiologique, tout d’abord, qui est consacré à dormir, se laver, manger, etc. occupe environ la moitié de la journée. On retrouve ensuite le temps de travail ou d’étude qui est variable selon les actifs ou inactifs. Enfin, les deux derniers temps sont le temps consacré aux travaux domestiques tels que le ménage, les courses et le temps des loisirs qui comprend la télévision, la pratique d’un sport, la lecture… Ils remplissent respectivement quatre heures et quatre heures et demi de la journée. L’étude a analysé les évolutions du temps moyens des activités de la journée entre 1986 et 1999. Pendant cette période, on constate la diminution globale du temps de travail d’environ un quart d’heure pour atteindre en moyenne un peu moins de trois heures et demie par jour. Le temps physiologique ainsi que le temps domestique restent stables, ils ne diminuent respectivement que de 2 et 4 minutes par jour. Les évolutions sont donc faibles, mais la baisse de la durée du travail permet néanmoins un allongement significatif du temps libre d’une demi-heure par jour en moyenne pour l’ensemble de la population. Ce sont le temps de travail et le temps libre qui ont donc connus les plus grands changements pendant ces 13 années. Si l’on se réfère aux chiffres relevés par Jean Viard (cf. Les 35 heures), cela devient encore plus probant : alors que le temps de travail a été réduit de moitié, le temps libre a lui été multiplié par cinq en moins d’un siècle.
Dès lors, on pourrait conclure à l’amélioration de la qualité de vie des français puisqu’ils bénéficient de plus de temps pour eux. Pourtant, dans l’enquête « les pratiques culturelles des français » réalisée en 1997, lorsque l’on posait la question : « diriez-vous que pendant votre temps libre, vous
39 manquez de temps pour faire tout ce que vous avez envie ? », 39 % des personnes interrogées répondaient positivement2. Ce pourcentage était encore plus élevé pour les professions intellectuelles supérieures, se situant largement au dessus de la moyenne. De plus, enquêtes après enquêtes, il semble que le sentiment de manquer de temps croisse chez les Français3. Ce constat paraît d’autant plus étonnant que les français n’ont jamais autant bénéficié de temps libre et pourtant il semble encore leur en manquer pour faire tout ce qu’ils prévoient de faire pendant ces temps. On voit bien que la relation au temps constitue un véritable problème et semble de plus en plus problématique malgré l’augmentation du temps libre. Pour comprendre ce paradoxe, il est d’abord important de ne pas confondre le temps hors travail, ou le temps libéré avec du temps libre ou de loisir. Le temps libre, au-delà du temps libéré du travail, est aussi le temps dégagé des contraintes liées aux études, à la santé, aux démarches administratives et aux activités ménagères quotidiennes. L’enquête Emploi du temps 2010 de l’Insee précise que le temps libéré par la diminution du temps de travail ne se reporte pas intégralement sur des activités extra– professionnelles. Par exemple, pour les personnes ayant un emploi, les trajets domicile-travail ont augmenté de 7 minutes en moyenne depuis 1999. Par ailleurs, l’organisation temporelle des tâches domestiques s’effectue sur le temps dégagé par la RTT pour 42 % des salariés interrogés en 2002.
1. DUMONTIER (Françoise), PAN KÉ SHON (Jean-Louis), « En 13 ans, moins de temps contraints et plus de loisirs », Insee Première n° 675, octobre 1999. 2. DONNAT (Olivier), « Les pratiques culturelles des Français », Enquête 1997, DEP, Ministère de la Culture, La Documentation française. 3. DONNAT (Olivier), « les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique ». Enquête 2008, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, DEPS/La Découverte, 2009.
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Aussi, l’étude de l’Insee de 2002 parue dans le numéro 352- 353 d’économie et statistiques1 explique que l’évolution de la répartition entre le temps de travail et le temps libre qu’a connu la population dans les années 90 n’est pas uniforme selon les catégories sociales. Les chiffres globaux masquent une répartition du temps de travail de plus en plus inégale : le temps libre s’est par exemple accru de 37 minutes pour les personnes inactives alors qu’il n’a augmenté que de 8 minutes pour les actifs. Si l’on se concentre sur des tranches plus précises de la population, on s’aperçoit qu’il existe des disparités entre le temps de travail des français. De même, l’occupation du temps libre se révèle différente selon la catégorie sociale. Alain Chenu et Nicolas Herpin soulignent que les plus diplômés travaillent désormais le plus longtemps. « Si bien que ce sont maintenant les milieux populaires qui bénéficient de plus de temps libre, alors que jusqu’en 1974, les loisirs apparaissaient comme un privilège des classes aisées. Mais le contenu des loisirs des chômeurs et des plus défavorisés est bien différent, laissant une place de choix à la télévision »2. L’étude met de ce fait en évidence des différences dans la manière de remplir ces temps libres. La suite de l’analyse fait apparaître que « [...] les activités de loisirs sont plus nombreuses et plus denses chez les actifs occupés, et ce, de manière croissante avec le diplôme, la catégorie sociale et le temps de travail : les personnes socialement et culturellement les mieux dotées cumulent activités professionnelles, sportives et culturelles en réduisant le temps consacré aux activités dites passives (sommeil, télévision). [...] Au contraire, le temps consacré aux loisirs plus quotidiens, plus « interstitiels », tel que la télévision, certains loisirs de plein air, ou les semi-loisirs (bricolage, jardinage), semble s’étendre à mesure de l’allongement du temps libre. » Dans les deux cas, on observe pourtant une volonté de combler le temps libre disponible en densifiant, multipliant et en cumulant la pratique des activités, augmentant ainsi le rythme de vie des français et donc l’impression de manquer de temps. Aussi, pour les actifs, Alain Degenne, Marie-Odile Lebeaux et Catherine Marry, tous trois chercheurs au CNRS, mettent en évidence qu’un rythme d’activités soutenu permet d’accroître leur nombre3. À titre d’exemple, les hommes actifs réduisent le temps passé devant la télévision et écourtent un peu le temps des repas pour permettre de faire d’autres activités. Tous les autres temps augmentent avec le nombre des activités. Ces activités sont plus nombreuses mais elles s’accompagnent également d’un rythme plus soutenu, de changements plus fréquents. Ainsi, dans la société contemporaine, les nouveaux temps libres dégagés deviennent du temps à consommer, bien souvent par l’accumulation des différentes activités pour éviter des temps morts. Cette agitation perpétuelle et la volonté de remplir la moindre parcelle de temps que nous avons sont sans doute en relation avec la peur du vide. Comme le disait déjà Blaise Pascal en 1979 : « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos, dans une chambre »4.
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L’imbrication des activités les unes dans les autres, la tendance à faire plusieurs choses en même temps bien que l’on rencontre des difficultés à les positionner prioritairement les unes par rapport aux autres, etc. tous ces phénomènes font de notre société, une société hyperactive. De plus, ils contribuent à remplir encore plus nos agendas et nos journées et augmentent par conséquent la fatigue, le surmenage et notre sentiment de ne pas avoir assez de temps pour tout faire en 24 heures. Si l’on considère que pour de nombreuses personnes, une partie du temps libre est désormais consacrée aux vacances et au voyage, il s’agit à présent de voir comment ce temps, normalement propice à la détente, est employé.
1. l’Insee, « Évolution des temps sociaux au travers des enquêtes Emploi du temps », Économie et statistiques, numéro 352-353 « rubrique emploi du temps », 2002. 2. Ibid. 3. DEGENNE (Alain), LEBEUX (Marie- Odille), MARRY (Catherine), « Les usages du temps : cumuls d’activités et rythmes de vie », Économie et statistique, numéro 352-353 « rubrique emploi du temps », 2002. 4. PASCAL (Blaise), Pensées, in Œuvres complètes, Paris, Le Seuil, « L’intégrale », 1963, L136, B139, p.516.
Qu’a-t-on fait du voyage ? De l’apparition des congés payés à nos jours, le tourisme s’est massivement développé. Ainsi, une partie de notre temps libre est maintenant prévu pour partir en voyage pour bon nombre de Français. Il paraît légitime de se demander comment l’individu envisage le temps des vacances et du voyage. En effet on a déjà vu que l’homme moderne rencontrait des difficultés à distinguer l’important de l’urgent et à ne pas laisser entrer le temps social contraint dans le temps libre. En étant soumis à la pression de ces imbrications des temps, mais aussi à toutes les contraintes du quotidien, à la den« en matière de vacances, sification du nombre d’activités qu’il souhaite réaliser pendant le modèle du temps libre de ce temps libre, le voyage semble être un bon moyen pour pourepos inactif, décompression, voir décompresser et se détendre en envisageant de réduire la temporelle. Pourtant, si l’on considère, comme on l’a vu de l’individu fatigué, cède la place pression précédemment, que la modernité s’exprime par la vitesse, l’insà un modèle de temps libres tantanéité et l’urgence, il va presque de soi que le voyage moactifs, alternatif à l’hyperactivité derne y est également soumis. Pour Jean Viard, « en matière de professionnelle.(…) Des temps vacances, le modèle du temps libre de repos inactif, décompreslibres quasi stressés se battent sion, de l’individu fatigué, cède la place à un modèle de temps avec le stress du travail. » libres actifs, alternatif à l’hyperactivité professionnelle. (…) Des Jean Viard temps libres quasi stressés se battent avec le stress du travail. »1 Emporté par la vague de vitesse qui déferle sur nos vies, le temps du voyage semble ainsi de plus en plus s’apparenter à une course pour de nombreuses personnes. Bien évidemment ce n’est pas non plus le cas de tout le monde, les comportements humains n’étant pas homogènes en la matière. Mais cette pratique semble tout de même rependue. Avec l’accroissement du temps libre et la démocratisation des moyens de transports rapides, le voyage s’est banalisé et a évolué. C’est le tourisme de masse qui a pris le relais. Aussi, avec cette banalisation, le touriste est devenu un voyageur dévaPour Jean Didier Urbain, « touriste n’est pas un mot sans « touriste n’est pas un mot sans lué. arrière-pensée. Péjoratif, il dépouille dans l’instant le voyageur arrière-pensée. Péjoratif, il dépouille de sa qualité principale : voyager. Sur ce point le préjugé ordidans l’instant le voyageur de sa naire est formel : le touriste ne voyage pas. »2. Ainsi, dans l’imaqualité principale : voyager. ginaire collectif, le touriste est « l’idiot du voyage », selon la Sur ce point le préjugé ordinaire formule de Jean-Didier Urbain. Cela est pourtant paradoxal car, est formel : le touriste ne voyage pas. » « tout le monde pratique le tourisme, les explorateurs comme Jean-Didier Urbain les adeptes du " tout compris ", les intellectuels comme les
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autres. Mais il ne faut pas oublier que le touriste c’est toujours l’autre »3. Cela prouve bien à quel point le tourisme a mauvaise presse, d’autant plus qu’on y voit généralement une pratique vulgaire de consommation de masse. Pourtant la définition du dictionnaire « personne qui se déplace pour son plaisir » et celle donnée par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) « activités de personnes voyageant vers des endroits à l’extérieur de leur milieu habituel et séjournant dans ces endroits pendant moins d’une année consécutivement à des fins de loisir, d’affaires ou à d’autres fins » sont plutôt neutres. Ainsi, pour expliquer ce phénomène, c’est peut être dans la manière d’agir et de se comporter du touriste qu’il faut chercher le problème. Celui-ci reproduit en effet son comportement de tous les jours (accélération, urgence,…) en cherchant à visiter les sites les plus touristiques et assez rapidement pour n’en voir que les clichés. De plus, la publicité touristique joue un rôle pervers. Elle fait miroiter l’authenticité du voyage, mais provoque aussi une importante circulation touristique qui précipite les touristes aux mêmes endroits, ce qui accentue l’image défavorable de ceux-ci. Les photographies de Martin Parr de la série Small World (1986-2005) montrent bien le contraste entre l’attente du voyage et la réalité. Martin Parr y fait apparaître la globalisation, la standardisation, les comportements consuméristes, le soi-disant temps libre et le monde rétréci du tourisme de masse. On peut en effet voir sur ces photographies, des tribus de touristes dont les vêtements trahissent leur nationalité. Ceux-ci sont embrigadés par un touropérateur à la recherche de bibelots ou du monument qui doit leur servir de toile de fond pour leur pause photo. On est donc loin du voyageur tel que Nicolas Bouvier qui avait une manière de concevoir le voyage aux antipodes du tourisme actuel. Sa façon de vivre, en laissant place à l’imprévu et aux contacts spontanés, était la garantie d’une authentique découverte de la culture des autres. L’attitude qu’il défendait était plutôt celle du nomade soumis aux aléas de la route et du temps. Aujourd’hui la garantie d’un voyage réussi tiendrait, à l’inverse, plutôt au fait de maitriser son temps et ses découvertes avec un planning
1. VIARD (Jean), Éloge de la mobilité, essai sur le capital temps libre et la valeur travail, Paris, Aube, 2006, p.50. 2. URBAIN (Jean Didier), L’idiot du voyage, histoire de touristes, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2002, p.16. 3. MICHAUD (Yves), propos recueillis par Emmanuel de Roux, « Il ne faut pas oublier que le touriste c’est toujours l’autre… », Le Monde, paru dans l’édition du 12 août 2005. Image. Martin Parr, L’Acropole d’Athènes, Grèce, Magnum photos, 1991.
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surbooké. Les rythmes sociaux se répercutent donc sur le temps des loisirs. Pour tenir la cadence rapide, le touriste se contente souvent de suivre son guide touristique et d’aller vérifier sur place ce qu’il a déjà pu lire ou voir en photo. Aussi il s’en tient souvent aux clichés. En 2011, une campagne TV conçue par l’agence BDDP pour le Guide du routard a choisi de dénoncer par l’humour les clichés souvent associés aux destinations. Dans ce spot on voit donc, pour représenter les pays, les footballeurs argentins, les canapés suédois, les charmes de la danse brésilienne, les manifestations françaises, puis le slogan « quand on s’arrête aux clichés, on ne va jamais très loin ». Le message est, bien sûr, qu’il faut découvrir le monde l’esprit ouvert, sans a priori et en dépassant les clichés. Si pour le Guide du Routard, le touriste doit apprendre à dépasser les clichés et activités plébiscitées par les groupes de touristes, une autre campagne est allée encore plus loin en osant proposer un « manifeste pour un nouveau tourisme… et un nouveau touriste ». L’agence Beaurepaire, à l’origine de cette campagne pour la région Bourgogne, s’est amusée à jouer sur la connotation négative du touriste en affirmant qu’« en Bourgogne, il n’y a pas de touriste ». Le président de Bourgogne Tourisme, Didier Martin, affirme en effet qu’avec la « no tourist attitude », « il n’est pas seulement question de consommer ». Le dossier de presse présentant cette campagne développe cette idée : il n’est pas question de consommer mais de ressentir et cela passe par le fait de retrouver des rythmes oubliés1. On en reviendrait donc aux rythmes trop rapides des touristes qui ne prennent pas suffisamment le temps pour découvrir un territoire en profondeur.
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Le transport, apologie de la vitesse : arriver à destination sans plus voyager ? Le rythme du déplacement tient d’abord aux moyens de transports utilisés : on ne voyage pas de la même façon, à pied, à cheval ou en voiture ; on ne circule pas non plus de la même manière selon les époques. Interviewé en 2004 par Giairo Daghini, Paul Virilio explique que le déplacement comprend trois phases : « le départ, le voyage et l’arrivée ». Pour lui, ces trois moments sont importants. Le départ est l’instant ou l’on décide de se rendre dans un lieu, c’est le point de départ pour tout le périple. Pour le voyage, le philosophe commence par prendre l’exemple des voyages des pèlerins, de Marco Polo ou de ceux de l’époque du XVIIIe siècle qui duraient une longue période. L’arrivée était donc en ces temps là « un événement considérable en soi (…) après trois mois de chemin à pied ». Dans la suite de son interview, il estime qu’avec la révolution des transports, le voyage n’est plus qu’« une sorte d’intermède entre chez soi et sa destination ». Pour démontrer que le voyage a disparu, il explique « qu’à partir de l’invention du train, par exemple, le voyage perdra sa capacité de découverte du monde pour devenir une sorte de moment à passer dans l’attente d’arriver à destination. Avec la révolution des transports aéronautiques, on s’apercevra que le départ et l’arrivée continuent à exister mais que le voyage n’existe absolument plus. La démonstration est donnée par le fait que l’on dort dans le train et dans l’avion et que sur les lignes aériennes de longue distance, on projette des films pour remplir cet intermède »2. Paul Virilio stigmatise donc les effets des déplacements rapides de l’ère contemporaine en estimant qu’avec les transports rapides, le voyage n’est finalement plus qu’un temps d’attente entre deux lieux et n’est donc plus vecteur de découverte. Sur ce point, Hartmut Rosa rejoint le philosophe. Il considère que ces moyens de transports ont permis une rapidité et une proximité qui semblent extraordinaires, mais en optant pour la vitesse cela implique la réduction des choix pour profiter d’un voyage. Il donne à titre d’exemple l’autoroute : « on ne visite plus le pays traversé, on réduit le pays à la standardisation des restoroutes et des symboles abstraits »3. On n’a donc plus la possibilité de voir le pays traversé, que ce soit parce que le touriste considère à présent que ce temps de déplacement pour aller d’un lieu à l’autre peut servir à autre chose en le rentabilisant. Ou parce que les voies empruntées ne permettent simplement plus d’avoir une vision du pays et de le découvrir par l’aménagement du territoire standardisé et qui est donc identique à chaque parcours. Ce temps de déplacement ne signifierait donc plus le début du voyage et donc de la découverte.
1. Dossier de presse, « En Bourgogne, il n’y a pas de touriste. Manifeste pour un nouveau tourisme... et un nouveau touriste. », [En ligne], consulté le 24 septembre 2011, URL : http://www.bourgogne-tourisme-pro.com/fic_bdd/pdf_fr_fichier/13014710640_ Dossier_de_presse_tourist_or_not_tourist.pdf 2. VIRILIO (Paul), « Dromologie, logique de la course », Entretien avec Giario Daghini, op. cit. 3. ROSA (Hartmut), op. cit. image. B adge « je ne suis pas un touriste » (répondant à « Tourist or not tourist ? »), tirés à 10 000 ex, diffusés avec les magazines dédiés à la campagne, en gare de Lyon par les hôtesses fin mars 2011, et dans la pochette mensuelle Wombat, avec un flyer.
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Mais certains voyages prennent valeur de résistance dans la mesure où ils utilisent à contre-emploi les voies de circulation à grande vitesse pour instaurer une autre façon de percevoir les lieux. On peut prendre l’exemple de l’écrivain argentin Julio Cortazar et de sa femme Carol Dunlop. Au printemps 1982, ils décidèrent de faire un voyage d’un mois en camping car sur l’autoroute A7 entre Paris et Marseille avec comme unique contrainte de s’arrêter sur toutes les aires d’autoroutes et d’observer. Ils faisaient ainsi deux arrêts par jour sur les 65 parkings de l’autoroute sans jamais la quitter. Un livre, Les Autonautes de la Cosmoroute relate leur expérience à la manière de grands explorateurs s’inventant un autre temps en plein cœur de la vitesse. Cet exemple plutôt insolite nous démontre que le voyage reste possible tout en utilisant des voies rapides. Ce n’est donc pas seulement les moyens de transport qu’il faut remettre en question, c’est le comportement de chacun face à la vitesse et la rapidité qu’il faut questionner. Pour Michel Onfray, dans son livre intitulé Théorie du voyage : Poétique de la géographie, les modes de transport rapides (tel que l’avion dans son exemple) transforment le voyage d’antan mais génèrent une autre façon de voyager (positive). « La chance de la modernité, c’est qu’elle permet de choisir son propre rapport au temps, elle n’oblige pas - au contraire du passé, et pour cause, qui contraignait en regard de ses limites. »1 Cependant, il faut être prudent avec l’affirmation de Michel Onfray. Certes, chacun à la possibilité de choisir son rapport au temps et, comme il le sous-entend, chacun a le choix de son mode de transport. Mais, actuellement, ce choix s’est plutôt transformé en un automatisme comme pourrait venir l’illustrer le photomontage Flughafen, de Ho-Yeol Ryu datant de 2005. Aussi, cela vient se confirmer avec l’enquête Vacances de l’Insee2. Elle met en évidence une modification dans la répartition des parts des différents moyens de transports, favorisant l’utilisation des modes de transports les plus rapides. L’avion est ainsi devenu le deuxième moyen de transport des longs séjours de vacances, juste derrière la voiture mais devant le train qui a vu diminuer sa part de marché. Cela s’explique certainement par le développement des compagnies low cost mais aussi parce que le touriste veut arriver toujours « on peut dire que les voyages plus vite à destination. Le tourisme n’échappe donc pas à cette de la vitesse et de l’impatience. ont perdu leur charme lorsqu’on tyrannie Avec ce constat, le sociologue Rodolphe Christin, auteur a commencé à choisir ses desti- du Manuel de l’anti-tourisme, rajoute qu’« on peut dire que les nations en fonction des prix du voyages ont perdu leur charme lorsqu’on a commencé à choisir billet d’avion, et non par désir ses destinations en fonction des prix du billet d’avion, et non de se rendre dans telle par désir de se rendre dans telle ou telle région du monde »3. ou telle région du monde. » On en reviendrai donc aux premiers constats établis par Virilio Rodolphe Christin ou Hartmut Rosa. Pour les voyageurs, le trajet n’est plus qu’un
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moyen plus ou moins rentable (temps et argent) pour se rendre à la destination de ses vacances et même ici la destination ne semble plus avoir grand intérêt. De manière générale, on arrive donc à destination sans plus voyager. Enfin, l’écrivain nous rappelle que ce tourisme de masse reste avant tout une industrie, de ce fait il considère que « d’innocents touristes, nous sommes devenus - sans doute malgré nous - de nouveaux missionnaires, les représentants VRP d’un autre modèle de société. L’avion impose sa loi. En quelques années, le tourisme est devenu la première industrie mondiale, devant l’agroalimentaire, l’armement, la pétrochimie, etc. Tourisme pratiqué par à peine 5 % des habitants de la planète... »4. Ainsi, le touriste peut être vu comme une victime du système et c’est en partie grâce à l’avion (ou à cause) que ce tourisme de masse s’est répandu. Finalement, on peut dire que les déplacements rapides rendus possibles par les moyens de transports que nous connaissons ont réduit le trajet à un simple temps d’attente qui n’est plus propice à la découverte. Ce comportement est induit par notre société actuelle, ses valeurs et le (non)choix quasi systématique qui nous incitent à privilégier la vitesse de ces transports. Mais nous gardons toujours la possibilité de changer ce fait en modifiant notre manière d’appréhender le déplacement, en considérant qu’il compte autant que le séjour à proprement parler et de ce fait qu’il peut déjà nous permettre de faire des découvertes.
Une logique de rentabilité : en voir le plus possible en un minimum de temps En France, les vacances sont de plus en plus fractionnées du fait de l’assouplissement de l’organisation du temps de travail plus flexible et la mobilité croissante. Les enquêtes de l’Insee montrent que le nombre et la durée des séjours ont changé : plus nombreux (passant de 1,7 dans les années 1979 à 2,2 en 2004), ils deviennent alors plus courts (d’une vingtaine de jours en moyenne à une douzaine de jours) sur la même période. Ces deux évolutions sont étroitement liées. Dans le contexte des 35 heures, les français ont modifié leurs comportements touristiques. Ils n’attendent plus les congés d’été ou d’hivers et utilisent à présent leur jours de congé supplémentaires pour prolonger leur weekend d’un ou deux jours pour partir à proximité de chez eux. Les agences de voyages ont donc adapté leurs offres. Elles proposent ainsi plus d’escapades de deux à trois jours et vendent plus de courts séjours tout au long de l’année au détriment de celle des longues vacances d’été.
1. ONFRAY (Michel), Théorie du voyage : Poétique de la géographie, Paris, Biblio Essais, Le Livre de Poche, 2006, p.77. 2. Insee, enquête Vacances réalisée dans le cadre des enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages, 2004. 3. CHRISTIN (Rodolphe), Manuel de l’anti-tourisme, Montréal, Éditions Écosociété, 2010, p.10. 4. Ibid. Image. Ho-Yeol Ryu, Flughafen, 2005.
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Il en résulte que le touriste dispose de moins de temps lors de ces différents séjours alors qu’il ne cherche pas forcément à réduire le nombre de ses visites dans le temps imparti. On assiste donc au phénomène de compression ou de densification de son temps de vacances que l’on a déjà pu observer dans le milieu professionnel. Le but du touriste est de parvenir à en voir autant sinon plus en un minimum de temps. En attestent les nombreux guides touristiques qui aident le touriste à faire les visites des sites " incontournables " au pas de course. Par exemple les guides pratiques Aller-retour de Gallimard permettent de faire des séjours éclairs (« 35 informations et conseils, 47 hôtels, 53 sorties... »). Le même constat peut être fait avec les circuits touristiques et les voyages organisés : c’est le taylorisme appliqué au tourisme. En effet, il s’agit de montrer au touriste le maximum de choses en un minimum de temps pour que celui-ci ait l’impression d’en avoir eu pour son argent. On peut finalement se demander si le fait de vouloir en voir toujours plus ne reviendrais pas à en voir moins. Cette logique de rentabilité amène à privilégier la quantité au détriment de la qualité.
Vers une perte de qualité des moments vécus « À force de vouloir tout voir, le touriste - voyageur ne voit finalement plus rien. […] trop de voyages tuent le voyage : n’est-ce pas en courant ‘sans arrêt’ après le temps et dans l’espace qu’on voyage le moins ? La flânerie disparaît au profit… du circuit aussi stressé que pressé, une ’nouvelle’ forme de mobilité bien à l’image de nos contemporains. » Frank Michel
Pour Frank Michel, le constat est clair : « À force de vouloir tout voir, le touriste- voyageur ne voit finalement plus rien. […] trop de voyages tuent le voyage : n’est-ce pas en courant ‘sans arrêt’ après le temps et dans l’espace qu’on voyage le moins ? La flânerie disparaît au profit… du circuit aussi stressé que pressé, une ‘nouvelle’ forme de mobilité bien à l’image de nos contemporains. »1. Le comportement du touriste continue à se baser sur une logique de rentabilité, d’efficacité, d’économie de temps. Sans toutefois en faire une généralité, l’hyperactivité que l’on retrouve dans la vie de tous les jours peut donc se prolonger pendant le temps des vacances. Ainsi tous les constats déjà établis auparavant se retrouvent dans le temps du voyage. Il peut s’agir du sentiment de manquer de temps pour pouvoir tout faire, d’individus sous pression, l’accumulation d’activités en tous genres pour avoir l’impression que son séjour a bien été rentable… Le touriste survole son voyage et ne va pas au fond des choses, ses découvertes restent superficielles et ne s’attachent qu’aux clichés. La vitesse empêche donc la découverte en profondeur et nous force à constater qu’il y a une perte de qualité des moments vécus. Par ailleurs, si le voyageur veut pouvoir faire toutes les choses qu’il prévoit, il faut qu’il s’organise, définisse les étapes de son voyage avant même de partir. Impatient de faire ce qu’il a prévu dans son planning, son voyage devient donc imperméable aux imprévus qui peuvent survenir. Pourtant c’est souvent grâce au hasard qu’on fait les meilleures découvertes comme en faisait part Nicolas Bouvier dans son célèbre roman L’Usage du Monde :
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« En route, le mieux c’est de se perdre. Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors, mais alors seulement, que le voyage commence »2. Aussi en cheminant de standard en standard, de guichet en guichet et en planifiant tout le voyage, celui-ci devient l’inverse de la découverte spontanée que chacun souhaite voir s’accomplir lors de son séjour. Enfin, il peut aussi y avoir le risque que le touriste ne découvre son voyage qu’au moment ou il transfère ses photos sur son ordinateur. Beaucoup de personnes ont d’ailleurs écrit à ce sujet. Pour Jean Delacour, « les touristes découvrent sur leurs photos les sites qu’ils avaient renoncé à regarder pour trouver le temps de les prendre ». Pour Jean Dutourd, la photographie est avant tout une preuve du déplacement pour pouvoir ensuite montrer à son entourage qu’on était bien dans tel ou tel pays : « Les touristes ont horreur de regarder. L’appareil regarde pour eux. Quand ils ont fait clic-clac, ils sont apaisés, ils ont amorti leur voyage. Les piles de photos qu’ils conservent sont autant de diplômes certifiant qu’ils se sont déplacés. » Enfin pour Olivier Burgelin, auteur du Touriste jugé, « le touriste ne regarde - quand il le voit ! - que superficiellement le pays qu’il visite. Il ne l’explore que d’un œil : celui de son appareil photographique. Insensible à l’authentique, prédateur inculte, le touriste (c’est bien connu !) reste dans l’univers artificiel du typique et de la photographie »3. Là encore on s’aperçoit que le touriste ne profite pas du moment présent, en se cachant constamment derrière son appareil photo ou sa caméra. Il perd la possibilité de faire des découvertes profondes.
Malgré l’accroissement du temps libre, la vitesse perçue comme signe d’efficacité et de rentabilité est restée un reflexe pour la majorité des français y compris dans leurs activités et dans le voyage. Les temps libres gagnés sont maintenant perçu comme du temps à remplir au maximum d’activités en tout genre, ce qui a à nouveau accru le sentiment de manquer de temps et d’urgence et a augmenté le stress. Cela s’est donc aussi répercuté sur le temps du voyage avec l’idée de le rentabiliser au maximum grâce à l’utilisation des moyens de transports rapides pour gagner du temps. La densification de ses vacances, l’accélération, les différents temps qui s’imbriquent et se mélangent ont entrainé la superficialité des découvertes. Étant donné le contexte actuel, caractérisé par des rythmes sociaux de plus en plus accélérés, l’individu manifeste parallèlement de plus en plus le besoin de se réapproprier le temps et d’en redevenir maitre. L’apparition d’un nouveau courant de pensée émerge lentement afin de repenser les rythmes des individus de manière moins contraignante et apprécier le temps qui passe. On peut se demander que recouvre le mouvement Slow et quel impact il a sur nos modes de vie ? Comment cette évolution peut se transformer en nouveaux comportements touristiques ? 1. MICHEL (Frank), L’autre sens du voyage, Manifeste pour un nouveau départ, Paris, Homnisphères, 2003, p.37. 2. BOUVIER (Nicolas), L’usage du monde [1963], petite bibliothèque Payot/Voyageurs, 2001. 3. BURGELIN (Olivier), le touriste jugé, p.80, dans « Vacances et tourisme », in Communications, n°10, Paris, Le Seuil, 1967.
Ralentir, un besoin largement majoritaire Ralentir, prendre son temps semble à première vu difficile à envisager avec les impératifs de ce XXIe siècle pressé. Pourtant ce courant de pensée se manifeste depuis deux décennies, avec l’apparition de philosophes, sociologues, mouvements qui invitent à décélérer, à retrouver le rythme de nos besoins physiologiques et à remettre nos pendules à l’heure. Ce qui nous amène à croire que ralentir n’est pas forcément incompatible avec le monde d’aujourd’hui. Mais ce n’est que depuis quelques années que cette tendance commence à s’imposer tout doucement. Aussi, en 2011, la Foire de Paris a été la première manifestation à s’emparer de cette tendance émergente de la lenteur qui se traduit par un besoin de ralentir. À cette occasion, une enquête intitulée Le « SLOW » ou l’aspiration des Européens à ralentir a été réalisée par Ipsos Public Affairs1. Elle a dévoilé que la plupart des Européens ont actuellement l’impression de vivre quotidiennement sous la pression du temps et de l’urgence, ce qui laisse une place de choix pour le développement de cette philosophie de la décélération. Cette enquête a ainsi permis de mettre en évidence que près de 8 Européens sur 10 (77 % des personnes interrogées) avaient l’intention de ralentir leur rythme de vie. Cependant ce chiffre est à prendre avec précaution. En effet, si ralentir est un souhait largement exprimé, on peut constater qu’il se heurte souvent aux contraintes du réel et qu’il est par conséquent difficile à réaliser. Ainsi, on observe que seulement 40 % des personnes ont déjà ralenti ou envisagent très sérieusement de le faire mais que les 37 autres aimeraient ralentir mais ne savent pas comment faire (19 %) ou ne pensent pas que cela soit possible (18 %). Il y a donc un écart entre l’idéal et la réalité qui rend la question du ralentissement problématique. À cela se rajoute le fait que la lenteur va à l’encontre de la vitesse, une des valeur majeure du monde occidentale comme on a déjà pu le voir. En allant à contre courant du mouvement dominant, près de la moitié des personnes interrogées avoue ainsi avoir mauvaise conscience. Le culte de la vitesse associé à celui de la performance exercent donc une réelle pression sur la société.
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Les trois types de « Slow » Les « SLOW ASSUMÉS » RALENTISSEMENT EFFECTIF OU SÉRIEUSEMENT ENVISAGÉ
dont 26 % ayant déjà ralenti leur rythme de vie et 14 % qui en ont l’intention prochainement
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Les « SLOW CONTRARIÉS » RALENTISSEMENT SOUHAITÉ MAIS OBSTACLE PERÇUS
dont 19 % ne sachant pas comment faire et 18 % qui ne pense pas que cela soit possible
Les « NON SLOW »
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RALENTISSEMENT NON ENVISAGÉ
Pour bien comprendre ce besoin de ralentir, l’enquête s’est aussi portée sur le rapport au temps des individus. Pour ce qui est de la pression du temps, ce sont les Français qui sont les plus stressés (59 % d’entre eux se déclarent « souvent stressé »). Aussi, de manière générale, les Européens manquent de temps pour faire tout ce qu’ils veulent. Dans cette enquête, il a également été posé la question des principaux bénéfices d’un rythme de vie moins intense. Majoritairement, il s’agit avant tout d’une question de « mieux-être » : 66 % des personnes pensent que ralentir la cadence permettrait de « mieux profiter de la vie », c’est ensuite « la qualité de vie » qui est évoquée pour 55 % des personnes et 54 % se sentiraient « moins stressés ». L’efficacité est considérée comme secondaire puisque le fait de « mieux travailler », « faire moins d’erreurs », « mieux réfléchir » sont des bénéfices qui ne sont cités qu’à hauteur de 30 % environ. Ainsi, ralentir est essentiellement une question de qualité de vie pour la plupart des personnes.
1. Ipsos Public Affairs, Le « SLOW » ou l’aspiration des Européens à ralentir, enquête réalisée en ligne en février 2011 dans 4 pays européens (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie), auprès d’un échantillon national représentatif de 1000 individus âgés de 16 à 64 ans dans chaque pays. Graphique. Réalisé d’après les données Ipsos Public Affairs de l’enquête.
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Enfin, la volonté de ralentir se manifeste moins comme un souhait d’ordre général que comme un besoin ciblé sur certaines activités. Dans le cas des français, en prenant les trois domaines les plus plébiscités, on voit qu’une majorité d’individus souhaitent prendre plus de temps pour passer des moments avec leurs familles (55 %). Vient ensuite le tourisme où 53 % expriment le besoin de ralentir pour visiter un pays, une région, une ville… et enfin il faudrait prendre plus de temps lorsque l’on se consacre aux loisirs (ex : lecture, bricolage, jardinage, activité artistique…) pour la moitié des personnes interrogées.
Domaines dans lequels les français aimeraient prendre leur temps
55 %
Relation avec ses proches
« prendre son temps, ne pas se laisser emporter par le tourbillon de la vie est devenu une aspiration pour beaucoup, et un art de vivre pour certains » Ana Bauer
53 %
Tourisme
50 %
Loisirs personnels
Après avoir analysé cette enquête, on comprend bien que le besoin de ralentir est devenu une priorité pour la majorité d’entre nous. Aussi, il semble évident qu’avec l’accélération toujours plus grande que connait la société, ce phénomène n’est pas sur le point de disparaître. Le mouvement la lenteur n’est donc plus un simple phénomène marginal et ne semble pas non plus être une simple tendance actuelle soumise aux aléas de la médiatisation. Ce mouvement, véritable phénomène de société, est le reflet du monde contemporain qui commence à réaliser que vouloir aller toujours plus vite n’est pas toujours aussi bénéfique que l’on voudrait le croire et pourrait même faire plus de mal que de bien. D’après le journaliste Carl Honoré, il y a actuellement tout un courant d’opinion qui ferait face à la dictature de la vitesse. Ainsi, en Europe, 16 millions d’adeptes revendiqueraient un changement dans leur rythme de vie en modifiant leur comportement de tous les jours1. Selon Ana Bauer, sociologue et consultante en marketing, « prendre son temps, ne pas se laisser emporter par le tourbillon de la vie est devenu une aspiration pour beaucoup, et un art de vivre pour certains »2. Ainsi, pour certaines personnes, ce désir de ralentir n’est pour le moment que la projection d’un idéal. Cependant, on peut voir que cet art de vivre, philosophie de la lenteur développée par le mouvement Slow, connaît des manifestations sensibles au sein de la société contemporaine.
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L e mouvement Slow : évolution des mentalités Le mouvement Slow, c’est à dire le mouvement de la lenteur, apparaît comme une figure émergente au sein des pratiques contemporaines. On a pu voir que l’on avait maintenant accès à la planète entière en quelques secondes sur Internet ou en quelques heures en avion mais paradoxalement nous n’avons pas souvent le temps d’en profiter. C’est pourquoi, bien que la vitesse impose son diktat, le besoin de ralentir, de se réapproprier le temps se ressent de plus en plus. En témoigne le succès des magazines, journaux, ouvrages en tout genre que l’on peut actuellement retrouver partout et qui font la promotion des avantages de ce mode de vie pour améliorer le bien-être quotidien. La littérature à ce sujet se propage de la même façon dans tous les domaines, de l’économie à la sociologie, des sciences politiques à la philosophie. La vitesse n’est plus mise sur un piédestal et est dès lors décrite comme
« occupée, autoritaire, agressive, agitée, analytique, stressée, superficielle, impatiente, active et privilégie la quantité sur la qualité. La lenteur est son opposé : calme, attentive, réceptive, immobile, intuitive, tranquille, patiente, réflexive, et préfère la qualité à la quantité. Avec elle, il est question de contacts vrais et profonds – avec les gens, avec une culture, avec le travail, avec la nourriture, avec tout » . 3
L’évolution des mentalités et le développement de la tendance Slow peut aussi s’expliquer par cinq grands facteurs. On peut d’abord parler de la mondialisation qui accélère le rythme des transactions et accentue la compétition internationale difficile à suivre. Vient ensuite le boom technologique qui nous donne le sentiment de devoir aller toujours plus vite pour réussir à suivre le rythme. Puis il y a aussi la société capitaliste mais surtout la crise économique qui a montré les limites d’un système qui valorise le résultat à court terme. À cela se rajoute la société d’hyperconsommation qui sollicite constamment le consommateur. Enfin, la crise écologique joue un grand rôle dans l’évolution des mentalités. Elle suscite une réflexion abondante pour repenser le développement de manière plus durable et plus respectueux des rythmes naturels.
1. Selon un cabinet d’études londonien, cité dans HONORÉ (Carl), Éloge de la lenteur, et si vous ralentissiez, Paris, Marabout, 2005. 2. BAUER (Ana), L’individualisation des sensibilités et des comportements : impacts touristiques, mars 2005. 3. HONORÉ (Carl), op. cit., p.25.
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Par conséquent, l’affirmation de la lenteur dans la vie quotidienne (professionnelle, personnelle ou publique) ne se fonde pas tant sur une nostalgie de la vie passée que sur une prise de position à l’encontre du fonctionnement actuel du monde et des valeurs du système socio-économique et écologique. Dans ce cas, le ralentissement se voit investi par un discours militant qui prône un nouveau modèle de société bâtie non plus sur le développement mais sur une nouvelle façon de produire, de réduire les besoins, de consommer… Il ne faut cependant pas y voir une régression de la société et encore moins un retour à un passé préindustriel. Mais à l’inverse, le mouvement Slow est fermement ancré dans le présent et tourné vers l’avenir. On peut prendre à titre d’exemple, le mouvement du Slow Food. Ce mouvement lancé par le journaliste Italien Carlo Petrini à Rome en 1986 prend appui sur la philosophie de la lenteur pour lutter contre l’émergence du Fast Food, mode de consommation alimentaire standardisé par excellence. Il cherche alors à promouvoir le savoir faire local, valorise les dîners entre amis, la convivialité, les saveurs, la variété des arômes des cuisines locales, et surtout incite à prendre le temps d’apprécier ce que l’on mange. L’idée fait si bien son chemin qu’en 1989, le Slow Food devient une organisation internationale à but non lucratif reconnue par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. L’association compte aujourd’hui près de cent mille membres, répartis dans cent cinquante pays. Son succès sur la scène internationale et le retentissement de ces discours au niveau mondial ont contribué à la diffusion et à l’application de cette philosophie dans de nombreux domaines en quittant progressivement le champ militant. Ainsi, dans la foulée du Slow Food, une dizaine d’années plus tard, on voit apparaître le concept des Slow Cities qui est depuis devenu un concept d’administration adopté par une vingtaine de villes en Europe. Il recense des villes de plus de 50 000 habitants qui veulent améliorer la qualité de vie des habitants, les pratiques environnementales comme la réduction de la circulation automobile par exemple. Le concept de Slow City s’est même accompagné d’un manifeste en 1999 où les villes signataires s’engagent à devenir « des havres protecteurs contre la frénésie du monde moderne ». Entre les tendances engagées ou les plus flexibles, le mouvement de la lenteur se généralise donc à tous les aspects de la vie. La liste est longue : Slow Art, Slow Work, Slow School, Slow Money, Slow Science, Slow Sex, Slow Media, Slow Design et sans oublier bien évidemment le Slow Travel…
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3 L’eurythmie Parler de lenteur ne signifie pas qu’il faille aller lentement en toute circonstance et pour toutes les activités que l’on pratique. En fait, pour les promoteurs du mouvement de la lenteur, l’emploi du terme lenteur est davantage une façon de nous amener à réfléchir à notre rythme de vie et à nous sevrer de la vitesse. D’ailleurs, tous les auteurs ayant écrit sur ce sujet se rejoignent pour dire que l’important est de trouver le bon rythme, celui qui est adapté à l’activité, au moment et au lieu : aller vite lorsqu’il est logique de le faire, et aller lentement lorsque la lenteur s’impose. Comme le préconise Bernard Schéou, enseignant chercheur, administrateur de Tourisme et Développement Solidaire (TDS) : « Plutôt que de lenteur, ne serait-il pas préférable de parler d’eurythmie, terme grec qui signifie le bon rythme, le rythme juste, et qui évoque l’équilibre et l’harmonie ? »1. Ce terme d’eurythmie avait jusqu’à présent été utilisé en musique pour qualifier une méthode d’éducation rythmique utilisant les mouvements corporels pour traduire des rythmes musicaux, en médecine, pour désigner un rythme cardiaque normal, ou plus généralement en arts, pour évoquer l’équilibre et l’harmonie (des couleurs, des formes et des sons d’une œuvre). À partir de cette définition, il faut comprendre que le rythme recherché par le mouvement de la lenteur est celui d’un rythme naturel, propre à chacun ; pas trop vite et pas trop lentement non plus. En fait l’idée est d’adopter un rythme adéquat à sa propre sensibilité et cela revient donc à chercher un équilibre entre des rythmes accélérés et des moments plus calmes. Carl Honoré, rejoint cette idée en conseillant de « vivre à ce rythme que les musiciens appellent le tempo guisto (la « bonne cadence ») »2. Ainsi on peut voir que la question des rythmes tient une place primordiale dans la compréhension de la notion de lenteur. Il apparaît aussi important de comprendre la nuance apportée par ces écrivains : la vitesse n’est un mal en soi tant que l’on garde la maitrise de son temps. Le Slow, serait une manière différente de gérer le temps en fonction de ses désirs. Par exemple, dans le cas du tourisme lent, il n’est pas exclus d’utiliser des moyens de transports rapides, de faire certaines activités plus rapidement que d’autre… Il s’agit simplement de trouver sa vitesse de croisière en ne se laissant pas emporter par la vague de la vitesse.
« Plutôt que de lenteur, ne serait-il pas préférable de parler d’eurythmie, terme grec qui signifie le bon rythme, le rythme juste, et qui évoque l’équilibre et l’harmonie ? » Bernard Schéou
1. SCHÉOU (Bernard), « De la tyrannie de la vitesse à l’eurythmie : le temps d’exister », Téoros [En ligne], 26-3 | 2007, mis en ligne le 01 février 2011, Consulté le 18 septembre 2012. URL : http://teoros.revues.org/985 2. HONORÉ (Carl), op. cit. p.26.
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Finalement, « en invitant à ralentir, on est invités à s’intéresser d’avantage à ce qui nous entoure, à cueillir les détails et les saveurs du monde. Mais cela ne doit pas naître d’une opposition entre vitesse et lenteur, slow contre fast, mais plutôt entre attraction et distraction, et la lenteur, à bien y regarder, a plus de rapport avec la capacité de distinguer et d’évaluer, et la propension de cultiver le plaisir, le savoir et la qualité, qu’avec la durée »3, explique Carlo Petrini, fondateur du mouvement du Slow Food. Ainsi, il exclut la dialectique entre Slow contre Fast (lenteur contre vitesse) et fait apparaître que cette revendication d’une logique temporelle moins rigide permet avant tout l’épanouissement de l’individu.
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« la lenteur, à bien y regarder, a plus de rapport avec la capacité de distinguer et d’évaluer, et la propension de cultiver le plaisir, le savoir et la qualité, qu’avec la durée. » Pour le travail d’un designer graphique, ce n’est donc pas sur la durée ou la notion de lenteur qu’il faut se focaliser ou mettre l’accent, ce ne serait que la surface perceptible de ce mouvement. Aller lentement pour ne pas aller vite n’aurait effectivement aucun sens s’il n’y a pas de prise de conscience de ce que cela induit. Il s’agirait plutôt de mettre en avant ce que des rythmes plus lents peuvent apporter, quels sont les bénéfices induis par ce nouveau type de comportement.
3. PETRINI (Carlo), Bon, propre et juste - Éthique de la gastronomie et sauvegarde alimentaire, éditions Yves Michel, 2006.
1 « Il y a dix ans, les touristes voulaient voir un maximum de choses en un minimum de temps. Aujourd’hui, ils veulent s’imprégner de leur lieu de vacances. Le voyageur vit au rythme de la population locale, alors qu’il court dans sa vie quotidienne. » Alain Capestan 1
Le Slow tourisme et ses principes
Le Slow Travel, ou voyage lent, s’inscrit dans la mouvance du Slow Food et des Slow Cities. Il ne possède aucune définition officielle mais d’après Rafael Matos-Wasem, chercheur à l’Institut Économie et tourisme en Suisse, il se fonde sur deux principes essentiels qui doivent être respectés : il faut prendre son temps et s’immerger dans le lieu visité. Le tourisme lent propose en fait un retour à l’essentiel en permettant à des voyageurs de découvrir en profondeur un territoire, une culture, un lieu et de s’en imprégner. Les voyages lents sont des voyages où l’on prend le temps de flâner, aller, venir et revenir, en évitant de consommer étapes et kilomètres, car pour comprendre, pour approfondir, pour vivre une expérience enrichissante, il faut prendre son temps. La difficulté de ce type de voyage tiendrait donc plutôt à nos personnalités, nos habitudes, nos modes de vies car cela exige de changer notre rapport au temps. Nous sommes tellement habitués à faire du temps un ennemi à abattre ou en tout cas à combler, à devancer, qu’il est souvent difficile de redevenir lent sans culpabiliser. Cette manière de voyager correspond à un état d’esprit particulier. Par exemple, il vaut mieux éviter de planifier à outrance pour se laisser porter par les imprévus et prendre le temps de l’observation et de la contemplation. Finalement, une des première règle à observer si l’on veut faire l’expérience d’un voyage lent et pour ralentir en général serait de retenir le conseil de Carl Honoré : « faire moins, c’est plus »2. Ainsi, en ne gardant que ce qui est important et en lâchant prise sur le reste, cela permet d’être moins dans l’urgence et d’apprécier plus le moment présent. Pour le voyage cela se traduirait par le fait de choisir moins de choses à faire ou à visiter pour pouvoir prendre plus de temps pour faire chaque chose sans être bousculé par le temps qui passe. Il faut aussi noter que l’idéologie du Slow Travel a rapidement été amalgameé avec tout ce qui est éco-tourisme ou tourisme responsable car elle préconise de se loger, de se déplacer et de manger local, ce qui fait du Slow Travel un voyage éthique et responsable par nature. Le but atteint est le même mais la démarche reste différente. La démarche écologique n’est pas une motivation du Slow traveler (touriste lent) mais en se fondant dans la population, en faisant revivre le commerce local, il se rend utile " malgré lui ".
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« faire moins, c’est plus »
1. CAPESTAN (Alain), directeur général de Voyageurs du monde, « Le « Slow Tourisme » prend de la vitesse », Libération.fr, [En ligne], mis en ligne le 24 juin 2009, consulté le 22 novembre 2011, URL : http://voyages.liberation.fr/actualite/le-quot-slow-tourismequot-prend-de-la-vitesse 2. HONORÉ (Carl), « Carl Honoré : « Faire moins c’est plus » », ddmagazine, [En ligne], mis en ligne le 17 mai 2008, consulté le 12 septembre 2011, URL :http://www.ddmagazine.com/333-Eloge-de-la-lenteur-slow-movement.html
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sein de sa relation au temps 2 Ause noue sa relation au monde Dans la vie de tous les jours comme dans le voyage, notre rapport au temps influence notre manière de percevoir le monde qui nous entoure, aussi bien les lieux que les gens que l’on rencontre et le contact que l’on peut avoir avec eux. Le rythme de déplacement provoque inévitablement une relation à l’environnement différente en fonction de la vitesse à laquelle on va. À titre d’exemple, on peut prendre un des projet de Richard Long, A walk of four hours and four circles datant de 1972. L’artiste connu pour avoir passé l’essentiel de sa vie d’artiste à marcher, a pour cette expérience effectué une randonnée. Il l’a ensuite restituée sous la forme d’une carte géographique sur laquelle il a tracé quatre cercles concentriques de diamètres différents à parcourir selon la même durée : une heure. « La carte ne montre pas simplement un parcours mais enregistre aussi une vitesse de déplacement. Du premier au dernier cercle, cette vitesse s’accroit considérablement puisque, le temps restant le même, le trajet, lui, est chaque fois plus long »1. Richard Long accélère donc la cadence de façon à atteindre invariablement sa destination au bout d’une heure. Cette œuvre permet de s’imaginer qu’en marchant sur chacun de ces cercles concentriques nous ne créons sûrement pas les mêmes liens avec les choses suivant la vitesse de notre déplacement ou une extrême lenteur. La vitesse appliquée au tourisme pose le même questionnement. La lenteur permet de voir les choses plus en détail, avec plus d’attention alors que la vitesse ne permet que d’avoir une vue globale, générale de l’environnement. Quand les touristes se déplacent vite, ils voient, même rapidement, la culture des autres. Ils perçoivent une autre identité même si celle-ci est noyée sous les clichés. En allant plus lentement, ils peuvent se faire une opinion plus fondée car ils ont le temps d’interagir avec leur environnement. Aussi, ce n’est pas seulement les moyens de transports qui sont en cause dans l’accélération de nos déplacements. Il a été prouvé que les piétons des grandes villes marchent plus vite qu’autrefois. Dans le cadre du festival annuel d’art contemporain « Rouen impressionnée » en 2011, une expérimentation urbaine intitulée Zone 3 a été menée au centre de Rouen, rue Ganterie. L’artiste à l’initiative de cette installation, Benoit Thiollent, a conçu un faux radar, pour piétons, doté d’un flash se déclenchant automatiquement lorsqu’un passant se déplace à une vitesse supérieure à 3 km/h. Il a en effet étudié qu’au delà de cette limite, le piéton ne prend plus le temps de regarder autour de lui et d’apprécier les détails du patrimoine architectural de la ville. Des panneaux se trouvant à côté du radar expliquent au passant que « marcher trop vite nuit gravement à l’observation du patrimoine » et leur demandent de ralentir avant de fournir des indications historiques sur les bâtiments qui les entourent. L’artiste a ainsi voulu faire prendre conscience qu’en allant moins vite, on voit les choses différemment et plus en profondeur.
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1. TIBERGHIEN (Gilles), Le Land art, Carré, Paris, 1993. Images. Benoit Thiollent, Zone 3, festival annuel d’art contemporain « Rouen impressionnée », 2011. 1. Panneau avertisseur du radar détourné pour la zone piétonne. 2. Radar et affiche explicative du projet et qui vise à faire réfléchir les passants sur leur vitesse et ce qu’ils manquent en allant trop vite.
SE RENDRE DISPONIBLE
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Sortir de sa zone de confort
Pour pouvoir faire des découvertes intéressantes, il faut parfois oser sortir des sentiers battus et s’écarter des zones trop touristiques ou du moins ne pas vouloir garder sa routine. Réussir à faire passer ce message au touriste est important pour que l’on en arrive pas à cette triste affirmation : « le touriste, c’est ce type en tenue bariolée qui parcourt des milliers de kilomètres pour manger la même pizza que chez-lui – qu’il ne trouve pas fameuse d’ailleurs »1. Pour cela, l’agence BDDP s’est de nouveau illustrée avec une nouvelle campagne décalée, encore une fois conçue pour le Guide du routard en 2011. Elle a imaginé une nouvelle agence de voyage (factice) : Voyages at Home. Cette nouvelle agence propose des voyages aux antipodes des services du Guide. Le dispositif imaginé est bien pensé et plutôt complet. Un site web présente les destinations, les forfaits, des témoignages de clients, etc. trois vidéos publicitaires expliquent les offres : « le mot d’ordre est simple. Partout comme chez vous ! », « avec Voyages at home…bienvenue chez vous », « Voyages at home c’est le voyage sans le dépaysement ! », il n’y a pas de barrière de la langue car on ne voyage qu’avec des français et pas de nourriture exotique non plus. On retrouve aussi une page Facebook et un compte Twitter. La campagne mis en ligne a créé le buzz puisque il n’a pas tout de suite été révélé que l’agence Voyages at home était fausse, il y a donc eu beaucoup de réactions critiquant ce type de séjours. Les différents supports renvoyaient finalement vers le site du Guide du Routard. Le but de cette campagne est évidemment de sensibiliser aux vraies valeurs du voyage (celles du Routard en particulier) où partir en séjour rime avec partage, découverte, échange, ouverture et signifie aussi de « sortir de sa zone de confort », des sentiers battus, de son quotidien... Le tourisme lent est lui aussi l’inverse de Voyages at Home. Bien que le voyage lent peut tout à fait se faire à proximité de chez soi, et même dans sa propre ville, les valeurs du voyage restent les mêmes. Le tourisme lent vit généralement au rythme de la vie locale au contact des habitants pour mieux apprécier l’expérience touristique il cherche à s’insérer et à s’ouvrir à l’environnement local. Cela suppose de sortir de sa zone de confort, ne pas tout planifier et donc se laisser quelque fois porter par l’imprévu.
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dans le présent pour se découvrir 2 Vivre Raymond Depardon est un photographe, réalisateur, journaliste et scénariste français. Il est membre de Magnum Photos et co-fondateur de l’agence Gamma. En 2000, il a choisi de travailler autour du thème de l’errance en partant à travers le monde pour photographier ce que l’on a pas l’habitude de voir en photo, ce qui a priori ne présente pas d’intérêt : des coins de route, des zones désertiques, des carrefours, des trottoirs, des stations-services. Il s’est donc confronté aux espaces du quotidien en faisant prévaloir « ce qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infraordinaire, le bruit de fond de l’habituel » pour citer ici Georges Perec2. Dans un voyage, le touriste cherche généralement un côté spectaculaire ou extraordinaire dans les lieux qu’il visite. Il veut des moments mémorables, uniques et significatifs, des temps forts, qu’il pourra photographier pour pouvoir les montrer par la suite, pour raconter son périple à la manière d’un voyageur ou d’un aventurier. Pourtant, comme le note Raymond Depardon, « t ous les écrivains voyageurs, Chatwin, Bouvier, ont fait des livres sans intrigue. Leur intrigue, c’était celle de leur vie quotidienne »3. Ce quotidien, c’est à dire le moment présent, qu’ils racontent dans leurs livres fait pourtant l’authenticité de leur voyage. Aussi, un voyageur qui choisi d’adopter un rythme plus lent, qui prend le temps de vivre au rythme de la population locale ou de flâner dans les rues, se confronte inévitablement au quotidien, il est amené à voir le banal et le trivial. Pour Nicolas Bouvier, le voyageur doit être « en état de veille », pour « donner à voir ». Il écrit par exemple dans ses carnets du Japon, Le vide et le plein : « combien de fois ai-je fait « voir » leur propre ville à des gens qui me la montraient »4. Pour cela, il faut donc se rendre disponible aux moments qui se présentent afin de saisir les éléments de son aventure, et donc vivre le moment présent sans penser à l’activité suivante ou à l’heure qui défile. Mais, il faut aussi, comme nous le démontre Raymond Depardon, accepter le fait qu’il n’y ait pas toujours de moment exceptionnel, mais que l’on peut trouver de l’intérêt dans le quotidien en se confrontant au hasard, en forçant sa curiosité et acceptant de s’ouvrir et briser ses idées reçues. Il s’est donc confronté à l’exercice et cela lui a alors donner l’occasion de s’interroger :
1. Agence Beaurepaire, campagne Il n’y pas de touristes en Bourgogne, [En ligne], mis en ligne le 9 mars 2011, consulté le 13 septembre 2011, URL : http://www.pasdetouristes.com/ 2. PEREC (Georges), L’infra-ordinaire, Seuil, La libraire du XXIe siècle, Paris, 1989. 3. DEPARDON (Raymond), Errance, Seuil, Paris, 2000, p.52. 4. BOUVIER (Nicolas), Le Vide et le Plein : Carnets du Japon, 1964-1970, p.46. 5. DEPARDON (Raymond), op. cit., p.56.
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« Qu’est ce que je suis, [...] quel est mon regard ? »5. Ainsi, la question du regard semble importante: quel est notre regard sur le quotidien ? En se posant cette question, le photographe a découvert une nouvelle façon de voyager à laquelle il n’avait pas pensée auparavant et cela lui a permis d’avancer et de mieux se connaître. La question se pose alors : peuton amoindrir ou transformer le potentiel d’attraction de l’ailleurs pour se concentrer sur la découverte de soi ? Nous courrons sans cesse après le temps. Flâner, ralentir sont pourtant indispensable à la réflexion, à la prise de distance. Le voyage est peut-être un des seul moment où l’on parvient à retrouver cette simplicité d’être au présent, de savourer l’instant, s’ouvrir à la découverte, à la rencontre. Raymond Depardon associe le fait de vivre dans le présent à une quête du bonheur, le « bonheur d’être dans son élément », mais aussi de s’accepter car on apprend à mieux se connaître. Nos traits de caractère se révèlent ainsi en suivant un temps qui n’est pas accéléré.
Image. Raymond Depardon, photographie de la série Errance, s.l.n.d, Magnum Photos.
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3 Activer ses cinq sens Le voyage lent permet de passer plus de temps au même endroit et cela donne la possibilité aux visiteurs de s’approprier les lieux de façon différente. Alors qu’en allant vite, on cherche surtout à « en prendre plein la vue », ralentir peut amener à prendre conscience que le corps, tous les sens et l’émotion peuvent intervenir pour l’exploration d’un territoire. Ces éléments posent donc la question de l’apprentissage du monde par l’expérience sensorielle. On retrouve ce questionnement chez Mathias Poisson, plasticien, performeur et dessinateur qui travaille sur le paysage et la promenade expérimentale depuis les années 2000 (guide touristique expérimental, cartes sensibles, bandes sonores...). Après avoir mené une série d’ateliers avec des déficients visuels à Bordeaux en 2006, il s’est inspiré de leur vision et a décidé de transposer ces expériences pour les clairvoyants en imaginant des lunettes floues qui reproduisent leur point de vue. Depuis, il prolonge l’expérimentation en organisant des Promenades floues1. Celles-ci sont organisées avec des petits groupes de 6 à 10 personnes et 1 des guides. En donnant à voir un paysage totalement flou au point de rendre abstraits et méconnaissables des espaces connus, les Promenades Floues expérimentent de ce fait les perceptions sensibles d’un territoire par le corps et l’esprit et s’interrogent sur la manière dont chacun sent, ressent, imagine et se représente les lieux dans lesquels nous évoluons. Ses interventions permettent donc, dans un premier temps, au marcheur de prendre conscience du large éventail de sensations qu’il a à sa disposition pour percevoir un lieu, ce qui agit sur le rapport qu’il entretient au paysage. Ainsi, le marcheur, en portant ses lunettes, découvre un nouveau paysage, fait de formes diffuses, de masses, de tâches colorées, de lumières... Le paysage apparaît en un seul plan comme un tableau qui s’attacherait plus aux formes, aux couleurs et lumières tels ceux de Mark Rothko, Gerhard Richter ou encore de William Turner. La profondeur de champs, la distance ne peuvent plus être évaluées, la vision, l’appréhension de notre environnement se trouvent concrètement modifiées et provoquent une perte de repères visuels.
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1. Les Promenades floues ont été présentées à Cap 15 (Marseille) lors des Journées Jouables, en mars 2008 ; à Aix-en-Provence dans le cadre de la programmation seconde nature (festival et exposition), en juin 2009 ; à Puyloubier, au pied de la montagne Sainte-Victoire, avec l’association Voyons voir, en septembre 2009 ; sur les îles du Frioul à Marseille dans le cadre du festival MIMI, en juillet 2010 ; lors du festival des Envies Rhônements en aout 2011 au domaine de la Palissade (Camargue). Images. 1. Mathias Poisson, Promenades Floues, dans le cadre du festival MIMI sur les îles du Frioul à Marseille, 2010. 2. Perception de l’espace lors d’une Promenade floue.
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Afin de s’acclimater à ce mode perceptif, d’ajuster sa démarche pour évoluer dans des espaces complètement inconnus et de reconstruire son équilibre, le promeneur s’en remet à ses autres sens. Au fur et à mesure du parcours, cela lui donne la possibilité d’explorer de nouvelles façons de percevoir (et non plus de voir) ce qui l’entoure ; sonorités, intensité de la lumière, odeurs, variations et contrastes de rythmes en fonction de l’enchainement des territoires visités, de la température... Cette expérience révèle ces éléments dans une flânerie sensorielle et met ainsi en évidence la richesse et la variété de nos perceptions et de nos sensations, habituellement masquées par la prédominance de la vue. On peut alors déceler dans ses déambulations une critique du monde de la surenchère, qui promet toujours plus de capacités, plus de possibilités, d’informations, de sollicitations visuelles et émotionnelles. Ici, les Promenades Floues s’opposent à ces habitudes et ménagent un temps de repos pour le corps et l’esprit qui doivent habituellement classer, traiter, digérer la profusion des informations graphiques et textuelles du lieu dans lequel ils se situent. Voir moins pendant un temps, avoir moins, permet de prendre du recul face à ce qui nous entoure, face à notre façon de le voir et le percevoir : notre expérience et nos conditionnements sont dès lors mis en évidence dans nos habitudes quotidiennes. Mais diminuer le sens de la vue, pendant la durée de l’expérience, n’est en fait qu’une façon détournée pour Mathias Poisson de donner le temps aux participants d’explorer et d’apprécier ce qu’ils possèdent, c’est à dire l’odorat, l’ouïe, le toucher. Ces sens sont exacerbés pendant cette durée pour palier au manque de la vue qui prédomine habituellement et permet alors de s’approprier et d’apprécier toute une palette de sensations dont nous n’avons pas conscience ou que l’on n’utilise que peu pour découvrir un lieu. Mettre à profit tous nos sens, et pas uniquement la vue, serait donc la solution proposée par Mathias Poisson pour sortir de nos conditionnements et habitudes, pour prendre conscience de notre capacité à percevoir et à se représenter le monde de plein de manières possible car chaque individu a une perception de la sensation en fonction de ses connaissances personnelles, de sa personnalité, de son milieu culturel et social.... Pour lui, faire un travail sur ce qui nous entoure, en exploitant notre subjectivité, peut nous apporter une conscience d’un monde modulable, d’une représentation modifiable en fonction de nos sensations. Ici, le parcours se fait dans la lenteur car la personne est privée du sens de la vue. Elle n’est donc pas véritablement décidée d’aller lentement, cela lui a presque été imposé. Le promeneur est ici dans des conditions particulières, que l’on ne retrouve pas spontanément en voyage. Pendant le voyage, il est difficilement envisageable d’imposer ou de programmer la lenteur par quelqu’un d’autre à la place de la personne elle même. Cela deviendrait artificiel, perçu peut-être plus comme une contrainte ou une forme d’inauthenticité par le voyageur. La difficulté est de savoir comment susciter ce qui devrait venir « tout seul » ? Mais comme on l’a déjà vue précédemment la
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lenteur n’est pas la finalité du mouvement Slow. Ce qui est important dans le tourisme lent ce n’est pas tant la lenteur que les bénéfices qu’il apporte. Peut-être que pour susciter la lenteur, il faut que le touriste potentiel prenne conscience des avantages d’une telle démarche. Qu’est ce que cela lui apporterait en plus de voyager plus lentement ? Informer, faire connaître, font partie de la démarche du graphiste et pourraient constituer une piste pour engager le projet.
Enfin, comme Mathias Poisson l’a déjà mis en avant, nous avons beaucoup de possibilités différentes pour explorer un lieu grâce au corps, aux sens et à l’esprit. Pour Michel Onfray, le voyage est l’occasion d’élargir ses cinq sens : « sentir et entendre plus vivement, regarder plus intensément, goûter ou toucher avec plus d’attention - le corps en émoi, tendu et prêt pour de nouvelles expériences, enregistre plus de données que d’habitude »1. Ainsi, les odeurs, les couleurs, la chaleur ou le froid, le goût, etc. forgent nos expériences et les gravent dans la mémoire avec plus d’intensité. Le voyage lent permettrait donc d’avoir des souvenirs plus forts et plus marquants.
Le besoin de ralentir que ressentent certaines personnes, y compris pendant le temps d’un voyage trouve donc une réponse dans le concept du voyage lent qui cherche à redonner au tourisme ces valeurs premières de temps de plaisir, d’échanges, de découvertes et de repos. Mais ce n’est finalement pas tant la lenteur qui fait la qualité du voyage mais elle amène une réflexion qui permet au voyageur de mieux maitriser leurs temps et de prendre conscience de leurs envies et de leurs attentes. L’évolution du comportement touristique facilite alors le contact avec la population locale et une relation à l’environnement plus profonde. Le tourisme lent permet donc de faire des découvertes différentes mais cela exige aussi des voyageurs des efforts pour oser aller de l’avant, sortir des circuits touristiques tous tracés, se rendre disponible pour des découvertes fortuites et prendre le temps de découvrir les choses dans leur ensemble.
1. ONFRAY (Michel), Théorie du voyage : Poétique de la géographie, Biblio Essais, Le Livre de Poche, 2006, p.51-52.
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POUR CONCLURE
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Le rapport au temps a considérablement évolué depuis le passage d’un temps naturel à un temps mécanique, quantifié, fractionné et rationalisé. Cela a entrainé une évolution des comportements et des mentalités de toute la société. Au fur et à mesure, la vitesse est devenue la nouvelle norme, alors que la lenteur, le fait de prendre son temps dans cette société où tout s’accélère a commencé à être mal perçu. Les nombreuses inventions produites au XIXe siècle et jusqu’à nos jours, les progrès technologiques toujours plus perfectionnés ont amélioré le quotidien et nous ont fait objectivement " gagner " du temps. Pourtant, cela n’a pas empêché que l’individu ait de plus en plus l’impression d’en manquer subjectivement. Cela s’explique, à notre époque, par l’accélération constance et toujours plus intense de notre rythme de vie qui se traduit par trois façons de vivre le temps : l’immédiateté, l’instantanéité et l’urgence. D’où le sentiment de bon nombre d’entre nous de manquer de temps. Avec l’évolution de la société et tous les changements qu’elle a connu, une société de loisirs s’est parallèlement mise en place grâce à l’apparition des congés payés et des progrès sociaux pour améliorer de la qualité de vie des salariés. Le temps libre a augmenté pour devenir finalement plus important que le temps de travail. Aussi, avec l’augmentation de ce temps libre et avec les moyens de transport plus rapides qui se sont démocratisés, les vacances d’abord élitistes sont devenues un phénomène de masse. Pourtant ce temps de vacances qui aurait dû être envisagé comme un temps de détente est pour beaucoup aussi stressant que le temps de travail. Finalement, la recherche de performance, l’idée qu’il faille rentabiliser ce temps toujours plus précieux est si bien rentré dans les mœurs de chacun qu’elle se propage aussi au temps libre et donc on la retrouve dans les comportements touristiques. Le but de ce mémoire était de voir comment les évolutions contemporaines du rapport au temps se traduisent en nouveaux comportements touristiques. Une partie de la réponse se trouve dans cette première synthèse. Les comportement touristiques se calquent sur la structuration sociale du temps ayant pour conséquence une pression temporelle importante. Ainsi le touriste cherche à rentabiliser son temps en faisant le maximum de choses en un minimum de temps. Il applique le concept du taylorisme au tourisme.
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Cependant avec cette nouvelle tendance de la Slow attitude, une nouvelle mentalité se met progressivement en place depuis quelques années. Le Slow mouvement prône un nouveau rapport au temps moins tendu et invite les individus à prendre leur temps pour apprécier le moment présent. Une petite partie des touristes se sont donc tournés vers cette façon de concevoir le voyage à travers le mouvement du Slow tourisme. Prendre le temps de la découverte, rester plus longtemps au même endroit, s’immerger dans la culture du pays visité, etc. sont donc les manifestations de nouveaux comportements touristiques en réponse à la philosophie de la lenteur. Pourtant il reste beaucoup à faire pour ce nouveau type de tourisme. Comme on a pu le voir avec les statistiques, si beaucoup souhaitent ralentir leur cadence, cela reste souvent la projection d’un idéal car certaines personnes avouent ne pas savoir comment faire pour parvenir à ralentir. Le temps d’un voyage semble être le bon moment pour s’y essayer, étant donné que ce temps n’est pas véritablement soumis à l’urgence que l’on souhaite lui attribuer.
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FILM Charlie Chaplin, Les Temps Modernes (Modern Times), 1936.
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REMERCIEMENTS Je tiens à remercier toute l’équipe enseignante du DSAA. Je remercie également Vincent Menu pour ses conseils avisés sur la mise en page. Merci à l’agence de Voyage Lent Terra Mundi pour leur temps et pour avoir bien voulu répondre à mes questions. Un grand merci à mes parents qui me soutiennent depuis le début de mes études et dans tous mes projets, même les plus fous ! Une pensée particulière à mon papa qui a courageusement accepté le travail de relecture. Merci à toutes les autres personnes, à mes amis, à ma famille qui m’ont soutenue et aidée de près ou de loin pendant ces deux années. Enfin, merci à mon petichien pour m’avoir tenu compagnie et pour tous les aboiements qui m’ont permis de rester éveillée pendant la rédaction de ce mémoire.
Police de caractère : PF Handbook Pro (Panos Vassiliou, 2005-2007) Aller (Dalton Maag Ltd, 2009) Achevé d’imprimer en février 2012. Ce mémoire a été tiré à 9 exemplaires.
Céline Stein